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La réunion était publiquement annoncée sur notre site mais également ici : http://www.demosphere.eu/node/30536 Son but était de discuter de notre brochure « Malaise dans l’identité – Définir des appartenances individuelles et collectives contre le confusionnisme et l’extrême-droite » , sortie en mai 2012. Elle y était en vente libre, ainsi que nos brochures précédentes. Les tracts suivant ont été distribués : « Le mouvement des indignés » ; « La démocratie contre les élections » et « Pour des AG autonomes » . Une dizaine de personnes étaient présentes au « Tabac de la Bourse », à Paris. La réunion commence à 19h30 par une petite présentation de la question identitaire par des camarades grecs. Exposé Le thème de la brochure présentée, l’identité, est très sensible et pourrait donner lieu à nombre de malentendus, d’amalgames et de confusions. Il nous a donc semblé intéressant de l’aborder à travers le cas grec, particulièrement d’actualité. Il s’agira donc d’expliciter les rapports qu’entretiennent les Grecs avec la modernité, qu’il peut être instructif de comparer ensuite aux autres populations non-occidentales, notamment celles du Maghreb. La question grecque est évidemment très actuelle, mais jamais abordée d’un point de vue anthropologique. Pourtant ce qui se passe aujourd’hui en Grèce se joue aussi à ce niveau-là. La culture grecque n’a pas intégré le rationalisme (avec et sans guillemets) sociales intrinsèque au capitalisme - et à la culture occidentale en général. Elle garde des caractéristiques traditionnelles comme le patriarcat, le régionalisme, le clanisme. Depuis deux siècles que la Grèce est en contact avec la modernité, elle a un pied en Occident, et l’autre dans le monde balkanique-oriental et chrétien orthodoxe. Cette situation contradictoire n’a pas été vécue comme telle faute d’une religion agressive et « énergique » comme l’est l’islam actuel. Mais l’éclatement de la crise « économique » et le brusque changement de mode de vie qu’elle implique pour la plupart des

Grece, La Question Anthropologique

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L'identité grecque

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La runion tait publiquement annonce sur notre site mais galement ici:http://www.demosphere.eu/node/30536Son but tait de discuter denotre brochure Malaise dans lidentit Dfinir des appartenances individuelles et collectives contre le confusionnisme et lextrme-droite, sortie en mai 2012.Elle y tait en vente libre, ainsi que nos brochures prcdentes. Les tracts suivant ont t distribus:Le mouvement des indigns;La dmocratie contre les lectionsetPour des AG autonomes.Une dizaine de personnes taient prsentes au Tabac de la Bourse, Paris.La runion commence 19h30 par une petite prsentation de la question identitaire par des camarades grecs.ExposLe thme de la brochure prsente, lidentit, est trs sensible et pourrait donner lieu nombre de malentendus, damalgames et de confusions. Il nous a donc sembl intressant de laborder travers le cas grec, particulirement dactualit. Il sagira donc dexpliciter les rapports quentretiennent les Grecs avec la modernit, quil peut tre instructif de comparer ensuite aux autres populations non-occidentales, notamment celles du Maghreb.La question grecque est videmment trs actuelle, mais jamais aborde dun point de vue anthropologique. Pourtant ce qui se passe aujourdhui en Grce se joue aussi ce niveau-l. La culture grecque na pas intgr le rationalisme (avec et sans guillemets) sociales intrinsque au capitalisme - et la culture occidentale en gnral. Elle garde des caractristiques traditionnelles comme le patriarcat, le rgionalisme, le clanisme. Depuis deux sicles que la Grce est en contact avec la modernit, elle a un pied en Occident, et lautre dans le monde balkanique-oriental et chrtien orthodoxe. Cette situation contradictoire na pas t vcue comme telle faute dune religion agressive et nergique comme lest lislam actuel. Mais lclatement de la crise conomique et le brusque changement de mode de vie quelle implique pour la plupart des Grecs, fait rmerger le noyau contradictoire et antinomique de la constitution historique et culturelle de la Grce moderne. Il faut donc remonter aux racines historiques pour expliquer ce fait[1].Un pays sans nationLa libration de la Grce du joug ottoman est symboliquement date de la bataille navale de Navarin de 1827. Mais cette dcolonisation na pu se faire que par lintervention de la France, de lAngleterre et de la Russie, les Grandes Puissances de lpoque, qui chacune pour ses raisons propres - dsiraient la cration dun petit tat fantoche lextrme sud de la partie balkanique de lEmpire ottoman. Ainsi, la Grce moderne na pas merg la suite de lautoconstitution dune nation au sens moderne du terme. Depuis la fin de la priode hllnistique, le type de gouvernement de la rgion na cess dtre patriarco-clanique. La sphre publique ny est que la scne o saffrontent les diffrentes cliques qui se partagent le gouvernement. En Grce, il ny a jamais eu aucun des lments qui ont conduit, historiquement, un certain recul de cet lment clanico-rgionaliste, ni au recul du type de pouvoir sultanique (selon Max Weber) qui lui correspond: on ny a connu ni lmergence de mouvements galitaristes et dmocratiques (comme ce fut le cas en Occident) ni la cration dun tat fort et centralis (comme ce fut le cas tant dans les divers despotismes orientaux quen Occident lors de sa phase absolutiste).Ds le Xesicle, on voit merger Byzance la catgorie sociale des dynatoi (les puissants), grands propritaires fonciers aristocrates, qui mettent en question le monopole du pouvoir tatique. Ces tendances centrifuges furent aggraves par le fait que cette aristocratie avait accs aux postes de ladministration, un lment essentiel qui a contribu laffaiblissement et au morcellement graduels de lEmpire byzantin. Cet esprit rgionaliste imprgna fortement la socit. Il fut consolid pendant loccupation ottomane (1453-1827): le sultan ne sintressait gure intgrer les territoires occups par ltat ottoman, pourvu que ceux-ci lui versassent les impts demands. Cette situation a accentu la domination des divers chefs rgionaux et le morcellement clanique du territoire grec. Ce nest pas par hasard si certains intellectuels grecs (rsidant en France et en Suisse lors de lclatement de la Guerre de Libration et influencs par les Lumires) proposaient la constitution dun Etat fdral plutt que dun tat centralis.Aprs la Guerre de Libration de 1821, une premire guerre civile eut lieu de 1823 1825. Chef claniques et seigneurs de guerre saffrontrent pour le pouvoir. Les antagonismes dalors perdurent encore dans la mentalit grecque. Il ny a donc pas eu proprement parler dide nationale grecque, dunit de la rgion. Sans lintervention dcisive des Grandes Puissances en 1827, les troupes ottomano-gyptiennes dIbrahim pacha auraient cras les armes grecques et restaure lordre ottoman, les chefs de guerre grecs tant toujours occups se battre entre eux. Fut alors cr une sorte de protectorat sous lautorit des Franais, des Britanniques et des Russes. Aprs lassassinat du premier gouverneur du nouvel tat, Kapodistrias (en 1831, par les membres de la famille du chef rgional de la Magne, Mavromichalis, en rponse la prtention de Kapodistrias de les soumettre lordre tatique), les grandes puissances nommrent comme premier chef dEtat un Bavarois, Otto I. Ce fut le premier roi de la Grce moderne. Le rgime ainsi form fut une royaut clientliste, vite transforme en monarchie constitutionnelle (1843). Les grands partis ny taient que les reprsentants des grandes puissances qui prtendaient rgir le pays.Naissance dun nationalisme victimaireDe ces vnements fondateurs, il rsulte un entrelacement des cultures occidentales importes et des cultures locales traditionnelles. Et un rapport trs particulier vis--vis de lOccident. Pour le peuple grec, ce dernier est une entit dominatrice et manipulatrice, mais comme lEtat grec moderne naurait pu exister sans son intervention, il existe un complexe dinfriorit, un narcissisme national fondamental, qui prend la forme dun nationalisme victimaire ou autovictimisant: le peuple grec aurait toujours t le jouet des Puissants du monde, un peuple tourment et humili car ha et envi cause de sa supriorit (mentale, spirituelle, culturelle, voire climatique-gographique: le soleil et la joie de la vie du Sud contre la brume dpressive du Nord, etc.). On peut lire l-dessus le fameux pome Axion Esti dOdyssas Elytis, de 1959 (O. Elytis, Axion Esti, suivi de Larbre lucide et la quatorzime beaut, Gallimard, NRF, 1996), un de nos meilleurs et plus fameux potes. Il sagit dun long pome o Elytis essaie de dfinir lessence de la grcit, afin dlaborer le mythe national dont a besoin selon lui la Grce moderne et qui lui permettrait selon nous de devenir le pote national grec (la recherche du pote national constituant encore une des obsessions culturelles des Grecs modernes). Dans ce pome, on trouve tout ce quon analyse: un peuple pauvre et presque maudit, condamn habiter un pays pauvre mais magnifique, un vrai agneau de Dieu qui rsiste aux Puissants etc. etc.Cette mythologisation constitue une lecture idologique et auto-justificatrice dune situation bien relle: depuis son mergence graduelle, vers la fin de lEmpire byzantin, ce que la plupart des Grecs considrent comme la nation grec moderne fut constamment domine par des puissances trangres. On pourrait dire que pour linconscient collectif nogrec, il existe un fil conducteur entre la Prise de Constantinople par les croiss en 1204 et limposition des Memoranda de la Troka (FMI, UE, BCE), en passant par les dominations britannique et amricaine. Cette interprtation de lhistoire amne une animosit souvent trs marque et latente- envers lOccident qui trouve sa contrepartie la sduction quexerce sur les Grecs lOrient. On trouve cette animosit chez le noble byzantin Notaras qui disait quil prfrerait tre domin par les Ottomans que par les Francs, ou au XVIIIesicle dans les espoirs populaires dune libration par la Russie du joug ottoman. Cest bien cet antioccidentalisme qui a ralli les Grecs aux nationalistes serbes lors de la phase ultime de la Guerre de Yougoslavie (et qui leur a fait croire que les rumeurs sur les massacres dont celui de Srebrenica ntaient que diffamation occidentale) et pas quelque prtendue haine contre les Bosniaques.Depuis le XIXesicle, lhistoire officielle grecque montre un peuple continuellement dup, tromp, manipul dabord par lEmpire ottoman puis et surtout! - par les puissances occidentales. Il en ressort trs clairement la mentalit dont nous venons danalyser les axes principaux. Cette mentalit tait alors renforce par lidologie de la Magna Grecia (la Grande Ide dont parlait Kolettis, le chef du parti Franais), qui voulait tendre les frontires du pays sur les deux continents et les cinq mers, en prtendant renouer avec les poques glorieuses de lEmpire byzantin. Ce projet sappuyait sur les expatris, trs nombreux, quil sagissait alors de dfendre et de restaurer dans leurs droits l o ils taient. La catastrophe de 1922 mit un terme ce rve dexpansion restauratrice: Smyrne, territoire grec depuis la fin de la Premire Guerre mondiale, fut reprise par larme dAtatrk. Les populations grecques alors prsentes en Turquie furent massacres ou dportes sans que les puissances occidentales ninterviennent. Cet vnement fait figure de vritable traumatisme dans la mentalit des Grecs, condamne depuis vivre dans un espace restreint du fait des manipulations occidentales.Le pays vcut une nouvelle guerre civile la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis connut une domination amricaine dans les deux dcennies suivantes: ce fut la victoire de la droite au terme de cette guerre grce en partie lappui des bombes au napalm amricaines qui consolida lemprise des Etats-Unis sur la Grce. Ils prenaient le relais de la Grande Bretagne. Churchill tait venu Athnes en 1944 pour mener la fameuse bataille dAthnes contre les staliniens avant de cder la place aux envoys du prsident Truman. Cest lpoque du plan du mme nom, qui visait contenir la menace sovitique en renforant la Turquie et la Grce. Dans le cadre de la politique amricaine de lAprs-guerre, il faut noter le soutien amricain au rgime des Colonels (1967-1974), dont le chef initial, G. Papadhpoulos, fut, selon des rumeurs, entrain et utilis comme agent par la CIA. Depuis la fin de la dictature, la domination occidentale dans la rgion se fait avec une contrepartie financire (subventions de lEU, etc.).Un avatar du tiers-mondisme anticolonialToute cette histoire est donc interprte travers ce prisme de lidologie victimaire selon laquelle les Grecs seraient perptuellement vexs et humilis par toutes les nations puissantes qui les entourent. On retrouve l des traits communs aux mentalits juives et arabes contemporaines.Arrtons-nous sur cette idologie, fortement connecte au tiers-mondisme, qui sest par ailleurs exprime dans le nationalisme arabe. La situation gopolitique du protectorat est le prtexte pour dvelopper toute cette idologie anti-coloniale, et celle-ci a vritablement empche limplantation relle de la culture occidentale, de son versant rationaliste / capitaliste, comme de son versant mancipateur. Cela est galement visible dans la structure du pays: Il ny existe pas de bourgeoisie proprement parler, ni de Nation vritable ou dtat centralis. Le nationalisme grec repose uniquement sur le tiers-mondisme, et nous pourrions reprendre notre compte lanalyse de certains historiens et sinologues propos de la manire dont le stalinisme des pays sous-dvelopps constitue le principal levier de leur rveil national et nationaliste (cf. par exemple le livre de Lucien Bianco, Les origines de la rvolution chinoise, 1915-1949, et surtout le chapitre Communisme et nationalisme). Le cas grec ressemble bien des gards son homologue chinois, de ce point de vue: dans les deux pays, cest la gauche, lors de sa participation la Rsistance anti-imprialiste (contre les Japonais en Chine, contre les Allemands chez nous) et la guerre civile (de 1946 1949 dans les deux pays) qui diffuse un vrai sentiment nationale aux sein de la population, et non la droite. Celle-ci reprsente moins une vraie bourgeoisie de type occidental quune coalition anti-communiste form dune mince proto-bourgeoisie et dlments issus des lites politiques traditionnelles, de type patriarcal, rgional et clanique. Elle est considre par le peuple comme vendue ltranger. Ce nest pas un hasard si en Grce, bien que la gauche ait perdu la Guerre civile (contrairement sa cousine chinoise), cest la culture de gauche qui a domin pendant lAprs-guerre, en plein rgime autoritaire anti-communiste: cest pendant cette priode que le nationalisme victimaire prend sa forme moderne, rationalis et systmatis par les intellectuels staliniens (ou de gauche en gnral) ainsi que par des artistes de droite (comme Elytis) plus laise avec le tiermondisme dorigine gauchiste quavec la pseudo-culture officielle grco-chrtienne du rgime en place. Cest ainsi que le nationalisme gauchisant devint lidologie dominante de la socit grecque, malgr les efforts du rgime anticommuniste pour la combattre.clatement actuel de la contradiction identitaireLa situation change avec la fin de la dictature, dans les annes 70, qui marque lentre dans la socit de consommation ou plutt ladhsion populaire cette entre. Il en rsulte une posture anthropologique totalement contradictoire. Dun ct, lOccident est profondment ha . La monte du PASOK au pouvoir saccompagne du renouveau de lidologie gauchiste et du nationalisme victimaire. Le chef du PASOK, A. Papandrou, se prsentait comme un vrai chef du marxismenon occidental, entretenant des rapports amicaux avec Arafat et Kadhafi entre autres. De lautre, le peuple profite sans retenue de ses grces que sont la consommation, la technologie, les subventions, etc. Plus profondment encore, les Grecs sont anthropologiquement plutt des Orientaux, mais qui veulent se vivre comme des Occidentaux: il y a un refoulement de leur ralit identitaire, qui est un cartlement entre lOrient et lOccident. La crise actuelle est lclatement au grand jour de cette contradiction sur le plan politique, et on la retrouve dans la structure mme des mouvements contestataires: dun ct, la lutte contre lOccident, les banques, la Troka, etc., et de lautre la volont de revenir cette opulence davant la crise, opulence totalement occidentale tant par le mode de vie quelle incarne et diffuse que par son origine, le financement europen et amricain. Plus quune crise politique, ce que traverse la Grce aujourdhui est une impasse anthropologique o la socit est incapable de se donner une conception cohrente delle-mme. On retrouve l le problme de toute lattitude du monde non-occidental.Cette situation est renforce par la crise culturelle et anthropologique profonde que traverse lOccident lui-mme, car dun certain point de vue, lOccident sorientalise. On y observe un puisement des gisements anthropologiques occidentaux puisque le capitalisme a fait natre une culture de la consommation, de la facilit qui sape les ressorts profonds du rationalisme. Cela se traduit par des tendances lourdes au lobbying, au clientlisme, au clanisme, la corruption. Il y a donc une convergence manifeste entre un monde non-occidental qui peine soccidentaliser et un Occident qui seffondre en renouant avec des formes sociales traditionnelles.DbatLa question de la corruption hors et en OccidentAcha: Le phnomne de corruption nest pas moindre en Occident que dans le reste du monde: il sagit dune vision ethnocentrique rabche qui occulte les scandales rptition qui rythment la vie politique, par exemple en France.Majid: Oui mais en Occident, et particulirement en France, ces scandales sont au moins rendus publiques, notamment par Le Canard Enchan, ce qui nest pas le cas dans les pays non-occidentaux.Quentin: Je nai jamais entendu parler ici de notes scolaires achetes par un parent dlve contrairement ce qui se fait ailleurs... En Tunisie, on peut avoir glisser la pice au fonctionnaire simplement pour quil accepte que lon paye sa facture dlectricit!Mohamed: Soudoyer un flic franais lorsquon est arrt nest en rien une habitude, alors quau Maroc, cest absolument systmatique.Jean-Luc: Il existe une diffrence entre le clanisme et la corruption, qui ne sont pas les mmes phnomnes, et quil ne faudrait pas confondre. La diffrence qua induit lOccident est linvention du principe de service publique, qui na quasiment pas cours ailleurs.Quentin: Lintervention dAcha montre un ethnocentrisme trs rpandu, et que jai longtemps partag: ce que lon vit en Europe serait ltalon mondial de ce qui se passe partout sur la plante. Cest videmment totalement faux: lEtat de droit relatif dans lequel nous baignons est une exception dans le monde actuel et dans lhistoire. La rgle gnrale de lespce humaine, cest la volont du prince et des puissants, et qui ne sont pas contestables. Croire que lon contrarie lidologie dominante en masquant ce fait, cest en ralit empcher la quasi-totalit de la plante dessayer daccder ce dont nous bnficions ici.Jean-Luc: LOccident a connu une division des pouvoirs, et dj une division entre le pouvoir religieux et politique. Mme Louis XIV, monarque absolu, tait soumis des rgles intangibles, et charg de faire respecter la loi, qui ntait pas la sienne.Acha: Je ne vois pas pourquoi il faudrait prfrer un bloc contre un autre: lOccident contre le reste du monde. Je ne suis pas daccord avec cette vision des choses!Majid: La question nes pas de choisir entre ce qui existe, mais de poser ce que lon veut. Par exemple nous avons parl avant que la runion ne commence de la rforme du code de la famille au Maroc. Il y a des possibilits de faire appel, mais cela demande linstallation dune administration de type rationnelle, impersonnelle, ce qui rompt compltement avec la primaut des rapports de faveurs qui ont cours traditionnellement. Car avoir le droit de faire appel dune dcision officielle est une chose, mais encore faut-il que cela soit effectif, autrement dit que le flic du guichet accepte de recevoir votre plainte, ce qui na rien dvident. La question nest pas ontologique, mais politique. On retrouve dailleurs cette corruption gnralise en Grce; cela sappelle lenveloppe, que lon glisse au reprsentant de lautorit pour quil accepte la demande.Nikos: Exactement. La diffrence principale entre la corruption occidentale et non-occidentale, cest quici il ny a pas de micro-corruption: elle est limite gnralement aux couches les plus leves. Ailleurs, cest une pratique trs populaire et omniprsente dans toutes les strates sociales, puisquelle fait partie dun tissu social qui sarticule non pas autour des institutions impersonnelles et rationnelles comme dans lOccident, mais autour dun ensemble de rapports sociaux personnaliss qui fonctionnent par lchange et la ngociation (qui, bien videmment, se transforment, trs souvent, en micro-arnaque). Cest une diffrence trs importante.Anakron: Le mode de rgulation des conflits en Grce contemporaine, cest lappel au puissant. Si jai t ls, vex par un puissant, il me faut trouver une autorit de mme niveau pour pouvoir le contester. Cest comme a que a se passe, en, faisant jouer une pyramide clanique contre une autre, il ny a au fond pas dautres recours.La question de lOccidentJean-Luc: Il ne faut pas avoir de discours de dfense de lOccident. LOccident, cest aussi le code noir qui institue le droit de vie et de mort sur le colonis, ce qui ntait pas le cas au Maghreb, cest aussi la guerre moderne et ses millions de morts, la Shoah. Ce sont des inventions occidentales.Nikos: Cest bien ce que nous disions dans lexpos et dans la brochure: cest bien ces deux versants qui posent problme, et on ne peut luder ni lun ni lautre.Jean-Luc: Mais quappelle-t-on Occident? Est-ce quon parle aussi de la Grce antique? Et quelles sont ses frontires? On peut le dfinir comme le lieu de la rvolution industrielle, mais alors la France aurait un statut spcial, puisquelle y a t plus que problmatique car sans vritable rvolution dmographique ou migratoire. Et puis la France a toujours t un mlange de peuples, sans parler du phnomne massif de limmigration. Peut-on, parler dunit?Nikos: Il doit tre clair que la Grce actuelle na rien voir avec la Grce Antique. Daucun point de vue: nous parlons de deux socits qui, part la langue dans une certaine mesure, nont rien en commun. Cest un pays traditionnel qui a t bouscul par la modernit.Quentin: Les questions que pose Jean-Luc sont intressantes en elles-mmes: quest-ce que lOccident? Mais jespre que ce nest pas pour noyer le poisson comme cela arrive souvent dans ce genre de discussions lorsquelles arrivent un certain niveau o on finit par dclarer que, finalement, lOccident nexiste pas! Cest videmment une position intenable qui permet de ne strictement rien comprendre ce qui se passe dans le monde...Jean-Luc: Ce nest pas ma position. Je dfinirai lOccident comme lapparition de la bourgeoisie, cest--dire dun corps intermdiaire entre le peuple et la classe dirigeante. Ce sont les couches moyennes. Et il y aurait aussi le primat de la technique, de la croissance, la recherche dans lunivers conomique de solution aux problmes sociaux.A nouveau sur la corruptionNikos: On pourrait aussi rajouter la centralisation tatique. Je voudrais dire entre parenthse que statuer sur la question de la corruption ne doit pas se faire dans un cadre essentialiste: quil existe une culture de la corruption dans certains pays, comme la Grce, nimplique en rien que cette culture soit ternelle: au contraire, il sagit de la transformer, et cela ne peut se faire que par les premiers concerns. Pour en revenir la question de lEtat de droit, je dirai que la premire fois que cette situation a t nonce cest en Chine, par les intellectuels de ladite Ecole de la loi (f ji). Ctait une volont de dpasser le morclement politique et les incessantes gures dues lesprit rgionaliste et clanique des grandes familles aristocratiques. Pour les intellos et les hommes politiques inspirs du lgisme, il faut accorder le primat absolu la Loi dont lempereur nest quun simple applicateur. Tout le monde doit respecter les lois, indpendamment de son origine ou de sa classe sociale. Cet esprit a inspir la premire unification du pays, mais il fut vite combattu et remplac, comme idologie officielle du royaume, par le confucianisme, une philosophie essentiellement patriarcale-clanique. Lexprience a t si prcaire prcisment parce quelle fut impose den-haut, et non comme en Occident par un long mouvement populaire, qui obligerait les diverses fractions et familles des puissants de renoncer leurs prtentions au pouvoir ainsi qu leurs privilges et de se soumettre la mme Loi que la roture et le reste de la socit.Mohamed: Il y a partout une corruption des cadres dirigeants, les cols blancs. Mais ce qui se passe en France est incomparable avec le Maroc: la corruption des fonctionnaires est intgre leur fonction, ce nest pas un dysfonctionnement, cest une pratique automatique installe depuis des sicles.Henri: Ce nest quand mme pas le fonctionnement normal des socits traditionnelles!Anakron: Non, on ne peut pas parler de corruption concernant les socits authentiquement traditionnelles: la volont du souverain est incontestable et les rapports sociaux sont tous personnels, cest diffrent.Henri: La corruption nest-elle pas aussi induite par des salaires de misres? Si ces gens taient mieux pays, ils ne frauderaient pas...Mohamed: Les cadres et les hauts-fonctionnaires marocains sont les plus corrompus et ce sont eux qui ont des salaires trs levs...Anakron: La situation est identique en Grce.Quentin: On ne peut pas expliquer des phnomnes aussi massifs et installs par des considrations purement conomiques. Cest tout un rapport au pouvoir et la collectivit qui est propre chaque socit et qui forme des individus particuliers, des types anthropologiques. Dans une socit traditionnelle, on ne peut pas parler de corruption parce que lautorit est totalement personnalise: cest donc un rapport de sujtion normal. Les mcanismes de corruption dont nous parlons sont typiques de socits semi-modernises o on a plaqu un fonctionnement tatique, bureaucratique, administratif sur des socits de face--face, claniques qui lui sont trangres. On a donc une instrumentalisation des institutions des fins personnelles, familiales, tribales, claniques, rgionalistes, etc., comme dit N. Elias. Cest cela la corruption. Paralllement, la corruption occidentale vient dune dgradation progressive de la tendance au fonctionnement normal des institutions, o lon renoue peu--peu avec des rflexes ancestraux. Il y a un chass-crois mondial, une homognisation des socits.Jean-Luc: La corruption gnralise est pour les pays occidentaux un signe indubitable de dcadence.Quentin: Absolument. La corruption haut niveau dnote dj un affaissement terrible du contrle des lites par le peuple. Mais il ny a pas encore de culture de la corruption au sein du peuple. Et cest celle-l qui est politiquement la plus importante pour le projet rvolutionnaire: comment par exemple crer de vritables syndicats alors que tout le monde ny voit quune occasion dascension sociale, denrichissement ou dobtention de postes? Que ce soit le cas des syndicats aujourdhui montre bien lvolution dont nous parlons, mais il nen a jamais t autrement dans la plupart des autres civilisations. Jtais au Mali il y a quelques annes et je discutais avec un syndicaliste, justement, qui fustigeait le prsident dalors, ATT comme on lapellait, et condamnait avec la dernire fermet la corruption de lEtat. Je lui demande en quoi consiste son activit syndicale et il me dit quil protge les gens qui lui font des cadeaux... Cest a la culture de la corruption, cest quand elle est intgre au fonctionnement normal des institutions mais aussi de tous les individus. Et elle empche videmment toute auto-organisation politique populaire durable.Nikos: Il y a beaucoup dexemple pour faire comprendre le niveau de corruption des socits semi-modernes: une Grecque qui stait fait opr dune tumeur du cerveau aux USA avait combl lquipe mdicale de cadeaux aprs le succs de lopration. Cela avait cr la surprise dans lhpital alors quen Grce, a ne fonctionne que comme a...Quentin: En mme temps, il est clair que lEtat de droit impose des relations impersonnelles, instrumentales, inhumaines, utilitaires qui se sont tendues tous les secteurs des socits occidentales: cest aussi un facteur important dasschement et de disparition des relations sociales. Il faudrait poser la question dun type dorganisation de la socit qui permette un rel exercice des droits par chacun mais aussi la possibilit de relations humaines riches et denses.Jean-Franklin: La dfinition marxiste du fodalisme est justement la dpendance personnelle au pouvoir.Nikos: On voit en France la dernire tentative de maintenir ce fodalisme dans la Fronde, o laristocratie a essay de renverser cet Etat qui prenait sa place. Bien sr, le roi a vite fait de crer un petit entre-soi Versailles pour la contrler.Mohamed: On voit par exemple le cas des OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Franais) qui peuvent tre cass par des juges administratifs. Vous vous rendez compte: un petit juge qui annule une dcision du prfet, donc de lEtat directement! Au Maroc, ce serait tout simplement suicidaire ou inconscient pour un juge de seulement y penser...Nikos: Je crois quil faudrait sattarder sur ce qua dit Quentin. Nous critiquons en Grce le fonctionnement charismatique et extra-institutionnel qui est un facteur important du caractre politique htronome de la socit. Mais en France nous sommes confronts un autre extrme: la conception dune socit o tout est rgl, administr, huil, routinis, mais qui peut vite verser dans le chaos ds que la mcanique senraye. Les gens ici ont perdu la capacit ragir face aux situations nouvelles, improviser, rgler eux-mmes les questions dorganisation. Il y a une confiance extraordinaire dans la bureaucratie. En Grce, il y a aussi une tendance constante vers lauto-dnigrement qui, de nos jours, prend la forme dune incrimination, entre autres choses, de la socialit traditionnelle, cette densit sociale quil ne faut pourtant pas dtruire. On assiste donc une haine de lOccident, mais aussi une haine de soi. Cest lautre face de la mme mdaille dont on a dj parl: soit on se prend pour le meilleur peuple du monde ou (le plus souvent) pour le peuple le plus tourment (constamment accabls et humilis par les Grandes Puissances etc.), soit on se prend pour le pire peuple possible (on est le peuple le plus corrompu etc.). Il sagit, dans les deux cas, des deux variations de notre narcissisme national fondamental: de toute manire on est un peuple sans pareil (comme le disait un ancien Premier Ministre, dont la phrase est devenue un quasi-proverbe).Anakron: Ces sentiments dcoulent dun chec rel de la modernisation de la Grce.La situation grecqueJean-Luc: Quel sens donnez-vous aux rcentes lections grecques? Il y a eu une rvolte des urnes, avec lirruption des no-nazis, mais surtout du mouvement de la gauche radicale Syriza.Anakron: Cest une raction ltat durgence dans lequel est la socit. Mais les secondes lections ont joues sur un autre ressort: la droite classique, Nouvelle Dmocratie, et la gauche classique, Pasok, ont appels au sauvetage du pays contre les outrances des extrmistes.Nikos: Le vote no-nazi est surtout une provocation pour vexer le pouvoir, tant donn que les dputs de lAube Dore se prsentent comme des gars costauds qui tabasseront les dputs pourris des partis traditionnels. Le petit-bourgeois moyen, qui na aucun intrt pour les questions idologiques et proprement politiques et qui est, en plus, compltement inculte et ignorant par rapport lhistoire, se fiche compltement des crits et des propos fascistes et pro-nazis de lAube Dore. Ce quil veut, cest se venger contre un systme quil considre comme responsable de son dclassement rapide. Bien videmment, les fachos savent bien comment capitaliser cette colre politiquement amorphe et lumpen, mais a cest une autre question. Ce qui est important, cest de critiquer un petit peu le dlire classique des anars grecs et surtout de leur aile Antifa- sur la prtendue fascisation de la socit grecque, qui est cense sexprimer par la monte dun vote consciemment fasciste et pro-nazie.LislamismeJean-Luc: Jai vu que dans votre brochure, il tait question de labsence de raction des Maghrbins face lislamisme, et cest absolument vrai, cest un vrai problme. Je ne vois aucune opposition aux barbus par les immigrs de France. Il y a une sorte de laisser-faire et on en vient accepter des choses absurdes, comme la viande hallal, etc. Le discours anti-religieux est tout--fait lgitime mais il passe aujourdhui pour un discours dextrme-droite, cest terrible.Mohamed: Les pays musulmans passent pour tre propres et les barbus sont proches de la population, ils aident les plus dfavoriss, comme les Frres musulmans en Egypte, etc. En France, Tarik Ramadan est le seul aller voir les musulmans pour les pousser aller voter. Nikos: Comme en Grce, lextrme droite a une tradition de philanthropie.Majid: Je ne comprends pas comment les islamistes peuvent paratre respectables ou proches du peuple alors quils sont financs par les ptrodollars des mirats du Golfe. Bien sr, ils aident les pauvres, mais cest de la simple charit qui ne remet pas du tout en cause les valeurs de russite conomique! Ils ne sont pas du tout dans un schma de lutte des classes, cest le moins quon puisse dire: ils achtent les pauvres. Cest a la charit, ils ne visent en rien une transformation des hirarchies sociales ou dun exercice du pouvoir. Leur position fondamentale est celle dune moralisation des puissants: il faut que le souverain soit clair par la parole de Dieu, cest tout.Jean-Luc: Par exemple le droit au blasphme qui est remis en cause, cest quand mme grave.Nikos: Il y a deux poids deux mesures: par exemple le Black Mtal est un style de musique fondamentalement anti-chrtien, avec blasphmes extrmes, cultes de Satan, etc. Il est totalement accept. Un tel type de musique est absolument impensable concernant lislam.Mohamed: Je suis athe, mais je crois quil faut distinguer le respect des croyants du blasphme proprement dit. La critique de la religion est souvent gratuite. Moi jai connu Assas la grande poque de lextrme-droite tudiante, ctait quelque chose!Quentin: Il faut tre trs clair sur les religions: elles sont une institution de lalination. On voit depuis quarante ans une rgression formidable dans les pays musulmans: Bourguiba qui boit un jus dorange en plein ramadan passe aujourdhui pour un extra-terrestre... Le blasphme est une pice matresse de la libert dexpression quil ne faut pas corner sous prtexte de respect des croyants: lorsquils sont au pouvoir, respectent-ils les athes? Dans les textes de droit algrien, je crois que lapostasie est encore passible de la peine de mort... Mohamed, je ne suis pas sur que tu puisse simplement te dclarer publiquement non-croyant au Maroc sans graves consquences, et je crois mme que les textes qui interdisent dadresser la parole un impie ne sont pas abrogs. Cest cela le rapport de force! Dans la banlieue o je vis, les barbus salafistes se multiplient, en tenue de djihadiste: je nai aucune illusion sur ce quils ont en tte: cest la guerre. Tant quon peut en rester la guerre des mots et des ides, tant mieux, mais partout dans le monde, ils se battent avec des balles, et on peut vite en arriver l. Cest ce niveau quil faut situer le dbat, pas celui des principes et dun prtendu respect mutuel.Nikos: On la bien vu avec laffaire du hallal, cest un rapport de force.Jean-Luc: Il faut effectivement distinguer le savoir-vivre de la politique. Je ctoie des croyants et je ne veux pas les choquer en blasphmant devant eux, cest vident, tant que le respect est mutuel. Mais il y a aussi le niveau politique, o l il y a affrontement. Cest vident que se balader dans la rue en uniforme de combat ne relve pas dune simple pratique religieuse.Nikos: Je ne comprends mme pas que lon discute de cela en France: se pose-t-on la question du respect des skinheadsno-nazis? Non? Cest la mme chose.Jean-Luc: Le drame, cest que cest lextrme droite qui reprend le discours de la lacit... A tel point quon nose mme plus revendiquer son athisme, cest alarmant.Majid: Il y a cette peur dtre assimil aux racistes, mais qui fait le jeu de lintgrisme.Jean-Luc: Cest bien a le problme, et en face lextrme droite nationale joue sur la peur de linvasion.Nikos: Il y a pourtant ce texte classique des Lumires (trs souvent attribu au Baron dHolbach) Le trait sur les trois imposteurs, qui attaque paralllement les trois monothismes, le judasme, le christianisme et lislam. Il y a l une histoire, un hritage que lon peut facilement utiliser.Sur la question de lidentitJean-Franklin: Je voudrais changer de sujet et aborder une question de fond. Jai lu votre brochure et je ne comprends pas bien comment vous posez la question de lidentit. Les identits actuelles sont un collage, et il ne peut tre question de viser une identit particulire contre une autre, a cest lclipse du sujet. Je suis pour un nomadisme identitaire.Quentin: Nous ne voulons pas jouer une identit particulire, mais poser la question de lidentit au niveau du projet: ce que le sujet veut nous semble plus important que l do il vient ou la manire dont il a t labor. Nous posons une mta-identit, si tu veux, qui cherche un nouveau rapport ce que lon est partir de ce que lon veut tre. Quant au nomadisme identitaire, cest ce que lon voit dans le phnomne de lopportunisme. Mme si tu vises autre chose, il faut quand mme en tenir compte.La runion est close par la fermeture de la salle 22h30. Les conversations informelles se finiront en terrasse.