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PHYSIOPATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE 34 AMC pratique n°221 octobre 2013 © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés HDL et infarctus cérébral Les lipoprotéines de haute densité (HDL pour « high density lipoproteins ») sont des parti- cules hétérogènes composées d’apolipopro- téines (principalement l’apoA-I, mais aussi les apoA-II, A-IV, C-II, C-III, E, J et M), de lipides (phospholipides, cholestérol estérifié ou non, sphingosine 1-phosphate). D’autres protéines et lipides sont associés aux HDL et peuvent expliquer les effets pléiotropes de ces parti- cules multifonctions. En effet, au-delà de leur fonction de transport inverse du cholestérol des tissus périphériques vers le foie, les HDL possèdent de multiples effets protecteurs : antioxydant, anti-protéase, « anti-inflamma- toire » et globalement endothélio-protec- teurs [1]. Les accidents vasculaires cérébraux isché- miques, ou infarctus cérébraux, comptent pour 80 % des accidents vasculaires cérébraux (AVC), qui représentent la première cause de handicap chez l’adulte. Au cours d’un AVC, la barrière hémato-encéphalique (BHE) est en première ligne pour répondre à l’ischémie. La BHE est composée de cellules endothé- liales, de péricytes et de pieds astrocytaires. L’endothélium de la BHE se caractérise par un réseau très important de jonctions serrées, assurant une compartimentation stricte entre le sang et le parenchyme cérébral. La fuite d’éléments sanguins (cellules, protéines plas- matiques, etc.) dans ce parenchyme conduit à la formation d’un œdème et de pétéchies ou bien d’hémorragies plus importantes avec des retentissements cliniques importants. Ces complications hémorragiques de l’AVC ischémique sont particulièrement fréquentes après traitement fibrinolytique par rt-PA, l’ac- tivateur tissulaire recombinant du plasmino- gène. Il s’agit du seul traitement autorisé en clinique chez les patients présentant un AVC ischémique ; il améliore significativement le pronostic des patients ainsi fibrinolysés, en rétablissant le flux sanguin ; il est utilisable pendant les 4 h 30 suivant le début des symp- tômes. Même si les bénéfices de la recana- lisation par rtPA restent beaucoup plus importants, les complications hémorragiques associées à ce traitement sont environ 10 fois plus fréquentes que chez le sujet non traité (6 % versus 0,6 %). Rationnel d’utilisation des HDL dans l’AVC Des études épidémiologiques ont montré que l’incidence de récidive d’un AVC ischémique était moindre chez les patients présentant un taux élevé d’HDL-cholestérol. Notamment dans l’étude SPARCL, chaque de 0,137 g/L de HDL-C réduisait le risque de 13 % de récidive d’AVC ischémique [2]. Au-delà de la fonction de transport du choles- térol, les effets des HDL sur l’endothélium pourraient protéger la BHE en situation isché- mique ou lors de la reperfusion. Plusieurs protéines et lipides peuvent expliquer ces effets endothélio-protecteurs, en particulier les antioxydants comme la paraxonase 1, la PAF-AH (platelet-activating factor acetyl hydrolase) ou bien la vitamine E, mais aussi la sphingosine 1-phosphate qui renforce les jonc- tions serrées. Plus récemment, nous avons mis en évidence la présence d’alpha-1 antitrypsine au niveau des HDL, qui pourrait inhiber l’élas- tase leucocytaire en dehors du compartiment sanguin [3]. Les neutrophiles et l’élastase qu’ils contiennent pourraient jouer un rôle majeur, notamment au moment de la reperfusion. B. Lapergue 1,2,3 , O. Meilhac 1,2,3 1 INSERM UMR698, Paris 2 Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité 3 AP-HP, Bichat Stroke Center, Paris [email protected] HDL et infarctus cérébral

HDL et infarctus cérébral

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Page 1: HDL et infarctus cérébral

PHYSIOPATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE

34 AMC pratique n°221 octobre 2013© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

HDL et infarctus cérébral

Les lipoprotéines de haute densité (HDL pour « high density lipoproteins ») sont des parti-cules hétérogènes composées d’apolipopro-téines (principalement l’apoA-I, mais aussi les apoA-II, A-IV, C-II, C-III, E, J et M), de lipides (phospholipides, cholestérol estérifié ou non, sphingosine 1-phosphate). D’autres protéines et lipides sont associés aux HDL et peuvent expliquer les effets pléiotropes de ces parti-cules multifonctions. En effet, au-delà de leur fonction de transport inverse du cholestérol des tissus périphériques vers le foie, les HDL possèdent de multiples effets protecteurs : antioxydant, anti-protéase, « anti-inflamma-toire » et globalement endothélio-protec-teurs [1].Les accidents vasculaires cérébraux isché-miques, ou infarctus cérébraux, comptent pour 80 % des accidents vasculaires cérébraux (AVC), qui représentent la première cause de handicap chez l’adulte. Au cours d’un AVC, la barrière hémato-encéphalique (BHE) est en première ligne pour répondre à l’ischémie. La BHE est composée de cellules endothé-liales, de péricytes et de pieds astrocytaires. L’endothélium de la BHE se caractérise par un réseau très important de jonctions serrées, assurant une compartimentation stricte entre le sang et le parenchyme cérébral. La fuite d’éléments sanguins (cellules, protéines plas-matiques, etc.) dans ce parenchyme conduit à la formation d’un œdème et de pétéchies ou bien d’hémorragies plus importantes avec des retentissements cliniques importants. Ces complications hémorragiques de l’AVC ischémique sont particulièrement fréquentes après traitement fibrinolytique par rt-PA, l’ac-tivateur tissulaire recombinant du plasmino-

gène. Il s’agit du seul traitement autorisé en clinique chez les patients présentant un AVC ischémique ; il améliore significativement le pronostic des patients ainsi fibrinolysés, en rétablissant le flux sanguin ; il est utilisable pendant les 4 h 30 suivant le début des symp-tômes. Même si les bénéfices de la recana-lisation par rtPA restent beaucoup plus importants, les complications hémorragiques associées à ce traitement sont environ 10 fois plus fréquentes que chez le sujet non traité (6 % versus 0,6 %).

Rationnel d’utilisation des HDL dans l’AVC

Des études épidémiologiques ont montré que l’incidence de récidive d’un AVC ischémique était moindre chez les patients présentant un taux élevé d’HDL-cholestérol. Notamment dans l’étude SPARCL, chaque de 0,137 g/L de HDL-C réduisait le risque de 13 % de récidive d’AVC ischémique [2].Au-delà de la fonction de transport du choles-térol, les effets des HDL sur l’endothélium pourraient protéger la BHE en situation isché-mique ou lors de la reperfusion. Plusieurs protéines et lipides peuvent expliquer ces effets endothélio-protecteurs, en particulier les antioxydants comme la paraxonase 1, la PAF-AH (platelet-activating factor acetyl hydrolase) ou bien la vitamine E, mais aussi la sphingosine 1-phosphate qui renforce les jonc-tions serrées. Plus récemment, nous avons mis en évidence la présence d’alpha-1 antitrypsine au niveau des HDL, qui pourrait inhiber l’élas-tase leucocytaire en dehors du compartiment sanguin [3]. Les neutrophiles et l’élastase qu’ils contiennent pourraient jouer un rôle majeur, notamment au moment de la reperfusion.

B. Lapergue1,2,3, O. Meilhac1,2,3

1INSERM UMR698, Paris 2Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité 3AP-HP, Bichat Stroke Center, [email protected]

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B. Lapergue, O. Meilhac PHYSIOPATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE

ont montré en 2004 que la perfusion intravei-neuse de HDL reconstituées deux heures avant le début d’une l’ischémie transitoire (30 minutes) ou bien d’un stress excito-toxique au NMDA (N-methyl-D-aspartate) limitait la taille de l’infarctus cérébral. Les HDL utilisées dans cette étude étaient reconstituées à partir d’apoA-I isolée de plasma humain et de phos-phatidyl-cholines de soja. Le modèle d’AVC ischémique utilisé consistait en une occlusion transitoire grâce à l’introduction d’un filament de nylon via l’artère carotide. En parallèle, les auteurs suggèrent un effet antioxydant des HDL, en utilisant des lignées cellulaires endo-théliales et de neurones soumis à un stress, in vitro. Plus récemment, nous avons montré que l’injection intraveineuse de HDL isolées à partir de plasma de volontaires sains immédia-tement, trois heures et jusqu’à cinq heures après le début de l’ischémie, avaient la capa-cité de réduire significativement le volume d’infarctus cérébral chez le rat (figure 1) [6]. Nous avons utilisé un modèle thromboembo-lique qui consiste à fabriquer un thrombus autologue à partir d’un prélèvement sanguin dans un cathéter au diamètre de l’artère céré-brale moyenne, puis de l’injecter par voie caro-tidienne chez le rat. Ce modèle est le plus proche de la physiopathologie des AVC isché-miques chez l’homme. Les HDL réduisent aussi significativement la mortalité dans ce modèle d’AVC chez le rat. Cette protection s’accom-

Dans des modèles animaux d’AVC, il a été démontré que la déplétion en neutrophiles ou bien l’utilisation d’inhibiteurs d’élastase rédui-saient significativement la taille de l’infarctus cérébral. In vitro, nous avons montré que les HDL limitent l’agression endothéliale en réponse à l’élastase en situation mimant l’is-chémie [4]. Les HDL, en plus de leurs propriétés anti-protéases, limitent la réponse endothé-liale en situation de stress. Par exemple, in vitro, les HDL sont capables d’inhiber l’expression par les cellules endothéliales de molécules d’adhésion pour les leucocytes en réponse au TNF . Enfin, les HDL ont des propriétés anti-apoptotiques susceptibles de limiter l’agres-sion endothéliale en situation d’ischémie-reperfusion. L’importance de la BHE dans les dommages cérébraux consécutifs à une isché-mie et en particulier de l’endothélium suggère que les HDL pourraient représenter une option thérapeutique à la phase aiguë de l’AVC. Plusieurs groupes, incluant le nôtre, ont testé les effets protecteurs des HDL dans des modèles expérimentaux d’AVC en combinaison ou pas avec le rt-PA.

L’injection de HDL limite le volume d’infarctus cérébral

Les effets endothélio-protecteurs et neuro-protecteurs des HDL ont été testés dans des modèles d’AVC chez le rat. Paterno et coll. [5]

Figure 1. Ef fets protecteurs des HDL dans un modèle d’ischémie cérébrale chez le rat (modèle thrombo-embolique).

Les HDL isolées à pa rtir de plasma humain sont injectées par voie intraveineuse à la dose de 10 mg/kg, trois heures après le

début de l’ischémie. Les rats contrôles sont injectés avec du sérum physiologique (Physio). 24 heures après, les rats sont sacrifiés

puis une coloration au TTC (2,3,5-triphenyltetrazolium chloride) est réalisée sur une tranche de cerveau afin d’évaluer la viabilité

du tissu (rouge). Les zones infarcies (blanches) sont entourées.

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Conclusion

L’ensemble des effets bénéfiques des HDL suggère qu’elles puissent avoir des effets protecteurs en situation aiguë d’infarctus cérébral, notamment en ciblant la BHE. La barrière endothéliale est un élément clé dans la constitution de l’AVC et l’évolution vers des complications hémorragiques. L’efficacité des HDL dans des modèles animaux, notam-ment chez le rat, semble assez bien établie. Le passage à des essais chez l’homme nécessi-terait une source de HDL bien contrôlée.

Conflits d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt en relation avec cet article.

Références[1] Tran-Dinh A, Diallo D, Delbosc S, et al. HDL and endothelial

protection. Br J Pharmacol 2013;169:493-511.

[2] Amarenco P, Labreuche J, Touboul PJ. High-density lipopro-tein-cholesterol and risk of stroke and carotid atherosclerosis: A systematic review. Atherosclerosis 2008;196:489-96.

[3] Ortiz-Munoz G, Houard X, Martin-Ventura JL, et al . HDL antielastase activity prevents smooth muscle cell anoikis, a potential new antiatherogenic property. FASEB J 2009;23:3129-39.

[4] Ba o Dang Q, Lapergue B, Tran-Dinh A, et al. High-density lipoproteins limit neutrophil-induced damage to the blood-brain barrier in vitro. J Cerebr Blood Flow Metabol 2013;33:575 -82.

[5] Paterno R, Ruocco A, Postiglione A, et al. Reconstituted high-density lipoprotein exhibits neuroprotection in two rat models of stroke. Cerebrovasc Dis 2004;17:204-11.

[6] Lapergue B, Moreno JA, Dang BQ, et al. Protective effect of high-density lipoprotein-based therapy in a model of embolic stroke. Stroke 2010;41:1536-42.

[7] Meilhac O, Ho-Tin-Noe B, Houard X, et al. Pericellular plasmin induces smooth muscle cell anoikis. FASEB J 2003;17:1301-3.

[8] Lapergue B, Dang BQ, Desilles JP, et al. High-density lipopro-tein-based therapy red uces the hemorrhagic complications associated with tissue plasminogen activator treatment in experimental stroke. Stroke 2013;44:699-707.

pagne d’une diminution de la rupture de la BHE, du recrutement des neutrophiles dans le parenchyme cérébral et d’une réduction nette de l’activité protéolytique dans le territoire infarci. Les HDL injectées atteignent les cellules endothéliales de la BHE ainsi que les astro-cytes ; les immunomarquages suggèrent que les particules de HDL sont captées par ces cellules in vivo. Au niveau endothélial, l’expres-sion de molécules d’adhésion comme ICAM-1 (inter cellular adhesion molecule-1) est dimi-nuée après injection de HDL.

L’injection de HDL réduit les complications hémorragiques associées au rt-PA

Chez l’homme, l’activateur tissulaire du plasmi-nogène est le seul traitement disponible ; la génération de plasmine à la surface d’un thrombus permet d’accélérer sa dissolution par fibrinolyse. Le rt-PA et la plasmine sont des protéases qui, en plus de leurs cibles naturelles (respectivement le plasminogène et la fibrine), peuvent dégrader des protéines cellulaires ou de la matrice extracellulaire. La plasmine peut notamment avoir des actions cytotoxiques [7]. Nous avons testé, dans deux modèles d’AVC ischémiques chez le rat, la capacité protectrice des HDL en combinaison avec le rt-PA sur la survenue de complications hémorragiques [8]. Les modèles consistaient à induire une isché-mie soit par l’injection d’un thrombus, soit par la mise en place d’un mono-filament pendant 4 heures. A la reperfusion, du rt-PA était infusé pendant 30 minutes avec ou sans HDL. La co-injection HDL-rtPA réduisait significative-ment le volume d’infarctus et la mortalité par rapport à l’infusion de rt-PA seule, mais le résultat le plus important était une réduction de 90 % des complications hémorragiques sévères. Dans ce modèle, les HDL n’interfèrent pas avec l’activité fibrinolytique du rt-PA, ex vivo et in vitro suggérant une possible appli-cation en situation clinique.