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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article « L’Hérodiade de Mallarmé à travers la figure revisitée de saint Jean-Baptiste » Catherine Boschian Études littéraires, vol. 39, n° 1, 2007, p. 151-166. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/018109ar DOI: 10.7202/018109ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 13 juin 2015 03:02

Herodiade de Mallarme

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L’Hérodiade de Mallarmé à travers la figure revisitée de saint Jean-Baptiste par Catherine Boschian

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  • rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. rudit offre des services d'dition numrique de documents

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    Article

    LHrodiade de Mallarm travers la figure revisite de saint Jean-Baptiste Catherine Boschiantudes littraires, vol. 39, n 1, 2007, p. 151-166.

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    URI: http://id.erudit.org/iderudit/018109ar

    DOI: 10.7202/018109ar

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    la figure biblique de Jean-le-Baptiste, prcurseur, prophte, voix de celui qui crie dans le dsert , a inspir une multitude dcrivains et de potes, qui se sont toujours attachs au couple que le saint forme avec salom, parfois appe-le Hrodiade. le thme va connatre un succs croissant durant la seconde moiti du xIxe sicle, quand le personnage du saint semble se vider de sa substance au profit de celle que Barbey dAurevilly nomme cette bourrelle dHrodiade . mallarm, lui, contrairement ce que pourrait laisser augurer le titre de son uvre, Hrodiade, fait de saint Jean la clef de vote de son pome. si la parole ny est donne au Baptiste que dans le Cantique de saint Jean , la figure sous-tend cependant la totalit de luvre, qui opre un dtournement des lments bibliques convoqus. Aborder ce pome, cest sattaquer un sujet extrmement complexe qui a fait lobjet dtudes magistrales comme celles de Gardner davies1, sylviane Huot2, Jean-Pierre richard3 et, plus rcem-ment, de Bertrand marchal4, laurent mattiussi5, mireille rupli et sylvie thorel6. Ces lectures, clairantes et souvent complmentaires, tmoignent de la richesse dun texte fragmentaire dont on na pas encore puis le sens. nous nous proposons quant nous den retracer la gense avant de rflchir la fonction quoccupe, dans luvre mais aussi dans la psych mallarmennes, la figure axiale du Prcurseur, laquelle participe dune symbolique biblique omniprsente dans une fiction potique allgorique qui a pour objet de reconstituer le mariage de la Beaut, Hrodiade, et du Gnie, Jean-le-Baptiste.

    lHrodiade de mallarm travers la figure revisite

    de saint Jean-Baptistecatherine Boschian

    1 Gardner davies,Gardner davies, Mallarm et le drame solaire, 1959, et Mallarm et le rve dHrodiade, 1978.2 sylviane Huot,sylviane Huot, Le mythe dHrodiade chez Mallarm, gense et volution, 1977.3 Jean-Pierre richard,Jean-Pierre richard, Lunivers imaginaire de Mallarm, 1961.4 Bertrand marchal,Bertrand marchal, Salom, entre vers et prose. Baudelaire, Mallarm, Flaubert, Huysmans,

    2005.5 si laurent mattiussi na pas consacr une tude spcifique si laurent mattiussi na pas consacr une tude spcifique Hrodiade, sa thse Figuration

    du divin, figuration de soi : mythe et liturgie chez Mallarm, George et Yeats (1996), en permet une lecture claire.

    6 mireille ruppli-Coursange et sylvie thorel-Cailleteau,mireille ruppli-Coursange et sylvie thorel-Cailleteau, Mallarm : la grammaire et le grimoire, 2005.

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    Hrodiade, ce nom fait rver mallarm depuis son adolescence. Une fascination qui conduit le jeune crivain linsrer dans les Fleurs , pome o il affiche sa filiation Baudelaire. en 1865, il confie eugne lefbure : le peu dinspiration que jai eu, je le dois ce nom, et je crois que si mon hrone stait appele salom, jeusse invent ce mot sombre, et rouge comme une grenade ouverte, Hrodiade7. Commentaire qui prouve que le personnage ponyme ntait pas initialement, pour mallarm lui-mme, caractris par sa puret et les smes y affrant. lorsque le pote entreprend son uvre, o il opre volontairement la fusion entre Hrodiade et sa fille, le thme biblique commence seulement simposer dans lart et la littrature ; il nest pas encore devenu ce mythe symboliste que michel dcaudin dfinira comme celui de la femme-fleur du mal8 qui habite la littrature fin-de-sicle. lentreprise de relecture du sujet biblique nest cependant pas indpendante dinfluences auxquelles, de par sa nature et ses expriences, mallarm a t sensible. Parmi ses sources dinspiration simpose Atta Troll (1841), de Heinrich Heine, o le personnage fminin est dj assimil la beaut qui fascine le pote ; Hrodiade-salom y est figure comme un spectre qui baise le chef du saint avec lequel elle joue comme avec une balle9. Helen zagona10 a montr de quelle manire les deux crivains avaient fait du personnage fminin, a contrario de leurs surs en peinture et en littrature, lallgorie dune posie nouvelle.

    mallarm a 22 ans en 1864 quand il voque la composition dune uvre portant ce titre, dont il veut quelle soit une tragdie. Il sen ouvre son ami Henri Cazalis :

    Jai enfin commenc mon Hrodiade. Avec terreur, car jinvente une langue qui doit ncessairement jaillir dune potique trs nouvelle, que je pourrais dfinir en ces deux mots : Peindre, non la chose, mais leffet quelle produit11.

    mallarm, qui a dsir apprendre langlais pour pouvoir lire edgar Poe dans le texte, veut mettre en uvre la potique quil a dcouverte dans la Gense dun Pome, o on lit que la premire de toutes les considrations, cest celle dun effet produire12 . Pour Bertrand marchal, le pote constate avec Poe que les plus pures exaltations sont la merci dune mcanique verbale entirement matrise13 .

    en composant Hrodiade, mallarm sinscrit dans la continuit de la potique de son matre, comme le confirme la nature du sentiment dont il se sent habit alors et dont Cazalis, une fois encore, reoit la confidence :

    7 stphane mallarm, lettre du 18 fvrier 1865 eugne lefbure , dansstphane mallarm, lettre du 18 fvrier 1865 eugne lefbure , dans Correspondance complte 1862-1871. Lettres sur la posie 1872-1898 avec des lettres indites, 1995, p. 226.

    8 michel dcaudin, Un mythemichel dcaudin, Un mythe fin de sicle, salom , 1967, p. 111.9 Un lment que reprendra oscar Wilde pour saUn lment que reprendra oscar Wilde pour sa Salom.10 Helen Grace zagona,Helen Grace zagona, The Legend of Salome and the Principle of Art for Arts Sake, 1960. voir

    le chapitre 2.11 stphane mallarm, lettre du 30 octobre 1864 Henri Cazalis , dansstphane mallarm, lettre du 30 octobre 1864 Henri Cazalis , dans Correspondance

    complte, op. cit., p. 206.12 edgar Allan Poe,edgar Allan Poe, Histoires grotesques et srieuses, 1979, p. 268.13 Bertrand marchal,Bertrand marchal, La religion de Mallarm, 1988, p. 47.

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    moi, strile et crpusculaire, jai pris un sujet effrayant, dont les sensations quand elles sont vives, sont amenes jusqu latrocit, et si elles flottent, ont lattitude trange du mystre14.

    le propos indique dj la nature de la rcriture laquelle le pote se livrera partir dun thme dont sa psych peroit la puissance ; mallarm veut renouer au plus profond du sujet en prsentant demble comme secondaire la fidlit au rcit biblique. lexprience potique, dont Hrodiade devient lincarnation, prime ds lors sur toute autre vise. dans un processus didentification o les caractristiques individuelles du modle nont cependant plus de valeur que symbolique, mallarm sabme dans la figure de Jean-le-Baptiste pour tenter une aventure potique sans prcdent. Une dmarche identifiable a posteriori, sur laquelle nous clairent la correspondance de lauteur et la publication des diffrents tats des Noces dHrodiade par Gardner davies15 en 1959, ouvrage qui rassemble les manuscrits dune uvre inacheve dont lcriture stend sur 35 ans.

    dans une note des annes 1890, mallarm prcisera :

    Jai laiss le nom dHrodiade pour bien la diffrencier de la salom je dirai moderne ou exhume avec son fait-divers archaque la danse, etc., lisoler comme lont fait des tableaux solitaires dans le fait mme, terrible, mystrieux et faire miroiter ce qui probablement hanta, en apparue avec son attribut le chef du saint dt la demoiselle constituer un monstre aux amants vulgaires de la vie16.

    Commentaire qui souligne que cette uvre emblmatique de lvolution spirituelle et potique de mallarm tmoigne aussi, de la part du pote, dun souci de se dmarquer des rcritures de son temps.

    Au dbut de la composition de ce quil conoit dabord comme un drame, mal-larm dplore ne pas pouvoir sy consacrer exclusivement. Il faut prciser quHrodiade a dsormais, en la petite personne de Genevive, une rivale qui empche lcrivain de sabstraire de la vie quotidienne. Ce pome, crit ce pre de 22 ans en voquant le bb qui vient de natre, malheureusement, me prive des autres, et euss-je la force de me met-tre crire, je crois quelle chasserait avec ses cris les neuf muses17. mallarm prcisera ailleurs quil est trop jeune pour sentir toute la paternit et quil aime lenfant, ou le chrubin dtach des fonds bleus de murillo, plus que [s]a fille, dans Genevive18 .

    ds cette poque, il devient le pote de la beaut pure qui rejette la peinture de lamour, lequel nest

    quun des mille sentiments qui assigent notre me, et ne doit pas tenir plus de place que la peur, le remords, lennui, la haine, la tristesse , et fustige que cinq ou six

    14 stphane mallarm, lettre de 1865 Henri Cazalis , dansstphane mallarm, lettre de 1865 Henri Cazalis , dans Correspondance complte, op. cit., p. 220.

    15 stphane mallarm,stphane mallarm, Les noces dHrodiade, mystre, 1959. Cette dition a profondment modifi linterprtation de luvre.

    16 Ibid., p. 51.17 stphane mallarm, lettre du 30 dcembre 1864 Joseph roumanille , dansstphane mallarm, lettre du 30 dcembre 1864 Joseph roumanille , dans Correspondance

    complte, op. cit., p. 216.18 stphane mallarm, lettre de 1865 thodore Aubanel , dansstphane mallarm, lettre de 1865 thodore Aubanel , dans ibid., p. 238.

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    farceurs se soient institus les prtres de ce gros garon, rouge et joufflu comme un fils de boucher, quils appellent eros, se regardant avec lextase du martyre chaque fois quils accomplissaient ses rites faciles, et montant sur les femmes quils avaient sduites comme sur des bchers19 !

    Hrodiade sera, quant elle, exempte de toute trivialit ; mallarm en poursuit la composition dans ce quil nomme un enfantement douloureux et intermittent. Il aimerait travailler davantage, mais ses fonctions denseignant au collge de tournon lui psent ; cela sajoute la fatigue que lui cause celle quil nomme le baby . Ainsi passe-t-il des heures observer dans les glaces lenvahissement de la btise qui teint dj [s]es yeux aux cils pendants et laisse tomber [s]es lvres20 . Atteint dune migraine qui lempche de se vouer son uvre, il confesse un soir avoir le dgot de lui-mme :

    Je recule devant les glaces, crit-il, en voyant ma face dgrade et teinte, et pleure quand je me sens vide et ne puis jeter un mot sur mon papier implacablement blanc. tre un vieillard fini vingt-trois ans, alors que tous ceux quon aime vivent dans la lumire et les fleurs, lge des chefs-duvre ! et navoir pas mme la ressource dune mort qui aurait pu faire croire, vous tous, que jtais quelque chose et que, si rien ne reste de moi, le destin seul qui met emport doit tre accus21 !

    Ces propos prludent un drame existentiel que luvre dHrodiade donnera lire travers une transposition symbolique.

    si lon considre le texte pistolaire comme un laboratoire de luvre en cours, on peut penser quil existe un lien entre lintrt que porte mallarm un rcit ax sur la dcapitation de saint Jean et cette vocation, la suite du passage cit, o lpistolier confie Henri Cazalis : Jai si peu de vie que mes lvres pendent et que ma tte, qui ne peut plus se dresser, penche sur mon paule ou tombe sur ma poitrine22. lui qui aspire au soir pour pouvoir crire se trouve, lorsque vient lheure sainte de Jacob, la lutte avec lIdal , incapable daligner deux mots23 . la solitude ne vaut rien un pauvre pote, qui nest que pote cest--dire un instrument qui rsonne sous les doigts de diverses sensations [] dans un milieu o rien ne lmeut, [] ses cordes se distendent, et viennent la poussire et loubli24 .

    Ces notations pistolaires, dune priode prcdant la grave crise que connatra mallarm en 1866, entrent en rsonance avec le Cantique de saint Jean , troisime fragment publi dHrodiade, o le prcurseur repens potiquement nonce :

    et ma tte surgie solitaire vigie dans les vols triomphaux de cette faux

    19 stphane mallarm, lettre du 18 fvrier 1865 eugne lefbure , dansstphane mallarm, lettre du 18 fvrier 1865 eugne lefbure , dans ibid., p. 227-228.20 stphane mallarm, lettre du 9 ou 16 mars 1865 Henri Cazalis , dansstphane mallarm, lettre du 9 ou 16 mars 1865 Henri Cazalis , dans ibid., p. 233.21 stphane mallarm, lettre Henri Cazalis , dansstphane mallarm, lettre Henri Cazalis , dans ibid., p. 235.22 Ibid., p. 236.23 Id.24 Id.

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    Comme une rupture franche Plutt refoule ou tranche les anciens dsaccords Avec le corps []25.

    les mois passent et mallarm ressent de plus en plus cruellement lennui lenvahir ; il a le sentiment que son cerveau se dsagrge. Aussi, au mois de mai 1865, Hrodiade ne lui apparat-elle plus que comme un creux souvenir26 . sil y fait allusion en juin de la mme anne, cest pour signaler quil a suspendu lcriture dune uvre qui lui a donn le sentiment dtre improductif. durant cette priode, qui prcde sa rvolte contre la foi, il se montre particulirement sduit par Un prtre mari , un des plus beaux romans que je sache , crit-il eugne lefbure, par ce catholique de gnie, Barbey dAurevilly27 .

    mallarm, qui a alors commenc Laprs-midi dun faune, et envisage de reprendre Hrodiade en hiver, voque pour thodore Aubanel la difficult qui est la sienne suivre sa pense avec lucidit par cette chaleur du midi [] toujours victorieuse de la bte , laquelle sajoute la complication dsolante des classes qui coupent [sa] journe, et [lui] brisent la tte . Car, poursuit le pote, je suis peu respect et mme, parfois, accabl de papier mch et de hues28 . Hrodiade seffacera et rapparatra en octobre 1865 la faveur de victoires ritres sur ce quotidien qui accable mallarm et le voit souffrir de terribles nvralgies.

    en novembre 1865, mallarm a quelque peu modifi ses projets en transformant sa tragdie en pome. Il sen ouvre Cazalis en ajoutant quil gagne ainsi toute lattitude, les vtements, le dcor et lameublement, sans parler du mystre29 . le 5 dcembre, il confie au mme ami stre jet en maniaque dsespr sur une insaisissable ouverture de [s]on pome qui chante en [lui]30 mais quil ne russit pas concrtiser. Il sagit de l ouverture dite ancienne dHrodiade. lenfantement douloureux du pome de mallarm invite citer laffirmation de Paul laurent Assoun selon laquelle, pour tout crateur, le travail de production potique est insparable du travail spcifique de linconscient auquel il donne en quelque sorte corps ; le verbe potique, poursuit le psychanalyste, exprime minemment une parole permanente qui tente sans cesse de dire la chose qui tient au cur du sujet31 . Applique mallarm, laffirmation autorise faire dHrodiade o le pote dit stre investi tout entier une uvre capitale o les personnages, tout en desservant une esthtique nouvelle, renvoient la psych de lauteur.

    25 stphane mallarm, Cantique de saint Jean , dansstphane mallarm, Cantique de saint Jean , dans uvres compltes, 1945, p. 49. les rfrences au texte publi seront toujours empruntes cette dition.

    26 stphane mallarm, lettre du 12 ou 19 mai 1865 Henri Cazalis , dansstphane mallarm, lettre du 12 ou 19 mai 1865 Henri Cazalis , dans Correspondance complte, op. cit., p. 240.

    27 stphane mallarm, lettre du 30 juin 1865 eugne lefbure , dansstphane mallarm, lettre du 30 juin 1865 eugne lefbure , dans ibid., p. 246.28 mallarm, lettre de juillet 1865 Henri Cazalis , dansmallarm, lettre de juillet 1865 Henri Cazalis , dans ibid., p. 248.29 stphane mallarm,stphane mallarm, uvres compltes, op. cit., p. 1442.30 stphane mallarm, lettre du 5 dcembre 1865 Henri Cazalis , dansstphane mallarm, lettre du 5 dcembre 1865 Henri Cazalis , dans ibid., p. 259.31 Paul-laurent Assoun,Paul-laurent Assoun, Le pervers et la femme, 1989, p. 89-90.

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    mallarm, qui rve lavance tous les mots de ce pome, rinvestit les vocables du langage courant en les faisant rsonner en lui. Hrodiade est ainsi indissociable dune thorie potique quil dfinit pour villiers de lIsle-Adam : il sagit de donner les impressions les plus tranges, certes, mais sans que le lecteur oublie pour elles une minute la jouissance que lui procurera la beaut du pome32 . en un mot, poursuit-il, le sujet de mon uvre est la Beaut, et le sujet apparent nest quun prtexte pour aller vers elle33 . en dcembre 1865, la scne34 semble tre termine, mallarm commence louverture ancienne dans les premiers mois de 1866. Il crit alors Catulle mends : Je la rve si parfaite que je ne sais seulement si elle existera jamais35. en avril, alors quil sjourne Cannes chez son ami lefbure, le pote, qui sacharne sur Hrodiade, est en proie une violente crise intellectuelle dont les prolongements stendront sur les deux annes suivantes. Il voque la nature de ce bouleversement pour Henri Cazalis :

    en creusant le vers ce point, jai rencontr deux abmes qui me dsesprent. lun est le nant, auquel je suis arriv sans connatre le Bouddhisme [] lautre vide est celui de ma poitrine. Je ne vais vraiment pas bien, et ne puis respirer longuement ni avec la volupt du bien-tre36.

    le bouleversement spirituel que connat mallarm est en relation directe avec la compo-sition dHrodiade. Pour voquer cette exprience, Bertrand marchal utilise lexpression de contre-rvlation mallarmenne du nant , qui consacre leffondrement de tout ce qui restait chez le pote dillusions mtaphysiques, en mme temps que labsolue cer-titude de celui qui se reconnat dsormais le prophte dune vrit matrialiste37 .

    le critique fait intervenir dans la crise que mallarm connat Cannes une forme dexprience sensible immdiate de la nature ; le pote et son ami lefbure prouvent lvidence, devant la divinit du paysage mditerranen, que leurs rves ne sont que des mirages dune impassible et prenne nature38 . Cette rvlation consacre la fin des illusions mtaphysiques quHrodiade, jusque-l, ne pouvait quindfiniment refouler ou nier dsesprment sans sen dprendre tout fait39 ; elle marque la mort du rve baudelairien du pote de tournon40 . lexprience fait suite, en outre, une nouvelle que mallarm a apprise peu avant de se rendre Cannes, celle de lattaque qui a frapp Baudelaire de paralysie namur. Pour marchal, cest la

    32 le soulignement est de mallarm.le soulignement est de mallarm.33 stphane mallarm, lettre du 31 dcembre 1865 villiers de lIsle-Adam , dansstphane mallarm, lettre du 31 dcembre 1865 villiers de lIsle-Adam , dans

    Correspondance complte, op. cit., p. 279.34 stphane mallarm, scne , dansstphane mallarm, scne , dans uvres compltes, op. cit., p. 44-48.35 stphane mallarm, lettre du 24 avril 1866 Catulle mends , dansstphane mallarm, lettre du 24 avril 1866 Catulle mends , dans Correspondance complte,

    op. cit., p. 295.36 stphane mallarm, Henri Cazalis , dansstphane mallarm, Henri Cazalis , dans ibid., p. 297. 37 Bertrand marchal,Bertrand marchal, La religion de Mallarm, op. cit., p. 53-54.38 Ibid., p. 62.39 Id.40 Id.

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    conjonction dun travail potique et dune rvlation naturaliste41 qui volatilisent les dernires illusions mtaphysiques de mallarm. Hrodiade est le point de rencontre de deux types dinspiration, la premire qui se rattache une apprhension spiritualiste, baudelairienne, de lidal, la seconde qui annonce une Beaut objective ne renvoyant qu lhomme.

    le 20 dcembre 1866, mallarm sen ouvre Armand renaud :

    Jai infiniment travaill cet t, moi dabord, en crant, par la plus belle synthse, un monde dont je suis le dieu, et un uvre qui en rsultera, pur et magnifique, je lespre. Hrodiade, que je nabandonne pas, mais lexcution duquel jaccorde plus de temps, sera une des colonnes torses, splendides et salomoniques, de ce temple42.

    mallarm pense alors avoir trouv son divin qui, selon Bertrand marchal, dsigne cette source inpuisable du rve qui nie le nant43 . le pote sengage alors dans une qute rflexive qui exclut dfinitivement lillusion de linfini. le 14 mai 1867, il confie Cazalis avoir pass une anne effrayante o [sa] Pense sest pense44 . Je suis maintenant impersonnel, et non plus stphane que tu as connu, mais une aptitude qua lUnivers spirituel se voir et se dvelopper, travers ce qui fut moi45. la dmarche rflexive amnera mallarm la comprhension du parcours spirituel de lhumanit, une exprience dont doit rendre compte le livre, dont Hrodiade est un fragment. Jugeant alors avoir achev luvre, le Grand-uvre, comme disaient les alchimistes, nos anctres , mallarm envisage sereinement dentrer dans la disparition suprme46 . en 1886 le pote voque cependant son souhait de complter Hrodiade et, lanne de sa mort, en 1898, il entreprend dachever cette uvre o rside la cl de son volution artistique et spirituelle. Une dernire mouture aurait d sintituler Les noces dHrodiade, mystre.

    la prise en compte de la gense de la composition dHrodiade aide la comprhension dune uvre nigmatique dont la figure centrale nest pas le personnage ponyme mais Jean-le-Baptiste, dont le Cantique slve de manire contemporaine sa dcapitation. Ce chant qui mane dune instance unissant pour quelques derniers instants les deux parties dun corps coup est lun des trois fragments revus et publis par mallarm les autres sintitulent ouverture et scne . nous le reproduisons ici.

    41 Ibid., p. 64.42 stphane mallarm, lettre du 20 dcembre 1866 Armand renaud , dansstphane mallarm, lettre du 20 dcembre 1866 Armand renaud , dans Correspondance

    complte, op. cit., p. 335.43 Bertrand marchal,Bertrand marchal, La religion de Mallarm, op. cit., p. 66.44 stphane mallarm, lettre du 14 mai 1867 , dansstphane mallarm, lettre du 14 mai 1867 , dans Correspondance complte, op. cit.,

    p. 342.45 Ibid., p. 343.46 Ibid., p. 345.

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    CAntIQUe de sAInt JeAn

    le soleil que sa haltesurnaturelle exalteAussitt redescend Incandescent

    Je sens comme aux vertbressployer des tnbrestoutes dans un frisson lunisson

    et ma tte surgiesolitaire vigiedans les vols triomphaux de cette faux

    Comme une rupture franchePlutt refoule ou trancheles anciens dsaccords Avec le corps

    Quelle de jenes ivresopinitre suivreen quelque bond hagard son pur regard

    l-haut o la froidureternelle nendureQue vous le surpassiez tous glaciers

    mais selon un baptmeIllumine au mmePrincipe qui mlut Penche un salut47.

    le chant du saint est au cur du dispositif dHrodiade, o, comme dans toutes les rcritures du mythe biblique, lhrone nexiste que dans les relations quelle entretient avec Jean. lpoque de sa composition nest pas connue, mais elle semble bien antrieure aux dernires retouches que mallarm a faites de son pome. dans les manuscrits dits par davies Gardner, il apparat que cette partie devait figurer au milieu du Prlude, et faire ainsi fonction danticipation prophtique, comme le chur des sorcires de Macbeth. dans les fragments publis, il clt le pome, dont il est la

    47 stphane mallarm, Cantique de saint Jean , dansstphane mallarm, Cantique de saint Jean , dans uvres compltes, op. cit., p. 49.

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    troisime partie, et met en relation des lments pars dans luvre, la signification de laquelle il contribue.

    Pour Charles mauron,

    [l]ide essentielle du pome fut videmment suggre mallarm par le fait que la saint Jean correspond assez exactement au solstice dt. Cette ide, poursuit-il, consiste en une simple mtaphore qui met en parallle dune part la trajectoire du soleil, dabord ascendante puis descendante, aprs une halte imperceptible et dautre part la trajectoire trace par la tte de saint Jean au moment de la dcollation.

    le critique considre que cette oeuvre ne peut tre compltement comprise que si lon se rend compte que le pote est en communion avec des profondeurs de linconscient48 . Une affirmation qui invite lire Hrodiade avec le regard de la psychanalyse, dmarche critique laquelle Jean Bellemin-nol a confr sa lgitimit.

    Jean-Pierre richard, qui prend aussi en compte le manuscrit des Noces dHrodiade, a montr quant lui que la dcollation du prophte provoque et justifie la mort de la princesse ; cette affirmation trouve sa justification dans le fait que tout le mythe mallarmen dHrodiade peut sans doute se ramener une tragdie du regard49 . Cette proposition, qui sappuie sur le viol oculaire dont lhrone aurait t victime, reoit laval de nombreux commentateurs. linterprtation sappuie sur une dclaration que mallarm lui-mme aurait faite robert de montesquiou en commentant ces dernires paroles dHrodiade dans scne :

    Jattends une chose inconnueou peut-tre, ignorant le mystre et vos cris, Jetez-vous les sanglots suprmes et meurtrisdune enfance sentant parmi les rveriesse sparer enfin ses froides pierreries50.

    le pote aurait indiqu que ces vers suggrent

    la future violation du mystre de son tre [Hrodiade] par le regard de Jean qui va lapercevoir et payer de sa mort ce seul sacrilge. Car la farouche vierge ne se sentira nouveau intacte et restitue tout entire son intgralit quau moment o elle tiendra entre ses mains la tte tranche en laquelle osait se perptuer le souvenir de la vierge entrevue51.

    de nombreux lments attestent la vracit de ce tmoignage, que quelques vers de Noces suffisent illustrer. lhrone, qui a intim sa nourrice :

    apporte-moises traits sur unplat dor,

    48 Charles mauron,Charles mauron, Commentaires, dans stphane mallarm, uvres compltes, op. cit., p. 1446-1447.

    49 Jean-Pierre richard,Jean-Pierre richard, Lunivers imaginaire de Mallarm, op. cit., p. 96.50 stphane mallarm, scne,stphane mallarm, scne, loc. cit. , p. 48.51 robert de montesquiou-Fezensac,robert de montesquiou-Fezensac, Diptyque de Flandre, Triptyque de France, 1921, p. 235.

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    sadresse au chef du saint en ces termes :

    Je hais la tteai-je ditta mortsuffit pour que jen sorte52.

    davies Gardner, lui, naccrdite pas cette thse du viol oculaire. Il considre que la sensation de violence dHrodiade est lie une rencontre purement spirituelle avec le prcurseur dont elle ignore les traits au moment o elle en demande la tte ; une interprtation que nous trouvons moins convaincante que la premire, et ce, pas seulement en raison du tmoignage de mallarm. le pote qui, comme nous lavons vu dans les extraits cits de sa correspondance, attache une importance extrme au regard invers que lui renvoie le miroir, se montre fascin par ce que les yeux peuvent saisir de ltre. le tombeau dAnatole quil compose la mort de son petit garon participe de cette caractristique ; idalisant, pour assurer sa survie, le jeune malade pendant son agonie, il sattachera ce que ses yeux ont emport de lui, quil ne sait pas, dans la mort, laquelle ne dbouche sur aucun autre mystre quelle-mme. la tragdie vcue alors ravive celle de lenfance de mallarm, lorsque le pote a vu disparatre les deux tres quil aimait le plus au monde, sa mre et sa sur maria. on sait combien la privation, cinq ans, du regard maternel, a marqu dune empreinte profonde lexprience potique mallarmenne. Un traumatisme qui peut tre mis en relation avec lexigence extrme de mallarm envers un art vcu comme un asctisme. sy ajoute une forme de sacrifice, comme en tmoigne valry qui affirme au sujet de mallarm : trente et quelques annes, il fut le tmoin ou martyr de lide du parfait53. tmoin ou martyr de lide du parfait, les propos peuvent sappliquer Jean-Baptiste, dont mallarm exploite la figure, les attributs et la dcollation dune manire allgorique.

    le pote, que son ami lefbure salue le 23 juin dun mon cher Jean Baptiste , semble sidentifier au personnage biblique. Concidence, mallarm, distingu des autres hommes pour tre le prcurseur dune esthtique nouvelle, nest-il pas comme le Prophte le fils dune femme prnomme lisabeth ? le pote se montre trs attach au prnom de sa mre. tmoin cette lettre du 20 novembre 1864 o, aprs avoir annonc la naissance de sa fille sa grand-mre, il confie : Une chose ma t trs douce, cest quelle a choisi pour natre le jour de la fte de ma pauvre mre, la sainte lisabeth54. Il nest pas exclu de penser que mallarm ait, du nom de la mre, fait driver dautres analogies. linfertilit premire de la mre du Baptiste rpond celle dlisabeth mallarm, rendue la strilit par la mort. disparue, elle peut figurer dans ce paysage du Cantique :

    52 stphane mallarm,stphane mallarm, Les noces dHrodiade, op. cit., p. 100-101.53 Paul valry, Je disais quelquefois stphane mallarm , dansPaul valry, Je disais quelquefois stphane mallarm , dans uvres, 1965, p. 652.54 stphane mallarm, mstphane mallarm, mme desmolins , dans Correspondance complte, op. cit., p. 208.

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    l-haut o la froidureternelle nendureQue vous le surpassiez tous glaciers

    mallarm, qui a dcouvert le nant, la rejoint peut-tre sur les plus purs glaciers de lesthtique55 o il volue pendant lt 1866. la fois prsente et absente dans le dsir incommensurable qua fait natre sa mort, la figure maternelle est incarne fugitivement dans la scne par la nourrice dHrodiade. Une nourrice qui, si elle tente de dtourner lhrone de lidal, a su lui dispenser un bonheur inou, qui amne la jeune fille dire : si tu me vois les yeux perdus au paradis / Cest quand je me souviens de ton lait bu jadis56. le propos, sil est interprter sur un plan mtaphorique comme le souvenir du temps des illusions mtaphysiques, suggre aussi le dsarroi de celui qui a vu sa joie denfant confisque par la disparition prmature de sa mre. de la sorte, le Jean-Baptiste mallarmen dit toutes les blessures et les incertitudes de lhomme, que gurira la dcollation en tranchant : les anciens dsaccords / Avec le corps .

    Ce chant est lire comme tributaire dun vcu personnel traumatisant et de la crise religieuse en deux tapes57 qua connue mallarm. des lments qui expliquent lomniprsence dun intertexte religieux subverti et mis au service dune gense qui se dveloppe sur le plan de la cration littraire. le choix du thme dHrodiade, dont on pourrait penser quil nest quun prtexte une exprience potique, entretient lon Cellier58, Charles mauron59 et Jean-Pierre richard lont montr avec des mthodes diffrentes une relation trs forte avec le mythe personnel de mallarm, hant par la figure de la morte. souscrivant laffirmation de Jean Bellemin-nol selon laquelle les crivains sont des hommes qui, en crivant, parlent leur insu de choses qu la lettre ils ne savent pas60 , nous risquons lhypothse selon laquelle les Noces consommeraient un inceste spirituel du pote avec sa mre Hrodiade, lombre dune princesse61 , tous deux incarnant respectivement le Gnie et la Beaut.

    n dun attachement obsessionnel une dialectique de labsence et de la prsence, le projet mallarmen, qui consiste selon sylvie thorel travailler linstauration par la parole potique dun sens qui dlivre le monde62 , se concrtise partir dune raffectation des signes religieux. Bertrand marchal63 a montr comment mallarm substituait la religion, qui correspondait une phase de lvolution de lhumanit, une posie qui catalyse les aspirations de lhomme au divin. Pour nvoquer quun seul

    55 stphane mallarm, lettre Henri Cazalis du 13 juillet 1866 , dansstphane mallarm, lettre Henri Cazalis du 13 juillet 1866 , dans ibid., p. 310.56 stphane mallarm, scne,stphane mallarm, scne, loc. cit. , p. 47.57 la premire en 1862-1863 et la seconde de 1866 1870.la premire en 1862-1863 et la seconde de 1866 1870.58 lon Cellier,lon Cellier, Mallarm et la morte qui parle, 1959.59 Charles mauron,Charles mauron, Mallarm lobscur, 1986.60 Jean Bellemin-nol,Jean Bellemin-nol, Psychanalyse et littrature, 1995, p. 7.61 stphane mallarm,stphane mallarm, Posies, dans uvres compltes, op. cit., p. 44.62 mireille ruppli-Coursange et sylvie thorel-Cailleteau,mireille ruppli-Coursange et sylvie thorel-Cailleteau, Mallarm : la grammaire et le grimoire,

    op. cit., p. 139.63 Bertrand marchal,Bertrand marchal, La religion de Mallarm, op. cit.

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    exemple, le critique relve que les manuscrits des Noces dHrodiade comportent la formule sorte de dchirure sacre du voile qui, si elle possde la fois une dimension sexuelle et thtrale, est aussi une allusion biblique64, puisque la dchirure du voile signifie la mort du Christ. laurent mattiussi postule, quant lui, dans Figuration du divin, figuration de soi, une potique mallarmenne rgie par le schme du nant irradiant . mallarm, crit le critique, transpose le rituel liturgique et son instrument le plus resplendissant en une potique de lostensoir comme schme de nantisation et de rayonnement, producteur de fiction65 .

    dans cette ligne interprtative, on peut considrer avec raison que le pote crit dlibrment, avec le Cantique de saint Jean , un texte dont la vocation est de substituer aux croyances antrieures la foi en un absolu dessence potique. Une entreprise qui implique lintgration et la re-smantisation des lments fondateurs du christianisme dont mallarm a prouv linanit. dans cette optique, le pote privilgie le personnage de saint Jean-Baptiste, qui, avec le temps, a largement pris le pas sur celui dHrodiade. les motivations lies lhistoire personnelle de mallarm se conjuguent de la sorte avec lintertexte biblique qui nest pas quun accessoire. le pome entier peut tre relu partir de ce constat.

    le terme cantique dsigne un chant religieux, lequel peut tre la gloire de dieu ou consister en une action de grces. Il appelle la rfrence au Cantique des cantiques, que les mystiques chrtiens interprtent comme la clbration des relations du Christ avec son glise. Cette lecture invite tablir un parallle entre le texte biblique et le projet des Noces dHrodiade, lesquelles figurent lhymen de la Beaut et du Gnie. la comparaison des principales scansions du pome mallarmen et du Cantique des cantiques fait ap-paratre de nombreux chos, souvent inverss, du texte biblique dans le second. Citons quelques exemples. la Bien-aime du Cantique affirme, dans le Premier pome : Je suis noire et pourtant belle66 ; linverse, Hrodiade voque le blond torrent de [s]es cheveux immaculs67 , sera qualifie par sa nourrice de belle affreusement et telle68 . Plus loin, la Bien-aime donne rendez-vous son fianc lheure de midi69 , bien que lunion des deux fiancs ait lieu la nuit ; or, la mme heure, Hrodiade connatra une dfloration symbolique avec la dcollation de Jean. dans le troisime pome du Cantique des cantiques, la Bien-aime cherche celui que son cur aime70 , quand, dans une tape correspondante du pome mallarmen, Hrodiade, incapable de concevoir lamour comme un change, est dcrite par sa nourrice en train derrer et de sabmer en elle-mme. voquons encore un dernier exemple : tandis que les fiancs du Canti-que sunissent charnellement dans la maison maternelle, la froide Hrodiade se dcrit retire dans [s]a couche71 , semblable un reptile inviol .

    64 Ibid., p. 96.65 laurent mattiussi,laurent mattiussi, Figuration du divin, figuration de soi, op. cit., p. 369.66 Le cantique des cantiques, dans La Bible, 1988, p. 1033.67 stphane mallarm,stphane mallarm, Les noces dHrodiade, mystre, op. cit., p. 63.68 Ibid., p. 66.69 Le cantique des cantiques, op. cit., p. 1033.70 Ibid., p. 1035. 71 stphane mallarm,stphane mallarm, Les noces dHrodiade, mystre, op. cit., p. 69.

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    outre la rfrence au Cantique des cantiques, le Cantique de saint Jean rsonne avec le Cantique de zacharie (Jean, 1, 67). zacharie, le pre de Jean-Baptiste, prophtise :

    or toi aussi, petit enfant, tu seras appel prophte du trs-Haut ; car tu marcheras devant le seigneur72,pour lui prparer les voies,pour donner son peuple la connaissance du salut / par la rmission des pchs [] pour illuminer ceux qui demeurentdans les tnbres et lombre de ma mort.73

    on retrouve dans le Cantique de saint Jean la notion dillumination, voque par le soleil et sa course, et le terme salut , qui peut faire lobjet dinterprtations diverses. Pour laurent mattiussi,

    la tte coupe, [] participe de ce principe auroral et virginal quest le soleil, dont elle revit le double geste de monte puis de descente, avant de quitter dfinitivement la scne du monde, lintention duquel elle penche un salut74.

    Cette lecture nexclut pas, selon nous, une exploitation ironique de la notion de salut telle que lvoque zacharie dans son cantique. ce titre, le salut de la fin du Cantique de Jean peut suggrer la fois une inclination de la tte et laction quaccomplit le prtre lorsquil salue le saint sacrement dune gnuflexion, la flicit notionnelle se substituant ici la flicit ternelle. Invite cette interprtation un tat du Prlude o le Cantique commence par

    si touteGnuflexion comme lblouissant75

    le salut suggre aussi une renaissance aprs une mort temporaire au monde des illusions. la date de composition du Cantique tant inconnue, il est impossible de discerner quelle part put y avoir la mort dAnatole, le fils du pote dcd prmaturment. nanmoins, la composition dHrodiade stendant sur plus de 30 ans, on peut penser que mallarm y a intgr ses expriences successives ; aussi, saint Jean, auquel le pote stait identifi en entreprenant son uvre, peut-il figurer galement lenfant qui a prcd son pre dans la mort, et ce, en troite corrlation avec le Cantique de zacharie. Ces chos, ajouts la rfrence au jene du prcurseur, elle de jenes ivre Les noces dHrodiade voquent aussi le mangeur de sauterelles et lucifer , lun des surnoms de saint Jean, en rfrence ltymologie de porteur

    72 le soulignement est celui du texte biblique.le soulignement est celui du texte biblique.73 vangile selon Jean, dans La Bible, op. cit., p. 1558. 74 laurent mattiussi,laurent mattiussi, Figuration du divin, figuration de soi, op. cit., p. 371.75 stphane mallarm,stphane mallarm, Les noces dHrodiade, op. cit., p. 167.

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    de lumire , prouvent que mallarm, pour composer son uvre, ne sest pas servi de simples allusions mais quil a volontairement cit le texte biblique pour lui donner une orientation nouvelle.

    enfin, dans les cinquime et sixime strophes du Cantique de saint Jean , il est donn au dcapit de pouvoir par son pur regard slever jusqu la froidure ternelle avant que son chef ne retombe terre ; ce Principe constitue son baptme. la sixime strophe,

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    signe le caractre promthen de lentreprise, pointe lorgueil de celui qui a voulu rivaliser avec dieu. la dcapitation de Jean, qui chante alors que sa tte a t coupe, fait merger une parole pour ainsi dire surnaturelle.

    la figure de Jean-Baptiste dont mallarm exploite sciemment tous les lments bibliques instaure un rapport ironique entre les croyances anciennes, dont le pote a dcouvert la vanit, et le message du nouveau Prcurseur. linstar du Baptiste, lauteur dHrodiade ne se prsente pas comme celui qui est attendu mais comme la voix qui introduit au mystre. si celui auquel le pote initie doit tre lu en regard avec lavnement auquel prpare Jean-le-Baptiste, il est cependant dune autre nature, esthtique exclusivement. mallarm vide la figure du saint de sa signification religieuse pour la rinvestir, avec tous ses attributs, sur un plan purement potique. Une dmarche que permet dexpliquer laffirmation de Paul valry selon laquelle mallarm a t le premier reprsenter le mystre de toute chose par le mystre du langage76 , lui qui tait en proie une lutte intrieure sublime77 . la posie est en effet pour lauteur dHrodiade

    lexpression, par le langage humain ramen son rythme essentiel, du sens mystrieux des aspects de lexistence : elle doue ainsi dauthenticit notre sjour et constitue la seule tche spirituelle78.

    Une conception qui va de pair avec lanonymat, comme mallarm lcrit verlaine en voquant le texte, y parlant de lui-mme et sans voix dauteur79 . de manire analogue au Prcurseur, celui qui considre son poque comme un interrgne pour le pote80 travaille avec mystre en vue de plus tard ou de jamais81 .

    76 Paul valry, Je disais quelquefois stphane mallarm,Paul valry, Je disais quelquefois stphane mallarm, loc. cit. , p. 650. 77 Ibid., p. 659.78 stphane mallarm, lettre du 27 juin 1884 , dansstphane mallarm, lettre du 27 juin 1884 , dans Correspondance complte, op. cit.,

    p. 572.79 stphane mallarm, Paul verlaine [16 novembre 1885], dansstphane mallarm, Paul verlaine [16 novembre 1885], dans Correspondance complte,

    op. cit., p. 587.80 Id.81 Id.

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    Il semble donc cohrent de voir dans la figure de saint Jean telle que la traite mallarm la reprsentation du pote qui doit, linstar de Flaubert prnant la disparition de lauteur dans son uvre, seffacer pour que jaillisse une posie authentique. Une hypothse que confirment ces clbres propos de Crise de vers :

    luvre pure implique la disparition locutoire du pote, qui cde linitiative aux mots, par le heurt de leur ingalit mobiliss ; ils sallument de reflets rciproques comme une virtuelle trane de feux sur des pierreries, remplaant la respiration perceptible en lancien souffle lyrique ou la direction personnelle enthousiaste de la phrase82.

    lentreprise, qui passe par une ordonnance du livre de vers , o tout devient suspens , signe le gnie, anonyme et parfait comme une existence dart83 . Ainsi, dans le Cantique de saint Jean , le Baptiste, reprsentation mtaphorique du pote-prophte, chante alors que sa tte a t spare de son corps ; de manire analogue, le verbe, potique, crot partir du sacrifice que fait lauteur de sa propre humanit.

    Ancre sur un intertexte religieux qui fait lobjet dune viction ou dun dtournement systmatique, Hrodiade est porte par la figure de Jean-le-Baptiste. Investie dun sens nouveau, celle-ci sintgre un processus qui substitue la qute du divin une posie conue comme reconstitution. sans citer la formule mise dans la bouche du Prcurseur, Pour quil croisse, il faut que je diminue , mallarm-Jean-Baptiste savre tre le hraut annonciateur dun mystre qui ne renvoie qu luvre, dont la beaut se construit par une nonciation qui entrane leffacement du pote. dans cette perspective, le Cantique de saint Jean se fait le Symbole de lesthtique mallarmenne, et la disparition du pote, une condition ncessaire lavnement de son art. le pote doit mourir lui-mme afin de fconder la parole dont il sabsente et qui rayonnera au-del de lui.

    82 stphane mallarm, Crise de vers , dansstphane mallarm, Crise de vers , dans uvres compltes, op. cit., p. 366.83 Ibid., p. 367.

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