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Dialogue http://journals.cambridge.org/DIA Additional services for Dialogue: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here Immanence et Apprehension chez saint Thomas Germaine Cromp Dialogue / Volume 3 / Issue 03 / December 1964, pp 235 - 247 DOI: 10.1017/S0012217300035381, Published online: 09 June 2010 Link to this article: http://journals.cambridge.org/ abstract_S0012217300035381 How to cite this article: Germaine Cromp (1964). Immanence et Apprehension chez saint Thomas. Dialogue, 3, pp 235-247 doi:10.1017/S0012217300035381 Request Permissions : Click here Downloaded from http://journals.cambridge.org/DIA, IP address: 195.19.233.81 on 07 Dec 2013

Immanence et Apprehension chez saint Thomas

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Immanence et Apprehension chez saintThomas

Germaine Cromp

Dialogue / Volume 3 / Issue 03 / December 1964, pp 235 - 247DOI: 10.1017/S0012217300035381, Published online: 09 June 2010

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How to cite this article:Germaine Cromp (1964). Immanence et Apprehension chez saintThomas. Dialogue, 3, pp 235-247 doi:10.1017/S0012217300035381

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IMMANENCE ET APPREHENSION CHEZSAINT THOMAS

SI nous voulions tirer une ligne d'unite" a travers les branchessi disparates qui se sont e"panouies sur les racines carte'siennes,

nous pourrions affirmer que l'homme est rentre* en lui-meme et deplus en plus profonde'ment jusqu'a nos jours. Son regard s'estde'tourne' d'un objet exte'rieur pour considdrer le produit inte*-rieur de son acte d'esprit, puis pour essayer de pe'ne'trer dans lemystere meme de cet acte. L'homme s'est vu responsable del'homme. Son existence lui est donne"e mais il ne peut la maintenirsans lui fournir une forme, une essence dont la specificationde*pendra de son "je" libre. Tout un dventail d'humanismes s'estalors ddploye" a partir d'une concrdtude enfouie irreVocablementet de'sespe're'ment dans la condition charnelle jusqu'a la concre'-tude la plus spirituelle de la pensde reflexive contemporaine. Enun mot, l'histoire de la philosophic moderne devient l'histoire dela prise de conscience de l'immanence.

Nous avons voulu remonter les siecles de l'mquidtude philo-sophique pour retrouver la part d'immanencequ'accorde Thomasd'Aquin au simple point de depart de tout son humanisme:l'appre"hension.

Nous ddgagerons d'abord d'un texte de la Somme Thdolo-gique, la, q. 18, a. 3, c. , les dldments de l'acte immanent: prin-cipe efficient, forme, operation, perfection. Puis nous nousplacerons sous ces diffe'rents points de vue pour ddcouvrir l'imma-nence qui peut exister chez saint Thomas dans l'acte d'appre1-hension; se dessineront ainsi les grandes divisions de 1'expose":immanence et principe efficient—immanence et forme—imma-nence et operation—immanence et perfection.

Les cadres d'un article ne nous permettent malheureusementpas de fournir une e"tude integrate des textes. Nous donnons lestextes de base et les conclusions ou notre recherche personnelledans saint Thomas nous a conduit.

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GERMAIME CROMP

La connaissance est un mystere de vie. Le non-connaissants'avere un individu fixe" a son individuation. II est refermd sur-lui-meme. Son individuation re'sulte d'une matiere ordonnde atelle quantity qui le determine "ad unutn." II ne peut devenirl'autre sans perdre l'inte"grite de son etre, sans modifier l'etre del'autre. Au contraire, le connaissant, sans rien briser de l'unite"de son etre, s'enrichit de la forme de l'autre en respectant l'etrede l'autre.1

L'ame est "quodammodo omnia," dit saint Thomas apresAristote. Par la connaissance, elle tend vers l'infini. Elle est enpuissance par sa sensibilitd a tout l'univers sensible. Elle peut,par son intellect, se grandir pour s'approcher de plus en plus del'intelligibilitd divine. Elle est un etre en marche, un etre quipasse de la puissance a l'actualisation d'un "esse" sans cesserenouvele par la communion a l'univers.

L'homme se situe aux confins de la matiere et de l'esprit. IIconstitue le degre le plus infime du monde spirituel, le degre"supe'rieur de la matiere. II devient intermediate entre l'infinide l'acte et l'infini de la puissance. II lui appartient de devenirl'univers du monde sensible, de ddcouvrir par lui la nature deson ame, des substances spirituelles qui le transcendent, de tendrea la richesse divine.

Par ses puissances affectives, il rdussira a humaniser la matiere,a s'unir a ses semblables, a aimer les substances spirituelles, as'identifier d'une certaine maniere a son Dieu. Venu du Crdateur,il sera entraine par la connaissance et par 1'amour dans le retourvers sa Source. Nous voulons ici retenir seulement le mysterede vie qu'est la connaissance.

Immanence: "in-manens." Ce mot eVoque deja l'inte'riorite'.Chez saint Thomas, l'immanence se deVoile dans l'dpanouisse-ment de la vie et celle-ci se manifeste dans 1'action exteYieure.Nous pouvons done conside'rer celle-ci comme le signe qui eVoqueplus ou moins l'immanence.

Dans F article 3 de la question 18 de la Prima Pars, saint Thomasfait appel a differents degres d'ope"ration qui manifestent autantde degrds dans l'immanence au sens de se mouvoir soi-meme.

1 Cf. la, q. 80, a. 1, c; la, q. 14, a. 1, c.; la, q. 86, a. 2, ad 4; la, q. 54, a. 2,c.

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IMMANENCE ET APPREHENSION CHEZ SAINT THOMAS

L'action, en effet, peut supposer 1'immanence dans son principeefficient, dans la forme par laquelle elle s'accomplit et dans lafin que poursuit l'opdration.

Ainsi les plantes sont par elles-memes le principe efficient deleur operation ve'ge'tale; pourtant, la venue en elles des formes parlesquelles elles se nourrissent et se reproduisent ne depend pasactivement d'elles-memes et c'est encore la nature qui en deter-mine la fin. Une immanence plus parfaite se manifeste dans 1'ani-mal. Non seulement lui revient l'efficience de son operation,mais la forme qui pourra le mouvoir a l'action, il se l'appropriede lui-meme. A 1'inte'rieur de cette catdgorie, des degres s'inserentsuivant la perfection des sens. Plus le sens est parfait, plus l'opd-ration est parfaite et plus parfaite aussi 1'immanence. Celle-cicependant n'atteint pas son point culminant chez 1'animal:car la brute ne saurait par elle-meme se determiner une fincomme fin. II nous faut gravir un echelon dans les degre's desetres et arriver a l'homme pour constater une immanence et del'efficience et de l'acquisition de la forme par laquelle il agit et dubut qu'il poursuit. L'immanence cependant n'est pas encoreabsolument parfaite. Les premiers principes seront en un sensnine's, et la fin derniere imposed. En Dieu seul l'immanencetrouve sa comple'tude.

Quatre elements peuvent etre ici dtudids en regard de l'imma-nence: le principe efficient, la forme, l'operation elle-meme et laperfection que cette operation apporte.

IMMANENCE ET PRINCIPE EFFICIENT

Primo autem dicimus animal vivere, quando incipit ex se motum• habere; et tandiu iudicatur animal vivere, quandiu talis motus in eo

apparet; quando vero iam ex se non habet aliquem motum, sed move-tur tantum ab alio, tune dicitur animal mortuum per defectum vitae.Ex quo patet quod ilia proprie sunt viventia, quae seipsa secundumaliquam speciem motus movent; sive accipiatur motus proprie, sicutmotus dicitur actus imperfecti, idest existentis in potentia; sive motusaccipiatur communiter, prout motus dicitur actus perfecti, prout intel-ligere et sentire dicitur moveri, ut dicitur in III De An.2

(la, q. 18, a. i, a) .8 Cf. la, q. 54, a. 2, ad i; la, q. 27, a. 2, c.

•, 2 3 7

GERMAWE CROMP

La connaissance est un vivere. Or, se mouvoir soi-meme consti-tue la marque la plus universelle, la plus primitive du vivant.C'est Tame qui est source de P operation de vie parce que sourcede P "esse" humain. Les puissances puisent leur efficacitd dans ceprincipe "un" qu'est 1'ame humaine. De l'ame e'manent lespuissances les unes par Pinterme'diaire des autres a partir despuissances supdrieures. Voila Pordre de nature meme si la ge'ne'-ration ou Pactualisation des puissances se fera selon une directioninverse. Arretons-nous aux puissances cognitives.

Saint Thomas adopte une vision dionysienne du monde. Lesetres jaillissent de leur source en s'e'chelonnant dans un rayonne-ment de plus en plus affaibli jusqu'au degre" le plus infime desesprits, i.e. Pintellect humain, et, de la, jusqu'a la puissance abso-lue de la matiere. Cette hidrarchie des etres appelle la hidrarchiedes operations. Dans Phomme, les puissances seront inte"rieuresles unes aux autres d'abord parce que provenant d'une sourceunique qui est l'ame, mais aussi parce que le sommet d'une puis-sance infe'rieure touche a l'infe'riorite' de la puissance supe"rieure.

Toutes les qualitds essentielles a Phomme lui viennent de soname. Toutes les perfections intellectuelles, sensibles, vdgdtales,corporelles, comme P "esse" lui-meme, viennent de ce seul prin-cipe qui est simple. Quand je dis corps, je dis deja ame, i.e.une matiere avec la forme de corporate" que donne l'ame et quiappelle les perfections subsdquentes. Les puissances multiplientPefficacite" de l'ame mais ne divisent pas son etre. L'intellectvivifie la sensibility, celle-ci vivifie les puissances vdgdtatives,celles-ci le corporel. Aussi ne sommes-nous pas e'tonne's de consta-ter une refluence des puissances les unes dans les autres. L'intellectsurelevera la vertu naturelle de la cogitative qui, a son tour,produira une refluence dans Pimagination, celle-ci dans le senscommun. Meme les sens externes participeront de Peflficacite'supeYieure du sens commun. En effet, si la vue, pourtant ddter-mine'e a un objet singulier, peut distinguer entre les entity's d'unmeme genre, le blanc et le noir par exemple, c'est qu'elle parti-cipe de Pefficacite' du sens commun. Si le sens commun peut jugerles sensations, percevoir Pacte meme du sens externe, c'est parparticipation de Pimagination. Si celle-ci, en plus de conserver lessimilitudes rec,ues, peut former a son tour des phantasmes a partir

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IMMANENCE ET APPREHENSION CHEZ SAINT THOMAS

dephantasmesdejaposse'de's, ce pouvoir est du a une participationde la cogitative qui regoit a son tour une refluence de Pintellectpour pre'parer le phantasme a 1'abstraction, pour colliger des inten-tions a la maniere d'une raison. II en est ainsi de la mdmoire qui sevoit doubled d'une reminiscence qui permet comme par une especede discours, de reVeiller souvenir par souvenir, jusqu'au faitrecherche". Le sommet de chaque puissance participe done de lapuissance supdrieure de sorte que le pouvoir d'illumination dePintellect se fait sentir jusque dans P operation du sens le plusinfe'rieur. Toutes ces refluences manifestent bien que 1'efficience

< de l'ope'ration de connaissance revient a la puissance, mais aussia la source commune, i.e. l'ame, et enfin au sujet "un" qu'estl'homme. En effet, c'est l'homme qui pense, sent. Et ces fonctions,il les accomplit par l'ame qui a son tour agit par ses facultds.Certains ont voulu voir Pintellect possible sdpare" de l'homme. Lespreuves chez saint Thomas sont nombreuses pour reTuter cetteposition. Donnons ici le fondement de la preuve positive. L'ameest forme du corps: autrement pourrait-on affirmer que cetteintellection est Pacte de tel singulier puisque le principe de Popd-

„ ration doit etre la forme de l'etre? C'est le meme homme qui aconscience de sentir et d'intelliger. Or,sentir, s'effectue par le corps:

',• le corps est une partie de l'homme. Ainsi, intelliger s'effectue parPintellect: Pintellect comme le corps sera partie de l'homme. Enun mot, l'ope'ration formelle ne peut venir d'un principe extd-rieur a l'etre qui opere. Le principe efficient de Pacte de connais-sance est done immanent.

\ IMMANENCE ET FORME

Les textes de saint Thomas qui nous deVoilent le mieux Pim-'. manence dans la connaissance en ce qui concerne l'objet, Popd-.. ration, le re"sultat sont ceux qui dtablissent un parallele entre\ Faction transitoire et Paction immanente.

Ad cuius evidentiam, sciendum est quod, licet in operationibus quae' transeunt in exteriorem effectum, obiectum operationis, quod signi-ficatur ut terminus, sit aliquid extra operantem; tamen in operationi-

, ' bus quae sunt in operante, obiectum quod significatur ut terminus

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GERMAINE CROMP

operationis, est in ipso operante; et secundum quod est in eo, sic estoperatio in actu.3

(la, q. 14, a. 2, c.)

Dicendum quod, sicut ex supra dictis patet, obiectum aliter se habetin actione quae manet in agente, et in actione quae transit in aliquidexterius. Nam in actione quae transit in aliquid exterius, obiectum sivemateria in quam transit actus, est separata ab agente; sicut calefactuma calefaciente, et aedificatum ab aedificante. Sed in actione quaemanet in agente, oportet ad hoc quod procedat actio, quod obiectumuniatur agenti; sicut oportet quod sensibile uniatur sensui, ad hocquod sentiat actu. Et ita se habet obiectum unitum potentiae adhuiusmodi actionem, sicut forma quae est principium actionis in aliisagentibus; sicut enim calor est principium formale calefactionis inigne, ita species rei visae est principium formale visionis in oculo.

(la, q. 56, a. 1, c.)

L'objet joue un role different dans Faction transitoire et dans1'action immanente. Dans l'une et dans l'autre, l'objet est bienle terme de F operation. Dans la premiere operation cependant,l'objet demeure exte"rieur a l'agent alors que dans l'acte imma-nent, l'objet est en quelque sorte inte'riorise' par sa forme. II vienta jouer le r61e que joue la forme exemplaire dans l'oeuvre dePartisan. L'objet est done uni a Fope'rant. Aussi dans Pactiontransitoire l'objet est passif tandis que dans Faction immanente,l'objet, par la forme, sans jouer le role de principe premier, de-vient ce par quoi le connu est connu. Les deux operations s'exer-

3 Cf. la, q. 85, a. 2, c ; la, q. 55, a. 1, c.Pour la forme sensible en general, cf.:la, q. 78; Qu. disp. De An., q. un. a. XIII; In De An. L. II, lect. XIII, lect. XIV;L. Ill, lect. Ill, lect. V, lect. VI.Pour la forme intellectuelle, cf.:la, q. 79, a. 3; a. 4: a. 5; la, q. 84, a. 1; a. 6; a. 7; la, q.85, a. 1; a. 2; In De An.,L. Ill, lect. VII, lect. VIII; lect. IX; lect. X; Qu. disp. De An., q. un., a. II,a. IV; a. V.Pour la forme comme principe quo de connaissance, cf.:la, q. 85, a. 2, c.; C. G., L. II, c. 75; De Ver., q. 10, a. 6 ad 5 et ad 7; q. 2, a. 7,c ; q. 14, a. 8, ad 5; In De An., L. Ill, lect. VIII, n. 717; Quodl. VII, q. 1, a. i,c.Pour la forme comme concept, cf.:Comp. Theol., c. 37; c. 52; c. 38; c. 39. C. G., L. IV, c. 11 et c. 14; IS., d. XIII,q. 1, a. 1 et 2; De Ver., q. 2, a. 1; a. 2; a. 3; a. 4; la, q. 27, a. 1, a. 2; a. 3;a. 4,1 q- 35> a- 2> c-5 q. 37, a. 1, c ; q. 37, a. I, ad 2; q. 34, a. 1, ad 2.

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IMMANENCE ET APPREHENSION CHEZ SAINT THOMAS

cent done par une certaine forme. Dans les deux cas, la forme estsemblable a l'objet. Mais la forme de 1'artisan en vient a joindrel'objet exteYieur alors que la forme de P operation immanenteramene l'objet d'une certaine facon a PinteYieur. Dans Part,la forme provient de Pagent pour s'unir a l'objet; dans P operationimmanente, la forme vient de l'objet pour s'unir a la puissance.

Ainsi la connaissance qui s'avere une operation immanentes'accomplit par une forme qui est similitude de l'objet. Cetteforme peut etre consideYe"e comme entite" psychologique mais aussidans son caractere de similitude. Sous le premier aspect, elledevient cause instrumental de la connaissance; sous son deuxiemeaspect, elle joue le role de principe actif de specification. D'ouun double probleme quelle est Pimmanence de la forme commeinstrument ? quelle est Pimmanence de la forme comme principeformel de specification?

Nous Pavons vu dans Particle 3 de la question 18, e'est Panimalqui se donne la forme de connaissance qui va le mouvoir a P ac-tion; ainsi e'est Phomme lui-meme qui va se donner la formeintellectuelle principe de Pacte exteYieur.

Le sens est done principe efficient de l'acquisition de la formesensible de connaissance comme Pintellect Pest pour la forme intel-lectuelle. Celle-ci peut etre conside're'e comme espece intelligible,principe de l'information de Pintellect possible ou comme verbequi devient une conception de Pintellect possible actud par Pespeceintelligible. Sous ces deux aspects, Pintellect possible est le prin-cipe responsable de la possession de la similitude du r£el. Etl'information et la formation dans le sensible comme dans Pin-telligible relevent done de Pimmanence du sujet connaissant.

Mais quelle est, chez saint Thomas, la part d'immanence dansla production de cette forme? Dans le sens exteYieur, la formere"sulte de Paction de la similitude sur le sens. Mais a mesure ques'inteYiorise les mouvements de connaissance, Pimmanence joueun role de plus en plus de"cisif. Les quality's, les quantity's ontproduit une similitude qui actue le sens exteYieur. Celui-ci parson mouvement met en branle le sens commun qui est un sensinteYieur. C'est a travers les seules donndes de la quantity,de la quality fournies par les sens externes que le sens com-mun percevra son objet. Le lien qu'il percevra entre les sen-

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GERMAINE CROMP

sations transmises correspondra au rdel. Mais ce lien ne parvientpas directement du re"el au sens interne. C'est le dynamisme de lapuissance qui, a ce moment, non seulement rejoint son objetmais aussi le ddcouvre a travers une donne"e qui en est le prin-cipe mais qui en lui-meme ne l'explicite pas. De meme lorsquel'imagination, en plus de conserver les similitudes revues parle mouvement du sens commun, se met a crder de nouvellesformes, c'est encore a l'immanence de la puissance qu'il faut faireappel pour comprendre ces parutions. II en est ainsi pour le tra-vail de la cogitative qui suppose les formes de l'imaginationpour de"couvrir son objet a travers ces formes: les intentionsintimes d'utilite', de nuisance, etc., ne sont pas fournies direc-tement du sensible exterieur.

Cette immanence joue encore davantage lorsque la cogitative,par refluence de I'intellect agira par collation d'intentions parti-culieres, en viendra a saisir un individu comme un particulierparmi des semblables et rendra ainsi le phantasme apte a sepreter a l'abstraction.

Mais la ou, chez saint Thomas, l'immanence paraitra plusparfaite, ce sera dans la formation meme d'une espece intelligiblepar I'intellect agent. Le phantasme, similitude mate'rielle, con-tingente du re"el ne peut par lui-meme actuer I'intellect en puis-sance. Le principe de la proportion ndcessaire entre le connuet le connaissant ne serait pas respecte": ce principe exige commesource d'actuation une espece immatdrielle, universelle, ne"ces-saire. Cette espece doit done etre produite puisqu'elle n'existepas dans la re'alite'. Elle ne peut etre produite que par un intellecten acte: lui seul pourra rendre compte d'une production imma-tdrielle, universelle, ndcessaire. Les Arabes ont voulu cet intellectsdpare", les Latins ont voulu voir Dieu comme intellect agent.Mais pour saint Thomas, I'intellect agent doit etre immanent al'homme. Sans doute, il convient de conside"rer Dieu comme leprincipe dont I'intellect agent humain participe. Ce qui estimparfait suppose une entity qui, par essence, jouit de la perfec-tion correspondante. Or, I'intellect n'atteint pas tout, il procedepar discours et souvent avec difficultd. Un intellect absolu s'im-pose done pour expliquer I'intellect humain. Mais la lumierede cet intellect s^pare" ne suffit pas a l'homme. Dans les etres

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IMMANENCE ET APPREHENSION CHEZ SAINT THOMAS

supe"rieurs de la nature, remarque saint Thomas, les causes uni-verselles pour Pope'ration rencontrent a l'inte"rieur meme deI'Stre un principe "co-efficient;" c'est pourquoi l'ame, qui est ausommet, doit trouver en elle un principe qui rend compte de sonoperation formelle. L'espece intelligible a done pour principeefficient un intellect immanent a 1'homme. D'ailleurs l'agent estsupe'rieur au patient: cette supe'riorite' d'agent doit revenir aFintellect qui domine le sensible. De plus, la specification memede l'espece releve formellement de cet intellect. L'intelligibilite'produite dont les caracteres sont l'immatdrialitd, l'universalite,la ne'eessite' vient entierement de l'efficacitd spirituelle de 1'intel-lect agent. Sans doute le phantasme est ndcessaire a la productionde l'espece, mais mate'riellement seulement. II assure dans l'es-pece le rapport au re*el. II prete son caractere de similitude dure*el bien que le mode de la similitude soit tout autre dans l'especeintelligible. L'intellect agent illumine, spiritualise dans ce sensqu'il produit une intelligibility a la mesure du phantasme.

Cette espece intelligible, similitude immate'rielle, universelle,ne*cessaire du re*el, actuera, dans l'ordre de specification, l'intellectpossible qui, de lui-meme, comme nous l'avons vu, se donne cetteforme par laquelle il connaltra. Et l'intellect possible actud parcette espece pourra connaltre produisant un verbe similitude del'espece intelligible et de l'intellect possible. Par le concept simi-litude immate'rielle, universelle, ne*cessaire du rdel, l'intellectpossible atteindre le re"el.

Nous pouvons re*sumer ces remarques sur 1'immanence parrapport a la forme. L'information de la puissance dans l'ordre dePefficience revient au sens et a l'intellect possible immanents a1'homme. La specification de la forme sensible n'es pas du toutimmanente pour la sensation externe: elle est conditionnde parle reel a tous les Echelons de l'inte'riorisation de la connaissancemais depend de plus en plus du sens lui-mSme. Ce n'est pas direc-tement que les formes penjues par les sens internes sont donne"es.La sensibility va au-devant de son objet, le de"couvre a traverscertaines donndes.

La forme par laquelle se fait la connaissance intellectuellere"sulte, dans son entitd, de l'intellect agent tout comme dans saspecification. Tout en ndcessitant une cause mate'rielle non im-

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GERM AWE CROMP

manente a l'intellect, i.e. le phantasme, la production de laforme qui exprime la quiddite" depend formellement de l'intellectagent. Le phantasme mesure seulement 1'intelligibilite' de Pespeceintelligible.

A son tour la forme congue par l'intellect possible actue", i.e.le verbe, depend done pour sa specification de l'espece intelligiblecomme acte de l'intellect possible.

IMMANENCE ET OPERATION1 DE CONNAISSANCE

Comment maintenant, pour saint Thomas, joue l'immanencedans cette relation entre l'agent, l'objet, la forme de l'opdration?

Dicendum quod actio quae transit in aliquid extrinsecum, est realitermedia inter agens et subiectum recipiens actionem. Sed actio quaemanet in agente, non est realiter medium inter agens et obiectum, sedsecundum modum significandi tantum; realiter vero consequiturunionem obiecti cum agente. Ex hoc enim quod intellectum fit unumcum intelligente, consequitur intelligere quasi quidam effectus diffe-rens ab utroque.*

(la, q. 54, a. i, ad 3)

L'action transitoire est "media" entre l'agent et l'objet. Maisl'action immanente qui demeure dans l'agent suit l'union del'objet avec l'agent. Ainsi sentir, intelliger, deviennent comme uneffet different de l'objet et de l'agent. L'information que s'estdonnee la puissance n'est pas l'acte de connaissance, elle en est leprincipe. L'acte cognoscitif est done d^tache" d'une certaine fac,onde la puissance. L'immanence en un sens se maintient car l'ope"-ration s'efFectue dans le sujet connaissant. Le sentir, l'intelligerne sortent pas de l'agent pour agir dans un objet extdrieur:l'acte demeure dans l'agent. Done et l'information et l'acte deconnaissance se terminent au sujet. Dans l'information, l'imma-nence est telle que le sens en acte devient le sensible en acte, quel'intellect en acte devient l'intelligible en acte dans une relationanalogue a celle de l'acte et de la puissance. L'acte qui en d^coule,la connaissance, devient un repos.

4 Cf. la, q. 37, a. 1, ad 2; q. 14, a. 4, ad 1; q. 56, a. 1, ad 3; la, q. 55, a. 1,ad 2; q. 34, a. 1, ad 2; la, q. 81, a. 1, c ; C. G., L. II, c. 50; c. 82; la, q. 38,a. 1, c. In De an., L. I, lect. X, n. 160; De Pot., q. 10, a. 1, c.

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IMMANENCE ET APPREHENSION CHEZ SAINT THOMAS

IMMANENCE ET PERFECTION

Dicendum quod sicut dicitur in IX Metaph., duplex est actio: una,quae transit in exteriorem materiam, ut calefacere et secare; alia,quae manet in agente, ut intelligere, sentire et velle. Quarum haec estdifferentia, quia prima actio non est perfectio agentis quod movet,sed ipsius moti; secunda autem actio est perfectio agentis.5

(la, q. 18, a. 3, ad 1).

Cette inte'riorite' du principe, de la forme, de 1'ope'ration sere"soud dans la perfection meme du connaissant. L'acte transitoirea pour effet une modification de l'objet exterieur. L'acte imma-nent est perfection de l'agent meme. La connaissance ainsi estperfection du sujet a la maniere de 1' "esse" qui est perfection deP "ens" en acte. Comme P "esse" est subsequent a la forme,P "intelligere" est subsequent a I'espece intelligible. C'est par laforme que l'etre est en acte, c'est par la forme que P "intelligere"se produit. C'est pourquoi 1'ope'ration intellectuelle, nous lere'pe'tons, s'assimile beaucoup plus a un repos qu'a un mouve-ment. Le mouvement s'avere l'acte du mobile. Analogiquement,l'on peut dire, le sentir, Pintelliger sont l'acte du connaissant. Maisle mouvement se montre l'acte d'un imparfait, i.e. d'un etreexistant en puissance, tandis que la sensation, Pintellection sontl'acte d'un etre deja parfait dans l'existence. Le connaissantdevient 1'autre: aucune destruction, deterioration ne s'est pro-duite ni du cote de l'agent, ni du cote de l'objet. Tout est dePordre de l'enrichissement pour le sujet connaissant.

CONCLUSION

L'immanence n'est pas absolue dans la connaissance. DansPhomme, la puissance est distincte de l'essence; l'acte, de lapuissance; le produit, de l'acte. Dans Pabsolu seulement l'acted'intelliger s'identifie a l'essence et l'objet a l'acte. Chez l'homme,dans le sens, l'acte de connaitre suit l'information comme distinctde la puissance. Dans l'intelligence, Pintellect agent produit uneespece qui se realise dans Pintellect possible. A l'union de I'espece

6 Cf. la, q. 14, a. 2, ad 2; q. 14, a. 4, c ; q. 58, a. 1, ad 1; q. 54, a. 2, c ;la Ilae, q. 35, a. 5, c.; In De An., L. II, lect. XI.

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GERM AWE CROMP

et de l'intellect possible suit un acte d'intelliger distinct de cesprincipes, et a cet acte d'intelliger suit la formation d'un verbeencore distinct de l'acte.

Cette multiplicity s'accomplit a l'intdrieur meme du sujetconnaissant. C'est l'homme unique qui pense, qui sent, par soname, celle-ci agit par des puissances, celles-ci operent par desactes distincts, ceux-ci produisent des formes distinctes d'eux. \Et la puissance et l'opdration et l'instrument et le produit sontintdrieurs a 1'homme et le tout se termine par la perfection de -l'homme. Mais meme vis-a-vis de 1'homme totalement conside're', il'immanence n'est pas absolue a cause du point de depart qui vient Idirectement du sensible: les similitudes de la qualite", de la quan- jtite". 1

Cependant les intentions de ces qualite"s, de ces quantitds qui \reconstituent la synthese sensible de l'objet: les intentions plusprofondes qui servent a l'action, qui rejoignent le passd, lesintentions qui se jouent a travers ces syntheses diverses pour consti-tuer un singulier comme un particulier au sein du ge"ne"ral etdisposer ainsi a l'abstraction de la quiddite", tout ceci est du a1'activity meme des puissances intdrieures pour se terminer a laperfection du sujet connaissant.

Nous pourrions poursuivre: l'immanence parait encore nonseulement dans le jugement qui fait rejoindre l'universel appre"-hende" au sensible, mais meme dans les jugements qui sont auprincipe de toute la connaissance. Us ne sont pas immanents dansce sens que l'homme se les donne comme il veut. II sont d'unecertaine maniere inne"s: c'est la nature qui est le garant de cesprincipes, mais ils sont immanents dans ce sens que c'est la lumierememe de l'intellect agent qui fait ressortir le lien qui joint les deuxtermes appreliende"s: tout-partie, par exemple; il en est ainsi duraisonnement. C'est la lumiere inteYieure a l'homme qui permet,a partir de deux jugements explicites, de tirer un jugement impli-cite a la comparaison. Ainsi toute la connaissance est marque'echez saint Thomas du sceau de l'immanence. Nous n'avons vouluretenir ici que l'immanence de Pappre"hension.

Est-ce a dire que cette philosophic est cre'atrice de son objet?II ne faut pas Poublier, les formes du monde sensible pour saintThomas existent a l'extdrieur, ce sont ces formes que, par les

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IMMANENCE ET APPREHENSION CHEZ SAINT THOMAS

formes interieures, le sens atteint. La quidditd de la chose existedans la re'alite', mais non sous un mode assimilable a l'intellect;il faut lui preter un nouveau mode pour qu'elle soit proportion-ne'e a la puissance. La re"alitd extdrieure existe, c'est elle que lapuissance atteint, mais le moyen pour l'atteindre, les formesassimile'es, relevent, comme nous 1'avons vu, en grande partiede Pinte'rieur de l'homme. L'infini n'est done pas donne" par lesens lui-meme. Si l'intellect en a l'ide'e, c'est que, de par sa proprevitality, il prolonge l'apprdhension. Cette tendance vers l'infinifait done partie intdgrante de sa nature; il ne comprend pas l'infinide l'etre, cependant il communie a cette rdalite' qui le ddpassemais qui le pdnetre aussi. II n'atteint pas Pabsolu en lui-mememais par une force inte'rieure, il prolonge les ndcessite's relativesjusqu'a la vision de son existence et jusqu'a l'approche de sonessence. L'etre est un: tous les rayonnements d'etres s'appellentles uns les autres, s'identifient les uns aux autres dans un retourvers le Foyer qui en est la source. L'homme spiritualise la matiereen l'humanisant, le monde de la matiere prete les similitudes deses formes a l'esprit pour l'aider a e'tablir des structures fermes atoute 1'architecture immanente de sa connaissance. L'ame agitcomme si elle reconnaissait dans le monde un etre qui palpite dumeme mouvement d'existence qu'elle-meme. De meme que par lamanifestation sensible, je peux atteindre a l'intdrioritd subjectivede l'autre, ainsi par les manifestations sensibles de l'etre exterieur,je peux atteindre ce qui en est l'intimite" profonde.

GERMAINE CROMP

University de Montreal

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