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La construction du processus collaboratif dans une démarche d’intelligence économique et de stimulation de l’innovation Un environnement porteur de désordre Depuis la nuit des temps, l’ancrage culturel de nos sociétés impose son implacable logique qui veut que l’union fasse la force. L’entreprise est aujourd’hui immergée dans un environnement plus porteur de désordre (certains diront d’opportunités) qu’auparavant : l’ouverture des échanges qui engendre une concurrence accrue, le développement des normes et réglementations, la crise du système financier, le passage à une économie post-industrielle. Confrontée à ces perturbations, l’organisation productive tend à devenir «l’entreprise agile », une entreprise engagée dans l’économie de la connaissance, qui s’organise pour anticiper et s’adapter aux nouveaux enjeux, soit une organisation intelligente à la recherche de nouveaux relais de croissance. Conséquence sur les organisations Or, la connaissance n’est pas le fait d’un individu, d’un service ou encore d’une direction dans l’entreprise. Elle est diluée dans les strates diverses de l’organisation, qu’elles soient hiérarchiques ou fonctionnelles. On dira, de façon plus prosaïque, que les entreprises sont soumises de façon croissante à des contraintes de rentabilité pour faire face à un environnement concurrentiel plus tendu. Pour y faire face, elles se sont engagées à optimiser les ressources internes et pour ce faire, le développement des pratiques collaboratives est devenu l’un des enjeux majeurs de l’organisation. Érigée comme nouveau mode de management, l’organisation productive réfléchit à la gestion collaborative comme une réponse qui impacte son environnement proche (son écosystème), soit ce qu’il est communément appelé l’entreprise étendue, qui regroupe les clients, les fournisseurs et les sous-traitants. Surcharge informationnelle Il s’agit aussi de repositionner l’entreprise dans la dynamique de l’écosystème informationnel actuel, qui se caractérise par une accélération du cycle de l’information, l’ubiquité étendue, l’hyperconnectivité des acteurs de l’organisation. Or, une des conséquences directes revient à faire état de ce phénomène de plus en plus prégnant dans l’organisation – de surcharge informationnelle. La mise en place de plates-formes collaboratives ne vise ni plus ni moins qu’à optimiser cette productivité informationnelle. En d’autres termes, la technologie ne crée pas l’usage et la pratique collaborative. Elle accompagne l’organisation en automatisant le processus d’échange, de stockage des données, de maillage des savoirs et de production de livrables. Et puisque l’intelligence économique consiste, entre autres, à détecter les signaux faibles pour aller lire dans les points aveugles de l’organisation, il est déterminant aujourd’hui de prévoir les processus qui vont permettre d’effectuer une lecture et une analyse qui engagent un groupe et non plus des individus isolés. Donner du sens à une information, c’est être en capacité de croiser les diverses données disponibles remontées des capteurs humains et autres de l’organisation. Nonobstant, l’information stratégique ne prend sens que parce qu’elle est partagée. Le sens vient de l’interprétation qui est faite de cette information. Dès lors, il n’est pas vain de s’interroger sur les facteurs de réussite d’une démarche de mise en synergie des intelligences individuelles qui composent cette organisation dédiée à la production de valeur. I - DÉFINITION ET CADRAGE DE LA PROBLÉMATIQUE Qu’est-ce que l’intelligence collective ? On dira qu’elle consiste à agréger les capacités cognitives d’une communauté résultant des interactions entre ses membres en vue de (co)produire un état de la connaissance supérieur à celui produit par chaque membre. Cette définition permet de dresser l’univers sémantique du concept, où il est fait état de connaissances, de communautés, d’interactions et au final de valeur ajoutée. Elle impose aussi la nécessité de décorréler la notion de pratiques collaboratives et de plates-formes technologiques. Il est, en effet, notoire de relever la confusion régulièrement faite entre la pratique collaborative et les technologies de l’information. Le développement croissant des réseaux sociaux entretient cette idée que travail collaboratif et plates-formes numériques se confondent. Ce faisant, c’est négliger la plupart des préalables nécessaires à l’émergence du fait collaboratif, soit © Ludovic Bour - septembre 2010 - http://www.wmaker.net/lamachineacafe/

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La construction du processus collaboratif dans une démarche d’intelligence économique et de stimulation de l’innovation

Un environnement porteur de désordre –

Depuis la nuit des temps, l’ancrage culturel de nos sociétés impose son implacable logique qui veut que l’union fasse la force.

L’entreprise est aujourd’hui immergée dans un environnement plus porteur de désordre (certains diront d’opportunités) qu’auparavant : l’ouverture des échanges qui engendre une concurrence accrue, le développement des normes et réglementations, la crise du système financier, le passage à une économie post-industrielle. Confrontée à ces perturbations, l’organisation productive tend à devenir «l’entreprise agile », une entreprise engagée dans l’économie de la connaissance, qui s’organise pour anticiper et s’adapter aux nouveaux enjeux, soit une organisation intelligente à la recherche de nouveaux relais de croissance.

Conséquence sur les organisations – Or, la

connaissance n’est pas le fait d’un individu, d’un service ou encore d’une direction dans l’entreprise. Elle est diluée dans les strates diverses de l’organisation, qu’elles soient hiérarchiques ou fonctionnelles.

On dira, de façon plus prosaïque, que les entreprises sont soumises de façon croissante à des contraintes de rentabilité pour faire face à un environnement concurrentiel plus tendu. Pour y faire face, elles se sont engagées à optimiser les ressources internes et pour ce faire, le développement des pratiques collaboratives est devenu l’un des enjeux majeurs de l’organisation. Érigée comme nouveau mode de management, l’organisation productive réfléchit à la gestion collaborative comme une réponse qui impacte son environnement proche (son écosystème), soit ce qu’il est communément appelé l’entreprise étendue, qui regroupe les clients, les fournisseurs et les sous-traitants.

Surcharge informationnelle – Il s’agit aussi de

repositionner l’entreprise dans la dynamique de l’écosystème informationnel actuel, qui se caractérise par une accélération du cycle de l’information, l’ubiquité étendue, l’hyperconnectivité des acteurs de l’organisation. Or, une des conséquences directes revient à faire état de ce phénomène – de plus en plus prégnant dans l’organisation – de surcharge informationnelle. La mise en place de plates-formes collaboratives

ne vise ni plus ni moins qu’à optimiser cette productivité informationnelle. En d’autres termes, la technologie ne crée pas l’usage et la pratique collaborative. Elle accompagne l’organisation en automatisant le processus d’échange, de stockage des données, de maillage des savoirs et de production de livrables. Et puisque l’intelligence économique consiste, entre autres, à détecter les signaux faibles pour aller lire dans les points aveugles de l’organisation, il est déterminant aujourd’hui de prévoir les processus qui vont

permettre d’effectuer une lecture et une analyse qui engagent un groupe et non plus des individus isolés. Donner du sens à une information, c’est être en capacité de croiser les diverses données disponibles remontées des capteurs humains et autres de l’organisation. Nonobstant, l’information stratégique ne prend sens que parce qu’elle est partagée. Le sens vient de l’interprétation qui est faite de cette information.

Dès lors, il n’est pas vain de s’interroger sur les facteurs de réussite d’une démarche de mise en synergie des intelligences individuelles qui composent cette organisation dédiée à la production de valeur.

I - DÉFINITION ET CADRAGE DE LA PROBLÉMATIQUE

Qu’est-ce que l’intelligence collective ? – On

dira qu’elle consiste à agréger les capacités cognitives d’une communauté résultant des interactions entre ses membres en vue de (co)produire un état de la connaissance supérieur à celui produit par chaque membre.

Cette définition permet de dresser l’univers sémantique du concept, où il est fait état de connaissances, de communautés, d’interactions et au final de valeur ajoutée. Elle impose aussi la nécessité de décorréler la notion de pratiques collaboratives et de plates-formes technologiques. Il est, en effet, notoire de relever la confusion régulièrement faite entre la pratique collaborative et les technologies de l’information. Le développement croissant des réseaux sociaux entretient cette idée que travail collaboratif et plates-formes numériques se confondent. Ce faisant, c’est négliger la plupart des préalables nécessaires à l’émergence du fait collaboratif, soit

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les méthodes pour parvenir à la construction d’un environnement favorable à l’éclosion de l’intelligence collective. C’est surtout s’élever contre le sens commun qui tend à faire croire que l’outil crée – systématiquement – l’usage !

Objectif de management – Donc l’intelligence collective ne se réduit pas à l’appréciation d’outils plus ou moins sophistiqués. Pas plus qu’elle ne se fond dans un cahier des charges universel qui fixe les règles de réussite du projet collectif. L’intelligence collective est inscrite dans un processus global qui impacte le mode d’organisation de l’entreprise. Elle doit être portée par un objectif de management.

Intention du projet collaboratif – On peut dès

lors s’interroger sur l’intention du projet collaboratif. Pour quoi faire ?

L’observation des faits dans un environnement économique en mutation laisse apparaître deux versions. L’une officielle : il s’agit d’améliorer la performance globale de l’entreprise. Sous cou- vert de productivité accrue, il s’agit d’optimiser certaines tâches jugées à faible valeur ajoutée comme la collecte d’informations pour concentrer davantage l’effort sur l’analyse. L’autre officieuse : il s’agit d’en faire le moteur de changement de l’organisation pour qu’elle s’adapte au mieux à son nouvel environnement ou bien qu’elle anticipe les enjeux futurs qui pèsent sur son environnement.

À ces deux versions régulièrement avancées par les dirigeants d’entreprises, on peut – dans une période récente – envisager une troisième motivation qui ne se révèle pas spontanément, mais qui émerge dans l’échelle des préoccupations de ces dirigeants comme un enjeu subliminal. Cette motivation repose sur l’impérative nécessité d’organiser le transfert des connaissances entre les générations pour assurer la pérennité des organisations.

On verra en fin d’analyse qu’une nouvelle voie semble se dessiner pour justifier du développement de la pratique collaborative notamment en environnement ouvert : celle de la stimulation de la créativité au niveau des groupes. C’est ainsi avancer l’idée que la confrontation des intelligences individuelles hisse le groupe à un niveau de créativité supérieur.

Élargir la réflexion à son écosystème – Pour

résumer, avant toute approche technologique qui vise à envisager l’intelligence collective en termes de systèmes d’information, il convient de penser l’organisation dans son ensemble et d’élargir la réflexion à son écosystème. Ce qui revient à

appréhender sa culture, ses « rites » en matière de communication, son organigramme, son mode de fonctionnement pour la gestion de projets, ses sphères de compétences, ainsi que la nature de ses relations avec son environnement direct constitué des clients, concurrents, fournisseurs, sous-traitants, donneurs d’ordre, etc.

Définir les étapes d’un projet – Le monde de

l’entreprise est pavé de bonnes intentions toutes dédiées au développement des pratiques collaboratives. Il l’est tout autant de constats d’échec et de désillusions pour ne pas avoir su organiser, stimuler et entretenir cette dynamique. Il s’avère donc primordial de définir et d’identifier les étapes d’un projet réussi et de tenir pour postulat que le résultat de la production initiée dans le cadre d’une intelligence collective doit être supérieur à celui obtenu en additionnant les intelligences individuelles concernées.

Chaînage des actions – Dès lors, il est utile de

circonscrire l’analyse au chaînage des actions nécessaires à la réalisation du projet collectif :

–la validation de l’objectif commun, sans quoi le groupe ne peut être guidé vers sa réalisation ; –la recherche de l’adhésion de chacun ; l’acceptation est le requis qui dresse la voie vers l’objectif assigné au groupe ; –la définition des rôles individuels passe par un balisage précis des forces en présence ; –la définition des axes de surveillance à déployer et l’identification des sources d’information ; –l’organisation des flux d’information pour le partage, le traitement, l’analyse et la prise de décision ; –l’optimisation de l’analyse et la stimulation de la créativité du groupe ; –la résolution des problèmes susceptibles d’inter- venir dans l’avancement du projet collectif ; –l’apport de l’ensemble des paramètres de l’analyse au décideur.

L’ensemble de ces séquences s’inscrit dans une organisation dédiée et préparée à l’exercice collectif, ce qu’il faut appeler la mise en condition de l’organisation « intelligente » pour l’émergence d’un réseau de savoirs. On notera au passage que l’ensemble de ces actions ne peut être chaîné qu’à partir du moment où le collectif est porté par la nécessité de parvenir à un consensus fort à chaque étape du projet. Ce projet collaboratif ne saurait se limiter à un simple lieu d’expression des individualités. La confrontation des idées et des compétences doit permettre d’atteindre des niveaux d’acceptation successifs qui font que l’ensemble est porté vers un objectif final.

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II - L’ORGANISATION « INTELLIGENTE »

Vécu de l’organisation – L’organisation «

intelligente » ne saurait se limiter à la représentation d’une construction abstraite qui s’installerait dans un état de sustentation permanent, une sorte d’idéal d’organisation qui n’existe que dans l’esprit. L’organisation «intelligente» telle qu’il faut l’entendre part du vécu de l’organisation, sa part d’inné et d’acquis.

Culture commune – L’organisation productive

est faite d’une culture qui part d’une histoire et qui chemine entre un sens donné à son action, une vision de son développement et un objectif de croissance. Cette culture est (a priori) partagée par l’ensemble des individus qui appartiennent à l’organisation dans un système de valeurs qui marquent le sentiment d’appartenance.

Rituels de communication – L’organisation est

aussi faite de rites qui se sont installés avec le temps. Ces rites peuvent bien sûr évoluer, mais la rupture est toujours source de perturbations. Elle doit se préparer, s’organiser et être accompagnée. Les rituels de communication installés dans l’organisation concourent à la difficulté d’installer le changement en son sein. Ils consistent à organiser les codes dans la communication interpersonnelle au sein de l’entreprise. Installer des processus collaboratifs dans l’entreprise suppose ne pas perturber ces schémas de communication.

Structure hiérarchique – Toutes les entreprises

se caractérisent, par ailleurs, par une structure hiérarchique bien définie représentée dans l’organigramme. Cette structure organisationnelle dénote a priori de la capacité de l’entreprise à organiser les processus de production de produits et/ou de connaissance optimisés (l’entreprise horizontale ou organisation transverse) et les processus décisionnels qui relèvent d’une verticalité inscrite dans l’organigramme.

Projet – Comme envisagé auparavant, le

développement de l’entreprise est inscrit dans un projet qui donne un sens à son action. La stratégie apporte les éléments qui permettent de scénariser les actions planifiées en vue de remplir sa mission. Là encore, tout changement sur la feuillede route de l’organisation productive revient à agir sur l’ensemble des paramètres du projet.

Organisation apprenante – Étant entendu que

l’organisation est soumise à ses propres forces d’inertie (le poids de l’inné), l’organisation «intelligente» se définit par sa capacité (il serait d’ailleurs plus opportun de dire son agilité) à

activer l’acquisition de nouvelles compétences, de nouveaux savoirs et au final de nouveaux modes de partage.

III - LES PRÉALABLES REQUIS À L’ÉMERGENCE DU PROJET COLLABORATIF

Retours d’expérience – Communiquer sur le

retour d’expérience enregistré sur un projet de travail collaboratif est toujours un acte délicat. L’entreprise doit faire montre de sa capacité à activer ses ressources internes. Elle mène ce faisant un exercice introspectif sur son organisation. Il est toujours difficile de mener ce type d’exercice pour le rendre public. Le peu de retours d’expérience sur le sujet impose une stature où la prudence l’emporte sur l’énoncé de principes qu’il reste à valider. Les facteurs-clés de succès de tels projets sont bien sûr très dépendants de l’environnement dans lequel se situe l’organisation «intelligente» ; on peut cependant émettre quelques éléments de bon

sens qui sont nécessaires à l’émergence du fait

collaboratif. Au titre de ces éléments, on peut penser que certaines conditions s’imposent a minima pour atteindre un niveau de collaboration satisfaisant. Facteurs de succès – Parmi ces items, on retiendra :

–un objectif clair et atteignable ; –la construction d’une vision commune ; –la définition d’un début et d’une fin de mandat au collectif. De ce point de vue, la démarche s’apparente à la gestion de projet ; –la constitution de l’équipe à partir des compé- tences diverses, ce qui impose la nécessité de disposer d’une cartographie des compétences internes ; –la définition précise des rôles (qui fait quoi ?) ; –l’élaboration des principes et règles pour l’entrée dans un projet collectif, étant entendu que tout le monde n’a pas vocation à être dans le collectif. Ce qui suppose aussi que l’organisation pense l’accompagnement des membres pour intégrer le collectif ; –la valorisation des acteurs impliqués dans le projet et la gestion de la motivation ; –l’organisation de l’apprentissage entre les membres de la communauté ; apprendre à se connaître, à communiquer ensemble ; –la capacité de l’organisation à renouveler les effectifs du collectif et donc à intégrer les nou- veaux membres ; –l’aptitude à cerner l’environnement du projet et le jeu des contraintes (conflits susceptibles

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d’émerger entre membres, droit de la propriété intellectuelle, etc.) ; –la possibilité de juger de la performance du groupe à partir d’étapes identifiées. L’analyse des performances du fait collaboratif ne sau- rait se réduire à un agrégat de données statis- tiques sur l’utilisation d’outils et de plates- formes dédiés.

On l’aura compris, les organisations ne sont pas naturellement prédisposées à fonctionner en mode collaboratif. Il s’agit d’organiser le collectif de telle façon que les comportements individuels (les savoir-être) soient stimulés pour créer un effet positif pour atteindre un nouvel équilibre, soit un delta plus par rapport à l’équilibre antérieur. L’intérêt commun ne saurait se substituer à l’intérêt de chacune des parties, ce qui impose à l’exercice un impératif de clarification des objectifs et de valorisation continue des compétences impliquées dans le projet.

risques de surcharge informationnelle. Il ne s’agit plus dès lors d’apporter l’information, mais de mettre le collectif en position de déterminer ses besoins informationnels. L’animateur agit comme un facilitateur pour porter la vision du groupe et lui permettre d’atteindre ce niveau supérieur de connaissance compte tenu des enjeux. Il modère le collectif en définissant et explicitant les règles de la contribution de chaque partie sans toute- fois nuire à la spontanéité des échanges.

Véritable coach au service du collectif, il stimule les capacités d’adaptation du groupe, voire favorise ses capacités d’anticipation pour faire que le collectif transcende les énergies individuelles.

Liste des tâches du « community manager » – Son action recouvre l’ensemble des tâches qui ont permettre d’impulser la dynamique de groupe :

–organiser les processus en termes de flux d’information, de production et de capitalisa- tion des savoirs ; –amener l’ensemble des individualités à accepter ces règles et les responsabiliser sur les tâches définies. Il ne s’agit pas là de se substituer à la hiérarchie qui prévaut dans chaque organisa- tion, mais de jouer sur les facteurs qui permet- tent de lier responsabilisation et valorisation ; –être le gardien de l’objectif du groupe tout en portant la mémoire de l’ensemble ; –révéler les enjeux en fonction de l’avancement du projet collectif et identifier les écueils ; –stimuler la communauté pour la recherche de l’information utile et faire que fournisseurs d’information et consommateurs interagissent ; –orienter la réflexion stratégique du groupe en vue d’atteindre l’objectif initial ; –gérer l’apprentissage du collectif pour consti- tuer une mémoire commune sous la forme d’une base de connaissances pérenne ; –valoriser les compétences individuelles ; –être en capacité de recontextualiser les enjeux dans le cadre du collectif.

Rôle déterminant du « community manager » – Il est essentiel d’insister sur le rôle déterminant que joue l’animateur de la communauté. Catalyseur des énergies individuelles, il tire l’ensemble pour atteindre l’objectif défini. Il sait organiser la complémentarité des compétences qu’il a su profiler et capitaliser sur la pluridisciplinarité des forces en présence. Il est à la fois le nœud de communication de la communauté [cf. Fig. 1], l’impulseur d’une dynamique de création et l’activateur des processus automatisés qui vont permettre de fluidifier les échanges par l’intermédiaire des outils.

IV - UNE QUESTION DE MÉTHODE

Repartir des fondamentaux – Il s’agit de

replacer les méthodologies quant à l’animation des communautés de professionnels en amont de l’approche technologique, soit repartir des fondamentaux pour construire une organisation qui agrège les complémentarités des mondes physique et virtuel. L’interface homme-machine ne saurait à elle seule expliquer le fait collaboratif. « Community manager » – Considérant que le

travail collaboratif est un acte de communication en premier lieu, il y nécessité de replacer le rôle déterminant d’un acteur central dans l’écosystème de l’organisation productive : celui d’animateur. Celui que les anglo-saxons nomment plus justement le «community manager»

Rôle du «community manager» – Le

«community manager» est au centre de la démarche collaborative. Il agit comme le révélateur des capacités individuelles pour transcender le collectif ; il gère la mémoire du groupe dans le cadre de la base de connaissance qui doit assurer la pérennité du collectif ; il organise les échanges pour atteindre systématiquement le niveau de consensus nécessaire à la validation de chaque étape du projet.

Il doit faire montre d’une capacité à détecter et sourcer les informations pour permettre au groupe de les interpréter, tout comme il doit être en mesure de révéler au groupe ses besoins informationnels et de lutter de la sorte contre les

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faire accepter les règles

porter la mémoire du collectif

faire interagir les individualités

orienter la réflexion

piloter la base de connaissances

recontextualiser les enjeux

organiser les processus

responsabiliser les acteurs

stimuler la communauté

rechercher le consensus

gérer l’apprentissage du collectif

valoriser les compétences individuelles

Community manager

Fig. 1 – Rôle et missions du « community manager ».

V - LA TECHNOLOGIE, LES OUTILS AU SERVICE DE LA MÉTHODE

Origine des pratiques innovantes –

L’économie de la connaissance engage l’ensemble de la société dans un rapport particulier aux technologies de l’information. Le fait est que l’inversion des schémas classiques de diffusion des innovations dans le domaine des usages numériques apporte un éclairage nouveau à l’appréhension du fait collaboratif. En effet, les pratiques innovantes semblent aujourd’hui partir d’usages privatifs pour investir durablement les environnements professionnels.

Traiter l’information – Dresser aujourd’hui une

typologie des outils et plates-formes dédiés à la pratique collaborative en entreprise revient à définir sur la base de besoins exprimés les couvertures fonctionnelles proposées par ces solutions. En tout état de cause, ces plates-formes doivent être entendues comme une interface qui organise une suite de fonctionnalités toutes dédiées à fluidifier les flux d’information collectés, optimiser la diffusion, le traitement, l’analyse et la restitution. On retrouve explicitement l’idée que le développement de la pratique collaborative participe à l’accroissement de la productivité.

Applications en fonction de besoins spécifiques – Les fonctions proposées par ces solutions le sont sous forme de briques fonctionnelles pour répondre à un besoin précis. Elles peuvent être intégrées dans des suites logicielles. À cela, il faut ajouter des applications métiers qui répondent de par les fonctions pro- posées à des besoins métiers spécifiques.

Outils de communication – De manière générale,

on retrouve dans les plates-formes intégrées un socle de fonctions commun pour assurer la gestion des interactions entre les membres à partir d’outils dédiés à la communication, qu’elle soit de nature synchrone avec une mise en relation en temps réel tels :

–un espace Web conférence ; –une messagerie instantanée ; –une gestion de l’expertise (cartographie et identification des compétences) et de la mise en relation.

ou de nature asynchrone tels :

–une messagerie mail ; –des forums de discussion ; –une liste de diffusion.

Fonctions ajoutées aux outils – À ces outils de

communication à proprement parler, il faut y ajouter les fonctions de production, d’édition et de diffusion, telles :

–une interface de publication et d’édition partagée ; –un module de recherche pour effectuer des requêtes dans une base de connaissances ou sur le Net ; –un système d’alerte ; –un système de classement.

Nouvelles fonctionnalités ajoutées – Cependant,

l’émergence de nouvelles pratiques initiées dans un contexte non professionnel tend à innerver les applications dédiées aux entreprises. Sous le vocable « Entreprise 2.0 », on assiste à la convergence entre des outils dédiés au fait collaboratif et de nouvelles attentes en termes

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de consommation et d’usages. Sous couvert de favoriser le partage des données et le processus de co-création, coproduction, les solutions présentes sur le marché intègrent de nouvelles fonctionnalités :

–l’annotation, l’amendement et la mise en perspective avec d’autres informations, le commentaire et l’ouverture d’espaces de dis- cussion, l’adjonction de mots-clés et de des- cripteurs, soit tout processus qui concoure à l’enrichissement des contenus ; –l’émergence des connaissances tacites (le non dit) ; –le social bookmarking intégré au processus de veille collaborative ; –la classification et la catégorisation des contenus ; –la cartographie des résultats produits pour optimiser la phase d’analyse.

L’émergence et l’arrivée sur le marché du travail d’une nouvelle catégorie d’usagers : la génération Y ou « digital natives » (soit la tranche de population née au-delà de 1983 et qui est en phase d’intégrer une activité professionnelle aujourd’hui) est, en effet, en passe de modifier radicalement les organisations de par leur aptitude à être à la fois des consommateurs et des acteurs du Web qui se construit. Ces nouveaux arrivants qui ont immédiatement été immergés dans un environnement digital ont des comportements d’emblée adaptés aux usages numériques. Ils sont ce faisant déjà engagés dans un processus de socialisation (numérique) avant d’intégrer les organisations et apportent à celles-ci des modalités d’usage orientées «naturellement» vers le partage et la coproduction de contenus. C’est aussi reconnaître en cette nouvelle population la capacité de placer l’expérience comme un des éléments qui conditionne l’adoption de ces outils.

Attrait du Web. 2.0 – À ce stade de l’analyse, il est

un fait que l’émergence du fait communautaire impulsé par les applications proposées par Internet réputé collaboratif (Web 2.0) modifie quelque peu l’analyse que l’on pouvait porter sur le travail collaboratif et constitue davantage une opportunité pour l’entreprise agile qu’une menace.

Importance de l’intelligence humaine – En tout

état de cause, les plates-formes devraient permettre l’optimisation des processus de traitement des tâches supportées par la communauté, mais ne sauraient se substituer à l’intelligence humaine pour l’organisation de celles-ci. La réussite de la mise en place de ces plates-formes est souvent conditionnée à l’existence de communautés d’intérêt et de pratiques déjà présentes dans l’entreprise.

À noter Cette tendance s’inscrit dans un nouvel environne ment numérique dont le paradigme est quelque peu modifié sous l’impact du développement des réseaux et infrastructures de communication (haut débit, fibre optique), ainsi que des applications qui permettent d’accéder aux contenus. Il est un fait que l’efficacité des organisations et des individus passe désormais davantage par leur capacité à gérer les flux plutôt que des stocks. De ce nouvel environnement, les organisations se doivent de développer de nouveaux savoir-faire, voire une nouvelle agilité pour gérer le « zapping informationnel », le croisement des données, le développement de la réactivité des acteurs dans une culture du temps réel qui s’affirme durablement.

VI - LA PRATIQUE COLLABORATIVE APPLIQUÉE DANS UN ENVIRONNEMENT OUVERT

A - Descriptif d’un environnement ouvert

Définition – Si la question est de savoir comment

mettre en place une dynamique participative dans l’organisation productive, on peut aussi la poser dans le cas où cette organisation est ouverte sur son environnement ; ce à quoi il était fait référence sous le vocable d’« entreprise étendue ». L’organisation des territoires qui se construit autour des regroupements d’organisations

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Adoption des outils de communication – Tout

ceci pose avec acuité la question de l’accompagnement des individualités pour intégrer le collectif, soit l’organisation du processus d’accompagnement du changement et donc des méthodes. Cependant, force est de constater que la dynamique des organisations n’est pas inscrite dans un processus figé et prévisible. Divers facteurs viennent perturber les schémas classiques. On l’a vu précédemment avec le développement des technologies de l’information qui favorisent de nouveaux usages, celui de nouvelles pratiques numériques, de nouveaux modes de consommation de l’information, de nouvelles modalités d’accès aux contenus et qui – au final – reformatent les besoins des utilisateurs.

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productives tels les clusters, les pôles de compétitivité, si on y intègre les centres de recherche, nous invite à penser l’organisation et l’animation de communautés de pratiques à l’échelon d’un territoire, de communautés d’intérêt, de filières.

Des initiatives menées – Dans ce contexte,

nombre d’initiatives ont été menées dans un passé récent sur ces nouvelles organisations « intelligentes ». Les plus médiatiquement exposées l’ont été sur les pôles de compétitivité avec le développement de plates-formes d’échanges, voire d’intelligence économique dont les principales fonctionnalités sont orientées vers la veille, les processus d’alertes et l’analyse.

Rupture dans l’approche traditionnelle –

L’émergence du fait collaboratif sous l’impulsion des nouvelles applications réputées participatives marque aussi un point de rupture dans l’approche traditionnelle des réseaux de compétences ouverts. L’écosystème informationnel a évolué sous la conjonction de divers événements :

–l’accessibilité simplifiée aux données produites notamment dans le domaine de la recherche publique (ce thème est régulièrement repris sous l’intitulé « open access ») ; –le développement des réseaux sociaux et de l’adhésion aux communautés de pratiques et d’intérêts ; –le fait de délocaliser l’intelligence de la station de travail (l’ordinateur) vers le réseau des réseaux avec le développement des modalités d’accès aux fonctions intelligentes (le logiciel) en Web service1 ; –l’effacement progressif des sphères privées et professionnelles ; –l’accélération du cycle de l’information qui modifie le rapport à celle-ci, soit le raccourcis- sement du délai entre l’identification de la source, la capture de l’information et sa diffusion ; –l’excroissance des contenus produits par les utilisateurs (User Generated content – UGC).

(1) La littérature se réfère aujourd’hui à ce thème du transfert de l’intelligence de la machine vers le réseau sous le vocable de nuage informatique (cloud computing), soit l’espace qui accueille à la fois l’intelligence et les contenus.

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Cette évolution stimule l’émergence de nouveaux usages numériques et participe au développement des pratiques collaboratives notamment dans un environnement ouvert, au-delà des limites de l’entreprise.

B - Le secteur du numérique

Secteur en pointe – À bien des égards, il est

intéressant de faire un focus sur l’innovation ouverte appliquée au secteur du numérique pour illustrer le principe de collaboration ouverte au- delà des limites de l’organisation productive. C’est aussi l’opportunité de trouver le liant entre la pratique collaborative dans un but clairement défini et les plates-formes de coproduction. Stratégie globale – On y observe, en effet, une

porosité certaine entre les acteurs du secteur et leur environnement. Le fait est que cette industrie des services et contenus numériques est par nature ouverte sur le monde. On parlera de marché global. Il est, par conséquent, dans l’ordre naturel des choses que cette ouverture ne se limite pas exclusivement à une logique de marché. L’innovation ouverte embrasse une stratégie qui modifie l’approche classique d’intégration verticale. Elle agrège des savoirs, des compétences et des savoir-faire pour créer les conditions d’un marché nouveau. De ce marché, chaque entité contributrice doit y trouver une source de revenus qu’elle n’aurait pas été en mesure de développer seule. C’est un marché gagnant-gagnant qui installe un nouveau rapport entre les participants. Développement de nouveaux services – Il est

opportun d’observer la tendance qui se dessine dans le domaine des services Web autour des logiques recombinatoires qui prévalent avec les mashups. Le principe est de créer des applications composites par un assemblage de contenus provenant de diverses sources. Au final, de nouvelles applications et services d’information sont proposés au marché. Pour illustrer cette nouvelle tendance au développement de nouveaux services d’information, on citera le cas des sites de géolocalisation produits à partir des interfaces de programmation ouvertes (API) de Google.

Cas de l’AppStore d’Apple – Tout aussi

représentatif de la dynamique d’innovation ouverte dans le secteur du numérique est le cas de l’AppStore d’Apple ou espace de distribution des applications mobiles dédiées au marché de l’iPhone. Le principe : Apple ouvre l’accès de son centre de développement de l’iPhone aux développeurs. Ces développeurs produisent les applications susceptibles d’êtres hébergées par le terminal produit par Apple (75 000 applica- tions disponibles en septembre 2009).

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Apple organise la diffusion et la monétisation de ces applications produites par des tiers depuis son interface de distribution : l’AppStore. Les revenus générés sur les ventes réalisées sont ensuite répartis entre le distributeur et l’éditeur. On notera cependant que la collaboration se limite dans les deux cas présentés à une addition de compétences pour produire un service éventuellement monétisable. En l’occurrence, il ne s’agit pas de co-création au sens où un projet collectif est porté par des équipes. La démarche n’en reste pas moins novatrice, puisqu’il s’agit d’envisager ensemble des voies de partenariat pour amener sur le marché des services nouveaux. Dans ce sens, la collaboration est davantage le fait de rétroactions (feedback) entre les partenaires que de travail collectif à proprement parler.

Logiciel libre – Dans ce contexte d’innovation ouverte,

il est opportun de lier l’analyse de la pratique collaborative avec l’observation des faits et évolutions constatés dans le domaine du logiciel libre. En effet, il est intéressant de souligner le dynamisme des innovations dans ce secteur en insistant sur l’agilité de ces communautés à organiser la coopération autour de projets innovants. C’est reconnaître à ces communautés la capacité à lier usages et développement, à structurer l’espace de développement autour d’un système de gouvernance sur des procédures décrites et acceptées, la pérennité de ces espaces communautaires étant assurée par une description précise des tâches autour d’un centre qui veille au respect des règles communes, qui organise les discussions et échanges et gère l’apprentissage collectif. Les contributeurs y trouvent, quant à eux, les moyens de valoriser leurs compétences, de confronter le résultat de leurs travaux à la communauté et de les diffuser afin d’y trouver des voies d’amélioration. Ce processus coopératif d’innovation qui mêle usages, créativité et développements ne peut assurer sa pérennité qu’à partir du moment où son environnement est normé et balisé pour engager l’ensemble des acteurs de la communauté dans une dynamique impliquante. Après, c’est affaire de méthode…

© Ludovic Bour - septembre 2010 - http://www.wmaker.net/lamachineacafe/