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doi:10.1016/j.praneu.2011.09.002 © 2011 Publié par Elsevier Masson SAS. Pour la pratique Pratique Neurologique – FMC 2011 ; 2 : 256-263 [email protected] Correspondance S. Bombois EA1046, centre mémoire de ressources et de recherche, hôpital R.-Salengro, université Lille Nord-de-rance, rue Émile- Laine, 59037 Lille, France. Mots clés Démences Maladie d’Alzheimer Liquide céphalorachidien Peptide amyloïde Protéine tau Keywords Dementia Alzheimer disease Cerebrospinal fluid Amyloid peptide Tau protein Résumé Depuis plusieurs années, le dosage de biomarqueurs dans le liquide céphalorachidien (LCR) peut être utilisé pour le diagnostic de la maladie d’Alzheimer (MA). Le profil complet pour le diagnostic de MA est une variation significative des concentrations des biomarqueurs par rapport à celles de sujets témoins, avec une augmentation des dosages de T-tau et P-tau et une diminution d’Ab 1–42 . Les biomarqueurs du LCR reflè- tent la présence des lésions pathologiques de la maladie d’Alzheimer. Ils permettent un diagnostic fiable et précoce de la maladie, avec une sensibilité et spécificité au- delà de 80 %, valeurs qui augmentent lorsqu’elles sont associées aux marqueurs neu- ropsychologiques et d’imagerie. Pour les démences dégénératives non-Alzheimer, les biomarqueurs du LCR ne sont pas aussi performants que pour le diagnostic de la MA. Actuellement, il est nécessaire de tester d’autres marqueurs du LCR et de développer des marqueurs plasmatiques. © 2011 Publié par Elsevier Masson SAS. Summary With the emergence of disease modifier therapies, it is crucial to improve an early and accurate diagnosis for degenerative dementia. For many years, measurement of biomarkers in cerebrospinal fluid (CSF) is used in clinical practice for the diagnosis of Alzheimer’s disease (AD). Full profile for the AD diagnosis is a significant varia- tion in biomarker concentrations compared to control subjects, with higher doses of T-tau and P-tau and a decrease of Ab 1–42 . CSF biomarkers reflect the presence of Intérêt du dosage des biomarqueurs du LCR dans les démences dégénératives Interest of the right balance of the CSF biomarkers in degenerative dementia S. Bombois a,* , S. Schraen b,c , B. Sablonniere b,c , L. Buée c , F. Pasquier a a EA1046, centre mémoire de ressources et de recherche, hôpital R.-Salengro, université Lille Nord-de-France, rue Émile-Laine, 59037 Lille, France b Service de biochimie et biologie moléculaire, hôpital R.-Salengro, rue Émile-Laine, 59037 Lille, France c Inserm U837 JPArc, laboratoire de recherche, centre de recherche, Campus Lille II, université Lille Nord-de-France, CHU de Lille, 42, rue Paul-Duez, 59000 Lille, France

Intérêt du dosage des biomarqueurs du LCR dans les démences dégénératives

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Page 1: Intérêt du dosage des biomarqueurs du LCR dans les démences dégénératives

doi:10.1016/j.praneu.201© 2011 Publié par Elsevie

Pour la pratiquePratique Neurologique – FMC 2011 ; 2 : 256-263

Intérêt du dosage des biomarqueurs du LCR dans les démences dégénératives

Interest of the right balance of the CSF biomarkers in degenerative dementia

S. Bomboisa,*, S. Schraenb,c, B. Sablonniereb,c, L. Buéec, F. Pasquiera

a EA1046, centre mémoire de ressources et de recherche, hôpital R.-Salengro, université Lille Nord-de-France, rue Émile-Laine, 59037 Lille, Franceb Service de biochimie et biologie moléculaire, hôpital R.-Salengro, rue Émile-Laine, 59037 Lille, Francec Inserm U837 JPArc, laboratoire de recherche, centre de recherche, Campus Lille II, université Lille Nord-de-France, CHU de Lille, 42, rue Paul-Duez, 59000 Lille, France

[email protected]

CorrespondanceS. BomboisEA1046, centre mémoire de ressources et de recherche, hôpital R.-Salengro, université Lille Nord-de-rance, rue Émile-Laine, 59037 Lille, France.

Mots clésDémences•Maladie d’Alzheimer•Liquide céphalorachidien•Peptide amyloïde•Protéine tau•

KeywordsDementia•Alzheimer disease•Cerebrospinal fluid•Amyloid peptide•Tau protein•

RésuméDepuis plusieurs années, le dosage de biomarqueurs dans le liquide céphalorachidien (LCR) peut être utilisé pour le diagnostic de la maladie d’Alzheimer (MA). Le profil complet pour le diagnostic de MA est une variation significative des concentrations des biomarqueurs par rapport à celles de sujets témoins, avec une augmentation des dosages de T-tau et P-tau et une diminution d’Ab1–42. Les biomarqueurs du LCR reflè-tent la présence des lésions pathologiques de la maladie d’Alzheimer. Ils permettent un diagnostic fiable et précoce de la maladie, avec une sensibilité et spécificité au-delà de 80 %, valeurs qui augmentent lorsqu’elles sont associées aux marqueurs neu-ropsychologiques et d’imagerie. Pour les démences dégénératives non-Alzheimer, les biomarqueurs du LCR ne sont pas aussi performants que pour le diagnostic de la MA. Actuellement, il est nécessaire de tester d’autres marqueurs du LCR et de développer des marqueurs plasmatiques.© 2011 Publié par Elsevier Masson SAS.

SummaryWith the emergence of disease modifier therapies, it is crucial to improve an early and accurate diagnosis for degenerative dementia. For many years, measurement of biomarkers in cerebrospinal fluid (CSF) is used in clinical practice for the diagnosis of Alzheimer’s disease (AD). Full profile for the AD diagnosis is a significant varia-tion in biomarker concentrations compared to control subjects, with higher doses of T-tau and P-tau and a decrease of Ab1–42. CSF biomarkers reflect the presence of

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pathological lesions of AD. They enable a reliable and early diagnosis of the disease, with a sensitivity and specificity above 80%, values that increase when combined with clinical and imaging markers. For non-Alzheimer degenerative dementia, CSF biomar-kers are not as good as for the diagnosis of AD. Currently, it is necessary to test and develop other markers of CSF and plasma markers.© 2011 Published by Elsevier Masson SAS.

Avec l’émergence de thérapeutiques agissant directement sur les mécanismes pathologiques de maladies dégénératives, comme la maladie d’Alzheimer (MA), il est crucial d’améliorer le diagnostic de ces pathologies, en le rendant plus fiable et plus précoce. Le dosage de biomarqueurs dans le liquide céphalorachidien (LCR) est utilisé pour le diagnostic de la MA depuis plusieurs années et est désormais intégré aux critères de MA dans les protocoles de recherche (Dubois et al., 2007). Quels sont ces marqueurs biologiques ? Leur concen-tration est-elle influencée par certains fac-teurs ? Qu’elle est leur valeur diagnostique et pronostique lorsqu’ils sont associés, ou non, à d’autres marqueurs cliniques ou d’imagerie ? Est-il intéressant de doser les marqueurs du LCR pour suivre l’ef-ficacité d’une molécule thérapeutique ? Et qu’en est-il pour les autres démences dégénératives, parkinsoniennes, à corps de Lewy, ou les dégénérescences lobaires frontotemporales ?

Biomarqueurs du liquide céphalorachidien classiquement utilisés pour le diagnostic étiologique des démences dégénératives

L’utilisation d’un test diagnostique bio-logique est soumise à différents critères (Consensus report of the Working Group, 1998) :• il doit exister une relation entre le mar-

queur et la ou les lésions pathologiques de la maladie sous-jacente ;

• le biomarqueur doit être fiable, précis, reproductible ;

• et doit provenir d’un geste non invasif comme le prélèvement sanguin, ou modérément invasif comme la ponction lombaire. Un marqueur biologique idéal devrait avoir une sensibilité et une spé-cificité ≥ 80 %.Les marqueurs actuellement les plus

étudiés dans les démences sont ceux dérivant de la protéine tau et du peptide amyloïde.

Protéine tau

La protéine tau permet notamment d’as-sembler et de stabiliser les microtubules au niveau axonal. Il existe six isoformes de cette protéine, en raison de l’épissage alternatif de son ARN messager. Lors de la MA, la protéine tau est anormalement phos-phorylée et s’agrège en paires de filaments appariés pour conduire à la dégénéres-cence neurofibrillaire (DNF). Cette hyper-phosphorylation de Tau est observée dans de nombreuses pathologies dégénératives telles la démence à corps de Lewy et dans certaines dégénérescences lobaires fronto-temporales, comme la paralysie supranu-cléaire progressive. Dans le LCR, la pro-téine tau n’est pas complète et apparaît sous fragments des six isoformes de tau. Par méthode Elisa, il est possible de doser dans le LCR la majeure partie de ces frag-ments Tau total (T-tau) et Tau phosphorylée (P-tau) sur différents épitopes, comme la thréonine 181.

Protéine amyloïde

Le peptide Ab est le principal consti-tuant des plaques amyloïdes. Il provient de la coupure par des secrétases de l’amyloid precursor protein et est constitué, en fonc-tion des sites de coupure enzymatique par

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Pour la pratique S. Bombois et al.

Figure 1. Interprétation des variations maladie d’Alzheimer.

les secrétases, de 38 à 43 acides aminés. Le peptide le plus communément dosé est l’Ab1–42 mais le dosage du peptide Ab1–40 est également réalisable.

Concentrations physiologiques des biomarqueurs dans le liquide céphalorachidien

Les marqueurs T-tau, P-tau et Ab1–

42 sont présents dans le LCR de sujets témoins indiquant que la mort neuronale, la phosphorylation de tau et la voie amyloï-dogène sont des évènements qui existent à bas bruit de manière physiologique. Les concentrations des biomarqueurs du LCR dans les démences sont comparées aux valeurs des sujets témoins (Fig. 1). Ces valeurs peuvent varier selon la technique ELISA et les anticorps utilisés.

Utilisation des biomarqueurs du liquide céphalorachidien pour le diagnostic de maladie d’Alzheimer

La MA est la première cause de démence, toute étiologie confondue. Actuellement, il est possible de diagnosti-quer la maladie avant le stade de démence, au stade de mild cognitive impairment (MCI) ou MA prodromale.

des dosages des biomarqueurs du LCR dans la

Les biomarqueurs du liquide céphalorachidien sont-ils des marqueurs fiables pour le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ?

Trois marqueurs du LCR ont largement été étudiés dans la MA : T-tau, P-tau et Ab1–42. Comparativement aux concentra-tions de sujets cognitivement normaux, il existe une diminution significative de la concentration du peptide Ab1–42 et une aug-mentation significative des concentrations de T-tau et P-tau. Les valeurs seuil sont de 300–480 ng/L pour T-tau, 50–60 ng/L pour P-tau et 450–650 ng/L pour Ab1–42. Le profil de variation de ces biomarqueurs est iden-tique dans la maladie de Creutzfeld Jacob avec des valeurs de tau jusqu’à dix fois celles observées dans la MA (an Harten et al.,2011. La sensibilité et la spécificité de ces mar-queurs pour le diagnostic de la MA se situent respectivement entre 80 et 90 % et entre 90 et 95 % (Blennow et al., 2006). L’utilisation de ratio de biomarqueurs peut compléter et affiner l’interprétation des résultats du dosage des biomarqueurs. Toute fois, il n’y a pas de ratio validé. En France, l’index IATI (IATI = Ab1–42 / (240 + 1,18 [T-tau]) (Hulstaert et al., 1999) est le plus utilisé. Une valeur de l’index IATI < 0,8 et de P-tau > 60 ng/L doivent faire évoquer le diagnostic de MA.

Les concentrations des biomarqueurs sont stables au cours de l’évolution de la MA, du stade prodromal à la démence sévère. De nombreuses études ont montré que la combinaison des altérations de concentra-tion des trois biomarqueurs (T-tau, P-tau et Ab1–42) permet une prédiction diagnostique avant le stade de démence. Dans les formes cliniques atypiques de la MA (forme frontale, phasique, ou atrophie corticale postérieure), comparativement au phénotype classique avec amnésie hippocampique, il n’y pas de différence significative de concentration des biomarqueurs. De même, le profil des biomarqueurs du LCR est identique entre les patients cliniquement symptomatiques avant 60 ans et les plus âgés.

Des études autopsiques ont permis de montrer que l’augmentation de P-tau et

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Pour la pratiqueIntérêt du dosage des biomarqueurs du LCR

T-tau est corrélée à la pathologie neurofi-brillaire néocorticale et que la diminution d’Ab1–42 est corrélée aux plaques neuritiques et à l’angiopathie amyloïde (Tapiola et al., 2009).

Les biomarqueurs du liquide céphalorachidien ont-ils une valeur pronostique dans la maladie d’Alzheimer ?

L’altération des concentrations des biomarqueurs du LCR est facteur pré-dictif de progression des individus sans démence vers le MCI et des patients MCI vers la MA. L’augmentation de P-tau est fortement associée à la progression des patients MCI vers la MA, avec un risque de 80 % à 1,5 ans (Ewers et al., 2007). Le ratio P-tau181/Ab–42 serait prédicteur de déclin cognitif rapide chez les patients aMCI et Alzheimer, et prédicteur de MA chez les sujets cognitivement sains. Les patients Alzheimer qui ont des concentra-tions extrêmes des biomarqueurs du LCR ont une évolution plus péjorative, avec une progression plus rapide du déclin cognitif, l’absence de réponse aux inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et une mortalité plus élevée (Wallin et al., 2010).

Existe-t-il des corrélations entre les biomarqueurs du liquide céphalorachidien et les autres marqueurs diagnostiques de la maladie d’Alzheimer ?

Cognition

Les concentrations les plus basses d’Ab1–42 et les plus élevées de T-tau et P-tau sont associées à des performances moins bonnes en mémoire, fonctions exécutives et rapidité mentale (van der Vlies et al., 2009). L’augmentation de P-tau est le marqueur du LCR le plus corrélé au déclin cognitif, notamment mnésique.

Imagerie structurelle

L’atrophie hippocampique de patients Alzheimer semble corrélée à l’augmentation de P-tau et T-tau (de Souza et al., 2011).

Imagerie fonctionnelle

Le radiotraceur 11C Pittsburgh Compound B (PiB) couplé à l’imagerie par tomographie par émission de positons (TEP) permet d’identifier la présence de fibrilles amyloïdes. Il existe un lien entre le mar-quage cortical au PIB et la diminution de concentration d’Ab1–42 dans le LCR (Jagust et al., 2009). Mais dans les cas de MA très débutante, alors qu’il existe une diminution d’Ab1–42 dans le LCR il peut ne pas y avoir de marquage au PIB, en raison de la présence initiale de dépôts diffus sans Ab fibrillaire.

Avec l’utilisation de radiotraceur du méta-bolisme en TEP et de la perfusion en imagerie par tomographie par émission monophoto-nique, c’est essentiellement l’augmentation de T-tau et P-tau de patients Alzheimer et aMCI qui sont corrélés aux anomalies au niveau des carrefours (Habert et al., 2010). Plusieurs études ont montré que les mar-queurs du LCR et d’imagerie contribuent de façon indépendante et additive au diagnostic et pronostic du MCI et de la MA.

Utilisation des biomarqueurs du liquide céphalorachidien dans les essais thérapeutiques

Les résultats des biomarqueurs du LCR sont actuellement utilisés comme critère d’inclusion dans la plus part des essais thérapeutiques. Les variations de concen-trations au cours d’essais d’immunothé-rapie anti-Aß n’étaient pas celles attendues, soulignant l’importance de mieux définir les liens entre les lésions pathologiques de la MA et une meilleure caractérisation de leur transport et régulation dans le LCR.

Intérêt des biomarqueurs du liquide céphalorachidien dans les démences dégénératives non Alzheimer

Dans les démences dégénératives non Alzheimer, il n’y a pas un ou une combinaison de biomarqueurs du LCR qui permette un diagnostic étiologique fiable, comme dans la maladie d’Alzheimer. L’intérêt de la ponction lombaire (PL) est d’assurer un diagnostic de

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Pour la pratique S. Bombois et al.

Points essentiels

•LesbiomarqueursduLCRsontenlienaveclaprésencedes lésions pathologiques cérébrales de la MA (la dégé-nérescence neurofibrillaire constituée de protéines tau hyperphosphorylées et les plaques amyloïdes). Les biomarqueurs classiquement dosés sont T-tau, P-tau et Ab1–42.

•Leprofiltypiquedesmodificationsdelaconcentrationdes biomarqueurs du LCR en faveur du diagnostic de MA associe une augmentation des dosages de T-tau et P-tau et la diminution du dosage de l’Ab1–42.

•LesbiomarqueursduLCRcontribuentàundiagnosticfiable et précoce de la MA. Les modifications de leurs concentrations sont présentes dès le stade prodromal de la MA et restent stables au cours de l’évolution de la maladie. La diminution du dosage de l’Ab1–42 apparaît avant tout déclin cognitif.

•Ils permettent avant tout de donner des arguments pour le diagnostic de la MA.

Indications du dosage de

•Si doute diagnostic dans amnésique qui pourrait êt(vasculaire, toxique, paran

•Dans le cadre des phénotlangagières, frontale ou p

•Chez les patients jeunes•Dans les essais thérapeut

« disease modifier ».

MA alors que l’expression clinique est aty-pique ou d’orienter vers un autre diagnostic étiologique.

Synucleinopathies

Sous ce terme sont regroupées diffé-rentes maladies : la maladie de Parkinson (MP), l’atrophie multisystématisée (AMS) et la démence à corps de Lewy (DCL). Ces pathologies sont associées à un dysfonction-nement dans le métabolisme de la protéine a-synucléine. Cette protéine peut être dosée dans le LCR et il a été montré que sa concen-

s biomarqueurs du LCR :

le cadre d’un syndrome re lié à une autre pathologie éoplasique…).

ypes atypiques de la MA (formes ostérieures)

iques testant des molécules

tration était significativement abaissée dans les synucleinopathies comparativement à d’autres pathologies neurologiques avec une valeur prédictive positive de 91 % pour un seuil à 1,6 pg/mL (Mollenhauer et al., 2011). Parmis les synucleinopathies, T-tau aurait une concentration plus élevée dans la DCL (Mollenhauer et al., 2011). Pour distinguer les syndromes parkinsoniens liés à une synu-cleinopathie de syndromes parkinsoniens d’autres origines (vasculaire, hydrocéphalie à pression normale, paralysie supranu-cléaire progressive), les meilleurs prédicteurs seraient les dosages de l’a-synucléine, de tau et l’âge (Mollenhauer et al., 2011).

Démence à corps de Lewy

C’est la deuxième cause de démence dégénérative après la MA, dont elle partage des points communs cliniques et neuropa-thologiques. Comparativement aux patients Alzheimer, il a été montré des résultats dis-cordants du dosage de l’a-synucléine dans le LCR des patients DCL, avec une diminution, une augmentation ou l’absence de différence de concentration (Mukaetova-Ladinska et al., 2010). Ces différences de résultats pourraient être liées à la coexistence des lésions patho-logiques de MA et de DCL et au fait que la concentration de l’a-synucléine pourrait dimi-nuer avec la durée de la DCL. Le dosage des protéines P-tau181 serait significativement plus élevée dans la MA comparativement à la DCL (Mukaetova-Ladinska et al., 2010) mais ce marqueur était insuffisant pour discriminer les deux maladies, avec une sensibilité de 75 % et une spécificité de 61 % (Koopman et al., 2009). Certaines études trouvent une concentration de T-tau dans le LCR non dif-férente entre les patients DCL et MA, alors que d’autres études ont mis en évidence une concentration de T-tau significativement plus faible chez les patients DCL. Pour le peptide Ab1–42, dans la DCL il existe une diminution significative de sa concentration comparati-vement à des sujets témoins, comme dans la MA. Le peptide Ab1–40 est significativement plus abaissé dans la DCL que dans la MA et le ratio Ab1–42/Ab1–40 permettrait de mieux discriminer les patients DCL des patients MA que la seule concentration du peptide amy-

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Pour la pratiqueIntérêt du dosage des biomarqueurs du LCR

Conditions préanalytiques :

D’après le groupe de travail de la Société française de biologie clinique (SFBC) et le rapport du projet européen cNEUPRO portant sur les biomarqueurs de la MA (LSHM-CT-2007-037950, 2007–2010), certaines conditions sont essentielles à respecter car elles garantissent la qualité des résultats et donc la fiabilité de l’interprétation des dosages des biomarqueurs. Il n’y a pas encore de consensus publié à un niveau national ou international. Les recommandations du groupe de travail de la SFBC (JIB, 5–7 novembre 2008, Paris, France) et du rapport du projet européen cNEUPRO sont les suivantes :

•Recueil : Ponction lombaire au niveau L3/L4 ou L4/L5, avec une

aiguille la moins traumatique Prélever 3–5 mL de LCR dans un tube de polypropylène Conserver entre 4 °C et 20 °C

Il n’y a pas de recommandation particulière sur l’horaire de la ponction lombaire.

•Prétraitement : À réaliser de préférence dans les quatre heures après la

ponction lombaire, Eliminer les échantillons de LCR contenant plus de

500 globules rouges/ml Homogénéiser soigneusement pour éviter tout effet

gradient de concentration Centrifuger pour éliminer cellules et autre matériel

insoluble (dix minutes entre 1000 et 2500 × g, de préférence à 4 °C)

Aliquoter un volume de LCR en tubes de polypropylène appropriés en évitant de laisser trop d’espace vide dans le tube : par ex. 400 mL de LCR dans un tube de contenance 500 mL

Conserver les aliquots impérativement à −80 °C.

loïde (Spies et al., 2010). Les ratios Ab1–42/Ab1–38 et Ab1–42/Ab1–37 en combinaison avec le dosage de T-tau, ont montré une sensibilité de 100 % et une spécificité de 92 % pour dif-férentier MA et DCL (Bibl et al., 2006). Ainsi, la combinaison de marqueurs et de ratio serait plus intéressant que les marqueurs seuls pour différentier DCL et MA. Par ailleurs, l’analyse des dimères et oligomères de l’a-synucléine pourrait permettre un meilleur diagnostic dif-férentiel des synucléinopathies.

Démence parkinsonienne

Il peut être difficile de distinguer clinique-ment un patient ayant une DCL d’un patient ayant une démence parkinsonienne. La dis-tinction porte actuellement sur le fait que pour le diagnostic de démence parkinsonienne, le syndrome parkinsonien doit être apparu au moins un an avant le syndrome démentiel. Il existe probablement un continuum physio-pathologique entre ces deux entités. Il a été rapporté dans la DCL comparativement à la démence parkinsonienne des modifications significatives avec une augmentation de T-tau et une diminution d’Ab1–42 (Andersson et al., 2011). L’association de T-tau et Ab1–42 serait plus discriminante qu’un seul marqueur. Chez des patients avec maladie de parkinson sans démence, il existait une réduction significa-tive des concentrations d’Ab1–42, Ab1–40 et Ab1–38 comparativement à des témoins et ces réductions de dosage d’Ab étaient associées a un déficit en mémoire (Alves et al., 2010). Dans cette étude, la réduction d’Ab1–42 était significativement moins mar-quée chez les patients Parkinsoniens que chez les Alzheimer. De plus, les patients par-kinsoniens non déments ont des dosages d’Ab1–42 intermédiaires entre ceux de sujets témoins et de patients avec une démence parkinsonienne, suggérant une aggravation de la pathologie amyloïde avec l’accentuation des troubles cognitifs. Ainsi, une altération du métabolisme du peptide Ab pourrait être présente dès les stades débutants de la maladie de Parkinson. Ces altérations pour-raient contribuer à l’hétérogénéité du profil cognitif et à l’évolution du déficit cognitif lors de la maladie de Parkinson.

Dégénérescences lobaires fronto-temporales (DLFT)

Les DLFT regroupent plusieurs syn-dromes cliniques : le variant comportemental (DFT), l’aphasie progressive primaire avec l’aphasie progressive primaire non fluente (APNF), la démence sémantique (DS) et l’aphasie progressive logopénique (APLP). De plus, il existe deux entités regroupant une association syndromique : l’association avec une sclérose latérale amyotrophique ou un syndrome parkinsonien comme le syndrome

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Pour la pratique S. Bombois et al.

de dégénérescence corticobasal (DCB) et la paralysie supranucléaire progressive (PSP). Trois types majoritaires de lésions patholo-giques sous tendent les DLFT : DLFT-tau, DLFT-TDP et DLFT-FUS.

Du fait de l’hétérogénéité anatomopa-thologique, seules les études de corrélations basées sur des diagnostics de certitude peu-vent être informatives alors que les études cliniques sont nécessairement discordantes. Une étude autopsique a montré que les patients avec un diagnostic certain de DLFT (tau-négatif ou tau-positif) avaient des concentrations de chacun des biomarqueurs qui ne différaient pas de façon significative de celles des sujets témoins (Bian et al., 2008). Dans certains cas, la MA peut avoir un phénotype clinique atypique pouvant correspondre à un variant comportemental de DLFT, une aphasie progressive primaire, un syndrome de DCB. Ainsi, le dosage des biomarqueurs du LCR est indiqué lorsqu’un diagnostic de DLFT est suspecté, dans le seul but de réfuter une MA (Piguet et al., 2011 ; Gorno-Tempini et al., 2011).

Conclusion et perspectives

À l’heure actuelle, les dosages d’Ab1–42, T-tau et P-tau dans le LCR contribuent au diagnostic précoce de la MA avec une bonne sensibilité et spécificité. Il s’agit d’un outil diagnostique qui ne doit pas être utilisé seul mais en corrélation avec les données clini-ques et d’imagerie. Ces marqueurs sont d’in-terprétation plus délicate dans les démences non-Alzheimer et ne reflètent pas toujours les lésions pathologiques sous tendant la démence. Ces limites contribuent à déve-lopper la recherche de nouvelles techniques de dosage et de nouveaux biomarqueurs dans le LCR. Par ailleurs, la ponction lombaire est une technique peu applicable à grande échelle, ainsi des biomarqueurs plasmatiques pourraient être une alternative.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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