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BUREAU CONJOINT DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L’HOMME
HCDH - MONUSCO
Rapport public sur les conflits en territoire de Djugu, province de l’Ituri
Décembre 2017 à septembre 2019
Janvier 2020
2
Table des Matières
Résumé ............................................................................................................................................ 4
Introduction ..................................................................................................................................... 6
I. Méthodologie et difficultés rencontrées .................................................................................. 6
II. Contexte ................................................................................................................................... 7
A. Origine des tensions entre communautés Hema et Lendu dans la province de l’Ituri ......... 7
B. Première vague de violences : affrontements intercommunautaires
(décembre 2017 – mai 2018) ............................................................................................... 9
C. Deuxième vague de violences : Attaques contre les forces gouvernementales
(septembre 2018 - mai 2019) ............................................................................................. 11
D. Troisième vague de violences (à partir de juin 2019) ........................................................ 12
E. Auteurs présumés ............................................................................................................... 15
i) Organisation et mode opératoire des assaillants Lendu ................................................ 15
ii) Forces étatiques .............................................................................................................. 17
III. Cadre juridique................................................................................................................... 17
IV. Violations des droits de l’homme ...................................................................................... 19
A. Violations des droits de l’homme par les FARDC et la PNC ............................................ 20
B. Atteintes aux droits de l’homme commises par des assaillants présumés Lendu .............. 21
C. Crimes internationaux ........................................................................................................ 23
D. Déplacement des populations ........................................................................................... 24
V. Réponses des autorités et de la MONUSCO ......................................................................... 25
A. Déploiement des forces de défenses et de sécurité ............................................................ 25
B. Les initiatives de réconciliation intercommunautaires ...................................................... 25
C. Actions de lutte contre l’impunité...................................................................................... 25
D. Réponse de la MONUSCO ................................................................................................ 26
VI. Conclusions et recommandations ...................................................................................... 27
3
Liste des acronymes :
AMG Auditorat militaire général
BCNUDH Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme
FARDC Forces armées de la République démocratique du Congo
MONUSCO Mission de l’organisation des Nations Unies pour la stabilisation en
République démocratique du Congo
OCHA Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies
PNC Police nationale congolaise
HCR Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
SCD Static Combat Deployment
UNPOL Police des Nations Unies
4
Résumé
Depuis décembre 2017, la province de l’Ituri, et plus spécifiquement le territoire de Djugu, est
affectée par des violences de grande ampleur ainsi que des violations et atteintes aux droits de
l’homme commises dans un contexte de tensions interethniques entre les communautés Lendu et
Hema notamment, et qui ont occasionné plusieurs centaines de victimes ainsi que des
déplacements massifs de population.
Plusieurs enquêtes menées par le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme
(BCNUDH) ont permis d’établir que, de décembre 2017 à septembre 2019, au moins 701
personnes ont été tuées, 168 autres blessées et 142 personnes ont été victimes de violences
sexuelles dans ce contexte. De plus, le BCNUDH a documenté au moins 218 cas d’extorsion, de
pillage et/ou de destruction de maisons, écoles et centres de santé dans différents villages du
territoire de Djugu qui ont également affecté le territoire voisin de Mahagi.
Parmi les victimes, un grand nombre a été tué ou blessé lors d’attaques menées par des groupes de
personnes armées présumées appartenir à la communauté Lendu contre diverses localités habitées
par les Hema dans le territoire de Djugu. Les corps de nombreuses victimes ont été mutilés et
certains démembrés et emportés par les assaillants. Ces attaques semblent avoir été planifiées et
organisées dans le but d’infliger des pertes graves et un traumatisme à long terme aux membres de
la communauté Hema vivant dans le territoire de Djugu afin de les empêcher de retourner dans
leurs villages et de pouvoir ainsi prendre le contrôle de leurs terres. L’un des enjeux majeurs du
conflit est en effet le contrôle des terres par les Lendu.
Si ces attaques ont été initialement perpétrées par des membres de la communauté Lendu dans le
cadre d’affrontements communautaires, à partir de septembre 2018 l’évolution de la nature du
conflit et des caractéristiques associées aux auteurs des attaques permettent de qualifier ces
violences d’atteintes aux droits de l’homme attribuables à un groupe armé.
Le BCNUDH a également documenté des actes de représailles par des membres de la communauté
Hema contre des membres de la communauté Lendu entre décembre 2017 et mai 2018. Ces
représailles ont causé, notamment des incendies de villages et des attaques isolées contre des
membres de la communauté Lendu.
Les violences ont causé le déplacement massif des habitants du territoire de Djugu. Selon le Haut-
Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés (HCR), près de 57.000 personnes se seraient
réfugiées en Ouganda et plus de 556.356 autres se seraient déplacées vers les territoires voisins et
à proximité de la ville de Bunia depuis février 2018. Vu l’ampleur des destructions matérielles et
l’insécurité qui prévaut dans les zones affectées, un retour à court terme n’est pas envisagé par les
déplacés qui ont perdu tous leurs biens et autres moyens de subsistance.
Malgré le déploiement des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et
de la Police nationale congolaise (PNC) en février 2018 et juin 2019, les violences se poursuivent
et des mesures supplémentaires urgentes sont nécessaires afin de restaurer l’autorité de l’Etat dans
le territoire de Djugu et favoriser le retour volontaire et sécurisé des personnes déplacées et
réfugiées.
5
Les forces de défense et de sécurité congolaises déployées dans la zone à partir de février 2018
pour rétablir la sécurité ont aussi commis de nombreuses violations des droits de l’homme que le
BCNUDH a documentées et soumises à l’attention des autorités congolaises, notamment des
exécutions extrajudiciaires, des mauvais traitements, des violences sexuelles et des arrestations et
détentions illégales ainsi que des violations du droit à la propriété
Il est crucial de s’assurer que les auteurs des violations et atteintes graves documentées soient
poursuivis et sanctionnés, tout en engageant un processus de réconciliation entre les communautés
Hema et Lendu.
6
Introduction
1. Depuis décembre 2017, des vagues successives de violences ont eu lieu dans le territoire
de Djugu, province de l’Ituri. Les informations collectées par le BCNUDH font état d’au moins
701 personnes tuées, 168 autres blessées et 142 victimes de violences sexuelles entre décembre
2017 et septembre 2019, majoritairement au sein de la communauté Hema, dont au moins 431
membres ont été tués, 74 blessés et 108 victimes de violences sexuelles.
2. Ces violences ont évolué. La première vague de violence, de décembre 2017 à mai 2018,
s’est manifestée par des affrontements intercommunautaires entre des membres des communautés
Hema et Lendu et a été suivie d’une période d’accalmie relative entre juin et août 2018. En
septembre 2018, les violences ont repris sous la forme d’une série d’attaques contre les forces de
défense et de sécurité congolaises par des assaillants Lendu, suivies d’opérations de riposte par les
FARDC. A partir de juin 2019, une troisième phase de violence a été observée avec des attaques
contre la communauté Hema commises également par des assaillants Lendu - sans générer de
riposte de la part de la communauté Hema, et des opérations menées par les FARDC contre ces
assaillants. Au cours de cette dernière phase, ces attaques ont eu des répercussions dans le territoire
voisin de Mahagi, où d’autres communautés ont été directement touchées.
3. Malgré le caractère initialement intercommunautaire des violences, le BCNUDH a constaté
une évolution de la situation, les deux dernières vagues de violence étant caractérisées par un
certain degré d’organisation et de planification des attaques par des assaillants Lendu. Compte
tenu notamment de leurs capacités à mener des attaques continues et simultanées sur des positions
des FARDC, des camps de déplacés et des villages, le BCNUDH estime que, à partir de septembre
2018, ces assaillants peuvent être considérés comme appartenant à un groupe armé.1
I. Méthodologie et difficultés rencontrées
4. Le BCNUDH a réalisé 12 missions de terrain notamment dans le territoire de Djugu ainsi
que dans celui de Mahagi, dont 10 missions d’investigation, ainsi qu’une mission d’évaluation et
une mission de protection menées avec d’autres sections substantives de la MONUSCO,
notamment les affaires civiles et UNPOL. Ces missions ont permis de recueillir des informations
sur les violences et de documenter des cas de violations aux droits de l’homme commises entre
décembre 2017 et septembre 2019. Le BCNUDH a aussi effectué une observation journalière de
la situation auprès de sources au sein de la société civile, des services de sécurité, des défenseurs
des droits de l’homme et des leaders communautaires.
5. Les investigations ont été effectuées sur la base d’entretiens individuels confidentiels et
d’entretiens collectifs, notamment avec des victimes et témoins, des personnes déplacées internes,
des membres de la société civile et d’organisations confessionnelles, du personnel soignant, des
autorités administratives et coutumières, des éléments des forces de défense et services de sécurité
congolais ainsi que des responsables de la justice militaire. Le BCNUDH a aussi eu accès à
1 Dans le cadre de ce rapport, l’expression « assaillants Lendu » est utilisée pour désigner des assaillants issus de la
communauté Lendu considérés par le BCNUDH comme appartenant à un groupe armé organisé qui, à partir de
septembre 2018, a été responsable d’atteintes aux droits de l’homme. Il est important de distinguer l’expression
« assaillants Lendu » de celle de « membres de la communauté Lendu », qui s’applique aux auteurs de violences dans
le cadre des affrontements intercommunautaires qui se sont produits entre décembre 2017 et mai 2018.
7
certaines personnes détenues en lien avec les violences pour vérifier leurs conditions de détention.
Il a en outre consulté des rapports, photos et vidéos relatifs aux violences.
6. Les localités concernées par les enquêtes se situent dans les chefferies de Bahema Nord et
de Bahema Badjere, dans le territoire de Djugu, et les chefferies de Mokambo et Djukoth, dans le
territoire de Mahagi. À la suite de contraintes logistiques, l’équipe n’a pas pu accéder aux sites de
réfugiés frontaliers avec l’Ouganda.
7. Afin de garantir l’impartialité et la neutralité de la collecte et de l’analyse d’information
dans un contexte de tensions entre les communautés Hema et Lendu, l’équipe a rencontré des
interlocuteurs issus des deux communautés, des individus issus d’autres groupes ethniques vivant
dans les territoires de Djugu et de Mahagi et des intervenants étatiques et non gouvernementaux
déployés pour répondre à la situation. Néanmoins, la plupart des victimes interrogées
appartiennent à la communauté Hema, qui a été la cible principale de la troisième vague de
violence.
8. La protection des sources a été garantie tout au long des enquêtes, notamment par la
confidentialité et les conseils de protection dont ont pu bénéficier toutes les personnes rencontrées.
9. Les enquêteurs ont été confrontés à certaines difficultés dans la collecte d’informations
telles que l’absence des populations locales déplacées, des contraintes sécuritaires et
l’inaccessibilité de certaines zones. L’équipe a appliqué la méthodologie standard du Haut-
Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en termes de recoupement des
informations et l’utilisation d’un niveau de preuves raisonnable pour pouvoir avancer les
affirmations développées dans le présent rapport. Le BCNUDH a rencontré quelques difficultés
dans la corroboration des cas de violences sexuelles et de l’identité des auteurs dans les diverses
localités où il a mené ses enquêtes. La stigmatisation des victimes de violences sexuelles a
notamment affecté la collecte d’informations. L’accès aux personnes détenues en lien avec le
conflit a aussi été limité, en particulier concernant les personnes détenues pour des crimes qui
auraient été commis entre décembre 2017 et mai 2108. Le BCNUDH n’a pu avoir accès à ces
détenus qu’après leur transfert à l’auditorat de Bunia.
II. Contexte
A. Origine des tensions entre communautés Hema et Lendu dans la province de l’Ituri
10. La province de l’Ituri est située au nord-est de la République démocratique du Congo. Elle
partage les frontières avec les provinces congolaises de la Tshopo (ouest), du Haut-Uélé (nord) et
du Sud-Kivu (sud) et avec les pays voisins du Sud-Soudan (nord) et l’Ouganda (est). Le territoire
de Djugu est l’un des cinq territoires de la province de l’Ituri en plus d’Aru, Mahagi, Irumu et
Mambasa. La province de l’Ituri compte 45 collectivités et cinq cités.
8
11. La population de la province de l’Ituri (65,658 km2) était estimée à environ 5.281.533
habitants en 2015, selon des chiffres du Ministère de la santé. La population est composée de
différentes communautés, en majorité des Alur (27%), concentrés à Mahagi, suivis des Lendu
(24%) et des Hema (18%) dans les territoires d’Irumu et Djugu, ainsi que des Lugbara (12%) dans
le territoire d’Aru.2 Les Lendu (majoritairement cultivateurs) et les Hema (majoritairement
éleveurs) se sont affrontés à maintes reprises autour des enjeux fonciers. Leur division ethnique
s’est accentuée sous le régime colonial belge à travers la réorganisation des chefferies
traditionnelles et la mise en place d’une politique considérée comme favorisant les Hema au
détriment des Lendu.3 Dans l’ensemble, les Lendu et les Hema vivent séparément dans leurs
chefferies (pour les Hema) et secteurs (pour les Lendu) respectifs. Cependant, les deux
communautés coexistent dans un certain nombre de villages. Dans d’autres localités, de petits ilots
de communautés Hema sont entourés par des villages Lendu. De plus, dans plusieurs localités, les
Hema louent et cultivent des terres appartenant aux Lendu.
12. Entre 1999 et 2003, la province de l’Ituri a été l’épicentre d’affrontements violents et de
massacres entre les deux communautés. Communément désigné comme « le conflit de l’Ituri » ou
« la guerre de l’Ituri », ce conflit initialement foncier, portant sur les limites des terres, s’est vite
transformé en guerre ethnique.
2 IKV Pax Christi : Analyse de contexte de l’Ituri, janvier 2009. 3 Ituri, couvert du sang : violence ciblée sur certaines ethnies dans le Nord-Est de la RDC, Human
Rights Watch, juillet 2003, p. 19.
9
13. Selon le bilan établi par les Nations Unies, entre janvier 2002 et décembre 2003, environ
8,000 civils ont été victimes de meurtres, plus de 600,000 civils ont fui leurs villages d’origine,
des milliers d’enfants âgés de 7 à 17 ans ont été enrôlés de force ou volontairement par des groupes
armés, d’innombrables femmes ont été enlevées et ont été victimes de violences sexuelles, et des
villages entiers ont été détruits.4 Le conflit intercommunautaire a pris des allures politiques et
économiques dans tout l’ensemble de l’Ituri.
14. A la suite de ces violences, et vu la gravité des actes commis depuis le 1er juillet 2002, date
à laquelle le Statut de Rome est entré en vigueur, le bureau du Procureur de la Cour pénale
internationale a ouvert une enquête le 23 juin 2004 - la première depuis sa création - afin de traduire
en justice les responsables de ces crimes.5 Quinze ans plus tard, le 7 novembre 2019, la Cour pénale
internationale a condamné Bosco Ntaganda à une peine de 30 ans d’emprisonnement pour les
crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Ituri en 2002-2003.6
B. Première vague de violences : affrontements intercommunautaires (décembre 2017 –
mai 2018)
15. Après plusieurs années d’une relative accalmie, deux incidents dans le territoire de Djugu
en juin et décembre 2017 ont servi de déclencheurs à une nouvelle vague de violences
intercommunautaires de décembre 2017 à mai 2018. Cette vague s’est concentrée dans le territoire
de Djugu et s’est caractérisée par l’implication de membres des deux communautés dans les
violences.
16. Le 10 juin 2017, le décès d’un prêtre à la paroisse de Drodro a été le point de repère de la
cristallisation des tensions entre les communautés Hema et Lendu. Pour les Lendu, il s’agirait d’un
meurtre dont les auteurs présumés seraient le curé et le vicaire de la paroisse, tous deux de la
communauté Hema. Les deux hommes ont été arrêtés le 12 juin 2017, et le Procureur de la
République a ordonné leur remise en liberté le 22 juin 2017. La communauté Lendu a considéré
leur libération comme une injustice et une provocation. Les Lendu auraient menacé de se venger
en portant atteinte à la vie d’un prêtre de la communauté Hema.
17. Le 16 décembre 2017, un homme de la communauté Lendu du village Tete a été battu par
un groupe de jeunes de la communauté Hema venus de Maze, à l’entrée du marché d’Uzi. Cet
incident aurait servi de prétexte à des règlements de comptes entre des membres des deux
communautés. A partir de cette date, jusqu’au mois de mai 2018, le territoire de Djugu a été le
théâtre d’actes de violence et d’incidents récurrents opposant des membres des communautés
4 Conseil de sécurité des Nations Unies. Lettre datée du 16 juillet 2004, adressée au Président du Conseil de sécurité
par le Secrétaire général. Doc. ONU S/2004/573, 16 juillet 2004. 5 Cour pénale internationale, Bureau du Procureur. Communiqué de presse du 23 juin 2004. Doc. ICC-OTP-20040623-
59. 6 Cour pénale internationale, Chambre de première instance VI. Sentence sur l’Affaire Le Procureur vs Bosco
Ntaganda. Doc. ICC-01/04-02/06-2442, 7 novembre 2019. Bosco Ntaganda été reconnu coupable des crimes contre
l’humanité de meurtre et tentative de meurtre, viol, esclavage sexuel, persécution, transfert forcé de population et
déportation ; et des crimes de guerre de meurtre et tentative de meurtre, du fait de diriger intentionnellement des
attaques contre la population civile, viol, esclavage sexuel, du fait d’ordonner le déplacement de la population civile,
enrôlement et conscription d’enfants de moins de 15 ans et leur utilisation pour les faire participer activement à des
hostilités, attaques contre des biens protégés, et destruction des biens appartenant à l’adversaire.
10
Hema et Lendu. Le BCNUDH a également documenté des actes de violences de la part des Hema
en réponse aux attaques des Lendu.
18. Le BCNUDH a pu confirmer qu’entre décembre 2017 et mars 2018, au moins 277
personnes de la communauté Hema ont été tuées et 120 localités ont été incendiées, pillées et
détruites lors d’attaques commises par des membres de la communauté Lendu contre des localités
Hema dans sept collectivités, à savoir Bahema-Nord, Walendu Tatsi, Walendu Pitsi, Ndo Okebo,
Mambisa, Bahema-Banyuagi et Bahema-Bajere.7 Les témoins interrogés par le BCNUDH ont
confirmé que les assaillants, souvent accompagnés de femmes et d’enfants, ont mené des
incursions dans les villages en grand nombre (100 à 300 personnes) pendant la nuit et portaient
des armes blanches (machettes, flèches, lances) et quelques-uns des armes à feu.
19. A titre d’exemple, dans l’après-midi du 1er mars 2018, la localité de Maze et les zones
alentours ont été attaquées par des membres de la communauté Lendu. L’attaque a duré jusqu’à la
tombée de la nuit. Les assaillants armés de machettes, flèches et armes à feu se sont déplacés dans
les zones résidentielles en groupes coordonnés en menant des attaques venant de trois directions
différentes. Les éléments des FARDC et de la PNC présents à Maze ont repoussé les assaillants.
La MONUSCO a pu confirmer la mort de 33 civils, dont 13 femmes, quatre hommes et 16 enfants.
20. D’après les témoignages recueillis, le BCNUDH a relevé le caractère simultané de
certaines attaques, notamment le 11 mars 2018, contre 15 localités du groupement de Sumbuso
(territoire de Djugu). D’autres attaques simultanées ont également eu lieu en février et mars 2018.8
21. Le BCNUDH a pu confirmer qu’au cours de la première vague de violences, au moins 80
maisons ont été incendiées à Tete et Budjo par des jeunes Hema venus des localités de Maze et de
Dhedja en date du 17 décembre 2017. Plusieurs autres maisons ont été incendiées à Gobu-Nji le 2
février 2018. Huit femmes et trois hommes de la communauté Lendu ont été enlevées le 11 janvier
2018 à Bule et le 13 mai 2018 à Kobu respectivement. Deux jeunes Lendu ont été battus par des
jeunes Hema à Uzi et Petro le 16 décembre 2017 et la dernière semaine de janvier 2018
respectivement. Quatre personnes dont deux femmes ont été tuées par des jeunes Hema le 10 mars
2018 dans des villages Lendu au bord du lac Albert.
22. En outre, durant cette même période, le BCNUDH a notamment documenté l’exécution
extrajudiciaire d’un enfant commise par des militaires des FARDC, les arrestations arbitraires et
mauvais traitements de 18 civils Lendu, ainsi que des cas d’extorsion et autres atteintes à la
propriété de civils Lendu, dans plusieurs localités du territoire de Djugu.
7 Dont 147 personnes y compris 71 femmes tuées dans le groupement Sumbuso; 54 personnes y compris sept femmes
dans le groupement Buku, 12 personnes dans le groupement Lokpa, cinq personnes dans le groupement Nyampala,
une personne dans le groupement Baymani, huit personnes dans le groupement Loga, trois personnes dans le
groupement Singo, huit personnes dans le groupement Luvungire, et 25 personnes dont 13 femmes et trois enfants
dans le groupement Nyamamba. Cinq fosses communes ont été identifiées par le BCNUDH, dont trois à Blukwa et
deux à Maze, dont deux qui contiendraient 12 et 18 corps. De plus, 29 personnes ont été blessées, dont quatre par
balles, y compris 12 dans le groupement Saliboko, deux dans le groupement Boku, 11 dans le groupement Sumbuso
et quatre dans le groupement Nyamamba. 8 Ces attaques ont été menées dans les localités de Waliba et Maze dans la nuit du 3 au 4 février 2018 ; dans
les localités de Blukwa, Lovi, Lera, Ngaroli, Seseti et Blukwambi (groupement Buku) dans la nuit du 4 au 5 février
2018 ; dans les localités de Lori, Toto, Ndzatsu, Tali, Dheda, Potsu et Ndju’bu (groupement Saliboko) le 5 février
2018 ; dans les localités de Nyapala, Tulu, Gbotu et Tolo (groupement Sesele) le 3 mars 2018 ; dans les localités de
Lita (Walendu-Tatsi), Koba, Vara, Bijo, Tsunde, Lona, Ngule et Tsapa (Bahema-Nord) dans la nuit du 3 au 4 mars
2018 ; et dans les localités de Nyamamba, Mbogi, Joo, Bukpa, Café et Dhatule le 10 mars 2018.
11
23. Au total, le BCNUDH a documenté la mort de 282 personnes, dont 93 femmes et quatre
enfants,9 et 51 personnes blessées, dont deux femmes et cinq enfants,10 au cours de la première
vague de violences.
C. Deuxième vague de violences : Attaques contre les forces gouvernementales
(septembre 2018 - mai 2019)
24. Entre septembre 2018 et mai 2019, la situation sécuritaire dans le territoire de Djugu a été
marquée par des attaques répétitives contre les positions des FARDC par des assaillants Lendu,
avec un impact sur la population. Ces attaques ont particulièrement affecté les localités autour du
Lac Albert et plusieurs localités des secteurs des Walendu Pitsi, Djatsi et Tatsi et la chefferie des
Bahema Nord (territoire de Djugu) et dans la chefferie de Mokambo (territoire de Mahagi).
25. D’après les informations recueillies par le BCNUDH, de septembre 2018 à mai 2019, 24
attaques ont eu lieu contre les forces de défense et sécurité, avec un bilan d’au moins 72 militaires
et quatre policiers tués, 39 militaires blessés et des armes emportées par des assaillants Lendu.
26. Ainsi, le 2 novembre 2018 à Muganga, sur le littoral du lac Albert en territoire de Djugu,
neuf militaires FARDC de la force navale ont été tués et sept autres blessés par des assaillants
présumés Lendu appartenant à un groupe armé, lors d’une incursion dans le village. Par ailleurs,
10 civils dont deux enfants et une femme ont été blessés lors de cet incident. Cinq assaillants ont
été tués par les militaires des FARDC durant cet incident. Les assaillants ont récupéré une arme
de gros calibre et des munitions.
27. Il n’est pas exclu que les armes et munitions emportées par les assaillants aient servi à
perpétrer les attaques contre des civils Hema enregistrées dès le début du mois de juin 2019.
28. Le BCNUDH a par ailleurs documenté les exécutions extrajudiciaires de 11 civils par des
militaires des FARDC en opération dans le territoire de Djugu. Notamment, trois membres de la
communauté Lendu dont une femme et deux hommes ont été exécutés par des FARDC du 1301e
régiment, le 14 mars 2019, au cours d’une opération des FARDC dans les localités de Dhebba,
Nyolo, Dada/Ru, Dhenovi, groupement Laudjo (secteur de Walendu). Un homme de 43 ans de la
communauté Lendu, pêcheur de profession, a été exécuté par des FARDC de l’unité navale, le 17
mars 2019 à Songa II, groupement de Laudjo (secteur de Walendu).
29. Le BCNUDH a aussi documenté des cas d’arrestation et de détention arbitraires suivies
d’extorsion par des FARDC du 1301e régiment. D’après les victimes interviewées - toutes de la
communauté Lendu - et d’autres sources de Jiba, l’un des commandants du 1301e régiment avait
adopté une pratique systématique d’arrestation arbitraire des habitants Lendu des différents
villages soit parce qu’ils disposaient d’une arme blanche à la maison ou n’avaient pas sur eux leur
carte d’électeur, les accusant d’être des assaillants. Les personnes arrêtées étaient conduites au
camp des FARDC de Jiba et placées en détention. Leur libération était conditionnée au paiement
9 Dont 277 par des membres de la communauté Lendu, quatre par des membres de la communauté Hema et une par
des militaires des FARDC. 10 Dont 31 par des membres de la communauté Lendu, 18 par des militaires des FARDC et deux par des membres de
la communauté Hema.
12
de sommes d’argent variant entre 100 000 et 300 000 francs congolais, déterminées au cas par cas
par ce commandant.11
D. Troisième vague de violences (à partir de juin 2019)
30. Entre mai et début juin 2019, des assaillants Lendu ont attaqué plusieurs villages dans les
groupements d’Are, Muswa et Ruvunga, territoire de Mahagi, qui depuis décembre 2017 n’avait
été qu’indirectement affecté par la crise et avait servi de refuge à plus de 70 000 personnes
déplacées internes en provenance du territoire de Djugu. Ces attaques ont entrainé la mort d’au
moins 60 personnes de la communauté Alur.12
31. Le 10 juin 2019, lors d’une embuscade, quatre membres de la communauté Lendu dont un
commerçant influent de la localité de Kobu, dans la collectivité Walendu Djatsi, ont été assassinés
par des inconnus armés au village Zibiti, chefferie de Mambisa. Des membres de la communauté
Lendu ont accusé les Hema de cet assassinat. Cet incident a déclenché des nouvelles attaques à
partir du mois de juin.
32. Ainsi, entre les 10 et 14 juin 2019, des assaillants Lendu portant des armes et soutenus par
des civils Lendu13 ont mené une série d’attaques contre des villages et des camps de déplacés
abritant des membres de la communauté Hema dans plusieurs localités des territoires de Djugu et
Mahagi. Ces attaques se sont soldées par des atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique, des
violences sexuelles, ainsi que des pillages et des incendies de maisons.
33. Par exemple, 49 personnes de la communauté Hema ont été tuées dans 11 villages de la
localité de Tche, groupement Lossandrema, collectivité Bahema Nord, les 10 et 11 juin 2019 ;
parmi les victimes se trouvaient des enfants en uniforme scolaire. Aux mêmes dates, 16 personnes
de la communauté Hema ont été tuées à Rule (à environ 8 km de Bule) dans la collectivité Bahema
Badjere ; certains corps avaient été mutilés. Le 10 juin dans la localité de Torges, une femme de
25 ans a été violée par un présumé assaillant Lendu. La victime, son mari et leurs trois enfants
s'étaient rendus au champ au petit matin. En chemin pour retourner au village, ils ont été stoppés
par des assaillants munis d'armes blanches et de fusils qui ont voulu violer la femme. Devant la
résistance du mari, qui a demandé à être tué pour préserver la vie de sa femme et de ses enfants,
les assaillants lui ont logé deux balles aux pieds et ont décapité leur fils de 8 ans.
34. A l’issue de cette nouvelle vague de violences, les populations Hema se sont massivement
déplacées vers des zones plus sûres de la province. En septembre 2019, la plupart des personnes
11 Le BCNUDH a partagé les cas attribuables au 1301e régiment avec le T2 Secteur de la zone opérationnelle de l’Ituri
ainsi qu’avec l’Auditorat militaire de Bunia. Au cours de réunions de suivi, le BCNUDH a été informé que suite à
l’ouverture d’enquêtes, le commandant du régiment avait pris la fuite. L’Auditorat a confirmé avoir soumis un mandat
d’amener à la région militaire de Bunia, qui continuerait de rechercher le suspect. 12 Certaines de ces attaques précèdent de quelques jours le début du mois de juin ; cependant, c’est notamment à partir
du mois de juin que le BCNUDH a noté une intensification des violences. 13 Les informations recueillies par le BCNUDH indiquent qu’après les attaques, des civils, membres de la communauté
Lendu accompagnant les assaillants, y compris des femmes et des enfants, ont été systématiquement mis à contribution
pour voler les biens des victimes Hema.
13
déplacées se trouvaient toujours dans les zones de déplacements telles que Roe et Loda autour des
Static Combat Deployments (SCD)14 de la MONUSCO.
35. Par crainte de représailles de la part des FARDC lors des opérations militaires contre les
assaillants, la population Lendu a complètement abandonné les groupements de Linga, Dhedho,
D’Zina, Laledjo et Laudjo. A la différence des déplacés Hema, les Lendu ne se sont pas regroupés
dans un site de déplacés15 et sont plutôt dans des familles d’accueil dans des localités des
groupements de Dhendo, Linga, Buba, Zabu du secteur Walendu-Pitsi, territoire de Djugu ou dans
le groupement Jukoth, territoire de Mahagi.
36. A la suite des opérations militaires des FARDC contre les assaillants armés dans le
territoire de Djugu, une accalmie relative a été observée en juillet et août 2019. Cependant, au
début du mois de septembre 2019, la récurrence des attaques par des assaillants Lendu contre des
civils Hema a connu une hausse significative. Le BCNUDH a constaté qu’à partir de septembre
2019, les attaques ont été perpétrées suivant un nouveau mode opératoire, caractérisé par une
violence accrue et, dans certains cas, ont pris pour cible les personnes déplacées dans les sites du
territoire de Djugu, notamment à Roo, Bule et Drodro.
37. Ainsi, au moins huit attaques ont eu lieu entre les 2 et 18 septembre 2019 dans les chefferies
des Bahema nord et Bahema Badjere et le secteur Walendu Pitsi dans le territoire de Djugu. Au
cours de ces incidents, 35 civils ont été tués dont 15 enfants, 22 personnes blessées et 15 enlevées.
Plusieurs maisons ont été incendiées et des biens pillés. Toutes les victimes sont membres de la
communauté Hema. Les villages attaqués sont géographiquement proches des groupements Lendu
où les assaillants auraient des bases, principalement les groupements Laudjo, Ladedjo, Petro et
Ndjaudha.
38. A titre d’exemple, le 17 septembre 2019 à Bukatsele, groupement Ngle, chefferie Bahema
Badjere, 14 personnes déplacées ont été tuées par balle puis décapitées, dont 11 enfants âgés de
sept mois à 15 ans. Par ailleurs, quatre enfants de deux et huit ans ont été blessés et des biens
emportés. Le 18 septembre 2019, une autre attaque a eu lieu autour du Static Combat Deployment
(SCD) de la MONUSCO à Roo (environ 80 km nord-est de Bunia) où se concentraient des déplacés
internes. Les assaillants ont été repoussés par l’intervention des casques bleus de la MONUSCO,
mais dans leur fuite, ils ont attaqué les villages voisins de Koli et Kpatiz (à environ 75 et 73 km au
nord-est de la ville de Bunia respectivement), tuant 10 personnes déplacées - cinq hommes, deux
femmes et trois enfants.
39. Les localités les plus touchées par cette récente vague de violences sont Utcha, Buku
(Bahema Nord), Nglé et Dheja (chefferie des Bahema Badjere) dans le territoire de Djugu. Ces
villages sont exposés car ils constituent un passage obligé pour les assaillants.
14 Le concept de Static Combat Deployment (SCD) a été introduit en 2017 par une directive du Force Commander.
Les SCD font partie intégrante des Company Operating Base (COB) et sont déployées dans des zones en conflit sur
une base temporaire. 15 Cela est la conséquence des événements de 2003 dans le groupement Linga, quand l’un des sites dans lequel étaient
regroupés des déplacés Lendu a été attaqué.
14
40. En conséquence de cette nouvelle vague de violences, les villages attaqués ont été vidés de
leurs habitants, tels que les groupements de Sumbusu, Tché et Logo. La population a fui vers les
localités de Kpandroma, Jiba et autres zones plus sûres.
41. Pendant les enquêtes menées par le BCNUDH, les personnes interviewées ont identifié les
assaillants comme étant des habitants des villages Lendu voisins. Des documents tels que des
registres des cotisations et des pièces d’identité trouvés sur le lieu des attaques ont permis
d’identifier certains des assaillants.
42. L’un des enjeux majeurs des attaques est le contrôle des terres par les Lendu. Ces derniers
considèrent les terres du territoire de Djugu comme leur propriété ancestrale et exigeraient une
frontière claire entre eux et les populations Hema. La barbarie qui caractérise ces attaques –
notamment des décapitations de femmes et d’enfants à la machette, des démembrements, le fait
d’emporter certaines parties des corps des victimes comme des trophées de guerre – reflète la
volonté des assaillants de traumatiser de façon durable les populations Hema, de les contraindre à
fuir et à ne plus revenir dans leurs villages.
15
E. Auteurs présumés
i) Organisation et mode opératoire des assaillants Lendu
Organisation
43. Des informations recueillies par le BCNUDH indiquent un degré d’organisation limité des
attaques menées par des membres de la communauté Lendu dans le cadre d’affrontements
intercommunautaires entre décembre 2017 et mai 2018. A partir de septembre 2018, les attaques
menées par des assaillants Lendu dénotent un degré d’organisation important, qui s’est
progressivement renforcé au cours des deuxième et troisième phases de violences.
44. En mars et avril 2018, les FARDC ont rapporté avoir démantelé des camps d’entrainement
en Walendu Tatsi (groupement de Penti). Un membre de la communauté Lendu arrêté par les
FARDC en mai 2019 et identifié comme le leader d’un groupe local a rapporté avoir été recruté
en février 2018 par une « association de jeunes ». Selon ses déclarations, son groupe aurait des
camps d’entrainements dans la forêt Vu à Masungu en Walendu-Tatsi et serait affilié à la
Coopérative de développement économique du Congo « CODECO» 16 sous la direction présumée
d’un certain « Ngudjolo ».17 Depuis le mois de juin 2019, les FARDC le qualifient de groupe armé
CODECO ou encore de « groupe armé de Ngudjolo ».
45. Les multiples attaques armées contre les positions des FARDC à partir de septembre 2018
sont une preuve du degré d’organisation de ce groupe dans le territoire de Djugu, malgré la
présence de renforts militaires importants depuis février 2018.
46. En juin 2019, « Ngudjolo » a déclaré sur une radio locale être le leader du « groupe armé
de la forêt de Wago », décrétant être à la tête d’une force de 2.350 hommes organisés, armés et
entrainés pour défendre la population Lendu contre la communauté Hema qu’il accusait de
préparer le retour d’un influent chef Hema18 avec des hommes armés. Quelques jours plus tard le
gouverneur aurait reçu une communication écrite de ce groupe armé, demandant l’établissement
d’une zone neutre entre les communautés Lendu et Hema, un arrêt des opérations militaires dans
la région, le cantonnement du groupe et la remise en liberté des prisonniers Lendu. « Ngudjolo »
a été cité par plusieurs sources comme étant un leader spirituel de la « CODECO » et comme
recruteur pour la « milice Lendu » basée dans la forêt de Wago. Déjà en 2018, des rapports non
vérifiés faisaient référence à un féticheur « Ngudjolo » qui fournissait un support à la « milice
Lendu ». Néanmoins plusieurs sources ont émis des doutes sur le fait que Ngudjolo serait
l’instigateur principale des violences.
47. En octobre 2019, une faction d’assaillants Lendu a envoyé des messages à l’intention des
autorités provinciales pour solliciter des pourparlers visant à leur intégration dans les FARDC.
16 La CODECO, initialement nommée CODEZA - « Coopérative de développement économique du Zaïre » - était à
l’origine une coopérative agricole de solidarité paysanne dans la chefferie des Walendu Bindi, fondée par Bernard
Yonga Tshopena Kakado avant la guerre d’Ituri en 1999. Kakado serait devenu un chef de guerre de la milice FRPI
ainsi que le féticheur principal. Condamné pour crimes de guerre le 9 août 2010, il est décédé en prison un an plus
tard. 17 Plusieurs prénoms ont été utilisés pour désigner Ngudjolo dont Justin, Mathieu, Innocent et Mateso. 18 Il s’agit du chef « Kawa » de Tchomia, qui avait été expulsé de la province suite à la guerre en Ituri en 2002.
16
48. Les informations recueillies par le BCNUDH indiquent qu’un ou plusieurs groupes armés
constitués de membres de la communauté Lendu pourraient être impliqués. Cette qualification est
applicable à partir de septembre 2018, début de la deuxième phase de violences au cours de
laquelle les assaillants ont démontré une certaine capacité face aux forces gouvernementales.
49. Concernant la qualification des assaillants comme groupe armé, certaines caractéristiques
classiques établies par la jurisprudence pourraient ne pas être remplies.19 Les facteurs considérés
par le BCNUDH incluent 1) des facteurs indiquant la présence d’une structure de commandement ;
2) des facteurs indiquant une capacité de mener des opérations planifiées/organisées ; 3) des
facteurs indiquant un niveau de logistique ; 4) des facteurs permettant de déterminer si un groupe
armé possède un niveau de discipline et la capacité de respecter les obligations de l’article 3
commun aux Conventions de Genève ; 5) des facteurs indiquant que le groupe armé est capable
de parler d’une seule voix.
50. Le groupe des assaillants a pendant longtemps entretenu le flou sur son identité et sa
structure organisationnelle. Toutefois, son mode opératoire, le caractère planifié et organisé des
attaques, les équipements utilisés depuis septembre 2018 (armes de gros calibre, radios, etc.)
laissent peu de doute sur son statut de groupe armé/milice. De plus plusieurs entités ont revendiqué
des attaques ou émis des demandes de démobilisation et d’intégration dans les FARDC. Un des
groupes identifiés comme CODECO sous le leadership de « Ngudjolo » a pris part, à travers des
points focaux, à des activités de formation sur le recrutement d’enfants et les violations graves à
l’encontre d’enfants, ce qui semble indiquer une capacité et une volonté d’imposer une discipline
et le respect du droit international au sein du groupe.
51. Récemment20, « Ngudjolo » a revendiqué à travers un communiqué être le chef d’état-major
général du groupe armé (Union des révolutionnaires pour la défense du peuple congolais
(URDPC). Ce communiqué s’adressait aux leaders communautaires et forces vives du groupement
Buba dans le secteur de Walendu Pitsi, territoire de Djugu, et exigeait que les populations
fournissent sur une base hebdomadaire, la somme de 150,000 francs congolais et des vivres pour
la ration de sa 2e brigade basée à Linga, en attendant l’aboutissement de discussions engagées
entre ce groupe et le gouvernement pour un éventuel pré cantonnement de ses hommes. Il n’est
pas exclu qu’il y ait un lien entre les attaques commises dans le territoire de Djugu depuis
septembre 2018 et le groupe armé nouvellement déclaré URDPC.
Mode opératoire
52. La première phase de violences présente un mode opératoire plus ou moins « classique »
de conflit intercommunautaire, avec des attaques et des ripostes par des membres des
communautés Lendu et Hema. Il n’y a notamment pas eu de confirmation d’utilisation d’armes à
feu pendant cette phase, les assaillants utilisant des armes blanches et des incendies.
53. Cependant, au cours de la deuxième phase de violences, le BCNUDH a observé une
évolution de la nature du conflit, avec des changements dans les acteurs impliqués, leur mode
19 Voir, par exemple: Procureur c. Djordjevic (jugement) IT-05-87/1-T (23 février 2011) (n 31) [1541-8];
[1557];[1560-2];[1566];[1568];[1569-70]; [1571-2];[1575];[1576]; Procureur c. Boskoski et Tarculovski (jugement)
(10 juillet 2008)(n 16) [197]; [198-199];[277]; [279-80];283-4];[196]; [205];269]; [274]; Procureur c. Germain
Katanga (jugement) ICC-01/04-01/07 (7 mars 2014)(n 30) [1186]. 20 Ces développements ont été rapportés à partir du mois d’octobre 2019, en dehors de la période couverte par ce
rapport.
17
opératoire et la cible des attaques. A partir de septembre 2018, des assaillants Lendu ont démontré
des capacités à mener des attaques planifiées et simultanées, qui ont eu pour cible principale les
forces étatiques déployées en réponse aux violences intercommunautaires, avec peu de dommages
collatéraux. Les attaques visant des positions des forces gouvernementales ont ciblé des forces
inférieures en nombre et de moindre capacité face aux assaillants, dans des localités isolées,
notamment sur les rives du lac Albert. Ces attaques auraient été motivées par le besoin d’armes et
munitions pour augmenter les capacités du groupe armé.
54. Au cours de la troisième phase de violences, le BCNUDH a noté un nouveau changement
de cibles et de mode opératoire. Des assaillants Lendu ont à nouveau ciblé les populations civiles.
En revanche, ces attaques n’ont pas généré de riposte de la part de la communauté Hema.
55. Lors des entretiens menés par le BCNUDH, des victimes et témoins ainsi que des sources
sécuritaires ont indiqué que lors des attaques des 10 et le 11 juin 2019, les assaillants étaient munis
de radios et dissimulés au sein de villages Lendu pour initier les attaques contre la communauté
Hema qui se trouvait à proximité.21
ii) Forces étatiques
56. Les forces étatiques de défense, FARDC et PNC, ont été déployées en février 2018 dans le
contexte des violences intercommunautaires de la première phase, et des renforts significatifs ainsi
que des redéploiements des troupes déjà présentes ont eu lieu en juin 2019 afin de sécuriser les
zones attaquées par des assaillants Lendu.22 Cependant, suite à ces déploiements dès février 2018,
le BCNUDH a reçu des allégations de violations des droits de l’homme perpétrées par les FARDC
et la PNC, notamment des atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique, des viols, y compris
d’enfants, des arrestations arbitraires, le harcèlement de civils et des extorsions de biens.
III. Cadre juridique
57. Les droits de l’homme mentionnés dans le présent rapport sont protégés par plusieurs
instruments internationaux ratifiés par la République Démocratique du Congo, tels que le Pacte
21 Une source interviewée avait communiqué au BCNUDH que lorsqu’elle utilisait sa radio pour des besoins
communautaires, elle a entendu des messages menaçants véhiculés par les assaillants, tels que « nous allons venger la
mort de notre prêtre » et « vous allez quitter nos terres ». 22 En février 2018, une unité de la 31e Brigade dite « Voltigeurs », 312e Bataillon de réaction rapide, a été déployée
dans les zones de Djiba et Loko, initialement sous le commandement du General Mundos et, à partir du 4 mars 2018,
du General Rugayi. En septembre 2019, cette unité était basée à Nyolo. Les forces navales (FUMA) 332 sont basées
à Kasenyi, sur les rives du lac Albert. Les régiments 1301e et 3201e sont déployés dans la zone depuis mars 2018 et
ont été renforcés par le 3202e régiment à partir de juin 2019. Le 1301e régiment a été déployé dans le territoire de
Djugu, avec des troupes présentes à Masumbuko, Kpaanganza, Bule Linga, Kpandroma, et Mandro. En septembre
2019, les troupes étaient déployées à Largu, Zitono, Maze Marabo, Bukiringi et Linga. En avril 2018, le 3201e
régiment avait établi son quartier général à Bule, et était déployé à Mungwalu, Tchele et Blukwa. Selon les dernières
informations de septembre 2019, ce régiment est maintenant déployé à Djugu, Jiba et Aru. Selon les informations
obtenues par le BCNUDH en septembre 2019, le 3202e régiment était présent à Gety, Mungwalu et Bavi. Deux
bataillons (31012e et 32022e) ont également été déployés en renfort, ainsi que trois bataillons commando réaction
rapide (112e à Laudo,122e à Katoto et 391 à Boga). Par ailleurs, une unité d’élite (LNI) de la PNC composée de plus
de 400 hommes a été déployée en juillet 2019 dans le territoire de Djugu pour soutenir les efforts de protection des
civils.
18
international relatif aux droits civils et politiques23, la Convention sur l’élimination des toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes24, la Convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale25, la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples26, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels27, et le
Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant28 concernant l’implication
d’enfants dans les conflits armés. Ils sont également protégés par la Déclaration universelle des
droits de l’homme29, dont plusieurs dispositions sont considérées comme ayant qualité de droit
international coutumier. Conformément à ce cadre juridique, l’État congolais est tenu de respecter
ces normes relatives aux droits de l’homme et de prendre les mesures nécessaires afin de prévenir
et de sanctionner les violations de ces droits, qu’elles soient commises par ses forces de sécurité
ou par des acteurs non étatiques.
58. La République démocratique du Congo a ratifié les quatre Conventions de Genève du 12
août 1949 et le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève relatives à la protection des
victimes des conflits armés non internationaux du 8 juin 1977. Le droit international humanitaire
applicable aux conflits armés non internationaux lie toutes les parties impliquées dans un conflit
armé, notamment les FARDC et les groupes armés organisés. Dès lors, toutes les parties au conflit
sont tenues de respecter le droit international humanitaire consacré à l’article 3 commun aux quatre
Conventions de Genève et dans le Protocole additionnel II, ainsi que le droit international
coutumier, qui garantit la protection des personnes qui ne participent pas ou plus directement aux
hostilités, et interdit notamment le travail forcé non rémunéré ou abusif.
59. Certaines des violations documentées dans le présent rapport peuvent, par leur nature,
constituer des crimes de guerre selon le droit international humanitaire ainsi que des crimes contre
l’humanité au sens des articles 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui ont
été intégrés dans le droit interne de la République démocratique du Congo. En outre, les violations
23 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit le droit à la vie (article 6) ainsi que le droit à
l’intégrité physique, et interdit le recours à la torture et aux peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
(article 7). 24 La convention sur l’élimination des toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, reconnait notamment
l’égalité entre les hommes et les femmes devant la loi (article 15). 25 La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale définit la
« discrimination raciale » comme « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur,
l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la
reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l'homme et des libertés
fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie
publique ». (Article premier). 26 La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples reconnaît le respect pour la vie et l’intégrité de la personne
(articles 4 et 5), ainsi que le droit à la propriété (article 14). 27 Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnaît le droit de toute personne à un
niveau de vie suffisant (article 11) et de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable
d'atteindre (article 12) ainsi que le droit à l’éducation (article 13). 28 Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les
conflits armés interdit l’enrôlement et l’utilisation dans des hostilités de personnes âgées de moins de 18 ans par des
groupes armés. 29 La Déclaration universelle des droits de l’homme reconnaît expressément le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté
de la personne (article 3) ainsi que le droit à la propriété (article 17). Elle prohibe également la torture et les peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 5).
19
des droits de l’homme exposées dans ce rapport peuvent être assimilées à des crimes selon le droit
pénal congolais, tels que le meurtre, le viol, le recrutement d’enfants ainsi que le vol et
l’enlèvement, qui sont passibles d’une peine d’emprisonnement. Il appartient à la justice
congolaise d’enquêter sur ces violations dans la mesure où elle est compétente pour connaître tous
les crimes.30
IV. Violations des droits de l’homme
60. Pendant toute la période considérée dans ce rapport, dans le territoire de Djugu et les
territoires voisins, des hommes, femmes et enfants ont été victimes de violations et atteintes aux
droits de l’homme notamment durant des attaques contre leurs villages et contre des sites de
déplacés internes par des assaillants Lendu présumés appartenir à un groupe armé (à partir de
septembre 2018), ainsi que lors d’opérations militaires menées par les FARDC.
61. Ces violations et atteintes incluent des exécutions extrajudiciaires et arbitraires, des
atteintes au droit à l’intégrité physique, y compris des tortures et traitements cruels, inhumains et
dégradants, ainsi que des violences sexuelles, des privations de liberté, et des incendies et autres
atteintes au droit à la propriété.31 Le territoire de Djugu est le plus affecté (300 violations et
atteintes), suivi de Mahagi (25).
62. Si lors de la première vague de violences, les conflits étaient concentrés dans une partie du
territoire de Djugu, la deuxième vague s’est étendue à des zones auparavant stables, tels que l’ouest
du territoire de Djugu (Nizi, Kobu, Kilo) et le territoire de Mahagi. Ceci explique que les victimes
comptent des membres de la communauté Hema mais également d’autres communautés ethniques,
tels que les Alur.
63. Entre décembre 2017 et septembre 2019, le BCNUDH a documenté 325 violations et
atteintes aux droits de l’homme : 212 atteintes par des assaillants Lendu (à partir de septembre
2018, moment à partir duquel le BCNUDH considère ces assaillants comme appartenant à un
groupe armé), ainsi que 109 violations commises par des militaires des FARDC et quatre par des
agents de la PNC. Il s’agit de 91 violations au droit à la vie (420 victimes d’exécutions
extrajudiciaires ou sommaires dont 304 hommes, 66 femmes et 50 enfants), 45 violations du droit
à l’intégrité physique32 (135 victimes dont 96 hommes, 22 femmes et 17 enfants) ; 66 cas de
violences sexuelles (142 victimes, dont 136 femmes et six filles) ; 31 violations du droit à la liberté
et à la sécurité de la personne (113 victimes, dont 63 hommes, 31 femmes et 19 enfants) ; deux cas
de travaux forcés (32 victimes dont 13 hommes, 10 femmes et neuf enfants) ; et 90 violations du
droit à la propriété.
64. Les 420 victimes d’exécutions extrajudiciaires ou sommaires incluent au moins33 136
membres de la communauté Hema, 21 membres de la communauté Lendu et 135 membres d’autres
communautés. Les 135 victimes d’atteintes à l’intégrité physique incluent au moins 40 membres
de la communauté Hema, 27 membres de la communauté Lendu et 14 membres d’autres
30 Article 156 de la Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006. 31 Tel que protégé par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Article 14). 32 Sans inclure les cas de violences sexuelles, comptabilisés séparément. 33 L’appartenance communautaire de certaines des victimes n’a pas pu être établie. Ainsi, les chiffres de victimes par
communauté avancés ici ne correspondent pas au nombre total de victimes documenté.
20
communautés. Les 142 victimes de violences sexuelles incluent au moins 83 membres de la
communauté Hema, trois membres de la communauté Lendu et quatre membres d’autres
communautés. Les 113 victimes de violations du droit à la liberté et à la sécurité de la personne
incluent au moins 26 membres de la communauté Hema, 34 membres de la communauté Lendu et
10 membres d’autres communautés.34
A. Violations des droits de l’homme par les FARDC et la PNC
65. Sur toute la période considérée, les FARDC ont commis au moins 109 violations des droits
de l’homme,35 avec 27 victimes d’exécutions extrajudiciaires dont 18 hommes, six femmes et trois
enfants ; 24 victimes du droit à l’intégrité physique dont 15 hommes, quatre femmes et cinq
enfants ; 41 victimes de violences sexuelles dont 37 femmes et quatre filles ; 39 victimes de
violations du droit à la liberté et à la sécurité de la personne dont 32 hommes, trois femmes et
quatre enfants ; 18 victimes de travaux forcés dont 13 hommes, une femme et quatre enfants ; et
44 violations du droit à la propriété. A partir de mars 2018, des militaires du 1301e régiment des
FARDC ont été responsables d’au moins 30 de ces violations. Le BCNUDH a documenté quatre
violations attribuables à des agents de la PNC pour toute la période, commises entre mars 2018 et
juillet 2019,36 avec un enfant victime d’exécution extrajudiciaire, un homme victime de violation
du droit à l’intégrité physique, un homme victime de violation du droit à la liberté et à la sécurité
de la personne, et une violation du droit à la propriété.
66. La plupart des violations ont été commises dans le cadre de ripostes à des attaques
d’assaillants présumés membres de la communauté Lendu sur des villages Hema, ainsi que lors
d’opérations menées après des attaques sur des positions des FARDC et de la PNC, notamment le
long de la rive du lac Albert.
67. Pendant la première vague des violences, de décembre 2017 à mai 2018, les FARDC ont
commis au moins 26 violations des droits de l’homme, avec un enfant victime d’exécution
extrajudiciaire ; 18 victimes de violations du droit à l’intégrité physique dont 13 hommes, une
femme et quatre enfants ; deux filles victimes de violences sexuelles (viols) ; 22 victimes de
violations du droit à la liberté et à la sécurité de la personne dont 15 hommes, trois femmes et
quatre enfants ; 18 victimes de travaux forcés37 dont 13 hommes, une femme et quatre enfants; et
34 Ces chiffres, ensemble avec les chiffres de victimes de violences intercommunautaires durant la première phase,
donnent un total documenté de 701 personnes tuées pendant toute la période couverte par ce rapport, dont au moins
412 membres de la communauté Hema, 25 membres de la communauté Lendu et 135 membres d’autres
communautés ; de 309 personnes blessées dont au moins au moins 71 membres de la communauté Hema, 29 membres
de la communauté Lendu et 14 membres d’autres communautés; ainsi que 142 victimes de violences sexuelles dont
au moins 83 membres de la communauté Hema, trois membres de la communauté Lendu et quatre membres d’autres
communautés. Le BCNUDH a également comptabilisé 125 personnes privées de liberté dont au moins 26 membres
de la communauté Hema, 45 membres de la communauté Lendu et 10 membres d’autres communautés. 35 Il s’agit de 20 violations du droit à la vie, de cinq violations du droit à l’intégrité physique, de 30 cas de violences
sexuelles, de neuf violations du droit à la liberté et à la sécurité de la personne, de 44 violations du droit à la propriété
et d’un cas de travaux forcés. 36 Il s’agit d’une atteinte au droit à la vie, une atteinte au droit à l’intégrité physique, une atteinte au droit à la liberté
et à la sécurité de la personne et une atteinte au droit à la propriété. 37 Le 14 février 2018, dans les localités de Lidyo, Bubba, Sumbu, Loyi, Dudu, Kokpa et Udhe, territoire de Djugu,
des militaires des FARDC ont pillé des biens de la population et arrêté 18 personnes de la communauté Lendu, dont
une femme et quatre garçons, qui ont été contraintes de transporter les biens pillés vers la position des FARDC à Logo.
21
14 violations du droit à la propriété. Au cours de cette même période, les agents de la PNC ont
commis une violation des droits de l’homme dont une atteinte au droit à la vie38 à l’encontre d’un
enfant.
68. Pendant la deuxième vague de violences, de septembre 2018 à mai 2019, le BCNUDH a
documenté 41 violations attribuables à des militaires des FARDC, avec 11 victimes d’exécutions
extrajudiciaires dont neuf hommes et deux femmes ; quatre victimes de violations du droit à
l’intégrité physique dont deux hommes, une femme et un enfant ; six victimes de violences
sexuelles dont cinq femmes et une fille ; 15 victimes de violations du droit à la liberté et à la
sécurité de la personne, tous des hommes; et 20 violations du droit à la propriété. Deux violations
par des agents de la PNC ont été documentées pour la même période, avec un homme victime de
violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne et une violation du droit à la propriété.
69. Pendant la troisième vague, à partir de juin 2019, les militaires des FARDC ont commis 42
violations des droits de l’homme avec 15 victimes d’exécutions extrajudiciaires dont neuf
hommes, quatre femmes et deux enfants ; deux victimes de violations du droit à l’intégrité
physique, toutes des femmes ; 33 victimes de violences sexuelles dont 32 femmes et une fille; deux
victimes de violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne, tous des hommes ; et 10
violations du droit à la propriété. Au cours de cette même période, un cas de violation du droit à
l’intégrité physique d’un homme, attribuable à la PNC, a été documenté.
70. Le nombre de violations des droits de l’homme attribuables aux FARDC a donc
progressivement augmenté, de 26 lors de la première vague à 41 et 42 violations lors des deuxième
et troisième vagues de violences. Durant les deux premières phases de violences, le nombre de cas
de violences sexuelles documentés par le BCNUDH a été relativement faible (huit victimes pour
les deux périodes cumulées), tandis que pendant la troisième période, 32 femmes et une fille ont
été victimes de violences sexuelles commises par les FARDC.
71. Les 27 victimes d’exécutions extrajudiciaires par des FARDC incluent au moins 21
membres de la communauté Lendu, les 24 victimes de violations du droit à l’intégrité physique
incluent 20 membres de la communauté Lendu, les 41 victimes de violences sexuelles incluent au
moins 32 membres de la communauté Hema, trois de la communauté Lendu et deux d’autres
communautés, et les 39 victimes d’atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de la personne
incluent au moins 33 membres de la communauté Lendu.
B. Atteintes aux droits de l’homme commises par des assaillants présumés
Lendu
72. De décembre 2017 à mai 2018, les attaques perpétrées par des membres de la communauté
Lendu ont causé la mort de 277 personnes (dont 91 femmes et trois enfants), blessé 31 personnes
(dont une femme et un enfant), privé neuf personnes de leur liberté (dont huit femmes), et entraîné
125 crimes contre la propriété (consistant notamment à la destruction de villages, y compris par
Les victimes ont subi des mauvais traitements de la part de deux militaires des FARDC sous le commandement d’un
capitaine. 38 En début mars 2018, un agent de la PNC déployé dans cette localité a tiré sur une fille Lendu de 16 ans, sans
l’atteindre. L’incident aurait eu lieu dans un restaurant familial, suite au refus de la victime d’accepter des avances
sexuelles de la part du policier. L'auteur présumé a été arrêté par son commandant d’unité et transféré à Djugu centre
sur instruction du commandant de la police du territoire.
22
incendie, et au vol de biens). Aucun cas de violence sexuelle par des membres de la communauté
Lendu n’a été rapporté au BCNUDH au cours de cette période.39
73. C’est à partir de septembre 2018 que la nature des violences évolue, avec l’émergence
d’attaques planifiées et organisées, et que des caractéristiques associées à leurs auteurs40 permettent
de considérer l’existence d’un ou de groupes armés. Entre septembre 2018 et mai 2019, le
BCNUDH a documenté 24 atteintes aux droits de l’homme attribuables à des assaillants Lendu
présumés appartenir à un groupe armé, avec 60 victimes d’exécutions sommaires dont 42 hommes,
10 femmes et huit enfants ; 21 victimes d’atteintes au droit à l’intégrité physique dont 15 hommes,
deux femmes et quatre enfants ; 10 victimes de violences sexuelles, toutes des femmes ; 17
victimes d’atteintes au droit à la liberté et à la sécurité de la personne dont trois hommes, neuf
femmes et cinq enfants ; 14 victimes de travaux forcés dont neuf femmes et cinq enfants ; et trois
atteintes au droit à la propriété.
74. Cette seconde période de violences a été marquée par des attaques ciblées de positions des
FARDC. Le nombre d’atteintes aux droits de l’homme est donc relativement bas en proportion à
la troisième période durant laquelle la population a été la cible principale des violences.
75. En effet, à partir de juin 2019, le BCNUDH a documenté 188 atteintes aux droits de
l’homme attribuables à des assaillants Lendu, avec 333 victimes d’exécutions sommaires dont 244
hommes, 50 femmes et 39 enfants ; 88 victimes d’atteintes au droit à l’intégrité physique dont 64
hommes, 16 femmes et huit enfants ; 91 victimes de violences sexuelles dont 89 femmes et deux
filles ; 56 victimes d’atteintes au droit à la liberté et à la sécurité de la personne dont 27 hommes,
19 femmes et 10 enfants ; et 42 atteintes au droit à la propriété.
76. Au cours de cette troisième période la nature des atteintes a changé, avec un nombre plus
élevé d’exécutions sommaires (333 victimes contre 60 au cours de la deuxième phase), des
mutilations documentées pour la première fois depuis le début de la crise, ainsi qu’une
augmentation très significative du nombre de victimes de violences sexuelles. En effet, alors que
10 femmes ont été violées au cours de la seconde phase, au moins 89 femmes et deux filles ont été
victimes de violences sexuelles pendant la troisième vague. La majorité des cas de violences
sexuelles sont des viols, y compris collectifs, commis alors que les victimes se trouvaient isolées,
sur la route ou dans des champs. Alors que ce type de mode opératoire pourrait dénoter des attaques
opportunistes, le grand nombre de victimes (101) et le fait qu’elles soient majoritairement
membres de la communauté Hema (au moins 51 membres de cette communauté), indiquent des
attaques ciblées. Dans certains cas, les survivantes ont indiqué que les assaillants tuaient les
hommes qui les accompagnaient avant de les violer sous la menace d’une arme blanche. Dans
certains cas, les victimes ont été exécutées à l’arme blanche.
77. Les 393 victimes d’exécutions extrajudiciaires par des assaillants Lendu entre septembre
2018 et septembre 2019 incluent au moins 136 membres de la communauté Hema et 135 membres
d’autres communautés ; les 109 victimes de violations du droit à l’intégrité physique incluent au
moins 39 membres de la communauté Hema et 14 membres d’autres communautés ; les 101
victimes de violences sexuelles incluent au moins 51 membres de la communauté Hema et deux
membres d’autres communautés ; et les 73 victimes d’atteintes au droit à la liberté et à la sécurité
39 Pour rappel, au cours de cette même période, des membres de la communauté Hema ont été responsables de
violences ayant entraîné la mort de quatre personnes (dont deux femmes), blessé deux femmes, privé trois hommes et
huit femmes de leur liberté, et commis trois crimes contre la propriété. 40 Voir Section E i) de ce rapport, « Organisation et mode opératoire des assaillants Lendu ».
23
de la personne incluent au moins 26 membres de la communauté Hema et 10 membres d’autres
communautés. Les 135 victimes d’exécutions sommaires par des assaillants Lendu correspondent
pour la plupart à la troisième vague et comprennent notamment 87 membres de la communauté
Alur.
C. Crimes internationaux
78. Les enquêtes du BCNUDH ont permis de conclure que les atteintes aux droits de l’homme
et les violences documentées dans ce rapport ont été commises dans la cadre d’attaques généralisés
ou systématiques contre des civils, spécialement la population Hema, et pourraient de ce fait
présenter des éléments constitutifs de crimes contre l’humanité notamment par meurtre, torture,
viol et autres formes de violences sexuelles, pillages et persécution. Comme les faits ont eu lieu
dans le cadre d’un conflit armé interne par les parties au conflit, ces actes pourraient également
constituer des crimes de guerre.
79. La grande majorité des victimes des attaques semble avoir été visée en raison de leur
appartenance à la communauté Hema (au moins 402 membres de cette communauté tués et 79
blessés entre décembre 2017 et septembre 2019). Des membres d’autres communautés ont
également été affectés (118 membres d’autres communautés ont été tués et 13 blessés), notamment
des communautés Alur et Mambisa.
80. Les attaques ont notamment provoqué le déplacement des populations, causant l’abandon
total ou partiel des localités ciblées, ce qui pourrait également avoir été l’intention des assaillants,
et pourraient établir des éléments constitutifs de persécution ainsi que de transfert forcé de la
population. La destruction systématique des habitations appartenant à des membres de la
communauté Hema semble confirmer la volonté d’empêcher la présence et le retour des membres
de cette communauté dans les localités attaquées de manière durable.
81. Compte tenu des éléments susmentionnés, en particulier le mode opératoire qui semble
viser particulièrement la communauté Hema, le nombre élevé de civils tués, mutilés et de victimes
de violences sexuelles, la volonté au cours des attaques de tuer les blessées, les attaques sur les
camps de déplacés et la destruction systématique des habitations Hema, les violences documentées
par le BCNUDH dans les territoires de Djugu et Mahagi pourraient présenter au moins certains
des éléments constitutifs de crime de génocide41 par meurtre et atteinte grave à l’intégrité physique
ou mentale de membres du groupe.42 Toutefois,43 les enquêtes menées à ce jour ne démontrent pas
à suffisance l’intention de détruire les Hema en tant que groupe ethnique.
41 Plusieurs déclarations publiques émanant de leaders communautaires Hema évoquent une tentative de génocide de
la communauté Hema. Dans un mémorandum adressé au Gouverneur de l’Ituri le 4 février 2018, l’association ENTE,
représentative de la communauté Hema, demandait au Gouvernement national et aux autorités provinciales d’user de
leurs pouvoirs régaliens afin d’arrêter définitivement les massacres à répétition commis en chefferie de Bahema-Nord
et s’indignait de la léthargie du chef du gouvernement provincial quant à la gestion de ce que cette communauté
qualifie de ‘génocide’ perpétré par les sujets Lendu envers les sujets Hema dans le territoire de Djugu depuis le 16
décembre 2017. 45 Statut de Rome, Article 6 (a) et (b). 43 Des actes peuvent être qualifiés de crime de génocide par meurtre dès lors que « (1) leur auteur a tué une ou plusieurs
personnes ; (2) cette personne ou ces personnes appartenaient à un groupe national, ethnique, racial ou religieux
24
D. Déplacement des populations
82. Les violences dans le territoire de Djugu ont entrainé un vaste déplacement de populations,
dont des Hema et des Lendu qui ont trouvé refuge dans des familles d’accueil ou se sont installés
dans des sites de déplacés internes à Bunia, villages d’Iga-Barriere, Linga, Kpandroma (Walendu
Pitsi), Drodro, Katoto (Bahema-Nord) dans le territoire de Djugu, le territoire de Mahagi et à la
frontière Ougandaise. Au 20 juin 2019, OCHA avait enregistré plus de 300 000 personnes
déplacées de force, dont 209 504 déplacés internes ayant fui les violences dans les territoires de
Djugu et Mahagi. Selon le HCR, près de 2 000 personnes de ces territoires ont fui vers l’Ouganda
à partir de juin 2019. Ces chiffres évoluent chaque jour car les populations continuent de se
déplacer en raison de la persistance des attaques.
83. Le gouvernement provincial d’Ituri a encouragé les retours malgré l’insécurité
persistante ainsi que des craintes de harcèlement par les FARDC et la PNC des populations locales.
84. Dans la collectivité de Bahema Nord, le BCNUDH a été informé qu’entre juin et octobre
2018, suite aux encouragements des autorités gouvernementales, environ 50% des déplacés étaient
rentrés dans leurs villages. Cependant, suite à des rumeurs persistantes d’attaques et des incidents
isolés d’enlèvement, ils se sont à nouveau déplacés, soit dans des familles d’accueil soit dans des
sites de déplacés.
85. De façon générale, au cours des enquêtes réalisées par le BCNUDH, la majorité des
déplacés ont manifesté leur volonté de rejoindre leurs villages d’origine. Cependant, ils sont restés
dans les sites ou familles d’accueil par crainte de nouvelles attaques, y compris contre les villages
sécurisés par les FARDC.
86. Lors de la troisième vague de violences à Djugu, le BCNUDH a documenté des cas de
destruction d’abris construits par le HCR où vivaient des déplacés internes ainsi que l’incendie
d’églises et d’écoles occupées par des déplacés. En septembre 2019, des assaillants Lendu ont
directement attaqué trois sites de déplacés internes dans les chefferies des Bahema nord et Bahema
Badjere, tuant 35 civils, dont 15 enfants. Suite à ces attaques, qui ont mis en exergue la situation
sécuritaire volatile qui prévaut autour et dans les sites, les déplacés du site de Drodro (groupement
Buku, Bahema Nord) et de Roo ont quitté le camp par peur d’être attaqués. La majorité des
déplacés du site de Kuu quant à eux, passent la journée dans le site mais le quittent la nuit pour
Bule en quête de sécurité, étant donné que les attaques ont eu lieu la nuit. Seuls quelques jeunes
restent sur le site pendant la nuit.
87. La situation humanitaire dans les sites de déplacés demeure très préoccupante. Alors que
l’assistance humanitaire en aliments et en produits non alimentaires est limitée et se fait
progressivement dans les sites à travers le territoire de Djugu, le BCNUDH a constaté que les sites
créés dans le territoire de Mahagi ne reçoivent pas de l’aide régulièrement. Dans certains cas, l’aide
est inexistante en raison de difficultés d’accès pour les humanitaires, les déplacés étant éparpillés
dans la brousse et dans des zones inaccessibles sur le rivage du lac Albert.
88. Le manque de nourriture, d’eau potable, de soins de santé, l’impossibilité d’aller à l’école,
sont autant de problèmes auxquels font face les déplacés. Les besoins en matière d’eau et
particulier ; (3) l’auteur avait l’intention de détruire, en tout ou en partie, ce groupe national, ethnique, racial ou
religieux, comme tel ; et (4) le comportement s’est inscrit dans le cadre d’une série manifeste de comportements
analogues dirigés contre ce groupe, ou pouvait en lui-même produire une telle destruction ».
25
assainissement restent pressants et les risques d’épidémie sont palpables dans les camps de fortune
établis par les déplacés eux-mêmes.
V. Réponses des autorités et de la MONUSCO
A. Déploiement des forces de défenses et de sécurité
89. Des éléments des FARDC ainsi que de la PNC ont été déployés en février 2018, quelques
mois après le début de la première vague de violences, dans le but de renforcer la sécurité du
territoire de Djugu. Toutefois, au vu de la persistance et de l’intensification des attaques lors des
deuxième et troisième vagues, les forces de défense et services de sécurité n’ont pas été en mesure
d’assurer efficacement la protection des civils dans les zones affectées.
90. Dans certains cas, les FARDC avaient quitté leurs positions quelques temps avant les
attaques, par exemple le 10 juin dans les villages de Tche et Rule, soit la veille des attaques de ces
localités au cours desquelles 65 personnes ont été tuées. Par ailleurs, le départ des FARDC de la
zone de Jiba après l’incendie de leur camp le 31 mai a donné plus de liberté aux assaillants dans
cette zone étant donné sa proximité avec la forêt Wago (plus ou moins à 30 km).44
91. A partir du 21 juin 2019, le secteur opérationnel FARDC de l’Ituri, appuyé de plusieurs
renforts dans le territoire de Djugu, a lancé des opérations contre les assaillants Lendu. Deux
semaines après cette offensive, les FARDC ont affirmé avoir récupéré plusieurs localités qui
étaient aux mains des assaillants. Depuis lors, la présence d’éléments des FARDC engagés dans
des opérations offensives contre les assaillants est observée dans le territoire de Djugu.
B. Les initiatives de réconciliation intercommunautaire
92. A la suite des attaques de décembre 2017, les autorités provinciales ont entrepris des
initiatives pour ramener le calme. Le 29 décembre 2017, le Gouverneur de la province a convié
les autorités locales des deux communautés à une rencontre à Fataki (83 km de Bunia, territoire de
Djugu). Le 5 janvier 2018, l’Administrateur du Territoire de Djugu a organisé une réunion de
sécurité à Blukwa pour essayer de mettre fin au conflit et responsabiliser tous les chefs de
groupement en leur demandant de livrer tous les jeunes impliqués dans les attaques.
93. Néanmoins, les incidents ont continué à se multiplier entre les communautés Hema et
Lendu dans les premiers mois de l’année 2018. Aussi, en 2018, sous l’impulsion de la Section des
Affaires civiles de la MONUSCO et des autorités provinciales, des sessions de dialogue
intercommunautaire et de sensibilisation à la coexistence pacifique ont été organisées entre les
communautés en conflit. Après les violences de juin 2019, ces efforts se sont poursuivis avec
plusieurs initiatives. Une délégation gouvernementale a été conduite par le Gouverneur de
province, le 14 juin 2019, dans une mission de pacification dans les localités de Nizi, Bambu et
Kobu. Malgré ces initiatives, les attaques contre les populations se sont poursuivies et étaient
toujours en cours à la date de finalisation de ce rapport.
C. Actions de lutte contre l’impunité
44 Le sous-commissariat de la PNC à Jiba ne compte que quatre agents.
26
94. Le BCNUDH a partagé tous les cas documentés avec les autorités judiciaires, y compris
les cas des violations des droits de l’homme attribuables au FARDC. Il a également fait part au
Commandement des opérations militaires dans le territoire de Djugu de ses préoccupations
concernant des violations de droits de l’homme attribuables au FARDC. A l’issue de la première
vague de violences dans le territoire de Djugu, l’Auditorat militaire de garnison de l’Ituri a ouvert
une enquête en vue d’établir les faits et identifier les responsables des violences. Dans ce cadre,
l’Auditorat a organisé sept audiences foraines à Djugu, Tchomia et Bunia. Le 28 septembre 2019,
à la suite de l’enquête, le Tribunal militaire de garnison de l’Ituri s’est prononcé dans l’affaire dite
« Djugu I », enrôlée sous le RP 957/18 RMP 3636/LOP/18 au greffe du Tribunal et mettant en
cause l’Auditeur militaire de garnison de l’Ituri, Ministère Public, et les prévenus Tsumbu Dirokpa
Mapa et consorts dans le cadre des violences entre 2017 et 2018 à Djugu.
95. Des décisions ont été rendues à l’égard de 76 prévenus, la plupart des éléments armés
Lendu, mais aussi deux militaires et deux policiers. Le tribunal militaire de garnison a condamné
à la servitude pénale à perpétuité 55 prévenus pour crimes contre l’humanité par meurtre,
déportation, viol, torture, mutilation, terrorisme, apologie de crime contre l’humanité, tentative de
déportation et port illégal d’uniforme militaire. Cinq prévenus ont été acquittés pour faits
infractionnels non établis. Les décès de 14 autres prévenus à la prison de Bunia45 avaient mis fin
aux poursuites contre eux.
96. Le tribunal a également prononcé des peines subsidiaires, notamment la condamnation des
prévenus, solidairement avec l’Etat congolais, au paiement de dommages-intérêts de $5,000 à
$30,000 en faveur de 208 parties civiles.
97. En juillet 2019, les autorités provinciales de l’Ituri ont institué une commission d’enquête
judiciaire qui poursuivait ses enquêtes lors de la finalisation de ce rapport. A ce moment, 80
présumés assaillants Lendu avaient été interpelés et mis sous mandat de dépôt à la prison de Bunia.
Le BCNUDH et les cellules d’appui aux poursuites de la section justice de la MONUSCO suivent
de près ces procédures.
98. Les cas de violations attribuables à des membres des forces de défense et de sécurité sont
quant à eux traités au fur et à mesure que l’Auditorat militaire est informé. A titre d’exemple, une
commission ad hoc composée de trois magistrats a été instituée au sein du parquet militaire pour
enquêter sur les cas de violences sexuelles imputables à des militaires des FARDC.46
D. Réponse de la MONUSCO
99. Dès la première vague de violences à Djugu, la MONUSCO a déployé trois Static Combat
Deployments (SCD) - à Blukwa (120 km de Bunia), à Fataki (75 km N de Bunia) et à Lita (35 km
NE de Bunia).
100. Après les attaques de juin 2019, la MONUSCO a déployé un SCD dans la localité de Nizi
(30km de Bunia, collectivité Mambisa, territoire de Djugu) qui a été fermé à la fin du mois d’août
et redéployé dans la localité de Pimbo (60km N de Bunia, collectivité Walendu Djatsi, dans le
45 Ces décès s’inscrivent dans un contexte de mauvaises conditions de détention à la prison de Bunia. 46Le BCNUDH a interagi avec le Commandant de la zone opérationnelle d’Ituri au sujet de ces cas de violences
sexuelles, qui a désigné un interlocuteur. Tous les cas documentés ont été transmis par le BCNUDH à l’interlocuteur
pour suivi.
27
territoire de Djugu) afin de contribuer à la protection des civils dans cette partie proche de la forêt
de Mbau, où se seraient installés les hommes armés après les attaques par les FARDC de la forêt
de Wago. La MONUSCO a aussi installé un SCD dans la localité de Jiba (95km de Bunia,
groupement Dhedho, secteur Walendu Pitsi), à 30 km de la forêt de Wago.
101. Le 14 juin 2019, la MONUSCO a soutenu les initiatives de sensibilisation à la paix du
Gouverneur de province dans les localités de Nizi, Bambu et Kobu.
102. A partir de juin 2019, lorsque des populations déplacées se sont installées à proximité des
SCD de la MONUSCO en quête de sécurité, des casques bleus ont effectué des patrouilles autour
des camps pour protéger ces populations, notamment à Roo (20 000 déplacés) et à Loda (3 000
déplacés).
VI. Conclusions et recommandations
103. Alors que la première période de violences dénote un mode opératoire sporadique et un
niveau d’organisation peu développé, le mode opératoire et la nature des violences a évolué lors
des deuxième et troisième vagues de violence. Dès septembre 2018, les attaques ont été
vraisemblablement planifiées et organisées suivant un mode opératoire quasi identique, indiquant
que les assaillants auraient reçu des instructions. Les attaques ont été extrêmement rapides et
violentes, laissant peu de temps à la population pour fuir. A ce jour, les violences continuent avec
un degré de violences considérable, y compris contre des personnes vulnérables telles que les
personnes déplacées.
104. Au moins une partie des violences documentées dans les territoires de Djugu et Mahagi
pourraient présenter des éléments constitutifs de crime contre l’humanité par meurtre, persécution
ou transfert forcé de populations.
105. Les populations ont totalement ou partiellement abandonné les localités attaquées, ce qui
pourrait avoir été l’intention des assaillants. L’ampleur, la récurrence et la virulence des attaques
ciblant la communauté Hema, y compris des violences sexuelles, la destruction systématique des
habitations appartenant à des membres de cette communauté, la présence menaçante d’assaillants
Lendu armés autour des sites de déplacés semblent confirmer l’intention d’empêcher le retour des
Hema dans les localités attaquées. Les périodes durant lesquelles les attaques sont perpétrées sont
révélatrices : juin correspondant à la période des récoltes, et décembre celle des semailles. Ceci
réduit la possibilité d’exploitation des champs par les Hema et exacerbe le manque de nourriture.
Recommandations :
Aux autorités congolaises :
➢ Traiter les causes du conflit liées à la terre.
➢ Renforcer la présence des institutions étatiques dans le territoire de Djugu, en garantissant
leur impartialité afin d’assurer la promotion et la protection des droits de toutes les
communautés ; renforcer notamment la présence des FARDC et de la PNC, et assurer que
ses agents bénéficient d’équipement et de formations adéquats pour mener à bien leur
mission de maintien de l’ordre public et de protection des civils en conformité avec les
standards internationaux ;
28
➢ Garantir la sécurité des sites de déplacés internes et des villages les plus touchés par les
attaques afin de permettre le retour de leurs habitants ;
➢ Poursuivre les efforts visant à mener des enquêtes judiciaires indépendantes et impartiales
sur l’ensemble des attaques, dans le respect des standards internationaux ;
➢ Assurer le droit à un recours et aux réparations pour les victimes, y compris les victimes
de violences sexuelles, ainsi que leur accès à des services de soins médicaux et
psychosociaux, sur la base d’une démarche axée sur les victimes ;
➢ Initier des efforts de réconciliation et de dialogue entre les communautés ;
A la MONUSCO :
➢ Prolonger la présence militaire temporaire (SCD) dans le territoire de Djugu afin de
prévenir des violences, rassurer les populations déplacées sur leur possible retour, et mener
des interventions de protection ;
➢ Installer des SCD stratégiques afin de sécuriser les zones à haut risque et prévenir
l’escalade de la violence, et appuyer les FARDC dans la mise en place d’une stratégie
militaire plus efficace ;
➢ Poursuivre et renforcer les capacités de la PNC dans le territoire de Djugu, notamment par
des formations en droits de l’homme dans le cadre du maintien et du rétablissement de
l’ordre public, en conformité avec la Politique de diligence voulue des Nations Unies en
matière de droits de l’homme ;
➢ Poursuivre les efforts pour initier un système d’alerte précoce dans la zone affectée et dans
les zones alentours qui pourraient être affectées ;
➢ Renforcer le soutien aux autorités locales dans les efforts de réconciliation entre les
communautés, notamment à travers des projets à impact rapide pour la réhabilitation
conjointe d’écoles et de centres de santé par des membres des différentes communautés ;
➢ Fournir un soutien plus accru à la justice civile et militaire pour la conduite effective des
enquêtes, notamment par des missions d’enquête conjointes et la tenue de procès ;
➢ Envisager un établissement global des faits et la mise en place d’initiatives de justice
transitionnelle en complément des actions de lutte contre l’impunité.
Au Groupe d’experts du Conseil de sécurité sur la République démocratique du Congo :
➢ Mener des enquêtes approfondies sur l’implication possible de quelconque acteur extérieur
à la RDC dans la planification des attaques.
A la communauté humanitaire :
➢ Poursuivre les efforts d’assistance humanitaire dans les territoires de Djugu et les zones
avoisinantes affectées ;
➢ Effectuer une évaluation multi-sectorielle des besoins humanitaires dans le territoire de
Djugu et les zones avoisinantes affectées ;
➢ Poursuivre le suivi auprès des personnes réfugiées en Ouganda et des personnes déplacées
internes pour identifier d’éventuels cas de violences sexuelles et mettre en place des
services de prise en charge appropriés.
29
Annexe – Photos de villages détruits et de camps de personnes déplacées dans le territoire de Djugu
Villages et cases brûlés
Village Tche, suite à l’attaque du 10-11 juin 2019
Cases de personnes déplacées brûlées
à Paranganza suite à l’attaque
du 10 juin 2019
Photos prises par UNPOL du 18 au 24 juin 2019
30
Cases brûlées au centre de Logo, suite à l’attaque du 11-12 juin 2019
Camps de personnes déplacées à Roe (15.000 déplacés selon des chiffres du mois de novembre
2019)
Photos prises par UNPOL du 18 au 24 juin 2019
31
Camp de personnes déplacées à la paroisse de Drodro (16.799 déplacés selon des chiffres du
mois de novembre 2019)
Photos prises par UNPOL du 18 au 24 juin 2019