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 L’HUMANISME DE CERVANTÈS  par Jean CANAV AGGIO Il y a cent ans, le titre de la conférence que j’ai le plaisir de prononcer ce soir devant vous n’aurait pas manqué de remplir de stupéfaction mon auditoire. Aux yeux des lecteurs du début du XXe siècle, en effet, qualifier Cervantès d’umaniste e!t été pour le moins incon"ru. #n lui accordait volontiers d’$tre l’auteur d’un cef d’oeuvre universel% mais, alors que les éritiers de l’exé"èse romantique tenaient  Don Quichotte pour un li vr e & clef, dé pos itaire d’u n se ns ca c é qu’ il con venait de déc ry pte r, la cri tiq ue  positivi ste, en réaction contre ce parti'pris, consid érait que ce cef d’oeuvre avait été con(u par un écrivain doué, sans doute, mais sans idées personnelles, faute d’avoir re(u une formation appropriée ) . *out au plus le "rand érudit +enénde -elayo, s’employant, en )/0, & définir la culture littéraire de cet écrivain, lui accordait'il 1cette "randeur d’esprit, umaine et aristocratique qu’eurent tous les "rands ommes de la 2enaissance3, "r4ce & laquelle 1il fut plus umaniste que s’il avait appris par coeur toute l’Antiquité "recque et latine3 5 . Ce n’est qu’après la -remière 6uerre +ondiale qu’en )50, Américo Castro allait replacer l’ensemble de l’oeuvre de Cervantès dans les courants et les débats de son époque, découvrant en lui, du m$me coup, un esprit audacieux, parta"é entre son scepticisme et son éducation crétienne et, pour mieux déjouer la vi"ilance des censeurs,  prompt & se dissimuler derrière ses personna"es 7 .  8oue ans plus tard, en )79, +arcel :ataillon va accomplir un nouveau pas en relisant les m$mes textes & la lumière des idées d’;rasme. < ses yeux, 1l’umanisme répandu dans les livres de Cervantès nous devient intelli"ible, si nous savons que c’est un umanisme crétien, transmis au romancier par un ma =tre éras mi sant3 > . C’est do nc sous l’invocatio n du  pontifex maximus de l’ispanisme fran(ais que je me place aujourd’ui, mais pour soulever aussit?t deux ques tion s que je croi s importa ntes. *o ut d’ab ord, comment déf in ir cet u man ism e, sacant qu’il s’a"it l& d’une notion qui, au fil du temps, a pris différentes acceptions@ n second lieu, dans quelle mesure est'il permis de l’associer & la personnalité et & l’oeuvre de l’auteur de  Don Quichotte@ Il faut se rappeler, en effet, que nous i"norons presque tout de ses années d’études, ormis un bref séjour, & l’4"e de 5/ ans, & l’  Estudio de la Villa, le collè"e madrilène diri"é par Buan Dpe de Eoyos, son 1 ma=tre érasmisant3 % et quant & sa 1pensée3, revendiquée précisément par Américo Castro dès le titre de son ouvra"e , , on ne peut l’aborder & la manière d’une construction doctrinale. Il convient donc, au préalable, d’avoir ces deux questions présentes & l’esprit. 1  e positivime ré"nant réa"issait ainsi contre l’exé"èse dite ésotérique, dérivée de l’interprétation des romantiques allemands qui, au début du XIXe siècle, avaient car"é l’aventure de don Fuicotte d’une portée symbolique. #n voudra bien se reporter & ce sujet & notre livre,  Don Quichotte, du livre au mthe ! "uatre si#cles d$errance , -aris, Gayard, 5//0, capitres IH et H. 2  Marcelino Menéndez Pelayo, 1 Cultura literaria de +i"uel de Cervantes y elaboraciDn del Qui%ote3, rééd. in &an Isidro, Cervantes otros estudios , :uenos Aires'+éxico, Austral, )>9, p. ). 3  Américo Castro, El pensamiento de Cervantes, +adrid, Eernand o, )50. 4  +arcel :ataillon, 'rasme et l$Espa(ne) *echerches sur l$histoire spirituelle du +VIe si#cle , -aris, 8ro, )79, p. 79. 1

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L’HUMANISME DE CERVANTÈS

par Jean CANAVAGGIO

Il y a cent ans, le titre de la conférence que j’ai le plaisir de prononcer ce soir devant vous n’aurait pas manqué de remplir de stupéfaction mon auditoire. Aux yeux deslecteurs du début du XXe siècle, en effet, qualifier Cervantès d’ umaniste e!t été pour lemoins incon"ru. #n lui accordait volontiers d’$tre l’auteur d’un c ef d’oeuvre universel%mais, alors que les éritiers de l’exé"èse romantique tenaient Don Quichotte pour unlivre & clef, dépositaire d’un sens cac é qu’il convenait de décrypter, la critique positiviste, en réaction contre ce parti'pris, considérait que ce c ef d’oeuvre avait été

con(u par un écrivain doué, sans doute, mais sans idées personnelles, faute d’avoir re(uune formation appropriée). *out au plus le "rand érudit +enénde -elayo, s’employant,en ) /0, & définir la culture littéraire de cet écrivain, lui accordait'il 1cette "randeur d’esprit, umaine et aristocratique qu’eurent tous les "rands ommes de la 2enaissance3,"r4ce & laquelle 1il fut plus umaniste que s’il avait appris par coeur toute l’Antiquité"recque et latine35. Ce n’est qu’après la -remière 6uerre +ondiale qu’en ) 50, AméricoCastro allait replacer l’ensemble de l’oeuvre de Cervantès dans les courants et les débatsde son époque, découvrant en lui, du m$me coup, un esprit audacieux, parta"é entre sonscepticisme et son éducation c rétienne et, pour mieux déjouer la vi"ilance des censeurs, prompt & se dissimuler derrière ses personna"es7. 8ou e ans plus tard, en ) 79, +arcel:ataillon va accomplir un nouveau pas en relisant les m$mes textes & la lumière des idées

d’;rasme. < ses yeux, 1l’ umanisme répandu dans les livres de Cervantès nous devientintelli"ible, si nous savons que c’est un umanisme c rétien, transmis au romancier par un ma=tre érasmisant3>. C’est donc sous l’invocation du pontifex maximus del’ ispanisme fran(ais que je me place aujourd’ ui, mais pour soulever aussit?t deuxquestions que je crois importantes. *out d’abord, comment définir cet umanisme,sac ant qu’il s’a"it l& d’une notion qui, au fil du temps, a pris différentes acceptions@ nsecond lieu, dans quelle mesure est'il permis de l’associer & la personnalité et & l’oeuvrede l’auteur de Don Quichotte@ Il faut se rappeler, en effet, que nous i"norons presquetout de ses années d’études, ormis un bref séjour, & l’4"e de 5/ ans, & l’ Estudio de laVilla, le collè"e madrilène diri"é par Buan Dpe de Eoyos, son 1 ma=tre érasmisant3 % etquant & sa 1pensée3, revendiquée précisément par Américo Castro dès le titre de son

ouvra"e,

, on ne peut l’aborder & la manière d’une construction doctrinale. Il convientdonc, au préalable, d’avoir ces deux questions présentes & l’esprit.

1 e positivime ré"nant réa"issait ainsi contre l’exé"èse dite ésotérique, dérivée de l’interprétationdes romantiques allemands qui, au début du XIXe siècle, avaient c ar"é l’aventure de donFuic otte d’une portée symbolique. #n voudra bien se reporter & ce sujet & notre livre, DonQuichotte, du livre au m the ! "uatre si#cles d$errance, -aris, Gayard, 5//0, c apitres IH et H.2 Marcelino Menéndez Pelayo, 1 Cultura literaria de +i"uel de Cervantes y elaboraciDndel Qui%ote3, rééd. in&an Isidro, Cervantes otros estudios, :uenos Aires'+éxico, Austral,) >9, p. ).3

Américo Castro, El pensamiento de Cervantes, +adrid, Eernando, ) 50.4 +arcel :ataillon, 'rasme et l$Espa(ne) *echerches sur l$histoire spirituelle du +VIe si#cle,-aris, 8ro , ) 79, p. 79.

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Apparu en Allema"ne au XIXe siècle, avant d’$tre repris dans le reste del’ urope et au'del&, le terme 1 umanisme3 a admis depuis lors plusieurs définitions,avant de dési"ner, de nos jours, toute doctrine qui prend la personne unaine en tant quefin0. *outefois, dès l’époque de la 2enaissance, on voit comment en viennent & sequalifier eux'm$mes d’1 umanistes3 ceux qui for"ent ce néolo"isme pour rendre compte

d’un savoir "énéralement acquis dans l’enceinte des universitésJ celui des lettres"recques et latines ou, pour employer des expressions créées par eux, des 1lettresumaines3 ou 1lettres d’ umanité3 K studia humanitatisL, ainsi distin"uées des lettressacrées. Cette acception ne semble pas, en principe, pouvoir s’appliquer & Cervantès. equalificatif d’ 1in(enio le(o3 qu’il s’était donné & lui'm$meM, dési"nait abituellement,avec des connotations parfois né"atives, tous ceux qui n’étaient pas passés par l$Almamater . *el est précisément son cas. Gaute de donnés précises, il faut attendre )0M , alorsqu’& l’4"e de 55 ans, il vient de quitter +adrid, peut'$tre & la suite d’un mytérieux duel, pour découvrir le seul témoi"na"e que l’on conserve de son parcours académique, lamention, par Dpe de Eoyos, de son 1caro y amado discNpulo3, dans la *elaci n de lasexe"uias f-ne.res de la *e na Isa.el de Valo s) ntendons par l& un ouvra"e que venait

de publier le recteur del$Estudio de la Villa & la mémoire d’ lisabet de Halois, la jeuneépouse de - ilippe II, prématurément décédée quelques mois auparavant, et oO fi"urentquatre poésies de son élève9.

Il nous est difficile, par conséquent, de déterminer & quel de"ré de ma=trise desdeux lan"ues classiques est parvenu Cervantès. #n peut penser qu’il s’est formé au seind’un système complexe d’éducation, d’ori"ine "réco'latine, qui associait l’apprentissa"econjoint de l’expression parlée et écrite avec la lecture d’auteurs appelés & devenir desmodèles ou simplement des autorités. -arvint'il & savoir beaucoup de "rec, c’est peu probable% mais pour sa connaissance du latin, lan"ue qui fi"urait dès le pro"ramme desétudes préuniversitaires, on peut l’inférer, jusqu’& un certain point, des références & la

Hul"ate qu’il met dans la bouc e de *omPs 2odaja, le licencié de verre, ou encore desvers de Hir"ile, d’Eorace ou d’#vide qu’il cite de temps & autre, bien que parfois de

5 2appelons l’essai bien connu de B.-. Qartre, /$existentialisme est un humanisme. C’est &:urcR ardt que revient d’avoir imposé 0umanismus en Allema"ne en ) M/, tandis qu’ 0umanismen’appara=t qu’en ) 9 , dans le&uppl1ment de ittré. a biblio"rap ie relative &l’ umanisme, depuis 6arin et Sristeller jusqu’aux travaux les plus récents, est immense, et il nesaurait $tre question de la résumer ici. -our l’ spa"ne, on peut se reporter aux considérationsque nous devons & Grancisco 2ico et & ses collaborateurs, dans 0istoria Cr2tica de la /iteratura espa3ola 4*enacimiento5, :arcelona, CrNtica, t. 5, ) /, pp. )'59, et t. 5.), ) , pp.0'50. #n consultera aussi avec profit l’article de Bosep -ére , 1 ’ umanisme. ssai dedéfinition3, dans uisa Dpe 6ri"era y Au"ustNn 2edondo, 0omena%e a Eu(enio Asensio,+adrid, 6redos, ) , pp. 7>0'7M/.6 t qu’allait reprendre *amayo de Har"as, quelques années après sa mort. Hoir *omé *amayo deHar"as, Junta de li.ros, la ma or "ue ha visto Espa3a, hasta el a3o de 6789 K:T+, ms. 907,t. IIL. Ce catalo"ue manuscrit circula apparemment avant cette date. /e(o se disait de celui quin’était pas passé par l’université. KComp. Cervantes,Via%e del :arnaso, HI, v. )9>, inO.rascompletas, éd. G. Qevilla, +adrid, Castalia, ) , p. )5/ bJ 1pero, en fin, tienes el in"enio le"o3,dit & Cervantès un inconnu qui lui parle & l’oreille.7 0istoria *elaci n verdadera de la enfermedad, felicissimo transito sumptuosas exe"uias funera.les de la &erenissima *e na de Espa3a Do3a ;sa.el de Valo s <=> Compuesto ordenado por el ?aestro Juan / pe@ de 0o os, Cathedratico del Estudio desta villa de ?adrid , +adrid, -ierres Cosin, )0M .8

B.+. :lecua, 1 l Qui%ote en la istoria de la len"ua espaUola3, dans +. de Cervantes, DonQui%ote de la ?ancha , ediciDn del IH Centenario, 2eal Academia spaUolaVAsociaciDn deAcademias de la en"ua spaUola, :arcelona, Alfa"uara, 5//>, p. ))) .

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fa(on inexacte. 8e fait, on ne saurait douter du respect qui entoure, dans son oeuvre,ceux qui apprennent le "rec et le latin & Qalamanque, comme 8ie"o de AvendaUo, dans /$illustre laveuse de vaisselle, ou le jeune poète don oren o, le fils du c evalier au+anteau Hert, dans la deuxième partie de Don QuichotteJ ils accèdent de la sorte au1premier éc elon des sciences3)/ . +ais tout autre c ose est l’usa"e impertinent du latin

que dénoncent CipiDn et :er"an a, dans /e Collo"ue des chiens, et qui concerne deuxcaté"ories d’individus. 8’un c?té, 1certains discoureurs en lan"ue vul"aire, qui vousl4c ent de temps & autre, dans la conversation, quelque p rase latine, brève et ramassée, pour faire croire & ceux qui n’y comprennent rien qu’ils sont "rands latinistes, alorsqu’ils savent & peine décliner un nom ou conju"uer un verbe3% et & l’opposé, les vraislatinistes, mais qui, 1alors qu’ils parlent avec un savetier ou avec un tailleur, poussentl’imprudence jusqu’& déverser leur latin & pleins seaux3. 8eux formes d’une m$mesottise qui font que, comme l’observe :er"an a, 1ce n’est pas moins péc é de citer dulatin devant qui l’i"nore, que d’en citer alors qu’on l’i"nore3)) . n réalité, les citationslatines qui affleurent de temps en temps dans la prose cervantine ne sont pas les marquesd’un vain savoir, mais remplissent c aque fois une fonction précise. #u bien, comme

dans le prolo"ue & la première partie de Don Quichotte, elles sont comme mises &distance par le biais de l’ironie, exprimant ainsi la volonté d’un écrivain qui veut préserver son istoire du clinquant d’un exorde pompeux et de tous les ornementsd’érudition dont on rev$t les autres livres% ou bien, de fa(on plus "énérale, ellescontribuent & la caractérisation des personna"esJ soit en opposant & l’ent ousiasme desuns le pédantisme des autres, soit en souli"nant l’ambi"uWté de l’in"énieux idal"o, selonqu’il étonne ses interlocuteurs par son savoir ou, au contraire, qu’il se laisse entra=ner par sa folie lorsqu’il invoque inconsidérément des exemples tirés de l’Antiquité pour exalter la mission dont il se croit investi)5.

n fin de compte, Cervantès n’est pas un umaniste professionnel, au sens

étymolo"ique de ce terme J autrement dit, il n’a jamais fait partie de la confrérie de cesérudits "rammairiens et commentateurs qui, en se consacrant & la lecture et &l’interprétation des textes "recs et latins, jetèrent les bases de la p ilolo"ie et enappliquèrent les ressources et les tec niques)7. Qa relative familiarité avec la littérature9 -our ne rien dire de la connaissance qu’il dut avoir des traductions des textes de l’Antiquité qui purent influencer directement son oeuvre, depuis l’Od ss1e et l’ En1ide jusqu’&l$ ne d$or d’Apulée et les Ethiopi"ues d’Eéliodore. Hoir & ce sujet * omas Q. :eardsley, 1 a traduction desauteurs classiques en spa"ne de )> & )0 M, dans le domaine des belles'lettres3, dans A.2edondo, /$humanisme dans les lettres espa(noles, -arNs, B. Hrin, ) 9 , pp. 0)'M>.10 Don Quichotte, II, )M, dans Cervantès,Oeuvres romanes"ues compl#tes, édition publiée sousla direction de Bean Canava""io, avec la collaboration de Claude Allai"re, +ic el +oner et Bean'

+arc -elorson, -aris, 6allimard, :ibliot èque de la -léiade, 5//), t. I, p. )/)>. C’est & cetteédition que renvoient nos citations de textes cervantins. Tous avons traduit nous'm$me les autrescitations de textes en espa"nol.11 /e Collo"ue des chiens, éd. cit., t. II, p. >0M..12 Qur la fonction des citations dans le prolo"ue, voir +ario Qocrate, 1 ecturas delQui%oteJ-rDlo"o3, dans +i"uel de Cervantes, Don Qui%ote de la ?ancha , éd. diri"ée par Grancisco 2ico,:arcelona, 6alaxia 6utenber"VInstituto CervantesVCNrculo de ectores, 5//0, t. II, p. )7. Qur leur emploi dans la caractérisation des personna"es, voir le livre récent d’Antonio :arnésHP que , B ;o he le2do en Vir(ilio ! /a tradici n cl sica en el B Qui%ote , Hi"o, ditorialAcademia del Eispanismo, 5// . 8ans la nouvelle du /icenci1 de verre, ces citations font partiede tout un réseau de sentences et d’ap orismes dont l’enc a=nement, orienté vers la critique de lamalice umainein omni tempore, participe é"alement d’une désorientation née de la folie du

licencié, incapable d’a"ir de quelque forme que ce soit.13 Comme l’obser e !n"#ony Close, $sa oir %&els '&ren" les li res %&e l&"Cer an"(s no&s im)or"e bien moins %&e de sa oir commen" il les l&" e" %&el

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latine procède davanta"e d’une pratique empirique, issue de sa passion de lire, 1f!t'celes papiers déc irés de la rue3, ainsi qu’il le confesse dans un des premiers c apitres de Don Quichotte)>. +ais cela ne l’emp$c e pas, bien au contraire, de se moquer de ceuxqui prétendaient, comme ope de He"a, se faire passer pour tels. < preuve le prolo"uedéj& cité, oO il proclame son désir de laisser son istoire sans observations dans les

mar"es, ni notes & la fin, tirées de sources de seconde main. #n peut en dire autant du portrait qu’il brosse du cousin 1 umaniste3, terme que s’applique & lui'm$me celui qui"uide l’in"énieux idal"o et son écuyer jusqu’& la Caverne de +ontesinosJ éditeur d’unOvidio espa3ol et du&uplemento a Vir(ilio :olidoro, il entend se rendre célèbre "r4ce &ses nouvelles ?1tamorphoses burlesques. ’un de personna"es les plus proc es de lafi"ure canonique de l’ umaniste pourrait bien $tre *omPs 2odaja, puisque 1il étudia principalement le droit civil% mais l& oO il excellait le plus, ce fut dans les lettres profanes3)0. Cela dit, notre licencié ne tarde pas & s’éloi"ner de ce modèle, d’abord enc oisissant la vie de soldat, puis, & son retour d’Italie, lorsqu’il est victime des sortilè"esd’une courtisaneJ c’est alors qu’il devient fou, de cette étran"e maladie qui lui vautd’$tre appelé le licencié de verreJ une folie qui, comme nous allons le voir bient?t,

renvoie & un t ème majeur de la pensée umaniste.' o '

-armi les t èmes récurrents de cette pensée, celui de la folie occupe en effet une place éminente. Qon épanouissement précoce dans l’ urope du Tord se situe entre deuxdates essentiellesJ )> >, année oO para=t la Narrenschiff ou &tultifera Navis del’allemand Qebastien :rant, et )0)), date & laquelle est publié le&tultitiae /aus, lefameux 'lo(e de la folie, d’;rasme)M. Avant d’apprécier la si"nification que ce motif a pu prendre c e Cervantès motif t?t répandu dans l’ spa"ne de C arles Fuint, tant enraison de ses étroites relations avec les domaines septentrionaux de l’ mpereur, que de

la fascination qu’y exer(ait ;rasme il convient de noter que l’intér$t que lui accordentles umanistes atteste, entre autres indices, un élar"issement du sens premier du terme1 umanisme3. Cette extension est due au fait que les umanistes, au lieu de se borner &commenter les oeuvres profanes, appliquent les mét odes de la p ilolo"ie aux textessacrés% ainsi en viennent'ils inévitablement & mettre en question l’interprétationtraditionnelle de la :ible, une attitude qui les conduit & un questionnement de plus lar"e portée, celui de l’ort odoxie reli"ieuse officielle. Q’il est vrai qu’au sein du mouvementeuropéen de récupération umaniste des textes, & partir de la 2éforme, coexistentdifférents courants spirituels, tous, néanmoins, par del& leurs différences, reconnaissent lalé"itimité d’une démarc e exé"étique fondée sur de nouvelles bases)9. -our lesumanistes, en effet, cette démarc e peut s’adapter & n’importe quel type de textes, car,

d’après eux, il n’y a pas de solution de continuité entre la pensée "réco'latine etl’ érita"e judéo'c rétienJ le monde de la culture est un, et le développement qu’il aconnu depuis l’Antiquité traduit, dans un nouveau déploiement de possibilités, l’effort del’ omme pour accéder & l’humanitas, autrement dit, atteindre son plein

)ar"i il "ira de ses lec"&res* +$Cer an"es Pensamien"o, Personalidad,C&l"&ra*, dans Don Quijote de la Mancha , éd- ci"-, "- ., ) . / -14 DQ, I, , t. I, p. >0 .15 Cervantès, /e /icenci1 de verre, éd. cit., t. II, p. 5)/.16 G. +Prque Hillanueva, 1 iteratura bufonesca o del YlocoZ3, Nueva *evista de ilolo(2a 0isp nica , 7> K) 0' ML, pp. 0/ '0)).17

os collè"es jésuites [tels que le collè"e sévillan de Qan Eermene"ildo, évoqué pat :er"an adans /e Collo"ue des chiensF , méritent d’$tre considérés comme d’aut entiques éritiers del’ umanisme, autant que les fondations protestantes & la m$me époque .

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accomplissement, intellectuel, ét ique, reli"ieux et est étique, associant de la sortelaudes litterarum et di(nitas hominis) .

Cependant, ceux qui défendent en spa"ne cette attitude vont recontrer de la part de différents secteurs ordres mendiants, scolastiques salmantins, autorités

inquisitoriales une ostilité de plus en plus vive. Au fil des années, elle est renforcée par les soup(ons qui pèsent sur les nouveaux'c rétiens, c’est'&'dire les descendants de juifs convertis, par les mesures répressives qui frappent, & Halladolid et & Qéville, descommunautés taxées de protestantisme, et par la volonté d’en finir avec les foyersd’ érésie illuministes. Alors qu’au temps de l’ mpereur était sortie des presses, au boutde quin e années, la :ible poly"lotte d’AlcalP, entreprise en"a"ée au début du XHIesiècle & l’initiative du cardinal Cisneros, l’Index inquisitorial de )00 interdit nonseulement la circulation des bibles en lan"ue vul"aire, tant juives que protestantes, maisaussi la publication et la lecture de traductions inté"rales de l’Ancien et du Touveau*estament. +$me si - ilippe II, en )0M , accorde & Arias +ontano l’autorisation deréaliser une nouvelle édition de la :ible, dite d’Anvers, cette oeuvre insi"ne, destinée &

des cercles érudits, n’inclut aucune version en castillan de la Hul"ate. Téanmoins, aussi bien les traités de spiritualité des écrivains ascétiques[Bean d’Avila et ouis de6renade, entre autres [ que le travail exé"étique mené par Gray uis de eDn &Qalamanque, contribuent & faire conna=tre des traductions partielles des textes sacrés, etnotamment des -saumes, des -roverbes et du Cantique des Cantiques. Cervantès, dontnous savons qu’il pratiquait les manuels de piété, s’est familiarisé de la sorte avec lessources testamentairesJ & preuve, entre autres exemples, celui de Don Quichotte, oOl’empreinte des deux *estaments se manifeste & travers tout un répertoire d’ima"es, demétap ores et de citations. +ais ce qui retient le plus notre intér$t est le réemploiinsolite des textes sacrés qu’on y trouve, c aque fois qu’ils sont mis dans la bouc e detel ou tel personna"e. Qanc o -an(a, pour accréditer ses connaissances bibliques,

s’abrite abituellement derrière l’autorité du curé de son villa"e, dont il travestit lessermons au fil de ses déformations idiomatiques. Fuant & don Fuic otte, s’il surprendses interlocuteurs lorsqu’il invoque ces textes pour donner plus de poids & ses paroles, ilne parvient pas pour autant & faire ce qu’il se propose. ntre son désir d’assumer la voixdivine et prop étique au moment d’entreprendre une nouvelle aventure, et l’éc ec qu’ilconna=t bient?t, le décala"e que l’on observe prend une saveur ironique.

Au vu de cette première observation, il n’est pas aisé d’établir ce qu’a pu $trel’attitude de Cervantès en matière de reli"ion, et moins encore s’il s’a"it de la mettre enrapport avec les ascendants que d’aucuns lui pr$tent, en le tenant pour un nouveau'c rétien, c’est'&'dire un descendant de juifs convertis. Cette question a suscité des

débats passionnés, mais les présomptions que l’on peut avoir sur ce point ne constituent pas une véritable preuve, et ce m$me si la 1pureté de san"3 de l’auteur de DonQuichotte n’est accréditée que par des témoi"na"es douteux) . n tout état de cause,

18 +. :ataillon observe que 1de m$me que don Fuic otte n’est pas pr$t & rompre des lances pour la "loire des éros antiques, l’ umanisme de Cervantès n’est plus asse fervent pour qu’il son"e &incorporer les sa"es antiques & la co orte des saints. Il n’i"nore pas qu’ils ont pu, par les seuleslumières de la raison, atteindre & des vérités asse autes, comme l’immortalité de l’4me3K 'rasme et l$Espa(ne, op) cit . p. 5 L.19 #n peut en dire autant d’autres faits souvent invoquésJ le fait que son père ait été c irur"ien,ou que +i"uel n’ait pas re(u, & son retour d’Al"er, la récompense qu’il attendait de ses services,ou qu’il ait été envoyé recouvrer des imp?ts en Andalousie, au lieu de recevoir l’une des c ar"es

qu’il avait sollicitées dans son +émoire de )0 /, adressé au Conseil des Indes. Américo Castro,dansCervantes los casticismos espa3oles, +adridV:arcelona, Alfa"uara, ) MM, pp. )M> et sq.,ne documente pas réellement lara a de l’auteur de Don Quichotte, en dépit des éclaircissements

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quand bien m$me appara=trait un jour une telle preuve, cette découverte laisserait intacttout ce qui sépare sa vision du monde de celle d’un +ateo AlemPn, l’auteur duGu@m nde Alfarache, son contemporain exact, dont on sait & coup s!r qu’il était nouveau'c rétien5/. Fue le plus illustre écrivain du Qiècle d’#r, le symbole m$me du "énieuniversel de l’ spa"ne ait été contraint de taire ses ori"ines pourra peut'$tre éclairer

quelque aspect de son univers mental, mais ne nous livrera jamais la clé de sa création.Il n’est donc pas surprenant, dans ces conditions, que le c ristianisme de

Cervantès soit devenu un autre sujet de controverse. ntre un Eat feld ou unCasalduero, qui le tenaient pour un parfait représentant du cat olicisme tridentin, et unAmérico Castro, qui voyait en lui, sinon un étérodoxe, du moins un érasmiste plus oumoins dissimulé avec des tendances rationalistes, oO trouver la vérité@ n plus d’uneoccasion, assurément, on voit affleurer dans son oeuvre des brocards ironiques, desallusions impertinentes & certaines formes de piété purement rituelles, tout comme & descoutumes ecclésiastiques d’une moralité douteuse. Gin connaisseur des ;van"iles,l’auteur de Don Quichotte manie souvemt l’allusion, soit pour se moquer des clercs avec

irrévérence, soit pour critiquer certaines pratiques superstitieuses, certaines dévotions purement mécaniques ou entac ées de lucre. Cependant, nous devons $tre extr$mement prudents c aque fois que nous prétendons, d’un point de vue rétrospectif, éclairer levécu personnel de l’écrivain & partir de ses projections littéraires. Fuant & la t èse d’unCervantes érasmisant que nous devons & Américo Castro et que +arcel :ataillon anuancée et corri"ée au fil de révisions successives5), elle est & accueillir avec autant de prudence que celle qui, tout au contraire, prétendrait fixer le profil d’un c ampion del’ort odoxie tridentine55. n premier lieu, il convient de se prémunir contre le dan"er deréduire la formation intellectuelle de Cervantès & une sorte de monopole érasmiste. bio"rap iques qu’il dit apporter. -armi les défenseurs de la t èse d’une ascendance %udeoHconversa de l’écrivain, celui qui a poussé le plus loin les rec erc es dans ce domaine, enanalysant dans une récente étude les indices que nous avons de cette ascendance, la considère toutau plus comme une simple probabilité fondée, avant de parvenir & la conclusion suivanteJ 1ilserait beaucoup plus difficile de prouver que Cervantès fut vieux'c rétien que le contraire3 KG.+Prque Hillanueva, 1 a cuestiDn del judaNsmo de Cervantes3, dans 2o"elio 2eyes Cano , DonQui%ote en el reino de la fantas2a) *ealidad ficci n en el universo mental .io(r fico deCervantes, Qevilla, GundaciDn Gocus'Aben"oa, 5//>, pp. 0)'9>L. Ceux qui s’aventurent sur ceterrain "lissant ne peuvent "uère attendre d’aide des citations bibliques auxquelles nous noussommes référé plus aut, s’ils les comparent, comme on a tenté de le faire, avec les versionsqu’en donnent les bibles éditées ors d’ spa"ne, qu’il s’a"isse de la bible juive de Gerrare, publiée en )007, ou de la bible protestante de Casiodoro de 2eina, postérieure de sei e ans etrevue par Cipriano de Halera entre )0 M y )M/5.20 -our reprendre les termes d’Antonio 8omNn"ue #rti , l’un des meilleurs connaisseurs de laquestion, 1l’auteur de Don Quichotte a pu avoir quelque anc$tre nouveau'c rétien, mais cecin\est pas démontré et n’a pas eu d’influence sur son oeuvre. es racines de la critique sereine quis’affirme dans son immortel roman doivent $tre c erc ées dans d’autres sources.3 KA.8omNn"ue #rti , /os %udeoconversos en la Espa3a moderna, +adrid, +A-G2 , ) ), p.57)L.21 Qes contributions postérieures sur ce sujet ont été recueillies en partie dans +. :ataillon, Erasmo el erasmismo, :arcelona, CrNtica, ) 9 et, plus tard et de fa(on plus complète, dans 'rasme et l$Espa(ne) Touvelle édition en 7 volumes. *exte établi par 8aniel 8evoto, 6enève,8ro , ) ). Il serait imprudent d’affirmer que Cervantès lut telle ou telle oeuvre d’ rasme, vuqu’& la suite des Index de )00) y )00 , les oeuvres de ce dernier furent interdites en spa"ne.Cependant, leur circulation ne cessa pas pour autant de fa(on définitive, et son influence moinsencore, bien que, comme l’a démontré u"enio Asensio dans un article important [1 l

erasmismo y las corrientes espirituales afines3, *evista de ilolo(2a Espa3ola, 7M K) 05L, pp.7)' [, l’empreinte de l’érasmisme soit inséparable de celle d’autres courants, tel que celui dela spiritualité franciscaine.

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’ érita"e umaniste, décanté par lui & travers des filtres que nous ne sommes pas enmesure d’identifier clairement, s’observe plut?t dans ce qu’il conserve de l’aspirationutopique & marier le c ristianisme avec les lettres umaines, et l’ét ique du C rist et desap?tres avec celle de Qocrate et de QénèqueJ en d’autres termes, un le"s qui s’inscrit,mutatis mutandis, dans une acception de l’ umanisme qui fait partie de l’usa"e actuel et

vul"aire de ce terme. 8e plus, comme l’a rappelé Ant ony Close, 1les résidus de la pensée érasmiste que l’on peut trouver, peut'$tre, dans les oeuvres de Cervantès et deses contemporains, prennent une si"nification très différente de celle qu’ils avaient undemi'siècle auparavant, parce qu’ils s’inscrivent dans un contexte idéolo"ique postridentin357. n dernière analyse, le désaccord de Cervantès avec le ton moyen de sonépoque peut laisser transpara=tre, parfois, l’influence de tel courant de pensée, mais il necontamine pas un seul instant sa conception de la condition umaine et, plus précisément, sa reconnaissance évidente, dans /e collo"ue des chiens et le :ersiles, desrava"es provoqués par le péc é ori"inel. Il n’affecte pas non plus ce qu’Ant ony Closeconsidère comme 1un providentialisme intrinsèque & son attitude vitale3, selon lequel1les vicissitudes de la fortune ]^_ aboutissent finalement, & la lon"ue, au c 4timent des

coupables et au triomp e des vertueux35>

. Il traduit avant tout les c oix d’un espritouvert, ostile aux préju"és, mais respectueux du do"me, formé bien loin de la poussièredes bibliot èques, & l’école de la vie et de l’adversité.

' o '

C’est par rapport & cet arrière'plan qu’il convient d’aborder le t ème de la folielittéraire, auquel l’ umanisme érasmien a donné ses lettres de noblesse, bien avant queCervantès ne s’en empare & son tour sous l’an"le qui lui est propre. Comme on l’asouvent fait remarquer, ;rasme défend ainsi la t èse de la folie comme destin universeldes ommes, en faisant du paradoxe 1une fin en soi, une forme absolue d’expression

ironique et une position dialectique réversible & l’infini3, déclinée en apopt e"mes, en proverbes, en démonstrations et en apolo"ies50. #r Cervantès ne se borne pas &reprendre ce motif tel quel. Il nous en donne une première & travers la conduite dulicencié de verre. Hictime des entreprises d’une courisane éconduite, qui lui a fait man"er un coin" empoisonné, *omPs 2odaja devient & Qalamanque la proie d’une folie dont lesmanifestations divertissent et surprennent & la fois, tout en montrant, dans ses propos etses impertinences, une finesse d’esprit caractéristique de la liberté du bouffon. -uis,lorsqu’il se transporte & Halladolid, il cesse de se comporter comme telJ médiateur d’une22 n particulier dans le :ersiles, son roman post ume, qui viendrait nous proposer une allé"oriede la vie umaine s’élevant jusqu’& la perfection. Ce point de vue a été défendu par Alban S.Gorcione, en particulier dansCervantes$ Christian *omance, -rinceton, -rinceton `niversity-ress, ) 95.23 A. Close, 1CervantesJ -ensamiento, -ersonalidad, Cultura3, art. cit., p. XXHII. Alban S.Gorcione s’est attac é & déceler le m$me idéal dans certaines pa"es de /a petite (itane, /e %alouxd$Estramadoure, /e Collo"ue des chiens et /e /icenci1 de verre. KHoirCervantes and the 0umanist Vision) A &tud of our Exemplar Novels, -rinceton, -rinceton `niversity -ress,) 5L. A dire vrai, on y per(oit comme un éc o lointain de cet idéal, mais de fa(on diffuse et avecd’autres interférences, en raison notamment de la difficulté qu’a pu avoir Cervantès & se procurer un exemplaire de la ?oria ou desCollo"ues)< titre de comparaison, l’attaque de 6u man deAlfarac e contre l’ onneur mondain K+ateo AlemPn,Gu@m n de Alfarache, I, ii, 5'>L contientdes passa"es qui pourraient s’accorder parfaitement avec le 1monachatus non est pietas3d’;rasme et sa conviction que tout individu [né"ociant, soldat, femme mariée, "ueux,[ peutfaire son salut dans & la place qui est la sienne. Ce qui n’emp$c e pas que les convictions de +.

AlemPn et de son personna"e ne soient clairement postridentines.24 A. Close, 1CervantesJ -ensamiento, -ersonalidad, Cultura3, art. cit., p. XXXIH.25 G. +Prque Hillanueva, 1 iteratura bufonesca o del YlocoZ3, art. cit., pp. 0)/'0)).

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ét ique radicale, il devient, & la fa(on de 6u mPn de Alfarac e, mais sur son re"istre propre, une véritable 1sentinelle de l’existence umaine35M, sans que nul ne parvienne &se soustraire & son re"ard critique. Ginalement, après qu’il a retrouvé ses facultés, ilrevient & son premier métierJ non plus comme l’aventurier qu’il fut dans sa jeunesse,mais, animé d’un véritable esprit de sacrifice, 1comme le plus prudent et le plus vaillant

soldat3,J en tombant sur un c amp de bataille de l’inutile "uerre des Glandres, il donneune di"ne fin & son existence manquée, éternisant par les armes 1la vie qu’il avaitentrepris d’éterniser par les lettres359.

`n umaniste anonyme du XHIIe siècle dont nous parle +arcel :ataillon s’arr$taun beau jour & considérer, dans un exemplaire de laCosmo(raphia de + nster, un portrait d’;rasme défi"uré par la censure inquisitoriale% il écrivit d’un c?té du visa"e 1ysu ami"o don Fuijote3, et de l’autreJ 1Qanc o -an a3. 1Il nous est assurément difficile

— commente :ataillon [ de recontituer les réflexions qui "uidaient sa plume lorsqu’iltra(a ces mots éni"matiques35 . 2este que l’in"énieux idal"o et son écuyer ont été lesdeux fi"ures de prédilection de tous ceux qui se sont appliqués & rec erc er en eux

l’empreinte de la folie érasmienne. 2aison de plus pour que nous observions une certaine prudence au moment d’établir des filiations. 8ans le cas de Qanc o, l’un de ses traitscaractéristiques est, sans aucun doute, une constante réversibilité entre naWveté etfinesse % mais, outre qu’elle combine des éléments issus d’un folRore de vieille souc e,elle ne rend pas compte, & elle seule, de la complexité du personna"e, de plus en plus perceptible avec le temps et, en particulier, dans la deuxième partie du roman, lors duséjour c e le 8uc et la 8uc esse. < son arrivée dans leur palais, il se tient au débutdans l’ombre de son ma=tre. Ce qui le projette au premier plan, c’est son remords d’avoir abandonné son 4ne% aussi s’approc e't'il d’une respectable duè"ne pour la prier des’occuper de son compa"non. 2equ$te impertinente, qui fait que la duè"ne lui réponden le traitant de bouffon5 . -eu après, alors qu’il vient de rejoindre ses ?tes, Qanc o

récidive. Qaisissant une nouvelle occasion les cérémonies que se font le duc et donFuic otte pour savoir qui occupera & table la place d’ onneur il raconte,interminablement, une istoire survenue dans son villa"e sur une affaire analo"ue. #r,tandis que don Fuic otte, tout confus, essaie en vain d’obtenir de lui qu’il en finisse au plus vite, la duc esse, au contraire, l’encoura"e & poursuivre, comme si elle voulait promouvoir l’écuyer au statut de bouffon de cour. C’est aussi ce que fait & son tour leducJ profitant d’une vé émente sortie de Qanc o qui veut défendre son ma=tre contre lesimprécations du c apelain de eurs xcellences, il lui accorde l’=le que lui avait promisele c evalier en récompense de ses services. Ce "ouvernement pour rire, d’ori"inecarnavalesque, ne suffit pas, assurément, & le transformer en bouffon, mais ce n’en est pas moins une farce. Tous entrons ainsi dans le monde & l’envers de la folie de cour,

comme le donne & entendre l’irascible c apelainJ 1-ar l’ abit que je porte, je suis pr$t &dire que Hotre xcellence n’est pas moins déraisonnable que ces péc eurs. Hoye s’ils pourraient ne pas $tre fous, puisque les "ens sensés consacrent leurs folies 37/.

< peine remis du tour que lui jouent les suivantes du duc, qui l’ont abandonnéaprès lui avoir barbouillé de savon la barbe et le visa"e, don Fuic otte reprend la parole,tra(ant alors de Qanc o un portrait aussi subtil que nuancéJ26 1 Atalaya de la vida umana3 est le sous'titre donné par +ateo AlemPn auGu@m n de Alfarache)27 /e /icenci1 de verre, éd. cit., t. II, p.57>.28 'rasme et l$Espa(ne, op) cit), p. >5.29

8on Fuic otte, alors, s’enferme avec Qanc o pour lui reproc er son impair et le qualifier de1bouffon de fra=c e date et imbécile de toujours3 K Don Quichotte, II, 75, éd. cit., t. II, p. ))5 L.30 Don Quichotte, II, 75, éd. cit., t. II, p. ))7M.

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Il vous sort parfois des naWvetés si fines que ce n’est pas un mince plaisir que dese demander s’il est astucieux ou naWf. Il a des malices qui le condament commecoquin et une candeur qui en fait un ben$t confirmé. Il doute de tout et il croittout. Fuand j’ima"ine qu’il va basculer dans la sottise, le voil& qui s’en tire par

des raisons qui l’élèvent au ciel.7)

Qans doute ces naWvetés sont'elles le propre, non du bouffon de métier, mais dufou érasmien% et si, d’un c?té, les malices et les bévues de l’écuyer semblent lecondamner en tant que coquin, de l’autre, elles le confirment pleinement comme stultus, pourvu du don de l’irresponsabilité75. *outefois, sa folie n’est pas une donnée préalable,un élément de la pré istoire du personna"e% elle transcende constamment l’idée que s’enfont tous ceux qui, comme le duc et ses complices, prétendent, pour s’amuser & sesdépens, l’inté"rer dans leur propre ori on d’attente. n ce sens, la trajectoire qu’il nousoffre atteste l’ abileté avec laquelle Cervantès a su tirer librement parti, non seulementde ses lectures, mis aussi des matériaux issus de la tradition orale, du folRlore ou de

l’observation directe, pour élaborer une création profondément ori"inale77

.n ce qui concerne don Fuic otte, il convient d’$tre plus prudent encore, car

l’idée érasmienne de la folie s’accorde plus facilement avec Qanc o qu’avec son ma=tre7>.Antonio Hilanova s’est employé, dans différents travaux, & défendre la t èse selonlaquelle Cervantès aurait trouvé dansl$'lo(e de la folie 1un système complet d’idées etde doctrines au sujet de l’aliénation3, et qu’il l’aurait développé sous une formeromanesque pour caractériser le comportement du c evalier 70. Cependant, outre qu’il estimpossible de déterminer ce que Cervantès a lu d’;rasme et s’il a lu véritablementl$'lo(e de la folie7 , c’est ce développement m$me qui, précisément, fait difficultélorsqu’on prétend le reconstruire & la lumière de ce traité. ;rasme, en effet, met en

valeur, dans sa première partie, le fait qu’en plus d’une occasion, nous sommesincapables de faire le départ entre apparence et réalité. +ais il se place d’un point de vuedoctrinal qui l’amène & dècouvrir cette incapacité c e tous les ommes, alors que cellequi affecte don Fuic otte ne constitue pas seulement une modalité sin"ulièreJ c’estl’ori"ine d’un processus artistique qui ne doit rien & l’ umaniste ollandais, saconstruction en tant que personna"e littéraire. Il suffit de comparer l’erreur commise par l’ar"ien que cite le /aus &tultitiae, dont on nous dit qu\il croyait voir représenter descomédies dans un t é4tre vide, avec celle qu’incarne le c evalier au cours de sesaventures. 8ans les deux cas, nous sommes en présence d’un fou qui ne laisse pas d’$tre31 I.id ., II, 75, t. II, p. ))>>.32 -oint développé par Antonio Hilanova, dans un travail pionnier dont certaines conclusions,restent discutables K1 rasmo, Qanc o -an a y su ami"o don Fuijote3, rééd. dans Erasmo Cervantes, :arcelona, umen, ) , pp. 0')5)L. Hoir les commentaires judicieux que cetteétude a inspirés & +. :ataillon, dans 1`n problema de influencia de rasmo en spaUa. l Elo(io de la locura3, Erasmo el Erasmismo, op) cit ., pp. 77 et ss.33 ’intér$t de Cervantès pour le folRlore rejoint une préoccupation bien connue des umanistesespa"nols, attentifs & recueillir proverbes et anecdotes dans un vaste effort de promotion destraditions populaires. Cet effort se cristallise notamment dans le travail mené par les parémiolo"ues des XHI et XHIIe siècles, depuis +al ara jusqu’& Covarrubias et Correas. #utreles remarques d’A. Castro et de +. :ataillon, voir +axime C evalier, 1-roverbes, contesfolRloriques et istoriettes traditionnelles dans les uvres des umanistes parémiolo"ues3, /$humanisme dans les lettres espa(noles, op) cit ., pp. )/0')) .34 .C. 2iley, Introducci n al1Qui%ote3, :arcelona, CrNtica, ) /, p. 9/.35

A. Hilanova, 1 rasmo y Cervantes3, rééd. dans Erasmo Cervantes, op) cit ., p. ) .36 +. :ataillon, 1`n problema de influencia de rasmo en spaUa. l Elo(io de la locura3, Erasmo el Erasmismo, op) cit), p. 7>7.

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1fort sensé dans toutes les autres nécessités3, comme le dit ;rasme79% mais il y a unab=me entre l’apparition fu"ace d’une fi"ure introduite & titre d’exemple et la présenceque le c evalier acquiert au fil de ses errances. n d’autres termes, m$me si l’on ne peutexclure l’incidence d’une inspiration érasmiste de départ dans la "enèse de DonQuichotte , le sc éma ima"iné par Cervantès & partir de cette incitation représente & lui

seul une mise & distance de la notion de 1moria3. Autant dire que, telle qu’elle semanifeste dans les extrava"ances du éros cervantin, elle ne se confond pas avec la foliedu c rétien en qui ;rasme découvre l’arc étype du fou ima"inatif, transporté par l’exaltation de sa ferveur reli"ieuse7 . t c’est qu’en dépit de ceux qui ne voient en lui,qu’1un mélan"e de sa"e et de fou et ]^_ un fou m4tiné de sa"e3>/, l’in"énieux idal"o,en plusieurs occasions, révèle une notable capacité d’adaptation. 8e m$me nous donne't'il maintes preuves, non seulement d’un savoir qui dénote la culture encyclopédique decet 1 omme du livre3, mais de qualités d’observation et de réflexion qu’il manifestec aque fois qu’il se contemple et se ju"e lui'm$me. Il n’est que de son"er aucommentaire que lui inspire l’étonnement qu’il a éveillé c e don 8ie"o de +iranda,l’Eomme au +anteau Hert, en défiant un lion dont on a ouvert la ca"eJ

Qans doute, sei"neur don 8ie"o de +iranda, deve 'vous me prendre pour unextrava"ant et un fou. t il n’y aurait rien d’étonnant & cela, car mes oeuvres ne peuvent que témoi"ner de la c ose. -ourtant, j’entends bien vous persuader,monsieur, que je ne suis pas aussi fou, ni aussi écervelé que j’ai pu vous lelaisser croire.>) .

8ans cette confrontation des deux idal"os, on a décelé l’empreinte de la penséed’;rasme, mais une empreinte insolite>5. 8on 8ie"o de +iranda, & travers le tableauqu’il brosse de sa paisible existence quotidienne, incarnerait finalement la tendance néo'épicurienne de la morale érasmienne, caractérisée par un style défaitiste et sans

ardiesse. #r, & son élo"e de la sa"esse, assortie de la condamnation implicite d\un fouqui prétend ressusciter la c evalerie errante, don Fuic otte oppose un élo"e de cettefolie qui l’amène & affronter un lion, et ce alors que l’Eomme au +anteau Hert préfères\éloi"ner prudemment du dan"er% une folie qui n’est pas n’importe quelle folie, maisl’envers du rationalisme sec et dés umanisé de son interlocuteur, que notre c evalier, &l’ eure de vérité, renvoie & ses occupations paisibles de c asseur >7. n fin de compte,quelles que soient les situations auxquelles il se voit confronté, don Fuic otte transcendenon seulement la somme des éc ecs qu’il subit, mais aussi celle des plaisanteries et desmauvais tours, parfois risibles, dont il est la victime. Il nous appara=t comme un éros qui persévère dans son $tre, sans que les mal eurs qu’il conna=t parviennent & le disqualifierJle prota"oniste d’une istoire, le support d’un véritable roman. n ce sens, la folie qui37 Cité par Hilanova, 1 rasmo y Cervantes3,op) cit ., pp. 7 '7 .38 1 rasmo y Cervantes3,op) cit ., p. >0.39 1 rasmo, Qanc o -an a y su ami"o don Fuijote3, Erasmo Cervantes, op) cit ., p. ).40 Don Quichotte, II, )9, éd. cit., t. II, p. )/50,41 Don Quichotte, II, )9, éd. cit., t. II, p. )/5M.42 G. +Prque Hillanueva, 1 l caballero del Herde 6abPn y su reino de paradoja3, :ersona%es temas del BQui%ote, +adrid, *aurus, ) 90, pp. )>9'559.43 Alonso Fuijano le :on meurt c rétiennement au milieu de l’affliction des siens après avoir renié ses folies et ses extrava"ances. Ce qu’il importe de souli"ner, & la suite de +arcel :ataillon,c’est que, dans cette circonstance, notre c evalier se sépare radicalement du fou d’;rasme, telqu’il se dessine dans la troisième partie du /aus &tultitiaeJ 1quand ]Cervantès_ décide de faire

abjurer par son éros, sur son lit de mort, une folie par trop umaine, il ne lui vient pas & l’espritde lui faire embrasser la divine folie de la croix3 K+. :ataillon, 1`n problema de influencia derasmo^3, op) cit , loc) cit .L.

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fables et la qualité de leur style. Attitude pondérée, donc, m$me s’il lui faut mettre unterme aux lectures qui ont perturbé l’esprit de son voisin et ami.

`n nouveau pas est celui qu’accomplit le c anoine, au moment oO don Fuic otte,mis en ca"e par de soi'disants enc anteurs, retourne & son villa"e dans un c ariot tiré par

des boeufs. :on connaisseur des romans de c evalerie, ce nouveau venu ne se borne pas& les condamner au nom des m$mes critères invoqués par le curé% il formule le principeessentiel auquel contreviennent la plupart de ces ouvra"es, l’accord indispensable entrel’intention du créateur et la réceptivité du lecteur J

e menson"e est d’autant meilleur qu’il semble plus véridique, et ]^_ il pla=td’autant plus qu’il tient du vraisemblable et du possible. Il faut que les fablesmenson"ères épousent l’entendement de ceux qui les lisent et qu’elles soientécrites de telle sorte qu’elles facilitent l’impossible, é"alisent la démesure ettiennent les esprits en aleine, afin de ravir, émouvoir et amuser de manière quel’étonnement aille de pair avec l’allé"resse% toutes c oses que ne pourra faire

celui qui s’écarte de la vraisemblance et de l’imitation, en quoi consiste la perfection de ce qui s’écrit>9.

Ainsi compris, le contrat de lecture qui fonde la vérité poétique d’une actionima"inaire ne peut $tre enfermé dans les limites d’une définition normative, ce quecorroborent les éclaircissements donnés par le c anoineJ d’abord, en reconnaissant le plaisir que procurent certains épisodes que nous offrent ces fables, ainsi que la qualité deleur invention et de leur écriture% puis, en évoquant la possibilité d’un roman dec evalerie mori"éné% enfin, lorsqu’il avoue avoir écrit plus de cent pa"es d’une oeuvrede ce "enre. #n s’est demandé si Cervantès n’annon(ait pas l&, par la bouc e de sonalter e(o, /es Kravaux et les 'preuves de :ersil#s et &i(ismonde, le roman d’aventures

qu’il ac èvera sur son lit de mort et qui para=tra, post ume, en )M)9J une oeuvre placéesous l’invocation du roman "rec et dans laquelle il s’est essayé & rivaliser avecEéliodore, en posant les conditions de possibilité d’un 1merveilleux vraisemblable3> .2este qu’en )M/0, le c anoine termine son discours sur les doutes et les ésitations quil’ont conduit & suspendre son entreprise, pour n’avoir pas & se soumettre & l’opinion duvul"aire et au ju"ement des onn$tes "ens. Ce décala"e entre t éorie et pratiqueromanesque fra"ilise le point de vue défendu au départ par ce di"ne ecclésiastique, touten le pla(ant dans une situation inconfortable, lorsqu’il lui faut subir l’assaut que luilance don Fuic otte au fil de son intervention. < la différence du c anoine, qui s’attac e& distin"uer les $tres de fiction tels qu’AmadNs de 6aule, des fi"ures lé"endaires dans lestyle du Cid, l’in"énieux idal"o, en tant que narrateur des aventures du C evalier du

ac, s’impose comme le créateur d’un monde de fantaisie qui enc ante et entra=ne lelecteur, sans que celui'ci ressente la nécessité d’une confirmation que lui apporteraientdes réalités tan"ibles. Ainsi, alors qu’il revient au c anoine d’exposer un pro"rammeest étique qui aspire & concilier liberté et vraisemblance, il incombe & son interlocuteur de passer des paroles aux actes et de nous rappeler qu’une t éorie du roman ne se réduit pas & un corps de doctrine et qu’il n’y a pas de roman possible s’il ne se projette pas au'

47 Don Quichotte, I, >9, éd. cit., t. I, p. >9.48 Qur /os tra.a%os de :ersiles &i(ismunda, voir, de ce point de vue, d ard C. 2iley,Keor2ade la novela en Cervantes, +adrid, *aurus, ) MM % Alban S. Gorcione,Cervantes, Aristotle and the :ersiles, -rinceton, -rinceton `niversity -ress, ) 9/ % Bean'+arc -elorson , 1 Totice 3, dansCervantès,Oeuvres romanes"ues compl#tes, t. II, pp. 9')/)) et, du m$me auteur, El desaf2o

del B :ersiles , *oulouse, Ane%os de Critic n, `niversité de *oulouse' e +irail, 5//7. aredécouverte du roman "rec KEéliodore, Ac ille *atiusL s’est opérée dans toute l’ urope savanteau milieu du XHIe siècle. n Grance, Amyot est un des principaux artisans de ce mouvement.

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dans son récit, a pris soin de ne rien retranc er des faits et "estes de don Fuic otte et deQanc o% s’il faut en croire Qamson, il n’a rien laissé dans l’encrierJ 1il rapporte tout etnote tout, y compris les cabrioles que le bon Qanc o fit dans la couverture3. Cetteallusion au bernement subi par Qanc o dans la cour d’une auber"e suscite aussit?t unemise au point de l’intéresséJ 1Ce n’est pas dans la couverture que j’ai fait des cabrioles

corri"e't'il mais en l’air, et m$me plus que je n’aurais voulu300

. -our autant, l’écuyer ne laisse pas de célébrer une istoire dont il se trouve $tre le second personna"e, et ce,en dépit des rè"les de l’épopée. +ais don Fuic otte est loin de parta"er sa joie, surtoutlorsqu’il découvre que cette istoire, avec ses vicissitudes, n’omet pas un seul desinnombrables coups de b4ton re(us par lui en diverses occasions. 8éplorable préjudice &son encontre, estime notre c evalier% et le voici qui reproc e & Cid Eamet d’avoir i"noréles recommandations d’Aristote, pour qui 1il n’est pas nécessaire de rapporter les faitsqui ne c an"ent ni n’altèrent en rien la vérité, s’ils doivent nuire & la réputation du érosde l’ istoire3% et d’ajouter, fort de son savoirJ 1;née, par ma foi, ne fut pas aussi pieuxque nous le dépeint Hir"ile, ni `lysse aussi prudent que ne le dit Eomère30M. A quoiQamson lui rétorque, en s’appuyant lui aussi sur la :o1ti"ue, que Cid Eamet n’est ni

Eomère, ni Hir"ile, et qu’il a fait oeuvre, non de poète, mais d’ istorienJ 1 e poète peutconter ou c anter les c oses, non comme elles ont été, mais comme elles auraient d!$tre, au lieu que l’ istorien doit les écrire, non comme elles auraient d! $tre, mais tellesqu’elles ont été, sans ajouter ni retranc er quoi que ce soit & la vérité309. Cet assaut decitations n’est pas une discussion de cuistres% moyennant un usa"e captieux desautorités, il renvoie & un débat nouveau. Ce qui est désormais en jeu, en effet, ce ne sont plus les préférences est étiques ou les "o!ts littéraires de don Fuic otte, mais l’ima"eque celui'ci entend donner de lui'm$me au monde. Q’il se refuse & admettre le profil quelui renvoie l’ istoire de ses exploits, c’est parce que ce profil ne peut coWncider avec celuidont il r$vait. Aussi, il aura beau contester le principe et condamner la conception dont procède cette istoire, jamais il ne se risquera & en parcourir les pa"es.

2aison et Goi, Qa"esse et Golie, Apparence et 2éalité, -oésie et Eistoire, tels sontquelques'uns des t èmes qu’a développés l’ umanisme de la 2enaissance, et queCervantès a déclinés & son tour dans ses fictions. Ton point comme les composantesd’un système de pensée, mais & travers le jeu des points de vue des personna"es qu’ilmet en scène et auxquels il donne la vie. A't'il eu pleine conscience du caractèrenovateur de son entreprise@ 8ans le prolo"ue & la première partie de son "rand roman, ilaffirme ne pas vouloir 1suivre le commun usa"e30 % et, de fait, si l’on se réfère auxmodèles définis par les traités néo'aristotéliciens, Don Quichotte constituait un livreinclassable. une tentative ors normes, irréductible aux caté"ories de la :o1ti"ue. e premier & s’en apercevoir ne fut autre qu’Avellaneda, l’auteur de la suite apocryp e du

roman, qui, dans sa préface, ne se borne pas & se placer dans le silla"e de son devancier%il s’efforce de caractériser son oeuvre. +ais & quel "enre la rapporter@ Ce ne pouvait $trel’épopée, m$me en prose, puisque le éros est un personna"e ridicule. 8ans cesconditions, nous dit'il, 1c’est quasiment une comédie30 . Ainsi s’explique qu’Avellanedaen arrive & prendre pour référence le "enre comique. 2éférence imparfaite, assurément,mais & laquelle il recourt pour deux raisons essentiellesJ la part considérable de dialo"uesque renferme le Don Quichotte aut entique, et le rire provoqué par les actions de ses

55 Don Quichotte, II, 7, éd. cit., t. I, p. 55.56 Don Quichotte, II, 7, loc) cit)57 Don Quichotte, II, 7,loc) cit)58

Don Quichotte, I, -rolo"ue, éd. cit., t. I, p. 7 ).59 1 s casi comedia3, dans Alonso GernPnde de Avellaneda, El in(enioso hidal(o don Qui%otede la ?ancha, éd. uis 6Dme Canseco, +adrid, :iblioteca Tueva, 5///, -rDlo"o, p. ) 0.

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7/25/2019 L Humanisme de Cervantes Jean Canavaggio

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