Upload
others
View
2
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
1
La Divine Comédie de Trump
« The more successful the villain, the more successful the picture. » Alfred Hitchcock
Introduction
Selon le journaliste politique Michael Tomasky, le conservatisme républicain est aujourd’hui marqué
par deux tendances : non seulement la population émet de nombreuses craintes face à l’évolution de
cette société multiculturelle, mais en plus la rhétorique conservatrice tend à devenir de plus en plus
outrancière.1 Depuis quelques années, l’émission de radio de Rush Limbaugh ou encore la chaine Fox
News transforment la politique en un spectacle belliqueux et divertissant. Il semblerait que Donald
Trump ait su reprendre ces deux logiques à son compte pour devenir un succès populaire et
médiatique. Donald Trump sait jouer avec le ressentiment et les craintes de son électorat en les
insérant dans un discours populiste et transgressif, parfois teinté de vulgarité.
Il tend à redéfinir les codes de la communication politique et accroît sa visibilité en repoussant
toujours plus loin les limites de ce qui est politiquement acceptable. La visibilité médiatique est de
moins en moins associée à la notion de mérite. Aujourd’hui, les images et les discours n’ont plus
besoin d’être pertinents pour être diffusés et reconnus, un grand nombre de journalistes,
d’intellectuels, de personnalités politiques ou issues du star-système, alimentent une visibilité
endogène qu’ils auto renforcent au grès de leurs interventions.2
Comme l’a expliqué Nelly Quemener, lors de son intervention à l’Institut français de presse le 21
mars 2016, Donald Trump a su construire une figure antipathique concentrant des positions
simplistes et démagogues pour fédérer son électorat. Il apparaît alors comme un pourfendeur de
tabous qui se rit du politiquement correct tout en mettant en lumière certaines évidences qui
seraient perçues par le peuple et non par la classe politique.
La campagne pour les primaires américaines des élections de 2016 a été largement détournée par le
discours humoristique. L’humour permet généralement de rendre intelligible certains faits de société
tout en conservant une fonction divertissante et cathartique. Il peut constituer un acte politique
véritable et susciter des réflexions pertinentes. Cependant, comme l’a précisé Nelly Quemener,
l’humour est devenu un langage commun et consensuel, et cela Donald Trump l’a bien compris. En
créant une auto parodie de lui-même, ce dernier parvient alors à désamorcer les discours qui
1 TOMASKY Michael, Citizen Trump, Books n°73, février 2016 2HEINICH Nathalie, De la Visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, Paris, Éditions Gallimard, 2012, 608 p
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
2
voudraient le tourner en dérision tout en créant du lien social. L’humour a un rôle pacificateur qui
permet d’apaiser les tensions.3 En passant par la caricature, Donald Trump dédramatise le
radicalisme de son discours tout en vidant de sa substance les discours humoristiques qui pourraient
se retourner contre lui.
Les récits de fiction constituent, la plupart du temps, des instruments pour penser le réel. Il s’agit de
déplacer des éléments du réel dans un espace hypothétique mais cohérent (selon Thomas Pavel4, il
est nécessaire de consolider les repères du public par un monde vraisemblable ou compréhensible)
afin de développer un regard critique. Au-delà du détournement par l’humour, Donald Trump est de
plus en plus associé à l’idée du mal dans des formes fictives, afin de réfléchir sur ses discours.
Ainsi il semble légitime de se demander comment la fiction, en introduisant les discours et l’image de
Donald Trump dans ses univers, parvient à construire un espace humoristique critique malgré les
tentatives de celui ci pour rendre la caricature et l’humour consensuels et obsolètes ?
Notre corpus d’analyse se compose de deux montages. « DarthTrump », est un montage parodique
remplaçant la figure de Darth Vader par celle de Donald Trump. Il a été réalisé par « Auralnauts » un
duo d’amateurs. Ce genre d’initiative témoigne de l’espace de liberté et d’expression ouvert par le
numérique. Le public s’approprie les images favorisant ainsi créativité et réflexion personnelle sur
des sujets politiques. La plupart des internautes se contentent de diffuser leurs créations sur les
réseaux sociaux. « Auralnauts » commence à se faire connaître pour ses parodies de films tournant
en dérision les politiques.
3 CHOQUETTE Emmanuel, L’humour : entre acte politique et intérêts communs, Montréal, AISP-Acte de congrès, 2014, 19 p 4COULOMB GULLY Marlène et ESQUENAZI Jean-Pierre, « Fiction et politique : doubles jeux », Mots. Les
langages du politique
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
3
« Winter is Trumping », parodie de Game of Thrones, est un montage professionnel réalisé par Huw
Parkinson qui travaille pour le talk show australien Insiders sur la chaîne ABC. Il introduit Donald
Trump dans l’univers de Game of Thrones. Il faut noter que les montages professionnels demeurent
traversés par des logiques politiques et économiques bien que Huw Parkinson semble se définir par
son indépendance et sa créativité.
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
4
Un certain nombre de montages intégrant les discours de Donald Trump dans un cadre fictif lié à la
pop culture ont été produits au cours de la campagne.
Il s’agira de montrer comment l’association entre la figure de Trump et celle de l’antagoniste
fascisant permet de désactiver la caricature autoproduite par Trump tout en réactivant une critique
inédite.
Les vidéos seront analysées au prisme des notions d’intericonicité et d’intermédialité afin de montrer
la pertinence critique de l’hybridation de ces supports avec la figure de Donald Trump.
Enfin nous aborderons la portée politique de la critique. La réintégration de Donald Trump dans des
fictions où il incarne le rôle du « méchant » soulève un questionnement réel sur ses compétences
politiques et la façon dont il est perçu par les publics. Il s’agira également d’aborder le rôle politique
de l’humour et de la pop culture.
I/ L’intérêt du recours à l’intericonicité et l’intermédialité pour formuler
une critique sur Donald Trump
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
5
Penser la rencontre d’une icône avec une autre
Les montages fictifs étudiés recourent à des techniques d’hybridation mobilisant divers supports
médiatiques qui tendent à brouiller la frontière entre le réel et la fiction.
« Darth Trump » comme « Winter is Trumping » intègrent des discours réels de Donald Trump dans
des séquences fictives de Star Wars et de Game of Thrones, les deux montages sont donc marqués
par l’intermédialité.
D’après Marc Lits la compréhension d’un texte passe par l’analyse de ses conditions de production
ainsi que par l’identification des références textuelles auxquelles il renvoie.5 L’intertextualité est
omniprésente au sein des deux montages, on ne peut comprendre les dialogues de la séquence que
si on se réfère à la fois au discours de Trump dans son vrai contexte et à l’univers fictif dans lequel
s’insère Trump.
5DYMYTROVA Valentyna, « Marc LITS (2008), Du récit au récit médiatique », Communication [En ligne], Vol. 28/2 | 2011, mis en ligne le 13 juillet 2011,
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
6
D’autre part les deux montages étudiés dans cette partie intègrent l’image de Donald Trump de
manière très différente dans les univers fictifs. Pour saisir l’intelligence de l’image il est nécessaire de
la penser en relation au sein d’un système d’images qui se définissent et s’influencent les unes, les
autres en mobilisant la notion d’intericonicité6. « Winter is Trumping » insère directement le visage
de Trump sur le corps des personnages de Game of Thrones pour l’intégrer à l’histoire.
6ARRIVE Mathilde, « L’intelligence des images - l’intériconicité, enjeux et méthodes », E-rea [Online], 13.1 | 2015, Online since 15 December 2015
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
7
En revanche « Darth Trump » est plus ambigu ; le montage mobilise des références à Donald Trump
à travers le dialogue et l’image pour nous faire comprendre que c’est bien lui qui se cache sous le
masque de Darth Vader.
La confirmation ostensible que Donald Trump est bien Darth Vader nous est donnée en image à la
fin quand tombe le masque et qu’il ne reste sur le visage brûlé du seigneur Sith que la mèche blonde
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
8
de Donald Trump. Par ailleurs, la véritable image de Trump est également intégrée dans la séquence
de fin après que celui-ci ait rejoint la force.
Star Wars comme Game of Thrones présentent tous deux des caractéristiques facilitant l’intégration
de Donald Trump dans les séquences. Nous avons vu que l’image de Donald Trump était utilisée
différemment dans les deux montages, en réalité l’usage qui est fait de son image correspond au lien
que les réalisateurs ont voulu créer avec la fiction. Donald Trump partage certains traits de caractère
en commun avec Darth Vader qui figure aujourd’hui parmi les figures des méchants les plus
mythiques du cinéma. Il est donc introduit au sein d’une figure individuelle et conserve le même rôle
tout au long de la vidéo, Trump est Vader sous le masque en transparence. L’image de Trump n’est
pas intégrée de manière ostensible car Trump s’est incarné en Darth Vader. Il s’agit de produire la
rencontre d’une icône avec une autre : que se passe-t-il quand le plus grand méchant du cinéma
rencontre la figure contemporaine la plus controversée du jeu politique ? Darth Trump synthétise les
caractéristiques de deux figures publiques extrêmement connues mais appartenant à deux univers
différents, créant de ce fait une icône dépassant la frontière du réel et de la fiction. Darth Trump fait
appel à des codes connus de tous pour pouvoir penser autrement. L’identification très forte de
Trump à Vader focalise la critique sur l’ego et la nature de ce dernier.
En revanche, l’image de Trump est intégrée de façon inégale dans GOT. On remarque qu’il prend
successivement la place de figures plutôt négatives dans l’ensemble : un représentant du conseil de
Qarth, figure égoïste et intolérante qui refuse de donner l’asile à Daenerys, Bronn, figure désinvolte,
mercenaire de Tyrion Lannister, sir Janos Slynt, figure mesquine et cruelle commandant du guêt puis
membre de la garde de nuit, sir Alliser Thorne lord commandant de la garde de nuit foncièrement
opposé au héros Jon Snow, Jaimie Lannister chef de la garde royale, figure alternativement négative
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
9
et positive, et Joffrey Baratheon figure inhumaine connue pour son sadisme, d’abord prince puis roi
de Westeros. Si la volonté de stigmatiser Donald Trump peut paraître évidente dans l’association
faite avec Joffrey Baratheon, méchant emblématique de la série, il faut préciser que l’essentiel n’est
pas ici de lier Trump à un personnage mais de l’intégrer dans un univers cruel et sans pitié qui
permette la critique de son discours politique. L’intégration directe de l’image de Trump permet de
réaliser à quel point sa politique s’insère bien dans l’atmosphère de la série. La présence de Trump se
justifie moins par l’identité des personnages qu’il incarne, souvent secondaire, que par l’opportunité
critique permise par la séquence. Game of Thrones est une série profondément politique qui retrace
les moyens mis en œuvre par les différents personnages pour acquérir/conserver le pouvoir. Elle est
connue pour sa représentation violente et crue des bassesses de la nature humaine,
perpétuellement retravaillée par les rapports de force au sein desquels elle s’insère. Si le rapport
avec les autres candidats n’est pas évoqué dans la vidéo, on pourrait considérer que le discours de
Trump est transposé de la campagne pour les primaires au sein de laquelle les rapports de force sont
omniprésents, à Game of Thrones où la configuration politique comme les interactions entre les
personnages décident du sort de chacun.
L’apport de la démarche : Rendre Trump crédible dans un univers fictif
Mathilde Arrivé considère que le lien entre deux images donne naissance à une 3èmeimage à travers
ce qu’elle nomme la triplopie.7 La rencontre entre les images provoque une iconomorphose qui, par
le biais de la citation, engendre une nouvelle unité de sens. La recontextualisation des images ouvre
un espace discursif inédit permettant de penser leurs objets. Cette logique est vraie pour tout type
d’intermédialité/intertextualité. La réintégration des discours comme celle de l’image de Trump dans
des séquences cinématographiques donnent une nouvelle vision du candidat.
Toute forme de récit passe au préalable par l’identification de figures sociales dans des situations
concrètes. Cela permet au sujet récepteur de repérer ces figures dans le récit grâce à leurs
caractéristiques identitaires et sociales. Le sujet est capable d’interpréter le récit parce qu’il a vécu
des expériences sociales ancrées dans la pratique.8 L’intégration de la figure de Trump dans des
situations fictives permet d’identifier et de réfléchir à la réalité du candidat. La représentation fait
sens pour le récepteur qui l’identifie car il a déjà fait l’expérience de Donald Trump via les médias
7 ARRIVE Mathilde, « L’intelligence des images - l’intericonicité, enjeux et méthodes », E-rea [Online], 13.1 | 2015, Online since 15 December 2015 8 VOIROL Olivier, « Le travail normatif du narratif. Les enjeux de reconnaissance dans le récit médiatique», Réseaux 4/2005 (no 132) , p. 51-71
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
10
d’information au cours de la campagne. Les montages permettent de poser un regard critique sur ses
discours tout en proposant une version alternative et réflexive qui dépasse le cadre du réel.
Donald Trump tient des propos conservateurs, intolérants voire racistes qui s’inspirent du
ressentiment économique, culturel et racial de la population en période de crise. Il est donc
facilement assimilable à une figure négative et antagoniste. De surcroît sa rhétorique est outrancière,
limitée et violente, parfois même vulgaire, ce qui le rend plus proche de la caricature que de la figure
politique. Le fond comme la forme de son discours repoussent si loin les limites de la correction et de
la décence politique qu’il est difficilement appréhendable dans un cadre réel. Parfois on a bel et bien
du mal à croire qu’il existe.
Nous avons expliqué en introduction que Donald Trump désamorçait la critique humoristique en se
présentant lui-même comme une caricature. Son pouvoir d’auto dérision empêche toute forme
d’innovation humoristique sur sa personne. A quoi bon créer une caricature puisqu’elle ne sera
jamais à la hauteur de la figure originale qui se présente elle-même comme une caricature ?
L’intelligence de la démarche de ces montages réside dans leur capacité à courcircuiter à leur tour le
procédé employé par Trump. Si il n’est plus possible de moquer Trump par le discours humoristique
puisqu’il se moque lui-même et qu’il se moque de tout, la fiction permet de rendre crédible la figure
de Trump par la réintégration de ce dernier dans un autre univers. Il est aisément identifiable à des
méchants fictifs stéréotypés et s’insère parfaitement dans les univers qui leurs sont relatifs. En réalité
Donald Trump paraît plus authentique dans un cadre fictif que dans un cadre réel. La critique est
activée par la facilité déconcertante avec laquelle Trump endosse un rôle fictif négatif qui discrédite
son rôle politique réel.
II/ L’identification de Trump à Darth Vader face à l’intégration de son
discours politique dans l’univers de Game of Thrones
Un certain nombre de liens peuvent être fait entre Donald Trump et Darth Vader ou Game of
Thrones, facilitant ainsi l’insertion de ce dernier dans ces univers.
Nous avons relevé des thèmes, communs pour la plupart, afin de faciliter l’analyse. (L’ego/le goût
pour l’hégémonie, la religion, la violence personnelle, la violence du discours politique : discours anti
immigration/discours pro-torture.) La récurrence de certains thèmes souligne les domaines de
prédilection de Trump et la façon dont il est perçu.
L’ego/Le goût pour l’hégémonie
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
11
Donald Trump a de nombreux points communs avec Darth Vader. Toujours vêtus de noir, ils ont
commencé par renier leur appartenance d’origine (les libéraux/ le côté lumineux) pour rejoindre un
mouvement opposé (les conservateurs/le côté obscur). Donald Trump et Darth Vader sont tous les
deux doués en affaire : si Trump est un magnat de l’immobilier milliardaire, Vader obtient de Boba
Fett et de Lando Calrissian la capture de Han Solo et Leia pour attirer Luke dans un piège. L’Empire
entretient de nombreuses relations douteuses avec les organisations de la bordure extérieure, il
négocie ainsi régulièrement avec les Hutts et la fédération du commerce dans des buts politiques ou
financiers.
Mais ce qui rapproche le plus Donald Trump de Darth Vader c’est son égo démesuré et son goût pour
l’hégémonie. Depuis qu’il est jeune Anakin a toujours été confiant et ambitieux. « Someday I will be
the most powerful Jedi ever. »9. Sa soif de pouvoir a été déterminante dans son basculement vers le
côté obscur ; toute sa vie Anakin a défié le conseil des Jedis pour démontrer sa supériorité. Aussi
Darth Vader fait tout dans la démesure, il a rétabli un empire consolidé par une armée de clones
subordonnés, il habite à bord d’une immense station spatiale : « l’Etoile noire », qui fait aussi office
d’arme de destruction massive, il porte une armure imposante ; drapé dans sa cape il affiche un
toujours un ton supérieur et sentencieux.
Le montage d’Auralnauts introduit l’hégémonie de Donald Trump dans celle de Vader avec une dose
d’humour. Vader est orgueilleux mais toujours extrêmement sérieux, alors que Donald Trump fait
preuve d’un narcissisme revendiqué et excessif. Ainsi, pour rendre Trump crédible dans l’univers de
Star Wars, Auralnauts a fait le choix de tourner en ridicule les marques d’hégémonie de Darth Vader.
La vidéo s’ouvre sur « we’re not gonna take it » des Twisted Sisters ; il s’agit d’une chanson de hard
rock relative à la persévérance, la mise en avant de l’ego et de la volonté libre. Dans le clip original le
petit garçon défie son père pour devenir une rock star loufoque et libérée. Cette ouverture permet
de bien mettre en avant qu’à l’image de Vader, Trump fait ce qu’il veut.
9 Star Wars épisode II, « L’attaque des clones »
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
12
Par ailleurs, les croiseurs de l’empire ainsi que l’Etoile noire, symboles de l’hégémonie de Vader,
portent une pancarte disproportionnée avec le slogan de la campagne de Trump détourné : « Make
the galaxy great again ». Vader règne sur l’Empire comme Trump souhaite régner sur l’Amérique.
Auralnauts repolitise avec beaucoup d’auto dérision, la situation à l’œuvre dans Star Wars, Darth
Trump fait campagne pour une galaxie qu’il domine déjà. La pancarte a, à la fois une vocation
emphatique qui souligne que l’hégémonie de Trump égale, voire surpasse celle de Vader, et à la fois
une vocation décrédibilisante. Avec cette pancarte le vaisseau comme la station n’ont plus rien
d’impressionnants et deviennent des caricatures politiques à l’image de Trump.
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
13
De même la séquence n° 10 rend compte de la mort de Trump en mettant la focale sur sa coupe de
cheveux. Sa coiffure fait partie de son identité et rappelle à quel point il est une caricature construite
de toute part. Darth Trump a été intégralement brûlé mais ses cheveux demeurent. Il s’agit de
tourner en ridicule la superficialité de Trump qui à l’aune de la mort porte encore cette coupe de
cheveux et ne peut, même pas en cet instant fatidique, être pris au sérieux.
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
14
La plupart des séquences mettent en lumière l’égo surdimensionné de Donald Trump dans des
situations sérieuses qui deviennent humoristiques. Trump est toujours en décalage par rapport au
dialogue, son unique solution face aux problèmes rencontrés réside dans l’énumération de tout ce
qui fait son génie.
Dans la séquence n°2, un général de l’Empire vient faire état du problème soulevé par le fait de
garder Leia en otage, non seulement cela pourrait susciter de la sympathie pour le Sénat et la
République, mais en plus il est possible qu’elle ne dise rien sur la base rebelle avant de mourir. Au
lieu d’apporter une réponse constructive, Trump répond en énumérant ses qualités « I do get along
with people, I deal with foreign countries, I made a lot of money dealing against China… » Un autre
militaire vient le voir pour lui dire que le vaisseau intercepté ne contient pas les plans de la base
rebelle, mais Trump continue de se mettre en avant et de rappeler les raisons de sa supériorité sans
suite logique « I employ thousands of people »…Trump pense être la solution de tous les problèmes
qu’il rencontre. Cette image renvoie clairement à son comportement en campagne : tous les
problèmes pourraient être résolus parce qu’il a réussi dans la vie, mais en soi Trump ne propose
jamais de véritables solutions et quand il le fait, ses idées ne semblent pas réalistes.
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
15
Dans la séquence n°5, le général essaye de faire une description de la situation militaire. Trump
l’interrompt en lui disant qu’il n’a pas besoin d’être un génie pour savoir cela, mais qu’en revanche,
lui se trouve être un génie. Il déclare être un meilleur militaire que n’importe qui dans la pièce. Cette
position illustre bien celle de Trump qui pense, parce qu’il est un génie et qu’il est doué en affaires,
pouvoir s’improviser des qualités d’experts dans tous les domaines : l’économie, la politique
étrangère, la politique migratoire… Trump serait même passé expert dans « l’art de construire des
murs ».
La séquence n°7 constitue sans doute l’illustration la plus absurde de l’ego de Trump. Sur Bespin,
alors que Lando cherche à comprendre les termes du marché qu’il a passé avec Trump, ce dernier
vante les mérites de sa gamme de steaks10«If you like steaks, you’ll absolutely love Trump’s steaks.
Trump’s steak are the world’s greatest steaks, and I mean that in every sense of the word » .
Lando se trouve totalement désorienté et tente de comprendre les conditions du contrat, mais
Trump continue dans sa mégalomanie.
10Trump Steaks, www.sharperimage.com/si/view/product/Trump+Steaks/888888
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
16
Il s’agit ici de moquer l’empire financier de Trump et les excès qu’il mobilise pour appeler au
consumérisme ; avant d’être un homme politique, Trump reste avant tout un homme d’affaire.
La vidéo se termine sur une séquence ultime de mise en avant de l’ego, le narcissisme de Trump est
tellement important qu’il perdure après sa mort.
Dans la dernière séquence, Luke est face aux hologrammes de ceux qu’il a perdus et qui reposent
désormais avec la Force : Obi Wan Kenobi, Yoda et DarthTrump. Trump dit qu’il va mener toutes les
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
17
élections, dans tous les états, de l’Iowa au New Hampshire, de la Caroline du Sud à la Caroline du
Nord. Pendant ce temps-là tous les personnages font la fête…
Trump pourrait être le grand vainqueur du film, après avoir incarné le grand méchant, il serait
intériorisé comme figure bénéfique ayant embrassé sa rédemption. Pourtant ses objectifs ne
diffèreraient pas : acquérir et rester au pouvoir. Cela pourrait signifier que malgré l’absurdité de ses
propos, il a été élevé au rang d’icone. Les personnages de Star Wars pourraient sembler l’approuver
par la fête à l’instar de son électorat.
Mais l’interprétation pourrait être tout autre. Trump est mort et malgré tout il ambitionne toujours
d’acquérir le pouvoir ce qui est encore plus absurde. Les personnages pourraient alors rire de lui et
Luke, las des bêtises de son père, choisirait de le laisser pour retrouver ses amis à la fête.
Malgré les décalages, le discours de Donald Trump s’intègre bien dans les séquences car son ego
s’associe bien à l’hégémonie de Darth Vader même si ce dernier reste plus solennel. Le lien entre
l’hégémonie commune aux 2 personnages et l’humour, permet de montrer à quel point Trump est
crédible dans la peau d’un personnage antagoniste tout en moquant la superficialité de son discours
de façon critique.
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
18
Cependant malgré la dimension humoristique, on remarque qu’aucun militaire ne se dresse contre
Darth Trump au cours de la vidéo (mis à part le général qui critique sa posture religieuse et termine
étouffé par la force). La plupart des personnages regardent Darth Trump avec crainte et respect,
même l’empereur ne le soumet pas. Il est possible d’associer ce comportement à celui d’une partie
l’électorat de Trump. Certains de ses partisans semblent le suivre aveuglément comme un leader né,
sans jamais remettre en cause les failles de son discours. Il existe un lien évident entre la figure
autoritaire de Darth Vader et l’autoritarisme grandissant de Trump et de son électorat. Tous comme
les militaires au service de Vader, il existe du côté de l’électorat de Trump, un véritable culte du chef.
On relève également quelques séquences relatives à l’ego dans « Winter is Trumping ». Donald
Trump dit devant le conseil du roi que le peuple n’est constitué que par ceux qui le supportent. Ainsi
Trump ne reconnaît que son électorat, ceux qui flattent son ego.
Dans la séquence n°7, Trump est intégré à la place de Janos Slynt qui refuse d’obéir aux ordres de Jon
Snow en rejetant le commandement de Greyguard. Trump répond à Jon Snow interloqué que l’on a
besoin de « gens qui savent ce qu’ils font et non de bébés ». Cette séquence témoigne une fois de
plus du narcissisme de Trump qui rejette la hiérarchie parce qu’il pense être le meilleur en toutes
circonstances.
L’ego est plus valorisé dans Darth Trump parce que comme nous l’avons dit Trump est assimilé à un
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
19
personnage individuel qui partage cette caractéristique. Dans Winter is Trumping, la volonté de Huw
Parkinson est d’assimiler les positions politiques de Trump à l’univers de la série.
La religion
La religion est abordée dans les deux vidéos. Il est difficile pour Donald Trump de rallier l’électorat
chrétien car c’est un libéral qui tente de s’improviser conservateur. Tout au long de sa campagne,
Trump a essayé de mobiliser des arguments pour démontrer son attachement à la religion « I believe
in God. I am Christian. I think The Bible is certainly, it is THE book...First Presbyterian Church in
Jamaica Queens is where I went to church. I’m a Protestant, I’m a Presbyterian. And you know I’ve
had a good relationship with the church over the years. I think religion is a wonderful thing. I think
my religion is a wonderful religion »11
Vader et Trump sont tous les deux en décalage par rapport aux attentes religieuses des contextes
dans lesquels ils s’insèrent. Vader croit en la force alors que les Jedis ont disparu, Trump est un
presbytérien libéral qui ne satisfait pas l’électorat chrétien. Dans la séquence n° 3, Trump dit qu’il est
très chrétien et très investi dans la religion. « I’am a very very strong believer in religion and
christianity » Le général lui demande de ne plus parler de sa magie et de sa dévotion pour la force,
religion ancienne qui ne lui a pas permis de stopper les rebelles et de trouver leur base. Trump
étouffe le général en vantant ses qualités à nouveau avec le même segment de discours que la
séquence n°2, ce qui marque l’intertextualité avec l’idée d’ego comme solution à tous les problèmes.
(« I do get along with people, I deal with foreign countries, I made a lot of money dealing against
China »).
11« Donald Trump talks about religion », Politico,04/11/11
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
20
Il est intéressant de constater que dans la séquence originale, Darth Vader évoque aussi sa dévotion
religieuse : « I find your lack of faith disturbing »12. Vader est trop croyant alors que Trump ne l’est
pas assez, mais les deux cas impliquent une emphase religieuse contraire à l’attente des personnages
à ce point précis de la vidéo.
Game of Thrones met en séquence les réticences du pape vis-à-vis de Donald Trump. En effet le pape
condamne les positions radicales de Trump, selon lui « une personne qui veut construire des murs et
non des ponts n’est pas chrétienne »13
Dans la vidéo Trump arrive en chevalier face au conseil du roi comme s’il avait une requête et
explique que le pape est allé à Mexico et qu’il a dit des choses négatives à son sujet. Varys répond
que « c’est terrible (Dreadful) » avec un ton indifférent. Trump renchérit en disant qu’il est une
« personne très bien (Donald Trump is a very nice person ) », Littlefinger sourit de manière ironique.
12 Star Wars épisode IV, « Un nouvel espoir » 13« Le ton monte entre le pape François et Donald Trump », Le Monde, 19/02/2019
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
21
En rappelant les positions du pape, la vidéo démontre à quel point la figure de Trump divise l’Eglise
et les croyants malgré son appartenance au camp des conservateurs.
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
22
Il faut noter que l’ego de Trump est moqué une nouvelle fois car visiblement sa personne n’est pas
assez importante pour susciter l’intérêt du conseil du roi. Par ailleurs, il est intéressant de remarquer
que la condamnation du pape intervient dans un univers où la religion occupe une place très
importante malgré les vices de la population. Comme Donald Trump, la plupart des personnages sont
dévots en apparence, alors qu’ils restent marqués par l’argent, le pouvoir, le plaisir et la violence.
La violence
La violence est omniprésente dans les deux vidéos. Ces dernières mettent en séquence deux formes
de violence, la violence personnelle d’une part et la violence qui émane de ses opinions politiques,
notamment en matière d’immigration et de politique étrangère.
La violence personnelle
Au-delà de la violence de son programme que nous aborderons ultérieurement, Donald Trump a
souvent révélé une nature violente. On peut par exemple citer, parmi ses nombreuses incitations à la
violence, ses propos relatifs au fait « qu’il paierait les frais d’avocat de ceux qui maitriseraient les
perturbateurs de son meeting14 », propos qui semblent indécent pour un homme politique voué à
acquérir le pouvoir.
Les deux montages ont su allier avec humour la violence de Trump avec celle de Vader et de l’univers
de Game of Thrones.
Vader est un personnage extrêmement violent. Rappelons qu’Anakin a massacré les enfants du
temple Jedi. Vader quant à lui, étouffe régulièrement ses opposants, recourt à la torture, et n’hésite
pas à mener à terme des génocides comme celui d’Alderaan.
Le montage d’Auralnauts recourt à un artifice pour révéler la violence de Trump dans le personnage
de Darth Vader. La séquence n°2 et la séquence n°8 intègrent des morceaux du discours tenu par
Trump à Fort Dodge dans l’Iowa15 dans lequel il tourne Ben Carson en ridicule, accusé de violence
envers sa mère et un ami d’enfance. Ben Carson aurait poursuivi sa mère avec un marteau, essayé de
poignarder un ami d’enfance et frappé quelqu’un au visage avec un cadenas. Donald Trump a pris
l’habitude de discréditer Ben Carson sur son passé violent en l’accusant de souffrir de troubles
14« Donald Trump : I may pay legal fees for man who punched protester », The Guardian, 14/06/2016 15« Trump on Carson : if you are a child molester, there is no cure », Grabien, 11/13/2015
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
23
psychiatriques. Mais dans le discours de Fort Dodge, Trump imite Carson, il s’approprie sa violence
pour le ridiculiser. Sortie de son contexte, les propos de Trump donnent l’impression qu’il a lui-même
fait preuve de violence envers sa mère et ses amis. « How dare the press not believe me that I went
after my mother with a hammer! »/ « I hit somebody in the face with a padlock, then I tried to stabb
a friend of mine who’s name was Bob ».
Bien que ces actes n’aient pas été réellement commis par Trump, ils soulignent le potentiel de
violence qui l’habite à l’instar de celle qui ronge Vader. Les propos sont réintégrés de manière
humoristique et pertinente.
Dans la séquence n°2, Vader suscite l’incompréhension de Leia. La séquence n°8 reprend les images
cultes de l’Empire contre attaque qui mettent en séquence la révélation de Vader : il est le père de
Luke et de ce fait il l’invite à rejoindre « le côté obscur ». Luke est anéanti par cette nouvelle et hurle
avant de se jeter dans le vide. Le montage construit la séquence de façon à ce que ce soit la violence
de Trump vis-à-vis de sa mère et de son ami qui suscite cette réaction. Trump est tourné en ridicule
de la même façon que le discours qu’il a tenu sur Carson, on assiste à une sorte de moquerie en
abîme.
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
24
De surcroît la notion d’égo est mobilisée à nouveau, après sa révélation, Trump invoque de manière
totalement absurde, son merchandising vendu par la plateforme Macy’s. C’est cette ultime folie qui
pousse Luke à sauter de la passerelle. Malgré l’auto dérision de la séquence qui fragilise une fois de
plus les capacités politiques de Trump, son potentiel de violence est pointé du doigt.
La violence du discours politique
Au-delà de la violence personnelle, les vidéos rendent compte de la radicalité du discours politique
de Donald Trump.
Alors que Darth Trump reste centré sur l’identification de Trump à Vader, Game of Thrones met la
focale sur son discours politique en intégrant ce dernier dans un univers cruel et violent.
Game of Thrones aborde les questions des discriminations, des migrations et de l’esclavage. « Winter
is Trumping » offre donc un cadre favorable pour aborder les positions de Trump sur la tolérance
religieuse et la politique migratoire.
Donald Trump défend l’idée qu’il faudrait bannir temporairement les musulmans du territoire
américain pour lutter contre l’Islam radical, comme le témoigne l’exemple du discours tenu en
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
25
Caroline du Sud le 7 décembre 2015.16Dans la séquence n°1 de « Winter is Trumping », Daenerys
arrive aux portes de Qarth et demande l’asile pour son peuple affamé et déshydraté après la
traversée du désert. Trump s’avance, refuse la proposition et dit que la cité a des problèmes sérieux
avec l’Islam radical « we have a serious problem with radical islam, we have a tremendous problem
and we can’t be the stupid country anymore »
Daeneys dit que là d’ où elle vient, « les invités sont traités avec respect et non insultés aux portes
de la cité ». La pertinence du mashup résulte de la coïncidence entre la position de Trump qui
souhaite bloquer l’entrée des Etats Unis aux musulmans, et celle du conseiller de Qarth qui souhaite
empêcher Daenerys d’entrer dans la cité. La critique sort de la bouche de Daenerys qui pointe le
comportement intolérant et irrespectueux de Trump, désormais conseiller de Qarth. Quelques
séquences plus tard, l’histoire se poursuit et Daenerys affirme qu’ils vont mourir par la faute de
Trump qui essaye de se justifier en disant que l’exclusion est temporaire « I said temporarily, I didn’t
said permanently, I said temporarily ». Cette séquence révèle l’absurdité des propos de Trump avec
16Donald Trump, Pearl Harbor Day Rally at the USS Yorktown South Carolina, 7/12/2015 (https://www.youtube.com/watch?v=NzOslZ5mP2g)
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
26
beaucoup d’ironie. Il est difficile de nuancer une politique discriminatoire avec des conditions de
temps tout comme la mort n’admet aucun délai supplémentaire.
« Winter is Trumping » comme « Darth Trump » font également allusion à la politique que Trump
entend mener contre l’immigration mexicaine.
Depuis le début de sa campagne, Donald Trump défend une politique anti immigration vis-à-vis du
Mexique. Trump affirme sur son site de campagne vouloir construire un mur entre le Mexique et les
Etats Unis et accuse les mexicains d’être « des criminels et des violeurs. » Tous les immigrés
clandestins devraient, selon lui, être expulsés ; qui plus est le mur serait à la charge des mexicains. En
cas de refus, le prix des visas mexicains serait augmenté. Il s’agit d’une mesure parmi d’autres car
Trump préconise également la fin du droit du sol.17
Par exemple, « Winter is Trumping » reprend une partie d’ un discours tenu par Trump sur Fox
News18 dans lequel il affirme « We have to build a wall, and it has to be build quickly, and I don’t
mind having a big beautiful door in that wall so the people can come in legally ».
17 « Les surprenantes solutions de Donald Trump face à l’immigration », L’Obs, 17/08/2015 18 Donald Trump, Fox News debate, (https://www.youtube.com/watch?v=mF4cxxuZ5_M)
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
27
Encore une fois ce discours s’intègre parfaitement dans l’univers de Game of Thrones qui comprend
un mur gigantesque entre Westeros et la bordure extérieure pour protéger le royaume des
sauvageons et des marcheurs blancs.
Dans la vidéo Donald Trump incarne un membre de la garde de nuit offusqué qu’il n’y ait plus ni
frontière ni contrôle, il faut donc selon lui, construire un mur rapidement en conséquence.
Il rappelle qu’il est « le meilleur constructeur et qu’il construira le meilleur mur au monde (The
greatest builder is me, and I will build the greatest wall you have ever seen) ». A noter la répétition
du terme « greatest », qu’on retrouve régulièrement dans le discours de Trump. Ce superlatif qu’on
associe généralement au discours religieux, pourrait révéler la perception quasi divine que Trump a
de lui-même et servir d’emphase à son ego démesuré.
Au même moment, la vidéo fait un plan rapproché sur le peuple sauvageon attendant de l’autre côté
du mur dans la neige gelée, pendant que Trump le regarde avec condescendance du haut du mur. Ce
plan accroît le misérabilisme de la séquence, la critique est activée par l’indifférence de Trump face
aux peuples en souffrance qu’il s’agisse des sauvageons prêts à se faire dévorer par les marcheurs
blancs ou des mexicains qui viennent aux USA chercher du travail. Cette séquence dénonce la
politique radicale de Trump toujours avec une forme d’humour noir qui le conforte dans le rôle du
méchant.
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
28
La thématique de l’intolérance est également exploitée par Darth Trump. Dans la séquence n°6
Trump explique à un militaire que la situation à la frontière est une catastrophe. Le militaire lui
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
29
assure que le bouclier peut stopper tous les bombardements des ennemis. Trump essaye de justifier
sa politique en disant qu’il « adore les mexicains mais qu’ils tuent les américains à la frontière, qu’ils
leur volent leurs emplois, leurs entreprises, leur argent » etc… Cette position fait écho à l’intolérance
de Vader vis-à-vis du Sénat et de l’ordre Jedi. Trump parle depuis sa chambre de méditation qui le
coupe du monde, le mur n’est pas évoqué directement mais pourrait être réintroduit par cette
frontière symbolique.
Enfin « Winter is Trumping » aborde la thématique de la réintroduction de la torture, ce qui permet
de faire la synthèse entre la violence personnelle de Trump et ses positions politiques. Dans la
dernière séquence de « Winter si Trumping », Trump est assimilé au méchant le plus cruel de Game
of Thrones, Joffrey Baratheon, qui se caractérise par son goût pour la torture et le sadisme. Le
symbole est fort, Joffrey est en passe de devenir un des méchants les plus célèbres de la pop culture
à l’instar de Darth Vader, Joffrey a su évoluer avec la violence de son époque. Le montage montre
Trump en train d’évoquer la torture avec Tyrion, au cours de la bataille de la Néra. Trump explique
que « leurs ennemis se moquent d’eux pendant qu’ils torturent à l’eau et coupent des têtes (they
laugh at us, our ennemies laugh at us while but they say waterboarding and they chop off heads) ». Il
finit par affirmer qu’il réinstaurera « la torture à l’eau et des choses pires que cela (I will bring back
waterboarding and I’ll bring back a hell of a lot worse than waterboarding) ». La dernière séquence
montre l’explosion des bateaux ennemis sur la rivière face à Tyrion inquiet et perplexe.
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
30
Non seulement la violence de Trump est révélée par l’association de celui ci au personnage de
Joffrey, mais en plus l’explosion des bateaux souligne les conséquences inhumaines que pourraient
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
31
avoir la réinstauration de la torture à l’eau. Trump est partisan de l’idéologie libérale19 de la torture
qui postule que celle-ci doit être utilisée dans des cas d’extrême urgence mettant en danger la vie
d’autres personnes. Il s’agit de montrer comment Trump, à l’instar de Joffrey peut revendiquer des
positions inacceptables portant atteinte à la dignité humaine et condamnées par le droit
international.
III/ La portée politique des montages : une critique inédite initiée par la
formation d’une nouvelle icône
La remise en question des capacités politiques de Donald Trump
Une fiction est politique quand elle a un rôle politique pour les lecteurs. Claude Lefort distingue la
politique, activité des professionnels de la politique, et le politique qui aménage des espaces de
réflexion sur des questions politiques. Quand la fiction donne des pistes de réflexion et des clés de
compréhension sur des questions politiques, elle traite le politique.20Les montages remettent en
question les capacités politiques de Donald Trump. Ainsi « Darth Trump » comme « Winter is
Trumping » soulèvent un questionnement politique qui relève du politique.
Rendre Trump crédible dans le rôle du méchant c’est d’abord montrer les dangers latents qui
imprègnent son discours. La superficialité de ses propos, son excès de confiance en lui, son égo
démesuré, mais également ses idées populistes, radicales voire racistes et violentes pourraient nuire
grandement au peuple des Etats unis. Les deux vidéos suggèrent que Trump pourrait s’avérer aussi
dangereux que des figures stéréotypées qui concentrent en elles les racines du mal.
Nous l’avons vu DarthTrump tend à souligner le potentiel autoritaire de Trump à travers la figure de
Vader, mais également celle de son électorat, qui par la métaphore militaire, approuve et se soumet
sans résistance.
Le titre « Winter is Trumping » sonne également comme une prophétie. Dans Game of Thrones, les
personnages redoutent la venue de l’hiver, perçu comme un enfer blanc, un empire de mort auquel
on ne survit pas. L’accès au pouvoir de Trump serait-il assimilable aux conséquences dévastatrices de
l’hiver ?
D’autre part, l’intégration crédible de Trump dans un univers fictif sonne comme un paradoxe pour
un candidat à la présidence des Etats Unis. Comment le prendre au sérieux ? Les deux montages font
preuve d’un puissant pouvoir de dérision. La présidence des Etats Unis implique des responsabilités
19TERESTCHENKO Michel, « De l'utilité de la torture ? Les sociétés démocratiques peuvent-elles rester des sociétés décentes ?», Revue du MAUSS 2/2006 (no 28), p. 337-366 20 COULOMB GULLY Marlène et ESQUENAZI Jean-Pierre, « Fiction et politique : doubles jeux », Mots. Les langages du politique
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
32
considérables, montrer que Trump est un stéréotype fictif c’est dénoncer son incapacité à gouverner
dans une situation réelle.
L’humour peut être envisagé comme un véritable acte politique en ce qu’il permet souvent de
réaliser une volonté politique. Il s’agit soit de générer une pensée critique sur un système, soit de
chercher à le changer. Certains discours humoristiques prennent de véritables positions politiques,
militantes ; l’humour est là pour servir d’emphase au message. D’autres humoristes tournent tout en
dérision, leur but est de générer une prise de conscience. Ces humoristes ne prennent pas position,
ils sont simplement critiques. Il s’agit de mettre en relief les contradictions de la société et de faire
réfléchir sur nos habitudes sociales et politiques.21
Il est difficile de connaître les positions politiques d’Auralnauts et de Huw Parkinson, par conséquent
nous ne pouvons deviner si leur but était réellement de prendre position conte Trump ou si ces
vidéos s’intègrent dans leurs habitudes de tourner les situations en parodie pour pointer leurs
faiblesses.
Auralnauts comme Huw parkinson sont des experts du montage parodique débordant de fantaisie.
Auralnauts se définit ainsi sur sa chaîne you tube « Auralnauts are Craven Moorhaus and Zak Koonce.
We do a lot of things here. We change the dialogue in movies to turn them into comedies. We
change dialogue in commercials to turn them into dark glimpses into dystopian futures. We count
how many people were murdered by popular movie stars. We write music. We basically do whatever
we want and hope you enjoy it, because thinking too hard about what people want tends to ruin the
creative process. »22La description Twitter de Huw Parkinson est tout aussi désinvolte et créative
« Creating witchcraftery for @InsidersABC by mixing together politics, films, 4 ounces of newt, a dash
of spider maths, a Thermomix and 3 bags of kitten fear »23
Il semblerait donc que les 2 montages se situent dans un contexte de dérision généralisée du
politique (d’autant que Parkinson travaille pour ABC Insiders, un talk show australien qui critique
l’actualité politique), ce qui n’enlève rien à la pertinence de leur critique. Que l’intention de réaliser
un acte politique soit présente ou pas, les 2 montages mettent en évidence les contradictions
inhérentes à Trump ce qui permet de générer une prise de conscience.
Par ailleurs, il faut préciser qu’avoir recours à la pop culture, c’est s’assurer de mobiliser un langage
que tout le monde comprend. Depuis les années 50, la culture populaire est traversée par deux
tendances contraires : d’un côté elle a une fonction socialisatrice qui fédère les individus autour de
figures communes et de l’autre, elle soumet les individus à un certain nombre d’institutions ce qui
21 CHOQUETTE Emmanuel, L’humour : entre acte politique et intérêts communs, Montréal, AISP-Acte de congrès, 2014, 19 p 22 AURALNAUTS about, youtube(https://www.youtube.com/user/Auralnauts/about) 23 PARKINSON Huw, twitter (https://twitter.com/rabbitandcoffee)
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
33
peut avoir des conséquences aliénantes. La fonction fédératrice se fonde sur un critère quantitatif :
la pop culture est partagée par le plus grand nombre, et sur un critère qualitatif : la pop culture est,
contrairement à la culture savante accessible au plus grand nombre. 24
Star Wars est devenu un monument du cinéma de Science fiction et Darth Vader incarne un des
méchants les plus emblématiques de tous les temps. De plus tout individu est capable de
comprendre la référence à Star Wars. Game of Thrones n’a pas encore atteint la légitimité
cinématographique de Star Wars, la référence n’est pas connue de tous mais elle se démocratise
rapidement ; le succès de Game of Thrones n’a fait que croître depuis sa sortie.
La communication est liée à la culture populaire depuis longtemps. L’essor du numérique a amplifié
l’impact de la culture populaire sur les publics. De plus en plus de contenus sont marqués par des
logiques d’edutainment incorporant des éléments éducatifs dans des médias de divertissement,
permettant par exemple de sensibiliser les populations à des problèmes sociaux. 25Intégrer Donald
Trump dans des univers fictifs tels que Star Wars ou Game of Thrones permet de sensibiliser les
publics aux enjeux de la primaire américaine pour les élections présidentielles en mobilisant des
références connues et accessibles qui ont accédé au rang d’icônes.
La création d’une nouvelle icône enrichissant et altérant la perception des publics
L’icône confond fétichisation et banalisation, elle n’est pas unique comme l’œuvre d’Art et peut être
réutilisée dans de nombreuses configurations sans perdre sa force symbolique, c’est le cas de Donald
Trump à travers la fiction.26
En associant Trump à Vader et en l’intégrant dans l’univers de Game of Thrones, les montages
détournent son image, qui concentre un fort capital symbolique, par des icônes de la pop culture
tout aussi riches de sens. Selon Mathilde Arrivé, Il semblerait que la sacralisation de l’image originale
coexiste avec la circulation massive des images dérivées. La figure iconique de Donald Trump
coexiste donc avec la diffusion des images qui la représente à travers la pop culture. La prolifération
d’images ne banalise pas la figure de Trump, elle tend au contraire à la diffuser tout en enrichissant
sa force symbolique par le biais de l’intericonicité. Le recours à la fiction permet de former une
nouvelle icône qui ancre dans les mémoires la figure autoritaire et surréaliste de Trump.
Depuis quelques temps, les références associant Trump au fascisme se multiplient.
On trouve des allusions dans la presse, comme par exemple la une du Philadelphia Daily news du 8
24 BUHMANN, A.; HELLMUELLER, L.; BOSSHART, L. (2015): Popular culture and communication practice. In: Communication Research Trends, Vol. 34(3), pp. 4–18. 25 BUHMANN, A.; HELLMUELLER, L.; BOSSHART, L., Ibidem 26 ARRIVE Mathilde, « L’intelligence des images - l’intericonicité, enjeux et méthodes », E-rea [Online], 13.1 | 2015, Online since 15 December 2015
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
34
décembre 2015 qui titre « the new furor »27, jeu de mot entre fureur et führer ; de nombreuses
personnalités ont également donné leur avis sur la question : Glenn Beck, éditorialiste conservateur
compare Trump a Hitler en rappelant que lui aussi n’était pas pris au sérieux, le comédien Louis CK
considère la situation actuelle aux Etats Unis semblable à celle de l’Allemagne des années 30, John
Kasich soutient qu’aucune communauté n’est à l’abri et que tout le monde peut potentiellement
devenir la cible de Trump…28
Les montages fictifs associant Trump à des figures autoritaires sont de plus en plus nombreux sur
Internet.
Certaines images comme celle de Dallas Austin, citent Hitler en filigrane pour donner l’impression
que l’intericonicité dévoile le vrai visage de Trump, celui du fascisme.29
Beaucoup d’images circulant sur Internet jouent sur l’association de Trump à des symboles fascistes
pour révéler son potentiel autoritaire. D’autres, pointent du doigt les dangers du ralliement aveugle
de l’électorat.
Le Saturday Night Live a notamment réalisé une fausse vidéo promotionnelle humoristique mettant
en avant le caractère raciste de l’électorat de Trump.30
La démarche de la vidéo est de montrer par l’exemple que les médias ont une raison de traiter
négativement l’image de Donald Trump. La vidéo s’ouvre sur une petite phrase qui semble
condamner ironiquement les médias en apparence, il s’agit d’aller voir du côté de l’électorat pour
comprendre véritablement la figure de Trump « The Media’s been saying some pretty negative
things about Donald Trump, but what are real american saying ? ».
27 « The new furor, la couverture du Philadelphia daily news compare Donald Trump à Adolf Hitler », L’Obs, 8/12/15 28 « Video, Donald Trump comparé à Adolf Hitler par de nombreuses personnalités politiques et médiatiques américaines », le Huffington Post, 24/04/2016 29http://buzz.blog.ajc.com/2016/03/01/dallas-austin-likens-donald-trump-to-hitler/ 30« SNL parody : Racists for Trump », CNN (http://edition.cnn.com/videos/tv/2016/03/07/snl-donald-trump-parody-ad-racists-for-trump-daily-hit-newday.cnn)
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
35
La vidéo montre des séquences de la vie quotidienne, au travail ou dans l’intimité de l’électorat,
pour rendre compte d’une ambiance authentique. Les intervenants dressent un portrait positif de
Donald Trump : «The guy is a winner, he is authentic, he is the only one who actually created jobs
… ».
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
36
Dans la 2ème partie de la vidéo on revoit les mêmes protagonistes, toujours dans leur intimité en train
de parler positivement de Trump « he is gonna take our economy from here to here, he is not some
cautious politicien, he says what I am thinking…) sauf que chacun d’entre eux porte un symbole
raciste ou fasciste en décalage avec la séquence : brassard nazi, robe du Ku Klux Klan, propagande
pro blancs et anti islam. La vidéo prétend, par le discours humoristique, montrer le visage raciste de
l’électorat de Trump et sous tend qu’il pourrait être responsable de l’ascension de l’autoritarisme. La
vidéo se termine sur une phrase choc qui tourne l’électorat en ridicule : « racist for Donald Trump »,
les racistes soutiennent Trump.
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
37
On peut aussi citer le sketch humoristique de Sarah Silverman du 10 mars 2016 dans l’émission
Conan.31 Dans ce sketch, Hitler valide les positions de Trump mais s’offusque de sa vulgarité et
regrette d’être comparé à lui. Malgré la dimension humoristique, la critique est sévère, non
seulement Trump a l’aval de la figure qui incarne le mieux le mal dans l’imaginaire commun, mais en
plus il force Hitler à se poser des questions, ce qui sous-entend qu’il est peut être plus radical que lui.
31 « Blessé par les comparaisons avec Trump, Hitler vient défendre son honneur à la télévision », le Huffington
Post, 24/04/2016 (http://www.huffingtonpost.fr/2016/03/11/video-adolf-hitler-donald-trump-a-la-television-americaine_n_9436334.html)
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
38
Il est difficile d’évaluer la pertinence de toutes ces analogies avec le fascisme car la reductio ad
hitlerium s’est banalisée jusqu’à devenir simpliste et dérisoire.
Cependant il semblerait que ce type de fiction puisse être digne d’intérêt si on la replace dans son
contexte et qu’on interroge le rôle de l’électorat comme l’a fait le Saturday Night Live.
D’autre part plus en plus de chercheurs se posent la question de la montée de l’autoritarisme aux
Etats Unis. La polarisation Républicain/Démocrate s’est développée à partir des années 60 quand le
parti républicain embrassa une ligne plus conservatrice pour conquérir les Etats du Sud.
Actuellement Donald Trump fédère des individus sans distinction d’âge, de revenus, de nationalité,
de religion ; il est soutenu de manière homogène sur le territoire américain ce qui le distingue des
autres candidats.
Matthew MacWilliams a trouvé de fortes corrélations entre l’électorat de Trump et sa propension à
désirer un gouvernement autoritaire.32Hetherington et Weiler ont découvert que le parti républicain,
qui défend des valeurs traditionnelles, attire un électorat avec des valeurs autoritaires.33 Cette
tendance a été accélérée par les problèmes économiques, l’immigration et la menace terroriste.
Selon Stenner il existe des prédispositions autoritaires chez certains individus qui peuvent être
32TAUB Amanda, « The rise of American authoriarianism », Vox, 1/03/2016 33TAUB Amanda, Ibidem
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
39
activés en période de crise et rendre ces individus sensibles au discours de Trump qui dispose d’un
leadership autoritaire.34
Selon le sondage d’Adam Petrihos, l’électorat aux prédispositions très autoritaires serait plus enclin à
voter Trump : 52% de l’électorat républicain soutenant Trump aurait un très haut potentiel
autoritaire35
Mais en l’absence de contexte de craintes, ces prédispositions restent endormies même s’il existe un
leader. Par ailleurs, Hetherington et Elizabeth Suhay ont découvert que quand les individus sans
prédispositions avaient suffisamment peur (exemple menace terroriste) ils commençaient à se
comporter comme les partisans de l’autoritarisme.36La théorie de Suhay se confirme, ceux qui ont
assez peur des nouvelles menaces physiques tendent à se comporter comme des autoritaires et donc
de ce fait à soutenir Trump.
De plus en plus de manifestations autoritaires commencent à voir le jour. On peut par exemple citer
le supposé salut hitlérien de Birgitt Peterson, à la sortie d'un meeting de Trump à Chicago.37
34TAUB Amanda, Ibid 35TAUB Amanda, Ibid 36TAUB Amanda, « The rise of American authoritarianism », Vox, 1/03/2016 37« Ce geste d’une militante de Trump est bien un salut nazi », Libération, 14/03/2016
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
40
Au meeting de Trump à Cleveland dans l’Ohio, un partisan dit aux opposants de retourner à
Auschwitz en effectuant le salut nazi.38
De même, Le 5 mars 2016, à Orlando, les partisans de Trump ont juré qu’ils voteraient pour lui en
levant le bras, rappelant encore une fois le salut nazi.39
38« Un supporter de Donald Trump hurle aux opposants de retourner à Auschwitz », RTL, 15/03/2016 39 « Un meeting de Donald Trump a pris des airs d’Allemagne nazie », Slate, 6/03/2016
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
41
Ces marques du réel alimentent les fantasmes de la fiction. A travers les symboles historiques, le
public comme les politiques interprètent le réel à la lumière du passé et soulignent le danger
potentiel qui émane de Trump comme de ses électeurs.
Selon Mathilde Arrivé, l’image, par le biais de l’intericonicité, a une fonction rituelle permettant de
fédérer les individus. Le mouvement consensuel peut donner lieu à une uniformisation importante.40
Les fictions fédèrent les individus autour d’une certaine vision de Trump, généralement caricaturale
et négative.
Il faut cependant prendre en compte l’idée que les identités sont de plus en plus altérées par la
virtualité médiatique et les interactions permises par le numérique, entrainant un brouillage des
frontières entre la fiction et la réalité.41Auralnauts comme Huw Parkinson se sont appropriés un
individu réel pour en faire un personnage fictif. Malgré ses limites, les restrictions des algorithmes,
et les inégalités qui parcourent le web, Internet peut offrir un espace d’expression et de créativité
très important dans les pays où la liberté d’expression est respectée. Attention cependant à ne pas
confondre réel et fiction, quand bien même il s’agirait d’une figure qui s’y prête comme celle de
Trump.
De même, les médias comme les amateurs peuvent avoir tendance à réutiliser des logiques
sociologiques ou historiques pour recomposer une identité collective.42Cependant ces références
peuvent traduire un excès de narrativité et avoir tendance à généraliser l’application de figures
fascisantes à la réalité comme si on ne pouvait penser en dehors des carcans de l’histoire.
Par ailleurs, l’image est très présente dans la société américaine et sert d’outil de communication
comme de propagande.43
On peut se demander si ces fictions ne font pas œuvre de propagande, consciemment ou
inconsciemment dans la production de sa visibilité et de sa popularité ?
D’après Jerôme Cotte et François L’Yvonnet, l’humour a perdu de son caractère contestataire et agit
maintenant de façon encadrée : la critique n’est plus aussi forte car le discours humoristique profite
40 ARRIVE Mathilde, « L’intelligence des images - l’intericonicité, enjeux et méthodes », E-rea [Online],
13.1 | 2015, Online since 15 December 2015 41DYMYTROVA Valentyna, « Marc LITS (2008), Du récit au récit médiatique », Communication [En ligne], Vol. 28/2 | 2011, mis en ligne le 13 juillet 2011, 42DYMYTROVA Valentyna, Ibidem 43 ARRIVE Mathilde, « L’intelligence des images - l’intericonicité, enjeux et méthodes », E-rea [Online],
13.1 | 2015, Online since 15 December 2015
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
42
à ceux qui en font l’objet ; les humoristes ne cherchent plus à déranger mais à être reconnus par le
pouvoir.44
Conclusion
Pour conclure nous aimerions soulever l’idée que la représentation fictive de Trump constitue un
objet de croyance. D’habitude les publics, forts de leur intelligence, passent par le déni pour favoriser
le croire. « Je sais bien que l’objet est construit, caricatural, mais quand même j’y crois45 ». Avec
Donald Trump, il est de plus en plus difficile de passer par la phase lucide du déni, comme si la figure
fictive de Trump générait une croyance brute. Pourquoi la figure fictive serait-elle construite ou
caricaturale puisque Trump est plus authentique au sein des univers de fiction que dans les univers
réels ? Je sais bien que la figure fictive de Trump n’est pas construite car elle illustre le réel, pour cela
j’y crois.
44 CHOQUETTE Emmanuel, L’humour : entre acte politique et intérêts communs, Montréal, AISP-Acte de congrès, 2014, 19 p 45LAMBERT Frédéric, Je sais bien mais quand même. Essai pour une sémiotique des images et de la croyance, Editions Non Standard, 2013.
Camille Chuquet
Brice Poiraud
Once upon a time in America - Projet M2 Médias, Langages et Sociétés, Institut Français de Presse,
sous la direction de Katharina Niemeyer, 2016
43
Table des matières
La Divine Comédie de Trump .................................................................................................................. 1
Introduction ......................................................................................................................................... 1
I/ L’intérêt du recours à l’intericonicité et l’intermédialité pour formuler une critique sur Donald
Trump .................................................................................................................................................. 4
Penser la rencontre d’une icône avec une autre ............................................................................ 5
L’apport de la démarche : Rendre Trump crédible dans un univers fictif ....................................... 9
II/ L’identification de Trump à Darth Vader face à l’intégration de son discours politique dans
l’univers de Game of Thrones ........................................................................................................... 10
L’ego/Le goût pour l’hégémonie ................................................................................................... 10
La religion ...................................................................................................................................... 19
La violence ..................................................................................................................................... 22
III/ La portée politique des montages : une critique inédite initiée par la formation d’une nouvelle
icône .................................................................................................................................................. 31
La remise en question des capacités politiques de Donald Trump ............................................... 31
La création d’une nouvelle icône enrichissant et altérant la perception des publics ................... 33
Conclusion ......................................................................................................................................... 42