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La poésie n'est pas le refuge des âmes trop sentimentaleset des esprits inconsistants. Elle fait l'objet d'études méthodiques et
rigoureuses, reprises par des philosophes.
Quel bénéfice de cet effort, apprécié avec discernement,peut-on tirer quant à la poésie de la Bible ?
Henri BLOCHER, professeur de Théologie systématique- philosophie en annexe - à la FLTE
(il y enseigna longtemps l'hébreu) tente de répondre à la question.
La poésie dans la Biblepar Henri BLüCHER
Qu'est-ce que la poésie? La prudence voudrait que nous restions àbonne distance d'une question si
redoutable, mais si nous prétendonsnous enquérir de la poésie de la Biblenous ne pouvons pas l'éviter tout à fait.
Tentons au moins un repérage approximatif!
Deux beaux épis, glanés au long deslectures ou dans les dictionnaires : « Lapoésie, déclare Alejo Carpentier, c'estquand les mots se rencontrent pour lapremière fois » ; et le contrepoint d'AndréGide: « Une bonne définition de la poésie? Je n'en vois plus d'autre valable,que celle-ci: la poésie consiste à passerà la ligne avant la fin d'une phrase ".
Tout est dit, peut-être, par ces deuxcitations, entre ces deux citations. Risquons-nous, pourtant, à l'expliciter. Lapoésie semble se définir par sa différence d'avec la prose, le « discoursdirect" (pro[r]sa oratio). Elle privilégiedavantage la forme de l'expression, aupoint que celle-ci paraisse achevée,nécessaire. Théodore de Banville, dansl'Introduction de son Petit Traité de lapoésie française, développe cet aspect:« Un poème, poièma, est donc ce quiest fait et qui par conséquent n'est plusà faire, c'est-à-dire une compositiondont l'expression soit si absolue, si parfaite et si définitive qu'on n'y puisse faireaucun changement ". La poésie requiertainsi un travail sur la langage, dont lesrythmes et les sonorités sont comme les
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couleurs du peintre. L'association avecla musique est originelle; littéralement,la poésie est chantée, et par métaphore : la poésie est musique. Le langage, cependant, est alliance du son etdu sens, si bien que les résonancessémantiques comptent autant, ou plus,que les autres, et que Novalis a pu parIer d'une « acoustique de l'âme ». Ducoup toute la personnalité, de l'amateurcomme de l'auteur, vibre en poésie,avec ses dimensions affective, sensorielle, et inconsciente. Il y a toujours durite, aussi, qui s'attache à la poésie. Lapoésie est à la prose ce que la danse està la marche ...
Ainsi évoquée, quelle place la poésieoccupe-t-e!le dans la Bible? Quels traitsoriginaux revêt-elle peut-être, ou quellesfonctions vient-elle à remplir? Nous tenterons d'abord de décrire les données,en relevant quelle large part la Bible fait àla poésie; puis nous écarterons le malentendu qui ferait de la poésie l'essencede la révélation; enfin nous exploreronsla convenance entre la poésie et la communication scripturaire, ce qui n'ira passans hypothèse.
La part poétique
Les limites de la catégorie poétiquerestent floues dans la littérature biblique,mais les éditeurs modernes des textesont assez d'autorité pour nous guider:conformément au critère du retour à laligne avant que la marge soit atteinte, untiers environ du discours biblique se
classe en « poésie ». Les livres dits« poétiques », qui appartiennent à la troisième partie du canon hébraïque (les« Ecrits », /Çtûvîm), s'y logent presque entotalité mais aussi la majeure part deslivres prophétiques (<< Prophètes postérieurs »), en particulier le gros volumed'Esaïe ; des morceaux se trouventailleurs, amples compositions commeles Bénédictions de Jacob ou le Cantique de Déborah, ou plus brefs, commela première parole humaine conservéepar l'Ecriture (Gn 2.23) :
Celle-ci, cette fois, os de mes os,chair de ma chair!
A celle-ci on dira « femme ",car d'homme est prise celle-ci.
Notre Séigneur'ui~mêmeaurait soulfent donné forme poétique, en langue araméenne.
Dans le Nouveau Testament la proportion est moindre. Outre les citationsde passages poétiques de l'Ancien, onremarque surtout les hymnes christologiques que reprend ou composel'apôtre (Ph 2 ; Col 1), la confession defoi qui résume le « mystère de la piété »
(1 Tm 3.16), les chants et doxologies del'Apocalypse. Jacques nous offre uneligne qui fait, paraît-il, un hexamètre parfait, selon les règles de la métriquegrecque (Jc 1.17). D'après l'étude érudite de Charles Fox Burney, The Poetryof our Lord (1925), notre Seigneur luimême aurait souvent donné forme poétique, en langue araméenne, à son
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enseignement - on le supposerait volontiers pour le « Notre Père ".
L'abondance des images associe cesdiverses portions de l'Ecriture à l'un destraits essentiels de la poésie universelle.Les textes ruissellent de métaphores oude comparaisons, principalement visuelles et auditives - Luis Alonso Schbkel anoté dans le Cantique des Cantiquesqu'elles concernent de plus en plus legoût et l'odorat quand approche lemoment de la « possession ,,(1). L'humour les assaisonne dans la parabolepoème d'un Yotam, en Juges 9.7ss, etsouvent dans les Proverbes: on n'oubliepas le paresseux qui se tourne sur sonlit comme une porte sur ses gonds(Pr 26.14), la calomnie savourée commeune friandise (26.22), la mégère comparée à la gouttière (percée? 27.15). Lesimages de la Bible gardent pour nous unparfum exotique mais elles sont, en fait,peu recherchées(21, et jouent d'abord desymbolismes fondamentaux, communsà toute l'humanité, de l'eau, du feu, duvent ... Les ensembles plus vastes travaillent des motifs, les reprennent, parfois les renversent, les entrelacent. Lesymbolisme de l'exode accompagne
(1) A. Schbkel, " Poésie hébraïque ", Supplémentau Dictionnaire de la Bible, VIII (fasc. 42), 1967,col. 81. Tout l'article, col. 47-90, est précieuxpour notre propos, par un auteur connu pourses Estudios de poética hebrea, Barcelone,1963. (L'article est signé A. Schbkel, alors quepartout ailleurs on trouve Luis Alonso Schbkelou Luis Alonso-Schbkel, comme dans sonouvrage de la collection Lectio divina ; nousn'imaginons pas qu'il s'agisse d'un autre.)
(2) Ibid., col. 76ss.
toute la tradition des prophètes-écrivains, avec le double sens du retour audésert - dévastation du pays, recommencement de l'histoire nationale - déjàexploité par Osée. Esaïe associe lesmotifs des arbres abattus, du rejetonensuite, des eaux discrètes ou terribles,de la chaussée remblayée, de la bannière haut élevée ...
Le caractère saillant, cependant, c'estla répétition. Celle-ci n'est pas strictement propre à la poésie biblique -« C'estpar la répétition, « verto ", que le « vers"commence à exister ,,(3) - mais sonaccentuation inhabituelle en fait l'originalité frappante, surtout sous la forme duparallélisme des membres. Diodorede Tarse (évêque de Tarse en 378)observait déjà: « Il dit à nouveau lamême chose en parallèle ,,(4). Si FrayLuis de Leon (1527 -1591), le pionnierdes études de poétique biblique, n'y aguère insisté, Robert Lowth, évêqueanglican d'Oxford, en a fait la théoriedécisive dans son livre fondateur Desacra poesi Hebraeorum (1753)(5). Le
(3) Ibid., col. 62
(4) Cité en grec, 10 aulO palin ei'pen ek paralLè/ou, parSchbkel, ibid., col. 67.
(5) Nous sommes tombé sur cette mention intéressante de John Wesley dans son" Journal" à ladate du 1er mars 1766 : " J'ai lu les brillantesétudes de l'évêque Lowth De Poesi Hebraeâ,beaucoup plus satisfaisantes que tout ce quej'ai Jamais lu auparavant sur le sujet. Il montreclairement que la poésie la plus sublime peutsubsister sans être assujettie à la rime ou à desmètres rigides. " (Notre traduction de Wesley,His Own Biographer. Selections from the Journais of the Rev. John Wesley, A. M., Londres,CH. Kelly, 1891, p. 345.)
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parallélisme, cette « rime du sens ", peutêtre synonymique, comme dans les troispremiers versets du Psaume 24, et,approximativement, presque tous lesversets de ce psaume (<< Oui montera àla montagne de l'Eternel? », au v. 3 dela Bible à la Colombe, dit exactement lamême chose que le vers suivant, « Ouis'élèvera jusqu'à son lieu saint? ,,) ; parfois la synonymie s'accompagne d'uneinversion dans l'ordre des mots, commeau Psaume 103.7 : « Il a fait connaîtreses voies à Moïse/Aux fils d'Israël sesactions" (la Bible à la Colombe a négligécette inversion). Le parallélisme peut êtresynthétique, avec accroissement d'information ; les versets 1-6 du Psaume 2,avec deux fois deux distiques, culminentavec la déclaration seigneuriale, quiprend un relief saisissant (ce v. 6 étantannoncé par le troisième membre duv. 3, sur l'objet de l'hostilité des peuples).Il peut être antithétique, comme auPsaume 1.6, ou dans beaucoup de proverbes, ou encore, redoublé, en Esaïe1.3 :
« Le bœuf connaît son possesseur,Et l'âne la crèche de ses maîtres;Israël ne connaît rien,Mon peuple ne comprend pas"
(Bible à la Colombe).
Le balancement du parallélisme contribue puissamment à la « musique" despoèmes.
La poésie hébraïque ne comporte pasde mètre proprement dit, de type classique, car les syllabes non accentuées
ne comptent pas; seule la qînâ, l'élégiefunèbre, obéit à des règles strictes, maispartout, en souplesse, le rythme joue unrôle indéniable. Parmi les procédés decomposition que goûtent les poètes (etles autres écrivains, d'ailleurs), lechiasme (disposition en X) et l'inclusion
Le balancement du parallélisme contribue puissammentà la « musique» des poèmes.
qui « boucle la boucle" sont au premierrang. Les allitérations et jeux d'assonances foisonnent: l'apostrophe d'ouverture - Sim"û sàmayim / ha'zînî 'èrèç«< Ecoutez, cieux! Prête l'oreille, terre! ",Es 1.2) est un exemple qui aiguise Deutéronome 32.1 ; le Psaume 122.6 enfileles chuintantes: - Sa '''lû s"lôm Y'rûsàlàïm, yislàyû... ; Esaïe 5.7 contrastel'attente du Seigneur, le droit et la justice,mispàr et ç'dàqâ, et ce qu'il récolte danssa vigne d'Israël-Juda, l'effusion (desang) et le cri (des opprimés), mispà~. etç"àqâ; plus loin, 24.17s., il annoncel'épouvantable triade pa~ad, pa~at etpa~, que la Bible de Jérusalem a surendre « Terreur, trou, traquenard" et laBible à la Colombe « Frayeur, fosse,filet ". M. Dahood remarque l'emploi deracines dont les lettres sont les mêmes,mais dans un autre ordre : ainsi lePsaume 89.21 s. joue sur mç' et 'mç,« trouver" et « fortifier ,,(6). Il suggère
(6) Mitchell J. Dahood, « Poetry, Hebrew ", Interpreter's Oictionary of the Bible, SupplementaryVolume, sous dir. Keith Crim, Nashville,
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également que le « tour elliptique de lapoésie d'Ougarit " caractérise semblablement celle de la Bible(7). On admire,en tout cas, la maîtrise de la matière,amoureusement ciselée; achèvementessentiel à la poésie, « l'esprit règne surce qu'il a créé ,,(8).
Contre le poétisme
Le « poétisme ", comme l'appelleHenri Suhamy(9), confère à la poésie ladignité et la puissance de la religion, dela révélation. Les racines sont païennes:Démocrite dit du poète qu'il compose« rempli du dieu et par un espritsacré ,,(10). Depuis le Romantisme,remontée de paganisme, on pare volontiers les artistes du titre de « frèresvoyants ,,(11). Rimbaud, sous cette inspi-
Abingdon Press, 1976, col. 671 a. Un autreexemple serait, à notre avis, l'association des" chérubins» et des chevauchées divines(Ps 18.10) ou du char divin (Ez 1 et 9) : k'rûv ales mêmes lettres radicales que ràkav, monter àcheval ou conduire un chariot.
(7) Ibid.
(8) Henri Suhamy, La Poétique, Que sais-je?n° 2311, Paris, Presses Universitaires deFrance, 1991 2 , p. 87.
(9) Ibid., p. 108s.
(10) Démocrite, Fragment 18, cité par H. Seebass," Holy/hiéros », New International Dictionary ofNew Testament Theology, sous dir. ColinBrown, Grand Rapids, Zondervan, 1976, vol. Il,p. 233. Notre traduction du grec cité :met'enthousiasmou kai hierou pneumatos (l'" enthousiasme » est l'état de l'homme enthéos,c'est-à-dire" plein du dieu »).
(11) Choisi par Paul Eluard pour son recueil, LesFrères voyants. Anthologie des écrits sur l'art,coll. Médiations, Paris, Gonthier, 1966 (1952 1).
ration, revendique: « Le poète se faitvoyant par un long, immense et déraisonné dérèglement de tous lessens ,,(12). Romantisme débridé!
Religion et poésie se côtoientsans doute dans les brumesarchaïques: qu'on pense auxlitanies et aux incantations.
Religion et poésie se côtoient sansdoute dans les brumes archaïques :qu'on pense aux litanies et aux incantations. « Un certain frisson métaphysique"parcourt la poésie (Marc Eigeldinger),parce que l'imagination visionnaire trouveun sens non pas aux mots seulement,mais « aux choses elles-mêmes ", selonl'expression de Suhamy(13). La transfiguration du monde qu'elle opère se produitdans un état dit d'inspiration: d'où lecélèbre « Je est un autre" du même Rimbaud.
Rien dans la Bible ne va dans le sensd'un tel poétisme. Les incantations despoètes païens sont sans privilège pourl'accès à la divinité. Aucune confusionn'est autorisée entre poète et prophète :si l'apôtre appelle Epiménide « le propreprophète" des Crétois (Tt 1.12), c'estavec ironie, à la limite du sarcasme,dans une tout autre optique. Dans lejudaïsme et le christianisme très long-
(12) Arthur Rimbaud dans une lettre du 15 mai1871 à Paul Demeny, d'après le DictionnaireLarousse des citations françaises.
(13) Suhamy, op. cil., p. 119.
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temps, on n'a prêté aucune attentionparticulière à la forme poétique destextes; cette indifférence étonnante, etregrettable à notre point de vue, a aumoins l'avantage significatif d'écarter lemalentendu d'une poésie sacralisée entant que poésie.
La Bible s'annonce et se veut parole,discours, « allocution », c'est-à-dire adlocution, Anrede, address. L'interprétation de l'inscription dans le Livre, c'est« Dieu dit » (Mt 19.5 est un exemplefrappant, parmi des centaines). Les prophètes au sens large (tous les auteursbibliques), et Dieu par leur truchement,parlent: ils disent quelque chose surquelque chose à quelqu'un. On peutplaider qu'il n'en va pas ainsi du poème:il est œuvre, il est œuvre de langue,selon la distinction saussurienne fondamentale de la langue et de la parole(autrement dit du code et du message,de la compétence et de la performance).Suhamy peut déclarer du poète et deses lecteurs: « La langue leur est commune, non la parole »(14), et Sartre, surtout, a bien vu que « l'attitude poétique ... considère les mots comme deschoses et non comme des signes »(15).
Dans le même sens, on peut opposerla parole et le texte, c'est-à-dire le tissu.Suhamy résume ainsi les vues du linguiste Roman Jakobson : « Selon lafonction poétique, c'est le texte qui parle,
(14) Ibid., p. 79
(15) Jean-Paul Sartre, Situations Il, p. 64, cité parle (grand) Dictionnaire Robert.
non le locuteur, en priorité. Cette notionde texte, opposée au discours, estessentielle »(16). Si le texte « parle » pourJakobson, ce n'est pas au sens quenous venons d'évoquer et qui requiert unlocuteur. La Parole biblique est promesse, commandement, verdict, instruction, consolation ... Que valent promesse, commandement, verdict, etc,hors l'engagement et la qualité du « locuteur ", de celui qui promet, qui commande, qui juge... ?
Nous estimons idéologique degénéraliser l'adage « le sem~.
du poème est dans le poème ».
Dans les études littéraires et poétiquescontemporaines, nous estimons idéologique de généraliser l'adage « le sens dupoème est dans le poème" et de glorifier le « récit" en coupant ses liens avecla réalité extérieure. De grands critiquesrésistent d'ailleurs à cette mode idéologique. Mais nous concédons que la poésie peut s'y prêter. Par certains traits« tentateurs ", elle invite à oublier l'auteuret ne plus se soucier de référence au réel.Pour la Bible, au contraire, selon son axeprincipal, sa fonction essentielle, importent suprêmement le référent mondain,historique, et le locuteur, le Locuteur!
Nous flairons ici une opposition plusprofonde que celle de genres littéraires.Sous-jacente, nous devinons une opposition métaphysique ou ontologique, et
(16) Suhamy. op. cit., p. 115.
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religieuse. C'est la transcendance duDieu créateur, l'homme étant créé enson image, qui décolle le signe de lachose; c'est elle qui permet, dans latransparence, dans la distance réglée,l'énoncé du jugement de vérité sur unréel soumis à la loi. La coalescence dusigne et de la chose convient au glissement panthéistique, quand les signeschoses ne renvoient que les uns auxautres, infiniment, dans un réseau sansau-delà - danse universelle, poésieabsolutisée(17).
La convenance de la poésie
Et pourtant, la poésie remplit le tiersde la Bible! Après avoir marqué les distances, résisté à la sacralisation romantique et panthéisante, il nous faut passerau positif, reconnaître les affinités quiapparaissent aussi, discerner commentles caractères de la poésie conviennentà la fonction biblique, servent la Parole.
La profusion des images n'est pasantagoniste de la fonction de parole allocutrice. Notre mot « parole ", d'ailleurs,vient de « parabole », et c'est pour un
(17) C'est pourquoi nous trouvons préoccupantesles complaisances de Jürgen Moltmann pourle panenthéisme et le symbole de la dansecosmique. Son Dieu dans la création. Traitéécologique de la création, trad. Morand Kleiber, Paris, Cerf, 1988, p. 402s., critique lemonothéisme et propose de " relativiser les traditions vétéro-testamentaires de la création" ;il prône" le mouvement dialectique de l'Un" etapprécie" les symboles de la fête, de la danse,du théâtre, de la musique et du jeu" pourl'interprétation de l'univers.
enseignement très « adressé » queJésus a justement préféré le langageimagé des paraboles. Le fondement estferme dans la vision de la création ellemême: par elle, le Créateur se révèle, sesignifie (Ps 19, Rm 1). Les anthropomorphismes se justifient par la formation del'humanité en image de Dieu - gardée detoute idolâtrie, l'image humaine pourraservir pour Dieu. La liaison des créaturesentre elles fournit la possibilité des métaphores (Aristote notait déjà que pourbien faire des métaphores, il faut discerner les ressemblances), comme aussi dela métonymie. Le jeu des images insèrele message dans la liaison créationnelle service de vérité. Comme l'imagination,en outre, est en prise sur l'affectif etl'inconscient, la forme poétique imagéepermet au message de toucher toutesles couches de la personnalité, d'entraÎner à l'action. La communication indirecte, parabolique, permet de tourner lesmécanismes de défense, de déjouer lesblocages, et d'amorcer l'engagement dudestinataire. Il y aurait, sans nul doute,beaucoup à dire encore sur la valeur desimages dans le discours biblique, maisces quelques considérations suffisent àmontrer leur convenance, donc celle dela poésie.
La communication indirecte,parabolique, permet de tournerles mécanismes de défense.
La répétition, cette originalité saillantede la poésie biblique, présente à tout le
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moins un avantage pédagogique(18) :n'appelait-on pas certains enseignants« répétiteurs" ? La redondance dans laformulation du message le protège aussi,autant qu'il se peut, contre les méprises.Mais le sens poétique de la répétition vaplus profond, « La synonymie, écritAlonso Schbkel, est radicalement unarrêt, une retenue du langage sans interruption du flux verbal ,,(19) : invitation àl'attention contemplative, Il commente:
« La raison principale de cette tendance est d'ordre émotionnel: le discours logique, la vision imaginative ne sepoursuivent plus; par contre, l'émotionlyrique qui s'épanche, la passion qu'inspire l'adversaire ont tendance à persister. La lyrique et la pathétique sont ledomaine de ces émotions ,,(20).
Cela va plutôt dans le sens d'une présence de l'auteur ou « locuteur ", Larépétition nous semble aussi faire del'énoncé une totalité irrévocable, et favoriser une saisie globale de l'information,qui s'affine ensuite sous divers points devue: cela convient à la Parole de Dieu,organiquement une, immuable maisinépuisable, à méditer toujours, Enfin,nous suggérons que la répétition implique, implique agréablement, l'auditeur
(18) C'est ce que soulignait le professeur FrankMichaëli, dans une conférence prononcée, surnotre sujet, aux sessions d'hébreu (NotreDame-de-Sion, Paris), le 26 avril 1962. Nousavons gardé les notes que nous en avonsprises!
(19) A. Schëkel, op. cil., col. 73.
(20) Ibid.
ou lecteur. Elle induit déjà la réponse comme il devient évident quand elle propose des répons (Ps 136) et quand onpratique la lecture antiphonée, Et mêmesans ce mode, elle suscite une attente etelle la comble, double plaisir qui faitentrer l'auditeur ou lecteur dans le jeu.
En mentionnant la lecture antiphonée,nous introduisons la communauté, Elleest importante à la fois pour la poésie,par les conventions que celle-ci respecteet par son côté rituel, et pour la Parolede Dieu, dont l'orientation est foncièrement communautaire - Parole pour lepeuple de Dieu (sans préjudice pourl'irréductible individualité).
Le travail sur la langueesSfmtielà la eoésie rend le côntenu de sens tt soluble dansl'esprit ».
De manière générale, le travail sur lalangue essentiel à la poésie donne uneconcision, une vigueur, une sobriété,qu'on a souvent remarquées commecaractéristiques du style biblique, etdignes de la majesté du Dieu qui parle, Ilrend le contenu de sens « soluble dansl'esprit ", selon l'expression si belle dePaul Claudel(21),
(21) Paul Claudel, Réf/exions sur /a poésie, coll.Idées, Paris, Gallimard, 1963, p. 9. Il faut citertoute sa phrase: " Par le moyen des mots,comme le peintre par celui des couleurs et lemusicien par celui des notes, nous voulons d'unspectacle ou d'une émotion ou même
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Si ce service est possible, c'est qu'ilfaut revenir de l'opposition entre lepoème et la parole (le discours). Elle estexcessive. Henri Meschonnic voit dansla poésie un dépassement, l'œuvre est" l'antinomie résolue de la langue et dela parole ,,(22). Y a-t-il même antinomie?La poésie reste parole. Elle raffine etapprofondit ce qui appartient à touteparole, la travail de langage. La parole laplus utilitaire ne se passe pas d'un certain choix des mots, d'une recherche derythmes et d'heureuses rencontres mais de façon minimale et inconsciente.Plutôt qu'une coupure absolue, nousaffirmons la polarité, au sein de la parole,de la prose et de la poésie.
Ici encore l'ontologie et la théologiesont en cause. L'altérité personnelle duSeigneur qui promet et commande nedoit pas se rétrécir aux dimensionshumaines, par un anthropomorphismetrompeur. Sa transcendance ne doit pasêtre comprise comme séparation oucomme exil déiste. Le Dieu qui parle estaussi celui en qui « nous vivons, nousnous mouvons, et nous sommes »
(Ac 17.28), présent, immanent, en sescréatures jusqu'au plus intime par sonEsprit. Déjà le chante le Psaume 104,dont J. BoHéra sait si bien rendre lapoésie:
d'une idée abstraite constituer une sorte d'équivalent ou d'espèce soluble dans l'esprit. Icil'expression devient la chose principale ".
(22) Henri Meschonnic, Pour la poétique, t. l, Paris,Gallimard, 1970, p. 29, comme cité parSuhamy, op. cit., p. 116. (Les italiques sont denous.)
« Tous les êtres espèrent de ToiQue tu leur donnes pitance en leurtemps;Quand Tu la leur distribues, ils larecueillent,Quand Tu ouvres Ta main, ils seremplissent d'aise.Mais si Tu caches Ton visage, ilssont saisis d'angoisse,Si Tu leur retires le Souffle, ils expirentEt retournent à leur poussière;(Tandis qu') à l'envoi de Ton Souffle,ils sont créésEt Tu renouvelles le visage de laterre» (v. 27-30)(23).
Le monothéisme biblique est trinitaire.Il fonde la possibilité de la communion,du partage de la vie - que l'Ancien Testament associe lui-même aux délicieuxébats de la Sagesse (Pr 8.30-31). C'estpourquoi la parole ne se contraint pas àla triste sécheresse des langages artificiels ou de l'algèbre logique et comporteen elle-même une composante poétique.
A cette lumière, il est sûrement significatif que la poésie tienne tant de placedans les Ecrits, k'tûvÎm, qui sont les livresde l'intériorisation et de la réponsehumaine assumées, intégrées à ellemême, par la Parole de Dieu - d'abord
(23) Jean Bottéro, Naissance de Dieu. La Bible etl'historien, Paris, Gallimard, 1986, p. 166.L'ouvrage de cet orientaliste (E. P. H. E.) contient la traduction originale d'assez nombreuxfragments de l'Ancien Testament, esthétiquement fort réussie.
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les livres sapientiaux et les Psaumes (enLc 24.44, les « Psaumes» sont mis pourtoute la section des Ecrits). C'est la mission du Saint-Esprit d'opérer cette intériorisation et cette réponse humaines, etil n'est pas impossible d'esquisser unecorrélation entre la division tripartite ducanon hébraïque et le déploiement dela Trinité, la Torah correspondant bien auPère, autorité fondatrice, les Prophètesau Fils, Dieu intervenant dans l'histoire,et les Ecrits à l'Esprit qui s'unit à notreesprit et prie avec nous (1 Co 6.17 ;Rm 8.16,26).
" n'est pas impossible d'esquisser une corrélation entrela division tripartite du canonhébraïque et le déploiementde la Trinité.
La réponse que suscite l'Esprit etqu'engendre l'intériorisation de la Parole,c'est peut-être suprêmement la louange.La louange sied aux créatures, à la symphonie des créatures. Qui contesteraitl'affinité avec la poésie? Le témoignagedu poète chrétien mérite de conclurenotre réflexion:
Cantique du Soleil de saint François estune louange. La louange est par excellence le thème qui compose. Personnene chante seul. Même les étoiles du Ciel,lisons-nous dans les Livres Saints, chantent ensemble ,,(24). •
H.B.
« La louange est peut-être le plusgrand moteur de la poésie, parce qu'elleest l'expression de besoin le plus profond de l'âme, la voix de la joie et de lavie, le devoir de toute la création, celuien qui chaque créature a besoin detoutes les autres. La grande poésiedepuis les hymnes védiques jusqu'au (24) Paul Claudel, op. cil., p. 182.
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