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59 La Santé Mentale des personnes âgées : Prévalence et représentations des troubles psychiques Dr J.Y. GIORDANA 1 , Dr J.L. ROELANDT 2, C. PORTEAUX 3 1. Pôle de psychiatrie Générale, Centre Hospitalier Sainte Marie, Nice 2. Centre Collaborateur OMS (Lille-France), EPSM Lille Métropole 3. Département d’Information et de Recherche Médicale, EPSM Lille Métropole Auteur correspondant : Dr Jean-Yves GIORDANA, Psychiatre – Chef de service – Responsable de pôle de psychiatrie Générale C.H. Ste Marie 87 avenue Joseph Raybaud - B.P 1519 - 06009 NICE Cedex1 Tél. 04 .93.13.55.59 Email : [email protected] Résumé A partir de la base de données nationales de la vaste enquête « La Santé Mentale en population gé- nérale : Image et Réalité » coordonnée par le Centre Collaborateur de l’OMS, nous avons cherché à identifier les particularités de la population âgée. L’accroissement constant du nombre de personnes âgées en France et dans le monde et les perspectives d’évolution démographique justifient naturellement l’attention qui doit être portée à la santé mentale des personnes vieillissantes. La cohorte des personnes de 65 ans et plus, représentant 21,1% de la population générale a été segmentée en deux tranches d’âge : les 65-74 ans (12,6%) et les 75 ans et plus (8,5%) et comparée à la population des 18-64 ans (78,9%) ayant répondu à l’enquête. Cette étude vise à appréhender la prévalence des principaux troubles psychiques (dépression – anxiété – ad- diction – syndromes psychotiques) des sujets âgés à l’aide du Mini International Neuropsychiatric Interview. Il s’agissait également de préciser en quoi leurs perceptions et leurs représentations des comportements et manifestations cliniques des maladies psychiques pouvaient être différentes de celles des plus jeunes. Enfin, nous avons mesuré, notamment à partir des réponses « normal / anormal » et « dangereux / pas dan- gereux » qui accompagnaient chaque rubrique, l’écart existant entre les réponses et les représentations que le grand public a des personnes âgées. Abstract Mental Health of elderly people : The prevalence and representations of psychiatric disorders Upon the national data basis of the huge study “Mental Health in General Population”, elaborated by the WHO Collaborating Centre, our research tries to identify the particularities of the advanced years population. The increasing number of the elderly in France and all over the world, as well as the demographic evolution prospects, truly justify our interest for them. A group of subjects older than 65 years old – representing 21,1% of the general population – was divided into two parts and the 65-74 years old (12,6%) - the 75 old years old and more (8,5%) - and was compared to the population between 18 and 74 years old (78,9%) who answered this investigation. The aim of our study was to detect the prevalence of the main psychic troubles of the elderly (depression, anxiety, addiction and psychiatric disorders), with a psychiatric tool, the Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI). We also wanted to perceive how their perceptions and representations of the behaviours and clinical symp- toms of the psychic troubles could be different from the ones of younger people. Thus, and according to the answers “normal / abnormal”, “dangerous/not dangerous” linked to each item, we measured the possible difference between the answers and the representations of the general population towards the elderly. The elderly are generally confronted to multiple psychosocial stress factors (decrease of the cognitive perfor- mances, decline of the sensory abilities, drop of the social relationships, change of status, succession of loss and breach as well as the cessation of the professional activity and its network, which may favour the emer- gence of troubles. According to this, a higher rate of psychic troubles among the elderly than in the general investigated popu- lation, may be suspected. However, the study in general population points out that the prevalence of persons suffering from at least one trouble with the MINI declines among the subjects belonging to the highest brackets : 34.4% for the 18-64 MOTS CLÉS Enquête Epidémiologie Représentations Vieillissement KEYWORDS Inquiry Epidemiology Representation Ageing Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP © L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés. L’Encéphale (2010) Supplément 1 au N°3, 59-64

La Santé Mentale des personnes âgées : Prévalence et représentations des troubles psychiques

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La Santé Mentale des personnes âgées :Prévalence et représentations des troubles psychiquesDr J.Y. GIORDANA 1 , Dr J.L. ROELANDT 2, C. PORTEAUX 3

1. Pôle de psychiatrie Générale, Centre Hospitalier Sainte Marie, Nice2. Centre Collaborateur OMS (Lille-France), EPSM Lille Métropole3. Département d’Information et de Recherche Médicale, EPSM Lille Métropole

Auteur correspondant : Dr Jean-Yves GIORDANA, Psychiatre – Chef de service – Responsable de pôle de psychiatrie GénéraleC.H. Ste Marie 87 avenue Joseph Raybaud - B.P 1519 - 06009 NICE Cedex1Tél. 04 .93.13.55.59Email : [email protected]

Résumé A partir de la base de données nationales de la vaste enquête « La Santé Mentale en population gé-nérale : Image et Réalité » coordonnée par le Centre Collaborateur de l’OMS, nous avons cherché à identifier les particularités de la population âgée.L’accroissement constant du nombre de personnes âgées en France et dans le monde et les perspectives d’évolution démographique justifient naturellement l’attention qui doit être portée à la santé mentale des personnes vieillissantes.La cohorte des personnes de 65 ans et plus, représentant 21,1% de la population générale a été segmentée en deux tranches d’âge : les 65-74 ans (12,6%) et les 75 ans et plus (8,5%) et comparée à la population des 18-64 ans (78,9%) ayant répondu à l’enquête.Cette étude vise à appréhender la prévalence des principaux troubles psychiques (dépression – anxiété – ad-diction – syndromes psychotiques) des sujets âgés à l’aide du Mini International Neuropsychiatric Interview.Il s’agissait également de préciser en quoi leurs perceptions et leurs représentations des comportements et manifestations cliniques des maladies psychiques pouvaient être différentes de celles des plus jeunes.Enfin, nous avons mesuré, notamment à partir des réponses « normal / anormal » et « dangereux / pas dan-gereux » qui accompagnaient chaque rubrique, l’écart existant entre les réponses et les représentations que le grand public a des personnes âgées.

Abstract Mental Health of elderly people : The prevalence and representations of psychiatric disordersUpon the national data basis of the huge study “Mental Health in General Population”, elaborated by the WHO Collaborating Centre, our research tries to identify the particularities of the advanced years population.The increasing number of the elderly in France and all over the world, as well as the demographic evolution prospects, truly justify our interest for them.A group of subjects older than 65 years old – representing 21,1% of the general population – was divided into two parts and the 65-74 years old (12,6%) - the 75 old years old and more (8,5%) - and was compared to the population between 18 and 74 years old (78,9%) who answered this investigation.The aim of our study was to detect the prevalence of the main psychic troubles of the elderly (depression, anxiety, addiction and psychiatric disorders), with a psychiatric tool, the Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI).We also wanted to perceive how their perceptions and representations of the behaviours and clinical symp-toms of the psychic troubles could be different from the ones of younger people.Thus, and according to the answers “normal / abnormal”, “dangerous/not dangerous” linked to each item, we measured the possible difference between the answers and the representations of the general population towards the elderly.The elderly are generally confronted to multiple psychosocial stress factors (decrease of the cognitive perfor-mances, decline of the sensory abilities, drop of the social relationships, change of status, succession of loss and breach as well as the cessation of the professional activity and its network, which may favour the emer-gence of troubles.According to this, a higher rate of psychic troubles among the elderly than in the general investigated popu-lation, may be suspected.However, the study in general population points out that the prevalence of persons suffering from at least one trouble with the MINI declines among the subjects belonging to the highest brackets : 34.4% for the 18-64

MOTS CLÉS

EnquêteEpidémiologieReprésentationsVieillissement

KEYWORDS

InquiryEpidemiologyRepresentationAgeing

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP

© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés.

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IntroductionLes études et les projections démographiques nous in-forment régulièrement du vieillissement des populations partout dans le monde.Ainsi par exemple lors de l’Assemblée Mondiale sur le vieillissement qui s’est tenue à MADRID, des représen-tants de 160 pays qui ont débattu pendant cinq jours sur cette question et sur l’ensemble des répercutions de cette évolution, ont été catégoriques dans leurs prévi-sions.Dans un demi siècle, si la tendance actuelle se maintient, le nombre des plus de 60 ans aura triplé et représentera à l’échelle mondiale deux milliards de personnes. De sor-te qu’à l’horizon 2050, le nombre des personnes âgées de plus de 60 ans sera supérieur à celui des enfants de moins de 14 ans, et les 80 ans et plus représenteront alors 20 % de la population totale.Les experts avertissent d’ailleurs que le vieillissement de la population pourrait, en l’absence de stratégie à long terme, mais aussi de plan d’action immédiat, être à l’origine d’une situation critique au plan de l’économie mondiale dans les 20 années à venir.Dans les pays dit « développés » par exemple la pro-portion de personnes actives par rapport aux personnes retraitées, en passant de 9 pour 1 actuellement à 4 pour 1 en 2050 soulève entre autre les problèmes des retrai-tes, des dépenses de Sécurité Sociale, de couverture des frais de santé.Les Nations Unies pour leur part sont convaincues que le vieillissement des populations ne manquera pas d’in-uencer et de bouleverser l’épargne, l’investissement et

la consommation, le marché de l’emploi, l’imposition, les retraites, la santé, la composition des familles, les modes de vie, le logement.D’autre part l’ONU se montre particulièrement préoc-cupée par les effets de ce vieillissement sur les popula-tions dans les pays en voie de développement dans la mesure ou l’abaissement du taux de natalité amène les pays du « tiers monde » à vieillir à un rythme beaucoup trop rapide pour pouvoir être assuré par leurs sociétés respectives. La population des plus de 60 ans augmente de plus de 2 % chaque année soit beaucoup plus rapidement que la population générale.La France Métropolitaine devrait compter 70 millions d’habitants en 2050 avec près d’un habitant sur trois de plus de 60 ans contre un sur cinq actuellement.La proportion des personnes âgées (65 ans et plus) pour les vingt prochaines années, étudiée à partir du modè-le OMPHALE (méthode d’extrapolation sur la base des résultats des recensements de la population de 1975, 1982, 1990 et 1999, pondéré par différents paramè-tres tels que le quotient de mortalité, de fécondité et de

solde migratoire et reposant sur le postulat d’une symé-trie entre le futur et le passé) va augmenter de façon importante (elle était de 16 % en 2000 et devrait être de 22 % en 2020).Ces données démographiques ont tout naturellement justifié une attention particulière pour la santé menta-le des personnes âgées lors de l’analyse des résultats concernant une vaste enquête en population générale « images et réalités » coordonnée par le Centre Collabo-rateur OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (1).Ces dernières années ont été marquées, dans le champ de la santé mentale, par une remise en question de la globalisation de la psychiatrie de l’adulte avec la recon-naissance de la spécificité de la personne âgée et l’essor d’un intérêt pour la gérontopsychiatrie et la psychogé-riatrie.Depuis quelques années, des dispositifs spécialisés voient le jour et des mesures appropriées sont proposées.La législation et les structures spécifiques de prise en charge évoluent dans le sens d’une reconnaissance des singularités de la population âgée.Le déclin cognitif et les divers types de syndrome dé-mentiel sont certainement les sujets qui ont suscité le plus de recherche d’autant que des médications récen-tes ont fait naître quelques espoirs thérapeutiques dans ce domaine.Il n’en est pas moins vrai que les désordres psychopa-thologiques classiques concernent tout autant les per-sonnes avancées en âge, à ceci près, que leur manifes-tation, leur expression, leur traduction clinique revêtent chez elle des difficultés de reconnaissance, d’identifica-tion, de compréhension et de prise en charge.Les représentations de la vieillesse, celles du grand pu-blic ou encore celles des professionnels de santé in uen-cent incontestablement les attitudes vis à vis des troubles psychiques de la personne âgée (8).L’enquête « La Santé Mentale en population générale : Image et Réalité » qui a débuté dans la seconde partie des années 90 fait actuellement toujours l’objet de dé-veloppements et d’analyses. Elle comporte deux aspects majeurs avec d’une part une approche socio-anthropo-logique et d’autre part une visée épidémiologique (1).L’axe socio-anthropologique de cette recherche-action avait pour objet l’étude des représentations sociales liées à la « folie », à la « maladie mentale », à la « dépression » ainsi qu’aux différents modes d’aides et de soins (3).Par ailleurs cette enquête se proposait d’évaluer la pré-valence des principaux troubles psychiques observables en population générale à l’aide du MINI (Mini Interna-tional Neuropsychiatric Interview), outil développé par une équipe franco-américaine (LECRUBIER - SHEEHAN) et élaboré à partir de la classification international des

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years old, 23.2% for the 65-74 years, and 22.9% for the elderly, 75 years old and more.Anxiety decreases with the ageing (23.4% among the less than 65 years old, instead of 12.7% for the 75 years and more) as well as the addictive behaviours and the psychotic disorders (3.1% for the less than 65 years old, instead of 1.1% for the 75 years old and more).In the register of the social representations, a few differences appear also between the elderly - from 65 to 74 years old and 75 years old and more - and the majors under 65 years old : For the spectrum : T.P.S.A (sadness, tears, suicide, anxiety), the elderly consider these situations as pathological more often.The withdrawal behaviours are likely more perceived as “abnormal” by the elderly;The delusion, the hallucinations, the “odd” behaviours and talks are less often called “dangerous / non-dange-rous”, which leads to a rather different way of considering the elderly.Paramount the classical allowed image of the elderly – fearful, distrustful, intolerant towards any transgression and selfishly centred on their own the study reveals new conditions particularly in pointing out, among the elderly, less fear towards violent behaviours and more toleration towards the addicted subjects.

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maladies (CIM10).L’étude porte sur les réponses de 36 105 personnes en-quêtées et qui constituent (selon la méthode des quo-tas) un échantillon représentatif de 45 750 000 person-nes vivant en France Métropolitaine et âgée de plus de 18 ans, l’enquête n’ayant porté que sur des personnes majeures.Les personnes sollicitées pour l’enquête étaient toutes volontaires et sélectionnées à partir de critères définis par l’INSEE en terme de ratio hommes/femmes, de tran-ches d’âges, de niveaux d’étude et de catégories socio-professionnelle.Ce travail se propose de mettre à jour les spécificités, aussi bien au plan des représentations (7) qu’au plan de la prévalence des troubles, des patients âgés.La vieillesse est un paramètre relativement subjectif et les données de la littérature sont le témoin d’une absence de consensus sur l’âge « seuil » de cette population.Le critère auquel la société civile fait le plus souvent réfé-rence est la cessation de l’activité professionnelle mais les évolutions sociétales récentes ont amplifié le caractère flou de l’âge de la retraite qui semble de plus en plus éloigné du niveau intellectuel, de l’état physique, des projets et des engagements des individus.Les textes législatifs, pour leur part (taux d’équipement et de service pour personnes âgées dans un départe-ment par exemple) font référence à des personnes de 75 ans et plus.Si l’on envisage l’âge moyen d’entrée en établissements médico-sociaux pour personnes âgées (EHPAD ou Mai-son de Retraite), on évoque l’âge habituel de 85 ans.Ainsi contrairement à l’enfance qui fait classiquement référence à l’âge « seuil » de 15 ans il n’y a pas, chez le sujet avancé en âge, de repère aussi précis probable-ment en raison de la grande diversité de vulnérabilité des individus et de leur capacité d’adaptation.L’OMS a pour coutume lorsqu’il s’agit de personnes âgées de se référer à l’âge de 65 ans. Nous avons re-tenu ce critère et nous avons proposé, à partir de la base de données nationales une segmentation de la popula-tion distinguant :- les moins de 65 ans (en fait les 18-65 ans)- les 65-74 ans- les 75 ans et plusAu sein de la cohorte des personnes ayant répondu à l’enquête, les personnes âgées de 65 ans et plus consti-tuent 21,2 % de cette population représentant 9 752 000 personnes avec 11,4 % pour les 65-74 ans et 9,8 % pour les 75 ans et plus.Parmi les aspects sociodémographiques caractérisant cette population âgée, on retient :Un sex-ratio évoluant en faveur des femmes avec l’avan-cée en âge de l’ordre de 45 % - 55 % entre 65 et 74 ans vers un rapport 36 % - 64 % après 75 ans.Un pourcentage élevé de veufs ou de veuves (43 % après 65 ans).Un nombre important de personnes isolées puisque plus d’une personne sur deux (50,6 %) vit seule après 65 ans.Le recueil d’informations pour cette enquête « déclara-tive » montre pour la population la plus âgée une plus faible morbidité (au moins un trouble identifié au MINI :23,1 % contre 31,7 % en population générale globale) et par ailleurs un plus fréquent recours aux médica-tions psychotropes (déjà pris des médicaments pour les nerfs : 41,3 % contre 37,3 % en population générale globale).

Enfin les personnes âgées semblent moins connaître les lieux de soins et de prise en charge psychiatrique et sont moins familiers des soins relationnels (a déjà suivi une psychothérapie : 4,29 % contre 10,5 % en population générale globale).

Prévalence des troubles psychiquesL’étude de la prévalence des troubles psychiques chez la personne âgée, comparée au reste la population en-quêtée montre qu’il est classique d’envisager, dans le processus même de vieillissement, le développement d’une vulnérabilité physique et psychique qui expose l’individu à une possible décompensation et à la surve-nue de désordres psychiatriques.De fait, la personne âgée est généralement confrontée à des multiples facteurs de stress psychosociaux (baisse de ses performances cognitives, diminution de ses ca-pacités sensorielles, réduction de ses activités sociales, modification de son statut, succession de pertes et de ruptures avec la cessation de l’activité professionnelle et la réduction de son réseau relationnel) qui favorisent l’émergence de troubles (5).Or, l’étude des réponses faites au MINI fait apparaître un pourcentage de personnes présentant au moins un troubles psychique (Graphique 1), de l’ordre de :

- 34.4% chez les 18-64 ans - 23.2% chez les 65-74 ans - 22.9% chez les 75 ans et plus.On retiendra que, d’une façon générale, la prévalence des troubles, est sensiblement inférieure chez les sujet appartenant à des tranches d’âge plus élevées.Si l’on considère les pathologies dépressives (Graphi-que 2), on note, chez les personnes âgées de 75 ans

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et plus, une prévalence de l’ordre de 11.3%, c’est à dire quasiment identique à celle retrouvée chez les person-nes de moins de 65 ans (2). On observe cependant, au sein du groupe des personnes âgées une augmentation non négligeable des troubles dépressifs (prés de 2.5%) chez les 75 ans et plus par rapport 65- 74 ans (6).L’évaluation de l’existence d’un risque suicidaire (Gra-phique 3) (léger, moyen, élevé) par contre révèle une

augmentation sérieuse de ce risque qui passe de 9.5% chez les moins de 65 ans, à 7.9% chez les 65-74 ans jusqu’à 14.2% chez les 75 ans et plus (9). Ces résultats corroborent les données épidémiologiques classiques que l’on pourrait résumer par l’adage : « Plus on vieillit, plus on se suicide et plus le suicide à des chances de réussir ».Diverses études au sujet de cet important problème de santé publique montrentque le suicide devient plus fréquent au fur et à mesure que l’on avance en âge (en Europe, seule la Grèce fait exception à cette règle) et chez les sujets âgés, les ten-tatives de suicide sont souvent plus efficientes qu’aux autres âges de la vie (4).La prévalence des troubles anxieux (Graphique 4)

(habituellement abordés en gérontopsychiatrie sous le vocable de décompensation névrotique) est en diminu-tion avec l’avancée en âge. De l’ordre de 23.4% chez

les sujets de moins de 65 ans, elle atteint 15.9 chez les 65-74 ans et 12.7% chez les 75 ans et plus.A noter que cette donnée est très proche de celle men-tionnée par l’enquête PAQUID, enquête de référence dans le champ de la gérontopsychiatrie, et qui retient une prévalence de troubles anxieux de 13.7%.L’enquête révèle encore que les personnes âgés sont significativement moins concernées par les conduites

addictives (Graphique 5) qu’il s’agisse de l’alcool (2,7% de dépendance chez les moins de 65 ans contre 1.1% chez les 65-74ans et 0.4% chez les 75 ans et plus) ou qu’il s’agisse de drogues pour lesquelles l’usage nocif ou la dépendance n’ont pas été retrouvée chez les 75 ans et plus.Enfin l’analyse des réponses au MINI lors de l’enquête en population générale retient une nette diminution de la prévalence des manifestations d’allure psychotique avec l’avancée en âge.Il est peu probable que cette diminution (quelque soit le type de trouble considéré) puisse, compte tenu de la tranche d’âge concernée, être reliée à des modali-tés évolutives favorables de l’affection psychotique telles qu’ont pu les décrire, entre autres, ZUBIN, CIOMPI ou LI-BERMAN. Mais elle doit probablement être corrélée aux facteurs de risques inhérents à la psychose conduisant à un accroissement de la mortalité ou à un glissement vers des états démentiels. Les troubles d’allure psychotique (Graphique 6), retrouvées chez 3,1% des personnes de

moins de 65 ans ne sont plus présents que chez 1,5% des 65-74 ans et 1,1% des 75 ans et plus.

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Etude des représentationsL’étude des représentations de la population générale au sujet de la « folie », de la « maladie mentale », de la « dépression » et celle des modes d’aides et de soins, repose sur l’analyse des réponses des personnes enquê-tées à un questionnaire ouvert en pré-codage.Différentes situations sont proposées (quelqu’un qui pleure souvent - qui est triste, quelqu’un qui prend des drogues - de l’alcool - quelqu’un qui délire - hallucine, quelqu’un qui est violent - qui est anxieux), et il est de-mandé à la personne interviewée de préciser si elle considère que ce comportement est celui d’un « fou», d’un « malade mental », d’un « dépressif » ou « aucun des trois », si c’est « normal ou anormal », « dangereux ou non dangereux ».Dans ce registre, la comparaison des cohortes de per-sonnes âgées de 65-74 ans et de 75 ans et plus par rapport aux majeurs de moins de 65 ans, fait apparaître quelques différences que nous allons synthétiser par re-groupement d’items.Pour le spectre : tristesse - pleurs – suicide – anxiété,les personnes âgées de 65 ans et plus, considèrent plus fréquemment que leurs cadets, ces situations comme pathologiques (moins de réponses « aucun des trois »).Pour le suicide, ils font plus souvent référence aux concepts de « folie » et de « maladie mentale » et sont plus nombreux à considérer le geste suicidaire comme anormal.Paradoxalement, les personnes âgées voient plus fré-quemment que les plus jeunes le suicidant comme « non dangereux ».Les comportements de retrait sont également plus sou-vent perçus par les aînés, comme « anormaux », mais le caractère de dangerosité de cette conduite ne suscite pas de différence d’estimation en fonction des tranches d’âge.Pour le spectre du délire, des hallucinations, du dis-cours et des comportements bizarres, les personnes de 65 ans et plus, qualifient plus fréquemment que les plus jeunes, ces manifestations « d’anormales ». Cependant, il y a peu de différences, pour les tranches d’âge consi-dérées, pour ce qui est de la notion de dangerosité.La référence a une pathologie psychique est habituelle-ment établie (de façon sensiblement équivalente dans les sous groupes), mais la ventilation entre « folie », « maladie mentale » et « dépression », varie avec une plus grande fréquence de réponses « dépression » chez les personnes plus âgées.Lorsque l’on évoque « quelqu’un de négligé », les per-sonnes âgées et plus particulièrement les 75 ans et plus, rapportent plus fréquemment la conviction d’une pa-thologie chez un individu considéré comme anormal et dangereux.Les personnes âgées jugent plus fréquemment « anor-mal » que les plus jeunes, un individu qui présente un déficit intellectuel ou des crises convulsives.Ils sont également plus nombreux que les moins de 65 ans, à ressentir comme « dangereux » les déficients in-tellectuels.Les situations d’addiction (alcool – drogue) amènent les personnes âgées à évoquer plus fréquemment la pa-thologie (moins de réponses « aucun des trois »). Elles sont également plus nombreuses que les plus jeunes à qualifier ces conduites d’«anormales ». Cependant, il n’y a pas de différence entre les deux populations dans l’ap-préciation de la dangerosité.Pour les conduites d’alcoolisation, les plus âgées auraient

même tendance à les considérer comme « plus anorma-les et moins dangereuses ».Enfin, en ce qui concerne l’appréciation des compor-tements violents (individu violent avec les autres et avec les objets, violent envers lui-même, celui qui bat sa femme, celui qui commet un meurtre), les personnes âgées et notamment les 75 ans et plus, ont tendance à faire moins souvent référence à une pathologie. Elles répondent plus fréquemment « aucun des trois » et si el-les reconnaissent le caractère anormal de ces conduites, elles y voient, moins que les jeunes, un aspect de réelle dangerosité.Un dernier aspect de notre réflexion nous a amenés à croiser des informations apportées par l’enquête « la Santé Mentale en population générale : images et réali-tés » avec d’autres recherches portant sur les représenta-tions du grand public au sujet des personnes âgées.Ces études font habituellement apparaître que les repré-sentations sociales de l’avancée en âge sont naturelle-ment marquées par un déclin des performances cogni-tives (mnésiques, verbales, visuospaciales) sans prise en compte de la grande variabilité interindividuelle que l’on observe fréquemment.Par ailleurs, une idée fréquemment répandue est celle d’une modification de la personnalité et du caractère (alors que les études les plus récentes et les données lon-gitudinales concluent en une stabilité de la personnalité et en la permanence des traits de caractère).Le grand public a l’idée (d’ailleurs plus ou moins avali-sée par les professionnels de santé) que le vieillissement s’accompagne d’un «aigrissement » du caractère, d’une perte du sens critique, et du développement de traits tels que l’avarice, la méfiance, l’attitude hargneuse, l’égoïsme, le repli et le recentrage sur soi.A partir de quelques éléments du questionnaire et des déclinaisons : « normal – anormal », « dangereux – non dangereux » nous avons cherché à savoir quelle était la validité de ces préjugés et de ces opinions.Cet éclairage amène à avoir un regard sensiblement dif-férent sur les personnes âgées.A l’image habituellement admise du vieillard craintif, méfiant, intolérant à toutes les transgressions et égoïs-tement replié sur lui-même, il apporte de notables cor-rections.Les données de l’enquête montrent en effet que l’avan-cée en âge s’accompagne d’une moindre crainte envers les actes violents (auto et hétéroagressifs), que les plus de 75 ans sont deux fois plus nombreux que leurs ca-dets à estimer non dangereux (11 % contre 5,7 %).Cette tolérance des aînés s’exprime également envers les personnes alcoolo dépendantes que seuls 60 % d’entre eux considèrent comme dangereuses (contre 75 % pour les plus jeunes).Les actes délinquants voire criminels (viol, meurtre, in-ceste, usage de drogues) sont jugés avec une identique sévérité par les différentes tranches d’âge et les répon-ses à l’enquête montrent une égale perception de leur dangerosité. Enfin les personnes âgées se révèlent plus effrayées par les personnes ayant un comportement ou un discours bizarres.Il semble que « leur expérience de la vie » permettre aux personnes âgées de ressentir moins de peur en face de situations « ordinaires » (violence, suicide, alcoolisme) mais qu’elles se trouvent plus démunies, plus déstabili-sées par les événements ou les comportements étran-ges.

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Il est classiquement admis que la vieillesse s’accompa-gne d’un repli sur soi avec un moindre intérêt voire une totale indifférence envers l’entourage (5).Là aussi l’enquête amène à retoucher cette image. A travers leurs réponses les personnes âgées se montrent moins concernées par la souffrance du malade mais ma-nifestent une plus grande sensibilité envers la souffrance des familles auxquelles elles s’identifient sans doute plus aisément. De même en ce qui concerne les questions portant sur la nécessité d’exclure le malade des diffé-rents secteurs d’existence (société, travail, famille) si les plus âgés se révèlent moins accueillants dans le cadre du travail ils expriment une plus grande tolérance fami-liale (on ne retrouve pas de différence significative en fonction des tranches d’âge sur l’exclusion sociale).Cependant lorsqu’il s’agit de reprendre « à la maison » un membre de la famille soigné ou recevant des soins, les personnes âgées font part, plus fréquemment, du sentiment d’être confrontées à une lourde charge.Il semble donc que bien que l’accueil d’un parent malade les confronte à une plus grande souffrance, les aînées sont plus disposés que les plus jeunes à faire preuve de solidarité.A l’issue de cette enquête le portrait des personnes avancées en âge semble assez éloigné des stéréotypes habituellement admis. Elles apparaissent en effet moins touchées par certaines pathologies mentales (psycho-ses, pathologies anxieuses, addictions….), plus toléran-tes envers les troubles d’autrui et porteuses de valeurs fondamentales d’entraide familiale.

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Dr J.Y. GIORDANA , Dr J.L. ROELANDT, C. PORTEAUX