2
Gastroentérologie Clinique et Biologique (2009) 33, 395—396 ÉDITORIAL La stéatose métabolique : entre incertitudes et réalité Nonalcoholic fatty liver disease: Hypotheses and established concepts La stéatose non alcoolique, qui correspond à l’accumulation d’acides gras libres sous forme de triglycérides dans l’hépatocyte, est encore trop souvent considérée comme une lésion fréquente mais bénigne, ne justifiant ainsi aucune prise en charge spécifique. Cette attitude a plusieurs rai- sons : le regroupement sous une même dénomination d’entités physiopathogéniques différentes ; l’incertitude sur la pathogénie des lésions hépatiques ; l’absence de marqueurs spécifiques, et donc la difficulté d’apprécier précisément l’impact clinique de la maladie ; les thérapeutiques encore insuffisamment développées. La stéatose, ou plutôt les stéatopathies non alcoo- liques, ont des causes très diverses mais pourraient être schématiquement classées en trois grands groupes physio- pathogéniques : les stéatopathies purement mitochondriales, comme les stéatoses microvésiculaires d’origine médicamenteuse ou gravidique, qui peuvent aboutir à la défaillance hépa- tique ; les stéatopathies par défaut d’exportation de very low density lipoprotein (VLDL), comme l’abétaliprotéinémie ou l’infection virale C, d’évolution bénigne ; enfin les stéatopathies par afflux d’acides gras libres (AGL), comme la stéatose métabolique associée à l’insulinorésistance et au syndrome métabolique qui est de très loin la plus fréquente et peut se compliquer de fibrose. Le pronostic hépatique très différent de ces stéato- pathies suggère que l’accumulation de triglycérides dans l’hépatocyte pourrait n’être qu’un simple signal. Ainsi, la stéatose en elle-même intervient probablement peu dans la pathogénie des lésions nécrotico-inflammatoires des stéato- pathies métaboliques, lésions présentes dans environ 20 % des cas et définissant la Nash susceptible d’évoluer vers la cirrhose et le carcinome hépatocellulaire [1]. En dépit d’une corrélation entre le pourcentage de stéatose et la sévérité des lésions fibro-inflammatoires, les études lon- gitudinales indiquent que la stéatose pure, même sévère, évolue exceptionnellement vers la Nash et la cirrhose [1]. L’insulinorésistance (IR), qui joue un rôle central dans la stéatogenèse par le biais de l’augmentation du flux portal d’AGL et de la lipogenèse intrahépatique, est associée au stress oxydant et aux lésions de Nash [2]. L’amélioration de la stéatose mais également des lésions fibro-inflammatoires sous traitement insulinosensibilisant est en faveur du rôle central attribué à l’IR au cours de la Nash [3]. Parmi les nombreux mécanismes évoqués pour expliquer le lien entre IR et Nash, le concept de lipotoxicité est parti- culièrement convaincant. Les lésions fibro-inflammatoires seraient liées à l’accumulation d’AGL toxiques, comme les palmitates ou les céramides, non estérifiés en tri- glycérides qui eux sont peu toxiques [4]. Ainsi, il a été montré dans les modèles animaux que le blocage de la syn- thèse des triglycérides était associé à une majoration des lésions fibro-inflammatoires parallèlement à une accumu- lation intrahépatique en AGL, suggérant que la stéatose pourrait être un mécanisme protecteur dans la survenue des lésions de Nash [5]. Ces résultats suggèrent que les lésions de Nash pourraient être en rapport avec un afflux d’AGL dépassant les capacités d’estérification en triglycé- rides de l’hépatocyte et aboutissant à l’accumulation d’AGL toxiques favorisant ainsi le stress oxydant et les lésions fibro- inflammatoires. Le diagnostic de Nash pose deux problèmes majeurs : la nécessité d’une biopsie hépatique en l’absence de marqueur fiable et l’exclusion des autres causes d’hépatopathies chro- niques, en particulier l’alcool. Ces difficultés diagnostiques sont à l’heure actuelle un obstacle à la prise en charge des patients, que ce soit en termes de dépistage, d’évaluation de la sévérité des lésions ou de traitement, comme cela a été observé chez les patients atteints d’hépatite non-A non- B avant la mise en évidence du virus C. Le développement de marqueurs indirects de Nash devrait permettre d’optimiser le dépistage dans les populations à risque comme les diabé- tiques ou les obèses et d’éviter une biopsie inutile chez la majorité des patients ayant une stéatose pure d’évolution 0399-8320/$ — see front matter © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.gcb.2009.03.001

La stéatose métabolique : entre incertitudes et réalité

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La stéatose métabolique : entre incertitudes et réalité

Gastroentérologie Clinique et Biologique (2009) 33, 395—396

ÉDITORIAL

La stéatose métabolique : entre incertitudes etréalité

Nonalcoholic fatty liver disease: Hypotheses and established concepts

La stéatose non alcoolique, qui correspond à l’accumulationd’acides gras libres sous forme de triglycérides dansl’hépatocyte, est encore trop souvent considérée commeune lésion fréquente mais bénigne, ne justifiant ainsi aucune

gitudinales indiquent que la stéatose pure, même sévère,évolue exceptionnellement vers la Nash et la cirrhose [1].L’insulinorésistance (IR), qui joue un rôle central dans lastéatogenèse par le biais de l’augmentation du flux portal

dslsclecslgmtllpdldrti

nfinspdé

prise en charge spécifique. Cette attitude a plusieurs rai-sons :• le regroupement sous une même dénomination d’entités

physiopathogéniques différentes ;• l’incertitude sur la pathogénie des lésions hépatiques ;• l’absence de marqueurs spécifiques, et donc la difficulté

d’apprécier précisément l’impact clinique de la maladie ;• les thérapeutiques encore insuffisamment développées.

La stéatose, ou plutôt les stéatopathies non alcoo-liques, ont des causes très diverses mais pourraient êtreschématiquement classées en trois grands groupes physio-pathogéniques :• les stéatopathies purement mitochondriales, comme les

stéatoses microvésiculaires d’origine médicamenteuse ougravidique, qui peuvent aboutir à la défaillance hépa-tique ;

• les stéatopathies par défaut d’exportation de very lowdensity lipoprotein (VLDL), comme l’abétaliprotéinémieou l’infection virale C, d’évolution bénigne ;

• enfin les stéatopathies par afflux d’acides gras libres(AGL), comme la stéatose métabolique associée àl’insulinorésistance et au syndrome métabolique qui estde très loin la plus fréquente et peut se compliquer defibrose.

Le pronostic hépatique très différent de ces stéato-pathies suggère que l’accumulation de triglycérides dansl’hépatocyte pourrait n’être qu’un simple signal. Ainsi, lastéatose en elle-même intervient probablement peu dans lapathogénie des lésions nécrotico-inflammatoires des stéato-

pathies métaboliques, lésions présentes dans environ 20 %des cas et définissant la Nash susceptible d’évoluer versla cirrhose et le carcinome hépatocellulaire [1]. En dépitd’une corrélation entre le pourcentage de stéatose et lasévérité des lésions fibro-inflammatoires, les études lon-

Bmltm

0399-8320/$ — see front matter © 2009 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.gcb.2009.03.001

’AGL et de la lipogenèse intrahépatique, est associée autress oxydant et aux lésions de Nash [2]. L’amélioration dea stéatose mais également des lésions fibro-inflammatoiresous traitement insulinosensibilisant est en faveur du rôleentral attribué à l’IR au cours de la Nash [3]. Parmies nombreux mécanismes évoqués pour expliquer le lienntre IR et Nash, le concept de lipotoxicité est parti-ulièrement convaincant. Les lésions fibro-inflammatoireseraient liées à l’accumulation d’AGL toxiques, commees palmitates ou les céramides, non estérifiés en tri-lycérides qui eux sont peu toxiques [4]. Ainsi, il a étéontré dans les modèles animaux que le blocage de la syn-

hèse des triglycérides était associé à une majoration desésions fibro-inflammatoires parallèlement à une accumu-ation intrahépatique en AGL, suggérant que la stéatoseourrait être un mécanisme protecteur dans la survenuees lésions de Nash [5]. Ces résultats suggèrent que lesésions de Nash pourraient être en rapport avec un afflux’AGL dépassant les capacités d’estérification en triglycé-ides de l’hépatocyte et aboutissant à l’accumulation d’AGLoxiques favorisant ainsi le stress oxydant et les lésions fibro-nflammatoires.

Le diagnostic de Nash pose deux problèmes majeurs : laécessité d’une biopsie hépatique en l’absence de marqueurable et l’exclusion des autres causes d’hépatopathies chro-iques, en particulier l’alcool. Ces difficultés diagnostiquesont à l’heure actuelle un obstacle à la prise en charge desatients, que ce soit en termes de dépistage, d’évaluatione la sévérité des lésions ou de traitement, comme cela até observé chez les patients atteints d’hépatite non-A non-

avant la mise en évidence du virus C. Le développement dearqueurs indirects de Nash devrait permettre d’optimiser

e dépistage dans les populations à risque comme les diabé-iques ou les obèses et d’éviter une biopsie inutile chez laajorité des patients ayant une stéatose pure d’évolution

Page 2: La stéatose métabolique : entre incertitudes et réalité

3

blmdpdddapfd

meccadolumtmdcc[uccdcdgndtpdsécllj

dsàrntnélLpa

mndlhéd

R

[

[

[

96

énigne [6]. Les marqueurs non invasifs de fibrose comme’élastométrie, sont en cours d’évaluation dans la stéatoseétabolique avec des performances diagnostiques voisinese celles observées dans les hépatites virales [6]. Il estrobable que dans un avenir proche ces nouveaux outilsiagnostiques permettront de mesurer l’impact clinique réele la stéatopathie métabolique. Quant au caractère exclusifu diagnostic de Nash, il doit être reconsidéré, un patientlcoolique ou infecté par le virus C pouvant également êtreorteur d’une stéatopathie métabolique, celle-ci étant unacteur aggravant de fibrose, comme cela a été démontréans l’hépatite C [7].

Les données sur l’histoire naturelle de la stéatopathieétabolique suggèrent que la progression de la maladie

st lente et qu’une minorité de patients évoluent vers lairrhose et le carcinome hépatocellulaire [1]. Parmi lesauses de décès chez les patients, l’atteinte hépatiquerrive en troisième position, après le cancer et les mala-ies cardiovasculaires [1]. La surmortalité cardiovasculairebservée chez les patients ayant une stéatopathie métabo-ique reste débattue : la stéatopathie métabolique est-ellene conséquence ou un facteur aggravant du syndromeétabolique aboutissant à l’athérosclérose ? Il a été mon-

ré dans plusieurs études de cohorte que la stéatopathieétabolique, ou ses marqueurs indirects comme l’activitées transaminases, étaient prédictifs d’accidents cardiovas-ulaires indépendamment des facteurs de risque classiquesomme l’insulinorésistance et le syndrome métabolique8,9]. Il a également été montré chez les patients ayantne stéatose métabolique que les lésions hépatiques étaientorrélées de facon indépendante à l’épaisseur intima-médiaarotidienne, suggérant que la paroi vasculaire et le foiee ces patients partagent des médiateurs inflammatoiresommuns [10]. Plus récemment a été développé le concepte lipotoxicité cardiaque définie par l’accumulation deraisse intra- et extra-péricardique chez de jeunes patientson diabétiques ayant une stéatose métabolique [11]. Cesonnées suggèrent qu’au-delà de ses conséquences hépa-iques, la stéatopathie métabolique pourrait nécessiter unerise en charge spécifique chez les patients à risque car-iovasculaire. On ne peut cependant pas exclure que latéatose ne soit là encore qu’un simple signal. Seules destudes interventionnelles prospectives pourront répondre àette question. Une autre conséquence extrahépatique dea stéatose est son influence sur l’équilibre du diabète chezes patients insulino-requérants, ce qui pourrait là encoreustifier une prise en charge spécifique [12].

Le rôle central attribué à l’insulinorésistance au course la Nash, justifie le recours à des traitements insulino-ensibilisants chez ces malades. La perte de poids associée

l’activité physique est actuellement le traitement deéférence de l’insulino-résistance mais il est difficile à obte-ir en pratique clinique justifiant le développement deraitements médicamenteux [3]. Plusieurs molécules insuli-osensibilisantes comme la metformine ou les glitazones ont

té évaluées sur de petits effectifs de patients soulignanta difficulté de réaliser de grand essais dans la Nash [3].’implication encore relativement modeste de l’industrieharmaceutique n’est pas étrangère à cette situation. Uneutre explication est la toxicité potentielle des nouvelles

Éditorial

olécules comme les inhibiteurs des récepteurs aux can-abinoïdes (CB1) retirés précocement du marché en raisone leurs effets secondaires neuropsychiatriques [3]. Dans’avenir, des critères de jugement autres que l’atteinteépatique, comme le risque cardiovasculaire, devraientgalement permettre d’évaluer l’efficacité des traitementse la stéatopathie métabolique.

éférences

[1] Lemoine M. Nonalcoholic fatty liver disease: overview of thenatural history. Gastroenterol Clin Biol 2009;33:398—404.

[2] Bugianesi E, McCullough AJ, Marchesini G. Insulin resistance:a metabolic pathway to chronic liver disease. Hepatology2005;42:987—1000.

[3] Pariente A. Diagnosis and management of nonalcoholic fattyliver disease. Gastroenterol Clin Biol 2009;33:413—24.

[4] Mc Clain CJ, Barve S, Deaciuc I. Good fat/bad fat. Hepatology2007;45:1343—6.

[5] Yamaguchi K, Yang L, McCall S, Huang J, Yu XX, PandeySK, et al. Inhibiting triglyceride synthesis improves hepaticsteatosis but exacerbates liver damage and fibrosis in obesemice with nonalcoholic steatohepatitis. Hepatology 2007;45:1366—74.

[6] Castera L. Non invasive tools for the diagnosis of steatosisand fibrosis in patients with NAFLD. Gastroenterol Clin Biol2009;33:405—12.

[7] Serfaty L, Poujol-Robert A, Carbonell N, Chazouillères O, Pou-pon RE, Poupon R. Effect of the interaction between steatosisand alcohol intake on liver fibrosis progression in chronic hepa-titis C. Am J Gastroenterol 2002;97:1807—12.

[8] Targher G, Bertolini L, Rodella S, Tessari R, Zenari L, Lippi G, etal. Nonalcoholic fatty liver disease is independently associatedwith an increased incidence of cardiovascular events in type 2diabetic patients. Diabetes Care 2007;30:2119—21.

[9] Goessling W, Massaro J, Vasan RS, D’agostino RB, Ellison RC, FoxCS. Aminotransferase levels and 20-year risk of metabolic syn-drome, diabetes, and cardiovascular disease. Gastroenterology2008;135:1935—44.

10] Targher G. Association between liver histology and early caro-tid atherosclerosis in patients with nonalcoholic fatty liverdisease (Letter). Hepatology 2005;42:974—5.

11] Perseghin G, Lattuada G, De Cobelli F, Esposito A, Belloni E,Ntali G, et al. Increased mediastinal fat and impaired left ven-tricular energy metabolism in young men with newly foundfatty liver. Hepatology 2008;47:51—6.

12] Ryysy L, Häkkinen AM, Goto T, Vehkavaara S, Westerba-cka J, Halavaara J, et al. Hepatic fat content and insulinaction on free fatty acids and glucose metabolism rather thaninsulin absorption are associated with insulin requirementsduring insulin therapy in type 2 diabetic patients. Diabetes2000;49:749—58.

L. Serfatya,∗,b

a Service d’hépatologie, hôpital Saint-Antoine,184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75571 Paris

cedex 12, Franceb Inserm UMR S 893, UPMC, Paris, France

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail :

[email protected].

Disponible sur Internet le 5 avril 2009