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LEON DENIS LE GENIE CELTIQUE ET LE MONDE INVISIBLE « Le passé ne meurt jamais complètement pour l'homme. L'homme peut bien l'oublier mais il le garde toujours en lui. Car tel qu'il est lui-même à chaque époque, il est le produit et le résumé de toutes les époques antérieures. » FUSTEL DE COULANGES (La Cité antique.)

Le Genie Celtique Et Le Monde Invisible

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Leon Denis

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  • LEON DENIS

    LE GENIE CELTIQUE ET

    LE MONDE INVISIBLE

    Le pass ne meurt jamais compltement pour l'homme.

    L'homme peut bien l'oublier mais il le garde toujours en lui. Car tel qu'il est

    lui-mme chaque poque, il est le produit et le rsum de toutes les

    poques antrieures. FUSTEL DE COULANGES

    (La Cit antique.)

  • INTRODUCTION Au milieu de la crise que nous subissons, la pense s'inquite, elle s'interroge ; elle

    recherche les causes profondes du mal qui atteint toutes les formes de notre vie sociale, politique, conomique, morale. Les courants d'ides, de sentiments, d'intrts se heurtent violemment, et de leurs chocs rsulte un tat de trouble, de confusion, de dsordre, qui paralyse toute initiative et se traduit en une impuissance trouver le remde. Il semble que la France ait perdu conscience d'elle-mme, de son origine, de son gnie, de son rle dans le monde.

    Tandis que d'autres races, essentiellement ralistes, poursuivent un but d'autant plus prcis, d'autant mieux dtermin qu'il est plus matriel, la France a toujours hsit, au cours de son histoire, entre deux conceptions opposes. Et, par l, s'explique le caractre intermittent de son action.

    Tantt elle se dit celtique et alors elle fait appel cet esprit de libert, de droiture, de justice qui caractrise l'me de la Gaule. C'est l'intervention de celle-ci, au rveil de son gnie, qu'il faut attribuer l'institution des communes au moyen ge et l'oeuvre de la Rvolution. Tantt elle se croit latine et, ds lors, vont reparatre toutes les formes de l'oppression monarchique ou thocratique, la centralisation bureaucratique et administrative, imite des Romains, avec les habilets, les subterfuges de leur politique et les vices, la corruption des peuples vieillis.

    Ajoutez en dehors de ces conceptions l'indiffrence des masses, leur ignorance des traditions, la perte de tout idal. C'est aux alternances de ces deux courants qu'il faut attribuer le flottement de la pense franaise, les ressauts, les brusques revirements de son action travers l'histoire.

    Pour retrouver l'unit morale, la conscience d'elle-mme, le sens profond de son rle et de son destin, c'est--dire tout ce qui fait les nations fortes, il suffirait la France d'carter les thories errones, les sophismes par lesquels on a fauss son jugement, obscurci sa voie, et de revenir sa propre nature, ses origines ethniques, son gnie primitif, en un mot la tradition celtique, enrichie du travail et du progrs des sicles.

    Car la France est celtique, il n'y a pas de doute possible sur ce point. Nos plus minents historiens l'attestent et, avec eux, nombre d'crivains et de penseurs parmi lesquels les deux Thierry, Henri Martin, J. Michelet, Ed. Quinet, Jean Reynaud, Renan, Emile Faguet et tant d'autres. Si nous sommes Latins, ont-ils dit, par l'ducation et la culture, nous sommes Celtes par le sang, par la race.

    D'Arbois de Jubainville nous l'a rpt souvent, dans ses cours du Collge de France, comme dans ses livres : Il y a 90 p. 100 de sang gaulois dans les veines des Franais. En effet, si nous ouvrons l'histoire, nous y verrons qu'aprs la chute de l'Empire, les Romains en masse repassrent les Alpes et il en resta trs peu en Gaule. Les invasions germaniques passrent comme des trombes sur notre pays ; seuls les Francs, les Wisigoths, les Burgondes s'y fixrent assez longtemps pour se fondre avec les lments autochtones. Encore, les Francs n'taient-ils que trente-huit mille alors que la Gaule comptait prs de cinquante millions d'habitants.

    On peut se demander comment une si vaste contre a pu tre conquise avec de si faibles moyens. Cela M. Ed. Haraucourt, de l'Acadmie franaise, nous l'explique dans un substantiel article publi dans la revue la Lumire, du 15 janvier 1926, et dont nous parlerons plus loin.

    Tous ceux qui ont gard au coeur le souvenir de nos origines aiment retracer les gloires et les revers de cette race remuante, aventureuse, qu'est la ntre, rappeler les malheurs et les preuves qui lui ont attir tant de sympathies. A toutes ces pages clbres, crites sur ce sujet,

  • 2 LE GENIE CELTIQUE ET LE MONDE INVISIBLE je n'aurais pas song ajouter quoi que ce soit si je n'avais eu un lment nouveau offrir au lecteur pour lucider le problme de nos origines, c'est--dire la collaboration du monde invisible. En effet, c'est l'instigation de l'esprit d'Allan Kardec que j'ai ralis ce travail. On y trouvera la srie des messages qu'il nous a dicts par incorporation, en des conditions qui excluent toute supercherie. Au cours de ces entretiens, des Esprits, librs de la vie terrestre, nous ont apport leurs conseils et leurs enseignements.

    Ainsi qu'on le verra dans ses messages, Allan Kardec a vcu en Gaule, au temps de l'indpendance et il y fut druide. Le dolmen qui, par sa volont, s'lve sur sa tombe au Pre-Lachaise, a par l un sens prcis. La doctrine spirite que le grand initiateur a condense, rsume en ses oeuvres au moyen des communications d'Esprits, obtenues sur tous les points du globe, concide, dans ses grandes lignes, avec le druidisme et constitue un retour nos vritables traditions ethniques, amplifies des progrs de la pense et de la science et confirmes par les voix de l'espace. Cette rvlation marque une des phases les plus hautes de l'volution humaine, une re fconde de pntration de l'invisible dans le visible, la participation de deux mondes dans une oeuvre grandiose d'ducation morale et de refonte sociale.

    A ce point de vue ses consquences sont incalculables. Elle offre la connaissance un champ d'tudes sans bornes sur la vie universelle. Par l'enchanement de nos existences successives et la solidarit qui les relie, elle rend plus claire, plus rigoureuse la notion des devoirs et des responsabilits. Elle montre que la justice n'est pas un vain mot et que l'ordre et l'harmonie rgnent dans le Cosmos.

    A quoi dois-je attribuer cette grande faveur d'avoir t aid, inspir, dirig par les Esprits des grands Celtisants de l'espace ? A ce que, m'a dit Allan Kardec, j'ai vcu moi-mme, dans l'ouest des Gaules mes trois premires existences humaines et j'ai toujours conserv en moi les impressions des premiers ges. C'est pourquoi, lorsque dans la vie actuelle, dix-huit ans, j'ai lu le Livre des Esprits d'Allan Kardec, j'ai eu l'intuition irrsistible de la vrit. Il me semblait entendre des voix lointaines ou intrieures me parlant de mille choses oublies. Tout un pass ressuscitait avec une intensit presque douloureuse. Et tout ce que j'ai vu, observ, appris depuis lors, n'a fait que confirmer cette impression premire.

    Ce livre peut donc tre considr, en grande partie, comme une manation de cet Au-del o je vais bientt retourner. A tous ceux qui le liront puisse-t-il apporter une radiation de notre pense et de notre foi commune, un rayon d'en-haut qui fortifie les consciences, console les afflictions et lve les mes vers cette source ternelle de toute vrit, de toute sagesse et de tout amour qui est Dieu.

  • PREMIERE PARTIE -

    LES PAYS CELTIQUES _______

    CHAPITRE PREMIER -

    ORIGINE DES CELTES. - GUERRES DES GAULOIS. - DECADENCE ET CHUTE. - LONGUE NUIT ; LE REVEIL. - LE MOUVEMENT

    PANCELTIQUE

    Aux premires lueurs de l'Histoire nous trouvons les Celtes tablis sur une grande moiti

    de l'Europe. D'o venaient-ils ? Quel fut le lieu de leur origine ? Certains historiens placent le berceau de leur race dans les montagnes du Taurus, au centre de l'Asie Mineure, dans le voisinage des Chaldens. Devenus nombreux, ils auraient franchi le Pont-Euxin (mer Noire) et pntr jusqu'au coeur de l'Europe. Mais, de nos jours, cette thorie parat tre tombe en dsutude en mme temps que l'hypothse des Aryens.

    M. Camille Jullian, du Collge de France, dans son plus rcent ouvrage sur l'Histoire de la Gaule, se contente de fixer six ou huit cents ans avant notre re l'arrive en Gaule des Kymris, branche la plus moderne des Celtes. Ils venaient, croit-il, des bouches de l'Elbe et des ctes du Jutland, chasss par un puissant raz de mare qui les avait contraints d'migrer vers le Sud.

    Parvenus en Gaule, ils rencontrrent une branche des Celtes plus ancienne, les Gals, qui s'y trouvaient fixs depuis longtemps et qui taient de plus petite taille, et gnralement bruns, alors que les Kymris taient grands et blonds. Ces diffrences sont encore sensibles dans l'Armorique, o les ctes de l'Ocan, dans le Morbihan, sont peuples d'hommes petits et bruns, mlangs d'lments trangers, atlantes ou basques, qui se sont fondus avec les populations primitives, tandis que celles des Ctes-du-Nord ou de la Manche possdent des habitants de plus haute stature auxquels sont venus se joindre les Celtes bretons chasss de la grande le par les invasions anglo-saxonnes.

    Les vues de M. C. Jullian se trouvent confirmes par la parent des langues celtiques et germaniques, semblables par leur structure, leurs gutturales, l'abus des lettres dures, comme le K, le W, etc. Au milieu des courants migrateurs, qui se croisent et s'entrecroisent dans la nuit prhistorique, la science trouve un procd plus sr dans les tudes linguistiques pour reconstituer la filiation des races humaines1.

    Nous ne retracerons qu' grands traits l'histoire des Gaulois. On sait que nos anctres ont, pendant des sicles, rempli le monde du bruit de leurs armes. Avides d'aventures, de gloire et de combats, ils ne pouvaient se rsigner une vie efface et tranquille, et ils allaient la mort comme une fte, tant tait grande leur certitude de l'au-del.

    1 M. d'Arbois de Jubainville, dans ses cours du Collge de France, se livrait parfois une dmonstration sur

    le tableau noir afin d'tablir la parent des langues indo-europennes. Il prenait un mot qu'il traduisait en galique, en allemand, en russe, en sanscrit, en grec, en latin, et il se trouvait que, sous ces diffrentes traductions, ce mot avait une mme racine.

  • 4 LE GENIE CELTIQUE ET LE MONDE INVISIBLE On connat leurs nombreuses incursions en Italie, en Espagne, en Germanie et jusqu'en

    Orient. Ils envahissaient leurs voisins et, de par la loi du choc en retour, ils furent envahis par la suite et rduits l'impuissance.

    L'me de la Gaule se trouve dans ses institutions druidiques et bardiques. Les druides n'taient pas seulement des prtres, mais aussi des philosophes, des savants, des ducateurs de la jeunesse. Les ovates prsidaient aux crmonies du culte, et les bardes se consacraient la posie et la musique. Nous exposerons plus loin ce qu'tait l'oeuvre et le vritable caractre du druidisme.

    Au commencement de notre re les Romains avaient dj pntr en Gaule, remont la valle du Rhne et, aprs avoir occup Lyon, ils s'avanaient jusqu'au coeur du pays.

    Les Gaulois rsistrent avec nergie et firent subir parfois de rudes checs leurs ennemis ; cependant ils taient diviss et n'offraient souvent que des rsistances locales. Leur courage, pouss jusqu' la tmrit, leur mpris des ruses guerrires et de la mort tournaient leur dsavantage. Ils combattaient en dsordre, nus jusqu' la ceinture, avec des armes mal trempes, contre des adversaires couverts de fer, astucieux et perfides, fortement disciplins et pourvus d'un matriel considrable pour l'poque.

    Vercingtorix, le grand chef arverne, soutenu par la puissance des druides, russit un moment soulever la Gaule entire contre Csar, et une lutte grandiose s'engagea. Elev par les bardes, Vercingtorix avait en partage les qualits qui s'imposent l'admiration des hommes, et qui leur commandent l'obissance, le respect. Son amour de la Gaule grandissait avec le progrs croissant des armes romaines.

    Quelle diffrence entre Vercingtorix et Csar ! Le hros gaulois, plein de foi dans la puissance invisible qui gouverne les mondes, soutenu par sa croyance aux vies futures, avait pour rgle de conduite le devoir, pour idal la grandeur et la libert de son pays.

    Csar, lui, profondment sceptique, ne croyait qu' la fortune. Tout en cet homme tait ruse et calcul ; une soif immense de domination le dvorait. Aprs une existence de dbauches, cribl de dettes, il venait en Gaule chercher dans la guerre les moyens de relever son crdit. Il convoitait de prfrence les villes riches, et aprs les avoir livres au pillage, on voyait chaque fois de longs convois s'acheminer vers l'Italie et porter l'or gaulois aux cranciers de Csar.

    Est-il besoin de rappeler qu'en fait de patriotisme, Csar, parjure, anantit les liberts romaines et opprima son pays. Certes, nous ne nierons pas le gnie politique et militaire de Csar, mais nous devons la vrit de rappeler que ce gnie tait terni par des vices honteux.

    Et c'est dans les crits de cet ennemi de la Gaule que l'on va souvent chercher la vrit historique ! C'est dans ses Commentaires, crits sous l'inspiration de la haine, avec l'intention vidente de se rehausser aux yeux de ses concitoyens, que l'on tudie l'histoire de la guerre des Gaules. Mais deux auteurs romains, Pollion et Sutone, avouent eux-mmes que cette oeuvre fourmille d'inexactitudes, d'erreurs volontaires.

    En rsum, les Gaulois, ardents, enthousiastes, impressionnables, avaient bnfici du courant celtique, de ce grand courant, vhicule des hautes inspirations qui, ds les premiers ges, avait rgn sur tout le nord-ouest de l'Europe. Ils s'taient imprgns des effluves magntiques du sol, de ces lments qui, dans toutes les rgions de la terre, caractrisent et diffrencient les races humaines2.

    Mais leur fougue juvnile, leur passion pour les armes et les combats les avaient mens trop loin, et les perturbations causes l'ordre et la marche rgulire des choses retombrent lourdement sur eux en vertu de cette loi souveraine qui ramne, sur les individus comme sur les peuples, toutes les consquences des oeuvres qu'ils ont accomplies. Car tout ce que nous faisons retombe sur nous travers les temps en pluies ou en rayons, en joies ou en douleurs, et

    2 Voir la fin de l'ouvrage les messages d'Allan Kardec, n 5 et 6 sur les courants celtiques, chap. XIII.

  • ORIGINE DES CELTES. 5 la douleur n'est pas l'agent le moins efficace de l'ducation des mes et de l'volution des socits.

    * * *

    Le druidisme s'attachait surtout dvelopper la personnalit humaine en vue de l'volution qui lui est assigne. Il en cultivait les qualits actives, l'esprit d'initiative, l'nergie, le courage ; tout ce qui permet d'affronter les preuves, l'adversit, la mort avec une ferme assurance. Cet enseignement dveloppait au plus haut degr chez l'homme le sentiment du droit, de l'indpendance et de la libert.

    Par contre, on lui a reproch d'avoir trop nglig les qualits passives et les sentiments affectifs. Les Gaulois se savaient gaux et libres, mais ils n'avaient pas une conscience suffisante de cette fraternit nationale qui assure l'unit d'un grand pays et constitue sa sauvegarde l'heure du danger.

    Le druidisme avait besoin de ce complment que le christianisme de Jsus lui a apport. Nous parlons du christianisme primitif, non encore altr par l'action des temps, et qui, dans les premiers sicles, prsentait tant d'analogie avec les croyances celtiques puisqu'il reconnaissait l'unit de Dieu, la succession des vies de l'me et la pluralit des mondes3. C'est pourquoi les Celtes l'adoptrent avec d'autant plus d'empressement qu'ils y taient mieux prpars par leurs propres aspirations. Encore au IV sicle, on peut voir par la controverse de saint Jrme avec le Gaulois Vigilancius, de saint Bertrand de Comminges, que la grande majorit des chrtiens de cette poque admettaient la pluralit des existences de l'me.

    Pntrs de l'ide qu'ils taient anims d'un principe imprissable, tous gaux dans leurs origines, dans leurs destines, nos pres ne pouvaient supporter aucune oppression. Aussi leurs institutions politiques et sociales taient minemment rpublicaines, dmocratiques. Et c'est en elles qu'il faut rechercher la source de ces aspirations galitaires, librales, qui sont un des cts de notre caractre national.

    Tous les Gaulois prenaient part l'lection du Snat, qui avait mission d'tablir les lois. Chaque rpublique lisait ses chefs temporaires, civils et militaires. Nos pres n'ont pas connu les diffrences de caste. Ils faisaient dcouler les droits des hommes de leur nature mme, de leur immortalit qui les rendaient gaux en principe. Ils n'auraient pas souffert qu'un guerrier, qu'un hros mme, pt s'emparer du pouvoir et s'imposer au peuple. Les lois gauloises dclaraient qu'une nation est toujours au-dessus d'un homme.

    Au moment o Csar pntra en Gaule, grce l'action des druides et du peuple des villes, l'unit nationale se prparait. Si la paix avait permis l'accomplissement de ces grands projets, les rpubliques gauloises, unies par des liens fdratifs, comme les cantons suisses ou les Etats-Unis d'Amrique, eussent form, ds ces ges lointains, une puissante nation.

    Mais les dissensions, les rivalits des clefs, compromirent tout. Une aristocratie s'tait forme peu peu dans les tribus. Grce leurs richesses, certains chefs gaulois avaient su se crer des suites nombreuses de serviteurs, de partisans, l'aide desquels ils pesaient sur les lections et troublaient l'ordre public. Des partis s'taient constitus. Pour triompher de leurs rivaux, quelques-uns s'appuyaient sur l'tranger, de l le dchirement de la Gaule, puis son asservissement.

    On fait souvent ressortir nos yeux qu'en change de son indpendance perdue, la Gaule recueillit de grands avantages de la domination romaine. Oui, sans doute, Rome apporta nos pres certains progrs matriels et intellectuels. Sous son impulsion des routes s'ouvrirent, des monuments s'levrent, de grandes cits se btirent. Mais tout cela se serait probablement cr par la suite, sans Rome, et tout cela ne remplaait pas la libert perdue.

    3 Voir mon ouvrage Christianisme et Spiritisme.

  • 6 LE GENIE CELTIQUE ET LE MONDE INVISIBLE Quand la guerre prit fin, deux millions de Gaulois avaient succomb sur les champs de

    bataille. Rome imposa un tribut annuel de 40 millions de sesterces. La Gaule, puise d'hommes et d'argent, se coucha, agonisante, sous la hache des licteurs.

    Puis, quand de nouvelles gnrations eurent grandi, quand la Gaule eut pans ses plaies sanglantes, l'astre de Rome commena plir. Du fond des bois et des marais de l'Allemagne, semblables des bandes de loups affams, les Francs accoururent la cure. Qu'tait-ce donc en ralit que ces Francs qui ont donn leur nom la Gaule ? Des barbares, comme cet Arioviste qui se vantait d'tre rest quatorze ans sans coucher sous un toit. Les Francs formaient une tribu de race germanique et n'taient que trente-huit mille. Mais, au lieu de communiquer la Gaule leur barbarie, ils se fondirent en elle. Pourtant, les Gaulois n'ont fait que changer d'oppresseurs. Les Francs se sont partag la terre et ont implant chez nous la fodalit. Ces rois fainants et cruels, ces nobles seigneurs du moyen ge, ducs, comtes et barons, taient pour la plupart des Francs ou des Burgondes, et leurs rudes instincts rappelaient leur origine.

    Si la domination romaine, qui dura quatre sicles, apporta la Gaule quelques bienfaits, d'autre part, son administration rapace consomma sa ruine en dtruisant toute sa force de rsistance.

    C'est ce que M. Ed. Haraucourt, de l'Acadmie franaise, nous explique dans un article auquel nous empruntons les lignes suivantes publies dans une de nos grandes revues4 :

    C'est par eux (les Romains) et non par les barbares que la Gaule est morte. Elle est morte de son organisation intrieure qui fut une dsorganisation systmatique, elle a pri ronge par le fonctionnarisme et par l'impt, anmie par des lois qui pompaient sa richesse, supprimaient son travail et ruinaient sa production. Les envahisseurs ne sont venus qu'ensuite pour achever l'oeuvre des lgislateurs.

    Quand on avance devant nous que nos pres furent les Romains ou les Francs, protestons de toute notre me. Tous les grands et nobles cts du caractre national, nous les tenons des Gaulois. La gnrosit, la sympathie pour les faibles et les opprims, nous viennent d'eux. Cette force qui nous fait lutter et souffrir pour les causes justes, sans espoir de retour, ce dsintressement qui nous porte soutenir les peuples asservis dans leurs revendications, ces tendances qu'on ne retrouve titre gal chez aucun autre peuple, tout cela nous vient de nos pres hroques. Malgr la longue occupation romaine, malgr l'invasion des barbares du Nord, notre caractre national est encore imprgn du vieil esprit celtique. Le gnie de la Gaule veille toujours sur notre pays.

    * * *

    Pendant la longue nuit du moyen ge, l'idal celtique put paratre oubli, mais il subsistait et sommeillait dans la conscience populaire. Les druides, les bardes ont t chasss de la terre des Gaules et sont passs dans l'le de Bretagne. Chez nous, les nobles, les seigneurs sont diviss en partis rivaux et s'puisent en luttes intestines. Le pauvre peuple des villes et des campagnes est courb sous une lourde tche, absorb par les soucis matriels, et souvent souffre de la faim et de la misre.

    Pourtant, le christianisme ayant pntr en Gaule a, dans une certaine mesure, adouci ces maux. Il reprsentait un bienfait, un progrs ; la religion de Jsus s'adaptait bien la faiblesse

    4 Reproduit en Braille dans la Lumire du 15 janvier 1926. Cet article est inspir par les tmoignages du

    temps, et surtout de l'crivain Lactance.

  • ORIGINE DES CELTES. 7 humaine ; si la loi d'amour et de sacrifice qu'elle apportait avait trouv son application, elle pouvait suffire au salut des mes et la rdemption de l'humanit.

    Dans un but de perfectionnement moral la religion chrtienne comprimait la volont, la passion, le dsir, tout ce qui constitue le moi, le centre mme de la personnalit. La doctrine celtique, au contraire, s'appliquait donner l'tre toute sa puissance de rayonnement, s'inspirant de cette loi d'volution qui n'a pas de terme, l'ascension de l'me tant infinie. L'me chrtienne aspire au repos, la batitude dans le sein de Dieu, l'me celtique s'attache dvelopper ses puissances intimes afin de participer dans une mesure grandissante, de cercles en cercles, la vie et l'oeuvre universelles.

    L'me chrtienne est plus aimante, l'me celtique est plus virile. L'une cherche gagner le ciel par la pratique des vertus, par l'abngation et le renoncement ; l'autre veut conqurir gwynfyd par la mise en action des forces qui dorment en elle. Mais toutes deux ont soif d'infini, d'ternit, d'absolu. L'me celtique y ajoute le sens de l'invisible, la certitude de l'au-del et le culte fervent de la nature.

    Mais souvent ces deux mes coexistent ou plutt se superposent dans les mmes tres. C'est le cas pour beaucoup de nos compatriotes ; chez eux ces deux mes s'ignorent encore, mais fusionneront un jour.

    Faut-il rappeler que la doctrine du Christ, elle aussi, avait perdu sur bien des points son sens primitif ? La France s'est trouve en face d'un enseignement thologique qui avait restreint toutes choses, rduisant les proportions de la vie une seule existence terrestre, trs ingale, suivant les individus, pour les fixer ensuite dans une immobilit ternelle. Les perspectives de l'enfer rendirent la mort plus redoutable. Elles firent de Dieu un juge cruel qui, ayant cr l'homme imparfait, le punissait de cette imperfection sans rparation possible. Et de l les progrs de l'athisme, du matrialisme qui, la longue, ont fait de la France une nation en majorit sceptique, dpourvue de ressort moral, de cette foi robuste et claire qui rend le devoir facile, l'preuve supportable et assigne la vie un but pratique d'volution et de perfectionnement.

    Le joug fodal et thocratique a longtemps pes sur elle, puis, l'heure est venue o elle a repris sa libert de penser et de croire. Alors on a voulu passer au crible toute l'oeuvre des sicles et, sans faire la part de ce qui tait bon et beau, sous prtexte de critique et d'analyse, on s'est livr un travail acharn de dsagrgation. A un moment donn, on ne voyait plus dans le domaine de la pense que des dcombres, rien ne restait debout de ce qui avait fait la grandeur du pass, et nous ne possdions plus que la poussire des ides.

    Des crivains de mrite, des penseurs consciencieux se sont bien appliqus dans leurs oeuvres faire ressortir la valeur et le prestige du druidisme, mais le fruit de leurs travaux n'a pas pntr dans les couches profondes de la nation. Nous avons mme eu l'tonnement de voir des universitaires, des membres distingus de l'enseignement, faire cause commune avec les thologiens pour dnigrer, travestir les croyances de nos pres. Le travail sculaire de destruction a t si complet, la nuit a t si profonde sur leurs conceptions que rares taient devenus ceux qui en gotaient encore la puissance et la beaut.

    Ce serait une grande cause de faiblesse, et par consquent un malheur pour la France, de rester dpourvue de notions prcises sur la vie et sur la mort conformes aux lois de la nature et aux intuitions profondes de la conscience. Pendant des sicles elle avait oubli ses traditions nationales, perdu de vue le gnie de sa race, ainsi que les rvlations donnes ses aeux pour diriger sa marche vers un but lev.

    Elle affirmait, cette rvlation, que le principe de la vie dans l'homme est indestructible, que les forces, les nergies qui s'agitent en nous ne peuvent tre condamnes l'inaction, que la personnalit humaine est appele se dvelopper travers le temps et l'espace pour acqurir les qualits, les puissances nouvelles qui lui permettront de jouer un rle toujours plus important dans l'univers.

  • 8 LE GENIE CELTIQUE ET LE MONDE INVISIBLE Et voici que cette rvlation se rpte, se renouvelle. Comme aux ges celtiques, le monde

    invisible intervient. Depuis prs d'un sicle, la voix des Esprits se fait entendre sur toute la surface de la terre. Elle dmontre que, d'une faon gnrale, nos pres n'avaient pas t tromps. Leurs croyances se trouvent confirmes par les enseignements d'outre-tombe en tout ce qui concerne la vie future, l'volution, la justice divine, en un mot, sur l'ensemble des rgles et des lois qui rgissent la vie universelle.

    Grce cette lumire, l'infini s'est ouvert pour nous jusque dans ses intimes profondeurs. Au lieu d'un paradis bat et d'un enfer ridicule, nous avons entrevu l'immense cortge des mondes, qui sont autant de stations que l'me parcourt dans son long plerinage, dans son ascension vers Dieu, construisant et possdant en elle-mme sa flicit et sa grandeur par les mrites acquis. A la place de la fantaisie ou de l'arbitraire, partout se montrent l'ordre, la sagesse et l'harmonie.

    Et c'est pourquoi aux gnrations qui se lvent et cherchent un idal susceptible de remplacer les lourdes thories scolastiques nous dirons : remontez avec nous ces deux sources, qui n'en font qu'une, se confondant dans leur identit ; remontez aux sources pures o nos anctres ont tremp leur pense et leur me. Vous y puiserez la force morale, les qualits viriles, l'idal lev sans lesquels la France serait voue une dcadence irrmdiable, la ruine et la mort !

    * * *

    Pendant des sicles les Celtes ont occup dans l'occident de l'Europe la mme situation. Refouls par les bandes germaniques sur le continent, dans les les britanniques par les invasions anglo-saxonnes, ils avaient perdu leur unit mais non pas leur foi dans l'avenir. La Gaule tait devenue la France, et l'on ne parlait plus sa langue originelle que dans la pninsule armoricaine. Quant aux les, les Celtes s'y trouvaient rpartis en quatre peuples ou groupes diffrents, spars par des bras de mer ou de larges estuaires : ce sont l'Irlande, la haute Ecosse, le Pays de Galles et la Cornouaille.

    Quelle force morale, quelle volont opinitre n'a-t-il pas fallu cette race celtique pour maintenir sa langue, ses traditions, son caractre propre ! L'histoire des perscutions subies par l'Irlande pendant dix sicles est impressionnante. L'usage du galique tait interdit et chaque enfant qui en prononait un seul mot l'cole tait frapp de la peine du fouet.

    Et cependant l'Irlande, par sa tnacit, a triomph de l'oppression anglaise. Aujourd'hui, l'Irlande a reconstitu sa langue primitive. Elle est le seul pays o ses accents retentissent comme langage officiel. Les Celtes d'outre-Manche et nous, n'avons plus le mme verbe, mais nous avons la mme pense ; sans nous parler nous nous comprenons toujours.

    Dans la Bretagne franaise la perscution fut plutt morale et religieuse. A tous les emblmes du druidisme, tous les noms sacrs des anciens Celtes on a substitu des symboles catholiques et des noms de saints. Les moindres souvenirs du culte ancestral ont t minutieusement expurgs.

    Dans les temps modernes, c'est aux Gallois que revient le mrite d'avoir provoqu le rveil de l'me celtique, c'est--dire d'avoir donn l'impulsion un courant d'opinion qui, en rapprochant les tronons pars de la race, rtabli le contact entre eux.

    Le mouvement panceltique, qui tend faire converger vers un but commun les ressources et les forces des cinq groupes celtiques, a pris naissance dans le pays de Galles vers 1850. Il s'est dvelopp rapidement et ses consquences promettent d'tre vastes et profondes.

    Dj depuis 50 ans, malgr la guerre mondiale, la situation des Celtes a bien chang. L'Irlande a reconquis son indpendance ; la principaut de Galles et l'le de Man possdent

  • PANCELTISME. 9 leur pleine autonomie ; l'Ecosse travaille efficacement raliser la sienne ; la Bretagne franaise seule est reste stationnaire.

    Le premier but atteindre tait la sauvegarde des langues celtiques, palladium de la race entire. L'Irlande y a russi ; les autres dialectes reprennent aussi force et vigueur dans leurs milieux respectifs. Les instituteurs qui les enseignent sont subventionns par la Ligue Celtique. Celle-ci suscite une unit d'impulsion d'abord littraire et artistique mais qui, par la suite, devient peu peu philosophique et religieuse.

    Ds 1570 une assemble solennelle, dite Eisteddfod, fut prside par William Herbert, comte de Pembroke, le grand patron de la littrature galloise et le mme qui fonda la clbre bibliothque de no-gallois du chteau de Rhaglan, dtruite plus tard par Cromwell. Dans une autre runion, tenue Bowpyr, en 1681, sous la direction de Sir Richard Basset, les membres du Congrs procdrent une rvision complte des anciens textes bardiques : Lois et Triades. Les Eisteddfodau se sont succds rgulirement depuis 1819. Le Gorsedd qui les prpare, les organise et en assure la direction est un libre institut recrut dans toutes les classes de la socit5. Il fut dans le principe une cour de justice tenue par les druides. Malgr les clipses temporaires et les perscutions il s'est maintenu travers les sicles et c'est encore lui, l'heure actuelle, qui prside au mouvement gnral panceltique. Au sicle dernier ce mouvement s'accentuait, les Eisteddfodau d'Abergavenny, de Caer-Marthen runissaient de nombreux reprsentants des cinq grandes familles celtiques. Lamartine y envoyait son adhsion sous la forme d'un pome dont voici la premire strophe :

    Et puis nous vous disons : O fils des mmes plages ! Nous sommes un tronon du vieux glaive vainqueur ; Regardez-nous aux yeux, aux cheveux, aux visages ; Nous reconnaissez-vous la trempe du coeur ?

    Puis vint le Congrs de Saint-Brieuc, runi sous la convocation d'Henri Martin, d'H. de la Villemarqu et d'un comit de celtisants renomms. D'autres dlgations celtiques passrent la Manche pour fraterniser avec les Bretons franais.

    En retour, le Congrs de Cardiff reut la visite de vingt et un de nos compatriotes. En 1897 des dlgus gallois furent envoys Dublin pour participer la restauration du Feiz-Coil. A l'htel de ville de Dublin, sous la prsidence du lord-maire Sir James Henderson, Lord Castletown, descendant des anciens rois celtes, fit entendre ces paroles :

    La Ligue panceltique, qui a pris l'initiative du Congrs, se propose uniquement de runir des reprsentants des Celtes de toutes les parties du monde, pour manifester aux yeux de l'univers leur dsir de prserver leur nationalit et de cooprer garder et dvelopper les trsors de langue, de littrature et d'art que leur lgurent leurs communs anctres.

    Des associations celtiques se fondaient en France, l'enseignement suprieur faisait une place l'histoire et la littrature celtiques. Des chaires spciales taient fondes la Sorbonne, au Collge de France, en 1870 Rennes et Poitiers.

    La Revue celtique fut cre et n'a pas cess de paratre, Paris, sous la haute direction de Gaidoz et de d'Arbois de Jubainville. Aprs la publication des oeuvres clbres d'Henri Martin, Jean Reynaud, A. Thierry, un marin illustre, l'amiral Rveillre, pouvait crire :

    Il est dans l'ordre des choses que les Celtes, un jour ou l'autre, se groupent suivant leurs affinits, se constituent en fdrations pour la dfense de leurs frontires naturelles et pour la propagation de leurs principes. Il faut que le panceltisme devienne une religion, une foi... L'oeuvre de notre poque est double. C'est d'abord le renouvellement de la foi chrtienne

    5 D'aprs LE GOFFIC, l'Ame bretonne, t. I, p. 370. Champion, diteur.

  • 10 LE GENIE CELTIQUE ET LE MONDE INVISIBLE ente sur la doctrine celtique de la transmigration des mes, doctrine seule capable de satisfaire l'intelligence par la croyance en la perfectibilit indfinie de l'me humaine dans une srie d'existences successives. La seconde est la restauration de la patrie celtique et la runion en un seul corps de ses membres aujourd'hui spars.

    La France a envoy parfois ces Eisteddfodau d'illustres reprsentants. On y a vu successivement MM. Henri Martin, Luzel, H. de la Villemarqu, de Blois, de Boisrouvray, Rio de Francheville et, plus rcemment, MM. Le Braz, Le Goffic, etc. Partout, les dlgations franaises furent reues en grand honneur, loges en des chteaux ou en de riches maisons bourgeoises. Lorsqu'elles dfilaient dans les rues des antiques cits galloises ou l'entre des Eisteddfodau, ses sonneurs de biniou en tte jouant l'air national gallois la Marche des hommes de Harlech, les foules leur faisaient ovation. Pourtant, quel contraste avec ces dlgations cossaises, composes de ces higdlanders de haute stature, avec leurs puissantes cornemuses, et comme prs d'elles nos binious avaient pitre mine !

    A propos de cette Marche des hommes de Harlech M. Le Goffic rappelle un fait historique assez touchant. A la bataille de Saint-Cast, lorsque l'arme anglaise dbarquait sur les ctes de Bretagne, une compagnie de fusiliers gallois s'avanait la rencontre des hommes du duc d'Aiguillon qui dfendaient le sol national. Des rangs de ceux-ci un chant s'leva dans lequel les Gallois reconnurent l'hymne celtique. Aussitt, ils s'arrtrent hsitants, tonns. L'officier anglais qui les commandait les interpella rudement, leur disant : Avez-vous peur ? - Non, rpondirent-ils, mais l'air que chantent ces gens nous avons reconnu des hommes de notre race. Nous aussi, nous sommes Bretons6 !

    La musique celtique, d'une mlancolie pntrante, est riche et varie ; ses hymnes, ses mlodies, ses chants populaires sont fort anciens et M. Le Goffic est port croire que les grands compositeurs allemands y ont fait de notables emprunts. Il est certain que Haendel a habit longtemps l'Angleterre et a connu les mlodies populaires galloises et cossaises. Certains morceaux de Haydn et de Mozart ressemblent de trs prs des airs anciens remontant deux ou trois sicles.

    Ces Eisteddfodau, par leur crmonial, ont pu paratre surannes et susciter les railleries de certains critiques ignorants, mais voici ce qu'crit ce sujet un tmoin oculaire7 :

    Ceux qui ont vu dans le cercle de pierres sacres se lever l'archidruide, grand vieillard blanc au pectoral d'or massif, la tte ceinte d'un feuillage de chne bronz, et qui l'ont entendu psalmodier sur la foule, incline et dcouverte, la prire solennelle du Gorsedd, ceux qui ont fait attention surtout l'motion religieuse de cette foule, au vaste sanglot qui la secouait, quand le hrault droulait la liste funbre des bardes dcds, puis l'enthousiasme qui la redressait et l'illuminait toute, quand ce mme hrault entonnait l'air national gallois : la Terre des Anctres, repris l'unisson par un choeur formidable de vingt mille voix, ceux-l n'ont plus souri du spectacle et ont compris la magie puissante, la fascination mystrieuse qu'il continue d'exercer sur l'me impressionnable des Gallois.

    Depuis la grande guerre la propagande celtique a pris un nouvel essor. La Ligue celtique irlandaise organisa des ftes et des runions solennelles priodiques, d'abord Dublin, puis dans chacune des villes d'Irlande. Dans le pays de Galles, plusieurs Eisteddfodau se sont succds. Celle de 1923 fut prside par l'archidruide de Galles assist d'un archidruide australien et d'un autre de la Nouvelle-Zlande.

    Ces dtails nous dmontrent que le mouvement celtique s'est propag jusqu'aux antipodes. Partout les foules celtiques se portent avec passion ces assembles o on se livre des

    6 Voir LE GOFFIC, l'Ame bretonne, t. II, p. 289. 7 LE GOFFIC, l'Ame bretonne, t. I, p. 371.

  • PANCELTISME. 11 joutes potiques et musicales, des improvisations oratoires. Et par ces manifestations se renouvellent et s'affirment sans cesse la vitalit de la race, sa volont de rester unie dans une pense haute et grave, unie dans un idal commun !

    Ainsi se ralise le rveil celtique prvu par les bardes. A travers les dures vicissitudes de son histoire, la race celtique a toujours affirm sa volont de vivre, sa foi inbranlable en elle-mme et dans son avenir et cela surtout aux heures o tout semblait perdu. Mais son oeuvre est purement pacifique. Ce qui s'agite au fond de son me, ce n'est pas un besoin de puissance matrielle, c'est seulement le sentiment de sa noble origine et celui de ses droits.

    Ainsi que l'a dit Lord Castletown : L'ide celtique est une ide de concorde et de fraternit et cela est crit partout dans les lgendes et les dogmes philosophiques de la race.

    Tous les initis savent que le Celtisme rnovateur apportera l'Europe ce complment de la science et de la religion qui lui fait dfaut, c'est--dire une connaissance plus haute du monde invisible, de la vie universelle et de ses lois. C'est l, en effet, le seul moyen d'attnuer le dclin des races blanches en orientant leur volution vers un but plus lev et de meilleurs destins.

  • CHAPITRE II -

    L'IRLANDE

    L'histoire de l'Irlande travers les sicles n'a t qu'un long martyrologe. Les perscutions subies obligrent la moiti de la population s'expatrier, quitter pour des terres lointaines l'le verdoyante si chre aux coeurs celtiques. En moins d'un sicle elle tomba de huit millions quatre millions d'habitants. C'est depuis lors que l'on rencontre des Celtes dans toutes les parties du monde.

    Cette le est cependant, nous l'avons vu, le seul pays o la langue celtique ait revtu un caractre et une forme officielle, Riche, souple, varie dans ses expressions, cette langue a donn naissance une littrature abondante en laquelle se reflte toute l'me irlandaise, mobile, impressionnable, sensible l'excs, passionne pour toutes les grandes causes.

    J'ai suivi pendant quelque temps, au Collge de France, le cours de littrature celtique de d'Arbois de Jubainville. Il y avait parmi nous plusieurs Irlandais qui coutaient avec avidit le rcit des exploits de leur hros national Couhoulainn. Nous suivions le texte galique sur un livre allemand, car il n'existait pas de traduction franaise et cette pnurie ne se rencontre pas seulement - faut-il l'avouer notre honte ? - dans cet ordre d'tudes.

    Le professeur nous enseignait que les manuscrits en langue galique remontent jusqu'au V sicle, et si l'on numre tous ceux qui ont t publis jusqu'au XV on constate qu'ils reprsentent la matire d'un millier de volumes.

    De cette oeuvre touffue se dgagent deux grandes sources d'inspiration auxquelles les crivains irlandais ont eu souvent recours. D'abord, ce sont les Epopes primitives, recueil de faits hroques relatifs la lutte, longue et mouvante, des insulaires contre les Saxons envahisseurs et oppresseurs. C'est l que les combattants de la dernire guerre d'indpendance puisaient les exemples et le souvenir qui enflammaient leur courage, entretenaient leur enthousiasme patriotique.

    Puis, c'est l'Histoire lgendaire des bardes et les Triades qui, dans l'ordre philosophique et religieux, sont comme une sorte de Bible pour le monde celtique et dont la paternit est commune l'Irlande et au pays de Galles. Elle ne fut fixe par l'criture qu'au VIII sicle, ou du moins on ne possde pas de manuscrits plus anciens. Mais il est tabli que ces chants et ces Triades taient transmis oralement de bouche en bouche, depuis des sicles, et que leur origine se perd dans la nuit des temps ; on sait que l'enseignement sotrique des Druides tait rserv aux seuls initis et qu'on ne pouvait le transcrire que sous la forme d'une criture vgtale, symbolique, dont le secret n'tait communiqu qu'aux adeptes.

    Ce fut seulement lorsque le pouvoir des druides eut pris fin et que les bardes furent perscuts qu'on songea recueillir cet enseignement et le livrer la publicit.

    *

    * * On retrouve la trace de ces hautes inspirations dans toute l'oeuvre littraire de l'Irlande,

    jointe ce culte ardent de la nature qui est une des formes du gnie celtique. Sa riche posie reflte le charme pntrant de cette le verdoyante avec ses forts profondes, ses lacs sombres, ses horizons brumeux et les ctes abruptes, dchiquetes, o le flot jette sa plainte ternelle.

    Partout flottent des essaims d'mes : lutins, gnomes, farfadets, gnies tutlaires ou malfaisants auxquels se mlent les mes des morts, les esprits des dfunts que leur fluide matriel, leurs passions, leurs haines, leurs amours enchanent la terre et qui errent dans

  • L'IRLANDE. 13 l'attente d'une rincarnation nouvelle, car, sur ce point, les textes sont formels, l'Irlande croyait la pluralit des existences humaines.

    A toutes les poques, et plus peut-tre qu'aucun autre pays, l'Irlande a donc eu l'intuition, le sens intime et profond de la vie invisible, du monde occulte, de cet ocan de forces et de vie, peupl de foules innombrables dont l'influence s'tend sur nous et, selon nos dispositions psychiques, nous protge ou nous accable, nous attriste ou nous ravit.

    C'est pourquoi, dans l'histoire de l'Irlande - comme en Ecosse - les sorcires jouent un grand rle. Les saints eux-mmes possdent des pouvoirs mystrieux qu'on pourrait assimiler au magntisme et au don de la mdiumnit. Pour s'en convaincre, on peut lire les biographies de saint Patrich et de saint Colomban, patrons de l'le.

    Deux belles et nobles figures se dtachent de la foule des crivains et des potes irlandais contemporains. Car c'est une vritable foule qu'un subtil crivain : S. Try, passe en revue dans sa consciencieuse et captivante tude sur le mouvement littraire dans l'le8.

    De ces deux grandes figures l'une est celle de W. B. Yeats qui est considr comme le chef de la renaissance des lettres irlandaises et le plus grand des potes de langue anglaise de notre temps. Pntr d'influences galiques, il puise son inspiration aux antiques sources nationales, exprime l'me nostalgique et passionne de l'Irlande.

    Etant entr dans l'intimit du grand pote, S. Try le dfinit d'une faon originale : Yeats et sa femme, comme tant d'Irlandais, sont des adeptes des sciences occultes, ces gens-l s'entretiennent d'esprits et de fantmes comme ils feraient de vieilles connaissances, ils se penchent curieusement sur les abmes de l'inconnu, ils se meuvent avec ravissement au milieu des phnomnes mystrieux desquels nous nous dtournons, parce que nous frissonnons de ce que nous ne comprenons pas. Sa muse, parce qu'elle est celte, aime s'envelopper de voiles. Toute l'oeuvre de Yeats est pntre d'un vague mysticisme, elle se ressent de l'intrt que lui ont inspir la thosophie, les sciences occultes.

    Un autre crivain d'un haut talent exerce une influence non moins considrable sur son pays ; c'est Georges Russell, considr comme la conscience de l'Irlande . S. Try nous le prsente en ces termes :

    Par l'ascendant d'une personnalit magntique, d'une vie pure, d'une me parfaite, il a runi autour de lui tout ce qu'il y avait d'intelligent et de noble en Irlande, il a multipli l'inspiration de tous, il leur a communiqu sa flamme.

    Le mysticisme de Yeats est plutt potique, instinctif, celui de Russell est conscient, rflchi. Des vagues aspirations sentimentales de la race celte vers l'inconnu, le mystre du monde, Russell a fait une philosophie, un principe d'action. Lui aussi est un adepte des sciences occultes, mais, chaque fois qu'on l'interroge sur ses rapports avec l'invisible, il se montre plein de discrtion. Lorsqu'on le presse, il dit seulement : Ce que je sais est peu de chose, j'ai dcouvert que la conscience peut exister en dehors du corps, qu'on peut parfois voir des gens qui sont trs loin, qu'on peut mme leur parler des centaines de kilomtres : on m'a parl moi-mme de cette faon. Je sais par exprience que des tres sans corps physiques peuvent agir sur nous profondment. L'un d'eux a vers de la vie en moi, et tant que cela a dur, il me semblait tre fouett d'lectricit. Je suis convaincu que je me souviens de vies passes, et j'en ai caus avec des amis qui s'en souvenaient galement : nous avons mme parl ensemble des endroits o nous avions vcu. Et j'ai vu aussi des tres lmentaires, et je les ai regards avec ceux qui taient mes compagnons de dcouverte9...

    8 S. TERY, l'Ile des Bardes. Flammarion, diteur. 9 S. TERY, l'Ile des Bardes, p. 113.

  • 14 LE GENIE CELTIQUE ET LE MONDE INVISIBLE L'oeuvre de Russell est riche en chappes sur l'Infini et sur l'Au-del. C'est ainsi qu'il crit

    en tte de son premier livre, Vers la Patrie : Je sais que je suis un Esprit et que je suis parti autrefois du Moi ancestral vers des tches non encore acheves, mais toujours rempli de la nostalgie du pays natal. Et il affirme les existences successives qui sont autant d'tapes conduisant vers la sagesse, la purification dans l'essence divine .

    A ces deux noms d'crivains, Yeats et G. Russell, justement clbres, nous pourrions en ajouter un grand nombre d'autres moins connus, car la littrature de l'Irlande est une des plus riches de l'Europe par la varit et la valeur des ouvrages qui la composent. Elle exprime avec une sensibilit exquise, en mme temps qu'une grande force, les aspirations, les rves, les joies et les angoisses de l'me celtique.

    A travers l'histoire dramatique de cette le qui a su, par ses seuls moyens, et sans aucun secours du dehors, reconqurir son indpendance, on retrouve, sous la plume de ses crivains, ce mme got des mystres de l'Au-del, du sens cach des choses, de ce sentiment profond de l'occulte qui caractrise cette race.

    Sous les voiles du Christianisme parat l'me primitive des anciens Celtes. Elle vibre dans la posie galique comme les cordes de la harpe d'Ossian. Le monde invisible est pour ses bardes une ralit vivante, et s'il leur arrive parfois de lui prter des noms et des formes fantaisistes, ils ne reconnaissent pas moins, sous ses aspects divers et changeants, la survie et l'immortalit de l'me humaine.

    Pourtant, de nos jours, le sentiment de l'occulte a pris en Irlande des contours plus nets et plus prcis. Il a revtu une forme exprimentale en devenant une science, une mthode qui a ses rgles et ses lois. Dans ce pays, comme dans tout l'Occident, les phnomnes d'outre-tombe sont maintenant observs, tudis par des techniciens familiariss avec les procds de laboratoire, et qui poursuivent ces expriences dans un rigoureux esprit de contrle avec une attention scrupuleuse.

    Les rsultats obtenus par le professeur Crawford de Belfast, avec Miss Goligher, ont eu un grand retentissement. Mais l'oeuvre la plus importante dans cet ordre de faits est certainement celle de Sir W. Barrett, professeur l'Universit de Dublin, membre de l'Acadmie royale des sciences, et l'un des fondateurs de la Socit des recherches psychiques de Londres, dont il fut prsident honoraire. Son livre Au Seuil de l'Invisible, traduit en franais et publi en 1923, est l'un des plus remarquables qui ait t crit sur ce vaste sujet10. Il rsume, sous une forme claire et avec une grande profondeur de vues, les fruits d'un demi-sicle d'observations et d'expriences. Nous ne saurions trop en recommander la lecture, tout en nous bornant en citer les belles conclusions :

    Le changement le plus radical de la pense depuis l're chrtienne suivra probablement l'acceptation par la science de l'immanence du monde spirituel. La foi cessera de chanceler en s'efforant de concevoir la vie de l'invisible, la mort dpouillera la terreur qu'elle inspire aux coeurs chrtiens eux-mmes, les miracles ne paratront plus les reliques superstitieuses d'un ge barbare. Au contraire, si comme je le crois, la tlpathie est indiscutable, si les tres de la cration s'impressionnent l'un l'autre sans la voix ni la parole, l'Esprit Infini dont l'ombre nous couvre se sera sans doute rvl au cours des sicles aux coeurs humains capables de lui rpondre.

    A quelques mes privilgies furent donnes l'oue intrieure, la clairvoyance, la parole inspire, mais tous nous percevons parfois une voix au-dedans de nous-mmes, faible cho de cette vie plus large que l'humanit exprime lentement, mais srement, mesure que les sicles s'coulent. Pour ceux mmes qui tudieront ces phnomnes au seul point de vue scientifique, le gain sera immense en rendant plus vidente la solidarit humaine, l'immanence de

    10 Librairie Payot, 106, boulevard Saint-Germain, et aux Editions Jean Meyer, 8, rue Copernic, Paris.

  • L'IRLANDE. 15 l'invisible, la domination de la pense et de l'esprit, en un mot, l'unit transcendante et la continuit de la vie.

    Nous ne sommes pas spars du Cosmos ni perdus en lui : la lumire des soleils et des toiles nous arrive, la force mystrieuse de la gravitation unit les diffrentes parties de l'univers matriel en un tout organique ; la plus petite molcule et la trajectoire la plus lointaine sont assujetties au mme milieu. Mais au-dessus et au-del de ces liens matriels est la solidarit de l'esprit. De mme que la signification essentielle et l'unit d'un rayon de miel ne sont pas dans la cire des cellules, mais dans la vie et le but commun de leurs constructeurs, de mme le vrai sens de la nature n'est pas dans le monde matriel, mais dans l'esprit qui lui donne son interprtation, qui supporte et unit, qui dpasse et cre le monde phnomnal travers lequel chacun de nous passe un instant.

  • CHAPITRE III -

    LE PAYS DE GALLES. L'ECOSSE. L'OEUVRE DES BARDES

    C'tait une terre grave, austre, imposante que ce pays de Galles avant que l'industrie moderne l'ait hriss de chemines d'usines, perfor d'innombrables trous de mines, ait obscurci son ciel d'paisses fumes. Aujourd'hui encore on peut suivre les traces de l'action des forces souterraines qui ont sculpt ses collines, soulev ses montagnes comme ce Snowdon, ce mont Sacr qui domine toute la rgion, dpasse mille mtres d'altitude et dont l'origine volcanique est vidente.

    Partout les coules de laves et de porphyre alternent avec des roches et des terrains ruptifs et forment ces couches bouleverses que la gologie dsigne par le nom de cambriens qui fut le nom primitif de la rgion.

    Au relief de leurs montagnes les Galles du Nord joignent la grce des valles et l'abondance des torrents.

    L'Ecosse elle aussi a connu et conserv la trace des manifestations de cette puissance qui a soulev ces cimes abruptes. C'est elle qui a dress ces murailles de granit, de basalte, de porphyre qui bordent le canal caldonien et se prolongent jusqu' la cte d'Irlande sous la forme d'une colonnade immense connue sous le nom de Chausse des gants .

    L'Ecosse a de plus la posie, la beaut triste et svre de ses lacs, de ses landes et de ses plateaux solitaires, parsems de bruyres roses et de mousses de toutes couleurs. La partie septentrionale est hrisse de pics, souvent envelopps de brume, mais si imposants lorsqu'ils s'clairent de la pourpre du couchant ou des rayons blafards de la lune.

    Ajoutons les pninsules escarpes qui se prolongent au loin dans la mer, les promontoires sans cesse battus des vagues et on aura une ide de cette nature formidable o se ramifie la chane matresse qui sert de colonne vertbrale la Grande-Bretagne. Une longue guirlande d'les enserre les Hautes Terres d'Ecosse, l'une d'elles, Staffa, possde la clbre grotte de Fingall, semblable un temple et o chaque jour la mare montante fait entendre sa mlope plaintive.

    La race souple et forte qui s'est adapte ces pays semble avoir puis en eux, dans leur nature grandiose, les qualits viriles qui la distinguent et par-dessus tout cette volont inbranlable qui, travers les temps d'preuves, conserve malgr tout l'esprance d'une renaissance et d'une vie ternelle.

    La cause de ce phnomne nous est rvle par l'esprit d'Allan Kardec dans un des messages que nous publions. Il provient du courant celtique qui, ds les temps primitifs, s'est rpandu sur le Nord-Ouest de l'Europe, en a imprgn profondment le sol, d'o son magntisme a ragi sur ses habitants et de proche en proche sur les gnrations qui s'y sont succdes11.

    Il faut remarquer, en effet, que les Anglais et les Saxons qui sont venus de l'Est ont un caractre tout diffrent, plus positif et pratique et moins port vers l'idal. Si par exception on rencontre parmi eux des natures plus idalistes, il est rare qu'elles ne se rattachent pas par des liens antrieurs quelque origine celtique. Tels sont par exemple de nos jours, Conan Doyle et Bernard Shaw et tant d'autres, tout Anglais qu'ils soient de culture et de langue, n'en proviennent pas moins d'une souche irlandaise.

    Malgr de longues, ternelles perscutions, les Anglo-Saxons ne sont jamais parvenus dompter le sentiment national, le caractre ethnique des Gallois et des Ecossais. Bien loin de

    11 Voir la fin du volume les messages d'Allan Kardec sur le courant celtique.

  • LE PAYS DE GALLES, L'ECOSSE. 17 se les assimiler ils ont t plutt assimils par eux chaque fois qu'ils sont entrs en contact permanent. C'est ainsi que les ouvriers anglais, attirs dans le pays de Galles par l'industrie des mines, adoptent rapidement les habitudes et mme le langage de ce pays.

    Grce son nergie persistante, la principaut de Galles a su garder son autonomie administrative ainsi que de larges franchises pour ses coles, collges et universits et mme pour son Eglise nationale. Elle a conserv sa langue et sa littrature de telle faon que la ville de Cardiff et le comt de Glamorgan sont devenus les foyers les plus intenses de la propagande celtique o s'impriment et se publient toutes les oeuvres des bardes anciens et modernes.

    C'est de l qu'est parti le premier signal du mouvement panceltique qui runit tous les ans des dlgus venus de tous les points de l'horizon pour fraterniser dans un mme esprit et un mme coeur.

    Si le ressort vital d'un peuple c'est son me, sa foi dans une justice immanente et un au-del compensateur on peut dire que les Gallois en sont pntrs de telle sorte que leur conviction rejaillit sur tout leur tat moral et social. En effet, on y voit une chose assez rare en France, c'est que les tribunaux se sparent souvent sans avoir d'accuss et de coupables juger. L'alcoolisme, ce flau des pays celtiques, y est aussi en dcroissance. On retrouve ces mmes faits en Ecosse un moindre degr.

    * * *

    Les Gallois, en gnral, croient fermement au monde des Esprits et leurs manifestations. Ils leur prtent parfois des noms et des formes assez fantaisistes. Leurs rcits laissent une large place l'imagination. Cependant, de l'ensemble des faits relats se dgage une srie de tmoignages qu'on ne saurait rcuser.

    Par exemple en ce qui concerne les esprits frappeurs de la mine ces tres invisibles qui, par leurs coups sourds, prolongs, rpts, encouragent les mineurs et dirigent leurs recherches vers les meilleurs filons ; voici le rapport rdig ce sujet par l'ingnieur Merris, homme grandement estim pour son savoir et sa probit, publi sur la revue Gentleman's Magazine12 :

    Des personnes qui ne connaissent pas les arts et les sciences ou le pouvoir secret de la nature se moqueront de nous autres, mineurs du Cardigan, qui soutenons l'existence des Frappeurs. C'est une espce de gnies bons mais insaisissables qu'on ne voit pas, mais qu'on entend et qui nous semblent travailler dans les mines, c'est--dire que le Frappeur est le type ou le prcurseur du travail dans les mines comme les rves le sont de certains accidents qui nous arrivent : Quand fut dcouverte la mine de Esgair y Myn, les Frappeurs y travaillaient vigoureusement nuit et jour et un grand nombre de personnes les ont entendus. Mais aprs la dcouverte de la grande mine on ne les entendit plus. Lorsque je commenai fouiller les mines d'Elwyn-Elwyd les Frappeurs travaillrent si fort pendant un temps qu'ils effrayrent de jeunes ouvriers. C'tait lorsque nous poussions des niveaux et avant d'arriver au minerai que les bruits avaient le plus de consistance : ils cessrent quand nous atteignmes le minerai. Et sans doute on discutera nos assertions. J'affirme cependant que les faits sont rels quoique je ne puisse ni ne prtende les expliquer. Les sceptiques peuvent sourire ; pour nous mineurs nous n'en continuerons pas moins de nous rjouir et de remercier les Frappeurs ou plutt Dieu qui nous envoie leurs avertissements.

    12 LE GOFFIC, l'Ame bretonne, 2 srie, p. 273.

  • 18 LE GENIE CELTIQUE ET LE MONDE INVISIBLE Les phnomnes de hantise ne sont pas rares dans le pays de Galles. On cite volontiers

    telle maison, tel chteau qui les ont connus et subis. M. Le Goffic, dans son voyage Cardiff comme dlgu breton la grande Eisteddfodd de 1899, a recueilli toute une srie de rcits de ce genre qu'il a publis dans son livre sur l'Ame bretonne.

    La plupart de ces rcits nous semblent trs entachs de superstition. Pourtant nous croyons devoir relever un tmoignage srieux, celui de Lady Herbert, l'illustre patriote galloise, descendante des anciens rois Kymris, qui recevait la dlgation dans son chteau de Llanover.

    M. le Goffic cite l'entretien qu'il eut sur ce sujet avec cette grande dame : L'exemple vient de haut. Ne dit-on point en Angleterre que la reine elle-mme a son

    spectre qui rde dans les appartements de Windsor ? Et ce spectre drap de noir n'est autre que celui de la grande Elisabeth.

    Le lieutenant Glynn, de faction dans la bibliothque, l'aperut comme le fantme pntrait dans la pice attenante. Or cette pice n'a plus de sortie, mais elle en avait une autrefois du vivant d'Elisabeth et qui a t condamne depuis. Le lieutenant courut aprs le fantme et arriva juste temps pour le voir s'enfoncer dans la boiserie. Le fait se reproduisit diverses reprises et la frayeur fut si grande Windsor qu'on dut doubler la garde de nuit.

    Windsor a sa dame noire, mon chteau de Cold Brooks a sa dame blanche. Vous demandez quoi riment ces apparitions ? Tantt, comme l'Eglise nous l'explique, ce sont des mes en peine qui sollicitent la piti des vivants oublieux. Tels autres de ces spectres font le rle d'avertisseurs. C'est le cas, je crois, pour la dame noire de Windsor : sa prsence annonce toujours quelque grave vnement, une guerre, une catastrophe prochaine.

    Les avertissements, ou, comme vous dites en Bretagne, les intersignes revtent toutes les formes. Quelquefois ces formes sont spciales certaines familles. Les Grey de Ruthwen sont avertis de la mort de leurs membres par l'apparition d'une voiture quatre chevaux noirs. La famille Airl, quand un des siens est sur le point de mourir, entend un roulement de tambour. Dans un dner auquel assistait un de ces Airl on demandait par passe-temps : Quel est donc l'intersigne de votre famille ? - Le tambour. Et comme pour attester le fait, un roulement sourd et voil gronda dans le lointain, Lord Airl plit : quelques instants aprs, un messager venait lui annoncer qu'un des membres de sa famille tait mort. Les Mac-Gwenlyne, descendants du clbre clan de ce nom, possdent depuis des sicles, dans le Nord de l'Ecosse, le vieux manoir de Fairdhu : une grande vote cintre y donne accs et l'on prtend que la pierre qui sert de clef cette vote se met trembler quand un Mac-Gwenlyne va mourir13...

    Les cas de chteaux et de lieux hants sont si nombreux en Ecosse que nous renonons les citer tous. On sait que ce pays est la terre classique des voyants, des fantmes, des esprits familiers. L'aspect mlancolique de ses sites voils de brume et de ses ruines se prtent aux visions et aux vocations.

    Encore de nos jours, l'ombre de Marie Stuart n'apparut-elle pas Lady Caithness, duchesse de Pomar, dans la chapelle royale de Holy-Rood o s'alignent les tombes des rois d'Ecosse ? Dans sa somptueuse demeure de la rue Brmontier, Paris, les jours de sances psychiques, la duchesse se plaisait nous raconter son entretien nocturne avec la reine infortune14.

    *

    * *

    13 LE GOFFIC, l'Ame bretonne, p. 203. 14 Voir sa brochure : Une Visite nocturne Holy-Rood.

  • LE PAYS DE GALLES, L'ECOSSE. 19 L'Ile de Man nous offre aussi un bel exemple de rsurrection celtique. Elle possde un

    parlement autonome, une socit prservatrice du langage Manx, des journaux, des services religieux de Manx, des coles, etc.

    Quant la Cornouaille anglaise, son dialecte, le cornique, n'est pas aussi teint qu'on le prtend, nombre de familles le parlent encore.

    Le Cornubien, crit Le Goffic, comme le Breton de France, qu'il rappelle si trangement, est rest en communication permanente avec l'Au-del. Il vit comme lui dans une sorte de familiarit douloureuse avec les esprits des morts, il les consulte, il les entend et il les comprend.

    * * *

    Le pays de Galles est considr comme le plus ancien et le plus important des foyers ou coles du bardisme. Voici ce qu'crit ce sujet Jean Reynaud dans son bel ouvrage l'Esprit de la Gaule (p. 310) :

    On peut dire que les Druides, tout en se convertissant au Christianisme, ne se sont pas teints totalement dans le pays de Galles, comme dans notre Bretagne et dans les autres pays de sang gaulois. Ils ont eu pour suite immdiate une socit trs solidement constitue, voue principalement, en apparence, au culte de la posie nationale, mais qui sous le manteau potique a conserv avec fidlit l'hritage intellectuel de l'ancienne Gaule : c'est la Socit bardique du pays de Galles, qui s'est maintenue comme socit tantt secrte, tantt patente, depuis la conqute normande, et, aprs avoir primitivement transmis par voie orale sa doctrine l'imitation de la pratique des druides, s'est dcide dans le courant du moyen ge confier secrtement l'criture les parties les plus essentielles de cet hritage.

    En ralit le barde est un pote, un orateur inspir. On peut l'assimiler aux prophtes de l'Orient, ces grands prdestins sur qui passe le souffle de l'invisible.

    A notre poque le titre de barde a perdu de son prestige, par suite de l'abus qu'on en a fait, mais, si l'on remonte au sens primitif du terme on se trouve en prsence de fortes personnalits telles que Talisin, Aneurin, Llywarch-Hen, etc. Aprs tant de sicles leurs mles accents, lorsqu'ils affirment leur patriotisme et leur foi, font encore vibrer les mes celtiques.

    Il ne faut pas voir dans l'oeuvre des anciens bardes un simple exercice de la pense, un jeu de l'esprit, une musique de mots. Leurs vers, leurs chants, sont tout un commentaire et un dveloppement des Triades, un enseignement, un art qui ouvre des perspectives immenses aux destines de l'me en l'levant vers Dieu. Il confre ses interprtes une sorte d'aurole et d'apostolat.

    Cet enseignement est en avance considrable sur les temps qui vont suivre. Prenons par exemple le Chant du monde, de Talisin15 : Grand voyageur est le monde, dit ce barde, tandis qu'il glisse sans repos, il demeure toujours dans sa voie et combien la forme de cette voie est admirable pour que le monde n'en sorte jamais ! Il dcrit la course du globe travers l'espace longtemps avant les dcouvertes de Galile qui mirent fin l'antique prjug biblique de l'immobilit de la terre.

    Quelles que soient les contestations qui se sont leves sur la date exacte de ces oeuvres, on ne peut douter qu'elles ne soient de beaucoup antrieures la science du moyen ge et il en est de mme de l'ensemble des Triades affirmant la nature spirituelle de l'tre humain, l'volution de l'me par tapes successives travers des vies renaissantes, vrit que la science actuelle commence seulement entrevoir.

    15 Barddas cad. Goddeu.

  • 20 LE GENIE CELTIQUE ET LE MONDE INVISIBLE Ces inspirs taient aussi des voyants. Leurs facults psychiques leur permettaient de

    plonger dans l'avenir et d'y lire les vicissitudes, les revers, les preuves douloureuses qui attendaient les peuples celtes. Mais ils savaient que l'idal grav en eux ne peut prir : Ils savaient que la souffrance trempe les mes et que plus tard ces peuples rendraient aux civilisations perverties par les excs du matrialisme, le concept lev qui fait toute la valeur de la vie et montre l'homme la voie droite et sre.

    Les grands anctres sont revenus plus d'une fois sur la terre, soit en Angleterre, soit en France, en des corps nouveaux. Ils ont port des noms illustres que nous pourrions citer. Mais on a tant abus des noms clbres que nous prfrons laisser aux chercheurs le soin de les reconnatre parmi ceux qui ont port bien haut, travers les sicles, le flambeau de l'art potique et de la pense radiante.

  • CHAPITRE IV -

    LA BRETAGNE FRANAISE. - SOUVENIRS DRUIDIQUES

    Notre Bretagne a t trop souvent dcrite pour que je m'attarde voquer ses paysages. Terre de granit, avec ses forts profondes, ses landes immenses, ses ctes dchiquetes que le flot ronge incessamment, l'Armorique a t longtemps en Gaule le refuge des Druides, la citadelle du Celtisme indpendant. Puis, le Christianisme y a pntr, mais, de mme que les couches gologiques se superposent sans se dtruire, ainsi le fond primitif a persist, sous les apports du culte nouveau. Sous mille formes, la tradition ethnique reparat sous les voiles d'une religion importe de l'Orient.

    Car sur cette terre d'lection, aux poques les plus diverses et sous les formes les plus varies, c'est toujours la mme pense grave et solennelle qui se droule. Depuis les pierres mgalithiques de Carnac, menhirs et dolmens, jusqu'aux ossuaires et calvaires, glises gothiques et clochers jours, c'est toujours le mme symbole d'immortalit qui s'affirme, la mme aspiration de ce qui passe vers ce qui demeure, en un mot de l'me humaine vers l'infini.

    Plus qu'aucune autre partie de l'ancienne Gaule, la Bretagne a conserv la ferme croyance l'Au-del, sa vie invisible, la prsence et aux manifestations des dfunts. Si le scepticisme et l'esprit critique se sont glisss dans certaines villes, par contre les campagnes et les les ont gard le sentiment d'une intense spiritualit. Lorsque la rumeur de l'Ocan s'lve et gronde, dans les replis de la cte, lorsque le vent passe en gmissant sur la lande, agitant les gents et les ramures, l'me bretonne, au fond des chaumires, croit entendre la voix des morts pleurant sur leur pass.

    A l'poque o je parcourais en touriste les campagnes du Finistre, j'avais pris un homme du pays pour guide, ou plutt pour interprte, car je ne connaissais qu'imparfaitement le dialecte alors fort en usage dans cette rgion recule. Or, un jour, nous rendant Kergreven, je m'tais engag dans un chemin creux bord de chnes nains, comme tant le plus court, d'aprs la carte d'tat-major que j'avais toujours sur moi. Mais mon guide m'arrta brusquement et me dit avec une sorte d'effroi qu'on ne passait plus depuis deux ans dans ce chemin, qu'il fallait faire un grand dtour. J'eus beaucoup de peine obtenir de lui des explications claires et enfin il finit par m'avouer qu'un cordonnier de Lampaul s'tant pendu dans ce chemin, son esprit hantait encore les passants et que l'on avait renonc utiliser cette voie. Je passais outre en lui demandant de me dsigner l'arbre du suicide, il le fit avec force signes de croix et gestes d'inquitude.

    M. Le Braz, dans son livre la Lgende de la mort chez les Bretons Armoricains, cite le cas d'un fossoyeur qui, ayant par ordre du cur de Penvman, viol la spulture d'un mort avant le terme lgal, reut la visite nocturne et les reproches de l'esprit du dfunt qui ne cessa sa hantise que sous bnfice de prires prononces son intention. Malgr cette rparation le cur mourut quelques jours aprs et l'opinion publique en attribua la cause la vindicte du mort.

    Autre fait signal par le mme auteur : Marie Gouriou, du village de Min-Guenn prs Paimpol, s'tait couche un soir aprs avoir plac prs de son lit le berceau o dormait son enfant. Rveille dans la nuit par des pleurs, elle vit sa chambre claire d'une lumire trange et un homme pench sur l'enfant, le berait doucement en lui chantant mi-voix un refrain de matelot.

    Elle reconnut son mari, parti depuis un mois pour la pche en Islande, et remarqua que ses vtements ruisselaient d'eau de mer. Comment, s'cria-t-elle, tu es dj de retour, prends

  • 22 LE GENIE CELTIQUE ET LE MONDE INVISIBLE donc garde, tu vas mouiller l'enfant... Attends je vais me lever pour allumer du feu. Mais la lumire s'tant vanouie, quand elle eut allum elle constata que son mari avait disparu.

    Elle ne devait plus le revoir. Le premier btiment revenant d'Islande lui apprit que le navire o il s'tait embarqu avait pri corps et biens, la nuit mme o Gouriou lui tait apparu pench sur le berceau de son fils.

    On trouve dans les diffrents ouvrages de M. Le Braz, professeur la Facult des lettres de Rennes, nombre de phnomnes du mme ordre. Voici comment il s'exprime ce sujet dans la prface du livre cit : La distinction entre le naturel et le surnaturel n'existe pas pour les Bretons, les vivants et les morts sont au mme titre des habitants du monde et ils vivent en perptuelle relation les uns avec les autres. On ne s'tonne pas plus d'entendre bruire les mes dans les ajoncs que d'entendre les oiseaux chanteurs chanter dans les haies leurs appels d'amour.

    Il est vrai que les rcits de ce genre sont trs communs en Bretagne, mais il faut ajouter que l'imagination populaire mle trop souvent au monde rel des esprits, des crations fantastiques. Non seulement pour elle, ce sont les mes des morts mais aussi des lutins, Korigans, Folliked, etc., qui frquentent les demeures des hommes ainsi que les landes, les grves et les bois, de telle sorte qu'il est parfois trs difficile de faire la part de la vrit dans tous les rcits que l'on change la veille au coin de l'tre.

    Ce n'est pas seulement dans l'expression des vues et des sentiments populaires, mlangs de vrits et d'illusions, qu'il faut chercher la pense matresse de la Bretagne. C'est surtout dans les oeuvres de ses crivains, de ses potes, de ses bardes. Elle vibre dans leurs chants, elle frmit, palpite dans les pages qu'ils ont crites.

    En effet, sous la varit des caractres, des talents et les diffrences de points de vue on retrouve le mme fond commun, le respect d'une tradition qui se perptue d'ge en ge et qui est comme l'me mme de la race.

    Ajoutez chez les grands crivains comme Chateaubriand, Lamennais, Renan, Brizeux et quelques autres le tourment des grands problmes, l'anxit des nigmes de la destine, l'aspiration vers l'infini, vers l'absolu. Ils portent en eux, sur leur front, le signe auguste de tous ceux qui ont cherch sonder le mystre de la vie universelle.

    Au-dessous des grands crivains que nous venons de nommer, les bardes tiennent encore une place honorable, car leur race n'est pas teinte au pays de Bretagne, on en trouve encore des spcimens remarquables. Sans doute ils ne prtendent pas galer les bardes anciens par leur talent ou leur gnie, mais ils s'inspirent de leur idal ; ils ont les mmes mobiles : le patriotisme et la foi. Cette foi, il est vrai, parat plutt catholique que celtique, mais, sous leurs opinions religieuses vivaces, l'tincelle celtique sommeille et il suffirait d'un appel, d'un ressouvenir pour la ranimer.

    Au cours de mes frquents voyages en Bretagne, dans mes entretiens avec des gens du peuple, des artisans, des bourgeois, j'ai pu remarquer que la notion des vies antrieures subsistait au fond des intelligences, demi voile. Il ne saurait en tre autrement chez les bardes modernes qui reprsentent une lite intellectuelle. Ils ne sont pas exclusivement tourns vers le pass mais ils se plaisent aussi contempler l'avenir.

    Ils rvent pour la Bretagne d'une autonomie semblable celle dont jouit le pays de Galles, avec sa langue, sa littrature, ses journaux. Ils rvent de la famille forte, de moeurs plus pures bases sur la tradition ! Ils rvent d'une union troite avec les pays d'outre-mer d'origine celtique allis dans le sentiment d'une destine commune. Ils conservent au fond du coeur une confiance inaltrable dans les destines de la race, dans le triomphe final du celtisme et de ses principes suprieurs : libert, justice, progrs.

    C'est l ce qui leur fait croire une mission sacre, un rle social rgnrateur. C'est l ce qui communique leurs strophes ces accents qui font parfois vibrer l'me populaire. Leur

  • LA BRETAGNE FRANAISE. 23 verbe enflamm suffira-t-il secouer l'indiffrence et galvaniser les foules ? Non certes, car il faudra pour cela l'aide puissante de l'Au-del, le concours actif du monde invisible.

    Remarquons que ce mouvement d'opinion en faveur du rgionalisme n'est pas spcial aux bardes. Les intellectuels de toutes les classes, de tous les partis s'y associent. Ils rclament cette dcentralisation promise par la Rvolution et qui ne s'est pas encore ralise. En Bretagne, le patriotisme local n'est pas exclusif. Tout en respectant les liens qui l'unissent troitement la France, elle veut une place spciale la petite patrie dans la grande et le maintien de cette langue celtique qui est comme le palladium de la race bretonne.

    Le mouvement panceltique n'a donc pas en Bretagne le caractre sparatiste dont certains critiques l'ont accus. C'est peine si, au Congrs de Quimper, en 1924, une infime minorit de congressistes en avaient conu la vague ide. La devise gnrale tait : Franais d'abord, Bretons ensuite16 !

    Le but des dirigeants est de rgnrer la race par un idalisme lev fait la fois d'un christianisme pur et d'un retour aux traditions celtiques dans ce qu'elles ont de plus noble et de plus grand. C'est dans ce sens que tous les celtisants de France et d'ailleurs sympathisent avec ce mouvement.

    L'oeuvre des bardes bretons prsente des clipses et des ingalits. Parfois elle se confine dans la pnombre des gwerz et des gwerziou, champs populaires que d'obscurs improvisateurs vont colporter de village en village, de pardon en pardon, mais parfois aussi elle clate en strophes vibrantes par la voix de ce barde aveugle : Yann-ar-Gwenn, qui en 1792, dans les rues et places de Quimper, ranimait la flamme des enthousiasmes patriotiques chez les plus indiffrents17.

    Parlerons-nous d'un contemporain, de Quellien, qui se disait ironiquement le dernier des bardes et dont la verve intarissable gayait les cafs littraires et les salles de rdaction de Paris ? Aprs avoir cr les dners celtiques qui runissaient tous les ans les Bretons lettrs de la capitale et dont Renan fut le plus bel ornement, il mourut cras par une automobile, en laissant aprs lui une oeuvre touffue, dont deux pices de thtre rythmes dans le dialecte du pays de Trguier, intitules : Annak et Perrinak, qu'il esprait faire jouer dans sa chre Bretagne.

    Chose trange, il semble avoir prvu sa fin tragique, car il crivait ds la prface de sa Bretagne Armoricaine : J'ai le pressentiment que les orages de la vie m'auront dracin avant le temps. Certains ont vu dans cette mort accidentelle une punition d'avoir gar le bardisme dans les cabarets de la butte Montmartre.

    M. H. de la Villemarqu a publi en 1903 un recueil considrable de pomes et chants populaires de la Basse-Bretagne qui a t l'objet de contestations et de critiques interminables ; il s'y trouve cependant des choses fort intressantes, nombre de pices gracieuses et touchantes, de beaux rythmes et de suggestives vocations, en un mot l'expression des joies et des douleurs de tout un peuple.

    Il n'entre pas dans mes vues de rappeler ici les polmiques ardentes survenues propos, des supercheries littraires attribues certains crivains celtisants, encore moins d'y prendre part. Ces dbats et discussions font ressortir tout le parti pris et la passion que des intrts politiques ou religieux peuvent mettre en jeu pour touffer une grande ide qui les gne.

    Par exemple, il importe peu notre sujet que l'pope du roi Arthur et les romans de la Table ronde aient t embellis par l'imagination. Peu importe aussi que le manuscrit des

    16 Voir revue la Bretagne touristique, n du 15 octobre 1924. 17 Voir LE GOFFIC, l'Ame bretonne, vol. I, p. 4 et suiv. Champion, diteur, et H. DE LA VILLEMARQUE,

    le Barzaz-Breiz, Perrin et Cie, diteurs.

  • 24 LE GENIE CELTIQUE ET LE MONDE INVISIBLE pomes d'Ossian soit l'oeuvre de l'avocat Mac-pherson ou que MM. Luzel et de la Villemarqu aient remani et amplifi les chants populaires de la Bretagne.

    Notre but est tout autre. Il ne s'agit pas pour nous de faire de la critique littraire, mais de montrer toute la beaut et la grandeur de la doctrine des druides que l'on a amoindrie plaisir. Pour cela, il nous suffira de nous lever au-dessus des contestations, plus haut que les rivalits d'coles pour nous en rapporter au tmoignage des historiens impartiaux qui ont vcu l'poque mme des druides et les ont mieux connus. C'est ce que nous ferons au cours des chapitres suivants.

    Il est vrai que la lgende de Merlin l'enchanteur aurait pu retenir notre attention, car tels penseurs minents la considrent comme le pome o se refltent le plus brillamment les qualits et les dfauts de l'me celtique. Cependant un examen attentif de tout ce qui a t crit sur ce sujet, nous a dmontr que la part de fiction y est considrable et nous prfrons laisser notre ami Gaston Luce, pote inspir qui prpare sur ce thme un drame lyrique d'une grande envole, le soin d'en faire ressortir tout l'intrt. Nous nous bornerons reproduire ces lignes du clbre crivain Ed. Schur tires de son volume : les Grandes lgendes de France et dans lesquelles il rsume la longue, l'hroque lutte des Celtes contre l'tranger .

    Arthur devint pour tout le moyen ge le type du parfait chevalier. Revanche laquelle les Bretons n'avaient pas pens, mais non moins glorieuse et fconde. Quant Merlin, il personnifie le gnie potique et prophtique de la race, et s'il est rest incompris du moyen ge aussi bien que des temps modernes, c'est d'abord parce que la porte du prophte dpasse de beaucoup celle du hros ; c'est ensuite parce que la lgende de Merlin et le bardisme tout entier confinent un ordre de faits psychiques o l'esprit moderne ne commence pntrer qu'aujourd'hui.

    * * *

    Quand, sous l'inspiration de mon guide, j'explore les couches profondes de ma mmoire pour reconstituer l'enchanement de mes vies passes, si je remonte aux origines, j'y retrouve, non sans motion, les traces de mes trois premires existences vcues sur la plante Terre, dans l'Ouest de la Gaule indpendante.

    Par le souvenir, je revois cette nature encore vierge, demi sauvage, tout imprgne de mystre et de posie et que l'homme, malgr sa prtention de l'embellir, n'a russi qu' mutiler et dpouiller. Je revois ces hauts promontoires battus des temptes, qui se dressent devant les horizons infinis de la mer et du ciel. Je crois encore entendre ces grandes voix de l'Ocan, tantt plaintives, tantt menaantes, et le bruissement de la vague qui va mourir au fond des anses solitaires en traant sur la grve son ourlet d'cume. La vague berceuse n'est-elle pas l'image de la pense humaine, toujours inquite, toujours frmissante et agite ?

    Je revois la fort profonde toute pleine des murmures d'une vie invisible, la fort hante par les Esprits des Anctres qu'attirent les sanctuaires o s'accomplissent les sacrifices et les rites sacrs. Elle tait si vaste, la fort celtique, qu'il fallait des mois entiers pour la traverser ; elle tait si paisse, si touffue, que l't il faisait sombre en plein midi sous ses votes de verdure, imposantes comme des nefs de cathdrale.

    Tout Celte garde au coeur l'amour ardent, imprissable, de la fort. Elle est pour lui un symbole de force et de vie immortelle. Aprs la mort de l'hiver, ne renat-elle pas au printemps, de mme que l'me, aprs un temps de repos, revient sur terre manifester les puissances de vie qui sont en elle ? Sur ce point, comme sur tant d'autres, l'enseignement des druides s'inspirait des spectacles de la nature. Dans l'tude de ses lois, ils trouvaient une source abondante de leons toujours vivantes et parlantes, toujours la porte des hommes et

  • LA BRETAGNE FRANAISE. 25 qui offraient une base solide, une force incomparable leurs convictions, De l aucun doute, nulle hsitation puisque, pensaient-ils, la nature n'est qu'une manation de la volont divine. C'est pour s'tre loign d'elle et avoir mconnu ses lois que, depuis, l'homme a gliss dans le scepticisme et la ngation. Mais alors une foi frache et pure montait des mes comme la source limpide jaillit du sol sous la ramure des grands bois. Esprit fougueux et ardent, je m'en imprgnais tel point que, malgr les vicissitudes de nombreuses existences, j'en garde encore l'empreinte profonde.

    J'aimais pntrer dans les cercles de pierre (cromlechs) o l'on voquait les esprits des dfunts. J'coutais avec avidit les leons du druide nous entretenant des luttes de l'me dans Abred pour conqurir la science et la sagesse et sa plnitude de vie dans gwynfyd, en possession de la vertu, du gnie et de l'amour. Sur l'indication du matre je m'appliquais apprendre et rciter les innombrables vers qui constituaient l'enseignement sacr.

    Par ces exercices rpts, j'arrivais donner ma mmoire la souplesse et l'tendue qui en firent le prcieux instrument d'tude et de travail qui m'a suivi dans toutes mes existences ultrieures.

    Au cours de ma vie actuelle j'ai voulu revoir les sites grandioses qui, dans ces temps lointains, l'aide de mes premires existences terrestres m'avaient si fortement impressionn. J'ai suivi en dtail les dcoupures de la cte bretonne, j'ai vu les dbris des grands promontoires que les assauts de la tempte rduisent de sicle en sicle. Dans cette lutte gigantesque l'Ocan a le dessus et le continent recule. L'homme impuissant se rsigne, mais comme il se venge sur la fort !

    A la place des sanctuaires druidiques, lieux augustes et sacrs, on ne voit plus que des broussailles informes sans charme et sans beaut. J'ai voulu parcourir Brocliande, la fort enchante o Merlin et Viviane abritaient leur passion et leurs rves. Je n'ai trouv qu'une fort dvaste par la hache, avec de grandes surfaces dnudes semblables des taches lpreuses sur un sol appauvri. La fontaine de Baranton aux eaux magiques n'est plus qu'un cloaque o s'agitent de vagues batraciens.

    Les noms mmes ont chang, Brocliande est devenue la fort de Painpont, proprit de l'vque de Nantes qui fait procder des abattages frquents. Et il en est de mme partout o s'tendait la fort celtique. O sont ces votes de verdure que les rayons du soleil peraient grand-peine pour aller se jouer sur les mousses et les fougres ?

    Mais lorsque la terre aura perdu sa parure, sera devenue chauve et nue, lorsque les eaux pluviales rouleront en torrents dvastateurs o donc l'homme tournera-t-il ses regards pour jouir du spectacle de l'univers ? Un de nos politiciens minents n'a-t-il pas dclar avoir teint les lumires du ciel ? Mais non, Viviani est mort et les toiles brillent encore au sein des nuits profondes. Elles nous parlent de la puissance, de la sagesse, de la bont du Crateur ! Elles seront toujours un symbole d'ternelle esprance pour l'humanit !

  • CHAPITRE V -

    L'AUVERGNE. VERCINGETORIX, GERGOVIE ET ALESIA

    Comme une citadelle couronnant quelques cimes de ses tours et de ses bastions, l'Auvergne dresse la chane de ses puys au-dessus des plaines et des valles de la France centrale.

    Des hauts plateaux et des contreforts descendent et roulent les torrents, les rivires, qui deviendront plus loin les grands fleuves dont les bassins, tourns vers trois mers, donnent la Gaule cet aspect rgulier, cette forme prdestine qui semble, disait Strabon, l'oeuvre d'un dieu.

    Le pays des Arvernes tait pour ses habitants comme une terre sacre. Des gnies invisibles planaient sur ses forts et ses Montagnes. De son sol jaillissaient en abondance des sources chaudes, des vapeurs bienfaisantes, manifestation d'une puissance souterraine qui inspirait ces peuples primitifs une sorte de crainte religieuse.

    Le Puy de Dme, qui domine toute la contre de sa haute stature, tait l'autel gigantesque d'o la prire des druides montait vers le ciel, le temple naturel du dieu Teutats, ou plutt de l'esprit protecteur qui symbolise la force et la bravoure des Arvernes.

    Le panorama des monts veille dans l'me une impression presque aussi vive que la vue des nuits toiles. Cette impression ne s'exprime gure par des paroles, mais le plus souvent par une contemplation silencieuse, par une admiration d'autant plus vive que l'me possde plus profondment le sens de l'harmonie et de la beaut. Elle s'accrot encore en Auvergne, des traces laisses par l'action du feu central qui, dans son effort pour parvenir la surface, a boulevers les couches terrestres. Si, du sommet du Puy de Dme, on observe la longue chane de cratres qui se succdent du nord au sud en ligne droite, si l'on reconstitue, en imagination, la priode d'activit o tous ces volcans vomissaient des courants de laves, dont on peut suivre encore les traces pendant des lieues entires, et que les gens du pays appellent des cheires, on a la vision grandiose du dynamisme qui secouait le globe aux temps quaternaires.

    Le sol de l'Auvergne, aussi bien dans la rgion des monts Dme que dans celle des monts Dore et du Cantal, est crevass, cribl de cratres teints, envahis depuis par les eaux. Le plus remarquable est le lac Pavin, coupe vaste et profonde, aux parois de porphyre que couronne un cercle de forts. Par la brche o s'coulaient autrefois les laves, s'panchent aujourd'hui les eaux limpides de la rivire la Couze. Par le sentier qui contourne le lac, travers la fort ombreuse, j'ai atteint le plateau lev que dominent plusieurs cratres, entre autres celui de la Moncineire, ou montagne de cendres. C'est l un des sites les plus merveilleux de notre pays. La nature farouche des premiers ges de la terre s'y rvle encore sous la parure changeante des eaux et des bois. Par les manations sulfureuses et les boues chaudes que l'on rencontre en quelques points de l'Auvergne, on peut croire que l'activit souterraine n'a pas entirement cess et qu'un rveil des forces plutoniennes est toujours possible.

    Le contact de cette nature agreste avait communiqu aux populations primitives ces qualits rudes et fortes qui caractrisent presque tous les montagnards.

    Si le sentiment qu'avaient les Gaulois de leur origine commune, de leur parent de race, si l'unit morale et religieuse qui en rsultait s'tait change en unit politique, les Arvernes auraient t les premiers en profiter. Leur pays n'tait-il pas le noyau attractif et en mme temps la principale force matrielle de la Gaule ?

    Le Puy de Dme tait le plus grand sanctuaire. On y venait en plerinage de tous les points ; Gergovie tait la plus forte place, et Vichy, situ alors en pays arverne, attirait dj par la vertu de ses eaux des foules de malades et de blesss.

  • L'AUVERGNE. 27 Le roi Bituit avait mobilis deux cent mille combattants contre les Romains et la cavalerie

    arverne tait considre comme la meilleure de toutes. Mais Bituit fut vaincu et l'empire arverne s'clipsa pour un temps. Cependant de vastes groupements politiques se formaient ailleurs, la fdration armoricaine l'ouest, la fdration belge au nord de la Marne. Celle des Arvernes se reconstitua, embrassant tous les peuples des Cvennes. Mais la rivalit jalouse des Eduens compromit tout. Ils firent appel Csar dont les lgions pntraient peu peu en Gaule, et firent alliance avec lui. L'influence du perfide proco