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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Le sens du mot «emolumentum » Author(s): E. Benveniste Source: Latomus, T. 8, Fasc. 1 (Janvier-Mars 1949), pp. 3-7 Published by: Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41516710 . Accessed: 18/06/2014 10:51 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Societe d’Etudes Latines de Bruxelles is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Latomus. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.79.160 on Wed, 18 Jun 2014 10:51:09 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Le sens du mot « emolumentum »

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Page 1: Le sens du mot « emolumentum »

Societe d’Etudes Latines de Bruxelles

Le sens du mot «emolumentum »Author(s): E. BenvenisteSource: Latomus, T. 8, Fasc. 1 (Janvier-Mars 1949), pp. 3-7Published by: Societe d’Etudes Latines de BruxellesStable URL: http://www.jstor.org/stable/41516710 .

Accessed: 18/06/2014 10:51

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Le sens du mot « emolumentum »

Il arrive assez souvent en latin que d'un mot de base à un dérivé régulièrement formé, même quand le rapport morphologique est clair, la relation de sens ne soit pas immédiatement intelligible. Bien des dérivés présentent ainsi un sens spécial ou dévié dont on retrouve parfois la raison là où il faut toujours la chercher : dans les circonstances particulières de l'emploi. Tel nous paraît être le cas du mot emolumentum .

A première vue le sens du mot ne prête pas à discussion : emo- lumentum , attesté depuis Plaute et dans la meilleure langue clas- sique, signifie « avantage, profit, gain ». Il s'associe à utilitas ou praemium et s'oppose à detrimentum. C'est l'équivalent de gr. œ<pé?>7]/iia d'après Cicéron, De Fin. III, 21 : et emolumenta et detri - menta ( quae ахреХ^ата et ßMfi/nara appellant) communia esse voluerunt. Il n'est pas douteux non plus que e-molu-mentum soit régulièrement dérivé, par - mentum , du verbe e-molere . Mais ce verbe, d'ailleurs peu employé, n'a que le sens de « moudre com- plètement » ; cf. Perse, Sat. VI, 26 : granaria emole (x). D'où vient alors que emolumentum signifie « gain, avantage »? On a imaginé diverses transitions. Le sens premier aurait été « quod molitor molendo percipit » ( Thes . ling. lat.9 s. v.) ou « somme payée au meu- nier pour moudre le grain » (Ernout-Meillet2, p. 626, s. v. molo) ou « *Mahlgewinn » (J. B. Hofmann, Lat. etym. Wb.t s. v.). Nous ne discernons pas comment la notion, essentielle ici, de gain se serait introduite dans un dérivé qui, d'après sa formation, devrait signifier seulement « mouture (complète) ».

Mais le problème se complique d'une autre difficulté. On n'est même pas assuré que emolumentum ait eu exclusivement le sens que l'usage classique lui attribue. En deux passages, l'un de Var- ron ( R . R. III, 14), l'autre de Columelle (II, 20, 6), les diction- naires l'interprètent par « peine, labeur », ce qui l'éloigné encore

(1) Le sens du préverbe est affaibli dans Veget., Mulomcd., II, 88, 7 : Лог- deum emoli tam furfuribus admixtum.

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4 È. BENVENISTË

plus de emólete et ne se concilie pas avec l'acception tradition- nelle (*). L'embarras des lexicographes est visible. Forcellini, qui part à tort de emoliri , pose deux sens distincts : « I. proprie est co - namen sive molimen ad aliquid obtinendum; II. utili tas, lucrum , fructus qui ex labore percipitur ». L'auteur de l'article du The- saurus (où emolumentum est correctement rapporté à emolere) ne fait guère plus que signaler la discordance : « propria vis verbi aboleviU attamen opera ad percipiendum commodum intellegitur ; duobus locis non commodum , sed opera dumtaxat significare videtur ». Ces deux passages sont ceux que nous signalions et que le même auteur range à la fin de son article avec cette men- tion : « singulariter i . q . labor , opera ». Tout cela reste confus et ne montre pas comment de « labor9 opera » on serait passé à « com- modum, utilitas , lucrum » ni, encore une fois, comment emolumen- tum se relie à emolere .

Puisque ce mot est tenu avec raison pour un terme rural, on doit d'abord en vérifier l'emploi chez les auteurs qui ont traité de l'agriculture. Or le fait curieux est que justement deux écrivains notables de cette catégorie, Varron et Columelle, le prennent dans une acception particulière et en tout cas différente de celle que l'usage a consacrée. Cela nous engage à considérer plus attentive- ment ces deux passages. Le texte de Varron ( R . #., III, 14) s'in- sère dans un grand développement sur l'élevage. Merula annonce au début de ce livre III que, sur la demande d'Appius,il va exposer à ses amis les procédés qui conviennent aux divers genres d'éle- vage, les profits qu'on en peut attendre et les soins que réclame chaque espèce. Il traite ainsi en détail des oiseaux de basse-cour et de volière. Ce sujet épuisé, on aborde au ch. 12 ce qu'un inter- locuteur appelle le « second acte », portant cette fois sur les ani- maux élevés dans les leporaria et dans les enclos : lièvres, che- vreuils, et aussi escargots et loirs. Appius parle d'abord des bêtes de gibier. Axius le reprend alors : « Tu as vite exposé ce qui con- cerne la chasse. Nec de cocleis ac gliribus quaero, quod reliquum est , je ne pose pas de question sur les escargots et les loirs, dont il resterait à parler. Neque enim magnum emolumentum

(1) Nous laissons de côté un passage de César, B. G I, 34, où la tradition manuscrite donne par erreur emolumentum : se,., neque exercitum sine magno commeatu atque emolumento in unum locum contrahere posse . Avec tous les édi- teurs récents et le Thes., il faut lire molimento .

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esse potest , car cela ne peut être un grand emolamentiim ». Veut-il dire seulement, comme on l'entend ďordinaire, que cet élevage ne demande pas grande peinet Mais pourquoi aurait-il évité le mot propre, labor ou opera ? C'est qu 'emolumentum ne désigne ni le« profit >> seul, ni la « peine » seule, mais bien le profit en tant qu'il est procuré par une longue peine. Ici, de fait, le gain n'est acquis à l'éleveur qu'au terme d'un travail qui comporte des ris- ques. La phrase nous paraît donc signifier : « le profit n'en demande pas grande peine ». Dans tout ce développement le profit est cons- tamment mis en balance avec le labeur qu'il coûte.

Si le texte de Varron permet ainsi une définition plus exacte de emolumentum , il ne laisse pas encore définir le rapport avec emolere. C'est là-dessus que nous renseigne maintenant le second passage, celui de Columelle II, 20, 6. L'écrivain décrit successivement tou- tes les opérations de la culture: défrichage, labour, fumage, moisson, battage et les précautions que chacune requiert. On arrive enfin au moment où, le grain battu, il ne reste plus qu'à le nettoyer. « Si, dit-il, le grain doit être conservé, il faut le nettoyer deux fois. Mais s'il est destiné à la consommation ( sin usui destinantur ), il suffit d'un seul nettoyage. On n'aura plus alors qu'à le rafraîchir à l'ombre et à le porter finalement au grenier : hoc ¡supremum est aratoris emolumentum percipiendorum seminum quae ter- rae condiderat Le sens n'est plus douteux. Quand le cultivateur recueille les semences qu'il avait confiées à la terre, son emolumen- tum est un bénéfice obtenu au terme de travaux pénibles et dont le résultat peut être à tout moment compromis. Ici aussi l'idée est celle d'un profit chanceux supposant une longue suite de labeurs et de risques. Et du même coup on discerne, à travers l'emploi qu'en fait Columelle, le sens étymologique de emolumentum dans sa liaison avec emolere : emolumentum désigne proprement 1' « ultime mouture », c'est-à-dire la mouture comme résultat dernier de toute la série d'opérations non lucratives qui ont été nécessaires à la production du grain. Alors seulement le bénéfice est atteint, quand, après bien des peines et des inquiétudes, le grain confié à la terre s'est enfin mué en farine.

On peut alors revenir utilement sur l'unique exemple classique de emolere qui est chez Perse, 5a/., VI, 26. Le poète donne en exem- ple le plaisir qu'il éprouve à vivre sur ses terres et à profiter de ce qu'elles lui rapportent. Il engage Bassus à l'imiter en jouissant pleinement des ressources de son domaine :

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6 E. В EIN VEN ISTE

Messe tenus propria uive et granaria , fas est , emole. Quid metuasl Occa et seges altera in herba est.

« Vis dans les limites de la moisson qui t'appartient (= ne l'épar- gne pas), et, les dieux le permettent, tire intégralement profit de tes greniers. Que craindrais-tu ? Fais herser et voici une nouvelle récolte en herbe ». Emolere granaria « faire moudre tout le con- tenu de ses greniers » implique ici le profit légitime que rapporte, sous forme de mouture, le travail exigé par la terre.

Si maintenant nous considérons emolumentum, déjà éloigné de ses origines, tel qu'il est pris dans la langue classique, nous observerons qu'il porte bien le même sens, devenu seulement métaphorique. Il indique non pas le « gain », que dénotent déjà d'autres termes ( lucrum , quaestus , praemium , commodum), mais l'avantage maté- riel qui peut résulter d'une entreprise difficile et souvent périlleuse. Ainsi chez Plaute, Trin ., 693, dont c'est l'unique exemple : si sine dote duxeris, tibi sit emolumentum honoris ; le risque qu'on assume ou en tout cas le sacrifice pécuniaire que l'on consent en épousant une fille sans dot comporte au moins une récompense, un emolu- mentum, sous forme de l'honneur qu'on en recueille. L'idée ressort aussi de ce passage de Lucrèce (V, 166) : quid enim immortalibus atque beatis | gratia nostra queat largirier emolumenti , « quel béné- fice des êtres jouissant d'une éternelle béatitude pouvaient-ils espé- rer de notre reconnaissance?» (Ernout), c'est-à-dire l'espoir de quel avantage aurait-il pu pousser les dieux à renoncer en notre faveur à la quiétude de leur vie? Plus démonstratifs encore sont plusieurs endroits de Tite-Live où emolumentum se joint à pericu- lum ou opera , labor . Il suffit de citer : eo impendi laborem ас periculum unde emolumentum atque honos expectetur (IV, 35, 7) ; nusquam пес operam sine emolumento пес emolumentum ferme sine opera impensa est (V, 4) ; попит se in annum iam velut in ade adversus optimates maximo privatim periculo , nullo publice emolumento stare (VI, 39) ; nul- lum emolumentum tot l ab о r um periculor и mque vestrorum vidistis (XXI, 43). Ces textes illustrent au mieux la définition dont Varron et Columelle fournissent les éléments et élu- cident l'origine (*). Ainsi est unifiée dans la totalité des exemples

(1) Dans son sens propre, quoique plus étroitement « utilitaire », fr. émolu- ment, repris au latin, ne désigne aussi qu'un « profit casueJ », par opposition aux revenus fixes et assurée.

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LE SENS DU MOT « EMOLUMENTUM » 7

la signification de emolumentum. On voit en outre une liaison établie entre emolumentum et honos ; cf. le passage cité .de Tite-Live IV, 35, 7 : emolumentum atque honos et aussi XXIII, 15, 14: apud me tibi omnis honos atque omne praemium erit , et quo frequentior mecum fueris , senties eam rem tibi dignitati atque emolumento esse , dans le discours ďun préteur à Marcellus pour l'engager à combattre aux côtés des Romains. Ce que honos représente dans Tordre des dignités, emolumentum Test au point de vue matériel : un avantage nullement garanti d'avance, d'autant plus précieux qu'il ne s'obtient qu'après bien des peines et des dangers. Telle la farine, quand le cultivateur la tire du moulin, récompense enfin le cycle de ses travaux.

E. Benveniste.

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