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Le Syndrome Jérémien

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Le syndrome jérémien

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Mon Cher Pepere,

J'ai lu avec un melange d'emotion et d'appreciation ta letter ouverte au Colonel Abel

Jerome. Vraiment, elle marque un pas decisif dans la quete a la verite sur la tuerie de 64.

Je te suis reconnaissant de l'avoir ecrite et publiee.

Pourtant, que de souvenirs douloureux elle nevoque! Que d'horreurs reprimees elle ne

ramene a la memoire! Nous autres qui avons vecu ces jours sans soleil, qui restons

ulceres par l'effet caustique de ces evenements, nous sommes encore secoues par les

passions qu'ils ont soulevees dans nos ames alors innocentes. Aussi eprouvons-nous une

soif inassouvie de reponses, un besoin ardent d'entrer dans les profondeurs teriebreuses

de cette hecatombe. Nous briilons du desir de trouver enfin cloture, afin d'etre alleges du

fardeau de ce passe et d'emboiter le pas avec le present. Ce faisant, nous cherchons un

point d'equilibre, une stabilisation qui protege contre le pessime 1 1 . l'endroit de l'homme

en general et des institutions Haitiennes en particulier.

Ayant moi-meme mene une adolescence recluse pendant ces annees tourmentees.javoue

avoir insuffisamment pratique les victimes de ce qu'on se plait d'appeler les "VepresJeremiennes. " Je n'ai pas pour autant manque de noter les malversations des uns et des

autres, ni failli de saisir toute la laideur intoxicante du drame qui a defripe la fabrique

sociale du patelin.

Aussi, voudras-tu agreer I'offrande des pages qui suivent en ce qu'elles visent 'a un

elargissement du debat engage dans ta lettre. Elles relatent des impressions, certes

personnelles, de la tragedie qui fit non moins de 27 victimes (hommes, femmes et

enfants) parmi ceux que tout vrai Jeremien devrait regarder comme des proches, parce

que nous avions Ia pretention de constituer une seule et grande famille.

Conditionnement Politique

II faut deplorer qu'en matiere de reconstruction historique I'on ait tendence a reduire Ie

massacre a un pur expedient politique pour Ia dictature de 1957. Or, Ia marginalisation

historique s'assimile 'a _ la deshonnetete intellectuelle, suffisante pour disqualifier ipso

facto I'enqueteur dans son role de juge impartial. Si nous admettons volontiers que

Duvalier fut un megalomane, un sanguinaire froid, un monstre abhorrent, devons-nous

pour autant conceder que des circonstances attenuantes ont contribue a Ie pousser a

I'exces ?

Nous admettons que des I'origine, Ie regime de 57 fut cible par des attaques constantes

aut ant de I' interieur que de I' exterieur. De Ia frontiere Dominicaine, Ies incursions

successives de bandes armees irritaient Ie gouvemement, le mettant sur Ie qui-vive

joumalier. Dans la capitale, aussi bien que dans les villes de province, une epidemic depetits faits isoies s'ajoutant a un mouvement d'ensemble, contribuait a linquietude

generale. Duvalier s'endurcit en consequence. Quand on y ajoute Ia prise surprise des

Casemes Dessalines par Perpignan-coup qui n'echoua que par I'imbecilite des

conspirateurs-on comprend que Papa Doc etait une bete traquee. Conscient de la

precarite de la situation, il reagit de faeon irrationnelle mais predictable, parce que

l'homme etait malade au fond.

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En effet, un chef d'etat avise aurait du repondre a ces coups de butoirs par une attitude

conciliante, faire usage d'une diplomacie pleine de souplesse, de sagacite et de realisme

pour forger une formule d'inclusion de l'opposition dans Ie regime afin de la neutraliser.

Mais, dictateur poltron qui avait joue au maquisard apres le limogeage d'Estime, Francois

souffrait du complexe de la persecution. Sa profession absurde qu'en "politique fa

reconnaissance est une lachete ", le conduisit a se retraiter dans la coquille d'unabsolutisme aberrant, qui ne tolerait pas meme l'ombre de la contradiction.

Ecartant de sa personne les professionnels de carriere, ceux qui avaient la triture de la

gouvernance, il fit table rase des cadres administratifs tout en s'entourant de crapules

illetres du genre de Elois Maitre, Jacques Gracia, Luc Desir, Boss Pinte, Mme. Max

Adolphe, Sanette Balmir, et j'en passe. En prechant le rehaussement de l'eclat de la

premiere nation noire independante de l'Hemisphere dans la famille des nations, Duvalier

se payait de mots, vu qu'il la soumit a un veritable nivellement par le bas, elevant

l'incompetence aux nues et ravalant dans la boue les vraies valeurs. La creation de la

Milice Nationale (Tonton Macoutes et Marie-Jeannes), le banissement de I'elite

intellectuelle, un style de gouvernement par decrets, et l'adoption de mesures ultra-

repressives contre le "kamokin" qu'il voyait partout, se comprennent dans cette optique

tordue.

Quand les dejoieists de New York, inconsoles du trepas de leur chef (ses depouiles

mortelles furent conservees dans un cercueil en verre qui devint leur point de ralliement),

entreprirent d'empoisonner les esprits au moyen des emissions de Radio Vonvon, relayees

sur ondes courtes a l'interieur du pays, et qui suggeraient I'existence d'un etat de

discorde profonde au sein du pouvoir, de complots imaginaires contre la personne du

president, tout en instigant le soulevement populaire, le statu quo se deteriora rapidement.

Jeune Haiti, qui etudiait Ie modele Cubain, recourut a la guerilla. Les multiples tentatives

d'invasion par mer de Bernard Sansaricq, la dissemination de pamphlets, le lancement

d'explosifs inactives par avion sur la capitale, creerent une atmosphere de malaise a Port-

au-Prince, acculant le gouvernement as' aguerrir.

Au debarquerent des 19 a Dame-Marie, Duvalier avait done en main le pretexte

convenable d'une solution radicale: l'obliteration exemplaire de l'ennemi. Dans son

raisonnement specieux, l'ennemi etait pour lui tout ce qui touchait de pres ou de loin aux

"rebelles". Aussi emit-il I'ordre d'une extermination complete, assure que le succes de sa

guerre contre les "kamokins" delivrerait un coup mortel a I' opposition. Le calcul etait

faux; n'empeche que Papa Doc soit de fait ultimement responsable des exactions que sa

decision allait encourir.

En meme temps, William Regala, Abel Jerome, Sony Borges, Astrel Benjamin, Jacques

Fourcan, Saintange Bontemps, Sanette Balmir, les autorites civiles et religieuses de la

ville, ainsi que les multiples acteurs passifs de ce bain de sang ne sauraient arguer n'avoir

fait qu' obeir aux ordres re£us de haut lieu.

D'une part, etant sur les lieux, ils avaient une lecture plus exacte des faits et auraient du

les interpreter judicieusement au profit de I' executif Mal animes, anarchistes qu'ils

etaient, ils ont choisi de se metamorphoser en instigateurs. Libres de choisir entre la

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prudence avisee, la mutinerie, et la Iachete d'un mutisme veule, ils ont opte pour la

cornplicite, faisant montre d'une petitesse, d'une platitude morale se rapprochant moins

de Ihumain que de la fauve. MUllis de boussoles ethiques professionnelles, ils ont

consciemment fait fausse route en capitulant a l'appel de l'instinct visceral.

J

Certes, il y eut des exceptions notables. Lunes Degraff pour un, eleva une voix

reprobatrice quand il prit connaissance des orgies commises par les fossoyeurs de nuit. Il

intervint heroiquement en faveur du trio George Jerome, Alain Rocourt, et Wesley Clerie

apres leur detention, les ayant trouves nus dans la salle de garde des casernes; il exigea

qu'ils furent relaxes sur le champ et decria energiquement les agissements des emissaires

de Duvalier, au risque meme de sa propre vie. Honneur a sa memoire!

Le cable code que Joseph Rene, lors Commissaire du Gouvernement, pretend conserver

precieusement pour etablir son innocence contre l'incrimination eventuelle, et qui aurait

instruit: "Eliminez physiquement familles rebelles ", ne saurait constituer une defense,

ainsi que le process de Nuremberg l'a deja etabli dans le cas des sanguinaires Nazis du

siecle dernier. Si Duvalier s' etait laisse aveugle par sa propre megalomanie, et si, a

I' encontre de ses devoirs constitutionnels de proteger et defendre la citoyennete, ilserigea en ennemi publique, l'histoire retiendra certes qu'il a entraine dans son insanite

la cohorte sinistre des "Septembriseurs". Leur crime surpasse la simple participation, car

il est evident qu'ils ont econduit leur leader par des rapports mensongers, l'encourageant

a I 'application de la terreur pour justifier leur exces de zele, Double crime, pire trahison.

Au meme titre que les architectes de genocides d'antan, ils portent la responsabilite

materielle autant que morale de leur veulerie. Quels qu'aient pu 'etre leurs motifs secrets,

J il est indeniable qu'ils ont brandi le fusil et tire la gachette. Chacun a son niveau

d'implication est liable. Les degres de responsabilite varient selon la gravite des actes

poses, et I 'histoire saura certes faire la part du feu; mais leur culpabilite demeure entiere

et eternelle, un monument a l'infamie Haitienne. Le recul du temps, I'indifference des

hommes, ni le silence de la conscience nationale ne sauraient la commuer, car si lajustice

humaine est faillible, celle immanente opere dans l'inamovibilite.

Conditionnement Local

D'aucuns preconisent que la majorite des Septembriseurs ayant ete des elements

importes, des etrangers injectes bon gre, mal gre, dans une dispute locale seculaire, la

ville fut la victime innocente d'une intrusion regrettable. Oui, Duvalier etait un

sanguinaire sans coeur qui n'ajamais recule devant les actes les plus odieux pour assurer

sa survie politique; oui, ses emissaires s' etaient devesti de tout sens de dignite humaine et

n'oserent questioner ses decisions; mais il ne faut pas pour autant denier ou minimiser le

role de I'element local. Qu'il fut le silence du peuple, ou la duplicite des autorites a tousles niveaux, l'attitude de la ville est inexcusable. Les passions politiques, ni les tensions

du moment ne sauraient l'absoudre.

L'histoire enseigne qu'aucun crime n'est jamais perpetre dans le vide absolu. Neron,

l'Inquisition, Hitler, Mussolini, Idi Arnin, Milosevich ont commis leurs actes abhorrrents

au vu et su du monde entier. Ils ont reussi parce que leur villages, leurs pays, leurs

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_ _ . , .

continents et Ie monde entier conspirerent a faire la sourde oreille aux appels de detresse

des victimes, et parce qu'il etait plus plus facile de se complaire dans Ie desengagement.

Ou etait Pie XII quand six million de Juifs marchaient aux fours a gas d'Hitler ? Quelles

etaient les priorites de la Maison Blanche de Roosevelt, et comment Vichy put-il pactiser

avec l'ennemi si obligeamment ? Comment le presbytere Jeremien, aussi a cheval qu'ils' etait montre dans ses relations avec les autres cultes, peut-il justifier son indolence?

Pourquoi les pretres de Saint Louis se ont-ils complus dans l'inertie tandis que leurs

propres eleves et leur fondateur lui-meme se laissaient faucher ignominieusement par la

mitraille ? Pourquoi nulle demarche ne fut-elle entrepreprise en leur faveur par ceux qui

pourraient prevaloir contre le conseil diabolique des sanguinaires ? Comment le cure

Peron put-il maintenir la routine de la messe journaliere sans meme une allusion voilee

aux exces qui se commettaient dans sa paroisse et par ses paroissiens ? La somme totale

de toutes ces lachetes s'eleve au paroxysme de l'hypocrisie collective.

La suppression de vies innocentes, sans meme un simulacra de defense, sans la

constitution d'un acte d'accusation meme biaise, et sans l'interposition d'une procedure

legale meme truquee par ceux-la memes qui etaient charges de proteger les vies et lesbiens, n'est certes pas une originalit€ Jeremienne. Mais les Nazis, les Facistes, les Serbes,

les protagonistes de I'Aparthaid fluent poursuivis sans merci, traques et apprehendes par

les agents de I'ordre qui refuserent de deroger a leur devoir. Ces monstres humains furent

traduits en justice et la culpabilite de generaux et soldats fut €tablie sans l'ombre d'un

doute; les motivations, Ie fond noir des meurtriers ont €te exposes a l'opprobe universel.

Seules, les "Vepres Jeremiennes" restent sans suites legales ni retribution. Une telle

faillite constitue un defi a la decence nationale autant qu'a la conscience mondiale=-defi

V ' qui sera releve tot ou tard.

En effet, un simulacre d'investigation et de reparations avait ete orchestre par Jean

Claude. II n'a pourtant eu que l'effet de jeter de la poudre aux yeux, car les questionsfondamentales quant aux causes premieres et motifs profonds n'ont jamais ete posees,

voire tranchees de facon satisfaisante. Les fossoyeurs de 64 ont echappe a la pour suite

judiciaire, et pour la plupart ils se la coulent douce tant dans le pays qu'a I'etranger,

assures de l'impunite. Haiti est la seule nation du monde modeme ou l'aggression ouverte

ala dignite humaine, le crime contre l'innocence, le pietinement des droits de I'homme,

1 et la reduction de la population civile a l'etat de betail, restent assures de I'absolution,

t parce que la conscience nationale est moribonde ou completement inexistente.

Pourquoi le massacre de 1964 a t-il e t e relegue a l'obscurite d'un fait divers de province?

Pourquoi, avec Ie passage du temps, est-il devenu un sujet tabou ? Pourquoi explications

et theories avancees jusqu'ici ont-elles l'odeur du cover up ? Pourquoi la presse participe-

t-elle a cette ignominie par son silence placide ? Pourquoi aucun historien d'envergure,

nul sociologue reputable ne sent-il I' obligation de se pencher sur ce crime pour faire Ie

jour la-dessus une fois pour toutes ? Pourquoi refuse-t-on d'articuler, pour l'avenir, les

lecons salvatrices qui s'imposent ? Est-ce parce qu'une pudeur mal placee nous pousse a

admettre que "toute verite n 'est pas bonne Ii dire, " ou trouvons-nous I' affaire si banale

dans Ie contexte de la deshumanisation de I'homme Haitien, que nous nous sommes

resignes a lui denier l'effort de I'erudition, ou l'encre et Ie papier d'un process-verbal en

bonne et due forme ?

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Mais alors, pourquoi Jeremie ? Des horreurs de moindre envergure ont tenu la premiere

des organes d'expression et tenaille la conscience universelle sur des decennies. Le

distinguo entre les Sansaricq, Villedrouin, Drouin, Guilbeau de la Haute-Ville et les

Numa de la Basse-Ville devrait accuser une dissonance genante chez les bien pensants. Si

la participation de Gusley Villedrouin et Milou Drouin avait encouru la furie du pouvoir,

Rodrigue Numa n'avait-il pas collabore avec les "rebelles" ? Ne fut-il pas capture vivant,et execute coude a coude avec Drouin et en retransmission directe des chaines de Radio ?

Pourquoi done son pere, Louis, echappa-t-il ala vermine du cachot, l'enfer de la torture,

et I'emeute populaire ? II est inacceptable qu'il eut la vie pour butin, avec l'exoneration

' T J presidentielle, alors que Drouin, le crane fracasse par la bastonnade, finit ses jours seul

dans un cachot infecte reserve aux criminels de droit commun.

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Saurions-nous nous arreter 1 < i sans interroger les raisons pour lesquelles la famille

Sansaricq subit un destin identique a celui des Drouin et des Villedrouin, alors que nul

lien ne l'apparentait a l'invasion, sa plannification ou son execution? Les autorites, qui

etaient parfaitement au courant des mouvements de ses deux aines a I'etranger, n'ont eu

pourtant aucun scrupules

al'impliquer dans "I 'attentat contre la souverainete

Haitienne", Par quel detournements a-t-on pu arriver a cette association? Meme si le

gouvemement voulait j ouer la carte comrnuniste pour se concilier Washington, ou etait la

logique d'une telle connection?

Pourquoi le degree disproportionne de cruaute dont firent montre les assassins qui

ricanaient de plaisir en ecrasant leurs cigarettes allumees dans les yeux des enfants en

pleurs ? Pourquoi les bebes a la mamelle furent-ils lances dans l'air, puis re~us a la pointe

tranchante de bayonnetes, sous les regards des mamans ahuries ? D'ou le Jeremien

moyen avait-t-il appris ces actes de barbarie, cette durete de coeur, cette noirceur d'ame

sans nom?

Pourquoi Mme. Chenier Ville drouin, agee de 92 ans et clouee sur un lit de paralysie fut-elle envelopee dans ses draps et basculee de sa fenetre du deuxieme etage dans I'arriere

nue d'une camionnette positionnee dans la cour a cet effet ? Avait-on peur qu'elle prenne

les armes et vulganise le secteur feininin pour un coup d'etat fatal?

Pourquoi Lisa Villedrouin, dans la fleur de la jeunesse, fut-elle mise a nue, examinee

erotiquement dans ses parties virginales intimes, touchee indecemment et puis soumise aun viol sauvage avant detre massacree sans pitie par des monstres d'homrne aux pieds

d' Adeline sa mere eploree que ses tortionnaires narguaient vulgairement ?

Pourquoi la jeune epouse de Jean-Claude Sansaricq fut-elle terrorisee et sexuellement

bestialisee a meme son lit nuptial par Gerard Brunache, laisse pour la securiser dans la

demeure a Bordes apres I' arrestation du mari ?

Pourquoi le Pasteur Alain Rocourt; George Jerome, l'ancien Prefet sous Estime et

Magloire; et Wesley Clerie, apprehendes pour contrevenance du couvre-feu, furent-il

parades dans leur costume d'Adam de par la sale de garde des casemes ? Pourquoi

furent-ils promis une execution somrnaire quand leur seul crime avait e t e de reagir a une

crise medicale domestique ?

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Comment, a la suite de la boucherie de trois familles prometteuses, les auto rites de la

ville avaient-elles pu mettre le chalumeau au coffre-fort de la maison Desquiron pour

s'en partager le contenu sous le couvert de la nuit et de la loi martiale, avant d'ouvrir les

portes du magasin et de livrer ce qu'ils dedaignaient du stock au pillage?

Comment des Jeremiens, ayant des pretentions de respectabilite, ont-ils pu tremper dans

cette infamie en procedant au sac des maisons des victimes tant en ville qu'a Bordes?

Etaient-ils ete frappes de soudaine amnesic collective, pour ne pas realiser que ceux-la

meme qu'ils depossedait si honteusement leur avaient ete une source fidele de support et

de compassion pendant des decades innombrables ? Comment objets d'art, bijoux et

photos de familles se sont-ils achemines dans les salons des nouveaux riches qui

n'attendirent pas pour comble le vide social cree par l'hecatombe ?

Comment Antoine Jean Charles est-il entre en possession de la maison du feu colonel

Villedrouin, sise entre Bordes et Rochasse, y installant sa famille sans forme de Iegalite

aucune ? Ce professeur respecte et avocat de carriere au barreau, aurait du se souvenir des

accusations qu'il avait portees moins de dix ans plus tot contre un volontaire de la Croix

Rouge Haitienne dans l'article intitule: "Louis Drouin Jr. tenu la main dans Ie sac, "traitant de couvertures de laine allouees au chapitre de la Grand-Anse et portees

manquantes. Le moraliste etait-il hors de portee des considerations morales ?

Comment Mme. Lucky Magloire a-t-elle justifie son occupation formelle de la maison de

famille et du commerce des Drouin, au point de faire de leur boulangerie la sienne sans

aucun acquis de conscience ?

Comment la Milice de Duvalier a-t-elle pu deposseder les Sansaricq, refaire leur

residence a son gout et a ses besoins du moment et y installer ipso facto son Quartier-

General sans s'embarrasser d'apparences legales, et sans nulle pensee de

dedommagement des heritiers de droit?

Pourquoi tant de points d'interrogations sans reponses, et comment peut-on tolerer

linsouciance a cet encrochementjudiciaire et moral sans precedent?

Il est grand temps que la lumiere se fasse sur cette affaire sordide. Il faut que les raisons

premieres, les causes deterrninantes de cette catastrophe soient eclaircies. Il est imperieux

que la verite se sache, aussi lugubre puisse-t-elle etre, aussi penible ses details. L'abces

continuera a puruler, 11moins qu'on y mette la lance. Le cancer laisse a lui-meme ne peut

que conduire au trepas. Jesus avait averti, "Il n 'est rien de cache qui ne doive etre

decouvert, rien de secret qui ne doive etre eonnu et mis au jour" (Lue 8: 17) .

Une Piste Vierge

Pour arrivera la verite, il faut done decouvrir ou frayer une piste vierge. "Mais," dira-t-

on, "c'est chose deja faite. Jean-Claude avait mene une enquete, et elle a resulte dans des

reparations". Je demande pardon, mais de rna connaissance, Ie forfait ayant ete

indeniable, on n'a fait qu'admettre la commission d'un crime sans le qualifier ni

prononcer le verdict requis. On a fabrique des mythes, avarice des explications desuetes,

tire des conclusions cousues de fil branc, tout en circonvenant le point central: qui a fait

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quoi, quand, et pourquoi. II y a certes lieu de proceder a une reconstruction historique en

bonne et due forme.

Or, en l'absence de cette reconstruction historique, et faute d'acte d'accusation, nulle

illumination, nul verdict, nulle guerison ne sont possibles. La jurisprudence etant une

science exacte qui exige l'interrogation serree des temoins et des auteurs des actes poses,

I' etablissement methodique des motifs, I' explication des tendances et I' analyse

rigoureuse des decisions prises afin de de-terminer la responsabilite des uns et des autres,

rien que les faits decharnes, I'evidence nue, depourvue d'opinions nuancees par les

prejuges, ne pourraient apporter cloture a ce cauchemard.

Quelqu'un rencherira: "Il ne faut pas reveiller le chat qui dort". Au risque de repeter

l'experience desastreuse, et pour ne pas etablir un precedent dangereux, il est de necessite

absolue qu'on remonte la chaine des evenements jusqu'a la source merne du crime. II faut

revivre le drame dans toute sa laideur nauseabonde pour entrer dans le sens de la realite

Jerernienne d'alors. La quete a la verite doit passer par l'examen minutieux des

antecedants, l'analyse profonde des attitudes, la mise en cause de la moralite de l'epoque.

Elle demande le demantelement des structures politiques aussi bien que sociales de lacornmunaute pour en exposer les failles fondamentales. Une telle recherche prescript la

dissection de traditions et d'acquis tutelaires pour diagnostiquer les filieres obscures qui

ont conduit a ce bain de sang inoubliable.

Jeremien, fils de Jeremiens remontant au berceau de la ville, je me crois bien place pour

amorcer ce processus, quelque difficile dut-t-il s'averer. Ne pas tenter serait une nouvelle

lachete, une autre tache morale, une insulte de plus a la memo ire des victimes dont le

sang erie encore de la glaise des tombes communes de Numero-Deux. Et cet ultime

affront serait aussi inexcusable que le premier.

Certes, rna famille, et moi-meme personnellement, avons pati des attitudes et

circonstances qui ont servi a crystalliser le phenomene que j' aimerais identifier icicomme le Syndrome Jeremien. L'avons-nous invente ? Y avons-nous contribue ?

L'avons-nous endigue ? L'histoire saura en juger. Mais au risque de verser dans I'exces

partisan, je m'engage a delineer le cas sans sentimentalite, a letayer du mieux de mes

connaissances, sans rancoeur aucune. Je promets de m'armer de la plus haute probite

intellectuelle, de rester un observateur neutre et avise, un moralist ancre dans la realite de

cette epoque obscure de notre histoire turbulante.

J'entreprends cette tache parce que personne ne s'interesse a compiler d'un dossier

criminel, a dresser un process-verbal legal. J'amorce ce processus dans l'interet de la

vindicite publique pure et simple, aussi provocatrice et controversee puisse-t-elle se

reveler. Je le fais sans pretention de finalite ni de completude, simplement pour remettrela question sur le tapis pour de bon, avec l'espoir que d'autres mieux qualifies et

documentes se laissent enfin apprehender par la fascination que I 'hetacombe exerce sur la

conscience, pour en capturer le dynamisme infernal et I' interpreter au profit de futures

chercheurs qui formuleront le verdict de I'histoire.

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Le Syndrome Jeremien

Parce que Jeremie se situe a la pointe occidentale extreme de l'Ile dHaiti, et en

consequence du fait qu'elle fut a l'origine un sanctuaire pour les €lements coloniaux

testes volontairement au pays; et parce que son insignifiance geo-politique (elle

s'appellait Trou Jeremie, humble village de pecheurs) lui avait garanti l'insouciance des

gouvernants, une tradition elitiste mulatresse se developpa au sein de sa societe

embryonnaire. Avec les generations successives, l'esprit de caste s'y intronisa, erigeant

une barriere entre ses composantes ethniques.

Elite et Peuple

Noirs et mulatres, oubliant qu'ils etaient tous genetiquement Noirs en depit de leurs

nuances epiderrniques, se laisserent posseder par le demon du racisme, devorer par la

lepre du prejuge de couleur. Ils tolererent les cloisons artificielles qui les divisaient, alors

meme qu'ils soucrivaient a la devise nationale, "I 'union fait la force". Se pavanant d'une

presumee superiorite intellectuelle et forts de l'avantage financier, les mulatres tinrent

leurs confreres noirs a distance, les reduisant en parias sociaux-" bonnes" et gar\;ons decour les servant dans leurs maisons en ville et leurs villas baties a flanc de coteau dans les

hauteurs de Bordes, de Rochasse ou de Tete D' lau.

Pour cette gente mulatresse, l'alliance avec le noir constituait une derogation a l'honneur

de sa classe. Aussi, un marriage "melange" s'elevait a la distinction d'une mesalliance, et

tout partenariat avec un element de l'autre classe rencontait I'anatheme. L'Eglise fouetta

cette discorde en offrant la vente de banes reserves aux rites, alors qu'a l'ecole elle

octroya les sieges de choix aux petits mulatres. Le fait que I'independence nationale avait

etc proclamee en 1804 n'influen~ait guere les normes et les rouages sociaux.

Dans cette meme ligne de pensee, et avec le passage du temps, le Club Excelsior, le

Nirvana, etaient des exclusivites elitistes, Ces organismes culturels existaient pour lastimulation, Ie divertissement, ainsi que la rencontre des besoins de la seule classe

dominante, comme si la culture et la restauration etaient l'apanage d'une seule couche

sociale. Si en surface tous fraternisaient dans la participation civique, si les echanges

commerciaux paraissaient libres, et si la pratique religieuse etait ouverte a tous sans

exception, la ville etait pourtant compartimentee dans le sens intime et profond de

I'experience humaine j oumaliere.

Certes, les condisciples de classe se recrutaient dans les classes rivales, selon les lois de

l'attraction mutuelle; pourtant la camaraderie ne garantissait pas un siege a la table de

famille de l'elite. Les escapades de jeunesse tirant une certaine force de l'instinct gregaire

qui ne connaissait ni rang social ni nuance epidermique, permettaient la complicite des

uns et des autres dans la delinquence; mais toujours est-il qu'on se gardait d'eviter le

scandale a tout prix. Et si par hazard on se laissait seduire par le sexe oppose de l'autre

cote de la barriere sociale, ne devait-on pas "marcher sur son coeur" et recourir a un

marriage de convenience ? Le mulatre entretenait ouvertement des maitresses noires;

mais il ne saurait penser a la reconnaissance paternelle de ses enfants. On

s'enorgueillissait d'appartenir ala meme ville, etait fier de s'appeler Jeremien; mais on

evoluait pourtant dans deux univers distincts.

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Pour avoir ete les plus inter-actifs, les plus "croises" des Jeremiens de longue memo ire,

notre generation offrait la possibilite d'une coalescence sociale reelle. Mais, helas! les

maladroits que nous etions ne siimes concretiser cette promesse. Bien que conscients du

probleme, nous avions peur de l'admettre a nous-memes, de nous en ouvrir, d'en parler

tout haut. Dans le contexte Jeremien, un tel dialogue, meme avec son for interieur, etait

impensable, voire alors un debat avec les congeneres de I' autre cote du mur epiderrnique,Car quand ce code de silence etait foule au pied, la desapprobation generale stigmatisait

le goujat, et on devait simplement se contenter de son statut social puisqu'il etait une

prerogative divine.

II me souvient de la reponse d'un arne auquel je vouais une large mesure de respect et

qui, a rna question a savoir pourquoi, vu le contexte social de I'epoque, mon grand-pete,

Volney Jerome, un parfait noir, avait etait adjuge un parti acceptable pour rna grand-

mere, Elina Sansaricq, une parfaite blanche-"Ah! Votre grand-pete, Gerald,"

m'entendis-je reprendre, "rnais, votre grand-perc etait un mulatre au teint fonce!" Une

telle aberration courtisait l'insanite, sauf qu'a Jeremie l'irrationnel etait la norme.

Famille Divisee

Ville compartimentee des sa fondation, Jeremie devint une famille contortionnee par la

haine mutuelle, une communaute hybride qui ne sut jamais se coaguler ni planer au-

dessus de ses prejuges de classe, de fortune, et de couleur, et qui sans Ie realiser avait

ainsi signe son arret de mort.

J'appelle en temoin I' explosion de haine dont fit montre la populace a I'occasion de la

seule visite dans notre recoin du Senateur Dejoie, candidat ala presidence en 57. J'etais ala Basse-Ville quand le cortege de phares d'automobiles, en provenance de la metropole

du Sud, emergea de la brume de Testasse au crepuscule. L'elite, suspendue a ses blacons,

se pavanait en escomptant une entree triomphale, alors que le peuple masse sur les

galeries et trottoirs de la Grand-Rue mordait son mors. Une rafale suivit-Iambis, rochers,

bouteilles, etc. Voitures, aussi bien que maisons de residence, furent ciblees dans ce

deferlement de haine qui plongea la ville dans l'anarchie. Aussi Jean Rousseau Jr. eut-il

la tempe crevassee par un projectile dont il garde encore la cicatrice amere.

L'intervention policiere se limita a une fusillade dans l'air pour induire la populace ala

restreinte, et n'etait l'action audacieuse de Nono Lavaud et de Georges Clerie au matin, le

candidat aurait assurement laisse sa peau a Jeremie.

Alors que la carriole du bienfaiteur de la ville roulait paisiblement vers I' aeroport de

Numero-Deux 'a l'approbation generale, une voiture attaquee a La Source, enjamba le

trottoir pour s'ecraser c~ntre le support en beton d'une galerie. Des lors, la coupe du

delire populaire deborda. Le chauffeur eut la vie sauve, mais sa camionnette fut

dechiquetee. La populace en transporta la carcasse du site de l'incident sur la galerie de

Beliard Mignon, un marchand qui affichait trop ouvertement sa sympathie pour I'elite. Le

signal etait clair: Ie peuple en avait assez du mepris de son sort miserable.

Tout le long de la campagne electorale de 57 l'avalanche du "Rouleau Compresseur"

devalait sa provocation menacante des pentes de Sainte Helene. Etait-ce un phenomene

nouveau ? Loin de la! Ses antecedants se situent dans les incursions annuelles de la

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paysannerie dans le centre-ville, sous la forme du "Rara" et du "Baca". Ces bandes

bruyantes, intervenant dans les festivites apparernment innocentes du camaval local,

injecterent une note de erudite sinon de brutalite dans les moeurs citadines. Leur musique

infemale, leurs dances indecentes, ainsi que le brandissement feroce de branches d'arbres

dans la direction des balcons d'une elite aveugle signifiaient la denonciation, le rejet du

statu quo seculaire. Le moment du reglement de comptes appro chait.

Le tempo du changement passa alors du trot au galop. Quand, a la chute de Magloire, un

mulatre se porta candidat a la presidence contre trois noirs, Jerernie reagit en prenant

position, I'elite en faveur de Dejoie, la masse pour Fignole, Jumelle, et Duvalier. Les

camps etaient bien definis et la radicalisation sociale devint corcee, Tout evenement

politique a Port-au-Prince trouvait un echo approfondi, elargi a Jeremie. La greve

etudientine for£ait la ferrneture des eccles, les rassemblements electoraux mena£aient de

degenerer en bagarres, et les partisans s'invectivait par l'echange de slogans politiques.

La capitulation du juge Catinat Sansaricq, a la suite de semaines de protestations

populaires, fut celebres frenetiquement pas le deferlement du Rouleau Compresseur qui

submergea le district d'affaires en plein jour de sa maree humanite grisee de vangeance.

Quand les incendiaires mirent le feu aux quatre coins de la ville, detruisant une villa a

Bordes, quatre maisons au Fond Augustin-dont le local du Lycee Nord Alexis-et

endornmageant une batisse en bois a la Haute-Ville, l'esprit du Rouleau Compresseur

demontrait son emprise sur une ville desormais assiegee. Jeremie etait un baril de poudre

a canon pret a sauter a tout moment. L'action inconsideree de Jeune Haiti produisit

I' etincelle qui provo qua la deflagration finale.

Qu'il me soit perrnis d' inserer a ce point I' experience personnelle que j 'ai vecue moins de

deux ans avant le carnage. Immediatement apres le second bac, en Septembre 1962, je

postulai l'admission a l'Ecole de Genie de I'Universite d'Haiti. Avise de me munir d'un

"piston" pour assurer le success de rna demarche, je recourus aux parents de la capitale

dont les connections gouvemementales semblaient fiables: Ramah Theodore, Directeur

du Tourisme, et William Bonhomme, Directeur General au Bureau des Finances.

Anne d'une carte d'introduction de ce demier, je rendis visite a Maurice Latortue en son

office au siege de la Faculte dont it etait le Recteur. Ce parfait gentilhomme et intellectuel

de renom me recut gracieusement, m'honorant d'un tour d'inspection de son domaine ou

etaicnt exposes ~odeles, plans, et photos dedifices publics dans la construction desquels

il avait eu une main experte. J'etais aux anges, et mon hate qui s'en rendit compte, fit de

son mieux pour attiser mes aspirations.

Quand nous primes siege a son bureau il me confia que depuis 1957 son rectorat avait etereduit a une fonction purement honorifique, qu'il n'avait plus la voix au chapitre dans les

deliberations relatives au recrutement, celles-la relevant d'un comite gouvememental

forme delements strictement loyaux au regime. Les epreuves d'admission etaient pro

forma dans le sens que les promotions entrantes devaient porter le sceau d'approbation da

Papa Doc. II m'encouragea tout de meme ia perseverer, raisonnant que les vraies

vocations echappent parfois a la malfaisance politique.

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La deuxierne semaine d'Octobre me trouva ainsi dans la compagnie d'une cinquantaine

de jeunes gens qui braguaient I'entree a l'Ecole de Genie, Ne me faisant nulle illusion, je

me pretai au jeu, m'amusant a deviner lesquels avaient recu la benediction du regime et_

devaient beneficier d'une formation professionnelle, et lesquels servaient de pions sur

l'echiquier des apparances democratiques, Matin et apres-midi, les diverses epreuves

nous furent servies selon un rituel bien orchestre, et quand vint la derniere session, uncertain optimisme m'avait gagne, J'avais soumis rna planche de dessin a main levee -une

feuille de vigne executee en noir a contre- fonds blanc-et recevais les felicitations de

mes collegues assembles autour de rna table de travail.

C'est alors que le Directeur du Comited' Admission nous rejoignit. Deignant a peine

regarder mon "chef-d'oeuvre", iljeta de-but-en-blanc: "Dites, qu'etes-vous venu faire ici,

Clerie ?" J'eus un subresaut visible. Question superflue, au bas mot. Me composant, je

repartis: "Je crois etre venu querir l'admission a l'Ecole de Genie de l'Universite de mon

pays ... " Levant la main d'un geste temporisateur, il riposta: "Les gens de votre acabit

vont parfaire leur formation dans les institutions de renom d'outre-mer". Un vide s'etait

vite fait autour de moi, etje restai seul face a mon aggresseur.

II prit la peine de s'introduire: "Ebert Dambreville ... mon nom doit vous etre familier.

Vous voyez, Clerie, apres mes etudes ici, j' allai servir mon stage aux Travaux Publics a

Jeremie, il y a de cela trente ans ... " "Ah bon," repris-je, "la vieille ville semble vous

avoir bien servi, 'a juger de la position prestigieuse que vous occupez aujourd'hui. C'eiit-

ete un honneur ... " II me fit un bref compte-rendu de son experience infortunee dans la

"capitale du prejuge de couleur, " et conclut sur un ton glacial: "Je n'ai pas eu l'honneur

de rendre avos devanciers la monnaie de leur piece, aussi ne m'en voudrez-vous pas sije

vous fais payer a leur place". "Payer? Je ne comprends pas ..."

Je me defendais gaillardement, l'exesperation dans la voix, conscient de I'enormite de cet

echange et des consequences monumentales qu'il emportait pour l'avenir. Mais plus je

m'evertuais a I'adoucir-s-n'etait-il pas au pinnacle du success professionnel ?-et plus

/ cet agri s' achamait contre moi. C' etait David et Goliath, un brimborion de 19 ans contrer

un veteran endurci de l'existence, et dans cette joute inegale Goliath etait assure du

_' triomphe. II passa en revue I'education, le rang social, la religion, la fortune, martelant

dans toutes ses considerations le fait de l'exploitation de sa classe par la "mienne."

Je realisai alors que pour lui, il ne s'agissait pas d'une simple question de vieilles

querelles et de blessures partiellement cicatrisees: Mr. Dambreville avait maille a patir

avec Jeremie, avec ce qu'elle symbolisait pour lui, avec ce que la ville lui avait impose

dindignites en ne reconnaissant pas en lui un spe-cimen prodigieux d'humanite, II

souffrait d'une forme avancee du syndrome Jeremien, et a ses yeux j 'etais l'offrande

innocente du bouc emissaire. Dans ce renversement de I'ordre des choses il admit avoir lamain haute, et entendait exploiter la situation a son avantage en tirant enfin sa revanche.

Apres une bonne demi-heure, Dambreville m'invita a "continuer la conversation" a son

bureau ou nous serions plus a I' aise. J' aurais pu dediner I' offre, tirer la reverence et

mettre fin a cette flagellation gratuite; mais j' eus ete un poltron. Au point ou nous en

etions, j'etais resolu a avoir le coeur net, a surmonter sa haine par la charite. Sortant un

revolver du tirroir, je le vis passer deux balles au canon. Allait-il m'abattre de sang-froid

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ou donnait-il du change? J'essayais de decider lorsque la porte s'ouvrit en coup de vent,

une main m'empoigna et avant que je puisse protester, une voix incunnue me designa la

porte de sortie: "Rentrez chez vous sans vous arreter ni regarder en arriere! Allez!"

Le lendemain, je rn'en fus en ville faire un cable a papa. A la Rue Capois, en face du

Cine Rex, une Volkswagen noire freina bruyamment alors que je m'entendis interpeler:Dambreville promenait son entourage, jovial. II fit machine arriere tandis que je marchai

resolument a sa rencontre. Il salua du ton Ie plus poli et m'avisa de ne pas perdre de

temps a attendre l'issue des examens: "Port-au-Prince pourrait etre dangereux. D'ailleurs,

les resultats seront radiodiffuses, promesse formelle" intima-t-il avec un ricanement. Je le

remerciai et repris rna route en pensant qu'a son insu no us etions deux victimes du

complexe Jeremien, mais a des titres differents, ce qui expliquait mon calme face a son

humeur maussade. J'eprouvai un sentiment de pitie profonde pour l'homme.

Non, les "Vepres Jeremiennes" netaient pas une simple riposte inadvertante de Duvalier

ala menace d'une opposition tenace. Elles eurent des antecedents historiques remontant a

des decennies dinegalite sociale, d'oppression economique et d'abus de privilege. Le

role d'une elite devrait consister a eduquer, proteger, et entourer les classes defavorisees

dan l'interet collectif de la societe. Or, a Jeremie, I'oppose etait la regle dujour. Une elite

minoritaire, tournee sur elle-meme, ignora les revendications des masses qui, fatiguees de

souffrir, recoururent a la force brutale pour se forger une sortie de crise.

Le syndrome Jeremien etait le phenomene complexe d'une societe polarisee qui

empoisonna l'esprit de ses enfants et les verouilla dans un contest d'injures infligees et de

revanches remises a demain. En subjugeant les aspirations des uns et des autres a un

reseau de preferences et de negations qui deniait les valeurs humaines et promouvait la

mediocrite, il soutint un climat de rivalite qui nous rendit incapables de l'initiative de la

reconciliation, en ce qu' elle etait trop onereuse, lui preferant le desastre eventuel.

La catastrophe de 64 ne fut que I'aboutissement inevitable de cette anomalie organique

qui minait notre cornmunaute et dont elle expirait a petit feu pendant des annees

innombrables. Les "Septembriseurs" servirent en somme de doigt sur la gachette

proverbiale, l'invasion des 19, constituant le brin de paille qui rompit le dos du chameau.

Avec ou sans eux le debordement de 64 aurait eu lieu, parce qu'il etait devenu inevitable.

Les cagoulards Jeremiens sont-ils excusables ? Peuvent-ils etre exoneres ? Certes pas. Ils

servirent d'instruments a I'arrete du destin amer. Jesus avait justement prognostique: "Il

est necessaire qu'il arrive des scandales; mais malheur a I 'homme par qui le scandale

arrive!" (Matthieu 18:7). La trahison de Judas Iscariote avait ete prophetisee; elle etait

une piece indispensable a la mosaique de la redemption de l'humanite dechue.

N'empeche que Jesus observa qu'il "eut mieux valu qui ne fusse jamais ne". La tuerie du

64 etait inevitable, mais les aggresseurs auraient mieux fait de n'avoir jamais existe!

Les Premices de I 'Hostilite

La question de couleur a Jeremie, aussi subtile s'avera-t-elle, n'aurait pas mene au

desastre de 64 sans l'influence d'un catalyseur. Elle a ete stimulee, sublimisee par une

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.',':t.

force si puissante qu' elle put engager les ressources de l'ame et du coeur dans son oeuvre

destructrice. Ce catalyseur avait convulse la societe Europeenne bien plus avancee des

sixieme et dix-septieme siecles; il vintjouer un role determinant dans les remous sociaux,

economiques et politiques qui agitaientnotre communaute a l'epoque. Sa force d'action

fit passer la discorde de la souffrance passive a la reaction brutale: je parle de l'influence

nefaste de l'intransigeance religieuse.

Le premier Clerie as' etablir en Haiti fut membre fondateur de la Cite des Poetes. Venu

de Saint Malo, dans le midi de la France, il professait la foi Romaine. Aussi, Allain Marie

Clerie et son epouse, Marie Cambre, s'associerent-ils tres tot a la pratique religieuse

locale, aussi desorganise et primitive qu'elle fut, et contribuerent a cimenter l'esprit de

corps de la communaute,

Les generations successives marcherent sur leurs brisees, et c' est ainsi que le premier

Alain Cleri€ (affectueusement denomme Papa Alain), ne en Septembre 1818, devint

autan un pilier de la ville qu'un fervent paroissien. Aussi longtemps qu'il resta fidele ason eglise, iljouit de l'adulation generale, devenant Juriste en charge au Tribunal CiviL II

travailla ainsi a la revitalisation du Catholicisme Jeremien, tombe dans la desuetude alasuite de l'insurrection des esclaves et de la guerre de l'Independance.

L'Eglise qui, depuis la decouverte, s'identifiait comme une extension du colonialisme,

n'avait pas cache son opposition a cette revolte. Son indifference, voire hostilite ouverte

aux revandications des classes opprimees, encouragea la reviviscence des croyances et

pratiques Vodouesques. Aussi, la convocation en 1791 du Bois Caiman, avait-elle une

double signification: elle signalait le recours aux dieux tutelaires de l' Afrique autant que

la dissatisfaction des esc1aves avec l'attitude du Christianisme envers leur sort miserable.

La hierarchie ecc1esiastique, confiante en la vito ire des forces de Napoleon, ne prit done

pas la precaution ni de former un clerge indigene, ni de s' adapter aux circonstances

nouvelles pour assurer la continuite. Prise au depourvue par le success de Vertieres, la

plupart des religieux abandonnerent leur paroisses et s' embarquerent vers 1Europe quand

l' ecroulement survint en Novembre 1803. La religion organisee -Ie Catholicisme etait la

seule-tomba vite dans la desuetude, alors que les rites sacres incomberent a des

officiants de fortune, depourvus de la formation et de I'education necessairesau maintien

d'une profession religieuse vibrante, adaptee aux besoins de la jeune nation.

Les Clerie assistaient regulierement a la messe, aux Vepres, et prenaient part active aux

diverses activites de l'Eglise; mais ils en revenaient insassouvis. Or, l'origine Irlandaise

de la famille trahissait un penchant Protestan primordial que I' exil, la turbulence du

temps, et les pressions sociales avaient altere dans le terroir Francais. Convaincu que le

Christianisme avait mieux a offrir a l' aspirant a une communion veritable avec Ie divin, al'intellectuel assoiffe des hautes verite'S de la religion du Christ, Alain s'inquietait,

cherchait.

Un jour, ayant lu une copie du Nouveau Testament, acquise par son epouse d'un

colporteur de passage dans la Grand' Anse, la lumiere se fit dans son arne. II s'exclama

avoir "enfin trouve la verite I" et renonca au Catholicisme de maniere dramatique:

"Eglise Romaine, j 'ai fini avec toil" ann~nca-t-il le dimanche suivant au sortir de la

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~,

._!lmesse. Puisant aux ressources evangeliques qu'un ressortissant Britannique qui faisait Ie

commerce entre les Cayes et Jeremie, un Mr. Folsom, avais mises a sa disposition, il

approfondit son experience de conversion et, frayant Ie chemin a sa large famille, Alain

constitua l'Eglise Methodiste Wesleyenne de 1850, dont il fut assuma Ie pastorat initial.

Dix ans plus tard, a la faveur du Concordat conclu avec Ie Saint Siege, Ie Catholicismefut intronise religion officielle. De nombreux ordres religieux etrangers affluerent au pays

pour entreprendre I'amelioration de I'etat de I'Egiise. Un contingent Breton aboutit a

Jeremie. De fait, frais emoulu de I'esclavage, Ie pays avait desesperement besoin d'un

Nelson Mandela, d'un Ataturk, d'un calalyseur d'hommes et de societe, d'un batisseur de

ponts; mais helas! Le Saint Siege Ie dota de mercenaires peu soucieux du climat social et

eux-memes deja polarises par les conflagrations du vieux continent. Une enquete meme

superficielle sur l' identite et Ies qualifications de ces religieux confirmera cette

observation. Aussi s'affairerent-ils a attiser la ferveur d'un Catholicisme neo-colonialiste

qui fit cause commune avec l'elite dans son desir de dominance des autres classes et de Ia

suppression de la liberte religieuse.

De I'instant de larrivee du nouveau clerge, Ie luge CIeri€"devint Ia bete noire de Mr.l' Abbe qui trouva la presence d'un Protestant dans sa nouvelle paroissse une provocation

a I'imperialisme du Catholicisme. II aliena Ia famille "heretique" en montant Ia fete a ses

ouailles contre les Cleric. Cette pratique Fran~aise allait a I'encontre de la realite sociale

Haitienne et constituait une prise de position contre la souverainte nationale en ce qu'elle

deniait a des citoyens libres l' exercice de leurs droits fondamentaux sous la constitution:

Ia liberte de conscience et Ie libre arbitre. Pire, cette action etait enterprise par ceux-la

memesde qui Haiti venait toutjuste d'arracher son autonomie par la force des armes.

Pourtant, le subterfuge reussit a merveille. Au lieu de remontrer, la population se soumit,

se pretant meme a I'aggression. Les anciennes amities se refroidirent du jour au

lendemain, Ies relations entre employeurs et employes se compliquerent, les parentsdenierent les leurs, et un fosse se creusa autour des Protestants. L'inimitie s'intensifia sur

le cours de Ia seconde moitie du siecle et cette breche additionnelle vint fragiliser la

communaute deja destabilisee.

La franche amitie etait interdite, les mariages mixtes bannis. Quand David Cleric, un des

trois fils de l'aieul, epousa une Cyriaque, la famille elle-meme se ruptura irreparablement

sous la pression des exigences imposes par Ie presbytere. Appartenant a la quatrieme

generation, j' ai done grandi dans cette ambiance de discorde, conscient de cousins,

oneles, et tantes avec Iesquels notre moitie Protestante n' entretenait que des contacts

tenus. Leur demeures nous etaient pratiquement fermees, et si on se saluait de la tete dans

la rue, l'interaction et les echanges soutenus etaient impossibles.

\}

Une Famille Divisee

Insatisfait de ce success mitige, Ie Pere Fouquet a son arrivee poussa les choses ~

l'extreme en designant la chapelle du Fonds Augustin territoire hostile. Des lors, la

semblance de I'unite familiale netait plus qu'un souvenir indistinct. Les occasions qui

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devraient naturellement ramener les uns et les autres dans le cercle familier d'affection

devinrent autant d' opportunites de tiraillement. N aissances et anniversaires

occasionnaient des controverses, alors que parents Catholiques de defunts Protestants se

congregaient sur la galerie de Millie Stoodley lors des funerailles de chers disparus pour

ne pas encourir la desapprobation ecclesiastique. Certes, ils envoyaient des fleurs,

visitaient la maison mortuaire, et pleuraient des larmes sinceres au cimetiere; mais faireun faisceau au moment peinible de l'adieu final, cela n'etait plus de mise sous peine

d'excommunication. Le fosse devint un abime dans ce contexte d'intransigeance.

Une Vendetta Personnelle

Pourtant, le salon de mes grands-parents servait de lieu de rendez-vous it la jeunesse

intellectuelle: Clerie Laforest, Numa Chassagne, Femand Baguidy, Edmond Laforest,

Etzer Vilaire, Jean Briere, et j'en passe, y disaient leurs demiers poemes, emettaient leurs

opinions litteraires, degustaient la musique classique qui coulait a grand flot du piano aqueue -et couvaient des yeux les jeunes beautes qui leur faisaient battre le coeur.

N'empeche que toutes les fois que Tonton Alain et l'oncle Georges, pianistes et

compositeurs de renomee intemationale, "s 'arrogeaint I 'impertinence" d' annoncer unesoiree musicale, le cure tonitruait et la ville se courbait. Le duo etait publ ie et tres prise a

letranger; pourtant l'unique concert de mon onele fut donne bien loin de sa ville natale,

au Rex Theatre a Port-au-Prince, ou il connut un success eclatant.

Tout ce qui s'avouait Protestant-institutions, entreprises, individus-devint la cible de

la haine inveteree du cure. C'est ainsi que Eugenie Vilaire constitua uneecole primaire

dans les annees trente, mais dut en fermer les portes quand Fouquet la frappa d'interdit.

Enhardi par ces prouesses du pre sbytere , Me. Octave Petit entreprit une campagne de

denigration systematique du secteur Protestant dans sa petite revue locale, commettant la

gaffe de souhaiter ouvertement que dans un avenir pas trop lointain "la chapelle du

Fonds Augustin dut servir de site a un beau petit reposoir pour la Fete-Dieu".

L'acrimonie prit l'allure d'une vendetta personnelle avec le passage du temps. Le cure',

familier au jugulaire, concentra ses attaques au vitriol contre la personne meme du

Pasteur Haitien. Mon grand-perc jouissait d'une reputation legendaire pour son honnetete

exemplaire, la simplicite de ses moeurs, sa prodigalite sans borne, et la compassion dont

il faisait montre a l'endroit des humbles. Pendant une tournee de cure d'fime, il s'arreta

pour aider une marchande de charbon de bois dont la mule piaffante s' etait defaite de sa

cargaison. Oubliant qu'il portait son complet de drill blanc, Alain s'evertuaa pacifier la

monture puis, empoignant les sacs renverses, il les remit en place. Cet incident ri'etait

guere isole, car il se savaient bien en ville que sa salle it manger etait toujours ouverte aux

creve-la-faim aussi que sa maison aux voyageurs en transit qui n'avaient ouloger.

N'empeche que ce citoyen modele fut l'objet constant de la hargne du pere Fouquet qui

s'employa a lui denier tout gagne-pain. Condisciple de classe au Lycee Petion du futur

president Vincent, Alain savait performer au Cerele Port-au-Princien a l'invitation de son

ami de marque. L'avenement de ce demier a la premiere magistrature de l'Etat offrit la

chance de la reciprocite: Vincent nomma son ami directeur du Lycee Nord Alexis. Le

cure offusque adressa une lettre impertinente au president pour decrier ce "choix

deplorable"; il poussa la venalite a une honteuse assassination de caractere de celui qu'il

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qualifia de "sectaire farouche" arguant que dans ce poste sensible il contribuerait a la

delinquence de la jeunesse. Vincent, qui en savait autrement, ignora cette ordure et

confirm a son choix. L'histoire devait le justifier car ceux de ses eleves qui vivent encore

vouent au directeur Clerie un respect et une admiration sans bornes.

Hostilites Ouvertes

Entre-temps, apres plus d'un demi-siecle de presence en Haiti, le clerge Catholique s'etait

revere inept a eradiquer le Vodou, et avec le rayonnement grandissant de la religion

ancestrale qui parvenait meme a infiltrer les rites et croyances de l'orthodoxie Romaine,

une action d'envergure s'imposait. La fin des annees trente marqua done le lancement

d'une campagne dite anti-superstitieuse. La "Rejette," ainsi qu'elle s'appelait, mobilisa

les ressources de l'Eglise dans la poursuite de houmforts, pretres et temples vodouesques.

Les inities une fois demasques, furent forces a desavouer leurs croyances animistiques,

rejeter idoles, pratiques, et manuels de culte s'ils desiraient d'etre rehabilites au

Christianisme. Le problerne cependant venait du fait que la campagne discriminait entre

les milieux campagnards et les centres urbains, car dans le sanctuaire du foyer, I'elite

perpetuait secretement l'amalgamation du Vodou et du Catholicisme.

L'Eglise cria victoire, mais peu s'illusionaient sur l'efficacite de l'intervention, puisque

les us et coutumes du people Haitien lui restaient refractaires. La Rejette emporta

toutefois des consequences imprevisibles pour la communaute. En forcant la religion

ancestrale dans le maquis, elle declancha un vrai marronnage spirituel. De meme, la

rigueur des methodes utilisees allant a contre-poil de la nature bonace du paysan, qui ne

pouvait ni voir ni se convaincre du bien fonde des forfaits dont on l'accusait, celui-ci

garda une mefiance sournoise a I' endroit de ses detracteurs, envisage ant une revanche

eventuelle. Le conflit se redefinit done en terms de rivalite citadins-montagnards.

Le trepas subit de mon grand-pete coincida avec la culmination de la Rejette dans laGrand-Anse. Une succession pastorale difficile s'annoncait pour l'eglise Protestante,

avec Etzer Vilaire et George Jerome se relayant du mieux de leurs moyens dans la chaire,

et un Pasteur britannique du nom d' Arthur Francis Parking son Turnbul(f~isait la navette

entre les Cayes et Jeremie pour administrer la Cene et presider aux baptemes et mariages.

C'est a ce moment precis qu'un jeune rnedecin en residence a l'Hopital Saint Antoine fit

irruption sur la scene locale: cetait le talentueux chirurgien Paul Bonhomme, dont la

famille constituait un vecteur puissant du Methodisrne Port-au-Princien.

Son arrivee a Jerernie se revela providentielle en ce qu'elle introduisit les freres Clerie a

I' evangelisme populaire, un plan d' action bien simple, mais largement visionnaire de la

nature de I'eglise. A l'exception d'une petite chapelle a Debouri, le Protestantisme

Jeremien consistait uniquement dans les familles aparentees aux Clerie. Elle avait besoin

de sortir de cette serre close, et d'elargir son champ d'influence. L'inclusion des masses

du peuple offrait un potentiel formidable dans cette direction: "l 'Oeuvre Populaire" fut

ainsi fondee. Son objectif etait d'exporter le message evangelique de l'amour fraternal et

du salut par grace-en contraste avec l'ostracisme du clerge Breton--de l'enceinte

confinee du temple du Fonds Augustin vers les recoins des quartiers populeux. A la

Pointe et aux Cotes-de-Fer le mouvement trouva une reception inattendue qui promettait

de changer la nature du conflit.

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- l ' Y V - - _ - - - -. .. . ..

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Alarme par ce tournant de choses, le cure organisa les femmes de sa paroisse en une

cohue vulgaire et violente dont la mission etait d'interrompre les reunions en plein air par

tous les moyens imaginables. Accuse de troubler l'ordre public, le groupe se redeploya

sur des proprietes privees, Rien n'y fit. Un Vendredi soir, alors que Bonhomme prechait

sous une tonnelle erigee dans la cour de Madame Agee Tiafisgueul aux Cotes-de-Fer, un

deluge de projectiles s'abattit inopinement sur l'assistance, faisant nombres de blesses.Cet incident seminal, qui se repeta semaine apres semaine a la faveur de l'insouciance

policiere, marqua un tournant decisif dans I' evolution du conflit. La crise avait evolue de

l'intention de detruire une famille it une forme de guerre civile.

Aussi, un autre front s'ouvrit. Le jeunesse Catholique fut conscrite dans une armee

reminiscente de I'Allemagne Hitlerienne, pour une campagne de vulgarite contre la

generation Protestante montante: Elle devait narguer, poursuivre, et provoquer ses

contemporains dans des attaques verbales aggressives. Je garde encore frais dans la

memo ire les multiples incidents de badauds ehontes qui harcelaient mes freres, mes

cousins et moi, toutes les fois que nous deambulions par les rues de la ville: "Pote chien,

pote caca, " nous jetaient-ils au visage. Le conflit faisait tache d'huile, se generalisait.

Plus pres de nous, on se souviendra sans doute du fait que Ie College Alain Clerie, la

premiere institution secondaire privee de Jeremie, attira sur sa tete la foudre du presbytere

incontinent. Quand Luc Briere, commissionne par la famille pour etablir les plans d'un

batiment au Fond-Augustin, delivra sa requisition de materiaux de construction au

magasin Desquiron, quelle ne fut sa surprise de recevoir une fin de non-recevoir

cinglante: "La maison .ne saurait accommoder les clients Protestants, " lui fut-il intime.

L.V.J., Successeurs pla~a la commande 'a _ la Maison Bonhomme de Port-au-Prince, et la

construction put etre ainsi achevee. 11etait pourtant clair que I' acrimonie avait pris racine,

empoisonnant non seulement la vie sociale, mais les rapports commerciaux.

Pour l'annee inaugurale du College, une douzaine de jeunes, frais emoulus de CEP, etrecrutes des deux cotes de la ligne de demarcation, s'inscrirent en Sixieme. Mais, helas!

au jour de l'ouverture, seule Colette Dupoux-de douloureuse memoire-e-se porta presente

a la cloche de huit heures. Quid des autres ? Pourquoi, derogeant a I'etiquette, les familles

ne se soucierent meme pas de se faire excuser ? Le dimanche precedant, le cure avait

toume son homelie de circonstance en une diatribe contre l' "Ecole Protestante."

Menaces d'excommunication, les parents capitulerent,

Comment l'opposition de l'Eglise se justifiait-elle, alors que la majorite du corps

enseignant retenu par le nouveau College professait le Catholicisme ? Sur quoi le cure

Peron etayait-il sa condemnation, quand les manuels d'instruction requis dans les

diverses classes correspondaient exactement a ceux en usage au Lycee et plus tard a SaintLouis? Mais encore, je demande, comment cet ostracisme faisait-il aucun sens, alors

qu'a aucun moment le College n'avait preconise ni introduit l'instruction religieuse dans

son curriculum, lequel conforrnait strictement au standard du Departement de l'Education

Nationale ? Nonobstant, pendant son long ministere a Jeremie, la grand-messe du premier

dimanche d'Octobre ramena les invectives annuelles de Jean Peron contre un

etablissement scolaire dont la seule distinction etait de viser a l' avancement de la

jeunesse du pays.

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Des annees plus tard, Saint Louis ouvrira ses portes 'a Rochasse. Du mot de son principal

fondateur, "Messieurs, George Clerie nous a damme le pion: relevons le defi!" Comment

done George avait-il damme Ie pion a qui que ce soit en fondant une institution scolaire

secondaire? A part le lycee, l'option unique consistait entre l'acheminement vers Port-

au-Prince, et Ie Brevet d'etudes, une formule de troncature qui deniait a la jeunesse le

benefice d'une formation intellectuelle avancee. Le manque d'opportunite etait criant et,ce que tout citoyen progressiste aurait du acclamer comme un innovation merveilleuse, ce

que tout Jeremien avise aurait du supporter du meilleur de ses moyens, un large secteur

de la population, aveugle par un biais religieux, avait jure de travailler a sa ruine.

Si dans les premiers jours l'entreprise competitive ne se revela pas financierement

rentable, parce que Saint Louis etait une exclusivite masculine, Ie clerge n'hesita pas adevier aux normes regissant les ecoles paroissiales: il roula Ie tapis rouge a la clientele

feminine. Alain Clerie souffrit d'une hemorragie substantielle, perdant ses meilleurs

eleves a la concurrence. Pourtant, il tint bon et, avec Ie temps et les changements qui

s'operaient dans Ie monde autant que dans la demographic regionale, l'interdit finit par

s'emousser. Instrument moyenageux de repression, l'excommunication perdit sa

fascination pour la conscience Jeremienne. Cependant, les des etaient deja bien jetes et

l'horloge de l'histoire sonnait une heure tardive pour la vieille ville.

Le Radicalisme Religieux

Je m'empresse d'ajouter que ce qui etait vrai du Catholisme s'appliquait egalement aux

missionnaires Protestants etrangers, Quand Henri Bernard fut transfere du Cap Haitien a

Jeremie dans les annees cinquante, apres des decades de negligence du district par Ie

Comite directeur de Londres, sa premiere initiative fut de decommissionner les laics en

charge de l'eglise depuis le deces du Pasteur Clerie, Le nouveau berger s'evertua de leurdenier l'acces aux 25 eglises rurales qu'ils avaient baties a la sueur de leurs fronts et au

coin d'immenses sacrifices personnels et effectua le transfert systematique des titres de

propriete du nom des acquereurs originaux a celui de I'entite d'outre-mer. Cette saisie

manu militari causa la desintegration et du Protestantisme Jeremien et de la famille

Clerie, Ce que le clerge Catholique etait incapable d'accomplir en un siecle, un Pasteur

Francais le concretisa en moins de deux annees."

Pourtant, ces decennies de radicalisme religieux laisserent leur empreinte virale sur les

generations successives qui prirent gout au maniement de la haine du prochain, a la

desunion, et a la poursuite de solutions radicales a leurs divergences de croyance et de

fortune. L'esprit frondeur et les methodes de l'Inquisition du vieux continent avaient

trouve un sol fertile dans ce trou-chou-chou Antillais qu'etait Jeremie, et il y fleurissait

au dela de toute esperance. Y avait-il la un plan secret, une tentative de destabilisation de

la communaute Haitienne dans l'espoir de derailler l'Independance de 1804 ? Vues dans

cette perspective, les "Vepres Jeremiennes" semblent prendre l'allure d'une gigantesque

conspiration internationale qui merite une exploration minutieuse.

11me souvient de la confession d'un "ami" de jeunesse, au cours d'un entretien sur la

religion: "Gerald," m'avoua-il sans ambages, "si j'etais cure de la paroisse, et si les

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circonstances s 'averaient aussi propices aujourd 'hui qu' elles I' etaient au dix-septieme

siecle europeen, je n 'hesiterais pas un moment a te faire bruler vivant". Cette hostilite

latante, ce sadisme deconcertant qui vous regardait dans le blanc des yeux tout en vous

invectivant, ce cynisme qui souriait tout en enfoncant le poignard dans le dos, it etait

d'inspiration spirituelle. Le grain mis en terre devait tot ou tard produire sa moisson

desastreuse. Les "Vepres Jeremiennes" furent le produit de la semence d'ivraie que cesmanito us religieux avaient jete dans le sol fertile de notre milieu trop malleable et creant,

Cette oeuvre devastatrice, ne pouvait etre le fruit du hazard: elle a ete poursuivie

sciemment, de faeon calculee. Ses victimes furent poussees implacablement a I'action

parce que les architectes du desastre etaient eux-memes mus d'un racisme invetere qui

trouva dans la bonhomie Haitienne l'opportunite de realiser ce qui, en France et en

Espagne, etait devenu inaconcevable. Moutons de Panurge, nous nous sommes pretes aux

machinations machiaveliques de ces devergondes en nous entre-dechirant. Ce faisant,

nous avons denie a notre patrie le future de grandeur que 1804 lui avait propose.

"Joumou pas donne calebasse", rappelle le dicton creole. Salomon avertet de merne:

"Qui seme le vent moissonne la tempete". Le clerge' etranger a seme le ferment de lazizanie au sein de la famille Jeremienne deja vulnerable et instable, et il a inflige la mort

et la ruine Iii ou la vie et l'espoir etaient appeles a s'epanouir.

La France de Ia Revoction de l'Edit de Nantes, l'Espagne de l'Inquisition, l' Allemagne

d'Hitler, La Serbie de Milosevich, l' Afrique du Sud de l' Aparthaid mis ensemble

elucident la Jeremie de 1964, alors que Jeremie n'enseigne absolument rien de nouveau

ni de beau dans l' experience humaine. Certes, les noms des meurtriers sont differents, les

coordonnees sociales se situent aux antipodes les unes des autres, les circonstances

particulieres largement en variance, et les dates sans correspondence chronologique; mais

les causes honteuses et effets tragiques demeurent etemellement les memes.

Lecons A Degager ?.j)

Quelles lecons faut-il degager de ce large tour d'horizon ? Peut-on etre assure que le

massacre de 64 ne se reproduira jamais ? Alors que nous approchons le demi-centenaire

des "Vepres Jeremiennes", si nous examinons l' etat actuel de sante civique et morale du

patelin, est-il une connection a etablir entre la catastrophe de 64 et les conditions de vie

qui y prevalent de nos jours ?

Ayant gagne l'exil en Juillet 1969, j'ai entrepris depuis Ie periple de cinq visites au

village, Ie premier en 86, quelques mois avant la chute de Jean-Claude, et le demier il y a

deux ans. Je confesse que chaque fois que j'ai remis les pieds sur les lieux de rna

jeunesse, un melange curieux demotions s'empare de moi: l'anticipation injustifiee,

quoique normale, de rentrer au bercail en juxtaposition avec l'apprehension de la

deception cruelle de ne pas le retrouver.

Revoir des quartiers et des paysages familiers; deambuler par des ruelles familieres;

respirer l'air, s'enivrer des senteurs de la flore, jouir de l'effluve saline de la mer;

deguster Ies petits mets du terroir; experimenter Ia canicule et l'humidite dans toute leur

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ardeur; admirer les pourpres de l' aube et du crepuscule; sentir la brise de mer vous

caresser le visage au reveil ou celle de terre apporter l' apaisement du soir apres une

journee bien remplie: autant de raisons pour s'abandonner a l'appel magnetic de la terre

natale.

Inevitablement pourtant, les souvenirs nous happent des l'arrivee, d'autant que le terraind'atterrissage est encore crevasse des derniers pas des victimes de l'holocauste de 64, qui

le traverserent en cheminant vers leur destin tragi que dans les tenebres de la nuit. Nous

nous evertuons a represser nos souvenirs tout en cherchant Ie sourire de visages familiers,

l'accueil du cerc1e familial, la chaleur d'amities refroidies, I'etreinte d'amours eteintes.

Mais la realite reprend ses droits alors que le reve palit sur l'ecran de la memoire.

Tout un secteur de la population, autant mulatres que noirs, parti vers des rives plus

hospitalieres, accuse son absence de facon pathetique, De la Basse-Ville a La Source, du

port aux hauteurs de Bordes, les anciennes maisons de famille, les halles de magasins de

, renom elevent le spectre de leurs structures meconnaissables. Et la ou l'on esperait

/ / retrouver de vieilles connaissances, des amis, des parents, un barbele hostile de visages

V inconnus vous croisent avec defiance: "Sa moun sa-yo vini fe icit-la ?"

On realise alors que la ville a change de main, qu'un recyc1age demographique s'y est

produit, que les fils authentiques de Jerernie lui sont desormais de parfaits etrangers. La

vieille cathedrale de briques rouges prone, sombre et triste sur une Place Dumas malaisee

a reconnaitre, escomptant son remplacement par le monument que Monseigneur Rornelus

s'affaire a eriger a la nouvelle vision Jeremienne aux confins de Nan Bourrette, alors que

les eglises evangeliques comme autant de champignons sauvages, ponctuent le panorama

de leurs temples rustres de quartier. La complexion religieuse et sociale de la ville a

connu une synthese etonnante, la page proverbiale a ete tournee, et on peut compter sur

les doigts d'une seule main ceux qui ont souvenance de l'annee terrible 1964.

II n'y a que la Diaspora qui s'entete a evoquer la boucherie de trois familles notoires aux

mains d'une equipe anarchique, a debattre la confiscation illegale et le sac sauvage de

leurs possessions meubles et immeubles, et a pleurer sur l'illogisme de cette

experimentation dans l'absurde. Elle s'entete a soulever ses questions, a remuer la cendre

froide de souvenirs exsangues, et a y chercher reponses paree que, en choisissant l' exil,

elle a suspendu, elle a cogele en quelque sorte le cours du temps.

Nous portons dans l'ame une cassure organique, une discontinuite essentielle entre ce

passe jamais trop lointain et le present offusquant. Nous sommes des vies tronquees, des

personnalites disloquees, des existences broyees qui n'arrivent pas a abouter les deux

extremes de leur parcours terrestre. Le Jeremien et le proscrit en nous demeurent

incompatibles, irreonciliables; ils constituent la dichotomie existentielle que nous

sommes. Devons-nous nous dire Americains, Canadiens, Francais, ou bien preserver

notre identite primordiale envers et contre tout? Notre dilemme est cruel.

1'entends de plus en plus parler autour de moi d'un projet de retour aux penates. Ce

projet, ce desir, ce reve aurait meme pris l'allure d'un mouvement, car Marc Antoine

Gauthier, Eric Justin, Jean-Claude Tabuteau, mon frere Paul et d'autres encore

escomptent une retraite paisible dans Ie cadre qui a nourri leur jeunesse et insuffle en eux

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l'ardeur de la vie dans le monde sophistique du 21eme siecle. II parait qu'ils y

construisent, ou s'y sont construit des maisons, et envisagent d'y mettre sur pied des

projets de renovation urbaine. Ce mouvement, serait-ill'incamation de I 'esprit dont parle

Feiler dans son livre intitule Abraham? Cet auteur ecrit en effet,

"When life is not defined by reason, money, or box-office receipts, it must be defined

by something nonrational. That something is spirit. In America after September 11,

people retreated to emotional heavens: flag, family, faith. Grown men cried on national

television. There was a sudden glorification of irrationality, of raw emotion, of not

being able to explain things".

Connaissant l'actualite Haitienne, il est certes trop tard pour tenter une action en justice

contre ceux qui ont perpetre le massacre de 64. Pis encore, il se peut qu'il soit

materiellement impossible de reconstruire ce crime odieux dans ses details horripilants

par faute de temoins occulaires desireux de cooperer et par la penurie d'evidence medico-

legale. Faut-il done oublier le passe? Faut-il renoncer a l'oeuvre de la reparation

historique ? Perdons-nous notre temps a ruminer une epoque qui s'estompe de plus en

plus dans I' oubli ou bien, les vraies questions a poser releveraient-elles de la survie et dudevenir de la ville ?

Resterait-t-il un espoir pour Jeremie dans le sens et dans les dimensions que nous lui

connaissions ? Une reconciliation entre les deux poles de l'antagonisme qui a resulte dans

les "Vepres Jeremiennes" est-elle de l'ordre du possible? Peut-on enfin trouver une

formule de cloture a la catastrophe de 64 ? La generation qui a ete sacrifice aux ambitions

et a la haine des uns et des autres, c'est a dire la notre, offrirait-elle l'ultime opportunite

de reparer le dommage cause par les Septembriseurs ? Sinon, pourrait-elle servir de pont

entre le passe cauchemardesque et un futur de promesse et de renouveau ?

,

Nous observons. Nous attendons. Et nous ouvrons tentativement nos coeurs a

I'esperance.

Fratem71lement,

" 1 / PG e~ \___ _ ._ .

Tamarac, le 1)Avnl, 2012I

I.

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