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1 Les 7 contrastes de couleurs dans les peintures de la collection permanente La présente étude se base principalement sur la théorie de Johannes Itten (1888 – 1967), peintre et enseignant suisse. Professeur au Bauhaus entre 1919 et 1923, il fut ensuite directeur de la Kunstgewerbeschule de Zurich. Il est l’auteur d’un important ouvrage, qui fait encore référence aujourd’hui, L’art de la couleur, dans lequel il distingue 7 contrastes. 1. Le contraste de couleur en soi C’est le plus simple des contrastes de couleurs, celui qui nous permet de distinguer les différentes teintes que peuvent revêtir les choses visibles. C’est aussi le premier que nous ayons connu, lorsque, enfants, nous avons été capables de nommer les différentes couleurs. Peintre anonyme, Pietà, ex-voto

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Les 7 contrastes de couleurs dans les peintures de la collection permanente

La présente étude se base principalement sur la théorie de Johannes Itten (1888 – 1967), peintre et enseignant suisse. Professeur au Bauhaus entre 1919 et 1923, il fut ensuite directeur de la Kunstgewerbeschule de Zurich. Il est l’auteur d’un important ouvrage, qui fait encore référence aujourd’hui, L’art de la couleur, dans lequel il distingue 7 contrastes. 1. Le contraste de couleur en soi C’est le plus simple des contrastes de couleurs, celui qui nous permet de distinguer les différentes teintes que peuvent revêtir les choses visibles. C’est aussi le premier que nous ayons connu, lorsque, enfants, nous avons été capables de nommer les différentes couleurs.

Peintre anonyme, Pietà, ex-voto

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Indépendamment des théories de Itten, profitons des couleurs présentes dans cet ex-voto pour aborder leur aspect symbolique. On constate que les vêtements de la Vierge ont des couleurs très intenses, un rouge flamboyant et un bleu somptueux. Ces teintes étaient autrefois très difficiles à produire, que ce soit pour les teintures vestimentaires ou pour les pigments des peintres. En raison de leur prix exorbitant, seuls les seigneurs et les rois pouvaient s’offrir des habits bleus ou rouges. En peinture, on retrouve ces couleurs sur les vêtements de la Vierge, associées souvent à l’or, puisque rien n’est assez beau pour la Reine du Ciel. Le bleu Dès le Moyen Age, le vêtement de la Vierge est peint principalement avec un bleu magnifique et très profond – appelé bleu d’outremer – produit à cette époque à partir d’une pierre semi-précieuse, le lapis lazuli, importé de la région de l’Afghanistan. Il s’agit d’une couleur rare et très onéreuse, que l’on réserve aux parties les plus importantes d’un tableau, particulièrement aux vêtements des personnages les plus sacrés. Dans le langage populaire, on appelle souvent cette teinte bleu royal… Le bleu outremer est donc symbole de grande richesse et de grande dignité. Utilisé pour la Vierge, il symbolise aussi le Ciel, le Divin, la Pureté. Le rouge Là encore, le rouge vif est un signe de noblesse. Seuls les seigneurs et les rois avaient le droit de porter des habits écarlate ou pourpre. En peinture, le vermillon est obtenu par un mélange de soufre et de mercure. C’est donc une couleur précieuse, dangereuse à produire et à manipuler, qui n’est utilisée qu’en petites quantités dans des parties soigneusement choisies. Associée à la Vierge, cette teinte est symbole de royauté, de puissance. Mais le rouge vif est à rattacher également au sang du Christ, à la Passion, à la Rédemption, et encore à la souffrance de la Vierge face au sacrifice de son fils. Le blanc Présent souvent en plus petite quantité dans les couleurs de ses vêtements, le blanc est évidemment en rapport avec la Virginité de la mère du Christ.

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2. Le contraste clair - foncé Ce contraste est très efficace pour traiter la lumière et l’ombre et pour mettre en évidence les parties importantes d’une composition. Au XVIIe siècle, des peintres comme le Caravage ou Rembrandt vont l’utiliser de façon spectaculaire en faisant surgir des personnages violemment éclairés sur des fonds très sombres, allant jusqu’au noir. Pour désigner un tel procédé, on parlera alors de clair-obscur. Pour désigner les différentes nuances plus ou moins claires ou foncées d’une couleur, on parle de valeurs. Avec une belle virtuosité, Reichlen module ici une quantité de valeurs foncées dans la cape de la femme, pour faire ressortir les deux taches claires du visage et des mains.

Joseph Reichlen, La Toussaint

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3. Le contraste chaud - froid On associe la notion de chaud au feu et la notion de froid à l’eau, la glace, la neige. Les couleurs chaudes seront donc les jaunes, les rouges, les orangés, mais aussi les bruns, les beiges, les verts jaunâtres et les violets rougeâtres. Les couleurs froides tourneront autour du bleu, depuis le vert émeraude jusqu’au lilas, en passant par le turquoise, l’indigo, les gris-bleus… Les Impressionnistes vont privilégier ce contraste dans leurs tableaux, en donnant moins d’importance au contraste de valeurs. Avant eux, des peintres romantiques, comme Auguste Bader dans Cerniat, avaient déjà joué avec le dialogue des chauds et des froids pour traduire les subtilités de la lumière jouant avec les nuages ou caressant les reliefs.

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4. Le contraste de qualité Par ce terme, Itten désigne le degré de pureté de la couleur. Une couleur peut être pure ou rabattue par mélange avec du blanc, du noir, du gris ou par addition d’une petite quantité de sa complémentaire. Le contraste de qualité est donc l’opposition entre couleurs vives et couleurs ternes.

Dans la peinture Minet aux aguets, Reichlen nous offre une magistrale leçon de peinture. Il décline une multitude de teintes ternes, créant une ambiance chaude et douce, propice à la sieste, pour mieux faire éclater les tons vifs du fichu.

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5. Le contraste des complémentaires La notion de couleurs complémentaires est en rapport avec le phénomène physique de la persistance rétinienne. Lorsqu’on fixe longtemps une image colorée, nos récepteurs sont sur-stimulés et, par rémanence, lorsqu'on porte ensuite le regard sur une surface blanche, on la voit dans les couleurs complémentaires de celles que l'on a fixées. D’autre part, si l’on mélange deux couleurs complémentaires sur la palette, on obtient du noir (achromatisme). Dans la roue chromatique, chaque couleur est située diamétralement en face de sa complémentaire

La roue chromatique Dans une image, le fait de juxtaposer deux surfaces de couleurs complémentaires produit le phénomène de la saturation. Ainsi, une surface rouge posée au milieu d’une surface verte nous semblera encore plus rouge.

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Dans la peinture Les Monts de Riaz, de Jean-Louis Tinguely, la présence d’une quantité de tons verts et rouges très doux et subtilement modulés crée une harmonie particulière.

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6. Le contraste simultané Il faut mettre le contraste simultané en rapport avec une particularité des couleurs complémentaires. On peut comparer les complémentaires à un couple passionné, dont chacun des deux partenaires ne peut pas vivre sans l’autre. Ainsi lorsque notre œil est face à une couleur donnée, il a tendance – assez mystérieusement – à faire automatiquement apparaître la couleur complémentaire. Le contraste simultané fonctionne dès que l’on met en rapport différentes couleurs. Les couleurs les plus intenses vont influencer la perception des couleurs plus discrètes. Le phénomène est particulièrement perceptible si l’on juxtapose une couleur très saturée et un gris neutre. Par exemple, un gris entouré de rouge vif va nous sembler verdâtre. Entouré de bleu, le même gris va nous apparaître orangé. Dans son œuvre Mont Salvan, on voit bien que le peintre Vonlanthen a été très sensible aux interactions des surfaces colorées dans le paysage. Le pâturage jaunâtre entouré de forêts violacées, situé juste au-dessus du village, se sature, il devient encore plus jaune. Ailleurs, des gris à peine colorés prennent la teinte de la complémentaire de la couleur plus soutenue, qui les entoure.

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7. Le contraste de quantité Toujours à la recherche des principes qui favorisent l’harmonie dans la peinture, Johannes Itten conçoit un septième contraste, qui n’est pas à proprement parler un contraste de couleurs, mais plutôt un contraste de proportions. En peinture, l’équilibre est souvent bien loin d’une répartition égale des couleurs. Dans une composition, plus une tache de couleur est intense, moins on a besoin d’en poser. Le contraste de quantité peut s’énoncer ainsi : pour qu’une couleur se voie beaucoup, il faut en mettre peu. Dans le tableau Les Pucelles, de Jacques Cesa, notre œil est très vite attiré par la tache orangée du corps de l’oiseau. Comme les teintes froides dominent largement dans cette image, cette petite partie de couleur chaude et vive ressort fortement. Nous pourrions rester figés, hypnotisés par cet élément. Mais le peintre a équilibré cette couleur par d’autres parties orangées, qu’il a réparties subtilement dans le paysage, créant ainsi un rythme qui guide notre regard dans la totalité du tableau.

Pour conclure, il faut souligner que le fait d’analyser un tableau en le cataloguant dans un seul contraste est réducteur. Des impératifs pédagogiques nous autorisent à le faire, mais la plupart des peintures contiennent plusieurs contrastes. Le tableau Les Pucelles de Cesa en est un parfait exemple. On a tout d’abord le contraste de couleur en soi (différents bleus, différents jaunes, des orangé, des verts, des beiges, des presque noirs…). Le contraste clair-foncé est aussi présent, mettant en valeur les rochers éclairés qui se dressent derrière la forêt sombre. Les valeurs de bleu sont très variées. Un autre contraste évident est celui du chaud-froid, qui dans sa force exprime certainement les premières lueurs du jour. Quant au contraste de qualité, il est visible dans le dialogue des couleurs ternes et des couleurs vives. On identifie également le contraste des complémentaires dans le rapport des bleus et des orangés. La juxtaposition de surfaces bleues et orangées, mêlées à d’autres plus ternes dans les rochers, crée des contrastes simultanés. Voici donc une peinture où les sept contrastes sont combinés dans une composition où la couleur est reine. Daniel Savary, 2015