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D e par sa position centrale et son occupation humaine quasiment ininterrompue, la colli- ne du Château occupe une place à part dans le cœur des Niçois. Véritable “lieu de mémoire ”, elle est aussi lieu d’histoire. Abandonné après la destruction de la cita- delle au début du XVIII e siècle, converti en jar- din botanique au milieu du XIX e siècle, ce lieu, dépendant de l’autorité militaire sarde à l’époque, va attirer l’attention des érudits convertis à une science nouvelle : l’archéologie. Une partie bien précise de ce site va concentrer l’activité des fouilleurs. Il s’agit de l’ancienne cathédrale de Nice, consacrée en 1049 sous le vocable de Sainte-Marie, et qui le restera jus- qu’à la construction de Sainte-Réparate. Suite à la construction de la citadelle, l’édifice va perdre son rang de cathédrale mais conservera un usage religieux, servant d’église de la forteresse. Les fouilles du XIX e siècle Une première fouille fut entreprise à la fin de l’année 1827 à l’initiative du comte Hilarion Spitalieri de Cessole, alors premier président du Sénat de Nice, dans le but de mettre au jour le tombeau de la duchesse Béatrix de Savoie. Les travaux durèrent du mois de décembre 1827 au mois de janvier 1828 et ils permirent le dégagement des trois hémicycles du chevet ainsi que de la façade et deux des chapelles latérales sud dont l’une conservait un grand caveau voûté ; ils mirent au jour, en même temps, un sol pavé en grandes pierres de taille et trois inscriptions romaines. Le comte Hilarion de Cessole rédigea un mémoi- re dix ans plus tard dans le but d’être autorisé à reprendre les fouilles mais les autorisations lui furent refusées. En février 1859, Adolphe Perez, géologue et naturaliste, ainsi que l’historien Cibrario repri- 17 LES FOUILLES ARCHEOLOGIQUES DE LA CATHEDRALE DU CHÂTEAU A NICE * Doctorant en archéologie romaine U.N.S.A. Médiateur culturel Musée Archéologique de Nice Cimiez. Olivier COLUCCINI* Fig. 1 - Vue générale du dégagement du chœur de la cathédrale durant lʼannée 1963. Au premier plan, à gauche, on peut observer une base de colonne antique réemployée dans le mur de lʼabside.

Les fouilles archéologiques de la cathédrale du Château à Nice

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Page 1: Les fouilles archéologiques de la cathédrale du Château à Nice

De par sa position centrale et son occupationhumaine quasiment ininterrompue, la colli-

ne du Château occupe une place à part dans lecœur des Niçois. Véritable “lieu de mémoire ”,elle est aussi lieu d’histoire.

Abandonné après la destruction de la cita-delle au début du XVIIIe siècle, converti en jar-din botanique au milieu du XIXe siècle, ce lieu,dépendant de l’autorité militaire sarde àl’époque, va attirer l’attention des éruditsconvertis à une science nouvelle : l’archéologie.Une partie bien précise de ce site va concentrerl’activité des fouilleurs. Il s’agit de l’anciennecathédrale de Nice, consacrée en 1049 sous levocable de Sainte-Marie, et qui le restera jus-qu’à la construction de Sainte-Réparate. Suite àla construction de la citadelle, l’édifice va perdreson rang de cathédrale mais conservera unusage religieux, servant d’église de la forteresse.

Les fouilles du XIXe siècle

Une première fouille fut entreprise à la fin del’année 1827 à l’initiative du comte HilarionSpitalieri de Cessole, alors premier président duSénat de Nice, dans le but de mettre au jour letombeau de la duchesse Béatrix de Savoie.Les travaux durèrent du mois de décembre1827 au mois de janvier 1828 et ils permirent ledégagement des trois hémicycles du chevetainsi que de la façade et deux des chapelleslatérales sud dont l’une conservait un grandcaveau voûté ; ils mirent au jour, en mêmetemps, un sol pavé en grandes pierres de tailleet trois inscriptions romaines.Le comte Hilarion de Cessole rédigea un mémoi-re dix ans plus tard dans le but d’être autoriséà reprendre les fouilles mais les autorisationslui furent refusées.

En février 1859, Adolphe Perez, géologue etnaturaliste, ainsi que l’historien Cibrario repri-

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LES FOUILLES ARCHEOLOGIQUES DE LA CATHEDRALE DU CHÂTEAU A NICE

* Doctorant en archéologie romaine U.N.S.A. Médiateur culturel MuséeArchéologique de Nice Cimiez.

Olivier COLUCCINI*

Fig. 1 - Vue générale du dégagement du chœur de la cathédrale durant lʼannée 1963. Au premier plan, à gauche,on peut observer une base de colonne antique réemployée dans le mur de lʼab side.

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rent des fouilles. Ils dégagèrent un édifice àtriple abside et, à l’intérieur de celui-ci, dessépultures dont une serait celle de la duchesseBéatrix. Durant ce dégagement, ils mirent aujour des inscriptions romaines.

C’est en 1875 que des fouilles plus étenduesfurent menées par Philippe Gény. Ses terrasse-ments firent apparaître les substructions dusanctuaire triple, de la nef, de ses collatéraux etdes bâtiments annexes.

Dans le périmètre de la cathédrale, Gényreconnut un certain nombre de sépulturesmédiévales et surtout, à l’extérieur et non loindu mur sud, ce qui semblerait être une impor-tante nécropole identifiée à l’époque commeétant du Bas-Empire et dont le noyau était, sil’on en croit Gény, constitué par trois étages detombes, pressées les unes contre les autres,sans chemin d’accès, selon le type des areaecimétériales paléochrétiennes.

Gény discerna, en se fondant sur les mon-naies retrouvées, différentes époques. Ainsi, lestombes des étages inférieurs (sept rangs et

quatre par rang, soit vingt-huit sépul-tures) étaient constituées de tuiles àrebords et couvertes d’imbreces. Ilaurait trouvé en corrélation avec cestombes des vases en céramique grise,des fioles de verre et une monnaied’argent à l’effigie de Domitien. Dansl’étage intermédiaire composé de cinqrangs, les tuiles n’auraient pas lamême taille (un peu plus grandes) etle mobilier funéraire se composeraitd’olae contenant des monnaies enbronze et en argent d’Hadrien, deFaustine (femme d’Antonin), et deFaustine femme de Marc Aurèle.Enfin, à l’étage supérieur, composé desix rangs, on trouva des monnaiess’échelonnant de Marc Aurèle àConstantin.

Hormis ces sépultures, Gény mitau jour la cuve d’un sarcophage encalcaire comportant une inscriptionet “ entouré de moulures avec deuxemblèmes funéraires sculptés ” ainsique quelques fragments sculptésd’époques diverses.

Les tranchées déblayées parGény furent comblées par crainte del’autorité militaire ; le mobilier mis aujour fut, pour sa part, dispersé entrela bibliothèque municipale et la “ mai-son du gardien ”. En outre, les notesde fouilles, le plan, les croquis et unemaquette en plâtre du château, dis-parurent en 1903 dans l’incendie dela Société des Lettres.

Les fouilles du XXe siècle

Si les fouilles menées au XIXe siècle avaientpour but de dégager les caveaux de la maison deSavoie, les problématiques des chercheurscontemporains sont différentes. En effet, cessondages et ces dégagements auront pourobjectif de repérer l’emplacement de la fonda-tion grecque ainsi que de localiser des élémentspaléochrétiens, plus exactement le baptistère.

Des sondages furent réalisés durant l’hiver1949 et l’année 1950 par une équipe de béné-voles dirigés par Armance Royer, alors conser-vateur des Archives de la Ville. Les déblais deces sondages vont livrer quelques monnaiesd’époque romaine et médiévale, des ossementset deux fonds de vases en terre vernissée.

Le 15 juin 1951, avec l’accord et le soutiende la municipalité, Fernand Benoit, alors direc-teur de la XIIe circonscription archéologique,débuta les dégagements dans l’enceinte de lacathédrale. Ceux-ci permirent la mise au jour, à

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Fig. 2 - Caveaux médiévaux et modernes, situés sousle sol de la seconde église. Ils furent démontés pour

pouvoir procéder aux différents sondages.

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Fig. 3 - Campagne de 1964. Cette année-là, les sondages furent entrepris àlʼouest de lʼéglise et ils li vrèrent une stratigraphie en place.

Fig. 5 - Vue prise en 1963 de la citerne romaine située sousle chœur. En haut, à droite, on peut voir un des piliers de

fondation de la première église qui repose directement sur leciment hydraulique de la ci terne. A gauche, un sondage sous

le sol de la citerne nʼa rien révélé.

Fig. 4 - Vue générale des sondages de 1964 dans la partie ouest.

Fig. 6 - Lampe romainetardive, retrouvée dansles sondages de 1964.

Fig. 7 - Tesson de céramique attique, à figures rouges (Ve- IVe av. J.-C.), représentant soit une scène de vote,

soit une scène de gymnase selon F. Benoit. Exposé au Musée Archéologique de Nice-Cimiez.

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l’emplacement présumé de la façade nord del’édifice, de ce qui fut décrit comme étant unpuits rectangulaire de 4 m de profondeur et aufond duquel les chercheurs trouvèrent unemonnaie en bronze corrodée, des tessons decéramique médiévale et des ossements.

Les dégagements recommencèrent endécembre 1953 sous la responsabilité de M.Querard. L’équipe mit au jour, dans une couchede remblai qui comblait l’abside “A” un fragmentd’autel funéraire en calcaire blanc avec enca-drement mouluré portant les lettres EX. T(esta-mento).

Il fut décidé de faire un sondage au centre del’abside “A”. Ce sondage livra des tessons decéramique tardive dans sa partie supérieure etde la céramique campanienne dans sa partieinférieure. Au niveau -0,85 m, un sol en bétonapparut, délité par l’âge.

Pour confirmer ce niveau, un autre sondageorienté contre la paroi nord de l’abside “A” futentrepris. Il livra des tessons de céramiqueidentiques. Hormis le matériel céramique, cessondages permirent le dégagement d’élémentsde murs en petits moellons irréguliers identifiéscomme faisant partie de constructions utili-taires d’époque gallo-romaine.

Les fouilles ne reprirent que quatre ans plustard et les campagnes furent restreintes, limi-tées aux périodes hivernales. Cette absence desuivi s’explique par le manque de créditsalloués, non pas par la municipalité de l’époquequi finança la majorité des travaux, mais parune absence de crédits alloués par I’Etat ainsique par le chantier prioritaire de la colline deCimiez.

Les travaux, toujours sous la responsabilitéde Fernand Benoit, furent dirigés par ses assis-tantes Claude Franceson Magnan et DanielleMouchot et menés par M. Querard.

La campagne de l’automne 1959 vit le déga-gement complet du chevet de la première égliseet la destruction, pour une meilleure Iisibilité,du groupe de tombeaux médiévaux etmodernes. L’équipe effectua aussi le dégage-ment, plus à l’ouest, d’une partie de la nefromaine où il fut constaté un réemploi impor-tant de matériaux antiques. Un béton roseapparut au niveau duquel se trouvait unelampe d’époque chrétienne.

De même, sous l’avant-dernière travée dubas-côté nord, une citerne enduite de cimenthydraulique, datant probablement de l’époqueromaine, fut retrouvée. Il n’est pas exclu quecelle-ci fut réutilisée comme caveau à l’époquemédiévale. Un sondage effectué entre les piliersde l’église primitive livra, outre une stratigra-phie en place, des tessons de céramique antique(campanienne, attique).

C’est vers la partie ouest que se portèrent lessoins des chercheurs durant la campagne del’automne 1960.

Cette brève campagne vit le dégagementcomplet de la citerne et l’on constata qu’ellereposait directement sur la roche et que le pilierde la première église entamait la voûte de laciterne.

Les campagnes des hivers 1961 à 1963 per-mirent de retrouver le mur de façade de la pre-mière église ainsi que le porche de la seconde.Elles virent aussi l’apparition, au niveau de lanef et des collatéraux, d’éléments de murs diri-gés est-ouest et nord-sud n’ayant aucun lienavec les édifices religieux. Ces murs grossiersfurent interprétés comme étant d’époquegallo-romaine et appartenant à un établisse-ment rustique. Un four de bronzier, situé contrele mur nord-sud de la seconde travée, de 0,75 mde diamètre, fut aussi découvert.

Un sondage mené dans la nef a livré unestratigraphie malgré les bouleversements suc-cessifs. Mlle Mouchot distingua sept couchessuccessives qui ont livré de nombreux élémentsde mobilier céramique allant de l’Antiquité tar-dive à l’époque protohistorique.

Enfin, durant l’hiver 1964-1965, un nou-veau sondage situé au centre de l’église a donnéune stratigraphie et un matériel identique.

Conclusion

Au total, ces campagnes de fouilles et cessondages ne permirent pas de localiser le comp-toir grec et le baptistère paléochrétien.Néanmoins, elles permirent de mettre au jourdes structures jusque là méconnues commecelles de la, ou plutôt des cathédrales médié-vales. En outre, elles permirent aux chercheursde diriger leurs essais de localisation des éta-blissements grecs et paléochrétiens versd’autres pistes qui sont, de nos jours, en coursd’étude.

Bibliographie

Gény (Ph.) - 1875. Recherches archéologiquessur le Château de Nice, in Annales de la Sociétédes Lettres, Sciences et Arts desAlpes-Maritimes, tome III.Thirion (J.) - 1967. L’ancienne cathédrale deNice et sa clôture de chœur du XIe siècle, d’aprèsles découvertes récentes, in Les CahiersArchéologiques, numéro XVII, Paris.

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Fig. 8 - Plan général des fouilles de la cathédrale. Ce plan figure les deux édifices successifs : en noir, lʼéglise “ A ” duXIe s., en hachuré lʼéglise “ B ” du XIIe ou du XIIIe. Dans la partie ouest, en pastillé, près de lʼentrée de la seconde égli-se, on observe deux structures antérieures à la première église (époque gallo-romaine ? Antiquité tardive ?). Au sud, engrisé, chapelles latérales (XIVe-XVe)