Les Jeunes

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Les jeunes :hantise de lespace public dans les socits du Sud ?

diteurs scientifiques : Ren Collignon, Mamadou Diouf

Numro 18

Dj parus : Les Arts de la rue dans les socits du Sud, Michel Agier et Alain Ricard Familles du Sud, Arlette Gautier et Marc Pilon Variations, 1997 Empreintes du pass, Edmond Bernus, Jean Polet et Grard Quchon Communauts dracines dans les pays du Sud, Vronique Lassailly-Jacob changes transfrontaliers et Intgration rgionale en Afrique subsaharienne, Johny Egg et Javier Herrera Variations, 1998 Drogue et Reproduction sociale dans le Tiers Monde, ric Lonard La fort-monde en question, Franois Verdeaux Les identits contre la dmocratie, Ren Otayek Variations, 1999 Le sida des autres. Constructions locales et internationales de la maladie, Claude Fay Survivre grce Russir malgr laide, Bernard J. Lecomte, Jean-David Naudet Logiques identitaires, logiques territoriales, Marie-Jos Jolivet Variations, 2000 Afrique noire et monde arabe : continuits et ruptures, Emmanuel Grgoire, Jean Schmitz Des coles pour le Sud : stratgies sociales, politiques tatiques et interventions du Nord, Marie-France Lange

Couverture : atelier graphique des ditions de lAube Illustration : Vipre et 43e Bima, dans le film Bronx-Barbs dliane de Latour

ditions de lAube, IRD (Institut de recherche pour le dveloppement), 2001 ISBN 2-87678- 646- X ISSN 1278-3986

Sommaire

Mamadou Diouf, Ren Collignon : Les jeunes du Sud et le temps du monde : identits, conflits et adaptations

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Philippe Antoine, Mireille Razafindrakoto, Franois Roubaud : Contraints de rester jeunes ? volution de linsertion dans trois capitales africaines : Dakar, Yaound, Antananarivo .................... Mahamet Timera : Les migrations des jeunes Sahliens : affirmation de soi et mancipation ....................................................................................... Ccile Rousseau, Taher M. Said, Marie-Jose Gagn, Gilles Bibeau : Rver ensemble le dpart. Construction du mythe chez les jeunes Somaliens rfugis ...................................................................................... Mohamed Mohamed-Abdi : De gaashaanqaad mooryaan : quelle place pour les jeunes en Somalie ? ...................................................................... Nita Kumar : Learning Modernity ? The Technologies of Education in India ........................................................................................................................................................... Leyla Neyzi : Object or Subject ? The Paradox of Youth in Turkey ... Rmy Bazenguissa-Ganga : Rester jeune au Congo-Brazzaville : violences politiques et processus de transition dmocratique ..................... Genevive Gasser : tre jeune Ziguinchor .................................................................... liane de Latour : Mtaphores familiales dans les ghettos de Cte-dIvoire .................................................................................................................................... Ndiouga Adrien Benga : Entre Jrusalem et Babylone : jeunes et espace public Dakar ............................................................................................. Notes de lecture Rsums.........................................................................................................................................

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Les jeunes du Sud et le temps du monde : identits, conflits et adaptationsMamadou Diouf *, Ren Collignon **

Mme si elles ne se limitent pas seulement aux pays du Sud, les discussions et controverses sur les jeunes et la jeunesse revtent, dans ces pays, un relief et un caractre particuliers. Cela est d plusieurs raisons qui conjuguent la situation conomique catastrophique de la plupart de ces rgions, le poids dmographique important des jeunes, la place quils tiennent dans les phnomnes de violence et le dveloppement de marginalits porteuses de dysfonctionnement social et politique. Par ailleurs, dans les bidonvilles sordides de la misre, ils paient souvent un lourd tribut lexploitation sociale et sexuelle en tant que force de travail et de plaisir. Les controverses portant sur les banlieues europennes [Brynner et alii, 1998 ; Stuart Hall, Jefferson, 1976] et nord-amricaines [Magnet (ed.), 2000; Ltourneau, 1997 ; Skelton, Valentine (eds), 1998 ; Epstein, 1998], qui associent la violence, les inventions culturelles et artistiques et les fractures sociales et politiques, tmoignent aussi leur manire de cette prsence dans lespace public des pays dvelopps qui simpose au cur de la rflexion sur les socits contemporaines. Il existe ainsi des similitudes entre le monde dvelopp et les pays en voie de dveloppement sur la question politique et les investigations acadmiques portant sur les jeunes ; il faut toutefois reconnatre que les manifestations vises par les traitements politiques (discours moral de leffritement des valeurs et de la reconstruction dune certaine civilit par linstruction civique et/ou citoyenne) et universitaires (mis en uvre par les diffrents rpertoires des disciplines acadmiques) sont trs diverses. Le regard port sur la jeunesse est largement influenc par les conjonctures dans lesquelles il se dploie et les objets dobservation quil se donne regarder et mettre en ordre, entre la conformit ou la non-conformit aux assignations idologiques, sociales, conomiques quelles se rfrent ou non aux traditions et les diverses formes de modernit, indignes ou internationales, proposes sur le march du dveloppement.

* Historien, dpartement dhistoire et CAAS, University of Michigan, Ann Arbor, tats-Unis. ** Chercheur au CNRS, Laboratoire dethnologie et de sociologie comparative, Nanterre.

Autrepart (18), 2001 : 5-15

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la profusion des approches correspond une abondance ditoriale produite sur une longue priode. Cette littrature permet aujourdhui de suivre non seulement le moment de lmergence de la catgorie jeune sur la scne des sciences sociales comme territoire dinvestigation, mais elle impose une mise en perspective historique, une contextualisation du droulement de la rflexion. Comme le montrent les textes qui composent ce numro, la notion de jeune a eu diffrentes significations au cours de ce long XXe sicle. La contribution de Leyla Neyzi illustre, avec force dtails, en sadossant sur lexemple turc, le moment nationaliste des annes vingt aux annes cinquante ; la jeunesse est construite et se construit comme lavant-garde de la construction nationale. Son identit se forge dans lducation et sa mission historique se ralise dans la fabrication dune modernit qui libre simultanment du poids des traditions et du complexe dinfriorit lgard des puissances occidentales dveloppes. Ce moment qui investit la jeunesse dune mission particulire plutt inaugur en Asie, en Amrique latine dborde, pour ce qui concerne lAfrique, jusquaux annes soixante et soixante-dix pour les anciennes colonies franaises et lusophones ; et pour lAfrique du Sud, il est cltur au dbut des annes quatre-vingt-dix 1. La squence nationaliste se prolonge avec un nouveau moment, dont les bornes sont les annes cinquante et quatre-vingt, suivant les rgions et les continents. Elle confirme la mission historique de la jeunesse, dans un nouveau contexte de division des socits en une droite et une gauche prises dans une froce confrontation symbolise par la fracture qui divise le monde en deux camps : le bloc sovito-chinois lEst et le bloc occidental sous la direction des tats-Unis. Entre les deux, des socits et des pays pris en tenaille, en qute dune identit diffrente qui parat se traduire dans le difficile concept de Tiers Monde . Dans ces derniers territoires, les jeunes sinvestissent du rle dacteurs messianiques agissant au nom de lensemble de la socit, porteurs de paroles de rupture et de la promesse de lendemains qui chantent. Le texte dordonnancement de cette prophtie tendue vers la ralisation de la socit de justice et dgalit est alors le marxisme et ses diffrentes versions dont les icnes sont les pres du socialisme scientifique, mais galement, Lnine, Mao, loncle Ho, Che Guevara, Patrice Lumumba dont les photos ornent les murs des chambres universitaires et des clubs de jeunes travers les pays dpendants. Les instruments disciplinaires, tout comme les objets traits dans les rflexions sur les jeunes et la jeunesse, prsentent une grande varit, prcisment parce quils ont t trs sensibles aux conjonctures historiques, politiques et scientifiques. En effet, le concept de jeunesse, comme la ralit dont elle tente de rendre compte, sest impos au cours de la construction des nations sous-dveloppes, quelles soient issues ou non des aventures impriales (empire ottoman, empires coloniaux europens, en Amrique latine, en Asie et en Afrique) ou des aventures

1 Achille Mbembe [1985] en donne une bonne illustration pour lAfrique subsaharienne des deux premires dcennies dans Les Jeunes et lOrdre politique en Afrique noire, la suite de louvrage de Jean-Pierre Ndiaye [1971], La Jeunesse africaine face limprialisme. Pour lAfrique du Sud, louvrage de Jeremy Seekings [1993], Heroes or Vilains ? Youth Politics in the 1980s, reprend la mme question des rles des jeunes dans lentreprise de construction nationale.

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imprialistes amricaines dans les deux premires rgions mentionnes, en particulier en Amrique centrale et du Sud [Escobar, Alvarez (eds), 1992] et en Asie. Nations jeunes comme elles se dfinissent elles-mmes, par rapport aux socits dveloppes, elles ont produit une interprtation plurielle et instable de leur propre devenir et de leur trajectoire, autant pour la consommation interne que pour un usage externe [Blanch, 1980]. Les interprtations indignes se sont construites en relation avec des mmoires enracines dans le pass. Ce pass qui renvoie gnralement la subordination une puissance trangre ou la soumission autoritaire des traditions sculaires (ou aux deux la fois) se prsente comme obstacle la modernisation et au dveloppement. Les ttonnements, les rves et les tentations qui jalonnent les parcours accidents de libration et de dveloppement conomique, politique et social renvoient une identit de jeune et aux pratiques de la jeunesse. Elles deviennent de la sorte les acteurs ressources et les enjeux de lhistoire contemporaine des nations postcoloniales. Ce triple positionnement paradoxal et instable trouve son point dincandescence dans le contexte particulier de la mondialisation qui ouvre un nouvel pisode dans les relations entre les identits particulires et la rfrence universelle/occidentale et dans les tensions entre histoire et subjectivit, parcours individuels et rgles communautaires (indignes ou internationales). La jeunesse se prsente comme le double vivant, la rplique des nations en construction. Elle est la fois le prsent et la promesse dun futur de maturit et de russite. Elle porte le possible et le souhaitable. Elle se trouve au point de dpart de la rupture avec le pass et un point darrive, avec linauguration dun futur porteur dun avenir de ralisation individuelle et collective et dinscription dans une nouvelle historicit mondiale. Lavenir en cause est celui qui se forge dans laventure nationaliste. On peut considrer que, mme si les exemples indien (N. Kumar) et turc (L. Neyzi) ici prsents sont en dcalage, le moment fondateur des trajectoires analyses est la priode qui fait suite la Seconde Guerre mondiale, une priode fortement marque par leuphorie de la croyance un recommencement et une rgnration universelle de lhumanit. Face la varit et la multiplicit des options offertes, les contributions prsentes proposent des lectures plurielles, parfois complmentaires, parfois contradictoires. On constate, dune part, les trajectoires de conformation aux rles assigns (M. Mohamed-Abdi) et/ou la dfinition dune mission historique (L. Neyzi, N. Kumar) et, dautre part, la fougue, lesprit de risque, daventure, dinnovation, dans une tentation constante qui prend, loccasion, les figures violentes de la dissidence (R. Bazenguissa-Ganga ; . de Latour), de la ngation dlibre de lhorreur (G. Gasser), du rve et du dpart aux sens diffrents relevs par Ccile Rousseau et alii (la folie) ou par Mahamet Timera (la migration et le dsir de ralisation individuelle), ou encore de la dissonance/dissidence et de la crativit artistique (N.A. Benga) et conomique (Ph. Antoine et alii). La contribution dAntoine et alii semble fournir un axe autour duquel peut sordonner lensemble des textes retenus dans ce numro. Elle sintresse la contrainte de rester jeune dans trois capitales africaines. Les auteurs adoptent une approche qui privilgie lanalyse biographique et un recours rigoureux et systmatique la quantification. Elle combine une analyse de lvolution de linsertion

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sociale avec une tude approfondie de lge de franchissement des principales tapes de lentre dans la vie adulte . Plusieurs conclusions se dgagent de cette tude. La premire est que le prolongement ou le raccourcissement du cycle de jeunesse joue un rle considrable dans la construction de lidentit du jeune. Une identit qui sinscrit dans la russite ou lchec de linsertion sociale. Un processus qui se dcline dans une conformation aux rles assigns par la classe dge, le groupe et la socit, ltat, avec ses principales tapes, rituels de passage et formes initiatiques tudis dans ce numro propos de la Somalie (M. MohamedAbdi ; C. Rousseau et alii), de certains pays du Sahel, Sngal et Mali en particulier (M. Timera), de lInde (N. Kumar) et de la Turquie (L. Neyzi). La seconde conclusion de ltude confirme que, dans le cas africain, contrairement la construction romantique du jeune et de la jeunesse, la (d)synchronisation des diffrentes tapes sur la route de linsertion sociale (lemploi, lautonomie financire et rsidentielle et le mariage) qui varient selon les cas et les villes nest pas le rsultat dun enrichissement des opportunits, mais la consquence directe de la dgradation continue des conditions de vie. Ces procdures et formalits de passage sont dune grande complexit, en particulier dans les relations de genre et de gnration, non seulement chaque tape, mais aussi dans les combinaisons entre les diffrentes tapes. Pour ce qui concerne la comparaison entre hommes et femmes, il est intressant de noter que si ltape professionnelle (lacquisition dun emploi) est indispensable dans le parcours masculin, cette tendance forte pour les gnrations anciennes est remise en cause avec la monte du taux dactivit des femmes, surtout Dakar. Une mutation qui indique le rapprochement rapide du mode dacquisition dun statut dadulte chez les jeunes femmes de celui observ chez les hommes. Les auteurs sappuient en particulier sur lexemple malgache dans lequel losmose semble stre ralise : le travail et non le mariage constitue aujourdhui, Tananarive, la premire forme dtablissement fminin. La dernire conclusion de cette comparaison portant sur trois mtropoles africaines est que le chmage et la prcarisation de lemploi concourent la fragilisation du statut dadulte. De cette conclusion, deux constats peuvent tre tirs : Dune part, la relation genre/gnration est trs flexible et sujette aux fluctuations de lhistoire et des ambitions individuelles et collectives. Les contributions relatives aux migrations en abordent directement ou indirectement quelques consquences. Sinvestir dans la comprhension de cette relation aiderait certainement mieux comprendre les modalits de linsertion russie ou non des jeunes et les trajectoires qui influencent non seulement la relation an/cadet et les tours et dtours de la parent si chre lanthropologie du sicle dernier, mais aussi la plasticit des combinaisons possibles et envisageables chaque tape, selon le niveau dducation et la densit des relations sociales. Dautre part, en sortant des recherches anthropologiques, historiques, en particulier pour prendre en considration le traitement de la condition des jeunes par lesthtique musicale, littraire et plastique, on constate que la notion dallongement de la jeunesse rvle par Antoine et alii nest pas la seule issue possible une situation de crise. Nest-il pas ncessaire en effet denvisager dautres modalits de la question ? Celle par exemple pouvant se traduire par le dpart tel quil est dcrit par Rousseau et alii, ou limpossible accs un statut dadulte. Une

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impossibilit qui peut se manifester dramatiquement par une drive vers la folie, une forme radicale de sortie de la problmatique, ou bien encore le raccourcissement de cette phase juvnile, qui peut soprer soit par le basculement vers la violence et les marges [Cruise OBrien, 1996 ; El-Kenz, 1995 ; De Boeck, 1999] qui effacent les normes de linsertion rgulire, soit par le dpart vers dautres cieux (la promesse individuelle de la migration selon lapproche de Timera) ou linscription dans la mondialisation technologique et conomique qui invente, dans le Sud, y compris en Afrique, des golden boys. lallongement de la jeunesse, ne pourrait-on pas en contrepoint opposer son brutal raccourcissement tel quil est dcrit par des crivains comme le Nigerian Ben Okri [1992 ; 1997] ou lIvoirien Ahmadou Kourouma [2000] 2 ? Aux contraintes et opportunits qui justifient lanalyse propose par Antoine et alii, Rousseau et alii, et Mohamed-Abdi, sopposent lconomie radicale de cette tranche de vie et son incorporation dans lge adulte : comme un moment de recours systmatique la violence et lacquisition du droit de donner la mort (. de Latour ; R. BazenguissaGanga), ou, dans le cas des enfants-soldats africains et asiatiques, comme un collapsus brutal qui pose une seule question : est-il possible de vivre la jeunesse, du moins telle quelle est dfinie aussi bien par la tradition que par lhumanisme moderne, comme un moment de dcouverte de la vie et de perte progressive de linnocence de lenfance 3 ? Est-il possible de sparer radicalement, dans les situations de sous-dveloppement, les ges, de lenfance lge adulte ? En effet, si lon considre la littrature occidentale, les jeunes et la jeunesse semblent avoir constitu des catgories qui sont dfinies comme transhistoriques et transculturelles, du moins dans le discours public. Par contre, anthropologues et historiens ont toujours insist sur les significations changeantes dans le temps et travers lespace, de la ralit que recouvrent les deux notions. Ce dautant plus que les assignations des jeunes et les signes qui leur attribuent une fonction politique, sociale et conomique, portent des images et reprsentations qui renvoient la socit elle-mme et son imaginaire. En suivant lhistorien anglais E. Hobsbawn [1962], on constate que la jeunesse comme concept abstrait de la sociologie contemporaine, renvoyant au principe gnrationnel, est le produit de la formation idologique qui caractrise la modernit nationaliste. Si les spcialistes de sciences sociales continuent hsiter sur la manire de rendre compte de la complexit et de la rapidit des mutations des jeunes, les crivains africains les invitent pour leur part considrer la fin de la jeunesse : LAfrique continent de la jeunesse ? Pas pour trs longtemps. force de frapper les 15-40 ans, lhcatombe du sida est en train de faire de telle sorte que le continent aura bientt plus de sexagnaires que dhommes et de femmes de 40 ans. Nous avons un continent digne dun roman de science-fiction, un continent de vieillards sans enfants ! Se rvlent lextrme difficult et volatilit des nonciations sur les jeunes pris dans le tourbillon, plus visible, des conflits arms, des catastrophes naturelles et de la crise conomique [Dongola, 2000 : 6].

2 Pour les versions non romances, on pourrait se reporter K. Peters et P. Richards [1998], I. Abdullah et Y. Bangura (eds) [1997] et A. Honwana [1999]. 3 Voir cet gard linvention de ladolescence comme construction sociale dans la rcente Histoire de ladolescence et des adolescents (1850-1914) par Agns Thierc [1999].

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Le romancier congolais nous somme de considrer que la fin de la jeunesse, cest aussi la fin de la famille, de la communaut, et le tlescopage, comme dans un fondu enchan de trois moments vcus simultanment. La jeunesse nest plus, dans cette lecture, un moment de transition plus ou moins long ; elle ne renvoie plus lge, mais la condition de dpendance et labsence dautonomie vis--vis de la famille, de la communaut ou de ltat. Entre le moment de la dsillusion des promesses non tenues, des rves qui ont tourn en terribles cauchemars, et celui de lindpendance, avait pris place le moment nationaliste dont lanalyse du cas turc illustre bien les missions historiques et de construction de mmoires quil a remplies pour aller lassaut de la modernit. Lapproche historique de Leyla Neyzi suit la trace les tribulations des diffrentes assignations, les lieux et professions dont elles semparent et les conflits quelles provoquent. Elle montre le caractre contingent et lhistoricit du concept de jeunes et de ses modes de mise lpreuve. Nita Kumar sintresse prcisment lun dentre eux, lducation, dans lInde contemporaine. Dans les deux cas, sont en cause la marche vers la modernit et la rupture avec le pass et les traditions. Un double mouvement qui a vocation rapprocher ces mondes, la Turquie ottomane et lInde indpendante du modle de rfrence : lEurope et lOccident dvelopp. Dans la clture du moment fondateur, de son euphorie, sont en cause divers facteurs : autoritarismes, oprations de caporalisation et de rpression, drives et violences rvolutionnaires, effritement des cadres anciens de socialisation (famille, communaut), qui ont entran la fabrication de nouvelles histoires, des imaginaires dissonants, de nouvelles missions historiques et de nouvelles aventures (migration, insertion sociale urbaine, marginalisation, ghettosation) et une drgulation des formes de la violence entranant sa prolifration. Les situations sont certes diffrentes selon le continent considr. On peut cependant leur reconnatre un dnominateur commun, savoir que la question des jeunes nest visible, perceptible, que lorsquelle devient un objet de controverses dans lespace public et/ou de perturbations de lordre public dans ses registres idologique, scuritaire, moral et culturel. Ainsi, si en Afrique, le sida, les conflits arms et la dlinquance sous toutes ses formes structurent de manire assez ferme la condition des jeunes, en Asie la question de la jeunesse est domine par la mise au travail des enfants et leur contribution dans les entreprises conomiques lgales ou illgales (drogue, prostitution), alors quen Amrique, les enfants de la rue, de la guerre et de la drogue font lactualit et lobjet de nombreuses tudes ethnologiques et sociologiques. Directement ou indirectement, les jeunes, quelle que soit leur situation, dans leurs pays respectifs, exercent une influence considrable sur la forme et le contenu des dbats politiques, de la production artistique, culturelle, religieuse et sportive, imposant ainsi dans des circonstances aussi diverses la confrontation entre traditions nationales et impulsions mondiales. Peut-on, dans ces circonstances, retenir que le moment prsent, pour ce qui concerne les jeunes, est caractris par une vie dadulte diffre ? Si la rponse est affirmative, quelles peuvent tre les consquences dune telle situation en termes de sociabilit, de dissidence possible et de crativit ? Quelles sont les grandes lignes de la recomposition sociale et de la rinvention des normes quelle

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implique ? la lumire des contributions de ce numro, simpose une premire conclusion. On assiste non seulement un allongement de la condition de mineur social des jeunes, mais aussi un aller-retour entre la position dadulte et celle de jeune. Dans les situations de crise ou dentre prcoce dans le monde du travail, laccs lge adulte par la possibilit dinfliger la mort ou laccs des ressources financires sont rversibles lorsque les situations changent. La dpendance plus ou moins longue vis--vis des parents ou de la communaut, tout comme le dsir daffirmation identitaire par une insertion normale ou par la migration russie (M. Timera ; C. Rousseau et alii), ou sur les marges des institutions sociales (. de Latour ; R. Bazenguissa-Ganga) nentranent pas ncessairement une rupture. Au contraire, dans certains cas les plus extrmes, on assiste une rinvention constante des traditions. Les situations les plus difiantes sont exposes dans les contributions dliane de Latour et de Rmy Bazenguissa-Ganga. Ces auteurs nous convainquent que non seulement leffondrement du cadre familial et communautaire dans le ghetto dAbidjan et dans les contextes de guerre civile au Congo ne remet pas en cause la rfrence quils continuent de constituer, mais leurs rpliques, leurs reproductions semblent indispensables dans la gestion et la gouvernance des nouveaux espaces configurs. Cette rinvention constante trace des parcours en zigzag qui semblent reprendre avec persistance les traces laisses par des mmoires dont les leons sont devenues non pertinentes dans les contextes de crises conomiques, politiques, sociales. Aussi bien la migration dans ses deux versants prsents dans ce numro que la crativit du hip-hop telle que mise en vidence par Ndiouga Adrien Benga tmoignent de la recherche dune nouvelle cohrence et de nouvelles structures, sans pouvoir ou devoir chapper aux contraintes des rfrences locales 4. Dans le cas des jeunes Sahliens, seul le dpart au loin permet dchapper aux ancrages des liens ethniques, de genre et aux attentes communautaires. Si labsorption du local par le global, dans les cas dcrits par Ndiouga Adrien Benga et dans une certaine mesure par liane de Latour et Genevive Gasser, soulve la question de la gographie sociale, ethnique, religieuse et de ses frontires, les compositions de cultures croles ne semblent tre quune rponse partielle et pige au mal-vivre des jeunes dans les socits du Sud 5. Ce qui est en cause dans tous les textes, ce sont les figures prises par les parcours de jeunes et les lieux de leur reconnaissance, les modes de leur affichage et leurs expressions spcifiques. Dune remarquable plasticit et instabilit, ils interrogent les mutations des socits contemporaines avec une intensit telle quelle semble reflter plus que toute autre question le malaise actuel. Promesse dun futur meilleur, sources et ressources de toutes les drives et fureurs contemporaines, les jeunes restent une nigme pour eux-mmes, pour les adultes et pour les sciences sociales. Les contributions runies ici en tmoignent. Leur entre fracassante dans lespace public dont ils se sont sentis exclus pendant longtemps informe des profondes mutations qui sont en cause. Sont-ils les principaux acteurs de pro-

4 Des comparaisons intressantes pourraient tre faites avec les travaux de J.D. Gandoulou [1989], D. Gondola [1999], R. Bazenguissa et J. MacGaffey [1995], qui sont en mme temps une autre manire de vivre la migration. 5 Voir ce sujet le dossier de Politique africaine [2000], Enfants, jeunes et politique , 80, dcembre.

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cessus dindividuation indigne [Marie, 1997], ou bien se situent-ils lentrecroisement de parcours multiples dans une catgorie sociale aux formes mouvantes qui ne fait que prfigurer de nouvelles configurations communautaires et familiales ? En tout cas, en mettant face face la contribution de Mohamed-Abdi, et celles dliane de Latour et Rmy Bazenguissa-Ganga, on saperoit que des processus de fabrication de nouvelles affiliations et loyauts ne renvoient pas forcment des procdures de production dindividus. Une comparaison avec les processus en cause en Asie, informs cette fois-ci par la mise au travail prcoce des jeunes serait intressante. Lanalyse du rver ensemble tel quil est tudi par Rousseau et alii, la primaut de la stratgie individuelle sur le projet collectif dans la migration des jeunes du Sahel et lactualisation constante des scnarios, aussi bien dans les activits lgales quillgales, formelles quinformelles, tmoignent de la transformation des assignations collectives et de leur appropriation par les acteurs. Celle-ci seffectue de manire diffrentielle selon leur genre et leur localisation dans lespace social, politique, militaire, effaant larticulation entre espace public/espace priv, projet propre/projet collectif, lgitime/illgitime, rel/imaginaire Dans les tensions perptuelles cres par ces situations, sorganise le rapport la violence, se jouent la sant mentale et les identits individuelles et collectives. Lexemple des jeunes de Ziguinchor, qui sont de manire contradictoire les principaux acteurs de la rbellion casamanaise, mais aussi les principaux producteurs dune idologie et dune pratique de dngation de la guerre et de fabrication dune normalit extrme, est difiant dans ce cadre. Entre le rve qui nen finit pas dans la consommation du qaad dans lenlisement de lattente du dpart, et le refus de la violence par la clbration de la fte permanente, o se situe la frontire entre la folie et lonirisme ? Ne doit-on pas, dans ces conditions, repenser les manifestations de la folie et de lindividuation qui semblent avoir partie lie ? Illustrent-elles ou non, en dernire instance, lchec du projet dinsertion et limpossible satisfaction des assignations et attentes communautaires ? De la sorte, tout comme lenfant soldat, le migrant dormant ou libr disparat dans un lieu lointain o la vie sociale est vide de son sens et du devoir dafficher une russite qui sapprcie laune de catgories qui sont structures par une logique de lthique et du don dont la motricit est remise en cause par le temps du monde. Cest peut-tre cela le sens du coup dtat des jeunes contre les vieux que Mohamed-Abdi identifie dans lapparition de formes dstructures et imprvisibles de la violence au dtriment des modes ritualiss et contrls par les anciens 6. Se posent ainsi les questions de la communaut de culture entre les jeunes et les vieux, et au sein de la jeunesse entre les urbaniss et les ruraux, en particulier autour des thmes de la responsabilit, de la comptabilit et de la violence comme sous-culture, et la question de la citoyennet [Berlant, 1993]. Le dernier enseignement qui pourrait tre tir des textes prsents ici a trait aux significations changeantes des notions de jeunes et de jeunesse, aussi bien

6 On pourrait procder une intressante comparaison entre les diffrentes formes de violence traites par les contributions de ce numro et le travail systmatique ralis par R. Marchal [1993], J. Abbinck [1998 ; 2000] et P. Richards [1996].

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dans le temps que dans lespace. Nous avons essay de montrer comment les structures qui ordonnent la jeunesse selon les diffrents continents et pays qui composent le Sud renvoient au registre du travail et du succs conomique en Asie, de la dlinquance des enfants de la rue et de la drogue en Amrique latine et du sida et des enfants soldats en Afrique. Toutes ces situations imposent que le regard sintresse, au-del des faits, la fluidit des conjonctures sociales et la traque des tours et dtours pris par les discours et pratiques des acteurs eux-mmes. Cest probablement la plus grande contribution de ces textes, en particulier ceux dliane de Latour et Rmy Bazenguissa-Ganga, qui posent en mme temps la question morale dans lexercice de production de sens en sciences sociales, dans la comprhension dun groupe social qui est produit et sautoproduit dans le rapport avec la socit globale et le temps mondial. lintersection du local et du global, de lautochtone et de la migration, la jeunesse est devenue un enjeu crucial dans le devenir des socits du Sud, parce quelle porte en elle tout la fois les conditions dune modernit dappropriation ou de rejet, par un retour spectaculaire et souvent violent aux fondamentalismes contemporains, quils soient dinspiration religieuse ou ethnique 7. Comment comprendre les mutations en cours et en faire sens ? Quelles approches privilgier entre des procdures dune extrme rigueur scientifique qui valorisent la mesure, ou une ethnologie qui laisse les acteurs sexprimer et faire sens eux-mmes, presque linsu de lobservateur ? Le dbat est ouvert et dj les controverses font rage. Il y a certes un intrt observer le balancement en cours entre les deux ples de la pratique des spcialistes des sciences sociales. Les textes prsents en tmoignent dans une certaine mesure. En effet, dans les situations africaines, entre le dgot provoqu par le retour la barbarie, et lavnement de lanarchie principalement anim en Afrique de lOuest par les bandes de jeunes, dcrit au dbut des annes quatre-vingt-dix par Kaplan [1994] 8, dune part, et le regard amus et esthtisant port sur les bandes de jeunes, se dessine un parcours o sencastrent douloureusement la violence et des formes indites de fabrications sociales, conomiques et artistiques. Celles-ci sont autant musicales que plastiques. Et cest prcisment lenjeu principal des controverses sur les langues des littratures anthropologiques, historiques, sociologiques qui tentent den rendre compte, prises quelles sont entre les entreprises de mise en ordre pistmologique des jeux dacteurs des jeunes et la restitution dune parole affole, parfois perverse, souvent perdue et violente, et toujours sans ancrage, qui sapproprie et se dcale des normes sociales quelle copie et subvertit dans un mme mouvement. Se construit ainsi une lecture simultane des diffrentes trajectoires existentielles tragiques des jeunes et de leur absence de place clairement assigne ou reconnue dans lespace public des pays du Sud. Elle sappuie sur la mtaphore du passage de la manducation de la feuille de qaad pourvoyeuse de la douce torpeur du rve de dpart (le rve voyage socialement rgul par les pairs) au drapage en rve folie (vu comme le dpart irrmdiable de lesprit) (Rousseau et alii), et

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Voir ce sujet, Ruth Marchal [1993], Ren Devisch [1995]. La maldiction africaine a fait lobjet dun numro spcial des Cahiers dtudes africaines [1991].

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Mamadou Diouf, Ren Collignon

par lexprience des enfants de la rue de lusage des diluants cellulosiques qui ouvre sur le cauchemar sniff qui scotche sur place le corps et fait dcoller lesprit. Ne sagirait-il pas ds lors de se (re)poser la question annonce il y a plusieurs annes par Marc Aug [1977] : comment penser le hors-limite , du moins une catgorie sociale rfractaire aux limites ?

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Contraints de rester jeunes ? volution de linsertion dans trois capitales africaines : Dakar, Yaound, AntananarivoPhilippe Antoine *, Mireille Razafindrakoto **, Franois Roubaud **

Lentre dans la vie adulte pourrait se dfinir comme le franchissement dun seuil au-del duquel on sort de la catgorie des personnes charge pour prendre en main son existence et devenir un vritable acteur de la socit, notamment en assurant sa reproduction. Ce passage dun statut un autre ne se fait toutefois pas aussi aisment que sa dfinition peut le laisser paratre, ni selon un modle unique, en suivant un chemin dj trac par les ans. Dune part, les jeunes, en fonction de leur histoire et de leurs valeurs socioculturelles, sont amens laborer des choix propres leur gnration. Dautre part, le contexte socioconomique spcifique de la priode constitue une contrainte laquelle doit se plier le candidat linsertion. Pour le cas de la France, les jeunes des annes quatre-vingt-dix se distinguent par un recul de plus en plus marqu de lge de franchissement des principales tapes dentre dans la vie adulte. Aujourdhui, la jeunesse se prolonge et constitue une priode moratoire de ttonnement au cours de laquelle le jeune cherche se construire une identit, alors que pour les gnrations antrieures, linsertion tait simplement synonyme didentification un groupe dj bien dfini [Galland, 1999]. La mme situation se retrouve en Belgique [Jaminon, 1999] ou au Qubec [Molgat, 1999]. La jeunesse dans les villes africaines prsente-t-elle un profil similaire celui des pays du Nord ? Si le discours dune difficile insertion des jeunes en Afrique est couramment avanc, les analyses chiffres bases sur de vritables comparaisons intergnrationnelles sont rares. Lobjet de cet article est dtudier lvolution sur une longue priode du calendrier et des modalits de passage de ltat de jeune celui dadulte dans trois grandes villes : Dakar, Yaound et Antananarivo. Pour ce faire, nous mobiliserons les enqutes biographiques ralises ces dernires annes dans chacune des villes analyses 1. Ce type denqutes

* Dmographe lIRD, Dakar, Sngal ; UR CIPRE. ** conomistes lIRD, Dial, Paris ; UR CIPRE. 1 Pour Dakar, lenqute a t conduite en 1989 par lIfan et lOrstom [Antoine et alii, 1995] ; pour Yaound, lenqute a t ralise en 1996 par lIford et le Ceped [Kouam et alii, 1999] ; pour Antananarivo, lenqute a t mene en 1998 dans le cadre du projet Madio avec la participation du Ceped [Antoine et alii, 1999 a]. Ces trois enqutes sintressent des individus homognes du point de vue de lge (les 25-54 ans environ).

Autrepart (18), 2001 : 17-36

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Philippe Antoine, Mireille Razafindrakoto, Franois Roubaud

constitue un instrument spcialement adapt pour traiter cette question dans la mesure o elles permettent de dater, et donc de retracer sur lensemble du cycle de vie de chaque individu les vnements marquant le passage au statut dadulte. Les grands traits des changements socioconomiques qui ont eu lieu dans les trois capitales des annes soixante nos jours sont prsents au pralable, afin de situer le contexte spcifique en vigueur pour chaque gnration. Le calendrier des tapes dentre dans la vie adulte enregistre-t-il un retard dans les villes africaines ? Cette question est au centre de la deuxime partie. La troisime partie porte sur les caractristiques de la premire insertion des jeunes, avec comme principale interrogation : les conditions sont-elles meilleures ou plus dfavorables pour les jeunes daujourdhui? Enfin, la dernire partie sintresse aux divergences ventuelles des trajectoires et des modalits dinsertion selon le niveau de qualification des jeunes. Le contexte gnral Trois capitales en crise de longue dure linstar de la plupart des pays dAfrique subsaharienne, les conomies sngalaise, camerounaise et malgache sont entres en rcession prolonge. Pour le Sngal et Madagascar, si on retient les tendances sur longue priode, la situation de crise perdure depuis prs de trois dcennies. Toutefois, pour le premier, on assiste une volution en dents de scie. Le mouvement global la baisse (avec une chute de 16 % du PIB par tte en volume de 1960 1997) est entrecoup de courtes priodes de redressement, lconomie sngalaise tant tributaire de facteurs climatiques trs changeants. Madagascar se caractrise par une inexorable trajectoire involutive. Depuis le milieu des annes soixante-dix, lexception des annes 1979 et 1980 dinvestissement outrance , la rgression est continue. Le PIB par tte a enregistr un recul de 38,3 % de 1960 1997. Le Cameroun, en revanche, se distingue par les annes fastes quil traverse entre 1977 et 1986. Les recettes ptrolires lui font connatre une priode de prosprit conomique (avec une croissance annuelle moyenne de prs de 6 %). Mais, compte tenu de la fragilit de lconomie et de lexistence de dsquilibres latents, les effets conjugus de la dprciation du dollar et de la baisse du prix du ptrole prcipitent le pays dans une phase de dpression marque. Le PIB par habitant baisse de 38,6 % de 1987 1997. Cette crise, dont lampleur et la dure varient selon les capitales, a eu des rpercussions directes sur les conditions de vie des mnages. Pour le Sngal, le revenu par tte en volume a diminu de 48 % en milieu urbain de 1961 1991 [Durufl, 1994]. Yaound, la consommation annuelle par tte sest rduite quasiment de moiti (-49 % en volume) de 1983 1993 [Aerts et alii, 2000]. La chute de cette consommation est aussi vertigineuse pour Antananarivo, avec une rgression de 48 % de 1960 1995 [Ravelosoa, Roubaud, 1998]. Les impacts de la crise sont galement marqus sur le march du travail. Les phases dajustement mises en place, avec en particulier la rduction des dpenses publiques, ont conduit au gel des embauches dans la fonction publique. Le secteur priv formel, en quasi-stagnation, ntant pas en mesure dabsorber la masse croissante des nouveaux actifs, on assiste la monte du chmage et des emplois

Linsertion dans trois capitales africaines : Dakar, Yaound, Antananarivo

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Figurp f - Diagramme de Ldexiset volution du PlB par tte du Sngal (2 960-1989)6055504543

35

2 302520

15

?a5

O30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60 62 64 66 68 70 72 74 76 78 80 82 84 86 88Annda

Figure 2 - Diagramme de 1,exis et volution du PIB par tte du Cameroun et de Madagascur (2960-1998)220

2 w5018040

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160; 140

$.,GBnBratm atieinl25 ans

-

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