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Armand Colin BRETON EN REGARD DE MIRÓ : «CONSTELLATIONS » Author(s): Georges Raillard Source: Littérature, No. 17, LES JEUX DE LA MÉTAPHORE (FÉVRIER 1975), pp. 3-13 Published by: Armand Colin Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41704405 . Accessed: 14/06/2014 07:18 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.77.125 on Sat, 14 Jun 2014 07:18:12 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES JEUX DE LA MÉTAPHORE || BRETON EN REGARD DE MIRÓ : « CONSTELLATIONS »

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Armand Colin

BRETON EN REGARD DE MIRÓ : «CONSTELLATIONS »Author(s): Georges RaillardSource: Littérature, No. 17, LES JEUX DE LA MÉTAPHORE (FÉVRIER 1975), pp. 3-13Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/41704405 .

Accessed: 14/06/2014 07:18

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Georges Raillard, Paris Vili.

BRETON EN REGARD DE MIRÓ : « CONSTELLATIONS »

« Qu'y a-t-il entre... ? »

Cette question ouvre la « prose parallèle » écrite par Breton en regard de la gouache de Miró, la cinquième « Constellation 1 ». Posée, elle entre dans le texte dont elle commande l'entrée : réponse en forme d'interrogation qui questionne le caractère vicieux de la question, qui retourne la réponse. A quoi Breton répond-il ? A une peinture dont la caractéristique la plus évidente est qu'elle se prête à une infinité de dis- cours interprétatifs. Presque cela que cite Breton de Raymond Lulle : c Le miroir est un corps diaphane disposé à recevoir toutes les figures qui lui sont représentées. » Cette inquiétante et « fascinante » capacité d'accueil, elle la doit à une double liberté : la liberté intrinsèque des signes non représentatifs irréductibles et à la désignation de figures et à des éléments d'un langage - je les appellerais des « ludèmes » ; et une liberté extrinsèque : la disposition de figures représentatives et de signes symboliques qui ne se lient pas en « scènes » univoques. Quant au titre, donné par Miró : « Femme à la blonde aisselle coiffant sa chevelure à la lueur des étoiles », loin de fixer un « sens » à la scène, le moindre regard laisse apparaître qu'il dit ce qui très précisément est absent des figures : « la blonde aisselle ».

Ainsi le pré-texte fait-il venir en concurrence une figure et un titre - concurrence qui vaudrait à soi seule une étude. Et figure et titre sont, chacun pour leur part, composés sur un « entre » : entendons par là, faute d'une définition positive que le terme même disqualifie, le

1. Constellations est un album, tiré à 344 exemplaires, publié par Pierre Matisse en 1958. Il comprend une Préface de Breton, la reproduction en phototypie et au pochoir de 22 gouaches exécutées par Miró en 1940-41, et 22 « proses parallèles » écrites par Breton en 1958 - ces textes occupent une surface équivalente à celle des gouaches en regard. On trouve, entre autres, dans Signe ascendant (Poésie /Gallimard) un reflet de cet album. On notera que l'importante préface est réduite à quelques lignes. (Cette préface a été reproduite dans Le surréalisme et la peinture, mais amputée des notations « techniques » sur ces peintures) ; rien n'indique que les titres des « proses » sont de Miró et non de Breton ; manquent aussi les graphismes qui entouraient les titres au dos des gouaches ; quant aux reproductions en grisaille, on ne saurait même dire qu'elles constitutent des photos d'identité.

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contraire d'un rapport causal répertorié, la dérision d'un système logique où langage, raison et économie des fonctions se trouvent logés à la même enseigne. Le jeu du figurai ne se dédouble pas en système du « lisible > (peinture classique) et une surface chromatique de jouissance. C'est ce que dit Miró à J. J. Sweeney dans le langage de sa pratique : « Ce fut un travail très long et extrêmement ardu, quelques formes suggérées ici appelaient d'autres formes ailleurs pour les équilibrer. Celles-ci à leur tour en appelaient d'autres. Cela paraissait interminable. » Point de fin, en effet, de conclusion que celle qu'impose, dans le format du support, l'organisation de signes qui, dans un art comme celui de Miró, ne semble pouvoir se désigner que par les termes très vagues de justesse, d'harmonie voire de saturation, puisque nulle « loi » n'est fournie ni par la scène (peinture classique), ni par une formule (abstraction géométrique par exemple). Sans doute une « lecture sémiotique » peut-elle être tentée, et elle l'a été, mais il n'est pas sûr qu'elle favorise l'entrée dans ce rapport louche qu'est celui du poète au peintre, des mots aux couleurs. Répondre à ces signes, ce n'est pas les déchiffrer, mais les travailler. A propos du livre de Jean-Louis Schefer, Scénographie d'un tableau, Barthes écrit que le rapport du texte et du tableau doit relever d'une « ergographie généralisée ». Puisque par commodité, et faute de pouvoir tenir présents à la fois mots et couleurs, notre parti de départ est le texte de Breton, comment ce texte se trame-t-il ? Question naïve si on la dissocie d'un « pourquoi le désir de ce texte > ? Car il s'agit peu de traduction, mais d'appropriation. Ce désir d'appropriation est fondé sur la provocation qu'exerce un objet fascinant parce qu'il est irréductible a tout ce que l'on dit, à tout ce que je dis. Cependant il ne peut se reconnaître que dans la constitution d'un autre objet que je reconnaisse comme mon propre, non parce que je l'ai bricolé, mais parce qu'il y est fait allusion « sournoi- sement » à l'objet qui m'a séduit et à cette séduction même. Séduire, dit Littré, c'est « détourner du chemin de la vérité ». C'est aussi se plaire aux chemins obliques, en jouir. Un objet louche est au bout de ce che- min, est ce chemin. Qui requiert que nous louchions. Qui nous rende à nous-mêmes louche : « Ceci est la couleur de mes rêves >, écrivait Miró sur une toile portant une seule tache bleue. Cette tache c'est le désir qui passe, pour les surréalistes, et sans doute pas pour eux seuls, de l'objet plastique au texte, et, surtout, c'est en elle que s'abrège et rayonne tout ce qui se peut gagner. Ce rêve est le désir d'être rêve - Baudelaire parlait de « rêve hiéroglyphique » ; je ne suis séduit que par désir d'être séduisant, de devenir moi-même objet, ouvert au désir des autres, prêt à entrer dans leur rêve.

On ferait une anthologie volumineuse des textes de Breton où il montre ce qu'il attend des peintres et ce qu'ils lui ont apporté pour l'émancipation du désir. Bornons-nous. Dans Le surréalisme et la pein- ture, il parle à leur propos « d'un véritable langage qui ne (lui) paraît pas plus artificiel que l'autre >. Est-ce à dire que la peinture est un texte lisible pour lui ? Il ajoute ceci, qui doit nous rendre précautionneux ; « De quoi suis-je autant à la merci que de quelques signes, de quelques taches colorées ? L'objet, l'étrange objet lui-même y puise la plus grande partie de sa provocation et Dieu sait si cette provocation est grande, car

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je ne puis comprendre à quoi elle tend. » Au défaut même de l'intelli- gence apte à ne reconnaître que le même, c'est une nouvelle fois cet « entre » que nous découvre Breton. S'il doit en parler en « critique » il ne peut faire qu'il ne recoure à la métaphore et à l'interrogation. A propos de Braque : « A quelle plus belle étoile, sous quelle plus lumi- neuse rosée pourra jamais se tisser la toile tendue de ce paquet de tabac bleu à ce verre vide ? »

La jouissance artistique serait-elle, encore après Duchamp, « réti- nienne »? On sait qu'il n'en est rien : « la peinture ne saurait avoir pour fin le plaisir des yeux ». Cette prise de position initiale ( Distances , dans Pas perdus) reste constante. Et c'est parce qu'il s'y tient que Breton interroge inlassablement les voies et tnoyens de la provocation picturale. Au terme de sa plus longue étude sur Miró : « " Tout dire se peut avec l'arc-en-ciel des phrases

" : souscrire comme je crois devoir le faire à cette maxime de Xavier Forneret, c'est ne pas s'attarder à la contem- plation de cet arc-en-ciel et c'est, au-delà, s'instruire de ce que Miró dit. » Inversement, aux premières pages de Nadja : « Je ne porte pas de culte à Flaubert et cependant, si l'on m'assure que de son propre aveu il n'a voulu avec Salammbô que donner l'impression de la couleur jaune ", avec Madame Bovary que

" faire quelque chose qui fût de la couleur de ces moisissures des coins où il y a des cloportes

" et que tout le reste lui était bien égal, ces préoccupations somme toute extra-littéraires me dis- posent en sa faveur. » Les deux textes se croisent. Que la tache de couleur dise, que tout dit soit, irréductiblement, tache de couleur. Ce fut la han- tise de Baudelaire, dans ces années où la notion de représentation, en littérature comme dans les arts, est entièrement rebrassée. On sait com- ment il y répondit 2. Mais réponse où s'avoue maintes fois la crainte d'être en deçà de cette primitivitě, de cette sauvagerie fondamentale qui l'en- chantaient dans les images et les couleurs comme, pour lui déjà, « la couleur de son rêve » : « la peinture, écrit-il dans le Salon de 1846, étant un art de raisonnement profond et qui demande la concurrence immédiate d'une foule de qualités, il est important que la main rencontre, quand elle se met à la besogne, le moins d'obstacles possible, et accom- plisse avec une rapidité servile les ordres divins du cerveau : autrement l'idéal s'envole ». Sa part faite au vocabulaire d'époque, c'est d'automa- tisme qu'il est bien ici question. Mais ni Baudelaire, ni Breton en face de Miró n'y recourent. A la spontanéité du geste doit répondre une manœuvre du langage telle que le dit se constitue en tache. Ce qui ne va pas sans manœuvres sur soi. Puisant dans les « proses parallèles » on va tenter d'approcher quelques dispositions de ce texte, sans pouvoir dans l'espace d'un article, faire autre chose que des prélèvements, ajoutant

2. Sur Baudelaire critique d'art, on connaît les études classiques de P.-G. Castex. Rappelons ici la lecture de Baudelaire par Butor : Histoire extraordinaire , essai sur un rêve de Baudelaire qui, interrogeant un texte chiffré recourt, (« Les couleurs de l'Indien»), à ce qui se dit dans la violente impression qu'avait faite sur Baudelaire, George Catlin, le peintre des sauvages tatoués. Dans le « rêve hiéroglyphique » entre le désir d'être hiéroglyphe. Désir qui passe de Catlin à Baudelaire, de Baudelaire à Butor, de Butor à nous, comme le suggère l'Envoi du livre : « Certains estimeront peut-être que, désirant parler de Baudelaire, je n'ai réussi à parler que de moi-même. Il vaudrait certainement mieux dire que c'est Baudelaire qui parlait de moi. Il parle de vous ».

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ainsi l'arbitraire de coupures dans le texte à l'arbitraire même de l'in- trusion de la lecture proposée. Mais auparavant, et comme pour faire reconnaître les bornes du délire interprétatif, il faut aller jusqu'au bout de ce texte dont on n'a d'abord retenu que les premiers mots.

«Qu 'y a-t-il entre celte cavité sans profondeur ?... »

... tant la pente en est douce à croire que c'est sur elle que s'est moulé le baiser, qu'y a-t-il entre elle et cette savane dérou- lant imperturbablement au-dessus de nous ses sphères de lucioles ? Qui sait, peut-être, le reflet des ramures du cerf dans l'eau trou- blée qu'il va boire parmi les tournoiements en nappes du pollen et l'amant luge tout doucement vers l'extase. Que sous le pouvoir du peigne cette masse fluide, mûrement brassée, de sarrasin et d'avoine, tout au long épinglée de décharges électriques, n'est pas plus confondant dans sa chute le torrent qui bondit couleur de rouille à chaque détour du parc du château de Fougères aux treize tours par la grâce du geste qui découvre et recouvre le nid sournoisement tramé des vrilles de la clématite.

Passer de droite à gauche, de ces mots à la planche, ce serait rapidement opposer à ce texte telle lecture, thématique, sémiologique, analytique, interposer d'emblée un nouveau texte, le nôtre. Il faut tenter de biaiser : lire le texte, mais le regard flottant sur la gouache. Celle-ci, j'y discerne (mais aussi parce que j'ai lu le texte), il vaudrait donc mieux dire, j'y isole, deux faits remarquables. Le premier est la constitution d'un espace de l'échange : le corps de la figure féminine (un sexe fémi- nin e mironien », un sein flottant à la surface du papier) est aussi lisible comme montagne, et une « fenêtre » traversée par la lune bouleverse les catégories d'intérieur et d'extérieur. Le second est une sorte de mise en abyme des moyens chromatiques de la gouache : une main s'offre comme palette couverte du répertoire de couleurs dont est faite la gouache dont, autre forme de l'échange, elle fait elle-même partie. Ajoutons qu'au centre, l'œil de la figure fixé sur nous interroge notre regard interrogeant cette peinture-monstre, tendant, comme nous venons de le faire, de trou- ver la « raison .» de cet objet, d'en démêler les ressorts de fascination.

Quant au texte, je ne saurais évidemment dire dans quelle mesure il a pesé sur cette « lecture » sommaire. Mais il frappe - et c'est pour cela que j'ai choisi ce texte - par ce qu'il y a en lui de réflexion sur la partie qu'il doit jouer, sur les conditions de la réponse au peintre. Il faudrait l'analyser complètement. Limitons-nous à quelques traits :

- ouvert sur la question « entre » (question du figurai, posée à Braque) il met en rapport de contiguïté des objets à la rencontre impré- visible. Mais, formellement, l'espace du poème s'insère dans la rencontre phonique des deux termes d'introduction et de conclusion : « cavité » et « clématite ».

- il s'articule sur le phonème - ment des adverbes qui investis- sent lentement le centre absent de la composition où, suivant la « douce pente » du texte, « doucement » se croise avec « amant », assurant la

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transposition du phénomène d'échange dans l'ordre scriptural, et faisant intervenir cet ébranlement dans une séquence qui dit explicitement le désir satisfait : « l'amant luge tout doucement vers l'extase ».

Le phonème ou ici représenté articule l'ensemble du texte, et, par les mots tour , détour , découvre , recouvre , désigne doublement le mouve- ment d'investissement du texte qui dit par le lexique et les images (texte - château aux mille portes) et, en même temps, par les retours de la syntaxe (réponse en forme de question, inversion dans la séquence « Que sous le pouvoir... »)

- il met en compétition, soulignée par la rime, deux postures- images : le cerf et le château de Fougères . Là, la hantise du reflet, le risque, et la tentation, de ne jamais que rebrasser sa propre image. Ici, l'aventure de l'errance, qui de Poisson soluble à Nadja joint le mira- cle de la découverte au vertige de la folie (lisons « fou j'erre »). Ces deux postures définissent, au plus court, le rapport de Breton à cette gouache et à quelques autres ; elles désignent aussi la tension de l'œuvre de Breton. Qui, plus que dans le récit du rêve et son commentaire qui le suit tou- jours - double contrôle - trouve dans les figures pré-textes l'occasion de se rejouer. Ostentation et occultation jouent la figure. S'autorisant d'un objet scellé elles produisent ensemble un objet d'apparence scellée qui, quand on l'interroge, ne paraît d'abord qu'affirmer la possibilité apaisante de l'échange et de la transformation.

- à l'écriture de Miró, qui s'apprend dans son histoire, répond donc, chez Breton, le recours aux signes familiers à ses lecteurs : une mythologie personnelle qui ne deviendra réellement libératrice que deve- nue commune. Il est facile de mettre les proses de Breton en relation avec maint texte antérieur : personnages, mots clefs, images choyées. On peut voir dans ces autosources moins des réminiscences qu'une mise en question de son propre langage sur un terrain ambigu : façon oblique, distanciée, d'en faire paraître les en-dessous tout en affectant de lier une composition qui puisse « tenir » en face des gouaches. Comme il est dit de la vie dans Nadja, ce texte décentré (fondé sur un Je qui serait celui de Miró) s'offre comme « cryptogramme ». Il jouit de la liberté de pouvoir se constituer en « paradis des pièges ». Dans ce texte-ci, comme en d'autres, la matérialité des mots, leurs pièges phoniques sont maniés : « Entre » /(antre)/ « Cavité », toute la prose « sournoisement tramée » transforme cet « antre » vertigineux - et absent - en ce « nid » final où se loger ; quand « clématite » n'est que la réponse formelle claire au parcours qu'elle boucle élégamment de sa « vrille ».

« Le Lac Pyramide »

Dans cette prose à l'allure d'art poétique en acte on entrevoit que le texte en se faisant investit la question « comment je me découvre », « comment je me découvre » dans l'écriture. Question que lui tendent les « peintures sauvages » de Miró. Rêve en figures, elles provoquent au plus dissimulé du désir ; geste, elles viennent surprendre mon corps. Mais « séries », composition, elles m'incitent à répondre dans l'ordre du dis-

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cours, de telle façon qu'une parenté se manifeste entre la peinture et le texte écrit, mais que le texte écrit bénéficie de l'ambiguïté propre au figurai. Ce privilège des formes de donner et retenir semble hanter toute la Préface que Breton propose avant qu'on ne lise ses textes. Expliquant Miró elle révèle surtout l'ambiguïté de Breton au moment où il a à faire siennes des gouaches dont la figure insistante est un maelstrom sexuel : la femme n'y est pas femme mythique, mais dévoreuse, monstre proli- férant constellé de sexes libres, œil figeant, vautour de cauchemar.

Nulle solution que de se débarrasser ostensiblement de ces figures gênantes - qui, refoulées, vont, on s'en doute, faire retour de mille et une façons par tous les pertuis du texte. Il faut ici recopier le texte, depuis lors censuré (avec l'aveu de Breton) :

Du Lever du soleil au Passage de l'Oiseau divin s'accomplit un cycle autant dire hermétiquement clos, comme je n'en sais pas d'autre dans l'œuvre de Miró [...]. L'équilibre et l'harmonie dispo- sent souverainement de la scène, sur laquelle une paix singulière est descendue. Ici s'avive irrésistiblement en moi un souvenir per- sonnel : je revois les solitudes du Nevada ; depuis combien d'heures de voiture glissons-nous entre ces rocs gigantesques dont nul à la longue ne saurait se défendre d'épeler en traits humains oil ani- maux les silhouettes monstrueuses, mais nous voici en vue du « Lac Pyramide » et, médusé, j'assiste à leur dissipation entraînant celle des nuages qui jusque-là cahotaient en lourds tombereaux. Ainsi en va-t-il de l'insertion ultra-précieuse de cette nappe des Constellations au cœur même de ce que, dans l'univers de Miró, on a appelé ses « peintures sauvages ». Le « Lac Pyramide » qu'en plein désert ce soir-là, j'ai pensé contourner indéfiniment, apparais- sait comme le lieu de la décantation définitive. [...] Vacant comme aucun autre, le miroir, lissé furtivement par les oiseaux, ne sem- blait fait que pour ravir, la nuit tombée, la flottante réverbération des astres.

(Texte-piège, texte-lac : par le « souvenir personnel » Breton montre que ces peintures, comme toutes celles qui le touchent, le touchent « au-delà de la peinture ». Mais le « lac » sur lequel s'ancre la réflexion est dénié : miroir de l'harmonie du cosmos, il en recouvre les remous internes après avoir écarté les « silhouettes monstrueuses ». « Souvenir » retors, doublement retors, puisque c'est de lui que sourd la grille de « lecture » des gouaches, d'apparence objective, que donne Breton.)

De même, dans les Constellations , la figuration vivante est passée à l'arrière-plan ; elle ne subsiste qu'à l'état de trame sur laquelle vient s'apposer la grille emblématique de l'artiste où domi- nent le cercle, la spirale, l'étoile et le triangle inversé.

Quelle harmonie de la « Pyramide » se rêve ici aux dépens de la sauvagerie explicite des peintures - le moindre regard révèle le parti pris de Breton - , surtout des dix premières où la « grille emblématique est pratiquement absente ? On ne peut ici développer 3, mais c'est préci-

3. Cette étude n'est qu'un fragment d'un travail en cours : on s'est borné à quelques points de repère, bien peu nombreux, bien arbitraires au regard de tous les problèmes que posent Constellations.

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sèment dans ces dix premières gouaches que « sournoisement tramé » le texte sera travail de fantasmes insistants. Ensuite, un « sens » va s'affirmant : l'établissement d'une « harmonie » orientée par Fourier. Sens, se faisant matériellement, liant le distant, s'ouvrant en énigmes qui ne seront déchiffrables qu' « en harmonie », bref un texte qui tiendrait de ces « hiéroglyphes » qui, de Baudelaire à La Théorie de Quatre Mouvements , sollicitent Breton, qu'il n'a cessé de chercher chez Cyrano de Bergerac (dont il fait sien un texte sans le nommer), chez les occultistes, ou chez Nerval, Rimbaud, et Forneret intercesseurs déclarés. Mythes, textes, figures du légendaire sont évoqués, croisés de manière à constituer ce livre futur qui n'est encore que livre d'initiés. Livre hiéroglyphique dont le feu vient de l'échange généralisé et qui trouve dans Miró, inter- prété ici sans ruse, un exemple d'organisation :

A première vue, cette trame, quoique essentielle, se dissimule

(il n'est pas besoin de souligner l'ambiguïté de ce retour) d'autant mieux sous les accords plaqués de la couleur que celle-ci, en vertu d'une décision géniale, choisit de n'enflammer que leurs angles d'intersection. Pour la première fois, toute l' ac- centuation lumineuse porte et joue sur les ménisques d'interférence des éléments concrets et abstraits. En la ténuité et la rigueur du rapport forme-couleur ainsi totalement recréé me semblent résider l'absolue originalité d'une telle œuvre et le secret de son affir- mation sur le plan organique. C'est là ce qui, à mes yeux, comme sans doute à bien d'autres, doit la rendre indiscutable comme les jeux du rutile dans le quartz ou les étapes qui vont de l'impulsion à le construire à l'abandon du nid chez les oiseaux.

Objet « indiscutable ». Comment ici ne pas songer, . au-delà du texte-nid, à la photographie rêvée de Breton dans Y Amour jou, compo- sition de cristaux ainsi commentée : « La maison que j'habite, ma vie, ce que j'écris :-je rêve que cela apparaisse de loin comme apparaissent de près ces cubes de sel gemme? »

« De loin » : les textes s'ordonnent en composition : composition chromatique (qui doit à Rimbaud, se ressent aussi, semble-t-il, de la lecture, qui, Breton l'a dit, ne l'a pas laissé indifférent, de tel essai sur Voyelles paru dans Bizarre , sous les initiales R. F.), suite d'un thème, etc. ; qui « oriente » les proses parallèles aux gouaches jusqu'à la citation ultime des textes de Fourier (que Miró, lui, faut-il le dire ? n'a jamais lu). Compo- sition où je ne crois rien forcer à trouver une organisation moins sauvage que rhétorique

4 :

I - 1 , 2, 3 : du passé du moi à l'avenir du texte collectif : l'in- ventaire du nocturne.

II - 4, 5, 6 : la femme libératrice que le texte, par retours et « navettes » tente d'apprivoiser : à la grimace des monstres

4. J'ai cru, de la même façon, pouvoir mettre en évidence une organisation tria- dique dans le texte que Claude Simon a écrit sur Miró. Voir Claude Simon dans les marges de Miró: Femmes , Colloque de Cerisy, 10/18.

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peints répond , outre une diction apaisée, « que [...] ta com- pagne sourie en te retrouvant ». 7 : « Personnage blessé », dit le titre qui emporte avec soi le texte, texte-écharde qui s'offre délibérément à une inter- prétation psychanalytique, texte qui, sur la figure déplacée du comte Potocki, s'ouvre à la violence menaçante des femmes de Miró ; dévoile ses fantasmes. Ne les dévoile, faut-il y insister, que dans la perspective de la composition, les désa- morce.

III - 8, 9, 10 : la femme chiffre du monde : « où partout la femme n'est plus qu'un calice débordant de voyelles en liaison avec le magnolia illimitable de la nuit ». La femme, le monde, le texte se résument en cette figure-corps chromatique (selon Voyelles) : « Corsetée de mousse, en maillot de lumière, l'exquise Marie Spelterini s'avance sur un fil au-dessus du Niagara. » Un nom, inconnu, qui entre, rayonnant dans notre lexique mythologique.

IV- 11, 12, 13 : les femmes magiciennes de notre légendaire et de l'histoire ; « La Belle Cordière », nom surimprimé, où nous pouvons deviner que se croisent Louise Labbé et cette Denise Labbé, monstre par amour, dont Breton a parlé dans Magie quotidienne.

V - 14, 15, 16 : érotisation généralisée, un univers d'hiéroglyphes gouverné par un grand « aiguilleur », maître de muer l'oeil « fascinant » de la femme en « agate œillée ».

VI -17, 18, 19 : première sortie du texte : le monde à composer comme texte-corps. Cryptogramme : mais dont la clef et le sens de lecture nous sont tendus : « Au centre, la beauté originelle, balbutiante de voyelles servie d'un suprême doigté par les nombres. »

VII - 20, 21, 22 : deuxième sortie : la vision harmonienne.

« De près » : nous nous limiterons à un seul exemple, propre à laisser voir comment la Pyramide s'édifie sur le lac, ou, mieux, comment ce nom « Lac Pyramide » signe, plus peut-être que les gouaches de Miró, le texte que Breton, au moment où il écrit sa Préface va écrire, ou a déjà écrit.

« La patte héraldique haut levée du tout jeune lion »

Rebroussons chemin jusqu'à la première triade pour y tirer un fil de lecture. Celui-ci passe de la première à la deuxième gouache, avant que celle-ci ne se rabatte sur la première (la troisième de la triade, on l'a vu, est celle des grands intercesseurs dans l'exploration du nocturne, leur « lumière noire » vaut pour l'ensemble).

Le lever du soleil : [...] Mais l'enfant décidément oublié à son banc bien après l'heure est seul à pouvoir montrer, dans le gland du rideau qu'attisent les spasmes de la veilleuse, la patte héraldique haut levée du tout jeune lion qui s'avance et qui joue.

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Ne retenons qu'un élément textuel : (la patte) héraldique (du jeune lion) et le gland , ici rassemblés. (Après avoir noté, pour mémoire, que dans la gouache, qui comprend des figures très « lisibles », aucune ne représente un lion.) Tout lecteur de Breton fait surgir à côté de ce texte d'autres qui l'ont précédé :

- dans Les Etats-Généraux :

Qui m'assure de la dissolution complète avec moi De cette terre telle que je l'ai pensée une échappée plus radicale Sinon plus orgueilleuse que celle à quoi nous convie le divin Sade Déléguant au gland à partir de lui héraldique Le soin de dissimuler le lieu de son dernier séjour.

Cette allusion au fameux Testament de Sade entre ici dans une réflexion sur l'évolution du monde « vers le mieux ».

- dans un des A jours d'Arcane 17, Breton, dans une perspective fouriériste cite un texte de Fabre d'Olivet sur le « gland », « puissance d'être » : « Je l'écrase sous mes pieds : le gland est détruit. Son destin est-il anéanti ? Non il est changé ; un nouveau destin qui est mon ouvrage commence pour lui. »

La « prose » s'inscrit-elle dans ce discours d'idées ? Il faut recon- naître qu'il est bien chiffré pour y prendre place. Il y entre ; mais souter- rainement, et le nom même de Sade, - montré-caché - désigne, dans ce texte à multiples fonds, à communications secrètes, une entrée érotique : - dans Magie quotidienne (1955), Breton recopie un rêve, qui le concerne, que lui a transmis Meret Oppenheim :

Tout à coup, très haut dans le ciel, vers le sud, apparaissent des taches d'un brun rougeâtre, aux contours très précis comme celles qu'utilise le test de Rorschach. [...] C'est alors qu'apparaît à l'ouest un lion jaune ocre d'aspect stylisé, héraldique, comme dans les livres d'enfants. Il passe, sans cesser, tout au long de son parcours, de NOUS regarder avec douceur, en battant ses flancs de sa queue. [...]

(Breton ne commente pas ce rêve qui lui est envoyé de l'extérieur : il le recopie, nous le tend.)

- dans Trajectoire du rêve (1938), Breton fait le récit d'un rêve et le commente. Il regarde Dominguez peindre : une espèce d'échelle de corde : « je constate que chacun de ces nœuds est en réalité l'arrière-train d'un lion [...]. Chaque lion se trouve ainsi lécher frénétiquement le sexe du lion voisin (sexe féminin bien qu'il s'agisse de lions et non de lionnes) » . Laissons là le récit. Voyons « l'explication » donnée par Breton :

Quelques jours auparavant, devant la carence prolongée des fumistes, je dois dire que j'avais cédé à l'impulsion déplorable de serrer autour de ce tuyau une bande d'étoffe qui en couvrît les fissures les plus apparentes. Le 5 février au soir, une personne de mes amies (X des Vases communicants) avait brusquement

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éclaté de rire en découvrant tout près du plafond ce pansement dérisoire [...]. Il me paraît intéressant, ainsi mises à jour ces données fondamentales (dont le contenu sexuel est assez transparent) de faire apparaître quelques-uns des éléments avec lesquels elles vont entrer en composition pour fournir la trame du rêve. [...] Le tuyau de poêle, aux blessures dissimulées par un linge, fournit évidemment les premiers éléments - arbre et nœud - du tableau. [...] Par Fintérmédiaire d'une image découverte quelques jours plus tôt - dans une publication Hachette sur les oiseaux, la photo- graphie d'un manchot entre ses petits, qui suggère impérieuse- ment l'idée d'un sexe masculin en érection - s'opère la substi- tution des lions aux arbres [...].

On regrette de n'avoir pu intégralement reproduire ce texte, et ses dessins : ceux-ci montrent une étrange parenté, le premier, avec l'échelle de la seconde gouache (« L'échelle de l'évasion »), le troisième, les « manchots », avec la figure qui domine la première ; quant au deuxième dessin, c'est naturellement un lion.

La liaison entre les deux peintures n'est pas seulement assurée par les dessins. Rappelons le bref texte de cette deuxième prose :

Tout est encore froncé comme un bouton de coquelicot mais l'air bâille de chausse-trapes. Il n'est que de mettre le nez dehors pour évoluer entre des boîtes à surprise de toutes tailles

(les boîtes métalliques, la boîte de sardines entrent dans les « prédilec- tions » de Dominguez, dit Breton dans une partie du texte que nous n'avons pu citer)

d'où ne demande qu'à jaillir de son corps d'annelé la tête de Pierre-le-Hérissé devenu adulte épandant sa barbe de braise. Nan- tis au grand complet de leur attirail, les ramoneurs échangent leurs plus longs « Ooooh-Ooooh » par le tuyau de la cheminée.

Cet « Oooh », je le vois bien écrit en toutes lettres sur une toile de Miró, de 1924, Renversement . Peut-être, grâce à son titre, a-t-il guidé cette manœuvre de « renversement », mais, c'est d'ailleurs que vient le thème ici retravaillé. Ce qui dans les deux proses en communication est interrogé, montré-caché dans ce récit chiffré, scellé et que nous avions pourtant les moyens de déchiffrer, et de lire sur nouveaux frais, c'est le thème du Lion châtré. Qui se monnaye, s'organise, non plus, comme dans l'explication du rêve, vers l'identification glorieuse du lion avec l'au- rore boréale, mais en un spectacle, simple, pour les enfants, où tout est naïvement à sa place, en ordre de marche.

Pierre-le-Hérissé est l'agent double de cette manœuvre. Personnage de livres d'enfants dont, avant même les précieuses analyses de Groddeck (sur le Struwwelpeter , voir La maladie , l'art et le symbole ), on avait repéré que « naïvement » il était avertisseur de « menaces », à commencer par celle de la castration, que dévoile, met au grand jour le livre lui- même. Breton, choisissant la traduction « Le Hérissé », plutôt que la traduction française habituelle de « L'Ebouriffé », met en communication

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ce personnage avec le thème des ramoneurs dont la « carence » a conduit au « pansement » posé sur le tuyau. Dans la gouache, Breton, de deux figures, pouvait composer ce Pierre-ramoneur : ce « hérisson » flot- tant au centre, et cette larve « au corps d'annelé » en dessous, cet ancrage justifiant aux yeux des amateurs de parallélisme entre texte et peinture l'irruption indue de ce personnage. Quant à chercher dans les formes de Miró (figures ou emblèmes) des tuyaux de cheminée...

Reste une belle histoire, claire et absurde comme les petits contes de Pierre L'Ebouriffé. Sans doute passible d'une lecture psychanalytique, comme le montre Groddeck. Mais la question reste : pourquoi Breton s'emploie-t-il à bâtir ce texte-rêve, aux trois quarts scellé, sur un rêve qu'il a publié ? Nulle explication ici, nulle justification. Sauf cet indice qu'il revient sur ce rêve. On a vu qu'il est possible que tel élément de la gouache a pu en raviver le souvenir. Mais Breton ne répond pas à la peinture de Miró. Il la « broute », selon le mot fameux de Klee, çà et là, la travaille, en fonction d'un autre texte dont il ne parle pas, et qu'il tente de recouvrir. Il l'a tenté une première fois, dans Trajectoire du rêve , ouver- tement ; il y revient. Ce texte est l'un des plus violents qui aient été écrits contre Breton. On y lit notamment : « Un faux bonhomme qui a crevé d'ennui dans ses absurdes " terres de trésor ", ça c'est bon pour la religion, bien assez bon pour petits châtrés, pour petits poètes, pour petits mys- tiques-roquets. Mais on ne renverse rien [c'est moi qui souligne] avec une grosse gidouille molle, avec un paquet-bibliothèque de rêves. »

Le texte le plus violent, et que l'entreprise où il se lançait devait ren- dre particulièrement actuel, particulièrement sensible à Breton. Voici l'ac- cusation étalée, pour l'exorciser, à ce « Lever du Soleil ». Je n'ai pas dit que le passage cité appartient au texte intitulé Le lion châtré , écrit par Bataille pour entrer, en 1929, dans le pamphlet- Un cadavre.

Je me suis gardé d'interpréter les textes de Breton. Ce n'était pas ici mon propos. Je n'ai voulu que montrer qu'ils étaient, dirons-nous, « sournoisement tramés ».

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