222

Lily Haime - ekladata.comekladata.com/ufHQ8aXeUZAXVIYSZDdWAbmBeT0/Abysses... · À mon amour D.A. et à mon fils R. À ceux qui ont connu le froid, la faim et l’obscurité

Embed Size (px)

Citation preview

LilyHaime

ABYSSES

MxMBookmark

Lepiratageprivel'auteurainsiquelespersonnesayanttravaillésurcelivredeleursdroits.

Cetouvrageaétépubliéenformatpapiersousletitre:

Abysses

MxMBookmark©2015,Tousdroitsrésérvés

Illustrationdecouverture©MxMBookmark

Sousladirectionde©ChristineGauzy-Svahn.

Correction©EmmanuelleLefray

ÀmonamourD.A.etàmonfilsR.Àceuxquiontconnulefroid,lafaimetl’obscurité.

«L’amourneressentaucunfardeau,semoquedesdifficultés,tentecequiestau-dessusdesesforcesetneprétextejamaisl’impossible.Parcequ’ilcroitquetoutluiestpermisetquetoutestpossible.»

ThomasA.Kempis«J’aiaiméjusqu’àatteindrelafolie.Cequecertainsappellentlafolie,maiscequipourmoiestlaseulefaçond’aimer»

FrançoiseSagan.

Àcentcinquantemètresdeprofondeurdanslesocéans,quatre-vingt-dix-neufpourcentdelalumièresolaireaétéabsorbée.Puis,au-delàdemillemètres,lanuitest

complète,lefroidintenseetlespressionscolossales.Cesontlesabysses…

PrologueJepoussailescouvertures.Ensoupirant,Charless’appuyasuruncoudeetm’observa.—Tuesobligédepartirtoujoursaussitôt,sevexa-t-il.Jemelevai.—Ilestdixheures,Charles.—Tunevoistonprochainclientquedemainenfindejournée.Il le savait mieux que quiconque puisque c’était lui qui me trouvait mes clients depuis dix ans

maintenant.Depuisqu’ilm’avaitsortidelarue.Jerécupéraimesaffairesquitraînaientparterreetmedirigeaiverslasalledebain.Jemeglissai

dansladoucheetfiscoulerlesjetsd’eaubrûlantesurmoi.Jefermailesyeux,posaimonfrontcontrelecarrelageetprofitaidecesquelquesinstantsdesolitude.Malheureusement,ilsneduraientjamais.—Aprèstoutescesannées,tunedevraisplusmefaireautantd’effet.Charlesseglissaderrièremoietsecollaàmondos,sonérectioncontremesfesses.— Il semblerait pourtant que si, susurra-t-il enme caressant, de sesmains que j’avais toujours

trouvéestropdouces.Tuestellementbeau,Rafael.Il suivitd’undoigt la lignedemesépaules, lecontourdemesbrasetdescenditversmonventre

plat.—Tusaiscequimeplaîtvraiment,monamour?mesouffla-t-ilàl’oreille.Savoirqu’onpaiesi

cherpourt’avoir.Savoirquejechoisisquietquand.Savoirquetuesàmoi.Ildéchiral’étuid’unpréservatifetjecontractailamâchoire,haïssantceson.Pourtant,parhabitude,

parce qu’ilm’avait si bien éduqué, je passaima tête par-dessusmon épaule et croisai son regardavidequandilagrippaviolemmentmeshanches.Etjemesouvinsdecejour-là…Delapremièrefois…Jen’étaisqu’unadolescentauventrevide,errantdanslesruessombresdeBoston,l’hiverdemes

seizeans.Pendantlajournée,jedormais;parcequelesoleilétaithaut,qu’ilfaisaitpluschaudetquemon sommeilparaissait plusdouillet.Lesnuits, elles, étaientglaciales et dangereuses. Jepréféraisêtreréveilléetmarchersansbut.Aumoins,jen’étaisàlamercidepersonne.Dumoins,lecroyais-je.Parfois, je traversaisCharles River et je me promenais dans Cambridge, oubliant que j’étais

orphelin,que jen’avaisplusde toit etque lorsque j’avais trop faim, jevolaisquelquespaquetsdechipsdanslesrayonsd’unesupérette.Jeparcouraislescampusd’HarvardetduMITquelesétudiantsendormisavaientdésertésetjerepartaisquandl’aubeselevaitetquetoutredevenaitréel.Unenuit,unedecellesquichangenttout,jeneréussisplusàavancer.J’étaisfébrileettremblant,

mesmains étaientmoites etmon front brûlant.Un anplus tôt,mamèrem’aurait emmenévoir unmédecin.Ilm’auraitprescritdesmédicaments,unebonnesemainedereposettoutseraitrentrédansl’ordre.Mais aujourd’hui, j’étais seul,malade, etma famille dormait dans un cimetière plus loin.Mon père. Ma mère. Il n’y avait plus personne pour veiller sur moi, et je n’avais plus assez decouragepourmetraînerjusqu’auxurgenceslesplusproches.

Enm’engouffrantdanscetteruellesordidecesoir-là,jepensaismelaisserglissercontreunmuretattendre.Attendrequoi?Lamortpeut-être,unmiracle.J’étaisépuisé,jen’enpouvaistoutsimplementplus. Jen’avaispasundollarenpoche, rienàmanger,pasde litoùm’enfouir.Plusde lendemain.Alors j’avais seulement avancé, quittant les lumières des lampadaires pour m’enfoncer dansl’obscurité.CefuticiquejerencontraiCharles.Ilmesuivaitdepuisplusd’uneheuredanssaberlinenoireauxvitresteintées;jel’avaisrepéréà

l’angle d’une rue, c’était comme s’il m’attendait. Et quand j’avais piqué du nez, prêt à tomber, ils’était trouvé soudain derrière moi pour me rattraper. Je m’étais appuyé contre lui, le regard sifiévreuxquej’avaistoutd’abordcrul’imaginer.MaisCharlesn’avaitriend’unrêve.Quand ilm’avait tenducette liassedebilletspar-dessusmonépaule, j’avaisd’abordeudumalà

comprendre. Puis j’avais croisé ses yeux bleus, son visage trop pâle et j’avais compris. Ce qu’ilattendaitdemoi.Cequ’ilvoulait…Cequ’ilvoulaitquejeluidonne…Cequejen’avaisjamaisdonnéàpersonne…Lefroid,lafaim,l’obscurité;autantderaisonsquimepoussèrentàaccepter.J’avaisprisl’argent

alorsquejenetenaismêmeplusdeboutetjem’yétaisaccrochédetoutesmesforcesalorsqu’ilmepoussaitsansdouceurcontreunmur.Jem’étaismordulalèvrepournepashurleretj’avaisendurécettedouleurlesyeuxclos.J’avaisattenduqu’ilfinisse,qu’ils’enaille.Etquandilavaitdisparu,quandlemoteurdesavoiture

n’avaitplusétéqu’unronronnementlointain,jem’étaisécrouléausolpourvomir.Cefutledébutducauchemar…J’avais réussi, jene savais comment, à atteindre l’hôpital.L’urgentistedegardem’avait ausculté

sans s’arrêter surmon état lamentable et ilm’avait remis une ordonnance sansmême un sourire,partant déjà vers son prochain patient. J’avais récupéré les quelques boîtes de comprimés à lapharmacie du coin. Comme un automate, j’avais sorti des billets froissés de ma poche sans lesregarder,enessayantd’oubliercommentjelesavaisobtenus.D’oùilsvenaient,lecommerçants’enfichaittantquejepayais.J’avaislouéunepetitechambredansunhôtelmiteuxoùlescafardsremplaçaientlamoquette.Pour

lapremièrefoisdepuisdesmois,j’avaispudormirdansunlit.Lanuit,jeregardaisleplafondetlajournée, je sillonnais les rues à la recherchede solutions.Maispersonnenevoulait embaucherungaminquitraînaitlemêmepantalondepuisdesjours,quin’avaitpasd’adresseetriend’autrequ’unpeudecrassesurlesmains.Iln’yeutaucunbonsamaritain,commeonpeutlevoirdanscesfilms.Pasdebonneâmepourvenirmerécupérer,pourm’aideràm’ensortir.Etbienvite,j’avaisdûrendrelaclefdelachambrepourrepartirdanslarue.J’avais de nouveau croisé Charles, comme s’il n’attendait que ce moment pour réapparaître.

J’aurais pu faire demi-tour, bien sûr. J’aurais pu dire non… Il y avait d’autres choix, sûrement.D’autres options.Mais ce jour-là, je n’en avais vuqu’une seule et elle se tenait devantmoi.Alorsj’avaissuiviCharlesensilence,latêtebasse,priantpourquemamère,oùqu’ellesoit,nevoiejamaisça.Uneautrenuit.Uneautreruelle.Toujourslemêmetarif.Charlesn’avaitpasétéplusdoux,bienaucontraire.Maisilm’avaitdemandémonprénom.Etjuste

cetteattention,aussiinfimesoit-elle,m’avaitdonnél’impressiond’existerauxyeuxdequelqu’un.

—Rafael,luiavais-jerépondu.Jem’appelleRafaelVentes.C’étaitunmensonge,maisilavaitsemblés’ensatisfaire.Aprèstout,çacollaitavecmapeaumate,

monvisaged’hispanique,mesyeuxsombresetmescheveuxnoirs.CharlesavaitfiniparreculeretparremonterlafermetureÉclairdesonpantalon,laissanttraînersa

mainsurmoi,avecunsoupirdesatisfaction.—Àtrèsbientôt,Rafael.Ilétaitreparti.Etilétaitrevenu.Iln’étaitjamaisloinquandilmevenaitl’enviedemourir.Commes’ilconnaissaitparfaitementla

bonneheurepourvenirjoueravecmavulnérabilité.Quandjelevoyais,jesentaiscommeunventdedésespoirquimepoussaitdanslamauvaisedirection.Verslui.Audépart,Charlesmeprenaitcontreunmurouunautre,dansdesimpassespuantesetmalpropres.

Quelques temps plus tard, il m’allongeait sur la banquette arrière de sa voiture. Et puis, un jour,j’avaispasséleseuildesamaisonàBeaconHilletcefutcommeentrerenprisonsanssavoirsiunjourjepourraisenressortir.Ilmemartelaitdecoupsbrutauxetc’étaitcommeunepluiedetristessequis’abattaitsurmoietquilavaitmonêtredetoutcequiavaitpu,unjour,merendreheureux.Alorsj’avaisseulementcesséderéfléchirpourrestreindremespenséesàtroispointsprécis……Lefroid,lafaim,l’obscurité…Bien sûr, ilme ramenait toujours àRoxbury aprèsuneoudeuxheures àuserdemoi comme il

l’entendait.Maisoùquejesois,j’entendaisquandmêmelaportedesachambreclaquerderrièremoi.Et jeme rappelais que je n’étais plus seulement un gamin errant dans les rues, à la recherche dequelquesdollars.J’étaisdevenuunprostitué.Unepute.Lasienne.Etqu’importaientlesraisons,mêmeprimordialesetvitales,quim’avaientamenélà.C’étaitceque

j’étaisdevenu.Jem’étaisvendupourunpeudechaleur,pourunpeudenourriture.Pourunpeudelumière.Pourtant,aprèsdixans,jelacherchaisencore…Jemeservisuncaféquejebusdeboutenenfilantmavesteencuir,mesgantsnoirs,etnouaiune

écharpeblancheautourdemoncou.Assisàtable,Charlesconsultaitsonsecondagenda–celuidontilseservaitpourgérermesrendez-vous.—Demainsoir,tuvoislefilsAsher.Jem’arrêtai quelques secondes,ma tasse en suspens, pas sûr d’avoir bien entendu. Jeplissai les

yeuxetlestournaiverslui.—BrandonAsher,tudis?Charleshochalatête,rajustaseslunettessursonnez.—Merde!m’énervai-je.Jet’avaisditquejenevoulaisplusvoircepetitcon.—Ilabeaucoupinsisté.—Jemefousdesavoirqu’ilaitinsistéounon.—Deuxmilledollars,Rafael, fitCharles sans relever la tête.Pour tepointer auMITàdix-sept

heures,leramenerchezlui,tefairebaiserenpassantetrepartir.Àceprix-là,tupeuxlesupporterune

petiteheure.À ce prix-là, j’étais censé supporter n’importe qui et n’importe quoi. Mais je n’avais tout

simplementpasenviedefaireceteffortaveccesalopardd’Asher.Jefinismatasseetlaposaidansl’évieravechumeur.—C’estladernièrefois,Charles.Etmêmes’ilmepaiedixmilledollars,aprèsdemain,jeneveux

pluslevoir.—C’estmoiquidécide,Rafael,cingla-t-il.Iltournaunepageetlaparcourutrapidement,façonsubtiledeclorelesujet.—Jeudisoir,c’estpapiVermont.Tutesensd’attaque?AndrewVermontavaitsoixante-seizeansetavaitdécouvertcertainsdesespenchantsilyavaittout

justedeuxans.—Ilvafinirparmefaireuninfarctus.Jemevoismalexpliqueràsafemmecommentilarendu

l’âme.Charlesrit.Ilétaitleseul.—Etletroisième?demandai-je.Troisclientsparsemaine,c’étaitlalimitequenousnousétionsfixée.Troisheuresparsemaine.Notrequota.— Un nouveau, me dit Charles en refermant son agenda. Lucas Landwehr, trente-deux ans,

commercialpourunechaîned’alimentation.IlvientàBostonpourquelquesjoursetcherchedequoisedivertir.—Jevois.Charlesrelevalesyeux.—Ilahâtedeterencontrer.—Quand?—Samedi, treize heures.AuColonnadeHotel. Il t’enverra unmessage pour te communiquer le

numérodesachambre.—Trèsbien.Je ramassai mon sac et le balançai par-dessus mon épaule, mon casque de moto sous le bras.

Charles s’adossaà sachaiseetm’examina,appréciateur, avantdepousseruneenveloppepleinedebilletsdansmadirection.Jelaramassaietmepenchaipourl’embrasserbrièvement.—Àdimancheprochain,monamour,medit-il.Ilmesourit.Jerécupéraimesclefssurlecomptoiretmedirigeaiverslasortie.Dehors, j’inspirai profondément, comme si je n’avais pas reprismon souffle depuis que j’étais

arrivé.Etdansunsens,c’étaitlecas.Cettemaison,jelamaudissais.Pourtant,j’yétaistoujoursrevenu.

01—Bonjour,mongrand.AmaFinchmeserradanssesbrasrobustes.Jemesuraisunbonmètrequatre-vingt-huitetelleme

dépassait de quelques centimètres.Quant à sa forte corpulence, elle n’avait d’égale que son grandcœur.Ellesentaitlacannelleetsapeaunoireétaitdouceetlisse,medonnantpresqueenviederesterblotticontreelle.Ellepossédaitcettetendresse,quim’avaittantmanquéàlamortdemamère.—Salut,Ama.Elleme repoussagentiment,me tapota les joues,m’observantdeprès.Elledétaillamescheveux

rendusfousparletrajetenmoto,mesyeuxnoirsbrillantdefatigue,lescernesquiressortaientsurmon teint mat. Puis elle fronça le nez en remarquantmon jean déchiré aux genoux,mes rangersnoiresquimontaientjusqu’àmi-mollet,monpullgrisàcolrouléetmavesteencuirmarronélimée.—Tuasl’airbien,conclut-elle.J’avaisréussil’examen.Maisdejustesse.Elledevaitêtredebonnehumeurpourfairel’impassesur

l’étatlamentabledemonpantalon.Ellemedonnaunepetitetapesurl’épaule.—Lerepasestprêt.Viensmanger.Ungrandgaillardcommetoi,ilfautlenourrir.—Jemenourris,Ama.—Pasassez!tonna-t-elle.Ellesedéhanchajusqu’àlacuisineet je l’ysuivis.Labonneodeurquiensortaitvint titillermes

narinesetm’ouvrit l’appétit,commechaquefoisque jevenaismanger ici.Soit toutes lessemainesdepuisdesannéesmaintenant.Soli, le plus jeune fils d’Ama, était déjà attablé, piochant dans les plats en fixant son écran de

téléphone.Avecsesdreadlocksquiluitombaientsurlefront,sonsouriresarcastiqueetsonattitudedébonnaire,iln’avaitplusriendugaminquej’avaisrencontré.Lepetitratdégingandéétaitdevenuunadolescentgrandetbeau.Etarrogant,pensai-jequandilrelevatoutjusteleregardversmoi.—Tuesdéjàlà?marmonna-t-il.—Quoidéjà?Ilestdix-neufheurestrente.Jeluiprissontéléphonedesmains.—NomdeDieu,Rafael,rends-moiça!Samèreluicognalecrâne.—Aulieudet’enprendreànotreSeigneur,vadoncprévenirtonfrèrequel’onpasseàtable!Ilm’abandonnasonportableensoufflant,melançantunregardnoir.Quandjeluirendis,ilbaissa

aussitôtlatêteetfilademauvaisegrâce.J’aidaisAma à remplir les assiettes quandAbou débarqua. Samère soupira en avisant son jean

aussi usé que lemien, son sweat-shirt desRed Sox qui avait vu demeilleurs jours et ses cheveuxcrépuspointantdanstouslessens.—Salut,Rafael.Ilmetapasurl’épauleens’asseyantsurlachaiselaplusproche.JesourisenvoyantAmaplaquer

sespoingssurseslargeshanches.—AbouFinch,vas-tuenfintedécideràt’habillercommetapositionl’exige?Cen’estpasdigne

dupasteurdenotreparoissedetraînerdanscegenredeguenilles.Aboufitlesgrosyeux.—Lessermons,c’estmoiquilesfais,Mama.Soliricanaetrécoltaunetaloche–encoreune.—BonDieu,pourquoic’estmoiquimeprendstouteslesbeignes?—Parcequetuesinsolent!Ilouvritlabouche,prêtàsedéfendre,mais…—Avise-toidejurerencoreunefois,SoliFinch…leprévintAmaenpointantundoigtmenaçant

verslui.Soli, vaincu, s’adossa à sa chaise en croisant les bras. Je ris, retrouvant tout à coup le gamin

boudeurquej’avaisconnu.Iln’étaitpassiloin,enfindecompte.Abou, comme sa mère plus tôt, m’observa intensément. Il fut beaucoup moins indulgent en

revanche.—Tuasunesalegueule.Oui,sûrement.—Jevaisbien,merci.Ettoi?Jeplongeaimafourchettedansleragoûtd’Ama,refusantdediscuterdesraisonsdemafatigue.—J’aiunsermonenretardcommed’habitudeetdesparoissiensquiveulentmecrucifier,fitAbou

enm’imitant.Misàpartça,çaroule.Abou n’était pas un pasteur très conventionnel. Il ne portait jamais de col blanc et le seul signe

distinctifqu’ilpossédaitétait lacroixquipendaitàsoncou.Sasoutanerestaità lasacristieet il lapassait uniquement pour les célébrations. Surtout, il ne faisait jamais étalage ni de saFoi ni de savocation.Ellesétaientenlui,prèsd’uncœurgénéreux.Uncœurquim’avaitsouventsauvé.—Qu’as-tufaitpourmettretesouaillesencolère,cettesemaine?IlhaussalesépaulesetAmasouffladedésespoir.Elleselaissatombersursonsiègecommesile

monde lui-même pesait sur son échine. Pourtant, ils ne donnèrent aucune explication, ni l’un, nil’autre.JepenchailégèrementlevisageetcroisaileregarddeSoli.—Paslapeinedemefixercommeça,ilsneveulentrienmedirenonplus.Abou,posasafourchetteetpivotaversmoi.Uninstant,nousnousobservâmes.Uninstantdurant

lequellesmotsfurentinutiles.J’avaisdix-septansquandjerencontraiAbou.Bienquemespapiersd’identité,queCharless’était

occupédemefournir,m’endonnentdix-huitpassés.Commetousleslundissoirsdepuisquemamèren’étaitpluslà,jevenaisdanscetteéglise.Celle

qu’elle avait fréquentée de son vivant. Jem’asseyais sur le dernier banc et regardais droit devant,cherchantdanslesilencelesoutiend’uneentitéàlaquelleelleavaitcruplusquetout.Mêmelorsquelamaladiegagnaitinexorablementduterrain.Savieluiéchappait,maismamèrecontinuaitdevenirici, sourianteetconfiante.Commesiellevoyaitquelquechosequim’était invisible.Parfois, jemedisaisqu’elleentrapercevaitlemondequil’attendait,parcequ’elleavaitdéjàunpieddel’autrecôté.

Elleavançaitverslamortetpeut-êtrequecequil’apaisaittanticiétaitlacertitudequecen’étaitpaslafin.Qu’après,ilyavaitquelquechose.Demeilleuretdeplusfort.Detranscendant.Quelquechosequirendraitenfinacceptabletoutessessouffrances.J’ycroyaisetcetteidéemeconsolaitunpeudesaperte,m’aidaitàsupporterlemondedanslequel

elle m’avait laissé. Et parce que je voulais croire qu’elle m’entendait, j’avais aussi besoin dem’excuserdugarçonquej’étaisdevenu.Tellementloindeceluiqu’elleauraitaiméquejesois.Charlesm’avaitdéjàsortidesbas-fondsdeBostonet installédansundesesappartements.Notre

accordétaitsimpleet lucratif ; ilmedonnait troisadressesparsemaine,quelques instructionset jem’yrendaispouruneoudeuxheures.Quandje leretrouvaischaquedimanche, jen’étaisplusqu’àlui.Le lundimatin, avantque jem’enaille, ilme remettait une enveloppepleinedebillets et troisnouveauxnoms.Toutcetargent,jen’enavaisjamaiseubesoin.J’avaisvoulumemettreàl’abriet,dansunecertainemesure,j’avaisréussi.Alors jevenaisdanscetteéglisepourchercheruneformedepardon.Et j’espéraisqu’en laissant

tous cesmaudits dollars dans l’urne des dons, qu’en contribuant à aider ceux qui en avaient plusbesoinquemoi,jemesauvaisunpeumoi-même.Le pèreAndrew n’avait jamais cherché à savoir qui enrichissait ses bonnesœuvres, parfois de

plusieurs milliers de dollars. Plus j’avais mal et plus j’en avais. Plus je souffrais et plus Charlessouriait.Ilaimaitvoirlesbleusmarbrermapeau.Lesplaieslaisséesparlesautresl’excitaient.Illesléchait pour les soigner, pour s’en repaître comme un drogué. Il adorait ma douleur, mes yeuxbrillants,lasouffrancequ’ilpouvaitlirederrière.Iljouaitdemoncœurblessé;iljouaitdemavie,commeilmenaitsesaffaires.Ilmisait,ilgagnait.J’étaisassisdepuisdesheuressurledernierbanc,mesliassesdebilletsdanslesmainsetlevisage

baisséversmespieds.Jepriais,maistoutcequej’entendais,c’étaitlespulsationsdemoncœuretceshurlementsquirefusaientdesortird’entremeslèvres;ellesrestaientobstinémentfermées.Toutenmoicriait,pleurait,sedélitait.Pourtant,j’étaislà,immobile,laissantladouleurm’étreindrecommeuneamiemaudite.Combiendetempsétais-jerestéainsi?Desminutes,desheures?Desdécennies?Parfois,j’avais

l’impressionquedes siècles s’étaient écoulés. Jeme sentaisvieux,malade,blesséet àbout. J’étaisdéjàfatiguédemeleverchaquematin,demecoucherchaquesoir.D’avancersansbut.J’avaisquandmême finiparme levercommeunautomate,mettant l’argentdans l’urnedestinée

aux œuvres de charité. Je l’avais regardé tomber au fond, comme un millier de grains de sableinsignifiants.Commeunegouttedemeslarmes,unpeudemonsang.Lesfamillespauvres,lesorphelins,lesenfantsbattus,lesfemmesmaltraitées,toutcefricétaitpour

eux.Cen’étaitqu’unjusteretourdeschosesaprèstout.Queceshommesquim’avaientpayésicher,quiavaientexigétantdemoi,soientlesmécènesindirectsdesindigents.Quandjem’étaisenfinretourné,Abousetenaitdevantmoi.Ilneportaitnisoutane,nicolblanc.Je

l’avaisd’abordprispourunsimpleparoissienavecsadégainedebanlieusard.—C’estvous,alors?avait-ildit,enm’observant.—Moiquoi?Je l’avais dépassé pour sortir, prêt à nier s’il le fallait. Je ne voulais ni reconnaissance, ni

remerciements.Jeneméritaisnil’un,nil’autre.—Vousavezleregardleplusmalheureuxquej’aiejamaiscroisé,avait-illancédansmondos.Est-

celaraisondevotregénérosité?Jeluiavaisjetéuncoupd’œilpar-dessusmonépauleetmesyeuxavaientaccrochélacroixqu’il

portaitautourducou.Ilavaitsourienprenantlependentifentresesdoigts.—JesuislepèreAbouFinch,s’était-ilprésenté.JeremplacelepèreAndrew.J’avaisalorspivotéverslui,intrigué.Ilavaitfaitunpasdansmadirection,lamaintendue.J’avais

hésitéàlaprendre.Unepoignéedemain,unbrassurlesépaules,desdoigtsaucreuxdudos…autantdegestesquim’étaientdevenusinconnus;dumoinsquandilsn’étaientpastarifés.Commejenebougeaispas,Abouavaitfiniparm’indiquerlefonddel’église.—Jevousoffrequelquechoseàboire…Jem’étaisaussitôtraidietavaisfaitunpasenarrière,luijetantauvisagetoutmondégoût.—Jenesuispasdansvosmoyens,monpère!luiavais-jebalancé.Allezdonctraînerdanslesrues,

voustrouverezsûrementuneputemoinschèrequemoi!—Quoi?s’était-ilétranglé.Non,non,vousvousméprenez.Attendez…Maisc’étaittroptard,j’étaispartisansmeretourner.J’avaiscruvoirdelabontéet,d’uncoup,iln’yavaitpluseuquedelaluxure.Laconvoitise.Tout

cequej’apercevaissurlevisagedecesinconnusquandilscommençaientàmetoucher,quandleurcorpss’abattaitsurlemien.Biensûr, jemetrompaissurAbou.Jel’avaiscomprisdèslasemainesuivante, lorsquejel’avais

aperçuassissurledernierbancdel’église,àm’attendre.Jem’étaisinstalléunpeuenretraitetilavaitcommencéàparler.DesonpèreGuy,mortaucombat.Desamère,Ama,quiavaitcumuléparfoistroisemploispoursubvenirauxbesoinsdesesenfantsetqui,malgrélessanglotsqu’elleversait lanuit, s’était toujours levéeavec le sourire.Desongrand frère,Gora,quiavaitmal tournépourdebonnesraisonsetquidormaitmaintenantenprison.Desoncadet,Soli,tellementlumineuxqu’ilétaitcommeunrayondesoleil.Desonangoissedenepouvoir leprotégerdetoutcequ’oncôtoyaitenbas,danslesquartiersdecheznous.Etdesescraintesdenepasavoirsaplacederrièrel’auteldecetteéglise.Puisils’étaittuetjeluiavaisracontéàmontour–l’inconnu,lamaladie,lamort.LarueetCharles.

Lesdimanches,lesclients,lesdouleurs.Nous étions devenus amis là où d’autres auraient commencé par se haïr bien avant de se

comprendre.Nous,nousavionsencommundesblessures.Etquelquepart,l’espoirdetoutchanger.Après le repas, Soli fut réquisitionné par samère pour l’aider à la vaisselle et il nous lança un

regardtorveauquelnousneprêtâmespasattention.Abouetmoinousdirigeâmesverslegarageenl’ignorant,cequil’agaçadavantage.Jefermailaportederrièrenousetsortisunpaquetdecigarettesdemapoche.AvecAma,pasquestiond’enfumerunesoussonnez,ouellevouslafaisaitavaler.J’en allumai une en inspirant à pleins poumons et en lançai une autre à Abou. Il souffla de

soulagementenlarécupérant,ouvritlepetitréfrigérateurpourdeuxbières.Illesposasurlatablequenousavionsfabriquéeaveclesoutilsdesonpère.GuyFinchaimaittravaillerleboisquandilétaitenvie.Soli,Abouetmoinousretrouvionssouventpourl’imiter,lorsdecesjournéesoùêtreensembleétaituneformedeconfession.Oùchacundenossilencesexpliquaitmieuxquelesmots.JeprislabouteilledeGriffin’sbow,etlaissaiàlaplaceplusieursrouleauxdebillets.Ilyavaitun

momentdéjàquejenemettaisplusriendansl’urnedel’église.JepréféraisconfiercetargentàAbou.

Qu’ilen fasseprofiter lesnécessiteux,qu’il lemettedecôtépour lesétudesdeSoli,qu’ilépargnepour acheter une maison pour sa mère ou qu’il continue de le redistribuer aux associations dequartier,jem’enmoquais.Jeleluidonnaisparcequeçamepesaitdelegarderetquejen’enavaisjamaiseubesoind’autant.JeprofitaissuffisammentdeslargessesdelaHauteSociétébostonienne.Aboumitl’argentdecôtéetsecoualatête.—Plusilyadefric,plusjemedéteste,Rafael,dit-il,entrecolèreettristesse.Ilyalongtempsque

j’auraisdûréussiràtefairequittertoutecettemerde.Jem’appuyaicontre l’établi recouvertdecopeauxdebois, résultatdenotredernièrecréationen

date,unpetitberceaupourunefuturejeunemamandontAbous’occupait.Jetiraisurmaclopeetsoufflaidesrondsdefumée.—Qu’est-cequetuespèresAbou,aujuste?Çafaitdixansquejemeprostitue.Iln’yaqueçaque

jesachefaire.—C’estfaux!enragea-t-ilendonnantuncoupdansunfauteuilàbasculequeSoliavaittoutjuste

finidevernir.Jebusunelonguegorgéedebière,penchantlevisagepourmieuxl’observer.— Tu as passé ton temps, depuis que je te connais, à essayer de me faire décrocher. Tu m’as

proposédessolutions,etjelesaitoutesrefusées.—Etpourquoi?fit-ilenécartantlesbras.—Parcequ’ellesnemeconvenaientpas.Ilritsansjoie.—Parcontre,tonaccordaveccetteenfluredeKennedy,çateconvient?Jejetaimabouteillevidedanslapoubellelaplusprocheetelleytombaavecfracas,sebrisantsur

cellesquiyétaientdéjà.—Charlesestcequ’ilest.Maissanslui,jeseraissûrementmortprèsd’unebenneàordures.—Tuaslargementpayétadette.—Tucrois?sifflai-jeentremesdentsserrées.Quelprixvautmavie?—Ilnes’agitpasdeça,Rafael!Enfin,merde!Jerécupéraimesclefsdemotoaufonddelapochedemaveste.Cetteconversation,cen’étaitpasla

premièrefoisquenousl’avions.J’enconnaissaisdéjàlafin.—Tupourrastournerleproblèmedanstouslessens,jeresteraiunepute,Abou.—CelledeCharles?Jefermaimavesteetenfilaimesgants.—Celledetousceuxquiymettentleprix.Aboupassalamaindanssescheveuxcrépusetjesoufflaienl’étreignantbrièvement.Ilmetapasur

l’épaule,sereculaetserramonbrasunpeutroplongtemps.—Jevoudraisseulement…—Çasuffit,lecoupai-je.—Pourquoi?Quelmalya-t-ilàprierpourquetusoisheureux,ensécuritéetaimé?Jesoupirai.—Arrêtedeprier.ParcequeçafaitlongtempsqueDieum’atournéledos,Abou.

—Non, Rafael. C’est toi qui as cessé de regarder autour de toi. Qui as cessé de voir qu’Il esttoujourslà.Jeposailamainsurlapoignéedelaporteetrestaiuninstantimmobile,prenantlamesuredece

qu’ilvenaitdemedire.—Peut-être,luiaccordai-je.J’auraisvouluqu’ilaitraison.

02Jem’arrêtaidevantunpubetbaissailabéquilledemamoto.Jerangeaimoncasquedanslecoffre

etmisl’antivolà larouededevant.Jeglissaimesmainsaufonddespochesenfixant lesquelquestêtestournéesversmoi.Cen’étaitpaslecoinlepluscalmedelaville,maisj’aimaisbiencebar.Etpuisilyavaitquelquesannéesquepluspersonnenes’amusaitàmebarrerlaroute;sij’avaisétéunadolescentplutôtfin,cen’étaitplus lecas.Jefrisais lemètrequatre-vingt-dixet jepesaisbienmesquatre-vingt-cinq kilos. Sans être bâti comme un quarterback, je ne pouvais plus passer inaperçu,mêmeplanquésousmescapuches.Surtoutpasdanscecoindelaville.J’avais beaucoup de temps libre et j’aimais traîner dans les bars et les clubs, usant les pavés de

Boston.Aprèsplusieursracléesquim’avaientlaissésurleparvis,ensangetincapabledemeremettredebout,j’avaisdûapprendreàmeservirdemespoings.Onnepouvaitpasimpunémentsepromenerenpleinenuitdanslesquartierslesplusmalfaméssansrisquersapeauunjouroul’autre.Jel’avaisapprisàmesdépens.Àforced’entraînementdanslasalledesportdemonimmeubleetdecoursintensifsdeKravMaga,

je n’avais plus peur de sortir de chez moi le soir. Je savais me défendre, je n’étais plusfaible.Pourtant,jen’arrivaistoujourspasàmedéfairedel’emprisedeCharles.Abouavaitraison,cen’étaitpasseulementunehistoiredereconnaissance.Çaallaitplusloin.Bienplusquejeneluiavoueraisjamais.—Salut,Rafael,m’accueillitleserveur.Lamêmechosequed’habitude?—Ontherock,Bob,dis-jeenmelaissanttombersurl’undestabouretsducomptoir.Bob fit glisser un double scotch plein de glace devantmoi et je le remerciai d’un clin d’œil. Il

rougit,seraclantlagorgeensedétournantrapidement.Jesourisenbuvantunegorgée.J’aimaisbienle titiller sur son hétérosexualité défaillante. Quand j’étais dans les parages, Bob avait du mal àregarderailleurs.Ilavaitbeaufairedesonmieux,aimersafemmeetsonpetitbonhomme,unregardnementaitjamais.Jecommandaiun secondverreet ledescendisaussiviteque lepremier. Je fisun tourdes lieux

poursavoirquiétaitprésentcesoir.Ensomme,lesmêmestêtesqued’habitude.Lesmêmesdepuisdesannéesd’ailleurs.JesoufflaienapercevantMacchalouper,plusqu’ilnemarchait,versmoi.Maisqu’est-cequ’ilfaisaitlà?Il s’assit àcôtédemoi,unemainsur lehautdemacuisse.Avecsesmèches rousseset sesyeux

verts, ilparaissaitdouxet trop tendrepour traînerdanscetendroit.Presque trop jeune.Alorsqu’iln’avaitquedeuxansdemoinsquemoi.—Lesaffairesmarchentbienencemoment?mesusurra-t-ilàl’oreille.Jelerepoussaidoucement.—Arrêteça,tuveux.Mac se prostituait depuis qu’il était gamin. Il avait commencé tellement jeune que ses premiers

clientsavaientdangereusementfrôléaveclapédophilie.Ilenavaitbavé,ilenbavaitencore.SurtoutquandCharlesallait levoir.Cequiarrivaituneoudeuxfoisparmois,quand ilavaitbesoind’uneproieplusconsentanteencorequejenel’étais.Macn’étaitpasvraimentlegenredeCharles;ilétaittroppetit,paraissait tropfragileetsoumis.Cequiattirait tantCharlesenmoi,c’était justementque

nous savions très bien tous les deux qu’il n’aurait pume contraindre par la force. J’aurais pumedéfairede lui très facilement.Charlesétaitpeut-êtregrand, iln’en restaitpasmoinsbeaucoupplusmince que moi, presque féminin. Et ce pouvoir qu’il avait sur moi l’exaltait. Cette position dedominantlefaisaitfrémir.Ça,etlecontrôlequ’ilavaitsurmaclientèle,biensûr.Ilchoisissaitchaquehommeavecuneapplicationinquiétante.Ilm’avaitprisbeaucoup,c’étaitvrai.Pourtant,ilrestaitquelquechose,aufonddemoi.Commeune

doucevoixquimurmuraitquelquesmotsd’espoir.Quim’empêchaitd’oublierquij’étais…Etquisuis-je?—Commentvatonpatron?minaudaencoreMac.Jenel’aipasvudanslecoinrécemment.Cen’étaitpascesoirquejeboiraistranquillement.Ilyavaitpeudechosesquej’aimaisfaire,etboireenfaisaitpartie.Boire,lireetpasserdutemps

aveclesFinch.EtavecMacaussi.Maispascesoir.Cesoir,jevoulaisêtreseul.Jeme levai en soupirant.Tantpis, ilyauraitbienune supéretteencoreouverte. J’achèteraisune

bouteilledepiquetteetjelaboiraischezmoi.JesortisdubaretMacmecourutderrière,merattrapantdevantmamoto.—Avectoi,jeveuxbienlefairegratuitement.Jesecouailatête.—Mac,oh!C’estàmoiquetuparles,là!Qu’est-cequ’ilteprend?Il parut soudain abattu. Et je le vis dans ses yeux. L’épuisement. J’apercevais le même tous les

matins,encroisantmonrefletdanslemiroirdelasalledebain.Je jouai avec mon porte-clefs, le faisant tourner entre mes mains, partagé entre l’envie de me

barreretcelledel’aiderencoreunefois.Del’emmeneravecmoi.—Oùest-cequetudorsencemoment?finis-jepardemander.Aufoyer?Aussitôt,l’airarrogantdeMacvacillaetj’eusmaréponse.Nullepart.—Qu’est-cequeçapeuttefoutre!mebalança-t-il.Onn’apastousunproxénètepleinauxaspour

nousentretenir!—Monte!fis-jeavechumeur.Ilhésita,maisfinitparenjamberlamotopours’installerderrièremoi.Jeluipassailecasque,me

contentantd’unsimplebonnet.—Tuvasdormirchezmoicesoir.OK?Ilm’enlaçaetposalatêtecontremondos.Quandjem’arrêtaidanslesous-soldel’immeuble,vingtminutesplustard,ildormait.Tellement

profondémentquejemedemandaicommentilavaitréussiànepastomber.Jeleportaijusqu’autroisièmeétage,oubliantl’ascenseurpouréviterdecroiserlesvoisins.Jene

tenaispasàcequelaprésencedeMacrevienneauxoreillesdeCharles,d’unemanièreoud’uneautre.Cetimmeubleluiappartenaitetjesupposaisquelepersonnelavaitleregardbraquésurmoi.Mêmesicen’étaitpaslapremièrefoisquej’hébergeaisMac,jel’avaistoujoursfaittrèsdiscrètement.Jepoussaimaported’entréeetm’engouffraiàl’intérieur.Jerefermai,balançaimesrangersdans

l’entrée,traversailesalonetlongeailepetitcouloirjusqu’àlachambred’amis.JedéposaiMacsurlelitetlerecouvrisdeplusieurscouvertures.Jerepoussaiquelquesmèchesroussesetfixaisonvisageémaciéetcerné.Mêmedanssonsommeil,ilsemblaittorturé.Aumoins,là,ilétaitàl’abri.Jusqu’à

demainetsonretourdanslesruesquifraîchissaient.Etnousn’étionsqu’enseptembre.M’emparant d’une bouteille de tequila quasiment vide dans le petit bar du salon, je récupérai le

téléphone et composai un numéro que je connaissais par cœur. Jeme laissai tomber sur le divan,buvantaugoulot, regardant ledécorsombreet impersonnelquim’entourait.C’étaitunbelendroit.Lestonsallaientdugrisaunoiretaublanc,ladécorationétaitmoderne,l’espacen’étaitnichargé,nidépouillé.Toutavaitétéchoisiavecgoût.Pourtant,toutparaissaitvide,sansâme.Aboudécrochaaprèsplusieurssonneries.—Allô,dit-ild’unevoixlointaine.Ildevaitêtreentraindetravaillersursonsermon.—J’aiencorerécupéréMac,luiappris-je.Tun’auraispasunlogementsocialsouslamain?Revenant lentement à la réalité, et à ce que je lui disais, Abou mit plusieurs secondes à me

répondre.—Ilyalefoyer,maisladernièrefois,iln’yestrestéquequelquesjours.Jelesavaisbien.—Ilabesoind’unendroitàlui.Rienqu’àlui.Vivreencommunauté,iln’yarrivepas.—Maisilfautdutemps,çanesefaitpasendeuxjours.Ets’ilquittelefoyer,jenepeuxplusrien

pourlui.Deçaaussi,j’enavaisconscience.—Tunepeuxpaslegardercheztoi,Rafael?—Non.L’héberger unenuit oudeux, très bien.Si je le gardais plus,Charles se ferait unplaisir de s’en

servirà lapremièreoccasion.Cequ’ilfaisaitdéjà,d’ailleurs.Ilutilisait l’affectionquejeportaisàMacpourobtenirplusdemoi.Toujoursplus.—Charles…commençaAbou.Jefermailesyeux,vidantlerestedelabouteilledetequila.—S’ilteplaît,Abou,lesuppliai-je.Nerecommencepas.Ilduts’apercevoirdemonras-le-bol,parcequ’iln’insistapas.— Je vais voir ce que je peux faire. En attendant, on peut toujours lui donner un peu d’argent,

mais…—FiledufricàMacetilvalesniffer.—Jesais.—Cequ’illuifaut,Abou,c’estuneassistantesociale,unautrejobetquelqu’unquis’occupedelui.

Ilvafinirparfaireuneconnerie.J’entendisAbouchangerdepositionetfermersonordinateur.—Ettoi?medemanda-t-il.—Quoimoi?—Quis’occupedetoi?C’étaitbienluideretournerlasituationdeMacpourparlerdelamienne.—Charless’occupedemoi,Abou.Tut’occupesdemoi.AmaetSoliaussi.Jenesuispasseul.

Jefermailesyeux.—D’accord?—D’accord…Jepassaiunemaindansmescheveux.—Ons’appelledemain.—OK,Rafael.Jeraccrochaietjetailetéléphonesurlatablebasse.Jemelaissaitombersurlecanapéetsoupirai.

Jen’avaisplus le couragedeme relever,demedéshabiller,de rejoindremachambre.Après tout,j’étaisauchaudetj’étaisfatigué.L’alcoolfaisaitdoucementsoneffet,m’engourdissantsuffisammentpourquejemerappellemamère.Elleadoraitlescitations,elleenremplissaitdescarnetsentiers.Enm’endormant, l’une d’elles me revint en mémoire. Une de l’écrivain nigérian Ben Okri.Ce quel’hommeadeplusauthentique,c’estsacapacitéàcréer,sedominer,endurer,setransformer,aimeretdépassersespropressouffrances.Sic’étaitvrai,alorsilyavaitencoreunechance.Sic’étaitvrai,jepouvaispeut-êtremereleveretrecommencer.Jem’endormis,pourmeréveillerquandMacvintsecollercontremoi.Endixans,Charlesavait

été la seule personne à partagermes nuits et je reconnaissais son odeur, le toucher de sesmains.Celles qui se glissaient sousmon pull avaient la peaumoins douce,mais leurs gestes étaient plustendres.Charlesn’auraitpashésitéàseglisserdansmonpantalon.AlorsqueMacnecherchaitqu’unpeudechaleurpourvenirbrisersasolitude.—Jetedérange?—Non.Jepassaiunbrasautourdesesépaulesetleserraicontremoi.—Dors,Mac.—Merci,Rafael.Ilcalasatêtesurmapoitrine.—Dequoi?—Dem’hébergerchaquefoisquejesuisàlarue.Mac se rendormit et je le repoussai sur le côté sans le réveiller.Cen’étaitpas sa faute si j’étais

incapablededormiravecunamidansmesbras.Les seulscontactsque je toléraisétaient tarifésetchronométrés.MêmemesrencontresavecCharlesétaientlimitéesdansletemps.Vingt-quatreheuresparsemaine.Pasunedeplus,pasunedemoins.Jem’assis sur le fauteuil, un peu plus loin, les jambes remontées contre la poitrine et les bras

croiséssurmesgenoux.Lementonsurmoncoude,jefixailejeunehommeendormi.Puisjetournailatêteverslabaievitréepouradmirerleslumièresdelaville.Demain,l’aubeseraitlàetavecelle,lesdiktatsd’uneviequejen’avaispaschoisie.Onmel’avait

imposéeetj’avaisfaitdemonmieuxpourm’enaccommoder.Jen’étaisqu’uneétincellevacillante.Lemoindrecoupdeventpouvaitm’éteindre.Pourtant,malgré

lafaiblessedelaflamme,jebrûlaistoujours.J’étaisvivantetdebout.

J’étaisperdu,égaré,maisj’étaislà,quelquepart.J’espéraisqu’unjourCharlesmelaisseraitpartir.Quej’auraislecouragederegarderenfacemes

proprestroubles,mesdéfaillancesetmeserreurs.Alorsjepourraispeut-êtrequittercemonde,cettevie.Apprendreàaimer…

03—Alors?demandai-jeàAbou.Ilposadeuxgrandsgobeletssurlapetitetableentrenous.J’enprisun.Iln’yavaitriendetelquele

caféduStarbucks.Nousnousétionsdonnérendez-vousàBeaconStreet,parcequeCharlesdevaitpassermevoiret

qu’iln’habitaitpasloin.Àpartnotrejournéehebdomadaire,nousnenousvoyionsjamais.Pouruneraisonouuneautre,ilavaitbesoindemeparler.Cequi,ensoi,n’étaitpasrassurant.Abouenlevalecouvercledesongobeletencartonetsoupiraenbuvantsapremièregorgée.—Jeluiaitrouvéuneplaceenfoyer.MaisMacn’yresterapasplusdequelquesjours,sicen’est

quelquesheures.Vasavoiroùilatterriraensuite.Jesecouailatête,dégoûté.—Macvamalettoutcequ’onpeutluidonner,c’est…uneplacedansunfoyer!—Queveux-tufaire,Rafael?Luiacheterunemaison?—Pourquoipas.Abousourit,mi-attendri,mi-amusé.—Tunepeuxpaslesauver,s’ilneleveutpaslui-même.—Iln’aaucunesolution.Commentveux-tu…—C’est faux et tu le sais,me coupa-t-il. Il a plusieurs options devant lui. Il ne veut en prendre

aucune,c’esttout.Commetoi.Bienqu’Abounelesprononçâtpas,j’entendistrèsbienlesmotsqu’ilpensaitsifort.— Alors quoi ? On attend qu’il revienne vers moi en espérant qu’il n’aura pas fait trop de

conneries?Ilneréponditpas,cequiétaitunaveuensoi.J’avaistoujoursfacilementdétournélesyeuxdevantlesjeunesprostituésquiarpentaientlesrues.

MaisavecMac,jen’avaispaspu.Parcequesij’ignoraiscequetouslesautresenduraient,jelesavaispertinemment en cequi le concernait, lui.Charles seplaisait àme raconter chaquedétail, espérantsusciterenmoiundébutdejalousie.IlmedisaitcommentilprenaitMac,commentilaimaitvoirsesdoux yeux verts vaciller, comment il le mettait à genoux, comment il le faisait crier et supplier,commentill’avilissait.Ilmemettaittoutescesimagesentêteetjeneressentaisplusquelevideetlenéant.Etilm’aspiraitàeuxjusqu’àcequejemedétruiseetquejenedevienneplusrien.Jeclignaidespaupières,chassantlesombressinistresdevantmesyeux.—J’iraitraînerversMatapanetDorchestercettesemaine,voirs’ilvabien,dis-jeàAbou.Etsije

neletrouvepas,j’iraiàRoxbury.—J’espèrequandmêmequ’ilresteraaufoyer.—Ilnefautpasycompter,Abou.Ilrepartira.—Jesais,soupira-t-il.Ilregardaverslarueetdevintpensif.Ilfittournersongobelet,laissantquelquesrondshumidessur

latable.Jecroisailesbrasenl’observant.

—Onchercheàfairefermerlefoyer,Rafael,laissa-t-iltomber,évitantmonregard.Lefoyerpourjeunesprostituésqu’avaientouvertAbouetunepoignéedebénévolesn’étaitpasau

goûtdetoutlemonde.Celanuisaitàl’imagedeleursacro-sainteéglise.Dumoinsàcellequelespluspuritainssefaisaientd’uneparoisserespectable.Malgrécela,Abouavaittoujoursresserrélesrangsetn’avaitjamaiscédé.Là,ilétaitminé,presquefataliste.—Cen’estpaslapremièrefois.—Saufqu’ilsrisquentd’yarrivercettefois-ci.—Lemairet’adonnélefeuvert,luirappelai-je.—Lemaireestpressécommeuncitronetrevientlentementsursadécision.Ilsaluaunpassantdelamain,sourit,avantdesepencherversmoipourcontinueràvoixbasse.—CertainsuniversitairesdeCambridges’enmêlent.HarvardetleMITsontdeuxdesmeilleures

écolesaméricaines,laprostitutiondoitresteruneaffairediscrèteetlesfillesquej’hébergeaufoyersontloindel’être.Quantauxgarçons,ilsnelesontpasplus.—Qu’est-cequeçapeut faire?Lesétudiantssontde l’autrecôtédeCharlesRiveret restentsur

leursatanécampus.—Jet’enprie,valeurdire!Parcequ’ilsn’ontpasl’airdelevoircommeça.J’airendez-vousavec

lemaireetlesdoyensdemainmatin.Certains des pensionnaires d’Abou se faisaient violence pour changer de vie, et leur enlever le

foyer,c’étaitlesrenvoyeràlacasedépart.—Jenepeuxpast’aider,Abou.—Tum’aidesdéjà,fit-ilenposantbrièvementsamainsurmonbras.—Jenevoispascomment.—Tum’écoutes.Jelevailesyeuxauciel.—Cen’estpasçaquisauveralefoyer.Jesouris faiblement.Uneseconde.Avantdecesserbrutalement.Parcequesoudain, l’atmosphère

sembla s’alourdir. Il y eut comme unmanque d’oxygène, une éclipse solaire. Un trou noir. Et jen’avaispasbesoindepluspoursavoirqu’ilétaitlà.Charles.Il franchit laporte, s’effaçantpour laisserpasserune jeune femme. Ilhocha la tête, respectueux.

Quandilm’aperçutavecAbou,sonsouriredevintamusé.Presquemoqueur,d’ailleurs.Charles,dansundesescostumessombrestailléssurmesure,sescheveuxsavammentcoiffés,son

éternel foulardrougeautourducouetseschaussurescirées,nousrejoignitenquelquesenjambéesgracieuses,lessourcilslevés.Abouseraiditaussitôtenlereconnaissant.—PasteurFinch,c’estunplaisirdevous revoir, chantonnaCharlesen s’asseyantdignement sur

unechaise.—Allezvousfairefoutre,Kennedy!persiflaAbou.—Quellangagedéplorabledanslabouched’unhommedeDieu.—Voussavezcequ’il…Jesecouailatête,empêchantAboud’allerplusloin.Aulieudeterminer,ilseleva,préférants’en

aller.—Àplustard,Rafael.Ilmetapaamicalementsurl’épauleets’enfuitpresqueverslasortie.—Trèscharmant,tonami,ritCharles.Il posa brièvement sa bouche sur la mienne, provocant. Je le laissai faire sans lui rendre son

étreinte.Jene luidevaisrienaujourd’hui.Quandnousétionschez lui,c’étaitunechose, icicelaenétaituneautre.Illecompritd’ailleurstrèsbienetserecula.—Jevois,chuchota-t-il,blessé.Jepivotaietleregardaibienenface.—Qu’est-cequetumeveux,Charles?—Queltonarrogant…—Charles,l’arrêtai-je.Dis-moicequetumeveux.Nousétionsassissuffisammentàl’écartpourquelesoreillesindiscrètesnenousentendentpas.Charlesôtasonfoulardets’adossaàsonfauteuil,croisantlesjambes.Jeposaiunpiedsurlesiège

libéréparAbou,glissailesmainsdansmespochesetattendis.Ilclaqualalangue.—IlsemblequeMacapassélanuitcheztoi.Moncœureutunraté,maisjemeforçaiànerienmontrer.—Enquoiest-cedérangeant?—Maisenrien,monamour,minauda-t-ilsemordantlalèvre.Juste…Ilseredressa,posalescoudessurlatableetsepenchaversmoi.Sescheveuxbrunsfrôlèrentmes

jouesetjem’obligeaiànepasreculer.—Juste…recommençaCharles.Jemedisaisquejepourraispeut-êtreluitrouverunendroitpour

recevoir ses clients. Etmoi aussi, d’ailleurs. J’en ai un peumarre de le baiser dans une chambred’hôtel.Unstudio,ceseraitbienplusconfortable.Qu’est-cequetuendis?Quetoutaunprix.EtqueceuxdeCharlesétaientparticulièrementélevés.Voilàcequej’endisais.—Tesconditions?luidemandai-je.Ilritenmeprenantlamain.Enserrantlesdents,jelaluilaissai.Iltenditmapaumeversluiet,de

sonindex,encaressalescontours.—J’aimetafaçondepenser.Tafaçondemeconnaîtreaussi.Ilseléchalalèvreinférieure,meregardantpar-dessoussescilstroplongs.—Tumemanqueslasemaine,Rafael.Jemedisaisquetupourraismeconsacrerquelquesheures

deplus…Disonsdeuxoutrois.Tuasbeaucoupdetempslibreet,moi, j’aiparfoisdessoiréestrèssolitaires.Oudespausesdéjeunersvraimentennuyeuses.Sonpiedvinttoucherlemien.—Cestermestesemblent-ilsacceptables,monamour?VoirMacs’enfoncerunpeuplusoumeperdredavantagemoi-même.Était-cevraimentmonseul

choix?—Oui,ilslesont.Ravi,ilserramesdoigts,unsouriregrandioseaucoindeseslèvres.

—Quedirais-tudemesuivrepour…conclurenotreaccord?Encoreunautre.Ilyenavaittellementdéjà.Je ramassaimes affaires etme levai.Satisfait,Charlesm’imita, posaunemain au creuxdemes

reinspourmepousserverslasortie.

04Charles posa unemain surma joue etm’embrassa presque tendrement, nichant son visage dans

moncou.Jen’avaispluslaforcedelerepousser,nidemelever,nidequoiquecesoit.Alorsjerestaiétendu,nu,contrelui,etlelaissaimecaresser,seblottissantcontremoi.—Tusaisquejet’aime,Rafael,pleurnicha-t-il.Ilm’avaitgifléàlasecondeoùj’avaisrefermélaportedechezlui.Jem’yétaisattenduetn’avais

pas bronché, attendant qu’il recommence.Ce qu’il n’avait pas tardé à faire. Ici, dans cettemaison,j’étaisàlui.Danscettechambre,jen’étaisriend’autrequ’uncorpsoffertquiacceptaitchacundesesordressanshésiter,durantletempsquiluiétaitimparti.Lahonte, ladouleur, la souffranceet ledégoût–c’estceque je ressentaisquand jeme trouvais

prèsde lui.Saviolence, je laconnaissais.Sesvicesencoreplus.Maismalgréça, j’étaisencore là.Malgrélesang,aussi.Leslarmesplanquéesderrièremespaupièrescloses.Alors oui, il m’aimait. Mais de la pire des façons. Personne ne devrait jamais endurer ces

affections-là.Elles n’étaient faites quede cesvents tumultueuxqui vous emportaient loin, toujoursplusloin,voustuantunpeuplusàchaquefois.Ses«jet’aime»,jen’yrépondaisjamais.J’yrestaisindifférent.Parcequ’iln’yavaitquemessouffrancesquiluiplaisaient,lesplaiesqu’illaissait,lesombresqu’il

créait.Descoups,c’était toutcequ’il savaitmedonner.Me laisser faire, toutceque jepouvais luioffrir.Ilm’arrivaitencored’espérerunpeudedouceurdesapart,uneétreintequin’exigeraitrien;maisCharlesenétaitincapable.—Tuestellementbeau.Parhabitude,jeposaiunemainsursondos.Ilselovaencoreplusprèsetjefermailesyeux.Ilm’embrassaencoreet jesoulevai lespaupièrespourcroisersonregard.Etcequ’ilvitdansle

mien, encore une fois, était loin de ses attentes. Parce qu’il savait que je comptais les dernièresminutesavantd’êtrelibérédelui.Jusqu’àlaprochainefois.Vexé,ils’éloignaetsortitdulit.—Vatedoucher,m’ordonna-t-il.Tuempesteslesexe.Jeteramèneraiensuite.Toujoursmuet,jemeremisdifficilementdebout,refusantdebaisserlesyeux.Lemoindrepasme

faisaitgrimacer,maisjeluipassaidevantsansmontrerunseulsignedefaiblesse.Jemedirigeaiverslasalledebainet,mesquin,Charlesmelança:—LepetitAsher sera content, je t’ai bienpréparémonamour.Tumediras s’il a appréciémes

attentions.Jeserrailesdentsetcontinuaid’avancer,laissantlaporteouverte,glissantsouslejetchauddela

doucheetnettoyanttoutetracedecetteheuredecalvaire.BrandonAsher…LeMIT…J’avaisoublié.Jeposaimesmainssurlaparoideladoucheetlaissail’eauglissersurmoi,s’écraseràmespieds

ettourbillonner,rougieparlesang,avantdes’écoulerdanslesiphon.Jecrispailespoingsetlevailevisageverslapluiechaudequisortaitdupommeau,adressantdesprièresdansl’air,dessuppliques

quin’atteindraientjamaisCeluiquidevaitlesentendre.Charlesavaitrassemblémesaffairesprèsdelaportequandjeressortisetjelesenfilaisansbruit,

peinantàchaquemouvement.Illevit,maisnefitaucuncommentaire,nem’adressaaucuneexcuse,nem’envoyamêmepassonhabituelsouriresarcastique.S’ilavaiteulamainsilourde,c’étaitpourmefairepayerl’affectionquej’avaispourMac,nousle

savionstouslesdeux.Charlesauraitvouluquejeluitourneledossanshésiter,quejelelaissecreverdanslarue.Maisjenepouvaispas.C’étaitMac,unami,unfrèredegalère.Toutcequejeressentaispourlui,jenepourraisjamaisl’éprouverpourCharlesetcedernierenavaitparfaitementconscience.Pourtant,unepartiedemoi–unequej’avaisencoredumalàcomprendre–aimaitCharles.Pour

m’avoirgardéenvie,pouravoirprissoindemoi,pourm’avoiroffertun toit,unefaçondem’ensortir,unepossibilitédevoirautrechosequelesdédalesdecesruessordidesoùlessouriresavaientfoutulecampdepuislongtemps.Ilétaitvenumevoir,ilm’avaittouché,embrassé,etdansunsens,çaavaitcomptéplusqueladouleur.J’avaisperdumamère,çafaisaitunanquejen’avaisplusrien,etdujouraulendemain,jen’étaisplusseul.Charlesétaitlà.Etpendantunan,jusqu’àcequejerencontreAbou,iln’yavaiteuquelui.Jem’étaisaccroché,parcequ’ilavaitététoutcequ’ilmerestait.J’enfilaimavestesansquitterCharlesdesyeux.Ilmetoisaavecméchanceté.—Est-cequetuesprêt,Rafael?—Jetesuis.—Bien,ironisa-t-il.Ilmeramenajusqu’auStarbucksetàmamoto.Jeneluidispasaurevoir,jeneluiadressaimême

pasunregard.Ilrepartitenfaisantcrisserlespneus;jesavaisquejelepaieraisplustard.Maispourl’instant,jen’avaispluslaforcedem’eninquiéter.Jerentraichezmoi,fermailaporteetposaimonfrontcontrelebattant.Jemelaissaiglisserausol,

etnebougeaiplus.Jerestailà,fumantuneclopeaprèsl’autre.Essayantd’oublier.

05Il était dix-sept heures passées de quelques minutes quand je me garai sur le campus, à Broad

Street,prèsdesbâtimentsdePolytechniquesduMIT.LàoùlejeuneBrandonAsherm’avaitdemandéde l’attendre. Du moins l’avait-il dit à Charles, qui m’avait transmis le message avec un sourireironique.Appuyéàmamoto,lesbrascroisés,j’attendaisquelepetitbourgeoisblondauxairshautainsetau

visageprinciersedécideàmerejoindre.Enmêmetemps,chaqueminutederetard,c’étaitautantdetempsquejenepasseraispasensacompagnie.MarencontreavecCharles,plus tôt,m’avaitdonnéenviedeboire.Etmalgré leprixqueBrandonétaitprêtàmepayer, je l’auraisvolontierséchangécontreunebonnebouteilledewhisky.Surtoutaujourd’hui.Alorss’iln’étaitpaslàdansdixminutes,jem’enirais,etavecunimmenseplaisir!J’iraisacheterquelquesréserves,boiraisverreaprèsverre,étendu sur le tapis du salon, fixant le plafond blanc, la fumée de ma clope et les volutes quiformeraientunépaisbrouillardautourdemoi.Pendantquelquessecondes, jepourraisespérerm’yperdre.Maisforcément,aupremiercourantd’air,lafuméesedissiperaitcommeunrêve.J’étaissurlepointdeficherlecamp,lorsqueBrandonsepointaenfin.Lepetitseigneuravançait,le

menton levéet lenez froncé,détestablemêmedans sesairsangéliques.S’iln’étaitpas si faciledevoiràquelpointildédaignaitlemondeentier,nelejugeantpasassezbienpourlui,onauraitpulequalifierdemignon.Maisaveccerictussuffisantqu’ilaffichaitsanscesse,iln’étaitquelaid.Enme remarquant, il hocha la tête, satisfait que je l’attende, se donnant plus d’importance qu’il

n’enavait.—Rafael,dit-ild’untonquimefitleverlesyeuxauciel.Unvieillardpouvaitutiliserceton-là,maissûrementpasungamindevingtetunans.—Brandon,l’imitai-je.—Hum…fit-ilendésignantmaDucati.Ilyaunsecondcasquepourmontersurcetengin?Ilavaitl’airpressédepartiroujenem’yconnaissaispas.Ilregardaitàdroite,àgauche,derrière,

mepressantduregard.—Biensûr,Brandon,minaudai-jeenluiadressantunsourireaussifauxquepossible.J’étaispeut-êtreunepute,maisc’étaitdéjàtropquejem’aplatissedevantCharles.Pasquestionque

cepetitconaitplusqu’uneheuredemontemps.Pasmêmeunesecondedeplus.J’ouvrais lecoffrede lamotolorsquejefusbousculéparuntypequifonçaitdroitsurBrandon.

Surpris,jeviscedernierblanchirlégèrementavantdeseprendreuncoupdepoingmagistral.Jenepus retenir un sifflement admiratif. C’était une sacrée droite, qui envoya à terre le petit blondinet.Oubliéslesairssuffisantsquandonalenezensang.Etpuis,cen’étaitpascommesijen’avaisjamaispensélefairemoi-même.J’enauraisbienri.—Tuesallétroploin,Asher,luiditsonassaillant,ensepenchantsurlui.C’étaitlapremièrefoisquej’entendaiscettevoix.Etjemesouviensqu’elleétaitgrave,profonde,

mélodieuseaussi.Etsij’eneusaussitôtlachairdepoule,jenel’attribuaiqu’aulégerventquis’étaitsoudain levé. Nous étions mi-septembre et les températures baissaient légèrement. Mes frissonsn’avaientdoncrienàvoiraveccesonquicoulaitcommeunecascade.—Vatefairefoutre,Caleb!serebiffaenfinBrandon.

Ilglissaunregarddansmadirection,attendantsûrementquejeluivienneenaide.Jen’enavaispasenvie,jepréférairesterunpeuàl’écart,lesbrascroisés,àattendrelasuite.Ilm’avaitembauchépourme baiser, pas pour jouer les gardes du corps. Et puis, le petit Calebm’intriguait.Même si je nevoyaisdeluiqu’unecasquetteetledosd’unpullenlainegrisfoncé.—Tun’asrienàfairedanscecours,Brandon!continualeditCaleb.Laseuleraisondetaprésence

estlefricquetonpèreadonnéaudépartementd’aéronautique.Tunevauxpasgrand-chosesanspapa,alorsqueDuck,luia…—Oh,arrêtedepleurnicher,leTexan.Ducksetraînedepuisl’annéedernière.Je sentaisqueçaallaitdégénérerdenouveau,etBrandon recula,prudent. Il étaitpeut-être temps

que j’intervienne.Jemeglissaientreeuxetarrêtai lebrasquise lançaitau-devantdeBrandon.Unbras assez fort ; étrangepourun typequi nedevait paspeser plusde soixante-dixkilos, soixante-douzegrandmaximum.Le dénommé Caleb, en m’apercevant, battit des paupières. C’était une réaction que je suscitais

régulièrement,riend’étonnant.Charlesn’auraitpaspumevendresicher,siçan’avaitpasétélecas.Cequiétaitsurprenant,enrevanche,cefutquemoiaussijeclignedesyeux.Pourtant,iln’avaitriende particulier ce gamin.Un regard bleu-gris.Un nez qui semblait avoir été cassé.Des lèvres trèsrougesquicontrastaientavecunteintblanccommedelanacre.Descheveuxchâtainscoupésenundrôle de carré, éparpillés autour de son visage en un joyeux bordel. Il était grand et élancé, unesilhouette presque féline, comme celle de certains danseurs. Pris séparément, tous ces détailsn’avaientriend’exceptionnel.Maisl’ensembleétaitpresqueunchef-d’œuvre.—Jecroisqu’onvas’arrêterlà,cowboy,luidis-jeenlefaisantreculer.Brandon,àl’abriderrièremoi,avaitretrouvédesonarrogance.Sommetoute,sonnezn’étaitpas

ensivilainétat.Dommage,çadonnaitducaractèreàunvisage.CeCalebenétaitlapreuve.—Tunesaispasàquelpointcesurnomluivabien,Rafael, ironisaBrandon.Jesuissûrqu’ila

planquéunStetsonquelquepart.—Ouais,dansmonsac,connard!luibalançalebelétudiant,sedétournantdemoienrougissant

légèrement.JetendislesecondcasqueàBrandon,illepritsansrechignercettefois-ci.—UncowboyauMIT?m’amusai-je.Tun’aspasvraimentl’accenttexan.—Jememaîtrise,dit-il.Brandonrenifla,dédaigneux.—Ilnemanqueraitplusqu’ilnoushachelesoreillesavecsonlangagedepaysan.AllezRafael,on

bouge!Jecroisaiunregardgrisquis’obscurcitunefoisdeplus.Unairtrèstexan.Jesecouaidiscrètement

latête,façonsubtiledediredelaissertomber.Ilm’observa,semblantplongerdansmesyeuxetplusloinencore.Uninstant,ilyeutunsentimentparticulier,quelquechosequenouspartageâmes,unpetitrienquiamenaunsouriresurmeslèvres,unelueurdanssesyeux.JepensaisoudainementàSandro,monvoisinquandj’étaisgamin.Ladernièrefoisquej’avaiseu

despalpitationsdecegenre,c’étaitpourlui.LebeauCalebfinitparhausserlesépaulesetj’enjambaimamoto,attendantqueBrandons’installe

derrièremoi.Jedémarrai,faisantronflerlemoteur.—NelaissepastonStetsonaufonddetonsac,cowboy,lançai-jeenaccélérant.

Quelques secondes plus tard, il avait disparu, mais son visage, lui, était comme unmagnifiquetableauauquel,peut-être,ilmeplairaitderepenser.

06Mon téléphone n’avait pas arrêté de sonner de lamatinée. Etmaintenant, on tambourinait àma

porte.Lecorpscourbaturé,j’auraispréférérestervautrédevantlatélédemachambreàattendrequelajournéepasse.Oumieux,moietmesbouteillesserionsrestésenfermésjusqu’aujeudi.J’avaismonrendez-vousavecpapiVermontcesoir-là.Etsimefairebaiserparunvieuxperversn’étaitpasdansmesactivitéspréférées,aumoins, luiétait sympa.Marrantmême,parfois. Ilgueulait si fortquesafemmeauraitpul’entendresiellenedormaitsanssonappareilauditif.Sonmaripouvaitdonchurler,elledormaitàpoingsfermés.J’avaispassélanuitàboireetcontinuéenmeréveillant,ajoutantquelqueslampéesd’unmauvais

bourbon dans mes tasses de café infâme. Alors j’étais un peu vacillant quand je me levai et medirigeaiversl’entrée.Torsenu,puantl’alcooletlasueur,j’ouvrisàlavolée,manquantdechavireraupassage.—Quoi?gueulai-jeavantmêmedesavoirquiétaitdevantmoi.Cen’étaitqu’Abou,heureusement.Ilcoupasontéléphoneetmepoussapourentrer.Jerefermailaporte,lafaisanttellementclaquer

quelesoletlesmursvibrèrent.Sansluiprêterattention,jeramassaiunebouteilleetretournaidansmachambre,avançantdifficilement.Hier,j’avaispusupporterladouleurpourmonrendez-vousavecBrandon. Aujourd’hui, je la tolérai à peine. Charles savait s’y prendre pour me faire mal, pourm’arracherquelquescris.Ilavaitmismeschairsàvifetjeneparlaispasdesbleusquiparsemaientmondosetmesépaules.J’auraisétépasséàtabac,jen’auraispasétéenplusmauvaisétat.Jem’affalaiàplatventresurmon lit.Aboumesuivit, lesyeuxrivéssurmapeau.J’étaisencore

dansmoncaleçondelaveilleetjenecomptaisrienenfilerdeplus.Chaquemouvementm’arrachaitunegrimaceetjen’avaisbesoinqued’uneseulechose.Boirepouroublier,mêmesiçanemarchaitjamais.—Qu’as-tufait,Rafael?Jericanaisansluirépondre,tâtaiversmatabledenuitpourrécupérermabouteilledetord-boyaux.

Aboumel’arrachadesmains.—Pasplustardquecematin,Macamiraculeusementobtenuunappartement,m’apprit-il.—Tantmieux,marmonnai-je.Charlestenaittoujourssespromesses,etc’étaitsansdoutecequ’ilyavaitdepluseffrayant–savoir

quejepouvaiscomptersurlui.Maintenant,Macseraitàl’abri,ilpourraitfermeruneportederrièreluiets’endormirauchaud.Ça

méritaitbienquelquesecchymoses,non?Quelques-unesdeplus…C’étaitloind’êtrelespremières.Etceneseraientpasnonpluslesdernières.—Rafael,ditAbouens’accroupissant.Qu’est-cequecemaladedeKennedyaobtenudetoi?Etne

medispasrien,tuentends.L’altruisme,cen’estpaslecredodecetteordure.Charlesnedevaitmêmepasconnaîtrelesensdecemot,enfait.Ouexploserderireàchaquefois

qu’ill’entendait.— Quelques heures… baragouinai-je, peinant à garder mes yeux ouverts. Quelques heures,

seulement…Deux,peut-êtretrois…

Abousoupiraetposaunemainsurmonépaule.Jemedégageaivivement.—Ilfautquejetesoigne,Rafael.—Çaattendra!Aboulevalesmainsenl’air,résigné.—Trèsbien,souffla-t-il.Dors,tuasbesoindetereposer.Jeretombaicontrelesoreillersetenfonçaimatêteàl’intérieur.Jecherchaiquelquechosedebeau

auquelrêver.Quelquechosequejepourraisgarderderrièremespaupièresclosesletempsquecettedouleurmequitteouquel’alcoolfinisseparm’achever.—Unportrait…soufflai-je.—Pardon?fitAbou.Assisprèsdemoi,ilmeveillait.CommeillefaisaitsouventquandCharlesselaissaitalleràplus

deviolenceencore.Jesavaisqu’Abouprenaitduretard,qu’ilavaitdéjàtropdechosesàfaireavantcesoir.Ilavaitaussieusonrendez-vousaveclemaireetlesdoyens,etjen’étaispasunassezbonamipourluidemandercommentças’étaitpassé.Ilétaitmaseulefamille,lui,Ama,SolietMac,etjeneréussissaispasàm’inquiéterdel’avenirdufoyerqu’ilavaitmistantd’annéesàcréer.—Unportrait,répétai-je.Unsilence.

Jen’avaispaslaforcedeluiexpliquer.Cettebeauté.Unelueur,unenuitdetempête.—Dors,Rafael.Unebougieallumée.Quelqu’unchantait.Unevoixfamilière…Undouxfredonnementmélodieuxquiressemblaitàune

berceuse.Un instant, je crus être revenu loin en arrière. Peut-être que les dix ans qui venaient des’écouler n’étaient qu’un long cauchemar auquel je venais d’échapper ? Peut-être quemes prièresavaientenfinétéexaucées?J’avaisenfinétéentendu.—Çava,monpetit,chantonnaitlavoixenpansantlesérafluresdemondos.Oui,oui,toutvabien,

montoutpetit.MonbeauRafael.Rafael…Cen’étaitpasmonprénom…Ilyavaituneodeurdecannellequiflottaitdansl’air,etunemaincâlinequimeberçaitcommecelle

d’unemaman.—Là,c’estfini.Unemère,mêmesicen’étaitpaslamienne.Ama.—Repose-toi,monchéri.Jeprendssoindetoi.Riennet’arriveratantqueMamaestlà.J’auraisvoulum’abandonner,pleurer,laissermoncœurdéborder,mesbarrièrescéder,mespeines

déferler.Nepasjustemecontenterdetoutsupporter.Pourtant,jegardaistoutenmoi,mêmesiçafaisaitmal.Jegardaismeslarmespourlejouroùjeseraissauvé.Àmon réveil, Ama était partie. J’aurais presque cru l’avoir rêvée si elle n’avait pas laissé ses

aiguillesetledébutdesonnouveautricotsurleborddemonlit.Etmatroussedesecourssurlatabledechevet.

Jemeredressai,lesangpulsantviolemmentàmestempes,résultatd’unegueuledeboiscarabinée.Engrimaçant,jemeremissurmespieds.J’attrapaiunt-shirtquitraînaitetlepassai,unœilferméetunœilouvert,unemigrainevicieusemevrillantlecrâne.Àtâtons,j’attrapaiunpantalondansmonarmoireetl’enfilai,négligeantdeleboutonner.Àlatabledusalon,Aboufaisaitcourirsesdoigtssurleclavierdesonordinateur,préparantdéjà

un nouveau sermon pour le dimanche prochain. Je ne venais jamais l’écouter. Mais il avait l’airtellementplongédanscelui-ciquejeferaispeut-êtrel’effort,pourunefois.Jeposaiunemainsursonépaule,ilsursauta.—Tun’aspasl’esprittrèstranquille,pasteurFinch.Ilsoufflaenmelançantuncoupd’œil.—Tuvasbien?Jepassaiunemaindansmescheveux,secouailégèrementlatête.—Çaira.Abouenregistrasondocumentet fermasonPC.Jem’assisenfacede lui,buvant le restedeson

café.Ilm’observa,jenedétournaipasleregard.Nousn’enétionspluslàtouslesdeux.—Tuboistrop,Rafael.Tuenasconscience?Àquoiservirait-ildenier?—OuiAbou,jesuisaucourant.Il écarta les mains, attendant la suite.Mais que voulait-il que je lui dise ? Jeme prostituais, je

buvais.J’étaisuneputequisenoyaitdanslefonddesesbouteilles.C’étaitmafaçondefaireface.Denepasmelaissersubmerger.Certainssoirs,j’avaisjustebesoindemeperdre.—Combiendetempsencore?demanda-t-il.—Avantquoi?—Àtoidemeledire.— Abou, soupirai-je, les doigts croisés derrière ma nuque. Attends demain pour ce genre de

discussion.—C’esttoujoursplustardavectoi,Rafael.Etplustard,onnediscutejamais.—Écoute…Jesuiscequejesuis.Tuvoudraisquejesoisautrement,maisfais-toiuneraison,ça

n’arriverapas.J’aivingt-septansetcettemerde,c’estmavie.Exactementcellequejemesuisbâtie,tuvois.Semaîtrisantpournepasperdrepatience,Abousecalaconfortablementdanssachaiseetrespira

ungrandcoup.—TavieesttellequeCharlestel’acréée,rectifia-t-il.—Questiondesémantiqueettulesaistrèsbien.Il ouvrit la bouche, mais je me levai, las de ces discussions qui tournaient en rond. Énervé

d’entendretoujourslesmêmeschoses,dedevoirtrouverchaquefoisdenouveauxarguments,encoreetencore.Aujourd’hui,jen’enpouvaisplus.Toutsimplement.J’avaisbesoindetranquillité.—Abou,stop,OK?l’arrêtai-jeavantqu’ilnedisequoiquecesoitd’autre.

Jeconnaissaisdéjàlasuitedetoutefaçon.— Je suis fatigué, d’accord ? Je ne veux pas parler de ça, encore. Je n’y arrive plus, Abou, tu

comprends ? Je veux juste…un peu de calme. Est-ce que c’est trop te demander ?De passer unesemaine, une seule putain de semaine, sans parler de ma misérable existence qui pourrait êtretellementmieux.Jen’aipasenvied’entendrequejemesuisplantésurtoutelaligne.Jelesaisdéjà,figure-toi.Alors,lâche-moiunpeu,tuveux!Aboun’étaitpasunepersonnequiabandonnaitfacilement.Ilneseraitjamaisdevenupasteursiça

avaitétélecas.AvecGoraenprison,ilavaitdûsebattrepourêtrerespectéparlacommunauté.Sesparoissiensn’avaientd’abordvuenluiquelecadetd’unreprisdejustice,bienavantdeluilaisserlamoindrechance.Ilavaitpatienté,convaincuunepersonneàlafois,pourfinalementêtrereconnupourcequ’ilétait–unhommerespectable.Saufquej’étaisdifférentdeluietquej’avaisrenoncédepuislongtempsàmadignité.—Tuesmonami,Rafael,unfrère,etjeteconnais.Tuasducœuretducourage.Tuesintelligent,

digneetfort.Etjepriepourqueturencontresquelqu’unquipourratelefairecomprendre.Puisquedetouteévidence,moijen’yarrivepas.Ilseleva,ramassasesaffaires.Jecontractailamâchoire.—Tutetrompes,Abou.Jemesuisvendupourunlitchaudetunmorceaudepain.C’étaitleprixde

mafierté.—Tun’asrienvendu,Rafael,mecontredit-il.Tuassurvécu.Jeposaimespaumessurmesyeux.—J’aiconfiance,Rafael.Jemassaimestempes.—TuaslaFoi,Abou,nuançai-je.Laconfiancereposesurdesfaits,laFoisurduvent.Alors,c’est

biendeFoidontils’agit.Ilmesourit.—Jesuispasteuraprèstout.Jeleregardaibienenface.—Etjesuisunepute.Ilmeserrabrièvementlebras.—TuesRafael.Mêmepas…Abou partit, et je me recouchai. Je restai la journée allongé, fixant les images de la télé sans

vraiment les voir. J’aurais aimé lire. Sauf que je n’avais pas la force de me traîner jusqu’à labibliothèquemunicipale.Alorsjem’ensevelissousmescouverturesetrestailàpendantdesheures.Ensoirée,jeréussisàmetraînerjusqu’àlasalledebainetentraidanslabaignoirepresquelatête

lapremière.Jem’endormisdansl’eaubrûlanteetmeréveillaiquandellefutglaciale.Montéléphonebipa,jelelaissaidecôté.Ilseraittoujourstempsdemaindem’eninquiéter.Surtout

sic’étaitCharles.Je passai un t-shirt à l’effigie desPatriots, l’équipe de football bostonienne, et un jean si usé et

délavéquelebleuenétaitquasimentdevenublanc.Je récupéraimon paquet deMarlboro etme posai sur le balcon, allumant une cigarette demes

doigtstremblants.J’observaileslumièreséclairerlavilledeleurdouxscintillement.Lesbruitsdelanuitenvahissaientlesruesanimées.Riennes’endormaitjamaisvraimentàBoston,j’étaisbienplacépour le savoir. J’aurais pu sortir et marcher, comme je le faisais avant, aller où mes pas meguideraient, me rappelant ce temps où je n’étais rien qu’un gamin que le deuil avait égaré. Àl’époque,j’avançaissansbut,maisj’avançais.Aujourd’hui,jen’allaisplusnullepart,etc’étaitencorepire.J’auraisaiméchanger.Maisjenelepouvaispas.J’étaisprisdansdesfiletsdontjen’avaisjamais

réussiàmedéfaire.Jejetaimonmégotpar-dessuslarambardeetleregardaitomberencontre-bas.Çaluiprituntemps

fou pour s’écraser. Le petit bout rougeoyant tourbillonna dans l’air, volant presque par moment,avantdepercuter la terrefermeets’éteindre.Parfois, j’avaiscette impression.Dechuter,encoreetencore, longtemps, sans jamais m’arrêter. Et puis il y avait ce moment de suspens, où j’étais enéquilibreetoùjepensaisque,peut-être,j’allaispouvoirm’ensortir.Maisinévitablement,Charlesmepoussaitetj’explosaisausol.Enmillemorceauxépars.Sij’avaislachancedelesrécupérer,peut-êtrequejepourraismerafistoler.Peut-être…

07J’aperçusleslivresdelabibliothèquesurlatabledelacuisine.Ilsétaientlàdepuisplusdequinze

jours,attendantquejelesramèneàBrooke.C’étaitl’occasiondesortirdel’appartement.Jetournaisenrondà telpointquejenemesupportaisplus.Jenemesupportais jamais longtempsdureste.Etpuis,çafaisaitunmomentquejen’avaispasbuuncafédeBrooke;ilétaitencoremeilleurqueceluiduStarbucks.Pourça,jepouvaismarcherjusquelà-bas.Ilfaisaitbeau,ilyavaitdusoleil;c’étaitunjouridéalpouressayerdesourire.J’attrapaiuneveste,enfilaimeschaussuresetquittaimonappartement…enmêmetempsqueDante,

monvoisin.Danten’étaitpassonvraiprénom,évidemment.Maiscetypereprésentaitlesseptcerclesdel’enferàluitoutseul.Ilpassaitsontempsàvenirfrapperàmaportepourtoutetn’importequoi.Sansparlerdufaitqu’ilm’épiaitpourlecomptedeCharles.Ilappuyasurleboutondel’ascenseur,détaillantmatenueetreniflademécontentement.Ladescente

fut longue et, pas une seule fois, son regard ne quitta l’arrière de ma nuque.Quand les portess’ouvrirent,jepressailepas,sansmêmepenseràluidireaurevoir.Il me fallut vingt minutes pour arriver à la bibliothèque et, comme à chaque fois, je fus

impressionnéparcebâtimentmajestueuxquiressemblaitàs’yméprendreàunpalais.Jetraversailarueenrepensantàlapremièrefoisoùj’yétaisentré.C’étaitmamèrequim’yavaitemmené;jemerappelais avoir été intimidé par les galeries, les peintures accrochées au mur, les escaliersgrandioses, les statues de lions sur leurs piliers. Et la salle de lecture, ses voûtes, ses rayonnagesremplisdelivres,sestablesquis’étendaientetcesilencemagistralàpeinedérangéparlespagesquisetournaientetlesstylosquicouraientsurlepapier.J’aimaisvenirici,yresterunmoment.J’avaisl’impressiond’yavoirmaplace,d’yêtreuninvitépermanent.Brooke était à son poste, comme tous les jours de la semaine.Dans une robe extravagante, qui

juraitavecledécorpresqueprincier.Elleparcouraitdesyeuxuneénormeencyclopédie,seslunettesàlamonture rouge sur le bout de son nez. Pulpeuse et souriante, elle était tellement ronde et joliequ’elle donnait envie de la croquer.Avec ses cheveux rouges, ses taches de rousseur et ses lèvresécarlates,ellefaisaittournerlestêtessursonpassage.Malheureusement,Brooken’avaitd’yeuxquepourAlain,sonmari.Quandelle reconnut lebruitdemes rangersau sol, elle releva sonmentonaristocratiqueet son

regardseportaaussitôtsurmoi.Sonvisagepassadesévèreàravienquelquessecondes.—Jemedemandaisoùtuétaispassé,moncœur.Jecommençaisàm’inquiéter.Jedéposaimesderniersempruntsdevantelleetrécupéraileslivresqu’elleavaitmisdecôtépour

moi.—Tuvasapprécierceux-là.Jeluilaissaisleplaisirdemechoisirlesœuvresincontournables,commeelleaimaitlesappeler.—Jetefaisconfiance.—Tuveuxuncafé?Jeluisouris.—Jeneviensquepourça.—Moiquipensaisquec’étaitpourmapoitrinegénéreuse.

Je ris et elle me fit les gros yeux. Mais trop tard, plusieurs personnes levèrent le nez et nousincendièrentduregardenentonnantl’habituel«Chut».—Enprincipe,c’estmoiquiréclamelesilence,murmura-t-elle.C’estmonjob.—J’aiunemauvaiseinfluencesurtoi.Ellepoussadiscrètementunetassedecaféversmoietjemepenchaiverselle,embrassantsajoue

tiède.—Tueslameilleure.—Etpourtant,tuneveuxpascoucheravecmoi.Unenouvellesalvede«Chut»etBrookelevalesyeuxauciel.—Qu’ilssontpéniblesaujourd’hui!Elles’attiradescoupsd’œilnoirsetsoufflapresquededésespoir.Quandl’und’euxsemitàrâler

surl’irrespectdesbibliothécaires,cefutmoiquimetournaiverslui.Ilsetutaussitôt,baissalatêtesursonmanueletcontinuacommesiderienn’était.—File,meditBrooke.Avantqu’iln’yaitdusang.—Jerepasselasemaineprochaine.Ellemetapotalamain.—Viensdoncpendantmapause,moncœur.Alainseracontentdetevoir.—Çamarche.Jem’éloignai,chargédequelquesromansetunpeupluslégerquelorsquej’étaisarrivé.Brooke

étaitexubérante,presquetroppourtravaillerdansunlieuoùlebavardagen’étaitpasvraimenttoléré.Pasdutout,d’ailleurs.Elleavaitbesoindes’épancher,deparlerdesonmari,desonfils–Junior–,desesamisetdesonchien.Jel’avaisrencontréealorsqu’elleétaitenceinteetcoincéederrièreuneétagère.Notrerelationselimitaitauxmursdecettebibliothèqueetaupetitrestaurantducoin,oùnousallionsparfoismanger avec sonmari.Lorsque j’étais aveceux, jeme sentais…normal. Jen’étaisplus ni une pute niRafael. Je n’étais qu’un jeune homme ordinaire, loin des tarifs, des passes, deCharles,desbarssombres,desbouteillesd’alcool,desregardsconcupiscents.Jen’étaisquemoi,aumilieudesautres.Jeredevenaislefilsdemamère.Lefilsd’ElenaJimenez.JeredevenaisHanaël.Pourtant,ilyavaittellementlongtempsquej’avaisrenoncéàceprénomquec’étaitcommeenfiler

la peau d’un étranger.Hanaël…Celui que je n’aurais jamais dû cesser d’être…Celui que j’avaisoublié…Legaminenmoiquicontinuaitderêver.Jedévalaislesescaliersverslasortiequandjel’aperçus,encontre-bas,remonterversmoi.Perdu

dansmespensées,cenefutd’abordqu’uneimageincertaineàl’oréedemonchampdevision.Puiselledevintplusnetteàmesurequ’il avançaitetque jemedétachaisdemessouvenirs.Quandnousnous croisâmes, nos regards s’accrochèrent l’espace d’un instant, se détournèrent, avant de seretrouver plus longtemps. Jem’arrêtai et me tournai vers lui. Il en fit autant, me surplombant dequelquesmarches.—Salut,cowboy.Calebétaittellementchargé,entresessacsetsapiledemanuelsenéquilibre,quec’étaitunmiracle

quetoutnesoitpasdéjàparterre.—Salut…Etmerde!jura-t-ilquandsonbardadevintvacillant.Je le déchargeai de quelques livres et il souffla de soulagement. Avec ses cheveux en pagaille

autourdesonvisage,sachemisepartiellementpasséedanssonpantalon,savestedontilavaitenfiléuneseuledesmanches,sestachesd’encresurlesdoigtsetsesyeuxgrispétillants,ilressemblaitàunilluminé.Untrèsbelilluminé.Untypecommelui,çadevaitvaloirtrèscher.—Iln’yapasdebibliothèqueauMIT,ironisai-je.—Si,biensûr.Pleinesd’étudiantsduMIT,justement.—Alorsqu’ici,iln’yaquedesimplesBostoniens,c’estça?Calebdétaillamonjeantroué,mesrangers,mavesteencuirclairetseraclalagorge.—Simples,jen’ensaisrien,rougit-il.Maisilsontl’airplusintéressants.J’inclinailégèrementlatête.—Parcequelesétudiantssontennuyeux?— Beaucoup trop. L’étudiant en droit parle des dernières lois votées par le gouvernement,

l’étudiantenmédecine,desrecherchessurlecancer,l’étudianteninformatique,dudernierlogicielàlamode,l’…—J’aicompris,lecoupai-je.— Tu vois, rit-il, nous autres, purs produits des universités américaines, nous n’avons aucune

conversationendehorsdenosdomainesdecompétence.—Vraimentdommage.—Oui.Montéléphonesonnaet,cettefois-ci,cefutluiquimedésencombraalorsquejelerécupéraisau

fonddemapoche.Justeletempsquejevérifielenuméroetquejeraccrocheennelereconnaissantpas.Calebglissasesbouquinsdansunedesesbesacesetmerenditlesmiens.Jelescalaisousmonbras.—Merci,luidis-je.Amuse-toibien,alors.—Jen’ymanqueraipas.Jesouris.—Bonnejournée,cowboy.—Àbientôt,Rafael.Ilrepartitverslabibliothèqueetjemeremisenroute.Plusloin,jejetaiuncoupd’œilpar-dessus

mon épaule. Il grimpait lesmarches deuxpar deux, léger, à l’aise.Chacunde ses pas était assuré,déterminé.Arrivéenhaut, ilse tournalégèrementversmoietnosregardss’accrochèrentquelquesinstantssupplémentaires.Unepetitesecondevoléeautemps,àlafatalité.Justeunentrebâillementverscequiauraitpuêtre,silesseulesrelationsquej’avaisn’étaientpaspayéesàl’avanceetacceptéesparCharles.Peut-êtrequ’alors…Jemedétournaietm’éloignaiensecouantlatête.Monexistenceétaitcommeunfleuve,dont lescourantssuivaient toujours lamêmedirection. Ils

déferlaient,dangereux,poursejeter,plusloin,verslesprofondeursd’unprécipice.Jen’avaisd’autrechoixquedemelaisseremporter.Etdeprierpourm’ensortir;sicen’étaitindemne,aumoinssanstropdeblessures.Jepoussailaported’unbar,unbesoinurgentd’unremontant.Jecommandaiuncaféetunscotch

enfaisantsemblantd’ignorerlecoupd’œilsurprisdubarman.Ilétait troptôtpourboireunverre,maisjemefoutaisbiendel’heure.Jem’assisàunetablelibre,déposailesbouquinsdeBrookedevantmoietjetaiunregardàtravers

la fenêtre. Les citadins marchaient vite, pressés. Les touristes levaient les yeux, déambulaient,flânaient. Bientôt, ils retourneraient chez eux et raconteraient tout ce que cette ville avait demerveilleux.Le serveurposaunverre et une tassedevantmoi. Je lesobservai, les faisant tourner, tirant l’un

pourlerepousseretprendrel’autre.Arabicaoualcool?Noirouambré?Lesdeux...?Abouavaittellementraison…Jepris leverre fermementdansmamain, l’amenaiàmes lèvres, faisantdurer la torture,sentant

moncœuraccélérer,souffrirunpeud’anticipation.Charlesm’avaitdonnélegoûtdeladouleur.Jelehaïssais.Jehaïssaischacunedesminutesqu’ilm’avaitvolées.L’odeur duwhisky vintme titiller les narines, le liquide touchames lèvres et… je reposaimon

verreaussitôt,monattentionsoudainattiréeversmapiledebouquins.Jetiraiversmoiceluidudessusetlusletitre,perplexe:«RéglementationsULM:Dronespilotéset

télépilotés». Je l’ouvris et parcourus quelques lignes, de plus en plus intrigué. J’étais certain queBrookenem’auraitpaspassécegenredelivre.Enfait,j’étaismêmepersuadéqu’iln’yavaitqu’unétudiantduMITpourlirecegenredetruc.Jem’adossaiàmachaise,levisagetournéversleplafond.Je croisai les doigts derrièrema nuque et restai immobile uneminute. Peut-être deux. Puis jemelevai,busmoncaféd’unetraiteetlaissaiunbilletsurlatable.Abandonnant,pourcettefois,monscotch.Brookemevitrevenirenfronçantlessourcils.Jeluifisunclind’œildeloin,avantdeparcourirdu

regardlasalledelecture.RepérerCalebnefutpasdifficile.Satableétaitrecouvertedemanuels,decahiers,de feuillesvolantes, et ses cheveuxchâtains étaient retenusparuneespècedebandanaauxcouleursdelavilled’Amarillo.Jem’approchaidelui,ilnes’enrenditpascompte.Ilécrivaitàuneallurehallucinante,etjel’observaiunmoment,essayantdedéchiffrerpar-dessussonépaulecequ’ilnotait.Sanssuccès.Ils’arrêta,percevantmaprésencedanssondos,etseretournadoucement.Jemedécalaietm’assisàsescôtés,posantsurlatablelemanueld’aéronautique.—Ilsembleraitquetuaiesquelquechosequim’appartienne,Caleb.Ilsourittimidement,abandonnantsonstylosurunefeuilleparseméedetachesd’encre.Ilouvritun

desessacsetensortitNetirezpassurl’oiseaumoqueur,deHarperLee.Unincontournabled’aprèsBrooke.Caleblepoussaversmoi,sesyeuxcherchantdoucementlesmiens.—Jenepensaispasquetut’enapercevraissivite.Jeposailecoudesurlatable,leregardaienbiais,surprisparcequ’illaissaitentendre.—Tuasintervertinoslivres…volontairement?Ilseraclalagorge,gêné.—Pourquoi?demandai-je.

—Jepensaisqueceseraitévident,rougit-il.Jemepenchaiverslui.—Désolé,maisnon,çanel’estpasdutout.Ilpassaunemaindanssescheveux,pritunegrandeinspiration,commes’ils’apprêtaitàplongerà

plusieursmètressouslasurface.—Ehbien,tusais…Ilritendevenantplusécarlateencore.—Jenesuispasdouépourça.—Pasdouépourquoiexactement?insistai-je.S’ilvoulaitbaiser,ilallaitdevoirfairecommetoutlemondeet…—Pourtedirequetumeplais,Rafael.Je leprisenpleinegueule.Parcequesi j’avaisconsciencedeplaire,personneneme ledisait si

directement. IlssecontentaientdeprendrecontactavecCharlesetdevoiravec lui lesmodalitésdepaiement. Je n’étais pas unmec que l’on rencontrait dans la rue, comme ça, et avec qui on allaitprendreuncafé.Etjenem’enétaisjamaiscaché,d’ailleurs.Tousceuxquim’approchaientsavaienttrèsbiencequejefaisaisdecertainesdemessoirées,demesdimanches.Etparcequ’ilavaitl’airdebienconnaîtrecetenfoirédeBrandon,jepensaisqueCaleblesavaitaussi.Ouqu’ill’avaitdeviné.Detouteévidence,jefaisaiserreur.—Tunemeconnaispas,cowboy.—C’estcommeçaqueçamarche,non?fit-il,ignorantàquelpointilsetrompait.Deuxpersonnes

serencontrent,seplaisent,separlent,apprennentàseconnaître…vontboireuncafé…Jefermailesyeux,chacundesesmotsmeblessantàunpointqu’ilnepouvaitpasimaginer.—Quoi?s’inquiéta-t-ilenremarquantmonexpression.Jeristristement.—Oublieça,Caleb.—Pourquoi?Jeramassaimesaffaires.—Cegenredetrucs,çanemarchepasavecmoi.—Tun’aimespaslecafé?essaya-t-ildeplaisanter.Jemerelevai.—Rafael.—Oublieça,d’accord.—Attends…m’appela-t-ilquandjem’éloignai.Il s’attira plusieurs commentaires désobligeants. Ici, le silence était d’or.Cen’était pas l’endroit

pourparlerdes chaînesqui cliquetaient àmespieds, de toutesmes impossibilités et de tout cequim’empêcherait toujoursd’êtreun typecommeça.Unqu’onpouvaitaborderdansunebibliothèque,justeparcequ’ilplaisait.Je passai devant Brooke, elle me lança un coup d’œil désolé. Ce n’était pas compliqué de

comprendre ce qui venait de se passer, surtout queCalebme suivait, tapant dans plusieurs sacs aupassage,s’excusant,manquantdetomberavantderéussiràmerattraperdanslecouloir.

—Attends…répéta-t-ilenm’attrapantparlebras.Ungroupedepersonness’approchaitetilmetiradoucementdansl’unedesgaleries,àl’écart.Je

medégageai,ilrecula.J’auraisdûpartiraussitôt.Maiscommeuncon,jerestailà,souslespeinturesmurales.— J’y ai été un peu fort avec Brandon,me dit-il.Mais je ne suis pas… enfin… Je ne suis pas

comme…—Jemefouspasmalquetuaiesfrappécepetitcon,lecoupai-je.—OK.Alorsriennet’empêchedevenirboireuncaféavecmoi.—Si.—D’accord.Il rougit une nouvelle fois, et juste pour voir ce regard-là, j’aurais pu dire oui. Mais c’était

impossible.J’auraisdûluidire«Crois-moi,Caleb,tun’aspasenvied’offriruncaféàunepute».Çaauraitétélemeilleurmoyendelefairefuir.Delefairetaire.Delefairereculerd’unpas.Maisjenedisrien,mecontentantdesecouerlatêteetdemedétacherdumur.—Jedoisyaller,dis-je.Calebsemorditlalèvreets’écartapourmelaisserpasser.—OK.J’accrochaisonregardenledépassant,ilclignadesyeux.—Aurevoir,Caleb.—Salut,Rafael.Ilvalaitmieuxquejem’enaille.Jesortisdelagalerieetdévalailesescalierspourlasecondefoisdelajournée.J’étais àmi-chemin quand ilme rappela. Je levai la tête et il était là, les coudes appuyés sur la

rambarde,assistantàmafuite.—Jesuisicitouslesmercredisaprès-midi!cria-t-ilpourêtresûrquej’aiebienentendu.Illeditd’unetellefaçonquejenepusretenirunéclatderire.Unvraiéclatderire.Spontané,réel

etagréable.Quelquechosequinem’avaitpasétreintdepuisbienlongtempss’emparafurtivementdemoi.Une forme d’excitation.Une joie ridicule et légère.Un émoi.Une douce chanson.Ça nemequitta pas de la journée. C’était là, doux. Beau. Tentant. Comme une main qui vient bercer votresommeild’unecaresselangoureuse.Plustard,ilseraittempsdereveniràlaréalité,àladuretédemesjournéesetàl’horreurdemes

nuits.Mais là, je voulais juste garder le sourire de Caleb comme la note finale d’une symphonie.

L’entendreencoreunmoment,avantqu’ellenes’éteigne,toutsimplement.

08J’étaisavachisurlecomptoirdubar.J’avaistellementbuquejenesentismêmepasBobrécupérer

montéléphoneportabledanslapochedemonpantalon.Àl’oréedemaconscience,jel’entendisseraclerlagorgequandsesdoigtseffleurèrentparmégardemonsexeencoredur.Etilleseraitencoreunmoment.Jem’étaisaidéunpeu,pourmasoiréeavecAndrewVermont.Parceques’ilyavaitdeshommesvieuxetgrosquiétaientbeauxmalgrétout,Andrewn’étaitpasdeceux-là.Ilenétaitmêmeloin.Pourtant,detousmesclientsréguliers,ilétaitundeceuxquejepréférais,mêmes’ilaimaitlestenues extravagantes, comme ce string noir, ce débardeur en cuir et ce foulard sombre pour mebander les yeux qui m’attendaient quand je l’avais rejoint, plus tôt dans la soirée. Charles auraitapprécié,sansaucundoute.Andrewavaitbeauêtreplutôtgentil,aveclui,c’étaittoutsimplementimpossible.J’avaisbeauêtre

enbonnesanté,jenepouvaispassimuleràcepoint.Alors,commec’étaitlecasaveccertainsdemesclients, j’avais utilisé un petit vasodilatateur, un produit magique qui permettait aux fibresmusculaires demon sexe de se relâcher et de se gonfler de sang, ce qui provoquait une érection.C’étaitlediscoursquem’avaittenuletypequimel’avaitrevendu,dansuneruellesordide.Parcequej’enétaislà,pensai-jeavecironieenricananttoutseul,latêteaplatiecontrelecomptoir.Àvingt-septans,j’étaisdéjàobligéd’acheteraunoirdesfoutusproduitsmiraclespourréussiràbander!Bobfermalebaretj’étaistoujourslà,monénièmeverreencoredanslamain.Combienenavais-je

bu?Trois,quatre?Treize,quatorze?Jen’étaisplusàunedizaineprès.—DésolédevousdérangerpasteurFinch,ditBobautéléphone.MaisRafael…Oui,Abou…Aboumeramènerait.Monami,monfrère.Monsauf-conduit.Mafamille.Maisserait-

ilcapabled’ôter les imagesdansmatête?Lesmotssusurrésàmonoreille?Lescorpssefrottantcontrelemien?Non,ilnepourraitpas.Aucunedesesprièresnonplus,d’ailleurs!Ilarrivavingtminutesplustard.J’eneusàpeineconscience.Maisjelesentisquandmêmemefaire

décollerdutabouretavecl’aidedeSoli,quipassaunbrasautourdemataille.—Onestlà,Rafael,meditlegamin.Oui,ilsétaientlà.Maisaprès?Quoi,après?Après,oùseraient-ilsquandjedeviendraislachose

d’unénièmeclient?LaputedeCharles?Quand jepasseraisd’autresvêtements?Quand je seraisobligédesourire,detoucher,dememettreàgenoux.Ettousmeshurlements…Est-cequ’ilsseraientlàpourentendremeshurlements?—MerciBob,ditAbou.—Ilvaallerbien?demandaBobAbouneréponditpas.Iln’ensavaitrien.Etlemensongeétaitproscritparl’église,proscritparla

religion. Jementais tellement…Chaquematin, chaque soir, chaqueminute de cette fichue vie. Pasétonnant queDieu se soit détourné demoi aussi facilement quemamère avait rendu son derniersouffle.Ilmel’avaitprise.Aujourd’hui,quemerestait-il?—Rien,dis-jed’unevoixpâteuse.Ilnemeresterien.Abou etSolim’installèrent à l’arrière de la voiture.Cedernier resta sur la banquette avecmoi,

posantmatêtesursesgenoux.Sonfrèredémarra.

—OnleramèneàMama?demandaSoli.—Oui,réponditAbou.Solipassaunemaindansmescheveux.—Abou?Tucroisqu’unjour…—Jen’ensaisrien.J’espère.Moiaussi.Aufonddemoi, j’étaiscommeeux.Jevoulaisque toutchange.Jevoulaismourir. Je

voulaisquetoutsetermine.Jevoulaisvivre.Jevoulaisaimer.M’envoler,m’enterrer,menoyer,brûler.Devenirn’importequoid’autrequemoi.Sauvez-moi.Abous’arrêtadevantchez luiet je fus transportéversunechambred’amisque jecommençaisà

bienconnaître.Jem’étalaidetoutmonlongsurlelit.—Ques’est-ilpassé?demandaAma,inquiète.—Unecuitedeplus!rugitAbou.Untourmentdeplus.Une épaisse couetteme tombadessus et je disparus dessous,m’autorisant enfin à chuter dans le

vide.Dansdesabysses…Unedouleurdeplus.…dedésolation.

09Lelendemainmatin,ilmefallutunmomentpourreconnaîtrelachambredanslaquellej’étais.Ma

têtemefaisaitsouffrir, jepuais l’alcool.Sur lacommodese trouvaitunverred’eaupétillante,uneaspirinesedissolvantàl’intérieur.Amameconnaissaitbien.Surtoutmesgueulesdebois.Jemelevai,encoretouthabillé,etsortisdelachambreàpetitspas.Amapréparaitlepetitdéjeuner,

AbouetSolilisaient–journalpourl’un,leçond’histoirepourl’autre.Enm’entendant,ilstournèrentlatêtedansmadirection.—Commentj’aiatterriici?demandai-jeavecprécaution.Abouarboraitsonexpressiondesmauvaisjours.IltournalapageduBostonGlobe,sansrépondre.

Soli,lui,n’hésitapasàmettrelespiedsdansleplat.—TuétaiscomplètementbourréetBobnousaappeléspourqu’onviennetechercher.—SoliFinch,vas-tutetaire!lerabrouasamère.Ilouvritlaboucheensecouantsesdreadlocks.—Ilposeunequestion,j’yréponds.Amametenditunetassedecafé,uneassiettedepancakesetpointaleboutdelatabledumenton.Je

m’assisenfaced’Abou,toujoursaussirenfrogné,mêmequandjeluiprésentaileplat.—Salut,luidis-je.—Salut,répondit-il.Jem’emparaidusiropd’érable.—Àquelpointj’étais…—Assezpourfriserlecomaéthylique,mecoupa-t-il.—D’accord.Ilabandonnasonarticleetjetalejournalenfacedemoi.—D’accord,répéta-t-il.C’esttout?—Désolédet’avoirréveilléenpleinenuit,ajoutai-je,levisagefermé.—C’estBobquinousaréveillés.Siaumoinsçaavaitététoi,maisnon!Etmeleveràdeuxheures

dumatinn’estpaslefichuproblème.Solisiffla,sentant levent tourner.Ilrécupérasonsacdecours,sescahiersetfilasansdemander

sonreste.Ama,elle,continuaànettoyerlacuisinecommesiderienn’était.Elleavaitl’habitudedenosengueulades.Abouétaitdevenuunamisurlequelj’avaisapprisàcompter.Maisjamaisiln’avaitpumefairequitterlemondeoùCharlesm’avaitenfermé.Dansunsens,ils’envoulaitdecetéchec.Ilse reprochait chaque bleu et plaie, chaque verre que je buvais, chaque heure à n’être qu’un corpsoffertenpâture.C’étaitcontreluiqu’ilétaitencolère,pascontremoi.—Abou,pascematin,OK?Iljoignitlesmains,gestedévotquin’étaitpourl’heurequ’unmoyendemaîtrisersonexaspération.—Pascematin,Abou,m’imita-t-il.Pascesoir.Pasaujourd’hui.Pasmaintenant.Maisalorsquand,

Rafael?Quandva-t-onparlerdetoi?Pasdufoyer,pasdeMac,pasdesautres.Maisdetoi.Jesecouailatête.—Dansquelbut?—Trouverunesolution.—Unesolutionàquoi?Illevalesbrasauciel,jetantuncoupd’œilàsamèrepourchercherdusoutien.Maisellecontinuait

d’astiquer, sifflotant doucement, comme pour apaiser l’ambiance lourde qui régnait entre nous. Etpeut-êtreyréussit-elle.Parcequenousarrêtâmeslàcetteconversation,lamillièmesurlesujet.Noustournionsenrond,detoutefaçon.Abourepritsalecture,jefinismatassedecaféetAmarangeaseschiffons.Montéléphonesonna,

rompantlesilencetranquilledanslequelnousvenionsenfindenousréfugier.Jecomptaisraccrochersansrépondre,avantdereconnaîtrelenumérodeMac.Jedécrochai,inquiet.Macnem’appelaitquelorsqu’ilavaitunproblème.—Rafael,souffla-t-ildesoulagementquandilentenditmavoix.—Qu’est-cequ’ilya?J’étaisdéjàdeboutàmarcherverslasortie,Abousurmestalonsavecsesclefsdevoiture.—JesuisàCambridgeprèsduparcuniversitaire,bafouilla-t-ilcommes’ilavaitdumalàrester

éveillé.Tupeuxvenirmechercher?—Çava?—Jenesaispas.J’étaislà…Etpuisj’étaisailleurs…Abous’installaderrièrelevolantetdémarra,jemecalaicôtépassager.Letéléphonecoincésous

l’oreille,j’accrochaimaceinture.—Qu’est-cequetuaspris?—Rien…pleurnicha-t-il.Dumoins,jecrois…J’suispassûr.Jemesensmal.Je jetaiuncoupd’œilsuppliantàAbouquicomprit lemessageetappuyaplus fortsur lapédale

d’accélérateur.—Écoute-moibien,Mac.Jevaisraccrocherettuvasappelerle911.—Non,pasl’hôpital…—OK!lecoupai-je.Est-cequ’ilyaquelqu’unautourdetoi?—Je…Non…Si,ilyaun…type,jecrois…J’inspiraiungrandcoup.—Valevoiretpasse-luitontéléphone.—Ilesttroploin,gémitMac.Rafael,vienss’ilteplaît…—J’arrive.Jesuislà,Mac…Mac?Plusderéponse.—Mac?Toujoursrien.—Ehmerde!criai-je.Fonce,Abou!Alorsilfonça.

Quand nous arrivâmes au parc universitaire, Mac était tout à fait conscient, assis sur un banc,entouré de trois étudiants. L’un était accroupi devant lui, soignant une plaie au poignet, l’autre lefaisaitrireendiscutantàrenfortdegrandsgestesetlaseulefilledugroupeétaitinstalléeàsescôtés,un bras maternel autour de ses épaules. En nous voyant,Mac sourit jusqu’aux oreilles, ce qui fitbrillersesyeuxvertsetlerajeunitdeplusieursannées.JemetournaiversAbouquihaussalesépaules.—Ilestirlandais,souffla-t-il.Ilaledramedanslapeau.J’étaissoulagé–plusquejenepourraisl’exprimer.Pourtant,arrivéàsahauteur,jeluicollaiune

claquederrièrelecrânedigned’Ama.Elleauraitétéfièredemoi.—Aïe,seplaignit-il.—Putain,nemecolleplusdefrayeurpareille,imbécile!m’écriai-je.J’aicruquetuétaismort!Abouseprésentaauxtroisbonssamaritains,cequej’avaisnégligédefaire.Jen’étaispastrèsau

fait des normes sociales. Avec les personnes que je côtoyais, je n’en avais pas vraiment besoin.D’ailleurs,lapolitesseetlepolitiquementcorrectnefaisaientpaspartiedecesrendez-vous.Commençanttoutjusteàmecalmer,j’observaiMacavecénervement.Ilvenaitdemefairecourir,

alorsquej’étaisencoredanslesvapesdemasaouleried’hiersoir.—J’aivraimenttournédel’œil,mejura-t-il.Lapreuve.Ilagitasonpoignetdevantmoietjelevaimesmainscrispéesentrenous.—Situsavaiscommejem’entapedetonpoignet!gueulai-je.Qu’est-cequetufousàCambridge?

Tun’enaspasmarredecesenfoirésdepetitsétudiantsqui…Abouse racla lagorge,mecoupantdansmonélan.Mac se retintde rire enpointantdumenton

quelque chose dansmon dos. Je passai la tête par-dessusmon épaule et croisai le regard de troisdecesenfoirésdepetitsétudiantsjustement.Un,plusparticulièrement,retintmonattention.Ilavaitunregardgrisquej’avaisvuquelquesjoursauparavantetauquel,jedevaisl’avouer,j’avaispenséplusquejenel’auraissansdoutedû.—Jevouspried’excusermonami,ditAbouenmefaisantlesgrosyeux.Ilatendanceàs’emporter

quandilestinquiet.Jenedisrien,regardantCalebunpeutroplonguement.—Salut,Rafael,finit-ilpardire.—Caleb.Tout lemonde nous dévisagea, surpris que l’on se connaisse. Et ce n’était pas vraiment le cas.

C’étaitjusteuntypequej’avaiscroisé,auhasardd’unejournée.Jeposailamainsurl’épauledeMacetlepoussaiversleparking.—Merci,lançai-je.—Derien,meréponditCaleb.Abouavaitenviedeposerunequestion,maisilseretintàladernièreminuteetsecontentadenous

suivre, Mac et moi, après avoir échangé quelques mots sympathiques avec les trois étudiants. Jen’avaismêmepasprislapeinedeleurjeteruncoupd’œil;jenelesreconnaîtraissansdoutepassijeles rencontrais un jour. Je me souviendrais uniquement de Caleb. De sa tenue débraillée, de sescheveuxrebellespointantdanstouslessens.AboudéverrouillalavoitureetMacs’installasurlabanquettearrière,lecrâneposésurl’appuie-

tête.J’avaislamainsurlapoignéequandCalebmerappela.Jemetournailentementverslui.Iltrottaitvers moi, les mains dans les poches, la bandoulière de son sac passée sur l’épaule. J’ouvris maportière,ilposalamaindessus,unsourireavenantaucoindeslèvres.Dessourires,beaucoupd’autresm’enavaientfait.Etdesbienplusaguicheurs.—Rafael…—Non,lecoupai-jeavantqu’iln’ailleplusloin.Jemontaidanslabagnole,ilmerattrapadoucementparlebras.Jemedégageaimoinsgentiment.Il

seraclalagorge,gênédelaprésenced’AbouetdeMac,justeàcôté,etreculad’unpasenécartantlesbras,lerougeauxjoues.—Justeuncafé,murmura-t-il,sidoucementqu’ilm’auraitpresqueattendri.Enfait,ilyréussitvraiment.Ilétaitlàdevantmoi,avecsonmalaiseetcetteévidenceaffichéesur

sonvisage.Cellequidisaitclairementqu’iln’avaitpasl’habitudedecessituations.Qu’ilnesavaitpascomments’yprendre.—Non,m’entêtai-jequandmême.Calebinspiraprofondément,n’osantpasinsisterdavantage.—D’accord,capitula-t-il.Ilfouilladanssabesaceetensortitunlivre.Ilmeletendit.Jel’observaisansleprendre.—J’espéraisterecroiseràlabibliothèqueettel’offrir.C’est«Lebruitetlafureur»deWilliam

Faulkner.Jecroisqu’ilteplaira.Ilhaussalesépaules.—Prends-le.—Non.Cettefois,monrefuss’ébranlaunpeu.EtCalebleremarquasuffisammentpournepassevexerde

ceténièmerejet.Ilmemitlebouquindanslesmainsetrefermamesdoigtsdessus.Puisilmetournaledosetrepartit.Jetombaisurlesiègepassager,Aboumitlecontactetdémarra.Le silence régnait dans l’habitacle ; ni Mac ni Abou n’osaient faire le moindre commentaire.

Surtoutquandjepoussaiuncridefrustration.Furieux,jejetaicesatanélivreparlafenêtredetoutesmesforceset je leviss’écrasersurun trottoir, justeavantqu’unhommemarchedessus, lepiétinecommesicen’étaitriend’autrequ’unensembledefeuilles,unensembledemots.Unensemblederien.—Faisdemi-tour,Abou.Sansfairederemarque, ilmitsonclignotantetrevintenarrière.Ils’arrêtaquelquesmètresplus

loinet jedescendis récupérer lepetit livre,déjàabîmépar l’empreintedepas. Je leglissaidans lapochearrièredemonjeanetremontaienvoiture.Jeposaiuncoudesurlaportière,tournaimonvisageverslavitre.—Ilnesaitpas?demandadoucementMac.—IlfautcroirequetoutBostonn’estpasencoreaucourant,lâchai-je,obscur.Jesecouailatête.—J’auraisdûluidire,mais…jen’aipasréussi.

Jeposaimonfrontsurlereborddelafenêtre.—Ilyaunesemaine, jenesavaismêmepasqu’ilexistait.Etmaintenant, j’ai l’impressionde le

voirpartout.Jefaisunpasetcesatanégaminestlà!—Tudevraispeut-êtreallerleboire,cecafé,remarquaMac.—Pourluidirequoi?Bonjour,jem’appelleRafael,jesuisunprostitué.Désolé,jen’aiquepeude

temps à te consacrer, j’ai un client qui m’attend. Et là, je ne parle que de la partie émergée del’iceberg.ParcequesionselancesurlesujetdeCharles…Macpassalatêteentrelesdeuxsiègesdedevant.—Ilnes’agitqued’uncafé,Rafael.—Non,Mac.Ils’agitdudébutdequelquechosequejesuisincapabledeluidonner.Nous déposâmesMac devant un immeuble décrépit comme il y en avait beaucoup dans les bas-

quartiersdeBoston.MaisAboum’avaitrassuréquantàl’étatdel’appartementdanslequelilvivait.Ilétaitsalubre,propre,meubléetéquipé.Etpuisiln’yavaitqu’àvoircommentMacpartaitverschezluid’unpaspressé. Ilétait tout simplementheureuxdepouvoir rentrerquelquepartaprèsunenuitdehors. Il ne nous avait pas dit avec qui il avait passé la soirée et encoremoins à quoi il l’avaitemployée,maisilsemblaitbienetc’étaitdéjàunpasdegéant.Aumoins,luivoyaitleboutdesonenfer.Abouredémarra.Plusloin,iltournaàgauche,coupalepostederadioquicommençaitàgueuler

unvieuxtubederocketsetournalégèrementversmoi.Iln’avaitrienditdetoutletrajetetjesavaisqu’àl’instantoùnousnousretrouverionsseulsilvoudraitmeparler.—Pourquoitunepourraispasluidonnerunechanceàcegamin?medemanda-t-il.Tenduàl’extrême,j’explosai,frappantdupoingletableaudebord.Abounefronçamêmepasles

sourcils,ilavaitl’habitudedemescoupsdesang.—Jesuisunepute!rageai-je.Ungigolo!Uneenfoiréedetapettepayéepourécarterlescuisses!

AlorsAbou,s’ilteplaît!Arrêtedepenserquej’ailedroitàunevienormale,merde!Jenesuispasnormal!EtdèsqueCalebl’auracompris,ceserafinidesregardsamoureuxetdessourirestendres!Dèsqu’ilsaura,ilferaunpasenarrière,etpuisunautre,etencoreunautre,avantdedisparaîtredupaysage!Jeneveuxpasrisquerdem’attacheràsagueuled’ange.C’estclair?J’envoyaimonpiedvaldinguerdans laboîteàgantsetelles’ouvritenrépandantsoncontenuau

sol.Jeprisunegrandeinspiration,enmebaissantpourtoutramasser.—Essaieaumoins…—Bonsang!Tun’aspasécoutécequejeviensdedire,Abou?Sur le point de craquer, je préférai encore sortir de la voiture et claquai la portière. Aboume

rappela, mais je l’ignorai. Comme il ne pouvait laisser traîner son tas de poubelle devant le feurouge, il ne me suivit pas. Je tournai au premier croisement et continuai sans but. Au moins, là,personne n’essaierait de me faire croire à l’impossible. Parce que c’était justement de ça dont ils’agissait.Qu’est-cequ’ilscroyaient?Quecen’étaitpascequejevoulais?Quejen’avaispasenviedeme

laisseravoirparunbeauregard,mêmel’espaced’unesoirée?Moi,unprostituéetlui,unétudiantsurdouéduMIT?Dansunbar,autourd’unetassedecafé?Il

n’yavaitqu’unedirectionoùtoutcelapourraitnousmeneretjelaconnaissaistrèsbien.Droitdansunmur.

10Jemarchaiunmoment,errantetdéambulantdanslesruesbostoniennes.Jecroisaidespressés,des

flâneurs,desamoureuxetdessolitaires.Jelesfrôlai,medemandantvaguementcequ’illeurpassaitparlatête.Sic’étaitl’enfercommedanslamienne.Jemelaissaisguiderparmespas.M’abandonnantàcettepeinequinemequittaitjamaisvraiment.

Etcettecolère,quin’étaitjamaisloin.LeportdeBostonsedessinadevantmoi.C’étaitunendroitquej’aimais.Surtoutunjourcomme

aujourd’hui, où il était presque désert. Il faisait gris et les nuages étaient tellement bas qu’ilssemblaientflottersurl’eau,donnantàlamarinabrumeuseuncôtéféerique.Je longeai lesquaisetm’assisaubout,mesrangersdanslevide, touchant lasurfacedel’eau.Je

regardai l’horizon, et c’était comme voir l’avenir. Il n’y avait rien que je puisse distinguer avecnetteté,maisjepouvaissupposercequisecachaitderrière.JesortislelivredeCalebdemapocheetlefistournerdansmesmains.Jel’observaidelongues

minutes,lacouvertureétaitécornée–unephotoennoiretblancd’unealléebordéedehautsarbres,remontantversunegrandemaison.Lespagesavaientététournéesplusd’unefoisetcertainesétaientpliées,commelorsqu’onveutgarderlatraced’unpassagequinousaprofondémenttouché.J’ouvrislapremièrepagemarquéeetlusquelqueslignes.«Jel’aimaisplusquetoutaumondeàcausedecela,pardevoir,bienqueJasonmetîntaucœur

cependant.Mais je voismaintenantque jen’ai pasassez souffert, je voismaintenantqu’ilme fautpayerpourvospéchésaussibienquepourlesmiens[…].»Puisuneseconde.«Ilsparlaienttousàlafoisetleursvoixinsistantes,contradictoires,impatientes,rendaientl’irréel

possible,puisindubitable,commefontlesgensquandleursdésirssontdevenusdesmots[…].»Etencoreune.«Commebeaucoupdepersonnesfroidesetfaibles,unefoisenprésenced’unirrémédiabledésastre,

elletrouvait,onnesaitoù,unesortedecourage,deforce[…].»Chacun de cesmotsme faisait trembler comme s’ils avaient été écrits pourmoi. Je revins à la

première page, à la première ligne et tombai la tête la première dans l’histoire de la familleCompson.Lesoleilétaitbas,jecommençaisàavoirfroidetfaimquandjeterminai.Surledernierverso,était

accrochéeunenote.Unnumérode téléphone, l’adressed’un restaurant.Ununiquemotquim’étaitadressé.«Viens.»J’arrachailepetitmorceaudepapieretleglissaidansmapoche.Lanuitétaittombéeetc’étaitmonheure,celleoùlesgenscommemoisortaientdechezeuxpour

travailler, racoler, tenter. Jen’étais sur aucun trottoir, je nemontais dans aucunevoiture, je nememettaisàgenouxdansaucuneruellesombre.Plusmaintenant.Jemerelevaietm’étirai,abrutipar toutescesheuresdelectureetparceromanpresqueviolent,

duretchoquantdanscertainesdesesjustesses.Ilmeressemblaitdansunsens.Entoutcas,ilm’avaitdonnéenviedefaireunaveu.Certaineschosesdoiventêtredites.Tues,ellesdeviennentunenécrose

dontiln’estpluspossibledeguérir.Calebm’avait fait un cadeau, je devais lui rendre la pareille. J’allais lui offrir lameilleure des

raisonsdedétournerleregardlaprochainefoisquenousnouscroiserions.Parcequ’onnedevenaitpasl’amid’unepute.Paslorsqu’onétudiaitdansl’unedesécoleslesplusprestigieusesdumonde.Merci,écrivis-jesurledosdelacouverturedulivredeFaulkner.Puisjeleglissaidenouveaudans

lapochearrièredemonjeanetquittaileport.J’aperçusCaleb de l’autre côté de la baie vitrée. Il y avait dumonde dans ce restaurant un peu

atypique.Coloréetchic.Unbandeaunoirretenantsescheveuxenarrière,Calebvirevoltaitentrelestables,desassiettesplein lesbras,unsourireaux lèvres,échangeantquelquesmotsavec lesclientsdevant lesquels il déposait des plats généreux et alléchants. Il ne semblait souffrir d’aucunemaladresse,ici.Alorsqu’ils’entravaitsifacilementavecsespropreslacets.Son pantalon noir mettait en valeur ses jambes finement musclées, élancées, la rondeur de ses

fesses. Sa chemise blanche moulait un torse bien dessiné, un ventre plat, un dos taillé en un Vgracieux.Sagorge,exposéeparuncolouvert,donnaitenvied’yblottirlenez.Unvisagemagnifique.Des yeux de tempête qui se tournèrent immédiatement versmoi quand je poussai la porte, faisantsonnerlacloche.Jen’avaispasvraimentlestyledel’endroit,maispersonnen’yprêtaattention.Jemedirigeaivers

le bar, un peu à l’écart de la salle, là où quelques types buvaient un verre tranquillement. Jecommandaiunwhiskyetleserveurmeletenditensouriant;jeleremerciaienluitendantunbillet.Ilmerenditlamonnaieetjeregardaipar-dessusmonépaule.Calebmelançaitplusieurscoupsd’œil,continuantàservir,unpeumoinsconcentréqu’uninstantauparavant.Ilmerejoignitunebonnedemi-heure,ettroisverres,plustard.Mesdoigtstambourinaientcontrele

comptoiretmoncœurbattaitunchouiatropvite.Aprèscesoir,cesquelquesjoursrejoindraientlefonddemamémoireetjefiniraisparlesoublier.Ceseraitvitedel’histoireancienne.Etcetémoi,cepetitquelquechosequelqu’ilsoit,disparaîtrait.Forcément.Calebs’appuyaaubarprèsdemoietôtasonbandeau.Sescheveuxs’éparpillèrentautourdeson

visage,rebiquantunpeun’importecomment.—J’aivingtminutesdepause.Ilétaitvraimentbeau.—Viens,medit-il.Jemelevaietlesuivisdansl’arrière-salle.Ilpoussauneporte,nouspropulsantdirectementdansla

rue,prèsdesbennesàordures.Ellesmerappelèrentuneruelle, ilyavaitdixans, l’endroitoù toutavaitcommencé.J’attrapaimonpaquetdecigarettesdansmavesteetenallumaiuneenpivotantversCaleb.Ilétait

appuyécontrelemuropposé,lesmainsdanslespoches.Ilm’observait.Calebnemeconnaissaitpas,maisilavaitdel’instinct.Ilavaitcomprisquejen’étaispasicipour

l’inviteràboireunverre.Maisplutôtpourluiexpliquer,unefoispourtoutes,pourquoiçaneseraitjamaispossible.—J’avaisquinzeansquandmamèreestmorte,commençai-je.Quandjemesuisretrouvéàlarue,

sanspersonne.Ilclignadesyeux,maisneréponditrien.Pasde«désolé»,pasdepitié–jenel’auraispasaccepté

detoutefaçon.

—J’étaisprèsd’unebenneàordurescommecelle-ci,luidis-jeenpointantdumentoncellequisetrouvaitprèsdelaporte.J’étaismaladecommejenel’avaisjamaisété.Jen’avaisqu’uneenvie,melaissertomberausoletfermerlesyeux.Mêmesij’étaismortdefroid.Jesoufflailafuméedemaclopeverslui.Ilnebougeapas.—C’estlàquejel’airencontré.Ildéglutit.—Qui?Jesouristristement.Calebfitunpasversmoi.Jenedétournaipasleregard,legardantbiendroit.

Mêmesic’étaitdifficile,mêmesij’auraisvoululebaisser.—Charles.Monpremierclient.Encomprenantceque je luidisais, ils’arrêtaaussitôtetaccusa lanouvelleviolemment.J’aurais

toutaussibienpuluicollerunpoingdanslamâchoire.Ilsegardaàunedistanceraisonnabledemoietjeneluienvouluspas.Aumoins,sonairn’étaitpasdevenudégoûtéouhorrifié.Justedéçuet…blessé, aurais-je dit. Je n’étais pas certain de l’émotion qui le traversait, mais il ne partit pas, nem’insultapas,nimetournaledos.J’auraispresquepréféré,aumoinsaurais-jecompris.—Ilyenaeubeaucoupd’autresdepuis,luilançai-jeavecdéfi.Ilyenaencore,Caleb.Ilblanchit.—Brandon…?demanda-t-il.Jehochailatête.—Uneheurequiluiacoûtétrèscher.—Tu…Il se frotta le visage avec le bandeau qu’il tenait dans lesmains, tourna une fois sur lui-même,

commes’ilcherchaitlescaméras.Iln’yenavaitaucune,pourlasimpleraisonquejeneluimentaispas.Ildevintpresqueexsangue.—Ce…connardt’apayépourcoucheravectoi?articula-t-il.— Je suis une pute, Caleb, lui rappelai-je durement. C’est ce que font les gens avec moi. Ils

m’achètent.Alorssitumeveux,ilfaudrafairecommetoutlemonde.Payer.Ébranléparlaviolencedemonton,parlacruautédecesmots,partoutcequecelasous-entendait,

ilrecula.C’étaitexactementcequej’attendaisqu’ilfasse.Pourtant,çamefitmalquandmême.Je fis plusieurs pas en arrière, sortis le livre qu’ilm’avait offert et le posai sur le dessus de la

poubelle,enregardantCaleb.—Tuavaisraison,luidis-je.Jel’aibeaucoupaimé.Etpuisjepartis.Cettefois,ilnemerappelapas,ilnemesuivitpas.Ilnefitrien.Ilrestadesoncôté.Etmoi,jeretournaiverslemien.

11Jefrappaiàlaportedecettechambred’hôtel.La1004.Elles’ouvritsurunhommeenpeignoirde

soie rouge,pluspetit quemoi,maisdes épaules tellement larges et desmains si colossalesque jecomprispourquoiCharlesjubilaitàl’approchedecerendez-vous.J’allaisavoirdestracesetdemain,enmevoyant,ilallaits’extasierdessussanshonte.Ravivantchaquedouleuretchaquecriquej’allaispousserbienmalgrémoi.—Rafael,n’est-cepas?ditLucasLandwehr.Ilavaitunevoixrocailleuse.—MonsieurLandwehr.—Lucasserasuffisant.Entre,jet’enprie.Ilmetenditunemainetjelapris,mecrispantdesoncontactmoiteetdéjàtropintrusif.—CecherCharlesavaitraison.Tuestoutsimplementsplendide.—Merci.Ilmedétailladesonregardmarron,presquenoir.Ilm’admira,jaugealamarchandise,touchace

qu’ilavaitpayésicher.—Tonpatront’a-t-ilprécisécequej’attendaisdetoi?—Jem’adaptetrèsbien.C’étaitbientropvrai,malheureusement.Ilpenchalatête,seléchalalèvre,glissantundoigtdansl’encoluredemachemiseblanche.—Celaaussi,ilmel’adit.Jevoulaisl’entendredetabouche.Jenerépondispas,cen’étaitpasnécessaire.Jelelaissaitournerautourdemoi,commeunlionprêt

àbondir sur saproie, sedélectantdecemanège, touchantparendroits,ôtantquelquesboutons.Letissudesonpeignoircommençaitdoucementàsetendresursonbas-ventreetsesyeuxsevoilèrentd’envieetde…violence.Jeconnaissaiscegenrederegard.Celuideshommesquiontdufric,assezpoursepayerunprostituédeluxepourassouvirleursdésirs,maisquihaïssentpourtanttoutcequecelareprésente.—Commençons.Uneheure,c’esttellementcourt,susurra-t-il.Ilmedéshabillalentement,sarespirationpluscourteàchaquefoisqu’ildécouvraitunmorceaude

peau. Petit à petit, un geste après l’autre, je devins sa chose. Je n’étais plus moi, plus personne,désarticulédanslesméandresdesonsadisme,attaché,ligoté,asservi,rabaissé.Battuetbattuencore.Commeunmoinsquerien.J’étaislàetjen’yétaisplus.J’étaislàetj’étaismort.J’étaislàetjejouissaisquandmêmedecettesouffrance.Méritais-jetoutcela?Cestourments…Cecalvaire…Etlesangquicoulaitdemondos,goutteà

goutte,écarlatesurmapeauàvif.Laseulechoseàlaquellejepouvaismeraccrocher,c’étaitautic-tacdel’horlogeégrenantdetrop

longuesminutes.

12Uneheureplustard,jerepartiscommej’étaisvenu,parlagrandeporte.Jenebaissaipaslesyeux

devantl’hôtessed’accueil.Jemarchai,ledosraide,lesjambeslourdes.J’avançaisansmeretourner,m’éloignantcommeàchaquefois,avecl’espoirdenejamaisrevenir.L’espoir,toujourscemêmemot…Commelacordemeretenantau-dessusduvide.J’avais envie de hurler. Mais pas maintenant. Dans la rue, on ne montrait pas sa faiblesse. On

prouvaitseulementqu’onneseraitjamaisunevictime.Leregarddroit,lementonfier.Nejamaissedétourner,restersursesgardesconstamment.Mamotoétait toujourschezBob,etj’auraisaimélarécupérercesoir.Maisc’étaitunemauvaise

idée.Si jemepointais dans cebar, j’allaisme saouler et je serais encorebloqué là-bas, obligeantAbouàvenirmechercher.Jepouvaistrèsbienboirechezmoi.Je saluai legardiendemon immeubled’unhochementde têteet il levaunemain franche. Jene

comprenaispascomment il ne s’était jamaisposé laquestionde savoir cequ’un typecommemoifoutaitdansunappartementdehautstanding,avecsalledemusculationetpiscineausous-sol.J’appuyaisurleboutondel’ascenseur,jen’avaispaslaforcedegrimperlesétagesàpied.Lapeau

demon dos craquait, frottait douloureusement contre le tissu dema chemise et j’avais besoin del’enleverauplusviteetdeplongerdansuneeaufroidepourmesoulager.Jesortismesclefsdemapoche,descendisdel’ascenseurettombaiaussitôtenarrêt,lâchantmon

trousseau desmains. S’il y avait quelqu’un que je ne croyais jamais croiser ici, c’était bienlui. Jepensaisnepluslerevoirdutout,d’ailleurs.Ilétaitpourtantassisdevantmaporte,sonregardgrisserelevantsurmoi.—Commentm’as-turetrouvé,Caleb?sifflai-je.Ilseredressa,époussetasonjeanetmitlabandoulièredesonsacsurl’épaule.—J’aiplusdecentcinquantepointsdeQI,Rafael.J’aitrouvélemoyendetepister.—Etcomment?Tuneconnaismêmepasmonnom.—MaisBrandon,si.Non,luinonplus.Maisilavaitlefaux.Celuidontjemeservaisdepuisdesannées.Celuiquiétait

maintenantsurmespapiersd’identité.Surlaboîteàlettres,enbasdemonimmeuble.Calebmebloquaitlepassageetilétaithorsdequestionquejem’approchedeluidanscetétat.Du

sangséchécollaitmachemiseàmapeau.Jemesentaissale…—Enfait,rougit-ilunpeu,j’aidemandéàunamidetrouvertonadresse.Ilestvraimentdouéavec

unordinateuret…—Jevois.Tuconnaislesloissurleharcèlement,jesuppose.Jeramassaimonjeudeclefsetleluilançai.—Ouvreetrentre,luidis-je.Oucasse-toi.Maisnerestepasdevantcetteputaindeporte.J’avaistropmalaudospourpenseràêtreneserait-cequ’unpeuaimable.Iln’hésitapasàdéverrouilleretàs’engouffreràl’intérieur.Ilreculaetjeluipassaidevant,filantà

lasalledebain,lelaissantderrièremoisansmesoucierdecequ’ilpourraitdécouvrir.Jenepensai

mêmepasàm’enfermeravantdemedéshabiller,difficilement,etdemeglisserderrièrelespanneauxdeladouche,abandonnantlabaignoirepourcettefois.Jetournailesrobinetsetl’eauglacéetombasur mes plaies. Je gémis de douleur, le front sur le carrelage, les mains sur la tête, mes jambestremblantsousmoi.Etàmespieds,encoreunefois,cestourbillonsécarlates.Unjour,l’und’euxfiniraitparmetuer.—Rafael?m’appelaCalebàl’entréedelasalledebain.—Ouais,lançai-jed’unevoixcassée.—Tuvasbien?—Oui.Jefermailesyeux.—Tuescertaindeça?insista-t-il.Ilyadusangsurtachemise.Ma chemise, jetée négligemment au sol dans ma hâte de m’en débarrasser, qu’il pouvait

parfaitementvoir.—Rafael,s’inquiéta-t-ildevantmonsilence.Jetremblais,j’avaisfroid.Maislechaudauraitbrûlémachairàvif.—Rafael,dit-ilencoreunefois.Savoixprofonde,hypnotique,plusprochequelaseconded’avant.—N’entrepas,Caleb!—Jecroisquesi.—Resteoùtues…Troptard,ilpassaderrièrelaparoienverre,sespiedsnus,encoretouthabillé.—Merde!Ilmerejoignitsouslejetd’eauàl’instantoùjem’écroulai.Ilmerattrapacommeilput,s’écrasant

contrelemur,montorsecontrelesien,tendantunemainpouréteindrelerobinet.—Quit’afaitça?s’emporta-t-il.J’eusunbreféclatderire.Quelquechosedepresquemorbidequifittremblermapoitrine.—Untypequitenaitunfouet,soufflai-jedanssoncou.Tant bien que mal, nous sortîmes de cette maudite douche. Nu et dégoulinant, je rejoignis la

chambreoùjetombaisurlelit,lenezdansl’oreiller.J’étaismouillé,grelottantetfrissonnant,exposéauregarddeCaleb.Maisjenem’enpréoccupaismêmepas.Jem’endormispresqueaussitôt.Dansmondemi-sommeil,jerêvaiquel’ons’occupaitdemoi.Quequelqu’unpassaituneserviette

surmes jambes, sur mes fesses, sur mes épaules et mes bras, mes cheveux, et avec beaucoup deprécautions,surmondos.Unecouverturefutremontéejusqu’àmatailleetdescompressesglacéesplacéessurmesplaiespourlessoigner.Puisuneautrecouette,plusépaisse,megardantauchaud.Etenfinuncorps,allongésurleflanc,prèsdemoi.Desdoigtsmassantlentementmanuque.Uneodeurentêtanteetmasculine,étrangère.Unsouffleprèsdemajoue.—Pourquoitueslà,Caleb?murmurai-je.

Seslèvres,siprochesdemonoreille.—Parcequej’enaienvie.Lesond’unsecondcœur.Etlebruitdumien.Jetournailevisageversluietsoulevailespaupières.—Tun’aspascompris.Jen’aipasderelations,pasdeflirts,pasdecompagnon,Caleb.Jen’aique

desclients.Il passa tendrement sa main dans mes cheveux, faisant glisser mes mèches entre ses doigts. Je

trouvaicesimplegesteindécent.—Alorsjeseraitonclient.Illeditavectellementdesérieux,sesyeuxgrispétillant,quejeluisourisenrelevantlégèrementla

tête.—Tusaiscombienjecoûte?Plusd’unmoisdetonsalaire.—Fais-moiunprix.—Turigoles?Ilsecoualatêteetfouilladanssapoche.Ilensortitquelquespiècesetplusieursbillets.—J’aiexactementtrente-troisdollarsetquarante-cinqcents,fit-il.Avecça,jepeuxaumoinsrester

unepartiedelanuit.Jenedisrien,mecontentantdeleregarder.Calebdéglutitetfinitparposersonargentsurlatable

denuitavantdeserallongerdoucementàmescôtés.Enhésitantunpeu.—Onpeutdormirmaintenant?Ilavaitpayéaprèstout.—Oui.Ilreposasesdoigtssurmanuqueetrecommençaàmemasser.Jem’endormispourdebon.Il était toujours là à mon réveil quand je m’appuyai sur un coude pour l’observer. Il était

magnifique, lumineux. Comme un rayon de soleil balancé sur mon corps congelé. Doucement, ilréussissaitàme fairecéder.Àfaire fondre toutes lescouchesdeglacequim’entouraient. Iln’étaitqu’une coïncidence, une rencontre au hasard, et maintenant il était là, dans mon lit, et je voulaisl’embrasser.Pouvais-jel’embrasser?Ilmedonnaitdesfrissons.Ilmedonnaitenviederêver.Envied’ycroire.Enviedechosessimples

etdenormalité.C’étaitdangereuxdemelaisserhapperparCaleb.Avecquelquesefforts,ilpourraitmebriserfacilement.Àcôté,lesquelquesplaiesdemondosneseraientpasgrand-chose.Je tendis unemain vers sonvisage et la posai sur sa joue. Juste ça, le toucher, sans qu’ilme le

demande,sansquecenesoitunerègle,uneexigence.Justeparcequemoijeledécidais.J’écartailesdoigts,caressantsapeau,lecoindeseslèvresrouges.Ellesesquissèrentunsourireet

jem’arrêtai,apercevantsespaupièressesoulever.—Tuesbeau,luiavouai-je.C’étaitunfait,ill’était.Sonregardvacillaet,uninstant,jecrusqu’ilallaitmecontredire.Il se redressaet j’ôtaimamainde sa joue. Il la récupéraet la reposa sur sonvisage, se frottant

contremapaumecommeungrosfélinronronnant.—Toituesmagnifique,chuchota-t-ilentrenous.—Tumeplais,Caleb.—Jesais.J’enfouismesdeuxmainsdanssescheveuxettiraidessus.Ilrenversalevisageetjemepenchaiau-

dessusdelui.—Jenepeuxpas.—Pourquoi?demanda-t-ildoucement.—Parcequ’il fautque jeparte.Etque jenepourrai jamais tedireoù.Niceque je fais.Encore

moinsavecqui.Ils’assombrit.—Onpeutessayerquandmême,Rafael.—Non.—Jepeux…—Non,répétai-jeplusfort,tirantdavantagesursesmècheschâtaines.Tun’aspasàt’imposerça.

Tuasvingtetunans,tuesbrillant.Neperdspastontempsavecmoi,d’accord?Je le relâchai et me levai, mon dos tirant encore un peu, mais moins qu’hier. Caleb me suivit

jusqu’àlacuisine,mecontournaetmebloqualepassage.—Est-cequej’aiaumoinsledroitdedéciderquoifairedemontemps?—Non.—Rafael,tune…Jelepoussaicontrelemurpourlefairetaire, l’emprisonnantentremesbrastendus,leslèvresà

quelquescentimètresdessiennes.Ilrespiraitvite,presqueunhalètement,soncœurfrappaitcontremapoitrine. Il avait quelque chose…Quelque chosequim’émouvait etme faisait trembler. Il avait ceregard…Derrière ces airs sûrs de lui, il y avait de la timidité.Un certainmalaise àme sentir soudain si

proche.—Jemeprostitue,luiassenai-je.Etjebois.Jeneseraijamaisfidèleparcequemonjob,c’estde

baiser.Est-cequetuveuxpassertessoiréesàm’attendre,àtedemandercequemefontlesautres?Est-ceque tu tiens àmevoirmedétruire à chaqueverredavantage?M’entendrehurler,mais êtreincapabledem’arrêter.T’apercevoirdutrounoirquim’entoureetquinedemandequ’àt’aspirer.Est-cevraimentcequetusouhaites,Caleb?Etcrois-tuquemoi,jepuisseimposerçaàquiquecesoit?Ilremontalesbraslelongdemontorse,posalesmainssurmapoitrinenue,lacaressabrièvement

avantdenouerlesdoigtsautourdemoncou.Doucement,presqueaveccrainte.—Donne-moiunechance,Rafael.Uneseule.—Maisunechancedequoi,merde?criai-je.Denousécorcher?Denousdétruire?Queveux-tu

qu’ilsortedebondetoutça?Il embrassa le creux demon épaule et je frémis, troublé par la fraîcheur de sa bouche. Par cet

infimegestededouceur.

—Laisse-nousessayer.Ses lèvres trouvèrentma jugulaire et se posèrent sur la veinequi y pulsait frénétiquement. Il ne

rougissait plus. Il savait ce qu’il voulait.Comment faisait-il ça ?Réussir àm’attendrir, àme fairechavirer ? Aussi facilement. Alors que les autres ne provoquaient en moi que du dégoût et del’indifférence.MêmeCharles…Nem’avait-iljamaisembrassélajoue?Justeunbaiser,justecommeça.CommeCaleblefaisait.—BonDieu,Caleb…Qu’est-cequ’ont’apprendauMITpouravoirsipeudebonsens?—Lapersévérance.—Laconnerie.—Ladétermination.—Arrête.J’essayaidem’écarter,maisilmeretint.Encoreunefois,jefussurprisparsaforce.Parcecorps

enlongueur,puissant.Parmonenviedelui.Maissurtoutparsonenviedemoi.C’étaituneerreur.SiCharlesl’apprenait…Charles…— Juste un café, souffla-t-il. Toi et moi. Sans contraintes, sans promesses, sans rien d’autre

qu’unsimplecafé.Bonsang…—OK?

13Pourquoi l’emmenais-je là?AubardeBob?Peut-êtreparceque j’avaisenviede récupérerma

moto,peut-êtreparcequec’étaitdansunquartierqueCalebn’auraitjamaispenséallervisiter.Peut-êtreparcequej’étaiscertaindenepasycroiserCharles.—Hé,jecommençaisàmedemandersituviendraisrécupérertaDucatiunjour!m’accueillitBob.Ilsortitlesclefsdedessouslecomptoiretmelesenvoya.—Merci,luidis-jeenlesréceptionnant.—Derien.Il observaCalebavecungrand sourire.Bob tenait demoins enmoinsbien son secret en laisse.

Bientôt,ildevraitsedéclarer,ilnepourraitplusfaireautrement.—Qu’est-cequejevoussers?—Expressopourmoi,réponditCaleb.—Lamêmechose.—Çamarche,souritBob.Nousnousassîmesàunetableplusloinetjelefisavecprécautionpournepasraviverladouleur

demondos.Calebplissalefrontenl’apercevant.—Çava?s’inquiéta-t-il.—Cen’estrien.—C’estvraique lesplaiesne sontpasprofondesetqu’ellesne laisserontprobablement aucune

cicatrice.Maiscen’estpaspourautantquecen’estrien.Jecroisailesbrassurlatable,leregardantbienenface.—Jesavaispourquoicetypepayaitetj’ysuisallédemonpleingré,Caleb.Ilaccusalecoupunefoisdeplus,maisneréponditpas.IllaissaBobposerlestassesentrenous,

nousdemandersinousvoulionsautrechoseetrepartirquandilcompritquetoutcedontnousavionsbesoin,c’étaitunpeudetranquillité.J’attendisqueCalebselancedansungranddiscours,maisilmesurpritunenouvellefoisenn’en

faisantrien.Ilsecontentad’ouvrirunsachetdesucreetdeleviderdanssoncafé.Etpuisunautre.Etunautre.Etencoreun.—Tuvasnoyertoncaféavectoutcesucre,ris-je.Ilrelevalevisageetsourit.—Çatevabien.—Quoi?—Derire.Jen’avaispaseutropderaisonsdelefaire,cesdernièresannées.Àcroirequecequim’allaitbien,

c’étaitsurtoutlui.Sasingularité.Sonregardd’ambregris.Sonvisagebotticellien,sespetitesmaniesetsesimperfectionsquilerendaientplusattachantencore.—Etpourrépondreàtaquestion,jetrouvel’expressotropamer.

—Prendsuncafésimplealors.Ilécarquillalesyeux,faussementchoqué.—Maisjevaisfinirparm’yhabituer!Ilestjustedifférentdechezmoi.—DuTexas?Ilhochalatête.—D’Amarillo,oui.Monpèreyaunpetitranch.BeckerR.La patrie des cowboys. J’essayai de l’imaginer là-bas, sans son éternel sac à bandoulière et ses

tachesd’encresurlesdoigts.—Stetsonetboucledeceinturon?demandai-je.Rodéo?—Unpeutoutça,oui.—Santiags?—Aussi,rigola-t-il.Nosmainsétaientposéessurlatable,l’uneprèsdel’autre.Sansvraimentréfléchir, jenouaimes

doigtsauxsiensetjouaiavecsonpouce.—Etquias-tulaissélà-bas?Ilavaitl’aird’untypefaitpourdesbraschaudsetforts.Pourtant,ilseraclalagorgeetsetortilla

sursachaise.Pasvraimentgênéparmaquestion,après toutelleétait légitime.Mais ilyavaitbienquelquechose,quil’oppressaunepetitesecondeavantqu’ilnemeréponde.—BeckerRestisolé,tusais.EtlesTexansnesontpasvraimentouvertssurl’homosexualité.Alors

l’undansl’autre…Ilsemorditlalèvre.—Quoi?—Ehbien,j’aieuunpetitamiaulycée,maiscefuttellementbrefquejenepensepasqueçavaille

lecoupd’êtrementionné.PuisjesuisarrivéauMITetjemesuisunpeufaitengloutirparmesétudes,donc…Non,jen’aipersonnequim’attendoùquecesoit,sic’estlesensdetaquestion.Uneminute…Iln’étaitpasentraindem’expliquerque…—Tun’asjamaisété…avecpersonne?m’étranglai-je.C’estcequetuesentraindemedire?—Nefaispascettetête,Rafael,semoqua-t-il.Jen’aiquevingtetunans,pasquarante.Quevingtetunans?J’auraisditdéjàvingtetunans,moi.Bonsang,commentavait-il faitpour

rester…?Ilétaitmagnifique,unpeutimide,d’accord,maisçanel’avaitpasempêchédem’attendredevant ma porte, hier soir, ni de me rejoindre dans la douche quand je m’étais senti mal, ni des’occuperdemoi,alorsquej’étaiscomplètementnu…— J’attendais juste de rencontrer quelqu’un qui saurait me faire oublier l’aéronautique,

l’aérospatialeettoutlereste,m’expliqua-t-il.Quelqu’unquisoitvraimentimportant.Choquébienplusqu’ilpouvaitl’imaginerparcequ’ilsous-entendait,jeluiretiraimamainetme

levai.—Tut’estrompédepersonne,alors!Ilselevaàsontour.—Jenepensepas.Jelaissaiunbilletsurlatableetquittailebaràgrandspas.Calebmesuivit.

—Attends,Rafael…—Tuneterendspascomptedecequetudis,rageai-jeenpressantlepas.—Trèsbien,si!mebalança-t-il,surmestalons.Jemedirigeaiversmamoto,plusloin,garéesurlepetitparkingetsortismesclefsdemapoche.—Trouve-toiquelqu’und’autre,Caleb!—C’esttoiquejeveux!Bonsang,c’estsiduràcomprendre?J’ouvrismoncoffreetenretiraimoncasque.Ilmel’arrachadesmains.—Arrête,Rafael!semit-ilencolère.Arrêtedet’enallerchaquefoisque…Lesdents serrées, je l’attrapaipar lecoldesachemiseet le ramenaiviolemmentcontremoi. Je

baissaimonregardnoirversluiet,pourlapremièrefoisdepuisquejel’avaisrencontré,ilsemblamecraindre.Avoirpeur.Jeprissonmentonentremesdoigtsetleserrai.Ilgrimaça.Jemerapprochaidavantage.—Tu veux la vérité, Caleb ? sifflai-je.Alors laisse-moi te l’expliquer.Dans une heure, je vais

retrouverl’hommequim’asortidelarueilyadixans,etce,uniquementdanslebutdem’enfermerdans sonmonde. L’homme quim’a offert un appartement, une clientèle friquée en échange d’unejournéeparsemaine.Unejournéeoùilmedéshumanisepourquejesoisexactementcequ’ilveut.Ilmefrappe,meviole,metorture,mebaiseetjeparschaquefoisdechezluienmedisantquec’estladernièrefois.Pourtant,jerevienstoujours.Parcequejeluidoismavie,entreautres,peuimportecequ’ellevautàprésent. Je luidois tout le reste…Alors je le laissechoisir l’heure, lemoment,mesclients, le tarifdemespasses. Ilcontrôle tout, jusqu’auxmoindresdemesbattementsdecœur,auxmoindresdemessouffles.EtlepireCaleb,cequirendcelaencoreplusinsupportable,c’estqu’illefaitparamour.Dixannéesqu’ilm’aime,dixannéesquejelehaissanspouvoirjamaism’enséparer.JelâchaiCalebviolemmentetilreculadeplusieurspas,abasourdi.Jerécupéraimoncasqueetlui

lançai:—C’estcettevérité-làquetuvoulaisentendre?Ilrestasansvoix,secontentantdemelaisserpartir.Jel’observaidansmonrétrojusqu’àleperdredevue.

14—Tuesenretard,m’assenaCharlesenrefermantlaporte.Comme à chaque fois qu’il étaitmécontent, ou pas d’ailleurs, ilme gifla à toute volée.Ma tête

partitetmonsangpulsaàmestempes.—Désolé,meforçai-jeàdire.—Viens!Notredernièrerencontrenes’étaitpasbiendérouléeetjelesentaisfébrile,tendu.Ilmarchavers

son bureau et attendit à l’entrée que je le rejoigne. Je lui passai devant, fixant du regard ses yeuxvoilésdecolère.Deperversité. Ilverrouilladerrièremoiet jemeretrouvaidevantunepetite tablerecouverted’unenappenoireoùétaientpositionnésplusieursobjets.Uncouteau,unematraqueetuneceinture.Auplafond,étaitfixéunmécanismed’oùpendaientdeslienssolidesencuirnoir.Ilavaitdûlefaireinstallerdanslasemaine.—Déshabille-toi.Ilnem’avaitmêmepasembrassé,il lefaisait toujoursquandj’arrivais.Justeaprèslagifle.Mais

pasaujourd’hui.Jemedévêtislentement,luitournantledospourluimontrercequ’ilaimaittant.Lesdéchiruresde

mapeau.Illestoucha,appuyantlàoùladouleurétaitencorevive.—Parfait.J’aimeceLucas,jepensequetulereverras.Jefusnu.Il attrapa mes mains, les passa dans les liens pour les attacher fermement. Sortant une

télécommande de sa poche, il appuya dessus et les bandes de cuir rétrécirent en remontant,m’obligeantàleverlesbras.Quandilsfurentsihautsquejemeretrouvaiancréausolparlaseulepointedemespieds,Charlesrangealatélécommandeets’assitsursachaisedebureau.—Bien,susurra-t-il.Ilfitroulersonfauteuiljusqu’àmoietobservamoncorpstotalementàsamerci.Jebaissailesyeux

verslui,attendantqu’ilm’expliqueàquoiiljouait.Perfide,ilfitroulerlapetitetableversmoi.—Choisis,Rafael,fit-ild’unevoixmenaçante.Jecommençaiàsaisiroùtoutçaallaitmeneretjetiraisurlesliens.Maisj’étaistropbienattaché

pourm’endéfaire.Etpuis,detoutefaçon,jenel’auraispasfait.C’étaitnotreaccord.Aujourd’hui,jen’étaisqu’àlui.Seulementaujourd’hui…—Couteau?soufflaCharles,excitéparlacraintequ’ilfaisaitnaître.Ilcaressalalameaiguisée.—Matraque?Ilsuivitdudoigtlalongueurdel’objet.—Ceinture?

Illafitclaquerentresesmains.C’était l’heure de payer pour lui avoir tenu tête. L’heure de régler nos comptes. L’heure deme

rappelerqu’ilavaittoujoursétéleseul.L’heureduchoixdemadouleur.—Ceinture,finis-jepardire.—Ceinture,répéta-t-ilenminaudant.Oui,oui,trèsbien.Illaprit,lasoupesaets’approcha,lafaisantglissersurmontorse.—Onpeutfairetellementdechosesavec,souffla-t-il.Tellementdechoses…Ilglissadansmondosetjecrusmourir.C’étaitmaintenant.Ilallaitmetuer.Maislamortnevalait-

ellepasmieuxquecetteviedeservitude?Non!Lamorsureducuirsurmesfessestendittouslesmusclesdemoncorps.J’agrippailesliensentre

mespoingsetserrai.Lesecondcoupfutplusdouloureux.Jemecambrai.—Ouimonamour,commeça,gémit-il.Le troisième déchira ma peau et Charles récupéra les gouttes de sang sur sa main. Il m’en

badigeonnaledos,pinçantlesplaiesqu’unautresalopardavaitlaissées.Lequatrièmem’arrachauncri.Lecinquièmemanquademefairetournerdel’œil.—Oui,jubilaitCharles.Ilarrêtapourpasserlaceintureautourdemoncouetl’attachacommeuncollierpourchien.Ses

doigtsétalèrent le sangqui s’écoulaitdemesplaieset sesmains rouges laissèrentdes traînées surtoutemapeau.Iltirasurlaceinture,manquantm’étrangler.Ilaimaittellementquejesouffre,pourquoil’aurait-il

fait?Il me prit violemment jusqu’à ce que je ne devienne plus qu’un pantin désarticulé, qu’une

marionnetteentresesmainsdesadique.Etpuistoujourscesmots,cestroismotsqu’ilm’offraitcommeuncadeauempoisonné.Alorsque

jepuaislesang,lesperme,quej’étaissuspenduauplafond,àsamerci,perdu,voulantmourir.Des mots horribles à mes oreilles. Horribles dans leur sens. Horribles dans ce qu’ils sous-

entendaient.—Jet’aime,Rafael.Jet’aimetellement!Etencore.—Dis-le-moi.Dis-lequetum’aimesaussi.Dis-le!Ilavaitmavie,madignité,mafierté,monhonneur,mesjournées,mesnuits,mescauchemars,mes

rêves.Monamour,jelegardaisenmoi,àl’abri.Iln’étaitpasàlui.Ilneleseraitjamais.—Jesaisquetum’aimes,Rafael.Jelesais!Non!

Mesjambesmelâchèrent;jeperdisconnaissance.Etpuisunvisage…Desyeuxgris…Unepensée…Sauve-moi…

15—Jecroisqu’onafaitdubonboulot,ditAbouenregardantleberceauenbois.Il jeta son pinceau dans un pot de white-spirit et je fis demême avec le mien. Soli brandissait

encorelesien,àlarecherched’unpetitdétailquinousauraitéchappé.Maisnon,ilétaitparfait,tailléavecsoin,lesmotifssculptésavecgoût,peintd’unbleuélectriquechoisiparlamaman,ettoutjustefinid’êtreverniavecunproduitbiocomestible,conçuexprèspour lesmeublesdesnourrissonsetdespetitsenfants.— Anita va pouvoir respirer, dis-je en repensant à son ventre énorme et à son accouchement

imminent.—Onamisplusdetempsqueprévu,soufflaSoli.Il se redressa et jeta un coup d’œil à Mac, étalé dans une chaise longue au milieu du garage,

ronflantbruyamment.—Ilnefautpasoublierleprécieuxcoupdemainirlandais,ironisa-t-il.Jesifflai.—Crois-moi,ilvautmieuxqu’ildorme.Commepourapprouvermesdires,lesronflementss’intensifièrent.Mac avait encore passé la nuit dehors et je l’avais récupéré complètement défoncé, à Roxbury,

entourédetypesquicommençaientàs’amuserunpeutropaveclui.Jepréféraisdoncl’avoiràl’œil.EtpuisAmaadoraitqu’ilsoitdanssesjambesquandellecuisinait.Illuiposaittoujoursuneflopéedequestionsauxquellesellerépondaitavecplaisir.Mac aimait la nourriture, presque autant que les drogues qu’il essayait comme d’autres

collectionnaientleschaussures.—JevaisappelerAnitaetluidirequ’ellepeutvenircherchersonberceaudemain.Nous avions mis les bouchées doubles ces deux dernières semaines en nous avisant que nous

avionsunpeunégligénotretravail.Jem’yétaisjetéàcorpsperdu,cherchantàoublierl’ébauchedecesentimentquinaissaitpouruntypeauxyeuxgris.Cedébutdequelquechosequiressemblaitàuneplanterescapéed’unetempête,solidementancréeausol.Pourtant,jen’avaispasrevuCalebdepuisquejel’avaisabandonnédevantlebardeBob.Etj’avais

ététropmallesjourssuivantmonentrevueavecCharlespourvraimentm’ensoucier…Jesecouailatête,chassantcesouvenir.Iliraits’ajouteràtousceuxdeCharles,commeunegoutte

deplusdansunvasequidébordaitdéjà.—Àquoipenses-tuaujuste?medemandaAbou.Àrien.Enfaitsi,àCharles.EtàCaleb…Jen’avaistoutsimplementpaspumerésoudreàluicourirderrièrepourm’excuser.

Etmaintenant,quipourraitluireprocherd’avoirlaissétomber?Moi.Bonsang,pourquoiluienvoudrais-je?

Jepensaisqu’ils’accrocheraitdavantage.Qu’ilnepasseraitpassoncheminsifacilement…Facilement?Quelleironie!Iln’yavaitriendesimpledansmavieetCalebavaitbienfaitd’aller

voirailleurs.Ilmemanque.Deuxoutroisrencontres,unenuit,uncafé,quelquesmotséchangés.Ilnepouvaitpasmemanquer.Ilmemanquequandmême.Mesplaiesétaientguéries.Charlesétaitcalmé.Amasouriait.Soliavaitunenouvellepetiteamie.

Macétaitégalàlui-même.Toujoursàchercherlesennuis,àsemettreendanger.Abouétaittoujoursaussidéterminé,maisc’étaitAbou.J’avaismêmevuBrookeetAlain,unmercredimidi.Nousavionsmangéensembledansunpetitrestaurantprèsdelabibliothèque.Nousavionsparlédetout,derien,deJunior et des chiens, du patron d’Alain qui lui avait offert une promotion. J’étais resté assis enterrassebienaprèsqu’ilsfurentpartis,espérantcroiserCaleb.Maisiln’étaitjamaisarrivéetj’avaisfiniparmelever.Abouclaquadesdoigtsdevantmonvisageetjerevinsauprésentenramassantnoschiffonssales.—Alors?recommença-t-il.Àquoipensais-tu?—Àrien.—Çafaitdeuxsemainesetdemiequetunepensesàrien,mefit-ilremarquer.J’étaisfacilementdistraitcesdernierstemps.Lafauteàunétudiantquiavaitenvahimonespritavec

unefacilitédéconcertante.Aboumedévisagea.—Laissetomber,Abou.Macronflatellementfortquenoussursautâmes.Jerisenmetournantversletransat.—Bonsang!juraSoli.Est-cequ’ilvacontinuercommeçalongtemps?—Jusqu’àcequ’ilseréveille.—Hon,hon…Maisaulieudelesecouerpourqu’ilarrêtesonraffut,Solilerecouvritd’unevieillecouvertureen

leregardanttendrement.Puisilsecoualatêteetpartitverslefrigo,ensortitunsodapourluietdeuxbièrespourAbouetmoi.—Mamaafaitdestacospourcesoir,nousapprit-ilenmefaisantunclind’œil.Ama aimait cuisiner mexicain quand j’étais dans les parages. Ça m’avait toujours touché. Elle

commençaitàselancerdanslesplatsirlandaisdepuisqueMactraînaitdanslecoin.Maisiln’yavaitpasàdire,ilsavaientmoinsdesuccèsquedebonstacos.—Jenevaispluspouvoirbougeraprèsça.—Tuasquelquechoseàfairecesoir?medemandaAbou.Façon subtile de chercher à savoir si je voyais un client. Si ça avait été le cas, je ne lui aurais

sûrementpasdit.Maispourunefois,monvendredisoirétaittranquille.Enfin,presquetranquille.—JevaisaccompagnerMacjusqu’aucluboùildoitretrouver…quelqu’un.Voirs’ilnetombepas

encoresurundétraqué.Soliseraclasoudainlagorge,sebalançantd’unpiedsurl’autre.

—Commentpeux-tusavoirquec’estundétraqué?serisqua-t-ilàdemander.Soliétaitaucourantquejemeprostituais,jeneleluiavaisjamaiscaché.Maisiln’enparlaitjamais

et quandnous le faisionsdevant lui, il trouvait une excusepour s’échapper. J’étais étonnéqu’il nefasse pas comme d’habitude. Abou aussi, de toute évidence. Je lui jetai un coup d’œil, il haussadiscrètementlesépaules.—Jenepeuxjamaisêtresûràcentpourcent,expliquai-je.Mais,engénéral,jesaisreconnaîtreles

clientsviolents.Leursyeux…Leurfaçondenousregarder,plusprécisément.—OK,jevois.Solisesatisfitdecetteréponseetbaissalatête,mettantuntermeàcettediscussion.J’étaissoulagé

qu’illefasse.Ilyavaitdeschosesqu’onaimeraitnejamaisavoiràconfesseràungamindedix-huitansquel’onconsidéraitcommesonpetitfrère.Seulement,jevoyaisbienqueçadevenaitdeplusenplusdurpourlui.Alors,jemeforçaiàajouter:—Tusaisquetupeuxtoutmedemander,Soli?—Jesais,répondit-ilensemordantlalèvre.C’estjusteque…Jen’aimepaspenseràtoi…comme

ça.Ilnevoulaitpasmevoircommeunepute,jecomprenaisçamieuxquequiconque.Iln’étaitpasle

seuldureste,AbouetAmanelesouhaitaientpasnonplus.Solishootadansunpetitmorceaudebois.—EtjeneveuxpasnonpluspenseràMaccommeça.Savoir…Ilsecrispaetposaviolemmentsonsoda.—Jenepeuxpas,c’esttout!laissa-t-iltomberavantdequitterlegarageaupasdecharge.Ilclaqualaporte,faisantsursauterMacdanssontransat.—Aumoinsc’estsorti,meditAbouentapantsurmonépaule.C’esttoujoursmieuxquedelevoir

ruminersansjamaisriendire,depeurdetevexer.—Jepréféreraisqu’ilm’insulte,qu’ilmecriedessus.—Ilt’adore,Rafael.CommeMamaetmoi.Ils’inquiètepourtoi,c’estnormal.C’estcequ’onfait

quandonaimeunepersonne.Onpriepourlasavoirheureuseetensécurité.Jefinismabièred’unetraite.—Tudevraisallerluiparler.—Pourluidirequoi?Abouhaussalesépaules.—Lavérité,Rafael.Ensoufflant,iljetauncoupd’œilàMacquis’étaitdéjàrendormi.—Pourluiaussions’inquiète.—Moiaussi,luiavouai-je,enretournantverslamaison.Tellement,parfois,queçamefaisaittournerenrondpendantdesheuresdansmonappartement.Et

quejefinissaisparsillonnerlesruespourtrouverMac.Souvent,ilallaitbien.Etparfois,pasdutout.JeretrouvaiAmaàlacuisine,enpleinepréparationdestacos.Jeluiembrassailajoueetmisma

maindansleplat.Jemeramassaiuncoupdecuillèreenbois,maisjepersistai.Ellerit.—Soliestsorti,m’apprit-elle.Ildoitêtredanslarueaveccesdeuxvoyousdevoisins.

—TuparlesdeCametdesonfrère?—Oui,biensûrquejeparled’eux!Àsécherlelycée,àfumerleurscigarettes,àembêterlesfilles.

Desvoyous,jetedis!Jesourisetl’étreignisbrièvement.—Çava,Ama,onavupiredanslecoin.Ellerenifla.—MonGoras’estlaisséembrigader.JenelaisseraipasmonSolisuivrelemêmechemin.—Çan’arriverapas.Non, parce qu’elle veillait au grain. Si Gora était tombé dans le trafic de drogue pour aider

financièrementsamère, il l’avaitvite regrettéquandils’était retrouvéàfrayeravecdespersonnesquin’avaientpashésitéàluimettretoutsurledosquandunetransactions’étaitterminéeenfusillade.Deux jeunes étaientmorts, deux gamins des beaux quartiers, deux blancs. Gora n’avait eu aucunechance.Maintenant,ilvoyaitsafamilledansunboxdelaprisond’étatetrabâchaitàsonpetitfrèrederesterdansledroitchemin.Denejamaiss’enéloigner,mêmepourdebonnesraisons.JetrouvaiSoliàquelquespasdupetitjardin–unsimplecarréd’herbequ’Amaavaitrentabiliséen

faisant pousser quantité de fleurs et d’aromates. Il discutait avec Cam, sourire aux lèvres et,effectivement,ilavaituneclopeaubec.Sonamilaluiarrachadelabouchequandilm’aperçut,maistroptard.IlpoussaSoli,quitournalatêteversmoiengrimaçant.IlabandonnaCametrevintversmoiàgrandspas.—DisrienàMama,s’ilteplaît,mesupplia-t-illesmainsjointes.IlressemblaitvraimentàAboucommeça.—Siellelesait,ellevamezigouiller.Rafael,tuaurasmamortsurlaconscience!Il n’y avait pas que les irlandais qui avaient le drame dans la peau. Les afro-américains aussi,

apparemment.Jelevailesyeuxauciel.—Jenevaisrienluidire.—Merci,soupira-t-il.—MaisjevaisenparleràAbou.—BonDieu!jura-t-il.C’estpireettulesais!Jerisentirantsursesdreadlocks.Ilentralatêtedanslecoupourm’échapper.Il avait beau être un jeune de dix-huit ans, je ne voyais que le gamin de neuf ans que j’avais

rencontré,avecsacoupeafroetsesgrandsyeuxnoirs.Desannéesdéjàquejevenaismangerchezlui,unefoisparsemaineminimum,quejedormaisdanslachambred’amisquandj’allaismal.Jel’avaisamené à l’école, au collège et au lycée. Je lui avais appris à se battre quandAbouy avait échoué.Pourtant,jeneluiavaisjamaisparlé.Etiln’avaitjamaisriendemandé.Jusqu’àaujourd’hui.—Tum’enveuxpourtoutàl’heure?murmura-t-il.—NonSoli.Jemedisjustequ’ilfaudraitpeut-êtrequ’onparle.Ilsecoualatête,pinçantseslèvres.—Jen’ensaisrien,fit-ilmalàl’aise.JevousentendssuffisammentavecAbou.Jen’aipasbesoin

quetumerépètescegenredechoses.

J’inclinailevisage.—Ettoi,tum’enveux?Ildéglutit.—Parfois.Parcequetupourraisvivreàlamaison.Etlaissertomber…Il regarda à droite et à gauche, il n’y avait personne. Nous étions seuls dans la rue, devant la

maison,àl’abrid’unpetitarbrequ’Amaavaitplantédenombreusesannéesauparavant.—…Charles,chuchota-t-il.Jeglissailesmainsdansmespoches.Onenrevenaittoujoursaumêmepoint.—Vousneroulezpassurl’or,Soli.Unebouchedeplusànourrircen’estpasrien.—Ceseraittemporaire,letempsquetuteretournes.—Soli…—Situn’avaispasdonnétouttonfricauxautresaussi!s’énerva-t-il.Illeregrettaaussitôtetsoufflafortenbaissantlatête.—Tuesmonfrère,Rafael.Jeneveuxpasqu’ontefassedemal,d’accord?Ému,jeposaiunemainsursanuque.—D’accord.Ilse racla lagorge,gênéparsesyeuxquibrillaient. Je le laissais’échapperpourmecacherses

larmes.Ici,leshommesnepleuraientpas.Pasdanscetterue.Pasdanscequartier.Pasdanscettepartiedelaville.Jet’aimeaussi,Soli.Jeneleluidispas.Maisj’étaiscertainqu’ill’avaitcompris.Mon téléphone sonna. J’avais encore lesyeux rivés sur la portequeSoli venait de refermer, un

drôlede sentiment au fondde lapoitrine. Je répondis sansvérifierdequi il s’agissait et reconnusaussitôtlavoixdeCharles.Ellevints’immiscerdansmonoreilleàunmomentoùj’auraisvouluneplusjamaisl’entendre.—Qu’est-cequetumeveux,Charles?m’énervai-je.—Tutelaissesaller,Rafael!mereprit-ilimmédiatement.Ilsetrouvequenoussommesvendredi

etquetumedoisencoreunpaquetd’heures.Unaccordestunaccord.Tuveuxquejet’enrappellelestermes?MamâchoiresecontractaetjetournailedosàlamaisondesFinch.—Inutile.—Tuenescertain?—C’estbon,Charles.—Trèsbien!Alorsjeteveuxdansdeuxheuresdansmesbureaux,àgenouxetmaqueuedansta

bouche.Tuasentendu?—Oui,crachai-je.Ilrit.Cemauditrire.—Nechangeriensurtout,Rafael.Gardecettehumeurettuensubiraslesconséquences.Ettusais

commej’aimetepunir,monamour.

Jelesavais,oui.—Dansdeuxheures.—J’yserai.—Nesoispasenretard,surtout.Jeraccrochai,serrantmonportabledansmonpoing.J’avaisenviedelejeter,delefracasserausol

et de le laisser aumilieu de la route, enmorceaux. Il ne pourrait plus sonner, il ne pourrait plusm’appeler.Ilnepourraitplustoutmeprendre.

16—Mac,bouge-toi!—Oui,oui!Jen’avaisplusqu’unedemi-heurepourdéposerMacàsonclub,voirsonnouveauclientetfilerà

laSkyline,oùsetrouvaitlesiègedel’entreprisedeCharles.Mangerlestacosd’Amaavaitprisplusdetempsqueprévuetj’avaisl’estomacsurlepointd’exploser.Etmaintenant,c’étaitMacquiprenaitsontemps!Je commençais vraiment à perdre patience, quand il sortit enfin de sa chambre. Quelle idée de

passerparsonappartementpourqu’ilpuissesechanger!Jesavaispourtantqu’ilmettaitdesheuresàchoisirunpantalonetunechemise.—Mevoilà!Jeledétaillai.—Çava?demanda-t-il.Un pantalonmoulant et une chemise qui l’était encore plus. Avec ses cheveux roux et ses yeux

verts, il était vraiment à croquer. Seulement, habillé comme ça, j’avais plutôt envie de le ramenerchezAmapourqu’ellel’enfermedansunechambrejusqu’aumatin.Bonsang!Non,çan’allaitpasdutout!—Çavaoui,répondis-jequandmême.Jepassaiunbrasautourdesesépaulesetembrassaisajoue.J’auraisjustevoululemettreàl’abri.

Noussortîmesdesonappartementsansriendire.Jeroulaivite.Macm’enlaçaetserramatailledetoutessesforces,suivantmesmouvementsavec

souplesse. Ce n’était pas la première fois qu’il montait derrière moi et parfois, dans des étatsimpossibles.Iln’étaitjamaistombé,nem’avaitjamaisdéséquilibré.Ilsecollaitàmoietnebougeaitplus.Vingtminutes.Jepouvaisencoreyarriver.Je me garai et descendis à toute blinde, tirant Mac derrière moi. Les videurs à l’entrée le

connaissaientetnouslaissèrententrerdansleclubsansfaired’histoire.Accoudé à l’un des bars, un blond attendait tranquillement. Je le reconnus aussitôt. Pas difficile,

c’étaitBrandon.Soulagé,jemetournaiversMac.—Jeconnaisceconnard,luidis-je.Net’attendspasàlapluspetiteconsidération.Maclevalesyeuxauciel.—J’yairenoncédepuislongtemps,figure-toi.Jem’endoutais,maislelaisserauxmainsdeBrandonétaitladernièrechosequej’auraissouhaitée.

Aumoinsceseraitrapideetpasdouloureux.C’étaitdéjàça.—Faisattentionàtoi,Mac.—Toiaussi.Jel’enlaçaibrièvementavantdemedétourner.

—Hé,Rafael,merappela-t-il.—Quoi?Ilpointadumentonl’autreboutdelasalle.—Cen’estpaslegaminquim’asoignélepoignetàCambridge?Jemeraidis,reconnaissantlasilhouettedeCalebaumilieudelafoule.Etsesyeuxsurtout,braqués

surnous.Marespirationsefitpluscourte.Moncœurbonditdansmapoitrineeteutunraté.Merde!Ilétaitencoreplusbeauaprèsquinzejours!J’avaisenviedetraverserlapiste,deleblottircontremoietdeluidemanderdem’excuser.Plusqu’unquartd’heure…Jedevaispartir.Mêmesisonregardmesuppliaitdefaireunpasvers

lui,delerejoindre.Charles…Encore…Quimetiraitenarrière,quim’éloignait.—Àplus,Mac.—Àplus,chéri,répondit-ilavectristesse.Ilavaitvulestraitsdemonvisagechanger,seteinterdenoirceur.Defatalitéetdedouleur.Decette

vérité,cetteabsoluecertitudequequoiqu’iladvienne,lecheminneseraitjamaisdégagédevantmoi.Ilyauraittoujoursquelquechose,quelqu’unàvoir,uncorpspourprendrecequejen’auraisjamaisvoulu donner. Pourtant, j’avais attendu Caleb. Je l’avais attendu, espéré, cherché depuis deuxsemaines. Et il était là, comme la réponse à une prière. Il était là, mais avec d’autres, s’amusant,profitant,faisantcequetouslesétudiantsfaisaient.Ilvivait.Etmoi,jem’enallaismebriserunpeuplus,mefairemal.Jeressortisduclubensaluantlesvideurs.Jenel’entendispasmesuivre,nim’appeler.Pasavant

quejenemontesurmamotoetqu’ilposelamainsurleguidon.—Rafael,fit-ild’unevoixbasseetrauque.Attends.Jefermailesyeux.—Jenepeuxpas,Caleb.Jedoisyaller.Il se raidit, comprenant sansque je lui dise.Alorsque j’auraisvouluqu’il ignore tout.Qu’il ne

sachejamais.—Çafaitseizejoursquej’essaiedetevoir,m’apprit-il.Tun’esjamaischeztoiquandjepasse.Tu

nerépondspasàtonportablequandjet’appelle.EtmêmeBob,lebarman,n’apasvoulumedireoùtetrouver.Jepenchailatêteverslui,plissantlesyeux.Qu’est-cequ’ilracontait?D’accord,jen’avaispasété

beaucoupchezmoicesdernierstemps,dumoinsunefoisquej’avaisréussiàsortirdemonlitaprèsqueCharleseutviolemmentprofitédemoi.Maisj’avaistellementbuquejen’auraisrienentendudetoute façon. Et ma porte était verrouillée, la clef laissée dans la serrure, pour empêcher Aboud’entrer.Quantàmon téléphone, jene répondaisqu’auxnumérosque jeconnaissais etque j’avaisenregistrés.Etjen’écoutaisjamaismesmessages,ninelisaislestextos.J’enavaistropreçuvenantdetarés,etdepuis,jeleseffaçaisautomatiquementsanslesconsulter.Cequemesprochessavaient.MaispasCaleb.Etpuis…—Jenet’aijamaisdonnémonnuméro,mesouvins-je.

Ilsefrottalesyeux,commes’ilétaitagacéquejerelèveundétailquiavaitsipeud’importance.—Ehbien,jel’aiquandmême.—Legénieeninformatique?—Oui…Écoute,Rafael…Jedémarraimamoto,elleronfla,luicoupantlaparole.—Jedoisvraimentm’enaller.Sesépauless’avachirentetilsemblasitristetoutàcoup.Sifragile.Presqueenfantin.—Demain,Caleb,luiproposai-je.Situveuxpasser,jeserailà.Jevoulaisqu’ildiseoui.Qu’ildisenon.—D’accord.J’enfilaimoncasquepourluimasquermesyeux.—Àdemainalors,dis-jed’unevoixunpeutrouble.—OK.Ils’écartaetjel’observai.Etd’unsimpleregard,ilmesemblaentendretoutcequ’ilpensait.Les

mainsdanslespoches,ildevaitsedemanderoùj’allais,quijerejoignais.Siçaavaitdel’importancepourmoi.Sij’allaisaimerça.Etrienqued’ypenser,çaluiretourneraitlestripes.Peut-êtrequ’ilsesentaitcon,làsurcetrottoirencherchantàsavoirs’ilexistaitencoreunmoyendemeretenir.Demefairerevenir.Cen’étaitmalheureusementpaslecas.Jelelaissaiderrièremoidansuncrissementdepneus.Underniercoupd’œildanslerétroetj’accélérai,tournantauprochainfeu,doublantlarangéede

voituresetslalomantdangereusemententrelesautomobilistesbostoniens.Jesuisdésolé.Jel’étaistellement.

17Je me garai dans le parking, jetant un œil sur ma montre. Je grimaçai en prenant l’ascenseur

jusqu’audernierétage,lebureaudeCharles,ettombaisurluidèsquelesportess’ouvrirent.—Encoreenretard!mebalança-t-ilsuspicieuxenmerepoussantdansl’ascenseur.Ilappuyasurunboutonenmedévisageant.Jereculaiverslacloison.—Queldommage,susurra-t-il.Ilyaunpetitchangementdeprogramme.Jenevaispaspouvoir

profiterdetoicommej’enavaisenvie.Ilsourit.—Lesaffairesvois-tu,monamour,m’expliqua-t-il.Quelqu’und’autreàbaiser.Aurez-de-chaussée, ilsalua legardienetm’attrapalebras,mepoussantversunelongueberline

noireauxvitresteintées.Unchauffeurendescenditetouvritlaportièrearrière.—Faisdoncletrajetavecmoi,Rafael,m’ordonna-t-il.Je montai sans me poser de question ; c’était son heure, après tout. Il donna une adresse au

chauffeuretremontalavitredeséparation,sortantdesapochesontéléphonequisonnait.Ildécrocha,agacé.—Qu’est-cequ’ilya,Marley?fit-ilavechumeur.Assissurlabanquetteenfacedelui,jel’observaisansbouger.Charlesmefixaavecuneintensité

malsaineetunecolèrenondissimulée.Ilauraitaiméquejem’agenouilledevantlui,sansqu’ilmeledemande,seulementparcequej’enavaisenvie.Cen’étaitpaslecas.J’étaissapute,passonhomme.Ilavaitdesexigences,illesexprimait.Etjem’ypliais.—Règleça,Marc!...Quoi,encore?Marcétaitsonassistant,etsondéfouloirlaplupartdutemps.Ilenfaisaitcequ’ilvoulait,parceque

cepauvreMarcétaitamoureuxdesonpatrondepuisqu’ilavaitquittélafacpourentrerauservicedeCharles.—Nemeforcepasàteréexpliquerleschoses!gueulaCharles.Non,jeneveuxpasdetoi,cesoir!Ilraccrochabrutalementetpointalabanquetteàcôtédelui.Jechangeaideplaceetilmetiraàlui

pourmeblottirpoussivementdanssesbras.Ilcaressamescheveuxdansunsoupir.Jemetendis.—J’auraisvraimentaimépassercetteheureavectoi,Rafael.Jemerattraperaicettesemaine.Jem’écartai,Charlesmeretintbrutalement,attrapamanuqueetm’embrassa.—N’es-tupasbien, ici, avecmoi?medemanda-t-il.N’as-tu jamaisvouluplusquecequenous

avons?Non,jamais.Pasuneseconde.J’aicherchélemoyendetefuir,derevenirenarrière,dequitterta

route,maisjen’ysuispasparvenu.Tuastoujourstrouvélemoyendemeretenir.Encoreaujourd’hui.—Sinotreaccordneteconvientplus…—Biensûrquesi,s’énerva-t-il.Jeteparled’autrechose,Rafael.

J’étendislesjambessurlabanquette,Charlescaressamontorse,passalesmainssousmonpull,medéfiantdeluidemanderd’arrêter.Jemeforçaiànepasm’écarter.Alorsquejenerêvaisquedeça.D’êtreloindelui.Siseulementc’étaitpossible.—Jetevoudraischezmoitoutletemps.Jevoudraisquetum’attendesquandjerentretard.Quetu

me rejoignes àmon bureau quand je temanque.Que tume demandes de te fairemal, que tumesuppliesmême.Quetudormesdansmonlittouslessoirs.Ilm’observa,attendantuneréponse.—Cen’estpaspossible,Charles.—Pourquoiçaneleseraitpas?fit-ilensepenchantversmoi.Cequej’aifait,jepeuxledéfaire.Et

jet’aifait,Rafael.Jepeuxtrèsbienteretirerdumarché.Jequittail’étaudesesbrasquidevinrentsoudaintropétouffants.—Etàquellecondition?Ilsourit,doucereuxetcalculateur.—Celleden’êtrequ’àmoi,évidemment.Jesecouailatête,mêmesijedevaispayercettehonnêteté.—Jesuisdésolé,Charles.Maisnon.Sonregardperditlepeudetendressequ’ilavait.Ildevintfroid,dur,manipulateur.Ildevintmortel.Ilbonditsurmoietm’attrapalecou.Ilserraetmefrappaviolemmentàlapoitrine.J’auraisdûavoirpeur.Maisjeleconnaissaistellementbienquemêmesescoupsj’yétaishabitué.—Pourquoi?hurla-t-il.Pourquoinemeveux-tupas?Quicompteplusquemoi?Qui,Rafael?Ilmegifla,fouderage,mesecouantcommeunpommier,mebalançantd’uncôté,d’unautre.Mais

jen’avaispasmal.J’étaisjusterésigné.—Jet’aitoutdonné!cria-t-ilencoreplusfort.Tout!Queveux-tudeplus?Caleb.Cetteidées’imposad’elle-mêmeetmepritaudépourvu.Jenem’yétaispasattendu.Pascommeça.

Pasmaintenant.Caleb.Meplier à sesdésirs à lui.Apprendre tout ceque je n’avaispas compris, tout ceque j’ignorais

encore.L’amour, la douceur, l’attachement, la langueur.Cequi n’existerait jamais entreCharles etmoi.Pasdanscemonde.Passoussesmains.Pasdanscecœur,niaveccetteaffectionmauditequinefaisaitqueblesser.Caleb,lui,avaitunregardquiguérissaitetunsourireémouvant.—Tumedoistout!continuaCharlesens’acharnantdeplusbelle.Tout,tuentends!Sansmoi,tu

n’esrien!Oui,sansdoute.—Arrête,dis-jeenlerepoussant.LavoituresegaraetCharlesse laissa tombersursonsiège, tirantsursoncostume,essoufflé. Il

passaunemaindanssescheveuxpourlesrecoifferetrepositionnasacravate.

Jemeredressai,unpeufourbudem’êtreencoreprisuneraclée.Pourtant,celle-cimeparutplusjustifiéequelesautres.Jelacomprenaisaumoins.Cen’étaitquelafrustrationdenepouvoirobtenircequ’ildésiraittant.Peut-êtreunpeudesouffranceaussi…Etillaméritaittellement.Alorspourquoimepenchai-jesurlui?Pourquoil’embrassai-je?Mêmebrièvement.—Jesuisvraimentdésolé,luimurmurai-je.Pourquoi,oui?Jesortisdelavoiture,enfouislesmainsaufonddemespochesetremontailarue,lesyeuxbaissés.Peut-êtrequesijel’avaisaimé,mavieauraitétédifférente.Maisjen’avaisjamaispuet,pourm’en

punir,Charlesavaitpassédixansàmetorturer.Peut-êtreétait-cemafaute?Peut-êtreétait-celasienne?Peut-être aurais-je pu faire autrement ? Mentir encore ? Lui retourner des sentiments que je

n’éprouvaispas?Maisquelquechosem’enavaittoujoursempêché.Etaujourd’hui,quandjepensaisàCaleb,jecomprenaispourquoi.Cequejevoulais,cen’étaitpas

lanoirceurdeCharles.Maisunpeudelumière,unpeudechaleur.Jevoulaislalueurd’unregardgrisquand,unjourdehasard,ils’étaitsoudainretrouvédevantmoi.Jevoulaisjusteycroire.

18Onfrappaitàlaporte.Jejetaiuncoupd’œilàl’horloge–minuitetdemi.Devantlecomptoirdela

cuisine,unebouteilledanslamain,j’étaissurlepointdemeservirunverre,etunautre,etencore…etainsidesuitejusqu’àm’écrouler.MapetitediscussionavecCharlesm’avaitvidé.Alorssic’étaitMacquiétaitpassémevoir,j’étais

désolé,maisjenepourraisrienfairepourluicesoir.Boireétaitleseulcouragequ’ilmerestait.Etsic’étaitAbou,dèsqu’ilcomprendraitqueCharlesm’avaitencorefrappéetquejel’avaislaisséfaire,ils’énerverait.Forcément,ilnepouvaitpassavoir…Pasmaintenant.Jefiscoulerleliquideambrédansunverre,observantcettecouleurfascinantecommesielleétait

un remèdemiracle. Pour quelques heures peut-être que ça m’apaiserait.Mais au bout du compte,après,çaseraitencorepire.Jemelaissaiglisserausol,lesjambesramenéescontrelapoitrine.Jefrissonnai,sansdouteparce

quejeneportaisriend’autrequ’uncaleçon,quemescheveuxdégoulinaientencoredansmondos.Jen’avaispasl’énergied’allerm’habiller.Àlaporte,lescoupsretentissaienttoujours,insistants.Jerenversaiunelampéedewhisky–lapremièredelajournée,aufonddemagorge.Çamebrûla

etme fit du bien, tout à la fois. Il n’y avait rien de tel pourme faire passer le goût amer quemelaissaientmesrencontresavecCharles.Àpartpeut-êtrecettevoix,étrangèreetbizarrementfamilièrepourtant.—Ouvre-moi,Rafael.Caleb?Mamainseresserrasurleverreetjereposaimoncrânecontrelemur.—Tum’asditdepasserdemain,dit-il.Cefutcommeunmurmuredansl’appartement.—Noussommesdemain.Nousétionssurtoutlemilieudelanuit!Lemomentoùjedevenaisvulnérable.Faibledetout,de

Charles.Delui?—Jevaisattendre,tusais.Jusqu’àcequelesoleilselève,jusqu’àlafinduweek-ends’illefaut.

Jusqu’àcequetusortes.Jelesoupçonnaid’enêtrecapable.Etl’idéemefitsourire.Jemeredressai,étrangementattiréverslui.J’aimaissaforcetranquilleetsessouriresfrancs.Etmalgrémoi,j’avaisenviedesoncorpsfélin,

desesyeuxperturbantssurmoi.Jemedemandaiscequej’éprouveraisàêtredanssesbras.Cequeluiressentiraitàêtredanslesmiens.J’agrippailapoignée,hésitaiencore,maisfinisparouvrir.Etilétaitlà,lesmainsdanslespoches,

sonépauleappuyéecontrelecadrandelaporte.Toujoursautantdébraillé,commes’iln’avaitpaseu

letempsdefinirdes’habiller.Beau,splendidedanssonincertitude.Etpourtantsidéterminé.Jene savaispluscomment fairepour le repousser.Et encoremoinscommentêtre capablede le

retenir.Puisçan’eutplusd’importancepuisqu’ilsemblaitavoirchoisipournousdeux.Calebentra,refermaetrestadroitdevantmoi,fouillantdanssapochepourenressortirquelques

dollars. Et juste de voir trois billets verts qu’il laissa tomber dans le vase en verre, posé sur laconsoledel’entrée,làoùj’avaismisl’argentqu’ilavaitlaisséladernièrefois,quandilavaitpassélanuitici,merassura.C’étaitcommeundroitdepassage,légitimantsaprésence.Jepouvaisrespirer,j’étais en terrain familier.Caleb avait compris que j’en avais besoin. Il ne s’était jamais considérécommemonclient.Iln’allaitrienexiger,rienprécipiter.C’étaitjusteunefaçondebernermonespritconditionné.Jetendisunemain,dégageaisesmècheschâtainesdesonfront,caressaisajoue.Ilserapprocha,

orientantsonvisageversmoi.Etsabouchesouriante,seslèvresàunsouffledesmiennes.Plusprèsencore.J’enfouismamaindanssescheveuxet lesempoignaipour l’arrêter.Sesdoigtsseposèrentsurmonventre,letouchantdoucementenremontantversmapoitrinepourresterau-dessusdemoncœurquigalopaitetseheurtaitàmacagethoracique,cherchantàs’enéchapperpourseblottirencoreplusprèsdeCaleb.Làoùilseraitauchaud.Peut-êtreensécuritéaprèstout.—Embrasse-moi,murmura-t-il.L’embrasser?—Embrasse-moi,Rafael.J’encrèved’envie.Mais quemedemandait-il au juste ?De posermes lèvres sur les siennes, juste un instant ?D’y

mettredelaferveur?Leplaquercontreunmuretfouillersabouchecommeunaffamé?Ilyavaittellement de façons d’embrasser et il n’avait pas précisé comment…Comment il voulait que je lefasse…Jesecouailatêteetlerelâchai,reculantdeplusieurspas,descentainesdevisagesdansantdevant

mesyeux.Tousceshommesvinrents’interposerjustelà,entrenous.Toutescesbouchesquej’avaisconnues,et...Etjenesavaisplus…Caleb vint se nicher contremoi. Il posa lesmains surmes hanches et il n’y eut plus que lui de

nouveau.J’avaisconnuledésiravant,quandjen’étaisqu’unadolescentquiavaitunevie,unefamille,etqui

était amoureuxdeSandro, sonvoisin.Mais jen’avaispas souvenirqueçaeutétéaussi fort.Calebavaitquelquechoseenplus.Devraimentétonnant.Le tenant contremoi, je fis un pas vers la chambre. Il se raidit un instant avant de suivremon

mouvement.Ilenfouitsonvisagedansmoncou.C’étaitpresqueunedansequinousmenajusqu’aulitoùnousnousglissâmes,l’unsurl’autre.Sousmoi,Calebcaressaitmondos,plongédansmonregardnoir.Ilétaitchaud,entêtant.Peut-être

unpeucraintifaussi.—Embrasse-moi,répéta-t-ildansunsouffle.Ilenavaitenvie.Etmoiaussi.Lecommentn’étaitqu’undétail.Ilvoulaitmeslèvres.Alorsjeles

déposairespectueusementsurlessiennes,mesoutenantdemescoudesposésdechaquecôtédesonvisagemagnifique.

Sa bouche était fraîche, douce, incroyable. Il avait un goût de menthe, de bière. Et autre chosed’inconnu,depluspersonnel.D’intime.Salangues’entortillaautourdelamienne.Sesgémissements,sesreinsquisecreusèrent,sesmainspartoutetsajambeenrouléeàlamienne,c’étaitcommerenaîtresoussesdoigts.Devenirquelqu’unpourunefois.C’était langoureux et ça me faisait peur. C’était trop fort, trop tôt. Je commençai à jouer avec

l’élastique de son caleçon, puis avec les boutons de sa chemise. Il s’enfonça davantage dans lematelas,commes’ilvoulaitcollersondospournepluspouvoirbouger.Quandjefrôlaisonérection,toutdevintunpeufou,excessif.—Rafael.Attends,tu…Ilgrogna,sonsexedurcaressalemienet…Calebgémit,excité…—Rafael,répéta-t-ild’untonincertain.Jeme rappelai soudain queCaleb n’avait jamais connu personne et jem’écartai légèrement. Je

retombaiàcôtédeluisurleflanc,sanstoutefoisréussiràm’endétachercomplètement.Ils’appuyasuruncoudeensemordantlalèvre.—Excuse-moi,luidis-je.Ilavaitlesjouesrougesetlesoufflecourt.Jefronçailessourcils.—Enfait,jenesuispasdésolédutout.—D’accord,rit-il.Tantmieux.Ilredevintsérieuxetselaissatombersurledos,lesyeuxrivésauplafond.—J’aienviedetoi,souffla-t-il.Mais…Iltournalatêteversmoi.Etilyavaittantdedésiretdefrustration,tantdequestionnements.Tantde

tristesseaussi.Jeneluienvoulaispas.Ilavaitunmillionderaisonsderefuserd’allerplusloin.Alorsque,moi,jen’avaisqueçaàluidonner.—Çava?luidemandai-je.Ilétaitdevenumorosel’espacedequelquessecondes.Uneombretraversasonregard,avantdes’en

échapper,aussivitequ’elleétaitapparue.—Oui,sourit-il.Saufquejel’avaisvue,lapetitenoirceuraufonddesesiris,commel’échod’unedouleur.Etquila

luireprocherait.Ilyavaittantdequestionsqu’ilseforçaitànepasmeposer.Quand?Qui?Où?Pourquoi?—Personnenevientjamaisici,luiavouai-je.Jeveuxdire...aucunclient.Sonsourirevacillaetfinitpardisparaître.Jeluiprislamainetlaposaisurmapoitrine.—Tucomprends?—Jecomprends,oui.—Tufinirassûrementparmehaïr,Caleb.Dèsdemain,situesaussiintelligentquetuledis.Mais

là,cesoir,danscettechambre,iln’yaquetoietmoi.

—Oui?—Oui.Ilselovacontremoi.Jetirailescouverturessurnous.Au-dessusdenostêtes,lesdrapsformaient

commeundôme,nouscoupantdel’extérieur.Et je l’embrassai encore, encore et encore, ses mains retenaient les miennes pour m’empêcher

d’êtretropaventureux.Jeris,ilsetut.Unsilence,avantquejem’emparedenouveaudesabouche.Etque je l’embrasse jusqu’à cequenousnous endormions, entortillés l’un autour de l’autre, commedeuxbrinsd’ADN.

19Calebétaitétalésurmoiquandjemeréveillai,etj’étouffais.Jerepoussailacouetteetessayaide

medégagerdoucementdesonétreinte.Plusj’essayais,plusils’accrochait.Jen’étaisabsolumentpasdumatin,etmesentirretenuaufonddumatelasauraitdûmefairepaniquer.Maisnon.J’oubliaimagrognematinaleetrisenvoyantlemanègedeCaleb.Mêmeendormi,ilcherchaitàmeretenir.—Allez!m’écriai-jeauborddelasyncope.Fais-moiunpeud’air!Calebsursauta,seredressa,pourchavireraussitôthorsdulitlatêtelapremière.Jesecouailatête,

retenantunéclatderire.—Merde,jura-t-il.Bonsangde…Ilsereleva,semassant lefrontenmejetantuncoupd’œilassassin.J’yrépondisenhaussant les

sourcils.—J’aiessayédeteréveillerendouceur.—Ah,oui?fit-il,sceptique.—Oui.Puissesyeuxtombèrentsurmatenue,quienpleinjourparaissaitbienplusindécentequelaveille.

J’étaispratiquementnu.Ilseraclalagorge.Là,enpleinelumière,avecsonsibeauvisageetcecorpstoutchiffonné,seslèvresrougesangetsa

peaud’albâtre,j’avaisdumalàrésister.—Vienslà,dis-jed’unevoixrauque.Cen’étaitpourpersonne,commandéparpersonne,payéparpersonne.Çavenaitdemoi,demes

tripes,demonventre,demoncœur.J’avaisenviedelui,toutsimplement.Caleb s’installa doucement sur le bord du lit, inquiet.Un peu raide. Jem’approchai,m’asseyant

derrière lui, mes jambes contre les siennes. Je l’enlaçai, relevant les cheveux de sa nuque pourl’embrasser.—Jecroisquej’aimebientevoirlematin,susurrai-jeàsonoreille.—Moij’ensuiscertain,murmura-t-il.Il appuya sondos contremon torse,ne laissantpasuncentimètred’air entrenous. Il sentitmon

érectioncontresesreinsetsarespirationsefitplusrapide.Ilseraiditviolemment.—Çava,soufflai-jeàsonoreille.Jevaismetenir,promis.Ilrenversalatêtecontremonépauleetmesdoigtscaressèrentsajoue,sagorge.—Rafael?C’étaitunquestionnement,uneattente,unespoir.Unecrainte,mêmesi jene savaispas trèsbien

d’oùellevenait.Elleétaitlàquandmême.Calebétaitappuyécontremoietilnebougeaitpas.Ilmelaissaitfaire.Ilmedonnaitlepouvoir.Lepouvoirsurlui…Etçapouvaitfairesimal.Ouseulementluifairedubien.L’apaiser.Luidonnercequ’ilvoulait.

L’aimer?Est-cequejepouvaisl’aimer?Jemordissonépaule,souriscontresoncou.Lentementmesdoigtsvinrentseperdresursachemiseetj’ôtailepremierbouton.Calebsetendit

tellementets’appuyasifortcontremontorsequej’euspeurqu’ilneseglissesousmapeau.—Détends-toi,cowboy.—Attends,Rafael.Un second bouton, un troisième, et mes mains caressèrent sa peau, son ventre, mes lèvres

embrassèrentsoncou.Ilhaletaquandjem’approchaidesaceinture,coulaiundoigtendessousavantdel’ôteraussitôt,

repassantsursonjeanpourempoignersescuisses,etmeserraidavantagecontre lui. Ilsedétendit.Pourredevenirréticentà l’instantoùje touchaidenouveaulapeausoyeusedesapoitrine,glissantdoucement sur ses hanches, sur ses bras pour lui enlever sa chemise. Il attrapames poignets pourm’enempêcheretm’embrassasipassionnémentquej’oubliaideluidemanderdequoiilavaitpeur.Pourquoi…Ilgémitcontremes lèvresetçan’eutplusdu toutd’importance.Toutcequicomptait,c’étaitcetteenviedelerenverseretdemeblottirentresescuisses.Mon Dieu, je n’étais pas prêt pour ça. Pour l’absolue certitude de sa bouche qui cherchait la

mienne. Pour ce truc dans mon estomac, dans ma tête, partout, qui s’illuminait alors que jel’embrassaisenleserranttellementfortdansmesbras.Et je continuai toute lamatinée. Etmême l’après-midi, alors que jeme retrouvais, je ne savais

comment,étendudanslecanapédusalon,Calebcontremoi,entrainderegarderunépisodede«LaGuerredesÉtoiles»qu’ilavaitdûvoiraumoinsmillefois,vuqu’ilm’expliquaitchaqueséquencecommesijenepouvaispaslecomprendremoi-mêmeenécoutant.—Merde!m’agaçai-jeenentendantfrapperàlaporte.Jen’avaispasl’intentiondebouger.—Tunevaspasouvrir?s’étonnaCaleb.Non.ÇadevaitêtreAbou.Jeluiavaisfaitfauxbonddanslamatinéeetcen’étaitpasvraimentdans

meshabitudes.MaisjenepouvaispasemmenerCalebavecmoietjen’avaistoutsimplementpaslecouragedelequitter.Demain,jeseraisavecCharles,alorsjevoulaisprofiterdecettejournée,mêmesic’étaitlaseulequenouspartagerionsjamais.—Ilvafinirparpartir,soufflai-jedansl’oreilledeCaleb.J’avaisàpeinefinideledirequ’Aboumanquadéfoncerlaporteenhurlant:—Situn’ouvrespastoutdesuite,RafaelVentes,jevaischercherMama.Lamenacedem’amenerAmafonctionnaitàchaquefois.Surtoutparcequ’ill’avaitréellementfait

àplusieursreprises.Etquepersonnen’aimaitseconfronteraucourrouxdeAmaFinch.Calebhaussalessourcils,amusé.—Mama?répéta-t-il,moqueur.Jelerepoussaipourmeleveravantqu’Abounes’énervevraiment.—QuandturencontrerasAma,turirasmoins.GénieduMIToupas.Jelelaissaidevantlefilmettraînaidespiedsjusqu’àl’entrée.Quandj’ouvris,Aboupartitdroiten

avant,perdantl’équilibrequandsamainnerencontraquelevideaulieuduboisdelaporte.

J’explosaiderirecommejenel’avaispasfaitdepuisunmomentetAbouronchonna.—Apparemment,tuvasbien,s’énerva-t-ilenmepointantdudoigt.AunomdeDieuTout-Puissant,

pourquoi n’appelles-tu pas pour prévenir d’un contretemps ? Soli et Mac retournent la ville à tarecherche.Mamaaiguisesescouteauxettusaiscequeçasignifie?Tuestellement…Ils’arrêtasoudain,fixantunpointdansmondos.Ilabaissaaussitôtledoigt.—Salut,ditCalebennousrejoignant.Abougonflalesjoues,commechaquefoisqu’ilétaitprisdecourt.—Bonjour.Calebtenditlamain.—CalebBecker,seprésenta-t-il.Ons’estdéjàrencontréssurlecampus.—Oui,oui,jem’ensouviens,fitAbou.JesuislepasteurAbouFinch.Étonné,Calebsetournalégèrementversmoi.Jehochailatêtepourconfirmer.—Enchanté,monpère.Le visage de Caleb était devenu légèrement rouge et il avait perdu son assurance coutumière,

comme s’il venait soudain d’être pris en faute. Et dans un sens, c’était le cas. Il était dansl’appartementd’unepute,surprisparunreprésentantdenotreSainteÉglise.Pouruntexan,çadevaitfriserlecrimedelèse-majesté.Mabonnehumeurfoutaitsoudainementlecamp.QuandjemetournaiversCaleb,levisagenoiretlespoingsserrés,ilessayadesereprendreetde

cachersagêne.Maisc’étaittroptard.—Tusavaisquij’étaisavantdevenirici,lapremièrefois,Caleb!luibalançai-je.—Biensûrquejelesais.Jesuisjuste…étonné.—Qu’unpasteurs’enfassepouruneputedansmongenre?Calebplissadangereusementlesyeux,oubliantAbouettoutcequ’ilreprésentait.Ilseplantadevant

moietsacolèrem’impressionna.Elleétaitténébreuse,assezintimidante.J’enauraispresquebaissélesyeuxetreculaid’unpas.— Excuse-moi, Rafael, mais à Amarillo, les pasteurs ne sont pas si ouverts ! m’expliqua-t-il

vertement.Ilssontprêtsàbrûlerlepremiergayqu’ilsvoientsituveuxtoutsavoiretilsnem’ontpaslaissé de bons souvenirs, figure-toi. Il se trouve que celui de notre paroisse voyait en moi laréincarnationdeLucifer,parcequejen’avaisaucunpenchantpourlesfilles,etencoremoinspourlessiennes.Çan’astrictementrienàvoiravectoi,c’estclair!J’aijusteunpeudemal…Iljetauncoupd’œilàAbou.—…aveclareligion.Loind’êtrevexé,Abouhochalatête,compréhensif.—Moij’aiquelquesproblèmesavecleMITetHarvard,sivousvoulezsavoir.Maisjenevousen

tiendraispasrigueur.Jerepensaivaguementaufoyeretaucoupdemainquem’avaitdemandéAbou.Maisjenepouvais

détacherlesyeuxdeCalebetdesamâchoirecrispée.Jel’auraisbienembrassépourfairepassersacontrariété.Enmêmetemps,jevoulaisqu’ilsemetteenrogne.Jevoulaisqu’ilhurleetqu’ilexplose.Maisilsecontentadesoufflerungrandcoupetdereprendrelefildelaconversationcommesijenevenaispasdel’accuserdelâcheté,oudumoinsdequelquechosequis’enrapprochait.EtCaleb,derrièresesairsdegeek,possédaitlafiertédesTexans.

—Vousavezdessoucisaveclesuniversités?demanda-t-ilàAbou.Cederniertorditlabouche.—CellesdeCambridge,seulement.Caleb,soudainintéressé,setournafranchementversAbou,notredébutdedisputeoublié.—Jepeuxvousdemanderpourquelleraison,sicen’estpasindiscret?Aboumeconsultaetjehaussailesépaules.—Ilsveulentfairefermerlefoyerpourlesprostituésqu’Abouaouvert,expliquai-jeàCaleb.Le

maire avait donné les autorisations et, sous la pression des grands bonnets de Cambridge, il estrevenusursadécision.—Iln’enapasledroit.Calebsemblaitpresquechoquéetjetrouvaisanaïvetétouchante.Ilcroyaitquel’universtournaitde

lamêmefaçonpourtoutlemonde.Maiscen’étaitpaslecas.—Ledroitestunequestioncontroverséequandils’agitdeprostituésetdesdeuxuniversités les

plusréputéesdumonde.LefoyerdoitdéménageràQuincy.—Quand?Aboumefusilladuregard.—Aujourd’huimême.Jemesentaismalàl’aisetoutàcoup.—Vousavezbesoind’aide?proposaCaleb.—Ilsvonts’ensortir,dis-je.Enmêmetempsqu’Abourépondait:—Touteslesmainssontlesbienvenues.Jebouillaisdel’intérieur,refusantd’emmenerCaleblà-bas.—Tutedébrouillerassansnous,Abou,fis-je,catégorique.—Pourquoi?demandaCaleb.—Jeneveuxpasquetufouteslespiedslà-bas.—Pourquoi?insista-t-il.Caleb,aumilieudeputes?Rienqued’ypenser,j’enavaisdessueursfroides.Ilenétaithorsdequestion,bordel,ilfaudraitmepassersurlecorpsavant.Évidemment,vingtminutesplustard,nousyétions.— Salut, Rafael, susurra Antonio, l’un des pensionnaires d’Abou. Alors, tu nous amènes de la

viandefraîche?IlseléchaleslèvresenfixantCalebavecunintérêtnondissimulé.—Jet’amènemonpoingdanslagueulesitumetslamainsurlui,OK?sifflai-je.Antoniochantonnaenchaloupant.Iln’avaitpasfalludeuxsecondespourqueCalebdeviennelepointdemiredetoutlefoyer.Même

lesfillesvenaientsecolleràlui.Àcerythme,j’allaisfinirdingueenmoinsd’uneheure.Abou,moqueur,metapasurl’épaule.

—Ilvas’ensortir.Jejetaiuncoupd’œilderrièremoi.CalebaidaitSoniaàemballersesaffaires.Seslèvrescarmin

souriaienttellementqu’elleavaitl’airdevouloirlebouffer.—Tumepaierasça.—Quand tu veux. Et en passant, tu pourrasme dire depuis quand ce jeune homme envahit ton

appartement?—Depuisaujourd’hui.Etaprèscetaprès-midi,çam’étonneraitqu’ilyfouteànouveaulespieds.—Tul’asbienregardé,cegosse?Ilpassesontempsàjeterdescoupsd’œildanstadirectiondès

quetuasledostourné.Tufaislamêmechose,dureste.Jesecouailatête.—Pourcombiendetemps,Abou?luidemandai-je.Ilnesupporterapas…toutçaplusdequelques

semaines. Pour ne pas dire quelques jours, ou même quelques heures. Pour l’instant, il fait biensemblantdesemoquerdecequejefais.Maisiln’yarriverapaslongtemps.Ilesttropentier.—Laisse-luiunechance.Jemepassailamaindanslescheveux.—C’estcequejesuisentraindefaire,non?Mêmesij’ail’impressiondecommettrelapiredes

conneries.—Vasavoir!ritAbou.Peut-êtrequetutetrompes.S’ilsavaitcommej’auraisaiméqu’ilaitraison.Il nous fallut le reste de la journée pour tout transférer à Quincy, loin des bonnes âmes qui

n’auraientplusàs’écorcherlesyeuxsurlaliedelasociétébostonienne.Mêmesijenevivaispasaufoyer, jeneme faisaispasd’illusions.Si jecroisais l’undemesclientsà l’église, il tournerait lestalonsenmejetantunregarddégoûté.Mebaiser,oui.Prierdansunlieusaint,sûrementpas.Ilétaitplusdedix-neufheuresquandnousrentrâmesàl’appartementencoupdevent.Calebdevait

prendresonserviceaurestaurantunedemi-heureplustardetpasserchezluiavant,poursechanger.Ilattrapa son sac sur le canapé et nous ressortîmes en courant presque. J’appuyai sur le bouton del’ascenseur, alors qu’il essayait de sortir son portable, qui sonnait, de sa poche. Ce faisant, il fittomber son casque, sa veste et son sac, dont le contenu se répandit au sol. Je jurai, énervé par samaladresse.—Merde,Caleb !Oùsont tescentcinquantepointsdeQIquand il s’agitd’attraperunputainde

portablesanscauserdecatastrophe?Danslajournée,ilavaitréussiàsefairetomberuneétagèredessus,àpercuterunmeubledeplein

fouet,àcasserunelampedechevetetunsetd’assiettes,àécrasertellementdepiedsquepluspersonnene l’avait trouvé charmant. Il était tombé un nombre incalculable de fois, faisant regretter àAboud’êtrevenumedébusquer.Ettoutça,parcequ’ilpassaitsontempsàregardermesfesses.Etmaintenant,illâchaittoutsonbardaausolalorsqueDantesortaitdechezlui.—MonsieurVentes,unsouci?—Aucun.Merci.Nous finîmes de ramasser les affaires de Caleb et sautâmes dans l’ascenseur. Dante nous fixa,

jusqu’àcequelesportesserefermentsurnous.JemetournaialorsversCaleb,ilpercutamaboucheavantquejen’aieditquoiquecesoit.Ilm’embrassapassionnément.Jeris,passantlesmainsdanssescheveuxpourl’écarterdemoi.

—Onpeutsevoirdemain?medemanda-t-il.Monsourires’effaça.Voilà,c’étaitlafindecetinterlude.—Non,soufflai-jeenmedétournant.—Pasmême…—Non,Caleb.Jenesuispaslàdelajournée.Ildéglutit,blessésansvouloirmelemontrer.—Cesoir?demanda-t-ilavecprécaution.Notre histoire commençait à peine et, pourtant, elle était déjà entachée d’infidélités,

d’impossibilitésetdedouleur.Alorsqu’iln’auraitdûyavoirquelespalpitationsdelarencontre,lesrespirationscourtesdespremiersmoments.—Jeviendraitechercheraprèstonservice,OK?Ilhochalatêtesansrienajouter.Sansoserposerlaquestion.Justedemander,simplement:«Etque

vas-tufaireenattendant?».Enattendant,j’allaisvoirOlivierPetrov,unhommedequarante-cinqanstrompantsoncompagnon

parce qu’il ne voulait pas le salir avec ses petits vices. Mais avec moi, il n’avait pas tant deconsidération.J’étaislàpourçaaprèstout.J’observai Caleb et sa beauté me fit l’effet d’un coup de fusil en pleine poitrine. Jamais il ne

pourraits’imaginer,savoircequ’ilsepassaitunefoisquej’étaisenfermédanslachambrenoired’unhôtel.Ouattachéauxbarreauxdulitd’unemaisonvidepourquelquesheures.Ilnerestaitquemoi,offert.Etlesbonspayeursquivoulaientrentabiliserchacundescentsqu’ilsavaientdébourséspourm’avoir.Jeledéposaidevantlerestaurantetilm’embrassalégèrement,cessantdesedépêcherpourposer

sesyeuxd’ungrishypnotiquesurmoi.—Pourquoij’ail’impressionquetun’espluslà?Parcequec’étaitlecas.—Àplustard.Jeremismoncasqueetaccélérai.Moiaussi,jedevaisrepasserchezmoi,mechanger,récupérermesoutilsdetravail.Préservatifset

lubrifiant,sous-vêtementssexy.JeprisunedouchepourmelaverdeCaleb.Jenevoulaispasqu’Olivierpuisselesentirsurmoi.Je

nevoulaispasqu’ilpuisselevoirdansmonregard.Qu’illeperçoivedansmespensées.Jefrottaimapeau,encoreetencore,àl’arracher,àlafairedevenirrouge,àlabrûler.Etencore,

mescheveux,monvisage,mabouche.Mon sexe, lui, il ne l’avait pas touché. Caleb en avait eu envie, l’avait désiré si fort que c’était

commes’ill’avaithurlé.Était-cecelalevraidésir?Cebesoindelachairdel’autre,depossession?AvecCaleb,c’étaitcommeundouxfrémissementàlasurfacedel’eau.Petit,léger,maisquipouvaitprovoquerdesvaguesgigantesques.Était-cecelal’amour?Refoulantcespensées,jerepartisetdescendisaugarage,récupéraimamoto.Trenteminutesetj’étaisarrivé.J’avançai.

J’avançaiencore.Despasassurés,delonguesenjambées.Jeremontaiuneallée.Doucement.M’arrêtaidevantuneporte.Frapper.Attendre.Sourire.Etpuissoudain,unhommejusteenface.—Bonsoir,Rafael.Nepasreculer.—Bonsoir,Olivier.Pardonne-moi,Caleb.

20Calebétaitendormiàcôtédemoiquand jemeréveillai le lendemainmatin.Jesortisdu litavec

précaution,jetantunregardinquietauréveil.Jenel’avaispasbranché,persuadéquejen’enauraispasbesoin.Jenefermaispasl’œildelanuitlesveillesdemesrendez-vousavecCharles.Enfin,avantqu’ungénieauvisaged’ange,aucaractèrebientrempéetausourireassassin,s’invitedansmonlitetavecunetellesérénitéquejedormaiscommeunloir,soncorpslovétranquillementaucreuxdemesbrasetsonvisagenichédansmoncou.J’étais retourné le chercher la veille au soir à plus de minuit. Il était lessivé et je n’étais pas

d’humeuràparler.J’auraiscruqu’ilseraitviterentréchezlui.Maisils’étaiteffondrésurledosdansmonlitets’étaitendormiquelquessecondesplustard.Touthabillé,unefoisdeplus.Qu’est-cequ’ilcachaitsousseschemisesjamaisrepasséesetsespantalonsdélavés?Ce n’était pas aujourd’hui que j’allais le découvrir. Je devais partir dans vingtminutes si je ne

voulaispasarriverenretardchezCharles.JedéposaiunbaisersurlajouedeCalebetmerelevai.Jesursautai quand samain agrippamon poignet etme ramena dans le lit. Je retombai près de lui etCaleb, encore tout endormi, roula surma poitrine. Il se tint au-dessus demoi, ses yeux voilés desommeiletdebeaucoupd’autreschoses.—Tut’envas?chuchota-t-ild’unevoixrauque.—Oui,répondis-jeavecprécaution.Ilsecoualatête,plongeasurmeslèvres.Sonbaiserétaituneprière,unesupplique,uncriducœur.

Etjenevoulaispasqu’ilmeledemande.Parcequejenevoulaispasleluirefuser.—Reste.Lesmotsqu’iln’auraitpasdûdire.Commeautantdepoignardsquiseplantaientenmoi.—Jedoisyaller.J’essayaidelerepousser,maisilnebougeapas.Ilagrippamesmains,s’assitsurmeshanches,les

genouxdepartetd’autre.Ilyavaitdudéfidanssesyeux.Unelueurderancuneaussi.—BougeCalebouc’estmoiquilefais.Ilinclinalatête,sourit.Jeperdispatienceetlefisculbuter.Surpris,ilseretrouvasurleventreetje

m’assissursesfesses,maintenantsesmainsau-dessusdesatête.Ilessayaaussitôtdesedégager,prisdepanique.Ilétaitfort,plusquejel’auraispensé,maisjel’étaisquandmêmebienplusquelui.Jemepenchaisursonoreilleetluisusurrai:—Qu’est-cequetucaches,Caleb?—Laisse-moimetourner,Rafael.Oui, il y avait bien de l’angoisse dans sa voix. Ses doigts agrippèrent lesmiens, les empêchant

d’aller explorer ailleurs. Il tourna la tête et captura ma bouche, sans doute pour détourner monattention.Çamarchapresque.Jemereculai,leprivantdemeslèvres.Sesyeuxbrillaient.Jemerapprochai,maissansletoucher,

justepourgoûtersonsouffle,lesentirs’énerversousmoi,avoirenvie,perdrehaleine,chercheràseretourner.Jedégageaiunedemesmains,ilseraidit.Jelaglissaisoussonventre,ils’étrangla.—Jeveuxtevoir,dis-je.

Jemepenchaipour l’embrasserpassionnément, ilenroulasa langueautourde lamienne. Ilétaitvierge, jeune,unpeu fou.Enflamméet fort. Ilmevoulaitmoi.Et jedevraism’en souvenir, tout àl’heure,quandjeseraisàterrecommeunchien.Jemeredressai, ilseretournafaceàmoi,se laissachoirsur ledos, les jouesrouges, labouche

légèrementouverte.Jelacapturaiunedernièrefois.Quandjefilaiàladouche,ils’assitsurlelitetmeregarda.Etlorsquej’ensortis,sonregardétait

tournéverslafenêtre.Jenedisrien,maisposaimondoubledeclefssurlelit.Illevaalorslesyeuxsurmoietj’yvistoutesatristesse.Ilpritquandmêmelapetiteclefetlafittournerentresesdoigts,alorsquejereculaisverslaporteetquejerefermaisderrièremoi.J’avaisàpeinefaitdeuxpasquej’éprouvailebesoinderevenir.Jecontinuaipourtant.Sansmeretourner.Prenantdegrandesinspirationspourm’empêcherdefairedemi-tour.

21—Àl’heure!mefélicitaCharlesquileregrettapresque.Il se retint deme frappermême s’il enmourait d’envie.Ce serait pour plus tard.À la place, il

m’embrassaetjeluirendissonbaiser,résoluàfaireexactementcequ’ilexigeaitdemoi.—Comments’estpassétonrendez-vousavecleRusse?—Bien.Ilnem’avaitpasblessé,dumoinspasphysiquement,cequidécevaitgrandementCharles.Pasde

marques sur lesquelles se répandre cette semaine. Peut-être qu’il allait laisser tomber les torturespourunefois.Non,de touteévidence,m’avisai-jeenremarquant lesquelquesobjetsdéballésplus loin,surune

desserteenbois.J’enfrémis,redoutantlesblessuresqui,cesdernierstemps,allaientcrescendo.Étonnammentpourtant,ilnemedemandapasdemedéshabiller.Nidechoisirmoninstrumentde

torture. Non, il me prit lamain etm’emmena de l’autre côté, dans le salon, où brûlait un feu decheminée.Ilmetirajusqu’àl’âtre.Là,ilm’enlaçaetjenepusfaireautrementquedemeraidir.S’illeremarqua,ilneditrien.Ilétaittendre,etc’étaitbienplusangoissant.Cen’étaitpaslui.Cesgestesdoux,tropcalculés.Cette

gentillesse,commececalmeeffrayantavantlesplusterriblestempêtes.Ilmedésignaunfauteuiletjem’yassis,deplusenplusmalàl’aise.Lesflammesréchauffaientla

pièce,larendaientpresquedouillette.Ilnousservitdeuxverresdescotchetm’enoffritun.—Ànous,monamour.Iltrinqua,avecunsourire.Jebusunelonguegorgée.Puisuneautre.S’ilétaitencolère,jepréféraisencorequ’ilmegifle.Qu’ilmebatte.Qu’ilmebaisebrutalement.

Qu’ilannihiletoutesmesvolontés.Maisça,cettemiseenscène,c’étaittoutsimplement…Toutsimplement….Simplement…Jeclignaidesyeux,ensecouantlatête.Simplement…quoi?Jemesentis toutàcoupvaseux.Jebattisdespaupièresen fixantduregardmonverrevide.Puis

Charles,sonsourirequis’agrandit.—Qu’est-ceque…tum’as…Qu’est-ceque…tum’asfaitboire…Charlesrit.—Justeunpetitquelquechosepourquetutedétendes.—Pasbesoin…deça.—Ahbon?Tucrois?J’essayaidemelever,maisneréussisqu’àm’écroulerdenouveausurlefauteuil.—Jene…Charlesvintmecaresserlescheveux.

—Net’enfaispas,lemalaisevapasser.—Pourquoi?Il ricana et me poussa brutalement contre le dossier, posa deuxmains sur les accoudoirs et se

penchaversmoi,dangereux.—Pourquoi ? répéta-t-il durement.Parceque tu es àmoi.Et que je veuxque tunepensesqu’à

moiquandtuesici.Tucomprends?Ilattrapamonmentonetincrustadouloureusementsesdoigtsdansmesjoues.—Tuvasmecontenter,monamour.D’unemanièreoud’uneautre.Unedrôledechaleurengourditchacundemesmembres,brûlachaquegraindemapeau.Jemesecouai,cherchantàmedéfairedecettesensation.Charlesrigolaunebrèveseconde,avant

demegifleràtoutevolée.Caleb…Unedernièrepensée,puisl’enferserefermasurmoi.Cettedouleurdiffuse.Cesgémissementsincontrôlés.Cesriressadiques.Cesplaiesrouvertes.Iln’yavaitplusrienquejepuissefaire,plusrienquejepuissecacheraufonddemoi.Charlesavait

réussi.J’étaisànudevantlui.Sansdéfenses.Complètementàlui.Pendantdesheuresetdesheures,lespenséesembrouilléesetlecorpsenlambeaux.Encoreetencore.Uneminuteaprèsl’autre,etcesserd’espérer.Jem’étaistoujoursaccroché,jem’étaistoujoursdéfendu.Sicen’étaitphysiquement,j’avaisdressé

desrempartsentreCharlesetmoi,pourqu’ilnepuisseatteindrecequejecachaisaufonddemoi.Aujourd’hui,pourtant,ilyétaitparvenu.Jeletuerai.Oui…Unjour,jeletuerai…Quandj’émergeai,aumatin,cettepenséenem’avaitpasquitté.Ilétaitplusdedixheuresetj’étais

danslelit,nusouslesdraps,seulpourunefois.J’avaisunemigrainepirequ’unegueuledebois.Unearmée siégeait dansmon crâne et j’avais la bouche si sèche que j’aurais tout aussi bien pune pasavoiravaléunegoutted’eaudepuisdesjours.Mesmainstremblaientetmonestomacsesoulevait.Violé.Lemotraisonnadansmatête, je lechassaiaussitôt. Iln’yavaitpasdeviolpourun typecomme

moi.Iln’yavaitqu’unesoiréequiavaitmaltourné.IlétaithorsdequestionquejesoislavictimedeCharles.Mêmesij’étaisperclusdedouleuretquejegrimaçaisenrepoussantlesdrapspoursortirdulit.J’étaistellementencolère,tellementblessé,quej’enavaisdumalàrespirer.

Violé.Biensûrqueoui!Cen’étaitpaslapremièrefois,d’ailleurs.J’étaispayépourça!J’entendisCharlesdanslacuisine.Ilpréparaitlepetitdéjeunerensifflotantcommesinousvenions

depasserundimancheenamoureux,tranquillement,pelotonnésl’uncontrel’autredevantunfeudecheminé.Pourquoi?Pourquoim’avait-ilfaitça?Commesijeneluiavaispastoujourstoutcédé?Iln’avaitqu’àdemander,j’obéissais.Alorspourquoi…?Jemarchai vers la salle de bain et claquai la porte derrièremoi. Les sifflotements cessèrent et

Charlesmerejoignit.J’entraidansladoucheetouvrislesrobinetsenluitournantledos.—Tuauraispuresteraulitencoreunpeu,monamour.—J’aideschosesàfaire,Charles.Ilserapprocha.Jemeraidis.—Tonprochainrendez-vousestdanstroisjours.Jeudimatin.—Jeparledechosesàfaireautresquebaiser!Il s’arrêtadevantmavirulence.Sesvingt-quatreheuresétaientpassées. Jene luidevaisplus rien

cettesemaine.—Nemerefaisplusça,luilançai-jesansmeretourner.Oujetejureque…—Quequoi?mecoupa-t-il.Jecrispai lamâchoireet fisvolte-face.Charlesm’offrit sonair leplusassassin.Celuiquidisait

clairementqu’ilétaitprêtàtout.— Je t’en prie, mon amour, va-t’en. Il ne te faudra pas une semaine pour venir me supplier à

genouxdetereprendre.Ettusaispourquoi?—Jesais,oui,sifflai-je.Parcequ’ilmetenaitdelapiredesmanières.Parcequ’ilavaittouteslescartesenmains.Cellesqui

m’empêchaient de lui mettre mon poing en pleine mâchoire, de l’envoyer à terre et en sang, lelaissantcreversansleverlepetitdoigt.Lessecrets…Charlespossédaitcessecretsquiétaientcommedeschaînesàmespieds.Ilcroisalesbras,m’observantdehautenbas,alorsquejemelavaissansdétournerlesyeux,que

j’éteignaislesrobinetsetsortais,m’enroulantdansuneserviette,àquelquescentimètresdelui.Ilnebougeapas.—Tupensesvraimentquejenesaispasàquoiestduetapetiterébellion?laissa-t-iltomber.Ou

plutôt,àqui?Qu’il soit aucourantde l’existencedeCalebnem’étonnapas. Il étaitvenuchezmoiàplusieurs

reprises,chezCharlesparconséquent.EtDantel’avaitvu.Iln’yavaitpaseulamoindrechancequeçaneremontepasàsesoreilles,surtoutquandellestraînaientpartoutdanscettefichueville.Aumoins,jesavaispourquoiilavaitfoutuduGHBdansmonverre,hier.Sajalousieétaitcommesabrutalité,sanslimite.—Qu’est-ce que tu peux trouver à ungamindevingt et un ans, tout droit débarquéduTexas ?

Qu’est-cequecegossepourraittedonnerquejenetedonnepasmoi-même?Beaucoup.—Tuneveuxpasquejerépondeàcettequestion,Charles.Defureur,samains’envolaversmajoue.Jelabloquaiavantqu’elleneheurtemonvisage.—Tontempsestpassé,luirappelai-je.Jelerepoussaietilenfutvraimentchoqué;sansdouteparcequec’étaitlapremièrefoisquejele

faisais.C’était aussi la première fois qu’il tentait deme frapper en dehors des limites établies parnotreaccord.Maisc’étaitCharles,etilsereprittrèsvite.—N’oubliepasquetuesàmoi,Rafael!memenaça-t-il.Tourne-moiledosettuteretrouverasàla

rue,sansunsou.Jeruineraitouteslespersonnesquis’approcherontdetoi.Unparun,tuentends?Jesecouailatête,sidégoûtéquejemeforçaiànepasreculer.—Tumedoislavie!—Crois-moi,jelesais.Jerepartisdanslachambreetm’habillai.Charlesmesuivitd’unpasmesuré.—Souviens-toiquecettenuit,cen’étaitpaslenomdetonpaysanquetugémissais.Maislemien.—Tum’asdrogué,Charles!m’emportai-je.—Parcequetuesàmoi,siffla-t-il.Tuferaisbiendenepasl’oublier.Jenerisquaispasdelefaire.Ilsortituneenveloppedesapochearrièreetmelajetaauvisage.Jepartis,ensachantdéjàquela

prochainefoisseraitsansdouteencoreplusdouloureuse.L’équilibre devenait précaire.Bientôt, cette structure branlante se casserait la gueule et causerait

sansdoutepasmaldedégâts.C’étaitleprixàpayerpouravoirCaleb.Mêmesicen’étaitquequelquessemaines,quequelquesjours.Encoreuneheureoudeuxpeut-être.Unpeu…Justeunpeudelui.

22Jeroulaisansm’arrêterjusqu’àCambridge,leventfouettantmonvisage.J’avaisenviedehurler.

DeprendreCalebdansmesbras.J’enavaisbesoin.Jemegarainonloindudépartementd’aéronautiqueetd’aérospatiale,làoùCalebétudiait.Jesortis

un livredemoncoffreet trouvaiunbancpourm’y laisser tomber. Ilétait tempsderetournervoirBrooke,maispourl’heure,j’avaisencorequelquespagespourpatienterjusqu’àmidi.Jen’avaispasenviederetournerchezmoi–chezCharles–jepréféraisencoreresterdanslefroiddudébutd’hiver,sousquelquesglacialsrayonsdesoleil.Quandlesétudiantscommencèrentàsortir,jerelevailevisagesurlapetitefoule.Ilfallaitquejele

voie,que je le touche.Que jemeprouve seulementque jen’avaispas rêvé,queçaexistait encorepourmoi.Mêmesijemesentaismal,quej’avaislasensationd’êtreunimmondesalaud.Untraître.Ilm’aperçutdèsqu’ilentradansmonchampdevision.Étonné,ilralentit,faisants’arrêtersesamis,

quelques pas plus loin. Une jeune fille aux allures demadone et un petit rigolo avec une houssed’ordinateur.Calebneleurprêtaplusdutoutattentionlorsqu’ilseremitenmarcheversmoi–plusrapidement.—Rafael?—Enpersonne!souris-jeenposantunemainsursonbras.Je la retirai pour ne pas le gêner, mais Caleb s’en moquait, de toute évidence, puisqu’il

m’embrassaitdéjà.Jeluirendissonbaiser,unpeumalàl’aise,avantdel’écarterdoucement,saluantsesamisquin’enavaientpasperduunemiette.—Bonjour.—Salut,répondirentlesdeux,enchœur.Enyregardantdeplusprès,ilsavaientdestraitsfamiliers.Presquesimilaires.—JeteprésenteAmandaetLenny,meditCaleb.Etoui,ilssontjumeaux.—Maisjesuisbienplussexy,nousfitremarquerAmanda.Notez-lebien,meschéris.Pasdedoute,ellel’était.Lenny,lui,semblaitavoirtraînélesmêmesvêtementsdepuisdesjours.—Tuneseraispaslegénieeninformatiqueparhasard?demandai-je.Celuiquiaretrouvémon

adresse,monnumérodetéléphoneet,pourcequej’ensais,lenomdemonassurancemaladieetceluidemonmédecintraitant?Lennynecillamêmepas.—Jenesaisabsolumentpasdequoiilestquestion.Ilétaitpeut-êtreimbattableavecunordinateurentrelesmains,maispourlesmensonges,ilyavait

encoreduboulot.JemetournaiversCaleb,toutàfaitàl’aiseaveclefaitdem’avoirtraqué.Sesdoigtssenouèrent

auxmiensetj’eusl’impressiond’êtrepardonné.D’unefaçonoud’uneautre,ilvoulaitencoredemoi.—Tuascombiendetempsdevanttoi?Iljetauncoupd’œilàsamontre.

—Uneheure.Jeluitendislesecondcasque.Ilsouritetsaluasesamis.—Onsevoittoutàl’heure.—Ounon,semoquagentimentAmanda.Maisjenet’envoudraispas.Ellemeregardaetsouritjusqu’auxoreilles.—Bonsang,Amanda,larabrouasonfrère.—JeplaisanteLenny.Hé,tuasvraimentbesoind’unepetiteamie!—Étrangement,plusjepassedutempsavectoi,moinsj’enaienvie.—Ilfautvraimentquetuapprennesàtedétendre.Ils s’éloignèrent, se chamaillant deplus enplus fort,mais sans s’éloigner un centimètre l’unde

l’autre.Unedynamiquegémellairequejeneconnaissaispasetquim’intriguait.Assezpourquejelesobservequelquessecondesdeplus.Jepassaiunbras autourde la tailledeCaleb,unemaindans lapochede son jean. Il se racla la

gorgeenrajustantsonsacsursonépaule.—Tuasfaim?—J’aitoujoursfaim,rit-il.Oui,j’avaisremarquésatendanceàsejetersurn’importequoidecomestible,commeundrogué

enmanque.Undrogué…Jeplongeaiaussitôtmonnezdanssescheveuxtoujoursenbataille.—Hot-dogetfrites,çateva?Ilyauntypequienvend,pasloinduport.—OK.OK.C’étaitnormal,ça.Prendrelamoto,fileraumilieudesruesdeBoston.Lesentirderrièremoi.

Acheteràmangerpourquatre,alorsquenousétionsàpeinedeux.Marchercôteàcôte,l’écoutermeparler,s’asseoirauboutduport.Justepourpasserunmomenttouslesdeux.Luietmoi,sansriend’autre.Simple.Facile.—Çava?medemandaCaleb,plustard.Le temps était dégagé et, installé entre mes jambes, appuyé contre mon torse, Caleb regardait

l’horizon.Noussoutenantdemesdeuxmains,jefaisaislamêmechose,profitantseulementdel’avoircontremoi.—Çava,oui.—Tusemblesailleurs.—Jelesuissouvent.Iltournalégèrementlatêtepourm’embrasserlapoitrineetfrottersonvisagecontremont-shirt.

J’avaisbienfaitdeprendreunedouche.—Est-ceque…Ils’arrêta,hésitaetfinitparselancer.Jefermailesyeux.—Est-cequetuesblessé?Pascommeill’entendait.Jen’avaisnibleu,nibosse.Pascettefois-ci.

—Non.Ilsoupira,rassuré.Pourtant,iln’yavaitpasdequoil’être.—J’aimeraisquetumeparles…souffla-t-il.Tueslà,avecmoi,etjesaisquetuesbien.Mais…—Quevoudrais-tuquejetedise,Caleb?soufflai-jedanssoncou.Qu’es-tuprêtàentendre?Ilhaussalesépaules.—Toutcequetumediras,siçavientdetoi.Jeposaiunemainsursonmentonpourtournersonvisageversmoi.—Tucommencesàprendretropdeplace,dis-jecontreseslèvres.Tudevienstropimportant.C’est

dangereuxpourquelqu’uncommemoi.Ilposaunemainsurmanuque,jouaavecmespetitscheveux.—Jet’…—Chut,lecoupai-jeenposantundoigtsurseslèvres.Neledispas.—Pourquoi?—Parcequecen’estpaslemoment.Jenesuispasprêtpourça.Blessé,ilseredressaetseremitsursespieds.Jerenversailatêtepourmieuxleregarder.Ilenfouit

sesmainsdanslespochesetsetintsurlebordduquai.Ilrestaunmomentsansriendire,songeur.Jemecontentaidel’observer.—Tuaspenséàmoi?demanda-t-ilsoudain,sansmeregarder.J’auraispufairesemblantdenepascomprendre.J’auraispupartirsansriendire.Lelaisseravec

cettequestion,avecsaraideuretsadétressedesevoirtoujoursrejeté,alorsqu’ilfonçaitsanscesseversmoitêtebaissée.—Oui,avouai-je.Plusquejel’auraisvoulu.J’auraisaimélegarderloindetoutça,maisilrevenaitmehanter.Ilpivota,baissasonregardgrissurmoi.Marespirationdevintpluscourte.J’étaisbienplusàsa

merciquejeneleseraisjamaisdevantCharles.Parcequ’ilmanquaitl’essentielàcedernier,malgrétoutcequ’ilavaitréussiàmeprendre.Lescintillementdansmapoitrine.Lachaleurd’unsentimentimpérissable.Calebs’agenouilladevantmoi,posalesmainssurmesbras.Jemeredressaietglissaimesdoigts

danssescheveux.—Jepenseàtoitoutletemps.Jel’embrassai,caressaisoncou.J’écartaidoucementsont-shirt,ilm’échappa.J’inclinailevisage,

perplexe.Ilserecula,jeleretinsetleramenaicontremoi.—Qu’est-cequetucaches?Ilsecoualatête.—Tudorshabillé,réfléchis-jeàvoixhaute.Tuaimesquejetetouche,maispastrop.J’aid’abord

crutuavaisjustebesoindetemps.Maiscen’estpaslecas,n’est-cepas?Alorsdequoias-tupeur?—Jen’aimepasqu’on…—Tunesaispasmentir,l’arrêtai-je.Alors,autantcommencerparlavérité,Caleb.Je posai la main sur ses fesses, puis plus haut. Il se raidit une nouvelle fois. Quand je passai

lentementsousletissudesont-shirt,ildevintaussiblancquelamort.Etpuisjemerendiscomptedelagranulositésousmesdoigts.Desapeaufripée,qui faisaitcommedespetitsvallonsetdespetitscreux.Çapartaitdesesreinsjusqu’aumilieudesesomoplatesetcouraitsurtoutsondos.—Tuasétébrûlé,compris-je.—Jesuismoinsbeauquetulepenses.—TunesaispascequejepenseCaleb,lerepris-je.Cen’estqu’unebrûlure.Ilrittristement.—Cesontdesbrûluresetdesgreffesdepeau.Etcen’estpasquesurledos.Maissurl’arrièrede

mesjambes,mescuisses.C’est…Ilbaissalatête.—Tuestellementmagnifique.Etmoi,sansmesvêtements,jeressembleàunmonstre.J’enauraisrisijen’avaispaslutantdedouleurdanssonregard.—Sijecomprendsbien,tavirginitén’estpasuniquementdueàtesétudesetauxfureursdestexans

homophobes.—Enpartie,si.Ilsereleva,jelelâchai.—Maisc’estvrai,j’aidumalàmeregarderdansuneglace.Alorslaisserunautre…Ilsedétourna.Jenebougeaipas.—Quandjet’aivuavecBrandon,cejour-làsurlecampus,j’aieuenviedem’enfoutre.Jemesuis

dit,«tantpissitueslaid,ilnelesaitpasencore.Etilnelesaurasansdoutejamais.»—Tun’espaslaid,Caleb.—Tun’ensaisrien,tun’aspasencorevu.Jemeremisdeboutetmeplantaidevantlui.—Si,jetevois.Jetendisunemainverssescheveuxetlesécartaidesesyeux.Sublimes.—Jetevoismêmetrèsbien.Jel’attrapaiparleshanchesetlefitreculer,lemangeantduregard,dévorantsabouche,soufflant

sursonvisage.—Parfaitementbien.Ilfinitparsourireetjesusqu’ilallaitlediredenouveau.Etcettefois,jeneleretinspas.—Jet’aime,Rafael.—Tum’aimes,répétai-je.Jeris,frottantmondébutdebarbedanssoncou.—Tunemeconnaispasdepuisassezlongtempspourm’aimer.—D’accord,semoqua-t-il.Alorsjenet’aimepas.Jemordissonoreille.—Tufaisdéjàmarchearrière?—Pourl’instant,c’esttoiquim’obligeàreculer.

Ausenslittéral,ilavaittoutàfaitraison.Jelepoussaiseffectivementverslamoto,puisquel’heureétaitlargementdépasséeetqu’ilétaitdéjàenretard.—Tuasratétonpremiercoursdel’après-midi.—Çavalaitlecoup.—Jeneviendraiplustevoirsurlecampus.—J’espèrebienquesi.J’ôtail’antivoletrécupérainoscasques.Jeluitendislesien.—Jevienstechercheraprèstonservice,cesoir?Ilsemorditlalèvre.Ilsavaitqu’enrepassantlaportedemonappartement,j’allaisluifaireôterses

fringuesavantqu’iln’aitpuprotester.J’avaisenviedesapeau,qu’importaitàquoielleressemblait.C’étaitlasienne.Soncorps.Lui.—C’estquej’aipasmalde…—Tupeuxétudierchezmoi,non?C’estdéjàcequetufais,d’ailleurs.Il se lécha la lèvre inférieure, cherchant lemoyen de s’esquiver. Je lui pris lementon entre les

doigts.—Caleb,luidis-je,taseuleautreoption,c’estdetournerlestalonsetdeneplusjamaismerevoir.

Etj’aidéjàessayédetefairepartir,tuesquandmêmerevenu.Alors,ilvafalloirassumermaintenant.—OK,serésigna-t-il.Jegrimpaisurlaselleetilsecaladerrièremoi.Jedémarraienfaisantcrisserlespneus.Nousquittâmesleportdésert,lesoleilquisereflétaitsurl’eau,lecielbleusansnuage,lesrayons

quibrillaientsurlasurface.Laissant ce que nous étions – prostitué, brûlé – pour filer droit en avant. Je slalomai entre les

voitures,àdroite,àgauche,mecourbaidanslesvirages,amenantnosgenouxtropprèsdubitume.Aujourd’huinousétionsimmortels.Nousétionsvivantsetensemble.—Plusvite,soufflaCaleb.Alors j’accélérai, mettant nos vies en suspens. Rien que quelques minutes, se faire bouffer par

l’insouciance,nosrires.Cettelégèreté.Nouslaisserporter.Loin.Toujoursplusloin.Làoùtoutrecommencerait.Encore.Passeraufeuorange.Saluerlesvoituresquiklaxonnaient.Nousmettreendanger.Unpeu.Uneseconde.

Deux.Uninstant.Qu’est-cequ’oncraint?Situmetiens,qu’est-cequ’onrisque?Situmesauves…

23Calebavaitappelépourm’avertirqueceneseraitpasnécessairequej’aillelechercher,qu’ilme

rejoindraitplustardqueprévu.Subtilefaçondesedéfiler.Maintenantquesonsecretétaitdévoilé,ilallait effectuer un repli prudent. Je n’en étais pas étonné.Après tout, je n’étais pas la personne lamieuxplacéepourlerassurer,pourluidonnerconfiance.Jen’arrivaismêmepasàprendresoindemoi,toutjustesijeparvenaisàmaintenirlatêtedeMachorsdel’eauetàentretenirmonamitiéavecAbou, Ama et Soli. Alors le traumatisme d’un étudiant surdoué ! Je n’aurais probablement faitqu’empirerleschoses.Jet’aime,Rafael.Oui,ill’avaitdit.Maispeut-onaimerunprostitué?Réellement?Jevidaimonsecondverredelajournée,leremplisaussitôtenjetantuncoupd’œilsurl’horloge

poséesurlehautdel’armoire.Uneheuredumatin.Ildevaitêtreentraindedormir,alorsquej’étaislàcommeuncon,avachisurmoncanapé,espérantencorequ’ilviendrait.J’étaistendu,surlesnerfs,àfleurdepeau.DepuisqueCharlesm’avaitdroguépourm’arracherun

désir fictif, je ne pensais qu’à me perdre contre la peau de Caleb et m’abandonner à la bonnepersonne.Ceseraitvraicettefois-ci.Ceneseraitpasnéd’unemoléculebrillammentmiseaupointparunchercheurtimbré.—Rafael?Jeme levai d’un bond, chaviraimonwhisky etm’entravai presque dansmes pieds. La voix de

Calebavaitsurgidirectementdansmondoset,enmeretournant,jelevisjustelà,deboutderrièrelecanapé, les mains dans les poches. Il semblait moins débraillé que d’habitude et beaucoup plusanxieux.—OK,soufflai-jeenlefusillantduregard.Tunepouvaispasfrapper,toutsimplement?Sa chemise noire épousait à la perfection son torse bien dessiné, son jean n’avait aucune tache

d’encre,n’étaitpasélimé,nitroué,justeparfait,tombantsurseshanchesetmoulantsescuisses.—Jel’aifait,mais…Ilrougitenavisantmonair;jenecherchaismêmepasàcachercequ’ilm’inspirait.L’alcoolavait

abolilamoindredemesretenues,àsupposerquej’enavais,etilétaithorsdequestionquejepenseàdemain.Ilétaitlà,c’étaitlanuitetj’avaisenviedelui.Cen’étaitcommandéparpersonne.Exigéparpersonne.Justeluietmoi,jusqu’àl’aube.Monregardsevoilaetjecontournailecanapépourmerapprocher.—…tun’aspasrépondu,continuaCalebenreculant.Ettum’asdonné…Ilpercuta lemursansdouceuret jeposai lesmainsdepartetd’autredesa tête, sans le toucher,

mais l’emprisonnantquandmêmedansmesbras, rapprochantmeshanchesdessiennes, lesfrôlant,observantseslèvrespleines,rougesetsiaccueillantes.—…tum’asdonnélesclefs,finit-ilenhaletant.Rafael?—Caleb,répondis-je,d’unevoixrauque.

Il n’y avait aucune peur et aucun dégoût. Juste de l’anticipation, l’envie de découvrir ce qu’ilcachait,deledévoiler.—Tuesbeau,susurrai-je.Avantqu’ilnemecontredise,jelefistaired’unbaiser.Undeceuxquivousrendentamnésique.Qui

vousfontoublierlesdoigtshabilesquiouvrentvotrechemise.Etboutonaprèsbouton,jedécouvrissontorse,annihilanttouteprotestation,toutecrainte,demeslèvressurlessiennes,demalanguedanssoncou,demabouchesursesépaules.Bientôt,levêtementglissaausoletCalebrestacollécontrelemur. Mais ce n’était pas encore important. Je passai mes mains sur ses omoplates, ses reins,rencontrantsesanciennesblessures,lasensationgranuleusedesgreffes.Ilgrimaçaenbaissantlatêteetjepenchailamiennepourcapturersonregard,sesirisd’unambregrisquej’aimaistant.J’arrivaiàlaceinturedesonpantalonetpassaidessouspourcaresserlanaissancedesesfesses.Ici,

sapeauétaitdouce.J’abaissai lafermetureéclairet jefisglissersonjeanjusqu’ausol, lamonnaiedanssespochescliquetantsurlescarreaux.Doucement,jem’agenouillai,luiôtantlaseulechosequiluirestait,soncaleçon.Sonsexepointa

aussitôtdansmadirection.Jemeléchaileslèvres,enl’observant,longetlourd.Doréetgorgé.Calebfermalesyeuxetrenversalatête,respirantencoreplusvite.Ilseraiditquandjecaressaisesmollets,l’intérieurdesesgenoux,l’arrièredesescuisses,làoùles

brûluresavaientfaitdesravages.Combienavait-ilsouffertpourqu’elleslaissentdetellescicatrices?Je caressai son érection, y laissai traîner ma langue lui arrachant un cri étouffé, avant de me

redresser. Je reculai, le tirai avecmoi, le forçantà s’exposer. Il résista légèrement,puismesuivit,blancetrésigné,commes’ilconnaissaitlasuite.—Rafael,souffla-t-ilquandjelecontournai.Il m’empoigna le bras pour m’en empêcher, mais je passai quand même dans son dos, me

retrouvantdevantcequ’ilcachaitsiardemment.Jen’eusmêmepasuneseconded’hésitation,pasunsursautdedégoût,avantdeposermeslèvressursanuque,aumilieudesesomoplates,léchantlelongde lacolonnevertébrale, retombantà sespieds,mordillant ses fesses,déposantdesbaisers sur sescuisses.C’était comme si je l’avais toujours su.Levoir nemecausani choc, ni déception. Il étaitCaleb.C’était lui.Dans toute sa splendeur,magnifié par ses propres blessures, portant ses proprescicatrices.Ilnebougeapasd’uncentimètreavantquejemerelèveetquejemeretrouveenfacedelui.Jepris

sonvisageencoupe,soufflaisurseslèvres:—Tuestoutsimplementparfait.Sesyeuxbrillèrentetilm’embrassa.Ilpassalesbrasautourdemoncouetsesjambesautourdema

taille.Jeluidonnaiunautrebaiser,nousemmenantdanslachambre,oùjelâchaiCalebsurlelit.Ilretombasurlesoreillers,lesjouesrouges.Jemedéfisdemont-shirt.—Fais-moil’amour,murmura-t-il.Lesmainssurmabraguette,jem’arrêtai.—Tuveuxquejetebaise?Ilsemorditlalèvre,rougitdevantmavulgarité.—Oui.

Jedéglutis,laissanttombermonpantalon.— C’est que… Je n’ai pas vraiment… Caleb, ce n’est pas ce que je fais d’habitude… Je suis

plutôt…Ilseredressasurlescoudes.—Caleb,ladouleur…—Fais-moil’amour,mesupplia-t-il.Jemefrottailefront,m’asseyantsurleborddulit,posantunemainsursacheville,remontantvers

l’intérieurdesacuisse.—Jenesaispas,Caleb.—Jeteveuxcommeça,souffla-t-ilquandmamainfrôlasonérectiondure.Enmoi.Moiaussi,jelevoulaiscommeça.Alorsjem’étendissurlui,mélangeantmesjambesauxsiennes,retrouvantsabouche,sapeau,nos

sexessefrôlant.Jelesprisdansmamainetlescaressailangoureusement.Ilgémitetsecambrasurlelit, je tendisunbrasvers la tabledenuit, tirai sur le tiroir et en sortis préservatif et lubrifiant.Endéroulantlelatexsurmoi,j’hésitaisencore.Jen’étaispascertain…—Viens,Rafael.Ilfinitdeglisserlacapotesurmoiavecuneagilitéalarmante.Jehaussailessourcils.—Tuestropdouépourunnovice.—Jemesuisentraîné.Samainjouaitdemoietjen’avaisrienconnudeplushypnotiquequeça.—Surmoi,rougit-il.Jel’embrassaifurieusement.Je lui trouvai encore plus des allures de félin, sa silhouette longue et puissante, ses épaules

musclées, ses bras fins mais forts, ses cuisses athlétiques. Son ventre plat, sa poitrine imberbe,blanchecommelanacreetsestétonspointés.Jelesmordillai,attachantsesjambesderrièremondos.Jepoussaicontresonpoing,glissantentresesdoigtscommejeleferaisbientôtenlui.Justeypensermanquamefairechavirer.Depuisquandétais-jedevenusisensibleàdesimplescaresses?Depuisquec’estluiquimelesdonne.Iln’yavait rien làquejen’avaisdéjàfait.Mais tous leshommesquej’avaisconnusdisparurent.

Charlesdisparut.IlnerestaqueCaleb.Etc’étaitdenouveaumapremièrefois.Labonne,laseulequicomptait.Ladécouvertedesoncorps,desessouffles,desesbattementsdecœur.—Mets-toisurleventre,monange.Jeluimordisl’oreille.—Fais-moiconfiance,monCaleb.Iln’yarienentoiquejeneveuillepas.Iln’yarienquejene

trouvepasmagnifique.Ilplongeadansmesyeux,cherchantquelquechose,unecertitudepeut-être.Etpuis,doucement,ilse

tourna.Jeluiécartailesjambes,caressaisondos,l’embrassai,massaisescuisses,sesfessesetpuis,avec douceur, je redressai sa croupe, l’obligeai tendrement – toujours tendrement – à se cambrer.

Oui,maintenant,ilétaitsublime,offert,aimant,confiant.Là,maintenant,jepouvaistoutluiprendre.Outoutluidonner.Cen’étaitqu’unequestiondechoix,aprèstout.Je lubrifiaimesdoigts et le caressai.Caleb frissonna, de crainte et de désir.L’undemesdoigts

s’immisçaen luiet l’intrusion futgênante, intime–si intimeetpersonnelle.Parcequenousétionsensemble. Pas seulement l’un profitant de l’autre, mais lui avec moi, et tout prit un ton plusconfidentiel,secret,quelquechosequenoscœurssemurmurèrent.—Rafael,haleta-t-il.—Oui.J’entraienluid’unelonguepoussée.Ils’accrochaàlatêtedulitencriant.Jepassaimesbrassous

lessiensenretenantmonsouffle,chavirantenlui.Riennepouvaitêtreaussibon.Aussibeau.Aussijuste.—Caleb,haletai-jequandilseredressa.Ilsemitàgenouxdevantmoi,unbrasautourdemoncou.Jem’assissurmestalons,lesmainssur

seshanches,leretenantunpeu.Maisilforçaetjem’enfonçaiplusloin,mordantsonépaulepournepashurlerdeplaisir.Dedésir.Desatisfaction.C’étaitlapremièrefois…Lapremière…Nos poitrines se soulevèrent rapidement, nos gémissements s’intensifièrent, nos cœurs

s’emballèrent.Nous prenions lamesure de nos sentiments, de ce qui allait suivre, de ce que nousavionsdéjàréussiàconstruire.Malgrétout,malgrémoi.Puiscefurentnoscris,nosmains,noscorpsaccrochésl’unàl’autre.Etsoudain,iln’yeutplusd’espace,plusd’endroitoùnouscacher.Voilà.Nousyétions.Dévoilés.

24Jemeréveillaiàsixheuresdumatin,ilfaisaitnuit.Laplaceétaitencorechaudeàcôtédemoi,mais

Calebavaitdisparu.Entendant l’oreille, j’entendisdespagesse tournerdanslapièced’àcôtéet jesourisenmesouvenantdecefameuxdevoirqu’iln’avaitpasterminé.Jeseraisbienrestéaulit,maissanslui,c’étaitbienmoinsintéressant.Jerepoussailescouvertures

ensoufflant.MauditsoitcefichuMIT!Calebs’étaitétalésurlatablebassedusalon.Ellenesevoyaitplusendessousdetouscesmanuels.

Quantaucanapé,derrière,cen’étaitpasmieux.Ilcroulaitsouslesfeuillesetcahiersremplisd’untasdecharabiaquejenetentaimêmepasdedéchiffrer.Entailleursurletapisdusalon,Calebécrivaitenjetantuncoupd’œilàdroite,etpuisàgauche,cherchantuneinformationouuneautre.Jemepenchaipar-dessus ledivanet lui embrassai lanuque. Ilne s’arrêtamêmepas, continuant

commesisavieendépendait.—Jevaisfaireducafé!lançai-je.Jen’étaispascertainqu’ilm’aitentendu.Jemetraînaidanslacuisine,récupérantunjeanéchouésurunfauteuiletunpullàcolrouléque

j’avais lancésurunechaise. Jenepassainicaleçon,ni t-shirt. J’avaisbien l’intentionde retournerdansmonlitplustard.Jebranchailacafetièreetjetaiuncoupd’œilàmontéléphoneposésurlecomptoir,prèsdemon

paquetdecigarettes.Ilclignotait.Jem’allumaiuneclope.Jen’écoutaisjamaismesmessages,ninelisaislesSMSdureste,maisjevérifiaistoujoursquim’appelait.C’étaitsouventCharles.OuAbou.SoliouMac,parfois.Etplusrécemment,Caleb.Aujourd’hui,c’étaitAbouquiavaittentédemejoindreà…quatreheuresdumatin?EtSoliaussi,

plusieursminutesplustard.EtencoreAbouetAma.EtSolidenouveau.Soudain,monsangsefigeaetlemondesemitàtournerauralenti.Ledernierappeldataitd’unedemi-heure.J’appuyaisurlatouchederappeletAbouréponditdanslaseconde.—Jesuisenbasdecheztoi,m’apprit-il.Jemonte.—Qu’est-cequ’ilya?m’écriai-je.—Jemonte,répéta-t-il.Jejetailetéléphoneetmeruaiverslaporte.Calebredressalatête,abandonnantsescours.QuandAbouentradansl’appartement,ilavaitlestraitstirés,leteintpâlemalgrésapeaunoireet

lesmainstremblantes.Jemefigeai.—Mac?m’étranglai-je.Jene levispas,mais je le sentis.Caleb,prèsdemoi, samain surmondos, alorsque, lesyeux

fermés, je revoyais défiler les numéros dans le journal d’appel demon portable. Ils avaient tousappelé.SaufMac.EtCharles.MaisAbouneseraitpasdanscetétatpourlui.Alors…—Oùest-il?déglutis-je.—Vienslà,meditAbou.

Il posa unemain surmon épaule, je bondis en arrière, heurtant Caleb. Il passa aussitôt un brasautourdemataille,jefrissonnai.—Calme-toi,Rafael.Tutrembles.—Mac?sifflai-je.—Àl’hôpital,m’expliquaAbou.—Qu’est-cequi…—Ilaétébattu.—Parqui?criai-je.Abousecoualatête.—Onnesaitpas.—Etpersonnen’apenséàluidemander?Aboupassaunemaindanssesmèchescrépues.—Ilestdanslecoma,Rafael…Dansle…quoi?Cen’étaitpaspossible.Unsouriresuffisant,unemainlevéeau-dessusdemoi,menaçante,ettoutescesfoisoùj’aipeinéà

mereleveraprès…Lesalopardde…Ilallaitpayerpourl’avoir…Ilallait…—Quelhôpital?demandai-jeenrécupérantmesclefs.—Attends,Rafael,essayademeretenirCalebenmevoyantpassermavesteetprendremoncasque

àl’entrée.Calme-toiunpeuetlaisseAbou…—QUELHÔPITAL?Abounecillamêmepas.Calebfermalesyeux.—AuBostonGénéral.Je quittai l’appartement comme un furieux, abandonnant l’ascenseur pour prendre l’escalier. La

rageauventre,jemeprécipitaidanslegaragedel’immeuble,sautaisurmamotoetfilaienfaisantcrissermespneus,manquantderentrerdansplusieursvoituresenm’insérantdanslacirculation.JeroulaiversBeaconHill.Etversl’hommequitenaitnosviessifragilesentresesmains.Jejuraisquej’allaisletuers’ilétait

responsabledel’étatdeMac.Jejuraisqu’ilnes’ensortiraitpascommeça.Jejuraisdemettrelefeuàsamauditemaisons’ilavaitosés’enprendreàlui.Jeneprismêmepasletempsderéfléchir.Mêmepasdeuxsecondes.Jefonçaitêtebaissée,obnubilé

parlavengeance,larancœur,lescoups.Ceuxqu’avaitreçusMac,ceuxquej’avaisreçus,moi.Toutsemélangeait.Etjenesavaismêmepluspourquijelefaisais.Pourlui.Pourmoi.Pourtouslesautres.Ignorantencorequ’AbouetCalebmesuivaientenvoiture,jedérapaidevantleportailenferforgé

gris.Jedescendis,laissantmamotosansantivol,jetantmoncasqueprèsdelaroue.J’entrailecodeetremontai l’allée, traversant un jardin trop grand et trop coloré, gravis les marches d’unemaisonimposante et récupérai une petite clef qui traînait toujours dans ma veste. J’ouvris sans frapper,fonçantdroitverslachambre.Aupassage,jerécupérailabattedebase-ballderrièrelaportedusalon.Charles sursauta quand la porte claqua contre lemur, faisant également bondir son compagnon

d’unenuit.Puisilécarquillalesyeuxquelquessecondesenmevoyantmeruerdroitsurlui,labatte

pointéeverssatête.J’allaisletuer…MaisCharlesnebronchapas.Ilsepermitmêmedesourire.—Jesuistoujoursravidetevoir,monamour,minauda-t-il.Maisquemevautceplaisir?Monamour…Justepourça,jepourraislefrapper.Le…—Est-cequetul’asvu?crachai-jeviolemment.Mac?Est-cequetul’asvuhiersoir?—Bienquecelaneteregardepas,bébé,sachequejenevoisplusMacdepuisquejel’aiinstallé

danssonappartement.Selonnotrenouvelaccord.Ilhaussasessourcilsépilés,jetauncoupd’œildansmondosetsouritencoredavantage.—Jesuishonorédevotreprésencedansmonhumbledemeure,pasteurFinch.De lavôtreetde

celledeMonsieurBecker.Et je leseraisd’autantplussiquelqu’unvoulaitbienmedirecequ’ilsepasse?Abandonnantlepetitbrunterrifiédanslelit,Charlesseleva,nullementgênédesanuditéetenfila

unpeignoir.—Jaloux?Ilmejetaunregardamusé,s’attendantàmevoircillerdevantlaprésenced’unautrechezlui.Mais

jem’enfoutais;jem’enétaistoujoursfoutu.J’inclinailatêtedangereusement.—Non,soupira-t-il,dramatique.Tunel’esjamais.Etc’esttellementdommage!Lamâchoirecrispée,jelefixaiduregard.Maisnon,biensûrquenoncen’étaitpasluiquiavaitenvoyéMacàl’hôpital.Iln’auraitpasl’airsi

amusé si c’était le cas. Charles risquait gros s’il envoyait une pute ad patres. Son conseild’administrationferaitexplosersonsiègedePDG,quecesoitluiquiait,ounon,créécetteboîte.Jejetailabattedebase-ballausol,Charleshaussaunsourcil.Puissoudain,jelesentis.Derrièremoi.Caleb.Jemeretournailentement,horrifiédelevoirlà.—Qu’est-cequetufouslà?sifflai-je.—Tu…Maisilnecontinuapas,sonregardd’ambregrispassapar-dessusmonépauleversl’hommequise

tenait derrièremoi.Et le voir là, dans cette chambre, près deCharles, là où j’avais connu le pire,l’horreur,làoùj’avaisvendumonâme,làoùjem’étaisbrisétantdefois,écorché,saigné,merenditmalade.EtMacàl’hôpital,etAbouenfacedemoi.EtCaleb,ici…Cefuttrop,beaucouptrop.Jeledépassaietquittailachambre,refusantdeleregarderunesecondedeplus.Pasici,pasdans

cettemaison.—Rafael,m’appela-t-il.—Pasmaintenant!

Jeclaquailaported’entréeensortant,mesjambesrefusantd’allerplusloin.Jem’écroulaisurlesmarchesduperron,latêteentrelesgenoux,retenantmeshaut-le-cœur.BonDieu,cen’étaitpaspossible!Etpuisleursvoix,danslacuisine,s’élevantparlafenêtrerestéeouverte.CelledeCharles,calculatrice.—CalebBecker,jesuisenchanté.—Etvousêtes?réponditl’intéressé.Unsilence.PuisAbou.—CharlesKennedy.—Jepeuxmeprésentertoutseul,Finch.—Allezvousfairevoir,ordure!—Toujours aussi poli. Franchement, jemedemande comment vous conservez votre place dans

cetteéglisequevouschérissez tant.CecherGoraaurait-ildéteintsurvous?Unreprisde justiceasouventlelangageleste.Jevoulaispartir.Jevoulaisresteretécouter.J’auraisdûm’éloigner.J’auraisdûempêcherCaleb

d’entrerici.J’auraisdûnejamaislemêleràmavie.Àtoutesmespeines.EtMac.Danscethôpital.AvecAma.—Voussavez,MonsieurBecker,jeseraispeinéqu’unélémentsibrillant,unétudiantsiprometteur,

mette sa future carrière en danger. Je me suis renseigné sur vous. Le doyen duMIT ne tarit pasd’élogesàvotresujet.Vosprofesseurssontravisdevousavoiretilsvoientenvousl’élémentquivarévolutionnerlaNASA.Queldommagesitoutcelaprenaitsubitementfin.—Vouslemenacez,Kennedy?sifflaAbou.—Simpleremarquepréventive.—EtvouspensezquemettreuneépéedeDamoclèsau-dessusdematêtevam’éloignerdeRafael?

demandaCaleb,d’untonsuffisant.Il rit, d’un rire froid et hautain.Quelque chosequime fit redresser la tête et tendreunpeuplus

l’oreille.— Vous devriez vous renseigner un peu mieux, Monsieur Kennedy, lui balança-t-il. Parce que

commevousl’avezsouligné,jesuistrèsintelligent.Vouspouvez,àlarigueur,mefairevirerduMIT.Bienquej’endoute,parceque,commevousl’avezsijustementdit,jesuisunélèvetrèsbrillantdontledoyenn’aimerapasseséparer.Maisensupposantquevousyarriviezquandmême,sachezquej’aiétéacceptédanstouteslesuniversitésoùj’aifaitmademandedemaîtrise.DeStanfordàSingapour.—Tantquevousn’êtesplusàBoston,susurraCharles.— Je vois, fit Caleb, sombrement.Mais il y a les avions, les trains, les bateaux, vous savez. Et

mêmesansça,j’auraisencoremesjambes.—Ilestàmoi,sifflaCharles,menaçant.Jeretinsmonsouffle,prêtàrejoindreCaleb,àlesortirdecettemaison.Maisunefoisdeplus,il

mesurprit.—Rafaeln’estàpersonne,lecontreditCaleb.Etjetrouveraiunmoyendevousl’arracher.Même

sipourça,jedoisrenoncerauMIT.ÀlaNASA.Ouàn’importequoid’autre.

—Cen’estqu’unepute!perditpatienceCharles.—Espècedesalopard!gueulaAbou.Il y eut du bruit, comme le son d’une casserole qui tombe au sol. Je bondis surmes jambes à

l’instantoùlaportes’ouvrit.Aussitôt,unbraspassaautourdematailleetjereconnuscettechaleur.CelledeCaleb.—Allezviens,mesouffla-t-ilenm’éloignantdechezCharles.IlfautallervoirMac.Etilm’entraîna,laissantCharlesetAbouderrière.J’allaispayertrèschercetaffront…Trèsbientôt.Dèsquejeverraiscettemaisondenouveau.—Tun’auraisjamaisdûvenir.J’avaisenviedel’emmenerchezmoi,delemettresousunedoucheetdelelaverdecetendroit.—Çaira,mepromit-il.J’auraisaimélecroire.

25Macétaitsousrespirateur,plongédansuncomaartificiel.Sonvisageétaittellementabîméquejele

reconnusàpeinesouscettemyriadedebleus.J’étaisassisprèsde son litdepuisdesheuresmaintenant, tenant samaindans lamienne, lisantà

voixhauteunarticled’undecesmagazinesqu’ilaimaittant.Jenevoyaispastropcequ’ilpouvaityavoirdesipassionnantàêtreaucourantdespetitesmaniesdeBritneySpearsetdeladernièrefoliedeLadyGaga,maisjen’étaispasMac.Caleb,aprèssonéclatchezCharles,m’avaitaccompagnéàl’hôpitalpuisavaitfiléauMIT.Ilétait

repassé àmidi avec des sandwichs pourAma etmoi, avant de repartir en courant.Ama l’adorait,mêmesielleneparlaitpasbeaucoupensaprésence.Elleétaitpudique, il lui fallaitdu tempspours’ouvrirauxautres.—Cetenfantestuneperle,medit-elle,unefoisCalebreparti.Cen’étaitplusunenfant,mêmesisadégained’étudiantdébrailléluidonnaitdesairsjuvéniles.—C’enestune,oui.—C’estbien.—Jen’ensaisrien.Elletricotait,laissantsesmainstravaillersansyprêterattention.—Maissi,tulesais.JecaressailamaindeMacetsoufflai,repensantàlaconfrontationavecCharles.Commentavais-je

puêtreaussiidiot?Charlesn’auraitpasrisquédemettrefinànotreaccord.IlavaitbesoindeMac.L’envoyeràl’hôpitaln’avaitaucunsenspourlui.Maisalorsqui?Undesesfournisseurs?Unqu’iln’avaitpaspayé?Unhomophobe?Undeces

maladesquis’enprenaientauxprostitués,justepourleplaisir?J’avaisbesoind’uncoupable.Quequelqu’unpaiepourça.J’avaistoujoursvoululeprotéger.Etilétaitquandmêmedanscelit,sousmonitoringcardiaque,

inconscientdepuisdesheures,ayantfaillimourirsurlatabled’opérationàcaused’unehémorragieinterne.Ilavaitunecommotionetlarateexplosée.Etmoi, pendant qu’il se faisait passer à tabac, j’apprenais le bonheur avec Caleb. Je n’arrivais

mêmepasàleregretter.—Net’enveuxpas,meditAma.Tun’espasresponsable.Jerissansjoie.—Alors,quil’est?—Ceuxquiontdonnélespremierscoups.—Ilestsi…vulnérable.Etseul.Amasecoualatête.—Ilt’atoi.—Lapreuve,dis-jeavecrancœur.

Il n’y avait qu’à voir où il se trouvait pour comprendre qu’il n’avait pas grand-chose.Quejen’étaispasgrand-chose.J’auraisdûluiéviterça.Jecaressaidoucementsescheveuxroux,regrettantdenepasvoirsesyeuxvertss’ouvrir.Dedans,

ilyavaitl’enviedevivre,etl’enviedesedétruireaussi.Beaucoupdecomplexité.—Tucroisqu’ilvas’ensortir,Ama?—J’ensuiscertaine,monRafael.Mesyeuxmepiquaient,brillaient,maisjerefusaisdepleurer.Ilétaitenvieettantqu’ilétaitenvie,

ilfallaits’enréjouir.Maisn’avais-jepaspensélamêmechose,quandjeveillaismamèreetqu’ellepriait?N’avais-je

pascruqu’elleseraitépargnée?Alorsqu’ellemouraitchaquejourdavantage.Elleétaitpartiequandmême.—Çavaaller,meditAma.Ellecontinuaàtricoter.JeserrailamaindeMac.Ilnebougeaittoujourspas.

26—Jenecomprendsrien,Caleb!seplaignitSolipourlaénièmefois.Etpourlaénièmefois,Calebinspiraprofondémentpournepass’énerver.Iln’avaitpasl’âmed’un

professeur,ilmanquaitdepatience.Ilétaitsurtouttropintelligent.Lesmathématiques,pourlui,c’étaitd’une logique imparable. Ça coulait de source. Alors que pour Soli, c’était simplementincompréhensible.—Çafaitdeuxheuresqu’onestsurcetteopération.Unpeuplusenfait.Nous étions samedi, le dernier que nous passerions dans cette chambre d’hôpital. Mac sortait

aujourd’hui,aveclabénédictiondesesmédecins.Ilallaitbiendepuisqu’ils’étaitréveillédesoncoma,dixjoursplustôt,deuxsemainesaprèsson

agression.Iln’avaitplusdeplaies,plusdebleus,plusdebosses.Ilétaitguéri…Dumoins,enpartie.Il semblait de nouveau égal à lui-même. Ses yeux verts pétillaient, même si l’obscurité derrièresemblait avoir pris plus de place. Il agitait toujours lesmains quand il était contrarié, haussait lessourcilsquandilétaitperplexe,souriaitàdemiquandilsemoquait.Enlevoyantjeterdescoupsd’œilrieursàSolietCaleb,quisebattaientpourquelquesopérations

alorsqu’Amasoupiraitànousfendrelecœur,j’auraispresqueoubliéquedepuisqu’ilétaitréveillé,iln’avaitpasprononcéunseulmot.Pasunson.Pasunmurmure.Mêmepasuncri,lesnuits,quandlescauchemarslerattrapaient.Rien.Uneaphasiequesonmédecindisaittemporaire.—C’estsafaçondeseremettredutraumatisme,nousavait-ilexpliqué.Laissez-luidutemps,soyez

présentssanslepresser,ettoutreviendraàlanormale.Ilajustebesoindepatience.Lapatience.Unevertuquisemblaitfairedéfautàchacund’entrenous.MêmeAbounel’étaitpas

vraiment,malgrélessermonsqu’ilrécitaitledimancheàl’égliseavecsarobeetsoncolblanc.—SoliFinch,vas-tuécoutercequeteditCaleb,unebonnefoispourtoutes?s’énervaAma.—MaisMama,jene…—Situdisunefoisdeplusquetunecomprendspas,jevaismeleverdecettechaise!Lamenacefitsonpetiteffetetjemeretinsderire.Calebrepritsesexplicationsenlevantlesyeux

auciel,sedemandantsûrementcommentilenétaitarrivéàenseigneràungaminbutédedix-huitans,alorsqu’ilavaitunsacremplidemanuelsàétudieretuneflopéededevoirsàrendre.AssissurlelitàcôtédeMac,épaulecontreépaule,j’observaimonbeauTexanavecuneadmiration

silencieuse, un éblouissement bien dissimulé derrière mes airs débonnaires et un désir qui mesemblaitencoreétrange.Deleressentircommeça,justeenlevoyant,enl’écoutant.Macmedonnauncoupsurlebrasetmefitlesgrosyeux.—Quoi?luidemandai-je.IlpointaCalebdumentonetsourit.Jeplissailesyeux,renfrogné.—Désolé,maisjenepigepascequetuveuxmedire.Biensûrquesi.Maissijecommençaisàinterpréterlemoindredesesclignementsd’œil,iln’allait

plusfairel’effortd’ouvrirlabouche.Macmejetasonmagazinesurlapoitrineetcroisalesbras.J’enfisautant.— Ce qu’il essaie de te dire, baragouina Caleb, le visage penché sur le cahier de Soli, c’est

d’arrêterdemeregardercommeça.—C’estclair!ricanacedernier.C’estindécent.—Tunesaisriendel’indécence,SoliFinch!Alors,concentre-toiplutôtsurtesdevoirs.—Saufquejenesaisriennonplusdel’algèbre,Mama.Amalaissatombersontricotsursesgenouxetjoignitlesmains.—Aunomduciel,maisoùestpasséAbou?Mac hocha la tête vivement, se le demandant aussi. Il avait hâte de quitter cette chambre pour

retrouver son appartement. J’aurais préféré qu’il vienne chezmoi, aumoins pour quelques temps.MaisCharlesétaitcapablede lui fairepayerceprivilègedont lui-mêmenedisposaitpas.Çaaussi,c’étaitdansnotreaccord.Ilnesepointaitjamaisdevantmaporte.Maisgardaitunœilsurtousceuxquis’yprésentaient.GrâceàDante.—Turecommences,marmonnaCaleb.—Àquoi?demandai-je.Je savais très bien à quoi. À le regarder, à espérer un moment de solitude, mais de solitude

partagée.ÀoublierdemainetCharles.HieretValence.Ànepaspenserquec’étaitencoreMonsieurKennedyqui avait réglé les frais hospitaliers deMac.Même si c’était de façon détournée, puisquej’avais gardé mon enveloppe les trois dernières semaines. La comptable de l’hôpital avait étéstupéfaite de me voir sortir tout ce liquide de mon sac pour payer le séjour de Mac au BostonGénéral.Commentaurions-nousfait,sijen’étaispassortitroissoirsparsemaine?Etmêmesiçadevenait

deplusenplusdurpourCalebdemelaisserfaire,luinonplusn’avaitoffertaucuneautresolution.Alorsjecontinuais.Mêmesi,chaquesoir,lessilencesdeCalebsefaisaientdeplusenplusaccusateurs.Il avait toujours su.Dès le début. Etmoi aussi. J’avais accepté de n’avoir ce bonheur que pour

quelquetemps.Etd’êtreconscientquejefiniraisparleperdre.Alorsoui,jeleregardais.Avantdeneplusenavoirl’occasion.Abounous rejoignitenfinavec lespapiersdesortiedeMacetcelui-cibonditdu lit, attrapant sa

petitevaliseetsonmanteau.—Attendsunpeu,monchou,lerappelaAma.Noussommesaumoisdenovembre,iltefautune

écharpeetunbonnet.Tiens.Elle lui remit l’unet l’autre,deuxdeceschefs-d’œuvrecolorésqueMacaffectionnait tant. Il les

passaetjeluifisunclind’œil.—TevoilàprêtàdéfilerpourlaMarchedesfiertés.Il portait les couleurs de l’arc-en-ciel, ça lui allait bien. Il paraissait plus jeune,moins abîmé ;

moins vulnérable aussi. Même si ce n’était qu’un leurre, bien sûr. La stabilité de Mac était aussifragilequemarelationavecCaleb.—AllezMac,enavant,lepressaAbou.Oujepourraisoublierl’undesdixcommandements,sije

resteiciuneminutedeplus.

—Lequel?demandaSolienrangeantsescahiersavecbeaucouptropd’empressement.—Tunetueraspoint,soufflasombrementAbou.Caleb récupéra sa besace et tira sur sa chemise. Elle était légèrement remontée, découvrant une

bandedepeaud’unblancnacréquimedonnaitenviedeposerleslèvresdessus.Nousdescendîmesjusqu’auparkingetjeprisMacdansmesbras,luiébouriffantlescheveux.—Jet’appellecesoir,tun’aurasqu’àtapersurlemicropourmerépondre.Etpuisjevienstevoir

lundi,OK?Calebluitapasurl’épaule.—Jeviendraidemain,d’accord?Illeditd’unefaçonquimefitgrimacer.Jeviendraidemain.Sous-entendantqueluiseraitlàetque,

moi,jenepourraispasl’être,puisqueCharlesseraitentraindemebaiser.JesaluailesFinchetm’éloignaiversmamoto.JeladémarraietCalebgrimpaderrièreàl’instant

oùj’accélérais.Ilrestamuet,immobile.Jemecontentaideconduire.Enarrivant,ilsemitaussitôtàsesmanuelsetjemeretinsdeluidirequ’ilpouvaittoutaussibien

travaillerchezluisic’étaitpourmelancersescoupsd’œilfurieux.Jepensaisavoirétéclairdèsledépart.Iln’avaitjamaisétéquestionquej’arrêtedemeprostituer.C’étaittoutsimplementimpossible.Charlesavaitmisdescadenasàmeschaînesetilétaitleseulàenposséderlaclef.Et puismerde !Où serais-je, si je ne l’avais pas croisé, cette nuit-là, dix ans plus tôt. Je serais

encoredanslarue,sûremententraindefairepirequeça.AlorsqueCalebcroyait-il?Jeleconnaissaisdepuisseulementdeuxmois!Jemevendaisdepuis

desannées.C’étaitmavie.Cequej’étais.—Jevaisaubureaudetabacenbas.—Tudevraispenseràarrêter,dit-ildoucement.Jemefigeai.—Quoidonc?luibalançai-je,mauvais.Laclopeouletapin?LestylodeCalebs’arrêtanetsurlafeuille,puistombasuruncahier.Ilrelevasessibeauxyeux;

ilsétaientcommeunetempêted’été.Chaudsetterrifiants.—Peut-êtrebienlesdeux.—Etpourquoiferais-jeça?crachai-je.—Lefaitquetuledemandesestuneréponseensoi!Ilfermalivresetcarnets,balançaletoutdanssonsac.—Tuattendsdemoiquelquechosequejenepeuxpastedonner,Caleb.—Tunesaismêmepascequej’attendsdetoi,Rafael.Tunel’asjamaisdemandé!J’écartailesbras,excédé.Cemoisàl’hôpital,àveillerMac,às’inquiéterpourlui,ànevivrepratiquementqu’enpensantà

lui, avait ébranlébeaucoupde choses.Enmoi, enCaleb.Etmême si, dansun sens, nous en étionssortisplusproches,dansl’autre,celaavaitcreuséunfosséentreluietmoi.Parcequecertainssoirs,jepartais.Etqu’ilmevoyaitmerenfermersurmoi-même,entamerlestockdepréservatifsdestiroirs

demasalledebainetrevenirdesheuresplustard,lahontemedonnantenviedeboire.J’auraisvoululemettreàlaporte,cesjours-là.Maisilrestaitmalgrétout.Commes’ilcherchaitàmechoquer,àmemontrer que ce que je faisais l’atteignait.Mais sans jamaisme le dire. Sans jamais prononcer lesmots.Jusqu’àaujourd’hui.Jusqu’àmaintenant.—Trèsbien!Qu’est-cequetuveux,Caleb?—Jeveuxquetuarrêtes.—Non,répondis-je,catégorique.—Pourquoi ? souffla-t-il. Ça ne peut pas être qu’une question d’argent ! L’altruisme ne va pas

jusque-là,OK?QuetuaideslesveuvesetlesorphelinsenoffranttoutcequetedonnecetenfoirédeCharlesn’estpasune raisonvalabledecontinuerà teprostituer.Cen’estpasqueça.Alors quoi ?Commentiltetient?Commentceconnardt’yoblige?Jerécupéraiunbilletdanslacoupoledel’entrée,refusantdepoursuivrecetteconversation.—Çaneteregardepas,Caleb!—Ahnon?perdit-ilpatience.C’estvrai!Cesontvospetitesaffaires,àtoietàCharles.Maispeut-

êtren’as-tupastellementenviedelequitteraprèstout?Lamainsurlapoignéedelaporte,jemeretournai.—Dequoitum’accusesaujuste?—D’aprèstoi?Calebarrachasonmanteaududossierducanapéetlepassa.Jerevinsverslui.—Oùvas-tu?demandai-je,dansunecolèrenoire.—Jem’envais.—Tut’envas?articulai-je,lapoitrinesoudainserrée.Maintenant?Ilcontractalamâchoire.S’ils’enallait,jenelereverraispasavantdeuxjours.Etencore…Lundi

soir, il travaillerait et après, il y avait cette soirée donnée par sa fraternité. Ilm’avait proposé del’accompagner,maisj’avaisrefusé,netenantpasàmeretrouverdevantBrandonouunautredemesclients. Jem’étais faitbaiserparpasmald’étudiants friqués.Cequi, l’undans l’autre, repoussaitàmardi.Mardi…Oujamaisd’ailleurs,s’ilpartaitsiencolère.Peut-êtrequ’ilmequittait.Peut-êtrequec’étaitdéjàlemoment.Non!Ilenfilasesgants,nouasonécharpe.—Queveux-tuquejetedise?demandai-je,prisdepanique.— Rien pour l’instant ! souffla-t-il d’une voix blanche. Là, je crois que j’ai juste besoin de

m’éloigner.—Tut’éloignestoutelajournéequandtuesauMIT,non?Cen’estpassuffisant?Ilsecoualatête,sonregarddevintpresquenoir.—Tuveuxqu’onparledeteséloignementsàtoi?fit-il,blessé.Delàoùtoi,tuparslesoir?Les

nuits?Lesdimanches?

Ilpassasonsacsursonépaule,remontalafermeturedesonmanteaujusqu’aumenton.Sesmainsplongèrentdanssespochesenpoingsserrésetlesmiennesfourragèrentdansmescheveux,cherchantàleretenir.Nousrestâmesunmomentl’unenfacedel’autre,sansriennousdire.Iln’yeutquenossoufflessaccadésetnoscœursdéchirés.Puisilavança,mepassadevantetouvritlaporte.—Jet’appelle,dit-iljusteavantderefermer.Etjefixaiduregardlebattantclos,sanspouvoirnibouger,niparler.Sanspouvoirréagir.

27Desheuresplustard,j’étaisencoreàmedemandersijedevaisluicourirderrière.Ouallerfrapper

à son petit studio minuscule pour lui demander pardon. Ou si je devais lui envoyer un message,l’appeler.Si jedevaism’excuseràgenoux.Jepouvaismemettreàgenoux,après tout, je le faisaissouvent.Alorspourquoipasdevantlui.Les relationsdecouple, jen’ycomprenais rien,c’étaitmonalgèbre.Quand il s’agissaitdenous

envoyer en l’air, je gérais tout à fait. Je savais comment réagir une fois que nos peaux nues sefrôlaient.Jeplongeaisenlui,etc’étaitcommeunaveu.C’étaitcommeun«jet’aime»,leseulquejesavaisprononcer.Maisapparemment,c’étaitloind’êtresuffisant.Malgrétoutelatendressequejemettaisdansmes

gestes. Malgré la force de mes sentiments, la singularité de nos caresses, la particularité de nostouchersettoutcequilerendaitunique.Nevoyait-ilpasquelesautresn’étaientrienquedesheurestarifées,quedesaberrations,unmoyendetouslesprotéger?Etquimesauve,moi?Je finis par quitter l’appartement àmon tour. J’appuyai sur le bouton de l’ascenseur et attendis,

priantpourqueDantenesortepasdechezlui.Jem’engouffraidanslacabineetlesportesserefermèrent.Jesaluailegardienensortant;commed’habitude,ilmesourit.Aubureaudetabac,j’achetaitroispaquetsdecigarettes,unbriquetetdeuxdecesmagazinespeople

queMacadorait.Etpuis,ilyavaitcetterevuescientifiquequeCaleblisaittouteslessemainesetjelaprisaussi,commepourdéfierlesort.Elleviendraitrejoindrelehautdelapilequ’ilavaitlaisséesurlatabledenuitdelachambre.Incroyablelenombredechosesqu’illaissaittraînerpourmerappelersaprésencequandiln’était

pas là.Et jen’avaispasenviede remonter toutde suiteetd’être seulaumilieudecespetits riens,disséminésauxquatrecoinsdemonappartement.Jemarchai sans but etme retrouvai dans un bar, devant uneGriffin’s Bow à regarder le match

qu’avaientperdulesPatriotslaveille,àécouterunvieuxtubedePortishead.Vucequedonnaientlesgarssurleterrain,cettemélodietristeetdésespéranteétaiteneffetbienchoisie.Ellecadraitavecmonhumeur.Jevidaimapremièrebouteilledebière,puislasecondeetlatroisième,etuneautreavantlafindu

match.Jequittailebaretmeremisàmarcher.Jepassaiparlabibliothèque,maisBrooken’étaitpaslà.Ellenetravaillaitqu’unsamedisurdeuxet

aujourd’huin’étaitpaslebon.Jem’assisquandmêmeàunetable,danslasalledelecture,pensantàunautrejour,àsonregardsifrancetsonsouriresisincère.Jenel’avaispasencoreblessé.Ilétaitencoreentieràcemoment-là.Lesoleildéclinaitquandjerepartis,lesjambesankyloséesd’êtrerestéesimmobilessilongtemps.LanuitétaittombéequejedéambulaistoujoursdanslesruesdeBoston,errantàdroiteetàgauche,

nesachantpasoùaller,oùmesentirbien,oùmeréfugier.

Jemesentaisseul.ChezAbou,jemebuteraisàunmur,puisqu’ilétaitcommeCaleb,ilattendaitquej’arrête.Comment

pourrait-il savoir que siAman’avait pas été expropriée, c’était parce queCharles avait racheté laplupartdesmaisonsduquartier?Si seulement il n’y avait que ça…Mais non, bien sûr que non… Si Charles me soumettait si

facilement, c’était parce que d’un seul coup de téléphone, il pouvait les ruiner, anéantir leurs viesaussi facilement qu’il avait détruit lamienne.Avec l’argent, venait le pouvoir, et Charles en avaitbeaucoupàBoston.Alorsnon,jenepouvaispaslaissertomber,mêmepourCaleb.Etmêmesijelevoulaisplusque

tout.Àseizeans,j’avaiseubesoind’untoitsurmatête.Dequelqu’unquis’occupedemoi.Etj’avaiscru

longtempsqueCharlesétaitcettepersonne.Ilmefaisaitmal,maisilétaitleseulàêtrelà.Ladouleurétaitdevenueuneconstante,jem’yétaisaccroché.Àdix-sept ans, j’avais rencontréAbou,et avec lui, la forcede l’amitié, la compréhensiond’une

famille.J’avaisdenouveaueuquelquechoseàperdre.EtCharless’enétaitservicontremoi.Pourmegarderquandj’avaisessayédelequitter.Ilavaitridemesefforts,avançantsespionsunparun,memettantenéchecàchaquefoisqueje

tentaisunenouvellemanœuvre.Aujourd’hui,j’étaismat.Etj’avaiscouchémonroidepuisbienlongtemps.Unautrebar,uneautrebière.Etpuisunverredewhisky,deux,trois…Etquatre.Ilétaitvingt-deuxheuresetj’avaispromisàMacdeluitéléphoner.Etsaouloupas,unepromesse

était une promesse. Je farfouillai dansma poche, déposai un billet pour le serveur et sortis sur letrottoird’unedémarchemalassurée.JesortismontéléphoneportableetappelaiMac.Ilréponditàlapremièresonnerie,commes’ilattendaitmoncoupdetéléphonedepuisunmoment.—Salut,bafouillai-je.Un bip retentit à mon oreille. Je supposai que ça voulait dire bonsoir ou quelque chose

d’approchant.Jem’écartaipourlaisserpasserunebandedefêtardshurlants.—Unbippouroui,etdeuxpournon,marmonnai-je.OK?Unbip.—Bien.Çava?Unbip.—Tuessûr?Unbip–quidura.Jeris.—Pasdevertige,demauxdetête,de…Deux bips agacés. Je haussai les épaules et tournai au croisement. Je traversai la rue et un

automobilistemanquademerenverser.C’estcequiarrivaitquandoncoupaitlarouteàunevoituredesportlancéeàtoutevitesse.Lamortnedevraitpasêtresiterrible.Ilyavaitpire.Lavieétaitbienpire.—Ilm’aquitté,dis-jesansréfléchir.Peut-êtreparcequeMacnepouvaitpasvraimentmerépondre.Peut-êtreparcequej’avaisenviede

leluidire.

—Ilestparti…Justecommeça.Juste…facilement.Deuxbips–trèslongs.—Biensûrquesi.Jenesuisqu’unprostituéquirefusederenonceràsespasses.Jenesuisqu’un

salaudqui le trompepouruneenvelopperempliedebilletsverts.Merde,après tout, ilafiniparserendrecomptequejenevalaispasgrand-chose.Ilestintelligent,ilauraitfiniparlecomprendretôtoutard.Deuxbips,encore.—J’aitropbu,jesuisencolèreettuneveuxpasmeparler,Mac.Avectoiaussi,j’aifaitn’importe

quoi.J’auraisdûteforceràresterdanscefoyer,àarrêteretà…Jenesaispas…Tupeuxtesortirdecettemerde,toi.Unbip.—C’estbien,soufflai-je,voyantunpeutrouble.C’estvraimentbien.Jepassaisousunlampadaireetm’arrêtaipourjeteruncoupd’œilàl’immeubled’enfaceetàla

fenêtreducinquièmeétage.Elleétaitéteinte.— Caleb n’est même pas chez lui, soupirai-je. Je suis ivre… je m’en veux, je me sens…

dégueulasse,Mac.Saleetindigne.Jen’aiplusaucunefierté,plusaucuneraisondenepasbaisserleregard.EtjesuisquandmêmeàBrightonpourlevoir.Etlui…Luin’esttoutsimplementpaslà…Deuxbips–trèslongs,puisuntroisième,unquatrième.Unefrénésiedebips.—Jenecomprendspas,Mac.Unsoupir,puislebruitdeportesquiclaquent.Etsoudain,unsonquiraisonnaàmonoreilleetqui

disait:—Qu’est-cequ’ilya,Mac?Caleb…—Ilestcheztoi?Unbip.—Jevois,sifflai-je.—Mac?répétaCaleb.Pendantquejecrevaisdedouleurdansmoncoin,ilétaitpartichezMac.Apparemment,jen’étais

paslabonnepute.Aumoins,avecMac,ilyavaitencoredel’espoir.—OK,Mac.Jevaistelaisser…Jecroyais…Laissetomber,d’accord…Desmillionsdebipsetunautrebruit,unesuccessionde«aïe»et…—Allô?ditCaleb.Jemefigeai.Cettevoix,elleavaittoujoursfaitvibrermapoitrine.—Allô?répéta-t-il.Quoi…Attends,Mac…Écris,jenepigepas…Oui…Unsilence…Jeserrailetéléphonedetoutesmesforcesdansmesmains.—Rafael?finit-ilpardireavecprécaution.C’esttoi?—Oui,déglutis-je.Letempssesuspenditetjenevoyaisplusrienqu’unmensonge.—Jesuisdésolé.

—Cen’estpasgrave,articulai-jeavecdifficulté,évitantdelaissertropdedouleursedéverserdanscesquelquesmots.Tuauraisdûsimplementledire,Caleb.—Direquoi?s’étonna-t-il.Medirequoi?Jefermailesyeux,repensantàtoutescesjournées,cesheuresoùilavaitveilléMacavecmoi,et

sansmoi,lorsquej’étaisailleurs.—Jenecomprendspasdequoituparles,Rafael.Jen’avaispaslaforcepourcetteconversation.J’avaisbesoindetrouverunpub,n’importelequel

etdeviderunebouteilleentière.Encore.—Salut,Caleb.Unefeuillequ’ondéchirait,puisunsouffleétranglé.—Attends,Rafael…Jeraccrochaiavantqu’ilaitfini.Letéléphonesonnaaussitôt,maisjenedécrochaipas.Jelejetai

danslapremièrepoubellequejecroisai,lelaissanttombertoutaufond.Voilà,c’étaitfini.Çadevaitbienarriver.JeneméritaispasCaleb.MaisMac,si.C’étaitunepersonnebien,quiavaitducœurauventre,qui

souriaitencoremalgrétoutcequ’ilavaitvuettraversé.Quelqu’unquiavaitlavolontédechanger,derecommencer,desedébattrepours’ensortir.Moi,j’étaisattachésanspossibilitédemerelever.Charlesavaitparfoislabontédedesserrermes

liens,maisjamaisdelesenlever.Etpendantunmoment,j’avaisdusoleil,unegrandelumière,delabeauté.Seulement,ellen’éclairaitquemapropremisère.Jem’écroulaisurletabouretdupremierpubsurlequeljetombaietn’enbougeaiplusjusqu’àdeux

heuresdumatin.Etseulementparcequelebarmanmevirapourfermer.Jeruaiunpeu,l’insultaietmeretrouvaisurletrottoirfaceàdeuxgrosbalaisesprêtsàendécoudre.Jericanai.—Vousplaisantez,lesgars?L’unétaitplusgrandquemoi,l’autrepluspetit.Ettouslesdeuxaussimassifs.Maislespluslourds

n’étaientpasforcémentlesplusdangereux.Calebm’avaitdétruitenquelquesmotsetilpesaitdixbonskilosdemoins.Alorss’ilsvoulaientsebattre,qu’ilsviennent.J’avaisbesoinquequelqu’unpaiepourtoutceque

cettesalopedeviemefaisaitendurer.Autantquecesoiteux!—Lequelenpremier,chantonnai-je,dansantd’unpiedsurl’autre,titubant.Çalesamusa.Pasautantquemoi.Leplus grand se lança, tendit le bras pourmepousser et se retrouva face contre terre quelques

secondesplustard.J’eusplusdemal àmedébarrasserdu second. Ildonnaquelquescoupsunpeu tropbienplacés,

dontunquim’ouvritlalèvreetunautrequiatteignitmajoue,ylaissantunjolihématomeaupassage.Unechancequ’ilnedevaitqu’aufaitquejenem’étaispasbattudepuislongtemps.MaisleKravMaganeseperdpascommeça,etj’envoyailedeuxièmeausolquelquesminutesplustard.

Malèvrecoupéesaignaitdansmabouche.Jecrachaiparterre,résistantàl’enviedeleurbalanceruncoupdepieddansleventre.Jepartissansmeretourner,laissantlesquelquesbadaudsquis’étaientarrêtésprendresoindeces

crétins.Sanslemoindreregret.Lemoindreremord.J’auraispurentrerchezmoi,maissi jem’endormaismaintenant, jenemeréveilleraisplus,etje

devaisêtrechezCharlesàneufheures.Êtreenretardavaitdesérieusesconséquences.Dansmonétat,j’envenais presque à réclamer les coupsde fouet, dematraque, de ceinture. J’envenais presque àdésirercestorturesquiavaientungoûtdepunition.Cettenuit,j’avaisl’impressiondelesmériter.Detoutmériter.Il était quatre heures dumatin quand j’arrivai à BeaconHill, avec cinq petites heures d’avance.

Charles nem’envoudrait pas.C’était exactement ce qu’il voulait d’ailleurs.Que je vienne sans enavoirreçul’ordre.Ehbien,ilavaitgagné.J’étaislà.Jemarchaissurlestrottoirsdesplusgrandesmaisonsdelaville.Mavisionétaittroubleetj’avais

comme une étrange hallucination. L’impression que Caleb se tenait devant le portail, échevelé, sefrottantlesmainsl’unecontrel’autre,soufflantdessus.Sonvisageétaittiré,fatigué,sesyeux,cernés,brillantsetsesjoues,delàoùj’étais,semblaientmouillées.Maisçanepouvaitêtreluipuisqu’ilétaitchezMac…Pourtant,ilsetournaversmoietsefigeaenmereconnaissant.Etiln’eutplusriend’unfantasme

avecsonregardanéanti.—Rafael,claqua-t-ildesdents.—Qu’est-cequetumeveux?luibalançai-jed’unevoixpâteuse.—Je t’aicherchépartout.Dans toute laville,et tune rentraispaschez toi. Jemesuisditque tu

finiraisparvenirici.Jem’approchaiduportail,prêtà lepousser,maisCalebmeretintd’unepoignefermequimefit

tituber.Aussitôt,monpoingvolaverssonnez.S’yattendant,ilserecula,pliamonbrasdansmondosetmeplaquacontrelemuret.—Lâche-moi,Caleb!—Pasavantquetum’aiesécouté!Majouefrottalapierre.J’auraispumedéfairedelui,maisjen’enavaispluslaforce.Alorsjerestaiaplaticontrelemur,

soncorpsplaquécontremondos,mesbrascroiséssurmesreinsetlesjambesflageolantes.—Trèsbien,lançai-je.Jet’écoute.—Jet’aime.Ilmepoussaunpeuplusfortcontrelecimentrâpeux.—Je t’aime, répéta-t-ildouloureusement.PasMac,pasunautre.Toi !Etparceque je t’aime, je

voudraisqu’iln’yaitquemoi.Est-cesiduràcomprendre,Rafael?Jeteveux,bonsang.Jecrèvedetoi.Alorsparle-moi,explique-moi.Dis-moiquelquechose,merde!Maisarrêtedetecacher.Arrêtedemefuir!Il me relâcha vivement et je fis volte-face en chancelant. Caleb pointa la maison de Charles,

derrière,sesyeuxbrillant.Enpleinenuit,ilsdevenaientdeuxobsidiennesscintillantes.—Tuveuxyaller?cracha-t-il.Ehbien,vas-y,entre!Jenet’enaimeraipasmoins.Tuveuxme

punird’avoirfoutulecampchezMacpournepasenvenimerunesituationquejenecomprendspas?Trèsbien!Blesse-moi!Blesse-toi!Écorche-nousavectessilences,Rafael!Jeresteraiquandmême!L’instantsefigeaetnousrestâmesl’unenfacedel’autre,avectoutcequenousportionsennouset

toutcequenousvoulionsdonnersanstropsavoircomment.Maisnosregardsledisaient,ilsracontaientcequenoscœursmurmuraient.Calebfitunpasdansmadirection,hésita,etposaenfinunemainsurmajoueblessée,caressantde

sonpoucemalèvrefendue.—Rentre,mêmesic’estjustequelquesheures.Jet’enprie,Rafael,mesupplia-t-ilenapprochant

seslèvresdesmiennes.Nelesluidonnepasàlui.Resteavecmoi.Jeserraisanuqueentremesdoigtsengourdis.—Jene saispascomment tedire«pardon», lui avouai-je. Jene saispascomment tedire« je

t’aime».Ilsourittendrement,blottitsonvisagedansmoncouetpassaunbrasautourdemataille.—Tuviensdelefaire.Etnousrentrâmes.

28Charles était assis dans la cuisine, adossé à une chaise, une tasse de café à lamain, quand je le

rejoignisaprèsmadouche.L’habituelleenveloppeétaitsurlatableenfacedelui.Àcôté,setrouvaitundossier,portantlenom

deCaleb.Ilsouritquandjem’enaperçus.—Tune croyais pas que je te laisserais batifoler avec tonpetitTexan, sansmettremonnez là-

dedans,minauda-t-il.Jedoisdirequejenepensaispasqueçairaitaussivite.Aveclesgaminsdansson genre, c’est difficile de trouver unmoyen de pression.Oh, il y en a toujours un, je nem’enfaisaispas.Maisdisonsqu’ilm’afacilitélatâche,notrecherpetitBecker.QueCharlesaitdemandéàl’undesessbiresd’enquêtersurCaleb,çanem’étonnaitpasvraiment.

Çaexpliquaitmêmesonhumeurdepuishier,cemélangedesuppliceetdebrutalité.Jem’yattendais.Il avait fait demême à chaque personne quim’avait approché.Abou,Ama,Soli,Brooke etAlain.Commeautantdebarreauxajoutésàmacage,pourêtrecertainquejamais jenem’enéchapperais.Alors, qu’aujourd’hui il ait fait entrer Caleb dans ses petits dossiers, je n’en étais vraiment passurpris.Charlespoussalachemisecartonnéedansmadirection,avecunairdevicieusesatisfaction.—Veux-tuyjeteruncoupd’œil?Jeprisl’envelopperempliedebilletsetignorailereste.Ilperditsonsourireetcrispalamâchoire.—JenedoutepasqueFinchtrouverauneutilitéà tout l’argentquetu luidonnes,siffla-t-il.Une

familleànourrir?Unpetitdélinquantàréinsérer?OutoutsimplementlesfraishospitaliersdenotrecherMac?Jenerépondispas,mecontentantdemeserviruncafé,appuyéaucomptoirde l’autrecôtédela

cuisine, leplus loinpossiblede lui. Il jouadesdoigts sur la table, croisa les jambesen renversantlégèrementlatête.—Tupourraisêtrericheaujourd’hui,mefit-ilremarquer.Maismêmemonargent,tuledédaignes.

Tu gardes tout juste de quoi acheter tes bouteilles. Dieu sait pourtant que tu te tues à la tâche.Untravailquiméritelargementsonsalaire.Unculcommeletien,ilvautsonprix,monamour.Pourappuyersesdires,ilouvritsonsecondagenda–lemien–etleconsulta.Mêmes’iln’enavait

pasbesoin;ilretenaitmesrendez-vousdetête.—Mercredi soir vingt heures,Allan Talker,me dit-il. Il t’attendra chez lui, comme d’habitude.

Jeudimidi,HenriMonro doit conclure une affaire importante. Ta présence est requise. La femmeavecquiiltraiteaunfaiblepourlesbeauxhommes.Cequim’allaittrèsbien.Sourireàunefemmed’affairespourqu’ellesigneunboutdepapierétait

toujoursmieuxquedesefairebaiserparununiversitairevisqueuxetlibidineux.Charlesremarquamonsoulagementets’empressad’ajouter,perfide:—LucasLandwehr est de retour enville, tu le verras samedi soir, à vingt et uneheures.Même

hôtel,mêmechambre,mêmesconditions.Etjeteveuxici,dimanche,àseptheuresdumatin,surtesdeuxjambes.FaisensortequetonTexannetouchepasàuneseuledetesblessures.Ilseraitdommage

quejememetteencolère.Transmets-luilemessagedemapart,tuveuxbien?Ilhaussalessourcils.—Enfin,s’ilesttoujoursdanslesparages.Cettefois,cefutmoiquiinclinailevisageetquileregardaidroitdanslesyeux.—Tupeuxmefairecequetuveux,Charles,mêmemevendreàuneordurecommeLucas.Mais

Calebn’estpasprèsdepartir.Excédé, il sepenchasur la tableet récupéra ledossierque jen’avaispas touché. Il l’ouvritet la

premièrephotoglissajusqu’àmoi.Jemanquaidefairechavirermatassedecafé.—Ça,hurlaCharlesenpointant l’imaged’undoscarbonisé,c’est lapreuvequetonpetitbéguin

n’estpasaussiparfaitquetulecrois.Jedéglutis.—Sesbrûluresnesontpasundéfaut,maislerésultatd’unaccident.—Unaccident?ricanaCharles.T’a-t-ilseulementracontécommentils’étaitretrouvéauservice

desgrandsbrûlésdel’hôpitaldeDallas?Non.Jeneleluiavaisjamaisdemandé.Puisquejenerépondaispasàsesquestions,jenemesentais

pasendroitdel’acculeraveclesmiennes.MaisCharlesn’avaitpascegenredescrupules,s’ilpouvaitmettrequelquesautreschaînesàmes

piedspourm’attacherencoredavantageàlui.—Ilétaitàl’intérieurd’uneéglisequandelleestpartieenfumée.Uneégliseàlaquelleilauraitlui-

mêmemislefeu.Ilavaitdouzeans.—C’estridicule,Charles!défendis-jeaussitôtCaleb.Cen’étaitqu’ungamin.—Tucrois?siffla-t-ilentournantuneautrepageàlaquellejeneprêtaipasattention.Àhuitans,sa

cuisineaprisfeu.Àneuf,c’estsachambre.Àdix,legarage.Àonze,lagrange.Àchaquefois,sonpèreestarrivéà temps.Malheureusement, iln’étaitpas là lorsqueBeckeret samèresontpartisenvillepourl’office,cedimanche-là.Ilfermaledossieretlepoussadansmadirection.—Jeteconseilledelelireattentivement,Rafael,meprévint-il.Parcequed’aprèscequepensentles

habitantsdesamisérableville,Calebauraitquelquessoucisdesantémentale.Certainspenchentpourlabipolarité,d’autrespourlaschizophrénie,quandilsneleprennentpaspourunsimplepyromane.Sonpère l’a toujoursdéfendubecetongles,maissamère,elle,ne l’apassupporté.Elleestpartiedeuxansaprèsl’incendiedel’église,laissantderrièreelleunfilsquasimentmort.Etquandelles’estenfindécidéeàrentrer,ehbien…disonsqu’ellen’étaitpluselle-même,lapauvrefemme.Mevoyantblanchir,Charlesseléchaleslèvres,fierdelui.—Laisse-moi te présenter les choses autrement,mon amour, fit-il, satisfait.Unemaman texane

n’abandonnepas son rejetonà l’agonie sansune trèsbonne raison.Alors,d’après toi,quelleétait-elle?Il rit et ce sonmepropulsadirectement enenfer.Malgrémoi, je récupérai ledossier etCharles

hochalatête.—Bonnelecture,monamour.Jesaisàquelpointcetteactivitétesied.Sonricanementmepoursuivitbienaprèsquej’avaisquittéBeaconHill.Alorsquejeroulaistropvite,quemamotoslalomaitentrelesvoitures,lesfrôlantdetropprès.

Caleb?Fou?Non…Peut-êtrequesiaprès tout…Ilpensaitbienque j’étaisLAbonnepersonne.Cellequ’il lui fallait.

Cellepourquiilavaitchaviré.Sicen’étaitpasdeladémence,ça.JemegaraidevantchezAbouendérapant,jetaimoncasquesurleguidonetentraienlesfaisant

toussursauter.JebalançailedossierdeCharlessurlatable,entredeuxplatspréparésparAma.Soli,quiétaitexceptionnellementrentrédulycéepourdéjeuner,récupéralasériedephotos.Ilgrimaçaenrepoussantsonassiette.—Dégueulasse!s’exclama-t-ilenavisantledos,lescuissesetlesmolletscarbonisésd’ungamin

dedouzeans.—MonDieu,juraAmaenreconnaissantCaleb.Soliblanchitetjetalesphotosaussitôt.Jememisalorsàparleràtoutevitesse,sortantlesfeuilles,lesrapports,pourlesjeterpratiquement

surlatêted’Abouquis’efforçaitdelirealorsquejehurlais,presquehystérique.—Calme-toiRafael!Mecalmer?Ilplaisantait!Je commençai à faire des allées et venues aumilieu de la cuisine. Ama se leva etm’obligea à

m’asseoir. Elle posa une grosse veste en laine sur mes épaules, me frotta le dos, ce qui me fitgrimacerdedouleur.Maisjen’allaispasluidirequeCharlesavaitjouédelaceinturetoutelajournéed’hier.Jelalaissaidoncfaire.Ellemeservituneassietteetm’ordonnademanger.—Jen’aipasfaim,Ama!gueulai-je.—Vas-tutecalmer,RafaelVentes!merabroua-t-elle.Calebn’estpasfou!N’as-tupasd’yeuxpour

levoir?Ilestlepluscenséd’entrenous.— Jeme fiche qu’il soit cinglé, Ama !Mais que va-t-il arriver s’ils l’apprennent auMIT ? Si

Charlesbalancecesinformationsaudoyen?Calebpeutdireadieuàl’aéronautique.Ilsnerisquerontpasd’embaucherunschizophrèneàlaNASA!Mêmesicenesontquedefoutuesrumeurs.Solilevalesyeuxaucielenpiochantdanssonassiette.—Calebn’estpasschizo,dit-ilenmâchant.Àlarigueurunpeubizarre–quiretiendraittoutesces

formules?Maiscertainementpasdément.—SoliFinch,vas-tu…—Oui,oui,ronchonna-t-il,jemetais.Abouremitenplacetouteslespiècesdudossieretlefermareligieusement.Illeposasurlemeuble

derrièrelui.—D’accord,toutçaestunpeuétrange,medit-il.Etledépartprécipitédesamèrel’estencoreplus.—C’esttoutcequetuasàdire?m’énervai-je.—Quoid’autre?Jenesuispasomnipotent.—Tuesunfichupasteur!

—Etdonc?Tuveuxquejel’exorcise?ironisa-t-il.Ilsoupira.—D’accord,ilseraitétonnantquecesincendiesnesoientquedesimplesaccidents.Maisiln’ya

aucunepreuvequecesoitCalebquilesaitdéclenchés.—Cen’estpaslui,direntAmaetSolienchœur.Abou,commetoujours,étaitplusmesuré.—Disonsquemêmesic’estlui,detouteévidence,ilvamieux.Depuisqu’ilapasséunandansun

servicespécialisépourlesgrandsbrûlés,aucunincidentn’aétédéclaré.Etdepuisqu’ilvitàBostonaussi.Dumoins,leMITn’estpaspartienfumée,nisonstudiodeBrighton.Alorsquoiqu’ilsesoitpasséàl’époque,ilsembleraitquecesoitterminé.Jepassailesmainsdansmescheveux,nerveux.—Çanel’estplusdepuisqueCharlesadéterrétoutecettemerde!—C’estunproblème,oui,soufflaAbou.Amarenifla,dédaigneuse.—Personnenepourracroireàcesfoutaises,dit-elle.Calebestuntrèsbonpetit,toutlemondepeut

levoir.Enfin,quelimbécilepourraitlaisserdesallégationsaussisaugrenuesternirlaréputationd’unenfantsibrillant?—Beaucoupdemonde,Mama.—Alors,c’estquenousmarchonstoussurlatête!Elleavaitparfaitementraison.—Ilfautquetuluidises,Rafael.—Etqu’est-cequejeluidis,Abou?sifflai-je.Jesaisquetuasungrain,maisnet’inquiètepas…—Iln’estpasfou!s’écrièrentunefoisdeplusAmaetSoli.Abousourit.—Jeteconseilledenepasl’abordercommeça.Jem’adossaiàlachaise,lesbrascroisésderrièrelanuque.— Quand je l’ai rencontré, j’ai vu un mec beau, simple et beaucoup plus intelligent que la

moyenne. Alors qu’il n’existe personne de plus compliqué que Caleb, fis-je en regardant vers leplafond.Etmavieestdéjàtropcomplexepourquejem’encombredelasienne.Jen’yarriveraipas.Amacoupasa tartemeringuéeaucitron, lapréféréedeSoli,cequiexpliquaitsonretouràmidi.

Ellemejetaundrôlederegardpar-dessussoncouteauetm’enservitunepart.—Ilyaquelque temps,quandnousveillionsMac,unsoiroù tuétaisparti,Calebm’aposéune

question,m’expliqua-t-elle très sérieusement. Ilm’a demandé comment nous pouvions accepter cequetufaisais.PourquoinousnenousbattionspaspourtefairequitterCharles.Jedéglutis,sentantleurregardbraquésurmoi.C’étaitunequestionquejem’étaissouventposée

aussi.Sansvouloirvraimentconnaîtrelaréponse,depeurdecequ’ellepourraitrévéler.Aujourd’hui,jen’avaisd’autrechoixqued’écouterAma.—Jeluiairépondu,continuaAma,quenousnousbattionsdepuisdesannées.Depuisledébut.Mais

pas comme lui le pensait. Je lui ai dit que nous t’aimions tous,mêmeGora au fond de sa prison,mêmemoncherépouxduhautdesonciel,etqu’ilétaitlà,notrecombat.Jenesuispasd’accordavec

cequetufais.SolinonplusetAbouencoremoinsquenous.Maisnoust’acceptonsparcequetufaispartiedenotrefamille.Etquelecœurn’apasdelimite.Unjour,j’espèrequeceseraassezpourqueturecommences,commeMacestentrainderecommencer.J’avais envie de me cacher, de me soustraire à leur regard compatissant, aimant et tendre. Ma

famille,cellequej’avaistrouvée,cellequin’avaitpasremplacémamère,maisquim’avaitpermisdenepasperdrecomplètementpied.Amametenditunefourchetteethochalatête.—Cequejesais,monchéri,finitAmaenmeregardantdroitdanslesyeux,c’estquetuasdela

placepourCaleb.Etqueluienaaussipourtoi.Nelerepoussepasparcraintedesdifficultésoudel’avenir.Aide-les’ilenabesoinetlaisse-let’aiderquandlemomentseravenu.Jemeraclailagorge.—D’accord,Ama.Ellesourit.—Tuesungarçonintelligent,toiaussi.— Pfft ! fit Soli pour alléger l’atmosphère. Caleb est intelligent. Rafael est juste buté, c’est

différent.Abouexplosaderire.—Oui,surça,jenepeuxquetedonnerraison,petitfrère.Illuiébouriffalescheveuxettenditunemainversmoipourmetapersurl’avant-bras.Unefaçon

demedire«çaira»,mêmes’ilnepouvaitréellementlesavoir.Ilycroyait.CommeAmaycroyait.Commejevoulaisycroire.

29Je rejoignisCaleb,àminuit, au restaurantoù il travaillait. Ilvenaitde terminer sa soirée, et son

sourire, comme tous les lundis, étaitunmélangedubonheurdeme revoiretde lablessureque ledimancheavaitlaissée.Combienensupporterait-ilencore?Jen’ensavaisrien.Maissesyeuxgrisseposèrentsurmoiavectendresseetamouretjen’eusqu’uneseulecertitude–sic’étaitlàsadémence,alorsqu’ilneguérissejamais.Iljetasonsacsursonépauleetmarchaversmoi,sasilhouettetoujoursféline,sonvisagetoujours

rayonnantetsoncorpstoujoursattractif,commeunaimant,malgrécequ’ilcachaitendessous.Cesblessureshideusesquejeneréussissaisqu’àtrouvermagnifiques.Ellesétaientcommeunehistoire,lasienne,etjelesaimaispourça.—Tuvasbien?s’inquiéta-t-ilenavisantmaminesombre.—Oui,meforçai-jeàsourire.Ilnefutpasdupe;forcément,ilcommençaitàtropbienmeconnaître.Lesmoisquenousvenions

departageravaientétésiintensesqu’ilm’étaitdevenuimpossibledeluimentir.Ilmecomprenaittropfacilement,ilmedevinaitavecunerareexactitude.—J’aienviederentreràlamaison,luidis-je.Avectoi.Cequiétaitvrai.Maisçanel’empêchapasdeplisserlesyeux,sceptique.Puisquelquechosepassa

entre nous et j’eus le sentiment qu’il savait, qu’il avait compris que Charles avait mené sa petiteenquête.Nousavionstoujourssuqu’illeferait,nousenavionsmêmeparlé,plusieursfois.Ilavaitétémal à l’aise. Forcément, qui ne le serait pas dans une telle situation. Je neme rendais compte quemaintenantquesiCalebavaitsemblésitendu,c’étaitqu’ilavaitréellementquelquechoseàcacher.UnsecretqueCharlesvenaitdemerévéler.—Tuviens?Ilhochalatêteetmontaàl’arrièredelamoto.Ilmelaissaleguiderchezmoi,megarerausous-

sol,et,ensemble,silencieux,nousprîmesl’ascenseurjusqu’àmonappartement.Ilrefermalaportederrièrelui,posasonsacetsoncasquedansl’entrée.Ildénouasonécharpeen

m’observant.Jecherchaiquelquechosededifférenten lui.Mais iln’yavait riend’autrequeceque jevoyais

chaquesoir,quandnousnousretrouvions.Chaquematin,quandilétaitdansmesbrasetqu’ilsoulevaitlespaupières,qu’ilmesouriait.—Jet’aime,murmurai-je.Ilsefigea,arrêtaderespirer.Jevenaisdeledire.Pasdefaçondétournéecommejelefaisaisdepuisplusieurssemaines.Nien

cherchantàleluifairecomprendredanschacundenosbaisers,denoscaresses,denosmurmures.Etpasnonplusaprèsunesoiréeàboire,àletrouverdevantmoi,àneplussavoiroùaller.Justecommeça,maintenant.Jeleluidis,parcequequoiquej’apprenne,quiqu’ilsoit,jel’aimais.Jevoulaisqu’illesache.—Moiaussi,jet’aimeRafael.Tellement.

—Jesais.Jeluitendislamain.—Approche.Ilavança,sentantl’humeurétrangedanslaquellejemetrouvais,maisincapabledes’ysoustraire.Il

yplongeaavecmoi,mefaisantconfiance.Jel’adorais.Jevoulaisqu’ilmefassetoutoublier.Iln’yavaitqueluipouryréussir.Queluipourm’emmener

assezloin,làoùriennepourraitjamaisnousatteindre.Unendroitrienqu’ànous.Calebsecollacontremoi,m’enlaça,m’embrassa.Jeglissailesmainssoussont-shirt,caressaises

cicatrices.Ilredressalatête,morditmalèvreet,lentement,sesdoigtssecoulèrentsurmesreins,danslespochesdemonjean.Ilsecolladavantagecontremoi.Marespirations’accéléra,etjelepoussaisansdouceurcontre lacommodede l’entrée.Caleb lapercutadansungémissementalorsque je lesoulevaispour l’y asseoir, chavirant aupassageunvase, un cendrier et tout cequi s’y trouvait. Jeposai mon front contre le sien, le souffle court. Il noua ses jambes à mes hanches et nos yeuxs’accrochèrent.Uninstant,puisunautre.Etunsilencequidisaittout;toutcequicomptaitvraiment.Calebcaressalecoindemaboucheetrenversamatête,léchamamâchoire.—Jeconnaisceregard,fit-ild’unevoixétrange.Jel’aidéjàvutropsouvent.Celuiquichercheà

savoir,àcomprendre,àdéterminersijesuisdangereux,ounon.Ilresserrasaprisesurmoi.Etpuissamainautourdemoncou…L’autre…Quiserrèrent…Encoreplus…Jusqu’àm’étrangler…Jefermailesyeux,necherchantmêmepasàm’écarter.Jenesentisquesonsoufflesurmonvisage,

sesmotsàmesoreilles.—Tucroisquejesuisdément?chuchota-t-il.Tucroisquejepeuxtefairemal.Quejevaismettre

lefeuàl’appartement,peut-être?Jesoulevailespaupières.—C’estcequetuveux?soufflai-je.Alorsvas-y,Caleb,faistoutbrûler.Ilrestaunmomentimmobile,sesirisd’ungrissombresemirentàbriller,àsevoiler.Ildéglutit,

desserrasapoignepourpasserunbrasderrièremanuque,unemaindansmescheveuxetseblottirplusprèscommes’ilcherchaitàseglissersousmoi,sousmapeau.Jelesoulevai,ilnichasonvisagedansmonépaule,morditmajugulaire.Jenousemmenaidansla

chambre,m’agenouillaisurlelit,nousallongeantensemble,sansplusriendire,justepourlesentircontremoi,enlevernosvêtements,nouscoulersouslacouette,enlacéssiprèsquechaquebattementdesoncœurfaisaitpulserlemien.Nousrestâmeslàunlongmoment.Commedeuxrescapésaccrochésàlamêmebouée.Nousnous

laissâmesballotter,ensachanttrèsbienqu’àchaqueseconde,nouspouvionsplongersouslasurfaceetnousnoyer.

Etpuis,petitàpetit,ladouleurs’atténuaetCalebs’endormitenroulantsurleventre,m’exposantson dos. J’embrassai délicatement ses omoplates etm’appuyai sur un coude pour suivre du doigtchacunedesescicatrices,chacunedesesgreffes.Jebaissailedrapjusqu’àsesreins,massantlachairabîmée,lesvallons,lesbosses,lesendroitsgranuleux,lesautresplussensibles.Ilyavaitdeszigzags,desrides,desrougeurset,parfois,c’étaitcommetoucherunmorceaudeplastique.Jeledécouvrisencoredavantage,passantmapaumesursesfesseslisses,bellesetrondes,pleines

et tentantes. Elles étaient parfaites. Je dénudai ses jambes, indifférent à la chair de poule qui lerecouvraitetquiallaitfinirparleréveiller.L’arrièredesescuissesétaitmoinsendommagéquesondos,mais sesmollets, eux, étaient vraiment abîmés. Je lesmassai doucement, caressant, remontantversl’intérieurdesesgenoux,plushaut,suivantsacolonnevertébrale.Ilétaitréveillédepuisquelquessecondes,maisjouaitbienlesendormis.—Tudors?soufflai-jedanssoncou.—Oui,répondit-il,unsouriretimidedanslavoix.Jemelaissaitombersurleflanc.Calebfinitpartournerlevisageversmoi,sajouemarquéepar

lesplisde l’oreiller. Je la touchai,amusé,avantdecroiser son regardencoresi sombre. Je laissairetombermonbras.—CharlesafiniparretrouvermaboîtedePandore?demanda-t-il,tendu.—Ill’aouverte,oui.Lesvieilleshistoiresfinissenttoujoursparremonteràlasurface.—Jesuisdésolé.Ilbaissalatête.—Est-cequetumepensesmalade,Rafael?Ilrefusaitdemeregarder.Jeprissonmentonettournaisonvisageversmoi.—Non.Jenepensepasça.—Vraiment?Larumeurditpourtantlecontraire.Jelaissaitraînermonpouceaucoindeseslèvres.—Lespetitesvillessontplusduresquelesgrandes,c’estbienconnu.—Sansdoute,m’accorda-t-il.Jemesuistoujourssentiàl’étroitlà-bas,commedansunepeautrop

petitepourmoi.Pourtant,j’aimeyêtre,j’aimeBeckerRanch,j’aimemesparents.—Tun’enparlesjamais.—Tuneparlesjamaisdestiensnonplus.—Ilssontmorts,Caleb.Jenevoispastropcequejepourraisendire.Ilmepoussasurledosetmesurplomba,lesbrascroiséssurmapoitrine.—Dequitiens-tutesyeuxsombres,Rafael?Ettescheveuxpresquebouclés?Quit’aléguécette

peaucaramel ?Tonvisagemagnifique ?Tesmains, ta bouche, tonnez ?Et tonprénom?Qui l’achoisi?Jel’embrassai,tirantsursesmècheschâtaines.—Mesyeuxmeviennentdemamère,mescheveuxetmapeaudemonpère.Pourautantque je

sache, je lui ressembleplusà lui,maisc’estellequiachoisimonprénom.Hanaël.Parcequemongrand-pères’appelaitcommeçaetqu’ellel’avaittoujoursadoré.

Calebs’immobilisa,plissalesyeux.—Tuveuxdireque…Tunet’appellespasRafael?—Non,Caleb.Rafaelestlenomquej’aidonnéàCharlesquandilm’arepêchédanslarue.Ilm’a

demandéetjeluiairépondu:RafaelVentes.Etplustard,quandilavoulusavoirmonâge,jemesuisvieillid’unanetj’aichangémadatedenaissance.Lenomdemamère,demonpère,l’hôpitaloùjesuisné…Tout,petitàpetit.Charlesm’aobtenudenouveauxpapiersetjesuisdevenului.Rafael.Unprostitué.Pluspersonnenem’aappeléautrement.L’adolescent timideetréservéquej’aipuêtre, legarçonbien,estenterréavecmamère.—Hanaël,répétaCalebsongeur,faisantglisserleprénomsursalangue.—Oui.HanaëlJimenez,vingt-sixansetnonvingt-sept,nélevingt-troisaoûtetpasledeuxmars.

Mamère, Elena Jimenez, était professeur de lettres, elle estmorte d’un cancer de l’estomac.Monpère,Carlo,étaitroutier;ilestdécédédansunaccidentdelaroute.Jeplaquaiunemaindanssondosetlecaressai,plongeantdanssesyeuxdetempête.—Tuvois,tuconnaismonsecret.Leseulquej’aietoujoursgardépourmoi.LeseulqueCharles

neconnaissepas.Jeteledonne,Caleb.Mavie,monpassé.Toutestàtoimaintenant.J’avaisunefoiaveugleenlui,etjevoulaisleluiprouver.Luimontrerqu’ilétaitmaprièreetma

religion.Qu’ilpouvait toutmedire, toutmeconfier.Ses secrets, je lesgarderaisenmoi,cachésàcôtédesmiens.—Tunevasjamaisvoirtesparentsaucimetière?—Non.Jevaisàl’église,cellequ’ilsfréquentaientdeleurvivant.Celleoùmamèrepriaitpoursa

vie.Elleestmortequandmême,mais…jen’ensaisrien.Jen’arrivepasàvoircettetombe,leurnomgravédanslapierre.—Jecomprends.Oui,j’enétaispersuadé.Ilembrassamontorse,souffladessus.— Je déteste le feu, finit-il parmurmurer contrema poitrine. Je n’ai jamais déclenché un seul

incendie,tusais.J’aitoujoursgardéunedistancerespectableaveclesflammes.J’enaipeur.J’enaitoujourseupeur,mêmeavantl’accident.Ilredressalevisageetmeregardadroitdanslesyeux.—Jenesuispasmalade,Rafael,m’assura-t-il.Jenesuispasschizophrène,nipyromane,niriende

toutça.Tumecrois?Jehochailatête.—Oui.Jeluisouris.Etpuis soudain, sonvisagedevint exsangueet jeme redressai, inquiet. Il était froidet je lepris

contremoi,lerecouvrantdenouveaudelacouverture.—Hé,lerassurai-je.Çava.Ilavaitlesmainsglacées.—Mamère,articula-t-ildifficilement.Ellecroyaitquejedevaisêtrepurifiéparlesflammes.Elle

ledisaittoutletempsquandj’étaispetitet…Elleaessayésouvent…Personneneserendaitcomptequ’elleétaitmalade…Personnenevoulaitvoir…Moijesavais,maisjenedisaisrien…Parceque…

c’était ma mère…Mais ce jour-là, à l’église…Mon père était parti récupérer des bêtes pour leranch…Etcetarédepasteur…J’aihurlé,Rafael…Maispersonne…Mapeaucraquait…C’était…—C’estbon,l’arrêtai-je.Nedisplusrien.Ils’accrocha.—Ladouleur,s’étrangla-t-il.—Monange…Calme-toi.Jen’avaispasbesoind’ensavoirplus.D’imaginerlegaminqu’ilavaitétécrier,prisonnierdansles

flammes.Non…Ilétaitlà,ilétaitenvie.Etjevoulaistoutoublier.Seschairsbrûlées.Moncœurbrisé.Sonsupplice.Lemien.Combiendefoisavait-ilhurlé?Combiendefoishurlerai-jeencore?

30—Jenecomprendsrien,Mac!m’énervai-jeenlevoyantgesticulerdevantmoi.Enmêmetemps,jenecherchaispasvraimentàlefaire,mecontentantdelireunerevuescientifique

queCalebavaitlaisséedanslesalond’Ama.Ilcommençaitàs’étalermêmeicietmalgrélatensionentreAbouetlui.Cesdernierstemps,ilss’étaientengueulésquelquesfois.Toujoursàcausedemoi.Cequin’empêchaitpasCalebd’êtreassisàcettetable,s’agaçantunefoisdeplussurlesdevoirsdeSoli,toutenessayantdefinirunexposéde…Jenesavaisquoi,aujuste.Abou,lui,étaitplongédansl’écrandesonordi.Jetournaiunepage.Agacé,Macmedonnauncoupdepieddansletibia,cequimefitgrimacer.—Cequ’ilessaiedetedire…commençaAbou.—Ehbienjustement,iln’essaiepasdeledire,puisqu’ilneparlepas.Jemefoutaisdecequeracontaitcettebandedecharlatansquisefaisaientpasserpourdesmédecins

compétents.Çafaisaitplusd’unmoisetdemiqueMacétaitsortidel’hôpitaletiln’émettaittoujoursaucunson.Quantàsonagression,iln’enavaitaucunsouvenir.—Cequ’ilessaiedetefairecomprendre,rectifiaAboupatiemment,c’estqu’ilatrouvéunjob.Jeredressailatête,touslesregardsconvergèrentdansmadirection.—Unvraiboulot?répétai-je.LesyeuxvertsdeMacpétillèrentetjesourisdetoutesmesdents.—Sansblague?Untravailquin’impliqueni…—Attentionàcequetuvasdiresousmontoit,monRafael,m’arrêtaAma.—Maisjen’allaisriendiredutout,Ama,mentis-je.Macouvrit labouche,maisiln’ensortitqu’unsouffleagacé.Jehaussailessourcils,moqueur.Il

croisalesbrasettombaàcôtédemoisurlecanapé,renfrogné,levantlesyeuxauciel.—C’estBrookequil’aembauché,m’appritAbou.Jereconnusbienlàmaplantureusebibliothécaire.Elleavaitdûappuyersacandidature,semoquant

delepistonnerouvertementtantqu’ilobtenaitcejob.—Je comprendsmieux, fis-je enpoussantMacde l’épaule.Avec toi, ellen’aurapas à sebattre

pourlesdiscussionsensalledelecture.Mac plissa les yeux,mécontent. Je ris, lui faisant un clin d’œil. Puis il soupira enme fixant du

regard,moiettousceuxquis’agglutinaientdanslepetitsalond’Ama,attendantquelerôtiaitfinidecuire pour se jeter dessus comme des affamés. Il était bien avec nous. Avec Caleb et Soli quiétudiaient.AboutravaillantetAmatricotant.Lui,satêtecontremonépaule,monbraspasséautourdeson cou, en sécurité. Je le comprenais. C’était un drôle de sentiment de faire partie à nouveau dequelquechose.Den’êtreplusseul.Macfermalesyeuxetjetournaiunenouvellepage.—Tulemérites,luisoufflai-je.Etilsourit.Jejetaiuncoupd’œilàCaleb.Ilmeregardait,ayanttrèsbienentenducequejevenaisdedire.Ilse

retintd’ajouterquemoiaussi,jeleméritais,quemoiaussi,j’enavaisledroit.Ilenavaitenvie,maismaintenantqu’ilsavait,ilseretrouvait,commemoi,bloqué.Parceque,deuxsemainesplustôt,j’avaisfinipartoutluiavouer.Nousétionssurlecanapédusalon,assischacunàunbout,nosjambesmêléessurlescoussinsdu

milieu.Nousavionsréchauffédelapizzaetsortidesbières.Beaucouptrop.Çaavaitfinipardéliernos langues.J’avaiscruquenousn’yparviendrions jamais.Maisc’était seulement lebonmoment,alorsjem’étaislancé.—Jeluidoislavie,soufflai-jefinalement.ÀCharles.Calebjouaitavecsacanette,lafaisanttournerdanssesmains.—Jen’ycroispas.—Jesais.Maisc’estunfaitCaleb,ilm’asauvé.Jemesuislongtempspersuadéquec’étaitlaseule

raisonquim’empêchaitdemettreuntermeàtoutça.Jemelesuisrépété,encoreetencore,pourêtreconvaincantlorsqueAboumedemandaitd’arrêter.Quandilmeproposaitdessolutionsetquejelesrefusais.Jenesaispascombiendefoisjeluiaidit:«Jenepeuxpas,parcequejeluidoistout.Jeluidoismavie.».C’estencorelaréponsequejeluidonnequandnousnousengueulons.Etpuis,cen’estpasvraimentunmensonge.Calebsecoualatête.Sespiedsfroidscontremespiedschauds.Lavisiondenospeauxsidifférentes

m’attendrissaittoujours.—Tuesunbattant,Rafael.Tut’enseraissortisansCharles.—Peut-être,luiaccordai-je.Maislavérité,c’estquelorsqu’ilm’asortidelarue,j’auraisétéprêt

àbienpluspourunpeudechaleur.Pouruneprésencequellequ’ellesoit.Pouravoirquelqu’undansmavie.Mêmesic’étaitCharles.Ill’acomprisetilenaprofité.Quandilm’aproposécemarché,çam’aparuunebonneidée.Laseulefaçonquej’avaisdem’ensortir.Jen’étaisqu’ungaminendeuil.J’avais perdumamère,mon père des années plus tôt, et j’avais quitté le foyer dans lequel j’étaisplacé, à l’autre bout du Massachusetts, parce que j’étais amoureux de mon voisin et que j’étaispersuadéqu’ilm’attendrait.Calebpenchalatêteversmoi;jem’étaismisàchuchoter,pascertaindevouloirqu’ilapprennece

détail.— Sandro, soupirai-je. Je suis revenu pour lui et il n’était plus là. Je ne sais pas pourquoi je

pensaisqu’enlevoyant,touts’arrangerait.Calebsourit,ému.—Tuétaisamoureux.Tun’avaispasencoreseizeans.Tuétaismalheureux.Forcémentquetuyas

cru.Oui.J’avaissurtoutététropconpourcomprendrecequejefaisais.—Etpuis j’airencontréCharles,etpendantplusd’unan, ilaétémonunivers, laseulechoseà

laquellemeraccrocher.Touttournaitautourdelui.Jeledétestais,plusquejen’avaisjamaisdétestéquiconque.Pourtant,unepartdemoirecherchaittoujourssaprésence.Jenepourraispasl’expliquer.J’étaisperduetquandj’étaisaveclui,jecomprenaispourquoijel’étais,justement.Etjusqu’àcequejerencontreAbou,j’étaispersuadéquec’étaitlaseulechoseàlaquellej’avaisdroit.—Abouaessayédet’aider,compritCaleb.—Oui. Et j’ai fini par accepter. Seulement, quand j’en ai parlé àCharles, il a sorti le premier

dossier.CeluideGora, legrand frèred’Abou. Ilvenaitdesebattreavecungardienenprisonet il

étaitquestiondel’envoyerdansunpénitencierdehautesécurité.LàoùAma,SolietAboun’auraientpluspulevoir.Ouseulementderrièreunevitre.Calebseraiditencomprenantviteoùtoutcelaallaitmener.Enfin,ilavaituneréponse.Mêmesiça

nelesoulageapas.Peut-êtreétait-cepire,d’ailleurs.—Ilt’afaitduchantage,c’estça,crachaCaleb.IlaidaitGoraàresteràlaprisondeBostonettoi,

tucontinuaisàteprostituerpourlui.Aveclui.—C’étaitnotrepremieraccord,oui.—Etdesdossiers,ilyenaeucombienparlasuite?—Desdizaines.Abou,Gora,Ama,SolietMac,plustard.BrookeetAlainaussi.Etmaintenant,toi.Calebsecoualatête,lesmainsdanslescheveux,prenantpleinementconsciencedelamanipulation

deCharles.De sonpouvoir surmoi, surmavie.C’était unhommed’affaires,unhommequi jouaitavec les lois, comme d’autres faisaient une partie de cartes. Il savait comment tirer les ficelles,commentfairecliqueterleschaînesqu’ilpassaitlui-mêmeautourdemoncou,demespieds,entravantchacundemesmouvements.—Combiendefoisas-tuessayédelequitter,Rafael?—Autantdefoisqu’ilyadedossiers,monange.Ilouvritlabouche,seredressa,abandonnantsabièresurlatablebasse.—Etsitulefaisaisquandmêmemaintenant?voulut-ilsavoir.Quesepasserait-il?J’inclinailatêtedecôtépourbienleregarderethésitaiàluiendireplus.Maismaintenantqu’il

savaitl’essentiel,àquoicelaservait-ildeluidissimulerlereste?—TondossierseraittransmisaudoyenduMIT,defaçonanonyme,etilapprendraitlesrumeursqui

courentàtonsujet,lenomdupsyquetuvoyaisàAmarilloetceluiquetuconsultesici,deuxfoisparsemaine.Calebblanchitunpeuplus,sicelaétaitpossible,comprenantqueCharlesensavaitbienplusqu’il

le supposait. Que moi, j’en savais plus qu’il aurait voulu me révéler. Que Charles ne s’était pascontentédepetitsdétailscroustillants.Calebredressalesépaulesetmeregardadroitdanslesyeux.—Jeferaisavec.—TurenonceraisàlaNASA,Caleb?—Oui.Il n’hésita même pas une seconde. Il avait ce courage-là, sans aucun doute. Mais moi, je ne

pourraisjamaisluifairecourirlerisquedetoutperdre.—Peut-être.Mais ilyaGora.Et leprocureurpourraitdéciderderevoirsondossier,poussépar

quelquesdétailsqu’onluiauraitcommuniqués.Parhasard.L’électrocutionestencoreenvigueurauMassachusetts. Et Charles a des preuves, fausses ou non, qui le désignent comme le tireur d’unetransactionquiatuédeuxpetitsBostoniensbiencommeilfaut.Pourl’instant,Goran’aétéjugéquepourcomplicitéetiladéjàprisquinzeans!Quecrois-tuqu’ilrisquepourundoublehomicide?Calebbaissalatêtecommes’ilrefusaitd’enentendredavantage.Maisj’étaislancé.Jenepouvais

plusm’arrêter.—Et puis, Ama se retrouverait à la porte puisque Charles a racheté toutes les maisons de son

quartieraunomd’unesociétéimmobilièredontilestl’actionnaireprincipal.Sansparlerdesplaintesdéposées contre Abou – et qui ont disparumystérieusement – quand les paroissiens ont jugé qu’ilincitaitàlaprostitutionavecsamessepourlesindigents.IlneseraitpluspasteurdepuislongtempssansCharlesetsespetitsaccordsaveclapolicelocale.EtSolietsesennuisaulycée,pourquelquesjoints fumés derrière les toilettes. Le proviseur voulait l’envoyer en centre de redressement pourmineurs,pouréviterqu’iltourne«commesongrandfrère».Charlesafinancéleurnouveaugymnaseetiln’enaplusétéquestion.Brookeseraitlicenciée,etquantàMac…Jesecouailatête.—Jenepeuxpasarrêter,Caleb,m’étranglai-je.Alorsnemeledemandeplus,s’ilteplaît.Ils’agenouillaenfacedemoietpritmonvisagedanssesmainsfroides.—Rafael,chuchota-t-il.Cenesontquedesmenaces.Pourcequetuensais,cen’estpeut-êtreque

dubluff.—C’estvraiencequiteconcerne,non?—Oui,mais…—Jeneveuxpasprendrederisques.—Onpourraitvérifier.—Comment?—Lenny…—Non!lecoupai-jeaussitôt.Jeluiattrapailebrasetleserraidetoutesmesforces.Calebgrimaça.—Nemêlepersonned’autreàça.C’estclair?Ilcrispalamâchoireetfinitparhocherlatête.Jelerelâchai.—Jesuisdésolé,luidis-je.—Dequoi?Detesacrifierpourlesautres?—Non.Deteblesser.Je lui caressai tendrement les cheveux, appréciant leur douceur, leur longueur. Et son odeur, si

prochedemoi.Çamerendaitfou.Foudelui.— Jusqu’à ce que je te rencontre, j’avais l’impression que tout ça avait du sens. Alors que

maintenant, c’est juste…Chaque fois…Chaque fois, Caleb ! J’ai l’impression de te trahir un peuplus. J’ai l’impression de te perdre.De t’enfermer dans ces chambres avecmoi et de te voir subirtoutescesmerdesàmaplace.J’ail’impressionqueçatetoucheplusqueçanem’ajamaisatteint.—Jevoudraisseulement…Ils’arrêta,nepouvantallerplusloin.Jefermailesyeux.—Jevoudraislamêmechose,cowboy.Il yavaitdesmotsqu’onnevoulaitprononcerqu’une seule foisdans touteunevie,avantde les

oublieràjamais.Commeposerunfardeauaupiedd’unetombeetprierpourqu’ellel’engloutisse.—Caleb?l’interpellaSoli.Tupeuxmeréexpliquer?—Oui,biensûr,souffla-t-ilensedétournantdemoi.

Macsourit,moqueur.— Soli, ça fait cinq fois qu’il te répète la même chose, baragouina Abou derrière son écran

d’ordinateur.Mêmemoi,jepourraislefaire,cetexercice.—Maisnetegênepas,jetelaissemaplace.—Travaille,Soli!lerabrouasamère.Etils’yremit,écoutantencoreunefoisengrimaçantleséclaircissementsdeCaleb.Jelaissailarevuescientifiquedecôtéetrenversailatêtesurledossier.Allongés sur le lit, beaucoup plus tard, Caleb avait posé sa joue contre mes deux omoplates et

suivaitdesesmains ledessindemescuisses,demes fessesnues.Jeme laissaibercer, la têtedansl’oreiller,surprisd’aimerautantsescaresses.Sapeauquitraînaitsurlamienne.Soncorpsfrais.Ilétaitdoux.Beau.Apaisant.—Mamère,dit-illentement.Elleestpsychotique,Rafael.Pouravoirlaissésonenfantdansuneégliseenflammes,consciemment,c’étaitcertainqu’elleétait

tarée.JenedispourtantrienetlaissaiCalebparlerdoucement,commes’ilmepensaitendormietqu’il

avaitsoudainpeurdemeréveiller.Ilvoulaitseconfiertoutenespérantquejen’entenderien.—J’ai toujoursété très intelligent.J’aiparlé très tôt,apprisà lireetàcompterbienavantmon

entréeenmaternelle.Çamettaitmamèremalàl’aisequ’unsipetitgarçon,presqueunbébéencore,en sache plus qu’elle. Elle ne trouvait pas ça normal, ça l’inquiétait, l’angoissait, à tel point queparfois,elleavaitdumalàmeregarder.Commesimevoirlafaisaitsouffrir.Ilinspiraprofondément,laissantsessouvenirsl’envahir.—Elleétaitdéjàmaladeàl’époque.Maisdisonsqu’ellesavaitsecontrôleretlecacherauxautres.

Ellepassaitpourquelqu’und’anxieux,detropsérieuxparfois.Detrèspieuaussi.J’auraispusauterplusieursclassesetprendredesannéesd’avance,maisjenel’aijamaisfaitàcaused’elle.Jenemesenspascoupable,maisjesaisqued’avoirunfilsquiluiaparlédelasuitedeFibonacciàquatreansacontribuéàlafairedérailler.Sielleétaitpsychotique,n’importequoiauraitpulafairebasculer.Calebouquelqu’und’autre.—Ellecroyaitquelediablem’avaitengendré,continua-t-il.Ellepensaitquejedevaispérirparle

feupourmerepentirdetoutlesavoirquej’avaisvoléàDieu.Ilsuivitdudoigtlalignedemescuisses,commeunfrôlement.Jefrissonnai.Ilparlaitàvoixbasseetjel’écoutais,lesyeuxfermés.—Mon père l’a toujours surveillée. Parfois, elle semblait revenir à la raison et il était facile

d’oublierqu’ellen’étaitpascommetoutlemonde.Ellesavaittousnousleurrer,commeellelefaisaitsi aisément avec les employés du ranch, avec les gens du village, avec les médecins vers lesquelsl’envoyaitmonpèrequandelles’enfonçaittroploindanssesdélires.«Unpeudéprimée»,voilàleurdiagnostic!«Unepetitedépression.»Ilritsansjoieetj’eusmalpourlui.LesTexansavaientdetouteévidenceunréelproblèmeavecles

différences.Pourtant,quandCalebm’enparlait,ilnevantaitqueleursqualités.C’étaitquelquechosequejeluienviais.Cettefacultédecroireencoreendesgensquil’avaienttantfaitsouffrir.—Etpuis les feuxontcommencé,expliqua-t-il.Chaque fois les flammesserapprochaientunpeu

plus demoi. J’arrivais toujours àm’en sortir in extremis. Mais la psychose de ma mère, elle, nefaisaitques’intensifier.Monpèreafiniparl’envoyerdansuncentre.Elleyestrestéesixmois,toutle

mondelacroyaitchezdesparentsàl’autreboutdupays.Àsonretour,elleparaissaitapaisée.Jedéglutis,appréhendantlasuite.J’auraisvouluqu’ils’arrêtelà.Pourquoicontinuerdesefaire

dumal?J’avaisdevinélereste.L’entendre...MaisCalebavaitbesoindepoursuivre.Alorsjerestaiimmobile,lelaissantmetoucher,commepours’accrocheràmoietnepasseperdredanslepassé.—Ilyavaitcenouveauprêtre…Ilavaitsurprislesregardsquejelançaisaupetitamidesafille

aînée. Cameron Vint. Il avait quatre ans de plus quemoi, il était gentil avec tout le monde. Je letrouvais beau et, chaque fois qu’ilme parlait, c’était plus fort quemoi, je rougissais. Bien sûr, jen’avaisquedouzeans.Jen’avaispasvraimentcompriscequeçavoulaitdire.MaislepèreClay,si.Etcejour-là,ilenaparléàmamère.Illuiaditquejenedevaispaslaisserledémons’emparerdemoi.Forcément,elleaaussitôtacquiescé,enluiexpliquantqueçafaisaitdesannéesqu’elleessayaitdem’endébarrasser,sanssuccès.Etpuistouts’estenchaîné.Ilsemitàtrembler.—Leresteestflou…articula-t-ildifficilement.Jemesouviensseulementduprêtrequihurlait,de

mesproprescrisquandmesvêtementsontprisfeu,demapeauquipartaitencendre,descraquementsdesflammes,et…Cesbruits…Cetteodeur…Deslarmestombaientsurmondos,destorrentsdedouleuretdetristesse.Jemeretournailentement,ilétaitau-dessusdemoi,abîméetpourtanttellemententier.Jeprissonvisagedansmesmainsetcaressaisesjoues.—C’estfini,luisoufflai-je.Ilsecoualatête,posasonfrontcontrelemien.—Parfois,quandjelavois,j’aienviedelatuer.—Jesais.Jel’embrassai.—Elleaétéinternéependantdeuxans.Lapremièreannée,jelaréclamaisalorsquejesouffraisle

martyredansceservicedeDallas,àcaused’elle.Jelaréclamaisparcequ’elleétaitmamèreetquej’avaisbesoinqu’ellesoitavecmoi.Mais forcément,ellenepouvaitpas,puisqu’elleétaitenferméedansuneunitépsychiatrique.Pourtant,jel’aimeencoreetjen’aijamaisréussiàladétester.Jen’enavaisjamaisdouté.Jeluiagrippai leshanches, lecollantplusàmoi.Jevoulaisqu’ilnepenseplusàrien.Aumoins

pourlesprochainesheures,pourquenouspuissionsenfinprendredurepos.Nousabandonner.—Etmoi,tum’aimesCaleb?—Jet’adore.—Alorsviensdansmesbrasetoublietout.Ce qu’il fit, laissant le reste au passé. Je le glissai sousmoi et lui fis l’amour, longtemps, tout

doucement,jusqu’àcequ’ilseperdedanscequenousavionsdeplusmagnifique.L’autrecommeunrefletdesoi.—Àtable!nousappelaAma.J’abandonnaimespenséespourmemettreaussitôtsurmespieds,manquantdefairechavirerMac

quisomnolaitlatêtesurmonépaule.Ilnefutpaslongàseremettre,seruantverslacuisinecommenous tous. Nous nous arrêtâmes à l’entrée, bloqués par une Ama qui nous barrait le passage, lesmainssurseshanchestrèslarges,leregardmécontent.Sagement,nousfîmesdemi-tourpourranger

cequenousavionslaissétraînerdanslesalon,avantderevenirdroitversl’odeuralléchantederôtietdepommesdeterreaufourqu’Amanousservitgénéreusementdansdesassiettesblanches.Nousétionssamedi.Etsamedi,c’étaitnosdimanchesànous,puisquejen’étais jamais làpourle

dernierjourdelasemaine.NousnousassîmesprécipitammentautourdelatableetAbourécitalebénédicité,trèsbrièvement,

enfinissantpar:—Excusez-moiSeigneur,maisjesuismortdefaim.Amen!—Amen!reprîmes-nousenchœur.Bénissoientlespasteursaffamés!Macfut lepremieràenfoncerlamaindanslapanière,poussantcelledeSoliaupassage.Ilavait

reprisdupoidsetçacommençaitàsevoir.Àbiensevoir.Ilétaitdenouveauàcroquer.—Hé!râlaSoli.Jetesignalequetun’aspasditAmen.Etpasd’Amen,pasdepain!Amaluitapasurlecrâne.—Macabesoindereprendredesforces,espècedemalpoli!—Iladéjàbienreprisdesforces,memoquai-jeenlorgnantverssonventre.Aussitôt,Macbaissalesyeuxpourletoucher.Desmini-poignéesd’amourétaientapparuessurses

hanchesdernièrement.Adorables.Çachangeaitdesamaigreur.Enlesvoyant,Macjetalepaindanslacorbeilleetgrimaçadevantl’assiettepleinedevantlui.Calebmejetaunregardnoiretjehaussailesépaules.—Quoi?fis-je.Ilesttrèsbiencommeça.Quoique…—Rafael!grondaCaleb.JerisenavisantlaminedéfaitedeMac.Vexé,ilcroisalesbras.—Tuaimeraism’envoyermefairevoir?Leregardsombre,ilhochalatête.—Tun’asqu’àouvrirlaboucheetledire.CalebposadenouveauunetranchedepainprèsdesonassietteetMaclapritavecdéfi,offrantun

sourireétincelantàCaleb.Ouais, ilsavaitmefaireenragersansémettrelemoindreson.Avecsabouilled’Irlandais, toutle

mondesefaisaitavoir.Calebenpremier.Etmoijusteaprès.—C’estbien,ditAma.Nourris-toi,monpetitchou.Lepetitchouenquestionpassaitsesjournéesàsefairedorloter.Cequej’allaisdirebienhautpour

titillerMac,maisjecroisailesyeuxdeCalebetjem’arrêtaiaussitôt,labouchetoutjusteouverte.Merde,alors!Depuisquandunseuldesesregardssuffisaitàmefairereculer?Depuisledébut,Rafael,mesoufflalavoixmoqueusedemaconscience.—Ehbien,ilyenaaumoinsunquiréussitàtefairetaireici,marmonnaAbou.L’intéressénouasesdoigtsauxmienssouslatable,enclaquantlalangue,contentdelui.Unefierté

possessivequifitpétillersesirisgris.Ilauraitinclinéunstetson,faussementmodeste,avantdepasserundoigtdanssaboucledeceinturon,tapantsesbottesausol,iln’auraitpaseuplusl’aird’unTexan.MaisAbou,évidemment,n’attendaitquecetteoccasionpourdirecequ’ilavaitsurlecœur,depuis

quelquessemainesdéjà.

Depuispluslongtemps,d’ailleurs.—Peut-êtrequ’ilréussiraàtefaireentendreraison,Rafael,continua-t-il.Calebcessaaussitôtdesourireetunfroidglacialtombasoudainautourdelatable.Abouavaitcesreprochessur leboutde la languedepuisbien trop longtemps.Etsapiétén’avait

jamaisentamésonfranc-parler.—Necommencepas,leprévins-je.—Pasàtable,Abou,m’appuyaAma.—J’aienviedemangertranquillement,sanscris,luifitremarquerSoli.Abouhaussalesépaules,peuimpressionnéparlessuppliquesdesafamille,parmesavertissements

etencoremoinsparlevisagerenfermédeCaleb.Ilavaitdeschosesàdireetnousallionsêtreobligésdel’écouter,unefoisdeplus.—Trèsbien,fit-ilencroisantlesbras.Jevaiscontinueràfermerlesyeux,donc.C’estça?Faire

commesiçanemefaisaitriendevousvoirensemble,Calebettoi,ensachantquetun’aspasrenoncéauxexigencesdeCharles.Illevalesmainsenl’air,commepourprendreDieuàtémoin.—Continuezcommeça,vousavezraison.Aprèstout,çavousregarde.Vousavezledroitd’êtreun

couplelibre,sic’estcequevousdésirezréellement.—Abou!sefâchaAmaentapantsurlatable.Avecsaforce,lesverrescliquetèrentetcertainsmanquèrentdeserenverser.Jesavaisquecetteconfrontationarriveraitàunmomentouunautre.Aboun’étaitpasdugenreàse

taireetcelafaisaitdeuxmoisqu’ilrongeaitsonfreinpournepasmettrelespiedsdansleplat.Ilétaitinquiet,moroseetcomprenaitdemoinsenmoins,surtoutdepuisqueCalebfaisaitpartiedemavie.—Qu’est-cequetusous-entends?demandai-je,lesdentsserrées.—Rien,Rafael.Jeconstate,c’esttout.Calebserramamainplusfort.—Jesuisdésoléquenotrerelationtechoque,Abou.Mais…Abouplissadangereusementlesyeux.—Cequimechoque,coupa-t-ilCaleb,c’estlalégèretéaveclaquelletulelaissest’êtreinfidèle.La

facilitéaveclaquelletulelaissestequitterjenesaiscombiendesoirsparsemainepours’envoyerenl’airavecdesenfoiréspleinsauxas.—Abou!semithorsd’elleAma.Çasuffit!Abou,enquelquesphrases,venaitdemerenvoyeràmaplace.Àcelled’unprostitué.Àcelledela

liedecettesociété.LejouetdeCharles.Laputedesbourgeois.—Tuesdégueulasse,Abou,luibalançaSoli,blessépourmoi.Je secouai la têteen repoussantmonassiette,Mac fitdegrandsgestesauxquels jeneprêtaiplus

attention.J’avaisenviedevomiretdepartir.Seul.J’essayaidemelibérerdelamaindeCalebpourmelever,maisils’yaccrochaavecunetelleforce

quejegrimaçaidedouleur.—Rafaelnem’ajamaistrompé!lança-t-ilhargneusement.Etilneleferajamais!

—Àd’autres!serebiffaAbou.Qu’importecequil’obligeàlefaire…—Tunesaisrien!hurlaCaleb.Alorsjeteconseilledetetaire!Jenevoulaispasqu’ilsemettedansdesétatspareils,certainementpaspourmoi.Jeneméritaispas

ça.—Arrête,Caleb,luidis-je.Çava.Ilétaitenragé.Furieuxdemevoirmerendresifacilement,trophabituéauxréflexionsdecegenre.

Mêmesiellesnevenaientjamaisd’Abou,d’habitude.—Non,çanevapas!criaCalebenselevant.Jenevaispaslelaissert’insulter,pasteurounon.Je

tegarantisAbouquesi…—Jenel’aipasinsulté,grondaAbou.Jenel’aijamais…Ils’arrêta,réfléchitàsespropresmotsetsetournaversmoi,levisagepâle.Samèreavaitlesyeux

brillants,SolisecouaitlatêteetMacleregardaitcommes’ilneleconnaissaitpas.—Attends,Rafael,jen’aijamaispenséque…déglutit-il.—Jesais,Abou.Cen’estpasgrave.Oui, j’avaiscomprisqu’ilcherchaità faireréagirCaleb,pensantqu’ilétait leseulàpouvoirme

tirerdesgriffesdeCharles.Ilavaitsansdouteraison.Calebétaitàdeuxdoigtsdecasserquelquechose.Peut-êtrelamâchoired’Abou,d’ailleurs.—Caleb,calme-toi,luisoufflai-jedoucement.—Mecalmer? répéta-t-il.Avec toutceque tu faispour lui,pour tout lemonde, jenepeuxpas

me…calmer,non!Merde,maisc’est…Jeserraisamain,l’empêchantd’allerplusloin.Lecœurbattant,jelesuppliaisilencieusementde

nepascontinuer.Prisdanssacolère,ilmitquelquessecondesàserendrecomptedecequ’ilétaitsurlepointd’avouer.Ilsetutaussitôt,évidemment.Maislamèchevenaitdes’enflammeret,quandc’étaitlecas,iln’yavaitqu’uneseuleissue.L’explosion.—Non,non,Caleb! l’apostrophaAbou.Continue, je t’enprie.J’aimeraissavoirceque tuallais

dire.—Laisse-letranquille,Abou,suppliai-je.J’étais lasdementiret lasde toutes lesdisputesquenousavionsdéjàeuessur lesujet.Lasde le

voirsebattreencorepourmoietsavoirqu’iln’yarriveraitjamais.—Qu’est-cequetunouscaches,Rafael?Jetentaiunsourire.—Beaucoupdechoses.—Noussommesunefamille,merappela-t-il.Latienne.—Jelesais,Abou.J’étaispeut-êtreceluiquienavaitleplusconscience,d’ailleurs.—Jelesaisvraiment,crois-moi.Amaseraclalagorge,troubléeplusqued’habitude.—Est-cequ’onpeutfinirdemanger,maintenant?—Ouibiensûr,Ama,soufflaCaleb,détournantsonregardfurieuxd’Abou.Mangeons.

Macprit unautremorceaudepainetSoline râlapasquece soit ledernier.Aucontraire, il luiresservituneautreportiondepatates,melançantuncoupd’œildésolé,etn’adressapaslaparoleàsonfrèredetoutelafindurepas.Puisunefoislatabledébarrassée,ilsuivitCalebausalonetseremitàsesdevoirs.Abou et moi nous retrouvâmes l’un en face de l’autre, autour de cette table vide, et Ama, qui

chantonnait commeà sonhabitude,nettoyait la cuisine, alorsquenotre silencedevenaitdeplus enpluspesant.—Jen’aijamaisvouluêtreinsultant,Rafael.—Jeveuxbientecroire.Aujourd’hui, lapiluleavaitdumalàpasser.Jen’arrivaisjustepasàl’avaler.Peut-êtreparceque

Calebavaitétélà,peut-êtreparcequejen’ypouvaisrien.Peut-êtreparcequej’enavaismarredemeheurteràluidepuisdesannées.Quoiqu’ilensoit,jemelevaidoucementenhaussantlesépaules.—Etpuistuasraison,Abou.Aprèstout,jenesuisqu’unepute.Ilsefigea,Amacessadesiffloter.Jequittailacuisinesanslesregarder.

31Jen’arrivaisplusàdormiravecCharles.Unenuitparsemaine,c’étaittrop.J’avaisbeaupartager

lessixautresavecCaleb,jenesupportaisplusdesentirlapeaudeCharlescontremoi.Nisonbrasautourdemeshanches,nisesmainsquimetouchaientauréveil.Pourtant, je le laissais faire, le laissais glisser ses paumes vieillies,moites, avides, surmapeau

mate. Caleb aimait cette couleur, ce brun doré. Charles aussi, mais pour d’autres raisons. Leshispaniquessevendaientplusfacilement.Jegardailesyeuxfermés,maîtrisantmarespiration.S’ilmecroyaitendormi,jepourraispeut-être

m’épargnerunpeu,cematin.Ilétaitplusbrutalencorequandilsavaitquejen’avaisqu’unehâte–lequitterpourretrouvermonappartementetlesdrapsfraisdanslesquelsCalebavaitdormi.Puisqu’ilrestaitchezmoi,mêmequandjen’yétaispas.CequeCharlessavaitparfaitement.Çalemettaitdansdescolèresnoiresqu’ilmaîtrisaitdemoinsenmoinsbien.Ilpensaitqu’aprèsavoirluledossierdeCaleb, jene l’auraisplus revu.Mais il était encore là, encoreplusqu’avant.Et siCharles avait pum’empêcherd’hébergerMacenmesusurranttoutcequ’illuiferait,iln’avaitpascetavantageavecCaleb. Il pouvait toujoursmemenacerde révéler ses secrets auMIT,mais ça aurait étédugâchis,alorsqu’ilpouvaitlesgarderauchaudjusqu’àcequ’ilenaitréellementbesoin.Etmalgrésajalousie,Charlesétaitavanttoutunhommed’affaires.Prévoyant.Etcruel.Monsimulacredesommeilnefonctionnapas.Charlesfinitpartirersurmescheveux.—Est-cequ’il tebaiseaussibienquemoi, tonpetitTexan?medemanda-t-ilbrutalement.Est-ce

qu’il te faitcriercommemoi?Est-cequ’ilsait lenombredefoisque je te fais jouirenuneseulepetitejournée?Desorgasmesemplisdehaineetdesouffrance,quejeretenaisjusqu’àlafin.Jemaudissaischaque

plaisirsanglantqu’ilavaitprovoqué.Chaquehalètementdedouleur.Jenerépondispasetçalerendittellementfurieuxqu’ilauraitpumetuer,làmaintenant.—Qu’est-cequ’iltefaitdesispécial?grinça-t-ilenapprochantsonvisagedumien.Dis-lemoi,

monamour.Dis-moi,quelgoûtasaqueue?Dequellecouleursontlesmarquesdesondos?Est-cequetulèchessescicatrices?Est-cequ’ellestefontbander?Espècedesalaud!Depuisqu’ilétaitaucourantdesbrûluresdeCaleb,Charlesn’arrêtaitpasd’enparler.Ilvoulaitdes

détails que je ne lui donnais jamais. Mais je le voyais dans son regard… lui qui aimait tant lesblessures…ilypensaitdeplusenplus.Calebétaituneperlepourunsadiquedanssongenre.Beau.Fier.Estropié.Charles n’auraitmêmepas à lever un fouet, une ceinture ou jouer du couteau pouravoirexactementcequ’ilvoulait.S’il n’y avait pas cet amour sombre queCharles croyait éprouver pourmoi, il auraitmis fin à

notre engagement, justepour trouverunmoyende convaincreCalebdeprendremaplace.Mais ilm’aimaitetaimaitmefairemal.EtsilesblessuresdeCalebl’intéressaient,illehaïssaitquandmêmeviscéralement.Parcequ’ilétaitintelligent,jeuneetqu’ilavaitréussiàm’atteindrecommeCharlesnesauraitjamaislefaire.—Est-cequetuluidisàquelpointçatefaitdubienquandjetebaise?mesusurra-t-ilàl’oreille.Non,jamais.Parcequec’étaitfaux.J’étaisexactementcequ’ildésirait,pendantcesheuresoùjelui

appartenais. Ilmevoulaitnu, j’étaisnu.Àgenoux, j’étaisàgenoux.Gémissant, jegémissais. Iln’yavaitriendevrai,riend’authentique.Iln’yavaitqu’unhommequienavilissaitunautre.Iln’yavaitque le tarif d’une passe quime laisserait quelquesmarques, qui faisait couler quelques gouttes demonsang.AvecCaleb,jemesentaisunhomme.Etc’étaitplusprécieux,plusimportant,plusvitalquetoutce

queCharlespourraitjamaism’arracher.Jefermailesyeux,écoutantletic-tacdel’horloge,danslecouloir.Onzeheuresseraientbientôtlà,

et je retrouveraiscette liberté temporaire.Uneboufféed’oxygène,deCaleb,avantde replongerenapnée.—Est-cequetuvasluiraconter…—Arrêteça,Charles.Encorecinqminutes.LamaindeCharless’envolaetfrappamondos,làoùlefouetavaitlaissédesplaiesàvif.—Tuesàmoi!Pourquelquesminutesencore.Lesdentsserrées,jerestaiimmobile,attendantquelessecondess’égrènent,qu’ellesmesauvent.Troisminutes.—Onverracequepensetonpetitgéniequandturentrerasetqu’ilmesentirasurtoi!ragea-t-il.Deuxminutes.Ilseleva,etjemetournaisurledos.Ilramassasonpantalonetpartitfermerlaportedelasallede

bain,glissantlaclefdanssapoche.—Tut’esendormitôt,hiersoir,medit-il.J’aieuletempsderegarderunpeudanstontéléphone

portable.Trèsromantique,cepetitBecker.Sirupeuxetécœurant,maistuasl’aird’apprécierça.J’aicrucomprendrequ’iln’avaitpascourscematin.Qu’ilt’attendaitsagementcheztoi.Ilsourit,heureuxdesonénièmemanipulation.—Alorsjemesuisditquepourcettefois,tupourraistedoucherenrentrantcheztoi.Ilrevintversmoi,sepencha,inspiral’odeurquejedégageaisetsourit.Unmélangedesueur,de

spermeetdesang.—Tumeraconterastoutlaprochainefois,monamour,s’amusa-t-ilensortantdanslecouloir.Tu

medirascommentcecherBeckeraréagi!Etilfilaverslacuisine,riantauxéclats.Encoreuneminute…Non,ilétaitonzeheures.—Saleenfoiré!laissai-jetomberendescendantdulit.IlétaithorsdequestionquejevoieCalebcommeça.Autantluitireruneballeenpleincœuretle

regardercrever.Je m’habillai, les mains tremblantes, sentant l’odeur de Charles sur moi. J’avais besoin d’une

douche pourme nettoyer de cette journée, pour ne pas souillerCaleb en rentrant comme ça.Mescheveuxétaientencorecollantsdespermeetmonvisage…Jepris ledrappourm’essuyer les jouesdes résidusgluantsqueCharlesyavait laissés lorsqu’il

avait poussé l’humiliation jusqu’à me renverser son préservatif dessus, me rappelant bien à quij’avaisàfaire.Jemeruaiverslacuisineetrécupéraimonenveloppe,nel’ouvrantmêmepas;ilyavaitlongtemps

quelemontantnem’importaitplus.JeneprendraisquequelquesbilletsetdonneraisleresteàAbou,detoutefaçon,quandjelerejoindraisàl’égliseplustard.—Tuneprendspasuncafé?semoquaCharles.Ilrit.J’attrapaimavestesansrépondreetl’enfilai.Marespirationdevintcourte,moncœurbattait

fortdansmapoitrine...J’avaislesmainsquimedémangeaientd’allers’entortillerautourdesoncou,pourluibriserlanuque.—Qui?demandai-jelesdentsserrées.Ilmedonnalesnomsdemestroisclientsdelasemaine,fermasonagendaetseleva,seplantant

devantmoipourm’embrasser.Jemereculaiaussitôt.—Vatefairefoutre,Charles!Ilmemontralesdents,ricanaencoreplus.—Oh,monamour,commejet’aime,déclara-t-il,unemainsurlecœur.Etunjour,tuserastoutà

moi.Jamais!—Çan’arriverapas.Jemedétournai,ilmerattrapaparlebras.—Tuserasàmoi,Rafael,meprévint-il.Jetelegarantis.

32Je claquai la porte en sortant,me dirigeant versmamoto. Je jetai l’enveloppe dans le coffre et

enfonçaimon casque, lesmains tremblantes. Jemis le contact et m’enfuis. Avec l’espoir, commechaquefoisquejepartaisd’ici,quejen’auraisplusàyrevenir.Prisdefolieàl’idéederentrerdansuntelétat,jeroulaijusqu’auportdeBostonetplongeaidans

laNeponsetRivertouthabillé,chaussuresetvestecomprises.Jefrottaifrénétiquementmescheveux,mesvêtements,montorseendessous,monsexeenluttantpourdéboutonnermonjeandétrempé.Jerestaidedans,cherchantàmelaverdetoutcequecesalaudavaitfaitdemoi.L’eauétaitgelée,lemoisdedécembreétait trop froidpourunbainaugrandair etmesmembresdevinrentvite raides,meslèvresbleues.Heureusement,unhommem’aidaàsortiret,tremblant,jeleremerciaienrepartantversmamoto.Le trajet me plongea dans une telle hypothermie que j’étais congelé jusqu’aux os. J’avais

l’impressiondenepluspouvoirbouger.Devant mon appartement, je peinai à sortir mes clefs de ma poche. Je jurai plusieurs fois, fis

tombermon trousseau, recommençai, jusqu’à ce que la porte s’ouvre d’elle-même. Et que Caleb,dansundemest-shirts,encaleçonetpiedsnus,sematérialisedevantmoi.Ilavaitlevisagechiffonnéetlesyeuxrougis,commechaquefoisqu’ilattendaitquejerentre.—Qu’est-cequit’estarrivé?medemanda-t-il.Jelepoussaipourrentrer,ilrefermadoucement,donnantuntourdeclef.Jeneluijetaipasunseul

coupd’œiletmeruaiverslasalledebain.—Rafael?Jeluiclaquailaporteaunez.—Pasmaintenant,Caleb!Jemedéfisdetousmesvêtements,lesbalançaidansletambourdelamachine–mêmemavestede

cuir qui, de toute façon, était foutue –, et lançai le programme. Je reculai vers la douche et l’eaubrûlantesurmapeaufroidemefitgrimacer.Jemelaissaitombersurlecarrelage,lesbrasautourdesgenoux,latêteenfouieentremescoudesetattendisquelachaleurfassesoneffet,chassantlefroidettoutlereste.Jenel’entendispasentrer,nisedévêtir.Niseglisserderrièrelaparoideladouche.Jenelesentis

qu’unefoisqu’ilfutlà,assisderrièremoi,etquesesmains,mousseusesdegeldouche,entreprirentdenettoyermoncorpsdetoutcequ’ilavaitdeplusdégueulasse–Charles.Doucement,illavamesépaules,mesomoplates,mesreins,etjenebougeaipas,restantrepliésur

moi-même.MêmeCaleb,danscesmoments,avaitdumalàmeramenerverslui.Mescuisses,mesmollets,mesbras.Mes cheveux, longtemps, massant mon crâne de ses mains habiles. Ma nuque raide. Par petits

cercles,pourmedétendre.Etpuisilremitunenoixdesavondanslecreuxdesespaumesetperçamesbarrières.Mon torse,mapoitrine,mes tétons.Lentement, pournepasmebrusquer.Monventre.Et encore

plusbas,monsexemouetfatigué.

Jerevinsàlavie,doucement,contrelui,souslui,aveclui.Jememisàgenoux,latêtebasse,etlesentisderrièremoi touchermondosabîmé, lesplaiesdouloureuses,mesfesses.Avecbeaucoupdeprécautions.Illaissasesdoigtsglisserplusenavant,lavalestraînéesdesang,lapetitedéchirurequeCharlesaimaittant.—C’estfini,Rafael,chuchotaCaleb.Tuesavecmoimaintenant.Jemetournaiverslui,accrochaisonregarddéfait.L’horreurquej’ylisaisétaitunéchoàtoutce

quejeressentais.Çaledétruisaitaussisûrementquemoi.—Tum’aimesencore,Caleb?—Toujours.C’étaitencorelà.Encore.Pourcombiendetemps?—J’aipenséàtoi,medit-il.—Tunedevraispas.—Tucrois?fit-ileninclinantlevisage.Tucroisqueceseraitmieuxquejem’enfoute?—Tudevraism’oublier.—C’estimpossibleettulesais.Jeme tournai, pris son visage dansmesmains et approchai lemien. L’eau coulait toujours sur

nous,commeunepluied’été,tièdeetvaporeuse.—Pourquoi ?m’étranglai-je. Pourquoi ne pars-tu pas ?Regarde-moi ! Je ne t’apporte que des

souffrances,d’autresblessures.Ettuenasassezenduré!Alorsjet’enprie,Caleb.Laisse-moi.—Non,sebuta-t-il.Jenepeuxpas.Il captura mes lèvres et m’embrassa passionnément. Un baiser sauvage et désespéré. Un baiser

commeunouragan,unetempête.Quisoufflefort,nousemporteetnouslaissesurlerivage,épuisés,àboutdesouffle.—Jen’enpeuxplus,soufflai-je.Jen’enpeuxvraimentplus,Caleb.—Jesais.Jeleserraifortcontremoi,jusqu’àcequel’eaudeviennefroide,jusqu’àcequejem’endorme,nu

etpropredanslelit.Jeleserraisencoreendormant,voulantlegarderprèsdemoidansmesrêves.Etplusloinencore.Quandtoutdeviendraitenfincalmeetserein.

33«Bonnejournéebeaubrun,

Jeseraideretourversdix-neufheures.Àcesoir.

P.S:Macaappelé,cequiadonné,jeretranscrisbipàbip:Uncourt,quatrelongs–cinqcourts–troiscourts,deuxlongs–Cinqlongs.

Ilfautquejememetteaumorse,parcequejen’aipascomprisJ»

C’était bien l’une des rares choses que Caleb ne connaissait pas. Le langage des signes, il lemaîtrisait,maislecodeMorse,pasdutout.OrMacrefusaitd’apprendreàsigner,persuadéqu’iln’enauraitpasl’utilitétrèslongtemps.Alors,quandilavaitbesoindequelquechose,ilappelaitetlaissaitunbrefmessage enmorse.Langagequenous connaissions tous les deux. Il n’y avait rien de plussimplequeça,etlà,Macsecontentaitdemedonneruneheure.Quinzeheurestrente.Celleoùj’avaispromisd’allerlechercheràlabibliothèquepourl’amenerauBostonGénéraloùilavaitunrendez-vousavecunspécialistedulangage.Peut-êtrequelqu’undecompétentpourunefois.Ouuncharlatandeplus.Comme j’avais le temps, j’enfouismonnezdans l’oreillerdeCalebetme rendormisunebonne

heure.—Salutmoncœur,mesaluaBrooke.J’avaisl’impressionqu’uneéternités’étaitpasséedepuisquejel’avaisvueladernièrefois.—Jecommençaisàm’inquiéter.—JesuissûrqueMact’arassurée.—Pastrèsbavardcegamin.Je souris, comme à chaque fois queMac était désigné comme un gamin alors qu’il n’avait que

quelquesannéesdemoinsquemoi.—Paspourl’instant,luifis-jeremarquer.Maisjeteconseilled’enprofiter.Parcequedèsquela

machineseradenouveauenmarche,tupourrasdireadieuàtatranquillité.Ellehaussalesépaulesetfitlamoue.—Jem’yferai.Ilplaîtauxadhérents,ilestcharmantettoutlemondel’adoreici.—Çanem’étonnepas.Macétaitunamourd’Irlandais,qu’onavaitenviedeblottiraucreuxdebrasprotecteurspourque

rienneluiarrive.Plusjamais.JeposaimapiledebouquinsenretarddevantBrookeetelleensortituneautredesoussonbureau.

Je nepusm’empêcher de jeter un coupd’œil dans sondécolleté. J’avais toujours trouvé ses seinsmagnifiques,c’étaitplusfortquemoi.Ellelesavaitd’ailleurstrèsbien,puisqu’ellesourit,raviedemefairedel’effet,mêmesiellenelediraitjamaisàAlain.—Peut-êtrequejepourraist’enfaireunephoto?semoqua-t-elle.Jeprisquelquesminutespourréfléchiràsaproposition.—Non,soupirai-jed’untonsacrificiel.Je ne saurais vraiment pas comment expliquer ça àCaleb. J’avais déjà trop à lui dire, alors lui

parlerdemonautrepenchant,mêmesij’avaisunenettepréférencepourleshommes,ceseraitpour

plustard.—Tantpispourtoi,tunesaispascequetuperds.Undernierregarddanssoncolplongeant.—Oh,sijelesais.J’embrassaisajoueetpartisàlarencontredeMac.Ilétaitàl’étagesupérieuretsetournaversmoidèsquejepassaileseuildelaporte.Ilattrapasa

veste,sonsac,contentdemevoir.Etàl’heure.Cetravailluiallaitbien,sanouvellevieluiallaitbien.Neplusprendretoutescesdrogues,aussi.Ilpassaunbrassouslemienetmetiraversl’escalier.Quandjelevoyaissiépanoui,malgrésonmutisme,jemesentaisunpeumieuxmoi-même.Tout

n’avaitpasétévain,enfindecompte.Ilétaitlà,lui,pourmeprouverquejenesouffraispaspourrien.Debout,vivant,sansaucunclientàsatisfaire.Ilavaituntoit,lesourire,desamis,unavenir.Jeluiembrassailatempeetilposabrièvementsatêtecontremonépaule.—Salut,luisoufflai-je.Illevaunemainpourseuleréponse.—Bonnejournée?Lepouce,cettefois.Ilremarquamescernes,monvisagefatiguéettenditundoigtversmoi.—Moi?Ilhochalatête.—Çaira,lerassurai-je.Allez,allonsvoirtonnouveaucharlatan.Illevalesyeuxauciel.Le nouveau charlatan en question était très blond, presque platine, et ses yeux dorés étaient une

vraiepoésieàeuxtoutseuls.Macmanquadéfailliretjeluipinçailebraspourqu’ilsereprenne.—Bonjour,noussalua-t-il.DocteurBenMarquice.Maceutunpetitmouvementdumentonetpritlamainofferte.—Àplus,luidis-je.Ilme désigna la salle d’attente – comme si je ne l’avais pas vue – et suivit lemédecin dans un

couloirquisemblaitsansfin.Ensoupirant,jem’enallaiversdesfauteuilsinconfortables,desjournauxdatantdel’âgedepierre

et un gobelet de café dégueulasse.Heureusement, j’avais les nouvelles trouvailles deBrooke avecmoi,sinonj’auraisétéprêtàplanterMacetlelaisserrentrerenbus.MaisAmaauraitpumefrapper–rienqued’yavoirsongé–etjeneparlaismêmepasdeCaleb.Caleb…Encore une fois, il avait passé des heures à prendre soin demoi, àme ramener vers lui, àme

remettredebout.Unenuitoùilauraitdûsereposer,seblottircontreunamantheureuxquiluiauraittoutdonné,à luietà luiseul.Iln’yauraiteuquedessouriresaumatinetquelquessoupirsamusés

quand leurs mains se seraient rencontrées, aventureuses, téméraires, allant parcourir la peau del’autre pendant quelquesminutes encore, juste le temps de lesmettre en retard et de peupler leurjournéed’imagesdedoucesretrouvailles.Etlesoir,ilsauraientrattrapéletempsperdu,enlacés,etseseraientaimésdenouveauavantdesechuchoterleurjournéeàl’oreille,commeonraconteunsecret.Pasdedouleur,pasdepeur,pasdecris,nidelarmes.Justedubonheur.Toutcequej’étaisincapabledeluidonner.—Excusez-moi.Jerelevai la tête,abandonnantmespensées.Uneinfirmièresetenaitdevantmoi,dansuneblouse

rose,descheveuxteintsenrouxattachésenchignon.Mignonneet innocentecommeunejeunefilleélevéesousunecoupelledorée,àl’abridudanger.—Oui?—LedocteurMarquiceauraitbesoindevotreaide.Ila…quelquesdifficultésàcomprendreson

patient…JeveuxdireMonsieurO’Connell.Je refermaimon livre etme levai, la suivant le long d’un couloir jusqu’à une porte où la voix

désemparéed’unmédecinsesuperposaitausonmatd’unpoingtapantrythmiquementsurunesurfaceplane.Avec une petite moue d’excuse, l’infirmière frappa et ouvrit en me laissant passer. En me

reconnaissant,lemédecinsouffladesoulagementetMacseretourna,continuantàtapersurlebureau.—Jesuisdésolé,maisjenecomprendspaslemorse.Jesaissigner,mais…Jen’étaispascertainqu’ilveuillequejetraduisecequeMacessayaitdeluidire.—Vouspouvez…?Macterminasonmanègeetseleva.—Ilvousenvoievousfairevoir,docteur.Pourconfirmer,Macprésentasonmajeurbiendroit.Lemédecinselaissatombersursondossier

defauteuiletlevalesbrasauciel.—Sivousaviezfaitcegestedèsledébut, j’auraistrèsbiencompris,monsieurO’Connell.C’est

assezuniversel,voussavez.JemeretinsderireetMacouvritlabouche,stupéfait.—Jevousenprie,asseyez-vous.Touslesdeux.NousprîmesplacedevantlebureauennousregardantetledocteurMarquiceconsultadenouveau

undossier.—CequiamisMonsieurO’Connelldanstoussesétats,m’expliqua-t-il,c’estmapropositionde

fairedesséancesd’hypnosepourqu’ilsesouviennedesonagression.Maclevasonmajeurànouveauensecouantlatête.—Pourquoivoulez-vousqu’ils’infligeça,bordel?m’écriai-je.Unefois,cen’estpassuffisant?SesyeuxdorésserelevèrentetseposèrentsurMac,douxetcompatissants.—Désolé si jevousparais insensible, luidit-il.Maisvotreaphasien’esten rien le résultatd’un

dysfonctionnement.Écoutez…Ilnousregardaàtourderôle,soupira,croisalesbrassurlebureau.

—Lesmédecinsquivousontauscultéàlasortiedevotrecoma,monsieurO’Connell,ontconclu,àtort, que votre aphasie résultait de votre traumatisme crânien. Sachez qu’il y a six catégoriesd’aphasie:cellequel’onappelledeconduction,laglobale,lamixte,laprogressive,celledeBrocaetenfincelledeWernicke.Etmalgrélabatteriedetestsquevousavezpassée,vousn’entrezdansaucunedecescases.Cequinouslaissedeuxpossibilités.Soitvousêtesuntrèsboncomédienetvoussimulezsciemmentvotremutisme.Soitvotreinconscientvousprotègedecequevousavezvécuenmentantàvotreplace.J’étaiscertainquel’inconscientdecetêtud’Irlandaisétaitcapabledebeaucoupdechoses.—Donc, continua le médecin, comme je pense que vous n’êtes pas un menteur, du moins pas

volontairement, jepenchepourun tour jouéparvotre inconscient.Cequiveutdirequevousallezdevoircherchercequ’ilvouscache.Ensomme,votreagression.LedocteurMarquicesepenchaversMacetluisouritgentiment.— Je suis désolé, monsieur O’Connell, mais je pense que pour retrouver votre langage, il va

falloirpasserparl’hypnoseetvousforceràvoussouvenir.Macsetournaversmoietsecoualatête.Jenebronchaipas,nesachantpasquoiluidire.J’avais

envie qu’il retrouve la mémoire, mais pour d’autres raisons. Pour tuer ces salopards. Mais si jelaissaisdecôtémesespoirsdevengeance, jepréférais largement levoirs’épanouiretretrouver lesourire. Parce que s’il devait choisir entre son nouveau bonheur et ses mots, il arrêterait toutsimplementdeparler.Mac secoua de nouveau la tête, m’observant intensément, comme pour me supplier de ne pas

l’obligeràfaireça.Biensûrquejeneleferaispas.—C’esttadécision,Mac.Ilhocha lementon, se levaetquitta lebureau, tout simplement.Lemédecincherchaà le retenir,

maisjel’enempêchai.—Laissez-le,docteur.—Maisilpourraitnejamaisreparlersi…Jelevaiunemainpourl’interrompre.— Sachez qu’il y a des sacrifices que l’on est prêt à faire pour avoir droit à un semblant de

bonheur.N’insistezpas,d’accord.Jeluisouhaitaiunebonnejournéeetquittailebureau.Macm’attendaitprèsdelamoto,lesbrascroisés,ledostourné.Jeposaiunemainsursonépauleet

luisouris.Ilbaissalatêteettapaquelquessonssurmonguidon.Jel’arrêtai,j’avaiscompriscequ’ilvoulaitdire.—Tuapprendrasàsigner.Nousapprendronstous,OK?Cen’estpassigrave.Ilsoufflasursesmèchesroussesetgonflaletorseenprenantunegrandeinspiration.—Allez,monte,ilfautquejepassevoirAbou.Tuviensoujeteramèneavant?Ilserramonbrasplusfortqu’àl’ordinaire.—OK,onyvaensemble.C’estparti.Il s’accrochaàma taillede toutes ses forces, seblottissant contremoi. Il était triste et enmême

temps soulagé. Parce que nous savions, lui etmoi, qu’il y avait des combats que l’on gagnait enrenonçantsimplementàsebattre.

Sansdouteétait-cepourcetteraisonqu’Abou,Macetmoinousretrouvâmesassissurlepremierbancdel’église,leregardtournéversl’autel,perdusdansnospensées.Nousavionschacunnospropresprières,nospropresdouleurs,nospropresobstacles.Commetroisfrèresquelavieavaitréunis,nousétionslà,ensemble,épaulecontreépaule.Abouet

sa peau noire comme le café, ses cheveux crépus et ses épaules de lutteur.Mac et son teint blancd’Irlandais,sesyeuxverts,sonvisaged’ange,fincommeuneliane.Etmoi,avecmesépaulescarrées,mestraitsd’hispanique.Sidifférentsetsisemblables.Siseulsetsiunis.Unprêtreafro-américain,dontlescroyancesétaientsidifficilementexplicables.Un ancien prostitué reconverti en bibliothécaire, dont les agressions n’avaient jamais terni la

douceur.Et le jouetd’unhommed’affairespuissantetmachiavélique, fouamoureuxd’un jeunegéniequi

portaitlescicatricesdesonpassé.Riendecequenousétionsn’auraitpunousprédisposeràêtrelà,touslestrois,unebièreàlamain

dansuneéglise,àboireàlasantédeJésusChrist,levantnosbouteillesbienhautpourleremercierdetoutcequ’ilnousavaitpris.Etdetoutceque,malgrétout,ilnousavaitdonné.Unjour,peut-êtrequenousaurionsdesréponsesànosquestions.Peut-êtrequenoussaurionsoù

toutcelaétaitcensénousmener.Peut-êtrequenouscomprendrionslemessage,lavoieàprendreoulecheminquinousétaitdestiné.Sansdoutequ’ilyavaitdessolutions.Sansdoutequenousaurionsdûnousparlerdavantage.Sansdoute…Maisd’êtrelàétaitdéjàlapreuvequenousétionsplusquedesamis.Plusqu’unefamille.C’étaitunaveu.Unsermentdefraternité.Quimedonnaituneenviedebonheur.Unevraieenviedebonheur.Uneenvied’exister.

34Je traversai le campus au pas de course. Je savais que Caleb était quelque part par ici, le

département d’aéronautique et d’aérospatiale était tout près. Il y avait du monde qui marchait,beaucoupse retournaient surmoi, surmescheveuxenbataille, surmavesteencuirmarron,usée,commemonjeannoiretmesrangers.Lecolblancdemonpullétaitremontéjusqu’àmeslèvresetcachaitmonsourire.Monbesoindelui.Monenviedecrierquemerde!oui,j’étaisamoureux.Oui,jeneleméritaispasetoui,toutallaitnousexploseràlatête,unjouroul’autre,tôtoutard.Jem’enfoutais.Hier, dans cette église, il s’était passé quelque chose. Comme le murmure de quelqu’un qui

m’enjoignaitdeprofiterdeCaleb,maintenant.Demebattre.Decommenceràm’accepter.Etàl’accepter,lui.Qu’est-cequim’enempêchait?Charles?Aprèstout,cen’étaitdansaucundenosaccords.Alors je continuais d’avancer, les mains dansmes poches. Tout droit, sans baisser les yeux, le

cherchantpar-dessuslesautres,essayantdelerepérer.Iln’étaitpasloin.Moncœurbattaitplusfort,mapeausecouvraitdechairdepoule.Jemesentais

léger,commejenemesouvenaispasl’avoirétéunjour.Soudain,jelevis.EntrelesinséparablesAmandaetLenny,lamadoneetlegeek.Ilsdiscutaienttous

les trois, chahutaient légèrement, souriaient. Puis Caleb redressa la tête, comme s’il ressentaitmaprésence,plissantlesyeuxpourpercerlafouled’étudiants.Ilralentit,jetauncoupd’œildanssondosetçameplutdelesavoirsicertaindemetrouverquelquepart.Jesourisetpenchailatête,accélérailepas,pressédelesentircontremoi.Sonregardcroisaenfinlemien,etj’étaisjustelà,àquelquespasdelui.Sansralentir,jelepercutai,meslèvresheurtantlessiennes.Sousl’impact,ilreculaetlâchasonsac.

Je croisai mes bras sur ses reins et capturai sa bouche sous le rire moqueur de ses amis quis’éloignaient déjà, le raclement de gorge gêné de certains passants, les rires amusés, les soupirsscandalisés,envieux.Maisqu’importaitpuisqu’ilattrapalereversdemavesteàpleinesmainsetqu’ilmerenditmonbaiseravecunefouguequimefitfrissonner.Jemedétachailentementdelui,àregret.—Tuasfinitajournée.—Non,baragouina-t-il,lesjouesrouges.Jeramassaisonsacausoletlemissurmonépaule.—Cen’étaitpasunequestion,Caleb.Jepassaiunbrasautourdesatailleetmepenchaiàsonoreille.—Ons’enva,luimurmurai-je.Toietmoi.Jusqu’àdemain.—Mais…Attends,Rafael,dit-ilquandjeluiprislamainetcommençaiàavancer.Jenepeuxpas

partircommeça…Mescours…—Tulesrattraperas.Ilfreinaencore.

—Jen’aimêmepasmonportefeuillesurmoi.—Tuastacarted’étudiant?—Oui.—C’estsuffisant.Maisilrésistaitencore.—Quoi?m’agaçai-je.—Je…Lasdesesexcuses,desesdiscours,j’attrapaisonécharpeentremesdoigtsetleramenaiversmoi,

l’embrassantdenouveaujusqu’àcequ’iloubliepourquoiilrefusaitdemesuivre.Çasemblasuffire,parcequejeserraisamaindanslamienneetletiraiderrièremoi.Etcettefois,ilneditplusrien,secontentantdesecouerlatêteetdemesuivre.Forcément, ça aurait été trop simple qu’on s’en aille comme ça, sans se retourner, sans heurts.

Brandonseretrouvasoudainaumilieudenotrerouteetnousbarralepassage.Jelevailesyeuxauciel,maudissantlesensdel’humourdecefichuDieu.—Ilmesemblaitbient’avoirreconnu,Rafael,sourit-ilhypocritement.Enmêmetemps,difficilede

t’oublier.Sarcastique,iljetaunregarddédaigneuxàCaleb.—Jepensaisqu’unpetitpaysancommetoisetiendraitloindesprostituésbostoniens.Surtoutceux

quivalentplusdetroismoisdetonsalaire.BrandonritenavisantlesyeuxbrillantsderagedeCaleb.—Tusavaisquec’étaitunepute,n’est-cepas?Caleb se raidit de fureur à l’instant oùmon poing atteignit le nez de ce petit enfoiré. Brandon

manqua de partir en arrière sous la violence du coup. Il se rattrapa de justesse, pinça son nez quisaignait,semettantàpleurnicher.—Tuvasregretterça,Rafael!memenaça-t-il.Maisilavaitbeaucoupdeprogrèsàfaires’ilpensaitmefairepeur.JeconnaissaisCharlesdepuis

dixans.Ilm’avaithabituéàmieux.— Tiens-toi loin de nous, ou papa Asher pourrait bien apprendre comment tu dépenses son

précieuxfric,l’avertis-je.Entendu,Brandon?Ilmefixaduregardquelquessecondes,l’airpaniqué,avantdefiler,lesdentsserrées.Quandjeme

rappelais que j’avais laissé ce petit con de fils à papamebaiser, j’en avais des sueurs froides quicoulaientlelongdelacolonnevertébrale.Etquandjepensaisàtouslesconsquim’avaienteu…Mabonne humeur etma légèreté s’étiolèrent, et je fus sur le point de tout laisser tomber – cette idéestupidedeweek-endàdeux,alorsquecen’étaitmêmepas leweek-end.Maisc’était lemienetcesdeuxjours,c’étaittoutcequejepouvaisnousoffrir.Je jetai un coup d’œil prudent à Caleb, craignant de l’avoir blessé, une fois de plus.Mais il se

retenaitderire,semordillantlalèvre.— Quoi ? demandai-je devant son visage rayonnant. J’avais envie de lui en coller une depuis

longtemps,figure-toi.—Çamevatrèsbien.Jeglissaimamainjusqu’aucreuxdesondos,puissursahanche,mesdoigtstrouvantlespassants

desonjean.Levoirheureux,c’étaittoutcequejesouhaitais.—Moiaussiçameva,Caleb.Ilhaussalessourcils.—TuneparlesplusdeBrandon,là?Jesecouailatête.—Passeulement,m’amusai-je.Allez,dépêche-toiouonvaraternotretrain.—Notretrain?s’étonnaCaleb,enouvrantgrandlesyeux.Mamoton’étaitplusloinetjepressailepas,leforçantàenfaireautant.—Queltrain,Rafael?Jel’embrassairapidement.—Celuiquel’onvaprendreàDartmouth,situtedépêchesunpeu,lepressai-je.—ÀDartmouth?répéta-t-il.Je levai les yeux au ciel enm’arrêtant devantma bécane. Jeme penchai pour ôter l’antivol, lui

lançantuncoupd’œilmoqueur.—Tuvasrépétertoutcequejedis?luidemandai-je.ÀDartmouth,oui.Onprendl’Amtrakjusqu’à

NewYork.—Jusqu’àNewYork?Jem’esclaffai,luibalançantuncasquedanslesbras.Ilétaitahuri,immobile,etsijen’avaispasété

certaindesonintelligence,jel’auraisprispourunparfaitimbécile.—Oui,NewYork,Caleb!Avecl’Amtrak,onyseraentroisheures.Tuaurasletempsdebosser

pendantle trajet.IlyamêmeleWifidansletrainetdejoliestablettesoùtupourrasétaler toustesmanuels.Tuvoisque jepenseà toi.Maintenant,monte surcettemotoavantque jene le fasseà taplace!—Mais…—Caleb!m’énervai-jeenhaussantlavoix.Monte.Sur.Cette.Bécane.Toutdesuite!—OK.BornédeTexan!Ilnepouvaitpasselaisserporteretnepenseràrienpendantlesvingt-quatreheuresàvenir?Non,

sonpetitcerveaudegénieavaitbesoindetoutsavoir,detoutanalyser,detoutcompter,dénombreretquesavais-jeencore?Ehbienpourcettefois,ilallaitdevoirmefairetotalementconfiance.J’accéléraidèsqu’ilfutinstallé.Jeslalomaientrelesvoituresetmislesgaz.Nousmanquâmesde

raterledépart;heureusement,j’avaisprislesbilletsàl’avance.Nous sautâmes dans lewagon in extremis, sous l’œil goguenard du chef de gare. Les portes se

refermèrentderrièrenousetletrainsemitenbranle,prenantdelavitesse.Nous trouvâmes nos places et nous tombâmes sur nos sièges l’un en face de l’autre, à bout de

souffle.Calebavaitlaboucheencorelégèrementouvertedutypequisedemandaitcequ’ilfaisaitlà.Etjeluiauraisbienexpliqué,sijen’avaiseuautantdeproblèmesaveclesmots,lesdéclarations,lesaveux.Ilétaitmalin,ilavaitdel’instinct,surtoutencequimeconcernait.Ilfiniraitparlecomprendrede lui-même.Et cen’était pas si difficile àdeviner.C’était justeune autre façonde lui direque jel’aimais. Dans mon appartement, mais aussi partout ailleurs. Que ça ne s’arrêtait pas quand je lequittais,quandjesortaisdulitpourretrouverunautre,quandjepassaismesdimanchesdanslesbras

d’unsadiqueauxidéesdangereuses.Çanes’arrêtaitjamais.Jetournailevisageverslafenêtre,regardantBostons’éloigner.Etsinousnerevenionsjamais?C’étaituneidéeaussiséduisantequ’effrayante.Jerêvaisdequittercetteville.Dem’éloigneretde

ne plus revenir. Si un jour j’étais libéré deCharles, je partirais en un souffle,mettrais le plus dedistancepossibleentreluietmoi.Jenereviendraisjamais.Parcequesij’arrivaisàtournerledosaumalheur,plusrienneseraitcapabledemerameneràBoston.Plusrien.Saufpeut-êtrequelqu’un…—Tuesmagnifique.LavoixdeCaleb,c’étaitlapremièrechosequejemerappelaisdelui.Etencoremaintenant,elleme

faisaitautantd’effet.Commeunventchaudsoufflantsurmapeaufrissonnante.Jemetournaiverslui.—Tul’esaussi.Ilsourittendrement.—Àtesyeux,sûrement.—AuxyeuxdebeaucoupdemondeCaleb,dis-jecommeunavertissement.Jenesupportaispasqu’ilsedépréciait. Ilétaitbeau, intelligent, ilavaituncœurd’or,unsourire

sublime,etcen’étaitcertainementpassestenuesdébrailléesquisuffisaientàfaireoubliersesyeuxgrisetsonvisageauteintd’unepâleurdenacre.Etcettesilhouetteenlongueur,cetorsetailléenunVfin,ettoutcequisecachaitdessous.Legoûtdesapeau.L’odeurdesonsexe.Calebfinitparrougirsouslepoidsdemonregard.—Jesaisquejeteplais,Rafael,murmura-t-ilenchangeantdeposition.J’adoraislemettremalàl’aise.—Arrêteça,marmonna-t-il.—Quoidonc,cowboy?Je l’aurais bien traîné dans les toilettes du compartiment si j’avais été certain qu’ilme suivrait.

Mais mon beau Texan n’était pas un de ceux qu’on culbute dans trois mètres carrés. Et même sij’avaisdesenviesdebassesse,ilyavaitvraimenttropdemondedansl’Amtrak.Jen’allaispasrisquerqu’on nous débarque au prochain arrêt alors queNewYork était si grande. Je trouverais bien unendroit tranquillepour lecorrompre.Etsicen’étaitpas lecas, j’attendraiscesoiret le litdouilletd’unechambred’hôtel.—Arrête,répéta-t-ilplusdoucement.Tunet’enrendspeut-êtrepascompte,maistespenséessont

écritessurtonvisage.—Etalors?Tupréféreraisquejecachequej’aienviedetoi?Notreplusprochevoisine,unedameâgée,ridée,auxlunettesépaissescommedeuxgrossesloupes,

gloussa, la tête dans son magazine. Elle passa son regard vieilli par-dessus sa revue et lança unjoyeuxcoupd’œilàCaleb.—Nerépondezjamaisnonàcegenredequestion,mongarçon,luiconseilla-t-elle.Caleb,encoreplusgêné,seretranchaderrièreunepolitessetoutetexane.

—Oui,M’dame.Ilmelançaunregardnoiretjeris,posantunpiedsursonsiège,prèsdesesjambes.Ilsortitson

bardadesonsacetplongealenezdanssescahiers.—Etpuis,qu’est-cequ’onvafaireàNewYork?marmonna-t-il.Jemecalaiplusconfortablementdansmonsiège.—Fairel’amour!lançai-jebienfort.Calebdevintécarlateetbaissalatêteplusprofondémentdanssesbouquins,refusantdeleverlenez

pours’apercevoirquetoutelatravéeavaitentendu.Jetournailatêteverslagrand-mèreauxloupiotesgéantes.Elleriaitsanspouvoirsansempêcher.—Eldiablo!melança-t-elle.Jesouris.—Oui,M’dame,dis-jeenimitantCaleb.ElleritplusforttandisqueCaleb,lui,redressaitlementonpourmefusillerduregard.Ilneditplusrienjusqu’àcequenousarrivionsàManhattan,quelquesheuresplustard.Cefutcommeentrerdepleinpieddansunnouveaumonde.Lesgratte-cielimmenses,lafoulequi

sepressaitdans les rues, ladynamique ; çagrouillait lecapitalisme,ça se sentaitmêmedans l’air.Maispasseulement.L’hétéroclismefaisaitpartiedecetteville,autantquelamajestédesesimmeublesgris,desespanneauxpublicitaireshautsetcolorés,desesmarquesinscritesenlettrescapitalessurladevanturedesmagasinsdevantlesquelsnousdéambulions,Calebetmoi,nousmêlantàlafouledesNew-Yorkais.Cefutcommeentrerdansl’écrand’untéléviseuretsebaladerdansunesérie.Oudansunfilmà

grosbudget.Devenir,pourunefois,unhéros.—C’estsiprèsdeBoston,soufflai-je.Etenmêmetempssiloin.—C’estlapremièrefoisquetuviens?Jesecouailatête.—J’ysuisvenuquelquesfois,mesouvins-je.Avecmamère.Ettoi?—Jamais.C’estmoinsprèsd’Amarillo,ilfautdire.J’aivisitéDallas,parcontre.EtHouston,juste

pourallervoirlecentrespatialLyndonB.Johnson.EtdepuisquejesuisarrivéàBoston,jen’aipasvraiment eu le temps entre le MIT et mon boulot au restaurant. Mais j’ai été jusqu’à Chelsea,Somerville, Newton, Revere, plaisanta-t-il en citant les villes voisines de Cambridge. Ah, et aussijusqu’àWashingtonDCpourrencontrerl’amid’undemesprofesseurs,unchercheurenaéronautiquequibosseàlaNASA.La NASA, c’était le rêve de tous les étudiants en aéronautique. Pour Caleb, ce n’était qu’une

questiondechoix.Celuidesavoirdansquelcentrespatialilallaittravailler.LaCalifornie,laFloride,l’Alabama,laVirginie.OuLasCrucesauNouveau-Mexique.Aumoins,Washingtonn’étaitpassiloin…—ÇaseraitdommagequetupartessansavoirvisitéNYC,fis-jedoucement.—Oui,s’enthousiasma-t-il.Puisilserenditcomptedecequ’ildisaitetralentit,perdantsonsourire.—Attends,Rafael,dit-ilenserrantmesdoigts.

Je refusaidem’arrêter,oude le regarder. Jecontinuaiàmarcherdans ledédaledesavenues, sapaume chaude contre la mienne. Central Park n’était pas loin. J’avais envie d’un hot-dog et dem’asseoirdansl’herbeverte,sousunsoleilhivernal,avecluiblotticontremoi.Unbonheursimple.Unbonheuràlafois.—Rafael,insistaCaleb.Jenepartiraipassanstoi.Cettedéclarationmanquamecouperlesjambes.— Je croyais que tu voulais faire ta maîtrise à Stanford, lui rappelai-je. Tu seras parti d’ici

quelquesmois,Caleb.—JepeuxaussilafaireauMIT.Ledoyenseraplusquecontentdemegarderdeuxannéesdeplus.SiCharlesnes’enmêlaitpas.Cequiétaitpeuprobable.—Pourquoiferais-tuça?Nousétionsentrela42èmeetBroadway.ÀTimesSquare,l’undesquartierslesplusfréquentésde

NewYork.Cequin’empêchapasCalebdetirerbrutalementsurmonbrasm’obligeantàm’arrêter.Ilse planta devant moi et je fus bien obligé de prendre de plein fouet son regard d’ambre gris,scintillantcommedeuxétoiles.—Pourquoijeferaisça?répéta-t-il,untonplushaut.Cenefutqu’unsifflemententresesdentsserrées.—Tunepeuxpasrenonceràtout…—Jen’airenoncéàrien,Rafael!—Si.Àvivreunehistoirenormale,avecuntypenormal.—Tuoubliesquejesuismoi-mêmetrèsloindelanormalité.Jesoupirai.—Jeneveuxpasparlerdeçamaintenant.Jepassaiunbrasautourdesesépaules.—Jeneveuxpasypenser.J’embrassaisatempeetyposaidoucementmonfront.—Viens,cowboy.Il capitula,mais uniquement pour les deuxprochains jours. Je commençais à le connaître.Nous

n’enavionspasfiniaveccettediscussion.Ilétaitpirequ’Abou.Heureusement,leréservoirdeCentralParkluifitoubliersessombrespensées,etlesmiennes.Ce

grandlacbordédehautsarbresquiarboraientlescouleursdedécembreétaitsimplementcommeuneoasisaumilieudeNewYork.Ilyavaitquelquescoureurs,quelquespromeneursquipassaientdevantnousdetempsentemps,maislecoinrestaitplutôtdésert.Appuyéledosàunarbre,Calebendormientremesjambes,sondosreposantcontremontorse,je

jouais avec sesmèches de cheveux qui rebiquaient dans tous les sens. Il avait les yeux fermés, etquelques oiseaux chantaient, confondant les rayons de soleil avec le début d’un printemps. Monmentonreposaitsurlesommetdesoncrâneetmonbrassursonventresuivaitlesmouvementsdesarespirationlente.

Prèsdenous,lesrestesdenoshot-dogsquenousavionsachetésenchemin,nosbouteillesvidesetmesmégotsdecigaretteécrasésdansunpetitcartonenformedecendrier.J’étaisbien,jenepensaisàrien.Àriensaufàsonodeur,àsachaleurcontremoi,àsesmècheschâtainesquiglissaiententremes

doigts,àsespaupièrescloses,àsesjoueslégèrementrougiesparlafraîcheur,àmamain,plusbas,quiseglissaitsoussonpull.Justepourletoucher,parcequej’enavaisenvie.Besoin.Quejevoulaislesentir,sousmapaume.Avecsonairabandonné,danssonsommeil tranquille, ilétaitsimplementmagnifique.Caleb souleva soudain les paupières, tourna le visage et le blottit dans mon cou, me mordant

doucementlagorge.—Jesuistellementbienavectoi.—Moiaussi,Caleb.Jeprissonmentonentremesdoigtsetl’embrassai.C’étaitjusteunmomentparfait,quelquechosequejen’avaisjamaisconnu.Luietmoi,ensemble,

sansrienfaired’autrequeprofiterd’uncoind’herbe,d’unendroitagréable,dusilence.Sansexigences.Sansordres.Sansriend’autrequ’unpeudebonheurvoléauquotidien,pourpouvoirenprofiter.—Bonjour!Nous sursautâmes en même temps, apercevant un New-Yorkais d’une trentaine d’années nous

saluerunpeuplusloin.—Bonjour,répondîmes-nous.Quandils’éloigna,jesoupiraietCalebs’étira.—Allezdebout!lepoussai-je.Ilseredressaetépoussetasesvêtementspleinsd’herbeetd’écorcesdebois.Ilessayademettrede

l’ordredanssatenue,maispeineperdue,iln’yréussissaitjamais.Yrenonçant,ilpassaunbrasautourdematailleetj’enfouismesmainsdansmespoches,luijetantuncoupd’œil.Ilsouriait,ilsemblaitsiheureux.—C’estquoilasuitedetonprogramme,beaubrun?Lasuite?Oui…Caleb.Moi.NewYork.Jusqu’àdemain.—Onvarécupérernotreclefàl’hôteletonfileauferry.—Leferry?—LibertyIslandetlaStatuedelaLiberté.Onpasseratoutprèsenbateau.—Sansblague?seréjouit-il.Tunem’amènespasauYankeesStadium?Iln’yapasunmatchce

soir?Si,sansdoute.Mêmesûrement.Bond’accord,jesavaisqu’ilyenavaitunetjepréféraisnepasy

penser,oujepourraistrèsbienforcerl’entréerienquepourallervoirlesRedBullsjouer.—Tun’aimesnilefoot,nilebaseball,Caleb,soufflai-jededésespoir.Niaucunsport,d’ailleurs.—C’estfaux,mecontredit-il.JesoutienslesCowboysdeDallas.J’aimêmeuneécharpequitraîne.

Etunecasquette!

Jemeretinsdegrimaceretmecontentaideleverlesyeuxauciel.—Jenevaispasparlerdeçaavectoi.—LesCowboyssontunebonneéquipe,insista-t-il.—Jet’enprie,Caleb.Restes-enàtondomainedecompétence.L’aéronautiqueetl’aérospatiale.Là

aumoins, tut’yconnais!MaisnemedispasquelesCowboyssontunebonneéquipe.LesPatriotssontunebonneéquipe.Cellequetudevraissupporter.Etnonpassoutenir,commetuledissibien.—Çaveutdirelamêmechose.—Pourunnon-croyant,sansdoute.—Unnon-croyant?rigola-t-il.Lefootestunereligion,maintenant?—TudemanderasàAboucequeDieupensedusport.Commençantàconnaîtrelesexcentricitésd’Abou,Calebn’auraitpasétésurprisdel’entendrejurer

queJésusétaitpourlesPatriotsetDieupourlesRedSox.Nidelevoirprierlessoirsdegrandmatch.OnneplaisantaitpasavecleSuperBallchezlesFinch.—Allezviens,moncowboy.Tun’yconnaisrienensport,maistuasunjolicul,alorsc’estencore

pardonnable.—Jepeuxtedonnertouteuneflopéedestatistiques…Je l’embrassai pour le faire taire et il glissa sa langue près de la mienne, s’entortillant autour

commeunroseau,humideetchaude.Jefermailesyeuxdebien-être.—Tuaimesmoncul?sourit-ilens’écartantlégèrement.—Jel’adore,soufflai-je.Maindanslamain,nousdéambulâmesdanslesruesdeManhattan,alorsquelesoleilsecouchait.

Nousnousperdîmes,évidement,allantàdroiteetàgauche,sanssavoiroùexactement.Nousn’avionspasdecarte,pasdeplan,etcen’étaitpasgrave.JefinisquandmêmepartrouvernotrehôteletCalebplissa lesyeux,perplexe,enavisant le fastedes lieux.Jerécupérai lepassemagnétiqueà l’accueil,sourisàl’hôtesseettiraiCalebversl’ascenseur.Une trentaine d’étages plus haut, quand il entra dans la chambre, une fois la porte refermée, il

ouvritlabouche,sanspouvoirs’enempêcher.—Cen’estpasunechambre,ça,s’étouffaCaleb.C’estunesuite,Rafael!—Junior,nuançai-jeenrefermantlaporte.—Pardon?—Lasuite,luiexpliquai-je.C’estunesuitejunior.J’avaisréservécelle-cihier,dechezAbou.Parcequ’ilétaithorsdequestionquejel’emmènedans

unboui-boui,alorsquecertainsdemesclientsmebaisaientdanscegenred’endroit.Jenepouvaispasluidonnermoins.Ceseraitcommeluidirequ’ilnevalaitriendutout,comparéàceshommesquiavaientlesmoyensderéserverunpalacepourquelquesheures.Et maintenant, Caleb était là, dans cette suite du Bentley, marchant sur la moquette épaisse,

regardantladécorationentregrisetocredecettepiècetouteenlongueur.Satableetsacoupelledefruits,sonminibar,sesgrandsfauteuils,lemeubletélé,lasalledebainplusloinetsurtoutlegrandlitfaisantfaceàunebaievitréepanoramiquequioffraitunevueimprenablesurlaville.Justepourça,jeneregrettaispas.Ettantpissi,pourunefois,j’avaisgardéunpeudecemauditargentqueCharlesmedonnait.Tantpissi,dansunsens,l’utiliser,c’étaitcautionnercequ’ilmefaisait.

Jem’enfoutaisaujourd’hui.Demain,peut-êtrequeçameposeraitdenouveaudesproblèmesdeconscience.Maispastoutdesuite.—Bonsang,tuasvuça,Rafael?CalebsetenaitdevantlesfenêtresetcontemplaitManhattan.—C’estincroyable.—Oui.Jeposaimonmentonsursonépauleetnouailesbrasautourdesonventre.Lajournéeavaitétélongueetj’avaisenviedelui.Toutdesuite.Justeici.Jeglissaimesmainssoussonpulletremontaisursontorse,sursapeaunue,leforçantàl’enlever.

Sondosm’apparut.EtàlalumièredeNewYork,loindesduretésdeBoston,jetrouvaiCalebencoreplusparfait.J’embrassaisesépaulesetdéfissonpantalon.Jemereculaipourmieuxlecontempler:ilétaitnudevant labaievitrée.Je tombaisur le lit, lesbrasderrière la têteet l’observai intensément,jusqu’àêtrerassasiédelui.Jenel’étaisjamais.Caleb, tout à sa contemplationdeNewYork, se laissa regarder, aucunegênenevenant ternir ce

momentmagnifique.Ilétaitenaccordavecsescicatrices,avecmoi,aveccequenousformions.Etjerestai làunmoment,à l’observer,sans riendire.Nousavions toutnotre tempset j’aimaissentir ledésirvenirmehapper,petitàpetit,devenantsi imposantque jen’espéraisquesescaresses,quececorpsnuenfacedemoi.Jemerelevai,medévêtislentement,m’approchaidenouveaudelui.Ilgémit,jeletournaiversmoi

etmelaissaiglissercontrelui,jusqu’ausol,jusqu’àsonsexedeveloursquejeprisdansmabouche.Ilbaissalatêteversmoi,donnantdescoupsdereinslangoureuxentremeslèvres.—Bonsang,Rafael.Lanuittombaitetleslumièresdelavilleéclairaientnotresuitedemilleéclats.LapeaudeCalebse

recouvritdepoints lumineux,unemyriadede lumières tourbillonnantsursondos, sesépaules, sesbras.Combiendeprojecteursétaientbraquéssurnous?Combiendecurieuxderrièreleursjumelles,observaientleplaisirquejeluidonnais?Combienvoyaientàquelpointilmerendaitdingue,foudelui,foutoutcourt?Tellementamoureux.—Jevaisjouir,articula-t-ilenrenversantlatête.—Pastoutdesuite,monange.Jemereculai,serrantsonglandpourl’empêcherdevenir.J’attrapaiunecapotedanslapochedemonpantalonetenrecouvrismonérection.Etpuisjeluipris

la main et reculai avec lui au bord du lit. Je m’y assis et le tournai dos à moi, son regard versManhattan,seshabitants,cettefoule,lestémoinsdenotreamour.Lentement,jel’assissurmonsexe,etjemesentism’enfoncerenlui.Ilaccrochasesmainsàmes

genoux,secambrant,sesfessesenarrière,offertesàmonregard.Jel’incitaiàbougersurmoi,àselever,àredescendre,àtrouversonrythme,àmefairedanseraveclui.Je lui caressai les cuisses, laissant une main curieuse venir toucher l’endroit où nos corps se

rejoignaientsibien,puisremontersursonventre,titillersestétons,taquinersabouche,lescontoursdeseslèvres.Calebsedéhanchalangoureusement,sagementaudébut,m’arrachantdesgémissementsàchaquefoisquesesfessesclaquaientcontremeshanches.

Puismoinssagement,devenantfurieusementpossessif,levantlesbraspourlespasserderrièremoncou,cognantcontremonsexepourleprendreplusloinencore.—Caleb,haletai-je,lefrontrecouvertdesueur.Sapeaumoite,sonodeur,manquèrentdemefairechavirer.J’allaismourir.—Rafael,cria-t-il.Plusfort.Cesquelquesmotseurentraisondemavolonté.Jelebalançaisurlelitettombaisurlui,unemain

sursoncou,l’autresurunedesescuisses.JeplongeaidenouveauenluietCalebhurla,secambra,enroulantses jambesàmataille.J’agrippaisonvisageàdeuxmains,mepenchaipour l’embrasserfiévreusement, passionnément, gardant sa bouche ouverte, capturant chacun de ses gémissements.Juste avant de plaquer ses mains au-dessus de sa tête, les coincer sous les miennes et jouer deshanches,deplusenplusvite…—Oui,s’étrangla-t-il.—Viens,monange,murmurai-jecontresabouche.Ilétaitsurlepointdes’envoler.Ilsuffisaitjusteque…—Maintenant.Il renversa la tête, ferma les yeux, creusa le dos. Je jouis en mordant sa gorge, très fort,

m’immobilisantunlongmomentavantdem’écrouler.Plustard…Beaucoupplustard.Nousquittâmeslachambre,heureuxetinsouciants,etachetâmesun

autrehot-dogquenousmangeâmesenmarchant.Nousmarchâmesjusqu’auferryenparlantdetoutetde rien etmontâmes à bord, la nuit tombée depuis longtemps sur les eaux devenues sombres. LaStatue de la Liberté était grande, illuminée, belle et inspirante.Nous la regardâmes, épaule contreépaule,accoudésaubastingage.Auretour,nousnousarrêtâmesboireplusieursverresdansunbardelaCinquièmeAvenue.Nous

discutâmescommesinousvenionsdenousrencontrer,unpeusaouls,flirtantouvertementdevantuneserveusemoqueuseetattendrie.Nosmainssefrôlaient,nospiedsaussi,nosbouchescherchaientnosoreillespourymurmurerquelquesphrasesridiculescenséesplaireetconvaincre.Iln’étaitpasdouépour les tournuresalambiquées, ilpréférait lafranchise.Etmoi, j’aimaisqu’ilsoitdirect,qu’ilmeveuille,quitteàpasserpourunjeunehommefacile.Notrepremière foisauraitdû sepasserainsi.Elleauraitdûêtredrôle, légère.Nousaurions fait

l’amour, sanspenseràdemain.Etau réveil,ense regardant,nousaurionscomprisquecettebrèveaventure allait devenir une relation et, peut-être, une belle histoire. Nous nous serions aiméspassionnément,plusaufildesjournées,ennousconstruisantdeslendemainsheureux.Iln’yauraiteunidrame,nibrûlures,niprostitution.Iln’yauraiteuquedeuxhommesordinairesquitombaientamoureux.

35Deuxmoisplustard…Enme réveillant, je glissai au sol, le nezdans le tapis. Je grognai enme redressant.Nousnous

étionsendormissurmoncanapéetCalebyétaitencoreétendud’ailleurs.C’étaitpresqueunmiracleque nous y ayons tenu tous les deux jusqu’à… je jetai un coup d’œil à l’horloge…dix heures dumatin.Jesoufflaienmetournantsurledos,encorenuetfrissonnant.Jen’avaispasenviedemeleverdesuite.Maislesolétaitduretjenemevoyaispasyresteruneminutedeplus.Jemeremissurmespiedsetm’approchaideCaleb, toutaussinuquemoi,sesbrascroisés,son

visagereposantà l’intérieur,sesfessesrondeset tentantesbienenévidence,ses jambeslégèrementécartées,sondosexposé.Mêmeainsi,ilétaittoutsimplementsublime.D’uneincroyablebeauté.Lesformes,lesangles,lescontours.L’harmonie.Je déposai le plaid qui traînait sur lui et filai à la cuisine pour faire couler le café.Deuxmois

étaient passés depuis notre escapade à New York et nos soirées devenaient de plus en pluspassionnelles,nossilencesdeplusenplusdouloureux,nossentimentsdeplusenplusforts.C’étaitdeplusenplusdurdeseséparer,derevenir,deseregarder,après.Pourtant, j’avaisunrendez-vousàtreizeheuresetCalebdevaitprendrelescoursdanspeudetemps.Jen’avaispasenviedeleréveilleretpréféraiprendremontéléphoneportablepourappelerAma.Ilsuffitd’uneseulesonneriepourqu’elleréponde.—Bonjour,monchéri,dit-elleaussitôt.L’entendremefaisaittoujoursdubien.Savoixmaternelle,tendreetchantante.—Salut,Ama.Ellesouffla,commesielleavaitattendumoncoupdefilavecimpatience.—Çava?—Oui,mongrand.C’estjusteque…—Qu’est-cequ’ilya?m’inquiétai-jeaussitôt.Moncœurs’arrêta.Une porte grinça, un bruit de pas dans des escaliers. Je ne savais pas où Ama allait, mais il

s’agissaitdetouteévidenced’unendroitisoléoùpersonnenepourraitl’entendre.—Tuestoujourslà,monchéri?—Jen’aipasbougé,Ama.Ellesoufflafortetjecommençaiàpaniquer.—JecroisqueSoliestamoureux,m’avoua-t-elle.Jeris,soulagé.—Iladix-huitans,Ama.Ilestamoureuxtouslesmois.— Là, c’est différent. Abou dit que ça lui passera, mais je n’y crois pas. Il masque bien ses

sentimentsceladit;ilnenousenamêmepasparlé.Nousnel’aurionsjamaisdevinés’iln’avaitpasétésifroidetbrutalavecRenan.Ilyavaitquelquechosequejenecomprenaispas,là.

—QuevientfaireRenanlà-dedans?C’étaitunamideMac–unamiparticulier.Undeceuxquin’avaient jamaispayéetprèsduquel

MacaimaitseblottirquandilpassaitparBoston.Ilétaitplutôtsympapouruntypemarié,avecdeuxgamins,quivivaitsonhomosexualitécachée,

commeunehonteàgarderbienàl’écartdesaprécieusefamille.D’accord,jedétestaiscetenfoiré.—Ilssontvenusdîneravecnous,hiersoir.—Macdevaitêtrecontent…Jem’arrêtaisoudain,etm’immobilisai.—Attends,Ama,tuneveuxpasdirequeSolis’estamourachédeMac?—Jecroisbienquesi,souffla-t-elle.Jesecouailatêteetretinsunéclatderire.— Je suis d’accord avec Abou, ça lui passera. Tout le monde a envie de protéger Mac, de le

préserveretencoreplusdepuisqu’ilestmuet.Maiscrois-moi,Ama,cen’estqueça.Elle ne parut pas convaincue,mais abandonna le sujet pourme parler d’Abou, deGora, de son

jardin,desherbescontrelemaldereins.Alorsquejeraccrochais,jerepensaiaubrasdeSolisurlesépaulesdeMac,unecouvertureposée

surluipournepasqu’ilaitfroid,leregardpossessifdenotreIrlandais,lerougeauxjouesdeSoli.ÇametrottaitencoredanslatêtequandCalebvintpassersesbrasautourdemataille,embrassant

monépauleetnichantsonnezdansmanuque.—Salut,beaubrun.—Hum…marmonnai-je.—Qu’est-cequ’ilya?souffla-t-il.JeluirésumailaconversationavecAma,ilexplosaderire.—BiensûrqueSoliestamoureuxdeMac.ToutlemondeestamoureuxdeMac!Oui.Mais…—Toiaussitut’eslaisséavoirparsonairdechienbattud’Irlandais?—Non,moijesuistombépourunbeauMexicain.—Ahoui?fis-jesemblantdemevexer.Etc’estquicetype?Ilmordillamoncou.— Quelqu’un que j’ai rencontré sur le campus de Cambridge. Magnifique. Sa peau brune, ses

cheveuxnoirs,sesépaulescarrées,sesfesses…—Tuaseuletempsderegardermesfesses?memoquai-je.Jet’auraiscrutropoccupéàenvoyer

tonpoingdanslenezdeBrandon.Il tendit lamainversmatassedecaféetsedécalapourenboire lafin, lahancheappuyéesur le

comptoirdelacuisine,àcôtédemoi.Jerécupéraimonmugavechumeuretmeresservis.Ilsourit.—Après,jen’aipasarrêtédepenseràtoi.—Lanuit?lefis-jerougir.Pendanttespetitesséancessolitaires?Ilseraclalagorge.

—Lajournéeaussi.Jerigolai.—Allez,dis-moiàquelpointtuaspenséàmoi?—Suffisamment.—Etc’étaitquand,lapremièrefois?—Çan’apasd’importance,sedéfila-t-il,malàl’aise.Levisage cramoisi, il s’enfuit.Etmoi, je le poursuivis.Çameplaisait deme savoir capable de

fairechavirerunpetitgéniecommeluiaprèsseulementdeuxregardsettroismotséchangés.—Onn’avaitpasparléd’alleràCharlestownaujourd’hui?essaya-t-ildechangerdesujet.Lecinéma,lespromenades,lesmusées,boireunverredansunbar,mangeraurestaurant;autant

dechosesquenousfaisionsensemblepouressayerdemettreunpeudenormalitédansnotrehistoire.Mêmesi,auboutducompte,nousn’oubliionsjamais.Maisçameplaisaitquandmêmedemelaisserembarquerdansuneexposition,voirunfilmqueje

n’auraisjamaispenséregarder,mangerjaponaisenbuvantdusaké,alorsqu’ilmeracontaitlerythmelentduTexas, lemarquagedesbêtes, lenouveausystèmed’épandage.Sonpère,samère,sesamis.BeckerR.etAmarillo.—Biensûrqu’onvaàCharlestown,luisouris-je.—TusaisqueleBunkerHillfaitsoixante-septmètresdehauteur.—Caleb,memoquai-je, je te laisseme baratiner avec l’histoire de ton obélisque, si tume dis

quandtuaspenséàmoipourlapremièrefois.Ilseraclalagorge.—Cen’estpassiintéressantqueça.—Quoi?BunkerHilloutespetitesbranlettes?Ilmanquaprendrefeu,rougecommeilétait.Baissantlevisage,ilramassalesquelquesvêtements

quitraînaientausoletlesportadanslachambre.Illesenfouitdanssonsac,tirantlafermeturesansmeregarder.Appuyéàlaporte,lesbrascroisés,jehaussailessourcils.Ilredressalevisageversmoietgrimaçaencroisantmonairdéterminé.Celuiquej’avaisquandje

necomptaispaslelaissertranquilleavantqu’ilm’aitdonnélaréponsequejevoulais.—Tuesemmerdant,Rafael!—Tun’aspasencoreidéeàquelpoint.Alors?Il se planta devantmoi, sans détourner le regard. Il était gêné, peut-être,mais certainement pas

honteux.Iln’yavaitpasdequoi,d’ailleurs.—Lepremiersoir,avoua-t-ilenfin.Tuescontentlà?—Assezoui.C’étaitbien?—Assezoui,répéta-t-ilenrougissantencore.Jefusadorablementéprouvéparcesquelquesmots,admisdoucement,tranquillement,lerougeaux

joues. Ilsmedonnèrentenvied’oublierdemain,dimanche.Profiterde lui sous ladouche,boireunsecondcaféet,plustard,prendrelamotopourfilerversCharlestown.Lelaissermedonnerlamainpour remonter le chemin jusqu’àBunkerHill, commenous l’avionsprévu.Nepas laisserCharlesvenirternircemoment.

Calebm’abreuvatellementdedétailsquejebaillai,unœilfermé,unœilouvert.Maisilcontinua,sansselasser.—TusaisquelemonumentcommémorelabatailledeBunkerHill.Maisc’estsurBreed’sHillque

s’estdéroulél’essentieldescombats,malgrélenomtrompeurdecettebataille.—C’estdingue!ironisai-je.— Il a été érigé entre 1827 et 1843, l’obélisque est bâti avec le granite provenant de la ville de

QuincyvialaGraniteRailway,unelignedechemindeferconstruitespécialementàceteffet.—Impensable!—Unpremiermonumentexistaitsurlesiteavantl’obélisqueactuel.Consacréaufranc-maçonet

augénéralJosephWarren.—Etsitulafermaisunpeu,maintenant?Ilpassaunbrasautourdemeshanches.—Tuespluspatientquejelecroyais.Non,jenel’étaispas.—J’aimejustelesondetavoix,Caleb.Peuimportaitcequ’ilracontait.Cedouxsonàmesoreilles,c’étaitcommeunechansonqu’ilme

fredonnait,lenteetensorcelante–Tuesvivant.Unebellemusique.Untendreespoir.

36—SiMamavousvoitcommeça,ellevavousmassacrer !Vousêtesdinguesouquoi?Vousne

l’avezjamaisvueaiguisersescouteauxdecuisine?C’estfranchementflippant.DevantlaminehorrifiéedeSoli,suantàl’idéequesamèrepuisseentrerdanscegaragepourvoir

troisluronsplusquesaouls,étaléssurdeschaiseslongues,aumilieudecopeauxetdesciuredebois,j’explosaiderire,imitéparAbou.Macsecontentad’unsourireextatique,sabièrebrandieau-dessusdesatête.—Tun’aspasdesdevoirsàfaire?tentaAbou,enseraclantlagorge.Maissonbaragouinagen’étaitabsolumentpascrédible.—Ettoi,tun’aspasunsermonàécrire?Pascertainquelesparoissiensapprécientlesdéliresd’un

alcoolique,enmêmetemps.Jememarrai,ilavaitdurépondantcegosse.Maclevaunpouce.—Jeneboisqueduvin,sejustifiaAbou.LesangduChrist,figure-toi,petitignare!—C’estça!fitSoli,absolumentpasconvaincu.Ettuenaspriscombiendeverresdeton«sangdu

Christ»?Abouplissalesyeux,essayadeserappelerlaquantitéd’alcoolingurgitée,maisneparvintàriende

concluant. Il laissa vite tomber, fusillant son cadet de son regard d’homme de Dieu outragé, trèsimpressionnantpourceuxquineleconnaissaientpas.—Écoute bien, Soli Finch,marmonna-t-il. Tu devrais faire attention à tes fesses, parce qu’il se

pourraitqueMamaapprennedansquellepositiondéshonorantejet’aitrouvé,pasplustardqu’hier,danstachambre.Soliblanchitenselaissanttombersurlachaiselaplusproche.Iljetauncoupd’œilducôtédeMac

etilrougitviolemmentalorsquecedernierfaisaitsemblantdel’ignorer.Amadevaitavoirraison,auboutducompte.Soliseraclalagorgeetsedétourna.—Aprèstout,vouspouvezboireautantquevousvoulez,qu’est-cequej’enaiàfaire!dit-il.—Hébenvoilà!dîmes-nousenmêmetemps,Abouetmoi,alorsqueMaclevaitlesmainsauciel

ensignedevictoire.Solicroisalesbrasensemordantlalèvre.Jemeredressaidifficilement.J’avaislatêtequitournait

et je piquais du nez dangereusement. Mais pas assez pour ne pas m’intéresser aux péripétiesscabreuses demon petit Soli.Histoire de lemettremal à l’aise.À quoi cela servait-il d’avoir desfrères,sinon?—Dis-moiunpeu,dis-je.Avecquit’es-tucorrompu?MachaussaunsourciletlançaunregardpossessifversSoli.Abou,lui,rittropfort.Adieulacompassionfraternelle.—Jenemesuispasvraimentcorrompu,OK?avouaSoli,gêné.Jefermaiunœil,pascertaindecomprendre.Etpuisl’étincellesefit.—Oh!OK!

Abouritdeplusbelle.—Franchement,Abou,tunepeuxpasdénoncerungamindedix-huitansquisemasturbe.—Rafael!gueulaSoli.Macmedonnauncoupdepiedpourmepunirdemonmanquedetact.Soli,sesdreadlocksdansant

devantsonvisage,se levad’unbond,prêtàendécoudre.Je levai la têtevers lui,mi-moqueur,mi-admiratifducheminqu’avaitfaitlepetitgnomequej’avaisrencontré.—Jetepréviens,situdisunmotdeplus,cen’estpasMamaquejevaisappeler,maisCaleb!Jegrimaçai.Saletédegamin!—Ilpasselasoiréeavecsesamis,ledéfiai-je.Ilnerépondrapas.—Biensûrquesi,ilvarépondre.—Çam’étonnerait.—Sij’étaistoi,jeneparieraispaslà-dessus.Abousecoualatête,m’exhortantàlaprudence.Mactapasursonaccoudoirunmessagetrèsclair

enmorse.En somme,« ferme-la». J’hésitai ; j’étais d’humeur taquine et je n’avais paspeurd’unTexanquipesaitdixkilosdemoinsquemoi,mêmes’ilavaittendanceàmeréduireausilenced’unsimpleregard.JenecraignaispasvraimentCaleb, jenevoulaissimplementpas ledécevoir.Et jenesavaispas

tropcequ’ilpenseraitdufaitquej’utilisaisunedemesraressoiréesdelibrepourm’arsouilleravecmesamis,alorsqu’ilétaitaveclessiens,profitantd’unefêteétudianteavecsafraternité.Ilyavaitunsacrémomentqu’iln’yavaitpasmislespieds,sansdouteparcequejerefusaisdel’yaccompagner.Etpuis,cemardisoirlà,jel’avaispousséàrenoueravecsescamaradesduMIT.Ilnepouvaitpastoutmettredecôtésousprétextequ’ilétaittombéamoureuxdumauvaistype.Quantàmoi,jen’avaispersonneàvoiretj’avaiseuenviedepasserquelquesheuresavecMacet

Abou.EtSoli,mêmes’ilétait jeuneetquesabougeotteadolescentel’amenaitsouventàl’extérieur.Maismoinsdernièrement.IlpassaitbeaucoupdetempsavecMacetplusdutoutavecsapetiteamie.Jefinisparmerallongersurmontransat,lesbrassurlesyeux,etAbous’esclaffa.—NotrepetitCalebn’estpascommode?—Ilasoncaractère,fis-je.—Unfoutucaractère,ditAbouentraduisantlessignesdeMac.Nousavionscommencéàapprendreàsigner,tousensemble.C’étaitlaborieuxet,souvent,lemorse

restaitplussimplepourMacetmoi.Maiscen’étaitqu’unequestiondetemps.Jehaussailesépaules.—Calebestsacrémenttêtu,oui.Maisjel’aimeavecsafiertétexaneetsestenuesdébraillées.Avec

satêtebienfaiteetsescicatrices.Exactementcommeilest.Parfait.Mes paroles avaient dépasséma pensée. La faute au bourbon. Je n’avais jamais voulu dire ça à

hautevoixetunsilencedeplombmerépondit.Pourlecoup,Abouserassitetposasonverreausol.Macfinitsabouteilledebièreetlajetaàlapoubelle.J’ôtaimonbrasdemesyeuxetlesregardaiavecbravade.—Vousavezl’airsurpris!leurbalançai-je,presquevexé.Vouscroyiezquoi?Quejem’amusais

unpeuenattendantqu’ilselassedemoi?Macsecoualatêtepournierfarouchement.

—Non,m’assuraAbou.Jejetaiuncoupd’œilversSoli.Ilclaqualalangue.—Ilsn’étaientpascertainsquetut’ensoisrenducompte.Sonfrèrelefusilladuregard.MaisSolin’avait jamaissumerésister, ilnesavaitpasmecacher

quoiquecesoit.Niàmoi,niàsamère.—Vous croyiez que je nem’étais pas rendu compte de quoi ? demandai-je, étonné.Que j’étais

amoureuxdeCaleb?Machochalatête,haussantlessourcils.—Oui,avouaAbouentordantlabouche.Tupeuxêtreassezbuté.—Pasàcepoint.Jenesavaispassijedevaisrireouêtreencolère.—Ehbien,rassurez-vous,finis-jepardire,jeconnaisparfaitementmessentimentspourCaleb.—Cequirendencoreplusincompréhensible…commençaAbou.Ilavisamonairetlaissaaussitôttomber.—OK,souffla-t-il.Jen’aipaslaforcepourcetteconversation,cesoir.—Dieusoitloué!marmonnai-je.Soliricana.—Dieun’arienàvoiravecça.Levin,parcontre…—LecorpsduChrist,rectifiaAbou.Ilyenavaitunautrequiétaitbuté.Je lesobservai,amuséde lesvoirseprendre lebecgentiment,sortantmontéléphonequivibrait

dansmapoche.Unnuméroinconnu.Jecoupaileson,jetantmonportablesurlatablelaplusproche.Jesoupirai,mefrottantlefrontàdeuxmains.Çacommençaitàcognerlà-dedans.—Iladûsonnerunevingtainedefoisdepuisdeuxheures,remarquaAbou.Tuessûrqu’iln’ya

riendegrave?—Non,lerassurai-je.Vousêtestouslàetcen’estpaslenumérodeCaleb.NideCharles.Mais sûrement celui d’un ancien client qui avait envied’unepetite ristourne sans

passerparlui.Etquiavaitobtenumonnumérojenesavaiscomment.Cen’étaitpaslapremièrefoisqueçaarrivaitetsûrementpasladernière.Jen’avaispasl’intentiondemeprendrelatêteavecça.Jesortisuneclopedemonpaquetetl’allumai,laissantlebourbonfairesoneffet.Çamefaisaitdu

bien.J’offrisunecigaretteàAbou,uneautreàMacet,sous lesavertissementsmuetsdeSoli,nousnousresservîmesunverrequenousbûmestranquillementenfaisantdesrondsdefumée.Jenem’étais jamaissentiaussidétendu.Oudumoins, jen’enavaisaucunsouvenir.Maisdepuis

que j’avais vu Mac renoncer à sa voix pour ne pas risquer son nouvel équilibre, son nouveaubonheur,j’avaiscomprisquerienn’étaitacquis,querienn’étaitdéfinitif,etquejedevaisprendreceque j’avaisàbras-le-corps,parcequec’étaiténorme.Calebétait immense.Mafamille,celleque jem’étaiscrééecesdernièresannées,étaitformidable.J’avaisdéjàbeaucoup.Le reste faisait mal ? Oui. Mais qui vit son existence sans souffrir ? Sans aucune douleur ?

Personne.Lesmiennesétaientplusdures?Sansdoute.Ellesm’ôtaientunepetiteparcelledemonâme

à chaque fois.MaisCalebpartait les chercher, finissait toujours par les récupérer etme rafistoler.Jusqu’à la passe suivante. Jusqu’au dimanche suivant, où Charles prenait un malin plaisir à toutanéantir.Maisjenevoulaispasrenoncer.J’avaisenviedemebattre.Siunjourçan’envalaitpluslapeine,

j’abandonnerais.Maispaspourl’instant.Unbruitdecavalcademefitredresserlatêteet,quandAmaouvritlaportedugarage,nousnous

levâmes tous d’un bond, jetant nos cigarettes au sol, planquant nos verres là où nous pûmes. Letéléphonedelamaisonàlamain,ellemepointaavec,prenantsonairleplusrevêche.J’auraisbienreculéd’unpas,maisAbousetenaitjustederrièremoi–letraître!—RafaelVentes,t’arrive-t-ilderépondreàtontéléphone,bougred’imbécile?—Euh…Oui,Ama,dis-jelamentablement.Elleagitalecombinédeplusbelle,s’approchant,etj’eusl’impressionqu’elleallaitm’encollerun

coupsurlecrâne.—Non!mecontredit-elle.Tunelefaispas!SinontusauraisqueCalebs’estbattuetsetrouveen

cemomentaupostedepolice.Jeme ruai aussitôt vers laporte,mais la large silhouetted’Amamebarra lepassage et elleme

donnauneclaquesurlatête,assezfortpourmefairegrimacer.—Ama…grondai-je.—Quoi,Ama?cria-t-elle,lamainbrandie.Tuneprendspaslamotodanstonétat.Lesmainssurleshanches,ellenousjetaunregardnoir.—Jevaisconduire.Maisjevouspréviens!nousmenaça-t-elle.Unefoisqu’onaurarécupérénotre

Caleb,jevaisavoiruneconversationavecvoustroissurlaconsommationd’alcoolsousmontoit!Etpaslapeinedetecacher,Abou!Titubantsetinquiets,noussuivîmesAmajusqu’àlavoitureoùnousnousentassâmestous.J’avais

uneenviedevomirquimetenaitauxtripes.Qu’est-cequecet imbéciledegénieavaitencorefait?J’avais peur de le savoir. Je n’avais vu Caleb perdre ses moyens qu’avec une seule personne.Brandon.Etjelevoyaistrèsbienrecommencer.Sanshésiter.Combienlacautionallait-ellenouscoûter?Abouavaitprislaboîtedesecoursdugarage,celleoù

ilmettaittoutl’argentquejeluidonnaisetqu’iln’avaitpasencore«redistribué».Aumoinsavions-nouslesmoyensdefairesortirunentêtédeprison.Arrivésdevantlecommissariat,Amanousordonnadel’attendre.Nousdescendîmesquandmême

pourlasuivreetellesoupira,dandinantsasilhouetteimposantepourgravirlesmarchesetpousserlesportesdupostedepolice,Soliàsagaucheetnoustrois,bouchesscellées.J’eusenviedehurlersurl’agentquinousaccueillitpoursavoiroùétaitCaleb,maisjemeretins.

Paslapeined’envenimerleschoses.S’ilnes’agissaitqued’unebagarreentreétudiants,ceseraitviteréglé.Jel’espérais.Ducoindel’œil,j’aperçusAmandaetLennyvenirversnous.Aussitôt,lajeunefillem’attaqua:—Çafaitdesheuresqu’onessaiedetejoindre!Qu’est-cequetufoutais?Jeplissailesyeux,lafusillantduregard.Ellesecalmaetreculad’unpas,heurtantl’épauledeson

frèrejumeau.

—Qu’est-cequ’ils’estpassé?demandaAbou,dignement.Lasituationnousavaitlégèrementdégrisés.Amandadétournalesyeux,soudaingênée.Lennysoupiraetnousexpliquadoucement,pournepas

quel’agentquis’entretenaitavecAmanousentende.— Tout se passait plutôt bien jusqu’à ce que Brandon boive un verre de trop et se mette à

raconter…hum…certaineschosesàtonsujet,Rafael.PersonneneprêteplusattentionauxracontarsdeBrandon.Mais…Calebs’estquandmêmeénervéetçaadégénéré…Il luiacassé lenezetbienarrangéunœil.Unabrutiaappelélasécuritéducampusetlesflicssontarrivés.BrandonetCalebontétéembarqués.Cetenfoiréavaitdûcriersurtouslestoitsquej’étaisunepute.Cequiétaitvrai.MaisCalebs’était

quandmêmesentiobligédedéfendreunhonneurquejenepossédaisplusdepuislongtemps.Voilàoùmenaitsonentêtementàresteravecmoi.Droitderrièrelesbarreaux.Avecunpointnoirentachantuncasiervierge,siBrandondécidaitdeporterplainte.—Merci,officier,ditAmaaujeuneagent.Ellenousrejoignitensoufflant,lefrontrecouvertdesueur,tirantsurl’encoluredesont-shirtpour

sedonnerunpeud’air.—Lacautionestréglée,nousallonspouvoirleramener.Amanda etLenny se présentèrent, tendant leursmains, etAma, commeà sonhabitude, les serra

contresoncœur.—Oh,meschéris.Maisquellehistoire!Quellehistoire!JedessoûlaicomplètementquandCaleb,escortéd’unpolicier,nousrejoignit,brascroisésdansle

dos,menottesauxpoignets,sesvêtementsdéchirés,débraillébienplusencorequ’àl’ordinaire,unemarquebleuesurlajoue,sescheveuxenbatailleetleregardsifurieuxquej’eusl’impressiondenepas connaître ce type-là. Tout en sachant pertinemment que c’était lui. Caleb pouvait perdre lespédalesquandils’agissaitdemoi.Jelesavais,maisc’étaitlapremièrefoisquejelevoyaisdemespropres yeux et j’en eus des frissons.De peur et de désir.Quelque chose demal déterminé.Cetteconsciencequ’ilpouvaitsebattrepourmoiavec tellementdeforceetd’agressivité.Etcelle,aussi,queçalerendaitvulnérable,commeunefaiblesseexploitable.Sontalond’Achille.Onluienlevalesmenottes,etilrécupérasesmainsavecunmouvementd’humeur.Ilsefrottales

poignetsetAmaluitapasurl’épaule,compatissante.—C’estfini,mongrand.Ama détestait les commissariats depuis queGora y était passé avant d’être transféré à la prison

d’état.—Merci,articuladifficilementCaleb.Jevousrembourserailacaution,Ama.—Pasdeproblème,monpetitloup.Jen’arrivaispasà faireunpasvers lui,pas ici, etCalebattendaitque je luidisequelquechose.

Maisjenesavaispasquoifaire.J’étaisinquietpourlui,furieux,heureuxetencoreplusencolère.Etpuissoulagé,quanduninspecteurvintnousprévenirqu’aucunesuiteneseraitdonnée,queBrandonneportaitpasplainteetquenouspouvionsenfinnousenaller.Sur les marches du commissariat, j’observai le dos de Caleb, sa chemise poussiéreuse et ses

cheveuxpartantdanstouslessens.Iléchangeaquelquesmotsavecsesamisetj’inclinailatête,avisantsesépaulesraides,sesmainsserréesenpoingsdanslespochesdesonjean.

Ama,Soli,AbouetMacrepartirentvers lavoitureet jerestaià l’écartquelques instantsdeplus,jusqu’àcequeCalebsoitseuletqu’ilsetourneàdemiversmoi.Jefisenfinunpasdanssadirectionetlui,undanslamienne,etpuisunsecond,jusqu’àcequenous

nousretrouvionsl’unenfacedel’autre.Lui,froissédes’êtrebattu,moi,encoreabrutiparmasoiréetroparrosée.—Jesuisdésolé,Rafael.Jeposaiunemainsursajoue.—Tuescon,tusaisça?Ilappuyasonfrontcontrelemienetm’embrassa.—Tun’aspasentendu…—Pasbesoin,CalebJesaistrèsbiencequ’ilpensedemoi.Jepassaiunbrasautourdesesépaulesetleserraicontremoi.—Allez,onrentre.Amavagueulerunpeuet,après,onpourraallerseblottirsousmesdraps.Là-

basaumoins,iln’yauraquenousdeux.—Çameva,souffla-t-il.Tusais,rienquetoietmoi.Si seulement ça pouvait être toujours le cas. Juste nous deux. Sans clients, sans passes. Sans

Brandon,sansCharles.Nousetriend’autre.—Jesuisdésolé,dis-jeàmontour.—Dequoi?—Quetunepuissesplussupportertoutça.—Jet’aime,s’étrangla-t-il.Commentveux-tuquejelesupporte?Jesecouailatêteetluiprislamain.Illaserra.—Jenepeuxpasm’enfoutre,Rafael.C’estimpossible.—Jesais.—Maistumelereproches.—Non.Non,biensûrquenon.Commentpourrais-jeluienvouloird’êtrehorsdeluiàl’idéequed’autres

me touchent, m’embrassent, fassent courir leurs doigts sur moi ? Je ne pourrais même pasl’envisagersansmourirdejalousie,siCalebdevaitunjourmetromper.Moi,jelefaisaisquatrefoisparsemaine.Minimum.Etillesavait.Sij’avaisétémoinshonnête,sijeluiavaismenti,peut-êtreaurait-ceétémoinsdifficile.Maistellementmoinsvrai.—Viens.Nosdoigtsenlacés,nousrepartîmesjusqu’àlavoiture.Abou,Mac,AmaetSolinousattendaientendiscutanttranquillement,sansnouspresser,sansrâler

parcequ’ilfaisaitfroid,conscientsquenousavionseubesoindecesquelquesminutes,decelapsdetempspournousdirecesquelquesphrasesquichangeaienttout.Leresteattendraitquenoussoyonsàl’abridemonappartement.

NousétionsàleurhauteurquandAbouetMacsefigèrent,leregardbraquédansnotredos.Etjesusaussitôtqu’ilétaitlà.Moncorps,moncœur,toutmepoussaitàcourir,àfuir,àm’éloigner.Calebjetauncoupd’œilpar-dessussonépauleetsamainseresserradavantageautourdelamienne.—Quiest-ce?demandaSolienplissantlesyeux.—Montedanslavoiture,luiordonnaAma.AmaavaitbeaunejamaisavoirvuCharles,elle l’avaitaisémentdevinéànoscomportements.Et

Solicomprittrèsvite,luiaussi.Ilredressalesépaulesetseplantadevantsamère,indifférentaufaitqu’elle était plus grande et plus lourde que lui. Instinct de protection. Comme Caleb, qui étaitlégèrementpassédevantmoi,commeAbou,quiavaitfaitunpaspournousmettretousderrièrelui.Comme chacun de nous s’était rapproché des uns et des autres pour ne former qu’une unité, unefamille,devantleseuladversairequenousavionstousencommun.Charles.Il s’arrêta devant nous, ses yeuxmarron comme deux flaques sombres, son sourire étirant son

visagefin,lesmainsdanslespochesdesonlongmanteauenlaine,seschaussuresciréesbrillantsurlecimentdutrottoir.Sonéternelleécharperougeautourducou.—Ehbien,ehbien,chantonna-t-il,enmefaisantunclind’œil.Qued’aventurescesoir,n’est-ce

pas,monamour?—Dégagez,Kennedy!attaquaaussitôtAbou.Charles avait toujours été conscient de son pouvoir, des soutiens qu’il avait, de la place qu’il

occupaitdanscemondeetdesprivilègesqu’ilenretirait.Iln’avaitpeurnid’unhommed’église,nid’unétudiant,aussi intelligentsoit-il,nid’unemamanafro-américainequi luimontrait lesdents,etsûrement pas d’un gamin et d’un ancien prostitué. Quant à moi, il me tenait trop bien pour mecraindre.—PasteurFinch,susurra-t-il,vousêtessidésespérant.N’ya-t-ilaucuncoursdesavoir-vivredonné

auséminaire?Soliricana,leregardd’unnoird’encrecommejeneluienavaisjamaisvu.—Espècede…IlavançaversCharlesetjetendislebraspourl’empêcherd’approcher.Horsdequestionqu’ilse

retrouveàproximitédecemalade.PasSoli.NiCalebquejeserraiscontremoi,parpeurdeleperdresousleregardmachiavéliquedeCharles.—Qu’est-cequetuveux,Charles?luidemandai-je.— Toi, mon amour, comme toujours, fit-il en souriant, jetant un coup d’œil à Caleb. Mais je

supposequecen’estpaslesensdetaquestion.—Non.Ilresserrasonécharperouge.— Notre petit Asher n’avait pas très envie de mettre papa au courant. Il aurait dû expliquer

pourquoi il s’est retrouvé au commissariat et c’était évidemment inenvisageable. Je suis venu lechercheret,bienentendu,luiconseillerdenepasporterplainte.Tupourrasmeremercierplustard,monchéri.—Ilnevousremercieraderiendutout!rugitCaleb.Si,jeleferais.JerattrapaiCalebetleramenaiderrièremoi.J’avançai,unpas,puisunautre,memettantentreeux

etlui.Entrecesdeuxmondesquisetélescopaient.—Tantd’ardeur!fitCharles,raviquesaprésenceàelleseuleblesseCaleb.—Vousdevriezavoirhonte!rugitsoudainAma.C’eutlemérited’ôterlesourireduvisagedeCharles.—MadameFinch.Nousnousnesommespasencoreprésentés,ilmesemble.—Vousn’êtesqu’uneordure!—Hum,jecomprendsdequinotrebonpasteurtientsonlangagesidéplorable.—Allezaudiable!rugitAbou.—Vousd’abord,Finch.Ama,lesmainssurleshanches,pointaunmentonfierdanssadirection.—Disparaissez.Oujevaisdecepasrepousserlaportedececommissariat!Charlesexplosaderire.—Jevousledéconseille,mabonnedame.Etjeledisdansvotrepropreintérêt,croyezbien.JeserraistellementfortlesdoigtsdeCalebqu’iljuratoutbas,sanstoutefoismelâcher.Ilappuya

sonépaulecontrelamienne,alorsquemesdentscommençaientàclaquer.—Çasuffit,Charles!feulai-je.Unaccordétaitunaccord.Et l’unedesclausesétait justement le silence surcequinousunissait

réellement,luietmoi.Ilnepouvaitrienleurdire.Iln’enavaitpasledroit.Maisl’hommed’affairesqu’ilétaitsavaitsibienjoueraveclesrègles.—Dansune seconde,monamour, susurra-t-il denouveau, son regard sadiqueplantédans celui

d’Ama. Je vaisme taire,mais avant, sachez ceci,madame Finch.Ce n’est pasmoi qui aimis deschaînesauxpiedsdeRafael.C’estvous.Vosenfants.C’estMac,etlepetitdernier,notrecherCaleb.Voustous,safamille…c’estvousquicliquetezderrièreluiàchacundesespas.Sansvous,jen’auraisjamaispulegarder.Ilseredressadetoutesahauteur.—Jecroisquejevousdoisdesremerciements.Contentdesonpetitlaïus,ilhaussalessourcilsdevantleurvisagedéfait.—N’importequoi!gueulaSoli.Onn’arienàvoiravecça!—Tais-toi,Soli!l’arrêtai-jeaussitôt,plutôtdurement.Ettoi,Charles,va-t’en!—Àtesordres,semoqua-t-il.Il tenditunemainversmoipour s’emparerd’unemèchedemescheveux.Etavantmêmeque je

n’aiereculélatête,Calebattrapasonpoignetvivementetl’écartademoi.CharlesobservalesdoigtsdeCalebsur lamanchedesonmanteaunoir,unedrôled’expressiondans lesyeux.Cette lueurmedonnadesenviesdemeurtreetjeforçaiCalebàlelâcher.—Pourquoivousfaitesça?sifflacedernier.Charlesreculad’unpas,seléchalalèvreetledétailladelatêteauxpieds.—Pourquoi,monsieurBecker?Maisc’esttrèssimple.Jelefaisparcequejel’aime,évidemment.—Vousl’aimez?s’insurgeaAma.Maisquelgenred’amourpensez-vousluidonner,pauvrefou?—Leseulauquelilconsentedemapart.

Ilsedétournaenfin,levantunemainàmonintention.—Àdimanche,monamour,lança-t-ilcommeunelameaiguisée.Et ça se planta dans le cœur de chacun de nous, violemment et douloureusement. Arrachant,

nécrosant.C’étaitcommeavoirrencontrélamort.Etj’eusdumalànepastomberàgenouxpourmefairepardonner.Pourexpliquer.Pourquecetterencontren’aitjamaiseulieu.Maisc’étaittroptard.DèsqueCharlesdisparutdenotrevue,Solijurabruyamment,donnauncoupdepieddanslaroue

delavoitureetsetournaversmoi,accusateur.—Commentpeux-tucontinueràlevoir?mehurla-t-ildessus.Commentpeux-tut’abaisseràça?

T’écrasercommeunemerdedevantcesalopard!—Oh,criaCaleb,fouderage.Tulafermes,Soli!Lesautresétaienttropabasourdispourréagir,moilepremier.Jeleprisenpleindansl’estomac,

pirequesiSolim’avaitpasséàtabacpendantdesheures.Macmeposaunemainsurl’épaulealorsqueAmapleuraitsilencieusement,secouantlatête.Toutlemondeétaitéprouvé.Toutlemondeavaitmal.—Arrête,Soli,essayadelecalmerAbou.Tutetrompesdecible.—Pourquoi,merde?continua-t-ilenmeregardant,n’écoutantquesapropretristesse.Pourquoitu

laissesceconnard…Pourquoitufaisça?Pourquoitunousfaisça?Pourquoi…—Tais-toi,Soli!leprévintCaleb.Toutdesuite!—Vatefairefoutre,toi!C’esttafauteaussi.Tun’enasrienàcirerdecequ’ilfait?Tut’enfous

detouscesgensquiabusentdelui!Decequ’ilendure…—STOP!hurlaAma.MaispasassezfortpourladétressedeSoli.Cen’étaitpasdelacolère,maisdelapeur.Ilavaitvu

aufondduregarddeCharles,commenoustous,lesnoirceursdesonâme,l’échodemescris,demessouffrances,detoutcedontilsedélectait.Ilm’avaitvu,àsonâge,prisdanslesfiletsd’unhommedont jen’avais jamaispumedéfaire.Etau fondde lui, ilyavait la terreurdeceque j’avaisvécu,quelquechosequirésonnaitdanssestripes,luiquimeconnaissaitsibien.Jem’étaisassissursonlit,quandiln’étaitencorequ’ungamin,pourluiraconterdeshistoires.J’avaisébouriffésescheveuxlapremière foisqu’il était tombéamoureux. Je lui avais appris à sebattre, après lepremier coupdepoingqu’ilavaitreçu.Jel’avaisprotégé,commeAboul’avaitfait,commeAmaleferaittoujours.Etaujourd’hui, ilcomprenait lavaleurde toutça,maintenant il savait,avecuneabsolueclarté,que laseulechoseàlaquellej’avaiseudroitàmesdix-huitansvenaitdepartir,déposantunebombeànospieds. Et qu’il attendait, de l’autre côté, qu’elle explose pour récupérer des miettes de moi. Desmiettes…C’étaittoutcequ’ilrestaitdugaminquej’avaisété.—Pourquoi…tremblaSoli.Etpuisiltombadansmesbrasetsemitàpleurer.Amacaressasescheveux,deslarmesdébordantdesesyeux.Abouavaitposéunemainsurl’épaule

dechacundenousdeux,abattu.EtMacappuyalefrontcontremondos,sachantmieuxquequiconquecequeCharlesfaisaitdemoi.Etilsétaientlà,toutautourdemoi,alorsquejeberçaismonpetitfrère,monbeauSoli.Etpuistoi,Caleb.Àcôtédemoi.Ettamainsurmahanche,tesdoigtssurmapeau,meconnectantà

cemonde,àcetteterre.M’empêchantdeflancher,dehurler,defrapper.Toiettoncœurquibattait,siprèsdumien,audiapason,regardantdanschacundeséclatslaissésàmespieds,regardantdroitdans

lesyeuxchacunedemeserreurs,chacundemestourments,chacunedesaberrationsdemonexistence.Toi,sanstedétourner,sanspartir,sansjamaist’éloigner.Justed’unecaresse,m’apaiser.—C’estfini,murmurai-jeàSoli.C’estfini.

37J’étaisassissur lesoldubalcon,habilléd’unsimple jean.Àmespieds, lecendrierétaitpresque

plein et j’avais une nouvelle cigarette à la main. Un verre vide entre mes jambes et la bouteilleouverte juste à côté. Il faisait froid,mais jem’en foutais. Je fixai les lumièresdanserdans lanuit.Commeunmillierd’âmes.Pourcombiendelarmesetcombiendedésillusions?JesentisCalebavantderéellementl’entendre.Ils’accroupitàmescôtésetposaunemainsurma

joue.Jem’écartai.J’aimaispourtantça,qu’ilmetouche,qu’ilsoitlà,qu’ilmerejoignechaquefoisquejem’esquivais.Maispascesoir.PasaprèslesmotsdeCharles.PasaprèsleslarmesdeSoli.—Jet’airéveillé,dis-jesansleregarder.—Pastoi,rectifia-t-il.Tonabsence.—Elleestpourtantmoinsnuisiblequemaprésence,non?—Nedispasça,Rafael.Ilsoupira,jefinismonverre.—Tueslameilleurechosequimesoitarrivée.—Commentpeux-tudireça,Caleb?memis-jeencolère.Jetentaidem’écarter,ilmeretint.—Jeledisparcequejelepense.—Commentpeux-tumêmelepenser,merde!Jenesavaispasvraimentcequ’ils’étaitpassédepuisquenousétionsrentrésdeNewYork.Tout

avaitrecommencécommeavant.Etpourtant,pastotalement.Lui,moi,cequenousavionsdécouvertlà-bas, c’était ce que nous aurions dû être sans Charles. Un sentiment qui ne passait pas, qui neguérissaitpasetquidevenaitplusfortchaquejour.Mesdéparts,eux,faisaienttellementsouffrirqueçanousarrachaitlestripes.Maiscequifaisaitencoreplusmalétaitlemomentoùjepoussaislaporteetquejeledécouvraisderrière,assissurunechaise,immobile,lesyeuxtellementrougesqu’ilétaitévidentqu’ilavaitpleuré.Çanousdétruisait,parcequ’unesecondeaprèsl’autre,nousnousaimionsdavantage.Etcesoir,avecBrandon,avecCharles,avecSolisimalheureux,etAma,Abou,Mac…J’avaisjuste

besoindeboire.Seul.—Rafael…—Laisse-moitranquille,Caleb,lesuppliai-je.Ildégagealesmèchesdecheveuxdemonfront,tendrement,etposadenouveauunemainsurma

joue.—Regarde-moi,dit-ilentournantmonvisageverslui.Jemereculaiànouveauetprislabouteillepourremplirmonverre.J’appuyaimoncrânecontrele

murderrière, les coudes sur les genoux, et le busd’une traite. Je le reposai, prêt à y rajouter unenouvelle rasadedewhisky,maisCalebme l’arrachadesmains, avec labouteille. Il les repoussa àl’autreboutdelaterrasse,assezviolemment.Leverresebrisaetlecontenudelabouteilleserépandit

ausol.—Onpeutparlermaintenant,Rafael?—Dequoi?—Decequ’ils’estpassécesoir.Jetiraiuneautreclopedemonpaquetetl’allumai.Jeluisoufflailafuméeauvisage,provocant.Il

serralesdents.—Jen’aipasenviedeparler,Caleb.—Rafael,siffla-t-il.Bonsang,nejouepasàça.—Àquoi?m’emportai-je.Jemerelevai,ilm’agrippalebras.—Tusaistrèsbien…—Bonsang!lecoupai-je.Fous-moilapaix!Ilsefigeaetjerentrai,tremblantdefroid.Cequ’ils’estpassécesoir.Jelesavaistrèsbien,cequ’ils’étaitpassé!J’ouvrislebaretattrapaiunebouteilleoùrestaitunfonddevodka.Jeneprispaslapeined’aller

chercherunverreetbusdirectementaugoulot.Etpuisjelevailabouteille,pourtrinqueravecleciel,avecn’importequi.Aprèstout,quelleimportance?—Parle-moi,Rafael,suppliaCalebdansmondos.Caleb…Charles…Ilsvoulaienttousquelquechosedemoi.Monbonheurpourl’un.Masoumissionpourl’autre.Etmoi…Ilsmevoulaientmoi…—Vatecoucher,Caleb.—Passanstoi.Jericanaietmelaissaitombersurlecanapé,unenouvellelampéedevodkafilantdroitdansmon

estomac.Çamebrûla.C’étaitbon.—Jevaisresterlàcettenuit,bébé.Ilgrimaça.Cesurnom,jenel’avaisjamaisutiliséaveclui,parcequec’étaitceluiquejedonnaisà

mesclients.Toutcommeluinem’avaitjamaisappelé«monamour»,àcausedeCharles.Pourtant,çaavaitmanquédeluiéchapperquelquesfois.Calebhésita àme laisser seul.Àme tourner ledos,dumoinspour ce soir.À sebattre,depeur

d’aggraverunesituationdifficile.Ilavaitraison,j’étaissurlepointd’exploser,tousmesnerfstendus,commeprêtsàcraquer.Et puis, soudain, il se tourna et ôta son t-shirt. Son dos, meurtri, sous mes yeux, j’avais

l’impressiondevoirl’enchevêtrementmorbidedemespensées.Faceàmoi,danstoutesanoirceur,sasplendeur,entièrementàmamerci,dévoilé.

Ill’avaitfaitexprès,forcément.Calebn’aimaitpass’exposer,maisillefaisaitcettenuit.Avantdesetournerversmoietdeposerunemainsurmonfront,degrimpersurmesgenoux.Bénis-moi.Absous-moi.Pardonne-moi.Aime-moi.—Rafael,dit-il,avecdéfi.Ilm’embrassapassionnément,durement,presqueviolemment.—Rafael,murmura-t-ilencore.Sonbaiserdevintplusdoux,amoureux,tendre.—Quiquetusois,jet’aime.J’aurais aimé baisser les yeux, mais ses iris me retenaient, et les regarder, c’était comme être

absous.—Charlesm’abousillé,Caleb.Sesdoigtsglissaientlelongdemacolonnevertébrale,sajouecontrelamienne.—Non.Jeristristement.—Tusaisbienquesi.—C’estfaux.Sonentêtementm’enragea.—Arrête!hurlai-je.Ilattrapamescheveuxettira,renversantmatêtepourmeregarderdroitdanslesyeux.—Calme-toi,Rafael.—Bonsang,maisqu’est-cequetufousencorelà,Caleb!Ilposasonfrontcontremonépaule.—J’aimeêtreavectoi.Quetusoisdur, tendre,prostitué,amoureuxdemoi.Quetusoissousun

cielbostonien,new-yorkais,quetuportesunnomouunautre.Tantquetuesavecmoi.Serendait-ilcomptedelavaleurdesesmots?Decequ’ilsmefaisaient?—Regarde-moi,Rafael.Jenefaisaisqueça.Ilpritmesmainsetlesposasursondos.—Tumetrouvesbeau.Maisjenelesuispas,Rafael.Tumevoiscommeçaetj’oublieàquelpoint

jesuisabîmé,maisjenelesuisvéritablementpas.Jesaisseulementbienmecacherpournelaisserqu’unebelleapparence.Peut-êtrequecertainespersonnespourraientfaireavec,maisjamaisellesnepourraientmetouchercommes’ilyavaitdelabeautésousmescicatrices,jamaisellesnepourraientembrassermesbrûluresavecdessoupirsdesatisfaction.Tuneterendspascomptedecequetuasfaitpourmoi.Dutasdecendresquej’étais,del’endroitoùtuesvenumechercher.PasCharles,maistoi,Rafael.Unhommebousillén’auraitpas eu la forcedemeprendre lamainetdeme tirervers lui.Crois-moi,tuesentier.Tuesblessé,sûrementtraumatiséparcequetefaitsubircetenfoiré,etsansdoute,unepartdetoiluiseratoujoursattachée,maistun’espasbousillé.L’entendremeparlermefaisaitfrissonner.Qu’importaitcequ’ilfaisait,oucomment,ilréussissait

toujoursàmesauver.Oùquejesois,ilvenaitmechercheretjevoyaisdenouveaulemondeàtraverssesyeux.Unemain tendre surma joue, l’autre surma nuque, plus farouche, ilm’embrassa. Il était doux.

Fougueuxàcertainsmoments.Passionné.Tendre.Parfoisdépravé.Patientetamoureux.Calebavaitunemultitudedefacettes,etchacuneétaitfascinante.Ilm’aimaitetilmesauvait.Jel’adoraisetjevoulaisleprotéger.Quandilétaitprèsdemoi,jemesentaisplusfort.Jemesentaislégitime.Jevoulaisycroire.—Jet’aime,Hanaël,chuchota-t-ilàmonoreille.Quand ilprononçamonprénom, levrai,dansunmurmure, ce fut commes’ilouvraituneporte

ferméeàclefdepuistroplongtempsetqu’enfin,jepouvaisrentrerchezmoi.

38C’étaitsamedimidi,etnousétionstousensemblechezAma.SolietMac,quipassaientdeplusen

plusdetempsensemble,étaientsoi-disantpartischercherdupainpourlerepas.Çafaisaitunebonneheure, d’ailleurs. Caleb discutait avec Ama dans la cuisine et j’étais assis sur les marches de laterrasseàl’arrièredelamaison.AvecAbou,nousbuvionsunebièreenregardantlesgaminsjoueraufoot,danslejardind’àcôté.—J’aivuCharles,hier,meditAbou.JetrouvaislemomentagréableavantqueCharlesvienneencorelegâcher.D’unemanièreoud’une

autre,ilétaittoujourslà.Aprèsl’avoircroisécettenuit-là,devantlecommissariat,leschosesétaientdevenuesencorepluscompliquées.Plusconfusesaussi.Ilétaitdevenu…gentil,dansunsens.Commes’ilcherchaitàsefairepardonner.Presquedoux,parfois.Etc’étaitunetorturedeplusquimeperdaitdavantageencore.Charlessavaitcequ’ilfaisait.Ilsavaitmeplongersiloinquejen’arrivaismêmeplusàpensernormalement.Àcomprendre…—Pourquoias-tufaitça?demandai-jeàAbou.Ilsecoualatête,légèrementsurladéfensive,sescheveuxcrépusluifaisantunecoupetypiquement

afro.—Parcequ’ilvoulaitproposersonaidepourlefoyer.Unarrangement.—Unarrangement?répétai-je.—C’estça.Évidemment qu’il le voulait ! C’était bien Charles de pousser ses vices jusque-là. De venir

s’immiscersitotalementdansmaviequejenepourraispluspasserunesecondesanspenseràlui.Jebus la findemabièreet résistaià l’envied’envoyer labouteilleexploserausol.Çam’aurait

soulagé.Là,jen’avaisenviequedehurler.—Unepropositiontrèsintéressante,jesuppose,grinçai-je.—Oui.J’étaisconscientdecequeCharlesétaitcapabledefairepourgarderlecontrôle,lepouvoir.Pour

préserver ses dimanches, nos tête-à-tête. Abou et cette nouvelle proposition, c’était juste unemanipulationdeplus.Unefaçondem’attacherdavantageàlui.Sanouvellegentillesseaussi,etcettefaçondontilmontrait,soudain,saprévenance…Jenepouvaispasmelaisseravoir.Pascommeça!JeplongeailamaindanslapetiteglacièreànospiedsetouvrisuneautreBud.L’alcoolmefitunpeudebien.—C’estunsalopard,sifflai-je.—C’estplusqueça,Rafael.Abousoupiraenmedévisageant.—Malheureusement,jenepeuxpastournerledosàtoutl’argentqu’iloffre.Pasquandilyatant

depersonnesenjeu.

J’essayaidenepasmetendreàlasimpleidéedevoirCharlesgravitertropprèsdufoyerd’Abou.Il suffirait de deux coups de fil et d’un chèque à quelques zéros pour qu’il le fasse fermerdéfinitivement,s’illuienprenaitl’envie.—Jesaisquetunepeuxpasrefuser,Abou.—Pourtant,j’aifaillilefaire.Je passai un œil par-dessus mon épaule en sentant Caleb. Il s’était arrêté devant la porte. Il fit

aussitôtdemi-tourencomprenantquenousavionsbesoindequelquesminutesseuls.—Jemesenscommeunhypocrite,Rafael. Jehais tellementce typeque jedevrais lui jeter son

chèqueàlagueule.Maissijefaisça,quelgenredepasteurserais-je?Ilsecoualatête.—Tun’aspasàtejustifier,Abou.— Si, justement. Parce que je sais bien que Charles est venu proposer son soutien financier

uniquementdanslebutdet’atteindre,d’unefaçonoud’uneautre.Jedétournaileregard.Ilnepouvaitpassavoiràquelpointilavaitraison.ÀquelpointCharlesmetenait.Ilnepouvaitpas

savoir que, depuis quelques temps,Charles jouait un nouveau jeu.Que je le croisais partout, qu’ilm’attendaitaubasdemonimmeublequandCalebétaitencours,pourmeproposerdeboireunverreavec lui, dem’emmener voir une pièce de théâtre ou un opéra. Ce qu’il voulait, c’était ce que jedonnaisàCaleb.Cequ’ilvoulait,c’étaitmessentiments.C’étaitplusquedesdimanches.C’étaitmoi,complètement.—Ilalaisséunmessagesurmonrépondeur,avouai-jedoucementàAbou.Cen’étaitpaslepremier,maisjepréféraisgarderlerestepourmoi.Jen’enavaismêmepasparléà

Caleb.MaisquandAbouposaitsurmoiceregard,j’avaisl’impressiondepouvoirtoutluidire.D’êtrecompris,quoiqu’ilensoit.—Ilvoulaitmevoir,expliquai-jeàAbou.Juste…commeça.Pourallermangerensemble.Pour

parler.Jeristristement.—ParlerAbou?Endixans,iln’ajamaisvouluparler.—Etqu’as-tufait?—Riendutout.Je haïssais Charles, je haïssais ce qu’il avait fait demoi. Je n’avais jamais pu comprendre son

besoin deme faire dumal.Mais parfois, quand je faisais l’amour avec Caleb, il y avait ce désirmalsainquis’immisçaitenmoi,uneenviedebrutalité,decoupsetdeblessures.Quelquechosequejeluidevais.Charlesm’avaitéduqué,commeunchienbiendressé.Etmaintenant,ilvoulaitencoredavantage.Ilvoulaitcequejenepouvaispasluidonner.Etj’auraissimplementdûm’enfoutredesessentiments.Maissoudain,ilavaitaffinésestortures,

devenantcomme…commeCaleb,etjesavaisqueçan’allaitpasdurer.Qu’iltrouvaitjusteuneautrefaçondemefairesouffrir.Alorspourquoi…

—Tun’asrienàtereprocher,tucomprends,Rafael.Tuasledroitdeluidirenon.—Jesaisça,Abou!—Vutatêteencemoment,jen’ensuispasconvaincu.Jebaissailesyeux.—Jenecomprendspaspourquoijemesenssimal.Aboupassaunbrassurmesépaulesetpenchasatêteversmoi.—Jenepeuxpasrépondreàcettequestionàtaplace.Je tirai une cigarette de mon paquet et l’allumai. J’inhalai la fumée, le regard tourné vers la

maison,verslafenêtredelacuisine,versledosdeCaleb.J’apercevaissachemisefroissée,auxplisdésordonnés,épousersoncorpsd’unefaçonquejetrouvaisvraimentobscène.Quantàsonjeanbleudélavé,aubascomplètementuséetélimé,illaissaitdevinerlarondeurdesesfesses,lamusculaturedesescuisses.Sescheveuxchâtainsattachéssursanuqueencatoganrebiquaientquandmêmedanstouslessens.Peut-êtresentit-ilmonregardposésurlui?Maisquandilseretournaetqu’ilmesourit,jemesentisplusléger.Plusnobleaussi.Denouveauentier.—Tul’aimes.Clignantdesyeux,jemetournaiversAbou.—Oui,luirépondis-jesanshésiter.Malgrésesincohérencesetsesmaladresses,sessoiréesoùil

ne pensemême pas à prendre de douche tellement il est immergé dans sesmanuels, ses amis auxidéesfarfelues,sescoupsdegueule,sesentêtements…Jesoufflaiensecouantlatête.—Tuveuxdirecommeceluidevouloirt’arracheràCharles,ironisaAbou.Évidemment,Calebn’attendaitqueça.Ilavaitcommencéàmesortiruneséried’arguments,deplus

enplus convaincants.Des solutions et des logiques.Des choses que je refusais encoredevoir.Decomprendre.D’envisager.Ilétaitentraindetransformeruneimpossibilitéenréalité.Maiscen’étaitqu’une illusion. Parce que dans quelques mois, Caleb serait diplômé. Il aurait tout un monde quis’ouvriraitdevantlui.Etquoiqu’ildécide,jeseraisincapabledelesuivre.—Jenepeuxpas,Abou.Leseffluvesdurepasd’Amanousparvenaientjusqu’ici.Ellesmedonnaientfaim.—Tuenescapable,Rafael,m’assuraAbou.Oui,ilmedisaitçadepuisdesannéesdéjà.— Non, m’agaçai-je. J’ai seulement un étudiant dans les jambes qui me donne des idées de

grandeur.Soudain, ses bras vinrent s’enrouler autour demon cou et sa bouche se colla à lamienne.Mon

Caleb,sonodeuretsonsourire.—Tuesbienassezgrand,beaubrun.Jelevailesyeuxauciel.—Tunepeuxpasfaireunpeuplusdebruitenteglissantderrièremoi.—Etcommentj’entendraislesconneriesquetudis,sijelefaisais.Ilritentombantàcôtédemoi.Jejetaiuncoupd’œilalentouretplissailesyeux.

—MacetSolinesontpasrentrés?changeai-jedesujet.—Si.Ilss’engueulentdevantlamaison.Abousoupira,excédé.—Ilsnefontqueça,cesderniersjours.Parfait.Enfinunsujetquidétourneraitleurattentiondemoi.—Qu’est-cequ’ilsattendentaujuste?m’étonnai-je.Aboutapotasacuisse,buvantunelampéedesabière.—MactrouveSolitropjeune.Etilestmalàl’aisevis-à-visdeMama.Etdemoiaussi,jecrois.D’accordilyavaitunecertainedifférenced’âge.Maisc’étaitSoli.Pasungaminécervelé.Ilavait

toujours su ce qu’il voulait. Et dernièrement, c’était derrièreMac qu’il courait, oubliant les bellesmétissesdesonquartier.—Çanevapasdurer,souritCaleb.SurtoutquandonvoitlacrisequeMacestentraindeluifaire

pourunsourireadresséàlabelleboulangèredeHydePark.Ahoui, jevoyaistrèsbienlaquelle.Unebellebrune,plantureuse.Difficiledepasseràcôtédece

décolletémagnifique,desesrondeursappétissantesetdecesourirediabolique.—Jevaischercherlepainlà-basrienquepourlavoir,confirmai-je.Calebm’adressaundrôlederegard.—Quoi?demandai-je.Jenefaisqueregarder!Sonfrontseplissadavantage.—Quoi?répétai-je.Abouexplosaderire.—Jenepensepasqu’ilétaitaucourantdetonautrepenchant!—Non,jenel’étaispas,fitCaleb.C’étaitvrai.Jen’avaispasencoreparlédecedétail.JemepenchaiversCalebetattrapaiunemèche

desescheveux,quejetirailégèrementavantdelalaisserrebiquer,commelesautres.—Leseulpenchantquej’ai,c’estpourtoi,luiassurai-je.J’aijustedesyeuxquiseperdentparfois

danscertainsdécolletéspigeonnants,c’esttout.—OK,fit-ilensouriant.Ça ne le dérangeait pas. C’était juste un nouvel élément à ajouter à la panoplie de détails qu’il

collectionnaitàmonsujet.Etpuis je trouvais les femmesbelles,c’étaitplusquevrai.Ellesavaientquelque chose d’inénarrable quime plaisait.Un charme universel, qu’elles soient petites, grandes,fines,rondes,brunesoublondes.Justeparcequ’ellestenaientlemondeenleursein.Noussursautâmesquandlaported’entréeclaqua.Quelquessecondesplustard,Macdébarquasurla

petiteterrasse,lesmainsenl’air,lesagitantfurieusement.—FichuimbéciledeFinch!signa-t-il.—Jen’ysuispourrien!sedéfenditAbouenriant.Cequiluivalutunregardnoir.Macselaissatomberausol,ledosappuyécontremesjambes,latêtesurmacuisse.J’ébouriffaises

cheveux,iltapasurmamain.Soli apparut peu de temps après, sa bouche tordue, ses mains résolument dans ses poches. Ses

dreadlocksparaissaientpluslongues,sonregardplusgrave,sonvisagemoinsenfantin.Sonairbutén’avaitpaschangéparcontre.Surtoutquandillançauncoupd’œilagacéversMac.Iltentalemêmeavecmoi,histoiredebienmefairecomprendrequ’iln’appréciaitpasquejemetiennesiprèsdesonbeauroux.Maisilluisuffitdecroisermonregardpourqu’ilabandonneengonflantlesjoues.J’explosaiderire.Ilseraclalagorge.—Alors?TuasrencontréCarmen?—Quiça?—Laboulangère,letaquinai-je.IlfermaunœiletfitungestevagueversMac.—Onenreparleplustard.—Pourquoipasmaintenant,signaMac,énervé.Iln’auraitpeut-êtrepasdû l’attaquerde front.Solin’étaitpasdugenreàmesurer sesparoles. Il

devait lesavoirdepuisle temps.Cegaminnepossédaitaucunfiltre.Sesmotssortaientdelamêmefaçonqu’illespensait.—Parcequetuesjaloux,emmerdeurd’Irlandais!luirétorquaSoli.Tuneveuxpasdemoi,maistu

neveuxpas,nonplus,quejeregardeailleurs.Tuespossessif,maisturefusesque,moi,jelesois.Tuasjusteoubliéunpetitdétail,MacO’Connell,c’estquetunepeuxpastoutavoir.Àunmoment,ilvabienfalloirquetuchoisisses.Tuessivieux,aprèstout.Tun’asplusvraimentdetempsàperdre,tusais!Macrougitviolemment,sesbras le longdesoncorps.Solihaussaunsourcil,unairsarcastique

colléauvisage.Abou ricana,Calebclaqua la langue. Jebuvaismabière,profitantdu spectacle. Jedevaisavouerqu’ilétaitassezdistrayant.Amavintnouschercherpourpasseràtableetsoufflaprofondémentenavisantlevisageécarlatede

Macetl’airravidesonbenjamin.—Est-cequeçavadurerencorelongtemps,votrecinéma?marmonna-t-elleenpointantlacuisine

dudoigt.Ah,lesfemmesnesontpassicompliquées!Nous nous levâmes et Caleb noua ses bras surmon ventre, posa sonmenton au creux demon

épaule,chauddansmondos,mefaisantavancerverslacuisine,guidéparlesodeursalléchantes.Ilmurmuraquelquesmotsàmonoreilleetjepartisd’unéclatderire.Sonnezfrottamajoueetilmelâchapours’asseoirà table.Samainsurmongenou, lamiennesursanuque.Malgré lesobstaclesqu’il nous restait à franchir, toutes ces choses en suspens qui étaient loin d’être réglées, il y avaitquelquechose…Quelquechosequejechérissais.Abourécitalebénédicitéetnousjoignîmeslesmains,nostêtesbaissées.Amen.C’étaitunmidiensoleillé.Unejournéeenfamille.Unhavredepaixdanslequel,parfois,ilmeplaisaitdemeréfugier.

39Il faisait nuit quand nous rentrâmes à l’appartement. Caleb avait fini très tard au restaurant. Je

l’avais attendu en mangeant une assiette de pâtes, en discutant avec Mick, un habitué, que jecommençaisàbienconnaîtredepuisletempsquejevenaistraînerdanslecoin.J’avaisdoncpatienté,enécoutantMick,etenregardantmonCalebvirevolterentre les tablesenmedemandantcommentquelqu’undesimaladroitnefaisaitpasplusdecasse.Il était plusd’uneheuredumatinquand je jetai les clefs sur le comptoir et que je balançaimes

chaussuresdans l’entrée. Jen’avaisqu’uneenvie,m’allongeret laisserCaleb fairedemoicequ’ilvoulait.J’enavaisvraimentbesoin.Besoindelesentirécartermescuisses,s’yglisser.Deluiaufonddemoi,ondulant.Deluioffrir

cetteautrepremièrefois.Mesentircomplètementàlui…—Jesuisdésolé,medit-il.Iljetasavestesurlecanapéetmesuivitdanslachambre.—Dequoi?—Quetupassestessoiréesàm’attendre.Jeluisouris.—J’aimebienMick.Ilpassasachemisepar-dessussatêteetlaissatombersonpantalonausol,avantd’avancerversmoi

d’une démarche tellement assurée qu’il ne ressemblait déjà plus au type que j’avais rencontré àCambridge.Habillé seulement d’un caleçonnoirmoulant ses fesses, ses brûlures éclairées faiblement par la

lumièretamiséedel’appartement,soncatoganàmoitiédéfait,ilétaittoutsimplementmagnifique.Jeclignaidesyeuxetmedéshabillai.Ensoupirant,ilglissalesbrasautourdemoietjeretinsses

mains pour les poser sur mon ventre, les faisant descendre plus bas, sur mon sexe. Ses doigtss’enroulèrentautourdemonérectionetmecaressèrent,enmêmetempsqu’illaissaitsonautrepaumeremonterlelongdemacolonnevertébrale,suivrelecontourdemoncou.—Fais-moidubien,soufflai-je.Calebsefigeaquelquessecondesetjeletiraiavecmoisurlelit.Jemelaissaitombersurledos,il

s’installaentremesjambes,mesurplombantenappuisursesdeuxbras.Sesyeuxbrillaient,jesavaisqu’ilenavaitenvie.Qu’ilseretenaitcertainssoirs.Jeme cambrai, le forçant à s’approcher encore plus près, à venir prendre ce que je voulais lui

donner,àlui,plusqu’àn’importequid’autre.—Jenesaispas,Rafael,si…—Moijesais,monange.J’avais tellement envie de le sentir en moi. D’être à lui. Je le repoussai un peu, juste quelques

secondespourvenirmemettreàgenouxdosàlui,unbraspasséautourdesoncou,sesmainssurma

poitrine.Ilmorditmonoreille,tremblantunpeu.Ilgémitquandsonsexesenichacontremesfessesetmepoussaunpeupourquejem’allongesur

leventre.Jel’entendisdéglutirjusteavantqu’iln’embrassemesomoplates,lecreuxdemesreins.—Tuestellementbeau,chuchota-t-ilcontremapeau.Etsavoixmefitfrissonner.Ilsuivitdelalanguelechemindemacolonnevertébrale,sefaufilantplusbas,léchamescuisses,

l’intérieur demes genoux. Puis il remonta, coulant son corps contre lemien, jusqu’à ce que sonérectionviennesenicherlàoùjelavoulaistellement.Parcequejelevoulais,n’est-cepas?Jelevoulais…Il passa les bras sous les miens, posa les mains sur mes joues, tourna mon visage vers lui. Il

m’embrassapassionnément,enroulasalangueautourdelamienne.Sipassionné,sisûrdeluitoutàcoup.Cen’étaitplusmonCaleb,monamourdegéniequej’avaiscroiséàlabibliothèquedeBoston,quiavait interverti intentionnellement l’undenos livrespourêtrecertaindemerevoirun jour.Cen’étaitpluslegaminauxyeuxgris,ausourireéblouissant,quiavaitréussiàm’émouvoird’unsimpleregard.Ce n’était plus cet ange, qui avait débarqué dansma vie et quim’avait donné envie d’êtresauvé.Non…Quandillubrifiasesdoigts,qu’illesglissaenmoienchuchotantquelquesmotsàmonoreille,ilnefutplusriendetoutça.Ildevintseulementunhommequis’apprêtaitàmebaiser.Etjenevis plus que ça, je ne ressentis plus que ça lorsque son sexe vint doucement prendre cette place,avançantcruellementenmoi,profondément.J’étaisunepute.Lasienne.CelledeCaleb.J’auraisvoulumeraccrocherplusquetoutàcequenouspartagions,j’auraisvoululuidonnerça,amoureusement,tendrement,lesentirperdrepiedàchaquecoupdereins.Maisjen’yarrivaispas.Parcequec’étaitlui,derrièremoi.Luiquimeprenait.Etjenepouvaisplusmecacher.Ilvoyaitvraimentquij’étais,cequelesautresmefaisaient.Lesautres.Touslesautres…quim’avaientattaché,menotté,suspendu…Tellementdefois.Tellementqueçanevoulaitplusriendire…Çanevoulaitplusriendiredutout…J’enfonçaimonvisagedanslecoussin,mordantlataiepourm’empêcherdeluihurlerd’arrêter.De

nepascontinuer.Jel’avaisvoulu,tellementfort.Maislesentirenmoiet…S’ilmefaisaitl’amourcommeça…Si…—Chut,mesoufflaCalebàl’oreille,seretirantlentementdemoi.Jevoulusleretenir,lesatisfaire…Aprèstout,ilavaitpayé…Non,iln’avaitrienpayé…Il…Puis toutàcoup, ilme tournasur ledosetsesyeuxgrisplongèrentenmoi. Il l’avaitsentie.Ma

détresse.Monrefusmuet.Ilsecoulaentremescuisses,posalajouecontremapoitrine.—Caleb…Ilembrassamonventre.—Çava,Rafael,sourit-il.Jesecouailatête.

—Non,çanevapas,m’étranglai-je.Commentpeux-tudireça?Tusaisbienqueçanevapasdutout,là!Jem’écartaipoursortirdulit,Calebselaissatombersurledosaumilieudumatelas.Jerécupérai

unjean,claquailaporteensortant.Pourbienluifairecomprendrequej’avaisenvied’êtreseul.J’avais tellement voulum’abandonner, comme il s’abandonnait quand je lui faisais l’amour. Il y

avaitcetairdeplénitudesursonvisage,delasatisfaction,unprofondplaisir,unecertitude,unbesoin.Et cettedoucebrûlurequand il approchait de la jouissance. J’avais cruqu’avec lui, avecCaleb, ceseraitdifférent…Maisàl’instantoùils’étaitglisséenmoi,j’avaiscommencéàattendrelepremiercoup,lapremièredouleur…Jesortisuneclopedemonpaquetquitraînaitsurlatabledusalonetcherchaiunbriquet.Commeje

neletrouvainullepart,jepartisverslacuisineetl’allumaiauxplaquesàgaz.Jeleséteignisaussitôtetinhalailapremièrebouffée.Enmeretournant,jesursautaientombantnezànezavecCaleb.—Faisunpeudebruitavantdeteglisserderrièrelesgens!m’agaçai-je.Ilinclinalevisage.—Vaterecoucher,soufflai-jeenl’embrassantbrièvement.Ilposaunemainsurmanuque.—Viensavecmoi.J’agitai ma clope devant son nez, il grimaça. Je le contournai pour me réfugier sur le balcon.

J’avais juste besoin d’un peu de solitude.D’un peu de tranquillité. Parce queCharlesm’avait pristellement de choses… Et que j’aurais aimé plus que tout les offrir à Caleb. Maintenant, c’étaitsimplementimpossible.Parcequej’étaissouilléparcesannéesàmeprostituer.Cesannéesàn’êtrequ’àCharles,auboutducompte.—Onyarrivera,ditCalebdansmondos.—Jenepensepas,non.Jem’accoudaiàlabalustradeetobservaileslumièresdeBoston.Calebvints’appuyerprèsdemoi,

sansmetoucher.Regardantlesombres,plusbas.—Chaqueclientt’arracheunepartiedetoi,Caleb,dis-jetoutàcoup.Étonné,ilpivotaplusfranchementversmoi.J’étaissurprismoi-même.Jeneparlaisjamaisdeça.

Avecpersonne.Pasdanslesdétails.Etpuiscesoir,mevoilàaveccesmotssurleboutdelalangue,etlebesoindelesprononcer.DetoutraconteràCaleb.Delesluioffrir,commeuncadeauempoisonné.—Chaquehommefêleunpeuplustoncorps,tonâme.Toncœur?Tun’enasplus.Malgrétoutes

lesdéfensesquetucrées,touteslesraisonsquetutedonnes,tusorstoujoursunpeuplusbrisédeceschambresd’hôtel,decesmaisons,decesendroits…Jetiraisurmacigarette,inspirailafumée,larecrachantendepetitsrondsquidisparurentdansles

airs.—Jesaisque,pourcertains,c’estdifférent.JesaisqueMacarencontrédestypesbienquiavaient

justebesoind’unpeude réconfort.Maisçan’a jamaisétémoncas.Parceque j’aiCharlesetqu’ilaimelesblessures.L’humiliation.Lespunitions.Lessentencesquimefontfrémir.Ilaimequ’onpaiepourm’avoirensachantquejenesuisqu’àlui.Ilchoisitlesclientslesplusviolents,lesplusriches,ceuxquiontbesoind’unexutoire.Troisfoisparsemainedepuisdixans.Jesuiscertainquetabelle

intelligencepeutmecalculerlenombredepassesquej’aifaites.Ilbaissalevisage,soudainblême.—Dix-septmilledeuxcentquatre-vingts.— Sans compter les dimanches de Charles. Dix-sept mille deux cent quatre-vingts, Caleb. Et

combiend’hommesdifférents?Ilsecoualatête,défait.—Arrête,Rafael,mesupplia-t-il.J’attrapai son bras, l’obligeant cruellement à m’écouter. Il devait comprendre, savoir. Je n’en

pouvaisplusdetoutporterseul.Cepoidssurmoncœur,ildevenaittroplourd.Ets’ilm’avaitchoisi,s’ilmevoulaitencore,s’ilvoulaitrester,alorsildevait,luiaussi,enassumerlesconséquences.Ilétaittempsqu’ilcomprenneexactementquij’étais.Quijeseraistoujours.— J’ai été frappé, coupé, écorché, brûlé, laissai-je tomber durement. Violé. On m’a attaché,

renversésurdesbureaux,ligotéàunpoteau,unechaise,lesjambesécartéessurunlit.Onm’aurinédessus,crachédessus,marchédessus…—Tais-toi!s’étrangla-t-il,lesyeuxbrillants.Madouleur,c’étaitpourluicommeunuppercutenpleinestomac,l’empêchantmomentanémentde

respirer.Ilcherchaàsedégager,maisjeleramenaiversmoietcontinuaimalgrésesyeuxquibrillaientde

plusenplus.— Je bois pour oublier. Beaucoup ! Ilm’est arrivé deme droguer pour supporter cettemerde.

Parfois,jemecolledesseringuesdanslaqueuepourréussiràbander.Parcequ’ilsveulenttousquej’aie envie d’eux, tu sais ? Que j’aime leurs mains qui me torturent, leurs mises en scène, lescostumesquejepasse.Ilsveulentquejegémissedechacundeleurscoupsdereins,mêmes’ilsmefontmal,s’ilsmefontsaigner.Ilsveulentqueçameplaise,quej’enredemande.Alorsjelessuce,jelesflatte,jelesbranle.Jemontesurleurscuissespourmefairebaiser…Calebsedégageasoudainbrutalement.—Ferme-la!hurla-t-il.Jet’enprie,Rafael,nedisplusrien!Chaquemotétaituneflècheplantéedanssoncœur.Çaleretournait.Çaluifaisaitmal.J’auraispu

m’arrêterlà.Luiépargnerleplusdur.Maisjen’yarrivaispas.Plusmaintenant.—Lepire,c’estCharles,luiassenai-jeviolemment.Ettusaispourquoi,monamour?Parcequ’il

m’aétudié.Dixansàapprendremoncorpspourenfaireexactementcequ’ilveut.C’estluiquimefait leplusmal.Etpourtant, il réussitàmefaire jouiràchaquefois.Àchaquefois,Caleb!Oui,àchaquefois,jecriesonnom!Caleb, fou de rage, des larmes sur les joues, me repoussa si fort que je percutai la rambarde

brutalement.Ilhaleta,commefou.Etmoi,jepersistai.Encore.—Ils’estfaitbaiserpard’autresdevantmoi,justepourattisercedésirmalsain,luiexpliquai-je,

sanspitié.Pourmerendrejaloux.Maisçan’ajamaismarché.Alorsilachangédetactique.Ilainvitédesamis qui me prenaient devant lui. Il m’a fait me masturber devant des inconnus, me mettre àgenoux devant chacun d’eux. Est-ce que tu comprends,Caleb ? Je suis sa chose, son trophée, sonchien.Sasalope.Ilmeprenddanslesang,danslasouffrance,parfoisàm’enfairevomir.Etquandilmeditderevenir,debaisserlatête,jereviensetjebaisselatête.

Calebreculajusqu’aumur,lesmainsdanslescheveux,crispé,tendu.Tellementébranlé.—Stop,Rafael,mepria-t-il.S’ilteplaît,nedispasunmotdeplus.Jemeruaisurluietaplatismesmainsau-dessusdesatête.Jefrappailemur.Unefois.Deux.— Je t’aime, Caleb, m’étranglai-je. Mais quand tu es entré en moi, j’ai vu tout ça. Je te veux

tellement…Àenperdrelaraison,parfois…Pourtant,jen’yarrivepas.Pasdecettefaçon.Furieux,dépassé,acculé,Calebserralespoings.J’enrecouvrisundemamain,leregardantdroit

danslesyeux.—Frappe-moi,Caleb.Ildevintlivide.—Commentpeux-tumedemanderça?—Oui,comment?Jeposaiunemainsursagorgeetluirenversailevisage.—Parfoisj’enaienvie,tusais?soufflai-jedanssoncou.Quetulèveslamainsurmoi.Quetume

fassesmal.Quetum’attaches.Parfois,justel’idéemefaitbander.J’inspirailentement.—Tellementfort…murmurai-je.Je m’appuyai davantage contre lui, et ma vision devint trouble. Caleb posa les mains sur mes

épaulesetjemerendiscomptequejetremblais,quemesdentsclaquaient.—Monange…m’étranglai-je.Jevoudraisêtreunhommesain.Maisjenesuisqu’uneépave.Ilappuyasonfrontcontrelemienetcroisalesbrassurmanuque.—Arrêtemaintenant,medemanda-t-il,bouleversé.Arrête.—Caleb…Jel’étreignis.—Jesuisdésolédenepaspouvoirtedonnertoutcequetuvoudrais.—Calme-toi,mesupplia-t-ilenmesentanttremblerencoreplusfort.Bonsang…Ilpritmesmains,jetamonmégotpar-dessuslabalustradeetmetiraàsasuite.—Viens.Il me rallongea dans le lit et se cala contre moi, sa joue dans le creux de mon épaule.

M’enveloppantdesachaleur.Desonamour.Desesparolesrassurantes.Desessoufflescontremapeau.—N’ypenseplus,murmura-t-il.Hanaël…Jenesuisqu’unepoussière.Uneinfimeparticulederien…J’auraisdûmebattre.J’auraisdûdirenon.

Dèsquejefermaislesyeux,jepouvaisvoirchacundeleursregards.JepouvaisvoirceluideCharles.CeluideCalebaussi.Jenesuisqu’unepoussière,ballottéeparletemps,minusculegraindéposéaucreuxdesamain.

40—Hé!Qu’est-cequetufaislà,beaubrun?Jefisattentiondelaissermonsourirebienenplace,meslèvress’entrouvrantàpeinequandCaleb

m’embrassa.Jecroyaisnepaslecroiser.Jel’espéraischaquefoisquejedébarquaissurlecampuspourbosser.

Etjefaisaistoujoursensortedemetenirloindudépartementd’aéronautiqueouden’importequelendroit qu’il avait l’habitude de fréquenter. Je prenais toujours mes précautions quand je devaisrencontrerunétudiant,ununiversitaireoun’importequelclientrésidantàCambridge.JetéléphonaisàCalebavant,sousprétextequ’ilmemanquait.Cequiétaitvrai,ilmemanquaittoutletemps.Etaudétourdelaconversation,jeréussissaisàsavoiroùilsetrouveraitlesheuressuivantes.Jeneprenaismêmepasmamotopourêtrecertainqu’ilnelavoiepasstationnéesurunparking,audétourdel’unede ses allées et venues. Jusqu’àmaintenant, ça avait plutôt bien fonctionné. Enmême temps, je nevenaispastrèssouventparici.Aujourd’hui,jen’avaispasréussiàlejoindreavantdepartir.Jem’étaisrassuréenmedisantqu’il

n’avaitrienàfaireàHarvard.Mauvaiscalcul.Jen’avaispasfaitdeuxpasquej’avaisaperçuCalebsortantdubâtimentdanslequeljedevaismerendre.CeluioùsetrouvaitlebureaududocteurJulian,éminenthistorien,homosexuelrefoulé,requérantmesservicesunefoistouslesdeux,troismois.Ettoujoursdanssonbureauferméàdoubletour,lorsdesonheuredepause.Demidiàuneheure,quandleslieuxétaientdéserts.Quasimentdéserts.—Tumecherchais?demandaCaleb,replongeantaussitôtlenezdansunpolycopié.Pourunefois, jebénissatêteenl’air.Aumoins,ilneremarquapasmaraideur.Nil’airsombre

quejeneréussispasàmasquertotalement.Jetrouvaisabjectd’êtreprèsdeluimaintenant,ensachantquej’avaisdespréservatifsetuntubedelubrifiantdansl’unedemespoches.Encorepluslorsqu’ilmepritdanssesbras,sachantquej’allaismefairebaiserdansdeuxminutes.Jen’étaisqu’unsalaud.—Tuespressé?demandai-jepourchangerdesujetetéviterdeluimentir.Heureusement, il était ailleurs, savestepassée à l’envers, comme s’il avait couru jusqu’ici pour

chercherleboutdepapierqu’iltenaitàlamain.—Oui,marmonna-t-il.Onsevoitcesoir?—Biensûr,monange.Monange.Pardonne-moi.Ilrepartitensedépêchant.Àunmomentdonné, il reviendraitsur terreetserendraitcompteque

notrerencontreétaitétrange.Alors,ilsauraitcequejefaisaisréellementsurlecampusàcemomentdelajournée.Maispourl’instant,cen’étaitpaslecas.Etj’espéraisqueçaneleseraitpasavantquejequitteHarvardetquejetrouveuneexcusevalable.J’observaisasilhouettes’éloigneretmeretinsdelerappeler.Jebaissailatêteetm’éloignaiversle

bâtiment.Jeconnaissaisbienl’endroit–cen’étaitpaslapremièrefoisquej’yvenais–etjem’arrêtaisanshésiterdevantuneporte,frappantdoucement,essayantd’oublierCalebetcequiallaitsepasserd’iciquelquesminutes.

LedocteurJulianaimaitêtrebrusque,surtoutàcausede lafrustrationqu’il ressentait lesquatre-vingt-quinzepourcentdutemps.C’étaitsafaçondelâcherprise.Ilmefaisaitmalparcequ’ilhaïssaitles hommes et le désir qu’il leur portait. Et que ce n’était pas sa femme, une jolie brune d’unequarantained’annéesquileregardaitamoureusementsurtouteslesphotosd’ellequisetrouvaientsursonbureau,quiallaitselaisserblesserpoursatisfairesonperversdemari.Quand ilm’ouvrit, ses lunettesbassessursongrosnez, jesouris,devenantunautre,mebrisant,

m’acérantsurcesmensongesquimerongeaientdel’intérieur.—Rafael,dit-ilcérémonieusement.Ilmelaissapasseretj’entrai.—DocteurJulian.JulianétaitunhommequiplaisaitàCharles,parcequ’ilavaitl’impressionqu’ilpouvaitdéraillerà

toutmoment.Etc’étaitvrai.Ilsemaîtrisaitàpeineetjesupposaisquec’étaitl’unedesraisonspourlesquelles il aimait faire ça à Cambridge, dans un endroit où il était respecté. Ça lui donnaitl’impressiondecontrôlersespulsions.Il donna ses directives d’une voix sèche et dure ; j’obéis, évidemment. Je me déshabillai, me

penchaisursonbureau,lesmainsbienàplatsurlebois,lesjambeslégèrementécartées.Lebruit d’un emballageque l’ondéchire, unpréservatif que l’ondéroule, une intrusionquime

donnalanausée.Lepremiercoup.Aveclarègle.Surmesreins.Qu’est-cequevadireCalebenvoyantlesmarquesqu’ellelaissesurmapeau?Lesecond,surmondos.Letroisièmeetlequatrièmecinglèrentmescuisses.Cela ne me faisait pas vraiment mal. Ce qui était douloureux, c’était l’après. Quand Caleb se

glisseraitcontremoi,mecaresserait. Jedormais toujourssur leventreet ilaimaitvenirposersonmenton au creux de mes reins. Et les seules fois où je le lui refusais, c’était quand je récoltaisquelquesplaies,quelquesbleus.Quelqueshumiliationsdeplus.Etquejerefusaisqu’illestouche.Cesoir seraitun soirsans.Encoreune fois, je verrais dans son regard toute lapeineque je lui

auraiscausée,touteladouleurquejelogeaisdanssoncœur.Cesdernierstemps,ilpleuraitbeaucoupquandilmecroyaitabsent.Parfois,quandjerentrais,jel’entendais.Alorsjem’asseyaisdiscrètementsurlefauteuildusalonetj’écoutaissessanglotsbriserlesilence.Jemehaïssaispourtoutcequejeluifaisaisendurer,soiraprèssoir.Jen’avaisaucundroitdelui

fairedumal.Jen’auraisdûêtrequ’unesourcedebonheur.Alorsquejen’étaisqu’uncalvairedeplus,aucontraire.Julianfrappaencore,etjebaissailevisage,fermailesyeux.Uneheure.Uneheurevolée…Uneheureàn’êtrequ’unechose,uneépave,undéfouloir…UneheureàobéirencoreauxexigencesdeCharles…Uneheure…Simplementuneheure…UneheureàtrahirCaleb…

41Jepressais le pas. Jevoulais rentrer rapidement chezmoi.Me jeter sousunedouche et nettoyer

moncorpsjusqu’ausangs’illefallait.Essayerdepanserlesblessuresquej’allaisdevoirexpliquerauseulhommequej’auraisvouluconnaître.Unhommedontj’étaisfou.Unhommequim’attendaitsurlecampus,encoreàHarvard,appuyécontrelemurdubâtimentd’où

jesortais,lesbrascroisés,levisagedéfait.Unhommequiavaitcomprisquejen’étaispasicipourlevoir.Unhommemeurtri.Jem’arrêtaiàquelquesmètresdelui,renduimmobileparleregardqu’ilposasurmoi.Jedéglutis,

passaiunemaindansmescheveux.Pasça.Pasmaintenant.Maisc’étaittroptard.Calebétaitlà,ilmefixaitduregard.Etjenepusrienfaire,àpartreprendre

maroutepourm’éloignerdelui.—Oùvas-tu?rugit-ilenmesuivant.Restelà,Rafael.—Jenepeuxpas!Il me courut après et m’agrippa le bras, me forçant à faire volte-face. Ses yeux d’ambre gris

jetaientdeséclairs.—Tunepeuxpas?hurla-t-il, sansprêter attentionauxquelquespersonnesquipassèrentdevant

nous.Lecampusétaitquasimentdésert.Leprintempsfaisaitbourgeonnerlesarbres.L’herbeétaittondue

etquelquesfleursparsemaientlapelouse.C’étaitundécordefilm,beauetpresqueromantique.—Tucroisquejepeux,moi?s’étrangla-t-ilderage.Tupensaisquejen’allaispascomprendre?

Jen’aipasfaitdixpasavantdesaisircequetufoutaisici.J’aifaitdemi-touretjet’aicherchépartout.Ah,ça,j’aifinipartetrouver!Ilmerelâchabrutalement.—IlfautdirequeledocteurJuliann’estpasdiscret!mebalança-t-il,lavoixcassée.Ilrecula,lesdoigtscroiséssursanuque.Jemedétournai,lahontem’empêchantdeleregarder.Je

m’éloignai de nouveau, le laissant derrière. Je ne pouvais pas avoir cette conversation ici. Pasmaintenant.Pascommeça.Jamais…Calebmerattrapaunefoisdeplus,passadevantmoipourmebloquerlepassage.—Putain,Rafael!Tupourraisaumoinsmeparler,non!—Pourtedirequoi?—Jen’ensaisrien!hurla-t-il.Jen’ensaisfoutrementrien!Maisparle-moi.OK?Nemetourne

pasledos.PARLE-MOI!

Soncri fit remontermacolèreet jemejetaipratiquementsur lui,enfouissantunemaindanssescheveux,tirantpourrenversersonvisage.Ilagrippaledevantdemonblousonencuirpourseretenir,pournepaspartir en arrière. Ilme fusilla du regard, je le regardai de toutemahauteur, les dentsserrées,ledosraidedescoupsquejevenaisdeprendre,sentantlatranspirationd’unautre.—Qu’est-cequiseraitacceptablemaintenant?sifflai-je.Queveux-tuquejetedise?Il serra plus fort les pans de ma veste. Des vagues de peine, de rage, brouillèrent son si beau

regard.—Tuasaimécequ’ilt’afait?—Commentpeux-tumedemanderça?Jecherchaiàmedégager,maisilmeretintfermement.—Est-cequecesalopardt’afaitjouir?insista-t-il.—Arrêteça,Caleb.—Est-cequ’il…—Arrêtetoutdesuite!hurlai-je.Jelepoussailoindemoi,nesupportantplusaucundesesmots,savoixtorturée,sonregardblessé,

sesgestesdésespérés.Jen’yarrivaisplus.—Tunecroispasquej’ailedroitdelesavoir?melança-t-il,lesbrasécartés.—Non,Caleb.Désolé,maistoutecettemerde,çaneteregardepas!—C’estvrai,cracha-t-il.J’avaisoublié!ÇaneconcernequeCharlesettoi.C’estça?Ilfitplusieurspasenarrière,ensecouantlatête,medétaillantcommes’ilnemeconnaissaitpas.Et

dansunsens,c’étaitlecas.Ilsavaitquejemeprostituais.Mais,jusque-là,iln’avaitfaitqu’imaginer.Il nem’avait pas croisé alors que jeme rendais à un rendez-vous. Il n’avait pas posé une oreillecontre uneporte et entendu, de l’autre côté, les gémissements d’extasedu typequi avait payé cherpourm’avoir.L’undecesautresaveclesquelsilmepartageait.—Pourquoi?demanda-t-il.Cettequestion,jemel’étaisposéetellementdefois.Jel’avaisentenduedanslabouchedetousceux

quej’aimais.Etqu’ilmelapose,lui,çamedéchira.Çabousillaleseulrempartqu’ilmerestait.Jefranchis ladistancequ’ilavaitmiseentrenousetattrapaisonmentondansmamain, inclinant

sonvisageversmoi.—Tusaispourquoi,Caleb!sifflai-jeentremesdentsserrées.TusaistrèsbiencommentCharles

me tient ! Je t’ai tout expliqué. Je t’ai poussé à partir. Et tu es resté.Merde ! Je t’avais prévenu !Qu’est-ceque tu croyais ? J’ai été aussi honnêtequepossible avec toi ! Je t’ai donné tout cequ’ilm’étaithumainementpossibledetedonner!Qu’est-cequetuveuxdeplus?Noussavionstouslesdeuxcequ’ilespérait.Parcequej’avaislesmêmesattentesquelui.Pource

queçachangeait!Cequenousvoulions,Charless’enfoutait.Etc’étaitluiquitenaitlesrênesdecejeudeplusenplusmorbidequiallaitfinirparmetuer.Caleb retint ses larmes, refusa de les verser devantmoi, dememontrer cette faiblesse. Il avait

encoretantdefierté,alorsqu’ilnemerestaitrien,mêmepasunpeudedignité.Etçam’enragea.Çamedonnaenviedetoutfoutreenl’air.Deneplussouffrirpourrien.Merde!Jen’enpouvaisplusdemarcheràcontre-sens,denageràcontre-courant.

—Putain!jurai-jeenlerelâchant.Tusaisquoi,Caleb?Vatefairefoutre!Et jepartis rapidement,sans regarderenarrière, indifférentàsespasprécipitésderrièremoi.Je

voulaismelaverdeceperversdeJulian,jevoulaislaisserl’eaucoulersurmoi.Jevoulaissoignermesplaies.LesquelquesmarquesquiresteraientplairaientàCharles.Ilyauraitaumoinsunheureuxdanstout

cecarnage.JefilaiversCentralSquare.Jemedirigeaiversl’arrêtdebusaumomentoùilarrivait.Jesprintai

poursauterdansleCT1quimeramèneraitàBoston.Calebrestaenarrièreetquandjem’assisprèsdelafenêtre,jelevissurletrottoirassistantàmafuite.Jetournailatêteetfermailesyeux.Cen’étaitpluslemomentdepenseràlui.Jevoulaisnepluspenseràriendutout.Resterseul.Boire.Fumer.Dormir.Etavecunpeudechance,meréveillerdeceputaindecauchemar.Maisj’eusbeaugarderfermementlespaupièrescloses,prier,quandjelessoulevaiànouveau,le

mondeétaittelquejel’avaislaissé.Douloureux.Je descendis vingt minutes plus tard et traversai la rue, marchant les mains dans les poches,

difficilement.Commesiunpoidspesait surmesépaules. J’avançai le longd’un trottoir, puisd’unsecond,sillonnantlebitume,latêteenfoncéedanslesépaules.J’entrai doucement dans le hall de mon immeuble, ignorant le gardien, et me dirigeai vers

l’ascenseur, sansmêmepenseràéviterDante. Ilmesalua,meparlade lapluie,dubeau temps,dubruitquivenaitdemonappartementetqui leréveillaitenpleinmilieudelanuit.Iln’obtintaucuneréponse,mêmequandilmemenaçadereprésailles–soitappelerlepropriétaire,quin’étaitautrequeCharles.Jememoquaisdetoutcequ’ilpourraitdire,faire,inventer.Ilentrachezlui,excédé,tirantleverroud’ungestesec.Jepartisàl’opposé,sortismesclefsdemapocheetentrai.Jejetaimontrousseausurlaconsoleet

donnaiuncoupdepieddanslaportepourlarefermer.Elleneclaquapas,maisserouvritavecfracas,heurtantlemurtellementfortqu’elleylaissaunemarque.Jemeretournaivivement,levisageinclinésur lecôté,observantCaleb. Ilétaitcouvertde transpiration,haletant, sescheveuxchâtainsplaquéssursonfrontensueur,sesyeuxgrisdevenusnoirscommedeuxpuitssansfond.Il fit unpasversmoi, tellement hors de lui que jemedemandai unmoment s’il n’allait pasme

frapper.Non, il se contenta d’ôter son sac de son épaule et de l’envoyer violemment au sol, nousenfermantdansl’appartement,larespirationcourtederage,lesmainstremblantes,l’airsombre.Il avait dû courir pour prendre une seconde ligne, négligeant ses cours. Puis sprinté en

redescendantpourarrivericienmêmetempsquemoi.L’effortnel’avaitpascalmé,ilétaittoujoursaussifurieux.Etmoi,jenepouvaistoujourspasluiparler.Jeleplantaiunefoisdeplus,lelaissantdansl’entrée,avecsesressentiments,sesdouleursetsesfrustrations.J’avaisbesoindemelaver.Jemesentaissale,dégueulasse,souillé.Ilmesuivit,jemedéshabillai,troplaspourluimasquerlesquelquesblessures.Ilcillalégèrement,

cherchamonregardquandjemetournaiàdemipourenfouirmesvêtementsdanslamachine.Maisje

l’évitai et glissai derrière la paroi de la douche, tournant les robinets et offrantmonvisage au jetd’eauquilefouetta.Etparcequ’ilmouillaitmesjoues,meslèvres,mesyeux,jepermisauxlarmesdecouler.Des’enfuir,emportantlapeineavecelles,petitesperlesdedouleur,petitsriensquifaisaienttellementmal.Jeme frottai de longuesminutes, m’écorchant, laissant des éraflures surma peau. Je continuai

pourtantjusqu’ànepluspouvoirensupporterdavantage.Quandjeressortis,torseetpiedsnus,unsimplejeansurleshanchesdontlesboutonsn’étaientpas

encorefermés,uneservietteàlamain,Calebétaitencorelà,assissurledossierducanapé,lesbraslelongducorps.Ilétaitbeau,magnifique.Blesséautantquemoi,bouleversé,tristeetdésemparé.—Va-t’en!luibalançai-jecommeuneinsulte.Commesicesderniersmois,cetappartementn’étaitpasaussidevenulesien.Toutessesaffaires

traînaient entre ces quatremurs, il avait un jeu de clefs, il prenait le courrier en rentrant le soir,descendaitlespoubellesunmatinsurdeux.C’étaitchezlui–cheznous.Etjelepoussaisàdégagercommes’iln’avaitrienàfairelà.Ilcrispalamâchoire.—Non!—Pourquoies-tulà?ricanai-jeméchamment.Ah,oui,c’estvrai.Poursavoirsilesautresmefont

bander!Jedevinsmesquin. Jedevinsdur.Parceque jenesavaispascomment réagir.Commentmefaire

pardonner,commentluiexpliquerencore.Alorsj’attaquais.Parcequec’étaitplussimplequededevoirsedéfendre.Unefoisdeplus.—Biensûrquejebande!lançai-je,blessant.Biensûrquejejouis!Biensûrquej’adoreça!Desmensonges.MaissuffisammentconvaincantspourqueCalebclignedesyeuxetblanchisse.Jefisunpasvers lui,essuyantmescheveuxavec laserviette,avantde la jetersurunmeuble,au

hasard.PuisjeposaiunemainbrutalesurlajouedeCaleb,ils’endégagead’unmouvementdetête.Jeris,faussementamusé,d’unrirefauxquejeréservaisàmesclients,affichantunsourirefacticequej’offraisàceuxquipayaientunepetitefortunepourm’allongersouseux.Calebcilla,maisnebougeapas.—Alors, chéri ?minaudai-je, en entortillant un bras autour de son cou. Que veux-tu que je te

fasse?Unepipe?Comment?Longue?Avecousanslesdents?Lubrifiantounon?Jemeléchaileslèvresetagrippaisescheveux.—Tume préfères à genoux ?Allongé ?Debout ? Tu veuxm’attacher ?Me ligoter ?Dis-moi

tout…Jeferaitoutcequetumedemanderas.J’attrapaiuneceintureabandonnéesurunechaiseet lapliaiendeux, lafaisantclaquerentremes

doigts.Jelaluitendis,ilnefitpasungeste.Jelaluimisdeforceentrelesdoigts.—Quoi,bébé?Tuneveuxpasquejet’offrelamêmechosequ’auxautres?Alors,qu’est-cequetu

attends?Baise-moi!Frappe-moi!J’aimeça.Allez!Tuneveuxpasmefairecrier?Unelarmes’échappadouloureusementdesesyeuxetunplaisirperfidem’envahit.Maintenant, tu comprends ? Maintenant, tu connais ma souffrance ? Maintenant, tu ressens la

douleurquechaquemainétrangère,chaquecorpsquin’estpasletien,meprocure?

—Tuenveuxencore?luidemandai-je.Allez,Caleb!Tuveuxensavoirplus?Je le débraguettai.Abasourdi, il ne pensamêmepas à se débattre. Ilme laissa faire, le cœur en

lambeaux,lesien,lemien.Jeletiraiversmoietluitournailedos,faisanttombermonpantalonausol,mepenchant,lesmains

contrelemur,latêtepasséepar-dessusmonépaule.— Vas-y ! hurlai-je. Prends-moi ! Bats-moi ! Allez, Caleb ! Que tu te rendes compte à quel

pointj’aimeça!Ilsanglotait,unemainsurlagorge.Etjecontinuai,encoreetencore.Lepoussantdavantagedans

l’obscurité,avecmoi,toujoursplusloin.—Alors?Dequoitut’inquiètes,monchéri?Jenesuisqu’unepute!Ilsecoualatête,reculad’unpas.Jetendisunbraspourlerattraper.—Baise-moi,Caleb.Sic’estcommeçaquetumeveux!—Arrête,s’étrangla-t-il.Arrête,jet’enprie.Ilpassaunemaindanssescheveux,s’écarta. Jeme tournaivers lui, ramenantmon jeansurmes

hanches.—Qu’est-cequetuveux?demandai-je,àboutdetout.Maisqu’est-cequetuveux,merde?—Toi.Jeteveuxtoi!—Moi?répétai-je,enrianttristement.Maisquelmoi?Jet’aidonnémoncœur,lesrestesdemon

âme,mafamille–laseulequej’aie.Lepeuquejepossède,jetel’aioffert,Caleb.Maiscen’estpassuffisant,n’est-cepas?Jeprissesmainset lesposaisurmontorse, lesfaisantdescendresurmeshanches,plusbas,sur

monsexe.—Tu dism’aimer,mais tu es comme les autres. Il n’y a que ça qui t’intéresse.Mon corps, sa

beauté.Maqueue.Moncul.Tutefousdureste.—C’estfaux.J’inclinailatête,passantlesmainssoussont-shirt,sursescicatrices.—Vraiment?Necrois-tupas,àtort,quejesuisleseulconnardàpouvoirt’acceptercommetues?

Netedis-tupasqu’aufond,jenesuisqu’unprostituéetquemesexigencessontbienbasses?Quejeneseraispasdégoûtéparquelquesbrûlures,moiquibaiseavecdesvieillardsdeplusdesoixante-dixans?C’estçaquetupensesdemoi?Detoi?—Biensûrquenon!—Alorsquecherches-tu?Quejefoutetoutenl’airetquejecondamnelesseulespersonnesquise

soient jamais souciées demoi ?Que je quitteCharles enmisant sur la vie deGora ?En espérantqu’Ama,AbouetSoline se retrouventpasà la rue?EtMac,etBrooke?Et toi…C’estceque tuvoudrais?Justepourquejen’aieplusàbaiseravecquiquecesoitd’autre?Moncorpsvaut-ilplusquecequejeportedansmoncœur?Poureux?Pourtoi?Il se détourna et repartit vers la porte sansme répondre.Voilà, j’allais le perdre. Il n’avait qu’à

sortiretilenverraitAmandaetLennyrécupérersesaffairesplustard.Leschosesseraientterminées.Jen’avaisqu’àleregardersortir,unpasaprèsl’autre,etendurer.Nepaslerattraper,resterlàsansbouger.Surtoutnepasbouger.

Lelaissers’apercevoirquetoutcequenousavionsvécunousavaitmenésàcemoment-là.Celuidenotreséparation.Àcettedernièreseconde,justecellequiallaitsonnerleglasd’unerelationquenousn’avions,de

toutefaçon,jamaiseue.Justeunsursisavantquetoutneredeviennenoiretsanscouleur.Sansétincelle.Sansespoir.—Jesuisdésolé,soufflaCaleb.Ilramassasonsac.—Moiaussi.Il me jeta un coup d’œil navré. Je pouvais presque entendre cette voix dans sa tête qui hurlait,

tellementfortqu’ils’assourdissait.Ilavaitmal.Ilpartait.—Jet’aime,Rafael.—Maistut’envas.—Tuveuxquejereste?—Tusaisbienqueoui.Il mit une main sur la poignée, serrant le col de son manteau qu’il n’avait pas pris le temps

d’enleverdepuisqu’ilétaitarrivé.Commes’ilsavaitqu’ilallaitrepartir.—Retiens-moi,murmura-t-il.—Non.Ilinspiraprofondémentetbaissalatête.Jereculaijusqu’aumuretm’yappuyai,lesmainscoincées

dansmondospournepas les tendrevers lui. J’avais enviede lui hurlerdenepasm’abandonner.Maisàquoicelaservirait-il?—Mamèreestpsychotique,Rafael.Ellem’afaitbrûlervifdansuneéglise.J’aifaillimourirde

douleur.Jecriaistellementfort,déglutit-il.Tellementfort…Ilplongeadansmesyeuxetjefussubjuguéparcequej’ylus.Delaferveur,deladétermination.

Del’amour.Beaucoupd’amour.Etuneflèche,pointueetempoisonnée,plantéedanssoncœur.Danslemien.Lefilquinousreliait.Notrelien.AbîméparCharles.—Pendantquemaviepartaitenfumée,poursuivit-il,pendantquemapeaudevenaitdecendre,que

jemedélitais,quemesmainsnerencontraientqueduvideetquejemesentaisaspiréparcettechaleurétouffante,parcetrounoirdanslequeljepensaistomber,j’aientenduquelquechose.Unrire.Pasunrire moqueur, sarcastique. Ou le ricanement de je ne sais quel démon. Non, un rire mélodieux,commel’eaud’unecascadeenmontagne.Commelechantd’unoiseauunmatind’été.Quelquechosequidonneenviedefermerlesyeuxpourenprofiteraumaximum.Etjel’aiécouté.Jen’étaisqu’unenfant qui était en train demourir – peut-être que ce n’était qu’un délire.Mais qu’importe, je l’aientendualorsmêmequejehurlais,queleboiscraquait,quelamortsemblaitsoufflerau-dessusdematête.Ilmesouritdoucementet,immobile,ilm’enchaînaitàsesmots.Ilcontinua,lentement,pourbien

quejelecomprenne.

—Ethiersoir,quandnousétionsdevantcefilmabsurdequejet’aiforcéàregarder,jel’aiencoreentendu.J’étaisallongécontretoi,latêtedanstonépauleetilarésonnédanstapoitrine.Ilestsortideta bouche, il s’est faufilé dansmon oreille. Lemême rire que celui que j’ai entendu quand j’étaisgamin. Celui auquel jeme suis raccroché pourm’en sortir. Celui quim’a sauvé. Peut-être que làaussi,cen’estquelerésultatd’uneimaginationunpeutropproductive.Maisjel’aientendu,Rafael.Chacunàl’opposédel’appartement,nosjouesbaignéesdelarmes,nousn’osionsplusfaireunpas

versl’autre.C’étaittroptard.Troptôt.Jen’ensavaisplusrien.Aide-moi,Caleb.Ilouvritlaporteetrestaunlongmomentdansl’encadrement,commeincapabledes’éloignerde

moi.Nelefaispas.Reste…—J’aibeaucoupderaisonsdet’aimer,HanaëlJimenez.Plusquetunelepenses.Maisjen’aipas

l’intentiondeteregardertedétruire.DeregarderCharlestedétruire.Jevaismebattrepourtesortirdelà,quetuleveuillesounon.Jesaisquetuaspeur,jesaistoutcequiestenjeu.Maisilesttempsqueçachange.Ilesttempsquetafamille,lestiens,comprennentcequ’ilsepasse.C’estàleurtourdet’aider.C’estàmontouràmoidetesauver.Etsipourcelatunedoisplusjamaismeparler,tantpis.Jecontinueraiàt’aimerenespérantquetumepardonnesunjour.Ils’éloigna.—Attends,Caleb!paniquai-je.Qu’est-cequetuvasfaire…—Rendretoustesaccordsnuls,lança-t-ilsansseretourner.—Tunepeuxpas…Maistroptard,ilfilaitdanslecouloir.Etletempsquejeprenneunpull,ilétaitdansl’ascenseur,

lesportesserefermantsurlui.Je descendis les marches quatre à quatre, mais pas assez vite. Il était au bout de la rue quand

j’atteignisletrottoiraupasdecourse.—Caleb!hurlai-je.Ilseretourna, immobileaumilieudespassants,etunsourireéblouissant illuminasonvisage.Je

t’aime,articula-t-il,etjelelusparfaitementsurseslèvres.—Jet’aimeaussi,soufflai-je.Mêmesi tunouscondamnes tous.Mêmesi tucoursderrièredeschimères.Mêmesi tu rejettes la

seulechosequejepeuxt’offrir.J’auraispuluicouriraprès.Tenterdeleretenir.Lesupplier.Luiexpliquerencoreunefois.L’embrasser,luifairel’amour.Luifaireoublier.Maisjeleregardaipartir,conscientqu’iln’yavaitplusrienpourlestopper.Mêmepasmoi.Sûrementpasmoi.

Jen’avaisplusaucunmoyendeleretenir.Ils’enallait.Ilmefuyait.Alorsjeremontaichezmoi,peinantàfairecesquelquespas.Jerentraidenouveaudansl’appartement,encorepleindesesaffaires.Sonodeurquiflottaitpartout.Surlesdraps…Jemelaissaitombersurlelit,latêteenfouiedanssonoreiller.Commentaurais-jepusavoirqu’hierétaitnotrederniersoir.Comment…?Sijel’avaisimaginé,je

t’auraismieuxaimé,pluslongtemps.Pascommes’ilyavaitencoredescentainesdelendemains.Qu’ai-jeditavantquetut’endormes?Etcematin,auréveil?Jen’aipaspenséqueceseraitlafin…

42—Vraimentcharmant,semoquaCharles.Jem’assisenfacedelui,ilpoussal’enveloppedansmadirection.—J’aidroitàtaprésenceunpeupluslongtempscematin.Àquidois-jecethonneur?Jenerépondispas,medemandantseulementcequej’allaisfairedetoutcefric.Celafaisaitplusde

deuxmoisquejen’avaispasvuAbou.NiAma,niSoli.NiMac.EtencoremoinsCaleb.Depuisqu’ilsavaienttouseuuneconversationàmonsujetou,plutôt,depuisqueCaleblesavaitréunispourleurparler.J’avaiseuunedisputeviolenteavecAbouetMacetj’étaispartienlesenvoyantsefairevoir.Depuisjen’avaiseuaucunenouvelleetjen’avaispascherchéàenprendre.Alorsletiroirdematabledenuits’étaitremplidebilletsdontjenesavaisquefaire.Montéléphone

nesonnaitplusjamais,outrèspeu.EtCharlesétaitleseulavecquijepouvaisboireuncafé.MêmeBrooke avait été mise dans la confidence, et son air revêche, dès que j’avais passé le pas de labibliothèque,m’avaitfaitposerleslivressurlatablelaplusprocheetfairedemi-tour.J’avais ramené les affaires deCaleb à Lenny, un soir où il bossait au restaurant. Et puis j’étais

retournéboireaubardeBob.Ilavaitquittésafemmepourunlutteurauxbrastellementlargesquemêmemoi,àcôté,jeressemblaisàungamin.Ilvoyaitsonbonhommeunweek-endtouslesquinzejours;c’étaittoutcequeluiavaitconsentilajuge.Ilrougissaittoujoursenmevoyant,maisnes’encachait plus. C’était bien, certaines choses pouvaient changer même si c’était toujours dur derecommencer.Lavieavaitdoncreprissoncours.Ilyavaitunnouveauvideautourdemoiet,pourlasecondefois

demavie,j’avaisl’impressionqueCharlesétaittoutcequ’ilmerestait.Deuxmoissanslesvoir.Nilesuns,nilesautres.AumoinsCharlesétaitconstant.Malgrélesang

colléàmachemiseetlesplaiesouvertesdemondos.Maisjelesupportaisbien.Jel’avaistoujoursfait,non?Alorsquesonabsence,àlui,metordaitlestripesetmefaisaitmordrel’oreillerpournepashurler,

lorsdecesnuitssanssommeil.Cesnuitssansrien.SansCalebcontremoi.Jem’étaiscruseul.Maislasolitude,c’étaitmaintenantquejelaressentais.—Tonpetitétudiantn’esttoujourspasrevenu?demandaCharlesenouvrantsonsecondagenda.J’empochaimonfricetfinismoncafé,lescoudessurlatable,levisageaufonddematassevide.—Abrège,Charles.—Tuasrendez-vousavecmoivendredisoir.—Commetuvoudras.Après tout, ça faisaitpartiedenosaccords,cesquelquesheuresde supplémentpar semaine.S’il

voulaitlespasserdansunfoutugaladecharité,pasdesoucis,cen’étaitpaslapremièrefoisquejejouaislesescortes.PourCharlesouunautre,quelleimportance?Aumoins,c’étaitdutempsqu’ilnepasseraitpasàmebattre.Iln’étaitpastendrecesdernierstemps.Ilessayaitdemefaireréagir,maisjerestaisstoïque.Jeneressentaisplusrien.J’étaisanesthésié.—Ilyaunesoiréeàlaquellej’aimeraisquetum’accompagnes.

Jehochailatête,indifférent.—Jetel’aidit,Charles.Çam’estégal.Etensuite?— J’ai un client de trop cette semaine. Lucas fait du forcing.Alors je te laisse le choix. Lucas

Landwehrouunnouveau,AdrienHarding,unsportifdehautniveauquicachesespetits travers.Jemesuisditqueçatechangerait.Jelevailesyeux.Cequimechangerait,c’étaitlaclefdemeschaînespourmelibérer.Etsûrement

pasunfootballeuravecunegueuled’amoureux,queCharlesmemettaitdanslespattespourmefaireoublierCaleb.Jepréféraisencoreles taréset lesvieux, lesbedonnantset lespervers.Aumoins, jesavaisoùmenaittoutcemerdier.—Lucas,dis-jeenmelevant.Charlesneparutpasétonné.Plutôttrèssatisfait.—Jeudisoir.Dis-luid’yallerdoucement,lelendemainjeteveuxdispopourlasoirée.Je passaimaveste etmepenchai au-dessus de la table pour lui donner unbref baiser. Il y avait

longtempsquejenel’avaispasfaitetCharlesenparut,sicen’esttouché,aumoinscontent.Commeunvautourquivenait,enfin,derécupérersaproie.—N’oubliepasnotrevieuxAndrewVermont,demainsoiretJordanLuch,mercredimatin.—J’ypense.J’ypensaisconstamment.Jen’avaisjamaiseubesoindenoterquoiquecesoit.Quioublieraitcesdates-là?Cesheures?Cesnoms?— À vendredi soir, mon amour, me dit Charles. Sois ici à dix-huit heures. Je te prendrai un

costume.—OK.Ilpouvaitprendrecequ’ilvoulait,jelelaisseraisdanssapenderie.Descostumes,j’enavaisdéjà

trop.Surtoutpourcequej’enfaisais.Pasderendez-vousd’affaires.Nidemariages,debaptêmesouautresoccasionsdecegenre.—Bonnesemaine!melança-t-il.Jesortis,moncasquesouslebras.Bonnesemaine?Cela faisait deux mois qu’elles étaient pires que tout. Elles n’avaient jamais vraiment

étébonnes,maismaintenantc’étaitjusteintolérable.C’estçal’amour?C’estçaquifaitcourirlemonde?Cettebrûlure?Jemontaisurmamotoetaccélérai.Aprèstout,j’avaisjouéetj’avaisperdu.Jel’avaisperdu,lui.

Je roulai au hasard pendant un moment et puis me garai au sous-sol de mon immeuble sanspouvoirme résoudreàmonteràmonappartement.Alors, lesmainsdans lespoches, jedéambulaidanslesrueslerestedelajournée,dansl’espoirdelevoir,peut-être.Maisjenelecroisainullepart.Quand la nuit tomba, j’achetai un pack de bières, etmarchai tranquillement jusqu’à laNeponset

River,avançantdoucementjusqu’àlajetée.Unebouteilleàlamain,lesautresàmespieds,j’observaileseauxnoires.Lecoinétaitdésertetles

bateauxdeplaisancedormaienttranquillement.Ilyavaitbienungardequelquepart.Maisj’étaisvenuicitellementdefois,qu’iln’yprêtaitplusvraimentattention.Etmêmes’ilnem’avaitpasbeaucoupvuces derniersmois, il n’avait fait aucunehistoire enmevoyant,même si j’avais quelquesGriffin’sBowà lamain.Je luienavaismêmelaisséuneà l’entréede lamarina.Ça lui tiendraitcompagniejusqu’àl’aube.Juillet serait là dansquelques semaines et la soirée était douce.C’était la saisondes t-shirts, des

shorts et du soleil éblouissant.La journée, les rayons parsemaient l’étendued’eaude leur éclat, lanuit,lecieldégagéremplid’étoilessereflétaitsurlasurfacedel’eau.Aumatin,ilneresteraitplusrien de cette beauté. J’aurais aimé qu’il en soit de même pour mes pensées. Qu’elles virevoltentquelquessecondesavantdedisparaîtreàjamais.Je m’approchai de l’eau, mes pieds en équilibre sur le rebord, levant les bras et regardant

l’horizon.J’auraispresquepumecroireseulaumondes’iln’yavaiteulespetiteslumièresdeBostonpour me prouver que je n’étais jamais seul. Vraiment ? J’avais plutôt l’impression de l’êtreconstamment.Jeserrailegoulotdemabouteilleentremesdentsetrenversailatête,chavirantlerestedemabière

aufonddemagorge.Lesbrasderrièrelanuque,jefisunclind’œilauxcieuxpouravoirsusimalprendre soin demoi. Et simamèreme voyait, simon père avait encore unœil par ici, alors jem’excusais.Maisjelesavaisdepuislongtempsoubliés.Ilsn’étaientplusqueleslointainssouvenirsd’uneviequej’avaistantdepeineàmerappeler.J’avaistellementdemalaveclesvivantsdéjà,pourréellementmesoucierdesmorts.Mon stock fini, je rassemblai tousmes déchets et les portai jusqu’à la poubelle la plus proche.

Légèrementtitubant,jequittaileportpourrentrerenfinchezmoi.Parbravade,j’empruntailesruesàéviter,surtoutàcetteheure.Lessortiesdebars,despubsquine

lésinaient jamais sur la quantité de whisky. Malheureusement, c’était assez calme malgré uneengueuladeentregamins.Ceneseraitpascesoirquejemedéfouleraissurquiquecesoit.Jedépassais les adolescentsquandunamasdedreadlocks, aumilieudupetit groupe, attiramon

attention.L’œilvague,jeralentis.—Je t’avaisditdenepasvenir traîner ici,Soli, ricana leplusmassif,un typequinedevaitpas

dépasserlavingtaine.Tun’espasduboncôtédelaville.—Jen’étaispasaucourantqu’ilyavaitunbonetunmauvaiscôté,lançaSoliavecsonhabituelle

arrogance.QuelquechosequetouslesFinchpossédaient.Jem’arrêtaietmeretournai lentement.Unepartiedemoiétait indifférente–ouplutôt souhaitait

l’êtredetoutessesforces.Maisl’autre,cellequejepeinaisàgarderensommeil,frémitetpointasonnezàlasurface,attiréeparlavoixd’ungaminquej’avaisvugrandir.—Tun’asrienàfaireici,luiditunpetitbrun.Vadoncretrouvertonpasteurdefrèreetagenouille-

toidevantNotreSeigneur!Solis’énervaetpoussalegarçon,bientropfort.Ils’entravaettombaenarrière.Cefutlesignalde

départ.Ilyeutunbraslevé,unpoingserréquejevisarriversurlamâchoiredeSoli–sursonvisage.Uncraquementdansmatête,commeuncriétouffé,etj’interceptailecoup,levisageinclinédecôté,leregardmauvais.—Unproblème?demandai-jeàl’adolescent.Jeserraisonbrastellementfortqu’ilgrimaça,sescopainss’étantfaitssoudaintoutpetits.—Cenesontpastesaffaires,mebrava-t-il.—Tucrois?sifflai-jeenappuyantdavantagesursonpoignet.J’auraispulebriser.Encoreunpeuetjeleferaishurler.Voulais-jevraimentluifairemal?—Arrête,fitSolidansmondos.Tuvasluicasserlebras,Rafael.Exactement.Justeunos.Qu’est-cequec’était,unos?Ilseressouderait,deviendraitplussolide.Il

neseraitnibranlant,nidétruit,commemoncœur.Là,iln’yavaitrienàfaire.Alorsquelebrasdecepetitcon,ilnerisquaitquequelquesfêluresquiauraientguérienquelquessemaines.— Rafael ! m’interpella le patron du bar, sorti pour voir qui faisait des histoires devant son

établissement.Rassure-moi,tunevaspasvraimentfairemalàcegamin?—Non,Jo.Jevaislelâcherdansuneseconde.—OK.Rassuré,ilrentrasagrandecarcassedanslepubetjelibéraibrutalementlegamin.JeluitournaiimmédiatementledosetpoussaiSolienavant,l’obligeantàmarcher.Ilparutsurle

point de dire quelque chose de désagréable, sembla soudain se souvenir de qui j’étais et soufflaprofondément.Moiaussi,jem’ensouvenais.Etj’auraispréférénepaslecroiserdanslesbas-fondsdelaville.—Qu’est-cequetufouslà,Soli?l’engueulai-je,vacillanttoujourssurmesjambes.S’il le remarqua, il ne dit rien. Heureusement, je n’étais pas d’humeur à me justifier sur mon

alcoolisme.Jenel’étaisjamaisdureste.—Jetecherchedepuistroisjours,Rafael!—Tumecherches?répétai-jeenposantsurluiunœilsombre.Tupouvaisfrapperàmaporte.—Tun’yétaispassamedi,nihieretniaujourd’hui.—J’avaisautrechoseàfaire.Ilbaissalatête.—Oui,jesais,souffla-t-ilpeiné.JetournaiàgaucheetSolicalasonpassurlemien,neposantaucunequestion,secontentantdeme

suivre. Je le ramenais chez lui. Je n’avais pas besoin d’avoir samort sur la conscience en prime.J’allaisattendredevantleportailqu’ilaitrefermélaporteetrepartiraissansunmot.Unefoischezmoi,jem’écrouleraisetdormiraissûrementjusqu’aumilieudel’après-midi.Ensuite,nousverrions.Jerecommenceraissûrementàboire.—DepuisqueCalebadit…hésitaSoli.Il ne savait pas vraiment commentm’enparler.Étant donné la dispute qui s’en était suivie entre

Abou,Macetmoi.MêmeAmas’enétaitmêlée.Maiss’ilétaitvenumechercherici,jesupposaique

çaluisemblaitimportant.Saufquemoi,jen’avaisaucunementenviedel’écouter.Seulement,Soliavaitlatêteduredesamèreetnesedécourageapas,mêmesijepressailepaspour

écourterletrajet,prenantmêmeunraccourci.— Ils viennent tous les soirs.Caleb etMac.Etmême ce type bizarre avec son ordinateur et ses

grosseslunettes,Lennyquelquechose.Mamamesurveilledeprèspournepasquej’aillelestrouverdanslegarage,maisjesaisqueçateconcerne.Etpersonneneveutrienmedire.Forcément.Puisquemêmesansaucuneinformation,ilarpentaitdéjàlesruesàmarecherche.—Jenesaispascequisepassedepuisdeuxmois.Jenesaispascequ’ilsvontfaire.MêmeMac

refusedemeledire.Ilrefusemêmedemeregarderd’ailleurs,mais…Quoiqu’ilsfassent,Rafael,ilslefontpourtoi.Jericanai.—Non,Soli.Ilslefontpoureux,rectifiai-je.—C’estfaux,mecontredit-il.Tunousmanques,tusais.Tumemanques.Jeserrailesdents.—C’estmieuxcommeça,Soli.—Mieuxpourqui?s’énerva-t-ilsoudain.JesuisamoureuxdeMac,jerentreàl’universitédans

troismois,j’aidesquestionspleinlatête,etj’aibesoindemesfrères.Etoùêtes-vous,tous?Goraestenprison,Abouculpabilisetellementqu’iln’arrivemêmeplusàécrireunseulsermon,ettoi…Toi,tuneveuxmêmeplusnousvoir!Alorsnon,cen’estpasmieuxpourmoi,ça!Cen’estmieuxpourpersonne,d’ailleurs!Lespoingsserrés,jeprisàgauche;Solimarchaitàcôtédemoi.Illevalesmainsenl’air,secoua

latêteetsesdreadlocksfouettèrentl’air.—D’accord,toutlemondeétaitenpétardparcequetunousascachéleschantagesdecetenfoiré

deCharles.C’estvraiqu’onsupposaitqu’ilyavaitquelquechosedeplusentrevous,autrequelefaitqu’ilt’aitsoi-disantsauvélavie.Maisjamaisonseseraitdouté…Enfin,tut’imagineslechoc!Jenesavaismême pas quemon proviseur avait voulum’envoyer en centre de redressement pour deuxjointsfumésderrièrelegymnase!D’ailleurs,Mamaamanquémefoutreuneraclée…Malgrémoi,j’eusenviedesourire.—EttoutecettehistoireautourdeGora,moijen’ycroispas.Iln’atuépersonne…—Biensûrqu’iln’atuépersonne.Peu importait d’ailleurs qu’il l’ait fait ou non. Tout ce qui comptait, c’était que personne n’ait

jamais un soupçon à ce sujet. Parce que le moindre doute pourrait le conduire tout droit dans lecouloirdelamort.Jesoufflai,lamaisond’Amaétaitenvue.Heureusement.Jen’auraispaspuensupporterplus.—Tunousenveux?medemandasoudainSoli.Charlesavaitraisoncesoir-là,aucommissariat.

C’estnotrefautesituestoujoursaveclui.—Non,Soli.—Alorspourquoituneviensplusnousvoir?Jenerépondispas.Jen’auraispassuquoiluidire,detoutefaçon.—Abous’enveutdet’avoirdittoutesceschoses.IlétaitencolèreetMacaussi.Maisilst’adorent.

Mamat’adoreetmoiaussi.EtCalebt’aime,tusais.Jel’aientenduledireàMacetAbouencorehier

soir.Ildisaitque…— Arrête, le coupai-je brutalement en me tournant vers lui. Ça suffit. Rentre et arrête de me

chercher,entendu?Je lui pointai le portillon du doigt, et Soli, droit devantmoi, les yeux brillants, ne bougea pas.

J’avaisdumalàresterimmobilesanstangueretsijenemeremettaispasenroute,j’allaisfinirparm’écroulerici,latêtedansleminusculejardind’Ama.—Rentre,Soli.Dansmondos, je reconnus le grincement de la porte du garage quand elle s’ouvrait. J’entendis

aussi,ettrèsdistinctement,lesoufflesoulagéetagacéd’Ama.Preuve,s’ilenétait,qu’elleavaitdûlechercher.Ellenedevaitpasêtrelaseule.Abouavaitdûs’ymettre.EtMac.EtsûrementCaleb.Jelessavais tous à quelques mètres dans mon dos. Lui surtout, je reconnaissais les frissons qu’il meprocurait,lasensationdechaleurquiengourdissaitmesmembres,letambourinementdemoncœur.MaisSolirefusaittoujoursdebouger.—Tufaispartiedemafamille,martela-t-il.Tuesmonfrère.Pourquoidevrais-jelesrejoindreeux

ettelaissertoi?J’aurais pu luimentir et le blesser suffisammentpourqu’ilme laisse tranquille.Mais je n’avais

jamaischerchéàfairesouffrirquiquecesoit.Nilui,niaucunedespersonnesqui,derrièremoi,mesemblaient si proches. Pourtant, en cemoment, nous n’aurions pu être plus éloignés. Il y avait unfosséquemesmensongesavaientcreuséetqui,pourl’instant,restaitinfranchissable.—Tuvasrentrercheztoiparcequejeteledemande,Soli.Ilhochalatête,commes’ilavaitattenduexactementcetteréponse.—C’estlameilleuredesraisons,sourit-il.Alors,seulement,ilm’étreignitbrièvementetsedirigeaverslamaison.Samèrelegrondaetson

«aïe!»m’appritqu’ilavaitreçuunetalochederrière lecrâne.Maisjenejetaimêmepasuncoupd’œil.Sijelefaisais,jenepourraisplusm’enaller.Sijecroisaissonregard,jereplongerais.Alorsjem’éloignai.Ilnemeretintpas.Niaucund’eux.Maisquelqu’untapaausol,commepours’essuyerlespiedsavantderentrer.Quelquespanpan,qui

ressemblaient à un vieux code enmorse.Deux. Unmot d’amitié.Quelque chose que nous tapionscontrenosverres,Macetmoi,lorsquenousnousretrouvionsaubardeBobavantderepartirpourunenuitincertaine.Deux.Commelecontrairedeun.Commepourdire«Tun’espasseul.».

43Charlesme tournait autour, comme un félin autour de son prochain repas, ajustant ci, tirant là,

époussetantunepoussièreimaginairesurledevantdemavestenoire.—Tuesd’unebeautéquifrisel’insulte,monamour,seréjouit-il.C’estcommesiDieut’avaittout

donnépournelaisserquedesbroutillesauxautres.Regarde-toi.Ilme fitpivotervers legrandmiroirenpiedqu’il avait installédans sachambrepourobserver

monvisagequandilmebaisait.Etcequej’yvisn’étaitqu’ungrandtype,auxépaulescarréesetauxcuissesmuscléesdansuncostumenoir,unechemiseblanchesanscravate,dontunboutonétaitouvert,laissant voir une chaîne autour d’un cou, un éclat d’argent sur unepeaubrune.Un corps dans desvêtementsajustésàlaperfection,unregardsombre,descheveuxnoirsquiondulaientsurlanuqueetlefront.Moi,dansdesfringueshorsdeprix,dontlemontantsuffiraitànourrirunefamillependantplusieurssemaines.—Tonmanqued’enthousiasmeestvexant,râlaCharles.Il portait un costume gris sur une chemise noire. Il pouvait passer pour beau malgré sa

cinquantaine.Peut-êtrepourunautrequemoi,quineleconnaissaitpasaussibien.—C’esttrèsbien,dis-jelaconiquement.—Trèsbien,répétaCharlesuntonplushaut.Tuesparfait,oui!Commetudevraistoujoursl’être

situtedécidaisàmecontenter.Pluslesjourspassaientetplusmavolontéfaiblissait.VivreavecCharles,neplusêtrequ’aveclui,

danscettebaraque,commeuncouple.Çanepourraitpasêtrepirequemaintenant.Desdeuxmaux,c’étaitpeut-êtrelemoindre.Charless’arrêtaetm’observa.D’ordinaire,jerefusaistoutessespropositionsavecempressement

etilenprofitaitpourmegiflerviolemment.Saufque,là,jen’avaisriendit.—Dis-moioui,monamour,mepoussa-t-il,voyantunefaille.Jemedétournai.—Onvaêtreenretard,Charles.Ilrit,mepritlamainetmeramenaverslui.—Tupourraisrestercettenuit?demanda-t-ilenm’embrassant.—Nousnesommespasdimanche.—Jesais,souffla-t-il.Maisn’as-tupasenviederesterquandmême?IlsefaisaitpresquedouxetCalebmemanquaitàencrever.Heureusement,lechauffeurfrappaàla

porte,m’empêchantdedireuneconnerie.Maisquelleconnerie?Charlesmefaisaitmal,c’étaitvrai.Maisilétaitrestémalgrétout.Ilnem’avaitjamaisabandonné.—Allons-y,Rafael.Ilme tendit lamain et je la pris. Ilm’entraîna et c’était peut-être ça, la solution.Lui cédermes

dernièresdéfenses,lesdernièresbribesdemoi.Cequ’ilattendaitdepuisledébut.

Pouvais-jefaireça,maintenant?Luioffrirmareddition?J’en avaismarre deme battre contre lui. Peut-être que je pourrais juste essayer… J’avais envie

d’êtreaimé.CommeCalebm’avaitaimé.Est-cequeCharlespouvaitmedonnerça?Biensûrquenon!Iln’yaqueCalebpourt’adoreraveccetteforce!MaisCalebavaitfichulecamp.JesuivisCharlesetmontaidansuneberlinenoireauxvitresteintées.—Tunedemandespasoùnousallons,monamour?Mêmepasunpeucurieux?Pasvraiment.—Oùallons-nous?— Il y a ungala de charité donné àHarvard.Les dons soutiendront le travail d’une association

bostonienne.—Laquelle?—Jenemesouvienspasdesonnom,ditCharlesensecouantlamain.Ilyenabeaucouptrop,mais

celle-cis’occupedespersonnesmaltraitées.Unenoblecause,n’est-cepas?Çaneluiressemblaitpas.Ilritdevantmessourcilslevés.—L’argentquejedonneàceschersaltruistesestdéductibledemesimpôts,m’apprit-il.Là,ilétaitbienpluslui-même.—Etpourquoiavais-tubesoindemoiexactement?Ilnem’avaitjamaistrimballéàunedesessoirées.Etsijevenaisàcelle-ci,c’étaitforcémentpour

uneraisonparticulière.—Tuverras,monamour.C’estunesurprise.Jemecrispai légèrement.LessurprisesdeCharlesétaient teintéesde tortureetdesadisme.Elles

mefaisaientmalet,souvent,jemettaisplusieursjoursàm’enremettre.—Celle-civateplaire,crois-moi.Jen’ycroyaispasuneseconde,maisnedisplusrientoutlerestedutrajet.Quoiquecesoit,jelesauraisbienassezvite.CommetoujoursàHarvard,toutreflétaitlaréussite,larichesse.L’opulence.Lestapisrougesavaientétédéroulés,desagentsdesécuritédéployés,vérifiantlesinvitations.La

salle,auhautplafond–etsamultitudedetablesrondessurlesquellesétaientposésdepetitscarrésdepapier calligraphiés portant votre nom –, était décorée avec ostentation. Il y avait dumonde déjàinstallé,uneestradeavecunmicroetplusieurschaises,àcôté,pourlesdifférentsorateurs.Unejeunefillemetenditunprogrammeetjeleprisenlaremerciant,lepassantaussitôtàCharles.

Savoir qui allait parler, pour quoi et comment, nem’intéressait pas vraiment. La cause était juste,maislespersonnesicin’étaientprésentesquepouragiterlesportefeuillesetpoursemontreràleurspairs.Comparer leurs richesses, parler de leurs dernières acquisitions, enmentionnant rapidementcespauvresgensbattus,àmortparfois.Ilsseraientviteoubliésauprofitdudernierscandale,deladernièresommedépenséepourunbijouclinquantetinutile.Je suivisCharles jusqu’ànos chaises et jegrimaçai envoyantmonnomaumilieudes autres. Il

n’avait rien à faire là.Mais je souris quandmême, c’étaitmon rôle.Mamission. La raison pour

laquellemes tiroirs débordaient debillets verts.Cen’était pourmoiqu’un rappel constant de tousmesmauvaischoix.Assise à ma gauche, Madame Fergus, la femme du Professeur Fergus, éminent chercheur en

médecineàlaretraite.SonmariserraitlamaindeCharles,quis’installaàmadroite.Quantauxautrespersonnes complétant notre petite tablée, je ne les connaissais pas et c’était tant mieux. Je lesoublieraisdèsque je serais rentréchezmoi.Si je rentrais,pensai-je en sentant lamaindeCharlesglissersurmacuisse,cachéeparlanapped’ungrisélégant.—Vousêtesaucourantpourlecollectifd’étudiants,Kennedy?demandalepetithommebrunen

facedemoi.—Absolumentpas,mentit-il.Etilserramongenoudeplusbelle,réclamanttoutemonattention.—Dequois’agit-il?— Ils ont aidé l’association à trouver des financements pour créer le foyer pour les personnes

maltraitées.Ilsontaussigrandementmislamainàlapâtepouraccélérersonouverture.Laprésidented’Unelarme,Unbonheur,n’auraitjamaisétédanslestempssansleconcoursdecesjeunes.—Etvousaimezcela,n’est-cepas?luifitremarquerCharles.Cettejeunessesiactive.Levieuxmédecinhochalatêteavecvigueur.—Évidemment.Cesonteuxquichangerontlemondededemain.Je voulais bien leur donner tout mon fric s’ils arrivaient à modifier le mien. Ne serait-ce que

légèrement.Justeunepetitedéviationquim’amèneraitdansuncoinsympaoùmereposer.J’avaisenvied’ycroiremoiaussi.—Desjeunespleinsdevolonté,approuvaMadameFergus.—Etd’opiniâtreté,poursuivitlepetithommebrunenface.Safemme,dedixanssacadette,étaitmuettecommeunecarpe.— Le jeune homme à l’origine de ce collectif d’étudiants a été d’une rare efficacité. Madame

Hernesteneparlequedelui.—Ilfautdirequ’ilssesontheurtésàquelquesdifficultés,minaudaCharles.Il caressa le tissu de mon pantalon, me forçant à écouter. Inexplicablement, mon cœur battait

comme si, bien avant moi, il avait reconnu un schéma, une série de points mis bout à bout quiformaientsoudainuneimage.Charless’enréjouissait.—Desdifficultésmajeuresvousvoulezdire!s’exclamaMadameFergus.Sanscejeune,leprojet

auraittoutsimplementétéremiséauxoubliettes.Savoisineapprouvaduchef.—Cegamindonne l’impressiondemenerunecroisade.Je l’ai rencontréenarrivant.Unvisage

d’ange,unepoignedefer.MadameFergusmetapotalebrascommepourmeprendreàtémoin.Oubienavait-ellesentimasoudaineraideur.J’avaisunbesoin imminentdem’enfuir,de sortird’ici, j’étouffais.Pourtant, j’étais incapablede

fairelemoindregeste.

Après plus de deuxmois. Sans le voir, sans l’entendre…Je devais dérailler…Caleb avait autrechoseàfairequedes’occuperd’unfoyerpourlesfemmesbattues,leshommesagressés,lesenfantsviolentés.Unvisaged’ange…Unepoignedefer…Détermination…Opiniâtreté…Jeregardaidiscrètementautourdemoi,lesmainstremblantes.Ilyavaitbienungrouped’étudiants

quioccupaitdeux tables,plus loin. Ilsétaientenhabitsde soirée,unécussonsur lebrasportant lesymbole de leur université.Harvard,MIT,BostonUniversity.Mais pas de trace de lui, je l’auraisreconnumalgréuncostumeetdescheveuxbiencoiffés.Jel’auraisvu.Pourtant,jelasentaisàl’intérieur,aufonddemapoitrine,lapetitevibration,lesfrissonssurma

nuque. Comme si, lui, me regardait. Comme si, lui, savait que j’étais là. Et qu’il m’observait. Jetournailatête,maisiln’yavaitpersonne.Pourtant,cetteimpression…Jepouvaismetromper…—Etquiest-ce,cejeunehomme?demandaCharles,doucereux.Charlesnem’avaitamenéquepourça, j’enétaispersuadé.Pourquejelevoie, lui.Quejemele

prenneenpleinegueule.—UnpetitgénieduMITquialesoutienduDoyen,expliquaMonsieurFergus,mettantfinàmes

doutes.EtDieusaitquecethommeestrevêche.Pourtant,ilnetaritpasd’élogessurcejeuneprodige.Maisnevousinquiétezpas,Charles,vousnedevriezpastarderàlevoir.IlprendralaparoleaprèsMadameHerneste.—Ehbien,j’aihâted’entendrecequ’ilaànousdire.Moi aussi…Mais je le craignais également. Charles s’amusait, mais je me souvins de ce que

m’avaitracontéSoli,endébutdesemaine.Ducomplotdanslegarage.Ilyavaituneraison.Ilyavaittoujoursuneraison.—Ah,tenez,levoilà.Etpuissoudain,jelevis,alorsquelesdoigtsdeCharles,surmajambe,serefermaientcommeun

étau.Commepourmemontrerquitenaitlesrênes.Quicontrôlait.Quijouaitàcejeuavecunetelleaisance.Maispeum’importait.Calebétait là,slalomantentre les tablesàcôtédeMadameHernesteet…etd’Abou.Ilralentitsoudainettournalatêtedansmadirection.Jedéglutis,ils’arrêta,sesyeuxplongeantdanslesmiensavecuneabsoluecertitude.Deuxmoisetnelevoirquemaintenant.Qu’uninstant.Avantqu’ilneseremetteàmarcher.Uneseconde,unregard.Ettoutmeparutsurlepointdebasculer.Charleshochadoucementlementonàl’intentiondeCaleb,amusé,etposaunbrassurledossierde

machaise,possessif.LesyeuxgrisdeCalebseternirentavantqu’ilnelesdétournerapidement.Jenepouvaisregarderquelui.Ilportaituncostumenoiret,mêmecommeça,ilparaissaitdébraillé.Cequi

n’étaitpaslecasd’Abou.Ilavaitmêmemissoncolblancetexposélacroixquipendaitàsoncou.Ilsdiscutaient de façon animée ; Madame Herneste, la présidente de l’association Une larme, Unbonheurjouaitlesintermédiaires.Etjesus…Quelafinapprochait…Jesusquequelquechoseallaitchanger…Jelevoyaisveniravecunecraintemêléedegratitude.AlorsqueCharles,toujoursaussisûrdeson

pouvoir,avaitrapprochésachaisedelamienne,m’empêchanttouteretraite.Unebouleimmensedanslagorge,jeregardaiCalebgravirlesquelquesmarchesdel’estradeàla

suitedeMadameHernesteetd’Abou. Ils restèrent en retrait, s’asseyant surdeuxchaises, alorsquecelle-ci tapotait le micro et lançait l’habituel « un, deux, trois » qui fut accueilli par desapplaudissements de bienvenue. Caleb me lança un coup d’œil et Abou plissa les yeux pour mechercherdanslafoule,avouantainsiqu’ilssavaientquejeseraislà.Uninstant,cefutcommeavant.Nosregardssecroisèrent,separlèrentsansmots,commedeuxamisquiseconnaissentsibien.Avantdereprendredesdistancescommecellesquinousavaientséparéscesdernièressemaines.Dansunerobeaudécolletéavantageux,unchignonbassursoncoudecygne,MadameHerneste

salua cordialement l’assemblée, avant de se lancer dans un discours sans fin auquel je prêtai uneoreillediscrète,monattentionrevenantsanscesseaujeunehommechâtainassisderrièreelle.Ilétaitencore plus beau maintenant que je l’avais eu et qu’il m’avait échappé. Son assurancem’impressionnait,celled’Aboumefaisaitl’effetd’unsouvenirdéjàlointain.Charles, ravi, joua quelques secondes avec une mèche de mes cheveux et me chuchota

discrètement:—N’est-cepasincroyabledelescroiserici?J’avaisenviedehurler.Levoirici,c’étaitdelatorture.Levoiretnepaspouvoirletoucher.Lasurprise…MadameHernesteenétaitàlaconclusiondesondiscoursetjen’entendaisplusrienquemoncœur

quibattaittropvite,quecettevoixquimesoufflaitquejen’étaisvraimentpasàmaplace.J’auraisdûêtreprèsdeCaleb.J’auraisdûêtre…aveclui.J’auraisdûmeleverpourlerejoindre,l’embrasser,leprendredansmesbras.— Je remercie la congrégation du Pasteur Finch qui, comme toujours, a été d’un soutien

inestimable,dit-elleensetournantversAbou.Ilhochalatêteetacceptalesremerciementsavecunsourire.—Merciaussiàtouslesétudiantsquisesontjointsànouspourlaréalisationdeceprojet.Merci

pourletravailqu’ilsontaccomplidurantcesdeuxderniersmoisavecplusdedéterminationquemoi-même,parfois.Jevaisd’ailleurslaissermaplaceàleurporte-parole,MonsieurCalebBecker.Il y eut les applaudissements de rigueur, quelques chuchotements alors que Caleb et Madame

Hernesteéchangeaientunepoignéedemain.Etpuisilseretrouvadevantunmicro,avecsescheveuxenpagaille,lecoldesachemisedetravers,égalàlui-même.—Bonsoir.Savoixprofonderésonnadanslasalle,ramenantaussitôtlesilence.Cefutplusfortquemoi;je

me coulai dans mon siège, bouleversé, ému. Amoureux. De lui. Encore. Il croisa mon regard,quelques secondes, et j’eus peur. Peur de le perdre de nouveau ce soir. Peur de ne plus jamais le

revoir.Peurdecequ’ilallaitdire,aussi.PeurdeCharles,àcôtédemoi.— Ma présence ici n’est pas un acte d’altruisme, commença-t-il. J’avais des raisons très

personnellesdem’engager auprèsdeMadameHernesteetde sonassociation.Des raisonspresqueintimesdemetenirdevantvouscesoir.Iln’avaitpasdediscourstoutpréparé,aucunefeuillesurlaquellelirelesprochainsmots.Pourtant,

pas une seule fois, il n’hésita. Pas une fois, il ne se trompa. Il avait la bonne note, celle qui captal’attentiondechaquepersonne.Cellequimefaisaitvibrer.CellequifitsoudaingronderCharles. Iln’avaitplusl’airamusédutout.Quoiqu’ilsesoitimaginé,c’étaitloindecequeCalebs’apprêtaitàrévéler.Sesdoigtsagrippèrentmacuisse,s’incrustèrentdansmapeau.Jelessentisàpeine.— J’avais douze ans lorsque ma mère a mis le feu à l’église dans laquelle je me trouvais,

poursuivitCaleb.Elleétaitenpleindélirepsychotique.Ellepensaitmesauver.Elleavaitdéjàessayé,envain,etcependantdesannées,presquedepuismanaissance.Elleétaitpersuadéequ’elleallaitmesauver.Quejedevaispérirparlesflammespourmerepentir.Ellen’apashésité,ellen’aeuaucunepitié,ellen’apascriéquandlesflammessesontreferméessurmoi,ellen’apascherchéàs’enfuirnonplus.Elleétaitpersuadéedepréserversonseulenfant,alorsqu’ellelelaissaitmourir,justement.Elleaattendu,fixantduregardlefeu,assisedansnotrevoiture.Ellesouriait,ellecroyaitbienfaire.Lechocamenaunetelletensiondanslasallequ’onauraitpulacroirevide.Jemedégageaidela

poignediscrètedeCharlesetappuyaimescoudessur la table. Jemepenchaicommesi jepouvaismieux entendreCaleb ainsi. J’aurais presque pu sentir son souffleme frôler, comme avant, quandnousparlions,blottisaufonddulit,sesbrascroiséssurmapoitrine,seslèvresprochesdesmiennes.—Elleaété internéedeuxanset,évidemment,commedans toutes lespetitesvilles, les rumeurs

n’ontpastardé.Nousaurionspudémentirchaquemensongequenousentendions,monpèreetmoi.Mais pourquoi ? Après tout, cette histoire, c’était la nôtre. En parler, c’était la partager. Et nousvoulionsl’oublier.QuandjesuispartiduTexas,jepensaisquetoutçaresteraitlà-bas.Maiscommetous les secrets, ils finissent par vous rattraper. Bien sûr, je n’en ai pas honte. Parce que je sais,malgréplusd’unanpassédansuncentrespécialisédeDallas,malgrémadouleur,mespleurs,meshurlements,quejenesuispaslavictimed’unbourreau.Jesuiscelled’unefemmedontlamaladieaétédiagnostiquéetardivement.Jesuislavictimedenon-dits,depeurs,depsychoses.J’enporterailesmarquesjusqu’àlafindemavie.Ellesfontpartiedemoi.Charles, raideetsombre,semaîtrisaitdemoinsenmoinsbien.Ilsecontenaitde justesse. Ilétait

furieux, le regard assassin. Il était en train de perdre son plus précieux atout. Caleb venait de ledevancer. Il venait d’offrir tout ce queCharles avait dans samanche.La seule chose qu’il pouvaitutilisercontrelui.Sonseulmoyendepression.MonbeauTexan,sesyeuxbrillantdecolère,dépourvusdecrainte,fortetcourageux,enchaîna.Il

étaittroublant,puissant,magnifique.J’étaisterrifié.J’étaisabasourdi.J’étaisincapabledevoirautrechosequelui.Jevoulaisqu’ilparleencore.Qu’ilhurlemême.—Sijevousracontetoutça,expliqua-t-il,c’estparcequejeconnaisquelqu’unquis’estretrouvé

enchaînéàunepersonnedontlescruautés,qu’ellessoientphysiquesoupsychiques,luiontôtéjusqu’àsapropreidentité.Lessévices,lesmanipulations,leschantages,lescoupsontrythmésaviecesdixdernièresannées.Sijesuislà,c’estparcequelui-mêmenelepeutpas.Parcequedansl’hommequ’il

estdevenu,ilyatoujoursl’adolescenteffrayéquiadûfaireunchoixpoursavie,unjour.Unchoixqu’ilpaieencoreaujourd’hui.Ilétaitjeune,ilavaitbesoinquequelqu’unluiexpliquequetoutpouvaitallermieux.Ilavaitbesoindebraspourpleurerlamortdesamère.Ilétaitàlarue,seul,etpours’ensortir, il a accepté chaqueabus, chaqueviolence, avecuncourageque jen’avais jamais rencontré.Certainsdirontdeluiquec’estunprostitué,certainsdirontbienpireencore.Maispourmoi,ilresteratoujours un homme courageux, qui s’est battu pour les siens, qui s’est sacrifié au-delà del’imaginable. Il restera l’hommeque j’ai croisé un jour, auhasard.Unhommedont je suis tombéamoureux.Ets’ilm’entend,s’ilm’écoute,jevoudraisluidirequej’airéussi.Quetoussesaccordssontcaducs,qu’iln’aplusaucunechaînequileretienne.Etquejamaisplusiln’auraàsubirlescoups,lesinsultes,lesdouleurs.Qu’aujourd’hui,ilalepouvoirdedire«non».Qu’aujourd’hui,aprèsdixansdecalvaire,ilpeutenfinreprendrecequ’iln’auraitjamaisdûperdre:saliberté.—Attends,Caleb!Qu’est-cequetuvasfaire…—Rendretoustesaccordsnuls.Clic–clic…Commelaserrured’uneportequ’onouvre…Clic–clic…Commelesbarreauxd’uneprisondontonvouslibère.Jeclignaidesyeux,quelquechoseaufonddemoiquiprenaitdeplusenplusdeplace.Ilment.Pourquoimentirait-il?Alorsquoi?Lavérité.Ilditlavérité…Calebse redressaetdevintsoudainsigrandque j’auraispumeblottirdanssonombreà jamais.

J’auraisétéheureux,bien.Maiscen’étaitpascequ’ilsouhaitait,évidemment.Ilvoulaitdelalumièresurmonvisage,unetracefaiteparchacundemespas.—Ils sontnombreux lesgaminsqui se sontperdus,dit-il commeune sentencequi fit tressaillir

l’assistance.Ilssonttropàs’êtreretrouvésenchaînésàlaviolence.C’estpoureuxtous–pourlui–que jeme tiensdevantvousce soir.Parceque si c’estuncombat, si c’estuneguerre, alors je l’aigagnée.Enfin,ilrelevalevisageversmoi.Enfin,jepusyliretoutcequecesmoisluiavaientcoûté.Tout

cequemonabsenceluiavaitfaitendurer.Enfin,jepusmetournerversCharlesetleluidire,droitdanslesyeux,sansmecacher.Sansreculer.Doucement.Lentement.—C’estfini.Charleslesavaitdéjà.Ilenétaitconscient.Dèsl’instantoùj’avaisrencontréCaleb,ilavaitsuqu’ilallaitperdre.Cesoir,jel’avais.Cettechance…CellequeCalebm’offrait.CellequeCharlesm’avaittoujoursrefusée.

Ce fut un tonnerre d’applaudissements, d’émotions devant une allocution si sincère, si vraie. Siengagée.Pourmoi,elleétaitbienplusqueça.Elleétait…tout.Jemelevaidetableenm’excusant–maispersonnenem’entendit,àpartCharles.Unefoisdebout,

il y eut cedrôlede tressaillementdansmapoitrine et jemarchai vers la sortie sansme retourner.C’étaitcommesijevenaisdetrouverlesclefspourdéfairemeschaînes.Jerompais,enfin,lesliensdemonesclavage.Clic–clic.Jequittailasalle,sachanttrèsbienquejenereviendraispas.Quoiqu’iladviennemaintenant,c’étaitvraimentfini.Il n’y avait plus demarche arrière possible. Plus de demi-tour. Plus rien que la porte de sortie,

devantmoi.Danslehalldésert,jel’entendisrugirdansmondos.Jesavaisqu’ilmesuivrait.Jel’avaismême

espéré.Jemeretournaiàl’instantoùsamains’envolaversmonvisage.Jel’arrêtaietlerepoussai,sanscolère.—Oùcrois-tuallercommeça,monamour?sifflaCharles,horsdelui.Situcroisqueje…—Charles,lecoupai-je.Jesourisenposantlesmainssursesépaules,rajustantsaveste,commeill’avaitfaitplustôtavec

moi.—Tusais,luidis-je,presquetropbas.Jeviensdecomprendrequelquechose.J’époussetai sa veste grise, serrai un peu plus sa cravate. Il resta immobile, les yeux presque

révulsésdefureur.Jeposaiundoigtsoussonmenton,rencontraisonregardsombre.J’avaistoujoursdétestéqu’ille

posesurmoi.J’inclinailatête,ledévisageantpourladernièrefois.Cemoment,plusquen’importequelautre,étaitànous.ÀCharlesetàmoi.Etjevoulaisqu’ils’ensouviennelongtemps.Trèslongtemps.—Rappelle-toi,monamour,luisoufflai-je.Jenesuisqu’uneputedevantlaquelletunet’esjamais

caché.Maisj’aidesoreilles,tusais.Etunebonnemémoire.Assezpourmesouvenirdetonfilsdedixansquetuasbienprissoindecacheràtonconseild’administration.Detespetitsdétournementsdefonds.Decesquelquesemploisfictifsquit’arrangent.Detoutescesmanipulationsquetuaimestant.Ilserralamâchoire,jeluirenversaiunpeupluslevisage,ledominantpourlapremièrefoisdema

vie.— Sans parler du nom de chaque client qui t’a payé pourme baiser. Imagine un peu si jamais

quelqu’un…jen’ensaisrien…s’avisaitdeporterplaintepourproxénétisme,encitantquelquesnomsaupassage.Qu’est-cequeturisquerais?—Espècedepetitemerde!cracha-t-il.Ilessayadesedégager,jeleretins.Sonregarddevintmortel.—Nous sommes à égalitémaintenant.C’est étrange, non ? Jeme suis toujours imaginé bloqué

avectoi.Maisjenel’aijamaisété,n’est-cepas?Tuasjustefaitensortequejelecroie.Oupeut-êtreque je refusais juste d’entrer dans ton jeu, d’avoir un cœur aussi pourri que le tien. De devenircommetoi.—Tunevauxriensansmoi!hurla-t-il.

—Peut-être.J’agrippailespansdesachemiseetlerapprochaidemoi.—Maispeut-êtrepas.—Jenetelaisseraipaspartir!siffla-t-il.—Jenetedemandepastonavis.Je déposai un baiser sur ses lèvres.Comme la dernière empreinte que je lui laissais, comme la

dernièrechosedontilmedépossédait.Latoutedernière.Madetteétaitpayée.—Mercidem’avoirsauvé.Ça faisait dubiende se sentir libre, sans entraves auxpieds.Ça faisait dubiendem’éloigner…

Justedem’éloigner.Detoutlemonde.DeCharles.D’uneexistenceàlaquellejerenonçaisenfin.J’avaisbesoindefaireledeuil,derespirerunpeu…Demarcher,sansbut,justepourleplaisirde

mesentirvivant.—Jeteruinerai!gueulaCharles.Ill’avaitdéjàfait.Maisc’étaitterminé.—Restelà,Rafael,tentaCharlesunedernièrefois.Tuentends?—Cen’estmêmepasmonprénom,luiavouai-jeenfinaprèstoutescesannées.Rafaeln’estqu’un

mensonge,Charles.Iln’ajamaisexisté.Il écarquilla lesyeux, secoua la tête, commepour refuserd’ycroire.Etpuis, soudain, il fut là :

Caleb.Accompagnéd’Abou.Justelà,àquelquesmètres,etilmeregardait,ilsouriait.D’unsourireamoureux,tendre.Unsourirequivoulaittoutdire.—Hanaël,soufflaCaleb.Ils’appelleHanaëlJimenez.Jemarchaiàreculonsverslasortie,verslesmarches.—Oui,c’estmonnom.J’avais tellement envie de le prendre dansmes bras.Mais deuxmois, c’était long, ça changeait

beaucoup. Ilyavaiteu lemanque, l’absence, la libération.C’étaitpresque trop.Toutcommelepasd’Abou,celuiqu’ilfitversmoi.Ilauraitaimémeparler.Maispascesoir.Cesoir,jevoulaisjuste…êtreseul.Êtreloinparcequejelepouvais.Charlesme regarda une longueminute. Je savais qu’il ne renoncerait pas si facilement.Mais je

n’avaispluspeur.J’étaisprêt.Ilretournaverslasalledegala,sansplusmeregarder.Etjerespiraiprofondémentpourlapremièrefoisdepuis…depuisjenesavaisplusquand.—Oùvas-tu?medemandaCaleb,immobile,alorsquejereculaistoujours.—Ailleurs,luiexpliquai-je.Loin.—Hanaël…commença-t-il.Jesecouailatête,l’empêchaid’endireplus.—Pasmaintenant.Abouritdoucement,serappelantlenombredefoisoùj’avaisprononcécesmêmesmots.—Alorsquand?répondit-ilcommeill’avaitfaitdurantdesannées.

Jehaussailesépaules.—Bientôt.Jeleurtournailedossansregret,sanspeur.Jesavaisoùlestrouver.Jesavaisqueleurporteétait

ouverte.Leurscœurs.Leursbras.Justeavantdesortir,jeleurjetaiunderniercoupd’œilpar-dessusmonépaule.—Merci.Pourtout.—Onestlàpourtoi,meditAbou,ému.Noussommesunefamille,tutesouviens?—Jen’aijamaisoublié.Dehors,jeprisunegranderespiration,renversailatête.Lesétoilesbrillaient,éclairantdeleuréclat

bleuté. La lune, pleine, resplendissait. Le ciel était dégagé, c’était une nuit sans nuages. Où toutparaissaitclairmalgrél’obscurité.C’étaitunsoiroùtoutsemblaitmagique,réalisable.Oùl’espoirrenaissait.Je traversai lecampusd’unpas tranquille, lesmainsdans lespoches,machemisesortiedemon

pantalon,lesmanchesretrousséesauxcoudes.Ilfaisaitdoux.Jepassaiunemaindansmescheveux,souriant,reconnaissant.Demain…Aujourd’hui…Dansunmois…Dansunan…Jen’étaisplusRafael…—Hanaël,attends!merappelaCaleb.Je me retournai et il me percuta aussitôt. Ses mains s’enfouirent dans mes cheveux, sa bouche

rencontralamienne.Cefutbon,passionnant,obsédant.Jel’agrippaidetoutesmesforces,luirendantsonbaiser, l’embrassantpour lapremière fois,pour lamillième.Pour toujours.Sa languecaressames lèvres et elles s’entrouvrirent, le laissant m’envahir, me retrouver, me goûter de nouveau.M’apprendre.Toutétaitfamilier.Etnouveau.Toutsemblaitrecommencer.Jeretombaiamoureux,mêmesijen’avaisjamaiscessédel’être.—Jet’aime,chuchota-t-ilentrenous,deslarmesdanslavoix.Jen’aipascessédet’aimer.Pasune

seuleminute,pasuneseulesecondeendeuxmois.Tumemanques.J’aibesoindetoi.—Tumemanquesaussi,monange.—PardonHanaël,fit-ilentredeuxbaisers.Pardon.Pardond’êtreparti.Jel’étreignisplusfort,lepoussantcontreunarbrepourprofiterpleinementdelui,desontorse,de

sonventreplat,desonvisagemagnifique,desesjambesquis’enroulèrentautourdemeshanches.Desabouche.Desesmots.Delui.Denous.—Laisse-moijusteunpeudetemps,Caleb,luimurmurai-jecommeunsecret.J’aibesoindeme

retrouveravantdeteretrouver,toi.Tucomprends?Je ne pouvais pas oublier dix ans en quelques heures. C’était impossible. Je savais juste que je

pouvais enfin tourner la page. Aller de l’avant. Et qu’au bout du chemin se trouverait un hommeentier.Etquecethomme,ceseraitmoi.Calebmorditmamâchoire,déposaunbaiserdansmoncou.—Jereviendrai,Caleb.—Alorsjepatienterai.Jehochailatêteetreculailégèrement,unemainsursajoue.—Tum’asrendufort.—Tuastoujoursétéfort,Hanaël.Jem’éloignaidoucement.—Alorstum’asrenduencoreplusfort.Ilm’avaitapprislecourage.L’amour.Latendresseetledévouement.Etcesoir,ilm’avaitoffertdesailespourquejepuissem’envoler.

44Charles

Charles était au-delà de la fureur. Ce petit paysan, ce rien du tout avait réussi à briser un chef-d’œuvrequ’ilavaitmisdixansàcréer.Ilétaittoutprès,siprèsdebouclerlaboucle.Etilavaitfalluqu’il tombe sur un petit merdeux intelligent et amoureux. Caleb était resté droit, malgré leharcèlement qu’il avait exercé sur lui pendant deux mois. Il l’avait même suivi à l’une de sesconférencessurl’aéronautiquepourluiracontercommentseportaitRafaeletluimontrerquelquesphotosassezexplicites.Charlespensaitàcemoment-làqueceseraitsuffisantpourqueBeckerlâcheprise.Maisilavaitsous-estimél’attachementqu’ilportaitàRafael.Charles n’aurait jamais cru qu’il s’offrirait ainsi à la haute société bostonienne, racontant sa

sordide petite histoire, dans le seul but de lemettre en échec, lui, le PDG d’une des plus grossessociétésdelaville.Mauvaiscalcul.Ilavaitététroppressédesavourersavictoire!Charlesnes’yattendaitpas.IlavaitpenséquecettesoiréesigneraitlaredditiondeRafael,qu’enfin

ilallaitpouvoirlegarderaveclui.Illuiauraitoffertdesvoyagesenbateau,deshôtelsdeluxe,dessoiréesdansdesendroitsque l’argentrendaitmagnifiques. Il l’auraitmêmeépousé, luioffrantunebaguedeplusieurscarats.Maislefric,Rafaels’enfichait.Ilpréféraitcebouseuxdegaminaupassétrouble.Cemanipulateur.Maisiln’avaitpasditsonderniermot.Ilavaitdesatoutsdanssamanche.S’iln’avaitpasréussiàretenirRafael,niàcorrompreCaleb,Charlestrouveraitlemoyenderevenirenarrière.Pourl’instant,ilavaitbesoind’unexutoire.Etquid’autrequesonassistant,Marley,pourl’yaider

enattendantqueRafaelréintègresaplace.Unrôlequeseulsonamourpouvaitjoueràlaperfection.MonDieu, ce qu’il aimait ce corps soumis à ses désirs. Ses cris de douleur étouffés.Rien que depenser l’avoirperdu,saragesedécuplaet ilentradanssonbureauaupasdecharge,persuadéd’yvoirMarley.Maisiln’étaitpaslà.Àlaplace,setenaitCalebBeckerenpersonne.Des imagesdesondoscarbonisépassèrentdevant lesyeuxdeCharleset sonsexepulsa. Ilavait

essayé,cesderniersmois,delefairesouffrirenlerencontrantàpresquetouslescoinsderue.Justepour le plaisir de lui raconter ce que ça faisait d’entrer en Rafael d’un seul coup de reins. De leprendreàgenoux,alorsqu’ilbaissaitlatête.Charlesavaitmêmetentéd’emmenerCalebdanssonlit,luipromettantdelibérerRafael,s’ilprenaitsaplace.MaiscepetitmerdeuxdeTexanétaitbientropintelligent.Caleb avait suqu’il n’en ferait rien,maisqu’il profiterait, au contraire, de sa redditionpourattacherencoreplusRafael.Aujourd’hui,Charlescomprenaitpourquoiill’avaitregardédehautcesdeuxderniersmois.Parce

queCalebn’avaitpascessédecomploter.LapreuveenétaitsaprésencedanslesbureauxdeKennedyetledossierqu’ilouvraitdevantlui,assissursachaisedebureau.—Qu’est-cequevousfoutezlà,Becker?hurla-t-il.Ilétaitlepatronici,ilsemoquaitquequelqu’unl’entende.Sitantestqu’ilyaitencoredumondeà

cetteheure.Caleb le regardaavecarroganceetCharles fut tentédeprendre lamatraquequi traînait toujours

danssonplacardpourluiendonnerquelquescoups.—Jevoudraisattirervotreattentionsurdesinformationssurlesquellesjesuistombé,parhasard,

ironisaCaleb.Etquipourraientatterrirdansd’autresmains,toujoursparinadvertance,biensûr.

Il ne doutait pas queCaleb avait trouvé de quoi l’inquiéter. Il n’aurait pas tant d’assurance si cen’étaitpaslecas.—Qu’est-cequetuveux,Becker?—Hanaël,répondit-ilaussitôt.CharlesricanaetCalebsereleva.— Abou a été embauché par une autre congrégation. Ama et Mac déménagent. Soli entre à

l’université. Vous n’avez plus aucun moyen de pression. Quant à Gora, ce n’était qu’une habilemanipulation.—Tucrois?Calebavaitraison.Iln’avaitjamaiseudepreuvescontreGora.Ilavaitmenti,profitantdelajeune

naïvetéd’unRafaeldepresquevingtans.Dubluff.Ilyavaitbeaucoupdemensongespourtrèspeudevérités.Enfait,toutrésidaitdanslaconvictionetlesmenacesqu’ilexerçaitsursonchef-d’œuvreauregardnoir.C’étaitainsiqu’illecontrôlait.Parlapeur.Pascelled’avoirmal,non.Maiscelledeseretrouverdenouveauseul,sansfamille.LesFinchavaientrendud’immensesservicesàCharles.Jusqu’àcequecetétudiantdemalheurviennemettresonnezdansleursaffaires.—Ilestàmoimaintenant,lâchaCaleb.Charlessiffla,lesdentsserrées.—N’ycomptepastrop,gamin.Tun’aspasdequoileretenir.Calebfitletourdubureauets’arrêtadevantCharles.—Biensûrquesi.J’aiquelquechosequevousn’avezjamaiseuetquevousn’aurezjamais.Unenfant…Iln’étaitqu’unenfant.Alorsquelui,Charles,étaitunhommedepouvoir!Ilpouvait

récupérerRafael,lerameneraveclui.Riennepourraitempêchercela.—Etquecrois-tuposséderqu’ilmesoitimpossibled’obtenir?Calebsourit,unsourirevictorieuxetsuffisant.Fieretprovocant.UnsourirepourmettreKO.—Sonamour, luibalança-t-ilà lafigure.J’aisonamour.Etmalgrétoutevotrefortune,vousne

pourrezjamaisacheterça.Fouderage,ilregardaCalebjeterledossierparterre.Lesfeuillesglissèrentausol,éparpillées.

Puislegaminsortitdubureauetremontalecouloirversl’ascenseur.Calebluijetaunderniercoupd’œil.EtCharlessutqu’ilavaitperdu.

EpilogueUnmot,devantuneporte,àBoston.«Hanaël,Jet’offrecesdeuxcahiersquej’airemplischaquesoirpourtoi.J’espéraisquetufiniraisparles

lire,unjouroul’autre,etque,peut-être,ilst’aideraientàcomprendre.Jet’aiaiméd’unregard.D’unsouffle.L’instantd’avant,jenesavaismêmepasquetuexistaiset,

celuid’après,tuétaisdansmoncœur.J’ai eu tellementpeurdepassercetteporte, il yadeuxmois, etde teperdre. Je t’aiquittépour

mieuxteretrouver.Pournousdonnerunevraiechance.Jet’aitrahiparcequejen’avaispluslechoix.J’espèrequetulesais.Aujourd’hui,tupeuxenfinrecommencer.Demain, je rentre àAmarillo. J’ai obtenuma licence etmalgré l’insistance du doyen, je préfère

passermamaîtriseàStanford.SanFranciscoestunebelleville,àcequ’ilparaît.J’aimeraisypasserquelquesannées.Avectoi.D’accord,l’appartementquej’aitrouvéestbienmoinsgrandqueletien,maisçapourraitêtrelenôtresituleveux.Enattendant,jevaispasserl’étéauBeckerR.Audos,jet’ainotél’adresse,s’iltevenaitl’enviede

m’yrejoindre.J’yseraijusqu’àlafindel’été.Etpuisaprès,situn’espasavecmoi,jeseraiàStanford.Etpuisaprès,situnem’astoujourspasrejoint,c’estmoiquiteretrouverai.Etd’icilà,j’auraitrouvéunmoyendemefairepardonner.Unefaçondetedireàquelpointjet’aime,àquelpointtuasbouleversémavie.

Caleb»Premiercahier«Hanaël…Depuisque tum’asavoué tonvrainom,c’estcommeçaque jepenseà toi…Hanaël,

monbeauHanaël,monbeaubrun.Tum’aslaissépartir.Çat’apratiquementbrisé,maistum’aslaissépartir. Toi ou Rafael ? Si c’est Rafael, ce n’est pas si grave. Puisque Rafael n’est que l’objet deCharles.Maistoi,Hanaël?M’as-tulaissépartir?…Jenedorsplus.J’ailatêteàl’envers....Abou était fou de rage, je n’arrive pas à comprendre comment un pasteur peut avoir un tel

vocabulaire. Ilnepensaitpasuneseule secondecequ’il t’adit.Dèsque tuas tourné les talons, ils’estmisàpleurer.Àpleurer,Hanaël!Abou!C’étaitcommeassisteràuneéclipsesolaire.Pendantunmoment,mêmeAman’aplussuquoidire.…Tumemanques tellement. Je ne vois plus clair sans toi. Je ne te croisemême plus dans la rue.

Bostonn’estpassigrande!Tuesforcémentquelquepart.

…Ama...Amaestmalheureuse.Ellenesaitplusquoifaire.C’estcommeunfilsqu’elleauraitperdu,

un autre.Elle t’aime tellement.Elle dit que tamère lui a demandéde veiller sur toi.Que c’est unaccordpasséentrefemmes.J’enriraispresquesielleneledisaitpasavecautantdesérieux.…Oùes-tu?Avecqui?Aveclui?J’aimeraistellementt’arracherdesesbras…Hanaël,est-cequetu

m’entendsencore?Situfermeslesyeux,est-cequetumevois?…Macnemeregardemêmeplus.Çafaitdesjoursquenousn’avonsplusdenouvelles.Jemedéteste.

ParcequejesuisobligédedeveniraussisalaudqueCharles.Jesuisobligédetefairemal.…Unjour.Bientôt.Jetediraicommejeregrette.Mepardonneras-tu?…»

Deuxièmecahier«Solimehait.Ilsaitqu’onluicachedeschoses.Iln’estpasidiot.Maissionluiexpliquequoique

cesoit,ilpartiratevoir.Teracontercequenousfaisons.Etjesaisquetutrouverasunmoyendenousconvaincred’arrêter.Noussommestropprèsdubut, tusais.LennyatrouvétellementdechosessurCharlesqueçasuffiraitàlefaireplongerpendantdesannées.…Unmoissanstoi…çameréveillelanuit.Jevisauralenti.J’aipeut-êtreeutort.Jenetevoisnulle

part. Parfois, je passe devant ton immeuble et jeme dis « Il va sortir, il va sortir ».Mais tu n’esjamaislà.J’ail’impressionquetun’existesplus.Çameterrifie.…Unmoisetdemi.Unmoisetdemi!Mesexamensapprochent,jevoudraisêtreavectoi.Jet’aime.Et

situm’oubliais?Sitoutçanevoulaitriendire?Peut-êtrel’aimes-tu?…Hier, tu as ramené Soli. Il me déteste chaque jour davantage. Il ne nous parle plus depuis des

semaines.NiàAma,niàAbou.Niàmoi,biensûr.Iln’yaqueMacquitrouveencoregrâceàsesyeux.Ilétaitpartidepuis trois joursetnousl’avonscherchépartoutenville.Etpuis levoilàquirevient,avec toi. Je ne sais pas ce que tu as pu lui dire, mais il est redevenu joyeux. Comme si, enfin, ilcomprenaitquelquechosed’important.Iln’yaquetoipourlefairesouriredecettefaçon.Ils’estdenouveauilluminé.…Pourquoim’as-tu tourné le dos ? Pourquoi bois-tu autant ? Crois-tu que je n’ai pas vu tes pas

incertains,tadémarchevacillante?J’étaislà,àdeuxpasdetoi.Ettum’astournéledos,Hanaël……Deuxmois.C’estlegrandsoir.Jet’aime.…Reviens-moi,jet’ensupplie.

…Hanaël…»

Unelettre,unmatind’hiver,àSanFrancisco.«CalebJemesuislongtempsdemandécequejepourraisbientedirequandj’auraisfini…defuir,jecrois.

Qu’est-ce qui serait acceptable maintenant ? Après six mois d’absence…Quels mots choisir pourexprimercequejeressens?Ladettequej’aienverstoi?Tum’assauvéetjesuisparti.Tum’assauvéoui, tu m’as rendu ma vie et je suis juste… parti. Je ne sais pas comment me faire pardonner, nicommenttel’expliquer…Rienn’ajamaisétésimple,rienneleserasansdoutejamais.Ilyaencoretantdecolèreenmoi,cette fureursibrûlante.Jen’ensaisrien…peut-êtredeviendrai-jeplusdouxavecletemps.Sansdouteapprendrai-jelatranquillitéd’unquotidien,unecertaineformedesérénité.Pastoutdesuitepourtant,pasencore.Leschaînesontdisparu,c’estvrai.Malgréça,ellesontlaissédes traces et, certainsmatins, j’ai l’impression de les sentir encore peser surmoi. Et jeme rendscomptequejeneluiaipaspardonné.ÀCharles.Maisleplusdouloureux,c’estquejenemesuispaspardonnéàmoi-même.Quelquechosehurleenmoietc’estassourdissant.Commecemanquedetoiquim’étreintchaque

jourdavantage.Tuméritessansdoutemieuxqu’untypebousillé,quinesaitplusvivrenormalement,quivadevilleenvillesanssavoirvraimentquoichercher,mêmesijemesuisunpeuretrouvéenroute.Maisjen’arriveplusàresterloindetoi…J’auraisaiméquecenesoitpassidifficilederevenir,derecommencerdezéro,derien,commesi

toutétaitdenouveauunepremière fois.Mais jeneveuxpasoublier,Caleb.JeneveuxpasoublierRafael.Jeneveuxpasoublieravecquelleforcejesuistombéamoureuxdetoi.Jeneveuxpasoublierteslarmes,noscris,nosdouleurs.Jeneveuxpasoublieràquelpointc’étaitdur,àquelpointc’étaitintolérableetquechaquematinapportaitquandmêmeplusd’amour.Monmalheur,mesblessures,onttouseuleméritedem’avoiremmenéverseux,verstoi.Sanseux,jen’auraispasrencontrémafamille,maMama,mesfrangins,Abou,SolietMac.Sansmessouffrances,jenet’auraispasconnu.Jeneseraispastombésurtoi,Caleb,monange.Un

jour,tuesdevenuessentielettesyeuxm’ontpoursuivi,tesmainsm’onttouché.Ettum’asdonnéducourage.Delaforce.Jetedoismaliberté.Monamour.Tuétaisunefolie,laplusmerveilleuse.Tuasétédifférent,tellementplusquetoutlereste…Situsavaiscommejet’aime.Oui,jet’aimecommeilestimpossibled’aimer.Jet’aimeavectouteslesfibresdemoncorps,aveccequifaitbattremoncœur.Jet’aidanslapeau,danslesang.Jet’aidanslatête.Puis,aujourd’hui,jevoiscecheminquiseprofiledevantmoietquimepousseversSanFrancisco.

Quimeramèneverstoi,monange.Etjemerendscomptequejen’aiconnudeplusgrandesolitudequedanscellequim’aséparédetoi.Monplus immensemalheurestceluiquim’afait teperdreunmoment.Mais j’y crois aujourd’hui, Caleb.Malgré la noirceur qu’abrite encore tellement mon cœur. J’y

crois.Ànous.Àtoi.Àcemiracle.Tout semblait si dur, si inimaginable.Mais tu es entré dansma vie, et tu as fait de ce rêve une

éternité.D’unsimplesonge,l’infini…»

RemerciementJen’oubliepastouteslespersonnesquiontcontribuéàlasortiedecelivre,touslesamisettousleslecteursquimesoutiennent.Maiscesremerciements,jelesdédied’abordàtousceuxquiontcôtoyé,

deprèsoudeloin,laprostitution.ÀX,quim’aracontésonhistoireetdontletémoignageafaitnaîtreceroman.Siunjour,onmedemandaitquelleestlapersonnedontjesuislaplusadmirative,c’estsanscontesteàluiqueje

penserais.Parcequ’iln’apaseuseulementducourage,iln’apaseuseulementdelaforce,ilafaitpreuvedequelquechosequebeaucoupignoredenosjours.D’humanité.

Ils’estaccrochéàtoutcequifaisaitdeluiencoreunhommeetmêmes’ilesttombédanslaprofondeurdesAbysses,ilatoujourssunagerpourremonteràlasurface.

Àtouteslesvictimesdelacruautéhumaine.Àtoutescellesqu’onaignorées.Qu’importel’endroitoùl’onvitouceluioùl’ontravaille,quecesoitdansunbureauaudernierétaged’unbuildingousurles

trottoirslesplussombresd’uneville,aucunviolnedoitêtretu,aucuncoupnedoitêtreoublié,aucuneblessurenedoitêtrebanalisée.

Riennecautionnerajamaisladouleur,parcequ’elleneserajamaisjustifiée.