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Racines et destin d'une oeuvre Little Women, de Louisa Alcott par Isabelle Jan Les quatre filles du docteur March, de Louisa Vlay Alcott, est une oeuvre que nous connaissons ous, très représentative de la littérature enfan- ine et de son pays d'origine, et sur laquelle, au ond, nous ne savons pas grand-chose. Mon sujet étant "une oeuvre et son contexte", e me suis tout d'abord plongée dans le contexte avec beaucoup d'intérêt et de plaisir. Et ce que j'ai découvert m'a fait un peu oublier Les quatre r illes du docteur March. Généralement, les grandes oeuvres pour enfants, spécifiques à la fois d'un pays et de la littérature enfantine Alice au pays des mer- veilles, les Contes d'Andersen, Pinocchio, les omans de Mme de Ségur sont relativement solées ; qu'on les rattache ensuite à des courants de pensée, qu'elles entrent dans une idéologie, c'est évident. Lewis Carroll en est le meilleur exemple : son livre est très représentatif de l'es- prit anglais et il est tout à fait pour enfants. On peut aussi intégrer après coup l'oeuvre à une idéo- logie ; c'est le cas de Kipling : il est l'impéria- isme anglais, mais il est vrai aussi qu'on en a fait 'impérialisme anglais. L'oeuvre d'Andersen est très singulière: dans l'aura du romantisme alle- mand, mais soixante-dix ans plus tard. Le omari d'Alcott, au contraire, est né dans un ter- eau précis ; géographiquement autant qu'idéo- ogiquement, il procède de quelque chose qui le dépasse infiniment. J'ai fait un petit sondage d'opinion ces der- îiers jours ; j'ai demandé aux Français qui m'en- touraient — des gens ayant travaillé dans la ittérature enfantine, des gens connaissant bien 'américain et les États-Unis : "Que pensez-vous d'Emerson? du transcendantalisme? de Tho- eau?" Ils n'en pensaient rien du tout, parce ju'ils savaient à peine ce que c'était. Quelques ours plus tôt, j'étais à peu près dans le même :tat d'ignorance. Nous situons quand même un )eu Walt Whitman. Mais on ignore absolument jue Little Women, ce livre national, ce grand ivre des États-Unis, est né au milieu de ce groupe d'intellectuels américains. Cela le définit :t c'est, à mon avis, un cas intéressant et rare, l'on voit toute une pensée — qui a sa grandeur, qui a donné des oeuvres immortelles, en particu- lier celle de Whitman —, et l'un de ses bour- geons, une oeuvre qui en est issue, tout à fait en deçà de cette pensée. C'est d'ailleurs pour cela que personne ne songe à rattacher cette oeuvrette à la pensée d'Emerson. Pour la comprendre, il faut d'abord situer le philosophe Ralph Waldo Emerson, Emerson le réformateur. Le contexte américain Aux États-Unis, après la guerre d'Indépen- dance, il y a eu une montée dynamique de ce peuple, ce qu'on appelle l'optimisme américain, et un mouvement de pensée né des puritains de Boston, les premiers Américains, qu'on peut caractériser de façon sommaire comme un mou- vement contre la prédestination calviniste. Ce sont des protestants, certes, mais dans un pays en plein essor, en pleine découverte de soi-même, on ne peut pas adopter une pensée restrictive qui n'accorde le salut qu'à certains. C'est bien entendu plus compliqué que cela, mais il est évi- dent qu'on était en face d'un mouvement hétéro- doxe qui peut se schématiser ainsi : anticalvi- nisme, triomphe du rationalisme, la prospérité considérée comme une marque d'approbation divine, la grande idée du succès, que je considé- rerais volontiers, dans cette toute première moi- tié du xix e siècle, comme l'équivalent de ce que sera dans la vieille Europe l'idée de progrès. Cependant, la vague romantique européenne leur arrive, notamment d'Angleterre, et c'est tout à fait autre chose. Il faut l'envisager de façon dialectique avec ce que je viens de dire: la pros- périté, la non-prédestination, le rationalisme enfin. La vague romantique, ils la reçoivent comme une dynamique et rien de plus ; les Amé- ricains en ont retenu essentiellement l'individua- lisme, le self, "song of myself", dit Whitman. C'est l'explosion, l'épanouissement, le totalita- risme de l'individu, du "moi-même". Ils n'avaient aucune structure d'accueil, pas de penseurs ; les grandes universités naissaient à 17

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  • Racines et destin d'une œuvre

    Little Women, de Louisa Alcottpar Isabelle Jan

    Les quatre filles du docteur March, de LouisaVlay Alcott, est une œuvre que nous connaissonsous, très représentative de la littérature enfan-ine et de son pays d'origine, et sur laquelle, auond, nous ne savons pas grand-chose.

    Mon sujet étant "une œuvre et son contexte",e me suis tout d'abord plongée dans le contexteavec beaucoup d'intérêt et de plaisir. Et ce quej'ai découvert m'a fait un peu oublier Les quatrerilles du docteur March.

    Généralement, les grandes œuvres pourenfants, spécifiques à la fois d'un pays et de lalittérature enfantine — Alice au pays des mer-veilles, les Contes d'Andersen, Pinocchio, lesomans de Mme de Ségur — sont relativementsolées ; qu'on les rattache ensuite à des courantsde pensée, qu'elles entrent dans une idéologie,c'est évident. Lewis Carroll en est le meilleurexemple : son livre est très représentatif de l'es-prit anglais et il est tout à fait pour enfants. Onpeut aussi intégrer après coup l'œuvre à une idéo-logie ; c'est le cas de Kipling : il est l'impéria-isme anglais, mais il est vrai aussi qu'on en a fait'impérialisme anglais. L'œuvre d'Andersen esttrès singulière: dans l'aura du romantisme alle-mand, mais soixante-dix ans plus tard. Leomari d'Alcott, au contraire, est né dans un ter-eau précis ; géographiquement autant qu'idéo-ogiquement, il procède de quelque chose qui ledépasse infiniment.

    J'ai fait un petit sondage d'opinion ces der-îiers jours ; j'ai demandé aux Français qui m'en-touraient — des gens ayant travaillé dans laittérature enfantine, des gens connaissant bien'américain et les États-Unis : "Que pensez-vousd'Emerson? du transcendantalisme? de Tho-eau?" Ils n'en pensaient rien du tout, parceju'ils savaient à peine ce que c'était. Quelquesours plus tôt, j'étais à peu près dans le même:tat d'ignorance. Nous situons quand même un)eu Walt Whitman. Mais on ignore absolumentjue Little Women, ce livre national, ce grandivre des États-Unis, est né au milieu de cegroupe d'intellectuels américains. Cela le définit:t c'est, à mon avis, un cas intéressant et rare, où

    l'on voit toute une pensée — qui a sa grandeur,qui a donné des œuvres immortelles, en particu-lier celle de Whitman —, et l'un de ses bour-geons, une œuvre qui en est issue, tout à fait endeçà de cette pensée. C'est d'ailleurs pour celaque personne ne songe à rattacher cette œuvretteà la pensée d'Emerson. Pour la comprendre, ilfaut d'abord situer le philosophe Ralph WaldoEmerson, Emerson le réformateur.

    Le contexte américain

    Aux États-Unis, après la guerre d'Indépen-dance, il y a eu une montée dynamique de cepeuple, ce qu'on appelle l'optimisme américain,et un mouvement de pensée né des puritains deBoston, les premiers Américains, qu'on peutcaractériser de façon sommaire comme un mou-vement contre la prédestination calviniste. Cesont des protestants, certes, mais dans un paysen plein essor, en pleine découverte de soi-même,on ne peut pas adopter une pensée restrictive quin'accorde le salut qu'à certains. C'est bienentendu plus compliqué que cela, mais il est évi-dent qu'on était en face d'un mouvement hétéro-doxe qui peut se schématiser ainsi : anticalvi-nisme, triomphe du rationalisme, la prospéritéconsidérée comme une marque d'approbationdivine, la grande idée du succès, que je considé-rerais volontiers, dans cette toute première moi-tié du xixe siècle, comme l'équivalent de ce quesera dans la vieille Europe l'idée de progrès.

    Cependant, la vague romantique européenneleur arrive, notamment d'Angleterre, et c'est toutà fait autre chose. Il faut l'envisager de façondialectique avec ce que je viens de dire: la pros-périté, la non-prédestination, le rationalismeenfin. La vague romantique, ils la reçoiventcomme une dynamique et rien de plus ; les Amé-ricains en ont retenu essentiellement l'individua-lisme, le self, "song of myself", dit Whitman.C'est l'explosion, l'épanouissement, le totalita-risme de l'individu, du "moi-même".

    Ils n'avaient aucune structure d'accueil, pas depenseurs ; les grandes universités naissaient à

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  • !

    peine, ils avaient à édifier leur culture. Leursmaîtres étaient encore sur le sol européen ; c'étaitl'idéalisme allemand et Goethe; et un penseuranglais fort intéressant, Carlyle, qui a introduitbeaucoup plus tard le mythe de la volonté faceaux forces de la nature.

    Emerson, Thoreau, Alcott...

    Dans ce bouillonnement culturel à Boston,dans ces grandes familles dont certaines étaienttrès riches mais d'autres encore très pauvres, estné Emerson, qui était destiné à devenir pasteurcomme son père et ses frères. 11 s'est manifestétout de suite par deux textes: Nature, en 1836(on est en plein romantisme européen, ou post-romantisme pour certains pays), et un fort beaudiscours aux étudiants sur "l'intellectuel améri-cain". Emerson est un personnage que je ne sau-rais trop vous inviter à lire et à méditer, d'autantplus que nous nous faisons de l'Amérique engénéral, et des intellectuels américains en parti-culier, une idée souvent sommaire. Ils ont beau-coup changé, mais il y a encore une Amériquequi peut se réclamer de la phrase célèbre deMark Twain : "Sur le bord du Mississippi, il naî-tra une race de poètes". De ces gens qui sont àpeu près incapables de s'exprimer autrement quepar le lyrisme. C'est peut-être pour cela que nousavons un certain mépris pour ceux qui savent àla fois avoir une grande pensée, simple, pas tou-jours originale peut-être, mais qui s'exprimentavec une force, une beauté et un art véritables.

    Emerson a eu une vie classique d'intellectuel;il a fait entre 1830 et 1850 deux voyages impor-tants en Europe, c'est-à-dire, pour lui, en Angle-terre et en Allemagne. A ce moment-là, l'Europeromantique et post-romantique, en particulierl'Angleterre avec Carlyle, avait en abominationla Révolution française; la France ne joue doncaucun rôle. Ce sont l'Angleterre et l'Allemagnequi ont été le creuset de la pensée américaine.

    Emerson a été pasteur ; c'était un assez mau-vais théologien et, comme beaucoup de sespareils, il a été immédiatement mis à l'écart. Il adonc peu exercé son ministère ; il s'est retiré dansune petite ville, Concord, à vingt-cinq kilomètresde Boston, très importante dans la pensée cultu-relle américaine, et qu'on cite en exemple parcequ'elle fut effectivement la ville de la concorde.Le terrain avait été cédé à l'amiable aux immi-grants par un chef sioux. Les pionniers y avaientfondé un village communautaire, une sorte dephalanstère, où Emerson a régné avec beaucoupde sagesse et de prudence. C'étaient des sages etnon des intellectuels excités, demandant perpé-tuellement des contacts, des échanges et de lacommunication.

    Whitman n'a fait qu'y passer, mais il a étéimprégné de ces idées. Emerson donnait sescours, Thoreau vivait dans la solitude ; il s'étaitconstruit une petite maison en bois. Tout celareprésentait un mode de vie, et donc une pédago-gie et un désir d'appliquer cette pédagogie.

    L'un de ces intellectuels s'appelait Alcott, lepère des quatre filles. Alcott était le pédagogue;il était aussi ministre de l'Église et dans la mêmesituation qu'Emerson. Il créait des écoles qui neduraient qu'un temps et allait de catastrophefinancière en catastrophe d'organisation ; il lesmontait avec sa famille et quelques proches,dont Mme Peabody, une amie d'Emerson.

    Une de ces écoles s'appelait Fruitlands : on n'ymangeait que des fruits et les résultats n'étaientpas fameux... On plantait des noyaux de cerises,on attendait que les cerisiers poussent, puis lesenfants cueillaient les cerises et faisaient destartes. On ne mangeait rien d'autre. C'était MmePeabody qui inventait tout cela. Nous appelle-rions cela une école naturelle, écologique. Ils fai-saient eux-mêmes leurs meubles, commeThoreau.

    Sous l'impulsion de Mme Peabody, qui étaitune féministe convaincue, ces écoles étaientmixtes. Enfin, pour ces descendants directs deLincoln, il y a la grande question de l'intégrationraciale. Ils étaient tous des abolitionnistes fer-vents; souvent très en avance, et tous les pro-blèmes qu'a eus Alcott avec ses écoles, lesinterdictions de l'État, etc., datent du jour où il aouvert les portes de son école aux enfants noirs.Les parents de Concord, soi-disant abolition-nistes, n'ont pas pu le supporter et l'ont obligé àfermer.

    Concord au XIXe siècle.

    Louisa May Alcott a été élevée dans ce milieu,qu'on peut d'ailleurs imaginer à travers d'autresécrivains américains, comme Mark Twain, pour-tant d'une origine bien différente. Cette atmo-sphère de ville ouverte, comme en Nouvelle-Angleterre, ces villages dont on ne voit pas lesfrontières parce que les maisons coloniales,toutes blanches, sont perdues dans la nature, ce

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  • qui est une représentation très forte de l'indivi-dualisme américain, et en même temps de la non-hiérarchie... Pas de barrières; chacun a samaison ; il n'y a pas de forum, pas de rues ; lanature et la maison entrent l'une dans l'autre—et c'est très important dans la praxis et dans lapensée américaines — cette admirable nature quipénètre partout, ce pays où les arbres sont plusbeaux et plus hauts que partout ailleurs, où leschoses sont puissantes et les gens accueillants.Cette espèce de sympathie ensoleillée, on latrouve partout, sauf peut-être dans Les quatrefilles du docteur March... On y voit tout au plusune extrême candeur, car il ne faut pas beaucoupcroire au mal pour vivre de cette façon.

    Ici et maintenant

    Le décor planté, je vais reprendre les idées quej'ai glanées dans Emerson, et voir comment onpeut les rattacher à ce petit livre. 11 y a la problé-matique de la vie simple, de la pauvreté ; vie sim-ple et noble pensée, c'est assez platonicien ; il y al'être un peu coupé par le milieu, l'esprit, soûl, etpuis le reste qui n'a pas beaucoup d'importance,avec cette réserve, sur laquelle j'insiste et quiapparaît dans beaucoup de textes, que la prospé-rité est un bien. Cela peut s'exprimer, d'unefaçon philosophique très forte, comme une phi-losophie de l'instant, et j'ajouterai de l'instantenthousiasmant; l'idée de la richesse n'est pasabsente de leur morale; au contraire, elle y estincluse, dans la mesure où il faut arriver à uninstant de plénitude absolue et qui donc n'exclutpas la jouissance. On comprend très bien qu'E-merson a eu des problèmes avec le dogme : "J'aima foi, ma foi nie suffit, et, finalement, niedégage de tout". Ce qui est très puritain. Ouencore : "Agir fidèlement selon ma foi, y confor-mer ir.a vie, m'y soumettre pleinement (à ma vie)et voir ce qui adviendra ; le reste, c'est l'affaire deDieu".

    C'est vraiment la vérité contre la secte ; l'idéede l'instant et du présent est fondamentale pourles puritains, parce qu'ils doivent bâtir un pays etune pensée. Ce qui les intéresse au plus hautpoint, c'est la transparence de l'instant et l'idéede faire de l'instant un présent. C'est très peuchrétien, très peu judéo-chrétien. Le passé, il n'yen a pas; quant au futur, c'est le présent que jeconstruis, ce n'est pas la vie future ; penser à lavie future, c'est peut-être penser à ma mort quiva arriver dans l'instant, mais ce n'est jamaispenser à l'immortalité de l'âme, parce que çan'intéresse pas le présent. C'est ce que les Améri-cains eux-mêmes ont appelé l'anticonformisme;ne pas se conformer aux catégories préinstituées,mx normes selon lesquelles il y a le passé, le

    présent, le futur — le futur étant l'immortalité del'âme. Dans son discours "A l'intellectuel améri-cain", qu'il a prononcé devant des jeunes gens en1837, étant lui-même encore un jeune homme,Emerson a dit : "Faites-moi pénétrer le mystèred'aujourd'hui, et je vous abandonne le passé etl'avenir". Phrase typique d'un non-conformiste ;d'un idéalisme jamais détaché du matériel et quisacralise le présent; cela s'inscrit dans les toutdébuts de l'existentialisme et des philosophies del'instant. C'est "aujourd'hui même" qui importe,ma vie présente, mon moi à l'instant même ; l'ins-tant même est impossible à saisir, mais laconcentration sur cet instant fait que, forcément,on oublie, on efface, on fait disparaître le passéet le futur.

    Fruitlands, communautééphémère fondée par AIcott

    II suffit d'ouvrir les Feuilles d'herbe de Whit-man pour voir tout cela s'inscrire en lettres de feu.Song of myself, je suis moi-même, je suis mapropre joie, je bâtis, je construis, JE, MOI,myself, maintenant, ici et pas ailleurs, avec lesarbres de la forêt, et les villes qui se construisentet les ouvriers au travail; il y a là la puissanceextraordinaire à la fois de moi-même et de lavolonté. Dans l'accusation d'athéisme portéecontre Alcott et contre Emerson, apparaît le côtésocial et politique. Qu'est-ce qu'ils veulent, cespremiers puritains? Créer le royaume de Dieusur la terre, ici et maintenant. L'optimisme vientde ce que ce peuple n'a pas de racines et seconstitue en tant que peuple sans révolte. Onn'est pas dans la vieille Europe sur laquelle sontpassées d'innombrables guerres. Ils n'ont euqu'une victoire - ils n'ont pas encore eu la guerrede Sécession.

    Emprise sur la matière, donc emprise sur larichesse, agréable à Dieu. On voit là apparaîtrequelque chose d'important qui aura des retentis-sements en Europe: l'absence d'inquiétude. Pasde doute, pas d'angoisse comme dans l'existen-tialisme européen de la même période, notam-ment chez Kierkegaard, mais une sorte decandeur. C'est resté dans la conscience vulgaire,

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  • quand on caractérise l'Américain : ce peupled'enfants, ce peuple immédiat, sans inquiétude,sans interrogation fondamentale. On n'a paspeur de sa propre âme, son over soûl; le sagereste chez soi, confiant en soi-même; on a ensoi-même des ressources infinies. Dans ce beaupaysage, dans ce phalanstère qui fonctionne avecdes difficultés économiques extrêmes, mais cen'est pas l'essentiel ; dans une fraternité qui n'estpas une intolérable promiscuité, avec le culte del'individu, le culte du moi, on peut se reposer, seconfier, se fier à soi-même, on peut être seul.J'avais trouvé cette idée dans le journal de Gide,l'idée de la conquête du silence par le philo-sophe : être à ce point en accord avec soi-même,à ce point calme et tranquille vis-à-vis de sa pro-pre pensée, que non seulement on supporte, maison aime le silence. C'est là une pensée très aristo-cratique, et qui vient de Carlyle, le philosopheanglais, qu'on appelait Carlyle le silencieux.

    Emerson était allé en Angleterre et l'avait lu,ils avaient échangé une grande correspondance ;ils se sont donc beaucoup parlé, l'un a inspirél'autre. Or Gide, dans son journal, raconte unedes premières visites d'Emerson à Carlyle, chezcet Ecossais tranquille, dans une maisonmodeste où il faisait horriblement froid. Desboulets brûlaient dans la cheminée, et ils se sontassis tous les deux, de chaque côté du feu, ensilence. Ils ne se sont pas dit un mot de toute lasoirée. Quand Emerson est parti, il a dit : "Goodbye. Sir, je vous remercie de cette excellente soi-rée", sans la moindre ironie. Ils avaient partagéle silence. Même si elle n'est pas vraie, c'est uneadmirable histoire, parce qu'elle caractérise lapensée profonde de ces gens qui, après avoireffectivement créé un pays et Yamerican way oflift, ont finalement trouvé une des valeurshumaines essentielles, qui est le silence.

    Louisa May Alcott

    Les quatre filles du docteur March est unroman réaliste et vrai. Ce milieu d'intellectuelsaméricains, le père et la mère Alcott, avec ElisaPeabody, créant une succession d'écoles heu-reuses, mais catastrophiques, et avec leurs quatrefilles ; tout cela est vrai. L'aînée s'appelait en réa-lité Anna, ensuite il y avait Louisa, puis Eliza-beth, enfin la petite May. A seize ans, Louisaétait maîtresse d'école chez son père, où elle étaitrémunérée; elle a écrit pour Helen, la filled'Emerson, des petites fables sur les fleurs, donton n'a gardé aucun souvenir. Emerson ayanttrouvé cela joli a insisté, et comme il fallait fairebouillir la marmite, elle est devenue écrivain pro-fessionnel et a envoyé des short stories aux jour-naux, comme beaucoup d'autres jeunes Améri-

    cains. Il y avait alors toute une presse quidonnait quelques nouvelles, mais surtout desrecettes de cuisine et des short stories.

    Puis elle a publié un roman : Moods, qui a ététrès critiqué, en particulier par Henry James.James était un Américain de Boston, chez quil'appel de l'Europe était beaucoup plus fort. Iln'appartenait pas à cette idéologie; mais il enétait cousin. Dans sa critique de Moods, HenryJames remarque qu'il y a des notations fines etintéressantes. C'est très sensible, dit-il, c'est de lajolie littérature, mais il faut qu'elle apprenne sonmétier; elle a sûrement beaucoup à dire sur savie même; ses personnages sont artificiels, elleles a pris dans un milieu qu'elle ne connaît pas.

    Louisa May Alcott,d'après un daguerréotype.

    La guerre de Sécession éclate et Louisa estinfirmière aux armées ; puis elle revient. Elle a dûméditer entre-temps la critique d'Henry James,sa propre vie et ses expériences : elle écrit Littkwomen en 1867, et une suite en 1869 ; les deuxromans ont un énorme succès, et sont traduits enfrançais. Dans la traduction de Stahl*, Petitesfemmes est devenu Les quatre fil/es du docteuiMarch, et M. March est médecin. Or, il est doc-teur en théologie, non pas docteur en médecine.Cette énormité est explicable. Mettons-nous à laplace d'un Français de tradition catholique, àqui on raconte l'histoire d'une famille dont lepère est ministre de la religion, prétendumentréformée, et qui a quatre filles ; cela peut passer.Mais en lisant le roman d'un bout à l'autre on nevoit jamais M. March exercer son ministère; ilest au front comme aumônier (c'est dit en un mot

    * Voir, au sujet des traductions du roman, l'étudtd'Anne-Marie Soulier dans la revue Janus Bifronsn" 2, 1980.

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  • dès les premières pages), mais il apparaît surtoutpartisan des abolitionnistes, citoyen, père defamille. Ce pasteur si libre d'obligations ne peutque décontenancer les Européens, y comprisceux appartenant à la religion protestante. C'estla première apparition — pâle — de l'anticonfor-misme, assez bizarre pour nous. Jugeant queM.March manquait de raison sociale, on en afait un médecin.

    Un mode de vie

    J'ai essayé de voir en quoi cette œuvre expri-mait la pensée et le milieu que je vous ai décrits,ce qui reste de tout cela. Ce qu'il n'y a pas, c'est lesouffle, la philosophie de l'enthousiasme. La lan-gue d'Alcott est très élégante et agréable, avec uncharme certain, mais il lui manque le grandlyrisme des écrivains américains. Louisa Alcottne s'attarde pas sur la guerre, sur ses causes, surla manière dont l'Amérique a pris position surdes affaires brûlantes à l'époque.

    C'était cependant le moment où est apparuaux États-Unis un concept considérable, quifigure en partie dans la constitution américained'ailleurs, celui de la désobéissance civile; lors-que l'État, ses instances ou ses représentants,ordonnent quelque chose contre la conscience, lecitoyen peut ne pas le faire. C'est la désobéis-sance civile et civique : se mettre en dehors del'institution de son propre pays, ne plus recon-naître les actes qu'il ordonne comme des actesciviques, et ainsi devenir civil. C'est l'institution-nalisation de la désobéissance par rapport àl'État. Ils l'ont mise en pratique à tous lesniveaux, depuis le refus de payer un impôt s'ildevait aller à quelque chose qu'ils désapprou-vaient, jusqu'au procès de John Brown, qui abouleversé le monde entier. Il est arrivé que descitoyens se soient mis en désaccord complet avecleur gouvernement ; l'idée de trahison est uneidée qu'ils n'ont pas; la désobéissance civile estun concept très puissant. Il y en a des traces danstoute cette littérature que je vous ai énumérée ;surtout chez Thoreau, cet écrivain moins plai-sant qu'Emerson, plus rude, mais très intéres-sant.

    Je n'ai rien découvert de semblable dans Lesquatre filles du docteur March. Je n'ai pastrouvé le contraire non plus ; car si on y trouvedes leçons morales, on n'y conseille pas pourautant d'être gentil avec la maîtresse — la maî-tresse représentant les autorités gouvernemen-tales —, d'être un bon citoyen, de suivre toujoursles lois de son pays.

    Un des épisodes qui va le plus loin concerneles problèmes d'Amy à l'école; le chapitre s'inti-tule "Amy dans la vallée des humiliations". Elle

    s'est fait confisquer les bonbons qu'elle voulaitdonner à ses camarades, et dans une scène assezsadique, le maître la bat, la met au piquet devanttoute la classe et l'humilie. Il a raison dans salogique : "Miss March, j'avais interdit cela dansla classe, vous l'avez fait, vous allez être punie".Amy dit : "C'est révoltant, j'ai été humiliée, cethomme a osé me toucher, m'a battue ; je le diraià la maison, et ils seront bouleversés de savoirque j'ai été ainsi injuriée, frappée dans moncorps".

    Elle est libérée à la fin et revient à la maison,disant : "Je ne peux plus affronter cela". Sessœurs l'entourent, avec cette tendresse des Qua-tre filles du docteur March ; on lui met de lacrème sur les mains, et ça passe. Mme Marchdit : "En effet, c'est une mauvaise école ; tu as eutort certainement de faire ce que tu as fait, maisle maître a eu encore plus tort de s'y prendrecomme il s'y est pris, parce que c'est injuste; ilfaut, dit-elle en substance, que la punition soitadaptée au crime, et au criminel. Maître ou pasmaître, l'instituteur s'est mis dans un mauvaiscas ; tu avais fait une espièglerie, il devait terépondre par une espièglerie équivalente et nedevait pas blesser ton corps et ton âme pourquelque chose qui n'est pas de la méchanceté. Il ya injustice, qu'elle vienne du pouvoir ou non, çan'a pas d'importance ; c'est terminé, plus d'école ;tu prendras tes leçons à la maison". Le lende-main, Joe revient à l'école et demande tout sim-plement au maître de lui rendre les affaires de sasœur, le salue et s'en va. On sent passer là cettemorale de l'individu, de la justice, de la marge dedésobéissance. C'est à peu près le seul exemple,quand même important parce qu'il touchel'école.

    Amos Bronson Alcott,le père de Louisa.

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  • Autre aspect intéressant : le rôle, ou l'absencede rôle des pères. Absence-présence du pèreDieu, naturellement. Qui sont donc ce pasteur,et ce vieux M. Lorenz, dans la maison d'à côté,la maison de la prospérité? 11 y est malheureuxtant qu'il y est seul, ou ne comprend pas (c'estune interprétation) que cette prospérité peutfructifier. Nous qui avons d'autres connotatioris,nous disons que ce sont toujours les vieux mes-sieurs, les pères, le père éternel ou papa Noël quiapportent les cadeaux ; mais ce n'est pas cela dutout. Si on lit attentivement le texte, une inter-prétation de type capitaliste serait beaucoup plusjuste.

    M. Lorenz est dans une prospérité stérile, lepiano est muet, la maison triste, non parce qu'ilest seul, mais parce qu'il ne sait pas la faire fruc-tifier. Ce n'est pas du paternalisme, comme chezMme de Ségur, qui vient prendre dans le beauchâteau les objets dont on ne se sert plus, pourtransporter telle quelle sa propriété dans la mai-son des jardiniers, afin qu'ils aient aussi leurpetite propriété. M. Lorenz avait une richessequ'il ne connaissait pas, qu'il va faire fructifierchez lui ; il ne transporte rien, il ne donne pas. Ilfait fructifier un bien qui est le sien, ou qui est unbien commun, celui de la grande et noble Améri-que. 11 laisse Beth jouer sur son piano, ce qui luidonne, chez lui, de la musique ; et il lui offre unautre piano, pour qu'elle puisse jouer aussi chezelle, pour que la musique fructifie.

    Ces pères sont les seuls hommes, Laurie étantun doublon de Joe, et Joe un garçon — il y a làun jeu... M. March et M. Lorenz sont présentsdans la vie quotidienne et absents ailleurs ; ce nesont pas des pasteurs comme nous l'entendons.

    Autre idée : l'individualisme et le respect desindividualités. Ils sont très forts et parfois mar-qués de façon amusante par la personnalité desfilles, par le féminisme; dans un chapitre, quin'est pas le meilleur, les jeunes Américains,accueillant des amis d'Angleterre, font étalage demauvaises manières pour manifester leur indivi-dualité américaine. Ils se marchent sur les pieds,Joe dit des gros mots, ils se tapent sur l'épaule,déchirent la robe de la petite Anglaise; Lauriedit à Joe : "Ote-toi de là, old fellow f LesAnglais s'étouffent à moitié d'entendre un gar-çon appeler une fille: mon pote. Ils affirment defaçon enfantine et naïve une forte individualité.Les femmes sont toujours les héroïnes, au pointqu'on peut regarder ce roman comme une carica-ture : quelles mégères elles vont devenir, cessœurs March !

    Mais elles revendiquent leur féminité.Il y a aussi un passage important sur le

    mariage, encore suranné et teinté d'eau de rosé— il ne faut pas oublier qu'à cette époque la

    plupart des romans étaient fondés sur le mariagesous la forme suivante: Vais-je caser mes filles?On évoque souvent aujourd'hui le féminisme deJane Austen, qui existe, mais qui est beaucoupplus une revendication de classe : moi, la petitebourgeoise, j'ai droit à autant d'amour et à unaussi beau mariage- que l'aristocrate. La vieillefille est une malédiction; tout le roman tourneautour de la quête du mari.

    Ici, on trouve une scène où Meg est allée chezsa riche amie ; il y a eu un bal, elle s'est habillée, adansé avec Laurie, et elle a surpris ce propos dedeux commères: "Mme March conduit bien sabarque ; cette petite est pour le riche voisin".Meg raconte cela à sa mère, qui lui dit : "Ça, c'estgossip", et qui lui explique ce que signifie gossip(du commérage). Elle lui fait les deux discours, lediscours à la Jane Austen, c'est-à-dire : "Tu n'aspas le sou, tu n'as que ton gentil visage, tu asdroit à l'amour et au bonheur comme les autres,et tu l'auras". Mais elle lui dit aussi : "II y a aumonde quelque chose de merveilleux, c'est larencontre de deux êtres qui s'aiment, mais çapeut ne pas arriver, et l'on n'est pas pour cela unêtre diminué; mon but dans la vie n'est pas demarier mes filles, mais que mes filles soient heu-reuses. Il n'y a rien de pire qu'un mariage fondésur autre chose que les valeurs du cœur". Elle ledit clairement, et ce n'est pas sans intérêt; mêmesi c'est encore maladroitement exprimé.

    La chambre de May et deLouisa à Dinan. Dessin de

    May Alcolt lors d'unséjour en France en 1870.

    Autre point qui figure également, avec plus deforce, c'est la position face au travail et à l'ar-gent. C'est un roman où l'argent existe, et lanécessité de gagner sa vie. Finalement toute ladramaturgie du récit est basée là-dessus : pasd'activité stérile, vaine; ce n'est pas un activisme.Par rapport à Mme de Ségur (évidemment cesont des enfants beaucoup plus âgés), il n'y a pasle jeu, ou peu; elles ne jouent pas, parce qu'ellesn'ont pas le temps, parce que la vie n'est pas unjeu et parce qu'il n'y a pas de "faire comme si". Iln'y a pas le côté, très fascinant chez Ségur, et qui

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  • provient d'un plus grand art : cette microscopi-que société où l'on singe quelque chose qu'on nepossède pas.

    Ces quatre sœurs produisent essentiellementde l'art ; le roman s'ouvre sur une représentationde Noël ; elles font du théâtre. Puis il y a la musi-cienne et la peintre ; elles dessinent et font de lamusique. Mais derrière tout cela on voit que l'artest aussi une denrée, y compris la musique deBeth. On ne savait pas trop quoi faire de Beth,elle n'est pas très productive, elle a peur de tout,

    Louisa May Alcoll.

    alors on la fait mourir; ce n'est pas la peine delire beaucoup entre les lignes pour s'en aperce-voir. En ce qui concerne la littérature, c'est clair;au début du livre, Joe lit des romans, pleure des-sus, mange des pommes et se met elle-même àécrire des histoires, puis les vend ; ce goût immo-déré de la littérature, qu'elle consomme en mêmetemps que ses pommes et ses larmes, il doit rap-porter. Amy est désolée de ne pas arriver à êtreun grand peintre qui vendrait ses œuvres. Cen'est pas du ludique, ce n'est pas du plaisir, c'estdu productif. Le travail des petites ménagèreséconomise les heures de ménage ; elles sont face àun travail et à l'argent. Qu'est-ce qu'on va fairede l'argent? Alors réapparaissent les valeurs del'individualisme ; elles font peut-être des cadeauxquand ça leur fait plaisir, mais l'argent est pourelles, ce n'est pas pour le livret de Caissed'épargne de la famille.

    Bluette ou œuvre profonde?

    Le roman lui-même est très joli, très char-mant, les personnages sont bien typés, ce qu'ellesdisent est amusant; il est écrit de façon à la foisposée, raffinée et assez libre. On peut le rattacherà une recherche romanesque, ce que Thackeray aappelé a novel without a heroe, le roman sanshéros, où les personnages défilent et ont à peu

    près la même pondérabilité. Mais ce n'est pasexact, il y a toujours un héros qui se dessine;seulement pourquoi celui-là et pas celui-ci ? C'estvraiment le roman de la vie, et cela va tout à faitavec cette philosophie de l'instant, avec une atti-rance pour la caractérologie, un goût de la des-cription du caractère. En boutade, cela m'a faitpenser aux Trois mousquetaires, quatre tempé-raments bien caractérisés. Les sœurs sont bour-rées de citations littéraires, et se présententcomme des personnages de romans. On a voulufaire de Joe l'héroïne, mais elle n'a pas ce rôleprépondérant. Elle est simplement un caractère,dans les deux sens du mot anglais. Elle est unpersonnage parmi les autres avec son caractère,ni plus ni moins que Meg ou Amy. CependantJoe reste le personnage inoubliable. C'est peut-être le coup de génie d'Alcott d'avoir inventé letomboy (le garçon manqué), cette enfant qui,dans la puberté, déploie toutes les potentialitésde notre nature ; d'avoir montré cette gamine defaçon tout à fait charmante; c'est un tomboyparce que c'est essentiellement une femme quilaisse parler cette part que nous désironsmasculine.

    Je voudrais terminer sur la mort de Beth, quiest, comme souvent les morts d'enfant en littéra-ture, un morceau de bravoure extrêmement fai-ble, mais néanmoins très intéressant. Ni refus dela mort, ni morbidité. A celle-là devait arriver

    i ,v p

    La chambre de May à Paris,dessin de Mav Alcali, 1877.

    cette aventure, la mort; elle le pressent; Joe faitdu délire d'interprétation à propos de la tristessequ'elle sent chez sa sœur et qui est uniquement lepressentiment de sa mort. Étant donné qu'on estdans la philosophie de l'instant et du présent, laseule chose que l'on puisse dire (et Louisa Alcottle dit), c'est que cette aventure lui est arrivée unpeu tôt, donc nous en souffrons. Il n'y a pas derefus de la mort car elle a pleinement lieu ; il n'y a

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  • pas de morbidité non plus, dans la mesure oùc'est l'instant qui importe : l'instant est l'aventurequ'on vit. L'aventure qu'a vécu Beth, ça a été samort ; l'aventure que les autres ont vécu a été lamort de Beth. Maintenant que Beth n'est plus là,le culte s'arrête immédiatement. Nous sommeschez les protestants, et il n'y a pas d'image sainteau mur, et pas même de prêtre; on ne va pascommémorer sa mort, il n'y a plus rien.

    Je ne sais pas ce qu'aujourd'hui on peut dire etfaire de cette œuvre. A ma connaissance deuxfilms importants ont été tournés à Hollywood,dont un, très beau, avec la grande KatharineHepburn dans le rôle de Joe. Il y en a eu unautre, en technicolor, avec de bonnes comé-diennes, qui est le film hollywoodien des annéescinquante par excellence. Ça n'a pas été telle-ment adapté; ce n'est d'ailleurs pas très adapta-ble comme a pu l'être le Livre de la jungle. Oubien on accepte ces quatre petites filles réalistes,quoique très idéalisées, ou on ne les accepte pas.

    Les quatre filles du docteurMarch, vues par Akos Szabo.

    Livre de Poche Jeunesse

    Des Petites Femmes aux QuatreSœurs

    II n'existe pas actuellement de traduction inté-grale de Little Women.

    L'édition Hetzel, publiée en 1880, propose untexte traduit par Lermont et "arrangé" par l'édi-teur qui la signe de son pseudonyme habituel : P.J. Stahl.

    Cette adaptation, remarquablement infidèle,gomme, atténue, francise, enjolive, n'hésitantpas à glisser dans les cadeaux de Noël rêvés parles petites March les œuvres de Jules Vernepubliées dans les collections de la maison.

    Depuis, on tend à supprimer deux ou troischapitres typiquement anglo-saxons, avec lesréférences au Pickwick-Club de Dickens et sur-tout au Pilgrim Progress de Bunyan, ce voyageallégorique d'une âme puritaine, qui fut uneseconde Bible pour les Anglais d'autrefois.

    Il manque aussi dans les éditions françaisesl'argot de Joe, les approximations amusantes dela petite Amy, qui prend volontiers un mot pourun autre et, d'une façon générale, ce qui risque-rait de dérouter les jeunes lecteurs françaisd'aujourd'hui.

    Un effort avait été fait chez G.P., dans unetraduction non signée, pour évoquer au moinscertains passages traditionnellement omis, maisle ton guindé ne sonne pas juste : imagine-t-onles sœurs March se disant "vous"?

    Nous avons signalé plus haut, dans les livresnouveaux, page 10, la nouvelle version qui vientde paraître au Livre de Poche Jeunesse.

    Pour en savoir davantage sur les problèmes detraduction, le lecteur se reportera à l'étuded'Anne-Marie Soulier dans la revue JanusBifrons, n°2.

    Des sœurs Alcott aux sœurs March

    Quant à la vie de Louisa Alcott, de sa sœurcadette May (qui vint suivre à Paris des cours àl'École des Beaux-Arts), de la famille et de sonentourage, il faut lire les ouvrages américains,souvent enrichis d'une précieuse iconographie.

    Les documents dont nous avons illustré l'arti-cle d'Isabelle Jan sont reproduits, avec beaucoupd'autres, dans trois de ces livres, passionnantspour qui s'intéresse aux sœurs Alcott et, pluslargement, à la vie américaine au xixe siècle:

    Louisa May Alcott, her life, letters and jour-nals. Little, Brown and C° (portraits, photo deFruitlands).

    May Alcott, a memoir, par Caroline Ticknor.Même éditeur (dessins de May Alcott).

    A Thoreau profile, par Milton Meltzer et Wal-ter Harding. T.Y. Crowell Company (vue deConcord).

    S.L.

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