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L L E E C C O O N N O O M M I I E E S S O O C C I I A A L L E E E E T T S S O O L L I I D D A A I I R R E E U U N N E E R R E E P P O O N N S S E E A A U U X X E E N N J J E E U U X X I I N N T T E E R R N N A A T T I I O O N N A A U U X X Sous la direction de Thierry Jeantet Et la coordination d’Anne-Marie Wioland-Sahabana Association Les Rencontres du Mont-Blanc Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire

LL’’EECCOONNOOMMIIEE SSOOCCIIAALLEE EETT ......lEconomie Sociale et Solidaire (ESS) rend possible dentreprendre autrement, en cohérence avec un objectif global de développement

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LL’’EECCOONNOOMMIIEE SSOOCCIIAALLEE EETT SSOOLLIIDDAAIIRREE

UUUNNNEEE RRREEEPPPOOONNNSSSEEE

AAAUUUXXX EEENNNJJJEEEUUUXXX

IIINNNTTTEEERRRNNNAAATTTIIIOOONNNAAAUUUXXX

Sous la direction de Thierry Jeantet

Et la coordination d’Anne-Marie Wioland-Sahabana

Association Les Rencontres du Mont-Blanc

Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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RMB

Association de loi 1901 pensée en 2004, fondée en octobre 2005

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Association Les Rencontres du Mont-Blanc

Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire

L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE

UNE REPONSE AUX ENJEUX INTERNATIONAUX

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Conçu par nos soins, 2012

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SSOOMMMMAAIIRREE

Sommaire ..................................................................................................................................... 5

Présentation de l’association ..................................................................................................... 6

CHAPITRE I : L’Economie Sociale et Solidaire sur la scène politique internationale ............ 7

Lettre aux Chefs d’Etat ............................................................................................................ 9

Intervention de Michel Rocard à la 5ème édition des Rencontres du Mont-Blanc ............. 18

Les attentes du Sommet de la Terre Rio+20, article collectif France, Sénégal, Canada.. 28

Chapitre II : Les solutions de l’Economie Sociale et Solidaire pour la sortie des crises .... 31

L’économie sociale et solidaire : un nouveau système économique,

par Nicolas Cruz Tineo, République Dominicaine .............................................................. 33

Les réponses de l’économie sociale et solidaire aux besoins sociaux dans le monde,

par Abdou Salam Fall, Sénégal ............................................................................................. 55

L’urgence écologique, le principal défi de l’économie sociale et solidaire,

par Louis Favreau, Canada ................................................................................................... 66

Chapitre III : Quelles pistes pour l’Economie Sociale et Solidaire de demain ?................... 80

La communication est essentielle dans l'économie sociale et solidaire,

par José Maria Garriga, Argentine ....................................................................................... 82

L’enjeu de la formation en économie sociale et solidaire, article collectif

par les membres du « Groupe RMB avec les jeunes pour l’ESS », multi-pays ................ 94

L’économie sociale, solidaire : une approche sociétale,

par Thierry Jeantet, France ................................................................................................. 110

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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PPRREESSEENNTTAATTIIOONN DDEE LL’’AASSSSOOCCIIAATTIIOONN

Les Rencontres du Mont-Blanc – Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire,

est une association de loi 1901 créée en 2005, de la volonté de dirigeants d’entreprises sociales et

solidaires de France et du Québec de se rassembler pour co-construire des projets conciliant efficacité

sociale, civique, environnementale et économique. Les RMB veulent apporter la preuve par l’exemple que

l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) rend possible d’entreprendre autrement, en cohérence avec un

objectif global de développement durable.

L’association se veut internationale et s’est donné les moyens, en cette année 2012, de renforcer cette

internationalisation. D’une part avec l’adoption de nouveaux statuts plus enclins à l’adhésion de structures

d’ESS de tous pays et de tous niveaux de revenus, d’autre part par une présence plus fortement marquée

sur la scène internationale (présentation de ses travaux au siège de l’ONU à New York en mars,

accréditation par l’ONU en mai, participation au Sommet de la Terre Rio+20 à Rio de Janeiro en juin).

L’Economie Sociale et Solidaire est, de par sa nature intégrative et de rassemblement, « transfamilles » et

« transfrontières », en ce qu’elle peut faire travailler conjointement des structures différentes

(associations, coopératives, fondations, mutuelles), de secteurs différents et de tous pays.

Les Rencontres du Mont-Blanc - Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire

entendent favoriser la visibilité et la reconnaissance internationale de l'économie sociale et solidaire.

∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞

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CCHHAAPPIITTRREE II ::

LL’’EECCOONNOOMMIIEE SSOOCCIIAALLEE EETT SSOOLLIIDDAAIIRREE SSUURR LLAA SSCCEENNEE

PPOOLLIITTIIQQUUEE IINNTTEERRNNAATTIIOONNAALLEE

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Contexte de la rédaction et transmission de la lettre aux Chefs d’Etat

Le contenu de la Lettre aux Chefs d’Etat qui suit est tiré de la synthèse du pré-

rapport d’orientation de la cinquième édition des Rencontres du Mont-Blanc

2011. Les 20 propositions qu’elle contient ont été discutées, débattues,

enrichies au cours des trois journées qui ont rassemblé plus de 240 dirigeants

et acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire de près de 40 pays différents et

finalement adoptées pour devenir les 20 propositions de l’ESS internationale à

faire connaître sur la scène politique à l’occasion du Sommet de la Terre Rio+20.

Première historique dans l’histoire de l’Economie Sociale et Solidaire, cette « Lettre » a été adressée aux

193 Chefs d’Etat membres de l’organisation des Nations-Unies entre février et mai 2012. Elle a été

présentée par des acteurs de l’ESS, au siège de l’organisation des Nations-Unies puis à Rio de Janeiro.

Ainsi, les dirigeants et décideurs du monde entier, les représentants des grandes organisations

internationales et la société civile ont pris connaissance de ces 20 propositions dont la mise en œuvre

peut être immédiate et représente une réelle alternative au modèle économique dominant.

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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale

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Lettre aux Chefs d’Etat

Chamonix, le 12 novembre 2011

Association les Rencontres du Mont-Blanc

Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale

A l’attention de Mesdames et Messieurs les Chefs d’Etat

Membres de l’Organisation des Nations-Unies

Objet : Cinq chantiers et 20 propositions des dirigeants de l’Economie Sociale

pour changer de modèle à l’heure de RIO+20

Mesdames et Messieurs les Chefs d’Etat,

Le Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale, intitulé Les Rencontres du Mont-Blanc, a élaboré et

adopté à l’unanimité, les 10, 11 et 12 novembre 2011, un document d’orientation dont la présente synthèse vous est

adressée ainsi qu’aux autres Chefs d’Etat qui participeront au sommet de Rio 2012 sur le développement durable.

Notre identité collective :

Liberté d’adhésion, gestion démocratique (une personne, une voix), juste répartition des excédents, épanouissement

des personnes, indépendance vis-à-vis des États, sont les principes qui forgent l’identité de l’économie sociale. Guidé

par ces valeurs fortes, cette composante de l’économie qui représente 10% du PIB mondial, 10% des emplois et 10% de

la finance agit dans de nombreux domaines d’activités, dans une zone d’échanges marchands et non marchands.

Les participants des Rencontres du Mont-Blanc, sachant que l’économie sociale, reposant sur l’implication des

personnes et dans le respect de son environnement, constitue une voie de solution mondiale pour "mieux vivre

ensemble" en organisant des solutions de gestion collective de nos ressources rares, souhaitent que vous preniez en

compte celle-ci dans vos discussions et décisions.

Notre légitimité à vous interpeller :

Le projet des différentes familles de l’économie sociale et solidaire (ESS) déborde très largement du champ

économique. Il vise depuis ses origines l’instauration d’une société plus équitable, plus solidaire, plus démocratique par

la mise en œuvre de projets de long terme qui prennent désormais en compte la dimension écologique. On ne peut

dissocier son projet économique (s’associer pour entreprendre) de son projet social (justice et démocratie) et donc on ne

peut réduire son rôle, son poids et sa contribution aux seuls indicateurs économiques de la richesse, au nombre

d’entreprises qu’elle a créées et au nombre d’emplois générés. Bref, son seul poids économique est loin de suffire à la

définir.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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L’ESS est partie prenante de la construction d’une alternative crédible à l’économie libérale, par son rôle social et

écologique et l’impact de son projet, de son éthique, de son mode de gouvernance, de ses réalisations et de son

influence sur les autres acteurs de la planète économique (entreprises publiques ou entreprises du secteur marchand).

Le libéralisme démontre ses limites de plus en plus intensément du Nord au Sud, et des Nords aux Suds, et s’avère

favorable à l’émergence de l’économie sociale comme vecteur de solutions et d’alternatives possibles; les entreprises,

les organisations de l’ESS entendent se positionner plus et mieux sur la scène économique mondiale afin de prouver

que les stratégies de mise en œuvre d’un modèle repensé qu’elles proposent sont incontournables. Les actions de l’ESS

et leur portée expriment la volonté de changer d’échelle. Sans vouloir substituer un modèle unique au modèle dominant,

l’ESS peut contribuer à le dépasser et à infléchir l’ensemble de l’économie en démontrant par sa pratique, ses valeurs et

ses politiques, sa capacité à assumer complètement les enjeux d’un développement durable, c’est-à-dire d’un

développement économiquement viable, socialement équitable et écologiquement durable, et créateur d’emplois de

qualité dans une économie au service du bien vivre dans le monde d’aujourd’hui.

Nous avons donc décidé de vous interpeller en nous fédérant solidement tant sur le plan national qu’international. Notre

organisation propose 20 engagements de la part des chefs d’Etat, des pouvoirs publics dont elle veut être un

partenaire en collaboration avec d’autres acteurs notamment les institutions internationales et les autres acteurs

économiques.

A partir d’une analyse de la crise actuelle (disponible sur simple demande auprès de l’association des Rencontres du

Mont Blanc), construite avec des chercheurs du monde entier ayant observé nos projets respectifs dans les différents

domaines d’activités, nos contributions s’inspirent des meilleures pratiques de l’expérience internationale de l’ESS

autour de cinq chantiers. Ces cinq chantiers traduisent de manière opérationnelle les pistes de sortie de crises

précédemment évoquées :

1) démocratiser l’économie et réguler la finance;

2) promouvoir un mode de gouvernance partagée ;

3) offrir de nouveaux choix sociaux;

4) mieux nourrir la planète ;

5) réorienter la mondialisation pour l’humaniser.

Ces 5 chantiers et donc nos 20 propositions (cf. ci-après) sont ancrés autour d’un fil rouge : faire mouvement par une

action politique fédérative en alliance avec d’autres organisations et institutions, notamment en obtenant la création d’un

« Major Group » de l’Economie Sociale.

Thierry JEANTET,

pour le Forum International des dirigeants de l’Économie Sociale.

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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale

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Premier chantier : démocratiser l’économie, favoriser sa territorialisation et réguler la finance

Les institutions internationales ont longtemps été prisonnières d’une définition trop restrictive du

développement trop longtemps associé à la seule croissance. Repenser l’économie, c’est d’abord,

à notre avis, miser sur un type d’entreprises qui favorisent les territoires et le cadre de vie des

populations: des entreprises à propriété privée et collective. Autrement dit il faut accélérer le

renforcement d’une économie non capitaliste.

C’est pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat et à leurs gouvernements :

• de favoriser par tous les moyens le développement d’un vaste secteur non capitaliste

d’entreprises d’ESS fonctionnant de façon démocratique autour des enjeux de la crise globale que nous

traversons., par l’affirmation universelle de la pluralité des formes d’entreprendre à travers la

reconnaissance législative des statuts coopératifs, mutualistes, associatifs et des fondations par l’adoption

de lois-cadres sur l’ESS et par la définition d’un signe de reconnaissance de l’ESS à travers un label, la

définition d’indicateurs et de critères d’appartenance à l’ESS (proposition 1)

• de soutenir fortement la prise ou la reprise de contrôle des biens communs à travers des modes

de gestion collective (eau, terre, ressources naturelles…) par les communautés et les États à partir, plus

particulièrement, du développement de coopératives, de mutuelles et d’associations. En effet, l’économie

sociale, évolutive, a la capacité de créer de nouvelles formes d’entreprises et d’organisations, sous des

formes de propriété à la fois collective et privée qui assurent mieux une durabilité aux entreprises et

organisations (formes coopératives, associatives, mutualistes) et une accessibilité à des biens et services

(semences libres, logiciels libres…)(proposition 2)

• de soutenir avec plus de force la «biodiversité» de l’économie, l’entrepreneuriat collectif et le

développement durable et solidaire des territoires par des politiques et des législations qui leur sont

favorables. Nous renforcerons ensemble, sur la base de nos objectifs communs, les liens entre l’ESS,

l’Etat et les collectivités territoriales, en nouant des partenariats étroits, tant à l’échelle nationale que

locale, en s’appuyant sur l’ancrage territorial des coopératives, mutuelles, associations et fondations, pour

favoriser l’accès des jeunes à l’emploi ou encore soutenir le développement de réponses adaptées aux

nouveaux besoins. (proposition 3)

• de vous engager résolument dans la régulation forte de la finance, par l’adoption d’une position

commune de lois sur la taxation des transactions financières, et en vous appuyant sur notre

expérience en la matière. En effet, depuis un bon moment déjà, nous nous affairons à développer une

finance propre à l’ESS ou favorable à celle-ci dans le soutien au développement de nouvelles entreprises

collectives (fonds de travailleurs, orientation des placements financiers de l’ESS vers l’ESS grâce à des

critères sociaux, environnementaux et de gouvernance, programmes publics et internationaux

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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d’accompagnement des entreprises collectives en démarrage, instituts de financement de l’ESS…)

(proposition 4)

Pour vous y aider, nous appelons de notre côté et en notre sein, les Banques coopératives et mutualistes

et les banques alternatives à soutenir localement les initiatives entrepreneuriales, solidaires,

environnementales de l’ESS et à créer des outils communs pour financer les projets continentaux et

internationaux de l’ESS. Et les Etats comme les grandes banques internationales à nouer des partenariats

avec elles en ce sens.

•de choisir chaque fois que l’intérêt général le demande, une autre voie, celle de l’ESS, car vos

possibilités concernant les secteurs stratégiques et/ou sensibles ne se résument pas à un choix bipolaire

(privatisations vs. nationalisation). (proposition 5)

Deuxième chantier : Promouvoir un mode de gouvernance partagée

Les générations des dernières décennies sont beaucoup mobilisées par l’écologie sociale et la

solidarité internationale. Cependant l’équation de base qui a émergé dans l’histoire du mouvement

ouvrier n’a pas perdu de son actualité : il faut recroiser sans cesse justice sociale, efficacité

économique et démocratie à partir des défis de la période qui s’ouvre.

C’est pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat et à leurs gouvernements:

• de contraindre toutes les entreprises (publiques, marchandes, collectives) à rendre compte non

seulement de leur création de richesses sur le plan économique mais aussi de leur utilité sociale

et de leur empreinte écologique afin de diriger toutes les activités vers une économie responsable. De

notre côté, nous serons de la partie, en tant qu’entreprises et organisations de l’ESS, en poursuivant avec

d’autres le travail de recherche permettant de mettre en place de nouveaux indicateurs de richesse et

voulons généraliser le recours à des outils d’évaluation de la performance, non plus restreinte aux seuls

apports économiques mais valorisant également les plus-values sociales et environnementales (bilans

sociétaux). Ceci au sein même de nos structures, mais également en tant que financeurs, dans nos

processus de sélection des placements et investissements. (proposition 6)

• d’agir pour préserver notre modèle de gouvernance spécifique, chaque fois qu’il existe, pour

assurer son respect à l’échelle internationale. De notre côté, nous favoriserons votre engagement en

associant les parties prenantes (salariés, consommateurs, etc.) à la gestion de nos entreprises et

structures de l’ESS, en le renforçant et le modernisant pour l’adapter aux nouvelles réalités et garantir

ainsi le fonctionnement participatif de nos organisations. Notre mode de gouvernance démocratique des

entreprises d’ESS intégrera des objectifs sociaux, civiques et environnementaux au-delà même des règles

de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). (proposition 7)

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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale

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• d’encourager systématiquement le développement du mouvement de la consommation

responsable et du commerce équitable par des politiques publiques et des accords internationaux

(proposition 8).

Troisième chantier : offrir de nouveaux choix sociaux

L’État social, dans les pays du Nord en général, est partiellement tombé en crise parce qu’il n’est

pas parvenu à sortir de la précarité quelques 20 % de sa population active, parce qu’il a exclu la

plus grande partie des citoyens et des travailleurs des processus de construction des grands

services publics destinés aux communautés et aux régions (éducation, santé, formation de la main

d’oeuvre…). Simultanément, l’État social, dans nombre de pays du Sud, s’est littéralement

effondré sous l’impact des programmes d’ajustement structurel. Aujourd’hui le « fondamentalisme

de marché » est un échec car il ne parvient pas à démontrer qu’il peut faire mieux que l’État dans

nombre de domaines par la privatisation de la santé, par le ciblage de la protection sociale, par la

valorisation de l’assurance privée.

C’est pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat et à leurs gouvernements :

• de soutenir, au Sud, la refondation d’États sociaux, notamment par une collaboration avec nos

initiatives d’ESS qui contribuent à solidifier un développement endogène tout particulièrement en matière

d’agriculture, d’épargne et de crédit, de santé et d’habitat. (proposition 9)

• de travailler à renouer au Nord avec un Etat social lié à ses territoires (régions) et à ses

communautés par une participation citoyenne organisée dans la délibération sur les choix des

priorités locales et régionales (en matière de santé, d’éducation, d’habitat, de services sociaux…), dans le

respect du pluralisme et de la diversité à la base de toute relation humaine. (proposition 10)

• de soutenir, partout et avec nous :

- la vie associative productrice de lien social qui est indispensable, notamment par la création

de nouveaux services collectifs telles que des coopératives sociales dans des secteurs comme la santé,

l’éducation, l’habitat… et que ceux-ci doivent émerger d’une cohabitation active des États, collectivités

locales, territoriales, avec les initiatives citoyennes : délégation de services publics, etc.

- le développement de pôles collectifs de développement social (coopératives couveuses

d’activités, associations, coopératives d’artisanat, structures d’aide à l’insertion par l’activité

économique...), afin de systématiser les passerelles entre la sphère économique et la sphère sociale,

entre le secteur marchand et le secteur non marchand,

- les initiatives pour faire de l’ESS un espace de rencontres et de production d’ententes de

partenariat. (proposition 11)

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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• de renforcer les solidarités intergénérationnelles au sein de vos pays par l’appui apporté aux

entreprises et organisations de l’ESS, dont les fonds propres indivisibles assurent la durabilité (non

opéables, non délocalisables). (proposition 12)

• de soutenir nos initiatives d’ESS de démultiplication de la formation des futurs acteurs de notre

développement, en lien étroit avec le monde universitaire et de la recherche, notamment par la

création de centres internationaux de formation de dirigeants de l’ESS. En effet, l’ESS doit permettre aux

nouvelles générations de participer à la gestion du système socio-économique, en ce qu’elle peut

constituer une voie d’accès aux responsabilités. (proposition 13)

• d’instaurer la reconnaissance au niveau mondial du principe universel de l’égalité Hommes-

Femmes et à mettre en place des politiques publiques concrètes en faveur du droit à l’éducation, à la

formation, à la santé, au travail…, à dégager les budgets nécessaires à leur mise en œuvre et assurer

leur évaluation. De notre côté, nous nous engageons à ce que les acteurs de l’ESS accentuent leurs

efforts et dispositifs en faveur de l’égalité hommes/femmes, dans le partage des responsabilités comme

des richesses créées notamment en développant des solidarités entre les organisations de l’ESS.

(proposition 14)

Quatrième chantier : Mieux nourrir la planète

La question écologique est en train de s’imposer dans le débat démocratique tant au plan national

qu’au plan international. Les réponses à l’urgence écologique sont partie prenante d’une

proposition centrale de l’ESS pour la sortie de la crise.

C’est pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat et à leurs gouvernements :

• de mettre en place, prioritairement, par une éco-fiscalité appropriée, la conversion écologique de

votre économie dans l’habitat (efficacité énergétique) et dans le transport (collectif et public) en

collaboration avec les organisations et entreprises de l’ESS, en misant en priorité sur les énergies

renouvelables (l’éolien, la biomasse, le solaire, le géothermique…) et le retrait, sinon le contrôle, de

l’exploitation des énergies fossiles (gaz de schiste, pétrole…) en collaboration avec les organisations et

entreprises de l’ESS. (proposition 15)

• de construire et mettre en œuvre des politiques de soutien à une « agriculture écologiquement

intensive » et à un aménagement intégré des forêts qui doivent s’arrimer aux organisations paysannes

et aux coopératives agricoles et forestières qui innovent dans ces domaines (biomasse, reforestation…).

Nous soutiendrons vos politiques en ce sens en appelant nos coopératives et organisations paysannes à

collaborer et à se solidariser afin de placer l’innovation au cœur de leurs activités tout en s’assurant de

maintenir leur indépendance vis-à-vis des Etats et des communes. (Proposition 16)

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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale

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• d’appuyer résolument, de concert avec les institutions internationales le droit des peuples à la

souveraineté alimentaire en sortant l’agriculture et la forêt des règles internationales du «tout au

marché» dont elles sont prisonnières. (proposition 17)

• d’impulser et réaliser une politique très volontariste de protection des écosystèmes :

- en reconnaissant et en protégeant les diverses formes de gestion des ressources naturelles,

matérielles et immatérielles, que forme l’éventail des biens communs.

- en s’appuyant et en promouvant l’ESS pour passer d’une économie axée sur le maximum de

profit à une économie durable.

- en menant, avec les citoyens, la nécessaire « révolution bleue », par la promotion d’une

« économie bleue » recherchant la préservation des ressources en eau et le principe de précaution dans

son utilisation. (proposition 18)

Cinquième chantier : Réorienter la mondialisation pour l’humaniser

Ces nombreuses pistes n’ont peut-être rien d’une grande transformation à première vue, mais,

mises ensemble, elles permettent d’ouvrir la voie à une économie au service de la société et donc

de sortir dans les faits, même si ce n’est que partiellement, du capitalisme, de ce «tout au marché»

tout en nous préservant par les dispositifs de la démocratie participative du « tout à l’État ». Il faut

prendre acte des alternatives qui sont déjà là dans des dizaines de milliers d’expériences évoluant

à différentes échelles (locales, nationales, transnationales).

C’est pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat et à leurs gouvernements :

• d’intensifier leur encouragement à la solidarité internationale, tout particulièrement la solidarité

Nord-Sud et Sud-Sud, celle qui favorise le développement de nouveaux partenariats entre

coopératives, mutuelles, fonds de travailleurs, associations, syndicats…. En effet, l’ESS constitue

un vecteur d’intégration de l’économie populaire (dite parfois informelle) dans le système économique

mondial. Ses principes et ses valeurs permettent la mutation de structures informelles en entreprises

d’économie sociale (coopératives, mutuelles, associations…). Pour cela, les Etats doivent favoriser et

inciter ce basculement. (proposition 19)

• d’encourager le développement de stratégies de renforcement de pôles continentaux et

internationaux d’ESS. C’est à ce niveau que se situe le Forum international des dirigeants de l’économie

sociale dans son travail avec des organisations comme l’Alliance coopérative internationale (ACI),

l’Association internationale de la mutualité (AIM) et divers réseaux continentaux de l’ESS…, lequel doit

consister à croiser et interconnecter les réseaux d’ESS existants, nationaux, régionaux, transnationaux,

continentaux. (proposition 20)

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Pour mettre en œuvre ces chantiers et réaliser ces propositions : nous ferons mouvement par une

action politique fédérative

Afin d’aider aux décisions ci-dessus et à leur mise en pratique, nous croyons nécessaire, aujourd’hui

davantage qu’hier, d’exercer une présence plus forte dans l’espace public et des prises de position sur

des questions de société (ce document en témoigne tout comme les Rencontres du Mont-Blanc que nous

organisons depuis 2004). Près de 450 personnes venues de 60 pays ont participé aux Rencontres du

Mont-Blanc depuis 2004.

C’est pourquoi nous soutiendrons davantage la dimension confédérative internationale des organisations

de l’ESS pour lui assurer plus de poids politique (ACI, AIM…), nous favoriserons la confrontation

d’expériences à l’échelle mondiale, de manière à donner à ces réseaux, les outils nécessaires au

développement de projets transnationaux, car l’internationalisation de ces pratiques doit être multipliée..

Pour ce faire, nous exprimons notre volonté de faire mouvement dans la prochaine décennie avec

d’autres organisations (syndicales, écologiques, paysannes…) en instaurant un débat permanent autour

de cette plate-forme de propositions (sociales, économiques et écologiques) dans la mouvance de cette

grande rencontre internationale qu’est RIO+20.

En espérant que ces 5 chantiers et 20 propositions apparaissent dans vos conclusions.

∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞

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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale

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L’auteur : Michel Rocard, France

Secrétaire National du Parti Socialiste Unifié français (PSU)

de 1967 à 1973, Michel Rocard a été élu député des Yvelines

en 1968, puis réélu en 1973 et en 1986. Il sera également

Sénateur des Yvelines de 1995 à 1997.

Michel Rocard entre au Gouvernement français en tant que

Ministre d’Etat, Ministre du Plan et de l’Aménagement du

Territoire, fonctions qu’il occupe de 1981 à 1983, puis il est

nommé Ministre de l’Agriculture, de 1983 à 1985. Le 10 mai

1988, il est nommé Chef du Gouvernement français, fonction qu’il occupera jusqu’en 1991. En 1993,

Michel Rocard prend la direction pour un an du Parti Socialiste en tant que Premier Secrétaire.

Il est élu Député européen en 1994, puis réélu à cette fonction en 1999 et en 2004. Il préside plusieurs

commissions au Parlement européen : il est élu Président de la commission du Développement en 1997,

Président de la commission de l’Emploi et des Affaires Sociales en 1999 et Président de la commission de

la Culture, de la Jeunesse, de l’Education, des Médias et des Sports en 2002. Il démissionne de

l’institution le 1er février 2009.

Depuis le 1er Avril 2009, Michel Rocard assure les fonctions d’Ambassadeur pour les pôles.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Intervention de Michel Rocard à la 5ème édition des Rencontres du

Mont-Blanc

12 novembre 2011, Chamonix

C’est la première fois qu’il m’est donné de participer à vos Rencontres du Mont-Blanc. Ça me fait un plaisir

considérable. À la différence de la plupart d’entre vous, je ne suis pas un travailleur de l’Economie

Sociale, je n’y ai pas d’activité professionnelle permanente, je n’en ai jamais eue. Il s’agit chez moi d’une

découverte ou d’une passion. Du fait que mon occupation principale aujourd’hui dans la vie est la

coopération internationale, cela m’éloigne beaucoup de vous. Si bien que voilà au moins une quinzaine,

sinon une vingtaine d’années, que je n’avais plus suivi l’évolution de l’Économie Sociale, sa dynamique au

sein de ses différents familles, sa croissance dans mon pays et dans les vôtres. Et par conséquent, je suis

arrivé ici en recherche de quelques surprises.

Et, d’après ce que je découvre, en vous écoutant, d’après ce que je découvre en lisant les documents

préparatoires à cette rencontre, je m’aperçois que vous êtes en train de cristalliser un grand progrès.

Naturellement, l’Économie Sociale est un ensemble d’institutions plutôt modestes, ça fonctionne plutôt

lentement, ça ne croît jamais assez vite pour satisfaire nos inquiétudes, nos espérances, et nos volontés

de les faire aboutir. Mais ça ne recule pas. Ça croît. Et quand je lis les documents d’orientation qu’on vous

a remis à l’entrée, je découvre cinq points pour moi majeurs assez largement nouveaux.

L’ampleur mondiale de l’Economie Sociale et le rapprochement de deux mouvances

Les deux premières découvertes, c’est déjà que ces documents et ce que je viens d’entendre à la tribune

un peu rapidement, expriment une prise de conscience à l’effet qu’il s’agit d’un projet d’ampleur

mondiale, une prise de conscience de la dimension mondiale, des valeurs et des propositions de

l’Économie Sociale. C’est un pas en avant déjà considérable.

Je note aussi l’aboutissement d’un problème qui nous avait beaucoup gêné et que je décrirai comme la

réconciliation, l’approfondissement de la relation mutuelle entre les vieilles mouvances solennelles de

l’Économie Sociale, leurs aspects presque académiques, le grand mouvement coopératif, le grand

mouvement mutualiste et cette floraison incroyable qu’on a appelé les entreprises intermédiaires, qu’on a

appelé l’Économie Solidaire, cette multiplication d’initiatives très nouvelles, qui faisaient parfois un peu

peur aux vieux solennels de la coopération et de la mutualité. Lorsqu’en France, le mouvement vert a reçu

une responsabilité ministérielle à ce titre et a demandé à s’appeler l’Économie Sociale et Solidaire, ça a

surpris, ça a gêné le chef du Gouvernement. Mon vieux copain Lionel Jospin a répondu « c’est trop long »

alors ils ont décidé que ce serait le secrétaire d’État seulement à l’Economie Solidaire. C’était

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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale

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sympathique, chaleureux, novateur mais dans ma tête à moi, l’inquiétude a surgi de voir se recreuser le

fossé entre l’innovation parfois teintée de gauchisme, les entreprises intermédiaires, le fabuleux travail fait

par ce secteur dans la réinsertion de ceux qui ont perdu non seulement du travail mais toute relation avec

le fait de travailler, de se lever tôt, d’avoir une embauche, et le fait de rompre avec la haute tradition

pluriséculaire maintenant des coopératives et des mutuelles. Je suis heureux, le rapprochement est fait,

on parle ensemble, les valeurs évoquées sont les mêmes, je n’ai plus retrouvé -j’ai dû lire 60 ou 80 pages

de vos travaux communs- je n’ai plus retrouvé la trace de cette distinction, c’est un pas en avant

considérable et surtout on a échappé à un drame.

Une autre découverte : l’importance accordée à l’économie populaire du Sud

Et puis, je voudrais dire aussi que ces travaux montrent une découverte assumée que l’Économie

Populaire en Afrique, c’est-à-dire l’économie qu’on appelle informelle. Je dois vous dire ici que je suis un

vieux combattant du combat sémantique, du combat de vocabulaire, car dans la notion d’«informel», il y

avait aussi la prostitution, les trafics d’armes, les trafics de diamants, les trafics de pierres précieuses…

C’est un nom de colonisateur de qualifier l’économie populaire d’«économie informelle», c’est un nom de

mépris. Or, en droit, il faut nommer ce que l’on combat. Je veux bien qu’on appelle «informels» le trafics

d’armes ou la prostitution, mais l’Économie Populaire, elle, elle est salubre. Et il faut l’aider à grandir, il

faut l’aider à se stabiliser, il faut l’aider à s’officialiser, à la condition que le fait de s’officialiser ne lui vaille

pas un massacre fiscal. J’ai aimé beaucoup voir la trace de ce combat-là à propos de l’Économie

Populaire, laquelle fait vivre un ou deux milliards d’hommes, de femmes et d’enfants sur la planète, ce qui

est parfaitement intégré dans vos travaux dans la perspective générale de l’Économie Populaire. C’était

pour moi une découverte tout à fait considérable.

L’Economie Sociale, une alternative au capitalisme

J’ai découvert aussi dans ces travaux la conscience enfin exprimée qu’il y a là une forme alternative à ce

capitalisme qui nous a vaincus, voici près d’un bon siècle, et qui est en train de s’effondrer, ou de vaciller,

ou de craquer sous nos yeux. Cette crise mondiale dont on parle beaucoup des aspects financiers et

jamais des aspects qui se traduisent par le fait que dans tous les pays développés aujourd’hui -bonne

chance aux autres, bonne chance aux émergents- dans tous les pays développés, à peu près 30% de la

population est soit au chômage, soit en travail précaire, soit même pauvre, c’est-à-dire même pas

chômeur, même pas précaire. C’est ça le cœur de la crise économique, et c’est ça l’amorce de ce

transfert de pouvoir d’achat qui, partant du monde des salariés qu’il quitte, traduit un abaissement de la

consommation, de la vitesse de la croissance, donc de l’emploi, pour aller vers la spéculation financière,

avec des sommes qui se traduisent par plusieurs dizaines de « T », puisque l’unité qu’emploient

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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maintenant les financiers qui commentent la crise, c’est le « T », « T » pour trillions de dollars. Plusieurs

dizaines de milliers de milliards de dollars. Toute cette dette qui ne sera naturellement jamais remboursée.

Devant cette folie qui intégralement menace le monde, il y a prise de conscience. Je rencontre maintenant

enfin, des journalistes à la quête de solutions de remplacement. Il est clair que l’Économie Sociale en

représente une. Cette prise de conscience est faite, elle est traduite dans vos documents. C’est un

changement de dimension et de responsabilité tout à fait considérable.

Et puis enfin, l’affirmation que la crise du capitalisme financier donne à l’Économie Sociale des

opportunités techniques, pratiques, beaucoup plus grandes que sans doute elle n’en a jamais eues

jusqu’à présent. Mes amis, dans l’Économie Sociale, on vit toujours du regret de la petitesse et de

l’insuffisance de nos forces. Ça fait du bien de revenir vous regarder quelques décennies plus tard. Ce

que je viens de résumer ce sont déjà des pas de géant, et je voulais en souligner l’importance.

Des années 1980 à aujourd’hui : la lente remontée de l’Économie Sociale en France

Vous me permettrez -les Français savent tout ce que je vais raconter maintenant en quelques minutes-

pour vous qui ne l’êtes pas en majorité, de vous dire comment ça s’est passé de notre côté, puisque nous

sommes le pays hôte aujourd’hui. J’ai beaucoup d’inconvénients à parler de l’Économie Sociale, car je n’y

travaille pas. Un deuxième inconvénient, c’est quand même que je suis un peu vieux, je suis né en 1930,

je n’ai plus la mine chaleureuse militante de l’adolescence, et ça explique que dans ma jeunesse, je suis

devenu socialiste juste après la guerre, dans une démarche contre la guerre.

Dans mon pays, à cette époque, le socialisme de chez nous allait très mal car, à peine sortis de la guerre,

la France lançait déjà des campagnes de reconquête militaire de notre empire colonial perdu. C’était un

déshonneur flagrant. Certains se souviennent peut-être du scandale des vins, bref le Parti socialiste de

France n’était déjà pas très honorable. Et puis je m’ennuie, et je m’aperçois que ce parti a une insertion

faible dans la population. Je suis un des rares de cette génération chez les socialistes, qui a fréquenté les

écoles d’été de l’Internationale sociale-démocrate. Et là j’ai rencontré les socialistes de mouvement plus

puissants, moins congelés, moins paralysés, et j’ai découvert qu’ils se savaient fils des coopératives et

des bourses du travail. J’ai découvert que l’ESPD allemand s’appuyait toujours financièrement sur la

banque des syndicats, j’ai découvert que la grande force des socio-démocrates suédois prenait racine

dans Consum où 50% de la consommation de toute la Suède passe par un régime de coopératives.

Je rentre en France pour chercher un peu l’équivalent. Et il n’y en a pas, tout le monde s’est oublié

mutuellement. Coopératives et mutuelles vivotent, séparément les unes des autres, en oubliant qu’elles

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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale

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pourraient avoir quelque chose de commun, et sans jamais aucun rapport avec le monde syndical, et

moins encore avec le monde politique. Je me bats, je lance des idées, j’attire un peu l’attention, un des

résultats se trouva dans l’écriture même du fameux «programme commun» de 1981 qui a, un court

moment, rassemblé les communistes français et les socialistes. Et puis, voilà que François Mitterrand me

nomme Secrétaire national du Parti socialiste chargé du secteur public. Et je découvre que le secteur

public tel qu’il est défini dans le «programme commun» comporte –c’est formidable ça– les coopératives

et les mutuelles. Mais c’est aussi tout à fait étonnant.

Je n’ai donc pas été nommé Ministre du Plan et de l’Aménagement du Territoire et de l’Économie Sociale.

J’avais demandé à l’être, je le fus un bref moment, et puis le Conseil d’Etat, l’organe de contrôle judiciaire

de la vie du pouvoir en France, a annulé les mots d’Économie Sociale dans mon décret de nomination

parce que, l’Économie Sociale, ça n’existe pas me disait-on alors. Vous feriez mieux de commencer par la

créer, avant de lui donner un Ministre.

Je me suis raccroché aux mouvements en catastrophe, en demandant à être tuteur d’un vieux collège

solennel dont la moyenne d’âge des membres dépassait 65 ans et qui avait plus de cent ans d’âge, le

Conseil Supérieur de la Coopération, né vers la fin du XIXème siècle au grand moment de la montée

coopérative. C’est à partir de ce petit raccroc institutionnel – on entre dans le monde de la politique avec

des cliquets décisionnels – qu’on m’a doté d’une autorité ministérielle pour convoquer dans mon bureau

les représentants des mouvements. J’ai pu reprendre là un travail commencé au Parti socialiste.

Car j’avais commencé au Parti socialiste et, en un an et demi, j’avais réussi à convaincre les mouvements

de proposer au Parti socialiste qu’ils soient non pas unifiés mais que leurs convergences soient

organisées, qu’on donne à cette convergence un Conseil représentatif, un outil administratif, un outil

ministériel pour travailler, et si possible une banque pour les aider à se développer. Nous avions à ce

moment-là –ça c’est avant la prise du pouvoir de 1981– passé plusieurs heures pour savoir comment

appeler ce machin. Le machin qui réunissait des coopératives, des mutuelles, des associations. Je

pensais même aux régies municipales et à toute l’économie marchande non capitaliste et non étatique.

Les régies municipales c’est plus compliqué, on n’a pas pu. On a mis deux fois deux heures pour tomber

d’accord sur « Économie Sociale ». Ce mot figure dans les écrits d’un très grand théoricien, Charles Gide,

que probablement certains d’entre vous fréquentaient, c’est un des papes de la pensée de l’Économie

Sociale. On l’avait oublié depuis 1905 ou 1910, l’expression avait disparu. On la réveille, je crois bien

qu’on l’a réveillé auprès de mouvements qui avaient même oublié que ce mot était employé. Et ça donne

une résolution proposée au bureau politique du Parti socialiste en 1977, lequel la rejette au cri de « on

s’en fout ça n’intéresse personne ! ». Je suis tenace, je remets ça, utilisant jusqu’à la corde mon amitié

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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pour le N°2 du Parti socialiste qui coordonnait le travail, Pierre Mauroy, qui avait, lui, plusieurs amis

insérés dans l’Économie Sociale. Ça revient, nouveau rejet ! Mais je suis tenace, l’Économie Sociale

réussira si elle l’est.

Janvier 1978, troisième délibération du bureau politique du Parti socialiste de France, la résolution est

adoptée et elle est enfin signée. Interdiction de la publier, pour ne pas faire peur au monde du petit

commerce, parce que nous allions avoir des élections législatives peu après. Enterrée donc. Adoptée

mais enterrée.

Plus tard, quand je réussis à attraper la qualification ministérielle, je m’appuie sur la résolution et je la

ressors. Personne n’y peut plus rien maintenant. Et, en l’espace de moins d’un an, nous avons réussi à

faire créer par la loi, une délégation interministérielle à l’Économie Sociale. Elle existe toujours, elle n’est

plus interministérielle, elle est seulement ministérielle, elle a d’autres attributions, la fougue n’y est plus,

l’outil a été là, il a fait son travail. Puis, un Conseil Supérieur de l’Économie Sociale qui la rassemble toute,

immense première, est créé. C’est la première fois que les agents des mouvements se découvraient tous

ensemble, comme ayant quelque chose en commun. La création de la Banque, l’Institut de

développement de l’Économie Sociale, qui vit toujours, qui est maintenant la Banque des coopératives et

des mutuelles et même du monde associatif, qui tient debout, qui a réussi, qui est un succès.

Et puis enfin, on a même inventé une procédure juridique. Vous avez besoin de grandir, vous avez besoin

de monter des coups, parfois vous êtes trop petits, vos structures non capitalistes ne vous permettent ni

les fusions d’entreprises, ni même les groupements d’intérêts économiques, c’est-à-dire les fusions

partielles pour faire une opération déterminée. On a inventé, écrit dans le droit français, ça y est toujours,

ça sert beaucoup, le processus juridique qui est le concept de «groupement d’Économie Sociale» qui

permet même éventuellement à des associations, en tout cas à des coopératives et des mutuelles, de

monter ensemble de nouveaux coups de croissance. Les outils sont là.

L’Economie Sociale ne connaît pas la crise. Ses structures résistent beaucoup mieux

Si j’avais, à l’époque, osé compléter par ce que j’ai découvert ici à l’occasion de vos 5èmes Rencontres du

Mont-Blanc, ça ne serait jamais passé. Je n’ai pas effrayé les fondateurs des mouvements pour oser ou

faire dire ou demander aux mouvements de dire ensemble que, dans leur modestie et leur état d’esprit de

vaincus, ils étaient porteurs d’un projet alternatif pour le monde. Alors vous comprenez mon état d’esprit

quand je découvre ce matin le chemin que vous avez fait depuis ce temps. Je ne suis pas

fondamentalement des vôtres. Je suis des vôtres par demande intellectuelle et demande politique, d’un

sens au monde, d’une limitation de la nocivité du capitalisme. Et aujourd’hui nous sommes dans une

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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale

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période où le monde entier est en train de nous le demander. Vous ne vous en apercevez pas, vous vous

en apercevez peu. Vous vous grandissez trop peu. Vous portez encore avec vous la trace de votre

histoire, qui est celle des vaincus, par les États, les polices, le grand capital.

N’oubliez pas que dans mon pays - mais ça doit être la même chose dans les vôtres - les premières

coopératives qui sont nées étaient des coopératives destinées à fournir un enterrement décent aux

ouvriers qui mouraient dans la misère. Nous pesons toute cette histoire, là, elle nous rend presque trop

patients, et en tout cas presque trop timides. Ce que j’ai envie de vous dire aujourd’hui profondément c’est

que l’état du monde exige d’abord que nous nous mettions dans la tête que nous pouvons être des

vainqueurs. L’Économie Sociale, elle, ne connaît pas la crise. Non seulement elle n’est pas affectée par

cet effondrement du capitalisme qui se fait sous nos yeux, mais ses structures y résistent mieux. Il y a la

récession, la baisse du pouvoir d’achat, des coopératives sont en difficultés, mais l’Économie Sociale

dans son ensemble y résiste infiniment mieux que toute autre forme. Et à l’évidence, le message inspiré

ou né de l’Économie Sociale a vocation à fournir des réponses, même si elles sont partielles.

La révolution, c’est fini, ça ne marche pas ! Ca rate à peu près tout le temps. La révolution ça ne marche

pas car là où ça a marché ça devient militaire. Nous sommes plutôt les hommes du « pas à pas ». Notre

lenteur nous honore. Et notre lenteur est une garantie de démocratie. Mais nous vivons cette période où il

nous faut accélérer un peu. Car en effet, nous allons avoir la Conférence de Rio+20 et donc un bilan de

20 ans de travail de l’humanité sur l’environnement. J’ai eu la chance de faire un voyage au Brésil il y a

très peu de temps, et j’ai rencontré des ministres effrayés de savoir déjà que cette Conférence va à

l’échec, puisque le bilan de ce qu’on a fait pendant 20 ans est effroyablement faible, et que nulle part

personne n’a de raison d’espérer que ça s’améliore et que les méthodes changent. De plus, on sait que

ce sont les marchés financiers, et les secousses boursières, qui vont faire l’actualité depuis maintenant

jusqu’à la Conférence de Rio+20. Les secousses de la bourse et du capital financier vont nous occuper.

S’il y a un défaut de paiement grec, ou italien, ou portugais, ou irlandais juste avant, cette conférence sera

enterrée.

Une des forces de l’Économie Sociale est son réseau mutualiste. Il y a parmi vous des banquiers avec

une grande expertise, laquelle est, de plus, durement critique. Et elle est attendue maintenant ! Je

voudrais vous dire fortement que l’Économie Sociale, au nom de son expérience, de sa droiture et de

l’efficacité de cette expérience, au nom de son savoir et au nom des valeurs qu’elle porte -car c’est aussi

une crise des valeurs- a un devoir d’offensive aujourd’hui. Vous ne devez plus parler seulement pour le

compte de l’Économie Sociale et de la croissance de VOS entreprises. Il est temps que vous preniez

conscience d’un devoir d’exprimer qu’en matière d’organisation de la finance par exemple, il y avait tout

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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autre chose à faire, que vous en êtes porteurs, et que vous entendez bien que cela soit dit. L’Économie

Sociale internationale ferait bien de convoquer un groupe de travail qualifié de ses plus importants

manieurs d’argent, qu’ils soient mutualistes, financiers, assuranciels –dans l’assurance, l’Économie

Sociale est très forte.

Le cœur de la crise actuelle : la précarité du travail

Ce n’est pas le seul aspect. Je le disais à l’instant à propos du diagnostic, le fond de la crise dont on ne

parle guère, c’est le chômage, c’est le ralentissement de la croissance, c’est le sous-emploi. C’est surtout

la précarité. Sur cet aspect, il y a une étrange bataille sur la planète dont on ne parle pas. Car la science

économique a fait une énorme mutation depuis un demi-siècle, vers une théorie dont on a dit qu’elle était

nouvelle. «Nouvelle» est un mot trop fort, disons vers l’approfondissement d’hypothèses anciennes mais

tout de même formulées théoriquement de manière un peu nouvelle. Cela s’appelle le « monétarisme ».

C’est une version de la science économique très axée uniquement sur l’organisation de la finance, qui

part de deux principes de base, tous les deux faux, mais tous les deux très brutalement affirmés, « le

marché est auto-équilibrant », donc ne vous occupez pas de demander aux États de réguler cet équilibre

car il est auto-équilibrant. Et, deuxième affirmation de base, « tout équilibre de marché est optimal ».

Optimal ne veut pas dire parfait, mais ça veut dire que c’est la moins mauvaise distribution d’avantages et

d’inconvénients entre toutes les parties prenantes. Et avec de gros livres et un nombre effarant de

formules mathématiques, de raisonnements mathématisés, on vous explique que si vous prétendez, avec

des subventions, de la règlementation, ou des taxations, corriger des équilibres de marché, vous ferez

nécessairement plus de perdants que de gagnants.

Dans l’esprit de cette théorie, le chômage, la qualité du marché du travail a cessé d’être un élément de

référence majeur, pour les outils de la pensée économique. Or les grands économistes, non seulement

Karl Marx bien entendu, mais d’abord Keynes, le plus puissant des fondateurs de l’économie politique,

avaient le plein emploi et le chômage comme référence centrale à leurs travaux. L’apport majeur de

Keynes à la science économique, c’est que l’équilibre dans le plein emploi n’a rien de fatal et qu’il n’est

pas très probable. Et tout son travail a été d’explorer tout ça.

La nouvelle théorie prend comme intérêt central le profit (et l’art d’en faire) et considère comme valeur

motrice, comme indicateur majeur du fonctionnement du système, ce profit et sa diffusion. Elle transforme

le chômage en un solde dû à la mauvaise qualité du fonctionnement des marchés. Mais de ce solde on ne

s’occupe pas, il est renvoyé à la charité publique, à la protection sociale et à la police. La science

économique d’aujourd’hui n’a plus le chômage dans ses perspectives reconnues. C’est une honte

internationale, qui met tous les hommes de cœur, pas seulement les réseaux de l’Économie Sociale, tous

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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale

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les hommes et les femmes de cœur dans ce pays, en désaccord avec une discipline académiquement

reconnue. Et c’est terrifiant.

Or là, l’enjeu, c’est effectivement la baisse progressive de la part du produit brut qui va à la rémunération

du travail. Mesdames et messieurs vous me direz que c’est pareil. Pour les 15 plus grands pays de

l’OCDE, de 1980 à 2010, la part des salaires dans le produit brut est passée de 67%, presque 70, où elle

était au début, à 57% maintenant, soit 10% de moins dans la part. La différence pour les 15 pays de

l’OCDE représente entre 60 et 200 mille milliards de dollars qui manquent à la rémunération des

travailleurs et donc à leur emploi.

Pour lutter contre la précarité, la force syndicale ne suffira pas

En clair, la clé de sortie de crise, c’est la solution à ce problème. Et je ne crois pas que, dans une situation

de chômage et de précarité aggravée, la force syndicale suffise à redresser la barre. Même si les

syndicats et même les gouvernements sont en train de prendre conscience que cette insuffisance de la

part de la rémunération salariale dans le PIB est au cœur de la crise, s’est ici posé le problème du statut

des entreprises.

Et c’est là que vous intervenez. Dans le monde capitaliste, il n’y a pas de statuts de l’entreprise,

bizarrement. Il y a un statut des sociétés de capitaux, et puis dans tous nos pays, c’est presque pareil, un

gros Code, complètement anarchique et pagailleux, qu’on appelle le Code du Travail, qui est la somme

des exceptions arrachées, soit par la loi, soit par la grève, soit par la lutte. Des exceptions arrachées au

droit des sociétés de capitaux.

Mais cette unité, qu’est la collectivité d’humains, hommes ou femmes, qui gagnent leur vie à partir d’un

même projet économique, cette unité-là n’a pas d’existence en droit car l’entreprise appartient à des gens

qui lui sont extérieurs et qui en sont les actionnaires. Le cœur de la crise, c’est que des actionnaires

veulent se débarrasser de la main d’œuvre parce qu’il faut la payer, et qu’ils préfèrent du dividende. C’est

suicidaire ! Et c’est non viable à terme, mais c’est ce qui s’est passé. Il se trouve que l’Économie Sociale

c’est le contraire ! L’Économie Sociale se définit à partir des finalités de l’entreprise. L’Économie Sociale

est un rassemblement de travailleurs qui adhèrent à l’entreprise, ce sont des sociétés de personnes.

Clarifier le statut des entreprises. L’Economie Sociale en fournit un bon exemple

En France, on a une petite bizarrerie à corriger. Lorsque le mouvement coopératif, à la fin du XIXème

siècle, est monté en puissance et a demandé sa reconnaissance légale, la bourgeoisie, même

républicaine, qui était en train de créer la laïcité, d’installer la République, de se battre contre un Ancien

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Régime, a eu peur. Le mouvement coopérateur de l’époque disait « nous sommes des sociétés de

personnes, nous sommes des sociétés d’adhésion ». Et dans la concession qu’a fait le Parlement du

début de la IIIème République, on en a plutôt fait des sociétés de capitaux même si chacun n’avait qu’une

part égale, et que un homme égalait une voix au nom du capital apporté.

On n’a rien à faire de ce truandage, qui est une hérésie à laquelle il faudrait porter remède, puisque le

temps est venu maintenant de clarifier les statuts. Et, je fais partie des contributeurs intellectuels,

programmatiques, à la constatation que, pour sortir de la crise mondiale du capitalisme, du point de vue

du chômage, il faudra changer le statut de l’entreprise. Cependant quelques intellos et quelques écrivains

ne font pas une force, la force c’est vous ! Vous êtes l’exemple alternatif, de ce que dans les entreprises

de l’Économie Sociale, par leur nature et par leurs structures, ce sont d’abord des hommes et des femmes

qui forment l’entreprise. Toujours est-il que la force que vous représentez doit maintenant devenir

indicative de la solution et combattive. Interdiction donc de repli silencieux sur vous-même.

L’économie populaire au Sud : un immense chantier

Et puis, cette découverte que j’ai faite, je le répète, a été de voir l’Économie Populaire au Sud considérée

comme un immense chantier pour l’Economie Sociale. C’est un des problèmes clé de l’Afrique aujourd’hui

notamment et d’une partie de l’Amérique Latine. Un des drames de l’Afrique aujourd’hui, c’est la famine.

Pourquoi ? Immenses sont les zones où le grand capital a suggéré la monoculture d’exportation, et dans

la monoculture d’exportation, ça a commencé dans l’arachide, ça a continué dans le coton et dans le café.

Il n’y a plus de place pour l’agriculture vivrière, pour l’agriculture de subsistance, et là il faudrait éveiller

des savoir-faire, des solidarités inter-entreprises. L’Economie Sociale s’impose donc dans cet immense

chantier ! C’est un chantier sur lequel une fois de plus l’Économie Sociale apporte un élément de solution.

Quand on pense aux malheureux experts des Nations-Unies qui se cassent la tête pour savoir comment

faire, et qui, de temps en temps, font de la charité publique en allant creuser des puits pour les mettre à la

disposition des populations, sans que personne ne sache comment faire marcher les entreprises

agricoles, dans quel environnement facilitant et avec quelle structure juridique. À vous le boulot !

Ce sont les quelques réflexions que m’a inspiré la lecture de vos travaux. Vous imaginez bien que j’ai

passé une soirée et une nuit fort agréables à découvrir les pas conceptuels que vous aviez fait. Et

maintenant, et je terminerai sur ce point : vous n’avez plus le droit d’être timides, vous n’avez plus le

droit du repli isolé chacun dans son pays. Il faut assurer la pérennité des Rencontres du Mont-Blanc,

parce qu’il y a dans ces rencontres collectives un devoir d’échange d’expériences et d’élargissement du

champ. Vous êtes, que vous le vouliez ou non, aux premières lignes dans le combat contre le

capitalisme financier pour sortir l’humanité d’une crise qui la menace. Bravo, et aussi merci !

∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞

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Les co-auteurs :

Thierry Jeantet, France, Président des Rencontres du Mont-Blanc – Forum International des

Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire, Directeur Général d’EURESA, France (biographie page

109)

Abdou Salam Fall, Sénégal, Professeur et chercheur à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN),

Sénégal, (biographie page 54)

Gérald Larose, Canada

Président de la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN) de 1983 à

1999, organisateur communautaire au centre local de services

communautaires (CLSC) de Hochelaga-Maisonneuve et détenant deux

maîtrises, théologie et service social, de l’Université de Montréal, Gérald

Larose est professeur invité à l’École de travail social de l’Université du

Québec à Montréal (UQAM).

À titre bénévole, il a présidé le Groupe d’Économie Solidaire du Québec (GESQ) et il préside le conseil

d’administration de l’entreprise d’insertion de jeunes Insertech Angus, la Caisse d’Économie Solidaire

Desjardins et le Conseil de la Souveraineté du Québec. Il est également administrateur des Rencontres

du Mont-Blanc - Forum International des Dirigeants de l’Économie Sociale et Solidaire.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Les attentes du Sommet de la Terre Rio+20, par Thierry Jeantet,

Gérald Larose, Abdou Salam Fall, France, Sénégal, Canada

Article collectif publié sur LeMonde.fr le 19 juin 2012

Le 20 juin prochain s’ouvrira, à Rio de Janeiro, le 5ème Sommet de la Terre. L’Organisation des Nations-

Unies, organisatrice de l’évènement, a choisi d’intituler ce rassemblement Rio+20, en référence au

Sommet tenu dans cette même ville brésilienne 20 ans plus tôt. En 1992, la Conférence des Nations-

Unies sur le Développement Durable (UNCSD) avait permis à tous les Chefs d’Etat présents de

s’accorder sur l’élaboration d’un programme intitulé Agenda 21, contenant 2 500 recommandations à

suivre pour orienter l’action de l’Humain vers un développement dit durable.

Les thèmes de la Conférence des Nations-Unies sur le Développement Durable

A l’ordre du jour du Sommet de Rio+20, l’UNCSD a déterminé deux thèmes centraux autour desquels

s’articuleront les débats du Sommet de Rio+20 : « l’économie verte dans le cadre du développement

durable et de l’éradication de la pauvreté » et « le cadre institutionnel du développement durable ».

Le premier de ces thèmes portant sur la « green economy » a incontestablement suscité le plus de

réactions et de réflexions, mais aussi de contradictions. L’économie verte a en effet mis en relief les

profondes divergences de conceptions et de perspectives économiques entre des pays aux niveaux de

développement très disparates. Incontestablement aussi, ce premier thème repose sur la maîtrise du

changement climatique. Mais attention, l’écueil à éviter, observé dans la phase post-Rio 2012, sera de ne

pas réduire les recommandations et les décisions à des considérations uniquement environnementales.

Le développement durable, dont l’acception du Rapport Brundtland (1987) fait l’unanimité, se définit par «

un développement qui réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations

futures à répondre à leurs propres besoins ». Grâce aux Sommets de la Terre déjà tenus, la communauté

internationale s’est accordée sur le fait que cet objectif de développement durable ne pourra être atteint

que si les mesures entreprises sont économiquement, socialement et environnementalement viables, et

régies selon des principes de bonne gouvernance.

Justement, le deuxième thème pose lui la question de l’existence d’une gouvernance mondiale et des

mécanismes d’action dont elle doit se doter pour être effective et efficace. Il conviendra alors au Sommet

de Rio+20 de concevoir une nouvelle architecture de la gouvernance mondiale, sans reproduire des

tentatives échouées, sans démultiplier des instances déjà existantes et dont les limites apparentes doivent

servir de dissuasion à recréer ces modèles. Pour que celle-ci soit réelle, pour que la voix de chacun soit

prise en compte, pour se prémunir des dérives observées jusqu’alors. Il s’agit là de repenser la conception

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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale

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et la réalité actuelle de la gouvernance mondiale, une gouvernance dépassant les clivages nationaux et

régionaux.

L’implication de nouveaux acteurs dans le processus de décision

En 1992, l’Agenda 21 a donné lieu à la création de « Major Groups » ou groupes majeurs, chargés de

représenter les organisations de la société civile. Les Major Groups sont aujourd’hui au nombre de neuf :

Femmes, Autorités Locales, Communauté Scientifique et Technique, Business et Industrie, Enfance et

Jeunesse, Travailleurs et Syndicats, Paysans, Peuples Indigènes, ONG.

Si ces Major Groups sont impliqués dans le processus de préparation du Sommet, et bénéficient

ponctuellement de fenêtres de visibilité, leur rôle est limité en ce qu’il reste consultatif. Véritable troisième

thème imposé de la Conférence de Rio+20, l’enjeu de Rio+20 pour les Major Groups sera sans aucun

doute d’obtenir un statut participatif, c’est-à-dire de pouvoir proposer des amendements au texte de la

Conférence, au même titre que les représentants des Etats. Au-delà de la consultation donc, la

participation effective de la société civile est sans conteste un des enjeux de la Conférence de Rio+20 et

le processus de préparation du Sommet en a été le reflet. Cet enjeu participe sans conteste du deuxième

thème central choisi par l’UNCSD sur la nécessité de penser et faire naître une gouvernance mondiale.

Des modes d’action pour concilier activité économique et développement durable

L’accord général sur les recommandations de l’Agenda 21 et les espoirs nés du Sommet de Rio 1992

n’ont visiblement pas produit tous les effets escomptés. Dans la recherche de cohérence entre les

discours et les actes, force est de constater que d’amères contradictions sont apparues au cours de ces

vingt dernières années. Ces actes, aux conséquences contraires à une conception de développement

durable, sont nombreux et leurs dégâts quantifiés par nombre d’études scientifiques menées depuis lors.

Déforestation, émissions de gaz à effets de serre, consommation d’énergies fossiles, déplacements de

populations, exploitation de main d’œuvre expliquent la surexploitation de la faune et de la flore, les

inégalités économiques et sociales, l’uniformisation des cultures et des spécificités de territoires que nous

connaissons. Et les crises qui s’en sont suivies.

Et si un autre modèle était (déjà) en marche ?

Face à ces crises multiples –économique, financière, sociale, écologique– les acteurs de l’Economie

Sociale et Solidaire (ESS) s’appliquent à saisir l’opportunité de faire connaître et reconnaître l’ESS.

Amener la preuve, par l’exemple, que d’autres formes d’entreprendre conciliant efficacité économique,

sociale et environnementale sont possibles. Des formes d’entreprendre qui dépassent les frontières, sans

distinction de ressources, de richesses, de niveaux de développement, de cultures.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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L’Economie Sociale et Solidaire est, de fait, déjà ancrée dans le paysage économique de nombreux pays

-elle représente aujourd’hui environ de 10% du PIB mondial- elle existe sur tous les continents, sous

différentes formes. Mais comment lui faire changer d’échelle et mettre en valeur sa capacité à s’inscrire

dans une dynamique transfrontière ? En cette période charnière, quels enjeux l’ESS doit-elle relever pour

exister au-delà des frontières ?

L’ESS transfrontière et transcontinentale

Parce que les valeurs et les méthodes de l’Economie Sociale et Solidaire reposent sur des principes

universels, l’ESS porte en elle la capacité de fédérer des acteurs de tous les continents. De fait,

l’ESS transfrontière existe déjà. En 2004 a été créé le Forum International des Dirigeants de l’Economie

Sociale et Solidaire, association française de loi 1901 du nom des Rencontres du Mont-Blanc (RMB)1.

Rassemblant des dirigeants du monde entier -40 pays représentés lors des dernières Rencontres de

2011- les RMB participent de cette ESS transcontinentale. Les forums organisés régulièrement visent à

faire se rencontrer des dirigeants de l’ESS de tous les continents pour co-construire des projets aussi

divers que les semences libres ou le développement de la filière biogaz.

Au-delà de cette véritable « Project place », les membres des RMB sont conscients de la nécessaire

reconnaissance de l’ESS pour la voir se développer et ainsi rendre accessibles à tous des formes

d’entrepreneuriats alternatifs. C’est pourquoi figure parmi les principales activités des RMB la

sensibilisation des organisations internationales et des hauts-dirigeants du monde. Par une présence

humble mais persévérante à quelques-uns des grands rassemblements internationaux, les RMB

communiquent et diffusent leurs travaux. A l’occasion de la Conférence des Nations-Unies sur le

Développement Durable -Sommet de Rio+20- prévue en Juin 2012, une lettre contenant 20 propositions

de mesures à adopter pour promouvoir l’ESS a été adressée aux 193 Chefs d’Etats membres de l’ONU,

afin de les sensibiliser simultanément sur la nécessaire prise en compte de l’ESS dans leurs politiques

publiques.

Alors que le modèle dominant s’essouffle et montre ses limites, il ne s’agit plus de promettre mais de

prouver. Prouver que d’autres modèles existent, capables d’opérer un déplacement : placer la dignité et le

potentiel de l’Humain comme finalité de l’activité économique, qui elle n’est qu’un moyen.

∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞

1 www.rencontres-montblanc.coop

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CCHHAAPPIITTRREE IIII ::

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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L’auteur : Nicolas Cruz Tineo, République Dominicaine

Licencié ès sciences économiques de l’Université autonome de Saint-

Domingue, le parcours de dirigeant d’économie sociale de Nicolas Cruz Tineo

passe par sa participation au réseau de clubs de jeunes, le mouvement

étudiant universitaire et le militantisme de gauche dans lequel il s’investit

jusqu’en 1994.

Il se consacre à l’économie solidaire depuis 1986, date à laquelle il créa, avec un groupe d’activistes,

l’Institut de Développement de l’Economie Associative (IDEAC), dans le cadre duquel il accompagne le

développement d’initiatives d’économie solidaire et dont il est actuellement le directeur exécutif.

Nicolas Cruz Tineo a supervisé l’élaboration du Plan stratégique de l’IDEAC destiné à faire de l’économie

sociale et solidaire (ESS) une alternative au débat national en République Dominicaine. Il a notamment

contribué à la constitution du Réseau d’organisations d’économie solidaire (REDESOL) de son pays et à

l’élaboration du projet de loi d’économie solidaire, et organisé deux séminaires internationaux sur l’ESS en

République Dominicaine.

Il a participé à divers événements internationaux, en tant qu’intervenant ou participant actif, parmi lesquels

deux rencontres du RIPESS LAC, une du FIESS, et deux des Rencontres du Mont-Blanc - Forum

International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire, à Chamonix en novembre 2011 et à Rio

de Janeiro en juin 2012. Il a publié plusieurs articles sur l’ESS dans des journaux, livres et revues.

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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L’économie sociale et solidaire : un nouveau système économique,

par Nicolas Cruz Tineo, République Dominicaine

Introduction

Il nous a été demandé d’expliquer en quoi l’économie sociale et solidaire constitue ou peut constituer une

issue ou solution à la voie de destruction et de catastrophes sociales et écologiques sur laquelle une

petite élite dominante irrationnelle a engagé le reste de l’humanité. J’ai accepté de relever ce défi non pas

parce que je prétends avoir la réponse, mais parce que tous les êtres humains, si humbles soient-ils,

peuvent et doivent apporter leur pierre à l’édifice afin de construire un monde régi par la culture de l’amour

de la vie.

Dans le présent travail, nous tenterons de façon générale de comprendre la dynamique actuelle, les

tendances et facteurs qui déterminent le stade historique dans lequel se trouve actuellement l’humanité et

de proposer des règles en vue de contribuer à son progrès, celui-ci étant entendu comme le

développement des facteurs scientifiques, culturels, spirituels, de la coopération et de l’amour de la vie,

pour dépasser ainsi la préhistoire dominée par la concurrence et la lutte égoïste pour la possession

matérielle et le pouvoir oppresseur sur les autres.

La crise des paradigmes économiques et sociaux et l’émergence de l’ESS comme réponse pratique

proposant une nouvelle approche philosophique et scientifique centrée sur les travailleuses et travailleurs,

nous oblige à repenser les sciences sociales, et en l’occurrence l’économie. C’est pourquoi nous nous

attacherons dans un premier temps à démontrer la nature irrationnelle du capitalisme et son caractère

historique, avant d’aborder son processus de développement et d’interpréter la crise actuelle, pour

finalement aboutir à la proposition de l’économie sociale et solidaire (ESS), avec les facteurs qui indiquent

le déclin du capitalisme, les conditions qui favorisent le développement de l’ESS et le sujet qui peut la

mener à bien, comme processus de transition vers un nouveau mode de production ou système

économique, social et politique post-capitaliste.

Mes contributions se baseront sur l’expérience acquise pendant près de 30 ans en tant qu’instigateur et

facilitateur du développement des capacités d’initiatives de l’ESS, détenues par des travailleurs

indépendants établis en zone rurale et urbaine de la République Dominicaine, sur les apprentissages tirés

de ma participation à de multiples réunions, séminaires, ateliers, forums, panels et événements de

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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réflexion, en tant que conférencier ou participant actif, organisés dans mon pays ou dans de nombreux

autres pays, et évidemment de la lecture réfléchie et critique sur le sujet.

En ce sens, le présent document se fonde sur l’approche de l’économie politique du travail2, tout en

reconnaissant et en respectant la diversité de points de vue dans le domaine de l’ESS, lesquels peuvent

très souvent être contradictoires ou complémentaires entre eux. Cette diversité est l’expression de la

richesse des sources existantes de construction de la connaissance et de la nouvelle pensée économique

et sociale nécessaire au soutien théorique du nouveau projet de société.

Ces sources de construction de la connaissance sont constituées par la grande diversité d’initiatives, de

propositions, d’organisations, de groupes d’animateurs, de chercheurs, d’universitaires et d’activistes qui

apportent dans toutes les parties du monde leurs contributions pratiques et théoriques à la construction de

l’ESS, comme moyen d’atteindre l’émancipation de l’amour de l’humanité et de la vie.

1. La rationalité irrationnelle de la mondialisation capitaliste

L’étape actuelle d’évolution et de développement de l’humanité se caractérise par l’exacerbation extrême

de la concurrence et le conflit d’intérêts égoïstes entre les hommes au détriment de leur nature

coopérative, collaborative et de leur amour fraternel avec leur entourage. Cet esprit de compétition qui

règne pour la possession de la richesse et l’accumulation de biens matériels est présenté de nos jours

comme une vertu et est par conséquent favorisé puisqu’il constitue la base idéologique du système

capitaliste en vigueur.

La promotion économique, sociale, politique et culturelle en faveur d’initiatives privées, motivée par la

recherche du profit à tout prix, et par là de l’accumulation matérielle en faveur d’une personne, d’un

groupe ou d’une classe sociale, génère la lutte entre individus, groupe d’individus, classes sociales,

nations et groupes de nations, pour le pouvoir économique par l’appropriation et la possession, par

quelque moyen que ce soit, des biens que la nature nous offre si généreusement et des richesses créées

par les travailleuses et travailleurs.

Afin de reproduire cette réalité qui n’est favorable à court terme qu’à une élite représentant environ 5 % de

la population mondiale, une structure économique et sectorielle complexe dominée par quelques 500

grandes entreprises et protégée par un appareil juridique, politique et militaire extraordinaire a été

2 Il est fait référence à la pensée ou au courant des sciences économiques développé(e) en Europe à partir des socialistes utopiques tels que T. More (1478-1535), T. Campanella (1568-1639), Saint-Simon (1780-1823), Fourrier (1772-1837) et Owen (1771-1858) et établi(e) en tant que science par K. Marx (1818-1883).

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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construite au niveau local et mondial. Cette dernière aliène le reste de la population travailleuse, qui se

transforme en simples consommateurs, à travers la défense et la justification médiatique des grandes

sociétés de communication et de l’industrie dite culturelle.

Telle est la réalité qui explique la présence historique de l’actuelle culture de la concurrence et l’exercice

de la violence comme moyens d’établir des relations entre les êtres humains.

La lutte pour l’accumulation des richesses, des moyens de production et des ressources naturelles se

fonde sur des relations sociales d’exploitation sauvage du travail, de la nature et de la biodiversité par le

capital, lequel transforme et commercialise tout ce qu’il touche.

Cette conduite se traduit par le gaspillage, l’opulence, l’ostentation du pouvoir, la consommation effrénée,

l’indolence, le consumérisme, les fausses apparences, le scepticisme, etc., d’une grande partie de la

population, dont la principale préoccupation et source de bonheur semble être de consommer sans

limites.

Afin de maintenir cette dynamique sans fin, les dirigeants et propriétaires de l’économie mondiale n’ont

d’autres choix que de conserver une croissance soutenue de l’économie, laquelle est synonyme

d’augmentation de leurs richesses et de leurs possessions et partant, d’une augmentation intensive et

extensive de la pauvreté, de l’épuisement à court terme des ressources naturelles et de l’accélération de

la destruction des écosystèmes et donc de la biodiversité.

L’humanité ne peut continuer à croire qu’il est possible de construire des relations de coopération et

d’amour générant un bien-être durable avec les seuls mécanismes automatiques de marché, sans

l’intervention de la volonté collective des hommes.

Il est évident que les marchés sont conduits par les propriétaires et chefs des grandes entreprises, elles-

mêmes propriétaires des richesses, lesquels détiennent par conséquent non seulement le pouvoir

économique, mais également le pouvoir politique, militaire et médiatique qui leur permet de contrôler les

États et de prendre les décisions qui leur sont favorables en matière de politiques économiques et

sociales.

Le mode de production capitaliste se développe et se reproduit sous cette rationalité et est représenté

dans chacune des formations économiques et sociales de tous les pays, lesquelles sont rattachées à la

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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formation mondiale dite « mondialisation ». Plus avant nous expliquerons la signification actuelle et la

manière dont sont structurées ces sociétés locales avec la formation mondiale.

Au vu de ce qui précède, il convient que tous les travailleurs manuels, intellectuels et spirituels nous

unissions dans le cadre d’une stratégie collective commune pour prendre notre histoire en main,

construire et conduire notre propre destinée, tant au niveau local que mondial, si nous souhaitons un

monde régi par des relations de coopération et de collaboration solidaire dans lequel les biens matériels,

sociaux, culturels et naturels soient des moyens communs d’obtenir le bien-être et le bien-vivre.

Il est par conséquent fondamental de connaître et de comprendre la phase de développement historique

dans laquelle se trouve la formation capitaliste actuelle pour réaliser les apports nécessaires à la

transformation et au dépassement des causes qui produisent et reproduisent ces relations d’exploitation

et par là l’iniquité, l’injustice, la misère, l’insécurité alimentaire et énergétique, la pollution, la destruction de

la biodiversité et de la vie sur la planète.

2. Le caractère historique des modes de production

Enrichie par la sociologie et l’anthropologie, l’économie politique du travail a démontré que le processus

d’évolution de la société a traversé différentes époques historiques de développement appelées « modes

de production » ou « systèmes économiques et sociaux » caractérisées par le type de relations sociales

établies.

Ces relations de production, qui peuvent être des relations de coopération ou d’exploitation, sont

déterminées par le degré de développement des forces productives ou par les formes d'organisation du

travail, les technologies, les connaissances et les ressources naturelles pour la production de biens et de

services matériels et spirituels de consommation, et conditionnées par la forme d’appropriation de ces

derniers.

Les sciences sociales ont ainsi identifié, de façon séquentielle quoique non linéaire, différents modes de

production allant du communisme primitif au mode de production capitaliste actuel en passant par

l’esclavage, le féodalisme et le mode de production asiatique. L’économie politique du travail a posé

l’hypothèse de l’avènement du communisme en tant que nouveau système économique et social basé sur

la coopération collective et la vie communautaire dans une totale liberté et de la démocratie sociale,

politique et économique en tant que système économique post capitaliste.

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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En termes sociaux et politiques, chaque système économique et social implique des classes sociales à

l’exception de la future société communiste où prédominent les biens communs comme le prévoit

l’économie politique du travail. Ces classes se différencient par la position qu’elles occupent dans le

processus de production, laquelle se définit par la possession ou non des moyens de production. C’est

ainsi qu’il existe la classe des propriétaires et celle des dépossédés.

Il convient de signaler que ces différents systèmes ou modes de production ne se présentent ou ne se

manifestent pas concrètement sous leur forme la plus pure au niveau local ou mondial. D’autres types de

relations coexistent en effet à chaque époque historique et dans des espaces géographiques déterminés

aux côtés des formes et relations de production dominantes, du fait de vestiges de systèmes antérieurs

s’adaptant à la nouvelle époque ou de l’apparition de relations et nouvelles formes d’organisation de la

production plus avancées pouvant contenir en soi un système supérieur.

Cette coexistence de relations économiques et sociales de différents modes de production adaptées et

regroupées sous le mode de production dominant à une époque donnée porte le nom de « formation

économique et sociale ». Chaque mode de production existant possède ses propres expressions sociales

en termes de classes, groupes et secteurs qui le représentent et luttent entre elles pour le pouvoir

économique et politique, les relations arriérées finissant par s’adapter au mode dominant et les classes

représentant le nouveau système en germe et en développement au sein de ces structures entrant

progressivement en contradiction avec ces dernières.

Dans l’actuelle formation économique et sociale, le système dominant tant au niveau local que mondial,

est le système économique capitaliste, dont la relation est une relation d’exploitation du travail humain par

le salaire et la nature.

Dans la formation économique capitaliste, coexistent des relations économiques esclavagistes3 et

féodales4, adaptées d’une certaine façon et avec plus ou moins de force, en fonction du pays, de la région

ou du secteur productif, lesquelles relations ont été intégrées par le capitalisme dans son réseau de

relations pour se reproduire géographiquement et sectoriellement. De la même manière, il existe des

réminiscences de communisme primitif5 et il est important de noter que des relations modernes6 de

coopération et de solidarité fleurissent partout.

3 Selon Andrew Cockburn, ”” National Geographic (09-2003), de 15 à 20 millions de personnes sont esclaves pour dettes en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et au Népal. Citation de Fernanda Ochoa, 2004. 4 Dans de nombreux pays du Sud, beaucoup d’entreprises agricoles accèdent à la terre par métayage ou par le biais de propriétaires terriens qui prélèvent 50% de la production des travailleurs. 5 Dans les communautés indigènes d’Amérique du Sud et d’Afrique. 6 Le coopérativisme, les organisations à but non lucratif et les diverses initiatives d’économie solidaire menées partout dans le monde.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Les modes de production successifs et leurs respectives formations économiques et sociales sont nés et

se sont développés au sein du mode en vigueur à une époque donnée. Autrement dit, c’est au sein de

l’ancien mode de production et sur la base de ses propres contradictions que le nouveau mode de

production est conçu et se développe jusqu’à s’imposer, suite aux contradictions et à la caducité de

l’ancien système, et à établir de nouvelles relations sociales de production.

3. Gestation, développement et maturation du système capitaliste

Le capitalisme est né au sein du féodalisme à partir des serfs libres qui fuyaient ou achetaient leur liberté

aux seigneurs féodaux avant de se consacrer à l’artisanat, au commerce et à d’autres activités

économiques, culturelles et scientifiques, affranchis de tout lien féodal.

Cette économie et cette société naissante s’organisent dans les bourgs où il est donné libre cours à la

créativité et aux initiatives individuelles et collectives, lesquelles ont permis aux sciences, aux techniques,

aux arts et à l’organisation sociale de se développer comme jamais.

Sa croissance et son développement, en Europe principalement, s’étendent sur plus de 6 siècles,

jusqu’au XVIIIème siècle, date à laquelle débutent la révolution industrielle en Angleterre et la révolution

française, toutes deux expressions sur le plan politique de sa transformation en système économique

dominant.

C’est à partir de ce moment que le processus d’internationalisation s’accélère, tout d’abord à travers le

commerce de marchandises et l’occupation de territoires en quête de matières premières, puis par la

transnationalisation du capital industriel et financier, jusqu’à atteindre la phase impérialiste et de la

mondialisation actuelle.

Cette mondialisation ou internationalisation du capital qui marque le début de l’étape impérialiste

mondialisée est un phénomène qui surgit entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle avec

l’apparition des monopoles, et avec eux de la branche du capital financier comme facteur d’accumulation,

d’expansion et de domination de marchés, à travers les dettes et investissements étrangers. C’est à partir

de là que sont reconnus le capital lié à l’économie réelle, autrement dit à la production et au commerce, et

le capital financier lié à la sphère monétaire.

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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La mondialisation impérialiste qui s’est développée rapidement tout au long du XXème siècle et jusqu’à nos

jours, est dominée par les grands monopoles alliés aux États7, principalement ceux des pays appartenant

au G7 qui imposent, déterminent et conduisent la destinée de l’humanité et de la planète en fonction de

leurs intérêts, de leur soif de profits et de l’accumulation démesurée de richesses et de pouvoir.

Des taux élevés de croissance économique soutenue constituent une condition inhérente au capitalisme

pour garantir l’accumulation et la reproduction. C’est la raison pour laquelle il doit étendre constamment la

demande en intégrant toujours plus de personnes dans son système de consommation et/ou en

augmentant le pouvoir d’achat de la société, en pénétrant de nouvelles zones géographiques et en

intensifiant l’investissement en l’étendant à de nouveaux secteurs de l’activité économique qu’il n’avait pas

encore investis.

Lorsque ces conditions ne sont pas réunies pour garantir des niveaux satisfaisants de profits et

d’accumulation de capital, le système entre en crise et doit par conséquent changer le modèle

économique sur lequel repose le modèle d’accumulation du moment. À cet effet, il recourt à tous les

moyens à sa disposition, notamment aux politiques économiques et même à des actions violentes telles

que les guerres de rapine, pour s’emparer de ressources et de marchés dans n’importe quelle partie du

monde8, et utilise l’appareil politico-militaire de l’État comme gendarme et moteur de l’expansion.

C’est pourquoi dans son état impérialiste mondialisé actuel, le capitalisme utilise non seulement les

relations d’exploitation qui lui sont inhérentes mais également des pratiques telles que la spoliation, les

menaces, le blocus, le dumping, le chantage, la corruption, la tromperie, le mensonge, la désinformation,

les coups d’État et la violation de la souveraineté et de la dignité des peuples du monde entier.

Cette réalité explique le fait que la mondialisation actuelle, placée dans un contexte de concurrence

permanente auquel n’échappent pas même les groupes les plus puissants sur le plan économique et

politique, a mis en danger l’ensemble de l’humanité et la planète elle-même.

Nous nous trouvons actuellement face à de multiples menaces dont nous devons avoir conscience et que

nous devons nous préparer à affronter. Ces menaces (Arruda 2010) nous obligent à réfléchir et à élaborer

une stratégie pour surmonter cette étape de l’histoire de l’humanité. Les menaces les plus importantes

sont les suivantes :

7 Il existe aujourd’hui dans le monde près de 37 000 entreprises transnationales, 87 % d’entre elles étant des entreprises de pays

développés qui créent des filiales dans le monde entier. 500 d’entre elles concentrent à elles seules 97 % des marques et

brevets, 80 % du commerce, 80 % des investissements étrangers, 90 % de la production industrielle et 70 % de la production

agricole et de la pêche (Quintana, 2009). 8 Invasions récentes de l’Irak, de l’Afghanistan et de la Lybie justifiées par des mensonges.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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a) Acheminement du monde vers une proposition unique de croissance économique sans limites

sous prétexte de moderniser et d’accroître la productivité des entreprises, ce qui nous est vendu

comme étant le développement.

b) Inculcation dans le monde entier des éléments et valeurs culturels dominants, dont le mode de

développement se caractérise par des mouvements de haut en bas et de l’extérieur vers

l’intérieur de manière à garantir son hégémonie, ainsi que la destruction des économies et de la

diversité culturelle locale et nationale.

c) Subordination des économies nationales aux politiques, stratégies et intérêts des entreprises et

des groupes transnationaux.

d) Concentration des richesses et des capitaux au détriment des travailleuses et travailleurs.

e) Croissance du secteur privé aux dépens des biens publics, de la société et de l’État.

f) Mondialisation de la commercialisation des êtres humains et de la nature.

g) Généralisation de la mendicité, du paternalisme et du clientélisme comme mesures

compensatoires envers la population exclue.

h) Application de mesures correctives et compensatoires face aux dommages causés à l’écologie et

à la nature.

C’est ainsi que se manifeste et se comporte le capitalisme impérialiste mondialisé à la fin de sa vie. Tel un

monstre qui a épuisé tous les moyens de s’alimenter et qui, pour continuer à vivre, est sans pitié et

n’hésite pas à tout dévorer sur son passage, quels que soient les moyens à employer pour y parvenir.

4. La crise actuelle est structurelle et intégrale, symptômes du déclin capitaliste

Lorsqu’il est question de crise, la littérature économique officielle ou dominante et les médias donnent

l’illusion auprès de la population que ce n’est qu’à ce moment-là que le capitalisme loge tout le monde à la

même enseigne et qu’une fois la crise surmontée, tous les maux disparaîtront. Or il n’est pas de

mensonge plus pernicieux. Il s’ensuit que l’on ne parle de crise que lorsque les capitaux investis et leurs

propriétaires ne connaissent pas un retour sur investissement jugé satisfaisant. Autrement dit, lorsque la

croissance économique ralentit, et par conséquent le rythme d’accumulation des richesses des

propriétaires des moyens de production. Aucune plainte cependant dans le cas inverse, lorsque les gains

générés sont foison et que la richesse s’accumule rapidement du fait de la forte croissance de l’économie.

Paradoxe, s’il en est, malgré la hausse du nombre de créations d’emploi et de programmes de prestations

sociales en période de prospérité, il n’en demeure pas moins que pour plus de 40 % de la population

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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mondiale qui lutte pour survivre avec moins de deux dollars par jour et d’un milliard de personnes

qui souffrent quotidiennement de la faim, la crise est permanente, chronique et endémique.

Il n’est pas fait état de cette crise que l’on considère simplement comme normale et inévitable. Point n’est

besoin de tirer la sonnette d’alarme ni de s’inquiéter. La croissance économique apportera son lot de

solutions lorsque le marché redistribuera une partie des richesses vers le bas.

Les crises du système économique capitaliste sont par conséquent des crises du profit et de

l’accumulation liées à sa nature profonde et à ses contradictions internes. Ce sont des événements qui lui

sont inhérents puisque par essence, alors que la production devient de plus en plus sociale,

l’appropriation des richesses créées est de plus en plus individuelle et privée.

« En d’autres termes, les contradictions inhérentes au mode de production capitaliste provoquent tôt ou

tard l’apparition de la crise, qui agit comme une forme d’ajustement violent des disproportions existantes,

constituant ainsi un mécanisme d’autorégulation du système qui convertit les crises en événements

inévitables » (Quintana, 2009). Le fait est que l’histoire de ce système économique et politique se déroule

à travers des crises périodiques, tant structurelles ou systémiques que cycliques9, tout en accroissant la

pauvreté, la faim et l’exclusion du plus grand nombre.

Avec ou sans crise, le processus d’accumulation ne s’arrête pas, seul son rythme change. En parallèle, le

système produit sans arrêt des inégalités desquelles découlent la pauvreté, l’exclusion sociale et la

destruction de la nature.

En raison de leur logique et de leur condition intrinsèque de recherche maximum de profits, les capitaux

étaient, dans leur première étape de développement dominée par la sphère de la production et le

commerce, investis principalement sur les marchés territoriaux. Dans la phase mondialisée actuelle,

prédominée par la sphère financière, les capitaux sont investis sur les marchés sectoriels (production ou

financier) en fonction des meilleures possibilités de profits.

Ces marchés s’assument et s’organisent selon des modèles propres. C’est pourquoi ce système

économique oscille, au cours de la phase impérialiste mondialisée, entre les deux modèles

d’accumulation qui succèdent, en fonction des meilleurs rendements offerts, à une période déterminée.

9 Les crises structurelles sont celles qui impliquent un saut d’une phase de développement à une autre ou d’un modèle

d’accumulation à un autre, comme dans le cas de la révolution industrielle et de la révolution française, de la révolution de 1848-1849 dans différents pays d’Europe, des crises survenues entre 1929 et 1933 qui ont établi le rôle de l’État comme régulateur, celle de 1970 qui a vu la fin de l’étalon-or au profit du dollar et celle de 2008 pour laquelle il n’a pas encore été trouvé d’issue. Les crises cycliques sont celles qui se succèdent au sein d’un même modèle sur de plus courtes périodes.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Les crises peuvent par conséquent survenir tant dans les sphères de l’économie réelle (de la production,

distribution, échange et consommation de biens et de services) que dans la sphère monétaire ou

financière (actifs financiers ou titres valeurs émis par des institutions financières) qui peut ou non avoir

une influence sur la production et le commerce ou toucher les deux sphères en même temps.

En ce sens, la crise actuelle, qui est structurelle, peut être qualifiée d’intégrale, dans la mesure où elle

affecte tant la sphère de la production et du commerce que la sphère financière.

Elle est structurelle car elle doit procéder à des ajustements tant au niveau de l’infrastructure économique

que de la superstructure politique et culturelle. C’est l’actuel développement scientifique et technologique

qui en est à l’origine, ainsi que les perspectives d’épuisement des sources d’énergie, des minéraux

stratégiques, de l’eau, de la biodiversité et d’autres ressources naturelles. Elle s’aggrave du fait de la

pollution et de l’augmentation du chômage, ainsi que des grands flux migratoires en provenance des pays

du sud qui en découlent. Tout ceci ajouté à ce qui précède explique qu’il soit obligé de procéder à des

réajustements en termes d’organisation et d’utilisation des facteurs de production, de modes de gestion,

au niveau des relations internationales et des processus d’internationalisation de ses investissements.

À n’importe quelle étape de son développement, le système capitaliste est confronté aux crises

structurelles en raison de la réduction des profits et donc à des difficultés de reproduction. Ces crises font

partie de sa dynamique de développement et de changement d’une étape à une autre ou d’un modèle

d’accumulation à un autre, tandis que les crises cycliques survenant en leur sein opèrent les ajustements

nécessaires.

Afin de surmonter chaque étape, le système a démontré avoir la capacité de la flexibilité et de la mobilité

pour se réajuster, non pas par autorégulation du marché comme le préconisent les économistes du

système, mais par l’intervention intelligente et opportune des chefs d’entreprise et de l’État à son service.

C’est pour cela que l’on peut dire que la crise est structurelle et intégrale, puisqu’elle affecte autant le

marché financier que le marché réel ou de production de biens et de services de consommation, et qu’elle

entraîne l’épuisement des ressources naturelles, le déplacement et l’exclusion de la plus grande partie

des travailleurs10. À cela s’ajoute le formidable niveau atteint par les forces productives et leur processus

de développement impossible à arrêter, face à des relations de production qui exploitent et spolient de

plus en plus le travail et la nature.

10 Selon l’OIT, plus de 50% de la population économiquement active est composée de travailleurs “informels” ou appelés autonomes en ESS.

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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Cette réalité me permet d’affirmer que la crise actuelle n’est plus la crise de l’un des modèles

d’accumulation mais celle du mode de production ou du système économique et de la politique capitaliste,

qui entraîne dans son sillage la crise de sa superstructure politico-juridique et culturelle. Il convient par

conséquent d’étudier, de comprendre et d’utiliser à bon escient les facteurs qui s’accumulent pour la

surmonter et favoriser les progrès vers une société régie par la coopération, la collaboration et la

solidarité.

5. L’Economie Sociale et Solidaire : un modèle ou un nouveau mode de production

J’ai tenté dans les paragraphes précédents de faire la distinction entre les concepts de modèle et de

mode de production. Au vu de la confusion créée, nous allons nous efforcer de définir précisément ces

concepts afin de lever tout ambiguïté.

On entend par mode de production ou système économique la modalité historique qu’assument les

relations de production face à un niveau déterminé de développement des forces productives et qui est

constitué par la structure économique et la superstructure politico-juridique et idéologique. Le modèle

économique renvoie à la forme particulière que revêt, au niveau d’une formation économique et sociale,

un mode de production déterminé, lequel dépend dans le capitalisme des caractéristiques du modèle

d’accumulation de capital (Montolla, 2007).

Cette distinction s’avère essentielle et utile à l’heure de déterminer la stratégie de la proposition de l’ESS

face à la crise actuelle du système.

Si l’on considérait l’ESS comme un modèle économique, il est évident que ses propositions apporteraient

une solution à la crise du modèle d’accumulation capitaliste et que, par conséquent, ses stratégies

reproduiraient les relations d’exploitation en vigueur.

Si au contraire, on la considérait comme le germe d’un nouveau mode de production qui prend naissance

au sein du mode de production capitaliste, les stratégies viseraient à dépasser ce mode de production et

ses relations actuelles d’exploitation du travail et de la nature.

L’importance de cette différenciation réside dans le fait qu’actuellement, les dirigeants des multinationales,

sous l’impulsion des gouvernements du G7 et des organismes internationaux tels que le Fonds Monétaire

International, la Banque Mondiale, etc., parlent de la nécessité de changer de modèle économique pour

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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sortir de la crise.

Le débat actuel des dirigeants du système et des gouvernements des pays riches touchés par la crise

financière se centre sur deux propositions de sortie de crise :

a) d’une part, celle des défenseurs du modèle néolibéral monétariste promouvant la privatisation des

biens publics, la réduction des dépenses des gouvernements et en particulier le démantèlement des

États-providence, autant de mesures encouragées par les grandes banques et les multinationales et

dont l’Union Européenne, avec à sa tête l’Allemagne, le FMI, la Banque mondiale et les États-Unis se

font les porte-paroles, le marché jouant un rôle de régulateur.

b) d’autre part, celle des néo-keynésiens qui proposent notamment, sur l’exemple des BRIC11, de

retourner à un mode de croissance basé sur la production et le commerce en augmentant la demande

au moyen de politiques et de mesures de soutien aux investissements publics et privés, associées à

des programmes sociaux destinés à profiter aux classes moyennes à travers les petites et moyennes

entreprises et en conférant à l’État un rôle d’agent régulateur plus important.

C’est dans le cadre de cette dernière que s’inscrivent les propositions de la dénommée « économie

verte » promue par les Nations-Unies, avec l’accord des grandes entreprises12. Cette dernière élargit sans

restrictions et au moyen de politiques incitatives les possibilités d’investissement pour exploiter les

ressources naturelles protégées par des réglementations nationales, et tente d’introduire une

réglementation internationale à laquelle devraient se soumettre les différents pays, notamment les pays

du Sud qui détiennent les plus grandes réserves naturelles au monde.

Quoique soutenus par des groupes économiques distincts, ces deux courants et visions économiques aux

approches différentes ne s’excluent pas dans le fond. En règle générale, ils se mettent d’accord pour

appliquer des politiques économiques mixtes, l’un pouvant prendre le dessus sur l’autre en fonction du

modèle d’accumulation ou groupe dominant à un moment et lieu donnés.

De la même façon, ces deux courants visent à garantir la reproduction du mode de production capitaliste,

ce qui explique que les États interviennent pour financer les faillites des banques et ainsi surmonter la

crise du système financier international, même si ce sont le marché et ses dirigeants dérégulés, mus par

l’avarice et l’appât démesuré du gain, qui ont créé et fait éclater la bulle financière et spéculative.

11 Groupe de pays dits émergents comprenant le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine d’où le sigle BRIC. 12 Cf. le document intitulé « The future we want, », draft zéro, formant la base de la discussion de la Conférence sur le développement durable, Rio + 20, qui s’est tenue en juin dernier à Rio de Janeiro, au Brésil.

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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Il en découle deux questions fondamentales concernant la définition et le rôle de l’ESS auxquelles je vais

m’efforcer de répondre :

a) Premièrement, l’ESS est-elle un modèle économique intégré à la reproduction capitaliste ?

Si tel était le cas, elle gérerait un nouveau modèle d’accumulation basé sur le rôle de premier plan joué

momentanément par des entités à orientation sociale mais néanmoins centrées sur la croissance

économique et la recherche de profits.

Le fait est que pour se différencier des propositions déréglementées des marchés et de celles en faveur

de l’intervention de l’État en tant que régulateur, il lui faut proposer une troisième voie basée sur des

entités autonomes par rapport à l’État et au secteur privé.

Cette alternative pose la question de savoir qui doit jouer le rôle de régulateur de l’économie et ce qui

pourrait remplacer les entreprises privées et l’État. Dans la mesure où le système ne peut exister sans ces

mécanismes de gestion, il serait alors mis fin au capitalisme en tant que système dominant.

Il conviendrait alors d’examiner le rôle que joueraient en ce sens les coopératives de nombreux pays du

monde, lesquelles se sont adaptées et fonctionnent désormais de la même manière que les entreprises

capitalistes, ayant abandonné leurs principes et leur nature initiale au profit de la gestion économique

comme nouvelle raison d’être.

b) La deuxième question est la suivante : l’ESS est-elle un nouveau mode de production qui est né et

s’est développé sous différentes formes, en différents lieux et à différents degrés au cœur du

système capitaliste mondialisé ?

Comme nous le démontrerons dans le paragraphe suivant, je penche pour cette dernière possibilité dans

la mesure où comme en témoignent les expériences d’initiatives d’ESS menées partout dans le monde,

ces dernières permettent de bâtir de nouvelles relations sociales basées sur la coopération et la

collaboration entre les travailleurs et avec la nature.

De même, elles appliquent de façon équitable la répartition des richesses, pratiquent l’autogestion

démocratique, durable et transparente des biens communs, dans le respect de l’écologie et de

l’environnement, en organisant la production de manière à garantir le droit à la souveraineté alimentaire

grâce à l’application de normes en matière de commerce équitable, finances éthiques et consommation

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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responsable tout en garantissant la parité hommes-femmes. Toutes ces pratiques d’organisation de

l’économie sont contraires à la nature du système économique capitaliste.

Cela signifie que l’ESS continue de construire son propre système de relations sociales, production,

distribution, reproduction et consommation, qu’elle possède déjà en partie. De la même manière, elle est

force de propositions en matière de gestion démocratique de l’économie, du pouvoir politique et de la

culture, sur la base de principes éthiques, moraux et spirituels concourant à l’organisation structurelle

d’une société coopérative entre les êtres humains et la nature, émancipée de l’aliénation mercantile

propre au système capitaliste.

6. Les facteurs qui rendent possible le développement de l'Economie Sociale et Solidaire

Pour les défenseurs du mode de production capitaliste, l'économie est un système global qui domine et

englobe tous les autres sous-systèmes, y compris la biosphère, donc, de ce point de vue, ils justifient

leurs positions pour agir sur les problèmes environnementaux, sans modifier les aspects fondamentaux de

l’économie, dont les pratiques sont à l'origine de ces problèmes ou de ces « externalités » pour reprendre

leurs termes.

Autrement dit, l'économie crée des externalités (pollution, changement climatique, etc) et des dommages

non souhaités ou collatéraux, et cette même économie peut, en utilisant la science et la technologie, les

résoudre tout en les marchandant.

Par conséquent, pour sauver l'économie capitaliste, la marchandisation des richesses naturelles devrait

se poursuivre tout comme la marchandisation des services créés pour résoudre les problèmes

environnementaux. Dans les Caraïbes, cela est communément appelé « le commerce rond » (negocio

redondo).

Au contraire, la vision de l'ESS est de considérer que la biosphère est le système dans lequel le sous-

système économique se développe comme partie intégrante de celle-ci, donc, pour résoudre les

problèmes environnementaux actuels, nous devons transformer les relations d’exploitation qui

caractérisent le sous-système de l'économie capitaliste. Avec cette vision, nous sauvons le concept

original d'économie comme l'art d’entretenir le foyer.

L'ESS assimile le système économique capitaliste à un cancer par sa nature exploiteuse, qui pour exister

doit maintenir une croissance constante, au détriment des autres sous-systèmes et du corps même qui

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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abrite ce système, que nous appelons la « maison ». Par conséquent, la solution aux problèmes

environnementaux seraient trouvée en éliminant les rapports d'exploitation et en imposant comme remède

permanent les relations de coopération, la collaboration et l’attention portée à la « maison » pour toutes

celles et ceux qui l'habitent.

Bien que nous ayons évoqué plus haut, en termes généraux, les éléments qui tendent à l'extinction du

système économique capitaliste, il est nécessaire de détailler ces éléments qui démontrent ce qui se

passe réellement. Pour cela nous examinons les facteurs qui se sont accumulés et qui indiquent sa

proche disparition.

Je dois préciser que bien qu’il s’agisse de grandes contradictions, aucun système économique et social,

et encore moins le système capitaliste, ne se détruit automatiquement, nous devons l’aider à disparaitre

en utilisant ces contradictions.

Pour transformer le système capitaliste mondialisé, il faut une action consciente des sujets, déterminée et

intelligente, sur les plans économique, politique, culturelle et idéologique, qui, en dirigeant les forces

productives (la technologie, les connaissances, le travail et son organisation) et les nouveaux rapports de

production, ont la condition et la mission historique d'être la force qui défera les structures -économiques,

juridiques et politiques- anciennes et dépassées, qui soutiennent ce système.

La transformation d'une société vieillissante, en une autre société émergente, nécessite d'accumuler des

facteurs objectifs et subjectifs, qui non seulement fragilisent l'ancien système, mais également renforcent

le nouveau système économique qui se développe en son sein.

7. Les facteurs pour dépasser le système capitaliste mondialisé

Facteurs objectifs

Ils sont liés à des contraintes physiques et économiques qui empêchent la croissance continue du

« cancer ». Parmi eux nous signalerons les facteurs suivants:

a) L'existence du marché mondialisé, dans le prolongement duquel est garantie sa reproduction. A

grande échelle, ce marché a créé un ensemble de sociétés monopolistiques, parmi lesquelles 147

possèdent 40% de la richesse mondiale (S. Vitali, J.B. Glattfelder, and S. Battiston, 2011). Plus

particulièrement, sa croissance a pénétré dans toutes les régions et tous les secteurs

économiques de la planète. C’est pour cela que le marché demande de supprimer les limites

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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imposées par la réglementation et les lois relatives à la protection des écosystèmes naturels qui ne

sont pas encore marchandisés.

b) Il a supprimé la majeure partie des valeurs d’usage, en les marchandisant, tel que le travail

domestique, l'éducation, la santé, l'eau, la terre, l'air, etc.

c) Afin de se reproduire, il recourt à la création de besoins de consommation nouveaux et superflus,

qui augmentent la demande de biens non vitaux.

d) La recherche incessante d'exploitation de toutes les ressources et des propriétés de la nature,

utiles au commerce mondial, tel que le brevetage des plantes médicinales et d’autres éléments

de la biodiversité et de la génétique.

e) L'appropriation privée des biens communs tels que les écosystèmes naturels.

f) L’accélération de l'obsolescence des biens et la planification de l’arrivée des nouvelles

technologies sur les marchés.

g) L'incapacité d'absorber plus de 50% des travailleurs13 et des travailleuses à l’échelle mondiale,

qui compte-tenu du taux élevé de chômage, des bas salaires, de la précarité croissante et de

l’insécurité au travail, préfèrent développer des activités et des initiatives économiques

autonomes, augmentant ainsi le recours à l'économie dite informelle.

h) La contradiction fondamentale du système est déjà extrême, laquelle établit que, tandis que la

production est de plus en plus sociale, l'appropriation de ses résultats est de plus en plus

individuelle ou privée. Déjà, en 2000, sur 7 milliards de personnes dans le monde, seulement 2%

de tous les adultes dans le monde, environ 70 millions de personnes, possédait plus de la moitié

de la richesse mondiale. Seulement 1% des adultes les plus riches possédait 40% des actifs

mondiaux. En outre 90 % de la richesse mondiale totale « est fortement concentrée en Amérique

du Nord, en Europe et dans les pays à hauts revenus de la région Asie-Pacifique. Avec 6% de la

population mondiale, l'Amérique du Nord possède 34% de la richesse mondiale14 ».

Tous ces facteurs sont exprimés comme des tendances qui se renforcent chaque jour et s’imposent

comme une réalité, qui génèrent des facteurs nouveaux et plus complexes, et qui créent les conditions de

la disparition du mode de production capitaliste mondialisé.

Facteurs subjectifs

Dans son désir démesuré de recherche de ressources et du maintien de niveaux de bénéfices et de

croissance économique, l'économie capitaliste a peu à peu démantelé tout le système juridique, politique,

institutionnel, éthique et moral dans lequel il s’est développé. Ainsi, ce système :

13 Selon l’Organisation Internationale du Travail, dans les pays pauvres, la proportion de l’activité informelle oscille entre 35 et 90% de la population active. 14 http://www.elsiglodetorreon.com.mx/noticia/249589.html

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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a) Ne tolère pas les lois qui créent des obstacles aux activités économiques, implantant le

libéralisme partout, promouvant et créant de nouvelles règles en fonction de ses intérêts.

b) En vertu de sa logique, les lois existent pour être violées, avec la complicité des États, il crée des

paradis fiscaux, des zones franches, des traités de libre-échange et maintenant promeut

l'économie verte.

c) Les monopoles exigent la pleine liberté d'action dans les économies des pays du Sud, violant les

lois du travail, de protection des ressources naturelles et des écosystèmes, ou bien promeuvent

la modification des lois, exigeant une sécurité juridique pour leurs investissements.

d) Entraîne la perte de légitimité et de crédibilité des gouvernements et des élites patronales devant

la population, par le recours au mensonge, au chantage, à la corruption, etc., malgré des

dépenses publicitaires pour la promotion de la dite responsabilité sociale des entreprises, la

diffusion commerciale et politique.

e) Promeut la liberté, mais la liberté qui convient à ses intérêts. La liberté avec et en faveur des

monopoles, ce qui est complètement contradictoire15.

f) Pour développer leurs ventes, les monopoles recourent à des « contre-valeurs », à la contre-

éthique, à la dépravation, comme moyen de diffusion de la culture du consumérisme auprès de la

population.

g) Décomposent et rendent inefficaces des institutions juridiques et politiques du système, tels que

les pouvoirs de l’Etat, la justice, la sécurité, etc.

h) Les pratiques éthiquement perverses dans la politique d'immigration de la part des pays riches,

qui exigent et imposent la liberté pour le capital mais qui criminalisent la liberté de circulation des

travailleurs.

i) Tous les postulats et principes moraux, éthiques, philosophiques, politiques, culturels et même

religieux, sur la liberté, la démocratie, la justice, l’économie…, sont interrogés et remis en cause

par de plus en plus de gens qui se basent sur les faits, ce qui génère la méfiance, l'incrédulité, la

déception et la réflexion sur des paradigmes alternatifs.

Par l'accumulation historique des facteurs objectifs et subjectifs dont certains décrits ci-dessus parmi bien

d'autres (je n'ai mentionné que les plus évidents à ce stade), cela nous montre que dans la phase actuelle

du développement capitaliste, apparaissent des indices qui mettent en évidence que le processus

d'extinction de ce mode de production a déjà commencé.

15

Alors que le leadership impérial mondial exige la liberté de mondialiser toutes les ressources et les moyens des pays pauvres,

« il ne permet pas de mondialiser ni la main-d'œuvre ni le territoire politique et économique des pays riches et fortement industrialisé. Il ne permet pas non plus de mondialiser les bénéfices de la mondialisation » (Arruda 2010, 75).

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Sur ce point, je partage l'hypothèse que certains auteurs ont proposé que cette étape serait

l'aboutissement du processus d'évolution du capitalisme16. Il ne s’agit pas de la fin du monde, mais de la

fin du monde capitaliste et de tous ses maux. Alors maintenant, quel mode ou système de production,

nous humains, construisons-nous? Les paragraphes suivants portent sur cette question.

8. Conditions favorisant le développement de l'ESS en tant que mode de production post-

capitaliste

Basée sur la loi de la dialectique, la synthèse capitaliste (mode de production), a développé à l’extrême

son antithèse (les contradictions inhérentes à celle-ci) donc logiquement, il doit émerger une nouvelle

synthèse (un nouveau mode de production). Cette synthèse est-elle le mode de production de l'ESS?

Nous tenterons de donner des lignes directrices qui permettent de confirmer cette hypothèse.

La mondialisation du système économique actuel a entraîné de nombreuses pénuries et menaces mais

également des opportunités prometteuses pour l'humanité, dont nous devons tirer profit.

Pendant que se sont accumulés des facteurs indiquant le recul du processus d'évolution du capitalisme

comme mode de production -ce qui est très encourageant- se sont également accumulés en son sein

d'autres facteurs ou aspects potentiellement positifs pour l'avenir de l'humanité.

Marco Arruda (2010, 69-70) appuyé par divers auteurs, a recueilli ces aspects, que je vais détailler

brièvement :

a) Emergence et développement de nouveaux systèmes d'organisation de production à plus petite

échelle et flexible, qui utilisent de plus en plus les connaissances plutôt que le travail manuel.

b) Les innovations dans l'organisation de la production facilitent l'utilisation de la créativité des

travailleuses et travailleurs, réduisant ainsi le travail monotone et abrutissant.

c) Avec les innovations en informatique et en robotique, la perte de temps et d'énergie humaine

consacrée au travail se réduit, ce qui augmente la productivité et créé la base de la créativité et de

nouvelles innovations en matière de technologie, de culture et de science.

d) L'émergence de systèmes d'auto-gestion, de co-gestion et de co-propriété du fait de l'utilisation de la

haute technologie et des connaissances, qui sont le fondement d'une culture organisationnelle de

l'information, ce qui donne plus de mobilité et d'autonomie aux travailleurs et aux travailleuses.

16 Des auteurs tels que Marcos Arruda, 2010, Samir Amin, 2005, Edgar Morin, 2010, parmi beaucoup d'autres, soulèvent cette hypothèse en analysant les différents facteurs qui permettent de vérifier l'exacerbation des contradictions inhérentes au capitalisme.

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

51

e) L’augmentation du potentiel de libération du travail humain (travailleurs autonomes) par rapport à

l'emploi salarié dans le système capitaliste, et valorisation du travail associatif, lequel génère une

praxis de communication et de création comme noyau du développement effectif de l’humain.

f) Une intensification des échanges solidaires, de la complémentarité des connaissances et des

ressources, de la solidarité dans les luttes, de l'expansion de la conscience d’une espèce unifiée

dans la diversité, facilitée par les progrès de la télématique et avec elle de la démocratisation de la

communication.

g) Dans la mondialisation, est offerte la base matérielle pour le développement des relations de

coopération, ce qui permet aux travailleurs du monde entier de s’unir pour une humanité

responsable, plurielle et solidaire.

Tous ces aspects ont créé et développent le domaine de la culture, de l'écosystème, de l'environnement

économique, technologique et social, dans lequel il est né et où peut croitre le mode de production de

l'ESS -ou comme on voudra le nommer. Il est clair que ce dernier sera basé sur les rapports de production

fondés sur la coopération, la collaboration, la solidarité entre les êtres humains et de ceux-ci avec la

nature.

Il ne peut en être autrement, parce que sinon, notre espèce, la maison où nous vivons et avec elle toute la

vie disparaîtraient, ou pour le moins seraient victimes d'un catastrophe sociale et écologique irréparable.

Mais nous sommes des êtres intelligents et nous nous avons pris conscience de cette situation à la

croisée des chemins. Comme l'ESS est gérée par des travailleuses et des travailleurs, le contexte ci-

dessus a également donné lieu à l’émergence de sujets qui conduisent au processus de développement

et de triomphe final de l’ESS en tant que système économique mondial, et, de là, à l'humanisation du

monde.

9. Le sujet porteur et conducteur du changement

En vérité il n'est pas aisé d’assumer la tâche de transformer la mondialisation actuelle développée

pendant plus de cinq siècles, où l'économie est le protagoniste et les humains sont des choses

négociables, et parallèlement de construire une nouvelle mondialisation, où l'homme est le protagoniste

de son économie afin de «remplir sa vocation historique [et évolutive] d’être l’acteur de son histoire et de

son développement en tant que personne, communauté, société et espèce» (Arruda 2010).

Il est difficile, voire impossible, si les gens prêts à le faire ne forment qu’un petit groupe, une minorité qui

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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devrait assumer le rôle de héros de films américains.

Nous devons assumer cette tâche titanesque et glorieuse en impliquant la grande majorité des

travailleuses et des travailleurs exploités et exclus, y compris ceux qui résistent à partir de n'importe quel

poste de travail ou de lutte, les intellectuels, les éducateurs populaires, les chefs d'entreprises et les

organisations d'économie sociale et solidaire, les universitaires, les écologistes, les agriculteurs, les

féministes, les jeunes, les homosexuels, les personnes handicapées, les militants du mouvement social et

des droits de l'homme, les peuples autochtones et toutes les personnes disposées à faire partie de cet

exploit honorable.

Il est positif et plein d'espoir de rappeler que toute cette force est déjà en construction et en mouvement,

générant et accumulant chaque jour des richesses matérielles collectives, culturelles et idéologiques, en

dirigeant et en gérant la propriété commune des coopératives, des entités à but non lucratif, des groupes

d'auto-assistance, de mutuelles, de fondations indépendantes, de groupes de gestion des écosystèmes

écologiques et des aires protégées, de producteurs écologiques, de banques éthiques, éthique bancaire,

d’associations professionnelles, de banques communautaires, de groupes et de militants de la

consommation responsable, des réseaux et des bourses d’échanges solidaires, de la culture libre, du

tourisme responsable ou de l'écotourisme, du troc, de la permaculture, de l'écovillage, de la décroissance,

du Slow Food, du bien-vivre, des peuples autochtones, des monnaies solidaires, de la diversité sexuelle,

etc.

Toutes ces expressions relèvent de la propre initiative et de la créativité des personnes impliquées, qui

disposent d’autonomie, de diverses formes d'organisation, d'action et de démonstration de solidarité.

"Le renforcement du pouvoir socio-économique et politique et l'hégémonie culturelle du travailleur

[et j’ajouterai de la travailleuse] en tant qu'individu et en tant qu'être social et espèce complexes, en

constante et chaque fois plus consciente évolution, est la source d'une transformation annoncée de la

civilisation" (Arruda 2010, 306).

Ce sujet nouveau « transformateur » ne peut se développer et assumer son rôle de protagoniste sans une

éducation complète à une éthique de la conservation de l'espèce humaine, et avec elle de la nature, de la

solidarité et de l'amour pour la vie.

∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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L’auteur : Abdou Salam Fall, Sénégal

Abdou Salam Fall (PhD) est sociologue à l'Institut

Fondamental d'Afrique Noire (IFAN) de l'Université Cheikh

Anta Diop de Dakar au Sénégal.

Enseignant-chercheur depuis vingt ans, il est titulaire d'un

doctorat en sociologie urbaine à l'Université Cheikh Anta

Diop de Dakar et d'un doctorat en sociologie économique de

l'Université d'Amsterdam aux Pays-Bas.

Abou Salam Fall dirige le Laboratoire de recherche sur les Transformations économiques et sociales

(Lartes) de l'IFAN au Sénégal depuis 2007. Il est également le responsable du nouveau programme de

doctorat "Sciences sociales appliquées au développement" à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

Le Professeur Abdou Salam Fall a été Président du RIPESS, réseau intercontinental de promotion de

l'économie sociale et solidaire de 2002 à 2006, il est Président d'honneur du Groupe sénégalais

d'économie sociale et solidaire depuis 2007 et membre du Conseil scientifique du CIRIEC International

depuis 2006.

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Les réponses de l’économie sociale et solidaire aux besoins sociaux

dans le monde, par Abdou Salam Fall, Sénégal

Introduction

Les situations de crise que le monde a connues ont révélé l’impératif du développement de l’intérieur des

sociétés ainsi que les limites de l’économie spéculative. De plus, les systèmes de mesure de l’activité

économique ne reflètent pas suffisamment les changements structurels qui caractérisent l’évolution des

économies modernes (Stiglitz, Sen, et Fitoussi, 2009) alors que les modes de régulation internationale

s’avèrent également peu favorables à leur ancrage national et local. Se soustraire du marché mondial

n’est pas le but, mais bien le refus de s’accommoder à des règles non négociées sur des bases

démocratiques.

Or, il apparaît bien que la concentration des richesses entre les mains d’une minorité demeure le mode

opératoire capitalistique. Ceux qui produisent les richesses sont exclus des sphères de régulation sous

contrôle des multinationales. Il en résulte des inégalités nouvelles qui ne peuvent corriger les inégalités

structurelles qui sont à l’origine des nombreux problèmes sociaux : non accès au travail, travail indécent,

non-respect des droits humains, faim et famine, inégal accès aux services sociaux fondamentaux,

déséquilibre des ensembles géographiques, inégalités de genre et de génération, habitat précaire,

revenus incertains, cadre de vie dégradé, faible accès aux capitaux, perte de biodiversité, menaces

environnementales diverses, etc.

Les réponses de l’économie sociale et solidaire face aux besoins sociaux sont analysées dans cet article

sous trois axes : l’inclusivité de la croissance, la durabilité /la soutenabilité des modes de production et le

passage à l’échelle des initiatives entrepreneuriales. Ces réponses fraient la voie à la gouvernance

multidimensionnelle, cette gouvernance qui installe des processus de co-production par les principaux

types d’acteurs du pluralisme économique : l’économie publique cohabitant avec l’économie privée et

l’économie sociale et solidaire.

1. L’économie sociale et solidaire contributive d’une croissance inclusive

L’insertion à la marge qui est le reflet de mauvaises conditions de travail et de bas salaires ainsi que le

déficit d’accès à l’information économique, contribuent à produire une participation étriquée des pauvres à

la croissance.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Le rapport de Stieglitz, Sen et Fitoussi (2009), établit bien que les rapports entre la croissance moyenne

du PIB par tête et les inégalités se creusent: « beaucoup de personnes peuvent se trouver plus mal loties,

alors même que le revenu moyen a augmenté17 ». Il apparait que la croissance reste captée par les

franges aisées dans de nombreux pays en l’absence de mécanismes impliquant les acteurs populaires

dans l’économie moderne. Il s’y ajoute les effets pervers de la croissance sur l’environnement et autres

vulnérabilités qui rigidifient les inégalités sociales.

L’analyse de Mckay (2008) met en relief le fait que des niveaux élevés de vulnérabilité, font que les

pauvres seront moins susceptibles, de s’engager dans des activités risquées qui ont le potentiel d’être

plus rentables. La contribution de l’économie sociale et solidaire dans la lutte contre l’insécurité

économique repose également sur l’augmentation de revenus et leur conversion en services pour les

populations pauvres (Fall A.S., 2007).

A l’inverse, la croissance inclusive introduit la perspective à long terme des processus de développement

(Lanchovichina et Lundstrom, 2009). Stiglitz, Sen et Fitousi (2009) insistent sur l’importance de la «

soutenabilité du niveau de bien-être», c'est-à-dire l’accumulation de capital multidimensionnel en stock

suffisant pour être consommé rationnellement et transmis aux générations futures. Ils encouragent dès

lors la nécessité de disposer de mesures d’instruments de la croissance inclusive en termes d’étendue et

de degré d’inclusivité.

La croissance inclusive devient un engagement politique en faveur des pauvres dont la participation

économique serait reconnue au travers de leur forte présence dans l’économie sociale et solidaire. Mais

elle va au-delà de la lutte contre la pauvreté pour embrasser la question fondamentale des

transformations économiques et sociales pour une meilleure intégration du développement social et

économique.

Il faut donc une qualité de croissance pour tirer le niveau de vie vers le haut. Pour être durable, cette

croissance doit être endogène. Elle doit être portée entre autres par l’économie sociale et solidaire qui est

en soi l’espace de l’endogénéité. En effet, l’économie sociale et solidaire est une économie du peuple.

Elle se réalise à l’échelle locale. Elle est donc ancrée dans les territoires. Elle garantit l’accessibilité

géographique qui fait défaut à l’économie capitaliste. Celle-ci reste segmentée et se traduit par une

concentration des pauvres dans des quartiers et régions périphériques, donc éloignés des opportunités.

Une telle marginalisation est accentuée par un faible investissement dans le capital humain, notamment

dans la formation et l’entreprenariat dont la conséquence est de limiter la portée de la participation des

17 Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, 2009, Joseph E. STIGLITZ, Amartya SEN et Jean‐Paul FITOUSSI. www.stiglitz‐sen‐fitoussi.fr

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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pauvres dans le travail.

En revanche, la croissance inclusive rend possible l’égalité d’accès à des opportunités crées pour tous,

notamment les pauvres. Comme le montre Birdsall (2007), elle contribue à augmenter la taille de la classe

moyenne. C’est dans ce cadre que l’entreprenariat social participe à cet effort d’accessibilité du travail

décent et de l’élargissement des opportunités d’affaires à de larges franges de la population.

Par exemple, les coopératives de production et de services donnent de l’élan à l’entreprenariat social. Les

activités économiques à finalité sociale ré-encastrent l’économie dans le social. Elles montrent que

l’initiative privée, l’entreprenariat ainsi que la production de richesses n’est ni l’apanage des individualités

ni celui des clans de riches. Plusieurs expériences confortent l’idée selon laquelle les niches d’emploi sont

identifiables dans l’activité au quotidien des acteurs sociaux.

Les réseaux de commerce équitable mettent en liens des producteurs qui s’identifient mutuellement à un

référent commun, valorisent leur production, les techniques locales ou l’artisanat. L’activité s’intègre à leur

vie sociale à l’image de l’économie sociale et solidaire qui est demeurée un mode de vie dans les pays du

Sud. C’est le cas de la Cooperative Heiveld pour la production du Wupperthal Rooibos TEA (thé rouge) en

Afrique du Sud, les coopératives de femmes productrices d’huile d’argan au Maroc ou encore la Mutuelle

d’épargne et de crédit pour la solidarité ouvrière mise en place par la Confédération nationale des

travailleurs du Sénégal pour accompagner les travailleurs qui ont perdu leur emploi ou travaillent dans des

conditions précaires.

Bien plus, dans ces activités de l’économie sociale et solidaire, les richesses à créer sont le fait de

personnes reconnues, appartenant à des groupes et soucieux de leur environnement social, local et

écologique.

2. Produire autrement par l’approche écologiste

L’approche écologiste et éthique préconisée par l’économie sociale et solidaire aide à montrer une voie

pour produire autrement dans le respect du développement durable. Il est tout aussi indispensable que les

mesures de performance économique intègrent les coûts environnementaux. Par exemple le

réchauffement de la planète doit entrainer une autre régulation des émissions de carbone. Ainsi que le

relève le Growth Report de Oxford Policy Management (OPM) (2008), ce sont les pays pauvres dans les

régions tropicales qui sont plus susceptibles de souffrir de la pire façon des dommages causés par le

réchauffement de la planète.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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S’il est vrai que les pays en développement n'ont pas, le plus souvent, les ressources nécessaires pour

s'adapter facilement au réchauffement climatique, inversement dans de nombreux pays, les coopératives

de producteurs et les communautés autochtones-définissent des règles que leurs communautés

reconnaissent dans le domaine de l’eau, des forêts, des ressources cynégétiques, foncières,

énergétiques.

En raison de l’approche faite de proximité par les communautés, elles-mêmes conscientes des menaces

sur leur environnement et leur espace de vie, la réduction des émissions de dioxyde de carbone portée

par l’économie sociale et solidaire se trouve dans les techniques locales et adaptées, régénératrices et

écologiquement éprouvées.

L’économie sociale et solidaire structure de ce fait le développement des communautés en projetant une

réflexivité sur les résiliences, capable de générer les ressorts des progrès sur soi (Fall A.S., Favreau L.,

Larose G., 2004).

Participer à l’effort commun face aux risques mondiaux trouvera un écho favorable et mobilisateur auprès

des acteurs qui se posent comme pionniers du développement durable et fiers de leur responsabilité

citoyenne. Le Forum social mondial, dans sa formule rotative (de Porto Alègre 2001, 2002 et 2003 à

Dakar 2011 ou Tunis 2013, en passant par Mumbai 2004 et Nairobi 2006), a contribué à partager ces

exigences écologistes de notre époque grâce à sa fonction d’amplificateur des messages des

mouvements sociaux à l’échelle internationale et de construction commune et démocratique d’agendas

des changements et des transformations économiques et socio-politiques émancipatrices des inégalités

structurelles.

3. Mutualiser c’est renforcer le pouvoir d’agir et d’entreprendre des acteurs sociaux

Dans le domaine de la protection sociale, l’économie sociale et solidaire apporte une touche

supplémentaire en étant le cadre de la vitalisation des liens par la mutualisation des ressources en face

de besoins communs. Or certains pourfendeurs de l’économie sociale et solidaire considèrent que la

solidarité n’est pas l’objet de l’économie qui serait le cadre par excellence du profit. En voie de

conséquence, l’économie sociale et solidaire qui se définit comme non lucrative, serait en dehors de la

sphère d’effet de l’économie. On peut leur objecter par exemple que si les coopératives et mutuelles ne

font pas partie de l’économie, que reste-t-il de non marchand ou de patrimoine collectif dans ce secteur?

En effet, dans leur Rapport sur l’économie sociale dans l’Union Européenne en 2007, Rafael Chaves et

José Luis Monzon du CIRIEC International montrent que les coopératives, associations, mutuelles et

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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assimilées comptaient en 2002-2003, 11 142 883 emplois, soit 6,7% du volume total d’emplois salariés

dans l’Union Européenne à 25. Plus récemment, en 2008, l’INSEE établit que l’économie sociale

représente près de 10 % de l’emploi salarié national hors agriculture et 8% des salaires en France.

De même, citons l’exemple des mutuelles de santé en Afrique et ailleurs qui offrent une mutualisation des

frais des soins de santé et favorisent une meilleure accessibilité aux structures de santé et dans certains

cas, une meilleure qualité des services. Ces exemples corroborent le fait que l’économie sociale et

solidaire est une façon autre d’agir en économie au service de la cohésion sociale. Elle participe donc à

fonder les bases de la protection sociale. La protection sociale vise à rendre possible à la fois la solidarité

horizontale (groupe de pairs) et verticale (de l’Etat, des Collectivités locales aux acteurs pour conforter

leurs initiatives et garantir les droits de vie au plus grand nombre).

Elle postule ainsi une gouvernance ouverte et vertueuse susceptible d’inspirer les ruptures nécessaires au

sein des Etats, des institutions régionales ou continentales, en particulier dans les pays où les politiques

sociales restent débridées.

Cependant, les expériences reconnues de l’économie sociale et solidaire pouvant servir de rampe de

lancement de la nécessaire offensive internationale sont nombreuses : l’économie populaire en Afrique au

Sud du Sahara concentre plus de 80 % des nouveaux emplois créés dans ces pays. L’artisanat local

comme les initiatives de valorisation de l’art culinaire ou la petite industrie culturelle sont en pleine

expansion selon l’esprit « résister et produire » ou « résister, c’est créer » face à la nouvelle hégémonie

des produits de la grande distribution.

De même, l’Amérique latine a expérimenté l’entreprenariat à l’échelle mezzo au travers des PMI avec des

initiatives de cogestion et un partenariat privé-public réussis dans de nombreux cas. Villa El Salvador au

Pérou avec son parc industriel (Favreau L. 2008) ou les cuisines collectives à Lima sont des exemples de

réussite connus. Parmi les bonnes pratiques, le Canada s’illustre par le développement communautaire et

son lien avec le développement local mais aussi par l’implication du mouvement syndical québécois dans

la promotion d’outils de finance solidaire couvrant de nombreux groupes d’acteurs. Le mouvement

Desjardins international, l’une des premières institutions financières du Québec, a contribué à tirer le

développement national vers le haut.

En Europe, la Banca Etica, les coopératives du Mondragon, les assurances sociales, les fonds de

pension, etc. sont autant de repères d’une économie sociale et solidaire institutionnalisée et qui se hisse

en bonne place sur le marché mondial. En Asie, l’expérience du Pratham a réussi à réhabiliter l’école

publique en démontrant que face à des problèmes complexes, le peuple indien adopte des solutions

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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simples, à sa portée et tout aussi efficaces. On peut multiplier les exemples non sans mentionner la

Grameen Bank au Bengladesh qui a influencé tout le système de micro-finance dans le monde.

Aux Etats-Unis, les quartiers abritant le quartier général des anciennes filières industrielles sont

aujourd’hui revitalisés par des associations citoyennes. Les usines dans de nouvelles niches sont reprises

par des associations de travailleurs qui cogèrent avec d’autres investisseurs, y compris étatiques ou

privés.

Dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, des groupes se forment pour

valoriser les logiciels libres, gérer des radios communautaires, des journaux en ligne, des sites web, etc.

De nouveaux métiers émergent et l’entreprenariat devient plus inclusif. Les fondations et ONG ne sont

pas en reste. Elles sont plusieurs à avoir décidé d’accompagner l’irréversible processus de changement

pour un monde meilleur, équitable et fondé sur la justice économique et sociale. Elles doivent cependant

se mettre en réseaux et financer ces cadres communs afin de constituer un pôle alternatif à l’image que

ce que le Forum social mondial a impulsé.

Face à cette constellation d’initiatives économiques conduites par divers groupes sociaux, comment alors

expliquer qu’aujourd’hui, l’économie sociale et solidaire n’apparait pas comme un grand pôle économique

mondial, capable de dialoguer avec les autres types d’économie et donc de valoriser son paradigme fondé

sur l’utilité sociale, le bien collectif indivisible, la confiance à l’effort collectif, la solidarité en économie, la

cohésion, en bref, les finalités sociales de l’économie portée par des communautés et des groupes ?

Conclusion : Pour mieux répondre aux besoins sociaux, vers une économie sociale et solidaire

influente sur le marché mondial

Pour donner un visage humain à la mondialisation, il faudra reconnaitre que la gouvernance internationale

est assurée par des « pilotes sans boussole fiable» (Stiglitz J., Sen A., Fitoussi J.P., 2009) et œuvrer à un

rééquilibrage des relations internationales.

La fonction de laboratoire de l’économie sociale et solidaire est à mettre à profit pour interroger le

paradigme dominant les processus de développement. Cependant, il est devenu nécessaire de favoriser

une approche coordonnée, multi-réponse latérale des économies.

En effet, quoique couvrant de nombreux secteurs d’activités économiques à finalité sociale, l’économie

sociale et solidaire est restée le plus souvent principalement au ras du sol et à l’échelle mezzo. Son

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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champ est donc large mais ses entreprises évoluent généralement dans de petites échelles. Cet ancrage

local et territorial, qui est en quelque sorte une marque déposée de l’économie sociale et solidaire, doit

servir de fondement pour viser une influence à l’échelle macro-économique.

Les entreprises de promotion du commerce équitable, celles du tourisme social ou de la finance solidaire

illustrent bien un potentiel de développement au plan international. Il faut œuvrer à réunir les conditions

d’une offensive de l’économie sociale et solidaire au cœur du marché mondial pour l’influencer encore

plus et valoriser qu’ « affaires » et éthique peuvent cheminer ensemble si tant est que l’intérêt général ou

la responsabilité collective se concilient avec l’entreprenariat privé. Il est donc essentiel de prendre la

pleine mesure de l’orientation de l’économie sociale et solidaire pour un développement de l’intérieur des

sociétés. L’ancrage au développement local et régional constitue ainsi le premier palier à asseoir pour un

développement maîtrisé.

L’économie sociale et solidaire promeut de ce fait les produits du terroir dans des circuits courts et invite à

une solidarité entre producteurs et consommateurs. Plus généralement la consommation responsable

devient le maître mot pour traduire une prise de conscience des consommateurs de leur fonction

citoyenne d’influencer positivement les conditions décentes de production.

L’économie sociale et solidaire confère une fonction politique aux produits qui cessent d’être anonymes,

incitant le consommateur à davantage de citoyenneté et de renoncement à la consommation froide.

L’attention portée pour un développement ascendant et endogène est une des meilleures contributions de

l’économie sociale et solidaire en faveur de la justice sociale et économique.

L’économie sociale et solidaire contribue à élargir et à dynamiser le marché intérieur et donc à offrir une

meilleure intersectorialité. En raison de la diversité de son champ d’action et de la complémentarité de ses

pratiques, l’économie sociale et solidaire répond aux questions que le bien-être pluridimensionnel pose.

L’économie sociale et solidaire doit donc être soutenue grâce à des dispositifs dédiés par les Etats et les

organismes de développement. Trois directions sont à privilégier pour faciliter le rayonnement de

l’économie sociale et du partage de son paradigme à une échelle internationale, visant à en faire un grand

pôle de référence d’une autre façon d’entreprendre : d’abord, l’observatoire des statistiques et des

pratiques pour visibiliser l’économie sociale et solidaire dans l’évaluation des performances économiques,

ensuite, des programmes de renforcement des capacités des entreprises de l’économie sociale et

solidaire organisées autour des réseaux nationaux et continentaux, enfin, des fonds dédiés pour

accompagner les innovations entrepreneuriales et en faciliter l’éclosion.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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L’auteur : Louis Favreau, Canada

Docteur en sociologie, professeur à l’Université du Québec

en Outaouais (UQO) et titulaire de la Chaire de recherche en

développement des collectivités (CRDC), Louis Favreau a

été rédacteur en chef de la revue Économie et Solidarités

pendant plus d’une décennie.

Corédacteur du document d’orientation de la 5ème édition des Rencontres du Mont-Blanc (2011) organisée

par le Forum international des dirigeants de l’économie sociale et solidaire, il est également vice-président

du Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ) et membre du Conseil d’administration du Conseil

québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) depuis 2007.

Son champ de recherche et d’expertise a trait aux coopératives, aux mouvements sociaux et au

développement des communautés. Il a également un blogue sur internet :

http://jupiter.uqo.ca/ries2001/carnet/

Dernières publications aux Presses de l’Université du Québec (PUQ)

http://www.puq.ca/auteurs/louis-favreau-319.html :

Favreau, L. et M. Hébert (2012). Transition écologique de l’économie. Contribution des coopératives et de

l’économie solidaire. Presses de l’Université du Québec, Québec.

Bourque, G., L.Favreau et E. Molina (2012), Le capitalisme en crise, quelle réponse des coopératives?

Revue électronique Vie économique, vol.3, numéro 4, Montréal. http://www.eve.coop/?r=15

Favreau, L. et E.Molina (2011), Économie et société. Pistes de sortie de crise. PUQ, Québec.

Favreau, L. (2010), Mouvement coopératif. Une mise en perspective. PUQ, Québec.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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L’urgence écologique, le principal défi de l’économie sociale et

solidaire, par Louis Favreau, Canada

Nous traversons «la première crise socio-écologique du capitalisme financier et boursier, la première où la

raréfaction des ressources et les dégâts écologiques ont eu une influence sur le plongeon économique»

(Gadrey, 2010). Écologiquement parlant, la planète est en état de survie. Parmi les risques

environnementaux d’envergure planétaire mentionnons le réchauffement accéléré de la planète dû à la

consommation élevée d’énergies fossiles; la menace qui pèse sur la biodiversité due au modèle de

développement qui ne prend pas en compte l’équilibre des écosystèmes et, finalement, les diverses

formes de pollution. Transférer le mode de vie des populations actuellement riches à l’échelle de la

planète est insoutenable et l’action à entreprendre implique une intervention à l’échelle mondiale pour

prendre en compte le cycle de vie de nos productions et l’empreinte écologique de notre consommation.

Copenhague en 2009 a échoué, Cancun en 2010 a réussi mais sans rien décider au plan opérationnel et

Rio+20 en 2012 n’a pas offert non plus de décisions majeures pour agir concrètement. La transformation

écologique de l’économie est un enjeu mondial qui rejoint les réalités de tous les pays, de toutes les

régions et de toutes les communautés. Elle questionne d’entrée de jeu notre mode de production et de

consommation. La géopolitique mondiale de l’exploration du gaz de schiste est le dernier témoin de cet

univers des énergies fossiles sur lesquelles la révolution industrielle s’est appuyée depuis ses débuts. Le

présent texte veut mettre en perspective cette urgence écologique sous l’angle de la partition que peut y

jouer l’économie sociale et solidaire (ESS) dans la prochaine décennie.

1. Une planète en péril : la dérive écologique enfonce la société dans la crise

La réflexion économique et sociopolitique d’aujourd’hui s’interroge plus que jamais sur la nature globale

de la crise dont le déclencheur a été la politique de prêts hypothécaires à haut risque des banques

américaines en 2008. Parce qu’on ne saurait se satisfaire de ce trop court diagnostic qui considère la

crise de 2008 comme étant d’abord financière (le crédit débridé) et économique (déstabilisation des

entreprises, montée du travail précaire et chute de l’emploi). Il faut pousser plus loin et considérer que la

crise est globale sans être totale (puisque certains pays, les émergents, s’en tirent mieux que d’autres) :

économique à coup sûr, sociale par la montée des inégalités mais aussi, et à la même hauteur,

écologique c’est-à-dire alimentaire, énergétique et climatique. Il y a de petites crises mais celle-ci est une

grande crise parce qu’à la crise économique et sociale s’est superposée la crise écologique. Comment ?

Les crises se télescopent : désastre annoncé

Le changement climatique, la crise alimentaire et la crise énergétique se télescopent et se combinent à

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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cette crise financière que peu de monde avait vu venir. Et peu à peu on prend conscience qu’avec le

réchauffement climatique sont également venus la réduction de la biodiversité, le trop plein d’azote dans

l’atmosphère causé principalement par une agriculture productiviste, l’acidification des océans, la

dégradation des forêts, la diminution des terres cultivables, la pénurie mondiale d’eau douce…D’où la

fracture de plus en plus nette entre la création de richesses au plan économique et le progrès social et

écologique. Question centrale qui en condense plusieurs : quelle sera l’ampleur du réchauffement au

21ième siècle ? Ainsi les chocs majeurs liés au réchauffement de la planète peuvent se résumer ainsi si on

va au-delà de 2°C degrés : productivité agricole réduite (sécheresses, inondations…), insécurité aggravée

de l’accès à l’eau potable, inondations côtières et risques sanitaires accrus. À l’échelle mondiale, dans le

premier cas, cela induit plus de 600 millions de mal-nourris de plus ; dans le second, le stress hydrique

affecte plus de 1,8 millions d’habitants ; dans le 3e cas 300 millions de réfugiés et dans le 4e cas de 220 à

400 millions de personnes exposées au paludisme (malaria), au choléra, etc. (Houée, 2009 : 204-2005).

Le groupe intergouvernemental d’études sur l’évolution du climat (GIEC) n’a pas été jusqu’à répondre au-

delà de 2°C ou 3°C degrés, tant à ce niveau, les choses apparaissent déjà redoutables. Ce groupe

d’experts internationaux s’entend pour dire que 2 degrés est un plafond et que pour respecter ce plafond,

cela suppose que les pays industrialisés du Nord réduisent de 30% d’ici 10 ans leurs émissions de CO218.

On déduit alors que les modifications dans l’économie de ces pays sont des modifications de grande

envergure, fondamentales même19.

Des échéances qui peuvent être fatales

De plus, désormais certaines échéances peuvent être fatales étant donné les croisements de l’échéance

climatique liée au seuil de réchauffement de la planète, de l’échéance énergétique liée à l’épuisement des

ressources pétrolières (et de sa gestion spéculative) et de l’échéance alimentaire liée à la remise au

marché de la fixation des prix qui montent en flèche. Le tout sur fond de scène d’une montée des

inégalités qui consacre et perpétue la fracture entre le Nord et le Sud. Le monde dans lequel nous vivons

est ainsi devenu plus instable et plus imprévisible. La planète est engagée dans une crise écologique telle

que l’urgence est à la porte et l’interdépendance des nations, des populations, des mouvements s’est, du

coup, haussée de plusieurs crans surtout au Sud.

18 Leur premier rapport d’importance date de 1990. Leurs travaux font référence depuis ce temps dans le cadre des négociations internationales sur le gaz à effet de serre. Leurs publications proposent une synthèse des connaissances scientifiques sur les points de consensus (ou de certitude) comme sur les points de débat (ou d’incertitudes) rattachés aux résultats. 19 Pour l’instant, après l’échec corrosif des négociations internationales de Copenhague (2009) et la mise à plat de Rio + 20 en 2012, il n’y a encore aucune référence à une période de départ et à des échéances précises au plan international pour enclencher le processus de freinage du réchauffement de la planète. Le futur proche est laissé à des engagements nationaux forcément à géométrie variable.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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La première crise socio-écologique du capitalisme financier

Nous assistons donc, nous dit l’économiste Jean Gadrey, «à la première crise socio-écologique du

capitalisme financier et boursier, la première où la raréfaction des ressources et les dégâts écologiques

ont eu une influence sur le plongeon économique» (Gadrey, 2010 : 152). On peut ajouter que la

probabilité d’un rôle plus déterminant encore des facteurs écologiques sera au rendez-vous dans l’avenir.

La question devient alors comme l’affirmait la 5e édition des RMB : Peut-on laisser le système financier en

l’état ? Peut-on laisser les grands actionnaires dicter leurs quatre volontés par leur politique du gain à

court terme ? Peut-on laisser le commerce mondial développer des échanges aussi peu écologiques en

matière de transport de marchandises ? Va-t-on laisser courir... le consumérisme croissant qui fait prendre

nos désirs pour des besoins et le futile pour de l’utile? Va-t-on tolérer encore longtemps les États qui ont

des politiques de laisser-faire face à l’intensification de l’exploitation des ressources naturelles et

notamment des ressources énergétiques fossiles...? Va-t-on laisser une agriculture productiviste continuer

à utiliser massivement des intrants chimiques et des pesticides en polluant les nappes phréatiques et les

cours d’eau...? Bref allons-nous continuer de rester légers sur la question écologique...? (Document

d’orientation des RMB, 2011).

2. Aller vers une transformation écologique de l’économie

Plusieurs mouvements se sont mis au vert. Mentionnons par exemple qu’un certain nombre de

coopératives ont fait naître des filières d'activités économiques d'avant-garde dans des secteurs comme la

bioénergie, l’éolien, l’agroalimentaire biologique, le solaire… ; que des syndicats travaillent des projets de

conversion écologique de leur entreprise ; que des communautés locales au Sud ont passé au solaire

pour s’alimenter en électricité, etc. Exemples parmi d’autres de ce que peuvent faire des mouvements

sociaux. Mais, plus largement, cela signifie de peser sur les pouvoirs publics pour qu’ils redirigent une

partie de l’argent public et de l’argent privé vers une «économie verte»; soutiennent la relocalisation de

certaines activités économiques ; développent une fiscalité nouvelle (taxes «kilométriques») sur les

transports…; misent prioritairement sur les énergies renouvelables développées par des entreprises

collectives et/ou des gouvernements locaux; favorisent par des normes et des règles la diminution de la

consommation énergétique de l’industrie, de l’agriculture, de l’habitat, du transport par des mesures

incitatives fortes, voire contraignantes; provoquent la conversion industrielle de certaines entreprises

particulièrement polluantes (liées aux énergies fossiles) ; forcent les multinationales à assumer leurs

responsabilités sociales et écologiques. Quant à l’ÉSS, elle doit oser retirer des territoires d’expansion

et de profits aux multinationales dont la seule préoccupation est le profit maximum.

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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Des orientations pour passer au vert

Se mettre au vert, passer à une économie écologique. Oui mais! Cela suppose qu’on se pose les deux

questions suivantes : Quels secteurs faire croître? Quels secteurs faire décroître? La réponse n’est

pas facile. Beaucoup d’emplois sont en jeu et la conversion écologique de l’économie ne peut se faire

sans être accompagnée d’une démarche de justice sociale pour les groupes concernés. Politiquement

parlant les questions deviennent celles-ci : a) allons-nous en priorité continuer à construire des autoroutes

pour satisfaire les impératifs du parc automobile et du transport par camion ou favoriser le transport

collectif (trains de banlieue, autobus électriques…)?; b) allons-nous privilégier une agriculture

industriellement intensive et centrée sur l’exportation qui induit par exemple des coûts énormes de

transport ou financer sa reconversion et soutenir une agriculture de proximité écologiquement intensive?

Et ainsi de suite! Un certain nombre d’organisations ont donc emboîté le pas et se sont engagées dans

cette bataille. Ils ont commencé à se mettre au vert et au développement durable et solidaire des

territoires mais rien de cela ne relève de l’évidence chez leurs membres. Travail de longue haleine et

débat collectif bien argumenté à l’horizon!

Changer de cap, l’injonction morale du PNUE

C’est une véritable injonction morale que l’énoncé du PNUE dans son rapport de 2011 : Vers une

économie verte : pour un développement durable et une éradication de la pauvreté lequel propose

d’investir 2% du PIB mondial dans 10 secteurs clés (voir plus loin). Ce qui veut dire éco-fiscalité, éco-

bâtiment, forêt de proximité, agriculture écologiquement intensive, énergies renouvelables plutôt

qu’énergies fossiles (pétrole et gaz de schiste), promotion combative de la «biodiversité économique»

(Scalvini, 2010), refus des Walmart de ce monde (comme certaines communautés l’ont déjà fait), contrôle

des ressources naturelles par les communautés, leurs municipalités et l’État, généralisation des

coopératives multi-activités – en tant que services de proximité – sur tout le territoire, etc.

À l’heure de Rio + 20 : miser sur l’option d’un secteur non capitaliste sous contrôle démocratique

La défaillance des États mis sous perfusion des lobbys des multinationales a conduit à l’affaiblissement

considérable de la coopération internationale initiée par Rio 1992 et Kyoto 1997 parce que les deux plus

grands pollueurs de la planète, les Etats-Unis et la Chine, ont refusé à Copenhague fin 2009 de se

soumettre à un ensemble de règles supranationales et que la plupart des grandes puissances de ce

monde n’ont même pas daigné se présenter à Rio en 2012. À cet effet, il est impératif de faire progresser

prioritairement les entreprises sous contrôle démocratique dans tous les sphères possibles partant de

l’idée qu’elles ne sont pas branchées, comme les grandes entreprises du secteur privé, sur la seule

recherche de rendement maximum mais plutôt, en tant que secteur non capitaliste, sur la double

perspective d’une lucrativité limitée et de l’utilité sociale. D’autant que l’économie dominante a changé de

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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régime, particulièrement à partir des années 1980, en réussissant à imposer «sa logique mortifère qui a

généré une crise économique majeure et une crise écologique d’ampleur historique» (Kempf, 2008).

L’écologie est ainsi devenue, une proposition incontournable, un volet majeur de toute action collective, de

tous les mouvements sociaux sans exclusive et de tout parti politique qui se respecte.

Imposer l’urgence écologique dans le débat politique

De façon plus générale, la question écologique s’impose progressivement dans le débat démocratique de

chaque pays comme dans les institutions internationales. Intégrer notamment les questions de climat et

de biodiversité dans les décisions économiques, politiques et sociales est devenu incontournable.

L’écologie n’est pas une force d’appoint mais une proposition sociale et politique centrale

intimement liée à la résolution de la crise économique et sociale. Des alternatives sont déjà là dans des

milliers d’expériences locales et dans les politiques publiques de pays encore vraiment trop peu

nombreux. Il faut néanmoins que ces alternatives soient couplées à une alternative globale portée par

des organisations sociales et des partis politiques qui ont suffisamment de vision, d’ouverture aux autres,

de force de proposition et de leadership pour favoriser des mises en réseau à toutes les échelles (locale,

nationale et internationale).

3. Des alternatives concrètes un peu partout dans le monde

Les coopératives forestières en action : un bilan écologique positif en perspective

Nous prenons à témoin une première expérience, celle des coopératives forestières québécoises, comme

révélateur de la mise en branle d’une lutte pour l’indépendance énergétique de communautés locales de

même que de la lutte contre la déforestation à l’échelle du Québec sous la gouverne de la Fédération

québécoise des coopératives forestières (FQCF) qui a mis cette question à l’ordre du jour depuis

quelques années.

La Fédération québécoise des coopératives forestières regroupe 40 coopératives de travailleurs du

secteur forestier. Ces coopératives emploient plus de 3000 personnes et réalisent un chiffre d'affaires

annuel de près de 225 millions de dollars. Elles sont engagées dans tous les secteurs de l'industrie:

production de plants en pépinière, sylviculture, récolte et transformation. Fortes de leur expertise, les

coopératives développent de nouvelles activités, dont la biomasse forestière à des fins énergétiques. Or

la biomasse forestière peut remplacer les combustibles fossiles car cette dernière est considérée

comme neutre en carbone et son utilisation en tant que source d'énergie permet de réduire les émissions

de gaz à effet de serre (GES).

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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C’est ainsi que depuis trois ans, la FQCF déploie une stratégie afin de chauffer les bâtiments

institutionnels à l'aide de la biomasse forestière. En 2007, la FQCF a présenté au gouvernement un projet

de valorisation de la biomasse forestière visant la maximisation des retombées économiques pour les

régions du Québec. D'ici quelques années, l'organisme souhaite réaliser de 350 à 400 projets de

chaufferie, créer près de 1000 emplois, en plus de consolider les emplois actuels dans les coopératives

forestières. Déjà, une douzaine de coopératives sont engagées dans des projets avec leurs

établissements locaux. La première chaufferie conçue pour être alimentée à la biomasse forestière a

d'ailleurs été inaugurée dans un centre hospitalier fin 2009. Le développement de cette filière par des

coopératives permet non seulement d'améliorer le bilan écologique, mais aussi de consolider les

collectivités locales contrairement aux multinationales dont c’est le moindre des soucis.

Le solaire dans des villages grâce au développement coopératif : une expérience en Afrique de

l’Ouest

Au Sénégal, aux alentours de Méckhé, dans la région de Thiès, à trois heures de route de Dakar, la

capitale, des paysans bénéficient de l’électricité photovoltaïque grâce à leurs «mutuelles de solidarité»,

toutes fédérées dans une coopérative rurale d’épargne et de crédit : plate-forme de pompage solaire pour

irriguer la terre communautaire ; transformation de leurs produits agricoles (aubergines, choux, gombos,

tomates, papayes et oignons) ; conservation ou stockage de leurs produits ; éclairage public par

l’alimentation en lampes de basse consommation dans les petites rues des villages ; congélateur

communautaire pour refroidir médicaments, aliments, jus de fruit maison ; recharge des téléphones

mobiles ; etc. Tout cela nécessite de l’énergie dans une région qui dispose de 365 jours de soleil par

année. Comment faire quand le réseau public d’électricité ne s’y rend pas et qu’il n’y a aucun espoir de

son extension à de tels villages dans la prochaine décennie. La réponse a pris forme en 1995.

Dans chacun des villages, un regroupement coopératif de paysans, membre d’une Union des

groupements paysans de Mécké (UGPM) (90 groupements sont membres de l’UGPM), s’est mis en

marche. Il gère aujourd’hui l’installation. À l’échelle sous-régionale, l’atelier Kayer voit non seulement à

subvenir aux besoins énergétiques des agriculteurs, il voit maintenant à l’installation de stations familiales

de production d’électricité solaire. À l’origine du projet, un partenariat de l’UGPM avec l’ONG française

Terre solidaire par l’intermédiaire d’un prêt de sa société d’investissement Solidarité Internationale pour le

Développement et l'Investissement (la SIDI, société d’investissement solidaire pour le développement

créée en 1983).

Quand on connaît le contexte, on se dit qu’il y a là une innovation majeure de l’économie populaire et

coopérative en milieu rural: en effet, au Sénégal, pays à majorité paysanne, il n’y a que 16% de la

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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population rurale qui a accès à l’électricité (et à peine 10% en Afrique de l’Ouest). Or il est fortement

improbable qu’on puisse un jour raccorder toutes ces familles au réseau public parce qu’elles sont

généralement très dispersées. De plus, l’UGPM juge que les produits pétroliers ont des prix nettement

prohibitifs sans compter qu’ils sont émetteurs de CO2. Quand on pense au potentiel d’une telle initiative,

on peut l’imaginer changeant d’échelle en devenant une alternative réelle aux énergies fossiles pour des

centaines de milliers de familles des pays de l’Afrique de l’Ouest comme le Sénégal, le Burkina-Faso, le

Mali, la Guinée, le Niger, etc.

Le développement coopératif dans la production éolienne : une expérience coopérative belge

Avec la crise financière mondiale en filigrane, le mouvement coopératif prend de l'expansion et se

renouvelle : la coopérative Émissions zéro ENERCOOP, fondatrice de la Fédération belge des

coopératives citoyennes de production d'énergies renouvelables (RESCOOP), est de celles-là. Cette

fédération regroupe une dizaine de coopératives, pour un total de 50 000 membres. Chacun investit un

certain montant et est alimenté en énergie renouvelable, une filière courte du producteur au

consommateur. Regroupées, elles peuvent donc fournir de l'énergie en continu à leurs 50 000 membres

avec des unités d'éolien, des unités de gaz produit à partir de déchets agricoles, des unités hydrauliques

et photovoltaïques. Occuper le secteur des ressources naturelles et devancer les investisseurs privés a

été le défi de cette fédération.

La Fédération belge des coopératives citoyennes espère doubler son nombre d'adhérents et atteindre les

100 000 membres, l'équivalent d'une petite ville. Parce que plus le nombre de coopérants est grand, plus

le poids de la fédération se fait sentir auprès des instances politiques.

La reconversion industrielle négociée par un syndicat au sein d’une multinationale : une

expérience franco-allemande

L’usine de Vénissieux, près de Lyon (en France), engage 820 salariés dans la production de pompes

diesel. Elle appartient à une multinationale allemande, la multinationale du groupe Bosch (51 milliards

d’euros en 2011, 300 000 salariés dans 60 pays). Non coté en bourse, le groupe Bosch a l’immense

avantage d’être à l’abri des pressions d’actionnaires trop compulsifs à la recherche de gains rapides.

Décembre 2009, le site industriel français est menacé de fermeture. Coup de tonnerre à la direction du

syndicat local, un syndicat CFDT qui avait déjà eu maille à partir en 2004 en consentant un allongement

de la durée du travail sans augmentation de salaire (de 35 à 36 heures). Cinq ans après cette entente, on

repartait…à zéro. La direction du syndicat se rend en Allemagne : rendez-vous avec le grand patron. Elle

obtient un sursis, s’adjoint les services d’un cabinet d’experts.

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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De fil en aiguille, l’idée émerge d’une reconversion de l’usine dans la fabrication de panneaux solaires.

Convergence possible avec les ambitions internationales du groupe Bosch qui veut s’investir dans les

énergies renouvelables. Le cabinet d’experts travaille à démontrer les compétences collectives de l’usine

de Vénissieux au plan technologique mais surtout au plan organisationnel suite à une série d’entretiens

sur le site industriel : productivité, qualité, gestion des stocks, délais de livraison vont constituer des

arguments convaincants pour la direction de l’entreprise. Aujourd’hui l’usine fonctionne avec quelques 420

travailleurs après avoir été 820 en 2004. Tout n’a pas été gagné mais comme le dit le journaliste qui a

couvert l’expérience : «cette reconversion restera un modèle à suivre par les entreprises, les syndicats et

les pouvoirs publics désireux d’éviter la fermeture de sites industriels» (M.Chevallier, Alternatives

économiques, avril 2012).

Le mouvement syndical international et la conversion écologique de l’économie

Le mouvement syndical international va dans ce sens et cite en exemple dans un document récent (CSI,

avril 2012), le développement d’emplois verts dans les industries de la construction et de l’énergie au

Brésil et en Allemagne:

Brésil

Le programme de logements sociaux brésilien «Ma maison, ma vie!» fut lancé en mars 2009. Il fournit aux

ménages à faibles revenus des logements équipés, le cas échéant, de chauffe-eau solaires. Les foyers

pauvres de par le monde dépensent une part disproportionnée de leur revenu en énergie. Il est projeté

que jusqu’à 500.000 foyers soient équipés en 2011. Il est estimé que ce projet générera 30 000 emplois

verts au cours des quatre prochaines années, sans inclure les emplois créés dans le cadre des chantiers

de construction en tant que tels. Source: Bureau du BIT.

Allemagne

Le vaste programme de modernisation de bâtiments en Allemagne s’inscrit dans le cadre du programme

Concept Énergétique 2050 du gouvernement fédéral, qui englobe parmi ses objectifs la réalisation d’un

«parc immobilier climatiquement neutre» à l’horizon 2050. Mis sur pied en janvier 2001 en réponse à une

crise économique dans le secteur du bâtiment, ce programme prévoit l’octroi de prêts avantageux pour la

rénovation de bâtiments visant une meilleure efficacité énergétique. Les données disponibles indiquent

que chaque euro d’investissement public «induit» quatre euros d’investissement privé. Un milliard investi

dans le parc immobilier permet de préserver ou de créer près de 25.000 postes de travail. Source:

Ministère fédéral allemand du Transport.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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4. Des propositions pour renouveler les politiques publiques et faire progresser la mobilisation

sociale pour une économie verte

De concert avec un certain nombre d’États, le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement

(PNUE) travaille déjà depuis un bon moment au développement d’une économie verte. C’est le PNUE qui

a alimenté le Sommet de Rio+20. Voici comment :

Le scénario du PNUE est d’investir 2 % du PIB mondial dans une économie verte.

Le PNUE travaille avec les gouvernements. Son rapport - Vers une économie verte : Pour un

développement durable et une éradication de la pauvreté - propose d’investir 2 % du PIB mondial dans dix

secteurs clés. Selon le PNUE, ces investissements planifiés de 1 300 milliards $ par année parviendraient

à contrecarrer la mauvaise allocation actuelle des capitaux, ce qui permettrait de diminuer les risques, les

chocs, les pénuries et les crises de plus en plus inhérents à l'économie carbone – « l’économie brune » –

existante, responsable de l'épuisement des ressources et du niveau élevé des émissions de carbone.

À l'heure actuelle, nous dit le PNUE, entre 1 et 2 % du PIB mondial sont consacrés à diverses subventions

qui perpétuent souvent l'utilisation non durable des ressources dans des domaines tels que les

combustibles fossiles, l'agriculture (y compris les subventions aux pesticides), l'eau et la pêche... Leur

réduction ou leur disparition progressive présenterait de multiples avantages et libérerait des ressources

pour financer la transition vers une économie verte. Le PNUE cible 10 secteurs pour verdir l'économie

mondiale : agriculture, bâtiment, offre énergétique, pêche, foresterie, industrie (dont l’efficacité

énergétique), tourisme, transport, gestion des déchets et eau. Sur les 2 % du PIB proposés dans le

rapport, les investissements par secteur seraient les suivants (les montants cités sont des investissements

annuels) :

108 milliards de dollars pour le verdissement de l'agriculture, petites exploitations comprises ;

134 milliards de dollars dans le verdissement du secteur du bâtiment en améliorant l'efficacité

énergétique) ;

plus de 360 milliards de dollars dans le verdissement de l'offre énergétique ;

près de 110 milliards de dollars dans le verdissement de la pêche, comprenant une baisse de la

capacité des flottes mondiales ;

15 milliards de dollars dans le verdissement de la foresterie ;

plus de 75 milliards de dollars dans le verdissement des activités industrielles, dont l'industrie

manufacturière ;

près de 135 milliards de dollars dans le verdissement du secteur du tourisme ;

plus de 190 milliards de dollars dans le verdissement du transport ;

près de 110 milliards de dollars dans les déchets, avec le recyclage ;

un montant du même ordre dans le secteur de l'eau, dont l'assainissement.

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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Les coopératives dans l’enjeu du développement durable en agriculture

La prise de conscience de la rareté des ressources naturelles a fait son apparition sur l’avant-scène

internationale en 1992. 20 ans plus tard, ce n’est plus seulement la rareté des ressources naturelles.

Mais, pour plusieurs, le réchauffement climatique constitue aujourd’hui la grande menace. On est dès lors

en plein cœur de l’enjeu Énergie-climat : cette «menace pour les générations futures» est devenue une

menace pour tous maintenant. Mais tout ne se ramène pas à l’enjeu Énergie-climat. À cette menace s’est

superposée, au milieu des années 2000, celle de la crise alimentaire.

Au Nord et encore plus au Sud, l’enjeu de la souveraineté alimentaire est ainsi revenu à l’avant-scène

internationale (GESQ, 2010 http://www4.uqo.ca/ries2001/gesq/ ). Cela tient au fait que l’agriculture et la

filière alimentaire subissent, tendanciellement, le même traitement industriel et financier que les autres

activités économiques : de grandes firmes multinationales pour assurer l’agrofourniture (Monsanto,

Dupont, etc) ; de grandes firmes multinationales pour la transformation agroalimentaire (Nestlé, Coca-

Cola, General Mills, etc.) ; de grandes firmes multinationales pour la grande distribution de masse

(Walmart, Carrefour, etc.) dans un marché de plus en plus international mais avec peu de protections

sociales.

La question est bien posée par Michel Griffon (Griffon 2006). Il était à la cinquième édition des Rencontres

du Mont-Blanc en 2011 dans un atelier sur les agricultures et le développement durable : « Il y a de 20 à

25 millions d’exploitations dans le monde, qui font de l’agriculture industriellement intensive, ce qui

représentent 30 à 40% de la production mondiale. Mais cette exploitation vit présentement une hausse

des coûts de l’énergie, génère beaucoup de gaz à effet de serre, est dommage pour la biodiversité et

entre dans une phase de rareté » en ce qui a trait aux engrais (dont une bonne partie dépend du pétrole)

et à l’eau (étant donné le changement climatique). La demande pour plus de viande ne fait qu’accentuer

les besoins en terres (production de maïs et de soya) pour alimenter le bétail. C’est notamment le

problème de la Chine. Si, de plus, on va vers les agro-carburants parce que l’agriculture et la forêt sont les

candidats au remplacement du pétrole, on voit tout de suite se profiler le cercle vicieux.

« Puis il y a 2 milliards 400 millions de petits exploitants peu mécanisés, ne disposant pas d’un régime

sanitaire adéquat, peu productifs et dont l’enjeu est d’accroître leurs rendements » avec, en autant que

faire se peut, des techniques dont les coûts seraient faibles et une production respectant l’environnement

afin de rendre les terres plus fertiles. M. Griffon ne s’en cachait pas, l’équation est très très difficile à

résoudre. Pourtant des coopératives agricoles, dans le cadre d’une coopération Nord-Sud, s’y sont

engagées. C’est le cas notamment de SOCODEVI, Organisation de coopération internationale (OCI) des

coopératives québécoises, qui a accompagné, depuis sa naissance en 1985, quelques 650 organisations

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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dans des domaines aussi variés que les ressources forestières, la mise sur pied de mutuelles de santé et

d’assurances ou le commerce équitable de différents produits du secteur agroalimentaire pour ne parler

que de ceux-ci. Le tout dans une quarantaine de pays. Parmi les projets réalisés, une expérience de 10

ans de collaboration avec des communautés paysannes en Bolivie se démarque assez bien : plus de

1 000 familles de 93 communautés dans 8 municipalités du Sud-Est de la Bolivie ont doublé leurs revenus

grâce à la diversification de leur production agricole. De plus la certification «bio» a permis de

commercialiser leurs produits sur des marchés de niche.

Que tirer comme enseignements de ce type de réalisation ? Certes, la dynamique de l’économie sociale

et solidaire ne pourra à elle seule inverser l’ordre des choses. On devra aussi compter sur la coopération

internationale des États les plus progressistes, celle des mouvements paysans et celle du mouvement des

travailleurs, le tout dans la perspective d’ouvrir de grands chantiers prioritaires, autrement dit des

initiatives de caractère stratégique et tout particulièrement celles qui peuvent relancer l’agriculture au

Sud. Il faut notamment favoriser l’organisation du mouvement coopératif en milieu rural : des coopératives

de commercialisation des produits de la terre pour sortir les agriculteurs de la simple autosubsistance

familiale ou villageoise (dégager des surplus commercialisables), pour permettre l’intégration au marché

(des niches régionales ou même internationales), l’organisation de marchés locaux (échange des

produits, création de banques de semence, points de ventes d’engrais, accès à l’eau potable, à

l’électricité, à des moyens de transport appropriés, etc.)

En outre il faut des politiques publiques de protection de l’agriculture du Sud de la concurrence

internationale, des politiques qui l’aident à reconquérir son marché intérieur et à faire progresser un

principe de souveraineté alimentaire mais adossé à une stratégie qui met un holà aux importations

agricoles.

5. Faire mouvement : la dynamique internationale de l’ESS

Du congrès de l’Alliance Coopérative Internationale (ACI) en 2009 à Genève en passant par la

Conférence internationale de Lévis en 2010 et les Rencontres du Mont-Blanc en France en 2011 jusqu’au

Sommet international des coopératives piloté conjointement par le mouvement Desjardins et l’Alliance

coopérative internationale (ACI) de 2012, trois ans auront passé. Même dans une période aussi courte,

bien des choses relativement inédites auront été réalisées. D’abord on n’hésite plus, dans le mouvement

coopératif international, à parler des dérives du capitalisme et à présenter les coopératives et autres

initiatives d’économie sociale et solidaire comme faisant partie des solutions de sortie de crise. L’exemple

au Québec est venu de haut, de la direction de la plus importante fédération du mouvement coopératif, la

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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Fédération des caisses populaires et d’économie Desjardins, à l'occasion du lancement de l'Année

internationale des coopératives. Cette prise de position avait été précédée d’une conférence internationale

et d’un ouvrage qui rendait compte des débats en ce sens tenus par quelques 600 dirigeants à Lévis,

débats posés dans les termes d’une crise majeure liée au modèle économique dominant (Favreau et

Molina, 2011).

Interpellés par la crise, de plus en plus nombreux sont les dirigeants d’organisations coopératives,

mutualistes et associatives qui ne veulent plus qu’on les définisse comme des administrateurs

d’entreprises un peu particulières. Ils cherchent plutôt à définir leur dynamique comme étant celle d’un

mouvement porteur d’une pensée économique et sociale qui se distingue de celle du modèle économique

dominant et comme un mouvement qui veut peser sur les politiques publiques. Comme je l’ai déjà dit

ailleurs : Les coopératives ne sont pas là pour remplacer ce que Ricardo Petrella nomme si justement

l’«économie capitaliste de marché». Elles peuvent cependant offrir une alternative et endiguer l’influence

du modèle économique dominant dans plusieurs secteurs. N’est-ce pas ce qu’elles ont fait et font dans

des secteurs comme la finance ou l’agriculture! (sur le site de l’ONU: http://uncoopsnews.org/?p=508).

Cette économie occupe 10 % du marché de l’emploi, 10 % de la finance et 10 % du PIB dans un très

grand nombre de pays de la planète. Elles peuvent potentiellement en modifier sérieusement la structure

économique. À partir de ce seuil, les coopératives représentent un important levier pour les régions et les

pays...Si elles se concertent.

Dans cette perspective, le mouvement a commencé à prendre conscience de sa faible influence

sociopolitique auprès des pouvoirs publics et des institutions internationales. Le mouvement coopératif

sait, surtout depuis la crise de 2008, qu’il se «fait avoir» par les lobbies des multinationales sur les normes

comptables internationales, par la finance spéculative que tolère les États, sur les questions de

développement durable pour lequel il devient plus exigeant, etc. Pour ce mouvement, l’économie

capitaliste de marché n’est pas la solution et est même plutôt celle qui a provoqué la crise comme en

témoignent de nombreux écrits issus de l’intérieur (Larose 2012 ; Sibille, 2011 ; Draperi, 2011 ; Scalvini,

2010, Jeantet, 2008, Favreau et Fall, 2007), ce qui est relativement nouveau.

Avec l’adoption par l’ONU de 2012 comme Année internationale des coopératives, celles-ci sont

beaucoup plus conscientes de faire partie d’un mouvement international. Les dirigeants du mouvement

sont aussi plus conscients de l’importance de l’Alliance coopérative internationale (ACI), d’un mouvement

organisé à l’échelle de la planète. On découvre ou redécouvre l’ACI d’autant plus qu’on voit mieux la

dimension planétaire de la crise. De plus la solidarité internationale Nord-Sud devient aujourd’hui plus

forte au sein du mouvement coopératif, du moins celle que nous pouvons observer à partir du Québec

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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avec Développement International Desjardins (DID) et avec SOCODEVI, deux organisations d’ailleurs

bien présentes aux Rencontres du Mont-Blanc. Enrico Luzzati, de l’Université de Turin en Italie, affirme à

juste titre qu’il faut commencer par des activités que des membres peuvent s’approprier sans trop de

difficulté comme, par exemple, «la commercialisation des produits agricoles, leur première

transformation…» et d’ajouter, «la constitution de caisses d’épargne et de crédit» (Jeantet et Poulnot,

2007). Les rapports entre coopératives du Nord et du Sud au sein de l’ACI semblent pousser dans cette

direction: mettre les coopératives au cœur du développement des communautés; faire une priorité du

soutien à l’organisation des femmes; intensifier le développement coopératif en milieu rural; travailler

l’autonomie des grandes coopératives par rapport à leur État national; encourager les coopératives du

Nord à appuyer le mouvement coopératif au Sud –selon le principe de l’intercoopération- à partir d’OCI

inscrites dans la mouvance coopérative.

Le mouvement coopératif et de l’économie sociale et solidaire dans le monde bouge

Observant depuis plus d’une décennie déjà les mouvements sociaux internationaux comme celui des

travailleurs (Confédération Syndicale Internationale CSI), celui des agriculteurs et le mouvement citoyen

international (Forum Social Mondial FSM), nous avons été à même de constater que le mouvement

coopératif était bel et bien en phase avec les autres. En plus de ses positions générales progressistes

rejoignant les autres mouvements, nous avons pu voir surgir une série de rencontres internationales

comme les RMB depuis 2004 (en France) ou un Sommet international en 2012 au Québec. Le début d’un

temps nouveau... peut-être !

∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞

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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises

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Références bibliographiques

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Revue Vie économique, vol.3, numéro 4, Éditions Vie économique, coopérative de solidarité, Montréal

Draperi, J-F (2011), L’économie sociale et solidaire : une réponse à la crise ? Capitalisme, territoires et

démocratie, Dunod, Paris.

Favreau, L. et M. Hébert (2012), La transition écologique de l’économie. Presses de l’université du

Québec, Sainte-Foy.

Favreau, L. et E.Molina (2011), Économie et société. Pistes de sortie de crise, PUQ, Sainte-Foy.

Favreau, L. et A. S. Fall (2007), L’Afrique qui se refait, Éditions Presses de l’Université du Québec, Sainte-

Foy, p. 343 à 378.

Gadrey, J. (2010). Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Paris, Éd. Les petits matins.

GESQ (2010), La souveraineté alimentaire, Université d’été du GESQ, Centre d’arts du Mont-Orford,

Estrie. Disponible sur le site du GESQ : http://www4.uqo.ca/ries2001/gesq/

Godard, O. (2010), «Y a-t-il une vie après Copenhague?», Alternatives économiques, numéro 288, février

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Griffon, M. (2006), Nourrir la planète, Éd. Odile Jacob, Paris.

Jeantet, T., (2008), L’économie sociale, une alternative au capitalisme. Ed. Economica, Paris.

Houée, P. (2009). Repères pour un développement humain et solidaire, Paris, Éd. De l’Atelier.

Kempf, H. (2009). Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Paris, Seuil

Larose, G. (2012), «Coopératives : la transition écologique de l’économie s’impose !» Revue Vie

économique, volume 3, numéro 4, Éditions Vie économique, coopérative de solidarité, Montréal.

Lipietz, A. (2012), Green Deal. La crise du libéral-productivisme et la réponse écologiste, Éd. La

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Scalvini, F. (2010), Crise économique et «biodiversité entrepreneuriale». Conférence d’ouverture, Lévis.

Disponible sur le site de la conférence : http://www.projetdesociete.coop

Sibille, H. et T. Ghezali (2010). Démocratiser l’économie. Le marché à l’épreuve des citoyens, Paris, Éd.

Grasset.

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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L’auteur : José Maria Garriga, Argentine

José Maria Garriga est avocat, spécialiste de la gestion et l’économie de la

santé. Il est également titulaire d’un diplôme universitaire en Direction des

Entreprises de la Santé (DIRES), de l’Université Austral d’Argentine.

Monsieur Garriga a été gérant général de la Mutuelle fédérée 25 juin SPR

de 1986 à 2012, il est également Président de la Fédération Argentine des

mutuelles de santé, Président de l'Alliance américaine du mutualisme et

Vice-président pour l'Amérique latine de l'Association Internationale de la

Mutualité (AIM).

Monsieur Garriga est régulièrement sollicité en tant qu’intervenant en Argentine et dans le monde, il a

notamment dispensé un cours de 3ème cycle à l’Université 3 février en 2005 en Argentine intitulé

« Economie Sociale et gestion dans les entités non lucratives », il est également intervenu à plusieurs

reprises au congrès du CIRIEC (Centre d’information dur l’Economie Sociale et Coopérative), à Naples en

Italie sur le thème « le rôle de l’économie sociale dans l’assistance sanitaire face à la déprotection

sociale » et à Séville en Espagne en 2008 pour traiter le thème de « la couverture de santé pour les

travailleurs informels à travers les coopératives ou les mutuelles à financements mixtes ».

En juin 2012, il est intervenu au cours du side-event des Rencontres du Mont-Blanc organisé à Rio de

Janeiro pour le Sommet de la Terre Rio+20.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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La communication est essentielle dans l'Économie Sociale et

Solidaire, par José Maria Garriga, Argentine

Introduction et rôle de l'économie sociale

Ce sont écoulés plus de 100 ans dans l'évolution du coopérativisme, ce qui ne signifie pas beaucoup de

temps dans l'histoire de la société civile, mais c'est le bon moment juste pour que, avec d’autres

organisations de l'économie sociale et solidaire, les valeurs et les fonctionnalités qui les distinguent soient

intelligemment extériorisées, pour pouvoir contribuer à la construction de la sortie de l'actuelle crise

globale qui nous guette.

Les problèmes financiers des économies avancées, qui sont beaucoup plus que des difficultés

temporelles, ont principalement fait perdre la confiance en la stabilité du système tout en suscitant des

questions à beaucoup de spécialistes: comment fera-t-on pour restituer la crédibilité?

L'objectif de l'économie sociale et solidaire destiné à la production de biens et services selon des

principes d'aide mutuelle et de solidarité, entre autres, est d’obtenir un développement économique et

social adapté à tout moment de l'évolution de l'humanité, et il doit être transmis à la communauté avec

continuité et clarté dans son message. Si on cherche à maximiser le bien-être de la population, il ne faut

pas seulement communiquer les objectifs et les valeurs sur lesquels cette économie se base mais aussi

les atteindre pour donner confiance et pour donner une continuité à cette forme d’économie. Maintenant,

la question que l’on se pose est la suivante : 'objectif exprimé est-il compris et perçu correctement? On ne

peut pas toujours, ni dans tous les pays, répondre positivement à cette question.

D’une part le développement et la validité de cette forme de coopération entre les personnes, dans

laquelle l’homme comme sujet de droits décide de s'unir librement avec d’autres personnes pour former

une organisation solidaire, deviennent réalisables pour la satisfaction des besoins individuels, sociaux ou

culturels et aussi pour l'amélioration de la production et la circulation des biens. Dans divers cas plane le

doute de savoir si ce choix de modèle d’organisation solidaire est réalisé uniquement pour sa relation

coût-bénéfice ou si la personne est informée et convaincue des objectifs sociaux et de l'aide réciproque

qui inspirent ces organisations.

D'autre part, il faut considérer que toute activité économique publique ou privée, que ce soit ou non à des

fins lucratifs, cohabite avec une diversité de modèles économiques, dans lesquels la communication

intrasectorielle et intersectorielle est un facteur déterminant qui encourage l'innovation et permet

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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l'évolution du modèle économique de chaque pays. Quelques spécialistes mettent en garde contre la

stagnation économique, qui comporte des risques et ceci pose une question importante, celle de savoir si

l'Économie Sociale et Solidaire peut acquérir et approfondir la réalité de l'environnement en rendant

visible, dans sa proposition ouverte, les principes et les valeurs qu'elle promeut pour le développement

humanisé.

La croissance des organisations non lucratives a besoin d’interagir dans l'environnement général et dans

leur contexte immédiat. De l'analyse circonstanciée d'une réalité économique, politique et sociale

surgissent de nouvelles idées innovantes qui peuvent être des réussites ou parfois aussi des échecs. La

connaissance acquise avec l'information reçue et la communication réalisée comme objectif stratégique

doivent être administrées convenablement, mais jamais être suspendues parce que ceci peut altérer la

confiance en ces organisations.

Aujourd'hui, nous assistons à des formes multidirectionnelles de communication qui exigent d’être

planifiées et alimentées de manière professionnelle, dans un environnement si compétitif que ne pas le

faire serait dangereux pour le soutien des organisations car il entraînerait perte d'opportunités et de

positionnement, ce qui peut aboutir à des conséquences imprévisibles pour l'existence et la gestion des

entreprises. Le philosophe et journaliste André Gorz disait : « Il faut oser s'emparer des occasions,

s'emparer de ce qui change ».

La crise politique et sociale que beaucoup de pays doivent affronter n’est pas simple de surmonter et

implique un changement dans la direction à suivre. L'économie sociale doit collaborer pour construire le

chemin, dont le sommet doit être l’homme et non le capital, dans un climat où ses principes et ses valeurs

sont compris et diffusés. Dans ce nouveau scénario, les organisations solidaires doivent se préparer pour

profiter des occasions que d'autres échecs économiques ont laissées, en essayant de faire un saut

quantitatif et qualitatif pour leur développement. Comme cela fut dit tant de fois, il faut savoir sortir des

crises mais aussi apprendre d’elles.

Il est encourageant de constater que les informations diffusées en termes de communications ont donné,

en particulier au coopérativisme et au mutualisme, du contenu, du volume et de la visibilité sur l'économie

sociale, ce qui est indéniable vu le développement que ces structures ont connu dans le monde depuis

des décennies, et leur reconnaissance comme une “ marque déposée“ dans beaucoup de pays, quand la

primauté de l'homme et les objectifs sociaux font partie indissoluble de ces organisations.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Il faut prendre être vigilant à l'heure d’entreprendre des dialogues communicatifs. Principalement grâce

aux facilités qu’offre Internet, la communication avec des flux importants d'informations devient une

conversation multidirectionnelle qui produit un échange dynamique entre groupes et institutions dans des

contextes de complexité.

Il n'est pas aisé de démontrer que ce secteur est une alternative humanisée face à d'autres formes de

production, de distribution ou de consommation, basées sur la croissance du capital, l'indifférence,

l'iniquité, l'exclusion, le privilège, la corruption, tout cela avec la domination du pouvoir économique. Dans

diverses régions, il existe de grands espaces où participe une nature variée de joueurs, dans une

concurrence sans arbitre.

La société civile dispose de l’information continue et de la communication comme outil pour gagner du

terrain avec conviction et faire un saut qualitatif et quantitatif, tout en profitant aussi des propres

ressources financières des organisations solidaires.

Personne ne peut être un acheteur prudent de biens ou de services, s'il ne les connaît pas préalablement

ou ne trouve pas l'information accessible sur leurs caractéristiques et leur provenance. Personne ne peut

non plus les offrir avec conviction, s’il ne connaît pas leurs qualités et leur provenance.

Même si cela peut sembler étrange, dans quelques pays d'Amérique Latine, certain font référence à des

organismes de l'économie sociale, sans savoir vraiment s’ils parlent des organisations que nous

connaissons ou s’ils les confondent avec les organisations non gouvernementales ou de volontariat social

ou de service...

L'économie sociale doit travailler pour communiquer, construire et même reconstruire la confiance parfois

fragilisée, en travaillant pour éduquer et pour sensibiliser sur ses valeurs et ses principes. L'information

interne n'est pas suffisante si elle n'est pas accompagnée d'une proposition de participation

interactive entre ses membres, avec continuité, sans interruption, où ces derniers sont considérés

comme partie prenante des projets et impliqués à l'heure de prendre des décisions.

Le maintien des voies de l'information et de la communication multidirectionnelle est un outil fondamental

pour la construction de nouvelles stratégies de pénétration de l'économie sociale, sur un marché qui lui

semble hostile pour son développement et pour la diffusion de cette façon de construire des projets

économiques à partir des personnes, en préférant la solidarité et le bien-être social et non l'accumulation

abusive de capital.

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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Communication et perception de gouvernance

Le XIXème siècle est le préambule de ce qui dans l'histoire a été connu comme le siècle des questions

sociales, qui s’’est considérablement développé au XXème siècle, en acquérant des caractéristiques

distinctes au Nord et au Sud de la planète. Ainsi, pour encourager leur développement, ces différentes

formes associatives sont devenues l'une des pratiques économiques et sociales les plus humanisées de

l'Histoire. Elles représentent 7 %, 10 % ou 12 % du produit national brut, ou plus, selon les régions et les

pays, mais leur développement a toujours été fait de manière à conserver une gouvernance adéquate et

le maintien de l'emploi déjà créé.

En temps de crise et de besoins de changements dans les facteurs humains et de l’environnement,

comme cela a lieu actuellement dans la plupart des pays d’Amérique Latine, les organisations sociales et

privées passent par de graves problèmes de gouvernance, faute de capacité pour s’autogérer. Grâce à la

finalité que les fondateurs et adeptes de ce nouveau modèle économique et social ont visé pour construire

de nouvelles alternatives économico-sociales, ils ont réussi à structurer une interrelation stratégique et

collectivement acceptée, capable d’entreprendre des actions, et résoudre des conflits en appliquant les

normes et les règles qui les organisent, en essayant de façonner des niveaux optimaux de gouvernance.

Il ne fait aucun doute qu’il existe d’innombrables propositions innovatrices dans tout domaine politique ou

économique, mais dans le cadre des organisations solidaires, il est souhaitable de réaliser et de faire

connaître des actions de soutien, de développement et de respect des droits individuels, sociaux et de

l’environnement. C'est une obligation de ce secteur de rendre visible sa façon de procéder par tous

les médias, principalement de personne à personne et au moyen des télécommunications qui

seront précisées plus loin.

La gouvernance équilibrée doit être reconnue et extériorisée par niveaux et par étapes pour augmenter la

confiance dans ces organisations En d’autres termes cette gouvernance se construit tout au long de la vie

des institutions. Comme disait Klikssberg: elle suppose des processus de planification, de direction,

d’organisation, d’exécution et de contrôle. Entre les diverses actions et méthodologies, il est conseillé de

faire attention à dessiner un cadre de gouvernance, à réaliser une analyse, une mise en œuvre, et la

diffusion de techniques d’améliorations et, finalement, maintenir une intégration horizontale au sein du

secteur et avec ses membres.

La gouvernance est comprise comme la capacité dont dispose une organisation d’agir via l'interaction

politique et administrative dans la prise de décisions, conformément aux normes qui la régissent. On

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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perçoit, quand elle existe, une répartition de l’autorité entre les participants, avec des étapes respectées

pour la prise de décisions.

L’existence d’une gouvernance dans les entreprises d’ESS exige en particulier :

1. Que la légitimité des autorités soit publiquement indiscutable tant à l’intérieur comme à l’extérieur

des entreprises d’ESS;

2. Que la gestion soit développée en toutes visibilité et transparence, quelles méthodes de gestion

soient efficaces et que soit mise en avant l’importance des décisions collectives

3. Que les normes légales et statutaires en vigueur soient accomplies strictement;

4. Que les valeurs et les principes de l'organisation soient respectés;

5. Que les critiques soient permises et que l’on prenne en compte les propositions innovantes;

6. Que leurs membres et dirigeants soient soumis aux codes éthiques établis.

Les organisations de l'économie sociale qui ont étendues leurs activités jusqu’à produire des services

proches de ceux rendus par les services dits « sociaux » – en particulier dans certains pays d’Amérique

Latine - ne sont pas de deuxième catégorie dans les rangs entrepreneuriaux, telles qu’elles l’ont été

parfois qualifiées, dans l’intention de minimiser leur participation à l’économie. Cependant, il est

nécessaire qu'un plus grand effort soit réalisé pour montrer leurs vertus, leur efficacité et leur efficience,

en faisant connaître leur organisation, leurs compétences et les habiletés de direction et de gestion de

leurs membres. Concrètement, le leadership et la compétitivité ne sont ni obtenus ni exercés par décret ni

par obligation, mais par reconnaissance.

Il ne faut pas oublier que l'ESS est parfois la cible de critiques quand l'absence d'esprit lucratif, une de ses

principales caractéristiques, est remise en doute. Cette perception s’explique pour certains par la taille

importante que ces organismes acquièrent et/ou par le leadership qu'ils exercent dans un secteur du

marché, en dépassant parfois des entreprises capitalistes. Le fait de ne pas avoir comme but la

concentration de capital ne signifie pas que la production d’une rentabilité ne soit pas nécessaire, celle-ci

est indispensable pour le soutien et la juste distribution équitable des excédents.

L'administration adéquate et la direction des organismes obligent ses responsables à fournir une

information transparente sur leurs activités et leurs réussites, mais aussi à consolider les valeurs, les

principes et les fins qui distinguent l'économie sociale d'autres organisations capitalistes.

Attirer l’attention avec des notes et des articles nouveaux dans l'espace nommé « communications en

nuage » n'est pas une tâche facile. Il ne s'agit pas de se contenter d’avoir une page Web avec un logo

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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créatif à côté d'une publicité nouvelle. Des associés, des clients, des fournisseurs ou le public en général

doivent être convaincus de la véracité des informations et des rapports communiqués par ces

organisations, leurs sources doivent être fiables, il doit y avoir une périodicité dans l'information diffusée

dans les média et, fondamentalement, il doit y avoir une extériorisation du respect interne et externe des

droits individuels, sociaux et environnementaux qu’ observent ces organisations.

Intégration sectorielle

Peut-être que l'une des inconnues les plus inquiétantes a toujours été de trouver les processus de

développement les plus adaptés dans les entreprises qui puissent être soutenus dans le temps. Les

méthodologies par lesquelles il faut passer doivent être dynamiques et toujours perfectibles pour atteindre

une viabilité dans les processus de soutien et de développement.

La faible communication horizontale existante entre les organisations empêche la mobilisation des

capacités d'intercoopération. Pour parcourir ce chemin dans l'économie sociale, tout d’abord, on a besoin

d’une connaissance mutuelle adéquate des activités, de connaître les ressources économiques et

humaines pour analyser si elles ont des équivalences et des symétries suffisantes pour entreprendre un

processus d'intégration et de montrer quelle est l'évolution des bilans économique, financier et social.

Dans les étapes d'information et de communication, considérer le domaine géographique et le secteur de

la population où les organismes solidaires impliqués agissent est aussi important que l'évolution des

bilans économiques et financiers et l'impact social que leurs activités produisent.

Les associations de personnes qui créent des normes d'organisation qui visent la satisfaction des besoins

communs ou l’obtention d’un bénéfice distribuable entre leurs composants, peuvent trouver quelques

limites à leur développement pour différentes raisons. Une efficacité productive et des besoins importants

sont les causes qui poussent à s’orienter vers une intégration qui modifie favorablement son efficacité.

Le développement de l'économie sociale et solidaire ne demande pas la création de coopératives ou de

mutuelles quand on n'en a pas besoin, parce qu’un nombre excessif peut occasionner des échecs et la

disparition de celles qui ne peuvent pas se maintenir. Dans certains cas, il convient d'essayer des

processus d'intégration, surtout quand le marché exige des besoins technologiques ou d'une plus grande

échelle. Effectivement, ces organismes doivent avoir une capacité d'adaptation, spécialement dans les

processus économiques changeants dans le domaine de la production et de la commercialisation de

biens, mais aussi dans les économies familières, chez les petites et les moyennes entreprises, et doivent

écouter l'offre et la demande de services en mesurant des volumes et des structures de coûts.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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L'information et la communication intersectorielle est essentielle pour envisager un processus

d'intégration horizontale

Un autre avantage innovant que peut avoir la communication intersectorielle pour l’encouragement de

l'intégration, est lié à l'un des principes coopératifs, le septième, qui vise “l'intérêt pour la communauté”.

Ce principe induit que le but de ces organisations solidaires n’est pas seulement d’assurer la satisfaction

des besoins communs propres, mais aussi de créer des entreprises d'intérêt général qui consolident le

concept de responsabilité sociale du secteur. Ce but peut être atteint plus facilement lorsque les liens

intégratifs sont consolidés.

L’importance des télécommunications et des réseaux sociaux comme nouveau défi pour l'ESS

Les différentes formes de communication à distance sont communément appelées télécommunications.

Les TICs sont les technologies de l'information et de la communication. Dans le même sens, les NTIC

sont les nouvelles technologies qui donnent le nom à l'informatique connectée par Internet qui, comme

tout, a de grands avantages ou bénéfices à l'heure de la mesurer en termes de développement contrôlé,

mais elle comporte également des risques. Ces nouvelles technologies ont une grande répercussion sur

la société, permettent d’économiser du temps et de l'argent et encouragent l’interrelation sociale,

éducative et commerciale. Comme un encouragement à la recherche et à l'innovation, leur usage peut

contribuer au développement durable de la planète et à la protection de la biodiversité. Logiquement, elles

comportent elles aussi des risques ou des désavantages.

La part et la tranche d’âge de la population « connectée » et qui utilise les réseaux sociaux, constituent

aujourd'hui des données et des outils d'utilisation maximale dans le monde. Voyons dans le tableau

suivant quelques chiffres dans certains pays d'Amérique Latine.

Part de la population en ligne âgée de plus de 15 ans, du mois de mars 2010 au mois de mars 2011

Audience Internet des 15 ans et plus, accédant à Internet depuis leur foyer ou leur lieu de travail Source: comScore Media Metrix, Mars 2010 - Mars 2011

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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Audience Internet des 15 ans et plus, accédant à Internet depuis leur foyer ou leur lieu de travail

Source: comScore Media Metrix, Mars 2010 - Mars 2011

Selon des données publiées par Com Store, 30 % des utilisateurs d'Internet restent connectés aux

réseaux sociaux pendant tout le temps de leur connexion. Chaque page web dispose d’un langage et

d’une manière différente de communiquer, c’est pour cela que chaque page attire les internautes pour des

raisons différentes.

L'échange dynamique qui est obtenu inclut un ensemble de personnes ou de collectifs qui s'identifient par

les mêmes problèmes et besoins, ils échangent des connaissances et des expériences. Les institutions de

l'économie sociale doivent participer à cette communication multidirectionnelle. Le nombre de visites, le

temps de connexion et les âges des utilisateurs nous indiquent que l'on ne peut pas laisser de côté cette

opportunité. De plus, ceux qui travaillent dans la construction de ces pages les rendent chaque jour plus

agréables et simples d’utilisation ; un autre facteur 'important pour leur diffusion massive est qu'elles sont

en général gratuites.

Par exemple, l'usage d’internet quotidien moyen en Argentine dépasse de 4 heures la moyenne mondiale,

d’après l'information fournie par ComScore, qui remarque également que plus le taux de pénétration et de

haut-débit est important, plus le temps qu’on passe en ligne est important.

En Amérique Latine, le Brésil, le Mexique, l'Argentine et la Colombie sont les pays les plus grands

utilisateurs d’Internet, avec plus de 23 heures mensuelles en ligne par Internaute. Ces derniers

consacrent 30 % de leur temps à leur connexion à Internet et aux réseaux sociaux. Facebook, Twitter,

Linkedin sont quelques-uns des réseaux sociaux les plus utilisés comme on peut le voir dans les tableaux

suivants.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Audience Internet des 15 ans et plus, accédant à Internet depuis leur foyer ou leur lieu de travail Source: comScore Media Metrix, Mars 2010 - Mars 2011

Audience Internet des 15 ans et plus, accédant à Internet depuis leur foyer ou leur lieu de travail Source: comScore Media Metrix, Mars 2010 - Mars 2011

Les réseaux sociaux ont une éthique implicite de coopération. Les entreprises de l'économie sociale et

solidaire sont donc mieux préparées pour profiter naturellement des occasions qu'ils offrent. Les

changements qui se présentent sont plus sociaux que technologiques.

Les coopératives, les mutuelles et d’autres organisations de l'ESS ne peuvent pas être absentes dans

cette évolution. Il est nécessaire qu'elles appliquent un développement dynamique au moyen de

l'interaction de dirigeants, de techniciens et des personnes responsables de définir des stratégies. Pour

cela, il faut réaliser au préalable une analyse des processus d'information et de communication utilisés,

pour avoir un impact sur le point précis de l'objectif poursuivi. Il faut intensifier l'interaction pour gagner de

la confiance, pour offrir de la sécurité et de bonnes réponses, en renforçant, dans toutes les étapes, les

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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droits de leurs membres et l’accomplissement des obligations de ces organismes adaptées à leur mission.

Ces obligations doivent viser la construction d’une société plus participative, démocratique et solidaire.

Participation des jeunes

Il y a ceux qui affirment que le progrès des organisations est dû à leurs membres comme résultat de la

somme de l'hérédité reçue et de l'innovation applicable. Les entreprises et les organismes n’ont pas de

succès grâce à leur histoire, mais ils l'obtiennent quand ils comptent des personnes qualifiées et

passionnées qui apportent de nouvelles idées, dépassent les minorités passives et s'adaptent aux étapes

de progrès.

Dans l'économie sociale et solidaire, il convient de travailler et toujours identifier sa direction plutôt que

son but, en faisant passer la solidarité avant les intérêts personnels, sans s'écarter de l’impératif de

justice, c'est-à-dire, en cherchant l'équilibre entre la morale et le droit.

Cette manière de voir l'économie n'est pas connue de tous. Encore plus, elle est combattue en divers

endroits. Il faut alors donner la juste valeur à l'éducation, à l'information et à la communication pour que

cette manière de voir l’économie soit connue en particulier des jeunes qui n'ont ni de complicité ni de

compromis avec le passé, mais qui sont les architectes de l'avenir.

Il semble compliqué de trouver dans les organisations la conviction et la capacité de produire les

substitutions et les complémentarités entre générations. C'est que tous, jeunes et adultes, doivent soutenir

et diffuser la culture de la durabilité des organisations, basés sur le bénéfice du mélange des forces entre

l'expérience et la jeunesse, pour la construction sociale d'un nouvel ordre économique.

La participation de la jeunesse ne peut pas être improvisée, elle demande une formation et un

entraînement responsable et méthodique qui prépare les futurs dirigeants et fonctionnaires pour exercer

une gestion adaptée à la doctrine du secteur solidaire, pour assurer le savoir-faire des organisations.

Il faut encourager la curiosité intellectuelle des jeunes, diffuser leurs idées et leurs propositions et tenir

compte, lorsqu’elles sont raisonnables, des résistances à conserver dans les institutions des structures

apparemment obsolètes. Comme on l’a vu précédemment, il est d'une grande utilité pratique et de

« pénétration communicative » dans la société que d’encourager la participation des jeunes dans les

espaces virtuels d'information et de conversation comme les forums, les blogs, les réseaux sociaux et

d'autres moyens évoqués précédemment.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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CONCLUSION

La valeur des communications dans l'ESS réside dans la réalisation d’un bon usage de ces

communications dans la gestion des connaissances. C'est ce que nous savons déjà : la diffusion du QUOI

et du COMMENT doit être faite en équipe pour augmenter la capacité d'action de cette économie avec

une vision humaine, tout en donnant une valeur ajoutée aux nécessités de la communauté. La création de

richesses de ce modèle socio-économique ne s'oppose pas aux principes et aux objectifs de l’ESS. Cette

création de richesse doit être visualisée à l’intérieur et en dehors de l’ESS, tout en montrant la

responsabilité morale et sociale de l’entreprise, la défense de ses valeurs, la création des emplois

permanents, l’enracinement territorial et surtout, montrer du courage pour défendre l'équité sociale afin de

s’orienter vers un nouveau modèle socialement inclusif et participatif, conforme à la protection de la

planète.

∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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Les co-auteurs : membres du « Groupe RMB avec les jeunes pour l’ESS », 8

pays représentés

Cet article est le fruit de la co-écriture de plusieurs jeunes tous membres du Groupe avec les jeunes pour

l'ESS crée par les Rencontres du Mont-Blanc – Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale

et Solidaire. L’écriture de cet article s’est faite à 22 mains sous la coordination de Laura Ortiz-Rouzé et

Catherine Maliedje Djila, qui ont reçu les conseils de Thierry Weishaupt, Président d’Euclid Network. La

traduction en anglais a été assurée par les différents co-auteurs et révisée par Flor Barbara Célis. Ce sont

donc 11 personnes de 23 à 35 ans représentant 8 pays qui ont permis de faire naître cet article.

Celui-ci a pour objectif de permettre à des jeunes de présenter et de s’exprimer sur ce que représente

pour eux la formation à l’Economie Sociale et Solidaire en illustrant leur propos de témoignages vivants et

divers. Ce n’est pas un article qui a vocation à être exhaustif sur les formations existantes dans le monde,

mais qui vise à donner un point de vue de plusieurs jeunes impliqués en ESS dans différents pays.

Les co-auteurs : Catherine MALIEDJE DJILA, Cameroun ; Laura ORTIZ-ROUZÉ, France ; Gildas

TODINANAHARY, Madagascar ; Kaven JOYAL, Québec ; Djeanane MONFORT, Haiti ; Marion

ROUSSEAUX, France ; Flor Barbara CELIS Québec-Mexique ; Audrey BORDAS, France ; Gonzalo

ORTIZ-ROUZÉ, Chili-France ; Johan BAUFRETON, France ; Sahar CHIBOUB, Maroc.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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L’enjeu de la formation en ESS, article collectif par les membres du

« Groupe RMB avec les jeunes pour l’ESS », multi-pays

Quelle formation pour quelle économie ? L’avis des jeunes nous intéresse

Comment se former à l’ESS ? Un tour du monde en 9 étapes

« Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les Hommes s’éduquent ensemble par

l’intermédiaire du monde »

Paolo Freire, 1970

"Nos idées sur l’éducation découlent invariablement de notre perception de la réalité et de notre

conception de la nature – en particulier de nos thèses sur la nature humaine et le sens du parcours

humain-. Notre système éducatif institutionnalise ces thèses, il en a toujours été ainsi : ce que nous

enseignons vraiment c’est la conscience d’une époque. Mais la conscience humaine change au fil de

l’histoire."20

L’ESS peut être envisagée aujourd’hui comme une solution face à la crise globalisée que nous vivons à la

fois au niveau économique, social, environnemental et culturel. Cette économie est encore très

méconnue, notamment par les jeunes, qui se révèlent pourtant être des acteurs fondamentaux dans la

transformation sociale. « A travers l’histoire, les jeunes ont joué un rôle crucial dans la mise en forme de la

société. Des mouvements de jeunesse, aux actions locales, à l’expansion de la pensée, les jeunes sont la

clé pour dessiner un monde plus soutenable. Ils représentent 30% de la population mondiale »21.

Comment définir la jeunesse ? Au-delà de critères fixes et "statistiques", la jeunesse est avant tout un

"état" sociologique et psychologique. Selon Edgar Morin, « la jeunesse est le maillon le plus fort mais

aussi le plus faible de la société. Le plus faible sociologiquement car le "jeune" n'est plus un enfant, alors

non protégé par le noyau familial mais il n'est pas non plus intégré dans la société. Le plus fort car la

jeunesse est pleine d'énergie, de force, de volonté, d'aspirations. »

Il est alors important de se poser la question de la formation comme potentiel vecteur de reconnaissance

et de diffusion de l’ESS.

20 Jeremy Rifkin, La Troisième Révolution Industrielle - Comment le pouvoir latéral va transformer l'énergie, l'économie et le monde, édition LLL (Les Liens qui Libèrent), Février 2012. 21 Extrait du site Internet de Rio+20, Conférence des Nations Unies pour le développement durable, qui a eu lieu à Rio au Brésil du 20 au 22 Juin 2012. La jeunesse et l'enfance seront des acteurs clés dans les propositions issues du Sommet Rio+20 http://www.uncsd2012.org/rio20/index.php?menu=98.

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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Comme l’indique Jean-François Draperi, "Ce qui identifie de façon la plus certaine l’entreprise d’économie

sociale est la coopération entre ses membres, fondatrice de l’action collective. Cette coopération, qui en

ESS, est volontaire, égalitaire et solidaire, s’édifie en lieu et place de la concurrence entre les individus,

concurrence inductrice de subordination (…)"22. Il est important que cette idée de formation se rapproche

de la notion de conscientisation, en ce sens qu’elle supporte un système économique et social alternatif à

partir duquel il est possible de mettre sur pied des projets collectifs transformateurs au sein de la société.

Les contributions à cet article sont nées de la mobilisation d’un « groupe jeunes de l’ESS » dont la genèse

remonte aux Rencontres du Mont Blanc de novembre 2011. Lors de ces RMB, un atelier avait été

organisé autour du sujet de la place des jeunes dans l’économie sociale, avec notamment les enjeux de la

citoyenneté et de l’éducation. Suite à cet atelier est apparue la nécessité de maintenir un lien permanent

entre jeunes de l’ESS pour réfléchir aux enjeux et aux réponses à apporter pour la pleine prise en compte

de la place des nouvelles générations.

Parmi ces enjeux et réponses, la formation joue un rôle central, comme le chemin tracé par les

contributions qui suivent le montre. Qu’en est-il concrètement ? Neuf jeunes du monde entier nous

donnent leur avis, et témoignent de leur expérience et de leur ressenti sur le sujet.

Le Québec, très actif dans le domaine l’ESS a introduit depuis longtemps dans son système éducatif

l’apprentissage à la coopération. Comme l’explique Kaven, il est indispensable de coopérer pour que soit

mise en place une véritable formation à l’ESS.

L’éducation coopérative au Québec, vers un enseignement sociétal de la coopération

Le mouvement coopératif, à travers les initiatives menées par le Conseil québécois de la coopération et

de la mutualité (CQCM) et la Fondation pour l’éducation à la coopération et à la mutualité, est parvenu au

cours des 30 dernières années à mettre sur pied un ensemble d’outils pédagogiques et de programmes

visant à éduquer la population québécoise à la coopération. Nous présenterons dans cet article quelques-

unes des initiatives qui s’insèrent dans le continuum éducatif mis en place par le mouvement coopératif

québécois. Puis nous envisagerons des avenues de développement éducatif susceptibles d’enrichir ce

continuum notamment au niveau de l’éducation aux adultes par les centres d’éducation et

d’alphabétisation populaires, de même qu’à travers le cursus professionnalisant de certains programmes

universitaires.

22 Propos de Jean-François Draperi, Directeur du Cestes (Centre d'Économie Sociale Travail et Société/Cnam) Extraits de l'Atlas commenté de l'économie sociale et solidaire, p.200 "Libre Propos"

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Le continuum de l’éducation coopérative au Québec

Tout d’abord, précisons qu’il existe au Canada une certaine confusion quant au sens donné à l’éducation

coopérative.

Nous aborderons ici la définition suivante de l’éducation coopérative. Cette dernière se rapporte au

coopératisme en tant que modèle socioéconomique possédant son propre système de valeurs et reposant

de fait sur le développement de compétences et de connaissances spécifiques à travers une démarche

s’inspirant des principes de la pédagogie coopérative et de la pédagogie par projet.

Si l’un des principes du mouvement coopératif repose sur la formation de ses membres, le mouvement

coopératif québécois à travers entre autre la Fondation pour l’éducation à la coopération et à la mutualité,

en a élargi le sens à l’ensemble de la société québécoise et plus spécifiquement à sa jeunesse. S’insérant

dans la stratégie d’action jeunesse 2009-2014 du gouvernement québécois, l’éducation coopérative offre

des trousses pédagogiques et une série de programmes aux enseignants des niveaux pré-scolaire et

primaire, alors que le mouvement coopératif, par l’entremise de différents acteurs, finance différents

projets éducatifs en parallèle pour les étudiants du secondaire jusqu’au collégial et à l’universitaire. Des

agents de promotion de « l’entrepreneuriat collectif jeunesse », dispersés partout dans la province, sont

d’ailleurs mandatés pour faire connaître les différents programmes jeunesse. Trois exemples concrets

serviront à illustrer, bien que partiellement, le continuum de l’éducation coopérative au Québec.

Des trousses et programmes aux niveaux pré-scolaire et primaire

En 2012, des enseignants participant au microprogramme en enseignement coopératif et complexe de

l’Université de Sherbrooke ont mis sur pied une 11ème trousse pédagogique intitulée « coopérons à travers

l’histoire avec Co et Op ». Ces trousses présentent des outils d’éducation coopérative aux enseignants

désirant adapter cette pédagogie tout en respectant les exigences ministérielles en matière de contenu et

de compétences. Par ailleurs, le programme « ensemble vers la réussite » est un programme « d'initiation

à la coopération qui s'adresse aux enseignants. Il permet de réaliser un projet de classe choisi

démocratiquement et géré par les élèves. » (CQCM, 2012)

Développer l’entrepreneuriat jeunesse au secondaire

Les projets pédagogiques s’adressant aux jeunes du secondaire (14-20 ans) acquièrent une dimension

beaucoup plus concrète. L’une des initiatives connaissant le plus de succès est sans doute celle des

Coopératives Jeunesses de Services (CJS). La CJS est « une forme de coopérative de travail réunissant

des jeunes de 14 à 17 ans qui se regroupent durant la période estivale pour se créer un emploi. » Elles

sont notamment soutenues par un comité local formé de différents acteurs du milieu comme la caisse

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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populaire et le carrefour jeunesse emploi et bénéficie de l’accompagnement de 2 animateurs. Les jeunes

s’initient durant l’été à l’exercice démocratique du pouvoir, à la gestion coopérative et aux rouages du

marché du travail. Il s’agit en soit d’une formation pratique en entrepreneuriat collectif. En 2007, le nombre

de CJS actives était de 154, plus de 1700 jeunes coopérateurs y participaient.

La formation universitaire

L’entrepreneuriat collectif est tout aussi significatif au niveau collégial ou universitaire. L’Université de

Sherbrooke est d’ailleurs une double pionnière en ce sens qu’elle offre depuis 1981 un programme de

maîtrise en gestion et gouvernance des coopératives et mutuelles à travers l’Institut de recherche et

d’éducation pour les coopératives et mutuelles (IRECUS).

Ce bref exposé sur le continuum en éducation coopérative au Québec pose la question de son

élargissement à d’autres pans du système d’éducation, notamment à l’éducation des adultes : ne devrait-

on pas créer des centres d’éducation populaire et d’alphabétisation, puis, développer des formations

universitaires intégrées offrant un axe de professionnalisation par l’entrepreneuriat collectif ?

Éducation populaire et coopérative : l’approche conscientisante et la pédagogie coopérative

Si l’éducation coopérative est parvenue à se faire une place dans le système d’éducation québécois, il

n’en reste pas moins que son absence est notable dans certains secteurs de l’économie sociale qui

gagneraient grandement à y intégrer le modèle au niveau des applications pédagogiques. C’est

notamment le cas dans le domaine de l’éducation populaire et plus précisément dans les centres

d’alphabétisation conscientisante. Une similarité intéressante existe entre les visées de l’approche

conscientisante développée par Paolo Freire et celle de la pédagogie coopérative. La première cherche le

développement d’une pensée critique à l’égard surtout de l’exclusion socioéconomique, afin d’engendrer

des actions collectives transformatrices au sein de la société. La pédagogie coopérative quant à elle,

structure l’apprentissage autour des valeurs propres au mouvement coopératif : égalité, démocratie,

solidarité, etc. C’est au niveau du modèle qui la sous-tend que la pédagogie coopérative rejoint l’approche

conscientisante, en ce sens qu’elle supporte un système économique et social alternatif à partir duquel il

est possible de mettre sur pied des projets collectifs transformateurs au sein de la société. Tel qu’évoqué

en introduction, la pédagogie de Freire repose sur l’idée que les hommes s’éduquent ensemble,

« personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par

l’intermédiaire du monde. Au même titre, la pédagogie coopérative « place l'élève en tant qu'acteur de ses

apprentissages, capable de participer à l'élaboration de ses compétences en coopération avec

l'enseignant et ses pairs ». (CQCM, 2012)

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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C’est justement là que se trouve l’intérêt pour ces centres d’éducation populaire mais aussi pour le

mouvement coopératif de développer une approche pédagogique combinant conscientisation et

coopération. Au même titre que les CJS peuvent réellement contribuer à ce que certains jeunes créent

leur entreprise et se prennent en charge collectivement pour améliorer leur situation socioéconomique,

ces centres pourraient bénéficier grandement d’un apport de revenu supplémentaire en devenant des

coopératives de solidarité qui, par l’intermédiaire de leur mission initiale, viseraient à répondre à des

besoins en alphabétisation toute en intégrant le développement de projets coopératifs susceptibles de

s’insérer dans un réseau d’économie sociale et solidaire au sein de leurs communautés respectives. Ceci

leur permettrait finalement de réduire progressivement leur dépendance à l’égard des gouvernements et

donc de remplir leur mission « conscientisante » en y combinant l’éducation coopérative.

La professionnalisation à travers la coopération

Une autre piste intéressante porte sur les enjeux de la professionnalisation des étudiants universitaires.

L’obtention d’un diplôme n’est pas une garantie d’emploi dans tous les cas, de fait, l’une des raisons les

plus couramment évoquée par les employeurs pour refuser l’embauche est « le fossé technique entre le

milieu académique et professionnel ».

La transition entre la théorie et la pratique est sans aucun doute une chose souhaitable. La pédagogie

coopérative à travers l’approche par projet y accorde d’ailleurs une place centrale. On peut alors se

demander s’il ne serait pas possible d’envisager la situation sous un autre angle. C'est-à-dire, au lieu de

voir l’université répondre aux besoins spécifiques du marché, serait-il possible de développer au sein de

nos universités des programmes professionnalisant qui puissent contribuer à opérer des changements

systémiques quant au modèle de développement socioéconomique dans lequel ceux-ci sont insérés.

Explorons d’autres méthodes…

Focus sur le théâtre : outil sensible et artistique d'approche et de sensibilisation des jeunes à l'ESS.

Gonzalo, professionnel du théâtre nous montre que d’autres méthodes de sensibilisation peuvent aussi être utilisées.

Éducation hors les murs et éducation populaire

Initier au théâtre des enfants, jeunes et adultes, c'est créer des espaces d'extériorisation d'interrogations mais aussi

une source d’idées, de dialogues dans la recherche commune de solutions. Cet art permet de cultiver l'imaginaire et de

pratiquer la coopération nécessaire à une transformation sociétale portée par l'ESS.

C'est un des outils qui sera utilisé auprès de lycéens à Poitiers, en France, notamment lors de la Semaine de la

Solidarité Internationale 2012, événement national français. Il permettra d'aborder la thématique de l'année 2012: l'eau

et son inégal accès dans le monde.

Gonzalo Ortiz-Rouzé, Chili-France

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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Formations en entrepreneuriat collectif intégrées aux programmes universitaires

À l’instar des groupes d’éducation populaire, il serait possible de penser l’université comme un lieu où il

peut non seulement y avoir place à l’innovation sociale, mais où celle-ci peut se développer à l’extérieur

des campus. Plusieurs programmes ne suscitent pas d’intérêts auprès des entreprises privés, c’est

notamment le cas en sciences humaines. À l’Université de Sherbrooke, où le « régime coopératif » est le

plus avancé au Québec, les « stages-coop » existent seulement dans les départements les plus

appliqués. Pour plusieurs programmes, le stage constitue le seul moment où l’étudiant pourrait mettre en

application la théorie apprise en cours et possiblement trouver un emploi. Dans la logique où l’université

répond à la demande du marché, la formation à l’entrepreneuriat reste très peu valorisée au sein des

programmes comme moyen de professionnalisation et encore peu de structures (coopératives de travail

ou de solidarité), sont présentes sur les campus pour servir de milieu de pratique, de stage ou de travail.

Il semble que le développement d’une éducation coopérative et de « stage-coop » selon le modèle

coopératif à l’université constituerait pour certains programmes un bon moyen de contribuer au besoin

d’intégration entre la théorie et la pratique.

Quand l’université ouvre ses portes

Une formation a été mise sur pied en 2008 par le Pr. Gilles St-Pierre de l'Université de Sherbrooke au

Québec, portant sur la simulation de création de coopératives via « l’École d’été des jeunes créateurs de

coopératives ». Elle est maintenant offerte en alternance entre la Coopérative de Développement

Régional de l'Estrie à l'Université de Sherbrooke (Québec) et l'Union Régionale des Scop de Poitou-

Charentes à l’Université de Poitiers (France). Cette école est ouverte à tout jeune de 18 à 35 ans, quel

que soit leur statut.

Ce format de formation a déjà fait ses preuves sur différents lieux et s'est adaptée à plusieurs cultures :

Québec depuis 1999 pour la formation à l'entrepreneuriat général "École Internationale des

Jeunes Entrepreneurs et depuis 2008 pour sa version coopérative "École Internationale des

Jeunes Créateurs de Coopératives",

France à Poitiers pour sa version coopérative, "Campus Coopératives",

France à Albi dans une formation sur l'entrepreneuriat innovant "École Internationale de

l’Entrepreneuriat Technologique",

Tunisie sur l'entrepreneuriat général: Campus International d'été "Jeunes Entrepreneurs du

Maghreb en Tunisie".

Kaven Joyal, Québec

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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L'enjeu de la formation à la coopération en France : inspiration du Québec

Johan a souhaité nous faire partager son expérience québécoise, qui a ensuite été transposée et adaptée

en France. Au sein du mouvement coopératif français, la formation à la gestion de ses structures auprès

des jeunes n’est pas, à ce jour, clairement structurée ni même définie. Si au Québec le mouvement

coopératif dispose de service jeunesse en leurs seins, il n’en est pas de même en France. La différence

de nature du lien entre le mouvement coopératif et l’État constitue sans doute une explication.

Les enjeux liés à la formation des jeunes pour créer, reprendre ou tout simplement rejoindre une

coopérative sont cependant importants, d’où la nécessité de proposer des formations professionnelles aux

jeunes. Cette réflexion a permis à l’Union Régionale des Scop de Poitou-Charentes, d’identifier une

expérience originale en matière de formation/action auprès des jeunes. Celle-ci s’est déroulée au Québec

en 2010et était appuyée par la Coopérative de Développement Régional (CDR) () de l’Estrie : l’Ecole des

Jeunes Créateurs de Coopératives (EJCC) [. Elle consiste à donner les outils et à les tester en temps réel

pour créer une coopérative. Réunis sur le campus de Sherbrooke pendant deux semaines, les participants

doivent simuler la création d’une coopérative et soumettre le projet face à un jury professionnel au terme

des 15 jours. L’expérience s’est révélée être d’une grande pertinence, raison pour laquelle nous l’avons

transférer en France. Ce regroupement de 32 participants sur un lieu unique et sur un délai court,

permettent une concentration sur le sujet et une forte implication. Au cours de cette formation, les

participants peuvent vivre les principes coopératifs mais prennent également conscience de la difficulté de

sa mise en application, dans un contexte sociétal plus orienté vers la réussite individuelle que vers la

réussite collective. Ce format permet de proposer des outils concrets mais par ailleurs de déclencher un

véritable « on peut le faire », rendant la mise en application réaliste et facilitante.

Cette formation/action, seule, n’est évidemment pas suffisante et mérite une formation/action

probablement de plus longue durée s’appliquant pour des projets réels et non plus fictifs, ce pourrait être

une bonne perspective de développement en aval de Campus Coopératives. Le mouvement des Scop

offre par ailleurs un panel de formation plus particulièrement dédiées aux coopérateurs, dirigeants &

administrateurs de coopératives.

A la différence du Québec, il semble que la culture de travail en groupe est totalement à construire en

France. Un certain nombre d’universités, de hautes écoles et d’écoles de commerce françaises ont créé et

créent de plus en plus de Chaires dédiées à l’économie sociale et solidaire. On peut cependant reprocher

le fait qu’elles restent des formations théoriques, pas suffisamment alimentées par des professionnels, par

ceux qui font vivre la coopération au quotidien, dont les contenus opposent encore probablement trop

souvent l’apport sur les valeurs de l’économie sociale aux principes de gestion. Pourtant, peut-on

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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considérer que la gestion d’une coopérative est identique à une entreprise au statut « traditionnel » ? La

construction d’un prévisionnel dans une coopérative est-elle comparable à celle apprise dans les écoles

de commerce ? Ne qualifie-t-on pas d’abord les objectifs communs souhaités par les coopérateurs qui

sont ensuite validés par l’étude du marché ? Quelles sont les écoles de gestion qui forment les futurs

dirigeants à travailler et à faire travailler les salariés sur le projet d’entreprise, ne serait-ce pas une

exigence pour le bon fonctionnement des coopératives ? Sans considérer que rien ne soit aujourd’hui mis

en œuvre pour adapter le contenu des formations à ce que l’on pourrait attendre du fonctionnement

distinctif des coopératives, il reste sans nul doute beaucoup à construire, voire à innover en la matière. La

formation portant sur les coopératives est l’engrais naturel qui permet de disposer d’un terreau

suffisamment fertile pour que puisse y pousser une véritable république coopérative : coopération dans la

cité, coopération dans l’entreprise, coopération dans la famille … La qualité de cet engrais demeure une

exigence essentielle pour ne pas étouffer dans ce qui est aujourd’hui qualifié de « social washing », à

savoir considérer le social, le participatif ; la coopération comme politique marketing sans réelle remise en

cause de ses pratiques propres.

Johan Baufreton, France

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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L’EJCC de Sherbrooke ayant été transférée à Poitiers, en France, 32 participants représentant 11

nationalités y ont participé en Juillet 2012. Sahar, Gildas et Djeanane témoignent.

Campus Coopératives: Plus qu’une simple école d’été… une école de vie !

Étudiante dans une grande école de Commerce et de Gestion marocaine, j’ai pu constater que la notion

d’entrepreneuriat social est rarement présente dans les cours qu’on nous enseigne pour ne pas dire quasi

absente. C’est à travers ma forte présence sur le terrain dans le milieu associatif et para-universitaire que

j’ai pu réaliser son importance. De surcroît, côtoyer des associations dans le milieu rural, des coopératives

qui viennent en aide aux femmes des villages pour les aider à réussir des activités génératrices de revenu

et subvenir aux besoins vitaux m’a poussé à chercher plus loin, jusqu'au point de développer un projet

d’entreprise coopérative. Toutefois, j’ignorais qu’ailleurs, dans un pays très ami et voisin du Maroc qu’est

la France, ce statut était largement développé et constitue un vrai potentiel pour l’économie mondiale. Le

choix de participer à Campus Coopérative23 était une décision bien réfléchie.

Les conférences qui ont eu lieu ainsi que les diverses interventions des professionnels du domaine m’ont

permis d’assimiler concrètement leurs méthodes de travail, que nous étions supposés refléter dans nos

projets. Toutefois, Campus Coopérative n’a pas été bénéfique seulement sur le plan professionnel. Les

ateliers pratiques auxquels nous avons participé ont permis d’infléchir certains traits de caractères de nos

personnalités. En effet, nous avons réussi à mettre nos différences de côté, à dépasser nos divergences

culturelles, à faire certaines concessions pour nous mettre d’accord sur une idée de projet où chacun

devait se reconnaître pour réussir.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce sont les valeurs de campus coopérative qui nous ont

rassemblées et ont permis de réussir la substitution de l’intérêt particulier au général !

Témoignage de Sahar Chiboub, Maroc

23 Pour en savoir plus : http://www.campuscooperatives.coop/

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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Cette expérience en France à laquelle ont participé des personnes de nationalités diverses a été une

étape marquante dans la vie des jeunes tant sur le plan personnel que professionnel. Celle-ci a inspiré

des jeunes de différents pays et a ouvert des opportunités non soupçonnées dans plusieurs secteurs.

L'Entrepreneuriat coopératif, aussi au service de la science

Économie sociale et solidaire, ces termes ont été pour moi plus qu'étrangers jusqu'en juillet 2012, mois

durant lequel j’ai participé à l’école d’été internationale des jeunes créateurs de coopératives à Poitiers

(France). Je suis en effet chercheur en sciences marines, et n’ai jamais été formé ni sensibilisé à

l'entrepreneuriat et a l’ESS.

Cette formation m’a permis de faire un point sur mes perspectives d’avenir, notamment à propos de mon

désir de créer un terrain d’emploi pour des jeunes (collègues et/ou compatriotes) à travers l’élaboration

d’un projet d’entreprise (petite ou moyenne en fonction de la faisabilité). L’école m’a offerte une panoplie

d’outils nécessaires à l’élaboration d’un plan d’affaire pour une SCOP ou SCIC24 – des structures qui

existent également à Madagascar sous d’autres formes.

Cette formation a été également une occasion sans précédent de me perfectionner quant à ma capacité

de travailler en équipe et de gérer une équipe. Cela me servira notamment pour la gestion de l’Association

YSO-Madagascar que j’ai créé avec mes collègues.

Enfin, cette école d’été a ouvert une porte pour des projets futurs, notamment la création de coopérative,

mais également la réalisation de mes recherches doctorales qui débutent actuellement au sein de mon

Université (Toliara, Madagascar) et de l’Université de Mons (Belgique). La collaboration semble inévitable

pour tous les participants dans un avenir proche ; des idées de projets coopératifs se sont déjà formées et

ont vu le jour après l’école.

Arrivé à Campus Coopératives avec très peu d’expérience en matière d’entrepreneuriat, je suis revenu

avec une quasi-assurance de ma capacité à créer une société coopérative. Autrement dit, cette école m’a

permis de m’émanciper dans un monde qui m’était totalement inconnu : celui d’entreprendre autrement.

Témoignage de Gildas Todinanahary, Madagascar

24Les Scop et Scic sont deux statuts d'entreprise coopérative en France. La Société Coopérative Ouvrière de Production (Scop) est une coopérative dont les associés sont majoritairement les salariés. La Société Coopérative d'Intérêt Collectif (Scic) est une coopérative dont les associés sont multiples. Ils peuvent être les salariés, les usagers, les bénéficiaires, les collectivités publiques, les bénévoles. Pour en savoir plus : www.les-scop.coop

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Haïti, un besoin urgent de découvrir la réalité coopérative

J’ai longtemps hésité avant de postuler pour les Campus Coopératives du 1er au 14 juillet 2012 à Poitiers

en France. Hésitation dûe au fait que je ne connaissais pas du tout l’ESS. Vraiment RIEN. Un jour, je me

suis décidé et ce fut l’une des plus grandes expériences de ma vie.

En Haïti, l’idée des coopératives est totalement différente de ce qui m’a été présenté lors du Campus

Coopératives. En résumé, dans mon pays, les coopératives sont comme des banques. Les « membres »

déposent leur argent et ont un meilleur taux par rapport à celui des banques commerciales.

C’est avec plaisir que j’ai découvert le côté social de l’économie à travers les associations, les mutuelles,

les coopératives, les structures de micro-finances. Ce concept social peut tout changer s’il est bien

exploité. L’économie sociale et solidaire ? Il me fallait en prendre connaissance pour imaginer ce que moi,

en tant que jeune, je pourrais changer dans mon pays. Je me suis rendue compte que l’ESS est

exactement ce qu’il faut ici pour améliorer les conditions de vie de la majorité de la population. On n’y est

pas habitué, on n’y connait pas grand-chose.

Étant volontaire des Nations Unies en ligne avec plusieurs pays dont le Ghana, le Cameroun et Haïti, je

sais maintenant ce qu'il manque à de nombreux pays qui font face aux mêmes problèmes. Pas

nécessairement du côté politique, mais du côté économique. Passionnée de tourisme et je me suis

rendue compte que le tourisme social et écologique s’emboite totalement dans l’économie sociale et

solidaire. L’écotourisme en lui-même déjà en appelle à la coopération entre les agences

gouvernementales, les communautés rurales et d’autres acteurs de la société. Les capacités touristiques

d’Haïti sont énormes et que des particuliers se mettent en coopératives pour implanter des entreprises

touristiques serait d’un apport économique important pour l’économie rurale mais aussi nationale.

Le groupe dont je faisais partie lors des Campus Coopératives était composé de cinq nationalités

différentes avec des barrières évidentes de langues, mais nous avons réussi à travailler ensemble et

finaliser notre projet. Je me suis fait des amis pour la vie et même des futurs collaborateurs dans le

domaine professionnel.

Dans mon pays, 60% de la population a moins de 25 ans. Mobiliser ces jeunes par des formations en

entreprenariat social signifierait déjà planter une graine pour les inciter à voir l’économie autrement.

Mon rêve, un peu fou, c’est d’arriver à organiser chaque année des formations telles que Campus

Coopératives en Haïti, afin que les jeunes puissent s’ouvrir à l’idée de l’économie sociale et solidaire.

Témoignage de Djeanane Monfort, Haïti

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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De nombreux habitants d’autres territoires sont acteurs de l’ESS, mais n’en ont pas conscience. Se fait

alors sentir le besoin de relier ces initiatives et de les faire connaître, la formation peut apporter une

réponse. Marion l’a observé et en témoigne.

La possible reconnaissance des acteurs de l’ESS au Mexique par le biais de la formation

Dans le cadre d’un stage de six mois au Mexique à l’Université Interculturelle du Chiapas réalisé pendant

mon Master 2 en Économie Sociale et Solidaire à Poitiers, j’ai pu rencontrer de nombreux acteurs de

l’ESS. J'ai pu réaliser combien ils étaient peu reconnus, aussi bien par les politiques publiques que par les

organismes de formation en général. Paradoxalement, de nombreuses initiatives de la société civile,

prenant la forme de sociétés coopératives, d’organisations de travailleurs ou encore de communautés,

existent et intègrent ces valeurs. J’ai voulu évoquer ici deux initiatives expérimentales pouvant apporter

des pistes de solutions à ce manque.

Face à ce constat, deux professeurs, Mr Ramirez, professeur de sciences politiques à l’UNAM (Université

autonome du Mexique), une des universités les plus reconnues de toute l’Amérique Latine, et Mr Avila,

professeur d’économie à l’UNICH, (Université interculturelle du Chiapas), expérimentent actuellement la

mise en place d’une formation dans l’ESS, qui soit théorique, pratique et liée au contexte territorial. Ils se

sont inspirés du Master DDESS25 de Poitiers ainsi que de Campus Coopératives précédemment

mentionné. Il s’agit d’initiatives innovantes aussi bien dans l’état de Mexico que dans l’Etat du Chiapas

visant à valoriser et mettre en lien les nombreux acteurs de l’ESS déjà présents sur le territoire. Il est

question ici d’utiliser l’enseignement comme vecteur de diffusion et de promotion de l’ESS, et qui pourrait

être une solution à la crise structurelle que connaît le pays depuis de nombreuses années.

Témoignage de Marion Rousseaux, France

25Pour en savoir plus : [email protected], Master pro Droit et Développement de l’Economie Sociale et Solidaire

Focus sur le Master 2 Professionnel Droit et Développement de l’Économie Sociale et Solidaire proposé à la

Faculté de Droit et Sciences Sociales de l’Université de Poitiers (FRANCE)

- pédagogie de projet et coopération

- réalisation de projets avec des professionnels de l’ESS

- 6 mois de cours donnés par des professeurs de l’Université et de nombreux intervenants

professionnels et 3 à 6 mois de stage

Cela nous a permis d’avoir de l’expérience en mettant en pratique nos connaissances et en nous constituant un

réseau professionnel important. La richesse de ce master est aussi basée sur l'interculturalité et la diversité des profils

d’étudiants. Celle-ci amène à des collaborations originales avec d'autres pays…

Exemple du Mexique en 2011-2012 grâce à un étudiant mexicain.

Marion Rousseaux et Audrey Bordas, France

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Dans certains pays, les formations sont en devenir, dans d’autres elles sont déjà encrées et reconnues.

Qu’en est-il de l’Afrique ? Catherine témoigne ici d’une nouvelle expérience en Afrique Centrale.

Un exemple de formation en ESS en Afrique Centrale : le Master en Développement Durable option

ESS de l’Institut Panafricain pour le Développement Afrique Centrale

L’institut panafricain pour le développement Afrique- Centrale (IPD – AC) basé à Douala au Cameroun

propose depuis cette année académique 2011- 2012 un master en développement durable option ESS.

Cette formation vise à outiller et à renforcer les capacités des apprenants en ESS en développant leurs

capacités d’actions et d’anticipation au regard de l’environnement spatial, socioéconomique et culturel.

Cette formation s’adresse aux responsables de collectivités locales ; aux responsables d’ONG et

d’associations ; aux cadres moyens et supérieurs des organisations publiques, parapubliques et privées

mais aussi et surtout à toutes personnes désireuses d’acquérir des connaissances en ESS et aux

étudiants.

Concrètement ; la formation s’ouvre avec un tronc commun d’une durée d’un semestre intitulé :

« Développement Durable » et ce n’est qu’à partir du second semestre que débute réellement l’option

ESS. Dans le cadre de travaux de recherche liés à ces modules, nous avons eu à faire un état des lieux

de l’ESS en Afrique en général et au Cameroun en particulier puis découvert les RMB.

Certes, on a noté un faible engouement des étudiants de l’IPD-AC pour l’ESS cette année académique

lorsqu’est arrivé le moment de choisir une option, puisque seulement deux apprenants sur quinze se sont

intéressés à cette formation en ESS. Néanmoins, il faut noter que la transversalité des enseignements et

leur application dans les entreprises nous ont permis de comprendre les fondements de l’ESS, d’identifier

ses acteurs dans notre environnement et d’être capables de promouvoir et d’encadrer la gestion des

initiatives communes et des dynamiques locales. Vivement les deux derniers semestres avenir!

Témoignage de Catherine Maliedje Djila, Cameroun

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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Un élément fondamental du fonctionnement des structures du fonctionnement de l’ESS doit faire l’objet

d’un apprentissage transversal, Audrey nous donne son avis.

Passer de la Gestion des Ressources Humaines à la Gestion Humaine des Ressources

Durant mon stage de fin de Master, que j’ai effectué dans un Centre Social de Châtellerault (Vienne,

FRANCE), j’ai pu constater des difficultés de gestion de l’équipe salariale qui entraînèrent une perte de

motivation et un éloignement de celle-ci envers les missions sociales de la structure. Le fait est que dans

des structures associatives comme celle-ci, les compétences en Gestion des Ressources Humaines

manquent et pourtant, l’humain étant au centre des préoccupations, les spécificités du secteur de l’ESS

requièrent une attention particulière concernant cette gestion, plutôt envisagée, par inversion, comme la

Gestion Humaine des Ressources.

En ESS, comme dans les Très Petites Entreprises (TPE, moins de 20 salariés), la gestion interne est plus

intuitive et informelle que réfléchie et structurée ; néanmoins l’absence d’un interlocuteur crédible pour le

management ou la gouvernance est une réelle menace pour la structure.

La GRH, peut et doit pouvoir s’adapter aux valeurs (hiérarchie plus plate, relation humaine et collaborative

plus que commerciale …) et spécificités du secteur de l’ESS (pratique importante du travail à temps

partiel, écarts salariaux moins importants, réticence aux Contrats à Durée Déterminée …). Pour cela, il

serait favorable pour les petites structures associatives ou coopératives de bénéficier de formation en

GRH ou de services consultatifs afin d’étendre leur potentiel d’action avec une équipe plus efficace,

organisée et motivée.

Mon Master en Droit et Développement de l’Économie Sociale et Solidaire de l’Université de Poitiers

(FRANCE) et mon expérience professionnelle dans ce Centre social m’ont permis de développer mon

projet professionnel de m'orienter vers l'accompagnement des structures de l'ESS dans ce sens, en

trouvant des solutions pour les structures de l’ESS pour que la gestion du personnel ne soit plus un frein à

leur bon fonctionnement.

Témoignage d’Audrey Bordas, France

Conclusion

Ces illustrations évoquent une formation qui doit adopter une pédagogie coopérative et qui est au contact

des professionnels acteurs de l’ESS. La notion de coopération est perçue comme un élément central de

leurs formations et engagements. La formation à la coopération est en effet un élément indispensable à la

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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mise en place d’activités et de projets relevant du domaine de l’ESS. « Les individus fonctionnent comme

nos neurones : isolés, ils restent inefficaces, et ne deviennent « intelligents » qu’une fois connectés les

uns aux autres »26.

Au-delà du sujet essentiel de la formation, largement abordé, l’implication des jeunes dans l’ESS passe

aussi par 3 autres conditions fondamentales, qui méritent une réflexion de la part des acteurs de l’ESS,

jeunes et moins jeunes !

Les jeunes sont des « sujets » de l’économie sociale

Le constat est souvent que l’économie sociale traite de la question des jeunes comme d’un « objet de

travail », mais qu’il est essentiel d’associer les jeunes à l’action de l’économie sociale, d’en faire des

moteurs de son renouvellement et de son développement. Il s’agit dans ce premier axe de travailler

concrètement sur la manière d’inviter les jeunes à devenir des sujets d’économie sociale à part entière.

Pour que les jeunes puissent s’engager, il est nécessaire de faire une place dans les cursus scolaires à

l’éducation en économie sociale.

Pour que les jeunes se sentent invités, il faut qu’ils aient un accès à l’économie sociale ! Et cela ne peut

se faire qu’à travers l’éducation. Dès le plus jeune âge, il faut offrir aux enfants une éducation qui laisse

place aux valeurs et principes défendus par l’économie sociale, et notamment une approche collective des

sujets. Former des jeunes c’est bien, mais assurer la transmission intergénérationnelle dans les

entreprises de l’ESS c’est mieux !

Une fois les jeunes devenus sujets, éduqués et formés, il faut encore s’assurer qu’ils peuvent assurer

pleinement leur rôle, en conjuguant leur enthousiasme et leur volonté de changement avec la compétence

et l’expérience des personnes plus âgées. Trop d’entreprises d’économie sociale meurent de n’avoir pas

su renouveler leurs cadres et avec ces cadres leurs valeurs et leur ancrage dans des sociétés en pleine

évolution. C’est un enjeu majeur pour garder à l’économie sociale son attractivité pour les jeunes.

Ces témoignages portent en eux l’idée que la formation est un vecteur indispensable de la découverte, de

la reconnaissance et de la diffusion de l’ESS. Peu importe les cultures et les origines, ces écrits montrent

que les valeurs de l’ESS sont communes et partagées par de nombreux jeunes désireux de voir se

développer une autre économie et une nouvelle forme d’entrepreneuriat.

∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞

26Isabelle Desplats, « Pour une gouvernance écologique des organisations », extrait de l’ouvrage (r)évolutions, pour une politique en actes, de Lionel Astruc. Editions acte sud colibris.

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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L’auteur : Thierry Jeantet

Thierry Jeantet est Président de l’Association des Rencontres du Mont-

Blanc-Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale depuis

octobre 2005.

Il occupe le poste de Directeur Général d’Euresa (Groupement Européen

d’Intérêt Economique rassemblant 14 mutuelles et coopératives

d’assurance européennes rassemblant 23 millions de sociétaires) depuis

sa création en octobre 1992. Il est également Vice-président de Mutavie

(assurance vie, France), Membre du Conseil d’Administration de Macif

Portugal S.A. (Portugal), de Syneteristiki (Grèce), Vice-Président de Tüw (Pologne). Il est aussi

administrateur en France de la Mondiale (mutuelle d’assurance vie) et de la SGAM AG2R La Mondiale.

Précédemment il était Secrétaire Général de la Banque et du Réseau au sein du Groupe Crédit Coopératif

puis, d’octobre 1981 à juin 1985, Adjoint du Délégué Interministériel chargé de l’Economie Sociale.

Chargé ensuite d’une mission sur l’Economie Sociale par le Premier Ministre de juin 1985 à juin 1986, il

devient, de 1986 à 1992, Secrétaire Général du Groupement des Entreprises Mutuelles d’Assurances

(GEMA).

Auteur de différents ouvrages, il a notamment publié L’Economie Sociale, une alternative au capitalisme

(Economica, 2008) et Economie Sociale, la solidarité au défi de l’efficacité (La Documentation Française,

réédition, 2009) et Sociétale démocratie : Un nouvel horizon (avec Yan de Kerorguen, Collection Lignes

de repères- Place publique, 2012).

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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L’Economie Sociale, Solidaire : une approche sociétale, par Thierry Jeantet,

France

La longue crise que traverse la planète n’est pas accidentelle, qui peut encore le nier ? Elle a un caractère

systémique. Ses douloureuses facettes sont connues : alimentaire, climatique, énergétique, sociale et non

pas seulement économique et financière. Les défenseurs du modèle à la fois capitaliste et néolibéral,

n’ont pas compris après la chute du Mur de Berlin, que si le monde paraissait ne plus être divisé en deux,

il était entré dans une phase de fragmentation, voire d’effondrement, alimenté par une mondialisation

destructrice de liens sociaux et des capacités territoriales de développement, autant que destructrice

d’environnements et captatrice des moyens économiques et financiers. Aux quêtes de progrès notamment

technologiques s’était substituée une quête de la sur-accumulation de profits et de pouvoirs par des

décideurs autoproclamés. On ne peut dire que les modèles en place précédemment aient été uniquement

porteurs de progrès « équilibrés » ; mais, malgré leurs défauts, ils tendaient à intégrer voire à protéger les

personnes, à respecter des équilibres notamment sociaux. Ils ont aussi été à l’origine de dérapages,

d’incohérences, d’injustices graves, de violences inacceptables également. Mais l’ère libéralo-financière

des années 1980 à nos jours a été la caricature d’un de ces deux systèmes se croyant libéré de l’autre

après 1989. Le capitalisme se mange lui-même à force de dérapages, où une sorte d’extrémisme a

conduit des acteurs économiques à « habiller » leurs comptes de résultats pour faire croire qu’ils

continuaient à répondre aux exigences financières pesant sur eux (Parmalet, Enron) ; d’autres à inventer

des produits financiers de plus en plus déconnectés de la réalité entrepreneuriale, économique. En

grossissant un peu le trait, on peut oser affirmer que le système « dominant » s’est mis de lui-même en

apesanteur. Jusqu’au moment où il a à nouveau été aspiré par le retour de contraintes et contrariétés plus

tangibles. Les payeurs et donc victimes étant des salariés, des paysans, des consommateurs (notamment

la crise des subprimes aux Etats-Unis d’Amérique), des citoyens, des communes, l’environnement… De

nombreux économistes ont pointé du doigt cette situation (Jeremy Rifkin, Joseph Stiglitz, Amartya Sen,

Ignacy Sachs…27). Elle est d’autant plus préoccupante qu’elle s’est accompagnée d’un creusement des

inégalités Nord/Sud et au sein même du Nord. C’est un résumé abrupt mais qui correspond à un état des

lieux qui ne l’est pas moins. Ceci d’autant qu’il y a eu ces vingt dernières années une accélération des

effets négatifs de cette mondialisation néolibérale. Face à ce constat, il parait hasardeux et fragile de

proposer de simplement mettre au garage pour réparation le vieux système dominant ; quelques soient

quelques-uns de ses mérites antérieurs (innovations technologiques, des progrès de la médecine,

compromis sociaux, cohabitation avec la démocratie dans de nombreux pays…).

27 Jeremy Rifkin, 2011, The Third Industrial Revolution, Copyrighted Material, Le Prix de l’Inégalité ; Joseph Stiglitz, 2012, Rationalité et liberté en Economie; Amartya Sen, 2005, Les Liens qui libèrent, Odile Jacob ; Ignacy Sachs, 2007, Rumo a Ecossocioeconomica, Sao Paulo, Ed. Cortez.

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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Une rupture

La crise actuelle n’est pas seulement une crise. C’est une rupture. Les questions sociales, climatiques et

environnementales comme d’ailleurs celles liées à l’économie et à la finance, sont incontournables. Il

n’apparait guère possible d’opérer seulement par corrections ou avec des ajustements. Les alertes sont

de taille : « la chimie de la planète est en train de changer »28 dit un rapport de l’ONU, « plus de 200

millions de personnes sont touchées par le chômage en 2012 »29, « il y a encore 1,4 milliards de

personnes dans le monde vivant avec moins de 1,25 dollar par jour »30, « aujourd’hui, les 5% les plus

riches du monde gagnent en 48 heures le revenu annuel des plus pauvres »31. Les exemples peuvent

malheureusement être multipliés, même si des signes d’amélioration existent dans des domaines

significatifs (comme le montrent les évolutions constatées grâce à l’Indice de Développement Humain du

PNUD). Les populations n’acceptent plus ni d’attendre ni de voir leurs conditions de vie se dégrader. Les

manifestations contre la faim, celles diverses des « Indignés », n’en sont que des signes parmi d’autres.

Les extrémismes se nourrissent, eux, de cette situation également marquée dans le monde par des

attentats, guerres dites civiles et guerres tout court.

Il apparait donc indispensable de s’interroger sur les solutions durables à une crise profonde,

décidemment systémique.

Comment changer d’approche ou comment opter pour une autre vision ?

La concentration des pouvoirs politiques et économiques a longtemps été présentée comme un facteur

d’efficience et de sécurité. Elle est apparue peu à peu comme un moyen de rassembler dans quelques

mains les leviers et de faire remonter une part grandissante de la création de richesses vers une frange

restreinte d’acteurs économiques et financiers. Tout ceci sous couvert d’une saine concurrence et d’un

souci de productivité. Avec d’indiscutables réussites en termes d’innovation et de développement

économique. Mais avec un abandon croissant de personnes sur le bord de la route qui n’avaient pas su

obéir ou s’intégrer ou qui « plus simplement » n’étaient plus jugées suffisamment utiles. Cette

concentration étant symbolisée par des organisations de type hiérarchique, très bien structurées. Cette

néo taylorisation a fait son temps sous l’effet à la fois des progrès technologiques et du renforcement des

savoirs, de l’évolution des mentalités. Non seulement ces organisations sont peu à peu apparues trop

figées, mais également antinomiques avec l’idée d’impliquer mieux et plus directement l’ensemble des

acteurs participant aux efforts de production. J. Rifkin le dit à sa façon : «la troisième révolution industrielle

est la dernière des grandes révolutions et elle va poser les bases d’une ère coopérative émergente ».

28 In : La Troisième Révolution Industrielle. J. Rifkin- Editions Les Liens qui Libèrent, Février 2012. 29 Chiffre du Bureau International du Travail (BIT). 30 Chiffre du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). 31 PNUD 17 août 2012.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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Cette remarque ne peut se limiter à l’aspect industriel. Bien plus profondément, avec l’accroissement des

moyens de transport, comme avec Internet, les cloisons tombent et les possibilités de coopérations,

d’alliances, de solidarités se démultiplient. C’est ce que démontrent nombre d’initiatives de nature très

différentes comme les Forums Sociaux Mondiaux ou désormais, le Forum Mondial des Dirigeants de

l’Economie Sociale et Solidaire (Rencontres du Mont-Blanc)32.

La mondialisation est de plus en plus cet espace civique mondial qui s’organise. La notion de

développement soutenable inclut forcément celle-ci. L’Economie Sociale et Solidaire répond à une telle

évolution dans la mesure où elle offre aux citoyens acteurs (associations), aux salariés (coopératives de

salariés), aux consommateurs (mutuelles, coopératives de consommateurs) de prendre en main leur

destinée économique et sociale, civique aussi. Le partage démocratique du pouvoir relevant plus d’une

conception collective et donc latérale de celui-ci que d’une conception unilatérale et autoritaire. Il est

intéressant de constater que de plus en plus de syndicalistes ou responsables politiques dans le monde

commencent à s’en apercevoir et étudient ce modèle d’organisation des activités humaines. Comme le dit

dans son article du présent ouvrage le Professeur Abdou Salam Fall « les situations que le monde a

connues ont révélé l’impératif du développement de l’intérieur des sociétés… ». L’Economie Sociale et

Solidaire permet précisément ce développement « de l’intérieur » en encourageant les citoyens à avoir un

rôle moteur. C’est l’urgence citoyenne.

Propriété indépendante et collective

Cette démocratie d’initiatives qu’appelle le constat établi doit être liée à une nouvelle conception de la

propriété. Une réflexion sur ce sujet devient prioritaire. La maîtrise des enjeux et des solutions l’exige.

Plusieurs motivations l’expliquent : disposer de pôles de production et de distribution stables permettant

d’assurer la durabilité et donc la solidité de ce qui est mis en place, assurer un accès plus facile aux

produits et services afin de réduire les inégalités, ce qui nécessite notamment de réduire les coûts et de

mutualiser des dispositifs économiques… Le système de propriété indépendante et collective de

l’Economie Sociale répond à l’ensemble de ces préoccupations. Pourquoi ? Parce que celle-ci allie

l’indépendance vis-à-vis des Etats et collectivités publiques, sans être soumise aux aléas de l’ultra-

finance. Elle est privée mais pas privative, au sens où elle est indivisible entre ses détenteurs (cas des

mutuelles, des associations mais aussi des coopératives, qui constituent des réserves impartageables).

Elle est volontairement collective. C’est un choix. Elle autorise donc la création de pôles indivisibles de

propriété, donc stables, entre des salariés ou des consommateurs ou entre les deux, entre aussi ceux-ci

et des apporteurs de moyens, plus largement des citoyens voulant s’engager dans la réalisation d’un

projet. La coopérative offre une variante intéressante puisqu’elle combine un noyau dur (les réserves

32 Rapport « La contribution de l’Economie Sociale à l’heure de Rio +20 », 5ème Edition des Rencontres du Mont-Blanc, 9 au 12/11/2011, Chamonix, France.

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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impartageables) et des fonds propres partageables (parts sociales) mais dont la rémunération est

plafonnée et ne donnant (quel que soit le nombre détenu) droit qu’à une seule voix. Cette propriété

indépendante et collective appartient à des membres (mutualistes, coopérateurs, associatifs…) ou est

plus ouverte encore et « s’universalise ». Les enfants de ce système s’appellent d’ailleurs les logiciels

libres, les semences libres, les systèmes d’échanges libres (appliqués à des travaux, des services…),

l’auto-partage, l’accueil réciproque de voyageurs, etc… Ce type de propriété collective est un signe du

besoin de « latéralité » et de coopération évoqué plus haut. Il est évident qu’il conduit à réduire le rôle de

la finance et de la monnaie, et peut permettre de fluidifier et rendre plus efficace des activités aussi bien

strictement économiques que sociales, humanitaires, culturelles. C’est une autre façon d’organiser les

activités humaines en réduisant le risque d’une financiarisation dominante ; elle ouvre la voie à des

modes de travail et d’échanges collaboratifs innovants. Des études et recherches sont d’ores et déjà

en cours à ce sujet (notamment les études sur les biens communs). Elles méritent d’être poursuivies afin

d’examiner quelles places exactes peut occuper ce mode de propriété, quelles conséquences elle

entraine dans des domaines comme ceux de la monnaie, de la banque, des revenus ? Cette propriété

correspond à un meilleur partage des moyens ou outils de production et de distribution comme à un

partage innovant de biens à usage quotidien.

Fonctionnement démocratique, propriété indépendante et collective, il est aisé de comprendre pourquoi

l’Economie Sociale et Solidaire est ce que Louis Favreau appelle dans son article du présent ouvrage

« une alternative globale », car ces deux caractéristiques sont déjà des réponses à la crise. L’ESS

apparait comme un facteur essentiel de plus grande accessibilité et donc de lutte contre les inégalités,

l’exclusion et la pauvreté et en même temps comme un facteur de lisibilité dans la mesure où elle tend à

simplifier les circuits économiques et monétaires. Tout autant, elle apparaît adaptée à un mode de

production et de distribution efficace, innovant, facilitant le travail en maillage, inter-coopératif, collaboratif.

L’Economie Sociale et Solidaire véhicule ainsi un modèle d’entrepreneuriat civique et social.

Redistribuer autrement les richesses

La troisième caractéristique de l’ESS tient au mode de redistribution des richesses créées, à la recherche

de l’équité. Elle est liée à la volonté d’aboutir à une « juste répartition des excédents » entre salariés mais

aussi entre producteurs, fournisseurs, consommateurs. Dans une période de creusement des inégalités à

l’intérieur du Nord, à l’intérieur du Sud, et entre le Nord et le Sud, ce principe d’équité revêt une

importance nouvelle. Il peut, par son application, réduire des tensions économiques et contribuer à calmer

le jeu des marchés, ce qui est essentiel, en particulier en ce qui concerne les denrées alimentaires et les

matières premières. Le commerce équitable n’en est probablement qu’à ses débuts tant au plan national

qu’international. Des discussions ont permis une maitrise des prix et une amélioration de la qualité,

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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producteurs et distributeurs ou directement consommateurs s’étant mis d’accord sur des règles

d’échanges équitables, donc de « marchés équitables ». Les coopératives, mutuelles, associations, en

sont souvent à l’origine. Leurs démarches pourraient inspirer une extension de tels types d’accords si

l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) devenait l’OMCE (Equitable). Ceci correspond à une

urgence d’équité.

Des réponses globales et transversales

L’Economie Sociale et Solidaire présente d’autres caractéristiques. Mais les trois venant d’être citées ont

été choisies pour montrer qu’il est impératif, mais pas suffisant, de parler d’urgence écologique ou

seulement d’économie verte. La crise multiforme exige des réponses multiformes et complémentaires. Il

faut donc être sensibilisé aux différents types « d’urgences » et éviter à tout prix de les sélectionner et se

contenter de réparer. L’Economie Sociale et Solidaire apporte33, concrètement, des réponses globales et

transversales. Elle inclut dans sa démarche : démocratie, propriété privée collective, égalité, solidarité.

Elle est donc un vecteur de transformations sociale, civique, environnementale, économique. Elle a une

vertu sociétale. Peut-être aurait-on dû l’appeler Economie Sociétale, mais les termes d’Economie Sociale

et Solidaire suffisent à exprimer cela. Ce qui est fondamental, c’est que les principes la guidant sont

indissociables et ceci de façon de permanente. On est loin des concepts du type « économie positive »

qui, aussi sympathiques soient-ils, sont flous, peu opérants, encore marqués par la vieille idéologie

néolibérale. On est plus proches, par contre, de la recherche de nouveaux modèles d’entreprises qui

combineraient des systèmes de propriété traditionnelle (patrimoniale ou actionnariale) et des

engagements sociaux et environnementaux. Sans pour autant gommer le fait que celles-ci auraient à

préciser les conditions et la durée de ces engagements et à vérifier comment, concrètement, une

propriété fractionnée (en cas d’actionnariat coté en particulier) peut effectivement coexister avec des

objectifs d’économie soutenable. L’idée que se développent à la fois une Economie Sociale et Solidaire et

des formes voisines (entreprises participatives, entreprises sociales, entreprises citoyennes) est

intéressante et peut-être… positive. C’est en réalité une conception de « l’entreprise sociétale à pouvoirs

et résultats partagés » qui émerge et mérite d’être étudiée et développée. Une réflexion doit être engagée

sur les formes qu’elle peut prendre en fonction de principes clairs et durables et donc de règles

déterminées en conséquence. L’Economie Sociale et Solidaire mondiale doit être à l’initiative d’un tel

« mouvement ».

Aller plus loin

Il faut aller plus loin, l’Economie Sociale et Solidaire ne se réduit pas à une collection d’entreprises

différentes (ce qui est déjà fort important) mais constitue bien un modèle qui a des dimensions micro mais

33 Voir le Cahier des Initiatives des Rencontres du Mont-Blanc, disponible sur www.rencontres-montblanc.coop

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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aussi macroéconomiques et sociales et, désormais, environnementales. En ce sens elle est donc bien,

comme déjà affirmé, une réponse à ce que le Professeur Jean Gadrey34 « appelle la première crise socio-

écologique du capitalisme financier et boursier… !». Il s’agit donc de faire progresser cet ensemble

« Economie Sociale et Solidaire » pour changer le cours de la mondialisation et permettre aux citoyens de

s’organiser autrement dans leurs territoires, dans le respect de leurs propres cultures, comme de leur

environnement. C’est elle qui constitue l’une des plus fortes réponses de nature civique, socio-écologique

et économique à la crise.

Il faut d’autant plus le comprendre qu’aborder les transformations nécessaires par le seul angle de

« l’économie verte » prête à discussion et est insuffisant. Il faut en admettre les justifications. Le PNUE

avance que « les avantages du verdissement de l’économie mondiale sont aussi tangibles que

considérables, que les gouvernements et le secteur privé disposent des moyens de la réaliser et que le

moment « de relever le défi est donc arrivé »35. Cette économie se caractérise par « un faible taux

d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale ». Cette définition

rejoint bien des préoccupations évoquées ci-dessus. Mais elle est perçue par un nombre croissant de

pays en recherche de développement ou en voie d’émergence comme une économie contraignante, non

adaptée à des territoires qui ont à la fois besoin de produire plus pour nourrir plus tout en mettant en

valeur leurs propres ressources. De fortes dissonances se sont fait jour lors du Sommet de Rio +20 à ce

sujet. Si tout le monde est d’accord pour promouvoir avec le PNUE « une économie qui entraîne une

amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale toute en réduisant de manière significative les

risques environnementaux et la pénurie de ressources », plusieurs Etats contestent le concept en

soulignant que, pour eux, l’urgence sociale prime sur l’urgence verte ou, en tous les cas, que la seconde

ne peut prendre la priorité sur l’autre. D’autres ajoutant que « l’urgence démocratique » est tout aussi

importante.

Une approche plurielle du développement

Ceci renforce encore plus l’idée selon laquelle une approche « plurielle » du développement est

indispensable. Il n’est décidément plus possible de dissocier inclusion sociale, accès aux produits et

services de première nécessité, démocratisation et verdissement de l’économie. Comme le Professeur

Abdou Salam Fall l’indique, il faut une « qualité de croissance » pour « tirer le niveau de vie vers le haut ».

La croissance doit être inclusive et non pas « d’abord » ou « uniquement » verte. Lui-même parle de

« gouvernance multidimensionnelle », soulignant le besoin d’une approche complexe et d’autant plus fine.

34 Cité par Louis Favreau 35 « Vers une économie verte : Pau un développement durable et une éradication de la pauvreté », Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE), 2011.

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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L’Economie Sociale et Solidaire permet, de par ses règles, cette nécessaire accumulation d’objectifs.

Celle-ci doit devenir centrale, ce qui ne veut pas dire omniprésente. Bien au contraire, elle signifie encore

une fois des applications différenciées par territoire et l’acceptation de la biodiversité des modèles de

développement. « Centrale » veut simplement indiquer qu’elle doit être une référence clef utilisable ainsi

par d’autres systèmes, d’autres acteurs.

« Très bien ! », vont dire certains, « mais l’Economie Sociale et Solidaire ne peut quand même pas

prétendre intervenir dans le champ des grandes entreprises ; celles-ci ne peuvent prendre les formes

coopératives ou mutualistes ». Critique à son égard régulièrement répétée !. Il faut d’abord réaffirmer que

l’ESS est la première à plaider pour la biodiversité économique et ne revendique aucun monopole.

La concurrence entre les modèles est souhaitable, quelques croisements aussi ! Ils existent d’ailleurs

déjà. Refusons donc toute approche manichéenne. Elle desservirait l’Economie Sociale et Solidaire. La

question de la dimension des entreprises de ce type est intéressante. « Global 300 » qui recense 300 les

plus grandes coopératives dans le monde, montre suffisamment et dans bien des domaines, la puissance

économique de l’Economie Sociale et Solidaire (selon l’Alliance Coopérative Internationale, les 300 plus

grandes coopératives du monde représentaient en 2008 un chiffre d’affaire de 1 600 billion de dollars

USD). Les parts de marché détenues par les mutuelles dans de nombreux pays montrent également cette

puissance. Le poids de l’Economie Sociale et Solidaire dans les mondes de l’agriculture, de la pêche et de

plus en plus de la distribution est plus que conséquent. Les banques coopératives, les coopératives et

mutuelles d’assurance sont des entreprises qui jouent un rôle majeur en Europe et dans d’autres pays.

Différentes études montrent qu’en général, les coopératives et les mutuelles, situées dans des secteurs

concurrentiels ont mieux résisté aux crises de 2008 et 2011. Demeure le problème posé par les secteurs

industriels à haute intensité capitalistique, il serait absurde d’en nier la portée. Si de grandes coopératives

industrielles existent dans le monde (comme le complexe coopératif Mondragon (Espagne) avec 23,34

billion de dollars USD de chiffre d’affaire), la constitution de fonds propres importants est difficile. Des

innovations financières restent nécessaires. Les banques coopératives qui ont su financer parfois de

grands complexes agro-alimentaires devraient pouvoir exercer leur savoir-faire financier et… coopératif

dans d’autres secteurs économiques. Peut-être en agissant ensemble au plan international. La création

de fonds de développement coopératifs internationaux peut constituer une autre piste, tels que la mise en

place de véhicules financiers du « Genuβscheine » en Allemagne ou du « Titre Participatif » en France).

Un marché financier coopératif international est à imaginer. L’Economie Sociale et Solidaire doit se

dépêcher de travailler sur ces sujets complexes alors qu’elle est encore trop absente de secteurs clefs

comme celui d’Internet, des biotechnologies, et même des énergies nouvelles. Pour être une force

d’entrainement, l’Economie Sociale et Solidaire doit donc agir.

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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?

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Des alliances sociales, syndicales, politiques

Les défis s’ajoutent aux défis. Face à eux l’Economie Sociale et Solidaire a l’habitude historique de

rechercher des alliances. Elle a l’obligation d’en nouer de nouvelles plus que jamais, avec les

mouvements sociaux et syndicaux comme avec les collectivités locales. De nombreux partenariats ont

d’ores et déjà été établis, notamment grâce à la volonté des élus des territoires de mettre en œuvre des

solutions « sur place ». Grâce aussi à celle de responsables syndicaux plaidant pour une gouvernance

des entreprises impliquant salariés et consommateurs ; devant de plus en plus inclure les jeunes dont

l’énergie, la force et la volonté sont indispensables à son évolution, comme l’atteste l’article du présent

ouvrage co-écrit par 11 jeunes du groupe RMB avec les jeunes pour l’ESS. L’Economie Sociale et

Solidaire pratique ainsi une solidarité d’action de plus en plus indispensable. Elle semble s’étendre aux

Etats dont un nombre croissant a créé un ministère ou une administration dédiée à l’Economie Sociale

(Brésil, Argentine, Maroc, France, Portugal, Equateur…). « De nouvelles alternatives économico-

sociales », pour reprendre l’expression de José Maria Garcia, commencent à être ainsi encouragées. Le

texte adopté par les Etats lors du Sommet de Rio+20 a démontré combien le chemin à parcourir est,

malgré tout, encore long. C’est pourquoi le Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et

Solidaire - Les Rencontres du Mont-Blanc (présent à Rio en juin 2012) a décidé de poursuivre son action

auprès des 194 Chefs d’Etats dans le monde, afin de les conduire à considérer comme partenaire

incontournable, dans leurs politiques respectives, l’Economie Sociale et Solidaire, afin de « changer la

donne mondiale », comme l’a dit Michel Rocard, ancien Premier Ministre français, devant les Rencontres

du Mont-Blanc (intervention retranscrite dans le présent ouvrage).

L’Economie Sociale acteur de la Planète

Les 5 chantiers (Démocratiser l’économie et favoriser sa territorialisation, Promouvoir un mode de

gouvernance partagée, Offrir de nouveaux choix sociaux, Mieux nourrir la planète et redéployer

l’environnement, Réorienter la mondialisation pour l’humaniser) qui sont proposés à tous les Chefs d’Etat -

ainsi qu’à l’ONU- sont de plus en plus actuels. Ils constituent des enjeux clefs. La durabilité et la

profondeur de la crise précédente ne peuvent que les encourager à accepter -enfin- de mettre en œuvre

des modèles alternatifs. Ceux permettant d’affronter les causes des crises et surtout d’inventer des

solutions citoyennes efficaces. Les objectifs humains de développement poursuivis par le PNUD, ceux du

Millénaire (révisables en 2015) ne pourront être atteints qu’au prix d’une véritable mutation des politiques

nationales et de coopérations internationales. Autant dire d’un renversement du cours de la mondialisation

au profit de l’Humain et de la Terre. L’Economie Sociale, citoyenne autant que solidaire, est un acteur en

marche de cette transformation : elle a besoin à la fois de s’affirmer en tant que tel et de tisser des liens

avec ceux qui agissent dans le même sens. L’activité économique doit enfin avoir, pour finalité, la dignité

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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux

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et le potentiel de l’humain36. Trouver sa place -sa vraie place- sur la planète, est-ce une ambition

excessive ou simplement un devoir ? Certainement un devoir.

∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞

36 Voir l’article collectif de T. Jeantet, G. Larose, A. S. Fall dans le présent ouvrage « La dignité et le potentiel de l’humain comme finalité de l’activité économique » et publié sur Le Monde.fr, 19 Juin 2012.

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