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EHESS L'occident, miroir brisé: Une évaluation partielle de l'anthropologie sociale assortie de quelques perspectives Author(s): Maurice Godelier Source: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 48e Année, No. 5 (Sep. - Oct., 1993), pp. 1183-1207 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27584540 . Accessed: 11/04/2011 09:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. Please contact the publisher regarding any further use of this work. Publisher contact information may be obtained at . http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=ehess. . Each copy of any part of a JSTOR transmission must contain the same copyright notice that appears on the screen or printed page of such transmission. JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Annales. Histoire, Sciences Sociales. http://www.jstor.org

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EHESS

L'occident, miroir brisé: Une évaluation partielle de l'anthropologie sociale assortie de quelquesperspectivesAuthor(s): Maurice GodelierSource: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 48e Année, No. 5 (Sep. - Oct., 1993), pp. 1183-1207Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/27584540 .Accessed: 11/04/2011 09:11

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unlessyou have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and youmay use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use.

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

L'OCCIDENT, MIROIR BRIS?

Une ?valuation partielle de l'anthropologie sociale

assortie de quelques perspectives

Maurice Godelier

C'est, bien entendu, une t?che impossible que de dresser en quelques pages un bilan de l'anthropologie sociale. C'est plut?t un pr?texte pour poser quelques questions sur la pratique et le statut th?orique des sciences sociales. Personne ne niera que les sciences sociales sous leur forme actuelle sont n?es en Occident ? une ?poque r?cente et portent n?cessairement les

marques de cette origine. Mais, n?es en Occident, elles ne sont devenues des

disciplines ? caract?re scientifique que lorsqu'elles r?ussissaient, m?me par tiellement, ? d?centrer leurs analyses par rapport aux vues de l'Occident qui les avait fait na?tre. C'est ce caract?re contradictoire du d?veloppement des sciences sociales que nous tenterons de d?crire ? travers l'exemple de

l'anthropologie. Mais rappelons d'abord bri?vement les origines de l'anthropologie

sociale, qu'hier encore on appelait ? ethnologie ?. Cette discipline est n?e de la n?cessit? ressentie en Occident ? partir du xvie si?cle de mieux conna?tre deux types de r?alit? au d?part totalement disjoints. D'une part la n?cessit? de conna?tre les modes de vie et de pens?e des peuples d'Afrique, d'Am?

rique pr?colombienne, d'Asie que l'Europe d?couvrait et soumettait pro gressivement ? son commerce, ? sa religion ou tout simplement ? la

puissance de ses armes. Partout pour gouverner, pour commercer ou pour

?vang?liser, militaires, missionnaires, fonctionnaires devaient un jour ou l'autre se mettre ? apprendre des langues pour la plupart non ?crites et ? observer des coutumes ?tranges pour eux, ne serait-ce que pour les

?radiquer. Mais d'autre part, en Europe m?me, depuis le xvie si?cle au moins,

d'autres personnages au service des Etats-nations en formation entrepre naient d'inventorier les coutumes des Basques, des Slov?nes, des Valaques, etc., et ceci pour des raisons diverses mais qui avaient en g?n?ral ? voir avec

1183 Annales ESC, septembre-octobre 1993, n? 5, pp. 1183-1207.

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

des ? conflits de droits ? opposant des communaut?s locales ou des groupes ethniques aux puissances qui les^ dominaient, petits ou grands seigneurs ou

repr?sentants des ?tats ou des ?glises. Compte tenu de ces deux contextes dans lesquels s'est d?velopp?e en

Occident l'ethnologie, la pratique ethnographique s'est toujours r?alis?e sur un arri?re-fonds de statuts in?gaux entre l'observateur et l'observ?, in?gali t?s associ?es le plus souvent ? des rapports de domination entre la commu naut? ou le groupe social auquel appartenait l'observateur et le groupe ou la communaut? de l'observ?. Cet arri?re-fonds continue de peser sur l'anthro

pologie et c'est m?me ce qui la stigmatise aux yeux de beaucoup de peuples, qui, devenus ind?pendants, revendiquent d'?tre d?sormais l'objet d'?tudes

sociologiques et non plus ethnologiques. En rappelant ces faits, nous ne voulons pas accabler l'Occident. En

Chine, l'ethnologie est r?serv?e ? l'?tude des minorit?s nationales, aux eth nies telles les Yao, les Liou, etc., qui n'ont pas encore, aux yeux des Chinois, atteint le degr? de civilisation des Han et ont droit, de ce fait, ? des avan

tages ?conomiques et ? des conditions politiques et culturelles sp?ciales qui, d'un c?t?, se pr?sentent comme un respect de leurs coutumes, mais portent en m?me temps t?moignage de l'inf?riorit?, culturelle et historique, de ces

peuples par rapport aux Chinois. Ce fut la m?me chose en Inde o? l'eth

nologie au d?part fut r?serv?e ? l'?tude des groupes tribaux qui restaient encore en dehors du syst?me des castes.

Depuis la seconde guerre mondiale, qui fut suivie de l'?mancipation poli tique de la plupart des colonies de l'Occident, l'anthropologie s'est trouv?e en partie affranchie de ses conditions d'origine. Elle pr?tend d?sormais n'avoir pour seule ambition que de d?couvrir les sens et les raisons d'?tre des modes de vie et de pens?e qu'on peut observer aujourd'hui dans les diverses soci?t?s qui coexistent ? la surface de la plan?te. Son projet peut se r?sumer ainsi : conna?tre suffisamment chacune de ces soci?t?s pour pouvoir les comparer toutes et faire appara?tre des m?canismes et des logiques qui

ne sont pas imm?diatement visibles. Mais cette ambition est ?galement celle de l'historien ou du sociologue, alors qu'il est clair qu'aucune science sociale ne suffit ? elle seule ? rendre compte des faits sociaux qu'elle ?tudie.

Bref, nous assistons ? un double mouvement en partie contradictoire.

L'anthropologie, en perfectionnant ses m?thodes, ?largit constamment son

champ d'application ? toutes sortes de domaines impensables pour elle ?

l'origine, tels l'anthropologie urbaine, l'anthropologie industrielle, l'anthro

pologie m?dicale, etc., alors que son association pass?e, voire sa connivence d?s l'origine avec les rapports de pouvoir qu'entretenaient les soci?t?s occi dentales avec les autres cultures tendent aujourd'hui ? l'exclure des domaines qu'elle avait traditionnellement occup?s.

Morgan, la naissance de la discipline et le premier d?centrement

Mais dans tout cela il n'y a pas de myst?re et l' uvre de L. H. Morgan, l'un des p?res fondateurs de l'anthropologie, illustre bien les contradictions

pr?sentes d?s l'origine au sein de cette discipline. Cet avocat de Rochester,

1184

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M. GODELIER ANTHROPOLOGIE DE LA FAMILLE

ami et d?fenseur des Indiens, se prend de passion pour l'?tude de leurs cou tumes. Au cours de ses recherches chez les Indiens S?n?ca, il d?couvre que leurs rapports de parent? manifestent une logique propre, mais diff?rente de celle des syst?mes de parent? europ?ens. Il s'aper?oit que l? o? les Euro

p?ens distinguent par des termes diff?rents ? p?re ? et ? oncle ?, un p?re et son fr?re, les Indiens ne font pas cette distinction et d?signent ces deux hommes et tous ceux qui leur sont ?quivalents par le m?me terme que L. H. Morgan traduit par ? p?re ?. L. H. Morgan venait donc de faire appa ra?tre dans le champ de la r?flexion scientifique l'existence de diff?rences

significatives entre syst?mes de parent?. Il propose alors de distinguer entre les syst?mes classificatoires, comme celui des Iroquois et les syst?mes des

criptifs comme ceux des Europ?ens ou des Esquimaux. Il montre ?galement que chez les Iroquois, la composition des groupes exogames s'explique par la

mise en uvre d'un principe de descendance par les femmes et il distingue alors les syst?mes ? matrilin?aires ? des ? patrilin?aires ?. Ces groupes exo

games, il les appelle d'un mot latin ? gens ? et ce n'est pas par hasard. L. H. Morgan venait donc de d?couvrir que les termes de parent?, les

principes de descendance et les r?gles de r?sidence tendent ? former sys t?me. Il se mit alors en devoir de comparer une dizaine d'autres soci?t?s indiennes qui, notons-le, ? l'?poque d?j? vivaient enferm?es dans des

r?serves, s?par?es du monde des blancs mais offertes ainsi ? leur curiosit?

scientifique. C'est alors que, devant la diversit? des terminologies de parent? des tri

bus indiennes qu'il recensait l'une apr?s l'autre, L. H. Morgan eut l'id?e de lancer une enqu?te sur la parent? ? l'?chelle du monde entier. Plus de mille

questionnaires furent envoy?s ? des missionnaires, des administrateurs colo

niaux, etc., et, gr?ce ? leurs r?ponses, L. H. Morgan put r?unir pour la pre mi?re fois dans l'histoire la plus vaste information connue sur les faits de

parent? au sein de l'humanit?. Il en pr?senta la synth?se dans Systems of Consanguinity and Affinity of the Human Family, 1853.

Et ? troisi?me grand pas en avant ? il y montra que ces centaines de

syst?mes de parent? se regroupent autour de quelques formules ? types ?

qu'il appela ? punaluan ? ou ? turanian ? et qu'on appelle aujourd'hui, ? la suite des travaux de Murdock, syst?mes ? hawa?en ?, ? dravidien ?, etc.

L' uvre de L. H. Morgan permet donc de faire appara?tre toute la dif f?rence qui existe entre l'ethnographie des missionnaires, des voyageurs, etc. et celle des anthropologues professionnels. Cette diff?rence tient ? la mise en uvre implicite ou explicite de plusieurs hypoth?ses. Premi?rement, l'id?e que les rapports sociaux (dans le cas de L. H. Morgan, les rapports de

parent?) font d'une certaine mani?re ? syst?me ?. Deuxi?mement, l'hypo th?se que l'immense diversit? empirique des syst?mes est le r?sultat des variations et de l'?volution de quelques types fondamentaux d'organisation de la parent? auxquelles cette diversit? peut ?tre, apr?s analyse, ? r?duite ?.

Au passage, pr?cisons que ces types fondamentaux ne sont pas des arch?

types platoniciens ou jungiens. Un arch?type de parent?, l'arch?type ? iro

quois ? par exemple, renvoie ? une repr?sentation id?ale d'une terminologie de parent? caract?ris?e au minimum par le principe de l'?quivalence du p?re et de l'ensemble de ses fr?res, de la m?re et de l'ensemble de ses s urs, d'un

1185

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

terme sp?cifique d?signant les s urs du p?re et d'un autre d?signant les fr?res de la m?re. Cette structure entra?ne l'existence de la distinction termi

nologique entre cousins crois?s et parall?les, et un classement sp?cifique des individus appartenant ? la g?n?ration 1, enfants de germains de sexe oppos? assimil?s aux enfants de cousins parall?les et distingu?s des enfants de cou sins crois?s. A cette terminologie de consanguinit? s'ajoute un vocabulaire

sp?cifique pour d?signer les alli?s. Ce qui laisse supposer que cette termino

logie n'implique pas une r?gle prescriptive de mariage, comme l'a d?montr?

Lounsbury. Cette structure qui id?alement organise cinq niveaux de g?n?ra tions, en y incluant celle d'ego, peut n'exister que partiellement dans telle ou

telle soci?t?. C'est pour cette raison que la notion d'? arch?type ? d?signe ?

proprement parler l'organisation de parent? de certaines soci?t?s, tout en servant de r?f?rent analytique pour leur comparer tout un ensemble de soci?t?s qui apparaissent alors ? plus ou moins ? de type iroquois. Troisi?

mement, c'est l'hypoth?se que l'?volution de ces rapports sociaux, leur trans formation ne sont pas le produit d'un pur hasard mais manifestent certaines

r?gularit?s, qui pourraient t?moigner de l'existence de lois. C'est du moins ce que croyait L. H. Morgan conform?ment ? l'esprit de son temps.

L'anthropologie s'instaura donc vraiment comme discipline scientifique lorsque des gens, comme L. H. Morgan, se propos?rent, comme but explicite de leurs activit?s, de d?couvrir ces logiques, de r?duire la diversit? empi rique ? des types et de trouver ce qui avait pu rendre ces variations n?ces saires au milieu des hasards de l'histoire. On voit imm?diatement ? l'?nonc? de ces objectifs que le cadre ?pist?mologique de l'anthropologie est tout ? fait identique et parall?le ? ce que se proposait la sociologie ? la m?me

?poque. Ce qui distingue donc finalement ces disciplines, c'est d'abord la m?thode employ?e pour recueillir les donn?es, c'est-?-dire l'observation

participante pour les anthropologues et c'est ensuite les caract?ristiques par ticuli?res des soci?t?s ou des faits sociaux qui sont privil?gi?s par chaque dis

cipline, les soci?t?s ? primitives ? ou ? non capitalistes ? analys?es par

l'anthropologie, les soci?t?s occidentales, industrielles et urbaines analys?es par la sociologie.

Or, il faut souligner que la diff?rence, disons plut?t la rupture, qui s'ins taure avec L. H. Morgan entre l'ethnographie des missionnaires, des admi

nistrateurs, etc., et la pratique des anthropologues est l'effet du d?centrement par rapport aux modes de pens?e de l'Occident que ses ana

lyses avaient instaur?s. Car d?sormais, les syst?mes de parent? occidentaux ne pouvaient appara?tre que comme quelques-unes des formes possibles de l'exercice humain de la parent? dot?es d'une logique propre qui les oppose ?

d'autres, plus exotiques, auxquelles est reconnue ?galement une logique ori

ginale. Cependant ? et ceci illustre les contradictions de l'anthropologie

occidentale ? L. H. Morgan apr?s avoir donn? ? l'anthropologie un objet, une m?thode et ses premiers r?sultats scientifiques, s'est attach? imm?diate

ment ? employer ses d?couvertes pour construire dans Ancient Society (1877) une vision sp?culative de l'histoire de l'humanit? o? l'on voyait celle-ci parcourir les longues ?tapes de la ? sauvagerie primitive ? et de la ? barbarie ?, avant de faire place ? la ? civilisation ?. Celle-ci ? ses yeux s'?tait fray?e sa voie dans l'Europe occidentale d'abord, puis dans l'Am?

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M. GODELIER ANTHROPOLOGIE DE LA FAMILLE

rique anglo-saxonne, r?publicaine et d?mocratique, d?barrass?e des

s?quelles f?odales qui continuaient ? marquer les soci?t?s du vieux continent d'o? partait la majorit? de ceux qui immigraient en Am?rique.

Ainsi, au moment m?me o? L. H. Morgan cr?e les conditions du d?cen trement de la pens?e par rapport ? l'Occident et instaure une nouvelle disci

pline scientifique, il met celle-ci au service d'une vision de l'histoire qui conti nue ? faire de l'Occident le miroir o? l'humanit? tout enti?re pouvait ? la fois

contempler ses origines et prendre la mesure de tous ses progr?s. C'est d'ail leurs pourquoi L. H. Morgan, lorsqu'il d?couvrit l'existence de clans matrili n?aires chez les Iroquois, les baptisa du terme latin ? gens ?. Les Iroquois devenaient d?sormais les t?moins encore vivants du stade de l'organisation ? gentilice ? de la soci?t? humaine, stade que l'Europe avait connu au temps des Grecs et des Romains mais qu'elle avait depuis lors d?pass?. Avec cette diff?rence majeure que la ? gens ? romaine ?tait patrilin?aire, et que la ? gens ? iroquoise ?tait matrilin?aire, ce qui renvoyait celle-ci ? un stade plus archa?que encore de l'organisation ? gentilice ?. Pourquoi ? parce que pour

L. H. Morgan, la notion de paternit? s'?tait construite lentement au stade de la sauvagerie primitive o? r?gnaient donc des syst?mes matrilin?aires. Fina

lement, c'est par ces voies que le rapport de domination entre l'Occident et le reste du monde pr?sent ? l'arri?re-plan du travail de L. H. Morgan venait s'inscrire au c ur m?me de son travail th?orique alors que celui-ci, d'une cer taine mani?re, ouvrait la possibilit? d'un d?centrement critique de l'analyse scientifique par rapport ? l'univers culturel de r?f?rence de l'anthropologue.

Tout le probl?me est l? : il faut d?centrer la pratique scientifique de l'uni vers culturel de r?f?rence, ethnocentrique, des anthropologues. Cela est pos sible et L. H. Morgan l'a montr?. Mais ce que L. H. Morgan a montr? ?gale

ment ? contre lui-m?me ? c'est que la science cesse d'exister d?s qu'elle se met ? l?gitimer une domination culturelle qui n'est pas seulement une simple affaire d'id?es mais accompagne en g?n?ral d'autres formes de domination,

moins immat?rielles, moins ideelles. Toutes les ?coles anthropologiques qui ont vu le jour apr?s L. H. Morgan

se sont accord?es pour r?pudier son ?volutionnisme qui ?tait vite apparu comme le point faible de sa th?orie et l'obstacle qu'il fallait lever pour avan cer. Mais aucune n'a pu compl?tement ?chapper aux contradictions pr? sentes, d?s l'origine, dans la pratique de l'analyse ethnologique. Peut-?tre est-ce d? au fait que l'Occident a accompli au xixe si?cle une rupture singu li?re avec son propre pass?, une rupture qui le pla?a ? une distance d?sor

mais irr?versible (et le plus souvent infranchissable), par rapport aux autres univers culturels qui continuaient ? exister autour de lui. Cette rupture, c'est ce que Max Weber a appel? ? le d?senchantement du monde ?, formule qui dit d'une autre fa?on ce que Marx ?crivait au d?but du Manifeste. Partout en

Occident o? l'?conomie de march? et l'usage de l'argent se g?n?ralisaient et o? les structures politiques et religieuses de l'Ancien R?gime transmutaient, il semble qu'? cette ?poque, comme disait Marx, les voiles qui entouraient les relations sociales, les grands sentiments, les religions, se d?chir?rent pour faire place au spectacle froid de la poursuite des int?r?ts priv?s et de l'accumulation de l'argent. La soci?t? n'apparaissait plus que comme un ins trument au service des int?r?ts et des buts des individus.

1187

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

Dans ce contexte, toutes les religions, universelles ou tribales, toutes les

coutumes, locales ou nationales, apparaissaient soit comme des illusions, soit comme des complications que l'humanit? avait, certes, cr??es au cours de son d?veloppement mais qui faisaient d?sormais obstacle ? la poursuite de ses progr?s. C'est sur le fond d'une telle vision critique de la soci?t?, de ses

institutions et de leur ?volution que les sciences sociales se sont constitu?es et ont continu? ? se d?velopper avec pour cons?quence que, dans cette

vision, les institutions occidentales apparaissent toujours et n?cessairement comme les plus rationnelles et comme le terme de la marche de l'humanit?.

Cette vision d?s-enchant?e du monde n'?puise pas, ? elle seule, la fa?on dont l'Occident en ?tait venu ? se repr?senter la soci?t?. Un paradigme plus ancien que le xixe si?cle lui servait aussi de r?f?rence, ? savoir que toute soci?t? peut ?tre con?ue comme une totalit? organique qui n'existe que parce que certaines fonctions sont assum?es par diverses institutions et ne subsiste qu'autant que les transformations que cette soci?t? produit de l'int? rieur ou subit de l'ext?rieur sont compatibles avec la reproduction de ces ins titutions et de ces fonctions. C'est une vue que l'on retrouvera de fa?on diverse aussi bien chez Hegel que chez Auguste Comte ou Marx. M?me si le caract?re ? organiciste ? de cette vision de la soci?t? a fait l'objet de critiques pertinentes, elle reste encore l'un des paradigmes souterrains des sciences sociales. Car en fait dans cette vision abstraite, formelle de toute soci?t? r?elle ou possible, se retrouve quelque chose du scheme particulier de

l'organisation actuelle des soci?t?s. En Europe en effet, dans les pays o? l'?conomie de march? capitaliste

s'?tait le plus vite et le plus fortement d?velopp?e pour finalement s'impo ser, on avait assist? ? une s?paration et ? une autonomisation progressives, plus ou moins rapides, des activit?s et des rapports ?conomiques par rapport aux activit?s et institutions politiques et religieuses. Bref, dans l'Occident

capitaliste le plus d?velopp?, des fonctions sociales distinctes qui, autrefois, ?taient souvent assum?es par les m?mes institutions ? la parent? ou la poli tique par exemple

? se sont trouv?es finalement assum?es par des institu tions distinctes. C'est la th?se de K. Polanyi mais dont l'origine remonte

jusqu'au xvine si?cle et que l'on retrouve aussi bien chez Quesnay que chez Adam Smith, aussi bien chez Marx que chez Weber.

Or, ce d?s-enchantement de la soci?t? et cette s?paration des fonctions n'existaient pas en Occident ? d'autres ?poques de son histoire et ce n'est

pas encore un processus achev? dans beaucoup de soci?t?s d'Afrique, d'Asie ou d'Oc?anie o? des rapports ? nos yeux non ?conomiques, tels que des rap ports de parent? ou religieux, assument des fonctions telles que la mobilisa tion de la force de travail, le contr?le de la terre, la redistribution des

produits du travail, etc., qui, en Europe, appartiennent par d?finition ?

l'?conomique. C'?tait le cas par exemple des institutions religieuses dans l'ancien Tibet lama?ste.

Ce processus historique de s?paration de fonctions qui autrefois, en

Occident, ?taient encastr?es les unes dans les autres a g?n?r? semble-t-il comme une sorte de lumi?re ?pist?mologique, favorable ? mais l? encore de fa?on contradictoire ? au d?veloppement des sciences sociales. L'Occident s'est cru en mesure de d?finir ? le politique ?, ? le religieux ?,

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M. GODELIER ANTHROPOLOGIE DE LA FAMILLE

? la parent? ?, ? l'?conomique ? en s'appuyant sur le fait que, dans son uni vers culturel, ces foncti?ns s'?taient s?par?es les unes des autres, l'usine de la

famille, la famille de l'?glise, celle-ci de l'?tat, etc., et pouvaient ?tre appr? hend?es d?sormais dans leur essence m?me, universelle.

C'est ainsi que s'est constitu?e une grille d'analyse des faits sociaux qui semblait permettre de comparer toutes les soci?t?s. Ce qui diff?renciait les

soci?t?s, ce n'?tait plus les fonctions, c'?tait la mani?re dont celles-ci rev? taient des formes institutionnelles particuli?res, occupaient des lieux sp?ci fiques et s'exprimaient dans des syst?mes id?ologiques et symboliques originaux.

C'est cette grille, cette repr?sentation des soci?t?s con?ues comme des combinaisons particuli?res de fonctions universelles, qui est ? l'origine de la division du travail qui r?gne dans toutes les sciences sociales. Car si

l'anthropologie s'est rapidement subdivis?e en anthropologie politique, anthropologie religieuse, anthropologie ?conomique, etc., la sociologie et l'histoire ont fait de m?me ainsi que toutes les autres disciplines des sciences sociales.

Cette grille est donc devenue le cadre analytique utilis? par n'importe quelle science sociale pour collecter et classer les donn?es recueillies sur

n'importe quelle soci?t?. Mais un m?me dilemme a surgi ? chaque fois que l'on fut oblig? de constater que ce cadre avait, certes, son utilit?, mais que ? ?a ? ne correspondait pas r?ellement aux repr?sentations que se faisaient les membres de ces soci?t?s de leurs propres rapports sociaux ni aux

logiques qui inspiraient leurs actions. Aussi tr?s vite, l'anthropologie s'est trouv?e confront?e ? l'obligation de mener deux analyses parall?les, l'une

partant des repr?sentations de la soci?t? propres aux acteurs indig?nes, l'autre qui interpr?te les m?mes faits et les repr?sentations indig?nes, cette fois ? travers les instruments conceptuels d'un observateur ?tranger pr?ten dant les expliquer ? scientifiquement ?.

Aujourd'hui, tout anthropologue qui se respecte combine une analyse ? ?mique ? (repr?sentations indig?nes) ? une analyse ? ?tique ? (repr?sen tations ? scientifiques ?). Nous allons revenir sur ces points, mais aupara vant, rappelons que le stade ultime que voulaient atteindre les sciences sociales au si?cle dernier et au d?but de ce si?cle ?tait, ? l'image des autres

sciences, la d?couverte de rapports de causalit? introduisant un ordre dans l'encha?nement des faits sociaux et donc, finalement, la d?couverte de ? lois ?, c'est-?-dire, selon la formule c?l?bre, de ? rapports n?cessaires d?coulant de la nature des choses ?. Dans cette recherche de facteurs qui p?seraient plus lourd dans la formation et la transformation des soci?t?s, et

qui sur le plan m?thodologique devraient donc ?tre choisis comme point de

d?part de l'interpr?tation des faits sociaux, on a vu les anthropologues choisir, les uns l'?conomique comme facteur premier ; les autres, comme

E. E. Evans-Pritchard le politique ; d'autres, comme Louis Dumont, la reli

gion ; chacun pr?sentant sa perspective comme capable d'expliquer la

configuration globale d'une soci?t? et sa dynamique. Mais finalement o? en est l'anthropologie, quels r?sultats semblent acquis ? Quels autres semblent contestables ?

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

Les rapports de parent?

C'est ici qu'il nous faut choisir car il n'est ?videmment pas question de faire un inventaire exhaustif des r?sultats de l'anthropologie. Mais ? titre

d'exemple, pour ?clairer la nature des d?marches des anthropologues, la

port?e de leurs r?sultats et faire appara?tre quelques-uns des points qui les

opposent entre eux, nous avons choisi de tenter un bilan du domaine privil? gi? entre tous par les anthropologues depuis L. H. Morgan, celui de l'analyse des rapports de parent?.

La nature de la parent?

Lorsque L. H. Morgan a mis en ?vidence le fait que dans certains sys t?mes classsificatoires on appelait ? p?re ? une classe d'individus qui ?taient

par rapport ? ? ego ? dans un rapport ?quivalent, ceci n'apprenait encore rien de pr?cis sur ce que les membres d'une soci?t? pensent ? la place de ce

que nous appelons ? paternit? ? ou ? maternit? ?, etc. Les ethnologues ont donc cherch? ? conna?tre les repr?sentations que les diverses cultures se fai saient de la paternit? ou de la maternit?. Des probl?mes ont alors surgi sus citant par deux fois au cours de ce si?cle des d?bats enflamm?s. Une

premi?re fois, dans les ann?es 1880, lorsque L. Fison et d'autres affirm?rent

que les aborig?nes australiens ne connaissaient pas le lien entre les rapports sexuels et la conception des enfants et une seconde fois, dans les ann?es

1970, apr?s la fameuse Henri Myers Lecture prononc?e en 1966 par Edmund Leach sur la ? Virgin Birth ?, l'immacul?e conception.

Dans la premi?re phase, les travaux de L. Fison et A. Howitt chez les

aborig?nes australiens puis ceux de B. Malinowski parmi les habitants des ?les Trobriand jou?rent un grand r?le. Pour r?sumer bri?vement les donn?es de B. Malinowski qu'Annette Weiner a compl?t?es et corrig?es soixante ans

plus tard, disons qu'une femme, selon les Trobriand, devient enceinte

lorsque un esprit-enfant appartenant au stock des esprits de son clan matrili n?aire qui r?sident sur une petite ?le au large de Kiriwina, p?n?tre en elle et se m?lange ? son sang menstruel. Un enfant est donc con?u sans l'inter vention directe du p?re, celui-ci joue cependant un r?le indirect dans la

mesure o? il ouvre la voie ? l'esprit-enfant, et surtout parce qu'apr?s la

conception de l'enfant, il nourrit le f tus de son sperme et en mod?le la forme. C'est pourquoi les enfants ressemblent souvent ? leur p?re bien que celui-ci ne les engendre pas.

Il est clair que la notion de paternit? aux ?les Trobriand n'a rien ? voir avec celle courante en Occident et qu'il faut en conclure que la notion de ? consanguinit? ?, c'est-?-dire l'id?e qu'un enfant partage le m?me sang que ses deux parents n'a pas l'universalit? que lui pr?tent spontan?ment les

Europ?ens. Par contre, si l'on prend l'exemple d'une soci?t? fortement patrilin?aire

comme celle des Baruya de Nouvelle-Guin?e o? la domination des hommes sur les femmes s'exerce de fa?on collective, ? travers des grandes initiations

masculines, et la s?gr?gation g?n?rale des gar?ons d'avec le monde maternel

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M. GODELIER ANTHROPOLOGIE DE LA FAMILLE

et f?minin, on trouve une tout autre th?orie du processus de conception. L'enfant na?t du sperme de l'homme qui produit les os et la chair de

l'embryon et le nourrit ensuite. Le sperme ici engendre, nourrit le f tus.

Cependant le sperme du p?re ne suffit pas ? faire enti?rement l'enfant. C'est le Soleil con?u comme le p?re de tous les Baruya qui ach?ve l'enfant dans le

ventre de la m?re, en fabriquant les extr?mit?s de ses membres, les doigts des mains et des pieds, ainsi que le nez, lieu o? r?side l'esprit.

Ces deux exemples montrent qu'il existe une certaine correspondance entre la nature des rapports de parent? et la nature des repr?sentations de la

personne humaine. Le r?le distinct que chacune de ces deux soci?t?s fait

jouer au sperme, par exemple, t?moigne de l'existence d'une telle correspon dance. Mais les donn?es qui, aujourd'hui, se multiplient sur les repr?senta tions du corps dans diverses soci?t?s, montrent qu'une telle correspondance n'est jamais m?canique.

Certaines soci?t?s patrilin?aires ne mettent en effet aucunement l'accent sur le sperme. Les Paici de Nouvelle Cal?donie ?tudi?s par Alban Bensa

pensent que la chair et les os d'un enfant viennent de sa m?re et que l'enfant est con?u par l'effet des magies du fr?re de la m?re. Le p?re transmet, lui, son nom, ses terres ? l'enfant s'il est un gar?on, et la force tot?mique de ses anc?tres. A la mort d'un homme, le cadavre est rendu ? ses parents mater nels qui, ? leur tour, apr?s que la chair du mort est d?compos?e, redonnent les os ? ses parents paternels qui les enterrent dans le cimeti?re de leur clan.

Mais les esprits des morts et leur chair sont suppos?s rejoindre, pour y attendre une autre r?incarnation, un lieu propre au clan de leurs maternels, situ? quelque part sous la mer. Dans cette soci?t? patrilin?aire, silence est donc fait sur le sperme.

Les diff?rences entre ces exemples montrent que le corps ne porte pas, bien entendu, seulement l'empreinte des rapports de parent? mais aussi d'autres rapports sociaux, politiques, religieux, etc. Chez les Baruya, c'est d'ailleurs l'usage politico-religieux du sperme qui circule entre des initi?s

purs de tout contact avec les femmes lors des initiations masculines, qui explique en partie l'accent particuli?rement fort mis sur le sperme dans les

repr?sentations du corps. Mais si les rapports de parent? et d'autres rapports sociaux s'impriment

dans le corps, cela ne veut pas dire que tous les aspects de ces rapports s'y impriment. Le corps par exemple ne dit rien, chez les Baruya, sur les r?gles d'alliance ou sur d'autres aspects de la vie sociale. Nous reviendrons sur ces

points lorsque nous montrerons que la sexualit? fonctionne comme une machine ventriloque ? travers laquelle la soci?t? parle sur elle-m?me. Le

corps est appel? en permanence ? t?moigner de et ? t?moigner pour ou contre l'ordre ou le d?sordre qui r?gne dans la soci?t?. Ce n'est donc pas ici le corps, la sexualit? qui fantasme sur et dans la soci?t?, c'est la soci?t? qui fantasme dans le corps sur elle-m?me.

Mais revenons au domaine des ?tudes sur la parent? pour en analyser d'autres dimensions et voir appara?tre d'autres contradictions. Bien entendu, ceci suppose que nous nous soyons donn? une d?finition de ce qu'est la

parent?. Nous proposons celle dont nous nous servons nous-m?mes, ? savoir : c'est l'ensemble des principes qui d?finissent des unions l?gitimes

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

entre individus des deux sexes et d?terminent l'identit? et l'appartenance des enfants qui naissent de ces unions. Cette d?finition n'est pas n?cessaire

ment accept?e par tous les anthropologues et David Schneider dans A Cri

tique of the Study of Kinship (1984) rejette totalement l'id?e que la parent? soit universellement li?e aux processus de conception et d'appropriation des enfants. Malgr? toute notre sympathie pour l'effort de D. Schneider de

prendre exclusivement comme point de d?part de nos analyses les symboles et les contenus des repr?sentations propres ? chaque culture, nous ne

croyons pas qu'il ait fourni la preuve de sa critique radicale. M?me si D. Schneider a raison lorsqu'il affirme qu'? Yap, on n'?tablissait tradition nellement aucun lien entre les rapports sexuels et la conception des enfants,

puisque ceux-ci sont cens?s ?tre fabriqu?s par un esprit qui f?conde les femmes pour satisfaire aux pri?res des hommes qui vivent sur la terre o? vient r?sider et travailler, apr?s son mariage, la nouvelle ?pouse de l'un de ces hommes, ? Yap comme ailleurs il existe des r?gles pr?cises d?finissant les unions l?gitimes et l'appropriation des enfants qui en naissent. La sexualit?, ici, a peut-?tre disparu enti?rement de la repr?sentation du proc?s de

conception des enfants mais le mariage, assorti de quelques autres condi

tions, est toujours le point de d?part de l'apparition et de l'appropriation des enfants.

Il existe donc bien un domaine de la parent? dans toute soci?t?, mais il

n'y a aucune raison que la parent? ait partout le m?me statut et la m?me structure que ce que nous appelons ? parent? ? dans le monde moderne occidental. Nous allons essayer de montrer comment dans la pratique anthropologique se repose sans cesse le probl?me du d?centrement par rap port ? l'Occident en abordant trois aspects de l'analyse de la parent? qui ont

fait, ou font encore, l'objet de querelles acharn?es. Le premier d?bat concerne la nature des termes de parent?. D?signent

ils, dans tous les cas, les positions g?n?alogiques d'individus situ?s dans une

grille centr?e sur ego, ou d?finissent-ils des cat?gories d'individus qui sont entre eux dans la m?me relation vis-?-vis d'un ego ou d'une classe d'ego ?quivalents ; sans qu'il y ait de n?cessit? ni m?me de possibilit? de retracer les connexions g?n?alogiques qui peuvent les relier ? lui. C'est le d?bat entre

A. M. Hocart, E. R. Leach et L. Dumont d'une part, et H. W. Scheffler, F. G. Lounsbury et les praticiens de l'analyse componentielle de l'autre. Ces derniers font l'hypoth?se qu'une terminologie se construit par une s?rie d'extensions ? des individus dans des positions ?quivalentes vis-?-vis d'ego, de termes qui d?signent dans leur sens primaire le ? p?re ? et la ? m?re ?, le ? fr?re ? et la ? s ur ?, etc., bref, les parents les plus proches. On part du

proche vers le lointain et les chemins parcourus sont des relations g?n?alo giques.

Au contraire pour L. Dumont et pour beaucoup de ceux qui ont trait? des syst?mes de parent? australiens et dravidiens, les termes de parent? apparaissent comme des cat?gories qui d?signent des rapports entre des classes d'individus. Ce n'est plus le terme ? p?re ? qui est ?tendu aux ? fr?res du p?re ?, c'est un terme qui d?signe, d?s le d?part, une classe d'hommes qui se trouvent dans un m?me rapport ? ego et, parmi cette classe, figure par exemple ? le mari de ma m?re ?, que je d?signe comme tous les autres indi

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M. GODELIER ANTHROPOLOGIE DE LA FAMILLE

vidus appartenant ? cette m?me classe d'un terme qu'on peut traduire par ? p?re ?. Ce n'est plus le terme ? p?re ? qui est ? ?tendu ?, c'est un terme

plus vaste qui peut se r?duire ? ne d?signer que ? le mari de ma m?re ?.

R?duction, extension, le d?bat fait rage. Il est ?vident que l'hypoth?se ? extensionniste ? s'accorde avec les syst?mes de parent? europ?ens qui sont

cognatiques, descriptifs et centr?s sur ego. Chez nous, on part du ? p?re ?

pour aller au ? p?re du p?re ?, qui est appel? ? grand-p?re ?, etc., et c'est la m?me d?marche que l'on propose aux anthropologues de suivre lorsqu'ils m?nent sur le terrain leur enqu?te sur les terminologies et les r?gles de

parent? existant dans la soci?t? o? ils sont venus s'immerger. Mais il est ?vident que cette hypoth?se rend compte difficilement des ter

minologies de parent? australiennes, du moins, lorsqu'on les saisit dans le

jeu des relations entre les classes matrimoniales que sont les moiti?s, sec tions et sous-sections. Aucune des deux hypoth?ses n'a donc de valeur abso

lue, universelle. Disons pour faire bref, que plus on approche des syst?mes de type australien, plus l'aspect cat?goriel des termes de parent? l'emporte sur leur contenu g?n?alogique, et plus on approche des syst?mes eskimo ou

europ?ens, plus l'aspect g?n?alogique l'emporte sur le caract?re cat?goriel. Prenons le terme d'? oncle ? en fran?ais, ou ? uncle ? en anglais, il d?signe aussi bien les fr?res du p?re que ceux de la m?re et constitue en ce sens une classe. Mais ce terme ne peut pas s'?tendre ? un nombre ind?fini d'individus comme dans un syst?me australien, car il se construit ? partir de deux rela

tions, p?re et m?re, qui renvoient non pas ? deux classes mais ? deux indivi dus qui sont uniques par rapport ? ego. Dans un syst?me cognatique europ?en en effet, l'individu n'a qu'un p?re et qu'une m?re (bien qu'il puisse aussi avoir, selon les circonstances, un p?re adoptif, etc.). Le terme ? oncle ?,

qui signifie ? fr?re de p?re ? ou ? fr?re de m?re ?, renvoie donc ? une classe d'individus qui compte autant d'?l?ments que mon p?re et ma m?re

comptent de fr?res r?els. Le terme ? oncle ? renvoie donc ? une classe construite par extension.

Il y a donc, derri?re ce d?bat, plus que des oppositions m?thodologiques ou th?oriques, il y a la pr?sence de diff?rences r?elles, objectives dans l'orga nisation de la parent?. Dans les syst?mes europ?ens, la soci?t? se divise en ? parents ? (consanguins et alli?s) et en ? non-parents ?. Dans les syst?mes australiens, comme l'a fait remarquer depuis longtemps A. R. Radcliffe

Brown, la cat?gorie des ? non-parents

? n'existe pas. Tous les membres

d'une m?me soci?t? se consid?rent comme des parents ? divers degr?s. Dans les syst?mes europ?ens le mariage va donc transformer des ? non-parents ?

en ? parents par alliance ?, qui, pour la g?n?ration suivante, se transforme ront en ? consanguins ?. Le mariage cr?e donc de la parent?. Dans les sys t?mes australiens, le mariage ne cr?e pas de la parent?, il change la place de certains individus par rapport ? d'autres qui ?taient d?j? leurs parents. Si je dois ?pouser ma cousine crois?e matrilat?rale, cette femme ?tait d?j? la fille du fr?re de ma m?re ? donc une parente

? avant de devenir mon ?pouse, donc une alli?e. Ici on transforme des parents en alli?s, l? des non-parents en

alli?s.

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

Les principes de la parent?

Ceci nous am?ne au deuxi?me grand d?bat qui divise les anthropologues ? propos de la parent?. Il concerne ce que l'on pourrait appeler des tenta tives pour d?finir ? l'essence ? ou ? l'aspect principal de la parent? ?. Les uns

voient cet aspect principal dans les principes de descendance et les structures

qu'ils induisent, les autres dans les principes de l'alliance et les structures

qu'ils induisent. D'un c?t? E. E. Evans-Pritchard et M. Fortes, de l'autre Cl. L?vi-Strauss et L. Dumont.

Pour les premiers, la parent? c'est d'abord les relations de filiation exis tant entre individus connect?s par des liens g?n?alogiques et rassembl?s en un m?me groupe d'appartenance, lignage, clan, par un principe qui privil?gie soit la descendance par les hommes (syst?me patrilin?aire), soit la descen dance par les femmes (syst?me matrilin?aire), soit combine ces deux prin cipes dans diverses sortes de structures bilin?aires, soit enfin, rassemble tous les descendants, aussi bien par les hommes que par les femmes, d'un couple

d'anc?tres ou d'une paire de germains de sexe oppos? (syst?mes non unili n?aires ou indiff?renci?s). Cette derni?re possibilit? correspond aux sys t?mes cognatiques ? propos desquels Meyer Fortes notait avec raison qu'ils ne peuvent engendrer des groupes ferm?s de descendants qu'en faisant

intervenir, en plus de la parent?, d'autres principes, comme la cor?sidence, une commune all?geance politique, etc. C'est parce que la parent? cogna tique ne d?terminait pas automatiquement la composition des groupes locaux que Meyer Fortes concluait, ? nos yeux abusivement, que les groupes

de descendance cognatique n'?taient pas de v?ritables groupes de parent?. Par ailleurs, pour Meyer Fortes, le mariage, l'alliance, joue dans l'exercice de la parent?, un r?le second. Il est certes la condition principale, compte tenu de la prohibition de l'inceste, de la reproduction des groupes de descen

dance, mais l'alliance pour Meyer Fortes ne structure pas en profondeur le

champ de la parent?. Pour Cl. L?vi-Strauss au contraire, qui s'appuyait sur l'exemple des sys

t?mes australiens, ou sur celui des Kachin, la parent? dans son fond est

alliance, ?change, et cet ?change est un ?change de femmes entre les hommes. Selon que l'?change des femmes est r?gl? par des principes positifs ?

qui prescrivent ? chacun de prendre ?pouse ou ?poux dans telle ou telle

cat?gorie de parents? ou au contraire par des principes n?gatifs ?

qui interdisent de prendre femme ? nouveau dans le lignage de sa m?re, dans son propre lignage, dans celui de la m?re de la m?re, etc., on passe de struc tures ?l?mentaires ? des structures semi-complexes (syst?mes crow-omaha) et complexes de parent? (syst?mes cognatiques), de syst?mes ferm?s ? des

syst?mes ouverts, de syst?mes o? les relations de parent? relient tous les membres de la soci?t? ? des syst?mes o? elles n'en relient que des fractions. Aux yeux de Cl. L?vi-Strauss l'aspect principal de la parent? est l?, et non dans le fait qu'il existe des groupes de descendance patri-, matri-, bi- ou non lin?aires.

Sans pr?tendre r?soudre en quelques mots ce dilemme, nous voudrions dire ceci. Il n'existe aucun syst?me qui ne combine les deux m?canismes de la descendance et de l'alliance. L'opposition entre ces deux principes ne peut

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M. GODELIER ANTHROPOLOGIE DE LA FAMILLE

donc ?tre celle entre le principal et le secondaire, parce qu'on a affaire ? deux principes diff?rents, mais compl?mentaires. Certes, le mariage n'a pas le m?me sens lorsqu'il unit des non-parents ou lorsqu'il unit des individus

qui sont d?j? des parents. Et ce n'est pas non plus la m?me chose d'unir des

parents proches ou des parents lointains. Le choix, enfin, n'est pas toujours possible d'?pouser au plus loin ou d'?pouser au plus pr?s. Par ailleurs, et ceci est une objection ? Cl. L?vi-Strauss, il devrait ?tre ?vident que l'?change entre deux groupes pr?suppose l'existence de ces groupes et ne peut pas en

m?me temps les engendrer. Il y a donc dans la parent? quelque chose qui ne se r?duit pas ? l'?change et qui est l'affirmation d'une certaine continuit?, d'une certaine identit? entre des individus des deux sexes appartenant ? des

g?n?rations successives. Il ne faut donc pas se laisser enfermer dans l'opposi tion ? descendance ? versus ? alliance ?. Mais par ailleurs, nous voudrions

montrer comment un point essentiel de la th?orie avanc?e par Meyer Fortes ouvre une vaste perspective sur les rapports de parent?. Meyer Fortes dis

tingue entre ? filiation ? et ? descendance ?. Il affirme que, dans toute soci?t? et quel que soit le syst?me de parent?, un individu na?t ? fils ? ou ? fille ? d'individus qui ont d'avance des droits sur sa personne

? ?gaux ou

in?gaux, semblables ou diff?rents? et lui conf?rent avant m?me sa nais sance une part de son statut social. Meyer Fortes supposait qu'on pouvait isoler dans tout syst?me de parent? une couche de relations bilat?rales autour d'ego, couche qu'il a baptis?e ? le domaine de la filiation ? et qu'il a,

plus ou moins, identifi?e ? l'univers de la famille, unit? de procr?ation et d'?ducation. Au-del? de cette couche, et la traversant, en remontant vers le

pass?, et se prolongeant dans l'avenir, existent des ensembles de parents plus vastes, lignages, clans, etc., construits en r?unissant tous les descendants

d'un(e) anc?tre commun(e) en passant soit par les hommes, soit par les

femmes, soit par les deux sexes, etc. Dans ce dernier cas, deux possibilit?s existent ; peuvent passer par un sexe et par l'autre les m?mes ? choses ? ou

des ? choses ? diff?rentes. Lignage et clan apparaissaient comme des constructions sociales abstraites, engendr?es par la manipulation de certaines

parties de l'univers des relations g?n?alogiques, cognatiques, qui partent d'un individu ? mort ou vivant ? ou aboutissent ? lui. Mais qu'est-ce qui pousse ? manipuler ces relations, ? choisir parmi elles, ? en mettre certaines en avant et ? en effacer d'autres ou ? les refouler dans l'ombre, dans le virtuel ? La r?ponse de Meyer Fortes est importante sans ?tre convaincante.

Il en a cherch? la raison dans une double direction. D'une part, il a

regard? du c?t? des besoins que l'on pouvait avoir de construire des commu

naut?s de parents, lignages, clans, d?bordant et int?grant la famille et agis sant dans certaines circonstances comme un seul corps, c'est-?-dire en fait comme une seule personne morale, et cela au nom d'une commune identit?. Il a montr? que de telles structures pouvaient s'?difier aussi bien autour de la possession commune de la terre qu'autour de la possession commune de

mythes et de rites sacr?s, de pouvoirs spirituels ? transmettre aux g?n?ra tions suivantes, et que cette transmission de terres, ou de savoirs et de pou voirs au b?n?fice de certains parents ? l'exclusion des autres se trouvait

toujours l?gitim?e dans l'univers de la parent? au nom d'une commune iden tit? de sang ou d'os ou de toute autre substance ou essence, visible ou invi

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

sible, mat?rielle ou immat?rielle, partag?e par certains descendants d'un(e) anc?tre commun(e) et pas par les autres.

D'autre part, M. Fortes a ?t? frapp? par le fait que ces diverses commu naut?s de parents, clans, lignages, etc., assumaient tr?s souvent dans la soci?t? des fonctions politiques essentielles. Dans la vision africaniste qui ?tait la sienne, lignages et clans se pr?sentaient comme des structures ? seg

mentaires ?, qui peuvent se connecter et s'associer engendrant ainsi des uni t?s sociales et politiques plus vastes ou, au contraire, s'ignorer, ou m?me se

combattre, selon les domaines de la vie sociale et la nature des probl?mes ?

r?soudre, guerres, subsistance, commerce, rituel, etc. C'est le mod?le des Nuer d'Evans-Pritchard. Lignages et clans assurent donc le gouvernement de la soci?t?, soit seuls si celle-ci est ac?phale et que le pouvoir est partag? entre tous ces groupes de parent?, soit en relation avec un ?tat si le pouvoir est concentr? autour d'un chef ou d'un roi. En mettant l'accent sur les fonc tions politiques des groupes de parent?, M. Fortes et E. E. Evans-Pritchard ont contribu? d'ailleurs ? impulser vigoureusement les recherches sur les sys t?mes politiques africains et ? en faire appara?tre la richesse et la diversit?.

Mais ces recherches n'ont jamais pu faire appara?tre aucun lien de corres

pondance n?cessaire entre tel ou tel syst?me politique, ac?phale ou ?tatique et tel ou tel type de syst?me de parent?.

L'approche de Meyer Fortes ouvrait cependant une perspective de tr?s

grande port?e en montrant que les rapports de parent? constituent les sup ports de processus d'appropriation et d'usage de la terre ou de titres, de sta

tuts, bref de r?alit?s aussi bien mat?rielles qu'immat?rielles, qui se

pr?sentent aux yeux des acteurs sociaux comme essentielles ? la reproduc tion d'eux-m?mes et de leur soci?t?. Certains rapports de parent? fonc tionnent donc comme des vecteurs, des canaux par lesquels ces r?alit?s sont transmises et h?rit?es. Meyer Fortes a ainsi montr? tr?s clairement comment les rapports de parent? sont constamment p?n?tr?s et investis par des r?ali t?s sociales qui, dans leur origine et leur contenu, n'ont rien ? voir avec la

parent? et encore moins avec la sexualit?, domaine que les rapports de

parent? sont la premi?re institution ? g?rer dans le d?roulement de la vie des individus.

On aper?oit imm?diatement ? quel formidable travail id?ologique l'esprit humain doit se livrer pour faire assumer aux repr?sentations du sang,

de la chair, des os, du sperme, etc., deux fonctions compl?mentaires, indis

pensables ? la reproduction de la parent? comme ? la reproduction des r?a lit?s sociales, ?conomiques, politiques, religieuses qui l'investissent de l'int?rieur. Ces repr?sentations en effet, doivent d'une part l?gitimer l'ex clusion de nombreux parents, proches et/ou lointains, du processus de trans

mission de ces r?alit?s et d'autre part imposer ? ceux qui en h?ritent la mani?re dont ils doivent en faire usage pour pouvoir les transmettre ? leur

tour ? ceux de leurs descendants ?lus par le m?me principe de descendance. L'id?e essentielle est que les individus n'ont acc?s ? ces r?alit?s que s'ils

sont sur le chemin de parent? qui y donne droit. Poussant donc plus loin la

suggestion de Meyer Fortes nous dirons que, dans toute soci?t?, on assiste dans le fonctionnement des rapports de parent? ? une double m?tamor

phose : d'une part des r?alit?s ?conomiques, politiques ou autres, qui n'ont

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M. GODELIER ANTHROPOLOGIE DE LA FAMILLE

pas grand-chose ? voir avec la parent? et encore moins avec la sexualit?, se

m?tamorphosent en aspects, en attributs de certains rapports de parent?, des

rapports qui passent soit par les hommes, soit par les femmes, soit par les deux sexes ? partir d'anc?tres communs. Mais le processus ne s'arr?te pas l? car ? cette premi?re m?tamorphose s'en ajoute une autre, puisque tout ce

qui se transforme en ?l?ment de parent? marque les individus selon leur

sexe, et leur ?ge, donc se m?tamorphose en attributs de leur corps, de leur

personne. Double m?tamorphose donc qui s'op?re en toute soci?t?, sur tout

individu, et largement ? son insu. Du social devient parental (Ie m?tamor

phose). Et tout ce qui est parental devient sexuel, passe aux enfants dif f?remment selon qu'ils sont fils ou fille (2e m?tamorphose).

En mettant l'accent principal sur la distinction entre filiation et descen

dance, M. Fortes a donc ouvert de grandes perspectives. Mais dans son

approche, l'alliance et le mariage semblaient se r?duire ? un aspect second de la parent?, au service de la reproduction des groupes de descendance.

C'est ? l'oppos? que s'est plac? Cl. L?vi-Strauss. Dans sa r?flexion, on ne trouve gu?re de consid?ration th?orique sur la descendance. A ses yeux, les

syst?mes peuvent ?tre patri- ou matrilin?aires mais leur structure profonde reste la m?me, bien qu'il ait lui-m?me fait remarquer qu'un syst?me matrili n?aire n'est pas l'image inverse, en miroir, d'un syst?me patrilin?aire. Par

ailleurs, ? propos des rapports entre politique et parent?, Cl. L?vi-Strauss s'est born? ? quelques remarques. Il a soulign?

? mais il n'?tait ni le pre mier ni le seul ? combien les syst?mes matrilin?aires ? r?gime dysharmo nique, c'est-?-dire o? la r?sidence apr?s le mariage est virilocale, posent un

probl?me ? l'exercice du pouvoir masculin et au contr?le par les hommes de leurs s urs et de leurs neveux et ni?ces ut?rins qui vont h?riter d'eux mais r?sident avec le clan de leur p?re. Il a aussi sugg?r? que les structures de

l'?change g?n?ralis? impliquent la sup?riorit? des donneurs de femmes sur les preneurs et peuvent s'accorder avec des soci?t?s aristocratiques et strati fi?es et m?me en favoriser la formation.

Mais pour Cl. L?vi-Strauss, l'aspect principal de la parent? n'est pas l?. Il

est, comme nous l'avons dit, dans l'id?e que la parent? est ?change, ?change qui est la cons?quence de la prohibition de l'inceste et prend la forme de

l'?change des femmes entre les hommes et par les hommes. Arr?tons-nous

quelques instants sur cette th?se qui a fait couler beaucoup d'encre. Sans nous interroger pour le moment sur les fondements de la prohibition de

l'inceste, je voudrais montrer comment Cl. L?vi-Strauss a op?r? un v?ritable

coup de force dans son analyse. Car logiquement, la prohibition de l'inceste ouvre simultan?ment trois

possibilit?s : soit les hommes ?changent entre eux les femmes et ceci pr?sup pose que les hommes dominent les femmes dans la soci?t?, soit les femmes

?changent entre elles les hommes et ceci suppose qu'elles jouent un r?le dominant dans la soci?t?, soit les groupes de parent? ?changent entre eux

des hommes et des femmes et ceci n'implique a priori aucune domination d'un sexe sur l'autre. Bien entendu, Cl. L?vi-Strauss n'ignore pas l'existence de ces trois possibilit?s, mais il n'en retient qu'une : l'?change des femmes

par les hommes et consid?re les deux autres comme des ? illusions que l'humanit? aimerait se faire sur elle-m?me ?. La domination masculine est

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

donc pour lui un fait transhistorique, naturel en quelque sorte, et qui a surgi avec l'?mergence de la capacit? des hommes aux symboles et ? la culture. Cl. L?vi-Strauss affirme dans les Structures ?l?mentaires de la parent? : ? l'?mergence de la pens?e symbolique devait exiger que les femmes, comme les paroles, fussent des choses qui s'?changent ?.

Que l'on nous entende bien. Nous ne nions pas que la domination mas

culine existe, mais nous ne pensons pas, contrairement ? Cl. L?vi-Strauss et ? F. H?ritier, que ce soit un principe constitutif de la parent?. Il suffit pour

montrer que la domination masculine n'appartient pas au fond indestruc tible de la parent? de fournir un seul contre-exemple. Or, il n'est pas besoin d'aller chercher tr?s loin pour en trouver. Il suffit de constater quelle est la

pratique du mariage au sein de nombreuses couches des soci?t?s euro

p?ennes et am?ricaines o? l'on voit fr?res et s urs quitter leur famille et s'?tablir avec leur conjoint sans que les uns ou les unes aient ?chang? les autres avec qui que ce soit. Nous avons donc l?, alors que la domination

masculine existe en Europe dans bien des domaines de la vie sociale, une

pratique, celle du mariage o?, dans bien des cas, cette domination n'inter vient pas (ou n'intervient plus) et o? la notion d'?change des femmes ne

s'applique pas. Et ceci n'implique nullement que la domination masculine n'existe pas apr?s le mariage dans la vie familiale.

Donc, sur le plan des faits, la formule ? la parent? est fond?e sur

l'?change des femmes par les hommes ? n'a pas la port?e universelle que lui

pr?te Cl. L?vi-Strauss. D'une part parce que, comme on vient de le montrer, dans beaucoup de soci?t?s surtout cognatiques, on voit des hommes et des femmes quitter leur famille pour se marier sans que l'on puisse dire que les uns ou les unes ?changent les autres. Ce sont des familles qui ?changent leurs membres, ce n'est pas un sexe qui ?change l'autre. D'autre part parce

que nous connaissons aussi des exemples de soci?t?s matrilin?aires et matri locales o? ce sont les hommes qui circulent entre les femmes ? l'occasion de leur mariage (les T?tum de Timor, les Rhades du Vietnam, les Nagovisi des ?les Salomon, etc.).

Mais la critique de Cl. L?vi-Strauss ne se limite pas au fait que son hypo th?se n'a pas la port?e universelle qu'il lui pr?te. Car il faut aller plus loin

jusqu'? la racine de cette th?orie. On la trouve dans l'article publi? par Cl. L?vi-Strauss en 1956, intitul? ? The Family ?. Cl. L?vi-Strauss, reprenant la formule de Tylor qui avait d?j? servi ? Freud en 1909 dans Totem et

Tabou, nous y explique que l'humanit? primitive pour se lib?rer de sa lutte

sauvage pour l'existence fut accul?e ? un choix simple ? either marrying out or being killed out ?. La vision de Cl. L?vi-Strauss de l'humanit? primitive est celle de familles biologiques isol?es, domin?es par des m?les, ?cras?es

par la peur et l'ignorance, et qui se seraient consciemment oblig?es ? l'entraide en ?changeant entre elles leurs femmes. De ce contrat social serait

n? ce qu'il appelle ? une soci?t? humaine authentique sur la base artificielle des liens d'alliance ?. Il est d'ailleurs int?ressant de noter que, dans cette vision de nos origines, la famille existe mais pas la soci?t?, et que la famille se perp?tue par elle-m?me, donc en pratiquant des rapports sexuels inces tueux entre ses membres. En instituant la prohibition de l'inceste, l'huma nit? primitive aurait invent? la soci?t? en opposant la culture ? la nature.

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M. GODELIER ANTHROPOLOGIE DE LA FAMILLE

Produire de la soci?t? pour vivre

Aujourd'hui, il semble probable que nos anc?tres ne vivaient pas en familles isol?es mais en bandes multim?les et multifemelles qui contr?laient un territoire d?termin? ? l'image de soci?t?s de primates les plus complexes, telle celle des chimpanz?s. Mais le probl?me n'est pas l?. On voit mal comment l'homme aurait pu ?tre amen? ? inventer la soci?t? pour poser des limites ? sa ? lutte sauvage pour l'existence ?. Vivre en soci?t? ne na?t pas d'un contrat. C'est le mode d'existence propre ? notre esp?ce comme ? d'autres esp?ces animales et c'est un effet de l'?volution de la nature. Mais seule de toutes les esp?ces, l'homme est non seulement capable de vivre en

soci?t?, mais aussi de transformer la soci?t? dans laquelle il vit, donc de pro duire de la soci?t? pour vivre. Au lieu de concevoir comme Cl. L?vi-Strauss

que les hommes vivaient en familles isol?es et incestueuses et furent pouss?s ? inventer la soci?t? en s'interdisant l'inceste et en s'obligeant ? l'?change des femmes, nous partons du fait que l'humanit? vivait d?j? en soci?t? et que quelque chose s'est pass? qui a oblig? l'homme ? intervenir sur sa sexualit?

pour la g?rer socialement. Qu'est-ce qui a pu obliger l'humanit? ? intervenir sur sa propre sexualit? au cours de son ?volution biologique et sociale ? Un

aspect de l'?volution de l'homme qui pouvait mettre en danger la reproduc tion de la soci?t? humaine. Cet aspect, nous le voyons dans l'?mergence de la possibilit? pour l'esp?ce humaine d'entrer dans un commerce sexuel qui

n'?tait plus soumis ? un rythme saisonnier, ? des contraintes impos?es par la

nature, dans l'apparition d'une sexualit? g?n?ralis?e qui a suivi la disparition de l' strus chez la femelle humaine. Or, nous savons que la sexualit? est, au sein des soci?t?s de primates, source de tensions et de comp?tition et que les

moments o? les femelles sont en chaleur, en strus, sont des moments o? ces tensions, cette comp?tition sont les plus fortes et font obstacle pour un

temps ? la coop?ration entre les membres de la bande. L'apparition de cette sexualit? g?n?ralis?e s'est accomplie au sein d'une esp?ce caract?ris?e ?gale

ment par la dur?e de maturation des enfants la plus longue parmi toutes les

esp?ces de primates. Or, cette maturation tardive entra?ne la pr?sence, dans les groupes familiaux, de jeunes qui au moment de leur pubert?, peuvent entrer tout aussi bien dans le jeu de la sexualit? g?n?ralis?e.

C'est dans cette perspective que nous avan?ons l'hypoth?se que la sexua lit? humaine, c?r?bralis?e et d?sormais non encha?n?e ? des p?riodes saison

ni?res de rut, est devenue source permanente de conflits potentiels au sein d'une communaut? et est entr?e en conflit avec les n?cessit?s de l'extension de la coop?ration mat?rielle et sociale entre les humains dont t?moignent les derni?res ?tapes de la formation de l'Homo Sapiens et que rendaient pos sibles le d?veloppement de ses capacit?s d'abstraction et de symbolisation.

On peut imaginer qu'? chaque fois que des groupes humains atteignaient ce

stade de d?veloppement biologique et social, la m?me situation devait ?mer

ger exigeant l'intervention consciente des hommes pour r?gler une sexualit? ? d?natur?e ?, de telle sorte que celle-ci ne mette pas en cause la reproduc tion de la soci?t? et se subordonne ? elle. Dans cette perspective, la prohibi tion de l'inceste aurait ?t? li?e d?s le d?part non pas ? la parent? mais au

processus de production-reproduction de la soci?t?. D?s l'origine, elle aurait

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

d?bord? le champ de la parent? et r?sum? en elle toute l'humaine condition

qui tient dans la formule que l'homme ne vit pas seulement en soci?t? mais

produit de la soci?t? pour vivre. Il aurait donc fallu sacrifier quelque chose de la sexualit? humaine, c'est

?-dire amputer et refouler quelque chose qui rel?ve du d?sir et du rapport ?

l'autre, qu'il soit du m?me sexe ou de l'autre, pour que la vie sociale puisse continuer ? exister. Mais d?s que l'homme a pu intervenir sur sa propre sexualit? pour la subordonner ? la reproduction de la soci?t?, ce n'?tait plus la m?me soci?t? qui ?tait reproduite, c'en ?tait une autre o? l'homme ?tait

devenu coauteur, avec la nature, de son propre d?veloppement. La prohibi tion de l'inceste ? mes yeux n'a pas eu pour raison d'?tre de cr?er la soci?t? ou de cr?er la parent?. Mais elle a eu pour cons?quence de faire ?merger des

rapports sociaux d'un type nouveau qui se sont interpos?s entre les individus et leurs familles d'origine et la soci?t? comme tout, comme totalit? qui se

reproduit ? travers la reproduction des familles et au-del? d'elles. Ces rap ports sociaux nouveaux sont les rapports de parent? qui ont donc cette parti cularit? d'avoir une origine purement sociale et de contr?ler socialement le

processus biologique de la reproduction de la vie. Parvenus ? ce point, nous ne sommes plus dans l'anthropologie. Nous

sommes en un lieu o? convergent des donn?es ethnologiques, des donn?es

?thologiques et des vues critiques sur les concepts (celui de contrat social par exemple) qu'employent les sciences sociales et la philosophie. Nous ne nie rons certainement pas que les hypoth?ses que nous proposons pour donner un sens ? tout cela, rel?vent ?galement d'une d?marche th?orique sp?cula tive. Elles ont seulement l'avantage de nous faire faire l'?conomie et la cri

tique d'id?es qui sont des ?vidences en Occident, ? savoir que la famille a

pr?c?d? la soci?t?, que la soci?t? repose sur un contrat, etc.

L'?volution des syst?mes de parent?

Nous ach?verons cette revue rapide des recherches sur la parent? en ?vo

quant un dernier point qui fait ?galement l'objet de grands d?bats et dont

l'interpr?tation est difficile. Les syst?mes de parent? ?voluent-ils, et si oui,

qu'est-ce qui les pousse ? le faire et quelles en sont les cons?quences ? Tout d'abord il faut s'entendre sur ce qu'on appelle ? syst?me de parent? ?. Ce sont d'abord des ensembles de relations sociales d?sign?es par des termes, donc des terminologies de parent?. Or, depuis L. H. Morgan et ? partir des classements r?alis?s par W. H. R. Rivers, G. P. Murdock, F. G. Lounsbury, etc., on constate que les centaines de terminologies de parent? collect?es sur le terrain par des anthropologues sont fondamentalement des variations ou des combinaisons de sept grands types de terminologies qui se distinguent entre elles selon qu'est faite ou non une distinction entre germains, cousins

parall?les et cousins crois?s, et selon que la parent? en ligne directe est dis

tingu?e ou non de la parent? en lignes collat?rales etc. Ces sept types reconstruits ont ?t? baptis?s les types hawa?en, eskimo, dravidien, iroquois, soudanais, crow et omaha, ces deux derniers se pr?sentant comme des trans formations du type iroquois. (Les syst?mes de parent? europ?ens rel?vent

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M. GODELIER ANTHROPOLOGIE DE LA FAMILLE

du type eskimo). La distinction entre dravidien et iroquois qui n'avait pas ?t? faite par A. R. Radcliffe-Brown s'impose aujourd'hui apr?s les analyses de L. Dumont, de T. R. Trautman et de bien d'autres. Ces deux types de sys t?mes se distinguent par une mani?re diff?rente de d?finir les parents paral l?les et les crois?s et par le fait que cette distinction est conserv?e sur

plusieurs g?n?rations dans le cas des syst?mes dravidiens. Par ailleurs, nous avons vu qu'il existe un nombre limit? de formules de

descendance. Celle-ci est soit unilin?aire, soit bilin?aire, soit non-lin?aire. Dans le premier cas, elle est soit patri- soit matrilin?aire, dans le second, elle

peut donner lieu ? des combinaisons parall?les ou crois?es, dans le troi

si?me, nous avons affaire ? des syst?mes cognatiques. Ainsi se trouvent confirm?es les premi?res d?couvertes de L. H. Morgan.

Le tableau des syst?mes de parent? est certes plus complexe aujourd'hui, mais il se r?duit toujours ? un nombre fini et tr?s limit? de types et de prin cipes de base, et ceci malgr? la grande diversit? des syst?mes observ?s sur le terrain. Il existe, ? coup s?r, moins de diversit? entre les syst?mes de parent? qu'entre les syst?mes ?conomiques ou politiques et, bien entendu, qu'entre les syst?mes philosophiques et religieux. Le fait que le nombre des types de

parent? soit ainsi limit? interpelle toutes les sciences sociales, et sugg?re ? la

pens?e th?orique qu'il doit y avoir quelque raison ? l'existence de ces combi naisons et ?galement au fait que l'histoire humaine ne nous en pr?sente pas un nombre infini.

Nous voici revenus de nouveau ? de grandes questions sp?culatives. Y a-t-il une corr?lation entre l'un ou l'autre de ces sept types de terminolo

gies et l'un ou l'autre des principes de descendance ? Tout ce que l'on peut dire aujourd'hui, c'est que l'on constate que les syst?mes hawa?ens et eskimo sont en g?n?ral cognatiques, que les syst?mes dravidiens, iroquois, et souda nais sont souvent patri- ou matri- mais peuvent ?tre parfois, comme les sys t?mes dravidiens d'Amazonie, fortement cognatiques. Enfin les deux transformations que sont les Crow et les Omaha tendent ? se r?partir entre

matri- (Crow) et patri- (Omaha). Quant aux syst?mes australiens qui sont d'allure dravidienne, on ne peut pour la plupart les consid?rer comme unili n?aires ou bilin?aires parce qu'ils mettent en uvre simultan?ment un prin cipe de descendance par les hommes et un principe de descendance par les

femmes, engendrant des cycles masculins et f?minins rythm?s selon des tem

poralit?s diff?rentes. La parent? est diff?renci?e selon les deux sexes et

pr?sente une structure tout ? fait oppos?e aux syst?mes cognatiques indif f?renci?s que l'on trouve en Indon?sie ou en Polyn?sie.

La question se pose toujours de d?couvrir les facteurs qui ont pouss? ou

poussent ? choisir un principe patri- ou matrilin?aire de descendance ou un

principe cognatique. Les recherches en ce domaine n'ont gu?re abouti. Cer tains ont avanc? l'hypoth?se que les syst?mes matrilin?aires correspon draient ? des soci?t?s reposant sur une agriculture extensive o? les femmes

jouent un grand r?le et utilisent une technologie simple, le b?ton ? fouir par exemple qui est aussi un outil de cueillette. On donnait pour exemple les soci?t?s appartenant ? ce qu'on appelle la ceinture matrilin?aire de l'Afrique ou aux zones matrilin?aires des Indiens de l'Am?rique du Nord. Mais au

m?me niveau de technologie et sur la base des m?mes syst?mes horticoles on

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

trouve tout autant de syst?mes patrilin?aires ou cognatiques. On a ?gale ment fait remarquer que les soci?t?s reposant sur une ?conomie pastorale nomade, o? les hommes jouent le r?le principal dans l'?levage et la protec tion des animaux, sont toutes patrilin?aires, ? l'exception peut-?tre des

Touaregs dont le syst?me politique a des traits matrilin?aires. Mais nous n'en sommes gu?re plus loin que ces constatations et personne n'a encore pu

mettre en ?vidence les m?canismes qui engendreraient ces corr?lations. On s'est ?galement souvent pos? la question de savoir si les syst?mes de

parent? ?voluent et s'il existe entre eux des relations en quelque sorte ? g?n?alogiques ?, c'est-?-dire telles que certaines transformations d'un type de syst?me engendreraient un autre type de syst?me d?j? r?pertori?.

Diverses tentatives th?oriques tr?s int?ressantes pour construire un arbre

g?n?alogique de tous les syst?mes connus ont ?t? faites, par exemple celle de H. W. Scheffler, s'appuyant sur l'analyse componentielle, ou celle de Nick Allen et d'autres utilisant une approche math?matique. Ceci nous fournit

l'occasion de pr?ciser que l'anthropologie a depuis longtemps utilis? les

math?matiques et la linguistique pour traiter de la parent? et que les r?sul tats ne sont, quoi qu'on en ait dit, ni st?riles ni inutiles. Les terminologies de

parent? sont d'abord des ensembles de mots dans une langue qui d?signent certaines relations sociales caract?ristiques d'une soci?t?. Il est normal que la linguistique puisse ?clairer les r?gles de construction de ces ensembles ter

minologiques. Et comme ces termes d?signent des relations engendr?es par des principes de descendance et d'alliance qui ont leur logique propre, il est tout aussi normal qu'une analyse math?matique des terminologies de

parent? fasse appara?tre l'architecture abstraite de ces ensembles de rela tions socialement privil?gi?es ainsi que leurs conditions de reproduction compte tenu des contraintes internes qui les d?finissent. Depuis les analyses de Courr?ge, Weil, Guilbaud, suscit?es par Cl. L?vi-Strauss, on a assist? ? un

d?veloppement important des ?tudes math?matiques et logiques de la

parent? ? travers les travaux de A. K. Romney, J. P. Boyd, P. A. Ballonof, D. R. White, P. H. Jorion, F. E. Tjon Sie Fat, etc. sans oublier ceux du math?maticien chinois de Taiwan, Liu Pin-Hsiung.

La tentative ? nos yeux la plus int?ressante de construction d'un arbre

g?n?alogique illustrant les transformations possibles des syst?mes de parent? est celle de Nick Allen d'Oxford. Son hypoth?se est qu'on peut engendrer tous les types de syst?mes en partant de syst?mes de type australien et qu'en ?liminant l'un apr?s l'autre divers traits de ces syst?mes on engendrerait par exemple les syst?mes dravidiens, puis les syst?mes iroquois, etc. On passerait de syst?mes compl?tement ferm?s, o? le temps est annul? parce qu'il se

replie sur lui-m?me et se remet ? z?ro toutes les deux ou trois g?n?rations (existence de syst?mes ? g?n?rations alternes), ? des syst?mes de plus en

plus ouverts o? les relations de parent? ne sont pas coextensives ? toute la

soci?t?, o? les groupes de descendance se r?duisent ? la p?rentele proche d'un ego et o? les individus qu'on ?pouse ne sont pas d?termin?s ? l'avance dans le syst?me, donc des syst?mes o? l'alliance est totalement ouverte sauf les quelques relations interdites par la prohibition de l'inceste. Au terme de cette ?volution, on aboutit donc ? des syst?mes cognatiques comme ceux

qu'on trouve chez les Eskimo, en Europe ou ? Born?o. N. Allen ne pr?sente

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M. GODELIER ANTHROPOLOGIE DE LA FAMILLE

pas cette ?volution comme n?cessaire, mais comme logique et comme pos sible. Par ailleurs, il laisse ouverte la question de la possibilit? de transforma tions r?versibles. Mais il ne nous en donne pratiquement pas d'exemples.

Quoi qu'il en soit, c'est un fait que les rapports de parent? changent, que les syst?mes ?voluent et ce pour de multiples raisons. Mais le r?sultat de l'?volution d'un syst?me de parent? est toujours l'apparition d'un autre sys t?me de parent? qui se r?v?le ?tre une variante d'un type d?j? inventori?.

Un syst?me matrilin?aire devient bilin?aire, un syst?me cognatique devient de plus en plus patrilin?aire ou l'inverse, et ? ce niveau du jeu des r?gles de

descendance, on conna?t des exemples de transformations d'un syst?me en un autre. En ?voluant, un syst?me de parent? ne se transforme, cependant, jamais en un syst?me de castes ou de classes.

On constate fr?quemment qu'un syst?me de parent? peut pourtant sur vivre ? de tr?s grands changements sociaux et parvenir ? coexister pendant des si?cles ?au prix de remaniements internes? avec des structures

?conomiques et politiques tr?s diverses qui se succ?dent pendant une longue p?riode. Si l'on en croit Jack Goody, depuis des si?cles la plupart des sys t?mes de parent? europ?ens sont cognatiques avec une inflexion patrili n?aire. Ils se sont adapt?s ? l'apparition et au d?veloppement du f?odalisme,

puis ? l'apparition et au d?veloppement du capitalisme avec ses ph?nom?nes d'industrialisation et d'urbanisation massives et d'individualisme ?cono

mique et social. On remarquera que la tentative de Nick Allen de rattacher les uns aux

autres les types de syst?me de parent? en les engendrant les uns des autres

par des transformations structurelles successives porte une certaine ressem blance avec la mani?re dont Cl. L?vi-Strauss a class? tous les syst?mes de

parent? en fonction de degr?s de complexit? de l'alliance. Claude L?vi-Strauss distingue les syst?mes ?l?mentaires o? les r?gles de

l'alliance sont positives et o? l'?change peut se pratiquer soit de fa?on r?ci

proque, directe, mais restreinte, soit de fa?on non r?ciproque mais g?n?rali s?e. Il d?signe comme ? semi-complexes ? les syst?mes o? le conjoint n'est

plus prescrit par le syst?me mais peut ?tre pris n'importe o? en dehors d'un certain nombre de groupes de descendance qui sont interdits. Par exemple ceux du p?re, de la m?re du p?re, de la m?re, de la m?re de la m?re, comme

c'est le cas dans certains syst?mes omaha. Les syst?mes complexes commen ceraient l? o? les r?gles n?gatives de l'alliance ne concerneraient plus que les individus reli?s ? ego par les quelques degr?s de parent? frapp?s d'interdits

de mariage par la prohibition de l'inceste. Claude L?vi-Strauss s'est toujours d?fendu de pr?senter cette typologie

comme l'expression d'une loi d'?volution, et surtout il n'a jamais cherch? ? lier l'existence de ces syst?mes ? celle de syst?mes ?conomiques et sociaux

particuliers ni ? certaines ?poques de l'histoire. Il a sur ce point raison, mais certains termes qu'il emploie pr?tent ? une grande confusion. En France tout au moins, beaucoup d'historiens et d'ethnologues tendent ? associer ? soci?t?s complexes ? de type occidental et ? structures complexes ? de

parent?. Beaucoup attendent qu'un anthropologue d?couvre un jour la cl? encore cach?e du jeu des alliances matrimoniales au sein des structures

complexes et vienne ?clairer les tonnes d'archives o? se sont retrouv?es

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

enregistr?es au cours des si?cles les pratiques matrimoniales de la paysanne rie, de la bourgeoisie ou de la noblesse.

A nos yeux, cette attente est tout ? fait illusoire et l'expression ? struc tures complexes ? nous semble inad?quate. Pour qu'une structure soit

complexe il faut que les axiomes et les principes qui l'engendrent soient eux m?mes complexes. Or, les syst?mes de parent? europ?ens sont cognatiques et tr?s simples. Dans cette perspective axiomatique, seuls sont complexes ? nos yeux les syst?mes que Cl. L?vi-Strauss a baptis?s ? ?l?mentaires ?. Car en fait ce qui est complexe en Europe ce n'est pas la parent?, mais les strat?

gies matrimoniales qui sont induites par d'autres principes que la parent? et se proposent pour but ? travers une succession de mariages de garder un cer tain statut ?conomique et politique au sein d'une communaut? locale ou

r?gionale ou d'en acqu?rir un autre, en g?n?ral plus ?lev?. Finalement toutes ces analyses convergent toujours vers la m?me grande

question. Existe-t-il des relations de causalit?, ou plus simplement de corres

pondance entre tel et tel syst?me de parent? et tel ou tel syst?me ?cono

mique et social, entre tel mode social de reproduction de la vie et tel mode social de production des moyens mat?riels d'existence et des richesses ? Ici nous nous retrouvons en un lieu o? se dressent et s'affrontent de grandes th?ories, celles de Marx, de Max Weber, etc.

A propos de Marx et de son hypoth?se selon laquelle les conditions sociales et mat?rielles de la production, l'?conomique au sens large, seraient le fondement g?n?ral de la vie sociale et la cause premi?re de son ?volution,

nous dirons que les travaux des anthropologues, pour ne citer que cette seule science sociale, nous obligent ? constater qu'on ne trouve aucune cor r?lation directe et n?cessaire entre tel mode de production et tel mode de

reproduction. On pourrait d'ailleurs faire la m?me d?monstration ? propos de la religion et montrer que le christianisme, dont les dogmes originaires se sont cristallis?s il y a plus de deux mille ans au Proche-Orient, s'est trouv? ensuite associ? au d?veloppement du f?odalisme, puis du capitalisme avec

lesquels il n'avait ?videmment rien ? voir dans ses origines et dans ses dog mes, pr?c?dant l'un de plus dix si?cles et l'autre de plus de seize. Mais cette

religion en s'associant ? ces syst?mes sociaux a ?t? amen?e ? co?voluer avec eux et ? changer plusieurs fois, sinon ses dogmes, du moins la mani?re ? orthodoxe ? de les interpr?ter et d'en tirer des cons?quences pour organi ser l'?glise et agir dans le monde.

Mais m?me s'il en est ainsi des rapports de la parent? ou de la religion avec l'?conomie, cela veut-il dire que l'histoire soit pur hasard et que tout soit ? jeter ? la poubelle de la pens?e de Marx ? Nous ne le pensons pas car il nous faut toujours expliquer pourquoi les soci?t?s changent de principes d'organisation, pourquoi elles apparaissent, pourquoi elles disparaissent, pourquoi il y a de l'histoire. L'histoire n'explique rien puisqu'il faut encore

l'expliquer. Ce n'est d'ailleurs pas le changement social qui pose probl?me car il faut

toujours changer un peu pour pouvoir se reproduire plus ou moins tel qu'on est. Ce qui pose probl?me ce n'est pas le changement de la soci?t?, c'est le

changement de soci?t?. Or, il semble ? peu pr?s d?montr? que les raisons et les forces principales qui font changer de soci?t? ne sont ni du c?t? de l'art ni

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M. GODELIER ANTHROPOLOGIE DE LA FAMILLE

du c?t? des rapports de parent? ni peut-?tre m?me de la religion, bien que les grandes religions universelles ont jou? et jouent un r?le tr?s important dans l'?volution de certaines soci?t?s. Ces forces existent et me paraissent prendre source dans deux champs de la pratique sociale qui entretiennent entre eux des liens d'affinit? structurelle, qui sont plus que la cons?quence d'un processus d'adaptation r?ciproque, les activit?s tourn?es vers la pro duction des moyens de subsistance et des richesses mat?rielles et celles tourn?es vers le gouvernement de la soci?t? et le contr?le des hommes. Ce

qui a p?ri aujourd'hui d?finitivement de la pens?e de Marx est la m?ta

phore qui d?crit la soci?t? comme l'empilement d'une infrastructure

?conomique et d'une s?rie de superstructures au sommet duquel se trouve rait juch?e la pens?e et ses id?es, ses id?ologies, c'est-?-dire Marx revu par

Althusser. Car une soci?t? n'a ni haut ni bas et quand on cherche des causes

? premi?res ? cela signifie seulement qu'on cherche ? d?terminer quelles activit?s humaines ont plus de poids que d'autres dans le proc?s de pro duction/reproduction de cette soci?t?, ce qui ne signifie nullement qu'elles soient la cause de l'existence de ces autres activit?s. Les rapports de

parent? par exemple ont leur fondement propre, qui concerne la fabrica tion et l'appropriation socialement l?gitime des enfants. La soci?t? a plu sieurs fondements et non pas un seul. Mais ceci ne signifie pas que tout

p?se du m?me poids dans sa reproduction. Finalement pour analyser des

processus aussi complexes que la transition d'un syst?me social ? un autre, il semble que ce ne soit pas vers une seule cause qu'il faille se tourner,

mais vers un couple de forces, celles associ?es aux formes de la production et aux formes du pouvoir. Marx ne se r?duit pas ? l'hypoth?se du r?le d?terminant en derni?re instance de l'?conomique. Il mettait l'accent sur

l'exploitation et la domination dans le fonctionnement et l'?volution des soci?t?s. Il montrait aussi que les syst?mes d'id?es travestissent ces r?alit?s ou les passent sous silence. Travestissement qui consiste le plus souvent ? faire appara?tre les rapports de domination et d'exploitation comme des

rapports d'?change r?ciproque.

*

Nous voici parvenus au terme de ce parcours. En choisissant d'?valuer ?

grands traits les d?marches et les r?sultats de l'anthropologie mais en nous

restreignant au seul domaine, classique il est vrai, des travaux sur la parent?, il nous semble avoir rencontr? quelques-uns des grands probl?mes ?pist?mo logiques qui se posent aux sciences sociales, et montr? comment l'anthropo logie a souvent r?ussi ? accomplir un v?ritable d?centrement par rapport ? l'univers culturel occidental o? elle est n?e et o? elle continue largement ? se

d?velopper. On aura compris que l'anthropologie ne se porte pas trop mal,

qu'elle conna?t les crises que connaissent toutes les sciences sociales et

qu'elle est appel?e ? jouer, pour longtemps encore, un r?le indispensable. S'il y avait une le?on ? tirer de son ?volution pass?e, ce serait simplement

qu'on y aper?oit les principes qui doivent en quelque sorte constituer

l'?thique et la r?gle d'or d'une pratique scientifique dans les sciences

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HISTOIRE ET SCIENCES SOCIALES

sociales : rigueur critique, d?centrement syst?matique des hypoth?ses et des

concepts par rapport ? sa propre culture, pragmatisme raisonn? mais sans

?clectisme, enfin, et cela va de soi, prudence et r?serve dans les conclusions

qui ne sont toujours que provisoires.

Maurice Godelier

EHESS, Paris

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