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26 | La Lettre du Rhumatologue • N o 415 - octobre 2015 MISE AU POINT Maladie de Dupuytren (2 e partie) : traitements Dupuytren’s disease (part II): treatments M. Chammas*, T. Waitzenegger*, T. Delcour* * Service de chirurgie de la main et du membre supérieur, hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier ; UFR de médecine, université de Montpellier. I l n’y a pas de traitement étiologique ou préventif de la maladie de Dupuytren. Le traitement ne s’applique qu’aux seules conséquences et a pour but de corriger, ou au moins limiter, les rétractions digitales en cas de gêne fonctionnelle. Il existe un risque de récidive ou d’extension de la maladie après tout type de traitement. Le traitement n’est indiqué qu’en cas de test de la table de Hueston positif. En règle générale, le traitement est recommandé chez les patients présentant une rétraction de l’articulation métacarpophalangienne (MCP) d’au moins 20 à 30° et/ou une atteinte des articulations interphalangiennes proximales (IPP), quel que soit le degré de rétraction, associée à une gêne fonctionnelle. De nombreuses méthodes ont été tentées pour le traite- ment de la maladie de Dupuytren. Certaines techniques non invasives comme la rééducation fonctionnelle, la radiothérapie, le traitement par vitamine E ou les injec- tions locales de corticoïdes ont été proposées et aban- données, car aucune n’a fait la preuve de son efficacité. Actuellement, les traitements validés sont la fasciec- tomie sélective ou limitée chirurgicale, l’aponévrotomie percutanée à l’aiguille, ou fasciotomie à l’aiguille et, depuis plus récemment, l’injection de collagénase. Lors de l’évaluation préthérapeutique d’un patient, le praticien doit être à même de connaître toutes les techniques médicales ou chirurgicales existantes et de proposer une thérapeutique sur mesure en fonction des particularités de chaque patient. La prise en compte de plusieurs paramètres comme l’âge, la sévérité des déformations, leurs conséquences et les comorbidités associées ainsi qu’une évaluation réaliste des objectifs fonctionnels et des possibilités thérapeutiques sont essentielles pour de bons résultats et la satisfaction de patients bien informés. Traitements Aponévrotomie percutanée à l’aiguille Le principe de l’aponévrotomie percutanée à l’aiguille (APA) consiste en la section sous-cutanée, en un ou plusieurs endroits, des cordes aponévrotiques, permettant ainsi de traiter la rétraction digitale liée aux cordes. Contre-indications Les contre-indications (1) sont : une peau de mauvaise qualité ou cicatricielle ; l’absence de corde palpable ; une corde très large avec nodule et de multiples irradiations ; un patient ne pouvant tolérer une anesthésie locale à la main ; une récidive postchirurgicale (relative). Technique L’APA est réalisée en consultation sous anesthésie locale sous-cutanée centrée sur la corde cible après une information précise du patient. L’anesthésie locale ne doit pas être profonde afin de ne pas masquer un risque de lésion nerveuse. Le testing nerveux et tendineux peut ainsi être contrôlé tout au long de la procédure. Une aiguille de 25 gauges est utilisée par voie percutanée, comme un scalpel ou par perforations multiples. Le placement de l’aiguille doit être strictement médian pour mini- miser le risque de lésion neurovasculaire et ne pas être trop profond pour ne pas risquer une section des tendons fléchisseurs. La section est obtenue par mouvements de va-et-vient en étoile dans un plan transversal à la paume sans sortir l’aiguille. L’exten- sion de la chaîne digitale permet la mise en tension de la corde en évitant celle des structures nobles. La bride est sectionnée à plusieurs niveaux jusqu’à ce que le doigt soit étendu totalement ou dans la mesure du possible. Habituellement, les patients peuvent reprendre leurs activités normales rapide- ment après la procédure. L’APA est possible chez les patients sous traitement anticoagulant. Résultats Les résultats ont montré que : la réduction de la contracture est plus impor- tante pour les MCP – 79 % pour Foucher et al. (2),

Maladie de Dupuytren traitements - Edimark · Dupuytren’s disease (part II): treatments M. Chammas*, T. Waitzenegger*, T. Delcour* * Service de chirurgie de la main et du membre

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26 | La Lettre du Rhumatologue • No 415 - octobre 2015

MISE AU POINT

Maladie de Dupuytren (2e partie) : traitementsDupuytren’s disease (part I I) : treatments

M. Chammas*, T. Waitzenegger*, T. Delcour*

* Service de chirurgie de la main et du membre supérieur, hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier ; UFR de médecine, université de Montpellier.

I l n’y a pas de traitement étiologique ou préventif de la maladie de Dupuytren. Le traitement ne s’applique qu’aux seules conséquences et a pour but de corriger,

ou au moins limiter, les rétractions digitales en cas de gêne fonctionnelle. Il existe un risque de récidive ou d’extension de la maladie après tout type de traitement.Le traitement n’est indiqué qu’en cas de test de la table de Hueston positif. En règle générale, le traitement est recommandé chez les patients présentant une rétraction de l’articulation métacarpophalangienne (MCP) d’au moins 20 à 30° et/ou une atteinte des articulations interphalangiennes proximales (IPP), quel que soit le degré de rétraction, associée à une gêne fonctionnelle.De nombreuses méthodes ont été tentées pour le traite-ment de la maladie de Dupuytren. Certaines techniques non invasives comme la rééducation fonctionnelle, la radiothérapie, le traitement par vitamine E ou les injec-tions locales de corticoïdes ont été proposées et aban-données, car aucune n’a fait la preuve de son efficacité. Actuellement, les traitements validés sont la fasciec-tomie sélective ou limitée chirurgicale, l’aponévro tomie percutanée à l’aiguille, ou fasciotomie à l’aiguille et, depuis plus récemment, l’injection de collagénase.Lors de l’évaluation préthérapeutique d’un patient, le praticien doit être à même de connaître toutes les techniques médicales ou chirurgicales existantes et de proposer une thérapeutique sur mesure en fonction des particularités de chaque patient. La prise en compte de plusieurs paramètres comme l’âge, la sévérité des déformations, leurs conséquences et les comorbidités associées ainsi qu’une évaluation réaliste des objectifs fonctionnels et des possibilités thérapeutiques sont essentielles pour de bons résultats et la satisfaction de patients bien informés.

Traitements

Aponévrotomie percutanée à l’aiguille

Le principe de l’aponévrotomie percutanée à l’aiguille (APA) consiste en la section sous- cutanée, en un

ou plusieurs endroits, des cordes aponévrotiques, permettant ainsi de traiter la rétraction digitale liée aux cordes.

◆ Contre-indicationsLes contre-indications (1) sont :

➤ une peau de mauvaise qualité ou cicatricielle ; ➤ l’absence de corde palpable ; ➤ une corde très large avec nodule et de multiples

irradiations ; ➤ un patient ne pouvant tolérer une anesthésie

locale à la main ; ➤ une récidive postchirurgicale (relative).

◆ TechniqueL’APA est réalisée en consultation sous anesthésie locale sous-cutanée centrée sur la corde cible après une information précise du patient. L’anesthésie locale ne doit pas être profonde afin de ne pas masquer un risque de lésion nerveuse. Le testing nerveux et tendineux peut ainsi être contrôlé tout au long de la procédure. Une aiguille de 25 gauges est utilisée par voie percutanée, comme un scalpel ou par perforations multiples. Le placement de l’aiguille doit être strictement médian pour mini-miser le risque de lésion neurovasculaire et ne pas être trop profond pour ne pas risquer une section des tendons fléchisseurs. La section est obtenue par mouvements de va-et-vient en étoile dans un plan transversal à la paume sans sortir l’aiguille. L’exten-sion de la chaîne digitale permet la mise en tension de la corde en évitant celle des structures nobles. La bride est sectionnée à plusieurs niveaux jusqu’à ce que le doigt soit étendu totalement ou dans la mesure du possible. Habituellement, les patients peuvent reprendre leurs activités normales rapide-ment après la procédure. L’APA est possible chez les patients sous traitement anticoagulant.

◆ RésultatsLes résultats ont montré que :

➤ la réduction de la contracture est plus impor-tante pour les MCP – 79 % pour Foucher et al. (2),

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La Lettre du Rhumatologue • No 415 - octobre 2015 | 27

MISE AU POINTPoints forts

» Il n’y a pas de traitement étiologique ou préventif de la maladie de Dupuytren. » Le traitement n’est indiqué qu’en cas de test de la table de Hueston positif. » Les traitements validés sont la fasciectomie sélective ou limitée chirurgicale, l’aponévrotomie percutanée

à l’aiguille et, depuis plus récemment, l’injection de collagénase. » Le traitement des rétractions interphalangiennes proximales a des résultats inférieurs à celui des arti-

culations métacarpophalangiennes. » Le traitement chirurgical semble plus efficace sur les rétractions interphalangiennes proximales. » Les récidives sont plus fréquentes en cas de diathèse ou après aponévrotomie à l’aiguille.

Mots-clésDupuytren

Aponévrotomie

Fasciotomie

Collagénase

Injection de Clostridium histolyticum

Fasciectomie

Highlights » There is no etiological or pre-

ventive treatment for Dupuy-tren’s disease. » The treatment is only indi-

cated if there is a positive Hueston’s table test. » Tried and tested treatments

are surgical selective or limited fasciectomy, percutaneous needle aponeurotomy and, more recently, collagen injec-tions. » The treatment of proximal

interphalangeal retraction is more difficult and leads to poorer results compared with treating the metacarpophalan-geal joints. » Surgical treatment seems to

be more effective on proximal interphalangeal retraction. » With diathesis or after percu-

taneous needle aponeurotomy, the risk of a recurrence is greatly increased after treat-ment.

KeywordsDupuytren’s disease

Aponeurotomy

Fasciotomy

Collagenase

Clostridium histolyticum injection

Fasciectomy

89 % pour McMillan et Binhammer (3), 61 % pour Raimbeau (4) – que pour les IPP – respectivement 65 % (2), 41 % (3) et 19 % (4) ;

➤ l’APA est plus efficace dans les stades débutants : amélioration de 92,6 % pour le stade I (de 0 à 45°) contre 56,6 % pour le stade III et au-delà (135°) ;

➤ la correction des déformations à 6 semaines est peu différente après l’APA ou la fasciectomie limitée dans les stades I et II de Tubiana dans la série de Van Rijssen (5). Au-delà (6) du stade II, la fasciectomie limitée chirurgicale donne de meil-leures corrections (5) ;

➤ le taux de complications rapporté par les séries est relativement faible. Badois et al. (7) ont relevé, chez 138 patients, 2 % de lésions d’un nerf collatéral. Le phlegmon des gaines est exceptionnel. Foucher et al. (2), dans leur série de 100 patients évalués à 3,2 ans, observent 4,6 % de paresthésies digitales et une section nerveuse. Van Rijssen et Werker rap-portent 5,5 % d’hypoesthésies (8). La principale complication reste la déchirure cutanée sur peau rétractée, survenant dans 9 à 27 % des cas et nécessi-tant dans certains cas des pansements s’apparentant à ceux d’un traitement chirurgical. De rares sections tendineuses ont aussi été rapportées (4) ;

➤ cette technique souffre d’un taux de récidive impor-tant, avec des chiffres allant de 50,4 % à 5 ans pour Badois et al. (90 patients évalués sur 138) [7] à 58 % à 3,2 ans pour Foucher et al. (2), voire 85 % à 100 % à 5 ans pour Raimbeau et al. (4). Le taux de récidives est de 21 % pour la fasciectomie limitée dans l’étude comparative randomisée de Van Rijssen et al. (6) ;

➤ néanmoins, la satisfaction des patients est élevée, même en cas de récidive. En 2012, Van Rijssen et al. ont rapporté les résultats d’une étude pros-pective comparant l’APA et la fasciectomie limitée chez 93 patients après 5 ans (6) ; 125 rayons digi-taux avaient été traités par fasciectomie limitée et 167 par APA. La satisfaction moyenne mesurée par échelle était de 8,3/10 pour le groupe fasciectomie limitée et de 6,2/10 pour le groupe APA. Le taux de récidives était de 85 % pour le groupe APA et de 21 % pour le groupe fasciectomie limitée. De nombreux patients préféraient malgré tout une nouvelle APA en cas de récidive ;

➤ l’adjonction d’un corticoïde semble améliorer les résultats. McMillan et Binhammer ont publié

en 2012 (3) une étude randomisée comparant l’APA seule et l’APA associée à une injection d’acétonide de triamcinolone chez 47 patients, avec un suivi de 6 mois. Le groupe APA isolée a montré une amélio-ration de l’extension de 64 % (89 % des MCP, 41 % des IPP), contre 87 % d’amélioration (95 % des MCP, 65 % des IPP) dans le groupe APA avec acétonide de triamcinolone, ce qui était significatif. Il n’y a eu aucune complication dans les 2 groupes.Ainsi, l’APA peut être pratiquée en première intention du fait de son efficacité, de sa simplicité ( réalisation en consultation) et de son faible taux de compli-cations. Foucher et al. (2) et Van Rijssen et al. (6) recommandent surtout l’APA chez des patients âgés avec des stades I et II de Tubiana, surtout au niveau MCP, qui ne souhaitent pas de convalescence longue malgré un risque de récidive élevé. Certains ont même repoussé les indications aux récidives (9).La simplicité de la technique et la satisfaction des patients ont poussé certains praticiens à étendre de plus en plus les indications de l’aponévrotomie aux formes palmodigitales sévères ou pluridigitales. La technique dite “de multi-aponévrotomie” a été développée, consistant en la multiplication des aponévrotomies au cours d’une même séance sur plusieurs doigts (10).

Injection de collagénase

La collagénase est un enzyme extrait de Clostridium histolyticum (CCH) qui attaque et “dissout” les fibres du collagène anormal de type III de la maladie de Dupuytren. La commercialisation est assurée sous le nom de Xiapex® en Europe et Xiaflex® aux États-Unis. L’injection de CCH gagne en popularité et est la plus récente de toutes les options théra-peutiques depuis son approbation par la Food and Drug Administration en 2010 aux États-Unis. Actuel-lement, ce traitement n’est pas remboursé en France par la Sécurité sociale.

◆ TechniqueL’injection de collagénase s’effectue directement dans la bride de Dupuytren, sans anesthésie, et peut se faire au cabinet de consultation. Il ne faut pas dépasser 2 à 3 mm de profondeur. Le site

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28 | La Lettre du Rhumatologue • No 415 - octobre 2015

MISE AU POINT

Figure 1. Injection de collagénase sur maladie de Dupuytren à forme palmodigitale. Résultat après mobilisation à J1.

Maladie de Dupuytren (2e partie) : traitements

d’injection en cas de rétraction MCP se situe entre le pli palmaire distal et le pli digitopalmaire. Pour une rétraction IPP, le site d’injection se trouve dans une bande de 4 mm à partir du pli de fl exion digito-palmaire (fi gure 1) . Le produit est injecté en 3 fois, en faisant varier l’orientation de l’aiguille dans le sens de la longueur. La quantité de solution reconstituée varie selon le site de la rétraction. En cas de rétraction de la MCP seule, le volume injecté est de 0,25 ml, et de 0,20 ml pour une IPP (11) . Tout activité manuelle intensive est à éviter. La rupture de la corde s’effectue 24 heures plus tard, toujours en consultation et sous anesthésie locale (fi gure 1) . La mise en extension passive des arti-culations atteintes permet une rupture de la corde par traction si cette rupture n’est pas déjà survenue spontanément. Une attelle d’extension est à porter la nuit pendant 4 semaines. Si la libération n’est pas optimale, au maximum 2 autres injections de collagénase peuvent être réalisées pour la même articulation, avec un intervalle libre de 4 semaines entre les injections.

◆ Résultats ➤ La réduction de la contracture est plus impor-

tante pour les MCP que pour les IPP. Dans l’étude de Witthaut et al. (12) , sur 879 articulations traitées avec une moyenne de 1,2 injection, une correction complète des MCP a été observée avec 9 mois de recul dans 70 % des cas, et une correction complète des IPP dans 37 % des cas. Une amélioration de 50 % a été constatée pour 89 % des MCP et pour 58 % des IPP. L’amélioration moyenne a été de 55° pour les MCP et de 25° pour les IPP.

➤ L’amélioration est plus importante dans les stades précoces (13) .

➤ Les complications immédiates comprennent un hématome (38 % des patients) ou des réactions à type d’œdème périphérique (73 % des patients), de prurit (17 % des patients) et d’adénopathies douloureuses au coude ou au creux axillaire. Ceux-ci

s’estompent généralement 1 à 2 semaines après l’injection. Les ruptures cutanées peuvent se pro-duire avec la manipulation mais cicatrisent habituel-lement sans incident. Les effets secondaires graves comprennent la rupture des tendons fl échisseurs et les lésions nerveuses. Il convient cependant de rela-tiviser ces propos, puisque ces lésions tendineuses ne représentent en fait que 0,1 % des cas (14) , quand la chirurgie conventionnelle obtient un taux de lésions tendineuses de 0,2 % (15) .

➤ L’incidence des récidives est plus importante pour les localisations digitales que pour les localisations palmaires. Peimer et al. (16) ont étudié l’incidence des récidives chez 643 patients suivis avec un recul de 3 ans. Une aggravation du fl essum d’au moins 20° a été constatée dans 27 % des cas pour les MCP et dans 56 % des cas pour les IPP. Seules 7 % des récidives ont été opérées pendant cette période. À 8 ans de recul, Watt et al. (17) notent une récidive pour 4 des 6 MCP et dans tous les cas d’IPP. À noter qu’ils n’ont pu revoir que 8 patients sur 23.

➤ Par comparaison avec l’APA, l’injection de colla-génase présente un risque de récidive moins impor-tant (1) . Dans la littérature, le taux de récidive lors de l’utilisation de collagénase varie de 10 à 31 % avec un recul moyen de 4 mois à 4 ans et de 12 à 39 % avec un recul moyen de 1,5 à 7,3 ans (1) . En se fondant sur les données des 12 essais cliniques, l’équipe de Bainbridge a pu déterminer de façon rétrospective, chez plus de 1 000 patients, que l’utilisation de la collagénase était possible en cas de chirurgie préalable (18) . Ces résultats suggèrent que ce traitement pourrait être utilisé en cas de récidives.

Traitement chirurgical

L’aponévrectomie chirurgicale sélective ou limitée comprend l’exérèse de l’aponévrose pathologique mais aussi le traitement de l’envahissement cutané et de sa rétraction. L’objectif est d’obtenir une exten-sion passive complète de tous les rayons digitaux atteints. L’indication est posée en accord avec le patient en cas de test de la table positif, notam-ment dans les formes avec atteintes des IPP, dans les formes pluridigitales, en cas de volumineux nodule palmaire gênant les prises et en cas de récidive après une aponévrotomie à l’aiguille. Le traitement chirurgical est d’autant plus com-plexe, ainsi que la rééducation postopératoire, que le stade est évolué. Il vaut mieux ne pas attendre le stade III.

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La Lettre du Rhumatologue • No 415 - octobre 2015 | 31

MISE AU POINT

H

F G

D E

BA C

Figures 2. A. Maladie de Dupuytren, stade III H+. B et C. Bride aponévrotique spirale s’insérant sur la deuxième phalange en rétrovasculaire. D. Arthrolyse interphalangienne proximale avec section de la gaine des fl échisseurs rétractée. E et F. Téno-tomie distale, bandelette terminale de l’appareil extenseur pour hyperextension raide. G. Résultat en fi n d’intervention avec mini -paume ouverte. H. Résultat postopératoire à 21 jours.

◆ Technique L’aponévrectomie est réalisée sous anesthésie locorégionale au bloc opératoire, sous garrot pneumatique, le plus souvent en chirurgie ambu-latoire. L’intervention est pratiquée avec des loupes grossissantes. Les brides ont en effet des rapports étroits avec les pédicules vasculonerveux, qui sont parfois très adhérents au niveau digital. Plusieurs types d’incision cutanée permettent d’éviter les brides rétractiles postopératoires, de limiter le risque de nécrose cutanée et de réséquer les zones envahies :

➤ incision longitudinale convertie en lignes brisées par des plasties en “Z” ;

➤ incisions en zigzag de type Bruner avec plasties en V-Y complémentaires ;

➤ un lambeau cutané peut être tracé pour aider au remplacement de la peau envahie . À ces voies d’abord longitudinales, nous associons fréquemment une incision transversale non suturée dite “paume ouverte” de McCash (19) dans le pli palmaire distal (fi gure 2G) en cas d’atteinte pluri-digitale. Elle offre de nombreux avantages (20) :

➤ elle relâche la peau rétractée, ce qui facilite la rééducation postopératoire et diminue les douleurs ;

➤ elle permet un lambeau cutané de rotation pour remplacer la peau envahie à la base du doigt ;

➤ elle permet d’accéder à la bandelette prétendi-neuse du doigt voisin sans multiplier les incisions longitudinales ;

➤ elle évite le risque d’hématome par une ferme-ture étanche ;

➤ elle cicatrise le plus souvent en 3 semaines, en même temps que les incisions longitudinales. L’exérèse de l’aponévrose pathologique se fait de proximal en distal avec repérage et protection des pédicules. Elle doit prendre en compte toutes les zones pathologiques, notamment en sous-cutané, en profondeur ainsi qu’au niveau des commissures pour minimiser le risque de récidive. À l’issue de l’exérèse des brides et nodules, l’extension passive digitale est testée : soit elle est complète et la fer-meture cutanée avec plasties est réalisée, soit un fl essum des IPP persiste (fi gures 2B et 2C) et, en cas de fl essum limité, une section des “check reins” peut être effectuée (amarres proximales des ligaments des IPP). En cas de flessum important résiduel supérieur à 40°, une ténoarthrolyse antérieure est pratiquée, avec section transversale de la gaine des fl échisseurs rétractée et désinsertion ligamentaire proximale partielle (plaque palmaire et ligament collatéral accessoire) [fi gure 2D] . En cas de boutonnière avec rétraction IPP sévère et hyperextension interphalangienne distale (IPD), une ténotomie de la bandelette terminale de l’appareil extenseur en amont des ligaments rétinaculaires obliques est effectuée (figures 2A, 2E et 2F) . En fi n d’intervention, la vascularisation du doigt est contrôlée après lâchage du garrot. Une attelle d’extension digitale est placée en postopératoire.

Maladie de Dupuytren (2e partie) : traitements

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32 | La Lettre du Rhumatologue • No 415 - octobre 2015

MISE AU POINTMaladie de Dupuytren (2e partie) : traitements

Elle doit être portée la nuit, pendant 2 mois, voire plus en cas d’arthrolyse IPP. Notre préférence va à une attelle palmodigitale thermoformée sur mesure et confortable. Le pansement est refait tous les jours, initialement jusqu’à l’ablation des points, en principe à 3 semaines (figure 2H). Une auto rééducation pluriquotidienne est enseignée au patient, complétée par une rééducation spécialisée dans les formes sévères.

◆ RésultatsC’est l’aponévrectomie chirurgicale sélective ou limitée qui donne les meilleurs résultats en termes d’extension digitale. Là aussi, la rétraction MPC est mieux améliorée qu’au niveau IPP. Toutefois, l’arthro lyse IPP en cas de flessum sévère fait passer l’amélioration de 40-46 % (21) à 60 % (22).Le taux de complications est là aussi relative-ment faible. Denkler, dans une analyse complète des résultats de fasciectomies palmaires sur une période de 20 ans, a enregistré un taux global de complications chirurgicales allant de 3,6 % à 39 % (23). Ces études ont rapporté un taux moyen de lésions d’un nerf collatéral de 3,4 % (de 0 % à 7,7 %), de plaies de l’artère collatérale de 2 % (de 0 % à 2,6 %), de complications cutanées de 22,9 % (de 0 % à 86 %) et d’infections de 2,4 % (de 0 % à 8,6 %). Une algo dystrophie, ou syndrome douloureux régional complexe de type 1, est plus souvent observée qu’après les autres interventions de chirurgie de la main.Le taux de récidives après une aponévrectomie sélec-tive varie de 2 à 60 %, avec une moyenne de 33 % à 5 ans, et 15 % de ces patients doivent subir une nouvelle intervention (20). La récidive apparaît en moyenne dans les 2 ans. Hueston a observé un tel délai pour 87 % des patients qu’il a ré-opérés et précise que, dans de nombreux cas, la récidive débu-tait dans les 6 à 9 mois suivant l’intervention (24). Les récidives augmentent en cas de diathèse, d’at-teinte pluri digitale, de sévérité de l’atteinte IPP. Hin-docha et al. ont évalué le risque de récidive après traitement chirurgical à 71 % si tous les critères de diathèse sont présents, alors que ce risque est de 23 % en l’absence d’au moins un de ces critères (25). Une plus grande proportion de fibroblastes serait un facteur de récidive (26).Avec 5 ans de recul, on constate moins de récidives après une aponévrectomie sélective (21 %) qu’après une APA (85 %) [6]. On ne peut actuellement com-parer avec l’injection de collagénase, par manque de recul.

Traitement des récidives

Les récidives de la maladie de Dupuytren ne doivent être traitées qu’en cas de gêne fonctionnelle. Un bilan précis doit être fait pour rechercher d’éventuelles lésions des pédicules vasculonerveux lors de l’inter-vention précédente, un syndrome d’adhérence des fléchisseurs et vérifier l’état cutané. Il s’agit d’inter-ventions techniquement difficiles, avec un risque de complications plus élevé. L’objectif n’est pas de récupérer l’extension complète mais une mobilité fonctionnelle. En cas de rétraction sévère, au-delà de 90° (stade III) avec troubles neurovasculaires, une amputation digitale doit être discutée. En cas de rétraction moins importante, les mêmes techniques opératoires ne peuvent être utilisées qu’en cas de chirurgie primaire. Toutefois, en cas de diathèse, un remplacement cutané est recommandé, par lambeau ou par dermofasciectomie avec exérèse de la peau, du derme et greffe de peau totale (24).

➤ L’absence de récidive de la maladie sous une greffe de peau a conduit Hueston à proposer l’exérèse en bloc du tissu pathologique et de la peau sus-jacente (dermofasciectomie) suivie d’une greffe de peau totale (24). L’objectif était de réduire le risque de récidive. Cependant, les contraintes techniques (immobilisation post opératoire, pansements régu-liers) et le taux de complications important (nécrose secondaire, hématome, algoneuro dystrophie) empêchent l’utilisation des dermofasciectomies de manière systématique malgré l’effet protecteur démontré en termes de récidives.

➤ La réalisation de lambeaux cutanés latéro-digitaux ou locorégionaux pédiculés (17) est moins fréquente.

➤ La technique dite de “paume ouverte” selon McCash (19) : le principe consiste en la réalisation d’une incision cutanée transversale dans le pli cutané palmaire couplée à des incisions longitudinales ou en zigzag sur les doigts. Après l’aponévrectomie, les ponts cutanés soulevés sont avancés distalement et proximalement, de telle sorte que tout le déficit cutané se retrouve à hauteur du pli palmaire distal laissé en cicatrisation dirigée. La cicatrisation com-plète est obtenue en 3 à 6 semaines. La rééducation active est commencée immédiatement après l’opé-ration. Cette technique permet de diminuer le taux de complications, en particulier d’hématomes, de nécrose cutanée ou d’algoneurodystrophie, mais nécessite des pansements réguliers et est respon-sable d’une incapacité fonctionnelle prolongée pour le patient. ■

M. Chammas déclare avoir des liens d’intérêts avec le laboratoire Pfizer.

T. Waitzenegger et T. Delcour déclarent ne pas avoir

de liens d’intérêts.

0032_LRH 32 21/10/2015 17:19:16

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MISE AU POINT

1. Le traitement des rétractions interphalangiennes proximales est plus facile et ses résultats sont supérieurs à ceux du traitement des articulations métacarpophalangiennes.

2. Quelles sont les contre-indications à l’aponévrotomie percutanée à l’aiguille ?

3. Le risque de récidive dépend uniquement du sexe et des antécédents familiaux.

AutoévAluAtion

réponses 1. Faux, c’est le contraire.

2. • Une peau de mauvaise qualité ou cicatricielle. • L’absence de corde palpable. • Une corde très large avec nodule et de multiples irradiations. • Un patient ne pouvant tolérer une anesthésie locale

à la main. • Une récidive postchirurgicale (relative).

3. Faux, il y a aussi les autres critères de diathèse.

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Références bibliographiques

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