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Mallarmé devant ses contemporains 1875-1899.pdf

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  • Peter Hambly(d.)

    MALLARMdevant ses contemporains

    1875-1899

    UNIVERSITY OF ADELAIDE PRESS

  • About the Author

    Dr Peter S. Hambly is a Visiting Research Fellow in European Studies at The University of Adelaide. His research explores 19th-century French literature, focusing on post-romantic poetry, prose and social philosophy. His publications amount to a major body of work on Banville, Gautier, Heredia, Mal-larm and others. He is a Chevalier dans lOrdre des Palmes Acadmiques and a Fellow of the Australian Academy of the Humanities.

  • Peter Hambly(d.)

    MALLARMdevant ses contemporains

    1875-1899

  • Published in Adelaide by

    University of Adelaide PressBarr Smith LibraryThe University of AdelaideSouth [email protected]/press

    The University of Adelaide Press publishes externally refereed scholarly books by staff of the University of Adelaide. It aims to maximise the accessibility to its best research by publishing works using the latest digital technology.

    Electronic Index: this book is a PDF with a fully searchable text.

    Peter Hambly 2011

    This book is copyright. Apart from any fair dealing for the purposes of private study, research, criticism or review as permitted under the Copyright Act, no part may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise without the prior written permission. Address all inquiries to the Director at the above address.

    Subject Keywords

    Mallarm devant ses contemporains, 1875-1899 / Peter Hambly Author: Hambly, Peter S. Subject headings:Mallarm, Stphane, 1842-1898Criticism and interpretationMallarm, Stphane, 1842-1898InfluenceFrench poetry19th centuryHistory and criticism.

    For the full Cataloguing-in-Publication data please contact National Library of Australia:[email protected]

    ISBN 978-0-9807230-7-6 (electronic)

    Book design: Cline LawrenceCover: John EmersonPhotograph of Mallarm by Nadar courtesy of the Muse Mallarm, France

  • iMallarm devant ses contemporains1875-1899

    Dans un article paru dans un numro spcial du Bulletin dtudes parnassiennes et symbolistes, (24, Automne 1999), nous avons runi des articles sur Mallarm que Bertrand Marchal navait pas inclus dans son volume Stphane Mallarm, paru dans la collection Mmoire de la critique (Presses de lUniversit de Paris-Sorbonne, 1998). Dans les pages qui suivent nous ajoutons au contenu du Bulletin deux extraits de lettres, des commentaires sur le pote et des comptes rendus de textes qui parurent entre 1887, anne de la publication de ldition photo-lithographie des Posies, et 1899, anne o fut publie ldition Deman des Posies. Ces articles montrent que, contrairement la lgende, la connaissance des uvres de Mallarm ntait pas restreinte un public dinitis, ces lus qui se runissaient chez lui le mardi soir. Il y avait certains journalistes et critiques qui jugeaient son uvre digne dune apprciation srieuse et en parlaient dans des priodiques qui avaient de nombreux lecteurs.

    Il est vident que nous ne prtendons pas dresser une liste exhaustive des jugements sur les ouvrages de Mallarm, nous esprons seulement que les pages que nous faisons connatre mneront la dcouverte dautres ractions significatives devant luvre du pote. Nous nous contentons de poser des jalons dans une entreprise de longue haleine que dautres enrichiront.

    Les admirateurs de Mallarm ne semblent pas avoir pens recueillir les articles relatifs laudition du Prlude que Debussy composa pour LAprs-midi dun faune. Il est curieux de noter que si le pote crit en dcembre 1894 au compositeur pour le remercier et lui dire son admiration, certains critiques, soit passent sous silence cet vnement musical, soit expriment des rserves sur luvre de Debussy. Cependant, Le Voltaire et le Mercure de France qui ignorent la premire audition du Prlude se montreront enthousiastes en octobre 1895 quand il sera repris au programme des concerts Colonne. Il nest nullement probable quon ait repr tous les articles sur les concerts o le Prlude fut jou dans les annes 1890. ce propos une autre remarque simpose. Le mot de Mallarm sur ladaptation musicale de

  • ii

    Mallarm devant ses contemporains

    son texte: Je croyais lavoir mis moi-mme en musique fait cho des phrases de Paul Foucher qui avait affirm au sujet de la musique compose pour des ballades de Banville: il y a quelque tmrit Jules Cressonnois davoir mis deux de ces ballades en musique; elles y taient dj. Le lecteur ne se plaindra pas pourtant du plonasme. (LOpinion nationale, 21 octobre 1873).

    Nous esprons que les articles que nous groupons par thmes claireront utilement ltat desprit du public lettr de lpoque aussi bien que luvre quils commentent.

    Une deuxime section de cette compilation groupe les entrefilets des journaux qui annoncent la disparition du pote et les articles quon lui consacra dans les mois qui suivirent sa mort.

    Peter Hambly University of Adelaide

  • iii

    Table des matires

    I. Articles parus du vivant du pote1LAprs-midi dun faune 1 Caroline de Mulder, Leconte de Lisle entre utopie et rpublique, Rodopi, 2005,

    p. 372. Lettre de Leconte de Lisle, en date du 23 aot 1875. 1

    Les Dieux antiques 1 Irving Putter, La Dernire Illusion de Leconte de Lisle, Genve: Droz,

    1968, p. 105. Lettre de Leconte de Lisle en date du 9 juin 1886. 1

    Les Posies de Stphane Mallarm 2 [Anonyme], Quelques mots sur Mallarm, LArt moderne,

    30 octobre1887, p. 346-347. 2

    mile Verhaeren, La Posie, LArt moderne, 4 janvier 1891, p. 4-6. 4

    Pomes dEdgar Poe 7 mile Verhaeren, Les Pomes dEdgar Poe, traduits par Stph. Mallarm.

    Un vol., Bruxelles, Edmond Deman, diteur, LArt moderne, 5 aot 1888, p. 252-253. 7

    Iwan Gilkin, Chronique littraire, La Jeune Belgique, septembre 1888, t. X, p. 329. 9

    Albert Mockel, Pomes dEdgar Allan Poe, La Wallonie, t. III, (novembre 1888), p. 433-437. 10

    1 Exception faite darticles qui gagnent tre groups avec des textes parus avant sa mort.

  • iv

    Mallarm devant ses contemporains

    Pages 12 Anonyme [mile Verhaeren], Pages par Stphane Mallarm, Bruxelles:

    Edmond Deman, LArt moderne, 17 mai, 1891, p. 158-159. 12

    Henri de Rgnier, Pages, par Stphane Mallarm. Deman, La Wallonie, t.VI (1890-1891) p. 338-341. 15

    Albert Arnay, Chronique littraire, La Jeune Belgique, juillet 1891, t. X, p. 282-284. 17

    Arnold Goffin, Stphane Mallarm / Notes Cursives, La Socit Nouvelle, 30 aot 1891, p. 135-147. 19

    LEnqute de Jules Huret 25 Albert Giraud, Enqute sur lvolution littraire, La Socit nouvelle,

    30 septembre 1891, p. 258-271. 25

    Vers et Prose 29 Catulle Mends, Les Simplistes, Lcho de Paris, 30 novembre 1892. 29

    Albert Mockel, Chronique littraire / Stphane Mallarm: Vers et Proses [sic], La Wallonie, t. VII (dcembre 1892), p. 347-349. 30

    Albert Giraud, Vers et Prose, La Jeune Belgique, dcembre 1892, p. 446. [Ces paragraphes sont reproduits dans le Bulletin dtudes parnassiennes et symbolistes 21 (Printemps 1998), p.38-39.] 31

    Edmond Lepelletier, Chronique des Livres, Lcho de Paris, 6 dcembre 1892. 32

    J. Couturat, Petites polmiques mensuelles / M. Stphane Mallarm, Revue indpendante, novembre 1892, p. 197-201. 32

    [Note anonyme] Revue indpendante, dcembre 1892, p. 353-354. 34

    Emmanuel Signoret, Stphane Mallarm / Proses et vers [sic], Le Saint-Graal, [janvier1893] p. 302-303. 34

    Achille Delaroche, Vers et Prose. Morceaux choisis, par Stphane Mallarm. (Perrin diteur), La Plume, 1er janvier 1893, p. 14-15. 35

    Anonyme, Chronique parisienne, Revue suisse, fvrier 1893, p. 389-391. 37

    A. Vallette, Les Jeunes Revues, Lcho de Paris littraire, 26 fvrier 1893. 39

    Bernard Guinaudeau, Les Parnassiens / Stphane Mallarm, La Justice, 10 avril 1893. 40

  • vTable des matires

    La Bonne Aventure, M. Stphane Mallarm, LArt moderne, 20 aot 1893, p. 270. 43

    Camille Mauclair, Confrence sur M. Stphane Mallarm, La Socit nouvelle, juillet 1893, p. 53-69. 44

    Stphane Mallarm, par Camille Mauclair, LArt moderne, 31 dcembre 1893, p. 421. 51

    Vathek 51 A. Hallays, Au jour le jour, Le Journal des Dbats, 27 aot 1893. 51

    Villiers de lIsle-Adam 52

    Anonyme [mile Verhaeren?], Confrence de Stphane Mallarm, LArt moderne, 16 fvrier 1890, p. 53-54. 52

    La Confrence de Stphane Mallarm / Sur Villiers de lIsle-Adam, LArt moderne, 23 fvrier 1890, p. 59-60. 55

    Anonyme, La Confrence de Stphane Mallarm / Sur Villiers de lIsle-Adam, LArt moderne, 2 mars 1890, p. 67-68. 55

    Anonyme, Petite Chronique, LArt moderne, 26 octobre 1890, p. 342. 55

    Valre Gille, Stphane Mallarm, La Jeune Belgique, 1890, p. 152-154. 56

    Lon Deschamps, Villiers de lIsle-Adam, confrence par M. Stphane Mallarm, La Plume, 15 novembre 1892, p. 493. 59

    La Musique et les Lettres 59 S. [Maurice Spronck?], Au Jour le Jour, Le No-franais.

    Le Journal des Dbats, 4 avril 1894. 59

    H. [Andr Hallays?], Au Jour le Jour, La Musique et les Lettres, Le Journal des Dbats, 8 novembre 1894. 61

    Articles Divers 62 Charles Morice, Le Parti National, 7 septembre 1892. 62

    Frantz Jourdain, Les Dcors / Ceux qui ne le sont pas / Stphane Mallarm, Le Figaro littraire, 18 novembre 1893. 63

    Ivan Bouvier, Les Jeunes Potes, Le Journal, 2 juin 1895. 65

    G. Vapereau, Dictionnaire universel des contemporains, supplment 1895, p. 69-70. 65

  • vi

    Mallarm devant ses contemporains

    Charles Van Lerberghe, [Deuxime congrs des potes], La Plume, fvrier 1896, p. 95. 66

    Prlude lAprs-midi dun faune 66 Marcello, Premires Auditions / Concerts dHarcourt.

    La Fort, de Glazounow; lEnterrement dOphlie, de M. Bourgault-Ducoudray, Le Sicle, 24 dcembre 1894. 66

    Marcello, Premires Auditions / Concerts-Colonne. Le Sicle, 14 octobre 1895. 67

    Edmond Stoullig, Les Grands Concerts, Le National, 28 dcembre 1894. 67

    Edmond Stoullig, Les Grands Concerts / Concerts-Colonne (Rouverture), Le National, 15 octobre 1895. 67

    Charles Darcours, Notes de musique, Le Figaro, 26 dcembre 1894. 68

    A. Goullet, La Musique Paris, Le Soleil, 24 dcembre 1894. 68

    A Goullet, La Musique Paris / Concerts-Colonne Mme Berthe Marx M. Sarasate. Prlude de M. Debussy, Le Soleil, 14 octobre 1895. 69

    H. F.-G., Courrier des thtres, Le Journal des Dbats, 24 dcembre 1894. 69

    H. F-G., Courrier des thtres, Le Journal des Dbats, 14 octobre 1895. 70

    Adolphe Jullien, Revue musicale, Le Journal des Dbats, 26 octobre 1895. 70

    Alfred Bruneau, Les Grands Concerts, Gil Blas, 25 dcembre 1894. 70

    Alfred Bruneau, Les Concerts / Concert Colonne, Le Figaro, 14 octobre 1895. 71

    Anonyme, Les Concerts / Rouverture des Concerts-Colonne, La Justice, 15 octobre 1895. 72

    S., Les Concerts / Rouverture des Concerts-Colonne, LEstafette, 15 octobre 1895. 72

  • vii

    Table des matires

    LOuvreuse du Cirque dt, Lettre de lOuvreuse, Lcho de Paris, 15 octobre 1895, p. 3. 72

    Gustave Geffroy, Critique musicale / Concerts-Colonne Rouverture / Lalo, Beethoven, Berlioz, Sarasate, Paris, 15 octobre 1895. 73

    Intrim, Les Grands Concerts / Rouverture des Concerts Colonne, Gil Blas, 15 octobre 1895. 73

    Georges Pfeiffer, Les Grand Concerts, Le Voltaire, 16 octobre 1895. 74

    A.R. [Andris de Rosa], Les Concerts, Le Rve et LIde, novembre 1895, p. 24. 75

    Charles-Henry Hirsch, Musique, Mercure de France, novembre 1895, p. 255. 75

    Divagations 76 Paul dArmon, Revue littraire, Le Voltaire, 16 fvrier 1897. 76

    Maurice Leblond, Les Divagations de M. Stphane Mallarm, La Revue naturiste, mars 1897, p. 20-25. 77

    Arnold Goffin, Divagations par Stphane Mallarm, La Jeune Belgique, 19 juin 1897, p. 201-203. 80

    Mallarm et La Revue naturiste 82 Un entretien avec Saint-Georges de Bouhlier, Le Rve et LIde /

    Documents sur le naturisme, p. 19. 82

    Le vers libre et les potes, Le Rve et LIde / Documents sur le naturisme, novembre1895, p. 19-21. 82

    Maurice Le Blond, Stphane Mallarm, Le Rve et LIde / Documents sur le naturisme, janvier 1896, p. 65-70 83

    Maurice Le Blond, Essai sur le naturisme, Mercure de France, 1896. 86

    Joaquim Gasquet, Lettres de Provence, A Adolphe Rett, La Revue naturiste, octobre 1897, p. 75. 86

    Albert Fleury, Paul Verlaine et Stphane Mallarm, La Revue naturiste, 1900, p. 57-69. 87

  • viii

    Mallarm devant ses contemporains

    Mallarm et le thtre 92 Henri de Rgnier, Thtre, La Vogue, aot 1889, p.104-109. 92

    Jean Vignaud, Stphane Mallarm critique dramatique, Revue dart dramatique, octobre 1898, p. 93-96. 95

    Posies 98 Jules Maze, Posies de Stphane Mallarm (Edmond Deman,

    diteur Bruxelles), Revue de France, [1er juin] 1899, p. 247-248. 98

    II. Articles et Polmiques post mortem 99 Ernest La Jeunesse, Stphane Mallarm, Le Journal,

    10 septembre 1898. 99

    M. F. [Maxime Formont], Stphane Mallarm, Gil Blas, 10 septembre 1898. 101

    Le Masque de fer [mile Bergerat?], chos, Le Figaro, 10 septembre 1898. 102

    Anonyme, chos de Paris, Le Gaulois, 10 septembre 1898. 102

    J. Chardeuil, Notes sur Stphane Mallarm, Le Gaulois, 14 septembre 1898. 103

    Le Masque de fer, chos, Le Figaro, 11 septembre 1898. 106

    Anonyme, Le Prince des Potes, Le Temps, 11 septembre 1898. 107

    Henry Fouquier, Causerie, Le Temps, 15 septembre 1898. 109

    Pierre Lalo, Au jour le Jour / Stphane Mallarm, Le Journal des Dbats, 11 septembre 1898. 110

    Mort de Stphane Mallarm, LArt moderne, 11 septembre 1898, p. 296. 111

    Anonyme [Bernard Guinaudeau?], chos et Nouvelles / Stphane Mallarm, LAurore, 11 septembre1898. 112

    chos et Nouvelles / Mallarm et Zola, LAurore, 12 septembre 1898. 112

    Anonyme, chos, La Justice, 12 septembre 1898. 112

  • ix

    Table des matires

    chos et Nouvelles / Le Prince des Potes, LAurore, 113 15 septembre 1898.

    Georges Rodenbach, Stphane Mallarm, Le Figaro, 13 septembre 1898. 113

    Paul et Victor Marguerite, Stphane Mallarm, Lcho de Paris, 17 septembre 1898; Mercure de France, octobre1898, p. 250-253. 117

    Edmond Picard, Stphane Mallarm, LArt moderne, 18 septembre 1898, p. 299-301 [Un extrait de cet article parut dans Le Mercure de France, novembre 1898, p. 485]. 120

    Paul Adam, Stphane Mallarm, Le Journal, 19 septembre 1898. 123

    Anonyme, M. Stphane Mallarm, Le Parti national, 21 septembre 1898. 123

    Laurent Tailhade, A la gloire de Stphane Mallarm, LAurore, 30 septembre 1898. 125

    Henry Bauer, Chronique, Le Journal, 6 octobre 1898. 129

    Andr Hallays, Le Tombeau de Stphane Mallarm, Le Journal des Dbats, 7 octobre 1898. 130

    Arsne Alexandre, LEnterrement du symbolisme, Le Figaro, 11 octobre 1898. 132

    Albert Lantoine, Stphane Mallarm, LHumanit nouvelle, 15 octobre 1898, p. 464-468. 135

    Gustave Kahn, Stphane Mallarm, La Critique, 20 octobre 1898. 139

    Thade Natanson, Stphane Mallarm, / Mdaillon selon sa manire, Revue blanche, octobre 1898, p. 195-199. 139

    Georges Vanor, La Mmoire de Mallarm, Gil Blas, 19 novembre 1898. 143

    Le Prince des potes 145 Saint-Pol-Roux, Le Temps, 11 octobre 1898 145

    Adolphe Rett, Le Temps, 11 octobre 1898 146

    Charles Maurras, Le Temps, 19 octobre 1898 146

    Jean Moras, Le Temps, 19 octobre 1898 147

  • xMallarm devant ses contemporains

    Pierre Quillard, Le Temps, 21 octobre 1898 148

    Fernand Calmettes, Leconte de Lisle et ses amis, Librairies-Imprimeries Runies, s.d., p. 237-247. 148

  • 1IArticles parus du vivant du pote

    LAprs-midi dun fauneLeconte de Lisle semble avoir eu des remords pour avoir cart du Parnasse le chef-duvre de Mallarm, en dclarantde faon premptoire: Non. On se moquerait de nous. La lettre qui suit est reste trop peu connue. Voici un extrait dune lettre de Leconte de Lisle, en date du 23 aot 1875, propos du troisime volume du Parnasse contemporain (Bibliothque de lArsenal, Ms. 15096/121 e.s.).Caroline de Mulder la cite dans Leconte de Lisle entre utopie et rpublique, Rodopi, 2005, p. 372:

    Dierx se recueille et Mallarm est dsol que ses vers aient t exclus du Parnasse. Pourquoi diable ne les publie-t-on pas? Pensez-vous franchement que les platitudes inexprimables quon entassera dans ce misrable livre puissent tre dshonores par le voisinage de quelques vers insenss qui ne plairont ni ne dplairont personne, puisquils sont absolument incomprhensibles.

    Les Dieux antiquesIrving Putter, La Dernire Illusion de Leconte de Lisle, Genve: Droz, 1968, p. 105.

    Extrait dune lettre de Leconte de Lisle en date du 9 juin 1886: Je tadresserai demain par la poste une mythologie compare et complte, au courant de la science. Cest un excellent livre traduit de langlais et mis en ordre par mon ami, disciple et confrre Stphane Mallarm, qui nest fou que lorsquil crit en vers.

  • 2Mallarm devant ses contemporains

    Les Posies de Stphane MallarmQuelques mots sur Mallarm, LArt moderne, 30 octobre 1887, p. 346-347.

    Un ex libris de F. Rops se dresse au seuil des photo-lithographies du Manuscrit de Stphane Mallarm, tir 40 exemplaires. Ce Manuscrit contient toutes les posies dites du Matre, et quelques-unes indites.

    Cet ex libris: une Muse assise dans les nuages sur un sige dont le dossier figure un point dinterrogation nimb, dresse une lyre dont les cordes montent indfiniment. Deux mains bien vivantes et relles les font rsonner, tandis que dautres squelettes de doigts, impuissants et anxieux, volent inutilement autour, tchant eux aussi de les atteindre. Au bas, sur un socle, sentassent ple-mle des crnes de laurats et dacadmiciens. La Muse pose ses pieds dessus. Au bas encore, tout au bas, un macabre Pgase que chevauche un fantme de pote, se rue perdument ad astra.

    La signification du dessin est lmentaire: il indique linaccessibilit et le vertige de lart suprme et la quasi-impossibilit dy monter. Il est superbement excut.

    Pour luvre, cest en la lisant ainsi, la premire fois runie, groupe, dfinitive, quelle simpose avec toute sa musique de mtal et de pierre, avec toutes ses sorcelleries de mtier, avec toute sa raison philosophique et artistique. Elle est ordonne comme ces temples de luxe dor ancien, o des marbres vagues, combien nets de lignes pourtant, initieraient des arcanes sereins. Architecture simple et complexe la fois, des voiles de lumire obscure entre les colonnes, avec de claires broderies de diamant. Des tabernacles ferms dont la clef se trouve dans tel vers de sonnet. Toujours lessentiel des choses mont en ostensoir et dans lostensoir toujours au plus intime, lhostie. Lart de Mallarm blouit dabord, se comprend ensuite, sadmire indfiniment aprs.

    On nose plus le nier entre potes vrais et lon se sert mme de lui pour le jeter la tte de ceux qui montent: Mallarm, soit! cest entendu; mais les autres!

    Certes est-il peu compris. Heureusement, du reste: ainsi vite-t-il les profanations de lextrait et de la citation docte.

    On ne saura jamais assez louer sa merveilleuse expression toujours si adquate et si unique pour traduire le fond de sa sensation. Son verbe exprime plus que nimporte quoi et exprime totalement: couleur, son, got. Et sa prodigieuse varit et habilet de jeu! ici, les alexandrins plaqus en accords, solides comme des pidestaux, rangs comme des colonnes, souvent hauts et sveltes comme des tours, souvent dormants et illumins comme des lacs et des miroirs, souvent sculpts comme des meubles et plaqus de laques et dmaux; l, les huitains lgers comme plume, bruits de robe qui trane, dventail qui souvre, de lueur qui

  • 3Articles parus du vivant du pote

    chante, de perle qui tombe, de viole qui sapaise de sa dernire note donne. Le doigt de Mallarm est prodigieux de souplesse, deffleurement et de force. O Wagner!

    Dans ses pomes, chaque vers na certes pas un sens entier et indpendant, et lensemble nest point une juxtaposition dmiettements et de dtails: ce qui frappe cest le total lumineux et logique. Ses sonnets nclairent pas; ils clatent devant lesprit; ce sont des blocs fulgurants et cisels. Ils ont un sens rarement direct; souvent sont-ils une rveuse et symbolique vocation, une image grandiose faisant natre une pense hautaine. Tels: Mintroduire en ton histoire et Tout orgueil fume-t-il du soir. Souvent encore une vision pique ou statuale: Hommage Poe. Souvent aussi une psychologie dexistence, une morale: Le Pitre chti. Enfin une peinture de vrit sentimentale: Quelle soie aux baumes de temps.

    Ce qui simpose toujours: le hautain: et, si je puis dire, la leon qui se tire du pome. Car le gnie de Mallarm est foncirement philosophique; il est nourri de forte moelle; il est bti sur les spculations et les transcendances. Dans la prsente dition de ses uvres, il a, ici et l, greff une correction sur des strophes de dbut, en le seul but, croyons-nous, dunifier les convictions fondamentales exprimes par son uvre. Le mot Dieu est supprim et remplac soit par une invocation la Nature, soit par une prire potique. A tel vers, cest le Moi, qui rgne la place. Lordre prside donc, lordre et la raison, une raison la fois philosophique, esthtique et mathmatique. Lunit la plus nette en rsulte partout et aussi la mthode et voil pourquoi Mallarm est le plus grand gnie classique quon ait encore en France.

    Quel que soit linattendu de cette affirmation, nous la croyons juste et ce nest pas la technique, ni la construction, ni la linguistique de son vers qui nous dmentiront. Lui, plus que personne, a retremp la langue aux sources, plus que personne il crit logiquement! Ses mots sont solides, clairs, accepts presque toujours, ils vivent par eux-mmes comme les cellules du corps et vivant individuellement, ils vivent socialement ds quon les rapproche en pomes ou quon les unit en strophes. Ils ont de plus une expression de vie soudaine, inattendue, luxueuse, que seuls des doigts de prestidigitateur peuvent leur donner. Ils frissonnent dune cration lectrique et secrte. Leur ton est rare et splendide; leur son? pierres et mtaux et lumire mls. Do une potique sereine, forte, audacieuse, trange parfois, pntrante toujours. Non pas mlodique, mais harmonique, large, faite pour dire luniverselle beaut et grandeur.

    Nous citons ici, un des sonnets indits du recueil nouveau:[Le Pitre chti]

    Ce sonnet o santithtisent en mots appropris tant de crasse et de cristal et qui se spcifie par ce merveilleux Jinnovais mille spulcres dans londe et par ce sauvage cri

  • 4Mallarm devant ses contemporains

    Hilare or de cymbale et par cette trouvaille Rance nuit de la peau, se trouve dans le premier fascicule.

    Ldition entire est russie, originale, soigne, digne du premier pote actuel de France, quelle prsente aux raffins et aux dlicats.

    Nous nous proposons sous peu dapprofondir, ici, une tude sur le Matre.

    mile Verhaeren, La Posie, LArt moderne, 4 janvier 1891, p. 4-6.

    []

    Hugo mort, il a paru que la posie ft morte. Les Parnassiens purs tels que Leconte de Lisle et Jos de Heredia [sic] restaient dominateurs. Mais leur art navait en lui assez de sve pour renouveler les flores.

    A ct deux, quelquun jusqualors presque inconnu Stphane Mallarm, rgenta lattention. Et Verlaine, son contraire, surprit par ses formes nouvelles, par ses chansons complexes et simples et sa musique. Ils furent presque aussitt les vrais directeurs de la conscience esthtique.

    LArt moderne sest occup du premier plus longuement que du second. Nous avons constat lapport de neuf de ces deux grands potes; nous attardant trier leurs uvres tonnantes dimprvu et peut-tre dconcertantes, prime aspect.

    On se souvient du bruit que fit: Le Pitre chti.

    La pice avec ses raccourcis contracts violemment, avec ses images multiplies aux miroirs dune suite de salles polygonales, avec sa signification toujours au-del de sa littralit, troubla soudain. Occasion lettres nombreuses, demandes dexplication, surprise profonde. Certes, bien avant ce numro du 30 octobre 1887 le nom de Mallarm avait-il sonn aux oreilles des lecteurs. Quimporte, il apparut indit. Il devint ds cet instant synonyme de nouveaut.

    Et ctait bien l ce que cet unique et divin pote apportait. Les Parnassiens staient attachs faire dfinitif. Leurs vers travaills avec opinitret se proclamaient: parfaits grce leur attention donne la rime et la guerre aux chevilles. Ils firent surtout de la besogne prosodique. Ce mme souci de perfection sduit lauteur du Pitre chti. Mais au-del de la perfection de forme, il poursuit la perfection de lide.

    Seules, certaines ides le requirent. Lanecdote il nen veut pas. Son art, qui vise lessence en tout et ne considre le fait quen tant quillusion, dcouvre au fond des choses une signification spirituelle, quil dfinit en pomes. Il les veut exprimer impeccablement.

  • 5Articles parus du vivant du pote

    Chaque mot laisse transparatre et stale comme une vitre travers laquelle on voit les ides se mouvoir et sasseoir en matresses dans la maison. Pourquoi ne dirait-on pas quun sonnet de Mallarm est un palais tout en verrires glorieuses qui reoivent leur lumire non du dehors, mais du dedans? Art de symbole, certes, et art de synthse. Et dduisons de l quune telle conception de la posie entrane ncessairement une modification dans lexpression potique. Ceux qui donnent la vision directe des choses matrielles tels de Heredia, Leconte de Lisle, Coppe, Sully Prudhomme choisiront les mots les plus descriptifs. Celui qui peint lide, cest--dire ce qui ne se voit pas, lira le terme le plus vocatif. Tel Mallarm. Et cette vocation se fera subtilement, grce des sensations de mots choisis, grce la sorcellerie des images, grce des fulgurances de vers. Quon lise, avec cette prconception, Le Cygne, le Sonnet Wagner, le Don du pome.

    Le Pitre chti tait quasi indit quand LArt moderne le publia. Lors du passage de M. Mallarm Bruxelles nous emes la curiosit de linterroger sur le commentaire que nous en avions fait. Le pote trouva celui-ci exact, sauf une rflexion sur une incidente.

    Mallarm en plusieurs de nos articles occupe le rang des potes souverains. Nous avions imprim: Hugo, Poe, Baudelaire, Mallarm, rangeant par cette nomenclature, ce dernier et glorieux venu, au rang de ses vrais pairs. Sil nous est permis dinsister sur ce point nous constaterons, quau moment o cette justice lui tait rendue, les discussions les plus vives sentremlaient sur la question de savoir sil fallait voir autre chose quun fumiste dans cet crivain trs pur. Dites, qui donc, aujourdhui, si pas un imbcile, oserait soutenir que nous avions tort? Mallarm et Verlaine sont le pont double rampe, qui conduit de la posie parnassienne celle de cette heure. Au moins sont-ils la transition admise, car il serait injuste doublier Corbire et Rimbaud, plus nettement rvolutionnaires et certes aussi grands. Ceux-ci sont les sacrifis fatals, ceux que le public ignorera toujours, mais que, prcisment cause de cela, les artistes, je ne dis pas admireront, mais aimeront par-dessus tous. Rimbaud serait Verlaine, ce que Monticelli est Diaz.

    Cest en Corbire quil faut chercher les origines de Laforgue. De celui-ci LArt moderne a publi une centaine de lettres indites, trs explicites sur sa manire de travailler, sur le fond de ses penses do natront les vers de LHiver qui vient, des Dimanches et des Fleurs de bonne volont. Aussi deux posies, vierges, jusqualors, de toute typographie.

    Laforgue, certes, dentre les potes admis, est celui qui sonne dans ses pages le plus rcent rveillon littraire. Oh! ses adorables Moralits lgendaires, prose gale toute posie. Allant au-del de Verlaine et de Mallarm, il a inaugur le vers rythmique, dgag de prosodie, individuel, libre, jeune dune jeunesse insatiable. Mallarm, dune personnalit formelle assurment superbe, se raccroche pourtant aux rimes riches et noutrage aucune rgle traditionnelle foncire. Ses sonnets sont rguliers dans le sens

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    large du mot.

    Laforgue fait sauter tout justaucorps et dchire les robes emprisonnantes. Et sa pense plus vaguante, au large-aller des musiques infiniment complexes des formes, sexprime: unissant les contraires, appuyant sur les consonances significatives, assoupli et ondoyant comme une fume ou comme un nuage. Ce que Laforgue met en une mme pice, aucun pote prdcesseur ne ly saurait inclure, sans casser lunit de ton du pome. Les sesquipedalia verba sy cognent aux monosyllabes fluets et tout coup sveltes comme des i; labracadabrance y dtonne ct de certains alexandrins graves comme des papes tiars; les plus excessives audaces, bride abattue, y prennent le mors aux dents sans se casser les reins aux barrires fixes des csures et des rimes. Surtout le dernier volume rcemment paru.

    Cest lui surtout, le si personnel pote de LHiver qui vient, qui peut sapproprier ce prcepte de Verlaine:

    Que ton vers soit la bonne aventure,

    Sans rien en lui qui pse ou qui pose.

    Laforgue, tout autant que Mallarm, fut contest et ni. Nous avons reu des dsabonnements cause de la publication de ses lettres. On ne comprenait point quun journal dart, auquel on accordait quelque srieux, samust distraire ses lecteurs par ces phrases de collgien envoyes dAllemagne des gens non clbres.

    Et pourtant, cest en publiant et en dfendant de tels crits que nous avons cru affirmer cette phrase quil y a dix ans nous imprimions en programme:

    Cest la toute-puissante expansion de lart que nous voulons aider dans la mesure de nos forces. Nous ne prtendons pas le diriger, mais nous y soumettre, le suivre, le faire connatre dans chacune de ses manifestations et dans son besoin perptuel de cration et de renouvellement.

    []

    En ces luttes de dix contre mille, notre orgueil sest affirm dfendre les audacieux, et parmi les audacieux les tmraires. Temprament peut-tre, mais surtout conviction. La hte des articles cursifs ne nous a gure induit prner lart trop commodment assis, trop bien cal dans un fauteuil dogmatique cet art ft-il tout de perfection et dimpeccabilit. Le rgne des potes parfaits qui donc y croit absolument? A peine sont-ils morts, que les tares apparaissent dans leur uvre. Gautier, qui donc le confesserait encore avec la pieuse humilit de Baudelaire en sa ddicace des Fleurs du Mal. Et Baudelaire lui-mme, malgr tous les soins apports aux pomes, demeure-t-il indemne? Et Mallarm, dont nous constations tantt la miraculeuse puret artistique, dites, comme dj les regardeurs la loupe lui chicanent certains vers, picots de ngligences. Il nous semble que la posie de demain sera plus de

  • 7Articles parus du vivant du pote

    prime jet et de piaffante allure. De plus en plus, elle vtira lide de sa forme rudimentaire, celle qui ne sapprend dans aucun livre, dans aucune prosodie, celle qui ne se proclame point parfaite ds quelle observe toutes les rgles, celle qui nat avec elle, immdiate, dans chaque cerveau. Et si le mot perfection survit, on lappliquera la transcription adquate de cette venue initiale et toute vive de rythmes et de couleurs, tout coup.

    Peu importe la direction que la posie prenne: nous en clbrerons le fatal et triomphal changement, toujours. Le moulin, qui se repose sur sa butte, le soir, coute le vent de laurore prochaine.

    Pomes dEdgar Poemile Verhaeren, Les Pomes dEdgar Poe, traduits par Stph. Mallarm. Un vol., Bruxelles, Edmond Deman, diteur, LArt moderne, 5 aot 1888, p. 252-253.

    A prsent que les voici traduits les si purs pomes dEdgar Poe, ceux qui, tout en conservant pour sa personnalit gniale lexalte admiration ncessaire et juste, niaient cependant certains de ces [sic] contes, peuvent sexprimer, sans danger: les pomes se dressant aussi hauts que nimporte quelle posie. Avant, il ne sait, crainte de malentendu, dcrire toute notre pense.

    Nous croyons donc que la grande partie des histoires extraordinaires ne valent gure: limpression dhorreur, de crainte, dangoisse, de vertige, ntant produite que par des moyens secondaires et quelquefois par de mlodramatiques et purils effets. Un lecteur quelque peu expriment devine immdiatement la surprise de la fin du conte; sa crdulit enfantinement sollicite se rebiffe et, certes, lart de lcrivain a souvent les ailes trop troites pour nous emporter dans labsurde, perdument, travers tout. Il en rsulte une prompte fatigue et plus jamais une relecture. Exception toutefois pour La Chute de la maison Usher, pour Brnice, Morella, Ligia et Le Cur rvlateur. Quant aux Aventures de Gordon Pym! Une littrature de feuilleton.

    Les pomes, eux, sont comme dun autre homme. Ici, rien pour les faits, pour lhistoire, pour lanecdote, pour le calcul, pour lingniosit, pour lexactitude ou la possibilit ou la vraisemblance. Pas de dates, point de lieu daction, gure dindication de milieu. Nous sommes en pays lointain de rves et de chimres, cest--dire en dedans de nous, tout prs.

    Cette premire puration du contingent et de laccidentel faite, le pote trie galement les impressions communiquer. Certaines banalits mme de pense pure, certaines motions gnreuses, nobles, mais courantes, sont galement vites. Et le

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    sentiment lui-mme est distill: on nen conserve que lessence.

    Ainsi aboutit-on au rare et lintense et la plus intime spiritualit atteignable. Des tres immmoriaux de lge dune chimre et dun nom dharmonie, parfois de lgendaires personnages, mais si abstraits de leur sicle quils napparaissent plus que comme des types et des merveilles, traversent par les chemins de rythmes sinueux le paradis de cette posie. Ce sont plutt des anges que des femmes, et limpression garde deux est celle dune flamme triste, dune aile fragile, dun chant qui durerait dans lair. Ils nont quune figuration de corps, tout juste de quoi fournir le prtexte au pote de parler des dons exquis de leur me. Ils se meuvent impalpables, vtus de mots transparents et de phrases comme des plumes. La tristesse et la douleur, ainsi que des blasons spirituels, les titrent. Ils sont de la race des mlancoliques, la seule qui soit de vraie souche, la seule authentique.

    Le volume est divis en pomes, romances et vers dalbum; les scolies suivent.

    Les romances, dune venue moins solennelle et vtues parfois de grce et de prciosit, se caractrisent par leur courtesse et leur gomtrie de strophes prcises.

    Les scolies sont les complmentaires obligs du livre.

    On se pouvait demander si les Pomes de Poe taient traduisibles. Les histoires avec leurs phrases, la plupart sans au-del, nettes, sacharnant mme aux dtails de la description et de la narration, se dcalquaient tonnamment en franais. Baudelaire les avait transposes didiome, avec un tel bonheur quil nous est arriv dentendre affirmer par des polyglottes que la transposition excellait sur loriginal. Un lger doute, malgr tout, nous est rest. A priori, et mme au rebours de toute affirmation, quelle quen soit limpartialit, nous regimbons dadmettre un tel miracle. Dautant que ce compliment aurait dplu sans doute Baudelaire lui-mme.

    Il fallait toute la dlicatesse de langue, toute la souplesse dexpression, toute lexprience dart de Mallarm pour oser essayer de sen prendre aux Pomes. Certes, cest moins la secondaire proccupation de vulgariser, parmi les lecteurs parisiens, lart de Poe, que laffirmation dun solennel hommage. Lcrivain a prtendu honorer un matre assurment le plus admir, parce que le plus immdiatement moderne. Puis des thories littraires communes, des ides identiques, surtout une esthtique fraternelle.

    Alors, avec des soins infinis, des patiences de pur lettr, des pntrations dadepte, des labeurs et des enthousiasmes de fervent, pice par pice, vers par vers, la transmutation sest opre. a t un long et non interrompu travail. Et un succs!

    Ce qui attire et merveille avant tout, cest la spiritualit et la philosophie encloses en toutes ces pages. Le terme la fois le plus potique et le plus profond a t lu pour chaque me de strophe ou dalina traduire. On sen aperoit aisment si lon compare les

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    prsentes versions celles des mmes pomes donnes soit par Blmont, soit par Baudelaire. A comparer celles des Cloches et du Corbeau, par exemple.

    Puis une tonnante fidlit au rythme, la tournure, la marche mlodieuse des phrases. Encore le vocable unique, le seul, dcouvert presque toujours et si bien quil sen dgage non pas une vie de reflet, mais une vie nouvelle et comme personnelle.

    Ainsi simpose le prsent livre, dfinitif aussi quant son existence matrielle en une superbe et trs russie dition.

    Encore faut-il admirer le liminaire sonnet qui sera imprissablement grav dans la pierre des mmoires futures:

    [Le Tombeau dEdgar Poe]

    Iwan Gilkin, Chronique littraire, Les Pomes dEdgar Poe, traduits par Stphane Mallarm. Un beau volume in-8 avec fleuron et portrait, par Manet. Deman, diteur Bruxelles, La Jeune Belgique, septembre 1888, t. X, p. 329-330.

    Enfin, les voil traduits, ces incomparables pomes de lun des plus grands et plus purs gnies qui aient jamais enchant les curs des hommes! Et par une justice suprme du destin, qui fut si dur pour sa vie, comme sil avait voulu lennoblir par le supplice, ses merveilleux ouvrages ont trouv pour interprtes les plus hauts potes de la France. Aprs Baudelaire, qui traduisit ses contes surnaturels: Ligia, Morella, La Chute de la Maison Usher, mais qui recula devant la tche effrayante de transposer les pomes sublimes dEdgar Poe, la seule exception de ce prodige, Le Corbeau, voici que lartiste le plus noble et le plus subtil des lettres franaises, Stphane Mallarm, suscite, dans sa prose magique, la fluide et presque insaisissable musique de ces beaux vers.

    Avec un religieux scrupule, Stphane Mallarm a suivi note note la mlodie du texte original. Cest le pome amricain quil veut faire apparatre devant le lecteur, non les sortilges de son propre gnie. Aussi laissera-t-il, avec raison, dire que telle strophe et pu revtir plus deffet franais. Mais il ambitionnait de transporter dans sa traduction jusquaux concordances de mots, jusquaux rsonances harmoniques de syllabes; bref, toute la technique si savante du dtail qui, dans luvre dEdgar Poe, double la valeur des profondes penses.

    Sachons louer la ligne noblement majestueuse de la phrase, qui ondule en courbes dune royale puret, vierge de toute banalit non moins que prserve de toute infrieure contingence. En cela la forme vt exactement les svres penses. Car, miraculeuse rencontre avec lart de Mallarm, lart dEdgar Poe hait laccidentel et, vou la seule quintessence,

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    Mallarm devant ses contemporains

    sabstrait autant que le permettent les formes, hors du temps et de lespace. Toute ide, tout dveloppement, toute priptie sy ramne lessence potique en rpudiant le dtail trop concret, lactualit qui grimace. Selon le terme philosophique, les choses y apparaissent sous leur caractre dternit. De l lampleur hiratique de ces pomes cependant si courts et lencens de religion qui flotte sur ces vers mystrieux.

    Ces lignes, crites sans prtention de critique, mais comme un acte dadmiration respectueuse, ne trouveront nulle preuve plus lumineuse quune citation: TERRE DE SONGE.

    [Ce texte est cit en entier dans les uvres compltes (2003), t. II, p. 747-748]

    Albert Mockel, Pomes dEdgar Allan Poe, La Wallonie, t. III, (novembre 1888), p. 433-437.

    Le nom dEdgar Allan Poe si prcisment voque celui de Baudelaire que le nom si noblement gracile et fort de Stphane Mallarm, prs du sien, nest pas sans nous donner une trange impression de joyeuse surprise toujours nouvelle. Le magistral sonnet du Poe Mmorial et ce morne bloc aux lueurs noires dans je ne sais quelle atmosphre demi-rougetre et phosphorescente, le noir de la Maison Uscher [sic] ou du Corbeau sous un reflet de Ligea [sic] , ces vers marmorens nous donnent la transition dsire. Les Pomes de Poe sont aussi plus baigns de nuances diris ple, et dune subtilit plus suave que la plupart des histoires extraordinaires; et puis, surtout pour le lecteur franais, ces LL si mols et des voyelles pareilles compltent lapparence consanguine. Mais ce mot: EDGAR POE, brusquement convuls dun reploiement nerveux, plus trangement noir et dun autre monde, Edgar Poe na pas cette force nonchalante un peu, et dune srnit plus lointaine des ombres, oui cette gracile noblesse de Stphane Mallarm.

    Ce qui devait tenter le pote franais, dans luvre dEdgar Poe, cest, jimagine, surtout la philosophie ddaigneuse* et qui svade, et puis la cantilne threnne de quelques pages, ou les accords lugubres de syllabes qui scrasent comme en bavures de clameurs. Les uvres les plus philosophiques, Baudelaire nous les a donnes. A Stphane Mallarm plus qu tout autre se montraient le devoir et le pouvoir de traduire les musiques.

    Mais, avant danalyser luvre, il sied de donner ici le sonnet du Poe Mmorial,

    * Rappelez-vous le sonnet de Mallarm Le vierge, le vivace, ou Les Fentres, les sonnets de la Revue indpendante, et celui-ci: Quand lombre Et mme (duss-je mettre un paradoxe), ne devine-t-on pas quelque intellectuelle parent, et de tendances, entre lauteur IDALISTE de lAprs-midi dun faune, et lauteur de Morella, Ligea, Terre de songe? Nest-ce pas galement la cration dun monde idal? consciemment ou inconsciemment, un monde qui devient sensible.

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    Articles parus du vivant du pote

    puisque les harmonies du Pote franais nous apparaissent comme louverture ncessaire au drame quEdgar Poe rva.

    [Le Tombeau dEdgar Poe]

    Stphane Mallarm voulut donc transposer en franais les musiques parses dans les strophes anglaises: norme tait la difficult. Dabord laccentuation nest pas la mme dans les deux langues. La base du rythme de la langue franaise est liambe; la langue anglaise veut le contraire. Il y a donc une opposition complte dans lorientation des lignes. Et du reste, comme si liambe permettait plus de lenteur au nonchaloir du mot qui se repose sur la longue finale, tout lart franais reste plus doux, les angles cassants veulent sarrondir en courbes, plus prs de la volupt, plus loin du sec protestantisme; on pourrait dire, (avec un grain de paradoxe) que lart franais tient dans un fauteuil Louis XV.

    Pour lArt anglais, le symbole serait le triangle. Il y avait, en outre, un dur obstacle dans le ton. Examinez la diffrence de sonorit, davec les franaises, des syllabes anglaises les plus proches de notre langue. Qui pourra traduire en caractres latins la note grave, lgrement enrhume, des a durs en anglais? et le mot count, ces ou que nos lettres ow ne rendent qu peu prs! Et ces difficults sont les moindres. Saisissez la nuance qui distingue pour les voyelles, count de now, though de no, et, pour les finales, fortune de motion. Et je ne parle ni du th, ni des syllabes en ng que notre prononciation du mot gong ne peut que laisser entrevoir, ni des a lourds de call ou de hall, ni des muettes noyes, ni des h quon aspire avec force, ni de ce petit sifflement doux, un peu de hautbois, qui pourrait faire dire, en parlant des Anglais et des Amricains surtout: Ils gazouillent du nez.

    Il tait impossible Stphane Mallarm de prendre, pour sa traduction, la mme tonique, la mme dominante quEdgar Poe. Il y avait donc tout un travail prparatoire pour trouver, avec une pntration prcise et une subtile finesse doue, le ton franais, la gamme syllabique dans laquelle il fallait transposer. Or, les tons musicaux diffrent des tons de la langue parle en ce que ceux-ci sont dfectifs et trs dissemblables entre eux. La traduction ntait donc plus une juxtaposition de sons et dides, ctait lartiste harmonisation des mots de notre langue pour donner une impression densemble analogue celle quavait voulue Edgar Poe. Stphane Mallarm a d choisir dabord le ton qui, en franais, sait le mieux voquer cet indcis fluide ou sombre, Hlne ou Ulalume quaffectionne Edgar Poe; puis, fondre toutes les syllabes franaises dans une relation adquate la relation des anglaises. Il fallait scruter le rapport de telle flexion avec telle autre, noter telle progression dans lharmonie du pote anglais, et reproduire, dans le pome franais, non pas toujours la mme progression, mais une modulation qui aboutit pour nous au mme effet.

    Et tant mieux, certes! Lorsque M. Wilder traduit un pome dramatique de Wagner

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    Mallarm devant ses contemporains

    et juxtapose la musique des syllabes franaises, en comptant les fortes et les faibles, il fait trs grandpeine un travail douvrier. Mais Stphane Mallarm, par lartiste intelligence des rapports harmoniques qui unissent les Ides aux musiques formelles, Stphane Mallarm a fait uvre dArt.

    En cherchant, en reproduisant les inexprimables influences et contre-influences rciproques des syllabes, en maintenant le rapport harmonique de ces influences aux influences des ides entre elles, Stphane Mallarm a fait grande uvre dArt, uvre synthtique de musicien et de Pote.

    Il ne nous sied pas de louer en dtails le travail du traducteur; que les curieux lisent et comparent, texte contre texte, que les esprits mesquins sindignent dun trop peu littral, parfois. Nous voulons, nous, admirer en toute joie luvre du pote; nous laisserons pourtant passer un seul regret, celui de voir telle place isole, au lieu de lharmonie qui voque, des traces de mlodie imitative, alors si loin des pures musiques pour lEsprit!

    Mais ce dplaisir est si rare, et noy dans la glorieuse symphonie de tant dadmirables pages! Il faudrait dire limprvu haut suggestif de ces vocables dcisifs et dune ampleur dfinitive, ces mots pointes barbeles qui parsment les STANCES A HLENE, Le Corbeau, la Terre de songe, Eulalie, Israfel, la Cit en la mer, Un Rve dans un Rve, quelquun du Paradis, et ULALUME.

    Ces pices requirent souverainement vers Stphane Mallarm leffort de notre attention, notre attention tonne subtilement, et qui admire.

    Pagesmile Verhaeren, Pages par Stphane Mallarm, Bruxelles, Edmond Deman, LArt moderne, 17 mai, 1891, p. 158-159.

    Sous ce mot en grisaille: Pages, inscrit sur une couverture dun gris glac, lditeur Deman publie un clatant volume dart. Le signataire? Stphane Mallarm.

    Si luvre actuellement dite navait, outre des manires de pomes en prose, englob telles notes de haute critique, certes, croyons-nous, le titre primitif: Tiroir de laque, et t maintenu. Il tait plus explicite, plus coquet, mais lgrement troit. Lauteur a prfr moins de prcision et plus dtendue.

    Les premires proses, ici maintenues, datent de 1865; les dernires viennent de

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    Articles parus du vivant du pote

    paratre dans La Jeune Belgique. Celles-l taient: La Pipe et Pauvre enfant ple; celles-ci: La Dclaration foraine, Rminiscence, etc.

    Des tapes intermdiaires il faut tenir compte: elles expliquent le lent mais sr perfectionnement de la langue mallarmenne. Dans La Pipe, le Frisson dhiver, la Plainte dautomne, peut-tre parce que laccidentel et le menu fait sy dploient encore au premier plan, les phrases sont rgulirement droules selon le mode presque gnral dexpression. Une forme certes artiste, mais par un grand nombre dcrivains usite et rendue populaire, ne leur donne point ce caractre presque hermtique obtenu plus tard. Mallarm na point encore crit:

    Un dsir indniable mon temps est de sparer comme en vue dattributions diffrentes le double tat de la parole, brut ou immdiat ici, l essentiel. Certes cette vrit sapplique-t-elle aux vers surtout. Pourtant au degr de synthse et dalchimie transcendante auquel lauteur lve son dire crit, pourquoi ne la point tendre au prsent travail.

    Il est certain que Le Nnuphar blanc, La Gloire et La Dclaration foraine tranchent comme blanc sur noir davec les premires pages. Cet art le plus parfait et le dernier conu et voulu tel apparat oraculaire. Et le style en est ramass, concentr et repli, comme si chaque mot tait un morceau lui seul digne dtre un ensemble.

    Jai souvent song, en lisant Pages, ces miroirs placs les uns en face des autres et qui, au bout de leur avenue de clarts, rpercutent certes la mme image toujours, mais combien diffrente en chacune de leurs cloisons transparentes. De mme les phrases approfondies de Mallarm. Chacune reflte la donne une, ide ou sentiment, de lensemble, mais diffremment et la concentrant et comme la suant vers un dernier foyer, l-bas. La mthode de dveloppement, la plus curieuse, saffirme en ce livre: emblmatique. Non seulement le dcor, lattitude des choses, les comparaisons mises, latmosphre dilue au cours de lcrit mettent en relief le motif, mais bien souvent le moyen sen va bien au-del des correspondances.

    Comment en effet qualifier?

    je souhaitais de parler avec un mme trop vacillant pour figurer parmi sa race, qui rentrait en soi, sous laspect dune tartine de fromage mou, dj la neige des cimes, le lys ou autre blancheur constitutive dailes au-dedans

    Le mot emblme nest-il pas ici plus de saison que symbole? Au reste, ce dernier qui, pour nous, est rsultat dentente gnrale bien plus que souci dune littrature, nous le trouvons pour linstant tellement lard dinterprtations imbciles quil nous rpugne de lemployer et aussi de le discuter. Les gazettes lont sali et les tambourineurs de programmes

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    Mallarm devant ses contemporains

    et de manifestes compltement aveuli.

    Le torturant vouloir de perfection explique la raret des uvres mallarmennes. Leffort non seulement sacharne sur la forme mais encore sur lide. Donner la notion fondamentale des choses en sa profondeur travers laccidentel et le quotidien nest quune consquence de cette tendance desprit crire dfinitif. Voir travers lapparence la leon divine, en un mot: lordre, apparat chaque page. Cest cette vue lmentaire, qui isole tel spectateur parmi tous ses contemporains et lui donne un trne alors que dautres nont quun fauteuil dorchestre. Il a pu dire:

    Je me levai comme tout le monde, pour aller respirer au dehors, tonn de navoir pas senti, cette fois encore, le mme genre dimpression que mes semblables, mais serein: car ma faon de voir, aprs tout, avait t suprieure et mme la vraie. Pour arriver produire lessentiel et lunique, comprend-on combien ncessairement il fallait quun mariage spcial intervnt entre la langue et la pense, mariage strict, concis, fondamental. Et ce mariage, ds quil eut lieu et que ses liens se resserraient et se ressrent [sic] encore de jour en jour, aperoit-on que la prtendue obscurit ntait que le mystre et pour ainsi dire la pudeur de ces belles noces dart merveilleux. Ce dfaut reproch ntait quune barrire leve pour les prserver de la foule, avec laquelle elles ne descendaient point en contact, mais il na jamais exist infranchissable la vue et lescalade des vrais artistes sympathiques. Pour eux tout au contraire Mallarm se dresse clair et mme aveuglant de lueurs sur le fond dart contemporain. Tel sonnet et tel pome en prose ont une flamme intrieure qui les claire par le dedans en chacun de leurs angles.

    Il conviendrait danalyser daprs ces prmisses divers pomes de Pages. Cest impossible. Mais insistons sur quelques extraits. Voici une description de couchant. Y saisira-t-on que par quelle magie de termes et de rythme? limpression qui sen dgage forte, bien au-del dun soir particulier, de tel soir; et slargit jusqu traduire la dbcle dun dernier coucher de jour.

    Un ciel ple, sur le monde qui finit de dcrpitude, va peut-tre partir avec les nuages: les lambeaux de la pourpre use des couchants dteignent dans une rivire dormant lhorizon submerg de rayons et deau. Les arbres sennuient, et, sous leur feuillage blanchi (de la poussire du temps, plutt que celle des chemins), monte la maison en toile du Montreur de choses passes.

    De mme, voici un fait-divers surlev la puissance dune vrit gnrale et totale: [Un Spectacle interrompu: le long paragraphe central]

    De mme encore cette phrase qui est la constatation par Mallarm lui-mme de sa

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    Articles parus du vivant du pote

    facult magnifique: A quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant, si ce nest pour quen mane, sans la gne dun proche ou concret rappel, la notion pure?

    Je dis: une fleur! et, hors de loubli o ma voix relgue aucun contour, en tant que quelque chose dautre que les calices sus, musicalement se lve, ide mme et suave, labsente de tous bouquets.

    Ces exemples et combien dautres au long des pages illustrent la spciale manire de concevoir les choses, que profre ce grand crivain que le prsent livre glorifie et que lditeur a lui aussi voulu reconnatre par le soin typographique de lexcution.

    Henri de Rgnier, Pages, par Stphane Mallarm. Deman, La Wallonie, t. VI (1890-1891) p. 338-341.

    Lexistence enfin, chez un diteur, Deman, dun volume o se trouvent runies et coordonnes en des conditions satisfaisantes de soin typographique, les Pages que M. Stphane Mallarm crivit et l, selon quelque humeur de rverie ou quelque occasion dactualit, permet de dbarrasser le demi-rayon de bibliothque quelles occupaient des revues encombrantes et multicolores longtemps et pieusement conserves parce quelles contenaient quelques-uns des fragments dont lensemble compose le tome qui a pris leur place.

    En feuilletant les Pages de M. Stphane Mallarm (car tout homme au courant des belles lettres franaises et qui nest pas un Moliriste exclusif ou un Stendhalomane se les remmore plutt quil ne sy initie), on y rencontre le don unique et charmant de ce grand artiste qui, l, sans le secours du vers, en une prose sinueuse la fois et scintillante, y montre partout ladmirable preuve quil a, lui, des faons de penser et de dire neuves, inattendues et distinctives.

    Si, parfois, comme dans les premiers pomes en prose Frisson dhiver ou Plainte dautomne, on remarque une imperceptible hantise de Baudelaire vite modifie selon un mode original, on constate bientt la perfection incomparable dun Phnomne futur, ou un tour inusit donn quelque thme similaire de ceux o se plat la mlancolie baudelairienne comme dans La Pipe quon est en prsence dun esprit plus fraternel que filial du modle gal et, aussitt aprs, Le Spectacle interrompu semble nous avertir quon nous introduit une manire de voir qui sera celle choisie par le Pote pour considrer les faits de son rve et interprter les aspects de sa vie: telle promenade fluviale avec Le Nnufar blanc, telle aventure foraine avec la Dclaration ou telle rencontre avec LEcclsiastique.

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    Mallarm devant ses contemporains

    Maintenant, lcrivain sautorise de la faon de voir quil sest reconnue, contradictoire de celle du commun, et, selon la loi de bonne foi intrieure qui lui ordonne dtre ainsi, il autonomise sa pense. La vision prparatoire ou incomplte quil eut du monde se rforme [sic] et il sy en substitue une autre, la vraie.

    De cet tat desprit hautain et le seul qui convienne, nous voyons dans ces Pages de rapides mais significatifs indices qui sont comme les marginalia de quelque uvre vaste et ordonne quelles supposent et annoncent et dont le secret et la mthode transparaissent, et l, un peu partout et plus quailleurs peut-tre dans les Crayonns au thtre, en de brves esquisses thoriques ou explicatives du sens des mimiques ou des danses et de ladaptation possible de la scne de nobles jeux.

    L, au contact de choses contemporaines, cette lucidit suprieure qui est le signe distinctif de M. Mallarm se nuance dironie en sappliquant dconcerter lhypocrisie des apparences.

    Outre lintrt dlicat et vari de tout cela, il en est un autre complmentaire ltude de ce livre.

    La manire dcrire de M. Stphane Mallarm sy rvle tout entire avec son curieux travail de langue et de syntaxe, son accent parfois glacial et bref, ailleurs insinuant et incantatoire, avec le raccord trange et juste de termes lointains juxtaposs, car chacun sy distingue en la puret de son sens, allis, car ils sunifient dans la trame de la phrase.

    Ce style a un mouvement trs particulier, nullement oratoire, parl plutt et mme mim. Il reprsente les objets avec quelque chose dinterpos, comme au travers dun cristal qui les isole de tout contact et de toute bue.

    La phrase a je ne sais quoi de fragile en ses armatures dlicates et flexibles, glives et cassantes. Quelquefois, au contraire, elle se rtracte en de trs extraordinaires effets de recul; les mots y sont comme en retrait en de lau-del des profondeurs mentales sur les confins vaincus de lIneffable.

    Ce style singulier et sduisant dconcertera par sa logique mme et par sa particularit dviter la locution toute faite. Il a soin de disjoindre les mots que des habitudes antrieures ont souds et ne les emploie que purifis et prts se reprendre par des contacts nouveaux.

    Longtemps cette manire dcrire sembla lapanage de celui qui linventa. Ce faux point de vue qui est de considrer comme exceptionnel ce qui tait simplement le rsultat dune clairvoyante ordonnance de savant crivain tend se perdre et il sy substitue enfin la constatation que ce style est de grande beaut et de fcond enseignement. Ce qui fut regard comme insolite et dune hardiesse justifie par une incomparable habilet, tour de

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    Articles parus du vivant du pote

    force dune hautaine et singulire intelligence, gagne de jour en jour la familiarit de certains esprits dsireux dune langue moins emphatique et colorie que celle du grand Flaubert, moins trpidante que celle de Goncourt et sans les peu prs grossiers dun Zola.

    Ils ont reconnu que ctait en M. Mallarm que stait faite la jonction de la tradition du XVIIIe sicle avec lacquis potique de la rforme Chateaubriandesque. Ils ont trouv l lexemple dun langage nonciatif, elliptique et complexe avec toutes les lgances et les nuances dsirables et lont suivi en laccommodant leurs vises.

    Je sais telle page judicieuse et instructive de La Femme-Enfant de M. Mends qui se filie aux techniques mallarmennes et certains traits de LExorcise, ce livre irritant, captieux et original de M. Paul Hervieu, rappelleraient le tour propre lauteur du Nnufar blanc et des dlicats et solides chefs-duvre qui ont prtext ces lignes.

    Albert Arnay, Chronique littraire, Pages par Stphane Mallarm, eau-forte de Renoir. Bruxelles, chez E. Deman, La Jeune Belgique, juillet 1891, p. 282-284.

    Savourer une uvre de M. Stphane Mallarm, sous la lampe amie, devant la croise dclose par une belle soire invitant rver vers quelque toile, cest, pensons-nous, prouver une des plus pures joies de ces temps dchus o il nest plus dden.

    Cette faveur fut ntre la lecture de Pages quune dition rcente de M. E. Deman sut revtir de la splendeur discrte qui seyait. Si scind dailleurs quil paraisse, cet in-8 constitue un tout merveilleux, o se retrouve, vaste et haute, la conception idaliste de la vie caractrisant les posies du Matre. Mais ces dernires offrent le fruit dune spculation suprieure sans en rvler les phases; tandis que le prsent ouvrage suit fidlement la marche de lesprit slevant de lapparente ralit au seul rel symbole, et on pourrait le considrer comme lauthentique gense de luvre mallarmen. Son auteur semble du reste en prciser lui-mme la porte lorsquil regrette (Un Spectacle interrompu) labsence dun journal qui remarque les vnements sous le jour propre au rve. Ces Pages se vouent videmment combler cette lacune et voil pourquoi elles cartent avec tant de rigueur les piments de limagination. Souvent ce sont des vnements presque courants, devant lesquels la foule oublie toute aptitude penser, que nous trouvons ici, mais lintellect qui les observe en fait jaillir une lumire blouissante comme jaillit dun caillou, sous une main experte, leau dun diamant. Aux yeux de M. Mallarm les moindres faits reposent sur quelque universelle entente, et tout atome peut renfermer pour un temps lunivers. Nul plus que lui na dml les fils secrets par quoi les choses correspondent entre elles, et nul na montr aussi srement ces mystrieuses relations. Nous tenons, vrai dire, sa puissance de suggestion pour incomparable et la plaons,

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    Mallarm devant ses contemporains

    en littrature, jusquau-dessus de celle dEdgar Poe. Chez M. Mallarm cette suggestion efflue dans la srnit delle-mme; chez Poe, au contraire, comme chez dautres crivains dexception, elle se rpand davantage et sestompe frquemment dune inquitude en quelque sorte externe.

    Ajoutons que de toutes les crations de M. Mallarm il nen est pas o son intime personnalit se reflte avec autant de nettet que dans ses pomes en prose suprieurs en beaut, tel le constatait nagure M. Vittorio Pica, aux petits modles de Charles Baudelaire. Au cours des feuillets dont nous parlons, M. Mallarm apparat non seulement ce premier point sapplique galement certaines notes de critique comme un familier des suprmes volupts de lesprit, mais encore comme un sensitif extraordinaire en qui les plus nobles motions du cur spanouissent avec magnificence. A une poque o, suivant le mot dOctave Pirmez, la plupart des curs sont sans culture, cette particularit mrite dtre signale chez un tel pote, un des premiers, certes, de ce sicle et de tous les sicles.

    Du style des Pages, quelques mots sont dire, quoique personne nignore que la langue de M. Mallarm est absolument neuve, absolument personnelle. A premire vue, il semblerait que la forme affecte ici des tours diffrents, que la Plainte dautomne, par exemple, se module sur un autre ton que La Dclaration foraine; mais il serait aussi inexact de le soutenir que de sparer, dans luvre de Wagner, Lohengrin de Tristan et Isolde. Ce qui distingue ce dernier drame et fait quon ne le peut oublier quand on la entendu, tait latent dans les premires lignes que signa le matre de Bayreuth. Wagner pressentit demble sa voie, parce que cest le privilge du gnie de ne pas se fourvoyer, et ce privilge chut pareillement M. Mallarm. Une autre comparaison est du reste permise entre le musicien et le pote savoir: quils eurent un unique vouloir, celui de ramener lart ses sources. Pour nen parler quainsi, la musique de Wagner, exempte des fioritures dont se bourrent les compositions de bastage, note les sensations avec la totale spontanit, avec lunanimit pntrante quelles ont toujours au moment o lme les cre devant la vie et cest ce que ralise M. Mallarm en restreignant la course des ides, en raccourcissant la surface des images. Tous deux restituent donc, lun aux sons, lautre aux mots, leur caractre natal et de l provient le charme nonpareil que suscitent leurs uvres. Orientes au ple originel des choses, ces uvres font vibrer en notre tre cela mme quy subsiste dternel et le caractre nous est rvl de cette vibration. Il nest pas possible, daprs nous, daller plus loin; et nous croyons que M. Stphane Mallarm a ouvert, en mme temps que Richard Wagner, une des ultimes Thuls de la pense humaine.

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    Articles parus du vivant du pote

    Arnold Goffin, Stphane Mallarm / Notes Cursives, La Socit nouvelle, 30 aot 1891, p. 135-147.

    Ce fbrile et souvent gnial esprit, ce puissant artisan de synthses, ce mconnu de Philarte Chasles, traait au cours dune nerveuse tude sur les crivains du Bas-Empire, ces lignes, hypophtiques presque:

    La philosophie radotait. La posie ne songeait quaux vaines recherches du rhythme. La critique tait vague, sans corps et sans principes On louait un pote quand il tait bon ouvrier de versification, lorsque les hendcasyllabes coulaient bien, que les hexamtres bruissaient agrablement, lorsque le second vers du distique lgiaque rimait avec le premier, au moyen de lanadiplosis; toutes ces niaiseries avaient des noms propres

    Lamour du paysage saisit toujours les nations vieillies. On attache alors une extrme importance aux formes, aux sons, tout ce qui est extrieur. Le genre purement descriptif dominait lloquence; chacun voulait dcrire les paysages, les prs, les champs, la mer, les maisons, les intrieurs. La littrature sabmait dans le pittoresque []

    M. Stphane Mallarm publiait rcemment un volume de prose: Pages, dont nous dtachons ce fragment:

    La fte de et je ne sais quel rendez-vous suburbain! nomma lenfant voiture dans mes distractions, la voix claire daucun ennui; jobis et fis arrter.

    Sans compensation cette secousse quun besoin dexplication figurative plausible pour mes esprits, comme symtriquement sordonnent des verres dillumination peu peu clairs en guirlandes et attributs, je dcidai, la solitude manque, de menfoncer mme avec bravoure en ce dchanement exprs et hassable de tout ce que javais nagures fui dans une gracieuse compagnie: prte et ne tmoignant de surprise la modification dans notre programme, du bras ingnu elle sen repose sur moi, tandis que nous allons parcourir, les yeux sur lenfilade, lalle dahurissement qui divise en cho du mme tapage les foires et permet la foule dy renfermer pour un temps lunivers. Subsquemment aux assauts dun mdiocre dvergondage en vue de quoi que ce soit qui dtourne notre stagnation amuse par le crpuscule, au fond, bizarre et pourpre, nous retint lgal de la nue incendiaire un humain spectacle, poignant: renie du chssis peinturlur ou de linscription en capitales une baraque, apparemment vide.

    A qui ce matelas dcousu pour improviser ici, comme les voiles dans tous les temps et les temples, larcane! appartnt, sa frquentation durant le jene navait pas chez son possesseur excit avant quil le droult comme le gonfalon despoirs en liesse, lhallucination dune merveille montrer (que linanit de son famlique cauchemar); et pourtant, m par le caractre frrial dexception la misre quotidienne quun pr, quand linstitue le

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    Mallarm devant ses contemporains

    mot mystrieux de fte, tient des souliers nombreux y pitinant (en raison de cela poind aux profondeurs des vtements quelque unique vellit du dur sou sortir seule fin de se dpenser), lui aussi! nimporte qui de tout dnu sauf de la notion quil y avait lieu pour tre un des lus, sinon de vendre, de faire voir, mais quoi, avait cd la convocation du bienfaisant rendez-vous. (uvres compltes, t. II, p. 94-95).

    Lalbum comporte une centaine de ces Pages; on sort de leur lecture, abasourdi, courbatur, avec lintense impression davoir longtemps, ttons, err parmi des caveaux hermtiques et marcageux; lirrfrnable envie de respirer, enfin, vous saisit et avec le remords de lavoir, un jour, mconnu! vous relisez pleins poumons! Racine, pour vous attester que lair libre existe encore, quelque part, et la Lumire et la Vie! Personne, cependant, ne senhardit moduler le coup de sifflet, lancer le mot fatidique qui ferait, dun coup, seffondrer et svanouir ces pitoyables fallaces; une collusoire admiration rgne, croirait-on, et comme une tacite consigne.

    M. Mallarm a du gnie, on le proclame; du talent, cest notre avis, et une infinie rudition; mais irrit, on en vient supposer que cest un gnie goguenard, un talent fumiste, et quil sautorise de son omniscience pour insinuer de froides mystifications compasses, la fantaisie recuite et chinoise de quelque jovial pdagogue, ses contemporains. Conjecture toute gratuite, sans alternative, mais o lexaspration grandissante vous amne: navr de naviguer, quoiquil en et, dans le sillage de Baudelaire, reconnaissant son impuissance saffranchir de la prpondrante philosophie des Fleurs du Mal, M. Mallarm aurait-il de dpit dsespr, obissant aux scrupules pointilleux dune conscience dlicate jusqu la minutie, bris le beau miroir qui lui renvoyait une effigie trop baudelairienne, son gr?

    Ses dbuts, en effet, se signalrent par une veine de haute et saine inspiration, ces trs impeccables pomes qui se titrent Les Fentres, Brise marine, Soupir, Hrodiade, A celle qui est tranquille, LAzur, Tristesse dt, dune profonde originalit, mais qui peuvent, sans offense, tre rattachs au cycle baudelairien.

    Une srie de sonnets suivit, plus tard, inaugurale de sa seconde incarnation, splendides de lignes et de contours, et que, hormis quelques rticences, nous admirons encore. Ceci ressort, vrai dire, une espce de matrialisme lyrique! Certains adeptes y discernent du mysticisme! sous lunique prtexte, probablement, de leur obscurit! On tenterait de dfinir lartiste: un rpertoire intelligent et actif de sensations et de comparaisons. Mais les premires, fines, compliques, brises, ne valent que par la vigueur crbrale qui les confronte; elles alimentent et fcondent lintellect: elles constituent, en rsum, la trame de luvre parfaite, le canevas, dont M. Mallarm, lui, propose lenvers notre applaudissement!

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    Articles parus du vivant du pote

    Sans nous attarder, donc, linformulable thorie des correspondances, sujette de premptoires objections, puisque tout artiste digne de ce titre, possde en lui des chanes de sensations coordonnes, de similitudes et danalogies incessamment varies, modifies par tout et par des riens subtils, impondrables, au total, arbitraires et complexes, irrductibles des lois, le puril dune esthtique savre, qui, pour nous communiquer, selon une glose de M. Teodor de Wyzewa, la notion dun vase sur une console, tarabiscote cet amphigourique sonnet:

    [Surgi de la croupe et du bond]

    Vraiment, ce but, atteint mme, rcupre-t-il un tel effort de disloque? et le lecteur, le patient ayant consenti sy soumettre, son tour, ne conserve-t-il pas le droit de sourire?

    Et voici la vexante dception qui vous guette! Ces vers, de toute faon, vous dsappointent, soit quils vous restent inexpugnables, soit que vous parveniez leur adapter une exgse! Dpenser ses loisirs rsoudre de tels logogriphes, cest se livrer un oiseux parfilage, que lon reconnat peu rmunrateur, trop tard! Trs certainement le second avatar de M. Mallarm lui a t nfaste; tout ce quil lui a inspir ne vaut pas les trois vers initials de Brise marine:

    La chair est triste, hlas! et jai lu tous les livres! Fuir! l-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres Dtre parmi lcume inconnue et les cieux!

    Mais, quand mme! on ignore quelle ondoyante beaut indcise chatoie dans le dessein imprcis que lon devine, le choix et lappariage des mots, linsaisissable musurgie des longues et des brves, des douces et des sifflantes, les allitrations et le jeu des assonances, qui explique et lgitime la sduction de ces pomes; alliciance, on en conviendra, toute sensuelle, son, parfum, couleur, transpositions dides nomades et de souvenirs pour M. Mallarm, sans aucun doute, mais, quen dehors dune divination suprahumaine, le lecteur, la plupart du temps, choue extraire de la gangue manire o le pote jaloux les laisse.

    Chose topique, pour sanalyser le plaisir jamais plus que physique, prouv, il faut recourir des images, aussi, une sorte de pathos idographique! La raison est exclue de ces ftes et la conscience. Cest, approximes, la dlectation tactile dun moelleux brocart, dune toffe paisse ou soyeuse, visuelle, de teintes chromatiques, auditive, dun fugitif et hasardeux accord trs riche Le symbole, nous figurions-nous, doit tre une espce de suggestif raccourci, labrviation vocative, la concrtion colore et vivante de sries dides ou de faits. Conu ainsi, on en chercherait vainement la trace chez M. Mallarm, moins dattribuer une capacit symbolique, une prpotence propre aux syllabes! aux vocables

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    Mallarm devant ses contemporains

    en eux-mmes, abstraction faite de leur valeur terminologique et syntaxique. Le symbole rsiderait, pour lui, dans les mots, matriellement envisags, dans le timbre sourd ou clair de leurs voyelles et de leurs consonnes et la polychromie quil en dduit! M. Mallarm destitue le lexique de ce quil appelle sa fonction de numraire facile et reprsentatif, lui enlve ce par quoi il existe, ce quil renferme dhumanit, afin, dit-il, de lui faire retrouver sa virtualit!

    Le vers, enseigne-t-il, qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf dans une neuve atmosphre.

    [uvres compltes, t. II, p. 213]

    Faire des vers, pour une critique judicieuse quoique un peu troite, cest enserrer sa pense en lignes laconiques, rhythmes, selon des rgles, en se contraignant une mesure, des rimes

    Innover en ces limites est loisible; mais si lon abolit la cadence, et le mtre et la rime et la concision? Laforgue (antrieurement aux Complaintes, on aime le croire!) interroge au sujet de certaines pices de Corbire: Pourquoi ncrit-il pas cela en prose? Gnralement, M. Mallarm conserve la coupe classique; lvolution sachvera par ses disciples, probablement.

    Le rle du verbe est purement rflexe; du moins, telle parat sa mission organique. M. Mallarm prtend lui en imposer violemment une autre, contradictoire sa nature et absurde.

    Les mots sont des signes de convention, la monnaie des changes intellectuels; mais si lcrivain infirme cette valeur usuelle, notoire, leur en attribue une autre, selon son bon plaisir, de lui seul connue et quil ddaigne [de] mettre porte de son bnvole lecteur? Si, non content de ces falsifications, il les amalgame et les combine dune manire trangre toute assimilable logique? en des vers ou de la prose qui ncessitent lobligeant arbitrage de commentateurs polonais ou de scoliastes juifs?

    La vraie Beaut, constate Edgar Poe, emporte sa propre dmonstration.

    La Posie jouit de maintes prrogatives qui, jusqu un certain point, peuvent dguiser son ventuelle indigence, au regard des superficiels: Un hidalgo famlique, sans chaussures, arrogant et dont les guenilles conserveraient une certaine allure, cheval! Mais la Prose, assure-t-on, chemine pied

    Rien ne survit, donc, dans les Pages de M. Mallarm, de lattrait mystrieux, des charmes prosodiques, extrinsques toute clart, dont savantagent ses vers. Nulle eurythmie, aucune tonalit sensible: un vide laborieux et quintessenci: Le creux nant musicien sans musique! Les mailles, pniblement enchevtres de ces phrases (si lon saventure les dsigner ainsi) aux apparences occultes, retiennent bien leur illusoire secret.

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    Articles parus du vivant du pote

    Sans injustice, on comparerait quelquefois le pote son prtre vain qui endosse un nant dinsignes pour cependant officier. Seulement, cest une messe blanche quil nous convie!

    Combien pourtant, de courts passages qui luisent comme les blouissants et magnifiques clairs dun trs pur gnie, et dune langue ample, prcise, virile font regretter lincomparable prosateur que M. Mallarm ne veut pas, ne veut plus tre!

    A loccasion de Vathek, il cite superbement la fracheur de scnes, naturelles jusquau malaise et voici, extraites de ses notes crayonnes au thtre, un paragraphe:

    [La scne est le foyer point de sceau. (uvres compltes, t. II, p. 181)]

    Et, enfin, il faut citer ce prestigieux pome, dans son intgrale noblesse:

    [Le Phnomne futur]

    Nous voudrions clore cet article ici, quitter le lecteur aprs cette page extraordinaire. Mais comment se refuser lironique joie de cette constatation?: Cest la plausible punition du Pote, pour stre mconnu lui-mme, avoir dilapid et mchamment obscurci son lucide talent, que ses fanatiques, dont lacclamation se proportionne inversement lvidence, auxquels la nbulosit semble une des distinctives et essentielles conditions de la Beaut, comparant, avec leur discrtion clairvoyante de juvniles thurifraires, leur auteur Richard Wagner!! et classant les uvres de ce dernier, selon une doctrine que nous ne discuterons pas, assimilent, pour M. Mallarm, Le Phnomne futur et les pages contemporaines, ce quont t, au regard du dfinitif concept wagnrien, le Tannhuser et Lohengrin! Do il appert que la Prose pour des Esseintes et La Dclaration foraine, par exemple, en poursuivant le parallle, quivalent, la maturit entire, labsolu, dsormais imperfectible, de Parsifal et de Tristan!

    On nous le notifie, au surplus, M. Mallarm a atteint, ds lors, lultima Thule de sa propre pense et, naturel corollaire, de la pense humaine! Souvent, on se sera demand si vraiment, M. Mallarm pensait, si ses conceptions se crbraient, en ralit, selon un mode, une forme aussi insolites.

    Les lettres, les conversations de J.-K. Huysmans ont lexact pittoresque, laccent personnel, les trs reconnaissables particularits de sa littrature. Pour M. Mallarm il nen va pas de mme. On dirait que, ses ides formules, transcrites daprs une pertinace ordonnance, il singnie raturer, surcharger, contorsionner son style, supprimer les liaisons, noyer les incidentes. Il contrarie, de toutes ses forces, le dveloppement normal de ses imaginations, svertue dfigurer leur profil authentique, le couvrir de brouillard et dombre. Ce marquetage aprs coup dflore, piteusement, le dlice de linspiration passionne; saccage tout le primesautier, fane lexquise spontanit de la sensation saignante et neuve. Un

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    Mallarm devant ses contemporains

    symboliste dune certaine envergure, Honor de Balzac, a serti dans ses tudes philosophiques, cet imprieux et tragique diadme qui couronne et nimbe dtincelles fulgurales et de flammes La Comdie humaine, un svre diamant noir: Le Chef-d uvre inconnu.

    Personne naura oubli lhallucinant Frenhofer, ce peintre hypnotis, envot par la fantastique vision sublime, par la hantise de son inaccessible rve et dont la main possde empte, la longue, sa toile, sous les retouches perptuelles que la relative imperfection du tableau primordial, au conspect de la virtualit, lui inspire.

    Eh bien! si lon parcourt les deux versions suivantes du pome en prose LOrphelin, la conviction ne simposera-t-elle point que M. Mallarm est victime dun pareil et malheureux sortilge?

    [uvres compltes, t. I, p. 445-446 & t. II, p. 92-93]

    Ces corrections infliges des proses, dfinitives quoique oublies, ont quelque chose de douloureux et de presque macabre! On peroit les repentirs dun Pygmalion maniaque, son remords davoir anim une imparfaite Galathe, la frnsie froide du dur artiste rectifiant, dun ciseau inflexible, sa statue, sa crature, sur le vif! Sans grande malice, on caractriserait la seconde preuve aprs la lettre puisque la lettre tue!

    De telles investigations sont instructives et dvoilent singulirement les arcanes et les coulisses de cet art*.

    Il consiste simplement liminer toute la partie souple et mallable de la phrase, amputer lidiome de ses articulations, de ses nerfs et de ses muscles. Sans armature, amorphe, ce franais, priv de ce qui lanime et le vivifie, se ptrifie et se fige. Raide et guind, cest en ce sens quon le qualifierait volontiers de lapidaire! chaque vocable existe gostement, a un sort indpendant!

    Dliquescente! voil lquitable pithte appliquer cette prose sans atmosphre, sans cadre ni horizon, cette prose mascule pour atteindre une concision qui, tant donn ce que, le plus souvent, elle a charge de vhiculer, est encore trop prolixe!

    Conclure? comment et quoi bon, dailleurs? Diverses hypothses se suggrent: M. Mallarm a une rancune invtre et inextinguible pour sa langue maternelle! Ou a-t-il inaugur cette criture misologique par quelque hautaine et prominante raillerie? serait-ce la mprisante expression du transcendant ddain, du comprhensible dgot final dun altissime esprit pour la Forme et le Nombre, et la Science vaine?

    * Rapprocher aussi la leon du sonnet reproduit par Paul Verlaine dans les Hommes daujourdhui, de celle de ldition autographe. De bonne foi, on aurait peine se reprsenter M. Mallarm, prenant, lexemple du bon Mathurin Rgnier, les vers la pipe!

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    Articles parus du vivant du pote

    Ou encore, une longuement labore et prmdite mystification? Mais, outre que la plaisanterie apparatrait assez fade et la gloire, alatoire, de berner des gens qui, au demeurant, finiront par ntre gure plus morts quils nont vcu la premire, la plus regrettable, et, bientt, lunique dupe ne serait-ce pas M. Mallarm?

    En rsum, quelque opinion que lon professe sur lefficacit de sa technique, et si lon croit que Rimbaud, Corbire, Laforgue lgitimrent leur indiscipline par la ncessit, forgrent linstrument quil leur fallait, on se convainc, puisquils illustrrent des conceptions strictement subjectives, troitement idiosyncrasiques, quils furent de sve infertile, sans descendance possible.

    Tout artiste est exceptionnel, mais ceux-ci plus que quiconque; ce furent des instinctifs, des impulsifs mme, nativement excentriques et hors de page. M. Mallarm, dont on veut faire un chef dcole, sest plac dans des conditions exactement identiques. Redon, en ce cas, et jusqu Lautramont auraient droit tre proclams chefs dcoles! Les Chants de Maldoror peuvent peine tre considrs comme une uvre dart.

    Dans sa dualit, celle de M. Mallarm a la funeste semblance, exerce les mortels prestiges dune de ces dits de la fable antique, striles, au buste adorable termin en queue de poisson! Et la noble desse Kirk nous ordonne de fuir le chant et la prairie des divines Seirnes.

    On doit donc lexprimer ouvertement, malgr un grand respect pour ce trs haut et sincre pote, linitiative prise par M. Mallarm deviendra anarchique et mauvaise. Denfantins proslytes, dont il nest pas responsable, Dieu merci! lenthousiasme ignorant et la sottise infatue lui font cortge et triomphe. Pourquoi faut-il quau milieu de ces caudataires ngligeables se soient gars, attirs par ce quils ont cru dcouvrir dans cet art et queux-mmes y mettaient, quelques fiers et gnreux artistes?

    LEnqute de Jules HuretAlbert Giraud, lEnqute sur lvolution littraire, La Socit nouvelle, 30 septembre 1891, p. 258-265.

    A lire les tranges rponses faites M. Huret par les symbolistes, il semble que les potes du Parnasse contemporain aient form une cole rigide, avec des rgles de fer et une esthtique dordonnance. Les jeunes rimeurs daujourdhui et de demain parlent des canons du Parnasse comme lapprenti David de la terrible discipline des Matres-Chanteurs. crivains et critiques sont daccord sur un axiome : les Parnassiens ont enferm la Posie dans des rgles trop troites. Ils ont tu la spontanit et la passion. M. Henry Fouquier le dit M.

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    Mallarm devant ses contemporains

    Philippe Gille ; M. Paul Verlaine approuve, et M. Stphane Mallarm lui-mme dplore limpeccabilit et limpassibilit parnassiennes.

    Il semble que la cause soit entendue. Malheureusement, laccord est trop unanime pour ne pas reposer sur une quivoque, et, tranchons le mot, sur une erreur. En art, on na jamais raison avec tout le monde.

    O donc ont t formules ces rgles particulires lcole parnassienne? Qui donc a crit son Art potique? Et quels sont ces canons dont on nous parle avec tant de mpris et dhorreur?

    Feuilletez les revues parnassiennes fondes par M. Catulle Mends et ses amis. [] Ni M. Leconte de Lisle, ni M. Catulle Mends, ni M. Jos-Maria de Heredia, ni M. Lon Dierx, ni M. Franois Coppe, ni M. Sully Prudhomme, ni cette poque MM. Verlaine et Mallarm, ne promulguaient la moindre lgislation potique. Ce fut beaucoup plus tard que lauteur de Jadis et Nagure et lauteur de LAprs-midi dun faune rvlrent la jeunesse certains procds littraires trs personnels, et que Thodore de Banville codifia dans son Petit Trait, non pas, comme on laffirme la lgre, les canons de lesthtique parnassienne, mais les rgles de la posie franaise elle-mme, depuis lpoque de formation jusqu la priode dpanouissement, depuis Ronsard jusqu Baudelaire. Vous ne trouverez donc, dans les revues qui signalrent laurore du Parnasse contemporain, au moment des luttes acharnes, aucune trace de critique ni denseignement. Tout au plus dcouvrirez-vous quelques sorties violentes contre les derniers et les dplorables lves de Lamartine, de Musset et de Murger, contre les tristes prosateurs en vers qui suivaient MM. Augier et Ponsard. Et les potes du Parnasse employaient contre ces pnibles rimeurs les mmes arguments que les romantiques, en 1830, dcochaient aux derniers imitateurs de Campistron. Comme le romantisme, le Parnasse fut une raction, non pas dune cole potique contre une autre cole potique, mais de la Posie elle-mme contre de mchants crivains qui la dshonoraient. Et beaucoup plus rservs que les romantiques, qui ne dtestaient pas les prfaces et les proclamations retentissantes, les Parnassiens se contentrent de rpondre aux Campistron du temps par de nobles pomes dune beaut parfaite, vivants aujourdhui dans toutes les mmoires, et dignes des louanges que leur dcernrent les beaux potes de la seconde gnration romantique, Charles Baudelaire et Thodore de Banville.

    Reste laccusation dimpassibilit. On ne saura jamais do elle vient, ni le nom de celui qui la lance. Tant mieux pour lui, car cest une des plus lourdes et des plus compromettantes sottises de cette fin de sicle.

    []

    [] Quant au principe potique lui-mme, il rside dans la cration de nouveaux symboles. Lart suprme voque les choses et les tres sans les dcrire ni les nommer. Je

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    Articles parus du vivant du pote

    crois, dit M. Stphane Mallarm, que les jeunes sont plus prs de lidal potique que les Parnassiens [] par une srie de dchiffrements (uvres Compltes, t. II, p. 699-700).

    [] Je pourrais aussi dmontrer que tous les potes sont symbolistes. Jaime mieux prendre le terme dans le sens historique le plus actuel, et men servir pour dsigner le groupe de potes qui se sont rvls depuis1880 jusquaujourdhui.

    A leur tte se trouvent deux crivains dont les noms sont devenus jumeaux, M. Stphane Mallarm et M. Paul Verlaine. Ils sont jumeaux comme tocle et Polynice, et leurs pomes se donnaient dj force coups de pied dans Le Parnasse contemporain de M. Alphonse Lemerre.

    M. Stphane Mallarm est non seulement un pote parnassien, mais il est, dans son uvre rime, une sorte daboutissement suprme du Parnasse, un aboutissement que les Parnassiens navaient pas prvu. De tous les Parnassiens, M. Stphane Mallarm est assurment, au sens le plus absurde du mot, le plus impassible. Lhumanit de lcrivain, chez lui, disparat et sefface derrire des vocations impersonnelles. Il crit des rves qui ne sont ni ses rves, ni les miens, ni les vtres, mais qui sont un lambeau du rve universel. M. Stphane Mallarm est un panthiste idaliste, et sa conception du monde lui vient de cette philosophie allemande dont les racines plongent, travers les sicles, jusquaux vieilles doctrines dAthnes, dle et dAlexandrie.

    Les splendides nuages de la pense grecque, pousss par un vent capricieux vers le ciel brumeux dAllemagne, M. Stphane Mallarm les a saisis dans leur vol et les a sculpts. Il a sculpt, oui, sculpt ces ides ariennes et il les a enfermes, sous un triple sceau, dans le tombeau dune forme rigide et solennelle, dont ltrange beaut sera une des nigmes qui obsderont lavenir. Cest ici quapparat la dualit du pote. Le penseur quil est repense les deux ou trois grands lieux communs hypothtiques que la philosophie ancienne a lgus lhglianisme allemand. Mais le pote, n Byzance, dans cette Byzance des Byzance qui se compose un art de lagonie et du mlange de tous les arts, le pote, qui pousse la religion du Mot jusquaux plus scrupuleuses pratiques, de la superstition verbale, enfouit sa pense dans des strophes mystrieuses, dun raccourci dconcertant, o le manirisme le plus subtil sallie des vigueurs dun jet admirablement classique. De l lobscurit relative de ses pomes, o les mots semblent vivre parfois dune sorte de vie goste, dune espce de beaut indpendante qui se suffit. En cela M. Stphane Mallarm est lexagrateur du Parnasse, dont il ne se spare ni par ses ides, parentes de celles que M. Leconte de Lisle a exprimes dans ses grands pomes, ni par sa forme plastique, respectueuse des moindres rgles de la posie traditionnelle. Nul plus que lui nest soucieux du plain-chant grgorien du vers, nul plus que lui nest un fanatique de la rime opulente. Il reste fidle lalexandrin, quil rpugne briser, mme laide des csures admises. Et si ses pomes renferment des symboles, ces

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    Mallarm devant ses contemporains

    symboles ne diffrent que par quelques dtails dvocation, propres lartiste, des symboles contenus dans certains sonnets de Grard de Nerval et de Baudelaire.

    Si M. Stphane Mallarm na rien dun Parnassien rvolt, il nen est pas de mme de M. Paul Verlaine.

    M. Stphane Mal