Management & Sciences Sociales_Revue No 2_2006

Embed Size (px)

Citation preview

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    Revue scientifique semestrielle

    N 2 - 2006

  • @ L'HARMATTAN, 2006

    5-7, rue de l'cole-Polytechnique; 75005 Paris

    L'HARMATTAN, ITALIAs.r.l.Via Degli Artisti 15 ; 10124 Torino

    L'HARMATTAN HONGRIEKOnyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 ; 1053 Budapest

    L'HARMATTAN BURKINA FASO1200 logements villa 96 ; 12B2260 ; Ouagadougou 12

    ESPACE L'HARMATTAN KINSHASAFacult des Sciences Sociales, Politiques et Administratives

    BP243, KIN XI ; Universit de Kinshasa - RDC

    http://www.librairieharmattan.comdiffusion.harmattan @wanadoo.fr

    harmattanl @wanadoo.fr

    ISBN: 2-296-01820-3BAN: 9782296018204

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    MANAGEMENT&SCIENCES SOCIALES

    2 - 2006Revue scientifique semestrielle

    *

    DOSSIER

    BANQUES:THIQUE ET RESPONSABILIT

    SOCIALE

    *

    ENTRETIENS

    *

    ARTICLES

    L'Harmattan

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    Rdaction

    Rdacteur en chef: Luc MARCOUniversitParis 13- Histoirede lapensemanagriale*

    Rdacteur en chef adjoint: Robert NOUMENUniversitd'Orlans- Sciences de gestion*

    Conseiller ditorial: Yann HERNOTUniversit Paris 13 - Infonnation et Communication

    Comit scientifique

    Hien BUI QUANG, Charg de cours Paris 13 - management*Didier CUMNAL, ISC Paris et ESCEM Tours - organisation

    Arezki DAHMANI, Universit Paris 13 - mondialisation des firmes*Gilles DARCY, Universit Paris 13 - droit public

    Armand DHRY, ESG Paris - finance de marchRobert TIEN, Universit Paris 13 - droit public

    Philippe FONTAINE, ENS Cachan - histoire de la pense conomiqueXavier GALIGUE, Universit d'Orlans - conomie d'entreprise

    Sylvain GOLLIARD, Professionnel- dveloppement durableAlain GONZALEZ, Universit Paris 13 - management

    Bernard GUILLON, Universit de Pau - gestion de l'environnementEmile-Michel HERNANDEZ, Universit de Reims - entrepreneuriatJean-Pierre MATHIEU, AUDENCIA Nantes - marketing et design*

    Bertrand MAXIMIN, Universit Paris 5 - conomie du travailMehana MOUHON, Barreau de Rouen - droit priv

    Martine MOULE, Universit de Reims - GRHElisabeth NOL-HUREAUX, Universit Paris 13 - ducation

    Catherine PUGELLIER, Universit du Havre - droit socialGalle REDON, Universit Paris 3 - sociologie

    Emmanuel TCHEMENI, Universit Paris 13 - finance*Daniel VERBA, Universit Paris 13 - sociologie

    ta

    Membre du Centre de Recherche en Gestion et Management (CREGEM).

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    SOMMAIRE

    DOSSIER: Banques, thique et responsabilit sociale

    Andre de SERRES et Michel ROUX, thique etresponsabilit sociale des banques: aux confins du juridique. . . . 5

    Diane GIRARD et Allison MARCHILDON, Banques,thique et RSE : vers une perte de lgitimit? . . . . . . . . . . . . . . . 9

    Georges GLOUKOVlEZOFF, La responsabilit sociale desbanques au dfi de l'exclusion bancaire des particuliers. . . . . . . . . 33

    Inmaculada BUENDiA MARTiNEZ et BenotTREMBLAY, La responsabilit sociale des institutionsfinancires canadiennes: un survol de la communicationselon le contexte rglementaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

    Andre DE SERRES, Corinne GENDRON, LovasoaRAMBOARISATA, tude des pratiques des banquesCanadiennes en matire de divulgation d'information sur leurresponsabilit sociale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

    Emmanuel S. DARANKOUM, La lutte contre la corruptioninternationale des agents publics trangers: au-del de la normejuridique? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101

    Michel CAPRON, Les normes comptables internationales,instruments du capitalisme financier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

    Michel ROUX, thique et banques coopratives: les occasionsmanques de la sphre financire mutualiste franaise. . . . . . . . . 131

    Yves SGUIN,Comment inciter les banques assumer uneplus grande responsabilit sociale ?. ....

    149

    3

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    Andre de SERRES et Michel ROUX, Responsabilitjuridique versus sociale et environnementale : les enjeux de la

    Igestion des risques thiques des banques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .153

    ENTRETIENS

    Pierre BOURDIEU, Entretien avec Yann Hemot. . . . . . . . . . . . . 163

    Florence BELLIVIER, Interview par Luc Marco. . . . . . . . .. . . . . 173

    ARTICLES

    Eric MARLIRE, Changement, incertitude et transitionscuritaire : vers un nouveau management de la questionsociale? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

    Yann HERNOT, Signes des temps, vingt ans aprs. . . . . . . . . . 195

    Philip MONDOLFO, L'animation des territoires, un nouvelenjeu pour les dpartements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211

    Elisabeth NOL-HUREAUX, Prsentation d'unecommunaut de pratique soignante l'hpital. . . . . . . . . . . . . . . . . 225

    Jean-Pierre MATHIEU et Michel LE RAY, Universalitdans les formes et marketing design: application aux imagespublicitaires et aux produits. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235

    Livres slectionns par la rdaction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257

    Conseils aux auteurs. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259

    Bulletin d'abonnement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260

    *

    4

  • ,Ethique et responsabilit sociale desbanques: aux confins du juridique

    Prsentation 1

    Andre de SERRES & Michel ROUX

    Ce dossier prsente une slection des actes du conoque tenu en juin 2006 au Canada surla gestion et le respect de l'thique au sein des institutions financires. Les thmesvisaient aborder les problmatiques thiques actuelles dans les fonctions et les rles degestion ainsi qu' proposer des actions aux gestionnaires concerns. Cette rencontrescientifique runissait la fois des universitaires, des reprsentants d'institutionsfinancires, des lgislateurs, des membres d'organismes de contrle et de rglemen-tation, des fonctionnaires gouvernementaux, des acteurs d'ON G, des juristes, et desdoctorants invits prsenter leurs travaux de recherche.

    Entre perte de confiance et prise de conscience, les implications de laresponsabilit sociale sont souvent peu comprises par les banques, tanten termes de risques que de cration de valeur potentielle. La questionest alors celle de la lgitimit des banques et plus gnralement de lasphre financire dans la mise en place de processus relevant del'thique, de la responsabilit sociale et du dveloppement durable, quisont fondamentalement compatibles avec la recherche de rentabilit. Cesprocessus sont-ils le fait d'un type de banque en particulier? Peut-onvraiment concilier la rentabilit des banques, l'thique et la RSE(Responsabilit Sociale des Entreprises) ?

    Les ateliers abordaient les thmes suivants:

    . Qu'est-ce que l'tl1iquepour une banque? (Animation, Bernard Grand,IAE Aix Marseille)

    t Dossier de prsentation des principaux actes du colloque thique et responsabilit socialedes banques: aux conflOs de leur rC5ponaabilit juddk}uc qui s'est droul, le 16 mai 2006, l'Universit Mac Gill, Montral. Ce colloque est l'origine de la cration d'une nouvelle quipe derecherche Franco-Qubcoise, le GlREF (Groupe Interdisciplinaire de Recherche en EthiqueFinancire), son site Inten1et peut tre facilement consult l'adresse lectronique suivante:www.gireuqam.ca

    5

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    .Pratiques volontaires ou obliges et rle incitatif de l'tat (Aninlation,Michel Roux, Universit Paris 13) ;

    . Contrler les effets des drapages thiques sur la valeur et la rputatiol1d'une institution financire (Animation par Michel Capron, UniversitParis 8) ;

    La RSE: levier de management stratgique pour l'innovation et hlcration de valeur bancaire? (animation par R. Couturier, ESG/UQAM)

    M. Seguin, ancien Ministre des finances du Qubec et Professeur invitau Dpartement des Sciences Comptables de l'ESG/UQAM, assurait laconfrence de clture sur le thme: Conunent inciter les banques ilassumer une plus grande responsabilit sociale? .

    Dans le premier atelier consacr au caractre thique (

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    Poursuivant sur le rle incitatif de l'tat, dans le deuxime atelier, Laresponsabilit sociale des banques; pratiques volontaires ou obliges? ,A. de Serres, C. Gendron et L. Ramboarisata (ESGjUQAM) ontprsent les rsultats d'une recherche sur ces pratiques innovatrices enmatire de responsabilit sociale et l'valuation de cette responsabilitpar les banques canadiennes. Le discours de celles-ci est tudi l'aided'une mthodologie qualitative et sur la base des bilans sociaux produitspar les six plus grandes banques canadiennes pour les annes 2002-2003.Les rsultats s'avrent surprenants et particulirement rvlateurs. Aprsune premire approche de la perception de la RSE par les banquescanadiennes, I. Buendia Martinez, chercheuse au Centre d'tudesDesjardins en Gestion des Coopratives de Services au HEC deMontral, prolonge la prsentation prcdente en soulignant ladynamique engendre par le cadre lgal canadien et ce deux niveauxfonctionnels: la communication de la firme bancaire et la promotion dela RSE. Dans les ateliers suivants, on soulignera le fait que des statutsbancaires juridiquement diffrents peuvent privilgier l'une de ces deuxfonctionnalits.

    Le troisime atelier prsentait des travaux sur le contrle des drapagesthiques dans les activits financires. Entre performance et normesjuridiques, E. Darankoum, de l'Universit de Montral, considre que lacorruption rsulte de la mauvaise gouvemance et de la judiciarisation despratiques bancaires. Les campagnes de lutte contre la corruptiondemeurent infructueuses, car la justice actuelle est inadapte. D'o lancessit de rforme fonde sur une nouvelle justice sociale, l'uti/itapublica, ainsi que sur la bonne gouvemance des marchs qui permettrontla consolidation de nouvelles valeurs partages. Dans la prsentation deses travaux, (( La lutte contre la CorruptionInternationaledes Agents Publicstrangers: au-delde la NormeJuridique?) E. S. Darankoum propose unnouvel clairage philosophico-politique.

    Le dernier atelier, La RSE constitue-t-elle un levier de managementstratgique pour l'innovation et la cration de valeur pour les banques ,soulignera qu'avant tOllt, laRSE doit rsoudre, poUt s'imposer, uncertain nombre de difficults, relevant des normes et des statuts,affectant la gouvernance des institutions financires. Michel Capron, desUniversits Paris 8 et Paris 12, voque, dans (( Les normes comptables

    7

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    internationales, instruments du capitalisme financier , l'assujettissement auxnouvelles nonnes comptables qui rend encore plus problmatique quepar le pass la ralisation d'un bilan socialement responsable. Il rappelleque la comptabilit n'est pas neutre, mais au contraire la fois vecteur etreflet de la socit travers ses principes et ses conventions. Outre lesproccupations de transparence, M. Capron s'interroge sur les nouveauxrisques de manipulation sous-tendus par les normes lAS /IFRS. De SOlIct, Michel Roux, de l'Universit Paris 13, met en vidence certainsparadoxes inhrents aux statuts juridiques des banques franaises. Danssa prsentation, thiques et banques coopratives: les occasions manques , ils'interroge sur la capacit des banques coopratives franaises conserver leurs avantages en matire de responsabilit sociale, confron-tes au marketing et la concurrence exacerbe.

    Le colloque s'achve par l'intervention remarque de M. Seguin, ancienMinistre des finances du Qubec, sur le rle social des banquescanadiennes au regard de la puissance qu'elles ont acquise dans lefinancement des entreprises, le courtage et le offshore. Leur insolenteprosprit les autorise-t-elle amplifier les innovations et lesparticipations aux confins de la lgalit juridique et fiscale?

    *

    8

  • Banques, thique et RSE :vers une perte de lgitimit?Diane GIRARD & Allison MARCHILDON

    Charges d'enseignement, HEC Montral

    Les grandes institutions bancaires canadiennes multiplient, depuisplusieurs annes, leurs initiatives et leurs engagements publics enversl'thique et la responsabilit sociale. Ainsi, elles se sont progressivementdotes, depuis les annes 80, de codes de conduite visant rgir lecomportement de leurs employs ainsi qu' maintenir la confiance dupublic, essentielle la poursuite de leurs activits. Elles ont galement misen place des sessions de formation concernant le code de conduite, desmcanismes de dnonciation des manquements au code ainsi quel'obligation, pour les employs, de signer annuellement une attestationcertifiant qu'ils ont pris connaissance du code et de l'obligation de s'yconformer (EthicScan, 2004a; EthicScan 2004b). Elles souscrivent parailleurs divers engagements volontaires prconiss par l'Association desbanquiers canadiens concernant les relations avec la clientle, et traitantprincipalement de la clart et de la vracit des renseignements fournis etdes mcanismes de traitement des plaintes1.

    Quant leur responsabilit sociale, les grandes banques sont rsolumententres dans la vague de la RSE et du reporting en matire sociale etenvironnementale, tel point qu'elles constituaient en 2005 le secteurd'activit qui produisait le plus grand nombre de rapports de RSE et dedveloppement durable au Canada2 (Stratos, 2005, p. 13). En termes dequalit, les rapports du secteur des institutions financires se classaientaussi de faon forte respectable, occupant la 2e place parmi tous les secteursd'activit conomique canadiens (Stratos, 2005, p.14)3. Les banques sontaussi reconnues comme tant socialement et cologiquementresponsables par de nombreux organismes d'valuation. S'a~issant duCanada par exemple, le magazine Corporate Knights a dcern le titre de

    1 http://www.cba.ca2 Soit 21 rapports sur un total de 114, toutes industries confondues (Stratos, 2005, p. 8).3 C'est cependant davantage la qualit de ces rapports en matire de divulgation de laperformance fmancire et de la contribution conomique qui est reconnue. En ce qui concernela reddition de comptes quant la performance sociale, les banques se distinguent beaucoupmoins (5 sur 10 secteurs d'activit au Canada), et en matire de performance e nviron-

    l.~ celles ci tranent carrment la patte (9 sur 10 secteurs d'activit au Canada) (Stratos,

    9

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    meilleure entreprise citoyenne au Canada en 2005 au Groupe financierBMO (BMO), alors que le Groupe financier ID (ID), la Banque lmprial,~de Commerce du Canada (ClBC), la Banque Nationale du Canada (BN) l,~Groupe fmancier RBC (RBC) et la Banque Scotia (BNS) suivent respecti-vement aux ge, 10e, lSe, 16e et 20e ranK sur 50 du mme classement~".Ajoutons que plusieurs institutions financires font partie d'indices boursier$regroupant les entreprises publiques values en fonction de critres sociaux,environnementaux et thiques5.

    Ces documents et classements se veulent rassurants face la nlfianci~grandissante des investisseurs, des consommateurs et du grand public nord-amricain envers les grandes orKanisations prives en Knral et les institutionsfinancires en particulier. Or, malgr ces marques de reconnaissance eten dpit de tous les documents produits et efforts apparemmentconsentis par les Krandes banques canadiennes en matire d'thique et deresponsabilit sociale et environnementale, les critiques publiques leurKard abondent. Celles-ci sont notamment formules par des groupes etinstitutions d'investissement thique et/ou responsable, des reKt0upementsde petits investisseurs, des fonds de pension, des associations de consom-mateurs ou encore des universitaires, qui multiplient actions et dnonciation:spubliques au sujet d'enjeux relatifs aux pratiques des banques. De plus, nombrede reportages, d'articles et d'ouvrages portant des titres aussi explicitementpolmiques que Requins. L'insoutenablevoracitdesbanquiers6,ont rcemment tpublis. Toutes ces critiques, de mme que le rle jou par certaines banquesdans le scandale Enran, o elles furent accuses d'avoir sciemment participaux dissimulations f111ancires (Cori, 2005), tmoignent d'un cart importantentre leur discours, leur comportement et les attentes sociales qu'elle;)suscitent.

    4 http://www.corporateknights.ca/content/pagc.asp?name=bestSO_2005_list. Consult le 28 mai2006. Pour la mme anne, le Globe Investor attribue lui aussi un score de performance sociale etenvironnementale fort respectable aux grandes banques canadienneshttp://www.globeinvestor.com/servlet/ ArticleNcws/ story /GAM/200S0225/R03PG65; Sur lascne internationale, RBC ftgure mme parmi les 100 compagnies les plus durables au monde en2006 selon Corporate Knights et Innovest Strategic Value Advisors http://www.global100.org/5 Les 6 grandes banques canadiennes figurent toutes parmi les 60 entreprises du Jantzi SOCi2JIndex http://www.jantzisocialindex.comlind(~.a$p?tuJctJn;1&level_2;6. Consult le 28 m~j2006. De plus, selon leurs rapports respectifs, CIBC et RBC ftgurent galement sur le Dow JonesSustainability World Index (Etats-Unis), alors que RBC et BMO figurent parmi les 100entreprises composant le FTSE4 Good Global Index.6 LANGLOIS, Richard, Requins. L'insoutenable voracit des banquiers, prface d'YvesMichaud, VLBditeur, Montral, 1998,204 p.

    10

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    Les attentes sociales: une question de lgitimit

    II semble donc exister un cart de crdibilit (EthicScan, 2004a, p. 56) quirode la confiance du public l'gard des grandes banques canadiennes, ce quipeut inquiter puisque cette confiance est au cur du maintien de leurlgitimit sociale et la poursuite de leurs affaires. L'exprience dmontre biencomment une perte brutale de lgitimit dans un secteur o cette ressourceest un lment primordial de survie peut entraner jusqu' la disparition d'uneentreprise (Beaulieu & Pasquero, 2004, p. 135). Or, la lgitimit sociale d'uneentreprise lui est accorde par ses diverses parties prenantes et cette lgitimitne peut tre maintenue que dans la mesure o l'organisation est perue parces dernires comme ayant un comportement conforme aux valeurs socialesenvironnantes (Beaulieu & Pasquero, 2004, p. 128).

    C'est donc dire que la lgitimit sociale des banques est tributaire de leur priseen compte des attentes de la socit leur gard, tant en matire d'thiqueque de responsabilit sociale. En matire d'thique des affaires, cela se traduitpar la dmonstration, par les banques, qu'elles se soucient des intrts d'autrui , et non simplement de ceux de leurs dirigeants, de leur organisation etde leurs actionnaires. Cette proccupation pour autrui est d'ailleurs reconnue,sous une forme ou une autre, dans la majorit des grands courantsphilosophiques en matire d'thique. On la retrouve par exemple dansl'impratif kantien, o l'tre humain doit tre considr comme une fm en soiet non simplement comme un moyen; dans la tradition utilitariste, o lesconsquences sur autrui sont examines; dans l'optique du caring , ol'interrelation avec autrui et le souci qu'on lui apporte sont au cur de ladmarche thique, et dans le vouloir vivre ensemble lors de la rsolutionde situations problmatiques dont on doit tenir compte lors de la rsolution deproblmes en thique applique (Legault, 1994). Ce souci d'autrui devrait ainsitrouver son prolongement naturel dans les valeurs prnes par les institutionsbancaires, dans la faon dont celles-ci actualisent ces valeurs et dans lesresponsabilits qu'elles assument, et ce, non seulement dans les actions au seinde l'organisation, mais aussi envers diverses parties p.ren.antes qui, bien queparfois plus loi~es de leurs activits quotidiennes, ne s'en trouvent paspour autant moins affectes par la faon dont celles-ci mnent leursaffaires.

    Identifier et interprter les carts entre Je discours des banques et lesattentes sociales

    Dans cette perspective, nous considrons essentiel de mieux comprendre

    Il

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    les carts qui existent entre les discours des Rrandes banquescanadiennes en matire d'thique et de responsabilit sociale et les attentessociales leur gard. La prsente recherche exploratoire se veut l'amorced'une rflexion en ce sens, puisque la littrature actuelle ce sujet pou:rce secteur d'activit est peu abondante, voire inexistante. Pour ce faire,nous examinerons dans un premier temps les codes de conduite et le~)valeurs prconises par les banques afm de dterminer dans quelle mesureceux-ci rpondent aux attentes de la socit travers leur proccupatiotlpour les intrts d' autrui , soit principalement leurs clients, lesconsommateurs en gnral, leurs fournisseurs et la socit. Nous nousintresserons par la suite au contexte dans lequel ces banques oprentafin de suggrer l'impact qu'ils pourraient avoir sur l'thique, quelles quesoient les rgles mises en place. Le cas Enron illustrera notre propos.

    Dans un deuxime temps, nous aborderons le discours de responsabilitsociale des institutions bancaires relatif la relation des banques avec leursprincipaux interlocuteurs: les clients, la communaut, les employs et le~;investisseurs, travers l'tude de leurs rapports de responsabilit sociale.Nous les confronterons aux critiques qui leur sont adresses par la socitcivile afm de souli~er la nature des carts qui les sparent. Nous tenterons.en conclusion, d'interprter nos constats et d'en dgager quelque8implications.

    MTHODOLOGIE

    Nous avons examin, pour les fins de cette tude exploratoire, le text'~intgral de chacun des codes de conduite, noncs de valeur etrapports de responsabilit sociale des six plus grandes banque:;canadiennes cotes en bourse, soit le Groupe financier RJ3C (RBC), laBanque Canadienne Impriale de Commerce (CIBC), le Groupefinancier TD (TD), le Groupe financier BMO (BMO), la BanqueNationale du Canada (BN) et la Banque Scotia (BNS), compte tenu de leu:rinfluence sur ce secteur d'activit en tant que leaders conomiques. Nou:;avons galement tudi les principales critiques qui leurs sont adresse:;de la part de groupes de la socit civile et de certains chercheurs. Il nes'agit pas d'une tude comparative entre chacune de ces banques, maiBdavantage d'une tude sectorielle sur la base de ces quelques exemples. Nou~;n'avons pas non plus cherch faire une tude exhaustive de tous les aspect:)traits par ces codes et rapports, prfrant nous concentrer sur les aspects li:;au souci d'autrui, indicateur retenu pour les fins de cette tude.

    12

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    UN DISCOURS ET DES PRATIQUES THIQUES EN DE DESATfENTES

    Un discours d'intgrit et de responsabilit qui ajoute cependant peuaux Jais

    Les codes de conduite et noncs de valeurs tudis contiennent la fois desr~les prcises~ des principes directeurs et certaines valeurs prnes par ladirection. Parmi les clauses les plus frquentes, figure la protection desrenseignements confidentiels des clients, le respect du droit d'auteur, la santet la scurit au travail, le respect de la libre concurrence, le versement descontributions politiques conforme la loi, l'observance des lois surl'environnement, la tenue scrupuleuse des livres comptables, le refus desconflits d'intrts, la corruption, le blanchiment d'ar~ent, l'utilisation de fondsgrs des fins personnelles, le fait de ne pas chercher tromper le public pardes reprsentations trompeuses ou mensongres, d'viter le harclement et ladiscrimination, et de ne pas transmettre de fausses informations auxactionnaires. Ces codes sont assortis de mcanismes de dnonciation par unemploy souponnant une drogation au code, assortis d'une obligation dnoncer ces manquements.

    Ces codes ajoutent toutefois peu, en substance, aux lois existantes. Ainsi, parexemple, il existe au Qubec et au Canada des lois en matire de sant etscurit au travail, de protection des renseignements personnels,d'environnement, de concurrence, de publicit frauduleuse ou trompeuse, derespect des droits de la personne et de non-discrimination et de l'exactitudedes renseignements tre transmis aux actionnaires, sans compter la lgislationinterdisant la fraude, le dtournement de fonds, le blanchiment d'argent etautres procds du genre. De plus, la Loi sur les banques et les rglements quien dcoulent comportent de nombreuses rgles relatives au fonctionnementde ces institutions et en matire de conflits d'intrts et dlits d'initis. Cescodes de conduite peuvent toutefois avoir une certaine valeur, dans la mesureo ils constituent une vulgarisation et une synthse des lois en vip;ueur, afm deles rendre plus comprhensibles aux gestionnaires et employs. Ils peuventgalement servir tmoigner de l'importance accorde par la direction del'entreprise au respect de la loi, dans la mesure o leurs proprescomportements et les divers lments de Inculture organisationnelle viennentrenforcer ce message. Mais il est difficile de conclure un rel pour les intrtsd'autrui s'ils ne s'en tiennent qu' ce qui leur est exig par la lgislation envigueur. Nous avons donc cherch dterminer si certaines de leurs

    13

  • RBC crnc TD BMO BN BNSProtection de l'entreprise

    Conflits d'intrts X X X X X XConfidentialit des renseignements de X X X X X Xl'entrepriseAcceptation de cadeaux XX XX XX XX X XAlcool et drogue

    Utilisation des biens de l'entreprise XX XX X XX XX XXParticipation des activits pouvant nuire larputation de la Banque ou entrer en conflitUtilisation de l'internent et du courriel X X X X X XBien connatre les clients pour viter les Xsituations illgales

    Relations entre employs X X X X X XRespect et non-discriminationClientsRespect et! ou quit et! ou maintien du lien de X X X X X XConfianceCommunautPhilanthropie & Bnvolat X X X

    MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    dispositions excdent manifestementcelles-ci~ Or, les mentions qu'on retrouveaux codes au-del des obligations lgales visent principalement laprotection des intrts de l'entreprise elle-mme, ou encore, sa rputation.On y prcise ainsi les possibilits d'acceptation de cadeaux ou dedivertissements, celles relatives une occupation autre que son emploiprincipal la Banque, l'interdiction d'utiliser les biens de l'entreprise pour sesfms personnelles, l'interdiction de participer des activits qui portentprjudice aux intrts, l'image ou la rputation de la Bat1que, tel quersum sommairement au Tableau 1~Les dispositions relatives aux intrts de autrui , en sus des exigences lgales, se rsument peu de choses. En ce qui iltrait aux employs, certaines dispositions gnrales mentionnent rapidementl'obligation de traiter les autres avec respect, pour se concentrer ensuite sur leharclement, l'quit en emploi et la discrimination, tous trois dj l'objet delgislation. Celles relatives aux clients font allusion au respect et l'importancedu maintien du lien de conf1ance, mais gure plus. Quant la communaut, le:;dispositions, lorsqu'elles existe!1t, se limitent gnralement rappeler laposition de la Banque en matire de philanthropie et tenir compte del'environnement dans leurs dcisions en matire de crdit. Nous avons aussiretrouv, dans quelques codes, une mention concernant le traitement quitabledes fournisseurs.

    Tableau 1- lments des codes de conduite (au-del des exigences lgales)

    14

  • Responsabilit quant aux effets sociaux et Xconomiques de leurs dcisionsFournisseursquit/galit des chances X X X X XX XProtection de leurs renseignements

    EnvironnementTenir compte de l'environnement dans ses X

    dcisions de crditAller au-del des nonnes environnementales X X

    MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    Pait noter, seule RBC se distin~ue en mentionnant explicitement dans soncode que ses diffrentes socits acceptent et reconnaissent leur responsabilitquant aux effets sociaux et conomiques de leurs activits et dcisions enprcisant la ncessit de reconnatre ces facteurs et les apprcierconsciencieusement)} lors de chaque dcision. Le GFBR y prcise l1;alement

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    banques, de leurs actionnaires et de leurs dirigeants et ceux de leurs diverse~parties prenantes. Une observation fine du contexte canadien permet d'mettrecertaines hypothses.

    Un contexte qui privilgie les intrts de l'organisation, de ses membreset de ses actionnaires

    Le contexte tant social que sectoriel qui entoure les activits d'une entrepriseainsi que sa philosophie de gestion, sa culture organisationnelle et certains d(~ses systmes, tel ceux d'valuation et de rmunration, ont une influence sU.rla prise de dcision et sur l'thique en organisation.

    En ce qui a trait au contexte, les annes 80 et 90 ont vu apparatre un(~financiarisation des entreprises, laquelle a entran une obsession sans cess!~grandissante pour les rsultats court terme et l'adoption de stratgies et dc~politiques visant une rentabilit financire sans cesse la hausse, avec comm(~horizon unique et seul juge de paix, le prix de son action. (Cori, 2005 :26;Cohen, 2005). l'aube des annes 90 la cration de valeur pour l'actionnairedevient cruciale (Cohen, 2005), les donnes boursires deviennentprogressivement des indicateurs majeurs de performance interne et, via lesstock options et autre mesures financires qui aliRnent les intrts de~)actionnaires et des dirigeants, des incitations la performance de ces derniers(Cohen, 2005 :306). L'importance croissante des investisseurs institutionnelsdans le march des valeurs mobilires depuis les annes 80 et leurs efforts etivue de maximiser le rendement de l'avoir des actionnaires n'est pas trangre ce phnomne. (Crte, 1998) Dans un tel contexte, la satisfaction desattentes des analystes financiers et des investisseurs institutionnels concernantle rythme de croissance et d'enrichissement attendu devient cruciale (Co~2005).

    Les grandes banques canadiennes n'chappent pas cette nouvelle logiqued'affaires. Les banques sont passes d'une certaine pudeur face l'annonce deleurs profits la bravade lors de l'annonce de leurs rsultats, afin d'attirer lesactionnaires et investisseurs potentiels par l'attrait d'un rendement suprieU!:'(EthicScan, 2004a). De plus la mondialisation, la vague de fusions etd'acquisitions dans ce secteur ainsi que la drglementation du secteU1~financier a permis de proKt'essvement prendre de l'expansion, d'ajouter leursfonctions initiales d'autres activits et produits tels la gestion de titres etl'assurance, et des banques trangre.s de venir faire des affaires au Canada.Le tout a eu pour consquence un accroissement important de la.

    16

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    comptitivit dans ce secteur (Lamb, 1999 ; Cohen, 2005). L'largissement dutype de produits et de services pouvant tre dispens aux mmes clients par lesbanques a galement eu pour effet de favoriser l'mergence de situations deconflits d'intrts au sein de leur structure mme, entre les diffrentes vocationsde l'entreprise (Boatright, 2000).

    La question se pose savoir dans quelle mesure, et de quelle faon la recherchedu meilleur rendement pour l'actionnaire influe sur l'thique dans la prise dedcision quotidienne au sein des banques. Une telle logique de rendementinfluence directement la philosophie de gestion de l'organisation et, parextension, ses orientations stratgiques, les objectifs fixs et les modes dercompense, d'valuation et de rmunration, et la culture organisationnelle.Or, ces divers facteurs exercent une influence importante sur lecomportement des employs et gestion,naires, en indiquant ce qui estvaloris, et donc rcompens, et ce qui ne l'est pas, souvent mieux que nepeuvent le faire les codes de conduite et les politiques organisationnelles(Trevino et al, 1990 ; Trevmo & Nelson 1995; Kerr & Slocum, 2005).

    Ainsi, par exemple, les systmes d'valuation et de rmunration bassprincipalement sur le meilleur rendement pour l'actionnaire peuvent avoir poureffet d'ignorer les aspects plus qualitatifs tels les moyens pris pour atteindre lesobjectifs et la perspective long terme de l'entreprise (I

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    de l'intrt des actionnaires au dtriment de ceux des autres parties intresses.

    Nous utiliserons le cas de l'implication de certaines banques dans l'affaireEnron pour illustrer nos propos concernant l'impact du contexte.

    L'affaire Enron : un scandale rvlateur

    Suite la faillite d'Enron, plusieurs banques, dont la CIBC, Cirigroup et labanque ID ont t aux prises avec des poursuites intentes par la SecuritiesExchange Commission des Etats-Unis et/ou avec recours collectif intents pardes investisseurs et dtenteurs d'obligations. Les pnalits et lesddommagements qu'elles ont verss en rglement de ces poursuites sechiffrent, selon le cas, de plusieurs dizaines de milliers des milliards de dollars.Ces poursuites allp;uaient principalement que ces banques avaient sciemmentparticip aux transactions financires ayant permis Enron de faire de faussesdclarations dans ses tats financiers, notamment quant son niveaud'endettement et ses bnfices rels (Cori, 2005). Comment expliquer le faitque ces grandes institutions bancaires rputes, qui se sont dotes en matired'thique de codes de conduite et d'noncs de valeurs prconisantl'honntet et l'intgrit, se soient retrouves aux prises avec de tellespoursuites?

    Les enqutes entourant l'affaire Enron ont permis de dvoiler que sesdirigeants payaient des honoraires suprieurs la moyenne et ce, pour unmontant de prs de $237 millions de dollars au cours de la seule anne 1999,devenant vers la fin des annes 90 un des plus gros payeurs (McLean,2003).Les banquiers rcoltaient donc d'normes bnfices sur les transactionsd'Enron. Ainsi, CitiGroup recevait autour de $50 millions par anned'honoraires d'Enron vers la fin de l'existence de celle-ci (McLean, 2003).La comptition pour ce type d'honoraires tait donc froce et Enron taitparticulirement habile pour amener les banques se conformer leursdsirs si elles voulaient leur part du gteau (McLean, 2003). Par ailleurs, laposition d'Enron comme l'un des plus gros joueurs conomiques en matirenergtique en faisait un must pour toute banque d'investissement quise respecte (McLean, 2003). Les banques qui faisaient affaires avec Enrontaient values par celle-ci selon le degr de collaboration et les plus"performantes" en ce sens pouvaient se voir octroyer un rendement surinvestissement de plus de 200/0(McLean, 2003; Cori, 2005), alors que celles quise montraient trop difficiles se faisaient mettre au rancart.

    Ces faits ne sont pas sans rappeler ceux qui ont influenc certains associs de la

    18

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    firme des vrificateurs externes d'Enron, la dfunte Andersen, et qui ontcontribu sa disparition (Grey, 2003 ; Piaget et Baumann, 2004). Jumels latendance des socits cotes accorder une importance prpondrante lavaleur de l'action, la comptitivit accrue dans le secteur bancaire, la tendance y rcompenser la fin (l'atteinte d'objectifs chiffrs) ces facteurs ont sans doutecontribu de faon importante l'implication de CIBC et de la Banque IDdans cette affaire.

    Cet examen du discours de banques en matire d'thique nous permet doncde constater d'une part que le souci pour autrui auquel s'attend la socit estpeu prsent dans leurs codes de conduite. Quant aux valeurs priorises lorsde la prise de dcision, l'implication de certaines de ces grandes banquesdans l'affaire Enron laisse prsager que le contexte actuel dans lequel ellesoprent ainsi que la culture organisationnelle et les systmes de rcompensesqu'on y retrouve pourraient contribuer creuser l'cart entre les attentes de lasocit et l'thique telle qu'elle se retrouve dans leurs dcisions stratgiquesou oprationnelles, lorsque leurs intrts sont en tension avec ceux d'autrui .

    Voyons maintenant dans quelle mesure le souci d'autrui se retrouve dans laresponsabilit qu'assument les grandes banques canadiennes face leurs partiesprenantes tant immdiates que plus loignes, soient les clients, lacommunaut, les employs et les investisseurs, au moyen de l'tude de leursrapports de responsabilit sociale. Nous les comparerons avec les critiques quileur sont adresses par la socit civile aftn de souligner la nature des cartsqui les sparent.

    INITIATIVESDE RSE DES INSTITUTIONS BANCAIRES ETATTENTES DU PUBLIC: DES CARTS CONSIDRABLES

    Les relations avec la clientle: les problmatiques d'accessibilit, depratiques de prt, de frais de crdit et de service

    Offrir ses clients les services personnaliss et les produits novateurs dont ilsont besoin pour raliser leurs objectifs financiers , et ce, que les besoinssoient simples ou complexes , et peu importe les circonstances conomiques(BMO, 2004, p. 17), voil comment Bhtl0, tout comme ses concurrentes,voit sa responsabilit engage envers sa clientle. D'ailleurs, une grande partiedes actions ncessaires pour amliorer l'accs des particuliers faiblerevenu, des personnes ges et des handicaps aux services fmanciers , doittre mise en uvre par les banques en vertu du rglement sur l'accs aux

    19

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    services bancaires de base7 et de celui sur la dclaration annuelle des banques8.

    Or, mal~ ces actions, plus du quart des plaintes des consommateurs traite:;par Option consommateurs sont relies au secteur des services financiers (OC,2005, p. 2-3). On dplore d'abord que si l'accessibilit des services bancaires, unlment au cur de la responsabilit sociale des banques, s'en trouve amliore,les problmes autour de cette question ne sont pas pout autant .tgls. Ils seseraient en fait dplacs vers la rduction de la prsence physique des pointsde services bancaires ainsi que des heures d'affaires, ce qui constitue unobstacle important l'accessibilit des services bancaires pour tous, notammentpour les clientles loignes (OC, 2005, p. 8).

    Les consommateurs attendent aussi qu'une banque responsable ait despratiques de prt justes et quitbles. Selon Option consommateurs, cela n'estpourtant pas toujours le cas puisqu' l'heure de la rduction des cots relis ilcette interaction entre banquier et client, les critres pour accorder le crdit sontmal choisis et que le client est inadquatement inform des conditions et dutaux de crdit. Il en rsulte qu' on accorde actuellement beaucoup de crditaux consommateurs canadiens, et sans doute mme parfois trop. Par contre,on n'en accorde pas des personnes qui en auraient le plus grand besoin ,renvoyant du mme coup ceux qui requirent un petit prt au marchparallle (OC, 2005, p. 11 et 13) et laissant ainsi de ct les services moinslucratifs, tels le micro-crdit (Leloup, 2006).

    Les clients s'attendent enf111 ce que les frais de service et de crdit soien1:raisonnables, alors qu'ils s'avrent dans les faits extraordinairement levs );(OC, 2005, p.13). Cela amne prs de la moiti des Canadiens trouver qUt~

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    quitable et un prix raisonnable d'une part, et la recherche des profits d'autrepart. Or, l'heure actuelle, 61% des Canadiens se scandalisent des profitsraliss par les banques (parent, 2006, p. 14), suggrant qu'ils sont obtenus audtriment des intrts de leurs clients, qu'ils soient dpositaires ou emprunteurs,et des citoyens, qui doivent s'acquitter d'un fardeau fiscal proportionnellementplus important que les banques9.

    Les relations avec la communaut: au-del de la philanthropie

    Les banques sont reconnues pour leur longue tradition de gnreux donsde bienfaisance et leur philanthropie, comme c'est le cas notamment de laRBC, qui a commenc verser des dons ds 1891 (RBC, 2005, p. 30).Cette tradition ne s'est trouve qu'encourage en 2002 avec la nouvelleobligation pour les banques de faire tat publiquement de leurscontributions la collectivit. A ce jour, celles-ci versent annuellement desmontants substantiels en dons et commandites, soit jusqu' un peu plus de2% du revenu avant impt dans le cas des banques CIBC et ID (EthicScan,2004a, p. 52).

    Sur ce point, les banques vont au-del de toute exigence lgale et elles sedistinguent aussi des entreprises d'autres secteurs, la communaut tantbien souvent une partie prenante trop loigne des activits principales decelles-ci pour faire l'objet de proccupation. Il n'en demeure pas moinsque certains voudraient voir les banques assumer leur responsabilitenvers la collectivit bien autrement. Cette responsabilit passeraitprincipalement par le versement de leur juste part de revenus l'Etat enimpts afin que ces sommes soient investies selon les priorits nationaleset provinciales telles que dtermines par des reprsentants lus plutt queselon le bon vouloir des banques. C'est dans cette pe.rspective que de plusen plus nombreux et vocaux sont ceux qui dnoncent le maintien par lesbanques de nombreuses filiales dans les paradis fiscaux10, et rclament lacessation de telles activits (Lauzon et al., 2004b; Sguin, 2006), ou tout

    9 Certaines tudes font tat d'une croissance de 5000/0 du bnfice net des six grandes banquescanadiennes en 11 ans (1992-2003) (Lauzon et al., 2004, p.7). En 2005, les profits respectifs decinq des six grandes banques canadiennes dpassaient le milliard de dollars, atteignant jusqu'2,31 milliards de US$ dans le cas de la RBC (Forbes 2000-2005, en ligne: www.forbes.com.consult le 5 avril2006).10 On estime que, de 2000 2003, entre 1,3 et 1,7 milliards de dollars d'impts ont tconomiss chaque anne par les 73 ftliales des grandes banques canadiennes (BNS 20, RBC17, TD 16, CIBO 15, BMO 5) dans les paradis fiscaux, soit 47,1 % de leur charged'impts sur le revenu total. De 1991 2003, ce sont ainsi 1Omilliards de dollarsd'impts dont ces banques se seraient exonres (Lauzon et al., 2004, p. 3, p. 5-6).

    21

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    le moins la divulKation de ces activits dans leurs rapports annuels afinque les investisseurs puissent faire un jugement clair par rapport de tellespratiques (MDAC, 2006).

    D'autres voudraient aussi voir les institutions financires aller bien au..del d'une relation philanthropique avec les collectivits dans lesquelleBelles s'insrent, cette fois pour devenir, compte tenu de leur pouvottd'achat et d'influence, de vritables catalyseurs d'investissement commu..nautaire et de chanKement social (EthicScan, 2004a, p. 56). On parle ici dene pas limiter l'implication dans les collectivits des donations, mais pluttde revoir systmatiquement les pratiques d'approvisionnement, definancement et d'investissement, ainsi que dans les produits et servicesofferts la clientle. De cette faon, les banques pourraient s'assurer defavoriser l'conomie locale, de faire affaire avec des partenaires et d'achete:ret offrir des produits et services socialement et environnementalement )responsables, bnficiant ainsi significativement la collectivit.Certaines banques proposent dj des initiatives intressantes en c(~sens. Par exemple, la RBC exige que ses fournisseurs rencontrentcertains critres thiques, sociaux et environnementaux. De plus, BMO,CIBC, RBC et BNS adhrent aux Equator Principes, des principes quis'adressent spcifiquement l'industrie f111ancirepour la prise en compte decritres environnementaux et sociaux lors du financement de projetsd'envergurel1. Nanmoins, aucune grande banque canadienne n'a ce jou:=mis en place une politique intgrant l'ensemble des lments mentionn:;plus haut, dont la performance dans l'application serait suivie et vrifiede faon rigoureuset2.

    Les relations avec les employs: en/eux en matire de pratiques d(~'gestion et d'emploi

    Leurs employs constituant une partie prenante essentielle au succs de leursactivits, les banques ont mis en place de nombreuses initiativesintressantes pour amliorer leur qualit de vie et la diversit en milieu d,etravail (EthicScan, 2004a, p. 55; Brearton et al, 2005), qu'elles considrentcomme l'lment central de leur responsabilit leur gard. Elles disent ain~;Il http://www.equator-principles.com/principles.shtml. consult le 30 mai 2006.12Pour un exemple intressant de politique intgre sur l'ensemble de ces aspects, voir la BaselineEthical PolifJ de VanCity, une Credit Union avant-gardiste en matire de RSE, auhttp://www.vancity.com/SharedContent/ documents/Sect_D5.pdf. Consult le 30 mai 2006. Lnperformance de l'entreprise dans l'application de cette politique est divulgue dans son rapportde RSE.

    22

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    considrer important d'tre des employeurs de choix (RBC, 2005, p. 12) etd'offrir un milieu de travail favorable et productif [...] dans lequel tous lesemploys peuvent exceller (CIBC, 2005, p. 17). Or, ce discours et cesinitiatives traduisent moins le souci du bien-tre des employs que lavolont de renforcer leur loyaut envers leur employeur et ultmement, leurproductivit au travail. Il seluble ainsi que pour la socit civile, laresponsabilit des entreprises du secteurbal1caire passerait plutt par desquestions plus fondamentales de stabilit d'emploi, de salaire et d'avantagessociaux, qui ont t largement rods au cours des cinq dernires annes(EthicScan, 2004a, p. 55). Certains souhaiteraient d'ailleurs une plusgrande syndicalisation des employs d'institutions financires13 afin que cesderniers puissent bnficier d'un plus grand pouvoir de ngociation en cesens (Lauzon et al, 2004a, p. 35).

    Les relations avec les investisseurs: questions de gouvernance et de latransparence

    Les actionnaires d'une entreprise constituent souvent la partieprenante recevant la plus grande attention en raison du fait qu'ils sont lesseuls envers qui l'entreprise est redevable sur le plan lgal (CCDRE, 2002, p.2). En ce sens, les grandes banques canadiennes ont pris des mesures14visant produire un rendement financier durable et garantir quel'entreprise s'acquitte adquatement de ses responsabilits et qu'elle mneses activits de faon transparente et intgre (BNS, 2004, p.49) afm derenforcer la confiance des investisseurs. Ces rgles de rgie internerpondent entre autres certaines des propositions formules par lemouvement d'ducation et de dfense des actionnaires (MDAC), uneassociation qui fait du militantisme de l'actionnariat afin quesoient respects les droits des actionnaires minoritaires15. Mais elles

    13 A l'heure actuelle, les grandes banques canadiennes comptent peu ou pas d'employssyndiqus. La Banque de Montral se serait mme dpartie en 2000 d'une dizaine desuccursales o les employs taient syndiqus (EthicScan, 2004a, p. 55 et 77).14 Notamment la mise en place de comits de compensation et de nomination indpendants, laprsence d'un nombre majoritaire d'administrateurs indpendants, la sparation du prsidentdu conseil et du chef de la direction et la signature des tats fmanciers par le directeur desfinances (EthicScan, 2004a, p. 53).15 Anciennement Association de prote,,1iIJ1Jdes iptfflptmh a in",Jtlft!lf'Sdu Quiber, (APIQ), active depuis lemilieu des annes 90. Elle est prside par Yves Michaud, surnomm le Robin des banques, qui a russi en 1996 obtenu la permission lgale de soumettre des propositions lors desassembles annuelles d'actionnaires des grandes ban.ques canadiennes (Crte, 1998). Depuis,son association soumet chaque anne des propositions aux assembles annuelles desbanques. Source site Internet du MDAC : http://www.mcdac.qc.ca/pdf/index.php. consultle 1er mai 2006.

    23

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    semblent d'abord et avant tout avoir t mises en place pour faire suite au.x:lignes directrices labores par les Autorits canadiennes des marchsfinanciers16 et surtout, la loi Sarbanes-Oxley adopte en 2002 aux Etats-Unis. Elles s'avrent ainsi dans les faits plus curatifs que prventive8,s'inscrivant dans une logique de conformit quasi-lgale.

    Au contraire, si l'on suit la logique des requtes formules par des groupesd'investisseurs, fonds de pension ou d'autres observateurs, la responsabilitdes banques l'gard de leurs actionnaires consisterait bien plus s'attaquer aux sources des problmes de gouvernance et favoriser unevritable dmocratie actionnariale. Et au passage, elles remettraient eflquestion le systme de rmunration lphantesque des dirigeants deBbanques, la source de la plupart des problmes de rgie d'entreprise decelles-ci17.

    Pour les divers groupes d'investissement thique et responsable, cetteresponsabilit devrait aussi se traduire par plus de transparence de la partdes institutions bancaires quant aux impacts que les enjeux sociaux,environnementaux et thiques ont sur leurs activits et de prsenter lafaon dont elles grent les risques associs ces questions18. l'heureactuelle, toutes les grandes banques canadiennes publient certes un rapportannuel quant leur performance non financire, mais le contenu de ceux-cise limite grosso modo aux exigences prcises dans la Loi sur les banques, etlvertu de laquelle elles ont depuis le 21 mars 2002 l'obligation d'mettre unedclaration des responsabilit publique (DRP) l'intention des clients etautres parties intresses dcrivant leur contribution l'conomie et lasocit canadiennes19. Malheureusement, les rapports de RSE des banquescontiennent de faon gnrale peu d'indicateurs prcis, peu d'objectifs itlong terme, peu de divulgation rellement transparente des progrs et desreculs quant leur performance sociale et environnementale et ne sont panvrifis de faon indpendante. Quoiqu'ils constituent une amlioration

    16Instruction gnrale 58-201, relative la gouvemance, et Rglement 58-101 sur l'informationconcernant les pratiques en matire de gouvernance.17Site Internet du MDAC : http://www.medac.qc.ca/pdf/index.php. consult le 1ermai 2006.18Tel que rclam par le gestionnaire de fonds canadien Real Assets InvestmentsManagement. Source:http://www.investisscmcntrcsponsable.cofillarticlcsl..4652t2239.asp, consult le 28 mai 2006.19Loi sur les banques, paragraphe 459.3 (1) : La banque dont les capitaux propres sont gaux ousuprieurs un milliard de dollars publie annuellement une dclaration, tablie enconformit avec les rglements pris en vertu du paragcaphe (4), faisant tat de sa contribution etde celle des entits de son groupe prcises par rglement l'conomie et la socitcanadiennes. En ligne : http://lois.justice.gc.ca/fr/B-1.01/219595.html, cQnsult le 5 avril2006.

    24

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    certaine sur les pratiques antrieures, la majorit des rapports de responsabilitsociale se rvlent ainsi tre davantage des documents promotionnelsqu'une analyse critique relle de leur performance conomique, sociale etenvironnementale (EthicScan, 2004, p. 50), comme le souhaiteraient lesgroupes d'investissement responsable. Il faut cependant mentionner uneexception notable cela, puisque la RBC a publi pour 2005 son premierrapport de dveloppement durable inspir des lignes directrices du GRI20.Celui-ci est significativement plus complet et dtaill que son rapport de RSE,et surtout, fait tat des initiatives de l'entreprise sur une tendue d'indicateursallant bien au-del du seul contenu exig par le rglement sur la dclarationannuelle des banques.

    Des visions fort diffrentes de la responsabilit sociale d'une institutionbancaire

    Ce que nous avons prsent dans les pages prcdentes nous permet deconstater que les initiatives en matire de responsabilit sociale proposes parles institutions de services bancaires, aussi louables soient-elles, necorrespondent qu'en partie aux attentes sociales qui sont formules leurendroit. En effet, malgr les discours officiels des grandes banques en ce quiconcerne leur responsabilit sociale - comme le dmontre cet extrait durapport de RSE de la banque ID : nous voyons les responsabilits de notreentreprise comme une partie intgrante non seulement de ce que nousfaisons, mais aussi de la faon dont nous exerons nos activits (ID, 2005,p. 2) - les faons de faire et initiatives concrtes des institutions bancaireslaissent plutt transparatre une conception de leurs responsabilits socialescomme tant des actions supplmentaires ou priphriques leur fonctionprincipale de prteur d'argent, notamment sous forme de philanthropie,d'offre de services toujours plus nombreux et tendus ou de rgles degouvernance plus strictes. Et dans bien des cas, nous avons d'ailleurs constatqu'il s'agissait l d'actions qui n'ajoutaient en fait que peu aux ex.ig;ences lgalesdj existantes ou visant essentiellement les intrts de l'institution. La socitcivile semblent pour sa part avoir une conception des responsabilitssociales des institutions opre, les dcisions d'affaires qu'elle prend, desproduits qu'elle offre, voire mme son modle d'affaire pour y intgrervritablement des considrations thiques, sociales ou environnementales etrpondre aux attentes de la socit.

    20 RBC est considre comme une entreprise utilisant le GR! petits pas (incrementa/j.Enligne: bttp:/ /www.rbc.com/community /pdf/Online~Sustainability..Rcport.pdf,consult le 29mai 2006.

    25

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    Nous ne suggrons toutefois pas ici que la seule faon pour une banque d'tt'iesocialement responsable consiste se conformer systmatiquement aux attentesformules par chacune de leurs parties prenantes. Nanmoins, dans unt~perspective comme celle que nous proposons, o la responsabilit social/~devrait traduire un souci d'autrui, celle-ci doit se dftnir dans l'intersubjectiviti;,c'est--dire entre la banque et ses parties prenantes. Par consquent, il estncessaire que celle-ci fasse preuve d'ouverture devant les attentes socialesquant ses pratiques et aux responsabilits qu y sont associes. Or, commenous avons pu le constater, l'cart qui spare les initiarives des banques et lesattentes de leurs parties prenantes est fort important: on ne demande pas aU:K:banques de faire de plus importants dons en argent et parfois par dubnvolat diverses uvres vocation sociale ou ducationnelle. Au contraire,on leur demande bien souvent d'assumer autrement leur responsabilit sociale.

    Conclusion: des reprsentations divergentes du rle social des banques

    Mal~r les nombreuses initiatives adoptes par les banques au cours desdernires annes, et ce, tant en matire d'thique que de responsabilit sociale,nous constatons un cart important avec les attentes de la socit leur ~ard.Ce qui est en cause, notre avis, c'est la reprsentation mme du rle social desbanques qu'ont les diffrents acteurs

    - sociaux. En effet, nul doute que lesinstitutions financires reconnaissent qu'elles ont un certain rle social jouer,tel qu'en fait foi notamment leur gnrosit en matire de philanthropie. Cerle social correspond toutefois celui de toute entreprise, comme l'affttmaitLon Courville lors d'une allocution alors qu'il tait la tte d'une des grandesbanques canadiennes: les Canadiens s'attendent [des banques] ce que nousattendons tous en gnral les uns des autres - faire son travail, respecter les loiset apporter sa contribution au Canada, ses collecrivits et ses causes, tantcomme citoyens qu' titre de grandes entreprises (Courville, 1999). Ainsi, SU!le plan de l'thique, les banques semblent se concevoir comme des entreprisesjustifies de viser la maximisation du rendement pour leurs actionnaires, entant qu'elles agissent en conformit avec les lois. Quoiqu'elles clament haut etfort l'intgrit et la responsabilisation dans leurs codes de conduite, cettelogique de maximisation laquelle s'ajoute un contexte de compritivit accrueet de diversification des produits viennent affecter les comportements desindividus par le biais de la fixation des objectifs et des systmes dermunration, valuation et rcompense, lesquels leur tour influencentla culture organisationnelle et les normes de comportement qui y sontvhicules. Et en ce qui a trait la responsabilit sociale, les banquessemblent se satisfaire d'une vision de responsabilit sociale qui se traduit

    26

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    par des cont.ributions charitables ou d'autres initiatives priphriques leursactivits principales de prteur d'argent.

    Tout l'oppos, la socit civile attribue aux banques un rle socialdiffrent d'une entreprise quelconque: elles jouent un rle crucial , enlivrant un service essentiel la population et aux entreprises (Lauzon etal., 2004a :4 ; GC, 2005 :19). Ce service doit par consquent treaccessible tous les individus et toutes les entreprises dans toutes lesrgions du pays et ce un prix raisonnable . (Lauzon et al., 2004a : 4). End'autres termes, on croit que les banques doivent se souvenir de leurorigine en continuant soutenir les exclus de la finance (Nowak, citedans Leloup, 2006). Comme le rsume bien DiN orcia, les banquesdoivent assumer les responsabilits publiques compatibles avec lesdroits corporatifs civils qui leur ont t accords (Di Norcia, 2004 : 65).Les critiques des banques insistent ainsi sur le caractre d'intrt public deleurs activits et, par consquent, estiment que des attentes leves leurgard sont justifies.

    Cette tude exploratoire nous amne donc constater que le rle social ques'attribuent les institutions bancaires n'est pas la hauteur de ce que lepublic d'attend d'elles compte tenu de l'important rle qu'elles jouent ausein de notre socit et du pouvoir qu'elles ont acquis au fil du temps. Cettesituation nous apparat tre la source de l'rosion de leur lgitimitsociale, que la simple adoption de codes de conduite ou les discours etinitiatives de RSE priphriques ne suffiront pas reconqurir. Car,comme nous avons tent de le faire ressortir, la lgitimit sociale elle sefonde sur une thique traduisant un rel souci d'autrui et uneresponsabilit profondment enracine dans les attentes sociales.

    la lumire de ces constatations, nous croyons que les institutionsbancaires doivent retourner la source des carts qui les sparent deleurs parties prenantes et de la socit civile, en revisitant leur conceptionde leur rle social. Cela signifie d'abord de mener une rflexion thiqueplus large et plus critique sur leurs valeurs, leurs pratiques, les logiques quiles sous-tendent et l'influence qu'exercent divers facteurs organisa-tionnels sur les dcisions et le comportement de leurs gestionnaires etde leurs employs. Cela implique ensuite de mettre en place des initiativesde responsabilit sociale intgrant vritablement les attentes sociales leurgard, particulirement leves en raison du caractre d'intrt public deleurs activits~

    27

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    Bibliographie

    BAREFOOT, J. A. (2002) What cao you learn from Eoron , ABA BankingJollmal, vol. 94, n8, p. 49-51.

    BEAULIEU, S., PASQUERO, J. (2004) La chute d'Andersen: un cas de dlgitimation )j"dans Responsabilit sociale d'entreprise et finance responsable :Qlleis enjellX ?Qubec, PUQ, p. 127-157.

    BOATRIGHT,). R (2000) Conflicts of interest in Financial services, Business ond Socie!) Review,vol. 105, n 2, p. 201-219.

    BREARTON S., GRaSS R., RANNEY K., BRAGG I., UYYfERLINDE FLOOD L",HUSSEY G., LANG H., STEPHENSON C., THOMSON L. (2005), Corporatr~Social Responsibility: second Annual Ranking , Globe Investor,2005 Feb. 25th. En-ligne:http://www.globeinvestor.com/servlet/ Artic1eNews/story/ Gl\J\1/20050225/R03I)G65,consult le 1ermai 2006.

    COHEN, . (2005). Le nouvel ge du capitalisme, Paris, Fayard.

    COMMISSION CANADIENNE SUR LA DMOCRATIE ET LA RESPONSABI-LISATION DES ENTREPRISES (2002), Une nouvelle quation: Les profits et les responsabilits d'lIlleentreprise f allbe du 21 e sicle.

    CORl, N. (2005), De la granmllr ail gollffre : comprendre les scandales financiers, Paris.

    COURVILLE, L. (1999),Les Canadiens, les semeesfinanciers et la rformerglementaire,discours prononcdevant l'association des banquiers canadiens, le 11 fvrier. Consultable en ligne :http://www.cba.ca/fr/viewdocument.asp?fl=5&sl=69&tl=83&docid=206&pg=1

    CRlli, R. (1998), L'affaire Michaud: la voix d'un simple actionnaire P, Les Cahiers de Droit, vol.39, n 1, mars, p. 135-159.

    Di NORCIA, V. (2004), Information and Accountability in Banking , The CoporateEthicsMonitor,vol. 16, n 5, september-october, p. 65.

    ETHICSCAN (2004a), The Canadian Banking Sector , The CorporateEthics Monitor, vol. 16, n 4,july-august, p. 50-56.

    ETHICSCAN (2004b), The Credit Union Sector ), TbI C,rporate Elm! Monitor, vol. 16, n 5:,september-october, p. 73-79.

    GREY, C. (2003) Ioe Real World of Enron's AuditofS, Organisatioll,vol. 10, n 3, p. 572-576.

    28

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    KERR, J., & SLOCUM Jr., J. W. (2005). Managing Corporate Culture through RewardSystems, AcadefI!J of Management Executive, vol19, n 4, p. 130-138.

    KIDWELL, R. E. (2005) Sears Automotive, in R. E. Kidwell & C. L. Martin (Ed), ManagingOrganizational Deviance,Thousand Oaks, Sage Publications.

    LAMB, R. B. (1999).

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    ingaux, Mmoire prsent devant le Comit snatorial permanent des banques et du commerce Ottaw~, 4 mai.

    PARENT, J.-F. (2006), Des fuites dans votre compte bancaire? , Affaires Plus, vol. 29, n 5,mai, p. 14.

    PIAGET, M. et BAUMANN, C. (2003), La chute de lempire Andersen: Crise, responsabilit et gouvernementd'entreprise,Paris, Dunod.

    SGUIN, Y. (2006), Les

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    TREVINO, L. K. (1986). Ethical Decision Making in Organizations: A Person-SituationInteractionist Model, The Academy of Management Review, vol. 11, n 0 3, p. 601-617.

    Codes de conduite

    BMO GROUPE FINANCIER, Principes fondamentaux. http://www2.bmo.com

    CIBC, Code de contiNite. http://www.cibc.com

    RBC GROUPE FINANCIER, Notre codede dontologie.http://www.cibc.com

    GROUPE FINANCIER 1D, Code de conduite et d'thique professionnelle. http://www.td.com

    BANQUE NATIONALE DU CANADA, Code de dontologie. http://www.bnc.ca

    BANQUE SCOTIA, Guidelines for Business Conduit. http://www.scotiabank.com

    ASSOCIATION DE BANQUIERS CANADIENS- Codes volontaires divers.http://www.cba.ca

    Rapports de responsabilit sociale

    BMO GROUPE FINANCIER (2004), Bilan social et dclaration annuelle. http://www2.bmo.com

    cmc (2005), nonc de responsabilitenvers.http://www.cibc.com

    RBC GROUPE FINANCIER (2005), Rapport sur la responsabz1itde l'entreprise. http://www.rbc.com

    RBC GROUPE FINANCIER (2006), Rapport de dveloppement durable. http://www.rbc.com

    GROUPE FINANCIER TD (2005), Rapport sur les responsabilits. http://www.td.com

    BANQUE NATIONALE DU CANADA (2005),Notre responsabilit sociale. http://www.bnc.ca

    BANQUE SCOTIA (2004), Dclaration sur la responsabilit sociale, bilan des contributions communautaires:http://www.bnc.ca

    31

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    COLLECTION

    RECHERCHES EN GESTIONEditions l'Harmattan

    Nouvelles avances du Management, ouvrage collectif sous ladirection de Luc Marco, 2005, 272 p. (25,5 euros).

    La Publicit paneuropenne, Sylviane Toporkoff: Dal-JllMun et Jean-Jacques Croutsche, 2006, 266 p. (24 e.).

    Les courants actuels de recherche en marketing, synthse etperspectives, sous la direction de Jean-Marc Dcaudin,Jean-Franois Lemoine et Jean-Franois Trinquecoste,2006, 300 p. (27 euros).

    paratre:

    Design et Marketing, sous la direction de Jean-PierreMathieu,2006.

    Risque et Organisations, sous la direction de BernardLGuillon, 2007.

    Les Revues techniques en Europe 1750-1930, sous 12~direction de Kostas Chatzis.

    32

  • La responsabilit sociale des banques audfi de l'exclusion bancaire des particuliers

    Georges GLOUKOVIEZOFFDoctorant en conomie IEFI (Universit Lyon2, France)

    Rsum: La responsabilit sociale des entreprises est une thmatique suscitant un intrtcroissant. Les professionnels du secteur bancaire ne font pas exception. Cependant, ils ontdavantage tendance l'appliquer aux questions d'environnement, de gestion du personnel, oud'investissement qu' celle portant sur les difficults bancaires d'accs et d'usage que rencontreune partie importante de la population. L'exclusion bancaire est certes une thmatique rcentecependant elle permet d'entrer au cur des pratiques bancaires et d'interroger en profondeur leslogiques l'uvre au sein de ces entreprises qui sont aujourd'hui incontournables pour vivrenormalement dans les socits modernes. L'analyse mene permet de mettre en lumire que ladiffusion des questions de responsabilit sociale n'en est qu' ces tous premiers pas dans cedomaine et que l'intervention de l'tat y est, et sans doute pour longtemps encore,rigoureusement indispensable. Mots clefs: Responsabilit sociale, banques, exclusion bancaire,compte bancaire, crdit.

    Abstract: The social responsibility of firms is an issue arol/sing increasing interest.The professionals of the banking sector are no exception. However, they are morelikely to apply it to issues relating to the environment, staff management, orinvestment than to those relating to the financial difficulties of access and lise which asignificant proportion of the population faces. Financial exclusion is certainly a recentphenomenon,. however it allows us to assess both the banking practices and ethoswithin these firms which are impossible to avoid in order 10 live normally in today'smodern societies. This paper highlights that social responsibility is only in its infancyin this field and consequently State intervention is and will be absolutely essential.Keywords : Social responsability, banks, financial excll/sion, bank account, credit.

    La responsabilit sociale des entreprises est gnralement comprise comme l'intgration volontaire des proccupations sociales et cologiques desentreprises leurs activits commerciales et leurs relations avec leurs partiesprenantes. tre socialement responsable signifie non seulement satisfairepleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-del etinvestir davantage dans le capital humain, l'environnement et les relationsavec les parties prenantes. (Commission des communauts europennes,2001, p. 7). C'est d'ailleurs sensiblement dans ce sens que semble l'entendreMichel Pbereau, Prsident du groupeBNP I)aribas, s'exprimant sur ce sujetlors du Forum Equation organis par la socit Companieros en partenariat avec

    33

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    l'EM-Lyon, l'ENS Lyon et l'INSA le 16 novembre 20051. Aprs avoir indiquque tout le monde faisait du dveloppement durable, comme MonsieurJourdain, sans le savoir , ce dirigeant de l'une des principales banquesfranaises a expliqu que la responsabilit sociale de l'entreprise rsidait dans leprojet mme de l'entreprise, dans ses valeurs. Ainsi, pour lui, c'est ce projetqu'il faut expliquer aux actionnaires et aux reprsentants du personnel. C'est surce projet que doit tre associ le plus largement possible l'ensemble des quipesde l'entreprise. Mettre en uvre ce projet avec un esprit de groupe pennettra delui donner une dimension humaine. . Ce projet est soutenu par 4 principalesvaleurs: ambition, engagement, ractivit et crativit. . Mais, il ne limite pasla mise en uvre de ces valeurs aux parties prenantes internes de l'entreprise(actionnaires et personnel), il considre que l'entreprise doit galementparticiper la prise en compte des principaux phnomnes de socit. Ilindique alors que cela peut se faire au travers de la dfense de l'environnementou encore du mcnat. Et de citer en exemple la participation de tous lessalaris du groupe la campagne des Restos du Cur. Pointer les propos deMichel Pbereau tel que nous le faisons est bien sr un exercice un peudmagogique, cependant, plus que leur auteur, ce qui est intressant ici est leurcaractre emblmatique. En effet, lorsque les banquiers sont interrogs sur laprise en compte de leur responsabilit sociale dans leur activit, invariablement,ce sont les thmes lis aux relations de travail, la prservation de l'environ-nement, l'investissement socialement responsable (lSR) et au mcnat qt:.jsont mis en avant.

    Il apparat ainsi, et ces propos en sont une parfaite illustration, que l'une desparties prenantes essentielle de l'entreprise est absente: la clientle et plusprcisment, dans le cadre de cette contribution, la clientle de particuliers. Eneffet, les parties prenantes internes sont bien toutes considres (actionnaires etsalaris) mais celles externes ne sont abordes qu'en partie. Pourtant, les effetsde l'activit bancaire relativement la satisfaction des besoins de la clientle departiculiers mritent d'tre interrogs. Plus prcisment, dans la mesure ol'exclusion bancaire est aujourd'hui considre comme Wlflau social a.u sein denombreux pays dont la France, il est lgitime d'interroger les pratiques destablissements bancaires au regard de cette ralit et ainsi valuer, ou au moinsposer les bases ncessaire une telle valuation, cet aspect de leur responsabilit

    1 Les propos rapports ici sont issus de: EM Lyon, 2006, p. 7.

    34

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    sociale. C'est ce que ce propose de faire cette contribution. Pour cela, larflexion s'organisera en deux parties. La premire mettra en lumre pourquoiun accs adquat aux services bancaires est indispensable pour la participationindividuelle et collective au fonctionnement de la socit. En effet, lesdifficults bancaires entretiennent des liens troits tant avec les problmatiquesde pauvret et d'exclusion sociale individuelle qu'avec celles macroconomiquesde cohsion sociale~ Autrement dit, cette partie tentera de rendre explicite lesraisons pour lesquelles et dans quelle mesure il est lgitime de considrer laproblmatique d'exclusion bancaire dans une perspective de responsabilitsociale des tablissements bancaires. Dans un second temps, ce sont davantageles pratiques des tablissements bancaires qui seront tudies. Au regard desprincipaux enseignements dgags lors de la premire partie, l'objectif sera demontrer dans quelle mesure les pratiques des banques participent audveloppement ou limitent les risques d'exclusion bancaire en distinguant lesdiffrents types de rseaux voluant en France. Cette analyse permettra dedonner voir l'ventuel engagement effectif ainsi que les possibilitsd'exprimentations socialement responsables des tablissements bancaires enmatire d'exclusion bancaire.

    1. L'exclusion bancaire comme enjeu socital

    S'il est lgitime d'valuer la responsabilit sociale des entreprises en matire derespect de l'environnement ou bien au regard de leurs pratiques quant aurespect des droits de l'Homme, c'est en raison de l'acceptation gnralise deces aspects de leur activit comme essentiels l'amlioration des conditions devie de tous. Mais qu'en est-il des services bancaires destination des particuliers? Plus prcisment, peut-on lgitimement envisager que l'activit d'entreprisesfournissant des comptes de dpt et d'pargne, des moyens de paiement ou descrdits2 puisse faire l'objet d'une valuation sociale?

    2 Nous laissons volontairement de ct l'aspect investissement socialement responsable desproduits d'pargne qui ne correspond pas aux problmes d'exclusion bancaire et les produitsd'assurance bien que ces derniers puissent tre consdrs dans une problmatique d'exclusionfmancire.

    35

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    us consquences sociales comme base de l'analYse de l'exclusion bancaire

    En nous appuyant sur les travaux anglo-saxons (Leyshon & Thrift, 1995, 1996 ;Kempson & Whyley, 1999 ; FSA, 2000) - pionniers en la matire

    -- et sur nospropres analyses (Gloukoviezoff, 2003 et 2004 notamment), il est possible d;~valider l'hypothse selon laquelle l'exclusion bancaire des particuliers est unchamp pertinent pour l'analyse de la responsabilit sociale des entreprises. Eneffet, il n'est plus possible aujourd'hui de .mener une vie sociale normale si l'oune dispose pas d'un accs, et d'un accs de qualit, un minimum de service'sbancaires. Nous dfinissons l'exclusion bancaire comme le processu~ par lequelune personne rencontre de telles difficults d'accs et/ou d'usage dans sespratiques bancaires qu'elle ne peut plus mener une vie sociale normale dans 1:1socit qui est la sienne. L'exclusion bancaire n'est donc dfinissable que parrapport aux consquences sociales des difficults qui la composent. Elle peutaffecter des personnes ou des groupes entiers. Les consquences sociales qui lacomposent varient selon la socit considre mais aussi selon le statut de lapersonne ou du groupe concern. Les liens entre difficults bancaires etexclusion sociale sont constitutifs de cette dfinition.

    En effet, que ce soit l'accs ou l'usage du compte indispensable la perceptiondes salaires et prestations sociales, des moyens scripturaux de paiementncessaires de nombreux rglements impossibles en espces, ou des crdits _.-principalement la consommation - dont le dveloppement correspond etlpartie une rponse la monte des prcarits, le recours aux servicesbancaires est aujourd'hui socialement contraint. TIn'est pas possible de passeroutre. C'est donc au regard de leur contribution la survenue d'ventuelle')difficults que les pratiques des tablissements bancaires peuvent tre values.Il est d'ailleurs particulirement intressant de remarquer que les pionniers enmatire d'tude de l'exclusion bancaire que sont Leyshon et Thrift (1995)mentionnent une possibilit d'action pour rduire l'exclusion bancaire quipointe prcisment la responsabilit sociale de ces tablissements. En effet, one avenue that is currentlY being explored by members of the New Economics FoundatiolJand the UK Social Investment Forum to bringpressure to bearfor an EU Banking Directivewhich emphasizes the social responsibilities of banks. (p. 338). Cependant, explique:rque l'accs aux diffrents produits bancaires est indispensable pour mener unevie sociale normale est insuffisant pour permettre une analyse pertinente de laresponsabilit sociale des tablissements bancaires. Pour cela, il est ncessairede s'interroger sur les raisons de ce caractre socialement incontournable.

    36

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    Des volutions sodtales qui dpassent les seuls tablisseuJcnts ballcaires

    Comment les services bancaires sont-ils devenus incontournables au sein dessocits modernes et plus prcisment au sein de la socit franaise? Est-ceque les services bancaires que sont le compte, les moyens de paiementscripturaux ou les crdits se sont largement diffuss naturellement ou y a-t-ileu un certain nombre de dcisions publiques ou prives qui ont favoris cettediffusion? A l'origine de la diffusion des services bancaires au sein de la socitfranaise partir du milieu des annes 60 se trouve l'intervention de l'tat quidevait faire face ses propres besoins de f111ancement et ceux des entreprisesprives lis la croissance des trente glorieuses . La solution fut de conduireles mnages dposer leurs conomies jusqu'alors conserves trs majoritai-rement en espces, au sein des tablissements bancaires en rendant obligatoirela mensualisation et la domiciliation des salaires et en modifiant le cadrerglementaire du secteur bancaire (suppressio'n de la spcialisation bancaire,leve de l'autorisation pralable d'ouverture de guichet, instauration de gratuitdes chques en change de l'absence de rmunration des comptes de dpt,etc.).

    Ces volutions avaient une double utilit: d'une part, favoriser la mobilisationde l'pargne des particuliers par les tablissements bancaires pour octtoyer descrdits aux entreprises, et d'autre part, viter que les salaires verss en liquide nesoient pas dclars et chappent ainsi l'imposition. L'efficacit de ces mesuresest vidente: en 1966, seuls 18 0/0 des mnages disposaient d'un compte dedpt ou d'un compte pargne, ils sont 92 0/0en 1984 et 99 0/0en 2001 (Bonin,1992 ; Daniel & Simon, 2001). On le voit, en matire de diffusion des compteset des moyens scripturaux de paiement, l'tat joue un rle particulirementactif. En matire de crdit, les choses sont un petit peu diffrentes, bien qu'ilreste encore une pice essentielle du mcanisme. Ce sont cette fois lesvolutions de la socit salariale qui vont entraner un recours accru aux crdits la consommation. En effet, le dveloppement du chmage de masse, de laprcarit et l'apparition des travailleurs pauvres ont profondment dstabilisles solidarits institutionnalises lies au contrat de travail salari dureindtermine. Ce nouveau rapport l'emploi se traduit non seulement par unappauvrissement des personnes concernes mais transfert galement entirement l'employ des charges autrement assumes conjointement avec l'employeur, commeles rgimesd'assuranceset de retraites. (Duhaime, 2003, p. 15). C'est galement leconstat que dresse Ford (1988) dans son tude sur les raisons du

    37

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    dveloppement du surendettement en Grande Bretagne, en relevant troisprincipales causes:

    -la remise en cause de l'tat-providence par la vague no-librale ;

    - le dgonflement des fonctions publiques;

    - la restructuration des grandes entreprises face aux nouveaux rapportsconomiques lis la mondialisation.

    Ce sont ces changements macroconomiques associs la diffusion massiv{~des services bancaires au sein de la socit qui conduisent les personnes 1recourir aux crdits (dcouverts, crdits, etc.) pour faire face aux besoinsponctuels de liquidits. C'est ce que soulignent, propos de la situationamricaine, Sullivan et al. (2000, p. 137, cit par Ramsay, 2003, p. 23): ConSNflJel1now use credit cards to see them through a time of crisisfor whichpublic assistanceisunavailableor inadequate.If thry survive,as most do, th~ willpay high interestrates, blltthry will eventuallYget back on theirfiet. If thf!Ydo not, thf!Ycan nonethelessconsumethegoods and services thf!Y need and shuck the credit balances when the debt scheme e1Jentua~ycollapses. L'tat, prenant appui sur les banques, est donc dans un premie.rtemps, l'architecte de la diffusion des services bancaires au sein de la socitfranaise, puis un responsable indirect de par son dsengagement en matire d4~protection sociale. Bien sr, il accompagne par l des volutions socitales (lebesoin de ftnancement de la croissance, la prcarisation du march du travail)mais d'autres choix auraient sans doute pu tre faits. Son rle est donc capital.Concernant les banques, il est indispensable de souligner que grce ce:)volutions, elles ont obtenu une clientle massive et captive. En effet, s'il estpossible de changer de banque, il n'est pas possible de s'en passer et quand bienmme il existe diffrents rseaux bancaires, la concurrence au sein de ce secteurn'est pas aussi forte qu'elle pourrait l'tre3. Alors, bien que les professionnels dusecteur bancaire soulignent qu'ils ont quotidiennement travailler avec de:;clients qu'ils ne dsirent pas car ils ne sont pas rentables, la consommation .:

    -

    C7'Q)Ln'

    Q) t g 0 0~fi) ~0,;..~u=o

    ~Ln'~0 0 0

    ~8 &0

    ..~'~

    u-@: 'Cd

    'M ~~ ~ ~ 00 0 ~ 0 ~ ~ ~~~ cuenCdair 5bcuen OCUen

    ~'~,

    ~ Cd 0 (J d ~ ~ 'cu ~ d~. ::s ~ rJ u

    ~ 0 'P; d ~ t:-4 cu~e.::;cu 0

    ~~ Cd en 0 ~ ~~ a'q ~ .-c E 5 u B v ~ ~ ~ '\1 0 8t-..I,~ 5 ~ 'cu CU::s en cu ~

    '

    t:: ~ cuCd ,~',fj ::s ~.-c.-c tj4 ~::s en ~ :>

    ~.~ dO.. ~ CU'~ ',fj i:T'cu urd ::s

    .-c ~ ~ Cd ,; '::S ~ fi~ ~ ~ ~ ~ ~,.......... ~ f .....

    ~

    en 0-e ~ u Cd d ......e,

    ~ r~r 'S:> en" ~ cu ~ ~~ d a,~ ~(\t")

    ~ .~ ces cu ::s d d en 0 rn.-c Cd0\ ~~ U -en "; 0 d t .-c '& fj

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    3.4 L'utilisation des recommandations de la GR!

    En ce qui concerne l'utilisation des recommandations du GR! par les banquescanadiennes, nos rsultats indiquent que leur adoption se constate encore unniveau trs modeste. Pour les annes 2002 et 2003 sous tude, seules deuxbanques en font mention, et mme l'utilisation qu'elles en font se situe encoreau niveau informel, c'est--dire une simple mention de la GR! comme unesource d'inspiration sans expliquer davantage sur quels aspects du rapport lesprincipes recommands par celle-ci s'appliquent. Du ct des banques chefs defue que nous avons analyses, on ne peut pas non plus parler d'usage gnralis.L'utilisation demeure trs partielle.

    4. Discussion et conclusion

    Sur le plan pratique, cette recherche a permis de mieux comprendre laconception de la RSE applique au secteur des banques. Bien que la dfInitionreflte dans les rapports sociaux reprenne la vision gnrale dj exprimedans la littrature managriale, l'analyse des pratiques rapportes et de la faondont la performance est prsente nous a conduit relever des caractresdistinctifs de la RSE des banques. La composante gestion de risques rvleque pour les banques, la responsabilit ne demeure pas un niveau strictementorganisationnel, mais s'exerce aussi dans leur champ. La gestion des nouveauxrisques, soit ceux sociaux et environnementaux, partie intgrante ducomportement responsable, implique principalement l'imposition de nouveauxcritres aux clients et aux fournisseurs dans les politiques de fmancement etd'appel d'offres. Dans leur rle d'intenndiaire conomique, les banques sontinterpelles faire usage de leur rle de catalyseur. Nanmoins, les banquescanadiennes n'abordent encore que modestement cette composante distinctiveet semblent en retard par rapport celles trangres chefs de file. Les dfis sesituent au niveau de la mise en uvre et du dveloppement des mesures deperformance pour les banques canadiennes puisque celles-ci commencent aussi considrer ces nouveaux risques.

    Sur le plan mthodologique, cette recherche est novatrice en ce qu'elle a tconduite suivant une dmarche inductive. tant donne la raret de travauxantrieurs ayant port sur le secteur financier, le reprage des pratiques et desindicateurs spcifiques ce secteur n'aurait pas t complet si nous avionschoisi d'appliquer une grille prexistante.

    Les rsultats de notre recherche conduisent vers de nouvelles pistes explorertant dans le domaine de la RSE que dans celui de la gestion stratgique:

    95

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    -l'analyse de concordance entre le discours et la vritable mise en uvre de lastratgie de RSE : par exemple, on a observ que les banques canadiennesfavorisent les pratiques dites responsables envers la communaut, entre autrespar des partenariats avec les OBNL. La question explorer devrait concerner lamanire de dcider des choix stratgiques relativement aux domaines et auxtypes d'organismes avec lesquels les banques mnent ce genre de partenariat;

    -l'analyse de l'efficacit des politiques publiques: il y aurait lieu de se demande!si les entreprises obliges de divulguer font un meilleur reporting.La rponse nesemble pas toujours affinnative22 ;

    -l'analyse des distinctions attribuables la forme organisationnelle et lastructure juridique (par exemple banques cooprativesversus banquescorporatives) tant au niveau du discours vhicul via le reportingqu' celui de lamise en uvre de la RSE.

    Quant aux limites de notre recherche, elles sont essentiellement de naturemthodologique. La stratgie de recherche choisie, soit l'analyse documentaire,ne nous permet pas de vrifier l'application concrte du discours dans lespratiques relles des institutions et l'intgration vritable de la politique RSE ausein de la stratgie des banques. D'autre part, l'tude des rapports pour lesseules annes 2002 et 2003 ne peut pas suivre l'effet d'apprentissage acquis parles banques lors des annes subsquentes.

    Bibliographie

    ABBOTT, W.F. et MONSEN, R.J., 1979. "On the measurement of corporate socialresponsibility: Self-reported disclosure as a method on measuring corporate socialinvolvement". Acadell!J of Management Journal, 22: 501-515.

    ADAMS, C. et HARTE, G.F., 1998. "The changing portrayal of the employment of women in

    British banks' and retail companies' corporate annual reports". Accountin& Organizations and

    SocietY, 23(8): 781-812.

    22Par exemple, en France, un an aprs la premire application de l'article 116 de la loi NRE, leschercheurs du cabinet Groupe Alpha (Sainey et al., 2003) ont mis un premier rapport valuant.entre autres la manire dont les socits du SBF 120 ont respect les dispositions lgales qui leuront t imposes et ont conclu que: Indpendamment des rsultats intressants obtenus parune poigne d'entreprises, pour la plupart du CAC 40 ou de taille et d'activit limites auterritoire national, notre tudemontte que les entreprises du SBF 120 se sont dans l'ensembl~acquittes de faon peu satisfaisante de leurs obligations lgales en matire de loi NRE. (p.44).Lors du renouvellement de leur tude un an plus tard, soit celle portant sur la deuxime anned'application de la loi NRE, les chercheurs du cabinet Groupe alpha (Goudard et al., 2004)arrivent aux mmes conclusions.

    96

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    ADAMS, Carol, 2002. "Internal organizational factors influencing corporate social and ethicalreporting" , Accounting, Auditing and AccountabilitY, 15(2) : 223-250.

    AERTS, W., CORMIER, D. et MAGNAN, 2003. Mimetic behavior in environmental repotting: aninternationalperspective. Financial reporting and business communication annual Conference,Cardiff University, congrs de l'EAA, Sville.

    BELKAOUI, A. et KARPIK, R.G., 1989. "Determinants of the corporate decision to disclosesocial information", Accounting, Auditing and AccountabilitY,2(1) : 36-51.

    BRUMMER, J. J., 1991. CorporateResponsibilitYand Legiti1Ntlty,New York, Greenwood Press.

    CAMPBELL, D.J., 2000. "Legitimacy theory or managerial reality construction? Corporate social

    disclosures in Marks and Spencer PIc corporate reports 1969-1997". Accounting Forum, 24(1):80-100.

    CORMIER, D. et GORDON, I., 2001. "An Examination of Social and EnvironmentalReporting Strategies", Accounting, Auditing and Accountability Journal, 5: 587-616.

    DEEGAN, Craig, 2002. "11he legitimising effect of social and environmental disclosures: a

    theoretical foundation", Accounting, Auditing and Accountability, 15(3) : 282-311.

    DJEAN, F., 2003. "Po':!r une approche alternative de l'analyse de la diffusion d'informationsocitale" , Actes du 24

    UlIe

    congrs de l'Association franaise de comptabilit (APC), Louvain.

    DJEAN, F. et J. Gond. 2003. La responsabilit sodtale des entreprises: enjeux stratgiques et stratgies derecherche. Les notes du LIRHE, no 382.

    DE SERRES, Andre, La responsabilit sociale des banques: utopie ou ralit? )) Exclusion et liensfinanciers. Rapport Centre Walras 2004. Universit Lumire Lyon 2. Economica. Janvier 2004

    DE SERRES, Andre et ROUX, Michel, 2003. Le dveloppement d'indicateurs de laresponsabilit sociale pour valuer le niveau de responsabilisation sociale des banques et desinstitutions fmancires : Analyse compare des contextes amricain, anglais, canadien etfranais , Actes de la Sme Universitde Printempsde !Institut d'Audit social(lAS), Corte.

    DONALDSON, T. et L.E. PRESTON, 1995. The stakeholder theory of the corporation:concepts, evidence, and implications . Academy of Management. The Academy of ManagementReview, vol. 20, no 1, p. 65-91.

    GENDRON, C., 2000. Le questionnement thique et social de l'entreprise dans la littraturemanagriale , s cahiers du CRISES (Cntre de recherchesur les innovations sociales),collection(

  • MANAGEMENT & SCIENCES SOCIALES

    GUTHRIE, J. et Parker, L.D., 1990. "Corporate social disclosure practice: A comparativeinternational analysis",Advancesin PublicInterestAccounting,3: 159-175.

    JENSEN, M.C. et W.H. MECKLING. 1976. Theory of the firm: Managerial behavior, agencycosts and ownership structures .Journal ufFinancial Economics,vol. 3, no 4, p.305-360.

    JEUCKEN, M. 2001. Sustainable Finance and Banking. The Financial Sectorand the Flltllre of the Pianet.Londres: Earthscan.

    KOLK, Ans et al., 2001. "Environmental reporting by the Fortune Global 250;E,xploring thl:influence of nationality and sector", Business Strategy and the EnviroNment, 10(1) : 15..28.

    MILNE, M.J et ADLER, R.W., 1999. "Exploring the reliability of social and environmentaldisclosures content analysis", Accollnting,Auditing and AccountabilitY, 12(2) : 237-256.

    MITCHELL, R., BRADLEY Agie et Donna WOOD. 1997. Toward a theory of stakeholderidentification and salience: Def111ing the principle of who and what really counts. TheAcademy of Management Review, vol. 22, no 4, p. 853.

    PATTEN, D.M., 1990. "The market reaction to social responsibility dsclosures", Accounting,Otganizations and SocietY, 15(6) : 575-587.

    PATTEN, D.M., 1991. "Exposure, legitimacy and social disclosure", Journal of Accounting andPllblicPolifJ, 10: 297-308.

    PEE1"ERS, Herwig, 2003. "Sustainable development and the role of the financial world",Environment, Development and SustainabilitY, 5(1-2) : 197-230.

    RICHARDSON, A.J. et Welker, W., 2001, "Social Disclosure, Financial Disclosure and the Costof Equity Capital". Accounting, Otganizations and societY26: 597-616.

    RICHARDSON, A.J., 1987. "Accounting as a legitimating organization". Accounting, Otganizationsand SocietY, 12(4): 341-355.

    ROBERTS, C.B., 1992. "Determinants of corporate social responsibility disclosure: Anapplication of st