13
 e  BIENVENUE AU FESTIN f Oui, c’est à un véritable festin que vous convie une fois de plus Marmite & Micro-onde. En entrée, du confit d’oie, sous la forme de douze recettes inattendues concoctées par Jérôme Paul. Gardez une grosse place pour la suite, car le Guide intergalactique de la pizza de Karim Berrouka est de retour pour son quatrième (et dernier) opus. Si ce plat est un peu trop lourd pour votre estomac (après douze parts de confit d’oie, on peut comprendre), laissez-vous tenter par le poisson goulu de Sébastien Gollut. Accompagné d’une fricassée de champignons, c’est un régal ; petit conseil du Chef Pierre Cardol , évitez le satyre puant, et suivez les instructions de Didier Trumeau : sa science mycologique est sans limite. Une part de camembert – c’est Cyrano en personne qui régale – et vous pourrez passer au dessert : un Père Noël en chocolat, concocté par Lucie Chenu. Après tout cela, vous patienterez jusqu'au quatre heures ? U n goût er constitué du pain-chocolat de Sandrine Bettinelli. Les mets les plus simples sont parfois les meilleurs. Magique, tout cela, n’est-ce pas ? Non ? Mais si ! Lisez l’article érudit des professeurs Bally et Gechter, et vous serez convaincu. Magique, je vous dis, avec un M, comme M&M. Philippe Heurtel, Août 2004 GUIDE INTERGALACTIQUE DE LA PIZZA  – N°4 – K ARIM BERROUKA  ˜ Des nombreuses planètes nom- mées Almoha, en l’honneur d’un grand explorateur métaphorique des siècles pré-expansion spatiale, celle qui retiendra le plus notre attention, culinairement il s’entend, est la troisième planète en orbite autour d’Alcyone. Son climat étran- ge n’en fait pas une destination de rêve. Si ce n’est pour les fans de planche à voile et de deltaplane, deux sports désuets remis à la mode récemment par la Guilde Des Nostalgiques Des Loisirs Qui Fati- guent Sans Apporter La Moindre Compensation Financière (GDNDL- QFSALMCF™©®). Il est d’ailleurs fortement décon- seillé de s’y rendre sans un harna- chement de plomb d’au moins trois cents kilos. Le danger y est cons- tant, et l’on ne compte plus les cas de touristes happés par les tourbil- lons permanents, pris à partie, en- rôlés ou kidnappés par les hordes de fanatiques divers. Bref, la visite d’Almoha ne s’adresse qu’aux poids lourds de l’exploration gastrono- mique. Mais ceux qui passeront au tra- vers de tous ces dangers pourront découvrir une des raretés de la galaxie : la windza. Une pizza à la saveur rafraîchissante, au bouquet revivifiant, un ouragan de bonheur, un cyclone de succulence, disent les rares à y avoir goûté. Pour notre plus grand désarroi, cette pizza ne se conserve pas plus d’une minute. Elle doit être consom- mée dans l’instant, ce qui en interdit toute exportation. 3 SPECIALITES DU CHEF 3 Le Guide de la pizza n°4 (Karim Berrouka) 1 Confits d’oie (Jérôme Paul) 2 Le Théâtre de Barbe Bleue ( Lucie Chenue) 3 Magie (Nico Bally, Olivier Gechter) 6 Le Satyre puant (Pierre Cardol) 8 Pain chocolat (Sandrine Bettinelli) 8 Les camemberts de l’imaginaire 8 Chapeau ! (Didier Trumeau) 9 Poisson goulu (Sébastien Gollut) 12 Colorants et conservateurs : Sébastien Gollut, Philippe Heurtel, Audrey Isbled, Treizième Tante. ISSN 1766-8816 (Hé oui, M&M est désormais disponible à la Bibliothèque Nationale de France et possède son numéro d’ISSN, comme les grands. C’est fou le nombre d’administrations qui s’intéres- sent à nous, cet te année : BNF, Education Nationale Ministère de l’Inté rieur...

Marmite et Microonde n°11

Embed Size (px)

DESCRIPTION

3SPECIALITES DU CHEFBIENVENUE AU FESTINfLe Guide de la pizza n°4 (Karim Berrouka) Confits d’oie (Jérôme Paul) Le Théâtre de Barbe Bleue (Lucie Chenue) Magie (Nico Bally, Olivier Gechter) Le Satyre puant (Pierre Cardol) Pain chocolat (Sandrine Bettinelli) Les camemberts de l’imaginaire Chapeau ! (Didier Trumeau) Poisson goulu (Sébastien Gollut)Colorants et conservateurs : Sébastien Gollut, Philippe Heurtel, Audrey Isbled, Treizième Tante. ISSN 1766-8816 (Hé oui,

Citation preview

Page 1: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 1/12

 

e B IENVENUE AU FESTIN f

Oui, c’est à un véritable festin que vous convie une foisde plus Marmite & Micro-onde .En entrée, du confit d’oie, sous la forme de douze

recettes inattendues concoctées par Jérôme Paul. Gardezune grosse place pour la suite, car le Guide intergalactiquede la pizza de Karim Berrouka est de retour pour sonquatrième (et dernier) opus. Si ce plat est un peu trop lourdpour votre estomac (après douze parts de confit d’oie, onpeut comprendre), laissez-vous tenter par le poisson goulude Sébastien Gollut. Accompagné d’une fricassée dechampignons, c’est un régal ; petit conseil du Chef PierreCardol , évitez le satyre puant, et suivez les instructions deDidier Trumeau : sa science mycologique est sans limite.

Une part de camembert – c’est Cyrano en personne quirégale – et vous pourrez passer au dessert : un Père Noëlen chocolat, concocté par Lucie Chenu. Après tout cela,vous patienterez jusqu'au quatre heures ? Un goûterconstitué du pain-chocolat de Sandrine Bettinelli. Les metsles plus simples sont parfois les meilleurs.

Magique, tout cela, n’est-ce pas ? Non ? Mais si ! Lisezl’article érudit des professeurs Bally et Gechter, et vousserez convaincu. Magique, je vous dis, avec un M, commeM&M.

Philippe Heurtel, Août 2004 

™ GUIDE INTERGALACTIQUE DE LA PIZZA – N°4 – KARIM BERROUKA ˜

Des nombreuses planètes nom-mées Almoha, en l’honneur d’ungrand explorateur métaphoriquedes siècles pré-expansion spatiale,celle qui retiendra le plus notreattention, culinairement il s’entend,est la troisième planète en orbiteautour d’Alcyone. Son climat étran-

ge n’en fait pas une destination derêve. Si ce n’est pour les fans deplanche à voile et de deltaplane,deux sports désuets remis à lamode récemment par la Guilde DesNostalgiques Des Loisirs Qui Fati-

guent Sans Apporter La MoindreCompensation Financière (GDNDL-QFSALMCF™©®).

Il est d’ailleurs fortement décon-seillé de s’y rendre sans un harna-chement de plomb d’au moins troiscents kilos. Le danger y est cons-tant, et l’on ne compte plus les cas

de touristes happés par les tourbil-lons permanents, pris à partie, en-rôlés ou kidnappés par les hordesde fanatiques divers. Bref, la visited’Almoha ne s’adresse qu’aux poidslourds de l’exploration gastrono-

mique.Mais ceux qui passeront au tra-

vers de tous ces dangers pourrontdécouvrir une des raretés de lagalaxie : la windza. Une pizza à lasaveur rafraîchissante, au bouquetrevivifiant, un ouragan de bonheur,un cyclone de succulence, disent

les rares à y avoir goûté.Pour notre plus grand désarroi,cette pizza ne se conserve pas plusd’une minute. Elle doit être consom-mée dans l’instant, ce qui en interdittoute exportation.

3  SPECIALITES DU CHEF 3

Le Guide de la pizza n°4 (Karim Berrouka) 1

Confits d’oie (Jérôme Paul) 2

Le Théâtre de Barbe Bleue (Lucie Chenue ) 3

Magie (Nico Bally, Olivier Gechter) 6

Le Satyre puant (Pierre Cardol) 8

Pain chocolat (Sandrine Bettinelli) 8

Les camemberts de l’imaginaire 8

Chapeau ! (Didier Trumeau) 9

Poisson goulu (Sébastien Gollut) 12

Colorants et conservateurs : Sébastien Gollut,Philippe Heurtel, Audrey Isbled, Treizième Tante.

ISSN 1766-8816 

(Hé oui, M&M est désormais disponible à la Bibliothèque Nationale de France et possède son numéro d’ISSN, comme les grands. C’est fou le nombre d’administrations qui s’intéres- sent à nous, cette année : BNF, Education Nationale, Ministère de l’Intérieur...

Page 2: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 2/12

 

arm te cro-on e n

2

Né en 1967, Jérôme Paul vit aux Pays-bas. Depuis 1997, il a publié plusieurs textes dans de nombreuses revues : Albatroz, Archipel, Encre noire, Hésitations d’une mouche, Mauvaise graine, Microbe, Salmigondis, Scribanne, LeSpantole, Traversées, Verso... En 1999, il a publié sur le site Internet d’Ecrits...vains une pièce de théâtre.

e CONFITS D’OIE – JEROME PAUL e

- 1 -

Ce président-là, je l'ai convaincude ne pas déclarer une guerre grâ-ce à un pot de confit d'oie. Et cetautre chef d'état, je l'ai décidé de lamême façon à faire une guerre. J'aides intérêts ici et là. C'est pourquoiil faut savoir corrompre les puis-sants.

- 2 -

Nous étions enfin parvenus dansla chambre forte après avoir déjouéles alarmes les plus ingénieuses.

Une dernière manipulation, et lepetit coffre contenant le fameuxconfit d'oie serait ouvert. C'étaitsans compter la douzaine d'oies  jusque-là dissimulées dans l'ombrequi surgirent, pincèrent, cacar-dèrent. Nous étions perdus.

- 3 -

A l'aéroport, le trafic de confit d'oieest de plus en plus difficile. Les potsd'un litre passés dans les valises,c'est de la préhistoire. Les boulettes

plastifiées en transit intestinal,c'était hier. Aujourd'hui, il nous fautinventer de nouvelles ruses :implants mammaires pour lesfemmes, implants testiculaires pourles hommes, et pour donner unechance aux plus malheureux, il y al'implant cérébral. Que ne ferait-onpas pour du confit d'oie !

- 4 -

Cette course-poursuite est incroy-able ! J'ai derrière moi trois véhi-

cules de police, sirènes hurlantes,une voiture super sport des servi-ces secrets, phares aveuglants allu-més, et quatre motos de la mafia,équipées de mitraillettes et d'un ba-zooka. Ils veulent tous connaîtrel'énigme de mon moteur. Nous tra-versons à vive allure des ruespiétonnes. Ils ne me rattraperont  jamais. Nous zigzaguons à contre-sens sur l'autoroute. Ils espèrentm'attraper pour enfin découvrir lesecret de mon carburateur fonction-

nant au confit d'oie. Ils peuventtoujours courir !

- 5 -

Le bourreau était de ceux quitravaillent au couteau pour le plaisirdu sang sur les mains. Encore unqui rejetait la modernité et sestueries perfectionnées. La jeunevictime s'inquiétait. Si son héros nese dépêchait pas, elle serait exécu-tée. Elle avait promis d'être safemme s'il arrivait à temps. Il avaitpréféré un pot de confit d'oie. Ellecommençait maintenant à douter del'efficacité d'un tel sauveur.

- 6 -

L'espionnage n'est pas un jeud'enfant, et cette mission nécessitaitun partenaire de confiance. A nousdeux, nous avions pu échapper à lasurveillance. Nous pensions êtretirés d'affaire quand un dernier ad-versaire nous barra le chemin de samitraillette. Deux contre un, c'étaitfaisable. Je tournai les yeux versmon compagnon pour engager laparade, mais celui-ci, souriant, mevisait de son pistolet. J'étais trahi et

dus céder le pot de confit d'oie,l'objet de cette désastreuse expédi-tion.

- 7 -

« Confie-toi, mon fils » me dit pourla énième fois l'homme d'église.Jusque-là, j'avais su résister auxnombreux pots en grès qu'il mecassait sur la tête, mais maintenant  je me demandais si je sauraisencore me taire devant la menaced'avaler un confit d'oie de la plus

mauvaise qualité.- 8 -

Pour échapper aux preneursd'otages, mais aussi dans le but deles éliminer tous par surprise etsans bruit, je m'étais caché dansl'immense réseau d'aération de l'im-meuble. J'y avais tendu un piège.Attirés par le fumet d'un excellentconfit d'oie, ils pénétraient un par undans les conduites et là, au détourd'un coude, je leur donnais le coup

de couteau nécessaire.

- 9 -

Il fallait prendre toutes les précau-tions et cependant faire vite. Nousavions à peine dix minutes pourtrouver et désamorcer la bombe.L'embêtant pour eux, c'est qu'ils nesavaient pas de quel type debombe il s'agissait. Ils craignaientun truc atomique. Moi, ça ne m'inti-midait pas. Pourtant, quand je visl'objet, je connus pour la premièrefois la peur : une machine infernalebranchée sur un pot de confit d'oie.Nous étions foutus !

- 10 -L'air confiné de la station orbitale

se renouvelait un peu, mais le filtreanti-bactérien ne fonctionnait plus.La Terre se creusait la tête pournous sauver avec les moyens dubord. Sous peu, nous serionsmortellement contaminés. Je mesouvins alors du pot de confit d'oieapporté en cachette. A peine lecouvercle ôté, les bactéries seruèrent dans le pot. Le confit bouil-

lonnait de leur activité gloutonne.On jeta le tout par nos toilettes spa-tiales. Nous étions sauvés. Momen-tanément !

- 11 -

Nous tombions en chute libre,accroché l'un à l'autre. Il avait audos le seul parachute, mais moi j'avais le pot de confit d'oie. Tout enlui donnant des coups, je tâchais delui arracher le parachute. Pas facile,car tout en se défendant, il en vou-

lait à mon confit d'oie.- 12 -

On m'a attrapé aux abords dulaboratoire dans ma tenue deplongée. Ils m'ont réduit à la tailled'un centimètre, équipement com-pris. Puis ils m'ont enfermé dans cequ'ils avaient sous la main, un potde confit d'oie. Sont-ils bêtes ! C'est  justement pour leur confit d'oie que  j'ai tout risqué. Après analyse de lagraisse et des fibres, il s'agira de

sortir du pot, puis du laboratoire, etde retrouver ma taille normale.

Page 3: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 3/12

 

arm te cro-on e n

3

Lucie Chenu aime les histoires depuis qu'elle est en âge d'écouter, puis de lire. Elle est tombée dans les littératures de l'Imaginaire avant de savoir que ça s'appelait comme ça. Ses nouvelles ont été publiées ou sont à paraître dans Dragons & Microchips, L'Esprit des Bardes, Est-ce F, Faeries, Horrifique, Luna Fatalis... Le texte qui suit a été publié en juin 2003 sur Onire.com, dans l’anthologie de Martine Loncan  Un chocolat nommé désir.L’illustration est de Sébastien gollut.

7 LE THEATRE DE BARBE BLEUE – LUCIE CHENUE 7

Kevin : 

Je me suis réveillé, et pendant uninstant je me suis demandépourquoi. Alors j’ai écouté et j’aientendu : Mumu sanglotait dansson lit. Mumu, c’est ma petite sœur,elle a cinq ans. Moi, je suis grand.J’ai douze ans et je suis encinquième. Mumu, elle, elle vaencore à la maternelle. Maisl’année prochaine elle rentre en CP.Maman dit que ce ne sera pasfacile, qu’elle aura du mal à s’habi-

tuer au travail et aux règlementsparce qu’elle est tout le temps dansla lune, contrairement à moi qui suisréfléchi et obéissant. Mais plusmaman dit ça, plus Mumu a peur derentrer à la grande école.

Je me suis levé sans bruit et jesuis allé jusqu’à son lit. Je lui aidemandé pourquoi elle pleurait etelle m’a répondu, en hoque-tant : « Parce que le Père Noël vavenir me chercher ! ». Je l’ai prisedans mes bras pour la consoler. J’ai

beau lui dire que le Père Noëln’existe pas, que ce sont desbonhommes déguisés qu’elle a vusdevant les magasins et qu’elle nedoit pas avoir peur, elle ne me croitpas. Au bout d’un moment, elles’est rendormie en suçant sonpouce, mais moi, je n’avais plussommeil. Je suis descendu à lacuisine, voir s’il n’y avait pasquelque chose à grignoter. Mamandit que je suis un ogre car je dévoretoutes les provisions au fur et à

mesure qu’elle les range dans sonfrigo.

La porte de la cuisine était entrou-verte et la lumière de la lune filtraiten dessous. Je l’ai poussée douce-ment. Deux assiettes sales et lescouverts trempaient dans l’évier,depuis que je les y avais mis. Çavoulait dire que papa et mamann’étaient pas encore rentrés duthéâtre. Ils travaillent au Théâtre deBarbe Bleue, maman s’occupe descostumes et papa des décors. Ilsrentrent parfois tard du travail, maisle théâtre est à cent mètres à peine,et j’ai le numéro du portable demaman, en cas de besoin. Pascelui de papa, parce que ça l’embê-

terait pendant la représentation,mais à ce moment-là, maman estdans les loges ou dans la Remise,donc ça ne la gêne pas.

La Remise est un endroit extraor-dinaire. C’est là qu’on entrepose lescostumes de toutes les pièces quiont été jouées depuis 1870. Il paraitque c’était une année spéciale,pendant laquelle il s’est passé deschoses très importantes pour lepays tout entier, mais chez nous, jeveux dire, dans notre famille, c’estune date très importante parce quec’est celle de la fondation duThéâtre. Dans ma famille, tout lemonde de père en fils et de mèreen fille, travaille au théâtre. Lesparents de maman étaient acteurs,tous les deux, et ceux de papas’occupaient des décors et descostumes, comme papa et maman.D’ailleurs, papa plaisante souventlà-dessus en disant que mamann’est pas tombée amoureuse de luimais qu’elle a choisi sa belle-mère

pour apprendre le métier. Ensuiteseulement, elle a regardé le fils.Quand papa plaisante comme ça,maman le regarde tendrement ensouriant, et lui rit très fort. À cesmoments-là, je me sens heureux.

J’étais en train de rêver à ce que  je ferai au Théâtre quand je seraigrand, en grignotant un morceau dechocolat que j’avais trouvé dans lefrigo, quand j’ai entendu la ported’entrée s’ouvrir. Il était une heuredu matin, papa et maman rentraient

enfin !Ils n’étaient pas seuls. J’entendaisde nombreuses voix dans l’escalier.Il arrivait de temps en temps queles membres de la troupe viennentprendre un verre à la maison aprèsle spectacle. Dans l’ensemble, jeles aimais bien, la plupart faisaitpartie de ma famille, mais ce soir-là je n’avais pas envie de les voir alors  j’ai filé jusqu’à ma chambre avecma tablette de chocolat.

Je venais juste de finir le dernier

carré quand maman s’est glisséedans ma chambre. J’ai fait semblantde dormir, mais je pense qu’ellen’était pas dupe. Entre mes pau-pières, j’ai pu la voir sourire d’un airattendri en voyant le chocolat dont

  je m’étais barbouillé. Elle m’aembrassé, puis elle est allée voirMumu dans sa chambre.

*Muriel : 

Maman est venue me voir, cettenuit, quand elle est rentrée. Ellesentait l’odeur du Théâtre ; c’est leproduit qui sert à empêcher lesmites de manger les costumes. Jelui ai dit que j’avais encore rêvé desméchants Pères Noëls qui veulentm’attraper, mais elle m’a dit que lescauchemars ne se réalisent jamaiset que je ne devais pas avoir peur.Elle m’a demandé ce que je voulaiscomme cadeau et je lui ai dit « unbazooka pour tuer les méchants »,alors elle a ri et m’a dit de faire debeaux rêves.

*Kevin : 

Le lendemain, quand je me suislevé, mes parents dormaient

encore. Je suis assez grand pourm’occuper du petit déjeuner et deMumu, maintenant. Nous noussommes habillés sans bruit, commed’habitude, nous avons mangé noscéréales chocolatées, puis noussommes partis à l’école. Mumu étaitgaie et ne semblait pas se souvenirde son cauchemar de la veille. Jel’ai laissée devant la maternelle et  j’ai continué jusqu’au collège. Il nerestait que quelques jours avant lesvacances de Noël, et les copains ne

parlaient que de ça, de ce qu’ilsvoulaient comme cadeaux, de lafamille qui allait venir ou du ski pourles veinards qui pouvaient partir.Nous, avec le Théâtre, on ne peut jamais partir : les vacances, c’est lapériode de l’année où les genssortent le plus. Donc nous, il étaitprévu que nous allions au Centrede Loisirs. La veille de Noël, nousirions au Théâtre et après lareprésentation, nous réveillonne-rions avec la troupe. Les copains

avaient l’air de trouver ça fabuleux,alors j’en rajoutais une couche,mais en vrai, ça n’avait rien d’extra-ordinaire pour moi. Tous les Noëls,tous les Jours de l’An, toutes lesfêtes se passaient de la même

Page 4: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 4/12

 

arm te cro-on e n

4

manière depuis que je suis assezgrand pour m’en souvenir. J’auraisdonné n’importe quoi pour quequelque chose de différent sepasse, pour une fois, mais leprogramme était écrit d’avance :spectacle, rangement des costu-mes, puis on mettrait des tréteaux

sur la scène et on mangerait tousensemble. Ensuite, un membre dela troupe s’éclipserait discrètementet le Père Noël ferait son apparitionpour distribuer des chocolats à tousles enfants.

La semaine s’écoula tranquille-ment sans que Mumu ne refasse decauchemar, mais elle ramena unmot de la maîtresse qui voulait voirpapa et maman pour leur parler de« ses problèmes de comporte-ment ». Il faut dire que tous sesdessins depuis un mois représen-taient des bonhommes effrayantsavec de longues barbes, quisemblaient vouloir attraper quelquechose avec leurs doigts crochus.

Quand le soir de Noël arriva enfin,nous étions surexcités. Mumucroyait encore au Père Noël, maiselle avait fini par accepter l’idée queles bonhommes qui lui faisaientpeur n’étaient pas des Pères Noël.Elle était encore assez petite pourne pas se souvenir du réveillon

précédent – d’ailleurs, elle s’étaitendormie avant la fin du repas. Elleétait donc ravie d’assister auspectacle, et j’avais fini par meréjouir, moi aussi, à l’idée du repassur la scène.

Le Théâtre de Barbe Bleue estspécialisé dans la mise en scène decontes de fées, et on vient voir sesspectacles de tout le pays. Toutesles critiques vantent la magie de lamise en scène, le merveilleux desdécors, la féerie des costumes. Latroupe a souvent eu des offresmirifiques pour partir en tournée, ouau moins pour venir faire une repré-sentation ou deux à Paris, mais ellea toujours refusé à l’unanimité.

Papa et maman disent que c’estmieux pour nous, les enfants, plutôtque d’être toujours sur les routes,mais je crois qu’ils ont peur que lamagie du spectacle s’évapore s’ilss’éloignent du Théâtre. Parce que sice n’était que pour ne pas voyager,pourquoi refuseraient-ils en plus dese laisser filmer ?

Ce soir-là, la pièce était plus oumoins inspirée de Hansel et Gretel ,le conte où deux enfants se fontemprisonner par une ogresse pouravoir voulu manger sa maison depain d’épices. La version du Théâ-tre racontait dans le détail commentune vieille femme aveugle prépareun piège pour attraper des enfants,afin de les utiliser comme ingré-dients d’une potion qui lui redonne-rait la jeunesse et la vue. La maisonn’était pas en pain d’épices mais en

chocolat, et d’ailleurs ce n’était pasune maison mais une sorte de PèreNoël en chocolat. Quand les en-fants en mangeaient un petit bout,ils se transformaient en agneaux ouen petits cochons, et c’est commeça que la vieille sorcière les attra-pait. À la fin, le Petit Peuple vient enaide aux enfants parce qu’ils ont suchanter un Cantique d’autrefois, del’époque où les humains et les Féesvivaient sur la même terre. Mumu etmoi, nous avions déjà vu la pièce

deux mois auparavant, le jourd’Halloween. En y repensant, je medemandais si ce n’était pas à causede ce Bonhomme de Chocolat queMumu faisait des cauchemars etdes dessins bizarres !

*Muriel : 

Ce soir, c’est la Veille de Noël etce soir, je saurai pour de vrai si lePère Noël existe ou non. Kevin apassé la semaine à me dire qu’il

n’existait pas, mais ma meilleureamie l’a vu l’an dernier. Et puis, ildoit nous donner des chocolats.Rien que d’y penser, ça me donneenvie. J’espère qu’il y aura duchocolat blanc, c’est mon préféré, leplus sucré. Kevin, lui, il aime mieuxle chocolat noir, bien amer et quimet longtemps à fondre dans labouche. Et puis maintenant, ontrouve aussi du chocolat rose. C’estavec ça qu’ils ont fabriqué le costu-me du Père Noël, papa et maman.Miam ! Je voudrais bien y goûter !

*Kevin : 

Avant la représentation, maman

Page 5: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 5/12

 

arm te cro-on e n

5

est toujours très énervée parcequ’elle a beaucoup de travail à ladernière minute. Elle aide les ac-teurs à enfiler leurs costumes, ellerépare les accrocs. On dirait qu’ellecoud les costumes sur eux. Elle faitdes allées et venues entre les logeset la Remise en portant de mysté-rieux paquets et il ne faut pas qu’on

traîne dans ses pattes, ni surtoutqu’on approche de la Remise.« En aucun cas vous ne devez

entrer dans cette pièce ! » nousrépète-t-on chaque fois que nousvenons au Théâtre. Mais ce soir-là,notre désir de pénétrer enfin danscet endroit secret a été plus fort que  jamais parce que, pendant la deu-xième partie de la pièce, l’énormeBonhomme en Chocolat y étaitentreposé. À chaque représenta-tion, les acteurs qui jouent le rôle

des enfants en grignotent un petitbout et ça ne se voit pas, alors,pourquoi pas nous ? En plus, c’estsûrement celui-là qu’ils vont nousdonner tout à l’heure, après leréveillon, parce que ce soir, c’est ladernière représentation de la pièce.Alors, qu’est ce que ça change sion en prend un peu maintenant ? EtMumu voulait goûter le chocolatblanc de la barbe, et le chocolatrougeâtre du costume... Et puis,nous avions faim ! L’heure à laquel-

le nous mangeons d’habitude étaitpassée depuis longtemps. Donc, cesoir-là, nous avons attendu quemaman soit comme à son habitudecaptivée par ce qu’il se passait surla scène et nous avons pris lesclefs.

Nous nous sommes faufilés dis-crètement dans les couloirs et,arrivés devant la porte de laRemise, nous avons hésité une der-nière fois. J’entendais la chansondu Cantique, c’était le moment ou

  jamais. Tous les acteurs sur scèneou prêts à faire leur entrée, papadans les cintres et maman dans lescoulisses, à fredonner avec la trou-pe, comme si leurs voix devaientajouter à la magie du spectacle.Alors nous nous sommes décidés.J’ai ouvert la porte et nous sommesentrés.

Il faisait noir comme dans un four,là-dedans. À tâtons j’ai cherché lalumière, mais je n’ai pas trouvéd’interrupteur. J’ai avancé en lais-sant traîner mes pieds sur le sol, lesmains devant moi de peur de mecogner. Mumu s’accrochait à machemise pour ne pas trébucher.Tout à coup, j’ai touché quelque

chose. On aurait dit de longscheveux et mes mains se sontprises dedans. Quelqu’un a crié dedouleur, et ce n’était pas Mumu, carquand j’ai dit « Chut ! » elle m’arépondu « Mais j’ai rien dit, moi ! ».Nous sommes restés un momentsans bouger, le c œur battant. J’aientendu un gémissement, puis

quelques rires ; je commençais àavoir la frousse, à me dire que nousallions nous faire vraiment disputer,et Mumu se pressait contre moicomme si un danger nous mena-çait. J’ai voulu faire demi-tour mais  je me suis heurté à un mur. Je nesavais plus du tout où j’étais parrapport à la porte et j’ai laisséMumu nous guider. Soudain, lalumière m’a ébloui et j’ai reçu uncoup sur la tête.

*Muriel : 

J’ai peur. Nous sommes attachés,Kevin et moi, depuis que le PèreNoël nous a attrapés. Kevin ne s’estpas encore réveillé depuis qu’il aété assommé. Le Père Noël marchede long en large en nous parlant,mais je ne comprends rien, je croisqu’il parle tout seul. Il est vieux, trèsvieux, et se frotte les mains et sepasse la langue sur les lèvres ennous regardant méchamment. J’ai

envie de faire pipi et je veux mamaman. Le Père Noël, il pue. Il sentle chocolat moisi. Beurk !

*Kevin : 

Aïe ! J’ai mal à la tête. J’ouvre lesyeux et je vois le Bonhomme enChocolat qui parle et qui bouge. J’aidû prendre un sacré coup sur latête pour voir bouger un truc enchocolat ! Pourtant, je ne me trom-pe pas ! Il coupe un morceau de sa

longue barbe et le donne à mangerà Mumu. Je veux lui crier « non ! Nemange pas ça ! » mais je n’y arrivepas. Aucune voix ne sort de mabouche. Mumu détourne la tête enpleurant, mais je sais qu’elle a trèsfaim. Elle était tellement excitée toutà l’heure qu’elle n’a pas goûté, et ilest très tard, l’heure du dîner estpassée depuis longtemps. Je saisqu’elle ne tiendra pas longtemps,même si elle connaît l’histoire. Quiest ce vieux bonhomme et pourquoiremplace-t-il la sorcière de l’histoire, je ne le sais pas. Mais je sais que sinous mangeons de ce chocolat,nous allons nous transformer etqu’il nous dévorera pour redevenir

 jeune.Heureusement, je me souviens du

Cantique. Je commence à fredon-ner, tout doucement. Les parolesme reviennent peu à peu. J’entonnele premier couplet. Mais le Bonhom-me m’a entendu et s’est retournévers moi avec un regard furieux. Ils’avance d’un air menaçant, alors je

chante de plus en plus fort, et jesupplie désespérément le PetitPeuple de venir à notre secours.Mumu a compris ce que je fais et j’entends sa petite voix se joindre àla mienne. Et puis j’entends autrechose, aussi. Comme des couine-ments de souris, des bruissementsd’ailes de papillons. Au loin, lesspectateurs font une ovation ; lespectacle a été magique, commetoujours. Mais ici, la magie menacede nous engloutir, ma sœur et moi,

car le Bonhomme en Chocolat setransforme. Ses bras s’allongent,son costume sanguinolent et salongue barbe d’un gris bleuté semettent à scintiller. Mumu se met àpleurer, alors je chante de plus enplus fort pour l’encourager. Les sou-ris et les papillons se rapprochent,mais lentement, si lentement !

Soudain, je sens tomber la corde-lette qui me liait les poignets. Vite,  je dénoue celle qui m’attache leschevilles et délivre ma s œur. Je ne

comprends pas pourquoi le Bon-homme ne fait rien pour m’enempêcher, mais il est immobilemaintenant. Je regarde autour demoi : c’est la première fois que jevois la Remise. C’est une pièceimmense, pleine de créatures étran-ges : ce sont les Lutins et les Féesqui sont venus à notre secours ! Jereporte mon attention sur le Bon-homme et je m’aperçois qu’unelarme coule sur sa joue. Il tend versmoi une main suppliante. S’il peut à

nouveau bouger, c’est que nousavons arrêté de chanter. En effet, lePetit Peuple s’efface en vacillant.Nous sommes à présent dans uncagibi, presque un placard, remplide costumes de théâtre et d’acces-soires. Un couteau est posé sur uneétagère à côté de moi, je m’ensaisis. J’entends des voix dans lecouloir : ce sont mes parents quinous cherchent. Mais ils passentdevant la Remise sans y entrer, ilne leur vient pas à l’esprit que nousavons pu leur désobéir ! Le Bon-homme de Chocolat se tient entrenous et la porte, alors je brandis lecouteau et le frappe, de toutes mesforces. J’entends des rires qui

Page 6: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 6/12

 

arm te cro-on e n

6

résonnent dans le fond du cagibi, etdes sanglots aussi. Le costume dePère Noël en chocolat se déchire etla barbe et la perruque tombent.Mais c’est moi que Muriel regardeles yeux écarquillés, car elle assisteà ma transformation. Mes gestessont ralentis comme par une espè-ce de mélasse. Je me fige.

Je n’aurais pas dû tenter de tuerle Bonhomme en Chocolat ! C’estcomme si j’en avais mangé unmorceau, sauf que là, c’est pas enagneau ou en petit cochon que jesuis transformé... Seul mon visagepeut encore bouger. Je passe malangue sur mes lèvres et je sens legoût de chocolat qu’elles ont, main-tenant. Mes yeux s’abaissent vers

la silhouette à terre, et je suis àpeine surpris de voir la dépouille devieux bonhomme s’effriter et lecorps d’un adolescent en émerger.Il a mon visage, mes traits et  jusqu’à la moindre de mes expres-sions. Il sourit en me regardant etchuchote à mon oreille « A ton tour,maintenant ! ». Puis il entoure les

épaules de Mumu d’un air protec-teur et sort avec elle de la Remise.Pourquoi ne me reconnaît-ellepas ?

*Muriel : 

Kevin a changé depuis le soir deNoël, quand nous avons fait laGrosse Bêtise d’aller jouer dans laRemise, quand on a mis plein de

désordre et qu’on a été punis, cesoir-là. Depuis sa bagarre avec lePère Noël, il me fait peur, il n’estplus gentil avec moi comme avant.Et puis, ce n’est pas normal, il neveut plus manger de chocolat !

*Kevin : 

Depuis Noël, j’attends que quel-qu’un vienne me manger et j’ai peurque ce soit Mumu : elle est sigourmande !

Voici la troisième apparition d’Olivier Gechter dans nos pages, après  La Mousse et  Les Chiens de Jean-Pierre( M&M 8 et 9). Olivier voit le fantastique partout. Là où les autres voient des portes, des ballons de rugby et des îles, lui voit des passages vers ailleurs, des œufs de dragons et des vaisseaux spatiaux. On a pu le lire dans le hors série d’ Emblème : La Mort, ses œuvres, et dans le recueil Chimères (éditions de l'Oxymore). Nico Bally, c’est une autre histoire. Croque-Monsieur d'Or trois années de suite, il plaque tout pour recommencer sa vie, devient écrivain le temps de publier quelques textes ( Elegy, Luna Fatalis, La Nef des fous  ). Rendu agressif par un com- plexe sexuel inavouable, il décide de tout foutre en l'air et s'associe à Olivier pour effectuer la recherche qui suit.L’illustration est de Sébastien gollut.

G MAGIE – ARTICLE TIRE DE L’E  NCYCLOPEDIA U  NIVERSALIS 4027  GRECHERCHES EFFECTUEES PAR NICO BALLY, OLIVIER GECHTER

Définition

n.f. du verbe français «manger»signifiant «absorber des substances organiques extérieures dans le but de renforcer son corps».

La magie désigne l’ensemble despratiques antiques basées sur lacroyance d’un état primordial desaliments. Ces pratiques existaient àl’aube de l’humanité et prirent fin audébut de l’ère d’Intégration Indus-trielle.

Déroulement des rites magiques 

Composition du clergé

La magie était pratiquée par les«mages» dont l’élite sacerdotaleétait identifiée sous le terme de«Cordons Bleus» ou «prêtresKuisto» ; plus rarement «MaîtresQueue», mais cette référence à unappendice caudal reste obscure.

Ces personnages se différen-ciaient de leurs contemporains àleurs robes blanches et à leurscouvre-chefs, apanages des mages

de cette époque. Les chapeaux per-mettaient de différencier le niveaude pratique des différents magi-ciens, les apprentis se contentantde toques alors que les grandsmaîtres portaient une mitre en

forme de champignon, emblème de

leur fonction («champignon» signi-fiant «champion» dans la hauteantiquité).

Les Cordons Bleus réunissaientdifférents ingrédients (herbes,potions, poudres farineuses, ani-maux morts), les mélangeaientsuivant les instructions d’un gri-moire et à l’aide d’outils magiques(baguettes, fouets, marmites, etc.)pour former un produit sensé apai-ser la faim et provoquer un orgas-me stomacal. Les grands maîtres

de l’ordre étaient les seuls autorisésà inventer de nouvelles formulesmagiques, telles que le redoutable«BœufStrogonoff», ou l’inquiétante«Pêche Melba ».

Procédés magiques

Pour que la magie soit efficace, ilétait nécessaire que les victimesentrant dans la composition despotions soient tuées suivant desrites bien précis. Les rituelss’accomplissaient dans des temples

équipés pour les sacrifices qui évo-quaient les chambres de torturesmédiévales (salles mortellementfroides, salles étouffantes chaufféespar de grands fours, crochets

suspendus, lames de toutes tailles,

etc.). Les sacrifices d’animaux sedéroulaient lentement suivant unordre strict. Certains égorgés, dépe-cés, vidés de leurs entrailles, puisligotés et rôtis. D’autres jetés vi-vants dans l’eau bouillante, d’autresémincés, arrosés d’huile d’olive etde cerfeuil haché. Le sang sacrifi-ciel était parfois gardé pour êtreingurgité avec la chair, ou réutilisécomme base pour d’autres sorts etpotions.

Les sorts (nommés parfois «plats»

ou «recettes») devaient, pour révé-ler toute leur prétendue efficacité,être ingérés par les personnessouhaitant augmenter leur force.Ces personnes, nommées parfois«clients», sont plus connus sous lenom de «mangeurs» ce qui signifie«celui qui reçoit la magie» enancien français.

Comme pour tout rituel, la mise enscène avait une importance capi-tale, et certains cadavres étaientprésentés selon un code précis.

Ainsi, certains ingrédients n’étaientfinalement pas absorbés par lesmangeurs. Le cas le plus marquantest celui de la «bûche» senséereprésenter un tronçon de bois ;

Page 7: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 7/12

 

arm te cro-on e n

7

servie lors d’anniversaires christia-niques, elle était sertie de nains etde scies factices qui étaient placés

avant que la bûche soit présentéeaux mangeurs, et qui étaient para-doxalement retirés aussitôt après.

Pour être considérés comme effi-caces, les rites étaient accomplistrois fois par jour (quoique l’ondistingue des variations suivants lesrégions et les cultures). Les spécia-listes parlent de «prières gastrono-miques» à heures précises et res-pectant des «saveurs» (sorte decouleur intérieure des aliments). Endécoule tout un classement de

«déjeuners», «petits déjeuners»,«dîners», «soupers», etc.

Rites magiques et santé 

Si les rites magiques les plus

puissants se déroulaient lors desfêtes, ils étaient néanmoins prati-qués quotidiennement par tout unchacun. La magie tenait lieu de reli-gion dans de nombreux endroits etles adorateurs la pratiquaient avecassiduité, certains dévots allant  jusqu’à prier entre les prièresconventionnelles, ce qui n’était pastoujours sans conséquences surl’état du corps qui – doit-on lerappeler ? – n’est pas fait pour ça.Car en plus de pratiquer une magie

néfaste pour le métabolisme,certains pratiquaient un excès ouun débordement de cette magie !

Avalant jusqu’à la transe, ils quit-taient leur corps, sous une formeectoplasmique qui se répandait surle sol ou dans des cuvettes defaïence préparées à cet effet. Leslivres de médecine de l’époqueévoquent même des abandonscomplets du corps en cas d’orgas-me stomacal trop puissant. Pour en

savoir plus sur ce sujet, il convien-dra de s’approcher des concepts degraisse, épice et alcool. (voir cesmots).

Nul ne semblant conscient desrisques occasionnés par ces prati-ques, même les entreprises inci-taient leurs esclaves à ingurgiter detelles proportions de nourriture ma-gique, afin de se charger d’énergiemystique. «Avaler» était synonymede «Renforcer», et l’on gagnait enpuissance en s’empiffrant de pro-

duits acidulés ou salés. C’est ainsique le travail était interrompu par lagrande prière de midi (la plussacrée de toute) et d’une ou plu-sieurs pauses plus courtes où lesemployés pratiquaient leur dévotionen ingurgitant de l’eau additionnéede diverses substances nommées«café», «chocolat» ou «sucre».

Ces rites magiques firent desvictimes innombrables. Certaineslégendes à propos de fruits (voir cemot) produisant un orgasme stoma-

cal durant l’ingestion furent la causede nombreux décès par faiblesseintestinale. De même, une consom-mation d’ovules de poulet ou deproduits dérivés des laits de mam-mifères pouvaient provoquer dessymptômes et des décès similaires.

Cet ensemble de croyances sur-vécut jusqu’à la fin du 21ème siècle,époque où la nourriture était encoretrès largement assemblée suivantles rites magiques des temples Kui-sto. L’une des évolutions capitales

de ce siècle fut l’établissement d’unprotocole génétique fixe quant àl’apport nutritif nécessaire et suffi-sant au corps humain.

Pour plus d’information lire :Les mangeurs, où les victimes de la religion.Nourriture : préliminaire à l’acte sexuel dans les sociétés antiques.Tais-toi quand tu manges, ou essai sur la dictature au temps de la magie.Maïté : mes meilleures recettes.

Page 8: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 8/12

 

arm te cro-on e n

8

En préambule à l’érudition mycologique de Didier Trumeau et à sa nouvelle  Chapeau !, penchons-nous sur un bien étrange champignon.De la mycologie à la mythologie, il n’y a parfois qu’un petit pas à franchir. L’illustration est d’Audrey Isbled.

IMPUDEUR MACROBIOTIQUE : LE SATYRE PUANT

PIERRE CARDOL

Ce champignon blanc des sous-bois trouve son origine dans lalégende d'un satyre facétieux. Pourassouvir ses appétits pervers, lefaune s'enduisait la verge d'unbaume puissamment fruité, et s'en-sevelissait sous l'humus forestier,ne laissant poindre au-dessus dufeuillage que son organe érectile.Là, il attendait le passage de jeunesfilles candides, lesquelles, attiréespar le parfum du phallus sylvain,effleuraient, parfois longuement,l'intriguant organe et tentaient de le

déterrer. On imaginera la suite.Fort aise de son tour jouissif,

le satyre passait le plus clair deson temps sous terre, à guetterles pucelles puis à les déflorer.Survint l'irréversible coup dudestin en la qualité d'une fillefarouche dont l'entreprise troublale faune. La belle lui mordit laverge, qui se gangrena. Lepourrissement irréversible dusylvain eut un effet désastreuxsur son sex appeal. Aucuneessence ne parvint à masquer laputridité de sa chair. Aussi lesatyre enfoui sous terre attend-ilencore qu'on vienne le cueillir.

Au Moyen Age, le satyrepuant était le lot des mouches etdes nécrophages indigents.Longtemps déconsidéré dans lagastronomie d'outre-tombe parceque sa saveur fétide occulte celledes mets faisandés, ce

champignon opère un retour enforce sur les étales des marchésnocturnes. Légèrement plusonéreux que les anthurusd'archer et autres phallaceae, sasaveur égale cependant l'arômecadavérique de la mythique fleurde rafflesia. Le satyre puant esten passe de devenir un must dela cuisine zombie végétarienne.A consommer sans modération,en salade ou grillé.

Après  Le Goût du pain et sa mémorable  Recette du vin chaud( M&M 8 et 9), voici un nouveau texte de Sandrine Bettinelli.

PAIN CHOCOLAT

SANDRINE BETTINELLI

Et si je te donnais,Pour ton quatre heures,

Une barre de mon passé ?

Pain chocolat,Le temps craque sous ta dent

Sais-tu ce que veut direRentrer de l'école,

S'asseoir à l'abri des turbulences,A l'ombre des mamans ?

Pain chocolat,

Un carreau doux amerJe ne suis plus l'enfant à protéger.

Je suis l'abri, la forteresse.Et si je me sais fragile,

Tu ne le verras pas.

Il est quatre heures.Goûte à la lumière,

Mon amour.

1

Page 9: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 9/12

 

arm te cro-on e n

9

Didier Trumeau est né en 1959 à Vierzon. Aide-soignant à domicile, il dirige par ailleurs la revue aléatoire  L’Heure-tard, tirée à 300 exemplaires. Voyageant sur la planète, elle accueille poésie, textes, billets d’humeur et politiques,chroniques musique et fanzines, illustrations, avec un thème central : le Temps (celui qu’il fait et celui qui passe). Il édite des recueils collectifs de poésie (2 à ce jour) sur le thème du Temps, et espère bientôt sortir des petits livrets consacrés à un seul auteur. Ses nouvelles ont été éditées en revues indépendantes ( On @ Faim, Entre-DeuxMers, Œil de Fennec, Écho de Ch’Nord...), ainsi qu’un recueil de poésie, Les mots de la Fleur, chez On @ FaimEditions.

V CHAPEAU ! – DIDIER TRUMEAU VÉtranges, ces végétaux. J’éprouve

toujours une petite crainte respec-tueuse pour ces érections spon-tanées de la nature. Sont-ce desvégétaux ? Biologiquement, il n’y apas de doute. Le Larousse définitainsi les végétaux : êtres vivantsn’ayant pas de bouche, de systèmenerveux, d’organes locomoteurs, etcaractérisé par la présence deparois cellulosiques, souvent de

chlorophylle (les champignons ensont dépourvus), d’amidon, et sereproduisant par graines ou spores.Les champignons empruntent tou-tes les formes et couleurs possibles(pas de carrés ni de rayés). Dupénicillium à la gale, à l’ergot, aumildiou, à la truffe, à lapezize, à lamorille, au geaster hygrométrique età tant d’autres, ils colonisent notreespace vital du Nord au Sud, dansl’eau, dans l’air, du plus petit (micro-scopique) au plus grand (plusieurs

kilogrammes). Il parasite l’animalcomme le végétal et le minéral,mais bien souvent il joue un rôleobscur d’agent biodégradable pourdes substances qui ne le sont pas.Du plus utile au plus nuisible, il a saplace dans notre univers proche etlointain, et il semblerait que lesseules traces de vie qui ont été dé-tectées dans des projectiles céles-tes (comètes, météorites) soientdes champignons. C’est dire si cesentités négligeables ont la vie

chevillée au corps (même céleste).Ma passion pour ces vies poly-

morphes ne date pas d’aujourd’hui.Restes d’un passé lointain oùl’homme vivait plus de cueillette quede chasse (les végétaux courentmoins vite), les promenades dansles champs et les bois furent moninitiation première à la vie. Et del’hiver à l’été en passant par leprintemps et l’automne, dès qu’ilm’est possible de m’évader del’entourage social de l’humanité,  j’erre par monts et par vaux, à larecherche de rien et de tout à lafois. L’occasion fait le larron.

Il faut dire que ce serait une erreurde croire que je suis un spécialiste

omnipotent de la flore saprophyte etsymbiotique. Je suis un curieuxavide, et lorsque je découvre unenouvelle variété (végétale, animale,minérale) je me renseigne à sonsujet. Je suis donc plutôt un géné-raliste touche-à-tout que ma pro-pension naturelle à l’éparpillementéloigne à jamais d’une reconnais-sance universitaire. Et tel n’est pasmon objectif. Je suis un jouisseur

civil et dispenseur. Difficultés, donc,à tout garder pour moi. Là n’est pasle propos. Thallophyte. Va !

Samantha est une jolie blondeformat hollandais (normal, puis-qu'elle est hollandaise), une ving-taine d’années. Moi, presque ledouble. Il faut dire que nous noussommes rencontrés par hasard àun concert des Beat Attick, grouped’Amsterdam, dans le Cher au beaumilieu du Centre de la France, c’est

à dire au trou du cul du nombril denulle part. Elle n’avait pas d’endroitpour dormir. Moi si. Elle était trèsgaie, simple et pas farouche. Moiaussi. Elle parlait un peu leFrançais. Moi, le Hollandais, pas dutout. Et que nous pouvions facile-ment éviter la barrière de la languecar ce n’est pas tout ce que l’onpeut faire avec la langue... Nousnous sommes plu, nous noussommes reconnus, nous ne noussommes pas perdus de vue, donc

pas besoin de nous retrouver.Comment peut-on trouver sur le

même périmètre des champignonsaussi variés que par exemple : uneamanite phalloïde, un cèpe deBordeaux, un lactaire délicieux ?Sans doute de la même façon qu’ilest possible de trouver au mêmeendroit un pissenlit, de la luzerne etde l’aconit. Pourtant, de ce mêmeenvironnement, ces végétaux vonttirer des substances différentes. Quisera un met excellent. Qui sera unpoison violent. La terre est la mêmeà quelque différences infinitési-males et négligeables, donc ayantpeu d’influence sur la compositionde la plante qui va s’ériger vers la

lumière ou l’ombre du lieu. Lagraine, la spore, font toute la raisonde ce mystère. Ailleurs, elles netrouveront sans doute pas l’humusspécifique à leur croissance, leurdéveloppement. Ici elles sont chezelles, là, très précisément à l’endroitoù la minuscule plantule s’évade ducarcan limoneux. Là ! Et pasailleurs. Chaque embryon, car c’estbien de cela dont il s’agit, transporte

son patrimoine génétique, et s’il netrouve pas les conditions minima pour se développer, mélanger auventre nourricier de la terre sondésir végétal de hurler sa pousséevers le ciel, rien ne se produit. Etparfois, même si la fécondation estréussie, l’adulte en devenir estcondamné à la stérilité, la dégéné-rescence. Il doit y avoir une sym-biose mystérieuse entre l’ovulefécondée et son support nourricier,mais aussi son environnement

météo et temporel.Bien entendu le jardinier moyen

qui sommeille en chacun de nousest capable de semer du persil, desradis, de nombreux végétaux àusage alimentaire ou non. Bien sûr,le botaniste amateur / professionnelqui titille le citadin en mal deverdure est habile à l’éclosion de lagracile et merveilleuse orchidée.Mais qu’il s’essaye à la culture duchampignon en dehors des quel-ques espèces couramment culti-

vées, et il essuiera sans coup férirl’affront amer de l’échec. Il est vraique ces excroissances de l’ombrehumide gardent leur secret quant àleur arrivée parmi nous. Noussavons qu’il leur faut de la chaleur,de l’humidité, une certaine dose delumière, d’autres parfois un peu defraîcheur, que certains sont deprintemps, d’autres d’été et d’autresd’automne, même d’hiver s’il estclément. Qu’ils poussent parfois surplusieurs saisons ou sur quelques  jours seulement. Qu’ils se dévelop-pent parfois en quelques heures,quelques jours, quelques années,rares ou nuées, maigrelets ougéants. Mais nous n’avons toujours

Page 10: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 10/12

 

arm te cro-on e n

10

pas établi pourquoi, alors quetoutes les conditions semblent ras-semblées, rien ne veut apparaître.

Samantha s’est vite intégrée dansma vie, dans mon Berry natal. Il fautdire qu’elle apprend vite. Que leFrançais n’est plus un obstacledans les nombreux contacts qu’ellea liés avec mes connaissances.Moi, par exemple, le Batave, c’esttoujours une langue que je maîtriseavec une difficulté extrême. D’ail-leurs je ne suis pas doué du toutpour les langues étrangères, alorsque je contrôle sans peine lamienne. C’est vrai : Samantha, mesamis me l’envient. Elle est belle,gentille, charmante, compréhen-sive, attentionnée. Lorsque je netravaille pas, elle m’attend à lamaison, m’accompagne partoutailleurs, me comble d’amour et detendresse, et reçoit mes prochesavec générosité.

Il va de soi que cette faculté, cettepassion pour la flore sporophyte,nous permet, à Samantha, mesamis et moi, la dégustation denombreux plats composés ou agré-mentés de ces succulents végétauxau goût aussi varié que leur appa-rence. Des morilles au printemps,des girolles en l’été, des cèpes enautomne, des trompettes de la mort

en hiver, sans parler des conservesde rosés, de mousserons séchés,et autres équivalents plus ou moinsrares, plus ou moins connus. Et desomelettes, et des poêlées, et dessalades, et toute une abondance deplats variés et parfumés dont lesnoms m’échappent, mais qui flattentmon palais et celui de mes amis.

Tout est simple lorsque l’on estpassionné. Les terminologies scien-tifiques tarabiscotées latinomachin-choses et spécialisées deviennent

un langage courant. Ce n’est pasencore cette année que je bara-gouinerai couramment le Néerlan-dais. Quelques mots d’usage cou-rant, des insultes, des vocables ten-dres et coquins, enrichissent avecdifficulté mon bagage linguistique,mais ils restent limités à une utilisa-tion privée entre Samantha et moi.Je participe à des expositionsmycologiques, des forums d’infor-mation sur les champignons, et  j’échange avec de nombreux etéminents experts les conclusionsde mes observations sur les cham-pignons. J’ai même été cité une foisdans une revue scientifique concer-nant les végétaux à sporanges de

France et de Navarre. Petit émoi etchevilles enflées, mon ego s’estempourpré un moment de fierté,mais vite ma modestie naturelle arepris le dessus. J’aime les champi-gnons mais je ne suis qu’un ama-teur, averti certes, mais amateur.Des pharmacies me consultentparfois pour confirmer ou infirmer

leurs conclusions sur tel ou telchampignon.J’aime la liberté. Les longues

errances en forêt, dans les champs,me remplissent d’un sentiment pro-fond d’indépendance pareil à celuiqui devait exister à l’aube del’humanité lorsque les seules con-tingences de la survie étaient liéesà la recherche de la pitance, du gîteet aussi parfois de ses semblablespour communiquer et forniquer.Entretenir la survie de l’espèce,

quoi. Le jour se levait après unenuit douillette dans un abri defortune hors d’atteinte des grandsprédateurs. Si le soleil, la chaleur,n’était pas toujours au rendez-vouspour cause de saison ou de météochagrine, le temps était occupé àrespirer à fond l’air encore vierge detoutes ces saletés qui l’encombrentaujourd’hui, à s’étirer, comblé,devant la magnificence de cettenature prodigue, et penser au menude la journée : cueillette, chasse,

pêche... Bon, ne pas oublier d’allervoir la femelle aux cheveux jais quicroise dans les parages, histoire delui conter fleurette et plus si affinité.

Je ne vous dit pas la taille deschampignons de cette époque. Ilparait qu’il fallait une hache pour enabattre un. Eventuellement, il pou-vait vous servir d’abri pour la nuit.Mais bon, nous sommes en l’an2000 et des bananes, et à partcertains phénomènes arboricolesqui dépassent le mètre de diamètre,

il faut toujours plusieurs de cesvégétaux pour faire une cuisine.

Samantha, la Samantha, elle mecourt parfois sur le haricot. Gentille,toujours d’humeur égale, elle mecolle à la peau. Partout où je vaiselle y est. Sauf à mon travail et aup’tit coin. Même dans mes grandesballades aventureuses de contréeschampignonifères inexplorées, elleme suit. Car la Samantha, elle s’estdécouvert une ferveur pour les sans

chlorophylle et les longues courseschampêtres. En fait, la Samantha,avec ses jolis yeux verts, ses han-ches larges et sa lourde poitrine, cequ’elle aime par-dessus tout, c’estêtre à mes cotés, prête à la moindre

injonction de ma part, au plus petitclaquement de doigt. Elle est magroupie indéfectible, fidèle jusqu’àla bêtise. Je me suis parfois deman-dé si, lui ayant demandé de separtager avec des amis, des amies,elle ne m’eut pas accordé sonassentiment, à la seule réserve dema présence, de mon désir.

Parfois, cette disponibilité docile etconciliante me submerge et menoie dans une nausée suffocante.Comme un membre fantôme qui  jamais ne me laisse de répit, merappelle à son souvenir par sasollicitude oppressante, son em-prise envahissante, son pouvoirenchaînant et inéluctable. Saman-tha, la Samantha, c’est une merveil-leuse fleur qui me choie, m’enivrede son parfum, et dont la volup-tueuse forme m’englue comme une

Drosera. Elle est toujours d’accordavec moi, me loue en tout, etpourtant sa présence est constante.Le jour où, fier de ma conquête, j’aivoulu la faire connaître au mondeentier, partout l’emmener, la rendreaussi indispensable que l’air que jerespire, j’ai forgé les grilles de mageôle. Je ne peux lui en vouloir.C’est moi qui voulais qu’elle soit àmes cotés partout où j’allais. Jevoulais que cette excroissanceharmonieuse et délicate de ma

personne soit partout représentéecomme preuve évidente de monexcellence.

Les champignons montrent unesingulière façon de s’adapter à dessites variés, pourvu que les condi-tions climatiques et environnemen-tales soient appropriées à leurdéveloppement. Ils croissent sur lavie et sur la mort. Les mycoses,bien connues et diversement appré-ciées par l’être humain, sont des

champignons. Les levures sont deschampignons. En fait, sur Terre,tout les milieux sont colonisables etcolonisés par les champignons. Ilexiste des champignons marins,aquatiques. Il existe des champi-gnons unicellulaires qui surviventdans les glaces arctiques. Il n’y aprobablement que sur les plushauts sommets, dans les déserts(encore existent-ils sans doute sousforme sporée et latente), dans lesmatières en fusion et dans toutes

les zones insuffisamment humides,qu’ils ne peuvent se former. L’hu-midité est donc un facteur essentielà leur croissance. La température,le terrain et la lumière sont deséléments secondaires à leur appari-

Page 11: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 11/12

 

arm te cro-on e n

11

tion. La bio-diversité est un conceptrécent ; celui de l’interaction desespèces. Si une espèce disparaît,c’est tout le milieu biologique quis’en trouve affecté et qui peutmême disparaître ou muter. La vieest une richesse infinie. En sommesnous conscients ?

Samantha, ma Samantha, laSamantha. Il est étrange de consta-ter que l’image toute faite des gensque l’on côtoie, que l’on aime,évolue avec le temps, avec laconnaissance que l’on a d’eux.Samantha, cela fait trois ans quenous nous fréquentons. Je ne suispas loin de dire qu’à l’époque denotre découverte mutuelle, Saman-tha était la femme idéale, du moinscelle que tout mes amis m’enviait.D’éclats charnels en fusions éroti-ques, nous fumes au sommet de lavolupté. Je prétends, sans m’avan-cer, qu’en plus de cette harmoniephysique il y avait une sincèretendresse, et peut-être même del’amour, le Grand Amour. Seule-ment voilà, mon caractère exigeantet libre s’est assez vite fatigué decette présence étriquée. Je voulaisqu’elle se libère, qu’elle ait desprojets à elle, des envies égoïstes,un ego libertin, alors qu’elle nevivait que pour moi, ne pensait que

par moi, n’existait qu’à travers moi.Il y eut quelques crises, des mena-ces, et la séparation à l’ordre du  jour. Chaque fois, sa persuasiontoute féminine, ses câlins convain-cants et ma faiblesse lubrique demâle annulait l’inévitable. Il faut direque Samantha, au lit et même endehors, c’est une bombe. Je neretrouverais jamais une telle perfec-tion dans l’art d’accéder au nirvana.Samantha est tellement exception-nelle que même un amant minable

se révélait, semblait un Casanovaincrevable. Mais l’homme possèdeune puissance lubrique limitée dansle temps. Si les cuisses de Saman-tha sont toujours ouvertes et offer-tes, la pauvre mécanique virile nepeut continuellement les assouvir.

Je dis souvent que je ne suisqu’un généraliste de la mycologie.Ce n’est pas tout à fait vrai. J’aiédité une petite étude qui, sans êtreune référence en la matière, m’apermis une petite notoriété dans ledomaine analysé. Il s’agit desAgarics, qui soit dit en passantm’ont intéressé par leur nom, quiinvariablement me fait penser aumoyen âge avec les Childéric et

consort. Plus prosaïquement, cechampignon, plus connu en généralsous le nom de Champignon deParis, est l’un des plus cultivés enFrance et dans le monde. S’il croîten milieu sombre dans les galerieschampignonnières, il pousse enmilieu naturel sous le nom de Rosé,de Boule de Neige. Dans l’ensem-

ble, tous les Agarics sont comes-tibles, voire excellents, à une ex-ception prêt : l’Agaric Jaunissant,qui présente la particularité dedégager une odeur d’iode, d’encre,très désagréable à la cuisson. Il estdonc difficile de s’intoxiquer avec cechampignon, à moins de vouloir leconsommer cru. Dans tout les cas,son ingestion n’est pas mortelle,elle n’occasionnera que de violentsvomissements et peut provoquerdes malaises prolongés. A éviter de

toute façon si l’on veut qu’une buco-lique cueillette champêtre ne setransforme en cauchemar. Ceschampignons, tous proches les unsdes autres, sont très semblablespar l’apparence et se développentdans les champs, les bois, le borddes routes (certains comme l’Agari-cus Bitorquis peuvent même soule-ver le bitume), les souterrains. Jene m’étendrai pas sur les caracté-ristiques de ces végétaux car leurprésentation serait quelque peu

fastidieuse et hors de propos.Samantha n’est plus. Elle a quitté

ce monde de douleur une fin d’été,propice par sa chaleur et son humi-dité à la croissance des thallo-phytes. Je pleure sa disparition, carmême si sa présence m’indisposaitvivement ces derniers temps, elleétait une marque forte, une baliseincontournable de ma vie. Je pleurede rage et de ressentiment cetteabsence, car elle me prive de cette

chère liberté, celle qui me permet-tait ces longues courses dans cettenature qui emplissait tous mes sensd’une ivresse incomparable et iné-galable. Je crie ma souffrance etmon malheur. Pourquoi ne l’ai-jepas écoutée ? Lorsqu’elle me disaitque sa vie sans moi était impossibleet qu’elle préférait mourir plutôt quede se séparer de moi. Du moins,pourquoi l’ai-je écoutée ? Ce funes-te jour où son corps a été retrouvésans vie sur le sofa du salon de la

maison me revient sans cesse. Cecorps que j’ai chéri, cet être que j’aiaimé, ces formes que j’ai cares-sées, ce caractère que j’ai fini parexécrer, cette présence qui m’aétouffé, ce regard qui m’a conquis,

tout cela est cette chose si sembla-ble et pourtant si étrangère, mainte-nant.

L’Erythropepside Auréolé est cepetit champignon au pied en bâtond’allumette et au chapeau pas plusgrand qu’une pièce de cinq centi-mes. Très rare, il se trouve pluscommunément aux abords de lamer Méditerranée, dans les pinèdestempérées par le vent modéré dularge. Sa chair est rouge. Il estutilisé dans la dessiccation decertains aliments car il provoque ladéshydratation des tissus aqueuxpar une forme de digestion compa-rable aux pepsines. Son chapeauest nimbé d’un voile argenté qui luidonne ce qualificatif d’auréolé. Il n’aaucune qualité gustative, se signalepar un manque total de saveur, ets’il est encore répertorié, c’est parcette constance à pousser au pieddes Armoises côtières. Il a uneautre vertu qui est d’annuler lesouffle des vivants par une stasetemporaire des stimuli nerveux dela respiration pulmonaire, et par làmême d’occire un potentiel gêneur.Autre qualité de ce petit végétal,c’est de se dégrader complètementlorsque l’état de rigor mortis , deraideur du moribond est établi. Aune certaine température, l’alcaloï-

de responsable de cet arrêt mo-mentané des fonctions respira-toires, se désagrège. Piuuffff ! Plusde traces. La cause de la mort estsouvent comparée à une ruptured’anévrisme immédiate, instantanéeet fatale. Voilà un cadavre qui nepèse plus très lourd sur laconscience de son exécuteur.

Ce que l’on aime a cette fantas-tique particularité d’être magnifié.Lorsque l’on cesse d’aimer, celaarrive, toute la raison d’être de cet

amour apparaît comme vulgaire,incompréhensible, futile et insigni-fiant. Pourtant, comme je l’ai aimée,Samantha ! Elle n’était pas si extra-ordinaire. Sa lourdeur de corps etd’esprit me faisait parfois douter dela réalité de mes sentiments à sonencontre. Elle était une belle fleurqui enivre par sa senteur capiteuseet ses contours savoureux. Elleétait un boulet librement consenticar plus léger qu’un souffle, et aussitellement convoité, jalousé... Mon

corps, mon c œur, est commedissocié d’un chancre abhorré etpourtant indivisible de l’image cor-porelle de mon être. J’ai l’impres-sion d’être éviscéré, amputé,amoindri.

Page 12: Marmite et Microonde n°11

5/11/2018 Marmite et Microonde n°11 - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/marmite-et-microonde-n11 12/12

 

arm te cro-on e n

12

L’autopsie a révélé des traces nonnégligeables d’amanitine, la toxinela plus mortelle des amanites phal-loïdes. Samantha a bien été empoi-sonnée. Ma mise en examen a étéimmédiate. J’ai beau crier moninnocence, personne ne me croit.Jamais je n’aurais utilisé un moyenaussi évident que celui-ci pour

éliminer quelqu’un. C’est moi quicuisine à la maison. Toutes nosconnaissances le savent et ont puen bénéficier. Samantha, sansapprécier l’art culinaire, cuisinait detemps en temps, lorsque montravail me retenait quelques jours

loin d’elle, et lorsqu’elle voulait mefaire plaisir. Elle réussissait à mer-veille les pâtes à l’ail, et cette petitefête singulière donnait suite à desébats langoureux et voluptueux.C’est elle qui, bien évidemment,avait cuisiné et ingéré la dosecritique d’amanitine. Nous avions, laveille, erré dans la forêt toute

proche et cueilli nombre de piedsde mouton. Nous avions croisé desamanites panthères. Elle avait du, àmon insu en ramasser quelquesunes. Mortel complot qui se retour-nait contre moi.

J’avais souhaité et programmé la

mort de Samantha, mais de façonirrépréhensible pour moi. Avant departir travailler, j’avais cuisiné lespieds de moutons et ajouté lesErythropepsides. Samantha, pourson repas de midi, devait y adjoin-dre la crème fraîche. Son assas-sinat devait passer pour un accidentphysique. Le constat de décès

devait conclure à une rupture d’ané-vrisme et j’étais libre, enfin libre.Ironie du sort, volonté malsaine,Samantha s’était suicidée, me lais-sant coupable idéal d’un crime que je n’avais pas commis.

Pas celui-ci !

Poisson goulu, par Sébastien Gollut 

Lisez... Les internautes peuvent télécharger M&M en couleur sous la forme d’un fichier PDF en se rendant surhttp://www.oeildusphinx.com, puis en cliquant sur Marmite & Micro-onde . Pour la version papier, envoyez deuxtimbres, ou abonnez-vous pour trois numéros contre six timbres (n’oubliez pas de préciser à partir de quelnuméro débute votre abonnement). Il est toujours possible de commander les anciens numéros (même tarif).Ecrivez... Auteurs de nouvelles, poèmes, articles, illustrations, bandes dessinées : proposez-nous vos œuvres(si vous n’avez pas d’adresse Internet, joindre une enveloppe timbrée et auto-adressée pour la réponse). Tousles genres sont les bienvenus (littérature générale, SF, fantastique, polar, humour, etc.).

Oui, mais où ? Philippe Heurtel, 9-11 rue des lavandières St Opportune, 75001 PARIS . Ou directement pare-mail, à[email protected].