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  • 8/17/2019 Mexico UdM 2015

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    Ciudad de MéxicoCulture, gentrication et pratiques artistiques

    Daniela Pascual Esparza

    Albeto García Picazo

    Référents UDMMichel CalvinoHéctor Quiroz

    Urbanistes du Monde

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    Index

    Introduction

    1. Sur la Fonction urbaine de l’art  La culture come pretexte  Gentrication: une perspective latino-américaine et trois exemples mexicains

      Colonias Roma et Condesa

    Centro Histórico

    Santa María la Ribera

      L’art et la culture dans le développement urbain de Roma-Condesa, Centro

    Histórico et Santa María la Ribera

      Patrimoine et capital culturel

      Corredores Culturales

      Centres culturels

     

    2. Sur comment les artistes pourraient changer la ville

      De l’Ilustration à l’incarnation du quotidian urbain

      Des projets scéniques en rélation avec l’urbain  Des projets à la croisée de l’art comme moyen d’expérimentation et de l’action

    gouvernamentale

    Conclusion

    Bibliographie

    Premièrement, nous tenons à remercier Urbanistes du Monde pour son soutien et sur-

    tout pour nous avoir nous donné l’opportunité de réaliser ce projet de recherche. Nous

    voudrions remercier spécialement Michel Calvino et Héctor Quiroz pour avoir suivi de

    près notre travail.

    Un grand merci à toutes les personnes et organisations qui nous ont réservé une partie

    de leur temps et qui ont contribué à notre recherche:

    Le collectif Nerivela et l’ensemble de ses intégrants. Isaac Serrano et Roberto Ascencio

    du Laboratorio para la Ciudad. Casa Vecina, en particulier Helena Braunštajn, Christiandel Castillo et Aisa Serrano. Mariana Gándara du Museo Universitario del Chopo. Gabriel

    Yépez, Diana Cardona, Rubén Ortíz, Sara Alcantar, Richard de Pirro, Germán Gutiérrez,

    Susana Gómez Hernández, Bernardo Navarro Benítez et Heftychia Bournazou, ainsi que

    leurs groupes de recherche. Eduardo Acosta Herrera, Karla Hamilton, Pavel Ferrer, Pablo

    Concha. Au Museo Aragón et Horacio Aragón Calvo. Et surtout, nos plus sincères remer-

    ciements à Erika Alcantar pour son amitié et ses conseils.

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    Cet article pourrait être ce qu’il n’est pas : une enquête sur l’importance

    du secteur immobilier dans la gouvernance de la Ciudad de México(CDMX), une réexion sur ses espaces publiques, ou encore une intro-

    duction à la vie culturelle d’une capitale latino-américaine. Peut-être

    s’agit-il d’un mélange inachevé, car ces pages ne font que traduire no-

    tre intérêt personnel pour les arts et les problématiques urbaines de la

    CDMX.

    Par conséquent, cet essai mettra en perspective deux dynamiques:

    comment l’urbanisme mobilise la culture an de transformer la ville et de

    quelle manière les artistes perçoivent l’urbain comme chantier de travail.

    Rappelons que théoriciens de l’urbain s’intéressent à l’importance de

    la culture dans la ville, tout autant que leurs homologues des arts ré-

    échissent au rôle de cette dernière dans la création artistique. Cepen-

    dant, parce que ce texte n’est pas un article académique en soi, nous

    ne discuterons point de manière extensive les débats sur le sujet. Notre

    but principal est celui de présenter une réexion sur l’état des choses à

    la CDMX en nous inspirant des entretiens réalisés pendant notre court

    séjour. En ce sens notre approche n’a aucune prétention normative, elle

    ressemble plus à un livre de bord qu’à une étude exhaustive sur la prob-

    lématique en question. Attaquons maintenant le coeur du sujet.

    Avec 21 millions d’habitants dans la zone métropolitaine, dont

    presque 9 millions au Distrito Federal (DF), la capitale mexicaine et sa

    conurbation sont le premier noyau urbain et moteur économique du

    pays. Ayant connu une croissance sans précédent pendant la deuxième

    moitié du XXème siècle, la ville doit affronter aujourd’hui des dés rela-

    tifs à son extension territoriale. Dans le but de freiner l’urbanisation en

    périphérie, les autorités ont mis en place des politiques de re-densi -

    cation des délégations centrales en y prévoyant aussi l’édication de

    logements sociaux. Cependant, cette planication stratégique est à

    l’origine de plusieurs polémiques. De fait, la « gentrication » est depuis

    quelques années un sujet de plus en plus présent sur la scène mexicaine,

    mobilisant chercheurs et le public en général. Comprise en ses termes

    les plus simples comme la conquête d’un espace habité ou inhabité par

    des classes moyennes (Butler, 2007), nous en avons fait le l rouge de

    notre enquête de terrain.

    Nous sommes intéressés à trois zones de Cuauhtémoc, une des

    délégations centrales de la CDMX : Roma et Condesa, quartiers chics

    et bohèmes, le Centro Histórico, l’ancienne Tenochtitlán1 et noyau his-

    torique de la capitale, ainsi que Santa María la Ribera, quartier tradition-

    nel et un des pôles de la “culture alternative” depuis des décennies. Par

    la suite, nous avons contacté avec des artistes et institutions culturelles

    intervenant dans leurs espaces publics. De fait, les trois périmètres re-tenus sont au coeur du débat qui nous occupe, se prêtant à l’étude des

    liens entre “gentrication” et phénomènes culturels. Quant à l’espace

    public, c’est pour nous l’opportunité d’aborder les pratiques spatiales

    des habitants, de nous éloigner de la ségrégation résidentielle - sujet

    très exploité au Mexique - pour nous concentrer sur une ségrégation

    quotidienne qui s’intéresse à la manière dont les citadins habitent la ville.

    Nous avons essayé de comprendre ce qui pousse certains acteurs cul-

    turels à s’emparer de parcs, rues et autres lieux publics, dans le but de

    trouver s’il y a une relation - et dans ce cas de quel ordre - entre leurs

    activités et les transformations effectives et recherchées pour les espaces

    de ces quartiers.

    Nous proposons d’abord une mise en contexte sur la culture et

    la “gentrication” au Mexique, ce qui nous permettra de présenter les

    caractéristiques des quartiers étudiés, pour partager ensuite les acquis

    de nos entretiens et conclure avec quelques pistes sur le(s) futur(s) de

    l’art et de la culture dans les gestion sociale et urbaine de la CDMX.

    1 Capitale de l’empire Aztèque, détruite par les conquistadores pour devenir la capi-tale de la vice-royauté de Nouvelle-Espagne.

    Introduction

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    La culture comme prétexte

    En urbanisme, concevoir le terme “culture” sans ceux de “régénération”

    ou “réhabilitation” s’avère une tâche difcile, du moins si l’on retrace

    comment, depuis quelques décennies déjà, les politiques publiques on

    fait de la culture un instrument privilégié dans la revitalisation d’espaces

    urbains en déclin. Bilbao et le “Guggenheim-effect”, Soho à New York,

    Barcelone et les Jeux Olympiques de 1992 : qu’il s’agisse de la recon-

    version d’anciens espaces industriels, de quartiers en “décadence”, de

    la mise en place de megaprojets urbains ou des stratégies globales de

    marketing des villes, le développement d’infrastructures culturelles et

    de loisirs apparaît souvent comme l’argument parfait pour valider des

    projets d’urbanisme et de city branding de plus grande envergure.

    Le Mexique n’est pas l’exception. La polémique la plus récente

    est celle de la “Passerelle Culturelle Chapultepec” (CCC) à México, Dis-

    trito Federal (DF). Megaprojet annoncé en août 2015, il s’agit plus d’un

    centre commercial que d’un espace dédié à la culture1Il serait entière-

    ment nancé par du capital privé, soulevant entre autres la privatisation

    de l’espace publique et l’absence de participation citoyenne. De fait, lesmots “culture” et “planication culturelle” sont loin d’être neutres. Dans

    le cadre de ce travail, nous nous intéresserons à des zones ayant un capi-

    tal patrimonial important, comme au lien entre culture et “gentrication”

    à Cuauhtémoc, CDMX.

    1 Voici le site ofciel du projet : http://www.ccchapultepec.mx/ et une page où vouspourrez trouver des proposition alternatives au projet du gouvernement : http://otro-chapultepecposible.tumblr.com/

    Gentrication: une perspective latino-américaine et trois exemplesmexicains

    Attribué à la sociologue marxiste Ruth Glass (1964), qui s’en servit

    pour décrire les transformations du marché de l’immobilier à Londres

    dans les années 1960, le terme provient de “gentry”, la noblesse ter -

    rienne en Angleterre. À l’origine, le terme renvoyait exclusivement aux

    changements dans la composition sociale de certains quartiers populaires

    du centre-ville londonien où les classes ouvrières se voyaient déplacées

    suite à l’arrivée de résidents de classe moyenne ou aisée. Depuis, géog-

    raphes et sociologues ont développé davantage le concept, en élargis-

    sant sa dénition et les facteurs sensibles de l’expliquer. Cependant, et

    même si la “gentrication” s’est “globalisée”, la littérature sur le sujetreste profondément ancrée dans le contexte anglo-saxon. Ce décalage

    entre le cadre théorique dominant et la diversité des réalités étudiées

    demande que les explications soient nuancées et remises en contexte,

    an que la “gentrication” soit comprise sous des prismes non-anglo-

    phones et non-européens.

    En Amérique Latine, les académiciens ont longtemps refusé

    d’adopter des termes anglophones pour décrire différents contextes

    historiques, politiques et sociaux dans la région. Ce n’est d’ailleurs qu’à

    partir du XXIème siècle que la “gentrication” commence a être vérita-

    blement étudiée et les études empiriques sont encore peu nombreux.

    En 2013, les chercheurs Michael Janoschka, Jorge Sequera et Luis Sa-

    linas proposent l’unique révision à ce jour des débats ayant eu lieu sur

    le sujet en Amérique Latine et en Espagne. Il s’agit de l’article “Gentri-

    cation in Latin America and Spain : a critical dialogue”, dont les apports

    comparatifs introduiront les enjeux relatifs de nos études de cas.

    Le noyau de la “gentrication” en Amérique Latine se trouverait

    dans la relation entre néolibéralisme et urbanisme : elle serait uneconséquence sociale et spatiale des modèles urbains néolibérales (Ja-

    noschka et al., 2013) adoptés dans les années 90 suite au Consensus de

    Washington. Il s’agirait, de fait, d’un processus majoritairement mené

    par l’État où la création de nouveaux marchés immobiliers serait étroite-

    ment liée à la production de la ville gentriée (Janoschka et al., 2013).

    Plus spéciquement, ces auteurs défendent qu’en Amérique Latine les

    zones subissant des processus de gentrication détiennent soit une val -

    eur symbolique, soit elles personnient un mode de vie recherché à un

    moment précis par une société donnée. La “gentrication” repose donc

    1. Sur la fonction urbaine de l’art

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    sur des conditions matérielles autant que symboliques.

      Succinctement, en Amérique Latine ces processus sont reliés à

    trois éléments : (i) à la création d’un marché immobilier associée aux

    politiques publiques des administrations locales (ii) à la valeur symbol-

    ique et culturelle de certains quartiers, enn (iii) au déplacement qui en

    résulte, soit-il résidentiel ou en relation aux activités économiques infor-

    melles (Janoschka et Sequera, 2014). Le premier élément s’associe à une

    gestion entrepreneuriale de la ville, celle-ci se traduisant par la mise en

    oeuvre de megaprojets immobiliers sous des partenariats publics-privés

    qui renforcent le creusement des inégalités (Walker, 2008 ; Janoschka

    et al., 2013 ; Delgadillo & Olivera, 2014). Le deuxième renvoie à la rich-

    esse patrimoniale et historique de certaines zones de la ville, cibles priv-

    ilégiées des programmes de rénovation urbaine. Le patrimoine de ces

    quartiers étant mis en valeur, ils sont généralement l’objet d’une “gen-trication symbolique”, et se voient reconquis par des classes moyennes

    traditionnelles qui y avaient perdu leur autorité morale (Jones & Varley,

    1999 ; Janoschka et al., 2013 ; Janoschka et Sequera, 2014). Finalement,

    le troisième élément relève des effets de la “gentrication” : si elle oc-

    casionne un déplacement résidentiel en raison de la hausse des prix de

    l’habitat, elle affecte aussi les activités autorisées et valorisées sur ces

    espaces, procédant à une régulation de celles-ci. En Amérique Latine ce

    dernier point recouvre une dimension sociale et ethnique assez impor-

    tante. Ainsi, en dehors du monde anglo-saxon, la “gentrication” em -

    brasse une diversité de formes mixtes et complexes, qui ne peuvent être

    comprises que par la reconnaissance du contexte urbain, des structures

    sociales, politiques, économiques et administratives locales.

    Bien que certains théoriciens mexicains refusent encore de mo-

    biliser le terme “gentrication” pour le cas du Mexique, d’autres con-

    sidèrent que le processus existe bel et bien dans certains espaces (Gó-

    mez, 2015).2  En effet, le Centro Histórico de la CDMX est exemplaire

    quant aux processus de “gentrication” amorcés par les politiques pub-

    liques urbaines, alors que Roma et Condesa répondent plutôt à une

    reconversion urbaine menée par des petits commerçants et artistes, fa-

    vorisée aussi par une réaffectation du sol urbain (Gómez, 2015). Quant à

    Santa María la Ribera, il est encore difcile d’évaluer si le quartier connaît

    un processus de “gentrication”, mais des changements intéressants y

    2 Un groupe de chercheurs de la Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM),sous l’aile d’Eftychia Bournazou, travaille à présent sur l’élaboration d’un cadrethéorique adapté à la CDMX. Nous avons p u les rencontrer pendant notre séjour et ilsont partagé avec nous les résultats de le ur première enquête sur le terrain.

    ont lieu et il existe beaucoup de spéculation sur le sujet. Les trois quart-

    iers présentent une temporalité et une dynamique propre que nous ré-

    sumons ci-dessous.

    Colonias Roma et Condesa

    Bien connectés et avec une concentration diversiée de services, Roma

    et Condesa sont aujourd’hui deux des quartiers les plus concurrencés de

    la CDMX. Leur histoire en tant que fractionnement urbain remonte au

    début du XXème siècle ; dans les années 20 cette partie de la ville devi-

    ent le berceau de l’urbanisme moderne au Mexique (Gómez, 2015). En

    effet, ces quartiers présentent une forte richesse architectonique : styles

    néo-colonial, art deco, fonctionnaliste, néo-californien peuvent être ap-préciés dans plusieurs des façades. Il s’agit d’un des traits le plus saillants

    d’une zone riche en histoire, ayant accueilli successivement les classes

    moyennes post-révolutionnaires, les immigrants juifs dans les années 20

    et 30, puis nombreux écrivains et intellectuels latino-américains qui y ont

    trouvé refuge pendant leur exil dans les années 70 et 80 (Gómez, 2015).

    Ainsi, plusieurs “types” d’habitants ont peuplé ces quartiers et s’y sont

    succédés, leur prol étant majoritairement celui d’une classe moyenne

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    Á gauche la delegación Cuauhtémoc par apport à la zone métropolitaine de la Vallée de Mexico.Á droite: 1. Roma - Condesa, 2. Centro Histórico, 3. Santa María la Ribera

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    et aisée.

      Cependant, le tremblement de terre de 1985 eut comme

    conséquence l’effondrement de plusieurs immeubles, surtout à Roma, ce

    qui se traduisit par une migration de nombreuses familles vers d’autres

    endroits de la ville, comme par une baisse du prix des loyers et des lots.

    La zone est donc devenue moins attractive, jusqu’à la moitié des années

    90 où une première vague d’investissements a permis de la revaloriser.

    Ces investissements résultent d’une série d’actions individuelles et non

    pas d’une politique du gouvernement. Des personnes qui recherchaient

    des loyers bon marché y ont déménagé et ont réhabilité les façades tout

    en respectant leur style originel, d’autres y ont ouvert des restaurants,

    galeries et bureaux. Aldo Rojas, historien de l’art, évoque dans un article

    pour Hotel Garage, plateforme dédiée à la culture urbaine du DF, qu’il

    s’agit de la première vague de gentrication qu’ont connu ces quart -iers, où les “gentrieurs” étaient des “artistes, intellectuels, étudiants

    et bohèmes bourgeois” (Rojas, 2014) dont l’activité se fusionnait avec

    l’esprit du quartier, avec ces petites épiceries et fondas. Le dynamisme

    qui s’est produit dans ces quartiers a attiré plus tard un nouvel prol de

    résidents et usagers, plus riches, séduits par la popularité des lieux. Il

    semblerait que plusieurs des individus de la première vague de “gentri-

    cation” s’aient vu forcés de quitter Roma et Condesa pour des quartiers

    plus accessibles à l’intérieur même de la ville centrale (Rojas, 2014).

    Par ailleurs, la mise en oeuvre des décrets gouvernementaux Ban-

    do 2 (2000-2007) puis Norma 26 (2007-) a supposé des changements

    dans l’ensemble des normes applicables dans les délégations central-

    es. Conjointement, ces deux politiques avaient pour objectif celui de

    repeupler et re-densier les délégations centrales, de contrôler la con-

    struction de logements en dehors de la ville centrale et de stimuler la

    production de logement d’intérêt social. Pourtant, le résultat est moins

    un rééquilibrage du logement social qu’une hausse de la spéculation

    de la valeur du sol et la construction d’habitations dont le prix dépasse

    le seuil de celles considérées d’intérêt social. Ainsi, Bando 2 et Norma

    26 ont favorisé l’édication de logements pour les classes moyennes et

    aisées plutôt que pour les secteurs défavorisés, activité ayant guidé la

    croissance de Roma et Condesa depuis les années 2000.

      Nous pouvons donc conclure sur deux points. D’une part, ces

    quartiers ont cessé d’avoir une fonction majoritairement résidentielle

    pour présenter aujourd’hui un usage mixte, leur réhabilitation s’étant

    traduit par une réactivation commerciale majeure. En effet, Condesa ac-

    cueille à présent une variété de restaurants, commerces, bars et boîtes

    de nuit dont l’afuence se pose de plus en plus problématique pourles habitants du quartier, en particulier en raison des nombreuses voi-

    tures qui circulent dans la zone et du bruit occasionné. D’autre part, ces

    quartiers ce sont vu repeuplés, mais sans atteindre l’édication prévue

    de logement social. Finalement, entre mezcalerías, cuisine de barrio,

    galeries d’art et le service ECOBICI (l’équivalent du Vélib parisien), ces

    quartiers illustrent un mode de vie désirable et recherché parmi plusieurs

    habitants de la CDMX. Dans sa thèse (et lors de notre entretien), Susana

    Gómez explique comment habiter ce type de quartier est devenu très

    important pour plusieurs jeunes diplômés, qui pour ce faire dépensent

    parfois plus de la moitié de leur salaire. Il s’agit aussi de deux zones

    stratégiques pour ceux désireux d’intégrer, d’inuencer et d’exercer un

    contrôle sur la production et circulation culturelle à la CDMX.

    Centro Histórico

    Après avoir été abandonnée par l’aristocratie et la bourgeoisie à la n

    du XIXème siècle, le Centro Histórico (CH) s’est paupérisé progressive-

    ment en raison de l’inux de migrants ruraux. Dans les années 50 la

    zone était densément peuplée, les loyers congelés, les investissements

    immobiliers loin, en périphérie, tandis que la part du commerce informel

    dans la zone augmentait (Díaz Parra, 2014). Toutefois, entre les années

    1970 et 2000 le CH a vu sa population diminuer considérablement en

    Edicio Anáhuac,immeuble Art Déco.Quartier Roma, CDMX.Source :Alberto García Picazo.

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    mise en oeuvre du plan de “sauvetage” du CH. De manière semblable

    qu’à Roma et Condesa, la stratégie de re-peuplement du gouvernement

    sous Bando 2 puis Norma 26 on conduit à une hausse de la spéculation

    immobilière et à une transformation de la morphologie du CH, où l’ac-

    tivité commerciale est devenu davantage importante, au détriment de

    sa fonction résidentielle. De fait, si dans les années 50, le CH hébergeait

    400 000 habitants, aujourd’hui ils ne sont que 150 000. (Autoridad del

    Centro Histórico, 2015). Par ailleurs, s’accompagnant aussi d’une pro-

    motion touristique de la zone, l’activité immobilière a contribué au ren-

    forcement de la ségrégation sociale et résidentielle. Le discours autour

    de la conservation du patrimoine et de sa mise en valeur a permis aux

    autorités d’exercer un plus grande contrôle sur les espaces publiques et

    les pratiques qui y sont autorisées, résultant dans une musécation et

    touristiaction de certains périmètres. Ainsi, si le CH accueille chaque jour environ 2 000 000 de visiteurs (Autoridad del Centro Histórico, 2015)

    de groupes sociaux distincts, chacun l’habitant à sa façon et selon ses

    moyens, les projets de mixité sociale ciblent principalement les classes

    aisées, faisant de leurs goûts et habitudes le style de vie favorisé sur ces

    espaces.

    Santa María la Ribera

    Premier fractionnement moderne de la CDMX, ce quartier date de la

    n du XIXème siècle et se voit rapidement doté en services publiques

    (éclairage, rues pavées, transport collectif). Après la Révolution Mexic-

    aine, la CDMX reçoit différentes vagues de migrants, dont certains s’in-

    stallent à Santa María. Il s’agit surtout de membres de l’aristocratie, de la

    bourgeoisie et des classes moyennes. Ce prol se maintient jusque dans

    les années 1940, période où le Mexique adopte un modèle de dévelop-

    pement d’industrialisation par substitution aux importations. La transi-

    tion d’une activité agricole à une production industrielle a occasionnée

    de nouvelles vagues migratoires, et c’est cette fois-ci une classe ouvrière

    qui s’installe à la CDMX, une partie le fera à proximité de Santa María.

    Dès les années 50 le quartier acquière un caractère plus populaire, à

    l’instar du CH. Dans les années 70 Santa María la Ribera se voit divisée

    en deux : Eje 1 Norte est inaugurée, une des avenues principales de la

    ville qui la relie d’est à ouest, mais qui brise les artères du quartier. Par

    ailleurs, la crise économique qui secoue le pays en n de décennie et au

    début des années 1980 se traduit par une montée du chômage et du

    raison de trois facteurs explicatifs : la crise économique des années 803,

    le tremblement de terre de 1985 et la déclaration du CH comme patri-

    moine mondial par l’UNESCO en 1987. Ensemble, ils ont crée une op-

    portunité favorable pour réhabiliter ce noyau urbain, en particulier ses

    sites historiques et son patrimoine architectural, et pour investir dans un

    modèle de “ville compétitive”.

    La rénovation du CH s’est faite via des partenariats publiques-privés

    (PPP), essentiellement avec Carlos Slim. Grupo Carso, l’agence immo-

    bilière du magnat, a réhabilité plus de 100 immeubles dans les périmètre

    A4 du CH, en installant des magasins, call centers et bureaux de Telmex,

    l’entreprise de télécommunications de Slim (Delgadillo et Olivera, 2014).

    Depuis 2001 Slim est aussi à l’initiative de la Fundación Centro Histórico

    A.C (2002) et du groupe immobilier Centro Histórico de la Ciudad de

    México S.A. La première se charge de la mise en oeuvre de programmessociaux pour les résidents et les travailleurs de la zone, alors que la deux-

    ième achète et réhabilite des immeubles (Delgadillo et Olivera, 2014).

    Centro Histórico de la Ciudad de México S.A a conçu l’édication de

    logements qui visent à attirer membres des classes moyennes, étudi-

    ants et artistes dans le CH. À titre indicatif, en 2006, les prix oscillaient

    entre 70 000 et 300 000 dollars pour des surfaces de 60 à 225 mètres

    carrés (Olivera, 2006 ; Delgadillo et Olivera, 2014), alors que le salaire

     journalier moyen d’un habitant du DF cette année-là état de 48, 67 pe-

    sos (Wikipedia, 2014), soit 17 521, 2 pesos l’année. Le prix en pesos de

    l’appartement le moins cher était de 1 061 263 pesos, soit environ 60,57

    fois le salaire intégral moyen. La stratégie est claire. Par ailleurs, Grupo

    Carso a publié que la plus-value de la zone a triplé depuis l’année 2000

    et cela grâce à la prolifération de cafés, hotels et boîtes de nuit (Carso,

    Revitalización del Centro Histórico, 2013).

    L’augmentation des prix des loyers et des logements résulte de la

    3 Lorsque l’administration de Miguel de la Madrid arriva au pouvoir en 1982, en pleinecrise économique, elle a véhiculé le développement économique la seule forme pos-sible de développement et mis en place une série de politiques néolibérales dans toutle pays. L’objectif était de rendre la CDMX attractive pour les capitaux globaux, ce quis’est traduit par le développement des secteurs de l’immobilier, de la nance et desservices (Olivera, 2013).

    4 Il existe à l’intérieur du CH deux périmètres : le périmètre A de 3.2 km carrés,la zone la plus dense en monuments du CH, puis le périmètre B de 5.9 km carréesdont la fonction est de protéger le périmètre A. Ces deux zones sont soumises à desrégulations particulières an d’assurer la conservation du patrimoine qu’elle héberge.Pour plus d’information générale sur le CH, voici le portail de l’organe gouvernementalresponsable : http://www.autoridadcentrohistorico.df.gob.mx/index.php/el-centro-his-torico-de-la-ciudad-de-mexico-es-el-corazon-vivo-de-nuestro-pais

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      Quiosco Morisco, Santa María la Ribera, CDMX.  Source : Alberto García Picazo.

    de la plupart de ceux qui peuplent le quartier. Celui-ci héberge des loge-

    ments modernes, de type studio ou P3, avec des places de parkings

    privées et surtout, avec des gardiens qui régulent l’accès au bâtiment.

    Germán nous a raconté qu’il a déménagé il y a deux ans, qu’il s’agit

    d’un immeuble récent, qui rompt avec la tradition du quartier, mais qui

    s’aligne avec les projets immobiliers qui se prolent à Santa María. Sel-

    on lui, le quartier réunit plusieurs critères sensibles d’aboutir dans un

    processus de gentrication, tant par la question de l’immobilier comme

    par la capitalisation du patrimoine, de l’espace public et des pratiques

    sociales. En effet, Santa María la Ribera est riche en histoire est accueille

    en son sein deux musée importants - le Museo del Chopo et le Museo

    de Geología - et le Quiosco Morisco, kiosque conçu pour le pavillon du

    Mexique lors de l’Exposition Universelle de 1884, présentant une forte

    valeur historique et symbolique. Si la protection de ces monuments estmoins régulée que celle du CH et si les projets de réhabilitation sont

    moins importants et agressifs, l’image traditionnelle et le patrimoine de

    Santa María la Ribera font de celle-ci un des 21 Barrios Mágicos (quart-

    iers magiques) de la CDMX, un programme municipal qui vise à mettre

    en valeur certains quartiers pour des ns touristiques.

    Ainsi, si les logements sont plus accessibles, le prol des habi-

    tants plus diverse et les commerces et restaurants (encore) moins nom-

    breux qu’à Roma, Condesa, et le CH, le visage de Santa María la Ribera

    change. S’il est encore tôt pour parler de déplacement ou de fragmenta-

    tion résidentielle, nous avons pu identier différentes pratiques spatiales

    et sociales selon le prol des habitants. Nous développerons cela davan-

    tage dans la section qui suit.

    L’art et la culture dans le développement urbain de Roma-Condesa,Centro Histórico et Santa María la Ribera

    Condesa, Roma, le CH et Santa María la Ribera font écho à différents

    phénomènes mobilisés par les théories sur la “gentrication” en

    Amérique Latine. Il s’agit maintenant de comprendre le lien entre la cul-

    ture, les artistes et le développement urbain de ces zones-là.

    Il est important de noter que les pôles culturels les plus importants de

    la CDMX sont la ville centrale - pendant longtemps l’ensemble de la

    CDMX - et la zone sud comprenant le quartier de Coyoacán, la UNAM,

    et le Centro Nacional de las Artes (CNA). Si nous nous limiterons à étud-

    ier le premier pôle, il s’agit d’une division articielle car il s’agit d’un ré-

    commerce ambulant. La “décadence sociale” de Santa María la Ribera,

    en cours depuis les années 50, s’intensie pendant cette période où le

    quartier est surnommé Santa María la Ratera, la voleuse. Cette tendance

    ne cessera de croître pendant la crise nancière des années 90.

    Quant aux questions du logement et des infrastructures, le quart-

    ier se voit également affecté par le tremblement de terre de 1985 et

    visé par les décrets municipaux Bando 2 et Norma 26. Cependant, les

    logements à Santa María la Ribera présentent des prix plus accessibles

    que ceux de Roma, Condesa ou CH, les logements sociaux sont plus

    nombreux et le quartier conserve toujours une mixité sociale impor-

    tante. Protant d’une localisation stratégique, Santa María est aussi bien

    communiquée avec le reste de la ville par divers modes de transport

    collectif (Metrobús, metro, bus, minivans). Cela fait du quartier une op-

    tion pragmatique à l’heure de rechercher un logement. C’est d’ailleurs lafonction principale du quartier : 2/3

    du territoire de Santa María sont

    réservés à un usage résidentiel. En-

    tre 2000 et 2004 environ 450 mai-

    sons ont été réhabilitées par des

    entreprises privées à Santa María

    la Ribera (Boils Morales, 2009), ac-

    tivité perçue par certains comme

    le début d’un nouvel cycle d’in-

    vestissements sensible d’attirer les

    secteurs les plus aisées des classes

    moyennes. Il existerait, de fait, une

    “route des loyers” associée à ces

    investissements immobiliers et la

    “gentrication” : Condesa - Roma -

    CH - San Rafael et maintenant San-

    ta María.Nous ne pouvons point con-

    clure, toutefois, sur l’avancement

    d’un processus de “gentrication”

    dans le quartier. Pour mieux com-

    prendre l’histoire et la situation de

    Santa María nous avons rencontré

    Germán Gutiérrez, urbaniste et rés-

    ident de Santa María. Il habite Calle

    Cedro, dans un immeuble différent

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    Culture, gentrifcation et pratiques artistiques Ciudad de México

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    seau, de deux pôles bien connectés, interdépendants et animés par les

    mêmes acteurs (grosso modo).

    Nous avons retenu trois facteurs an de montrer l’importance de

    la culture à un niveau macro dans chacune de nos zones d’études : la

    concentration de patrimoine, la présence d’infrastructures culturelles et

    les interventions du Gouvernement du Distrito Federal (GDF).

     

    Patrimoine et capital culturel

    Les trois zones d’étude présentent une forte concentration en patri-

    moine historique et culturel. Le CH en est la plus riche : il s’agit du centre

    historique avec plus de monuments de toute l’Amérique Latine, héber-

    geant en son sein 400 sites historiques et artistiques. Comme évoquéplus haut, Santa María la Ribera accueille deux musées importants et plu-

    sieurs édices datant de l’époque

    du Porriato. Bien que leur état dif -

    fère - certains sont mieux conservés

    que d’autres - ils contribuent à l’im-

    age traditionnelle du quartier et à

    sa richesse esthétique. Finalement,

    le patrimoine de Roma-Condesa

    date surtout du XXème siècle et

    englobe une diversité de styles ar-

    chitectoniques.

      Pour CH et Santa María, l’héri-

    tage historique constitue leur atout

    majeur. Le gouvernement s’en est

    servi pour leur promotion tour-

    istique, bien que le CH dépasse

    largement Santa María la Ribera sur

    ce point. Le souci de conservation

    et mise en valeur de ces infrastruc-

    tures s’est métamorphosé en une

    muséication et touristication de

    l’espace, notamment en termes de

    régulation des lieux publics. De fait,

    le patrimoine a servi d’argument

    majeur pour leur réhabilitation. En

    ce qui concerne Roma-Condesa,

    l’importante activité immobilière à Condesa a poussé certains des rés-

    idents à se manifester pour la sauvegarde de plusieurs façades an de

    conserver l’attractif des immeubles du quartier. Mais plus que son passé,

    c’est son capital culturel actuel, les commerces penchés vers la gastrono-

    mie et le design, que font ressortir Condesa à la CDMX. De même, Roma

    accueille plusieurs librairies, cafés et petits théâtres, présentant un prol

    plus bohème que celui de Condesa, mais tout aussi attractif. La culture a

    été l’élément central dans la réinvention de ces deux quartiers et du CH,

    elle reste un atout exploitable pour le développement futur de Santa

    María la Ribera.

    Corredores Culturales

    Il existe dans toutes les villes des zones où l’offre culturelle y est plus

    intense. À la CDMX, le terme corredor cultural, passerelle culturelle en

    français, désigne quelques unes de ces zones où initiatives, activités et

    institutions culturelles s’agglomèrent. Il s’agit d’un label octroyé par le

    gouvernement du DF à des espaces accueillant des activités culturelles

    estimées de renforcer le “tissu social” sur place. Aujourd’hui il existe au

    moins 3 qui sont visibles dans la ville : Corredor cultural Roma-Condesa,

    Corredor Cultural Centro Histórico et Corredor Cultural Coyoacán - San

    Ángel (Aguilar Sosa, 2015). Nous nous permettons d’inclure le Corre-

    dor Cultural Peatonal Regina, aussi au CH. Il existe un débat autour de

    ces passerelles : émergent-elles progressivement ou sont-elles (pre)fab-

    riquées? De telles questions visent surtout le Corredor Cultural Cha-

    pultepec, que le GDF veut créer articiellement, ex nihilo. Pour notre

    part, nous considérons que ces corredores résultent d’initiatives de la

    société civile et sont par la suite promues et visibilisées davantage par le

    GDF. Pourtant, il se peut aussi que les intérêts du gouvernement guident

    l’émergence de telles passerelles.

    Le Corredor Cultural Roma Condesa, précurseur de ces initiatives,

    est un évènement ayant lieu deux fois par an dans ces deux quartiers

    autour de la gastronomie, la mode, le design, le cinéma - bref, la culture

    contemporaine. Il serait le “périmètre le plus emblématique de l’art et

    la culture dans la Ciudad de México” (Aguilar Sosa, 2015). Le trait dis-

    tinctif de ces corredores culturales  est leur lien avec les espaces publics.

    L’intérêt, par exemple, du Corredor Cultural Roma Condesa est de faire

    sortir de ses lieux habituels diverses disciplines artistiques pour ré-acti-

    seo del Chopo, Santa María la Ribera, CDMX.urce : Alberto García Picazo.

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    Culture, gentrifcation et pratiques artistiques Ciudad de México

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     Voces, 2013). De se voir réalisée, une telle passerelle illustrerait la poli-

    tique du gouvernement vis-à-vis la récupération des espaces publiques

    et le rôle de la culture dans un tel processus : l’embellissement. Par ail-

    leurs, il existe assez d’infrastructure culturelle à Santa María pour investir

    dans ces projets symboliques.

    Centres culturels

    Nous en avons retenu un centre

    par zone d’étude, bien qu’il en

    existe plusieurs. Il s’agit du MUCA

    Roma pour la Roma-Condesa, de

    Casa Vecina pour le CH et du Mu-seo del Chopo pour Santa María la

    Ribera. Les deux musées en ques-

    tion sont gérés par la UNAM, alors

    que Casa Vecina dépend d’une

    institution privée. Le public et le

    privé se voient ainsi représentés,

    ce qui est intéressant car l’objectif

    est de comprendre comment, sel-

    on les institutions, sont organisés

    les activités culturelles et dans

    quel but.

      Nous n’avons pas eu de

    contact direct avec le MUCA

    Roma, mais nous avons assisté à

    une exposition et participé à une

    dérive sonore qui commençait

    au musée. Nous nous y sommes

    intéressés car depuis cette année toute la ligne de programmation du

    musée cible le Droit à la Ville. Nous pouvons donc espérer le déploie-

    ment de différentes activités autour du lien entre l’art et la ville, et il se-

    rait logique que le quartier de Roma et ses alentours devienne le théâtre

    de nombreuses explorations. En effet, la dérive sonore à laquelle nous

    avons pris part ne parcourait que des lieux du quartier et invitait à le

    découvrir et à l’imaginer à travers ses “bruits”. La dérive était organisée

    par le Laboratorio de literaturas expandidas y otras teatralidades (LLE-

    OM), qui ne dépend pas du musée. Cela invite à se poser la question sur

    ver culturellement les lieux publics de Roma et Condesa. Il ne faut pas

    pourtant sous-estimer le potentiel économique de ces initiatives, cen-

    sées proter à l’économie culturelle, ou du moins la mettre en valeur.

    Une trame de l’avenue Álvaro Obregón, une des artères principales de

    la Roma, est baptisée sous le nom de Corredor Cultural Álvaro Obregón.

    Dans son terre-plein vous pourrez trouver quelques statues, parfois cer-

    taines expositions photo disposées par le GDF. Il est surtout entouré par

    des cafés, centres culturels, bars et restaurants, donc nous reconnaissons

    aussi dans cette étiquette de corredor cultural plus un geste symbolique

    qu’un véritable espace public habité en permanence par la culture.

    Le Corredor Peatonal Cultural Regina, au CH, est une rue piétonne

    d’environ 550 mètres entre la Calle Bolívar et l’avenue 20 de Noviembre.

    Son apparition est étroitement liée à la réhabilitation du CH, il s’agit

    d’ailleurs d’un choix stratégique : en raison d’une présence d’institutionsvouées à la culture5, cette zone a été planiée autour des arts. Ce sont

    des entités publiques et privées qui ont guidé la transformation du quart-

    ier dans les années 2000 et qui se sont préoccupées de le rendre attractif

    pour les artistes et les étudiants. Par exemple, la Fundación del Centro

    Histórico de Carlos Slim y a installé son centre culturel, Casa Vecina (voir

    Box Casa Vecina). La reconversion de Regina posait un enjeu de coexis-

    tence entre les résidents de longue date et le nouvel prol du quartier,

    qu’ils n’ont pas choisi. Des efforts se sont fait an de concilier des ren -

    contres et forger des liens parmi une communauté changeante, mais

    plusieurs des résidents qui habitaient le quartier avant sa réhabilitation

    ont dû partir. Aujourd’hui, plus qu’un espace dédiée à l’art et à la culture,

    le corredor est fréquenté par les clients des bars et mezcalerías qui ont

    conquis la Calle de Regina et ses alenteours. D’ailleurs tous les locaux

    ont les mêmes chaises et parasols avec le logo de la CDMX. Voilà donc

    un exemple de touristication de l’espace plus que d’un investissement

    en l’art et la culture sous l’étendard de passerelle piétonne et culturelle.

    Finalement, il n’y a pas à Santa María la Ribera un espace cat-

    alogué de corredor cultural, mais nous avons retrouvé des articles de

    presse annonçant l’intérêt du gouvernement de ce faire. S’ils datent

    de 2013 et que nous n’avons pas pu conrmer l’avancement du projet,

    l’idée était d’aménager en passerelle culturelle avec une piste cyclable

    sur 11 rues le long de Eje 1 Norte (El Universal, 2013), avenue qui divise

    le quartier en deux. L’art urbain ou street art se verrait mise en valeur

    pour contrer les grafti sur les murs de Santa María la Ribera (Uniendo

    5 Dans les parages se trouvent des locaux de l’Institut National des Beaux-Arts etl’université Claustro de Sor Juana axée sur la culture.

    Museo Universitario del Chopo

    Le Museo Universitario del Chopo à Santa María la Ri-

    bera est une des institutions culturelles de la UNAM

    dédiée à l’art contemporain depuis 1973. Espace d’ex-

    périmentation artistique, la lignée du musée regroupe

    les arts visuels, le cinéma, les arts de la scène et la

    littérature autour d’une approche transdisciplinaire.

    Longtemps seul espace au nord de la ville proposant

    des activités culturelles et accessibles, El Chopo s’est

    érigé comme un lieu de référence et de culture alterna-

    tive parmi les habitants de Santa María la Ribera. Toute-

    fois, la rénovation du musée entre 2005 et 2010 a eu

    pour conséquence un détachement affectif entre cet

    espace et son contexte local. Depuis, l’institution mo-

    bilise plusieurs moyens pour rétablir ses liens avec le

    quartier - tant avec ses habitants comme avec sa nou-

    velle scène culturelle indépendante -, tout en dévelop-

    pant une programmation artistique novatrice qui fait du

    Chopo un passage clé du circuit culturel chilango.

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    Culture, gentrifcation et pratiques artistiques Ciudad de México

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    pièces et projets programmés interagissent avec le quotidien de Santa

    María la Ribera (voir les box Encuentros Secretos et ¿Quién es el habi-

    tante de la casa?). Nous nous y intéresserons en détail plus loin. Allons

    maintenant du côté du privé.

    L’existence de Casa Vecina résulte de l’instrumentalisation de la

    culture lors de la réhabilitation du Centro Histórico et de son nouveau

    visage. Aucune des personnes que nous avons rencontré diverge sur

    ce fait. Cependant, lors de notre visite au centre culturel, nous avons

    observé chez Helena et son équipe le souci de préserver cette relation

    de “voisinage” entre Casa Vecina (maison voisine) et les habitants et

    usagers du Centro Histórico, de le réinventer à une échelle micro, du

     jour le jour. Ainsi, les objectifs artistiques poursuivis par l’institution, les

    (ré)orientations et répercutions de ses activités sur le territoire et dans la

    durée dépendent ici énormément de la vision du coordinateur généralet du budget octroyé par la Fundación du Centro Histórico. Ce n’est pas

    parce qu’elle dépend d’une entité privée qu’elle a un budget illimité

    ou des meilleurs moyens que les institutions appartenant à la UNAM.

    Par ailleurs, si elle ne peut pas se libérer de ses origines, c’est-à-dire de

    toute la polémique qui existante autour de la réhabilitation du CH et du

    rôle de Carlos Slim, cela n’implique pas que Casa Vecina ne puisse pas

    proposer des projets critiques mettant en relation l’art et la ville.

    En effet, au cours de nos entretiens, nous nous sommes rendus

    compte que les institutions culturelles, les individus qui les dirigent / co-

    ordonnent et les artistes avec qui elles coopèrent sont tous en relation et

    créent un circuit culturel où différentes interactions, de coopération ou

    conictives, peuvent y avoir lieu. C’est cette dimension relationnelle que

    nous considérerons dans la deuxième partie de cet article et que nous

    explorons en rapport avec la ville.

    le type d’artistes que cette ligne de programmation est sensible d’attire,

    aux liens qui peuvent se nouer. Ainsi, ce nouvel intérêt du MUCA Roma

    pourrait ouvrir une dimension plus relationnelle et expérimentale parmi

    les pratiques artistiques qui y ont lieu au musée et dans le quartier, pro-

    poser une optique plus réexive et critique autour des arts et de l’urbain.

      El Museo del Chopo présente une ligne de programmation plus

    robuste que le MUCA Roma, il s’agit aussi d’une infrastructure plus

    grande. L’impact potentiel qu’il pourrait avoir sur le quartier dépasse

    largement celui qu’il connaît aujourd’hui, mais le musée fait de grands

    efforts pour retisser des liens de conance et d’appartenance avec les

    habitants de Santa María. Quant à sa vocation culturelle, son intérêt en-

    vers l’art contemporain se manifeste différemment selon les disciplines,

    car chacune est administrée par un bureau différent, même si ces derni-

    ers communiquent entre eux et travaillent ensemble selon les projets. Enarts de la scène, par exemple, la coordinatrice du département Mariana

    Gándara nous a appris que les artistes étaient choisis selon le language

    théâtrale qu’ils mobilisaient dans leur travails. Ainsi, El Chopo valorise

    à présent les initiatives d’artistes qui font “quelque chose” au théâtre,

    qui s’éloignent du théâtre classique. Si cela n’implique pas nécessaire-

    ment une répercussion directe sur le quartier, il s’avère que plusieurs des

    Casa Vecina

    Institution culturelle de la Fundación del Centro Histórico S.A, ce centre se

    situe depuis 2005 dans le Callejón Mesones, au sein du Corredor Cultural

    Regina. Sa vocation originelle était celle d’accompagner le processus de

    régénération du Centro Histórico et de servir de pont entre les résidents du

    quartier et l’art contemporain. Il s’agissait aussi de proposer un espace de ren-

    contre entre ceux qui habitaient le quartier depuis longtemps et les nouveaux

    arrivants. Sa fonction a changé au l des années et dix ans après son ouver -

    ture, Casa Vecina s’érige comme une institution importante parmi le circuitculturel de la CDMX. Le centre, une ancienne maison, propose un programme

    multidisciplinaire oscillant de workshops d’urbanisme (Microurbanismo) à l’ex-

    ploration artistique (résidences culturelles et interdisciplinaires) en passant par

    la mise en place de concours et projets artistiques pour les jeunes créateurs,

    professionnels ou amateurs (Mociones). Sous l’aile d’ Helena Braunštajn la

    ligne de programmation repose sur l’expérimentation et la recherche autour

    des liens affectifs et émotionnels que peuvent exister entre Casa Vecina et

    le Centro Histórico : c’est le CH, les implications possibles avec son identité

    changeante, qui guident le choix des projets et les artistes invités.

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    Culture, gentrifcation et pratiques artistiques Ciudad de México

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    la scène culturelle mexicaine, mais aussi d’une série d’artistes qui pour-

    raient travailler autour de l’urbain, mais dont les oeuvres seraient dépour-

    vues de tout contact immédiat avec la ville. Par ailleurs, d’un point de

    vue pratique, nous avons en premier repéré les institutions culturelles

    qui nous intéressaient dans chaque quartier, puis contacté les artistes

    qui nous intéressaient. Ainsi, notre échantillon dépend en grande partie

    des entités présentées plus haut : il est soumis tant aux conceptions de

    l’art préconisées par chaque institution comme aux objectifs poursuivis

    en termes de programmation, de public visé, de moyens économiques

    et la place qu’elles occupent ou cherchent à avoir au sein du circuit d’art

    contemporain de la ville.

    De l’Illustration à l’incarnation du quotidien urbain.

    Depuis la révolution industrielle, les arts ont fait de la ville un de leurs

    sujets de prédilection. Qu’on lise Roberto Bolaño, José Emilio Pache-

    co, Carlos Fuentes, Jack Kerouac, William Burroughs, Rafael Pérez Gay

    ; qu’on retrace les images cinématographiques du début du XXe siècle

     jusqu’aux lms de réalisateurs contemporains tels qu’Alonso Ruiz Palacios

    (Güeros, 2014) : la Ciudad de México n’est pas seulement représentée

    et renouvelée sans cesse, mais il s’agit souvent d’un personnage à part

    entière. Par ailleurs, le muralisme méxicain - dont Diego Rivera, José

    Clemente Orozco et David Alfaro Siqueiros sont les représentants les

    plus reconnus - a pour intention de représenter les mexicains dans leur

    cadre de vie de manière publique et accessible pour tous, laissant ainsi

    ses traces éparpillées dans la ville.

    Pourtant, ce ne sont pas ces représentations là qui nous intér-

    essent. Depuis les années 60, une série d’artistes s’éloigne de l’art mod-

    erne - idéaliste, déconnecté du monde sous l’étendard “d’art pour l’art”

    - pour s’intéresser à la “réalité brute” (Ardenne, 2002). Voilà qu’appa-

    raîtra le concept d’ “art contextuel”, qui s’inspire du réalisme et va au-

    delà de ses vecteurs traditionnels : sont but n’est pas celui d’illustrer

    la réalité, mais de s’en emparer. Nous parlons d’une immersion dans

    les terrains du concret, de l’immédiat, de la “vrai vie”. Cette immixtion

    dans les sentiers du terrestre traduit une appropriation artistique de la

    réalité qui rompt avec la séparation entre art et société. De même, l’art

    contextuel met en crise le périmètre privilégié du musée car tant l’artiste

    comme l’activité artistique sont déplacés “à l’espace de la réalité même”

    (Ardenne, 2002). Ceci demande donc une réadaptation des moyens et

    Lorsque l’on aborde le tandem culture - urbanisme, nous le faisons sou-

    vent de manière dichotomique : soit la culture permet de faire des villesdes endroits plus “habitables” ou “humains”, soit elle sert de parure

    pour rendre attractifs des megaprojets ou autres intérêts immobiliers.

    Bien que notre formulation puisse paraître très caricaturale, elle résume

    le débat autour des bienfaits ou méfaits de la culture tels perçus depuis

    le champ des études urbaines. De fait, jusqu’ici, cet article ne prends en

    compte que la dimension urbaine.

    Cependant, la place de la culture dans la ville demande aussi

    d’être comprise depuis les arts. Interrogé sur les artistes et la gentrica-

    tion, Eduardo Acosta1 (voir box Academia de San Carlos) nous l’a résumé

    ainsi: “nous sommes à la fois complices et victimes de la gentrication”

    (Acosta, 2015). Cette idée a d’ailleurs été reprise par plusieurs de nos

    interlocuteurs. Dès lors, nous avons ressenti le besoin de savoir si les

    processus étudiés plus haut étaient source d’inspiration ou cible de cer-

    taines manifestations artistiques, si les artistes réagissaient à leur tour

    contre une instrumentalisation de la culture et d’eux-mêmes, si les in-

    stitutions culturelles tentaient de combattre ses effets via leur program-

    mation. Finalement, dans quelle mesure ces interventions culturelles

    échappent-elles aux cloisonnements de l’art pour s’emparer de la réal-

    ité? Sont-elles pertinentes en termes urbains? Si oui, comment?

    Parce que les territoires de la culture sont multiples et ses mani-

    festations diverses, nous avons uniquement ciblé des artistes et institu-

    tions culturelles s’intéressant aux espaces publics. Cela s’est traduit par

    une exclusion quasi-sistématique des secteurs les plus conservateurs de

    1 Il est bien placé pour en parler, lui-même s’étant vu forcé de quitter le Centro Históri-co - il est né et a g randi dans le quartier de la Merced - car il ne pouvait plus payer sonloyer depuis que la z one a été réhabilitée et revalorisée par le secteur immobilier.

    2. Sur comment les artistespourraient changer la ville

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    Culture, gentrifcation et pratiques artistiques Ciudad de México

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    intéressés aux sculptures, dont le style est assez précaire, ils n’ont pas

    hésiter à nous imiter et prendre des photos.

      Quant à SAC, leur objectif est clair : créer des contrastes dans

    la ville et l’embellir. Leur travail est valorisé par le gouvernement, qui y

    voit un outil potentiel de régénération sociale et urbaine pour réhabi-

    liter l’image des quartiers marginalisés et engager la créativité d’une

     jeunesse difcile. Cependant, selon le quartier, la concentration de mu-

    rales  peut réorienter les dynamiques ayant lieu dans celui-ci et inciter

    les développeurs immobiliers à réhabiliter certains immeubles, au point

    de devenir une excuse pour augmenter les loyers si la zone acquière de

    la valeur en raison du street art. Si cette réexion fut élaborée par SAC

    des méthodes créatives de l’artiste qui travaille en contexte réel. Cette

    rupture avec les espaces traditionnels de l’art sont un premier facteur

    expliquant la présence d’artistes dans les espaces publics.

    La ville devient un espace pratique, “une réalité donnée mais

    maléable, un chantier” (Ardenne, 2002) où l’artiste contourne le for -

    malisme et en ce faisant il doit lui même remettre en jeu ces moyens

    de faire, au même temps qu’il adopte un point de vue sur la ville et

    comment y intervenir. Ainsi, les moyens de (re)façonner l’espace urbain,

    d’introduire d’éléments et situations nouvelles, peuvent être diverses.

    Ici, l’artiste s’implique dans le contexte où il travaille, se transformant en

    acteur dont la position serait “activiste et critique (...) engagée, pertur -

    batrice et vigilante” (Ardenne, 2002). Cette conception sociale de cet

    “artiste contextuel” nous a permis de poser l’hypothèse d’un artiste-ac-

    tiviste à la CDMX qui s’approprierait de la rue à des ns transgressivesan d’y apporter quelque chose, de l’améliorer, de visibiliser certains

    aspects de la vie publique.

    Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse, nous avons commencé

    par contacter des artistes visuels. Nous nous sommes vus confrontés à

    deux positionnements : d’une part les artistes en relation avec l’Académie

    de San Carlos étaient dans leur ensemble assez politisés, alors que du

    côté de Street Art Chilango cet aspect était moins clair.

    Ceux du groupe de l’Academia de San Carlos ont une forma-

    tion pratique autant que théorique et n’ont pas hésité à partager avec

    nous leurs visions de ce que devrait être la ville, ainsi que toutes les

    contradictions derrière le terme “art urbain” ou “art public”. Ils étaient

    très informés et critiques vis-à-vis les transformations du CH et avaient

    un discours clair par rapport à la “gentrication” et comment chacun

    visait ou non à dialoguer avec ce processus urbain dans leur travail. Il

    s’avère toutefois que, à l’exception de Pablo, leur travail est plus exposé

    dans des musées ou centres culturels qu’en contact direct avec la rue.

    Lors d’une visite au parc qui est devenu le domaine anonyme de Pablo,

    celui-ci nous a montré ses sculptures, la plupart difciles à identier,

    et sa façon express de procéder an de ne pas être arrêté. Plusieurs

    des sculptures sont soit enlevées par la police, soit subissent les mêmes

    risques que n’importe quel monument dans une place publique (voir

    photo). Pourtant, à l’origine, ce n’est pas un intérêt envers le contexte

    urbain qu’a poussé Pablo à intervenir les rues, mais une surproduction

    artistique qui s’associait mal avec deux ou trois expositions par an dans

    une galerie d’art. Finalement, la réaction des personnes après nous avoir

    vu prendre des photos était aussi intéressante : s’ils ne s’étaient pas

    Academia de San Carlos1

    Eduardo Acosta et Pavel Ferrer sont enseignants au master en

    arts visuels de l’Academia de San Carlos, l’école de Beaux Arts

    de la UNAM ; Karla Hamilton et Pablo Concha y ont étudié. Nous

    les avons tous rencontrés grâce à Eduardo, suite à une exposi -

    tion en commun qu’ils organisaient autour de la ville au Museo Ex

    Teresa Arte Actual au CH. Chacun travaille de manière indépen-

    dante, mais leurs créations ont en commun l’intérêt pour la ville

    et le dialogue avec l’urbain. Eduardo n’a pas tardé à nous parlé

    sur la “gentrication” du CH, ses photographies et fanzines ayant

    pour intention de faire face à la “gentrication”, non simplement

    à s’y opposer et résister, mais à interagir avec les changements

    qu’elle suppose. Un des projets photographiques de Karla Ham-

    ilton, El Bulto, porte sur l’incendie ayant secoué La Merced en

    2014, un marché populaire et emblématique de la CDMX. Elle

    associe cet incident avec le projet de réhabilitation du quartier,

    qui vise à faire du marché un site gourmet. Elle a, d’ailleurs, un

    projet intitulé Gentricación. Pour sa part, Pablo Concha, sculp -teur chilien, sème des sculptures anonymes dans le parc Ramón

    López Velarde à Roma Sur. Il échange aussi avec les gardiens de

    voitures des pierres contre ses sculptures : ainsi, lorsque quelqu’un

    cherche une place de parking dans les rues où Pablo est passé, il

    ne trouvera point un bout de bois ou une cuvette lui indiquant que

    la place est réservée, mais une étrange sculpture.

    1 Par souci de brièveté nous pouvons pas développer en profondeursles différents projets de chacun de ces artistes. Voici leur site web respec-tifs où vous trouverez plus d’informations. Eduardo Acosta : http://blogs.fad.unam.mx/asignatura/eduardo_acosta/ - Karla Hamilton : http://kar -lahamilton.portfoliobox.io/  - Pablo Concha : http://pabloconcha.com/ (son travail autour des déchets est très intéressant).

    Monomento, le jour de l’inaugurationet Monomento après quelques jours.Jardín Ramón López Velarde,quartier Roma Sur, CDMX.Source : Pablo Concha.

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    Culture, gentrifcation et pratiques artistiques Ciudad de México

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    premier groupe, qui d’ailleurs opère de manière informelle sur la voie

    publique alors que SAC suit des démarches légales. Bien que certains

    street artistes transmettent un message politique ou social dans leursmurales , nous n’avons pas repéré chez SAC, à la fois artistes et promo-

    teurs culturels, une vision sur la problématique spatiale outre qu’embellir

    la ville. Ainsi, notre hypothèse d’un artiste-activiste engagé porteur d’un

    projet non seulement artistique, mais urbain, ne fut pas tout à fait validée

    lors de ces premières rencontres.

    Des projets scéniques en interaction avec l’urbain

    Les artistes provenant

    de l’Academia de San Carlosont afrmé clairement une ré-

    sistance face à différents pro-

    cessus urbains, mais celle-ci ne

    se traduisant pas directement

    sur l’espace public nous nous

    sommes éloignés des arts vi-

    suels pour nous intéresser aux

    arts vivants. Il existe plusieurs

    projets d’arts de la scène

    qu’explorent la ville et l’es-

    pace public à la CDMX sous

    l’étendard de l’art expandido.

    Littérature expandida, théâtre

    expandido, danse expandida,

    cinéma expandido. En anglais

    expanded, champ élargi en

    français, ce terme en vogueà la CDMX n’est pas facile à

    dénir et englobe un diversité

    de réalités artistiques.

    Il partage avec l’art

    contextuel son caractère

    post-autonome, cette volonté

    de s’éloigner du formalisme

    pour explorer d’autres modes

    de création. Dans le cas du

    ¿Quién es el habitante de la casa?Pièce scénique qui s’échappe des édices théâtraux pour

    proposer une “ballade urbaine” dans les rues de San -

    ta María la Ribera. Flâneurs potentiels, les participants

    sont cependant accompagnés d’une audio-guide qui les

    plonge dans un parcours déni à l’avance par Diana Car -

    dona et Gabriel Yépez. Cette dérive invite à s’arrêter dans

    des espaces connus et transités, à s’attarder un instant

    devant des immeubles souvent ignorés, explorant ain-

    si les multiples réactions que peuvent advenir lorsqu’on

    habite un espace. Expérience sensible à travers les ves-

    tiges de l’espace urbain, celui-ci se transforme en un

    mélange d’histoires, ressentis et images qui permettent à

    chacun de dessiner un nouvel paysage, le sien. Ce projet

    s’inspire d’un autre parcours conçu pour le Centro Históri-

    co en partenariat avec le Centro Cultural España en 2013.

    L’un et l’autre proposent une mise en relation entre lesindividus et les temporalités entrelacées d’un e space, son

    passé, son présent et son futur. C’est, en n de compte,

    une approche relationnelle avec l’Histoire et l’architecture

    d’un lieu, une enquête sur ce qu’il y a de vivant et d’af-

    fectif en lui. Rencontrer Diana et Gabriel nous a permis de

    découvrir une manifestation artistique qui s’éloigne des

    activités de l’artiste-activiste, mais qui propose une mise

    en relation esthétique et personnelle entre les individus et

    la ville, invitant à s’en approprier de celle-ci.

    pendant notre rencontre, ils n’ont

    pas partagé un avis critique sur la

    question. Par ailleurs, l’élément

    clé pour comprendre la politique

    du street art est le promoteur cul-

    turel et non pas l’artiste. En effet,

    ces derniers négocient avec la

    mairie, se procurent du matériel

    et invitent les artistes. La con-

    currence entre promoteurs à la

    CDMX est forte, et c’est paradox-

    al en ce qu’elle reproduit l’esprit

    des galeries que le street art est

    censé trascender. De plus, cetteconcurrence ne devrait cesser

    de croître : si le gouvernement

    soutient le street art, il contrôle

    énormément l’espace public, sur-

    tout au CH, rendant difcile l’ac-

    cès aux murs sous sa tutelle et in-

    tensiant la rivalité pour accéder

    aux murs privés.

    Par conséquent, si ces deux

    groupes d’artistes font de la ville

    une composante centrale de leur

    activité, leur façon de l’aborder

    diffère. La pratique artistique

    d’Eduardo, Pavel, Karla et Pablo

    repose sur un savoir théorique et

    s’accompagne d’une vision poli-

    tique, en accord avec l’idée d’unartiste-activiste. Cependant, nous

    n’avons pas pu évaluer jusqu’à

    quel point leur travail cherche à

    transformer la ville de manière

    concrète, Pablo étant le seul à

    intervenir sur l’espace public. Au

    contraire, SAC travaille directe-

    ment avec l’infrastructure urbaine

    et les effets de leur travail sont

    bien plus visibles que ceux du

    reet Art Chilango

    p://www.streetartchilango.com/

    2013, Jenaro de Rosenzweig et Alejandro Revilla

    cent Street Art Chilango (SAC), une des sept or-

    nisations qui promeuvent le street art à la CDMX.

    ntrairement du grafti, cette pratique est légale, les

    istes sont des professionnels et le public est assez

    ceptif de leur travail. Ce qui le rend différent du mu-

    ismo mexicain est la visibilité obtenue grâce aux ré -

    aux sociaux. D’ailleurs, les festivals de street art sont

    mbreux et le tourisme se développe autour de cette

    tivité. En effet, nous avons interviewé Jenaro pendant

    tour de SAC au CH. Par ailleurs, si le street art est

    uvent connu pour son caractère public, il s’avère que

    usieurs des murs qui hébergent les fresques de SACnt privés. Ce brouillage entre propriété “publique”

    “privée” invite à s’interroger sur ce qu’il y a vraiment

    “public” dans cette pratique. Au-delà de street art

    naro parle “d’expressions visuelles urbaines”, l’outil

    base pour le peuple pour s’exprimer, accessible à

    us. Pour lui, le street art est le point d’union entre

    habitants, la police et l’espace privé/public. C’est

    blic parce que tous les citadins peuvent apprécier

    mural : Jenaro défend que la rue est de tous, pour

    us, for free.

    Art urbain. Parking, Centro Histórico, CDMX.Source : Alberto García Picazo.

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    Culture, gentrifcation et pratiques artistiques Ciudad de México

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    tant que citoyens mexicains. La situation critique du pays, où disparitions

    et assassinats rythment le quotidien des individus donne forme à plu-

    sieurs initiatives artistiques, du cinéma jusqu’au théâtre documentaire.

    Parmi les propositions artistiques qui choisissent sortir à la rue,

    nous retrouvons des initiatives telles que celles de Diana Cardona, Ga-

    briel Yépez ou Aristeo Mora à Santa María la Ribera, et d’autres qui se

    trouvent à la croisée de l’artistique, du social et de l’urbain. Cela ne veut

    pas dire pour autant qu’elles aient tous des effets positifs, du moins à

    nous yeux. Par exemple, un pièce devenue très populaire à la CDMX

    est Safari en Tepito2 de Daniel Giménez Cacho, acteur et directeur de

    théâtre et de cinéma assez connu au Mexique. Tepito est un quartier du

    CH considéré comme un des endroits les plus dangereux de la ville. Sa-

    fari en Tepito vise à démystier cette zone et invite aux citadins qui n’os-

    ent pas y mettre les pieds à découvrir ses rues et ses personnages, sonvisage humain. Il s’agit d’un projet avec un objectif clair - s’approcher de

    l’autre - et qui est étroitement lié à un lieu emblématique de la ville, mais

    2 Voici une courte vidéo (en espagnol) autour du projet où vous pourrez apprécierle quartier et le discours promu par le metter en scène : https://www.youtube.com/watch?v=3IyCHgCb-EU 

    théâtre, par exemple, il s’agit d’une lignée post-dramatique en quête de

    nouveaux moyens de représentation. Mais à différence de l’art contextu-

    el qui place l’artiste au coeur du processus artistique, ici c’est toute une

    discipline qui se dissout, qui s’élargit par rapport aux codes du musée

    ou de la boîte noire. En ce sens, les projecteurs ne sont plus sur l’artiste

    ou le créateur, mais sur l’ensemble des dispositifs dont dispose une

    discipline, ses moyens de production. La confrontation avec une réal-

    ité étrangère à celle du théâtre suppose des nouveaux moyens d’action

    autant qu’une contamination avec d’autres disciplines, soient-elles artis-

    tiques, ou provenant des sciences sociales, comme l’ethnographie ou

    l’anthropologie. De fait, nous retrouvons ce caractère multidisciplinaire

    sur les deux projets étudiés chez El Museo del Chopo.

    Toutefois, pour com-

    prendre cette tendance, il estnécessaire d’aller au-delà de

    la théorie de l’art et s’intéress-

    er au contexte socio-politique

    du Mexique contemporain. Le

    pays connaît une situation de

    violence chronique depuis que

    l’ex-président Felipe Calderón

    déclara la guerre contre le

    narcotraque en 2006. Pour

    Rubén Ortíz, chercheur du

    Centro de Investigación Te-

    atral Rodolfo Usigli (CITRU),

    il est aujourd’hui difcile de

    séparer l’art de la vie quoti-

    dienne, encore plus lorsqu’il

    s’agit de représenter une réal-

    ité aussi violente. Ainsi, si une

    nouvelle génération d’artistes

    mexicains recherchaient dès

    les années 2000 de nouveaux

    moyens de production artis-

    tique, plusieurs se posent à

    présent la question du con-

    tenu et de la forme du fait

    scénique en vue du contexte

    dans lequel ils s’inscrivent en

    os Encuentros Secretosristeo Mora, membre de La Compañia Opcional, met

    n place Los Encuentros Secretos (2014), une pièce de

    éâtre expandido qui se veut aussi une stratégie d’inter -

    ention urbaine. Pour explorer et matérialiser la sensa-

    on de déracinement qui leur inspirait le centre-ville de

    uadalajara, La Compañía Opcional offrait aux habitants

    e la ville des postales pour qu’ils partagent une expéri-

    nce à ce sujet. À partir de ce matériel, ils ont crée une

    èce scénique et une “Carte du Déracinement” avec

    us les endroits qu’ils ont pu recueillir. Ces derniers ont

    é parcourus lors des représentations de la pièce et sont

    ccessibles à tous grâce à une audio-guide. En 2015 la

    ompagnie a fait une résidence de 3 mois au Museo del

    hopo et a mis en oeuvre les Encuentros Secretos en col-

    boration avec les habitants de Santa María la Ribera.

    e projet tente donc de créer de nouveaux liens entrepièce - spectateur” en plaçant la réalité des participants

    u centre du processus de création, à la fois qu’il tente

    e générer un dialogue entre les citoyens et leur milieu.

    n ce sens, il permet de diagnostiquer une série de prob-

    matiques urbaines relatives à un espace. Reste la ques-

    on de l’impact à long terme de ce projet. Ses obser-

    tions se matérialisent-elles ou restent-elles dans l’ordre

    e l’affectif et de l’éphèmere? Incitent-elles à des actions

    baines concrètes?

    Théâtre de l’époque du Porriato, Santa María la Ribera, CDMX.Arrêt de ¿Quién es el habitante de la casa?Source : Alberto García Picazo.

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    Culture, gentrifcation et pratiques artistiques Ciudad de México

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    cadre déterminé d’un projet artistique, comme par exemple celui d’En-

    cuentros Secretos, qui ne s’inscrit pas de manière permanente à Santa

    María la Ribera. Les liens qui se tissent sont affectifs, mais difcilement

    mesurables. Ainsi, de tels projets peuvent transformer des espaces et

    des relations via l’art et la culture, mais les implications sociales et ur-

    baines sur le long terme restent incertaines.

    Des projets à la croisée de l’art comme moyen d’expérimentation etde l’action gouvernementale

    Le potentiel urbain des initiatives artistiques est de fait difcile à saisir et

    l’hypothèse d’un artiste-activiste ne saurait être validée dans le contexte

    de notre travail. Cependant, nous avons trouvé deux initiatives où l’artprésente un potentiel solide pour l’avenir de la gestion sociale et urbaine

    de la CDMX. L’une provient de Nerivela et l’autre du Laboratorio Para la

    Ciudad (LABCD)3.

    Unité expérimentale de l’Agence de gestion urbaine de la CDMX,

    le LABCD a pour intention d’organiser des rencontres entre les acteurs

    de l’urbain, soit-ils institutionnels, professionnels indépendants, citoyens

    ou artistes. L’objectif est de trouver des solutions innovantes aux prob-

    lèmes de la ville tant pour la conception de plans et outils formels, com-

    me dans une dimension plus participative, citoyenne et informelle. Parmi

    leurs départements se trouvent celui de ville créative et ville ludique,

    ouverts à l’interaction avec l’art, le design et la culture. S’il s’agit d’une

    unité gouvernementale récente, donc encore fragile, leur position de

    “co-création” de la ville et d’intérêt envers l’espace public laisse espérer

    des collaborations futures avec des groupes semblables à Nerivela, ou

    avec des projets artistiques comme ceux de Diana Cardona, Gabriel

     Yépez et Aristeo Mora.

    En effet, il y a une convergence entre les intérêts de Nerivela et

    du LABCD. Les deux s’intéressent aux allocations du budget participatif

    de la CDMX, même s’ils ne coopèrent pas entre eux et qu’ils procèdent

    différemment. Cependant, l’identication de préoccupations communes

    pourrait les amener à collaborer, surtout que Nerivela ne refuse point le

    travail ponctuel avec le gouvernement. Au sein de ces deux groupes,

    l’art abandonne entièrement sa vocation purement ou majoritairement

    artistique - ce qui n’est pas le cas pour les autres projets étayés plus

    haut - pour devenir un outil, un moyen, un champ d’expérimentation

    3 Voici leur site, disponible en anglais : http://labcd.mx/

    qui comporte un caractère colonialiste évident (cf. “safari”). Pour bien

    intentionné qu’il soit, nous considérons qu’il reproduit les barrières qu’il

    prétend dériver en rendant exotique la vie du barrio bravo de la CDMX.

    Ce n’est, d’ailleurs, qu’un autre exemple de touristication, mais ici non

    seulement d’un espace mais d’un mode de vie.

      Indépendamment de nos critiques, l’ensemble des projets évo-

    qués sont intéressants car ils ne peuvent qu’interagir avec la ville et

    son quotidien. C’est aussi le cas pour les oeuvres des artistes visuels, à

    l’exception que celles-ci sont statiques, inertes, alors que la dimension

    spatio-temporelle, vivante, des projets scéniques suppose un autre type

    d’interaction. Parce que l’espace publique n’est pas, à l’origine, l’espace

    de l’art, le contact avec le tissu et activités urbaines n’est pas dépourvu

    d’accidents. Dans le cas des dispositifs scéniques, l’objet n’importe plus,

    c’est la mise en relationentre comédiens, pub-

    lic, passants, activi-

    tés et régulations for-

    melles ou informelles

    présentes dans un lieu

    donné à un instant

    précis qui compte.

    Cette négociation est

    à la fois nécessaire et

    éphémère. Ainsi, le po-

    tentiel de ces projets

    réside en leur capacité

    à faire d’un espace ob-

     jectif, planié, codié,

    un espace relationnel,

    à créer de nouvelles

    scènes quotidiennes.

    Le dialogue qu’ils

    entament avec l’envi-

    ronnement dans lequel

    ils s’inscrivent intensie

    temporellement les in-

    teractions dans un espace. Ces rencontrent peuvent à leur tour débouch-

    er sur des liens de longue durée entre membres d’une communauté ou

    entre des individus et un espace. Cependant, la limite de ces projets

    réside aussi dans leur caractère éphèmere. Les rencontres se font dans le

    erivela

    rivela est une plateforme d’investigation pluridisciplinaire dont

    but est d’explorer de manière alternative les problématiques du

    onde contemporain. Ses membres sont des artistes, managers

    turels, urbanistes et philosophes : tout prol est le bienvenu.

    groupe agit en dehors du marché de l’art, donc leurs pratiques

    istiques ne sont pas sujettes à des besoins économiques et ser-

    nt de medium experimental pour rééchir sur des probléma-

    ues sociales plus larges. À présent ils cherchent à avoir une in-

    ence dans la ville et pour ce faire il travaillent dans certains

    artiers de la CDMX, parmi lesquels Santa María la Ribera, et

    ec des associations déjà actives sur le territoire. En effet, leur

    jectif est celui de rendre visible des dynamiques existantes et

    opres aux quartiers, tout en proposant de nouveaux outils pour

    ré-articulation de la vie quotidienne et la création d’espaces de

    exion critique. Leur fonction étant celle de médiateurs, ils seitent à “activer” des dispositifs relationnels au sein d’une com-

    nauté et entre divers acteurs (dont des institutions culturelles),

    ns affectifs qu’ils ne prétendent pas encadrer et qui s’entretien-

    nt par eux-mêmes.

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    Culture, gentrifcation et pratiques artistiques Ciudad de México

    30

    Cet article a présenté un regard transversal sur le rôle de la culture dans

    les dynamiques urbaines de la CDMX à partir de l’étude de trois zones

    de la délégation Cuauhtémoc. Une première partie descriptive a misen contexte quelques enjeux culturels dans la gestion de la ville à une

    échelle macro, étudiés sous le prisme de la “gentrication” dans un

    cadre non anglo-saxon. Une deuxième partie s’éloigne des chantiers de

    l’urbanisme pour aborder la ville depuis une perspective artistique. Elle

    reprend des projets culturels ayant lieu dans les zones géographiques

    présentées dans la première partie pour explorer à une échelle micro le

    rôle potentiel de l’art dans les espaces avec lesquels il dialogue.

      L’objectif de départ était celui d’observer dans quelle mesure les

    artistes, dans leur pratique professionnelle, participaient au processus

    de “gentrication” ou, au contraire, résistaient face à l’instrumentalisa-

    tion de la culture dans celui-ci. Dans cette optique, nous avons présenté

    l’hypothèse d’un artiste-activiste politisé qui agirait consciemment soit

    en faveur, soit contre la “gentrication”, mais telle hypothèse s’est vue

    invalidée au cours de nous entretiens. L’ensemble des acteurs culturels

    rencontrés n’ont pas hésité à évoquer le sujet, mais seulement quelques

    uns travaillent en relation avec ce phénomène urbain. Les artistes plas-tiques de l’Academia de San Carlos entretiennent un dialogue critique

    avec la “gentrication” et veulent y résister. La méthode de travail des

    Encuentros Secretos d’Aristeo Mora et la Compañía Opcional permet

    d’établir un diagnostique urbain de Santa María la Ribera. Bien qu’elle ne

    soit pas exhaustive, leur cartographie du déracinement de Santa María

    invite aux habitants à s’exprimer sur le sujet s’ils le désirent. Nerivela,

    par le biais des espaces de réexion qu’il anime avec des organisations

    locales et résidents actifs de différents quartiers de la capitale est plus

    enclin à travailler avec des problématiques en relation avec les processus

    de “gentrication” et à les explorer en profondeur.

    Conclusion

    pour rééchir sur des thématiques d’ordre urbain et social. Son potentiel

    critique, réexif et affectif se voit alors, selon nous, multiplié et devient

    le catalyseur de possibles processus sociaux ayant à leur tour des effets

    sur l’espace urbain.

    Nous nirons donc par mettre en valeur la dimension relationnelle

    du milieu artistique et urbain à la CDMX. Bien que nous ayons vu que les

    manifestations artistiques répondent à des intérêts différents, qu’elles

    impliquent des disciplines différentes et des acteurs différents, le tout

    est interconnecté. Par exemple, le travail de Pablo Concha, de SAC,

    d’Aristeo Mora, de Daniel Giménez Cacho et de Nerivela n’auront pas le

    même impact car ils ne recherchent pas les mêmes objectifs. Parfois, les

    artistes eux-mêmes ne savent pas ce qu’ils recherchent et c’est pendant

    le processus de travail que le lien avec l’urbain d’intensie. Cependant,

    parce que le milieu de l’art et de la culture à la CDMX est assez dense etconnecté, nous avons pu identier des liens entres tous ces acteurs. Cette

    interdépendance facilite l’émergence de projets multidisciplinaires. De

    plus, l’intérêt effectif des acteurs culturels envers l’urbain et l’existence

    d’initiatives gouvernementales favorables au dialogue entre les arts et

    la ville, dessinent un avenir intéressant pour de nouvelles dynamiques

    culturelles qui pourraient non seulement animer et habiter les espaces

    de la CDMX, comme c’est déjà le cas, mais proposer des solutions alter-

    natives pour les transformer. Le lien avec la “gentrication” repose sur le

    fait qu’elles pourront toujours favoriser ou amorcer ce processus, comme

    le contrer. Voilà pourquoi la coopération entre acteurs doit toujours être

    abordée de manière critique.

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    Culture, gentrifcation et pratiques artistiques Ciudad de México

    32

      Toutefois, si nous n’avons pas trouvé une réponse satisfaisante

    pour notre hypothèse de départ, nous avons découvert différents moy-

    ens à travers lesquels la pratique artistique s’associe aux dynamiques

    urbaines. Les arts plastiques et le street art ont une incidence directe

    sur la dimension physique d’un espace, les transformant de fait et ren-

    dant possible de nouvelles interactions avec celui-ci. Les arts du vivant,

    lorsqu’ils abandonnent l’édice théâtral, dialoguent avec des espaces

    poreux, politiques, présentant leur propre temporalité. Cette rencontre

    peut donner lieu à une transformation sensible de l’espace, à la création

    de nouvelles relations et liens affectifs entre individus. Les arts du vivant

    ont la capacité à nous faire habiter un espace sous un angle méconnu,

    de l’explorer au-delà de son caractère physique, mais cette animation

    est difcile à capsuler en ce qu’elle est éphémère. S’éloignant du milieu

    artistique mais faisant de l’art un outil de prédilection pour l’étude desréalités urbaines, Nerivela et le LABCD proposent, d’une perspective ci-

    toyenne dans le premier cas et d’une perspective institutionnelle dans le

    deuxième, des alternatives aux moyens classiques d’approcher les prob-

    lèmes de la CDMX.

    Par conséquent, les manifestations à l’échelle d’une rue ou d’un

    quartier ont à leur tour un impact sur le rôle de la culture à l’échelle ur -

    baine et peuvent contester les tendances générales telle que l’instrumen-

    talisation de la culture dans certains projets d’urbanisme à la CDMX. Fin-

    alement, les relations entre acteurs culturels sont extra-territoriales, leurs

    liens et actions ne s’inscrivant pas uniquement dans les périmètres du

    CH, de Roma et Condesa ou de Santa María la Ribera, mais au sein d’un

    circuit culturel plus large. Si nous ne pouvons point conclure de manière

    exhaustive (ou normative) sur la multiplicité des contextes urbains et le

    rôle qu’y joue le milieu artistique, nous pouvons afrmer que la culture

    connaît un poids considérable dans la planication de la CDMX : elle

    s’y voit instrumentalisée, mais les initiatives culturelles permettent aussi

    de congurer de nouveaux paysages urbains en mettant en relation des

    projets et individus éparpillés sur le territoire. Nous pouvons dépasser

    l’analyse dichotomique du rôle des acteurs culturels qui les diviser soit

    à faveur ou contre les processus de “gentrication” pour présenter une

    constellation plus hétérogène, plus complexe, où institutions, pratiques

    artistiques et territoires s’entrelacent et produisent la ville.

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