3
98 | La Lettre du Neurologue • Vol. XXI - n° 4 - avril 2017 CAS CLINIQUE Mots-clés Keywords Mots-clés Anévrysme mycotique − Endocardite − Hématome cérébral Keywords Mycotic aneurysm – Endocarditis – Cerebral hematoma Encore une angiopathie amyloïde cérébrale ? A cerebral amyloid angiopathy again? A. Ferraro*, I. Ion* * Service de neurologie, centre hospitalier Saint-Jean, Perpignan. Observation Un patient âgé de 75 ans est admis dans le service de neurologie pour une détérioration cognitive et des troubles de la marche. Il a pour antécédents un liposarcome rétropéritonéal opéré en 2007 avec récidive locale péritonéale à 2 reprises ayant bénéficié d’une hémicolectomie droite puis d’une néphrectomie droite. Ses autres antécédents sont une insuffisance rénale chronique, une gastrite et une prothèse de hanche. L’histoire débute par une douleur à la jambe gauche associée à une rougeur et à un œdème. Une altération de l’état général avec amaigrissement de 5 kg en 3 mois, asthénie et altération du périmètre de la marche (patient antérieurement autonome à domicile) est observée. Il est initialement vu dans un autre hôpital de la région. Un Doppler veineux des membres inférieurs est réalisé, permettant de poser le diagnostic de thrombose veineuse profonde des 3 veines tibiales postérieures, des 2 veines péronières et de l’ensemble des veines soléaires gauches sans extension à la veine poplitée et avec thrombose superficielle de la veine saphène externe distale gauche. Un scanner thoraco-abdomino-pelvien sans injection ne retrouve pas d’anomalie. Une échographie cardiaque transthoracique montre un ventricule gauche normal, une fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) à 67 %, une insuffisance mitrale par prolapsus de la petite valve mitrale de grade 2 avec des cavités droites normales. Le patient est mis sous anticoagu- lation curative pour le traitement de la thrombose veineuse de sa jambe gauche. Rapidement, une désorientation est constatée avec bradypsychie, troubles phasiques et mnésiques. Un scanner cérébral injecté est réalisé, retrouvant plusieurs hémorragies corti- cales de l’hémisphère gauche. Le traitement anticoagulant curatif est arrêté et une IRM cérébrale est réalisée (figures 1 et 2). Le diagnostic évoqué est celui d’angiopathie amyloïde cérébrale avec hémorragies multiples sous anticoagulation curative. Le patient est donc adressé en service de neurologie pour le bilan diagnostique de ces lésions et leur prise en charge. L’examen clinique d’entrée retrouve un ralentissement psycho- moteur avec une désorientation temporospatiale et des troubles mnésiques sévères. Le patient exécute les ordres simples, mais il y a une réduction de la fluence verbale avec aphasie. Il n’y a pas de déficit sensitivomoteur aux 4 membres ni d’anomalie des paires crâniennes. Un réflexe palmomentonnier bilatéral est présent. Une douleur intense persiste dans la jambe gauche, avec œdème, rougeur et impotence fonctionnelle. Un échodoppler de contrôle des membres inférieurs est demandé mettant en évidence un anévrysme poplité, développé au niveau du tiers moyen de l’artère tibiale postérieure gauche, compressif avec menace cutanée et syndrome de loges. Le bilan biologique est le suivant : créatinine à 162 μmol/l, ionogramme normal, CRP à 177 mg/l, hyperleucocytose à 12 500 globules blancs/mm 3 dont 10 900 polynucléaires neutrophile/mm 3 avec hémoglobine à 7,6 g/dl. Le patient est apyrétique. Un angioscanner artériel des membres inférieurs est donc demandé (figure 3), confirmant la présence d’un anévrysme poplité gauche de 65 mm par 48 mm, compressif. Un geste chirurgical de sauvetage est décidé par hémostase locale par patch biologique, un pontage ne pouvant être réalisé devant la contre-indication cérébrale à la reprise des anticoagulants. Les prélèvements de l’anévrysme reviennent rapidement positifs à cocci Gram positif avec des cultures mettant en évidence un Streptococcus gallolyticus sensible à la pénicilline, faisant suspecter un anévrysme mycotique poplité sur endocardite infectieuse. Le patient est donc mis sous amoxicilline à forte dose avec une amélioration du syndrome inflammatoire biologique. L’échographie cardiaque transthoracique, contrôlée dans le service, confirme notre hypothèse d’endocardite mitrale avec présence d’une végétation mobile de 15 par 18 mm sur la petite valve mitrale. L’état du patient s’altère malheureusement rapidement, ne permettant pas l’ablation chirurgicale de la végétation cardiaque ni la réalisation d’un angioscanner ou d’une artériographie cérébrale ; il décède dans notre service quelques jours plus tard.

Mycotic aneurysm – Endocarditis – Cerebral hematoma Encore

  • Upload
    others

  • View
    13

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Mycotic aneurysm – Endocarditis – Cerebral hematoma Encore

98 | La Lettre du Neurologue • Vol. XXI - n° 4 - avril 2017

CAS CLINIQUE

Mots-clés

Keywords

Mots-clésAnévrysme mycotique − Endocardite − Hématome cérébral

KeywordsMycotic aneurysm – Endocarditis – Cerebral hematoma

Encore une angiopathie amyloïde cérébrale ?A cerebral amyloid angiopathy again?

A. Ferraro*, I. Ion*

* Service de neurologie, centre hospitalier Saint-Jean, Perpignan.

O b s e r v a t i o n

Un patient âgé de 75 ans est admis dans le service de neurologie pour une détérioration cognitive et des troubles de la marche. Il a pour antécédents un liposarcome rétropéritonéal opéré en 2007 avec récidive locale péritonéale à 2 reprises ayant bénéficié d’une hémicolectomie droite puis d’une néphrectomie droite. Ses autres antécédents sont une insuffisance rénale chronique, une gastrite et une prothèse de hanche.L’histoire débute par une douleur à la jambe gauche associée à une rougeur et à un œdème. Une altération de l’état général avec amaigrissement de 5 kg en 3 mois, asthénie et altération du périmètre de la marche (patient antérieurement autonome à domicile) est observée. Il est initialement vu dans un autre hôpital de la région. Un Doppler veineux des membres inférieurs est réalisé, permettant de poser le diagnostic de thrombose veineuse profonde des 3 veines tibiales postérieures, des 2 veines péronières et de l’ensemble des veines soléaires gauches sans extension à la veine poplitée et avec thrombose superficielle de la veine saphène externe distale gauche. Un scanner thoraco-abdo mino-pelvien sans injection ne retrouve pas d’anomalie. Une échographie cardiaque transthoracique montre un ventricule gauche normal, une fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) à 67 %, une insuffisance mitrale par prolapsus de la petite valve mitrale de grade 2 avec des cavités droites normales. Le patient est mis sous anticoagu-lation curative pour le traitement de la thrombose veineuse de sa jambe gauche. Rapidement, une désorientation est constatée avec bradypsychie, troubles phasiques et mnésiques. Un scanner cérébral injecté est réalisé, retrouvant plusieurs hémorragies corti-cales de l’hémisphère gauche. Le traitement anticoagulant curatif est arrêté et une IRM cérébrale est réalisée (figures 1 et 2). Le diagnostic évoqué est celui d’angiopathie amyloïde cérébrale avec hémorragies multiples sous anticoagulation curative.

Le patient est donc adressé en service de neurologie pour le bilan diagnostique de ces lésions et leur prise en charge.L’examen clinique d’entrée retrouve un ralentissement psycho-moteur avec une désorientation temporospatiale et des troubles mnésiques sévères. Le patient exécute les ordres simples, mais il y a une réduction de la fluence verbale avec aphasie. Il n’y a pas de déficit sensitivomoteur aux 4 membres ni d’anomalie des paires crâniennes. Un réflexe palmomentonnier bilatéral est présent. Une douleur intense persiste dans la jambe gauche, avec œdème, rougeur et impotence fonctionnelle. Un échodoppler de contrôle des membres inférieurs est demandé mettant en évidence un anévrysme poplité, développé au niveau du tiers moyen de l’artère tibiale postérieure gauche, compressif avec menace cutanée et syndrome de loges. Le bilan biologique est le suivant : créatinine à 162 μmol/l, ionogramme normal, CRP à 177 mg/l, hyperleucocytose à 12 500 globules blancs/mm3 dont 10 900 polynucléaires neutrophile/mm3 avec hémoglobine à 7,6 g/ dl. Le patient est apyrétique. Un angioscanner artériel des membres inférieurs est donc demandé (figure 3), confirmant la présence d’un anévrysme poplité gauche de 65 mm par 48 mm, compressif. Un geste chirurgical de sauvetage est décidé par hémostase locale par patch biologique, un pontage ne pouvant être réalisé devant la contre-indication cérébrale à la reprise des anticoagulants. Les prélèvements de l’anévrysme reviennent rapidement positifs à cocci Gram positif avec des cultures mettant en évidence un Streptococcus gallolyticus sensible à la pénicilline, faisant suspecter un anévrysme mycotique poplité sur endocardite infectieuse. Le patient est donc mis sous amoxicilline à forte dose avec une amélioration du syndrome inflammatoire biologique. L’échographie cardiaque transthoracique, contrôlée dans le service, confirme notre hypothèse d’endocardite mitrale avec présence d’une végétation mobile de 15 par 18 mm sur la petite valve mitrale. L’état du patient s’altère malheureusement rapidement, ne permettant pas l’ablation chirurgicale de la végétation cardiaque ni la réalisation d’un angioscanner ou d’une artériographie cérébrale ; il décède dans notre service quelques jours plus tard.

0098_LNE 98 18/04/2017 16:47:33

Page 2: Mycotic aneurysm – Endocarditis – Cerebral hematoma Encore

La Lettre du Neurologue • Vol. XXI - n° 4 - avril 2017 | 99

CAS CLINIQUE

▲ Figure 3. Volumineux anévrysme poplité gauche sur l’angioscanner artériel du membre inférieur gauche.

A B

▲ Figure 1. IRM cérébrale, séquence T2 écho de gradient. Hémorragies sous-arachnoïdiennes multiples associées à des microbleeds et des héma-tomes corticaux.

◀ Figure 2. Séquence T1.

D i s c u s s i o n

Devant la présence de plusieurs hémorragies corticales bilatérales avec hémorragie sous-arachnoïdienne, la première hypothèse évoquée a été celle d’une angiopathie amyloïde cérébrale. Les critères diagnostiques de Boston évocateurs d’une angiopathie amyloïde sont les suivants (encadré) :

➤ cliniques : âge supérieur à 55 ans, présence de troubles cognitifs ;

➤ radiologiques : multiples hématomes lobaires corticaux ou sous-corticaux, hémorragie sous-arachnoïdienne, microbleeds, leucopathie vasculaire, atrophie cérébrale ;

➤ absence d’autres diagnostics. Les diagnostics différentiels sont les anévrysmes cérébraux, les malformations artérioveineuses, les métastases cérébrales hémorragiques et les thromboses veineuses cérébrales. Malheureu-sement, l’IRM cérébrale initiale du patient ne comportait pas de

AAC défi nie : examen post mortem complet montrant• Hémorragie cérébrale lobaire corticale ou subcorticale• AAC sévère• Absence de lésion en rapport avec un autre diagnostic

AAC probable avec preuve anatomopathologique, données cliniques et anatomopathologiques (hématome évacué ou biopsie corticale)• Hémorragie cérébrale lobaire corticale ou subcorticale• AAC sur la biopsie• Absence de lésion en rapport avec un autre diagnostic

AAC probable : données cliniques et radiologiques (IRM ou scanner)• 2 hémorragies cérébrales lobaires corticales ou subcorticales

(y compris cervelet)• Âge ≥ 55 ans• Pas d’autre cause d’hémorragie

AAC possible, données cliniques et radiologiques (IRM ou TDM)• Hémorragie cérébrale unique lobaire corticale ou subcorticale• Âge ≥ 55 ans• Pas d’autre cause d’hémorragie

séquence vasculaire et celle-ci n’a pas pu être réalisée par la suite devant l’altération de l’état du patient et l’insuffi sance rénale aiguë sévère. Néanmoins, chez ce malade, la présence du syndrome infl ammatoire biologique et la découverte de l’anévrysme poplité gauche nous ont permis de redresser le diagnostic et d’évoquer des localisations multiples d’anévrysmes mycotiques au niveau cérébral. Le Streptococcus gallolyticus , anciennement appelé Streptococcus bovis , est un germe d’origine digestive impliqué dans les endocar-dites infectieuses associées au cancer colique. Chez ce patient, nous pouvions suspecter une translocation digestive liée à sa néoplasie liposarcomateuse avec envahissement péritonéal. Les complications cérébrales de l’endocardite sont un facteur de mauvais pronostic. Un anévrysme mycotique doit toujours être évoqué devant la présence d’une hémorragie cérébrale ou d’une hémorragie sous-arachnoïdienne chez un patient fébrile ou avec un syndrome infl ammatoire biologique. Les mécanismes

Encadré. Angiopathie amyloïde cérébrale (AAC) : critères diagnostiques de Boston.

0099_LNE 99 18/04/2017 16:47:34

Page 3: Mycotic aneurysm – Endocarditis – Cerebral hematoma Encore

CAS CLINIQUE

de l’hémorragie cérébrale sont la transformation hémorragique d’un infarctus cérébral (mécanisme le plus fréquent), la rupture d’anévrysmes mycotiques ou une vascularite cérébrale infectieuse nécrosante avec rupture d’un vaisseau intracrânien.La physiopathologie de la formation de l’anévrysme mycotique est liée à la migration d’emboles septiques qui se fixent à la paroi vasculaire, entraînant le développement d’une artérite focale avec nécrose de la paroi et formation d’une dilation appelée anévrysme qui peut alors se rompre entraînant une hémorragie cérébrale. Les anévrysmes cérébraux sont multiples et bilatéraux dans environ 25 % des cas. L’artériographie cérébrale est l’examen de référence pour le diagnostic des anévrysmes mycotiques. L’ARM et l’angio­scanner cérébral permettent avec une même sensibilité de mettre en évidence des anévrysmes de plus de 5 mm de diamètre avec une sensibilité d’environ 95 %.Le traitement comporte la prise en charge de l’endocardite infec­tieuse comprenant antibiothérapie et éventuellement chirurgie

cardiaque avec remplacement valvulaire, qui doit être différée en cas d’hémorragie cérébrale. Les anévrysmes mycotiques cérébraux peuvent bénéficier d’un traitement endovasculaire ou neuro­chirurgical par ligature artérielle. ■

A. Ferraro déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.I. Ion n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.

• Venkatesh SK, Phadke RV, Kalode RR et al. Intracranial infective aneurysms presenting with haemorrhage: an analysis of angiographic findings, manage-ment and outcome. Clin Radiol 2000;55(12):946-53.• Pierot L, Boulin A, Castaings L et al. The endovascular approach in the mana-gement of patients with multiple intracranial aneurysms. Neuroradiology 1997;39(5):361-6.• Koch P, Desal HA, Auffray-Calvier E et al. Natural history and management of mycotic intracranial aneurysm. J Neuroradiol 2005;32(4):258-65.• Skinner C. Neurogical complications of endocarditis: pathophysiologic mechanisms and management issues. Endocarditis 2006:24.

Pour en savoir plus…

La Lettredu Rhumatologue

Revue tr imestr ie l le d ’ informat ions sc ient i f iques et profess ionne l les

Neurologie Libérale

Société éditrice : EDIMARK SASCPPAP : 0419 T 91330 - ISSN : 1630-1536Janv ier- févr ier-mars 201729 €

Centenaire de la mort de Jules Dejerine (1849-1917)

Janvier-février-mars 201701

Associationdes Neurologues Libérauxde Langue FrançaiseAssociation régie selon la loi de 1901 (J.O. :15.07.87N°28)

Neurologie LibéraleLa Lettredu Cardiologue

L’abonnement, un engagement fort

dans la vie de votre disciplinepage 43

w w w . e d i m a r k . f r

Toute l’actualitéde votre spécialité sur

www.edimark.tv

l e c o u r r i e r d u s p é c i a l i s t e

Société éditrice : EDIMARK SASCPPAP : 0418 T 81251 – ISSN : 0761-5027

PÉRIODIQUE DE FORMATIONEN LANGUE FRANÇAISE

Mensuel Prix du numéro : 26 €

N° 429-430 Février-mars 2017

ÉDITORIAL

Les neuropathies à petites fi bres :sujet brûlant, mais restons branchés !Pr S. Perrot (Paris)

MISES AU POINTAtteintes de l’articulation

sternoclaviculaire et échographieDr F. Verhoeven et al. (Besançon)

Dr É. Lespessailles (Orléans)

Obésité et ostéoporose

Dr I. Legroux-Gérot (Lille)

Anorexie mentale et retentissement osseux

L. Saraux et al. (Brest)

Marqueurs d’infl ammation et indices d’activité de la PR, des SpA et de la PPR

Revue indexée

dans la base internationale

ICMJE

Voir page 34

Grand Prix 2016 en rhumatologie

(2e édition)

Actualitésen Médecine Physiqueet de Réadaptation

Janvier - février - mars 201701

Société françaisede Médecine Physiqueet de RéadaptationAssociation régie selon la loi de 1901 (J.O. :15.07.87 N°28)

CPPAP : 0121T92147 – ISSN : 1282-7878TrimestrielJanvier-février-mars 201728 €

CAS CLINIQUE Arthrodistension avec mobilisation intensive pour capsulite rétractile de l’épaule

A. Ferenczi et al.

DOSSIER Maintien des personnes à domicile

Télérééducation, téléréadaptation et e-santéCoordination : Évelyne Klinger

(Directrice de recherche Interactions Numériques Santé Handicap - ESIEA)

Découvrezles autres publicationsEdimark…

…PRÈS DE VOUS

N O U S FA I S O N S D E V O S S P É C I A L I T É S N OT R E S P É C I A L I T Éwww.edimark.fr - Les Lettres, Les Correspondances, Les Courriers, Les Images, Les Pages de la Pratique Médicale

UN PEU PLUS…

0100_LNE 100 18/04/2017 16:47:35