Norbert Zongo- rougbeinga

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  • 5/10/2018 Norbert Zongo- rougbeinga

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    Norbert ZQngo

    Roman

    ROUGBEINGA

    HARMATTAN BURKINA, 2009Av. Mahamar KADHAFI12BP 226 Ouagadougou 12

    (+226) 50 37 54 [email protected]: 978-2-265-00010-2EAN: 9782260001000 HARMATTAN BURKINA

    mailto:[email protected]://www.hannattanburkina.com/http://www.hannattanburkina.com/mailto:[email protected]
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    'egma Henri Zongo:'Papa, j'ai ecri: ton roman."Quand fa hanche penetra dans fa foret, les arbres dirent : le manche estes n/nres .Proverbe turc)

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    AVANT-PROPOSAu commencement etait l'esclavage. Puis vint l'Esclavage. Ainsi laTraite Negriere naquit, se developpa, fit son nid. Et ce fut l'eclosion ducolonialisme, du capitalisme, du neocolonialisme.Le sang de l'homme noir jaillit en volcan, edifia de ses laves argentees,des gratte-ciel a New-York, Londres, Paris ...Sa sueur coula des siecles durant, en torrents, bourrant de son limon dore,des coffres a Wall-Steet, a la Bourse de Londres, de Paris . ..Qu'est devenue la colossale fortune des grandes compagnies negrieres?Oublie!Combien de banques et d'usines europeennes et americaines ont-elles eteedifiees avec des fonds et des heritages provenant de cette fortune?Oublie !Bois !Amuse-toi !Que resterait-il de leur developpement s'il fallait en soustraire la partde l'esclavage, de la colonisation et de la neocolonisation?Oublie ! Souffre !Paie tes dettes !Rougbeinga, visionnaire, disait : Ce qu'ils sont en train de nous voler,constituera des richesses pour leurs fi ls, leurs peti ts-fils et leurs arriere-petits-fils. Puis, ces richesses aideront leurs descendants a dominer lesnotres ... Heros inconnu, voire meconnu, Rougbeinga reste pourtant Ie symbole durefus, de la rebellion et du courage.Rendons a l'Histoire, ce qui appartient a Rougbeinga,

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    7ROUGBEINGA

    IIYa plus de sept lunes que Saagala pluie s'etai t evanouie dans les hauteurs. Lasavane tout entiere portait le deuil . Les arbres pour cette infortune versaient sansrepit des larmes et des larmes de feuilles et de fleurs.Le temps s'echauffait, La brousse n'avait plus que des lambeaux jaunatres de sonbeau et epais manteau vert. Elle souffrait du feu du ciel et de la terre; et par lessouffles d'air brulant qui instantanement arrivaient a passer, elle criait sa douleurdans une symphonie de fanes et d'herbes seches.Le temps s'echauffait, s'echauffait. Des silencieux et calmes marigots aux toits denenuphar, ou jadis le heron blanc se baignait et passait des journees entieres a semirer dans l'eau bleuatre, ilne restait que .dessquelettes grisatres mal ensevelis parla broussaille.Wounhoun la riviere n'etait plus qu'un large, long et difforme hieroglypheportant legribouillis des pieds et des mains des demiers pecheurs. SeulMouhoun lefleuve donnait encore signe de vie. Mais de sa fougue, de son ambition a fairesiennes les vastes terres de la vallee, pas une ombre ne demeurait. Les multiplesbras avec lesquels i l lacerait et cisaillai t la brousse, apres s 'etre detaches de lui,etaient naturellement morts. Avec eux avaient egalement disparu, les grandsorchestres de grenouilles et de crapauds qui bercaient les sombres nuits de pluie.Le temps s'etait atrocement echauffe, Toutes les callines qui ceinturaientHounde, se devetaient de leur grandes robes vertes et presentaient leurs corpsmassus et boursoufles. Les tourbillons se riaient par moments de leur nudite.Mais Hounde la belle, restait egale a elle-meme. Ses belles cases s'etalaientcompactes au pied de ces callines qui l'ont vue naitre. Hounde le 16h6 (village)desbraves guerriers , des infatigables travailleurs et des grands danseurs, seule, seretrouvait dans cet enfer du moment.Le temps s'etait terriblement echauffe. Le nere etait sec, les battues plusattrayantes et plus passionnantes, les clairs de lune plus blancs et plus ensorcelants,aussi, la vie devint plus interessante sous ce ciel des tropiques.Le soleil ne surprenait plus personne comme pendant ces matins des troispremieres lunes qui ont suivi les recoltes. Sinistre periode ou le vent venu du nordsoufflait son froid et epandait ses maladies.Cruel vent qui avait l'habitude d'arracher des vies, avec la complicite desmangeurs d'ames et autres sorciers.

    Une longue gaule a la main, un porte-bois en equilibre sur la tete, devinant plutotles sentiers qui, tels des boas geants, se contortionnaient au milieu des buissons,commentant a la maniere des tisserins, les differents evenernents survenus dans lesuys(quartiers) du 16h6, ponctuant ces commentaires souvent d'insultes ou decompliments et derires, les femmes envahissaient la brousse avant le lever du jourpour la recolte du nere,

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    Les pieges releves, les hommes revenaient a la maison, attendant que le soleilicendie la brousse, pour traquer lievres, pintades, perdrix, biches et antilopes qui,zcules par la soif, approchaient du village pour profiter de la fraicheuru'exhalaient tres tard dans la nuit, les puits.Le soir venu, au moment ou les ombres deversent leur encre sur le feu du cie l,u moment ou Namuny la hyene, dans les collines, entamait la melodic de sesncetres, Loamy, le grand joueur de balafon du seigneur et mai tre de tout Hounde,~be Gnoumou, de ses planchettes parlait au cceur 'et a l 'esprit des habitants de tout~loho,Par les notes cinglantes, il transmettait les messages du be a son peuple, grace auelais de ces infatigables ventriloques, les tam-tams. 11le faisait tous les jours avec le

    nerne serieux, comme le lui avait enseigne son pere, qui l 'avait appris de son pere,equelle detenait de son arriere-grand-pere.Apres avoir donne les informations, Loamy egrenait un long chapelet de,ouanges a l 'intention du grand be.Depuis l 'ancetre Gnoumou choisi et beni par dieux, la prosperi te etait reine aHounde, Ses trente et quelques mille ames avaient toujours su arracher a la vie unsens et une definition qui l 'avaient toujours rendue plus interessante, plus vivable etplus eternelle, C'e ta it la, la manifestation du genie hurnain , sans lequel la beteenvahit l 'homme, comme Wongo la mauvaise herbe envahit le champ de mil.

    Pour le bwaba, la vie a un cycle tout simple: on nait, on vit, on meurt pourrenaitre a volonte ; ou tout simplement les vivants meurent et les morts reviennent.Pour vivre ilfaut mourir. Pour mourir ilfaut vivre.La vie des vivants est liberte et dignite. La vie dans le monde invisible, royaumede lamort, n'est qu'une suite logique de la vie terrestre.Cet te phi losophie est l'enseignement premier que recevai t tout bwaba au toutpremier matin de sa vie. Elle etait l 'ecueil enorme contre lequel s 'etaient heurtes lesenvahisseurs de tout genre et les pillards venus de tous les horizons.Depuis que Hounde est Hounde, et que des bes glorieux succedent a des besglorieux, pas un pillarrd ou un ennemi quelconque, n'a pu franchir la haute murailleque soutenait tout une foret d'enormes pieux qui entouraient le loho.Lorsque pour l'imminence d'un grand danger, le timbowni (grand tam-tam)grondait, et que sa voix a grandes enjarnbees escaladait les col lines, tous leshabitants des usy environnants regagnaient Hounde leur ccapitale, qui pouvait tenirun siege de plusieurs lunes. Car apres les recoltes, chaque famil le devait apporterune certaine quantite de mil et de har icot, pour la reserve commune. Deux grandspuits intarissables creuses au milieu du loho, assuraient le besoin en eau deshommes et des betes.La vie est l iber te et la mort est digni te, telle est la formule s implifiee de lavie dubwaba en guerre.Pourtant , depuis quelques saisons, le loho souffrait d 'un grand mal, une especede fleau divin, d'une etendue generale qui frappait les ennemis comme les amis des

    9bwaba, une terreur qu'incarnait un homme rouge des orteils aux oreilles, un certainnassara qui s'appelait aussi coumandow.

    Tres recent, ce mal demeurait pourtant le plus vio lent qu'avait connu le paysbwaba. On se surprenait souvent a s'encourager en disant : "11fmira par fmir avecle depart du nassara-rouge". Mais partirait-il un jour? Ce diable couleur de laterite,venu du fond des grandes eaux, semblait s 'installer definitivernent la ou il prenaitpied.

    Au pourquoi de cette sournission aveugle au nassara-rouge, les vieuxbrandissaient leur sagesse en demontrant tout haut la generalite du mal. Mais ils semurmuraient, tout bas, lapuissance des armes du diable rouge."Ce mal est comme la pluie qui refuse de pleurer sur le mil et Ie mills. Il ne fautesperer qu'un secours des dieux. Et puis les diables, comme les sauterelles, fmissentpar partir", disait un vieux bwaba. Tout finit par fmir, concluait-il sagement.

    Des corbeaux dans un champ? Une nuee de pies sur un arbre ? Une maree noired'hommes dont un simple morceau d'etoffe entre les jambes interdisait la nuditetotale, avait envahi la place de rassemblement, devant le palais du be.

    Depuis deux jours, tous les chefs de terre etaient en reunion avec le beGnoumou. La vei lle soir le timbowni avait invi te tout le monde a une rencontre;rnerne ceux de Bony, de Saro et des uys les plus eloignes avaient ete appeles. Doncdepuis ce matin, toutes les ames du pays bwaba etaient la, toutes; sauf les femmesoccupaient les foyers avec les enfants.Les salutations d'usage cederent vite la place a un tohubohu : qui de vanter sesdernieres parties de chasse ou de peche, qui de vanter ses chiens de chasse oul'habilete de sanouvelle epouse dans les champs la saison precedente ...

    On se rappelai t aussi ceux qui sont morts en construisant les routes du nassara ;ceux qui sont morts parce que dans leurs impots ila manque une tine d'arachide, denoix de karite, de graine de coton ou, tout simplement, parce qu'ils n'avaient pas puobtenir le "wakire", cette fameuse piece de cinq francs pour les irnpots.

    On faisait l 'eloge de leur courage. Sur tout on louait tous ceux qui , considerantl 'honneur comme base et fondement de la vie, axiome indeniable pour tout bwaba,avaient ose dire non aux gardes a chechia rouge qui voulaient coucher avec leursfilles.Soudain tout cessa. Rires et cris 5'estornperent. Le timbowni parla par la magiedes doigts rudes et durs du vieux griot du palais . Son cuir tendu recouvrait l 'ame du

    pays bwaba. Son ventre creux renfermait les secrets d'un peuple fier et courageux,dont la devotion pour le culte des ancetres n'avait d'egales que son ardeur au travailet sa tenacite au combat.Les notes febri les resonnaient differemment en chaque bwaba. Pour cer tainselles ranoelaient le devoir de lavengeance. En d'autres elles recitaient des litanies de

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    10bravoure et d'heroisme. Le cceur se serre, Ie corps fremit, tout l'etre vibred'excitation :Ie nombril du pays bwaba parle.L'apparition du grand be etait annoncee. Tout Iemonde s'assit a meme Iesol.

    Drape d'une grande toge faite de peau de leopard, symbole d'une puissanceinflechissable, chausse de belles' babouches brodees dont la couleur rouge-sangtemoignait de la haute classe guerriere du porteur, coiffe d'un large chapeauparseme d'amulettes et de cauris, Ie be Gnoumou, un quinquagenaire a l'alluretoujours alerte, s'installa sur son trone devant ses sujets en faisant tinter ses lourdsbracelets en argents massif.Sur cette longue planche sculptee, reposant sur quatre pieds ronds et pliee enarc, s'etaient succede des bes.Les griots du palais se relayerent pour repeter ce qu'on entendait toujours, etqu'on aimait entendre inlassablement: la grandeur du be, sa force dans un pays quietait comme par lui recree,Un court silence suivit ces vagues de louanges monotones, mais toujoursmordantes comme un vent glacial,poignantes comme les plus abjectes injures.

    Le be se leva. Tous comme un seul homme, les bwabas tendirent leurs arcs verslui en poussant un cri indefinissable, un hurlement a la rnaniere des cynocephales.En reponse, ilbrandit son sabre.Cette vociferat ion et ce geste etaient symboliques. Ils disaient: "Nous tesuivrons et te defendrons, be que les ancetres nous ont donne. Grand be, nouslutterons a tes cotes afin que vive a jamais la terre que les ancetres nous ontleguee !"Le timbowni imita les rugissements du lion. Le be Gnooumou, d'une voix grave,parla:"Le be, au nom des dieux de la terre, au nom des ancetres, au nom de tout ce quinous est cher, vous souhaite la bienvenue en ces lieux ou des bwaba se sont reunisavant nous, et ou des bwaba se reuniront apres nous".

    Tous les bwaba se couvrirent la tete de terre. Gnoumou continua avec le rnerneton solennel :"Tous les chefs de terre ont assiste a la reunion que nous avons tenue pendantdeux jours avec Ieconseil des sorciers du pays. Je vais avec une grande joie, selon latradition, vous dire les resultats de nos entretiens. La grande chasse aura lieu danstrente trois jours. C'est ce jour que le conseil des trois grands sorciers a choisicomme jour favorable".Un hurlement retentit a nouveau. Tous les visages rayonnaient de joie.La grande chasse: tuer, abattre des animaux sauvages ? Contenter les femmes etles enfants en leur fournissant une grande quantite de viande? S'exhiber, compareret demontrer son courage et son adresse en attaquant des fauves ? Voila certes leseul cote positif que pouvait deceler le profane, Ie seul faux but que pouvaitconsiderer tout etranger a la grande chasse, notamment Iecoumandowet sesgardesa chechia rouge qui, depuis plus de dix ans, participaient il legalement a la grandechasse.

    11La grande chasse: c'etait obliger les mauvais genies qui hantaientla brousse, ces

    genies qui empechaient parfois les pluies de tomber, a liberer les lieux.On Ie faisait en brulant les herbes et en tuant ces betes sauvages qui incarnaientsouvent ces genies malfaisants. Voila Ie but majeur de la grande chasse en paysbwaba.Dans trente trois jours, les flammes ravageraient . Cris, hurlements et plaintesjailliraient de partout. Les crepitements des arbres et des herbes en feu, enlasses auxroulements assourdissants des tam-tams, couvriraient la brousse d'une symphonieque Ie vent, messager inlassable, entrainerait au loin, pour annoncer l'angoisse desuns et Iebonheur des autres en proie a une fievre exaltant Iemassacre.La brousse purgee de ces mauvais genies, la porte etait ouverte au ciel pourdeverser ses larmes utiles. Les balafons resonneraient dans les champs, du premierchant de coq au crepuscule. La houe perforerait les entrailles de la terre. Lesmultiples ruisseaux du corps couleraient de toutes leurs eaux, tariraient etcouleraient.

    En attendant, il fallait preparer ces extraordinaires moments de joie et de labeurqu'etaient les travaux charnpetres. II fallait preparer la grande chasse.La place de rassemblement etait devenue un volcan de poussiere dont l'eruption,des l'annonce de la grande chasse, avait commence. C'etait une fete speciale dont la

    date ne s 'annoncait jamais a l'avance, sous peine de provoquer la colere des dieuxde la brousse. Seulement, la periode etant connue, tout Iemonde s'appretait des queIebe convoquait les chefs de terre des differents uys. Quand Ietimbowni invitait aurassemblement deux jours plus tard, chacun portait sa tenue de danse.Balafons, tambours, xylophones de toutes les tailles et de toutes les formesemplissaient l'air de notes se chevauchant.

    Vers Iemilieu de lajournee, Iebe fit annoncer un concours de danse dont i lallai tetre l 'unique et seul jury. Le meilleur danseur serait recompense cette annee-la,disait-on ; cela donna du nerf aux plus chiffes.Les griots des differents uys redoublerent d'ardeur et les danseurs atteignirent Ieparoxysme d'une excitation qui les avait possedes des l'annonce de la date de lagrande chasse.Les pieds, comme pour faire mal a ce sol dur, frappaient dans un rythmeinfernal. Les cauris autour des reins, des poignets et des pieds, dans un bruissement

    de mille perles deversees par une main tremblante dans un panier qui en etai t dejaplein, rythmaient des mouvements que l'on pouvait voir les yeux fermes. La sueurperlait des corps. Le diable de la danse avait possede tous les bwaba. Suivi de tousles chefs de terre, Iebe passait d 'un groupe a un autre et encourageait les danseurs.II s'attarda chez les danseurs de Saro, Le vieux joueur de balafon Dakuo avaitremarque l'attention que le be portait a son groupe; ilaccentua Ie rythrne.Les jeunes danseurs au nombre de sept entarnerent la danse de la panthere. Lesgestes gracieux, les ondulations des torses et les mouvements des membres quifaisaient dourer de l'existence d'os dans ces jeunes corps, traduisaient la souplesseet l 'agilite de l'animal. Le griot du groupe entonna :

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    12"Grand be, tu es la panthere, Ta jolie robe est une fievre de jalousie qui frappetous tes ennemis. 0 belle panthere, pour qu'ils te l'arrachent il faut qu'ils t 'etendentpar terre. Mais qui, qui aura le temps de t'etendre avant que l'ombre de la mortn'envahisse son regard?Puissante panthere, regne sur nous, regne a jamais, reprit le chceur.La grande et puissante panthere des dieux a jai ll ides buissons, fauves blancs etnoirs, peti ts et grands, fuyez sa terreur car vos carcasses sous son regard seront de

    simples feuilles quand s'elevera la tempete de son courroux.Belle panthere bwaba, regne a jamais, regne sur nous, reprit le chceur".Le griot a casse la noix, a present il buvait le jus. Le cceur de Gnoumou etaitatteint. Son orgueil , tel le une riviere, etai t monte et debordait sous cette pluie delouanges. Les phrases du griot faisaient vibrer tout son etre d'excitation."Fauves blancs et noirs, grands et petits, fuyez la colere du be : ennemis de tousles horizons, de toutes les races, ne posez jamais sur son royaume cheri, sur sa terreancestrale, un regard envieux. Pour son trone, votre ceilusurpateur vous perdra, a

    j am a is ... "Soudain une brume s'eleva, s'etendit avec la rapidite de l'eclair et voulut engloutrtout l'sprit de Gnoumou en liesse. Ne l'ennuyait-on pas dans son royaume? Lecoumandow et ses gardes a chechia rouge, les irnpots, les incessantes disettes quifrappaient depuis un certain temps toutes les familles du pays bwaba, les rudestravaux ... les morts. Non! II chassa ce sombre tableau ou son inferiorite etaitpeinte horriblement et ou son royaume atrocement petrifie gisait aux pieds dudiable-rouge. II gemit un instant de rage. Mais il se remit a savourer a petitesgorgees ce nectar qu' e taient les chaleureuses paroles du griot, qui jugulaientpresque, sa honte et sa colere. Le probleme du coumandow serait resolu en sontemps. IIn 'y pouvait r ien pour lemoment, se consola-t-il,Deux des sept danseurs se detacherent du groupe et danserent vers le be. A unsigne du vieux joueur de balafon Dakuo, ils se jeterent a terre. Les musiciensjouerent la danse de l'hippopotame. Les deux danseurs, dans une impeccablereptat ion, rnontrerent le roi des eaux, balancant sa lourde masse sur ses courtespattes, avant de sevautrer dans lavase. Tous les autres groupes arreterent de danseret vinrent voir ce qui interessait tant leur be. Les deux hippopotames redoublerentd'ardeur. Au rythme d'une flute, ils fouillaient la vase de leur groin, avant de seredresser l 'instant d 'apres et donner des coups de langues de gauche a droite, engesticulant de la tete. Un hurlement d'admiration salua cet exploit.Les musiciens jouerent ladanse du lievre, danse assez rapide qui permit aux deuxheros du jour de rejoindre lemilieu de l'aire de danse,Labe leva sacanne et tout fut silence."Je suis content de vous tous. Que les ancetres vous benissent et fassent de vousdes braves parmi les braves. Les rejouissances continueront, comme les coutumesl'exigent, jusqu'a demain. Tout le monde mangera ici ce soir. Pas de bagarres ou dedisputes inutiles"

    13Apres ces conseils , le be regagna son palais avec sa suite. La danse continua deplus belle. Des en-han ca et laoDes hoeee un peu partout. Frenesie des corps.Cornrne des biches amusant leur faon a la lueur du crepuscule, les infatigablesdanseurs bwaba s'exhiberenr sous un soleil de plomb. I1s n'avaient cure de sesmorsures.La biere de mil donnait du nerf; on en apporta des canaris et des canaris quifurent rapidement vides, La joie et l 'alcool plongerent les danseurs dans un monde

    ou vouloir et pouvoir faisaient corps avec avoir. Cette chaine d'illusions, anodinespour les rudesses de la vie, plongeait pourtant les bwaba dans une sorte d 'eden oule passe et le futur cedaient leur place au present, sous l'impulsion de celui-ci. Laviedevenait l'oubli.Pour l'instant, l 'existence etait ladanse, en la danse, par la danse,Le soleil observa le spectacle jusqu'a la fin de sa course quotidienne. L'horizonse preparait deja a le recevoir en se revetant du manteau pourpre qu'illui avait tisse,Bientot dans larneme tenue il disparaitrait,Les tam-tams et les balafons resonnerent jusqu'a l'aube, ou le soleil,paresseusement, se decouvrit, poussa nonchalamment sa porte de nuage, sortit satete, regarda d'un ceilencore bouffi de sommeil autour de lui, avant de commencersa course inutile et necessaire. La danse cessa. On comrnenca a reveiller ceux qui,trop abattus par la danse, voulaient s'assoupir au demier moment.Les instruments de musique n'emettaient plus que de fausses notes, sous les

    doits malhabiles des jeunes qui s'exercaient.On n'attendait plus que le lever du grand be pour rejoindre qui son uy, qui sonfoyer. Les commentaires sur la grande chasse allaient bon train.Le bourhaha n'eut pas le temps de rnurir et d'eclater en mille vociferationscomme celles de deux ou trois femmes s'accusant mutuellement d'etre la favoritede l'epoux cheri. Le timbowni des ancetres annonca le be. Tout le monde s'assit.II apparut dans sa tenue de toujours. Tam-tams et griots s'executerent. Apres lesavoir ecoutes un instant, le be leva son baton de commandement et tout fut anouveau silence.- Une fois de plus je vous felicite. Retoumez chez vous et preparez comme jevous l'ai deja dit, Iegrand jour de l'annee.Cette annee, votre be a adopte une strategie pour vous alleger Ie lourd fardeau

    que vous etes condarnnes a porter, depuis que le diable- rouge, le nassara, nousimpose la force de sa poitrine.Vous savez qu'avec les mauvaises recoltes que nous connaissons depuis plus decinq ans, a cause des avortements de nos champs, nous nous att irons les foudresdes gardes-forgos a chechia rouge.Tous les vieux ici presents et votre be ont rnurement reflechi et ont constate que

    lemal le plus grand qui 110US frappe, cen'est ni laperte de nos richesses ni rneme lamort de nos vaillants heros (guerriers). C'est bien plus. C'est la mort d 'une arne,celle qui est en chacun de nous, notre bwaba interieur dont nous sommes lesecorces,

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    14Un peuple peut vivre pendant des annees aussi nombreuses que les etoiles duciel en perdant tout son betail, toutes ses richesses. Mais son arret de mort estsigne, s'il vient a perdre son ame. Les vieux savent ce que c'est que l'ame d'unpeuple. A vous jeunes qui vous demandez qu'elle est cette ame dont parle votre be,je dis ceci : c'est elle qui nous rassemble ici,c'est sous ses ordres qae vous respecteztout ce qui est sacre, toute votre vie n'est qu'une feuille que son souffle charrie versles dieux et les ancetres.Je ne vous dirai pas plus. Sachez seulement ceci : quand un peuple perd son ame,chaque homme de ce peuple acquiert une ame individuelle nouvelle ; alors la vie dece peuple devient la guerre quotidienne entre ces multiples ames antagonistes quis'utilisent et se devorent au besoin, exactement comme lorsque vous semez

    beaucoup de graines d'arachide dans un rnerne poquet. Certains plants vivrontgrace aux racines des autres, qui resteront tout petits, et en definitive, c 'est tout lepoquet qui en souffr ira. Et la recolte sera mauvaise. Car aucun plant ne donnerabien.Lorsqu'au sein d'un peuple, certains elements tentent de vivre comme Zouri lachenille ou Zouanga la mouche, ce peuple est condarnne a mort tot ou tard. Cepeuple n'a de destin que la disparition.A part ir de cette annee, pas un seul bwaba ne recevra plus un seul coup de foueta cause des irnpots. Car il n'y aura qu'un seul impot pour tout le pays. Et s'il n'estpas paye, c'est tout le pays qui subira les consequences. Tous les bwaba seronttortures. Parce que pour Ie nassara-rouge, nous ne sommes que des choses-noires-pour-Ie-travail. Nous ne lui donnerons plus l'occasion de maltraiter notre peuple.

    Un hurlement retentit."Le sage a parle l cria legriot. C'est lavoix de la sagesse ! "- Pour ce faire, il y aura un champ commun de sesame. II y aura un seul tas denoix de karite dans mon palais ici .Pour les travaux dans les lointains pays d'ou onne revient pas, nous ferons comme par Iepasse: nous donnerons des esclaves a laplace de nos jeunes. Vous savez que j 'ai donne tous les esclaves du palais , done ilnous faut en chercher. Vers Ie sud, m'a-t-on affirme, i ly a un grand sorcier tout deblanc vetu, un de ces fous qui passent Ie temps a cogner leur front contre Ie sol etqui ne sont jamais fatigues d'admirer leurs mains comme si elles leur sont toujoursinconnues.

    Tout Iemonde eclata de rire.- Ce fou done, vendrait des esclaves. Pour un homme ildemande vingt moutonsou deux bceufs. J'ai deja conclu avec lui un marche de dix hommes.Cette annee tout Iemonde fileraIe coton, les hommes comme les femmes. Nousferons des bandes de cotonnade que nous vendrons a Boilgapour avoir des bceufs.J eunes bwaba, nous comptons beaucoup sur votre ardeur au travail, votrecourage, votre sens de l 'honneur et de la responsabili te . Nous comptons sur votreame bwaba.Je convoque dans mon palais les deux jeunes danseurs de la famille Dakuo quiont tres bien danse hier.

    15Le cceur de Dakuo Soura bondit comme s'il allait quit ter sa poitrine. Son frerearne Bognini plus emu que lui se couvrait deja la tete de terre. L'ernotion faisaitnager le vieux joueur de balafon Dakuo. II avait joue la veille comme un possede.C'etait lui qui avait pousse ses deux fils a se surpasser. Etait-ce une mauvaisechose? Le be lui-rnerne n'avait-i l pas promis une belle recompense au meil leur

    danseur? N'avait-il pas releve les deux champions de samain ?Ses deux fils s'etaient jeres aux pieds du be. Un sorcier jaloux de l'exploit pouvaitfaire voir au be, en ce geste qui n 'etait que celui de la soumission, un acte d'audace,voir un attentat. Car qui ne sait pas qu'on peut tuer un homme avec la terre de sespas?Mais Ie be n'etai t- il pas lui-rnerne aussi puissant qu'un sorcier? D'ail leurs legrand sorcier du palais veillait sur lui. Le vieux Dakuo se perdaiten conjectures. IIvivait l 'un de ces moments pathetiques ou Iecondamne a mort at tend le resultat deson recours en grace. Un de ces moments ou par une phrase, un seul mot, on vousenleve le bandeau des yeux pour vous faire constater I 'equilibre de la balance devotre vie avec ses deux plateaux: bonheur et malheur.- Le vieux Dakuo a fait de vous d'excellents danseurs, dit calmement Ie be auxdeux danseurs. Quand il avait votre age, il faisait mieux ... Que voulez-vous, dit-ilreveur ; quand une hache coupe a merveil le , ellene fait pas mieux que la premierequi a coupe le bois avec lequelle forgeron fit le charbon pour la forger.Cela dit, j 'a i decide de vous recompenser. Soura, on m'a informe qu'une fois tuas cause avec rna fille Botoni a la riviere pendant qu'elle lavait son linge. Selon moninformateur, tous les nenuphars s'ouvrirent ce jour-la sous la chaleur de ton regard.Soura, au paroxysme de l'emotion, balbutia des mots inintelligibles, d'une voixsans timbre. Le be et les autres vieux s'esclafferent.- Le voila muet, f it Iebe. Vrai ou faux, jete ladonne en mariage.La tete baissee, les jambes soigneusement repliees, les yeux rives au sol commes'il essayait d'y voir en profondeur, le cceur battant comme un tambour sous lesdoigts d'un griot atteint des spasmes que donne une victoire ecrasante sur desennemis redoutables, Dakuo Soura, a travers des bourdonnements d'oreille, croyaitentendre comme dans un reve, son be lui donner sa fil le Botoni en mariage. II futramene sur terre par les griots et leurs tam-tams.- Et toi Bognini , qui veux-tu comme epouse ?

    Bognini resta bouche cousue. Qui allait-ilnommer ? II Y avait pourtant beaucoupde filles dans Ie palais du be. Attention au piege, pensa-t-il. Le be, pour confirmerles dires d 'un menteur, ne voulait-i l pas les accuser de trop jouer avec ses fil les ?"Restons vigilants", se conseilla-t-il.- Comme tu n'en vois aucune, jevais t'aider.Des rires fuserent,

    - Puisque tu n'a pas de choix . .. je te donne Yampa, dit Ie be. Maintenant,venons aux choses serieuses, poursuivit-i l. Bien avant votre danse, mon grandsorcier avait choisi votre famille pour les missions importantes de tout monroyaume cette annee. [e me suis laisse dire qu'au combat vous avez la force du lion,

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    16la souplesse du chat , et mieux encore, la ruse du Laba, cet oiseau qui joue chaquefois au blesse pour egarer ses poursuivants.Toi Soura, tu iras a koud6g6 annoncer au coumandow, la date de-Ja grandechasse. La route est dangereuse, fauves et ennemis peuvent surgir a tout moment.Des que tu auras rempli ta mission, reviens; et surtout observe bien tout ce que tuverras la-bas, pour nous faire un compte-rendu detaille.Bognini dirigera des demain le groupe qui ira prendre les esclaves chez le fou enblanc. Tu conduiras ton groupe a Boilga. Vous y acheterez de la kola, du sel, del'argile jaune pour la poudre de nos fusils et de nouveaux fusils. Tu vendrasquarante-sept rouleaux de bandes de cotonnade. Comme tu le constates, ta missionest d'une importance capitale. Vingt cavaliers te serviront d'escorte pour decouragerles eventuels pillards.Rentrez chez vous et preparez vos missions qui commencent des cet instant .Soura voyagera seul , pour eviter que les forgos ne retiennent des jeunes pour lestravaux forces.

    17

    Le visage marque de ces traits que seules savent tracer l 'angoisse et la rnisere,l 'esprit toujours dans les brumes de l'incertitude, Ie vieux Dakuo, face a lagrandeporte du palais, attendait le retour de ses fils. Quand ils aparurent, ils lui arracherentd 'un seul coup Ielourd faix que portait depuis ce matin son esprit , par leurs rires agorge deployee, leur empressement a rejoindre leur domicile. II se porta a leurrencontre, les bombardant sans repit de questions. IIvoulait tout savoir a la fois.- Pere, sa majeste, par les dieux exhaussant nos prieres, nous a donne a chacunde nous une femme", dit Soura dans une jubilation des plus dernentielles.

    A ces mots, le vieux Dakuo, avec des pas qu'i l n 'eut qu'a ses vingt ans, regagnasa maison ou on entendit des coqs sonner l'alarme et des poules jeter des cris dedetresse. Dakuo remerciait deja les ancetres. Ce n'etait que remerciements habituels,ilverra plus tard ce qu'il pourrait faire de plus comme offrande.Bognini expliqua a son pere l 'importance de leur mission pendant que Souras'acharnait a preparer son voyage.Deux jeunes fi lles et deux importantes missions a ses deux fils! Vraiment lesancetres veillaient sur lui.- Mes enfants, Ie be nous fait honneur. Tout Ie pays va nous juger. Je nesupporterai pas un echec de l'un de vous. IIy a plusieurs manieres de reussir, mais iln'y a qu'une seule rnaniere d'echouer. Cet echec, qu' il soit du cult ivateur dans sonchamp, du guerrier sur le champ de batai lle, etc., est la traduction on ne peut plusexacte du manque de courage; cet echec est la consecration de la Iachete.. . Mesenfants, n'en parlons pas. Tous les dieux seront avec vous.

    Le soleil, dans sa course folle, perdait un peu haleine; on sentait sonessoufflement.Une outre pleine de farine de mil sur l'epaule, un carquois de trente flechesernpoisonnees en bandouliere, un arc tendu a la maim avec deux fleches pour parera toute eventualite, un long couteau fixe a une laniere de cuir servant de ceinture aun cache-sexe tout neuf, Dakuo Soura entama son long voyage de plus de deuxcents kilometres.II pensait Botoni, resonnait Botoni et ne voyait que Botoni. II l 'avait toujoursaimee, ill 'aimait ce jour-la mieux que laveille et certainement moins que lelendemain. Ses nuits avaient ere et etaient Botoni. II se la representait chaque foissur sa natte, sous son corps, avec ses seins nus, mous et durs, ses cuisses fuselees,sa tete aux nattes ensorcelantes; et d 'une main tremblante i l palpait les mult iplesperles autour de ses reins.

    Une nuit elle vint l'inviter a la baignade, elle etait nue. Le beau corps luisantalluma Ie feu en lui. Quand elle s'apercut qu'il tremblait, elle s'esclaffa, montrant sesbelles dents taillees qui acheverent d'abattre ses quelques velleites de resistance.

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    18I l la suivit et i ls plongerent ensemble dans l'eau. I l sentit la douceur de ce corps

    masse au beurre de karite et frernit comme jamais il ne l'avaitfait. Mais ils ne purent continuer car des femmes venaient puiser de l'eau. Ilssortirent precipitamrnent et chacun s'enfuit de son cote. A son reveil, il se trouvaithors de sa natte et bien mouille : il avait renverse la cruche et toute la case etaitinondee.I l avait parle aux manes de ses ancetres. I lleur avait promis une chevre et troispoulets s"ils l'aidaient a posseder cette deesse de son cceur et ce fantorne de sesnuits. Ils l'avaient entendu, et avaient exhausse ses prieres. Il verrait ce qu'il pourraitajouter a ses promesses apres son retour. Pour le moment il fallait arriver adestination.I l voudrait etre vent ou oiseau. I l voudrait que tout se bousculat et que le tempsne rut plus qu'un simple morceau de fer; il couperait la partie rouillee et inutiledans sa forge et ne conserverait que la bonne partie . Adieu chasse, adieu voyage,adieu coumandow. Vive son mariage, vivent ses doux instants avec Botoni.I l la voyait deja ecrasant aux meules du uy, le mil ou le fonio avec lesquels elleferait des gateaux succulents qu'elle lui offrirait avec son sourire enchanteur, chaquefois qu'il rentrerait tout epuise des champs.Dans ses reveries il n'apercut pas le soleil se cachant a l'horizon. Le ricanementd 'une hyene le t ira de l 'univers de ses chimeres et le ramena a la realite, l 'invitantainsi a considerer le temps. La nuit venait d'installer rapidement son royaume.

    La brousse etait devenue l'empire de ces betes "peureuses" qui n'attendaient quelanuit pour sortir et hurler.C'etai t la troisieme fois qu' il al lait a Koudougou. Il y avait transporte a chaquepasssage des gardes forgos a Hounde, les multiples cadeaux qu'on leur offrait . I lconnaissait ce chemin comme celui qu'il empruntait pour aller au champ ou aumarigot.Allait-il continuer sa marche ou grimper dans un arbre pour passer la nuit etattendre Ie jour? Il decida de continuer sa marche jusqu'a l'heure ou les genies"commencent leur marche", cette heure ou tout est silence en brousse comme auvillage.Rien ne pouvait Ie surprendre, car lanuit, l 'echo trahit les plus discrets. Un hibouse mit a hululer. Mauvais signe, pensa-t-il. Quand un hibou voit une arne en dangerde mort, ilhulule, lui avait-on appris depuis sa tendre enfance.Des oiseaux nocturnes s'envolerent dans un criaillement assourdissant. Par leurscris ildetermina leur espece. Il frisonna quand ilpensa que cette espece ne dormaitjamais sur les arbres mais au sol. Quelque chose les faisait fuire ; et ce quelquechose peut-etre le suivait. Il grimpa rapidement dans un arbre, s'installa entre deuxgrosses branches.La nuit avait allurne des etoiles et des etoiles mais elle demeurait obscure. Souran'attendit pas longtemps. Une forme plus noire que la nuit suivait ses traces. Ellevint vers l'arbre ou iletait monte.

    19Il ecarta les feuil les qui le masquaient et la forme se precisa. La silhouette d 'unanimal se dessina. Il ecarquilla les yeux cornme il le put, mais il n'arrivait pas areconnaitre l'animal.La forme allaloin. Soura resta toujours immobile sur ses branches. Il jugeait plus

    prudent d'y demeurer jusqu'a l'aube.I l eut raison: la forme ne tarda pas a revenir vers son arbre. Elle s 'assi t a peine acinq metres de l'arbre. IlI 'observa attentivement et sut que l'animallui faisait face.Il glissa une fleche a son arc. Samain gauche, tel un serpent, se fauft la a traversIe feuillage et degagea une voie pour la fleche. Pour une dernierefois i l s 'assura de

    son equilibre. Son pouce et son index se refermerent sur Ie penne et la corde del'arc. Il se raidit. Tous ses muscles se contracterent. Il visa et lacha la fleche.L'ombre repondit par un grognement sourd en s'enfuyant. Il sut que c'etait un lion.Il avait certainement Haire ses traces et les avait perdues sous cet arbre. Ilreviendrait car Ielion detale quand on le surprend, mais sa frayeur ephernere passee,ilrevient pour combattre.

    Des rugissements tonnaient sous l'arbre.Le lion s 'at taqua a l 'arbre. A chacun de ses sauts, i l tombait une pluie d 'ecorcesseches. Son ennemi etai t dans cet arbre. A quelle hauteur? Il ne Ie savait pas. Toutce qu'i l savait, c 'etait qu 'un feu brulai t en lui. Tout son etre se consumait . I l avaitmal, mal comme ilne l'avait jamais eu.

    Il redoubla d'effort a la seule pensee de pouvoir punir celui qui lui avaiy jete cemal atrocement plante dans son epaule. Ses rugissements se firent de plus en plussourds, se transformant en plaintes lugubres. Ses forces commenc,:aient a Ietrahir. Ille constata douloureusernent.

    Non!,i l ne mourrait pas. I l cassa la fleche d'un seul coup de croc, recula a deuxmetres de l 'arbre, se ramassa sur lui-rnerne, tous les muscles tendus. D'un ult imebond il s'elanca sur l'arbre. Cette fois ilatteignit les feuilles.Mais Soura ne s 'inquietait pas. I l etait tres loin du sol.Le Win ne put reediter sonexploit. Une bave compacte, presque en caillots, obstruait sagorge. Ses poumons se

    vidaient de tout leur air. La soif brulait sa poitrine. Il rampa peniblement vers Iepied de l'arbre, voulut s'aider du tronc pour se relever. Toutes ses tentatives furentvaines, ilne reussit pas a se redresser.I l reposa lourdement sa tete sur une racine exterieure de l 'arbre. Le feu de soncorps s'activait. Ce brasier interieur s'intensifiait, atrocement.Quand un courant d 'air lui apporta la fraicheur de la nuit, i l se rappela lavie. Satete se souleva et retomba imrnediatement sur la racine.La vie. Il avait vecu, I l fal lai t qu' il vive! Il se rappela son premier gibier : uneanti lope blessee qui, pour echapper aux chasseurs et a leurs chiens, avait trouverefuge dans leur taniere.

    Ses parents etaient parris a la chasse. Instinctivement il avait bondi et sesmachoires encore freles s'etaient refermees sur la gorge de la bete blessee. Le jet dusang chaud l'avait enhardi et ils'accrochait au cou de savictime

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    20L'antilope deja affaiblie s'etait affalee, II venait de reussir la ou ses parentscchouaieht souvent. II but ce bon sang tout chaud. Ahaa! jamais sang ne fut sichaud et si bon. Et depuis ce jour, que de sang avait coule l Que de vertebrescervicales avaient craque sous ses puissantes machoires. Buffles, gazelles, antilopes,bceufs, biches, chevres ... que de carcasses, que de squelehes il avait semes dans labrousse!La vie. II fallai t qu 'i l continuat a rugir , rugir pour inonder la brousse d'effroi.

    Rugir les soirs quand la suave brise que transpire la savane inondee de pluie ou derosee, remplit et gonfle ses poumons.Non, il ne mourrait pas! Quand on a vecu comme il l'avait fait, on ne peut sepermettre de mourir sans savoir meme qui vous tue. Qui lui a jete cette grosseepine ? Etait-ce un de ces gros singes noirs qui habitent les grandes terrnitieres ?Quel etait le gibier dont ilavait flaireles traces? IIne le savait pas. C'etait pour lesavoir qu'il etait venu jusqu'ici, sous cet arbre, cet arbre maudit.La vie. II fallait qu'il vive I II essaya de rugir... A-t-il reussi ? Le bourdonnementde ses oreilles I'ernpechait de le constater.Non, il ne devait pas mourir! La mort? C'est ce qui arrive aux autres. Lesautres...les faibles. II devait continuer a regner sur cette savane... Mais il sentait levide l'envahir, inexorablement.La vie. Tout s 'evaporait de sa tete. Pourquoi avait- il releve ces traces ce soir ?Pourquoi lui et pas un autre? Pourquoi ce coup de vent avait-il souffle pourapporterr l'odeur de ce gibier du diable? Pourquoi n'avait-il pas ete prudent cesoir ?La pro chaine fois... Peut-etre iln'y aurait pas de prochaine fois, osa-t-il penser :alors dans ce cas, les insolentes mouches fouil leraient irnpunement son nez, sesoreil les, tous ses orifices comme il les voyait faire souvent avec les carcasses desbetes qu'il tuait.La pro chaine fois... Le vide. Sa queue se souleva peniblernent du sol, s'agita degauche a droite et retomba, flasque, entre ses pattes qui cornmencaient a se raidircomme tout le reste de son corps. Le vide. Dans un rale prolonge, il poussa unrugissement a peine perceptible, s'immobilisa. Mort. Le poison de la fleche n'avaitpas pardonne.Soura mit une autre fleche calmement a son arc et attendit. Les rales pouvaientavoir alertee le male ou la femelle de la bete qui, certainement, accourrai t pourlutter contre l'eventuel ennemi.Jusqu 'au matin, rien ne se manifesta. Soura ne ferma pas l'ceil toute la nuit.Quand le soleil apparut et donna ses ordres a la vie, il descendit de son arbre,observa lelion raide, coupa saqueue et continua sa route, tous les sens aux aguets.II n'avait fait qu'une journee de marche, il fallait qu'il continuat rnalgre lesommeil qui l'assommait. II marcha jusqu'au soir ou il prit son temps pour seconfectionner une couchette dans un arbre a l 'aide de branchages, comme il avaitappris a le faire pendant la saison des pluies, pour garder les recoltes. A peine

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    s'etait-il couche que sa Botoni quitta son esprit. II s'endormit d'un sommeil profondjusqu'au petit matin.Des que le soleil fut annonce par les tourterelles et d'autres oiseaux, il descenditde son arbre, se frotta les yeux, mangea rapidement la farine qu' il avait mouil leeavant de se caucher, observa autour de son arbre pour relever d'eventuelles tracesde fauves et repri t sa route en fredonnant un air bien connu des amoureux de chezlui.Au soir du septierne jour, par les hurlements exasperants des chiens qui

    aboyaient la nuit, il sut qu'il avait atteint Boromo. C'etait le plus gros village situesur son parcours.II fallai t qu 'i l dormit hors du village; la nuit ayant deja instal le son royaume, lalegendaire hospitalite etait remise en cause par les rnefaits des voleurs de betail etdes enleveurs de femmes et d'enfants. Ces pratiques diaboliques etaient lesconsequences des terribles impots reclames par les gardes a chechia rouge ducoumandow.Dans certains villages, des consignes severes avaient ete donnees, et desvil lageois montaient la garde la nuit venue, n 'hesi tant pas a lacher des fleches surtout ce qui bougeait.Soura comme toujours s'installa dans un arbre. II ne fut reveille que par les"paresseux" et leurs cocoricos. II attendit que le soleil se levat et que tout le villages'eveillat avant d'y entrer.IIalla au grand puits du village rernplir sa gourde. Apres qu'il eut pris sa ration defarine, il continua sa route, distribuant avec joie des bonjours a tous ceux qu'il

    rencontrait. II etait tres content car Koudogo n'etait plus qu'a trois jours de marche.Bientot le retour, c'est-a- dire Botoni : la fleur de nenuphar,Je t'invite ala lutte, dit l 'un d'eux.- Je suis tres presse, repondit-il dans un sourire.- II fallait done passer hie, retorqua un autre. Si tu as la frousse, dis- leclairement. Nous ne luttons pas avec des herons ici.Nous sommes des eperviers,- Inutile de lui causer, dit calmement lU1 troisieme, Ne voyez-vous pas qu'il porteun cache-sexe? Or chez eux les femmes s'accoutrent ainsi.Tout Iegroupe eclata de rire. Soura resta interdit devant les propos provocateurs.

    IIne trouvait rien a dire. IIdevait lutter. Tant pis pour le temps qu'il allaitperdre.Qui vient le premier? demanda-t-i l calmement. Le plus costaud du groupe sedetacha et vint lui serrer la main. Les autres firent un cercle autour d 'eux. Le plusjeune du groupe detacha une flute de sa ceinture et semit a chantonner.Des enfants affluerent de partout. Bienrot des adultes arriverent.Tous venaient a

    l'invitation de la flute: "Venez voir, venez, jeunes et vieux de Boromo; un mangeurde chenilles est venu pour lutter avec vos vaillants f'ills ce matin. Venez car la[ournee s'annonce belle. Nous terrasserons l'etranger et nous lutterons entrenous ..."

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    22En peu de temps une immense foule se rassembla. Lutter le matin ? On luttait

    generalement le soir. "C'est l 'etranger qui nous a defies, disaient les jeunes ;

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    24Il se rappelait chaque fois cette phrase: "]e suis un Dakuo. IIBotoni lui poserait-t-elle un jour cette question sur son bracelet? Elle n'etait paseffrontee et son education etait parfaite. Elle ne lui demanderait jaimais une chose Ipareille. Elle n'ecouterait que ce qu'illui raconterait. Illui remettrait la queue du lionafm qu'elle en fit cadeau a son oncle comme chasse-mouche; et peu de temps apres,quand elle aurait remis le precieux cadeau, elle reviendrait lui raconter les reactions

    de son oncle qui louerait son courage.Pour sur, le be le feliciterait en personne. "Ce n'etait rien, dirait-t-il. Un lion toutseul est un danger bien moindre, Sic 'etaient deux lions ou trois, ou merne quatre...Le combat! serait rude mais son issue serait toujdurs larneme. Le lion est courageuxavec les peureux ..."Et cela serait dit avec un brin d'insouciance que traduirait sonsounre.

    Le solei l au zenith condamnait hommes et betes a l 'ombre. Pies et tourterelless'etaient tues, peut-etre exasperees par les crissements assourdissants des cigalesqui, a longueur de journees, n'avaient qu'une et monotone chanson. Pas un souffled'air. La brousse souffrait visiblement. La faim et la soif qui tenaillaient seshabitants commandaient un silence des plus absolus.Evidemment, pour Soura, le temps etait Botoni. Elle etait fraiche et douce. I lnageait . Mais son arne baignait dans cette brise que transpire la riviere apres unepluie diluvienne.- Tu perds ton temps, murmura-t-il a l'intention du soleil. Tu cracherais de labraise que je continuerais rna route.C'etait vrai, le feu ne lui faisai t pas peur. N'etait- il pas brule chaque jour dans saforge par les etincelles ? Pour Botoni il etait pret a affronter un feu de brousse. Iltranspirait a grosses gouttes, mais il se resolut a marcher, et vite, a cause de Botoni,Botoni ...Des jacassements rauques comme les aboiements d'un chien qui avait la tetecoincee dans un canari le firent sursauter. Ce n'etait certes pas les rugissements d'unlion ou les feulements d 'une panthere, Qui pouvait bien emettre ces cris ? A moinsque . .. que . .. Ce n'etait pas les .. . les ... Non, il n'osait y croire. Apres le lion, descynocephales ?Ces mechants animaux, toujours en bandes, massacrent de la rnaniere la plusaffreuse les chasseurs solitaires. Ils vous lient les pieds et les mains et avec une tigeepineuse, ils vous font sortir tous les organes par l'anus, racontait-on a leur sujet.

    25Soura se decida rapidement, Il fallait qu'il se cachat, Il grimpa lestement dans unarbre touffu. Trop tard, les petits singes qui servaient d'eclaireurs l'avaient dejilapen;:u.Ils se mirent a criailler comme des ecorches, Toute la bande s'immobilisa lininstant avant de se diriger vers l 'arbre de Soura. Pas de doute, i l etait decouvert. IIfallait qu'il se defendit. Il prit une bonne position sur les branches et attentit.I l entendait le galop de son coeur. Il ne fallait surtout pas les laisser monter, seconseilla-t-il. La bande encercla l'arbre en se tenant a une distance d'au moins

    quarante metres. Une bande de cynocephales de cette espece a toujours un chef.C'est le plus fort et le plus dangereux. Soura a entendu dire qu' il fal lait toujourss'attaquer au chef de la bande.Celui de cette bande etait aussi haut qu'un veau de six mois. Deux grossescanines qui ne pouvaient plus etre cachees par ses levres, brillaient all soleil etavertissaient les plus audacieux ennemis, du danger qu' ils pouvaient encourir . I lsemblait en etre tres fier. Chaque fois qu' il ouvrait la gueule pour tonner un ordre,line menace ou toute autre sanction, illes exhibait dans un grincement effroyable etun clabaudage effrayant.

    Il etait assis sur son seant aux grosses boules rouges, plaquees comme deuxfenetres hativement fixees par un apprenti-macon devant l'orage qui se preparait,Tous ses sujets, plus d'une soixantaine, l'observaient, Le signal de l'attaque viendraitde lui.Le flegme du cynocephale-lion est congenital. D'abord il intimide son adversairepar ses aboiernents rauques et effrenes ; suivent ensuite les terrifiants clabaudagesqui annoncent lecombat. Levaincu sert de jouet jusqu'a ce que mort s 'en suive,La bande n'attendait plus que l'ordre du chef pour se ruer sur l'arbre de Soura.Le chef pourtant fixait attentivement l'arbre depuis son arrivee ; il voulait voir sonennemi avant de l'attaquer.Soura en profita. Une fleche part it , cassa une epaule du gros singe et s 'enfoncapronfondement dans sa chair.Un elephant en barrissant n'aurait pas fait mieux. Le cynocephale se redressa etcomrnenca a envoyer des nuages de poussiere en l'air de ses pattes arriere, signe queIecombat ferait bientot rage. Pourtant il se recoucha l'instant d'apres -cornme unchien attendant qu'on lui jet te un os.Toute la bande, des plus petits aux plus grands, etait excitee, On etait fin pret,Eh ! Mais qu'at tendait le chef? Etait-ce la premiere fois qu'i l recevait ces peti teslances ? II en avait recu cinq pendant la batail le de l 'annee derniere, mais i ln 'avaitsouffert que de quelques blessures pendant quelques jours.Deux vieilles femelles accoururent, jouant aux docteresses sans pharmacie ; ellesvoulaient extraire la fleche de leur chef. Elles en recurent aussi . Et deja le rnemesornmeil fermait leurs yeux. Toute la bande, impatiente, se rassernbla autour desdormeurs,

    "lls sont comme baignes des froideurs de lamort , gemit un jeune adolescent aumuseau noir, Sont-ils plonges dans le sommeil eternel ?" Personae ne repondit, Ilst!I'aient pourtant bien morts. De minces filets de sang noir coulaient de leurs

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    26narines. Un silence total comrnenca a s'installer, rompu de temps en temps par les"woura woura" que faisaient les doigts sur les bas-ventres .

    Que dir e, que fai re sans le chef dans une te lle situa tion?La reponse vint de l'arbre. Soura profita des hesitations des cynocephales et

    envoya avec une rapidi te deroutante , fleches sur fl eches dans le tas."Malheur aux retardataires !" cria une femelle qui venait d'accrocher son petit a

    son ventre.Une debandade s'engagea . Des pet its furent oublies et abandonnes a leur propre

    sort. Chacun allait la ou il voulait, on ferait le point de la situation le lendemain.Les urines se melerent aux excrements, les cris de raliement aux plaintes. Le tempsetai t a la vie.

    Soura descendi t ca lmement de son arbre, perdi t un temps, pour lui t res precieux,pour arracher les f leches des s inges morts.

    "Botoni, Botoni ..."II se rendit compte qu'il l'appelait a haute voix. II eut honte. Si quelqu'un

    l'entendait, il se moquerait de lui; et on presagerait qu'il ne serait pas "un homme demaison". On dirait que sa femme portait son cache-sexe. Sa reputation de tueur delions ne saurait pallier un tel defaut.

    Parler par la bouche de sa femme est tres lourd de consequences pour la famil lecomme pour la soc ie te tout entie re. Quand il sera it vieux il ne se ra j amais considerecomme un homme de paroles mures, Chaque fois qu'il commencerait a parler, onmurmurerait : "Voila ce que lui a dit sa femme ! "Or, comme il l'a appris de la sagesse des anciens, une femme n'a pas decaractere, elle n 'est j amais quelque chose d 'exact . Elle est un perpetuel changement.

    "La femme c'est le nobere, cette chenille au cocon tres dur qui blessemortellement tous ceux qui marchent sur elle et qui se metamorphose en un tresjol i papil lon ", lui di sa it chaque foi s son pere .

    "La femme c'est l'eau ! lui disait sa mere. Elle donne la vie, elle desaltere, ellevient des entrailles de la terre et du ciel. On s'y noie aussi mon fils. Quand tu aurasta femme, ne commets jamais l 'erreur de di re que tu la connais", achevai t-el le.

    Mais Soura ne voyait pas comment une femme pouvait l'influencer. D'ailleursBotoni ne serait pas comme les autres femmes. Elle sera l'exception quiconfirrmerait la regle. Rien qu'a la voir sourire, on ne pouvait se tromper. Ellen'etait pas comme les autres femmes qui ennuyaient leurs maris par desempitemel les disputes. Botoni n'avai t pas l'allure d'une insupportable. "Un pied dernais se reconnait a sa tige", s'encouragea-t-il. Avec un corps aussi bien fait et unvisage doux comme un soleil d'un soir de pluie ... Non! Botoni ne serait pascomme les autres femmes.

    Le problerne du moment etait le voyage. Au retour ... Ahaa ... le retour! Vive leretour!

    Ce matin il avait espere dormir apres Godin, mais sa journee avait ete tresmouvernentee, II ava it a insi perdu un temps precieux. II cant inuerait rnalg re la nuit .

    27Contoumant le v ill age il passa inapercu, Merrie les quelques chiens att ardes dans

    la brousse qui aboyerent a sa vue avant de s'enfuir, n'attirerent pas l'attention surlui.

    La nuit avait tout couvert de son epais manteau noir. Les innombrables etoilesqu'el le avait allurnees etincelaient dans Ie ciel. Peut-etre dansaient-elles, ou faisaient-elles leur marche, pensa Soura.

    On disait qu'il y a autant d'etoiles dans Ie ciel que d'hommes sur la terre. Quandon voit une e toil e fil er et s'ete indre , celui ou cel Ie qu'ell e incame meurt.

    Soura leva la tete et scruta attentivement le ciel. Laquelle etait son etoile? 11vitdeux etoiles qui etaient presque collees. Pas de doute, c'etait Botoni et lui. Ellesctaient bien mignones et elles semblaient mieux danser que les autres. La plusgrosse, c 'etait lui , la plus petite, la plus jolie , la plus dansante . .. etait Botani.

    Botoni ... Merrie dans le ciel elle etait incomparable. Quel charme, quelledouceur! Et sa voix capable de calmer un orage! Et son regard capable d'eteindrelin feu de brousse ! Et, et ... elle-meme] Le grand Dieu aurait dli se servir de sonmoule pour fabriquer les autres femmes. Que la terre aurait ete alors un paradis!Que la vie aurait ete belle, belle a vivre !

    Pourquoi les etoil es d isparai ssent-el les le j our? reva-t-i l. Chacun son royaume,sa prosperite, ses biens peut-etre : le jour avec son soleil, sa gaiete. La nuit avec sarare lune e t ses etoiles et ...

    Deux enormes masses noires surgies de l'obscurite l'arracherent a ceraisonnement oni rique . Un cri st rident dechira la nuit , prornene par l 'echo, aide parla quietude de la nuit. Sa gorge se noua.

    "Les collines, les collines", balbutia- t- il . Quel sacri lege! Ces lieux etaient a peineIt deux-cents metres de lui .

    11voulut s'enfuir mais t rop ta rd, ses jambes re fusa ient de bouger. Tel les des tigesde mil, elles ployaient sous le poids qu'etait devenu son corps. Elles ployaientirremediablement, Un froid subit tenaillait tout son etre et l'empechait d'arreter lacourse de ses rnachoires,

    II avait , tre s abso rbe par des re flexions futi les, oublie l 'existence des col lines. 11voulut demander des excuses. Trop tard, tout se brouillait. Des geniess'a ttroupa ient de ja tout autou r de lui. Des genies de toutes les tail les. I1 sparla ient unlangage inaudible pour lui. Le vertige. II tomba sur un genie assis devant lui et neSlitplus rien.

    Le soleil paraitrait bientot, Cette lueur rougeatre a l'horizon l'annoncait. Lesroucoulernents des tourte rel les a col lie r sa luant Ie jour na issant, reve il lerent Souraqui se remit a hurler; puis avec un effort soutenu, il se calma. 11 faisait deja jour, lesgenies devaient reioindre leur demeure.

  • 5/10/2018 Norbert Zongo- rougbeinga

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    28II se leva du buisson sur lequel i l etai t tornbe, ramassa ses fleches eparses qu'i lfourra dans son carquois, retrouva son arc a plus de dix metres de lui. Safarine etait

    repandue sur les feuilles du buisson mais iln'osait y toucher. C'etait bien la part desgenies qui, ne voulant lui faire aucun mal, avaient goute a sa farine.Une souche se dressait au milieu du buisson, c'etait surernent elle qui l'avaitpique car ilsaignait au flanc gauche. Avec quelques feuilles ilcolmata le trou de sonoutre et reprit son chemin apres s'etre assure qu'il n'avait rien oublie en ces lieux ouil avait failliperdre sa vie et sa gracieuse Botoni.II pri t son courage a deux mains et passa entre les deux collines. II se morigena

    d'avoir trop pense a Botoni. Desornais, il songerait moins a elle. Ne lui avait-on pastoujours conseil le de ne jamais compter les jours lorsqu'i l y avait un evenernentimportant en vue, tels les jours de fete ? Les esprits jaloux pouvaient vous tueravant la date prevue.

    L'emotion chasse la faim. Soura n'avait pas mange depuis la veille, mais iln'avaitpas faim. II avait fai ll iperdre la vie en violant ces l ieux tabous. II ne fallait plus ypenser.OUdevait etre son Frere Bognini ? pensa-il. Avait-il lui aussi eu des problernes?Et son pere qui devait vivre dans l'anxiete absolue. Quel devin n'allait-il pasconsulter pour assurer le succes de ses enfants.Que devait faire en cemoment sa Botoni? ..Il lachassa illicode son espritLe soleil dardait tous ses rayons et soumettait tout a sa volonte de feu, mais

    Soura continuait samarche. Ala tornbee de la nuit, ilne lui restait qu'une dizaine dekilometres. Mur de sa recente experience, il s'arreta et dormiit d'un sommeilprofond aussitot sa couchette bien installee dans les branchages.Le matin il ne se pressa pas de quitter sa couchette, il avait tout son temps. Deloin, il contempla les toits des cases du village Sambisgo qui lui apparurent COmme

    des charognards prenant difficilement l'air, apres avoir assiste a I'enterrement d'unelephant.II n 'avait pas dormi tres loin du village, pourtant aucun bruit n 'avait revele unepresence humaine, pas un aboiement de chien ou un coup de pilon. Tout avait etec~me. Sasurprise fut plus grande encore quand ilarriva au village.Pas une arne quivrve,II passa entre plusieurs potagers. Jetant des coups d'ceil furtifs par-dessus les

    clotures en tige de mil, il constata qu'il n'y avait pas un seul legume vert. Lesaubergines, Iegombo, les melons ...tous avaient erie de soif, tous avaient sollicite unsecours du ciel car les hommes les avaient abandonnes. Ils avaient pleure, ils avaientagonise, et dans un coma general i ls avaient jauni. A present , seuls des squelet tesjonchaient les planches dans les jardins.En pays bwaba, les mossi etaient reputes etre de grands paresseux. Maispourquoi laisser crever tous ces legumes quand on a perdu son temps a les planter?Heureusement qu'ils ne mangeaint pas beaucoup, ces mossi,Ah tiens, voila un jardin arrose ! Un vieillard dont on pouvait denornbrer apremiere vue tous les os de la charpente, les articulations plus grosses que les

    29membres, avec une petite pioche qu'il soulevait et laissait tomber par intermittence,Ie bechait, II devait etre sourd ou tres dur d'oreille car il ne l'entendit pas entrerdans un froissemert de tiges seches.II salua a plusieus reprises mais Ievieillard rnaintenait son mutisme. Pourquoi ciellaisser travailler un tel vieillard, a cet age, sous ce soleil brulant ? Comme les mossictaient sans cceur ! Ou etaient-ils ? Etait-ce possible qu'ils dorment a cette heure dela journee ? Ces paresseux !Le sursaut du vieillard, qui venait de l 'apercevoir, le t ira de ses reveries II avaitlaisse choir sa pioche et tremblait comme une feuille. Sa tete rernuait cornme sisoudain son cou ne pouvait plus le supporter. IIvoulut crier ou dire quelque chosemais seul un leger grognement reussit a s'echapper der ses levres dansantes. Souralui tendit une main qu'il serra en promenant sur lui un regard rnefiant, de ses orteilsit sa tete. IIessaya de dire quelque chose, mais nouvel echec.Soura ramassa la pioche et se mit a cultiver. Le vieillard, toujours ahuri,l 'observait, immobile. D'ou venait cet homme? Etait-ce un prisonnier en fuite? Cequi etait sur , c 'etait qu'i l ne lui voulait pas de mal, sinon il aurait pu I 'abattre avantqu'i l ne le sur. Inutile de lui adresser un mot; avec ses cicatrices, il savait deja qu' iln'etait pas de la region.Pour quelle raison etait-il ici ce matin ? OUavait-il passe lanuit?Le vieux aurait voulu crier au secours ou tout au plus avoir une troisiernepresence, une espece de ternoin ou de protecteur, mais helas, iln'avait plus de voixpour crier et merne s'il reussissait a crier, qui viendrait?Tout ce qu'il pouvait, c'etait s'en remettre a la volonte des dieux; eux seulsconnaissaient les intentions de cet etranger et pourraient jeter une eau froide sur laHamme de son cceur, s'il etait anirne de mauvaises intentions.Soura retourna tout le jardin, I 'arrosa apres l 'avoir fume avec des crottes d 'aneque Ievieux avait amassees. Quand ileut tout fmi, il vint serrer de nouveau lamaintill vieillard en souriant."Coumandow, coumandow", repeta-il en mettant une main sur sa poitrine et enindiquant la direction de Koudogo. II sortit du jardin et continua son chemin.Pourquoi ne rencontrait-il personne ? Les battues peut-etre ? Une guerre ? Maiscontre qui ? ..Et les femmes? Elles au moins devaient etre la, Le cceur au galop, i lcntra dans un Koudogo tout silencieux.

    Les grandes cases blanches du coumandow lui apparurent. Les nattes en ferblanc de leur toiture brillaient au soleil et aveuglaient les yeux lorsqu'on les regardaitpendant longtemps. II avait fallu de grandes forges pour faire ces nattes, pensa-t-il.I)ans Iepays des nassaramba-rouges, tout devaitt etre blanc: les habits, les rnaisons,los peti ts paniers qu'i ls portaient comme couvre-chef, les animaux.. . rneme lesdabas,

    Les dabas ? Ils ne devaient pas en avoir, ces faineants ; sinon pourquoi ne pasrester chez eux. I ls n 'avaient appris que la guerre pour se nourrir. Leurs enfants aulieu de manier la pioche ou la Fronde des singes, le coupe-coupe ou la daba, nefaisaient que nettoyer les fusils qu'ils tirent. Quelle miserel QueUe honte!

  • 5/10/2018 Norbert Zongo- rougbeinga

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    30Et leurs femmes, que faisaient-elles? Evidemment, quand le mari vit comme

    Zouanga la mouche, la femme ne peut que dormir. La femme du nassara-rougemange des ceufs. Akaiii! Une femme manger des ceufs !... Voila pourquoi tous lesnassaramba etaient des voleurs. Et ils l'etaient depuis leurs ancetres, et pis, ils Ieresteraient, toujours, a jamais.

    D'ou venaient-ils meme? Ca devait etre le meme pays qu'habitaient les toucansmigrateurs, qui, ne trouvant rien a mettre dans les jabots, fuient chaque fois lafamine.

    Quand il deboucha des cases, il resta interdit. II se frotta les yeux, les rouvritgrandement,les frotta a nouveau. II voyait toujours la merne chose. Les genies descollines lui avaient -il s ote la ra ison? Non! Les dements ne conna issent ni l eus noms,ni ceux de leurs villages. IIs ne savent merne pas ce qu'ils font. Lui, Soura, savaitbeaucoup plus. Pour s'en assurer, il cria : "Dakuo, bwaba de pere et dafing de mere.Je suis envoye par le be Gnoumou chez Ie coumandow pour lui annoncer le jour dela grande chasse. Ma future femme est la tres belle; Botoni, qui est plus que toutesles femmes sur la terre , sauf rna mere".

    Alors quoi ? II etait normal, tres normal meme. Mais ce monde! Tout ce mondedevant la case du coumandow ... Jamais il n'avait vu auparavant autant depersonnes en un seullieu rassernblees. Le monde !

    Quels etaient les chapeaux que portaient certains ? D'autres dansaient mais iln'entendait rien, ni tam-tam ni flute, seulement des chants sans ton que luirapportait l'echo. Ses pieds, comme enfouis dans une boue collante, bougerentpeniblement quand ilvoulut avancer .

    Le soleil venait de quitter le milieu du ciel et ses rayons avaient perdu un peu deleur feu. Soura, te l un automate, avancait l a bouche ouverte , l es yeux insensibles auxvisites des mouches.

    Des hommes, des femmes, des enfants et des vieillards formaient ce monde queSoura n'avait j amais vu; rnerne en cauchemar. Les chapeaux eta ient des pierres quecertains portaient.

    On chantait et on dansait mais des nerfs de bceuf etaient tam-tams et balafons.Les griots etaient des gardes-forgos a chechia rouge.

    Les forgos ? II ne les avait jamais vus aussi nombreux, aussi excites. Le monde !Ce monde calme et grouillant, s ilencieux et bruyant, l 'eff rayait .

    Des nassaramba-noirs Oes commis et autres as similes de l'epoque) etaient assissur des banes, accoudes a de hauts tabourets larges. Comme toujours ils etaientoccupes a ce jeu futile et bizarre qui consistait a prendre de l'eau noire d'un petitpot avec un petit morceau de bois emmanche d'un bout de fer, et a la rep a ndre sur

    31des feuilles blanches et seches de... quel arbre ?Le nassara et sa sorcelleriel Ondisai t que c'etai t pour vous reconna it re plus ta rd.

    lIs etaient toujours deux par tabouret. L'un d'eux avait fini de tracer les signes etappelai t les noms la tete baissee,

    Ce monde !L e croirait-t-on ,lui Soura, quand il raconterait chez lui qu'il avait vuautant d'hommes enun seullieu rassernbles qu'il y a d'abeilles dans une ruche? Negratterait-t-on pas le voisin du pouce quand il avouerait avoir vu plus d'hommes enlinseullieu qu'il n'y a de feuilles au sol apres un violent orage ?

    Ah ! voila pourquoi il n'avait trouve personne a Sambisgo le matin. Pourquoitout ce monde ici ? Que vvoulait-on a tous ces hommes ? "Les impots !" pensa-t-iltout haut. Dans ce cas c'etait bien fait pour ces faineants de mossi. II fallait qu'ilstravaillent beaucoup plus. lIs ne buttaient rnerne pas leurs champs avant de semer.II n'appreciait pas les methodes coercitives du nassara-rouge, mais cette fois illuidonna it rai son, sauf d'un seul co te: l es vieux deva ient e tre epargnes,

    Voila le forgo Noupe, II se mi t a l'interpe ler a tres hau te voix.- Noupe, Noupeee, Noupeee ...II se tut quand il sentit les morsures des regards de ce monde effrayant. Noupe

    uussi l'avait aperc;:u et avait dirige son cheval vers lui. Soura etait tout joie; samission etai t te rminee a present car c'etai t Noupe qui deva it rapporter l'informat ionall coumandow.

    "Quelle chance ai-je eue, aujourd'hui !"S'il devait rechercher Noupe dans cemonde de cauchemar, il lui aura it fal lu plus d'une j ournee. Qu'i l vienne v ite , Noupe ,car le mari de Botoni avait hate de repartir dans son loho cheri pour vivre avec ...hum! "At tent ion aux mauva is espri ts", se dit -il tout bas. Pour vivre avec "l 'hommeque son cceur adore".

    Quand Noupe arriva a cote de lui, Soura fit un sourire qui amena sa bouche a sesorcilles,

    - C'est toi qui me hele d'une telle maniere, vilain bwaba? grogna Noupe. Nepouvais-tu pas venir jusqu'a moi, insolent?

    Soura n'eut pas le temps de repondre ; Noupe etait descendu de sa monture et sacravache sifflait.

    - Je voudrais ... gemit Soura en proie aux tiques que le nerf de bceuf de Noupelaissait sur son corps. II fila droit devant lui, renversa trois personnes et ne s'arretatille lorsqu'il sut que Noupe ne Ie suiva it plus.

    - Viens ici, tonna celui-ci. Tu viens ou je viens te chercher ? Je compte jusqu'aII"0is et si jamais tu n'es pas la, je te ferai oublier jusqu'a ton propre nom. Un, trois.'I'll n'es pas la !

    -Tai eu tort , j 'a i ... Ouii ii !...C 'est l e be Gnoumou ... C'est l e be qui ...Soura fila a nouveau. Son dos etait en feu et sa joue gauche etait dechiree ainsi

    que son front. D'une main il empecha le sang d'entrer dans ses yeux!Noupe, rea li sant qu'il pa rcour rait une grande distance s'il s'obst ina it a le suivre ,

    Iiaissa sa cravache.

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    32."C;:ava. Reste sur place. Que veut encore ton vieux chiqueur de tabac avec sa

    tete de melon pourri ? 11 t'envoie me rendre visite tout nu, pas merne une paire depoulets sur l'epaule ? Sait-il qui je suis ? J e suis un nassara-noir. Ce n'est pas parcequ'il est un be qu'il peut se permettre d'envoyer quelqu'un chez moi comme ca !Fera -t-i l ca avec le coumandant (commandant) ou au Ie pit i (pe tit ) coumandant?

    - C'est-a-dire que . ..- C'est-a-dire que vous etes tous idiots dans votre pays! Et toi aussi tu te mets a

    me heler de la sorte, tout en sachant que rien ne beugle ni ne bele derriere toi. Moi,un homme du nassara que tu viens voir en balacant les brasl Vous les Noirs vousetes ainsi, plus ingrats que des puces; a votre sauveur, vous jeter des pierres.D'ailleurs vos proverbes le montrent: "Celui qui guerit un homme de sonimpuissance, met sa femme en ~ger." Mais nous verrons cette annee, Si vouscroyez que moi je vais vous aider chaque fois aupres du coumandant, pour avoir unseul bceuf chaque annee, vous avez menti .

    - 11di t collecter des cadeaux pour vo tre rnaj este , 11vous les remet tra quand vousviendrez pour la grande chasse dans quelques jours; et il m'a charge de vous le dire.11m'a dit par ailleurs que si je vous touchais, le coumandow aurait vent de l'affaireet...

    Noupe ec lata de rire.- Ah ah ah ahaaa ! Hieeee, et que comptais-tu faire? Voir le coumandant toi-

    rneme? Es-tu sur tes deux jambes ? 11 faut moi pour voir le Coumandant. Merrie lesautres forgos que tu vois ne peuvent pas entrer chez le coumandant comme tu lepenses. Eh eh eh eh !Vouspensez que le nassara est un simple be! Bon, passons.Done tu n'as rien amene avec toi? Tu pouvais au moins te faire accompagner parune fil le que je vous rapporte rai s quand je viendra is pour la grande chasse.

    - Le grand be a tout prevu, mais il attend que vous soyez en pays bwaba.- Vous les Noirs vous etes aini, trop betes pour comprendre les choses. Moi je

    peux mourir ce soir ou demain, en tout cas avant la date de la grande chasse; a quiremett riez-vous ces animaux e t ces j eunes fil le s P A-t-on jamais vu un mort boire etmanger? Pourquoi n'avoir pas amene avec toi l a moi ti e auj ourd'hui?

    - C'est a cause de la distance. Je ne pouvais tout amener, seul comme je le suis ;les cris des animaux auraient att ire les fauves.

    - Et la fille, elle aussi aurait bele ? D'ailleurs es-tu Ie seul jeune dans le village? 11y a bien d'autres jeunes de ton age I

    Soura ne repondit pas. Toute son attention etait fixee sur autre chose. Noupen'avait pas suivi le brusque changement d'attitude de Soura qui observait lecoumandow qui venait de surgir sur l'elevation devant sa grande case. Des gestesdesordonnes accompagnaient ses vociferations. En effet, il n'etait pas content dutravai l de ses commis et de ses gardes.

    - Voila plus de dix jours que vous faites ce recensement et jusqu'a present vousn'avez pas fini de recenser dix grands vil lages. Diop, Diop, hurla -t-i l.Viens ic i.

    - Present mon commandant.- Pourquoi rnenagez-vous ces imbec iles, ces sauvages ?

    33"Clap! Clap! ... " Diop venait de recevoir deux bonnes gifles.- J e vous donne six jours de plus pour recenser tout le cerde de Koudougou ; et

    l]Ue ca trotte. Que font-ils la-bas, ce garde et ce jeune sauvage? C'est la palabrelAmenez- les moi, et vite.

    Soura n'avait- rien saisi du discours du commandant, mais a son ton, il pens a quelc nassa ra ne devait pas et re content. D'a il leu rs il ne l 'avai t j amais serieusement ete ,ce diable-rouge.

    Ehiii ! Non, ca n'allait plus. 11 croyait voir Noupe trembler devant lui. Et voilaqu'un forgo les empoignait et les amenait vers le commandant qui se remettait acrier.- C'est sur que je perds progssivement la raison, mais ce n'est pas pour autantque je dois commencer a comprendre des paroles rnure rnent foll es, murmura-t -il .D'ou coumandow, tu perds ton temps et ta salive. Que peux-tu d'ailleurs faire demieux ? condut-il

    - Quel est ton nom, co chon de garde ?- Sanou, Sanou, Sanou Nou ... Noup, Noupe mon coumandant .- C'est comme ca que L'on t ravail le ? Que faisais -tu la-bas avec ce sauvage?- Lui viny pays Bawmu pour dire vous le zour la sasse. Lui rn'pele moi pour dire

    vous; c'e st a causse ze soui la-bas.- Qu'est-ce qu'il raconte, ce canard? Diop, ret ire -moi d'abord sa cravache .- Mon commandant, je crois qu'il veut dire que cet homme est un ernissaire

    bwaba, venu vous annoncer la da te de leu r grande chasse annuelle.- Je me fous comme de rna vieille culotte de leur chasse. S'ils croient avoir letemps cette annee pour faire des betises, ils se trompent. Enonnernent !L a grandechasse! Tas d'abrutis! On voit qu'avec la fm de l'esdavage les Noirs sont devennsles plus inutiles de la terre. Heureusement que la colonisation est venue a temps. Lachasse! Voila tout ce qu'ils savent faire ces imbeciles, pendant que le monde entiergrouille et que la guerre ravage des pays. Cette annee vous ne tuerez pas vos freresde la brousse, tu m'entends ? Vous laisserez vos freres en paix et vous payerez mesimpots que je vous demande de payer, sinon c'est moi qui organiserai une grandechasse ou le gibier sera des bwaba, des mossi ... cria-t-il en regardant Soura. Tas desauvages, Diop !

    - Mon commandant!- Appelle-moi Nanga. Tu lui diras de donner cinquante coups de cravache a ce

    sauvage et le double a Sanou ; ensuite tu mettras le bwaba dans le groupe formepour les travaux de Bamako. C'est le dernier avertissement que je te donne, Diop.Tu repondras de ta place si ca traine, Tu es un citoyen francais, tu n'es pas unvulga ire Noir, tu do is comprendre. La si tua tion est alarmante. La guerre est rude, etla France notre patrie n'est pas en bonne posture, c'est le moins qu'on puisse dire.La Turquie et la Bulgarie sont pas sees du cote des Centraux. 11 faut achever dans lesplus brefs delais cette voie Ferree Dakar-Niger pour pennettre l'evacuation desproduits et des tirailleurs. Un recrutement militaire aura lieu dans la premiere se-maine du mois prochain. Cette annee les irnpots doivent etre eleves et surtout

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    34recuperes tres tot. II faut des hommes et de l 'argent a la France. C'est pourquoi j'aidit d'etre severe dans le recensement.A ces mots, le commandant s'appretait a rejoindre son bureau.Nanga, assiste de deux forgos, fouettait Soura et Noupe.Le fouet bril lait le dos, y arrachait a chaque coup une partie de la peau, lechait [eventre de salangue de feu, ne quit tait ces endroits que pour cuire les epaules, grillerla face et bouillir la poitrine. Au onzieme coup, Soura vit plus rouge. C'etaitintenable. II fallait rernedier a cette situation sans attendre.II se redressa tout d'une piece, pivota sur lui-rnerne, esquiva le coup de chicotte,fit semblant de saisir le bras du forgo qui tenait le nerf de bceuf Le forgo voulutfaire un pas en arriere pour l'eviter et commit l'irreparable. Soura se baissa et enlacases pieds. Le forgo s'affala comme un grenier trop plein.Soura se saisi tdu nerf de bceuf et, avant que Nanga et l 'autre forgo ne sortent deleur ahurissement, il battait deja son batteur. Le forgo voulut dans un premiertemps resister, mais les coups etaient tellement violents qu'il finit par prendre sesjambes a son cou en poussant des grognement sourds. Soura emboita son pas et,avec une rage de lionne reduite au veuvage, il faisait tomber des greles de coups.Le commandant riait aux eclats . Le fuyard voulut se refugier dans cette fouletout ebahie qui n'en croyait pas ses yeux. Peine perdue, Soura devenait de plus enplus emporte ; rien ne l'arretait, ilgernissait de rage.Apres un tour complet pendant lequel i lne trouva aucun endroit ou se refugier,le garde fonca vers le bureau du commandant, toujours plus assaisonne de coups,hurlant comme si on le castrait. Malgre son obesite, il grimpa en un bon lesmarches de l'estrade. Renversant tables, chaises et encriers, il se cacha dans lebureau du commandant. Soura s'arreta. Le coumandow etait devant lui; ille fixa etsemit a rire. Soura resta un moment interdit avant de crier:- Ses yeux, ses yeux, c'est un serpent, le nassara-rouge a des yeux de serpent.I l lacha la cravache et voulut s 'enfuir, mais quatre gardes l 'immobiliserent, Lecommandant coupa son rire et dit d'une voix seche:- Enfermez- Ie. Mais je veux le voir demain sans cicatrice. II vous a donne labonne lecon que vous rneritez, Foutez-moi cet arc et ces fleches dans le magasindes armes confisquees.Des oufs inaudibles se confondaient au oui coumandant.

    Le commandant avait regagne son bureau. Fureur. Il reapparut tout rouge decolere, Les forgos paniquerent,- Gardes, lanca-t-il, mettez-moi vite ce bureau en ordre et que ca grouille.Quinze jours de prison a ce salaud. Debarrassez-rnoi vite de ce blaireau au fond demon bureau avant que jene pete sacervelle. Vite, plus vite, hurla-t-il.Trois gardes, apres un garde-a-vous, se ruerent dans la piece pour y extraire leurcollegue, Deux autres s'acharnaient deja a tout remettre en ordre.- Nanga, fais donner une lecon memorable a ce salaud de Sanou. Quelle honte !Tout un garde se laisser battre publiquement par un sauvage! Celui qui se laisseencore ridiculiser de la sorte, sera deshabille sur-le-champ.

    35- Mon coumandant, ze ...- Tais-toi et faisce qu'on te demande.- Oui mon coumandant.

    Soura etait maitenant seul dans une cellule. C'etait lameilleure de toute la prison,celle reservee aux gardes. Abattu, tourmente comme un condarnne passant saderniere nuit sur terre, ignorant tout jusq'au temps, il sentait ses paupieress'alourdir . Allai t- il s 'endormir ou mourir? Tout se brouil lait . Un voile sombre setissait devant ses yeux. Le sommeil ou lamort?IIle sut le lendemain matin quand ilsentit une brillure dans les reins. Il sursauta.Un forgo se tenait devant lui; c'etait lui qui venait de lui administrer avec ses grossabots, ce coup de pied aux reins. OUetait-il? A qui appartenait cette maison?La lurniere se fit jour dans son esprit. La grande chasse. Le monde. SanouNoupe. Le mechant forgo. Le coumandow. Les coups de pied et de baton.- Debout cosson souvasse. Malaire trop a causse ton venir . Coumandant fasselui-rneme. Sanou Noupe kamarade pour nous mouri passeque cent coups dekravasse. Si coumandant n'a pas dit que, pas tousse pas, au nom de die que ti vamort tout de site. Debout sian, vasse fils de sarognard, bougdidandouille, salou,debout avant que ze colere.Le forgo l'empoigna, le tira hors de la cellule.Ille reconduisait dans ce monde decauchemar. Tout ce qu'il avait vu laveille etait en place. Le forgo l'emmena dans ungroupe de jeunes. Tous portaient au cou un collier bizarre. Il n'etait pas fou,c'etaient ce monde, les yeux du nassara-rouge et les bourrades des forgos quiavaient tout change dans son esprit.Allait-on le laisser repartir apres ces epreuves? IIn'avait pas le temps a perdre ici.Personne ne l'aurait d 'ail leurs si on lui donnait une fee de la trempe de Botoni. IIfallaitne pas la connaitre pour vouloir le retenir.Eh ! le nassara-rouge la connaitrait peut-etre et exprimerait ainsi sa jalousie.I~nverrait~illa chercher ? S'il osait, son pere se ferai t plutot tuer que de voir ravir ason fils cette deesse.Quand le coumandow et les forgos viendraient a la grande chasse, i l cacheraitbien sa Botoni dans un grenier; non, dans les collines elle serait plus en securite. Et

    i1 se ferait malade pour pouvoir rester avec elle et la proteger ; tant pis pour lagrande chasse.- Garde, viens ici, dit un commis en s'adressant a un de ses collegues. Voila lenumero du bwaba. Inscris-le sous le nurnero mille-deux-cent-vingt-sept.- Le convoi va quitter peut-etre apres-dernain pour Bamako. On en asuffisamment.- Mais on parle d'un recrutement militaire, parce que la France vient d'avoirheaucoup de pertes dans les operations de Verdun.

  • 5/10/2018 Norbert Zongo- rougbeinga

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    36- Si ca continue, [e crois qu'un jour, nons-memes nous irons faire la guerre en

    Europe.- Non. Tant qu'il yaura ces bougres, nous n'aurons rien a craindre.- Comment s'appel le- t-il enco re, ce bwaba ? Qui le comprend? Garde!- M isse I- Quel est le nom de ce bwaba? Peux-tu le lui demander?- Non rnisse, ze ne comprends pas son parler.- Bon, on lui donnera un nom. Ils sont d'ailleurs tous Gnoumou la-bas. On

    marque Gnoumou baw. C'est lui qu i est venu se faire rec rute r.Soura suivait les discussions les yeux hagards. Le forgo l'avait traine devant lesnassa ramba-noi rs et l e ramenait a nouveau vers les j eunes au colli er.Soura, ahuri, le regardait lui mettre un collier au cou et l'inviter a s'asseoir en

    appuyant fortement su r ses epaules. Ah, qu'il l'agaca it ce forgo avec ses hurlements.Le voila qui s'y remettait. Ne comprenait-il pas .que Soura, un bwaba lucide, nepouvait pas comprendre le langage des fous qu'utilisaient le nassara-rouge et seshommes ? Des fous qui ne savent que s'enerver, frapper et tuer au besoin. Qui estplus fou que celui qui abandonne la terre de ses ancetres pour alier vivre sur celled'autrui? Son grand-pere lui parlait des guerres d'autre fois, mais pas une seule foi s iln'ava it di t que des vainqueurs e ta ient al le s vivre sur la terre des vaincus. La te rre desancetres est la meil leure pour tout homme conscient. Tous les nassaramba-rougessont ...

    "Assi toi souvasse. Si ti leve encore ti voir se qu ze pe fait si mon kaire debout,Ti ve fait la sasse, toue les bisses, les fakons comme toi. Ahaaa, ti va toue lespigasses et les pels a Bamonko.Ton darriere sera comme ca (il repl iai t on index). "

    Soura poussa un ouf de soulagement quand le forgo le quitta. Pourquoi cecoll ie r? N'all ai t-on plus le la isser part ir? N'a lla it -il p lus revoi r sa Botoni ? Il chassarapidement ces affreuses pensees.

    Le coumandow irait certainement a la grande chasse. Certainement que lesforgos voulaient le garder pour certains travaux avant le depart pour la .grandechasse. Mais qu'ils se le tiennent pour dit, il n'attendrait pas longtemps lao EtBotoni? Akaiii !11n'attendrait pas longtemps.

    11 concentra a nouveau son attention sur ce monde sous ce isoleil de plomb. Dequoi vivait-il ? Depuis quand etait-il la ? Quand se disperserait-t-il? Pourquoicertains portaient-ils seulement une pierre, pendant que d'autres en portaientplusieurs?Les forgos partageaient a tout moment la douleureuse et arnere ration de coups.Alors qui de faire le singe, qui de faire le "Soura".

    Dans les familles ou ilmanquait une personne, le chef famille avait une pierresur la tete et appelait a longueur de journees le nom du manquant. S'il arrivait qu'ilrnanquat beaucoup de personnes dans une famille, le chef de famille prenait sarat ion normale de pie rres e t entamait son inte rminable recit al . Les autres membresde la famille recevaient egalement une ration de coups de fouet. Les chefs devil lage, apres plusieurs "cadeaux", acceptaient de ternoigner pour les morts.

    37Lorsque les tortures faisaient leur effet, et qu'un chef de famille qui avait ecarte

    plusieurs personnes avouai t son forfa it, on lui faisa it creuse r, de ses doigts, un troudans Ie sol dur pour y enterrer son mensonge. Ensuite, les doigts ensanglantes, ilI" iurait ramener le ou les manquants qui se rasaient eux-rnernes en chantant : "Lemcnteur n'a jamais de cheveux sur la tete, seules des herbes y poussent."

    I .e commandant vena it de convoquer Diop dans son bureau.- Diop, les retenus pour les travaux de Bamako quitteront demain a l'aube. Cinq

    mili rai res de la garni son de Ouagadougou viennent d'arr iver avec douze gardes d'i cipour renforcer cette escorte. Tu seras du groupe jusqu'a Bobo-Dioulasso. Voicil irine rai re : Koudougou, Dedougou, Bobo-Dioulasso. De Sikasso, ils cont inueront aII, mgouni. Qu'ils ne pas s ent pas par Koutiala car, selon des informations dedernieres heures, une grave epidemic de rneningite ravagerai t la region.

    - J e ferai de mon mieux pour le succes de la mission; pour ce faire, je pense qu'il( 'HI'important d 'avoir une reunion avec les autres mili taires venus de Ouagadougou.

    - Inut ile , je les ai dej a contactes, Je t'ai appele pour te prevenir d'une chose. C'estpossible que rna femme te demande si je suis parti a Dedougou avec vous, J'ai unepeti te reunion avec le Naba Liguidy a part ir de demain.

    - Pour combien de jours mon commandant? Est-ce pour ...- Ne t'occupe pas de ca ! Cela durera le temps d'aller a Dedougou et revenir.

    ( : ,irnprends que je suis fatigue, voila. Ne pose plus de questions a ce sujet. N'as-tupas d'autres questions concernant votre voyage? J'oubliais. Au retour tu passeraschez le pere de Bic pour me demander un peu de yin...B ien mon commandant.]e n'ai plus rien a vous demander.

    - Tu peux te ret irer .

    Soura ramassa lentement son outre qu'un forgo venait de lui jeter. 11 n'y avaitplus que le quart de la farine. "Ce crapaud !g romrnela -t-i l, ila enleve les feuil le s qui1> 1 iuchaient la dechirure.t 'La far ine en trainee montrai t ses pas .

    Qu'on lui dise de partir et il se debarrasserait de cette farine. Il se nourrirait delruits sauvages jusqu'au village. Qu'attendait Noupe pour lui dire de partir ?I'ursonne ne veut parle r de son depart, e t le sole il se couchai t. Botoni !... Non, il!neustcrait pas la cette nuit ; avec ou sans autorisation il rentre rait prepare r sonumriage. Botoni ! 11 fallait qu'illa revit, c'etait sa femme. Tout le monde savait que,"{'Iait sa femme. Tant-qu'il lui resterait un brin d'air dans les soufflets de saP'liITine, personne ne pourraiiit se vanter de lui avoir arrache Botoni, se jura-t-il.Il( 's le lendemain il parti raii it ve rs el le, comme l'abei ll e va vers la fleu r. Pourquo i.utcndre le lendemain ? Cette nuit- rneme ils'enfuirait.

    38

  • 5/10/2018 Norbert Zongo- rougbeinga

    19/82

    Encore till forgo I Pourquoi ne pouvaient-t-ils pas s'exprirner sans hurler, cesvauriens au service de chefs de vauriens, les nassararnba ? Un jour il se vengerait detout ce qu'ils lui avaient fait depuis la veille. Un jour ils verraient de quel feu unDakuo pouvait t bruler . ..

    - Arnene vite le to avant ke la noui noire. Silence Guele de chinge, sinon pasmangement de. Sil ence ou j e fai s cabiner ke lkun.

    Des pri sonniers en file indienne apporta ient dans de grandes cuve ttes en argil e,de grosses boules de gateau de mi l.

    - Descende tout ic i, reprit le forgo. Prosse tout le monde.Les forgos vociferaient d'une telle rnaniere que Soura se surprit a les insulter ahaute voix. Tous les jeunes qui portaient un collier s'interessaient a la nourriture

    dans les cuvettes. Un verit able tohu-bohu s'install a, dornine par les hurlements desforgos. Pourquoi ne pas en profiter ? pensa Soura. II posa son outre et s'eclipsa. Enun temps record ilre joignit le chemin de son vil lage et entarna une course folIe .

    Le garde qui l'avait reveille le matin deboucha de la foule .. II venait pourl 'empecher de prendre sa par t de nourr iture.

    - Pas boukou pour Ie Bwaba. OU sont Iui-merne? VIa son sakoisse ici. Vite,seval. Le salou illa foumalekan.

    Un reveil douloureux. La tete de Soura etait devenue un fardeau enorme pourson cou. Ses cotes lui faisaient mal, ses levres etaient tumefiees comme s'il avaitgoute au miel avant qu'on ne l'eut debarrasse de ses createurs. Tout son corps etaitulcere. La veille i lavait fui , pourquoi se retrouvait- il encore dans cette case? S 'etait-i ltrompe de route? Et ces douleurs? II sursauta quand ilentendit des voix.

    "Lui pas mort ce cosson, lui pas mort vite comme le carnelionl" Les forges ! Euxseuls etaient responsables de sa nouvelle presence ici. II avait entendu la veille desgalops de chevaux et avait voulu se cacher dans un buisson, Trop tard, ils s'etaientprecipi tes sur lui et i ln 'ava it plus rien suo

    "Sort i, bandicosson !T i va voyasse. Al lez vite. Deorrr !"Dans les lueurs de l'aube naissante, les yeux encore lourds de sommeil, pousses

    et ranges comme des bceufs refusant de voir l 'entree de leur etable, mil le-deux-cent-vingts hommes marchaient, trottinaient et couraient sur un chemin poussiereuxqu'ils n'avaient jarnais suivi, pour une destination pour eux inconnue. Dans lesifflement continuel des c ravaches, l es hon ! hon ! incessants qui accompagnaientles coups de crosse, i ls se bousculaient, s 'excusaient et s 'accusaient.

    Dakuo Soura, dans ce groupe, dans ce troupeau, ne savait plus a quoi penser, nia qui penser. Ses craintes etaient fondees : il partait. La tete baissee, la poitrinebaignee des larmes qui lui perlaient du visage, il se demandait s'il vivait uncauchemar ou une reali te . I Iparta it l a d'ou on ne revenait ja rnais.

    39II partait. II mourait. Qu'avait-il fait pour meriter un tel sort? Ses dieux, ses

    uncc tres, son be , l e lai ssa ient parti r pour mouri r comme un chien, sans pleureuses,11~IIlS funerai lle s pour lui permet tre d'avoir aux cotes des an