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PARADIS FISCAUX, SIMPLES FACTEURS CRIMINOGENES L’opinion publique est quelque chose dont il n’est pas possible de ne pas tenir compte, même si elle ne peut avoir aucun impact direct sur le déroulement de la vie politique. Après le terrible 11 septembre et la faillite financière mondiale, l’opinion publique n’est pas restée insensible à la question des paradis fiscaux à travers lesquels circulent les énormes flux d’argent du commerce mondial. Il fut alors fortement question de les éradiquer, de les asséchés 1 , de les défaire 2 , de les fermer 3 ... C’était oublier que les paradis fiscaux sont des Etats, certes souvent petits, mais souverains et que les Nations victimes de fraude fiscale ont pour seule possibilité de faire pression sur eux pour qu’ils s’ouvrent à la coopération en matière d’enquêtes criminelles internationales 4 . Au surplus, sur ces paroles prometteuses, l’opinion publique semblait s’être endormie quelque peu. Mais avec les primaires socialistes et la campagne présidentielle qui s’annonce rude, le thème des paradis fiscaux a repris de l’actualité. D’un sondage CSA-CCFD Terre solidaire (en partenariat avec La Croix et Orange) 5 , il ressort que la société civile ne se serait pas laissée leurrer par l’efficacité proclamée des queques mesures prises pour combattre les paradis fiscaux. Huit français sur dix ne seraient pas dupes. Pourquoi ? Parce que les quelques mesures prises ont été inefficaces et parce que c’est à la racine du mal qu’il faut s’attaquer et non aux effets. L’inefficacité des mesures prises pour lutter contre les paradis fiscaux Ormis le fait que derrière les discours officiels se cache souvent une faible volonté de combattre la criminalité organisée et internationalisée, il y a eu adoption de méthodes dérisoires. Parmi celles-ci, l’établissement des listes noires 6 par les plus beaux organises internationaux, OCDE, ONU, G 20), s’est révélée inadaptée. Outre que ce n’est pas très élégant de montrer du doigt ceux qui sont considérés comme les vilains, encore faudrait-il que ces listes ne soient pas une sorte de 1 Selon un député SPD lors du scandale de l’énorme évasion fiscale allemande de 2008. 2 Eva Joly, La force qui nous manque, Les Arènes 2007, p 145. 3 C. Renouard, la responsabilité éthique des multinationales, PUF 2007, p 503. 4 Voir C. Ducouloux-Favard, Les paradis fiscaux, de la fraude au crime, Riveneuve éditions 2010, p 109 et s. 5 Voir La Croix du 13 octobre 2011. 6 voir nos pages : Les paradis fiscaux, de la fraude au crime, Riveneuve éditions 2011, p 18 et s. 1

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PARADIS FISCAUX, SIMPLES FACTEURS CRIMINOGENES

L’opinion publique est quelque chose dont il n’est pas possible de ne pas tenir compte, même si elle ne peut avoir aucun impact direct sur le déroulement de la vie politique.

Après le terrible 11 septembre et la faillite financière mondiale, l’opinion publique n’est pas restée insensible à la question des paradis fiscaux à travers lesquels circulent les énormes flux d’argent du commerce mondial. Il fut alors fortement question de les éradiquer, de les asséchés1, de les défaire2, de les fermer3 ... C’était oublier que les paradis fiscaux sont des Etats, certes souvent petits, mais souverains et que les Nations victimes de fraude fiscale ont pour seule possibilité de faire pression sur eux pour qu’ils s’ouvrent à la coopération en matière d’enquêtes criminelles internationales4.

Au surplus, sur ces paroles prometteuses, l’opinion publique semblait s’être endormie quelque peu. Mais avec les primaires socialistes et la campagne présidentielle qui s’annonce rude, le thème des paradis fiscaux a repris de l’actualité. D’un sondage CSA-CCFD Terre solidaire (en partenariat avec La Croix et Orange)5, il ressort que la société civile ne se serait pas laissée leurrer par l’efficacité proclamée des queques mesures prises pour combattre les paradis fiscaux. Huit français sur dix ne seraient pas dupes.

Pourquoi ?Parce que les quelques mesures prises ont été inefficaces et parce que

c’est à la racine du mal qu’il faut s’attaquer et non aux effets.

L’inefficacité des mesures prises pour lutter contre les paradis fiscauxOrmis le fait que derrière les discours officiels se cache souvent une

faible volonté de combattre la criminalité organisée et internationalisée, il y a eu adoption de méthodes dérisoires.

Parmi celles-ci, l’établissement des listes noires6 par les plus beaux organises internationaux, OCDE, ONU, G 20), s’est révélée inadaptée. Outre que ce n’est pas très élégant de montrer du doigt ceux qui sont considérés comme les vilains, encore faudrait-il que ces listes ne soient pas une sorte de

1 Selon un député SPD lors du scandale de l’énorme évasion fiscale allemande de 2008.2 Eva Joly, La force qui nous manque, Les Arènes 2007, p 145.3 C. Renouard, la responsabilité éthique des multinationales, PUF 2007, p 503.4 Voir C. Ducouloux-Favard, Les paradis fiscaux, de la fraude au crime, Riveneuve éditions 2010, p 109 et s.5 Voir La Croix du 13 octobre 2011.6 voir nos pages : Les paradis fiscaux, de la fraude au crime, Riveneuve éditions 2011, p 18 et s.

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«boîte de pandorre»7, qu’il n’y ait pas de vides mensongers justifiant le mécontentement de ceux qui y figurent alors que des pays dont la réputation «paradisiaque» n’est plus à faire n’y sont pas mentionnés. Ainsi, ont immédiatement réagi la Belgique, le Luxembourg et le Lichtenstein à l’absence de la Suisse sur la liste noire. L’OCDE depuis 1998 renouvelle chaque année sa liste car certains paradis fiscaux naissent et disparaissent en fonction des besoins du moment ; ce qui est logique. Mais elle le fait aussi en application de la règle qu’elle a posée d’un retrait possible des listes infamantes sur engagement de coopérer. Or, cela consiste à sortie de la liste noire pour la liste grise sur simple promesse, facile à donner ! Puis à accéder à la liste blanche sur preuve de coopération fiscale avec au moins douze pays, limite arbitraire au possible et finalement assez facile à respecter!

Faible volonté de lutte, méthode inefficace aux quels s’ajoute une erreur de cible, tel est l’état de la problématique actuelle.

Erreur de cible car les paradis fiscaux ne sont qu’un outil de la fraude internationale, ils ne sont que les neuds des réseaux du commerce international, d’échanges commerciaux et financiers qui ont pris une dimension nouvelle dans un monde globalisé par la société technicienne8. Il faut preudre en compte que tout Etat souverain est en droit d’organiser sa législation pour qu’elle devienne paradisiaque pour la fraude fiscale ou judiciaire. Cela n’est pas un délit et ne peux l’être. Se servir des possibilités qu’offrent les pays à législation plus favorable ne l’est pas non plus délictueux en soi ; chacun a le droit de se servir du brouillard législatif des paradis fiscaux. C’est la finalité de cette utilisation qui est (ou non) criminelle.

En allant un peu au fond des choses, il apparait que les paradis fiscaux sont criminogènes (comme le révolvère de l’assassin), ils ne sont pas criminels en eux-même ; ce sont les utilisateurs fraudeurs qui le sont.

La bonne cible de la lutte contre la criminalité internationaleLes listes noires ou grises dont il vient d’être question, présentent une

autre insuffisance : pourquoi n’avoir pas établi en parallèle la liste des utilisateurs de ce moyen de fraude que sont les paradis fiscaux ?

Parce qu’il ne faudrait pas toucher aux puissants (aujourd’hui les multinaionlaes)? Parce qu’il est particulièrement difficile de distinguer les multinaonales décentes9 de celles qui ne le sont pas ; parce que les frontières entre le licite et l’illicite sont devenues trop floues ?

7 Expression de G. Duhamel, Les paradis fiscaux, Grancher 2006, p 57 à propos de la liste de l’OCDE.8 Nos pages précitées, p 118 et 122 s’appuyant sur les théories de Jacques Ellul et le «système technicien», apparait dans une société envahie par les techniques et conduit l’homme à répondre à ce qu’attendent ces techniques : l’efficacité sans préoccupation morale.9 Le terme est de C. Renouard, La responsabilité éthique des multinationales, PUF 2007.

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Somme toute, pour être efficace, la lutte doit cibler le crime, cette criminalité internationale qui draine des flux d’argent illicite énormes grâce aux réseaux organisés (c’est à dire à ces réseaux structurés de manière stable bien que mouvante10). La lutte doit pourchasser et sanctionner tous les auteurs de cette criminalité, personnes physiques ou morales.

Pour cela un autre phénomène nouveau de notre monde du XXI° siècle doit être pris en considération. La criminalité organisée, celle qui a une ampleur aux effets destructifs de l’éconmie saine, ne peut se combattre avec les règles du droit répressif du «code de papa».

Quelques exemples simples : Le 17 mars 2009, le sénateur américain Carl Levin, à qui Barack

Obama avait confié la mission de faire des propositions de lutte concrètes contre les paradis fiscaux, a remis son rapport11 et l’on peut y lire une proposition à faire lever les cheveux sur la tête des partisans de la présomption d’innocence telle que née dans les anciens codes répressifs. Carl Levin propose une présomption d’irrégularité dans le fait de se servir de l’opacité d’un réfuge dans un paradis fiscal ; ce qui reviendrait à tout utilisateur d’ un paradis fiscal à devoir prouver, en cas d’enquête judiciaire, le but licite de ce séjour. Une telle présomption est sans aucun doute le meilleur moyen de soulever le voile sur ce qui se pratique dans les paradis fiscaux et judiciaires.

Il est même possible de se demander si une loi est nécessaire pour l’autoriser. La jurisprudence sur les abus des biens sociaux a, dans l’affaire ELF12, usé du même genre de présomption pour établir qu’en cas de prélèvements occultes prouvés, s’en déduisait que le dirigeant les avait utilisées dans son intérêt personnel, sauf à faire la preuve contraire (bien difficile pour lui ! ).

Quant au forum schoping qui permet aux multinationales de multiplier les sociétés filiales dans un très grand nombre de pays (ce qui répond à une bonne technique de distribution des produits fabriqués), il devient facile d’en faire un usage illicite. Or, si les juges peuvent après maintes difficultés établir la fraude et la sanctionner, ils ne peuvent ordonner la «mise à mort» ou la «remise en bonne santé» des sociétés offschorr. Il n’y a que le pouvoir disciplinaire qui pourrait exiger une remise en ordre, mais souvent il se

10 Nos pages précitées, p 197 et s.11 Statment of senator Carl Levin befor Senat finance committee hearing on tax issues related to ponzi schemes and update on offshore tax aven legislation.12 Cass. crim 31 jancize 2007, Bull. crim n° 28.

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contente d’un rappel à l’ordre, un simple blame, au plus une amende et le système peut rester en place13.

Autre exemple, les Italiens qui doivent lutter contre la mafia, ont compris depuis une dizaine d’années la nécessité de confiquer le plus rapidement possible les biens des patrimoines mafieux et de restituer à l’économie saine ce qui a été volé par le crime organisé à la société civile14.

Reste à espérer que la question des paradis fiscaux évoquée à

nouveau à l’occasion des primaires socialistes, soit traitée de manière efficace par les gouverants et également par les autorités répressives qui ne sont pas forcément dépourvues de moyens de lutte même en l’état de la législation actuelle.

CLAUDE DUCOULOUX-FAVARDMaître de conférence honoraireAvocat honraire du barreau de Paris

13 Voir le cas d’une grande banque et ses filiales à 100°/ ° qui ont servi à commertre des délits boursiers, cité dans nos pages sur les paradis fiscaux, p 138.14 La confiscation des biens illicites, Colloque Palerme 17, 18 et 19 novembre 2001, les Petites affiches 2001, n° 218. Cette restauration économique a souvent donné lieu à la création d’exploitations agricoles pour jeunes en difficulté telle Libera dont les produits sont en vente même en France chez La Ruche, 84 quai de Jemmape, paris 10° (voir [email protected]).

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