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1 Contribution à l’histoire du 3° RPIMa Gal D. Roudeillac Paris Match et la bataille de Bizerte Alors que je visitais le remarquable hall d’exposition en rotonde de l’antiquaire Lecomte à Héric, en Loire atlantique 1 , une bonne fée est intervenue pour que ce dernier ait l’amabilité de me faire don du N° 643 2 de l’hebdomadaire Paris-Match en date du 5 août 1961…qui était déposé sur un très beau bureau directoire ! Le lecteur peut se demander à ce stade en quoi le numéro 643 de Paris-Match peut concerner l’Histoire de notre Régiment ! Qu’il lui suffise de se rappeler, qu’une semaine auparavant, le 3° RPIMa participait à l’opération « Charrue » à Bizerte et qu’il agissait en liaison, notamment avec le 2° RPIMa, sous les ordres de l’amiral Amman, du colonel Lalande et du Lt-Colonel Le Borgne, pour dégager la base aéronavale de Bizerte de l’emprise des forces tunisiennes et des sympathisants du Parti du « combattant suprême », Habib Bourguiba, le Néodestour Or Paris-Match a consacré à la bataille de Bizerte, sinon une édition spéciale, du moins un numéro, titré « Bizerte sous les balles », dont la « Une » renvoie à un article de 25 pages et à 19 photos dont 6 en double page. Il m’est ainsi apparu intéressant d’étudier, plus d’un demi-siècle après la diffusion de ce reportage, comment l’hebdomadaire du « poids des mots et du choc des photos » relate ce qui fut un temps fort de l’Histoire du 3° RPIMa…conservant en mémoire le scandaleux article publié au lendemain de l’affaire d’Uzbin en Afghanistan par une journaliste en mal de sensations… Voici ce que j’ai retenu de ma lecture critique, s’agissant des rédacteurs de l’article, des photos publiées et de l’analyse géopolitique, qui introduit la relation des faits. La direction de Paris-Match, qui, à cette époque ouvre ses colonnes à des plumes de renom telle celle de Raymond Cartier, d’Alain Bombard, de Dominique Lapierre, ne lésine pas sur la qualité et les effectifs de l’équipe dépêchée sur les lieux. Six journalistes et photographes vont ainsi rendre compte par l’image et le texte de ce qu’ils voient en arrivant à Tunis, avant de rejoindre Bizerte par la route, et avant même que n’arrivent les 2° RPIMa et 3° RPIMa. L’équipe se compose de deux romanciers de talent, Roger Mauge et Dominique Lapierre, de deux photographes de renom, dont Claude Azoulay et de deux envoyés spéciaux Jacques Le Bailly et Jean-Pierre Biot. Il n’est donc pas étonnant que l’analyse géopolitique préliminaire de Roger Mauge aille à l’essentiel et que le récit des combats de Dominique Lapierre révèle déjà le talent du futur auteur de « Cette nuit la liberté »,de « O Jérusalem », ou de « La cité de la joie », pour ne citer que ces trois ouvrages. Point n’est donc besoin, pour de telles personnalités, de se complaire au scandaleux et à la provocation, de certains plumitifs, qui leur succèderont. Il revient à Roger Mauge de tracer les grandes lignes du cadre politique et géopolitique de « l’opération Charrue ». Son analyse vient en complément du portrait de Dag Hammaskjoeld, 1 www.antiquites-lecomte.com 2 Un numéro que détient en deux exemplaires le conservateur de la salle d’Honneur du Régiment

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Contribution à l’histoire du 3° RPIMa Gal D. Roudeillac Paris Match et la bataille de Bizerte Alors que je visitais le remarquable hall d’exposition en rotonde de l’antiquaire Lecomte à Héric, en Loire atlantique1, une bonne fée est intervenue pour que ce dernier ait l’amabilité de me faire don du N° 6432 de l’hebdomadaire Paris-Match en date du 5 août 1961…qui était déposé sur un très beau bureau directoire ! Le lecteur peut se demander à ce stade en quoi le numéro 643 de Paris-Match peut concerner l’Histoire de notre Régiment ! Qu’il lui suffise de se rappeler, qu’une semaine auparavant, le 3° RPIMa participait à l’opération « Charrue » à Bizerte et qu’il agissait en liaison, notamment avec le 2° RPIMa, sous les ordres de l’amiral Amman, du colonel Lalande et du Lt-Colonel Le Borgne, pour dégager la base aéronavale de Bizerte de l’emprise des forces tunisiennes et des sympathisants du Parti du « combattant suprême », Habib Bourguiba, le Néodestour Or Paris-Match a consacré à la bataille de Bizerte, sinon une édition spéciale, du moins un numéro, titré « Bizerte sous les balles », dont la « Une » renvoie à un article de 25 pages et à 19 photos dont 6 en double page. Il m’est ainsi apparu intéressant d’étudier, plus d’un demi-siècle après la diffusion de ce reportage, comment l’hebdomadaire du « poids des mots et du choc des photos » relate ce qui fut un temps fort de l’Histoire du 3° RPIMa…conservant en mémoire le scandaleux article publié au lendemain de l’affaire d’Uzbin en Afghanistan par une journaliste en mal de sensations… Voici ce que j’ai retenu de ma lecture critique, s’agissant des rédacteurs de l’article, des photos publiées et de l’analyse géopolitique, qui introduit la relation des faits. La direction de Paris-Match, qui, à cette époque ouvre ses colonnes à des plumes de renom telle celle de Raymond Cartier, d’Alain Bombard, de Dominique Lapierre, ne lésine pas sur la qualité et les effectifs de l’équipe dépêchée sur les lieux. Six journalistes et photographes vont ainsi rendre compte par l’image et le texte de ce qu’ils voient en arrivant à Tunis, avant de rejoindre Bizerte par la route, et avant même que n’arrivent les 2° RPIMa et 3° RPIMa. L’équipe se compose de deux romanciers de talent, Roger Mauge et Dominique Lapierre, de deux photographes de renom, dont Claude Azoulay et de deux envoyés spéciaux Jacques Le Bailly et Jean-Pierre Biot. Il n’est donc pas étonnant que l’analyse géopolitique préliminaire de Roger Mauge aille à l’essentiel et que le récit des combats de Dominique Lapierre révèle déjà le talent du futur auteur de « Cette nuit la liberté »,de « O Jérusalem », ou de « La cité de la joie », pour ne citer que ces trois ouvrages. Point n’est donc besoin, pour de telles personnalités, de se complaire au scandaleux et à la provocation, de certains plumitifs, qui leur succèderont. Il revient à Roger Mauge de tracer les grandes lignes du cadre politique et géopolitique de « l’opération Charrue ». Son analyse vient en complément du portrait de Dag Hammaskjoeld,

1 www.antiquites-lecomte.com 2 Un numéro que détient en deux exemplaires le conservateur de la salle d’Honneur du Régiment

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monsieur « H », le secrétaire général de l’ONU de l’époque, rédigé par Jean Maquet et Jack Chargelègue. Ces deux auteurs ne cachent pas que monsieur « H » vient à Tunis sans mandat de l’ONU, et que reprenant à son compte les thèses tunisiennes, l’Amiral Amman le tiendra à distance, au même titre que le général de Gaulle, à l’heure où l’édification du mur de Berlin par la RDA occupe plus les esprits de la communauté internationale que l’affaire de Bizerte. Parmi les raisons (bien connues et évoquées dans quelques livres), qui ont motivé Habib Bourghiba à se lancer à l’assaut de la Base aéronavale (redorer son blason dans le monde arabe et à l’intérieur du pays, réaction de dépit face à la non-réponse de de Gaulle aux propositions formulées par le « combattant suprême », erreur d’appréciation sur les réactions possibles de la France) Roger Mauge insiste sur une motivation rarement évoquée, liée aux revendications tunisiennes sur le pétrole saharien. Ayant occupé militairement la borne 233 dans le Sahara revendiquée par la future Algérie, Bourghiba veut montrer au FLN, qu’il peut éliminer la source de menaces potentielles que représente pour l’ALN la base militaire française de Bizerte et lui signifier en cela qu’il sait aussi s’opposer à Paris. L’auteur de ces lignes, jeune officier à l’époque, eut été heureux de recevoir de telles informations générales avant de s’embarquer à Blida, mais ce n’était pas alors une pratique courante du Haut-Commandement ! Que dire du « choc des photos » ? Nombre d’entre-elles ont fait le tour du monde, tant le talent des deux photographes s’est exprimé avec force dans ces photos de guerre. Car il s’agit bien en effet d’un reportage de guerre, dont on peut dégager quelques enseignements :

La guerre se fait aussi sans casque, sans gilet pare-balles, sans sac de 30 kg, pour plus de mobilité et d’agressivité…

Les combats sont souvent meurtriers, mais on ne laisse pas ses blessés et ses morts sur le champ de bataille.

Les chars ont toute leur place dans les combats urbains. L’adage « qui tient les hauts tient les bas » s’exprime dans les villes par « qui tient les

terrasses, tient les rues ».

Si les 19 photos sont toutes exceptionnelles, les textes destinés à expliquer les scènes sont parfois « fantaisistes » et témoignent de la relativité de l’exactitude des propos des médias..

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Ainsi la belle photo reproduite sur la « Une » indique que « touché à la tête avenue Bourguiba, ce parachutiste du 8° RPIMa (sic) rejoint son groupe sous les balles qui claquent », or le « 8 » n’est pas là, il est à cette époque déjà en métropole.

L’engagement des blindés fut le fait du 8° RIA (régiment interarmes de la Base de Bizerte) ) et non, comme indiqué : « Protégés par le blindage de leurs véhicules, les hommes de l’infanterie de marine braquent leurs armes vers le haut des maisons ».

On peut en outre lire « Nous assistons à la bataille de la casbah » et un peu plus loin : « Mais les paras n’y pénètreront pas », …ce qui correspond bien à la réalité et évacue aussi les heurts dans les ruelles !

Mais de toutes les photos publiées ce jour-là, la plus parlante sans doute de la « geste para » restera le cliché, pris devant « la cimenterie », où « progressant sous le feu des armes lourdes

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tunisiennes, les balles soulèvent la poussière, chacun court pour se mettre à l’abri, ou partir à l’assaut, en portant un blessé….les paras devront faire appel à l’aviation pour réduire la forteresse. » « Le poids des mots » résulte du talent de Lapierre. Or que disent-ils, ces mots ? Ils témoignent d’abord du style d’un conteur engagé dans l’action, dont la vivacité et le ton percutant font vivre le lecteur au rythme du combat. Lapierre ne cite pas les régiments présents. Son récit est celui des troupes parachutistes, des « paras », dont il dit le courage, le panache et l’allant. Mais il parle tout autant « d’une défense acharnée de l’armée tunisienne ». Avec ses photographes, Lapierre suit cette « jeunesse partir à l’assaut avec un courage insensé ». Il est avec le « Trois » à la caserne Japy, à la caserne Lambert, à la porte de Mateur, à la cimenterie et à la gare de sidi Ahmed. Il est encore présent quand la marine enlève le câble qui barrait le goulet de Bizerte. Il suit les compagnies, à l’Est du goulet, aux abords de la casbah, sur l’avenue Bourguiba. Il partage le dépit qu’engendre la décision d’arrêter les combats avant de pénétrer au cœur de la casbah…d’où viendront harceler la 5° compagnie, quelques semaines plus tard, agents du FLN et soldats infiltrés de l’armée des frontières….sans que personne n’en parle, mais dont se souviennent bien certains Anciens du « Trois »…. !. Que faut-il en conclure un demi-siècle plus tard ? L’article de Paris-Match était un bon article, factuel, honnête. La France avait confié une mission aux soldats. Ceux-ci l’ont bien rempli…c’était encore l’époque du « wright or wrong, this is my country ! Laissons le dernier mot à Dominique Lapierre : « C’était une nuit chaude et opprimante et nous avions envie de pleurer ». Il eut pu terminer en disant : « quel gâchis » ! Le « Trois » quitte l’Algérie, douze mois après les faits. La France passe le relais à l’armée tunisienne vingt-quatre mois plus tard.(15 octobre 1963) Quarante-cinq paras du 3° RPIMa auront été blessés et neuf autres tués….Nous nous souvenons d’Eux…. GDI. D. Roudeillac « Orange 2 » à Bizerte et chef de corps du « Trois », vingt et un ans plus tard