Platon Psychanalysé - Luc Brisson

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  • 8/15/2019 Platon Psychanalysé - Luc Brisson

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    Revue des Études Grecques

    Platon psychanalyséLuc Brisson

    Citer ce document Cite this document :

    Brisson Luc. Platon psychanalysé. In: Revue des Études Grecques, tome 86, fascicule 409-410, Janvier-juin 1973. pp. 224-

    232.

    doi : 10.3406/reg.1973.4008

    http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1973_num_86_409_4008

    Document généré le 25/09/2015

    http://www.persee.fr/collection/reghttp://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1973_num_86_409_4008http://www.persee.fr/author/auteur_reg_507http://dx.doi.org/10.3406/reg.1973.4008http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1973_num_86_409_4008http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1973_num_86_409_4008http://dx.doi.org/10.3406/reg.1973.4008http://www.persee.fr/author/auteur_reg_507http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1973_num_86_409_4008http://www.persee.fr/collection/reghttp://www.persee.fr/

  • 8/15/2019 Platon Psychanalysé - Luc Brisson

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    PL TON PSYCH N LYSE

    La

    première question que

    tout lecteur se

    pose en

    ouvrant

    le

    livre d Yvonrès

    intitulé.

    : La

    psychologie de Platon (1), porte

    sur son

    titre. Qu entendre

    ar psychologie

    ? Pour

    Brès,

    ce terme

    signifie non seulement

    «

    les théories

    sychologiques

    professées par Platon

    » et «

    les façons

    de

    penser

    de l homme

    laton

    »,

    mais surtout «

    la

    psychologie

    de

    Platon comme

    base de

    sahilosophie »

    (2). Réponse

    qui annonce un

    essai de psychanalyse de

    Platon, tel qu ilpparaît à

    travers

    son œuvre.e livre se divise

    en trois parties,

    qui décrivent les

    trois étapes

    du

    éveloppement de

    l œuvre

    de

    Platon.

    L échec

    auquel

    aboutit la

    recherche

    d un maîtree

    vertu

    pousse

    Platon à projeter

    dans le

    monde intelligible cet idéal humain.

    ais une démystification s accomplit,

    qui

    dénonce

    cette projection comme

    une

    llusion

    et

    qui instaure un univers du discours.es

    dialogues de jeunesse

    ont

    pour thème commun

    Γάρετή (Hippias

    majeur,

    rotagoras,

    Euthydème).

    Il

    s agit là

    non

    pas d un essai de

    définition, mais d uneecherche

    existentielle (Laches, Charmide, Gorgias). Voilà pourquoi

    Γάρετήe

    trouve au-delà

    du savoir.

    Toutefois, ni la musique ni la poésie ne la

    r nsmettent (Ion,

    République

    I, II,

    III,

    X).

    Seule, semble-t-il, la

    fréquentation d un

    aître peut

    aboutir à

    ce

    résultat.

    Mais ni le père

    ou

    le

    tuteur,

    ni

    l amantEuthydème,

    Alcibiade I,

    discours

    de Phèdre et de

    Pausanias

    dans le

    Banquet,iscours

    de

    Lysias

    dans le Phèdre), ni

    l homme

    d état ne

    se

    présentent

    comme

    es

    maîtres au

    contact desquels

    Γάρετή

    s acquiert. Devant ce premier échec,

    laton

    va,

    sans plus

    de succès,

    tenter

    de

    fonder son

    exigence α άρετή

    non plus

    ur des

    êtres humains, mais sur

    ces

    abstraits inhumains

    que sont

    l âmeAlcibiade

    I, Gorgias,

    Crilon),

    le nom

    (Cratyle)

    et la religion

    traditionnelleEuthyphron,

    Apologie de Socrate).e

    Ménon

    consacre

    l abandon définitif

    d une

    recherche

    existentielle de

    άρετή, à laquelle se substituent (Phédon)

    une

    attitude,

    la

    φρόνησις,

    et

    un projet,έπιστήμη.

    Mais la théorie de la

    réminiscence, qu on

    ne peut

    séparer

    de la

    onction du rêve, vient

    marquer

    tout

    de suite le caractère infra-rationnel de

    cetdéal qui, tout naturellement, semble, au

    premier abord, totalementntellectualiste.

    En fait,

    φρόνησις, réminiscence et

    rêve

    ne

    se

    comprennent que

    parapport à

    l expérience de la mort

    qui

    leur

    fournit un

    contenu, en ce

    sens

    quea

    φρόνησις se présente comme pensée pure, c est-à-dire débarrassée

    de

    toutenterférence corporelle,

    que la réminiscence conduit directement vers

    un

    en-deçàt vers

    un

    au-delà de la vie

    humaine,

    et que le rêve

    débouche sur

    la

    mort,

    (1) Y. Brès, La

    psychologie de

    Platon,

    Paris,

    1968.

    (2) Y. Brès, « La psychologie

    de

    Platon »,

    RPh, 158, 1968, p.

    201.

  • 8/15/2019 Platon Psychanalysé - Luc Brisson

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    PLATON

    PSYCHANALYSÉ 225

    notamment dans

    le

    Criton.

    Or,

    dans

    l œuvre

    de

    Platon, la

    mort

    se

    spécifie

    en

    celle

    de

    Socrate

    (Apologie,

    Phédon),

    qui

    efface

    définitivement

    la

    figure

    du

    porteur

    α άρετή.

    A la

    suite

    de ce

    drame,

    des

    constructions métaphysiques

    remplacent

    Γάρετή,

    et la fascination des idées et de l âme

    isolée

    du corps se

    substitue à celle d un individu

    humain,

    représentant

    de la

    culture

    aristocratique

    du

    ve

    siècle.

    De

    ce

    fait,

    l idéal

    humain

    est

    projeté et figé dans

    un

    au-delà.

    Mais la duplicité marque l amour qui, après avoir

    engendré

    ces illusions,

    les détruit en les démystifiant par

    le

    discours.

    Ge

    processus

    de démystification,

    amorcé dans le

    Banquet,

    s achève dans le Phèdre,

    s impose la reconnaissance

    du fait

    que

    la recherche

    de Γάρετή est,

    avant tout, recherche

    de soi.

    Reconnaissance fragmentaire pourtant qui, par

    ailleurs, aboutit

    à

    l instauration

    d un

    univers du

    discours. A

    la

    doctrine des formes intelligibles (1),

    désormais

    définitivement abandonnée (Phèdre,

    Parménide, Théétète), se substitue

    une logique

    classificatoire (Sophiste). La

    dernière philosophie de

    Platon est donc

    moins

    humaniste

    que

    celle

    de sa

    jeunesse.

    Ge

    qui

    ne

    l empêche pas

    de

    développer

    une science et une pratique plus

    attentives à

    la vie concrète.

    Voilà

    pourquoi

    les derniers

    dialogues de Platon

    (Timée

    et Lois)

    s intéressent

    tant

    à

    la médecine,

    à la

    psychiatrie et même

    à

    une certaine psychologie

    structurale. Voilà

    pourquoi

    aussi

    se substitue aux

    maîtres introuvables le

    législateur, qui

    ne reculera pas

    devant

    le recours aux

    forces

    erotiques

    pour

    assurer

    la

    contrainte

    sociale et la

    persuasion.

    L ensemble des dialogues de

    Platon s intègre donc parfaitement,

    en

    apparence du moins, dans cette

    explication globale

    qui, pour brillante

    qu elle

    paraisse,

    n en est pas moins très contestable, aussi bien

    au

    niveau de

    son

    objet

    qu à

    celui

    de sa

    méthode.

    D une

    part, en effet,

    l interprétation

    de

    la

    philosophie platonicienne

    à

    laquelle

    se

    rallie Brès est

    sujette à discussion,

    notamment

    sur

    ces deux

    points

    fond ment ux

    :

    l évolution

    de la

    pensée

    de

    Platon

    et

    la

    doctrine

    des

    formes

    intelligibles.

    Étant donné l orientation

    et le

    déroulement

    de

    ses recherches,

    Brès doit

    faire l hypothèse d une

    évolution

    de la

    pensée

    de

    Platon

    (2).

    Personne

    ne peut

    nier

    qu effectivement

    la

    pensée

    de

    Platon

    a

    évolué. Toutefois, il s avère très

    difficile

    de s entendre

    sur

    le sens de

    cette

    évolution. S agit-il

    du

    développement

    progressif

    d une

    pensée qui

    s élabore

    en proposant

    des

    solutions originales aux

    problèmes qui se posent

    à

    elle

    à

    mesure

    qu elle

    étend le champ de

    ses

    investigations, ou

    de la

    succession

    de

    plusieurs

    états

    distincts,

    séparés

    les uns

    des

    autres par

    des

    crises brutales et profondes

    ?

    Brès privilégie le second membre

    de l alternative.

    Toutefois, plusieurs

    spécialistes

    optent

    pour le premier, en

    faisant valoir

    qu il est

    aisé

    de comprendre l ensemble de

    l œuvre

    de

    Platon

    comme

    un

    tout

    relativement

    cohérent,

    et surtout que l hypothèse

    d une

    évolution radicale de

    la pensée

    de

    Platon constitue essentiellement

    une

    réponse

    (1) On

    ne comprend pas

    très

    bien pourquoi Brès s attache

    obstinément à

    utiliser

    le terme « idée »

    pour

    traduire είδος

    ou

    ιδέα, surtout après avoir fait

    un

    développement

    très intéressant

    sur

    les notions ά εΐδος et α ίδέα

    comme

    forme

    (cf.

    Y. Brès, La

    psychologie de

    Platon,

    pp. 197-200).

    Nous sommes parfaitement

    d accord

    avec

    A. Diès (Notice du Parménide, Œuvres complètes

    de

    Platon,

    VIII/1,

    Les

    Belles

    Lettres,

    pp. 4-5, n. 1)

    sur l avantage

    que présente le terme

    « forme »

    pour

    traduire είδος

    ou ιδέα.

    Pour

    notre

    part,

    nous estimons

    qu en

    outre il faut spécifier « forme » par l adjonction de

    l adjectif

    « intelligible ».

    (2)

    Y.

    Brès, La psychologie de Platon, pp. 13-15.

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    226

    LUC BRISSON

    au problème

    que

    rencontrent les tenants

    de l existence

    d une doctrine

    non-écrite

    de

    Platon s avérant

    radicalement

    différente

    de celle des dialogues. Mais

    rien

    n est

    moins

    assuré

    que l existence

    d une

    telle doctrine non-écrite. Certes,

    pour

    le moment,

    Kramer (1)

    et

    Gaiser (2)

    la

    soutiennent avec vigueur.

    Toutefois,

    ils

    n ont

    pas encore mis en œuvre une

    critique

    vraiment satisfaisante

    des

    remarquables travaux

    de

    Cherniss (3) qui, avec

    un

    luxe

    incomparable de

    textes et

    d arguments, aboutissent

    à

    ces

    deux

    conclusions

    :

    l existence d une doctrine

    non-écrite de

    Platon ne se

    fonde

    sur

    aucun

    témoignage décisif ; bien plus,

    une

    telle

    doctrine non-écrite

    équivaut soit à

    une

    compréhension

    erronée de la

    doctrine

    des

    dialogues, soit

    à

    une reconstruction

    à

    but polémique.

    Or,

    le problème de l évolution de la

    pensée

    de

    Platon

    est intimement

    lié à

    celui de la doctrine des formes

    intelligibles,

    qui

    constitue

    le noyau de

    cette

    pensée.

    Chose curieuse,

    qui ne

    laisse pas

    d étonner, Brès estime

    que la

    doctrine

    des

    formes intelligibles

    revêt

    trop

    d importance

    aux

    yeux des commentateurs

    de Platon (4). Empruntée par Platon

    aux

    Pythagoriciens (5), la

    doctrine des

    formes

    intelligibles,

    absente

    des

    dialogues

    de

    jeunesse

    (6),

    apparaîtrait, dans

    les

    dialogues de

    maturité, comme

    une doctrine

    déjà

    connue (7),

    et

    aurait disparu

    des dialogues de vieillesse (8).

    L hypothèse d un emprunt

    aux

    Pythagoriciens de la doctrine

    des

    formes

    intelligibles ne peut être

    rejetée

    d entrée de jeu comme invraisemblable.

    Toutefois, l absence de

    tout exposé

    systématique et

    relativement complet

    de

    la

    doctrine

    pythagoricienne

    rend

    toute démonstration

    impossible. Par

    ailleurs,

    il faut remarquer que, alors

    que

    les Pythagoriciens s intéressent avant tout

    à

    la quantité,

    Platon

    estime qu une explication quantitative de la nature doit

    être complétée par une explication qualitative, celle que

    permet

    la doctrine

    des

    formes intelligibles

    (9).

    En outre,

    parce

    qu il

    soutient que la doctrine des

    formes intelligibles

    est

    absente

    des

    dialogues

    de jeunesse,

    Brès ne peut

    s empêcher de

    répéter

    que

    Cratyle

    439

    c-d

    ne fait

    pas

    mention

    d une

    forme

    intelligible

    (10),

    affirmation

    se

    fondant

    sur

    l autorité de

    Lutoslawski

    (11) et de

    Dupréel

    (12).

    Toutefois, presque

    (1) A.

    J.

    Krâmer, Arête bei

    Platon und

    Aristoleles,

    AHAW,

    Philos.-histor.

    Klasse, 1959, 6, Heidelberg, 1959.

    (2)

    Κ. Gaiser, Plaions ungeschriebene Lehre, Stuttgart, 1963.

    (3)

    H. Cherniss, Aristotle s criticism of Plato

    and

    the academy,

    Baltimore,

    1944

    ; The riddle

    of the early academy,

    Berkeley, 1945.

    (4)

    Y.

    Brès, La psychologie

    de

    Platon, pp.

    200-205.

    (5) Id., p. 20, n. 97.

    (6) Id.,

    p. 200.

    (7)

    Ibid.

    (8)

    Id.,

    pp.

    266-269.

    (9) Dans le

    Timée,

    par

    exemple,

    où il

    décrit avec

    tant

    de détails

    le

    soubassement mathématique de

    l âme

    (35

    a - 36 b)

    et

    du

    corps (53 c

    - 55

    d, cf.

    31b -

    32 c) du

    monde,

    Platon

    maintient, de façon

    explicite, la

    doctrine des formes

    intelligibles (51

    b-e).

    (10)

    Y. Brès, La

    psychologie de

    Platon,

    p. 102, n.

    40;

    p.

    112;

    p.

    156;

    p.

    156,

    n. 12

    ;

    p.

    157 ;

    p. 157, n. 15

    ;

    p. 200, n.

    92.

    (11)

    W. Lutoslawski,

    The origin and growth of Plato s logic, London, 1897,

    p. 224.

    (12) E. Dupréel,

    Les

    sophistes, Paris, 1927, pp.

    278-9.

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    PLATON

    PSYCHANALYSE 227

    tous

    les

    interprètes de

    Platon

    s accordent

    à

    voir

    dans

    ce

    passage

    l un

    des

    premiers

    textes

    portant

    sur

    les

    formes

    intelligibles (1).

    Enfin,

    l affirmation est radicalement

    erronée, selon laquelle

    la

    doctrine

    des

    formes intelligibles

    est

    définitivement

    abandonnée dans

    les

    dialogues de

    vieillesse. Une affirmation

    de ce

    genre se fonde sur

    une

    certaine

    interprétation

    du Parménide (2) et

    sur

    la

    conviction

    de l existence

    d une doctrine non-écrite

    de Platon, dont

    on

    cherche

    à

    discerner les signes avant-coureurs dans la dernière

    philosophie

    de Platon. Mais

    comment

    comprendre le

    Sophiste

    (3), le Timée

    (4)

    et

    même

    les Lois (5), sans faire référence

    à

    la doctrine

    des

    formes

    intelligibles

    ?

    En fait,

    dans le Parménide sont posés le problème de

    la

    participation des

    choses

    (1) A. Diès, Autour de Platon,

    II,

    Paris, 1927, pp.

    482-5 ;

    L. Robin, Platon,

    Paris,

    1968, p.

    77

    ;

    G.

    M.

    A.

    Grube,

    Plato s

    thought,

    London,

    1935,

    pp. 13-16.

    Par

    ailleurs, l interprétation

    de

    Cratyle

    439

    c-d

    ne

    peut

    être

    séparée

    de

    celle

    de

    389 a-b. Or, l interprétation

    que

    donne Brès

    de ce passage (La psychologie

    de Platon, p.

    107 ;

    p. 107, n. 57

    ;

    p. 108

    ;

    p. 108, n. 59) est aussi inacceptable

    que celle qu il

    donne du

    premier.

    En

    effet,

    forcé

    de

    reconnaître

    que ce texte

    fait

    référence,

    ne

    fût-ce

    qu à

    titre d allusion,

    aux notions

    de

    forme intelligible

    et de démiurge, il

    affirme

    tout

    simplement

    la thèse qu il soutiendra plus loin

    ;

    c est-à-dire

    que ces

    notions

    appartiennent

    au domaine

    des illusions que

    Platon

    récusera plus tard : « Dès le Cratyle, en effet, nous entrons dans

    ce

    monde

    « fictif » du

    platonisme

    qu a

    retenu la

    tradition. Ce monde

    est

    « fictif »

    même

    si, conformément à

    une interprétation

    classique

    fort discutée depuis cent

    ans,

    Platon

    a

    cru

    aux

    Idées, au

    Bien

    et au Démiurge comme

    à

    des

    êtres existant par

    eux-mêmes

    hors du

    sensible,

    car

    ce «

    réalisme

    » suppose une option, une

    démarche. » (La

    psychologie de

    Platon, p. 108). Or, nous démontrerons, plus loin,

    que

    cette

    option ou

    cette

    démarche

    que

    Brès

    croit

    discerner sous

    la

    philosophie

    de

    Platon

    ne

    se

    réfère

    à

    rien.

    Voilà

    pourquoi il vaut

    beaucoup

    mieux comprendre

    ce

    passage dans

    un

    sens plus

    classique,

    mais aussi plus

    exact.

    Cf. G. M.A. Grube,

    Plato s thought, pp. 13-16, et

    V.

    Goldschmidt, Essai

    sur

    le Cratyle

    de

    Platon,

    Paris, 1940, pp. 68-84.

    (2) On lira

    sur

    le sujet

    l importante

    introduction que R. E. Allen

    a

    donné

    au

    recueil d articles qu il

    a

    réunis sous le titre de

    Studies

    in

    Plato s metaphysics,

    London, 1965, pp. ix-xii.

    (3) Dialogue qu on considère comme

    une

    tentative

    de

    solution du problème

    de la participation

    des

    formes

    intelligibles

    entre elles. Cf. F. M.

    Cornford,

    Plato s theory

    of

    knowledge,

    London, 1949, pp.

    1-13.

    (4)

    Y.

    Brès, qui semble classer le

    Timée parmi

    les dialogues

    de

    vieillesse,

    ne paraît pas

    troublé

    par le

    fait qu on

    y trouve la

    présence

    de la doctrine des

    formes

    intelligibles. On

    le

    serait

    à

    moins.

    De

    toute

    façon,

    G.

    E.

    L.

    Owen, qui

    avait

    déjà

    pris

    conscience

    de ce

    problème,

    avait

    tenté de

    le

    résoudre

    en

    abaissant

    la

    date

    de la composition

    du

    Timée (cf. G. E. L.

    Owen,

    «

    The place

    of

    the

    Timaeus

    in

    Plato s

    dialogues

    », CQ, N. S. Ill, 1953, pp. 79-95, repris dans SPM,

    pp. 313-338). H. Cherniss

    lui

    répondit en

    écrivant,

    deux excellents

    articles

    (cf.

    H.

    Gherniss, « The relation

    of

    the Timaeus to Plato s later

    dialogues », AJP,

    78, 1957, pp. 225-266, repris dans SPM, pp. 339-378 et «

    Timaeus,

    38

    a

    8 b 5 »,

    JHS, 77, part

    I,

    1957, pp. 18-23).

    (5) Cf.

    l ancien,

    mais toujours excellent

    article de V.

    Brochard, « Les

    Lois

    de Platon et la théorie

    des

    idées », dans Études de philosophie

    ancienne

    et

    de

    philosophie moderne,

    Paris,

    1929, pp. 151-8.

  • 8/15/2019 Platon Psychanalysé - Luc Brisson

    6/10

    228

    LUC BRISSON

    sensibles aux formes intelligibles, résolu, en

    ce

    qui

    concerne la

    nature,

    dans le

    Timée et, en ce qui concerne la politique, dans les Lois, et celui de la participation

    des

    formes

    intelligibles

    entre elles,

    qui

    trouve

    sa

    solution

    dans

    le

    Sophiste.

    Loin

    d en

    être

    absente,

    la

    doctrine

    des

    formes

    intelligibles,

    qui constitue

    le noyau de la pensée de Platon,

    trouve

    donc

    son

    achèvement dans

    les

    dialogues

    de

    vieillesse où sont posés

    et résolus

    les problèmes, déjà discernables dans le

    Phédon,

    de la participation des

    choses

    sensibles

    aux

    formes intelligibles et des

    formes intelligibles entre elles. En définitive,

    la

    pensée

    de Platon

    a

    bien évolué,

    mais

    dans le cadre

    d un

    développement

    progressif

    ne

    rompant jamais avec

    la

    doctrine

    des

    formes intelligibles.

    On voit alors mal comment l œuvre

    de

    Platon correspond

    à

    une

    expérience

    psychologique

    marquée

    par une série de crises profondes.

    Selon

    Brès, en

    effet,

    dans les dialogues de

    jeunesse,

    la recherche de Γάρετή implique la

    fréquentation

    d un

    homme vivant,

    paré

    de

    toutes les qualités physiques, morales et

    intellectuelles pouvant séduire

    un

    Grec

    du

    ve

    siècle. Mais l impossibilité

    de

    trouver un

    tel

    porteur

    α άρετή

    et

    la

    mort

    de

    Socrate

    consomment

    définitivement

    un

    échec

    à ce

    niveau.

    La

    crise

    ouverte

    par

    cet

    échec

    porte

    Platon

    à mettre

    en

    œuvre une

    création

    métaphysique,

    qui n est

    que le

    déguisement

    de

    goûts

    erotiques homosexuels.

    En fait, conformément aux

    caractères de la paranoïa,

    la

    création

    de la doctrine des

    formes

    intelligibles

    s apparente au

    mécanisme

    psychotique

    qui

    réduit

    le

    bien

    et les formes intelligibles

    à

    n être que les

    projections des images des hommes aimés et notamment

    du père,

    étant

    donné

    que

    l homosexualité

    a

    pour origine

    un certain

    type d attachement au père

    permettant

    la

    définition du moi.

    Or, dans le Banquet et dans le Phèdre, s amorce et

    est menée

    à

    terme une auto-analyse où le discours fait

    prendre

    conscience

    à

    Platon

    de

    la

    mystification que constitue

    la

    doctrine

    des

    formes intelligibles.

    Le

    fait

    que l amant découvre

    qu effectivement

    il ne

    recherche qu une

    image

    de soi dans

    l aimé lui fait

    entrevoir le

    bien

    et

    les formes intelligibles comme

    des

    illusions issues

    d un

    processus psychotique. Et, au

    terme de cette

    démystification

    erotique qui

    n équivaut

    qu à

    une

    reconnaissance

    fragmentaire,

    s instaure

    un

    univers du discours qui marque l arrêt du grand

    élan

    créateur platonicien.

    De

    même que

    l interprétation générale

    de la philosophie de

    Platon sur

    laquelle

    elle

    se

    fonde, cette explication psychanalytique, pour brillante

    qu elle

    paraisse, n en

    prête pas moins

    à

    des objections

    radicales. Mais, avant d en

    discuter

    chacune

    des

    étapes, il faut, d abord, se demander

    à

    quels

    auteurs

    Brès

    fait référence. En effet,

    ce

    n est

    un

    secret pour personne que le milieu

    des

    psychanalistes a été,

    est et

    sera

    toujours profondément divisé.

    Brès,

    qui

    s inspire essentiellement

    de Freud

    (1)

    et de

    Lacan

    (2),

    se

    réserve

    le

    droit de

    choisir, chez

    ces

    deux auteurs, les

    idées

    qui lui conviennent. La chose

    ne laisse pas d étonner, car on pourra toujours

    discuter

    de la pertinence d un

    tel choix. En outre, les deux œuvres de Freud (3)

    sur

    lesquelles Brès fonde

    (1) Y. Brès, La

    psychologie de Platon, p.

    18.

    (2) Id.,

    pp.

    18-19.

    (3) Eine Kindheitserinnerung

    des Leonardo

    da Vinci

    (1910),

    G.

    W.

    Bd. VIII,

    pp. 117-211

    ;

    trad. Marie Bonaparte, Un souvenir d enfance de

    Léonard

    de Vinci,

    Paris, 1927. Et

    Psychoanalytische

    Bemerkungen ùber einen

    autobiographisch

    beschriebenen

    Fall

    von Paranoia

    (1911), G. W.

    Bd. VIII,

    pp. 239-320;

    trad.

    Bonaparte-Loewenstein

    : « Remarques psychanalytiques

    sur

    l autobiographie

    d un

    cas de

    paranoïa

    (Le

    président Schreber) », in Cinq

    psychanalyses, Paris,

    1954, pp. 236-324.

  • 8/15/2019 Platon Psychanalysé - Luc Brisson

    7/10

    PLATON

    PSYCHANALYSÉ

    229

    son

    analyse

    ne

    sont

    pas

    exemptes

    de

    critiques,

    dont

    certaines

    sont

    radicales.

    Et

    enfin, Brès

    développe

    son interprétation du

    Banquet

    à

    partir de séminaires

    de

    Lacan portant sur

    ce

    dialogue

    de

    Platon

    (1). Mais

    on

    ne peut s y référer,

    car le

    texte de ces

    séminaires

    n a

    pas

    encore été

    publié.

    Ce qui s avère d autant

    plus grave que

    Brès

    s excuse

    d avance

    de

    n avoir

    peut-être pas bien interprété

    certaines

    idées

    émises par

    Lacan (2).

    Comment vérifier

    ?

    En

    définitive,

    la

    méthode utilisée par Brès

    est

    aussi mal définie que l objet auquel

    elle

    s applique.

    Voyons ce que cela

    donne concrètement.

    Selon

    Brès, les

    dialogues de jeunesse

    ont

    pour

    thème

    commun une

    recherche

    de Γάρετή.

    Gela

    est

    exact. Cependant,

    il nous paraît hasardeux d insister

    sur

    le caractère masculin de Γάρετή. La chose

    allait

    de soi

    dans le contexte socio-culturel

    de

    l époque. En effet,

    la

    cité grecque

    se

    présentait essentiellement

    comme un

    club d hommes.

    Les

    femmes n y

    jouaient

    aucun

    rôle politique

    (3).

    Voilà

    pourquoi

    on n y définissait

    aucune

    vertu propre

    aux femmes,

    du

    moins

    relativement

    à la

    chose publique.

    En

    définitive, une

    recherche

    de

    Γάρετή

    pourvue

    d un

    caractère masculin

    ne confirme

    ni

    n infirme l hypothèse

    de l existence de tendances homosexuelles

    chez

    Platon. Brès

    se

    montre

    très

    prudent relativement

    à

    des

    amours

    masculines

    de

    Platon.

    Cela

    affaiblit d autant son hypothèse, mais ne

    la

    détruit

    pas

    : il se

    pourrait

    très bien que les prétendues

    tendances homosexuelles

    de Platon n aient

    été

    que latentes.

    Toutefois, des

    goûts erotiques

    homosexuels

    ne

    suffisent pas

    à

    expliquer

    la

    paranoïa. En

    effet,

    le délire paranoïaque

    a

    pour cause des humiliations et

    des

    rebuffades

    sociales

    relatives à

    ces goûts erotiques homosexuels (4). Certes,

    nous ne connaissons pas bien le contexte

    sexuel

    dans lequel

    a

    vécu Platon,

    mais

    les œuvres

    littéraires

    grecques qui nous sont parvenues sont loin de

    présenter l homosexualité sous

    un jour

    défavorable. Bien

    au contraire, elles

    lui décernent souvent

    des

    éloges.

    On

    pourrait

    toujours

    rétorquer sur

    ce

    point

    qu il

    s agit, dans

    le

    cas

    de

    Platon,

    d une

    auto-censure. Cela

    est

    vraisemblable.

    Mais,

    comme Platon est mort

    depuis

    plus

    de

    vingt siècles

    et

    qu aucune

    information indiscutable ne nous

    est

    parvenue

    à

    ce

    sujet, il serait pour le

    moins

    hasardeux de postuler l existence d une telle auto-censure.

    Admettons

    pourtant,

    ne

    fût-ce

    que

    par hypothèse, qu il

    en est

    comme

    Brès

    le croit, c est-à-dire

    que

    le

    mécanisme psychotique de la

    paranoïa

    a

    déclenché

    une projection

    ayant

    pour objets

    les

    formes intelligibles

    unifiées

    par le bien.

    Encore faudrait-il démontrer

    avec

    évidence comment la réminiscence est liée

    à

    la

    régression

    qu implique

    la

    paranoïa. En effet, selon Freud

    (5),

    le refoulement

    expliquant la

    paranoïa comprendrait trois

    phases

    : la

    fixation, le

    refoulement

    proprement

    dit et

    le retour du

    refoulé.

    Or, cette

    dernière phase

    consisterait

    en une régression de la libido vers les êtres qui ont

    déjà

    été

    aimés, mais

    dont

    l amour

    a été refoulé

    et, en définitive, vers le

    moi constitué à

    partir de ces

    (1) Y.

    Brès, op. cit., pp. 19-21.

    (2) Id.,

    pp.

    18-19.

    (3) Sur

    ce point, on

    lira avec intérêt

    l article de P. Vidal-Naquet,

    « Esclavage

    et

    gynécocratie

    dans

    la

    tradition, le

    mythe,

    l utopie

    »,

    dans

    Recherches sur les

    structures

    sociales dans Γ antiquité classique, Paris, 1970, pp. 63-80.

    (4)

    S. Freud, «

    Remarques

    psychanalytiques

    sur l autobiographie d un

    cas de

    paranoïa », dans Cinq psychanalyses, p. 305.

    (5)

    S. Freud, « Remarques psychanalytiques

    sur

    l autobiographie d un cas

    de paranoïa », dans Cinq psychanalyses, pp.

    311

    sq.

  • 8/15/2019 Platon Psychanalysé - Luc Brisson

    8/10

    230

    LUC

    BRISSON

    expériences

    :

    d où

    la

    référence au narcissisme (1). Voilà

    pourquoi la

    connaissance

    équivaut

    pour Platon,

    à

    une reconnaissance et, ultimement,

    à

    une reconnaissance

    de

    soi. Ainsi

    prendrait

    un

    sens

    concret

    et

    actuel

    la

    théorie

    de

    la

    réminiscence,

    si étrange pour

    un

    homme du xxe siècle. Cette

    hypothèse,

    selon laquelle la

    réminiscence

    s apparente

    à

    la récupération, si

    importante

    en psychanalyse,

    d un vécu antérieur, paraît

    attrayante.

    Mais,

    en

    fait,

    elle ne repose

    sur

    rien,

    puisque les

    critères de vérification

    qu elle

    implique sont

    inacceptables.

    En effet, premièrement, le processus

    de

    retour

    vers

    le passé

    individuel

    n a

    aucune existence

    chez

    Platon. D une

    part on

    ne peut trouver d indication

    en ce sens dans

    les

    dialogues. Et d autre

    part l enfance,

    pour Platon, quoi

    qu en dise

    Brès (2), est le lieu de

    l irrationnel

    (3).

    Car l âme, qui vient

    de

    tomber

    dans un

    corps, est, par le

    fait

    même,

    privée

    de la

    vision

    des

    formes intelligibles

    qu elle ne pourra contempler

    de

    nouveau

    que

    par l intermédiaire

    d une

    ascèse

    poussée et au terme d un long

    effort

    de stabilisation. C est donc

    dire

    que la

    réminiscence

    ne

    se

    présente

    absolument

    pas

    comme un

    processus de retour

    vers

    le

    passé

    concret

    d un

    homme particulier,

    mais comme

    un

    processus

    de

    découverte de la

    préhistoire intelligible

    de

    toute âme,

    indépendamment des

    conditions concrètes

    de

    son

    incarnation

    :

    ce

    qui exclut d emblée toute référence

    au

    complexe

    d Œdipe,

    même

    comme structure

    universelle.

    Deuxièmement, dans les dialogues de

    maturité,

    la

    réminiscence

    porte le

    caractère d une érotisation non

    pas

    directement, mais par

    association

    d idées

    et évocation par ressemblance (4).

    Troisièmement, seul un certain type d interprétation du

    Banquet

    et du

    Phèdre,

    type d interprétation

    que nous récusons, permet

    à

    Brès

    d affirmer

    que

    « l acte

    de

    récupération du passé qu inaugure le

    Ménon trouve

    un

    jour

    son

    achèvement

    »

    (5).

    En effet, cela

    implique que le

    Phèdre soit compris comme

    un

    effort de réconciliation de Platon

    avec

    lui-même, ou comme le terme d une

    auto-analyse où les illusions sont détruites,

    alors

    qu est reconnue l expérience

    erotique

    homosexuelle

    et

    narcissique qui

    fondait

    ces

    illusions.

    Pour que

    cela

    soit

    exact, il faudrait

    qu aient été

    abandonnées, après le Phèdre,

    les

    doctrines des

    formes intelligibles

    et de la

    réminiscence. Or, Platon n abandonna

    ni l une ni

    l autre. La doctrine des formes

    intelligibles

    joue, même

    après

    le Phèdre, son rôle

    habituel, c est-à-dire celui de

    fondement

    ontologique

    global.

    Et celle de

    la

    réminiscence est

    affirmée avec

    encore

    plus

    de

    vigueur

    dans

    les derniers dialogues,

    puisqu au

    lieu de

    se

    fonder

    sur

    des

    expériences contingentes

    elle

    dépend alors

    d une

    technique

    :

    la

    dialectique comprise comme méthode

    de

    division

    et de

    rassemblement.

    Enfin, quatrièmement, le mouvement

    philosophique

    qui se déploie entre le

    Phédon

    et le

    Phèdre

    se

    présente non comme un passage

    radical,

    mais comme

    l approfondissement

    d une doctrine

    identique.

    Bref, aucun

    des

    quatre critères

    de

    vérification présentant

    la

    réminiscence comme le processus

    de

    récupération

    (1) Y. Brès, La

    psychologie de

    Platon, p. 255.

    (2) Id., p. 165.

    (3) Qu on

    relise Tim.,

    42

    e -

    44

    d.

    (4) Brès

    paraît

    très

    embarrassé lorsqu il cherche

    à citer

    des textes

    à l appui

    de

    ses affirmations selon

    lesquelles la

    réminiscence porte

    un

    caractère

    d érotisa-

    tion

    direct

    (cf. La

    psychologie de

    Platon, pp. 165-8).

    (5) Y. Brès, op. cit., p. 163.

  • 8/15/2019 Platon Psychanalysé - Luc Brisson

    9/10

    PLATON

    PSYCHANALYSE 231

    d un vécu antérieur refoulé ne peut être établi.

    Il

    semble donc que,

    même

    séduisante,

    cette

    hypothèse

    soit

    absolument

    inacceptable.

    Cela

    étant

    dit, il va

    de soi que la

    troisième

    étape

    du

    développement

    psychologique que Brès discerne dans l œuvre de Platon, et qui aboutit

    à

    une

    démystification

    des illusions précédentes

    par

    le

    discours

    qui

    instaure son

    univers,

    n a

    plus,

    dans

    cette perspective,

    aucune

    raison d être. Loin

    de

    marquer

    l appauvrissement d un élan

    créateur

    primitif, la dernière philosophie de Platon porte à

    son point

    de développement

    ultime

    la doctrine des

    formes intelligibles

    élaborée

    dans les dialogues

    de

    maturité et pressentie dans les dialogues

    de jeunesse.

    En

    définitive,

    l entreprise

    de

    Brès

    aboutit

    à un

    échec

    sur

    deux plans. D une

    part,

    son

    interprétation de la philosophie de

    Platon

    est

    erronée.

    D autre part,

    la

    réalité de

    la psychologie qu il

    prétend,

    grâce à

    la

    méthode

    psychanalytique,

    retrouver

    à

    travers

    cette philosophie est sujette

    à

    caution.

    A partir de

    l exemple

    concret

    du

    livre de

    Brès

    sur

    la

    psychologie

    de

    Platon,

    il faut traiter d un problème plus général

    :

    celui de la pertinence de l usage de

    la

    méthode

    psychanalytique

    pour l étude d une philosophie.

    Certes,

    nous

    refusons de nous

    engager

    dans des

    distinctions entre le normal

    et

    le pathologique,

    entre le conscient et

    l inconscient,

    etc. Nous ne retenons qu un

    critère :

    celui de

    l utilité. Il s agit,

    en

    fait,

    de

    déterminer

    si

    oui ou non la méthode psychanalytique

    permet de

    mieux connaître, en extension et en profondeur,

    la

    philosophie

    de

    Platon

    ou de

    n importe

    quel autre

    philosophe.

    Aussi faut-il s interroger

    sur

    la nature de

    la

    base psychologique que

    cette méthode doit

    faire affleurer,

    et

    sur

    l autonomie de

    la

    philosophie en

    question

    par rapport

    à

    cette

    base

    psychologique.

    Qu en

    est-il de

    cette

    base psychologique que

    prétend

    faire affleurer la

    méthode

    psychanalytique

    appliquée

    à

    une philosophie

    déterminée

    ?

    On

    la

    connaît

    soit

    directement

    soit

    indirectement. Si on

    la

    connaît

    directement,

    c est

    ou bien

    qu on a accès aux

    confidences

    du

    philosophe en question ou bien

    qu on

    possède

    des

    rapports

    précis

    sur

    le sujet. Mais,

    même

    dans

    ce cas, une question

    d interprétation

    se

    pose.

    En

    effet,

    on

    pourra toujours contester la validité des

    conclusions du

    psychanaliste

    qui a

    des

    contacts avec

    ce philosophe

    ou qui a fait

    un

    rapport

    sur

    lui. Mais il va

    sans dire

    que les difficultés se multiplient lorsqu on

    ne connaît pas directement

    la

    psychologie de ce philosophe.

    Dans

    ce cas,

    il faut construire

    sa

    psychologie à partir

    des

    œuvres

    philosophiques

    qu il nous

    a

    laissées. Or, cette démarche ressemble

    à

    une vaste pétition

    de principe.

    On postule, à

    partir de la

    supra-structure

    philosophique, une

    infrastructure

    psychologique

    destinée

    à

    expliquer

    la

    supra-structure philosophique.

    Par

    ailleurs,

    et cela est

    fondamental,

    il faut

    déterminer

    de quelle marge

    d autonomie jouit la philosophie

    par rapport à

    la

    psychologie. Il va

    de soi que

    cette

    autonomie

    ne

    peut

    être

    totale.

    Cependant,

    on

    ne

    doit

    pas

    déduire

    de

    qu une

    philosophie

    ne

    présente

    aucune autonomie

    à

    l égard

    de

    la

    psychologie

    du

    philosophe qui l a produite.

    Une

    telle

    hypothèse équivaut à

    une

    réduction

    biutale.

    La

    pensée

    philosophique n est plus

    que

    l effet

    de

    surface d un

    courant

    psychologique

    agissant en profondeur. Or, selon toute évidence, la

    pensée

    d un

    philosophe n évolue pas forcément

    dans

    le

    sens

    de sa psychologie. Et

    cela

    parce que toute construction

    philosophique,

    se situant à

    un

    moment précis

    de

    l histoire

    des idées, dépend

    d un

    passé rationnel,

    présente un

    développement

    rationnel lié à

    des postulats de base et suscite une

    postérité rationnelle bien

    définie.

    En

    définitive, entre la psychologie et la philosophie

    d un philosophe,

    il

    n y a

  • 8/15/2019 Platon Psychanalysé - Luc Brisson

    10/10

    232

    LUC BRISSON

    pas implication, mais

    coordination.

    Un

    philosophe

    ne produit pas telle

    philosophie,

    parce

    qu il

    présente

    tels caractères psychologiques. Au contraire,

    un

    philosophe qui

    produit telle

    philosophie présente

    aussi

    tels

    caractères

    psychologiques. Dans cette perspective,

    la

    psychologie

    peut expliquer l orientation

    générale

    de la philosophie

    d un

    philosophe

    déterminé. Gependant, en étudiant

    la

    psychologie

    de ce

    philosophe, on ne pourra jamais en déduire sa

    philosophie.

    Or,

    par

    là, on

    atteint le

    fond du

    problème.

    Si

    le lien

    qui

    unit la psychologie

    et

    la philosophie

    d un

    philosophe est

    un lien

    de coordination et

    non

    d implication, l usage

    de la méthode psychanalytique

    pour

    l étude

    d une

    philosophie

    perd

    presque

    tout intérêt. Certes, elle sert à ranger un

    philosophe

    sous une

    catégorie psychologique

    précise.

    Jamais cependant elle ne

    réussit à

    expliquer

    la

    spécificité

    de sa production philosophique. La psychanalyse

    met

    en

    lumière

    ce

    qui

    rend

    un

    philosophe

    semblable

    à

    d auties personnes présentant certains

    traits

    psychologiques déterminés.

    Toutefois, elle

    s avère

    impuissante

    à distinguer

    la

    différence

    de

    ce philosophe

    par rapport

    à

    toutes

    ces

    personnes.

    La

    psych n lyse

    peut

    déterminer

    le

    type

    de

    constitution psychologique

    de ce

    philosophe,

    mais non

    ce

    qui explique son

    œuvre philosophique, c est-à-dire

    son

    génie

    propre.

    Et, dans

    le

    cas de

    Platon, Y. Brès, qui ne répond

    pas

    à

    ces questions

    préalables, accumule les

    difficultés.

    Difficultés liées

    à

    l objet de sa recherche, puisque

    l origine

    et la

    nature

    de son interprétation de la philosophie de

    Platon

    sont

    contestables. Et difficultés

    liées à

    la

    méthode

    qui oriente sa

    recherche, puisque

    l origine

    et

    l application

    de

    cette méthode donnent lieu

    à

    des

    problèmes

    insolubles.

    Luc Brisson.