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Prélèvement d’organes en France : état des lieux et perspectives François-Xavier Lamy, Alain Atinault, Marie Thuong Agence de la biomédecine, 93212 Saint-Denis la Plaine cedex, France Correspondance : Marie Thuong, direction prélèvement et greffe organes tissus, Agence de la biomédecine, 1, avenue du Stade de France, 93212 Saint-Denis la Plaine cedex, France. [email protected] Disponible sur internet le : 21 juillet 2012 Presse Med. 2013; 42: 295308 ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Urgences - Re ´animation - Anesthe ´sie 295 Mise au point Key points Organ procurement in France: New challenges France has reached a pretty good level of activity, compar- able to southern European countries: in 2011, 4945 trans- plantations (TX) have been performed among them, 2976 (60%) kidney TX, 1164 (24%) liver TX, 398 (8%) heart TX and 312 (6.3%) lung TX. However, the progression has slowed down since 2008 like in many countries. The potential of donors is mainly represented by the donor after brain-death (DBD) (90%), living donor (LD) for kidneys transplantation participates for only 10% of the overall kidney TX, and donor after cardiac death (DCD) activity, just started in 2006, for 2.2%. Current challenges to maximize the existing activity of DBD rely upon the implementation of program aimed to monitor deceased organ donation potential, a comprehensive approach of the regional disparities covering the steps of the detection of the potential donor, the rate of organ procure- ment and the refusal rate to organ donation. The profile of the donors has changed due to substantial epidemiologic shifts and a growing shortage of organs. The resource of expanded criteria donor (ECD) is widely used, mainly defined by a criteria of age. This policy is acceptable and successful under specific allocation scheme based on a donor-recipient matching. Points essentiels La France a atteint un niveau d’activité de 4945 greffes en 2011 versus 200 greffes par an réalisées dans les années 1970 : ces greffes se répartissent en 2976 (60 %) greffes rénales, 1164 (24 %) greffes hépatiques, 398 (8 %) greffes cardiaques et 312 (6,3 %) greffes pulmonaires. Depuis 2008, cette crois- sance sans précédent s’est ralentie comme dans beaucoup de pays. La source en greffons pour près de 90 % des greffes est assurée par le recensement et le prélèvement des donneurs décédés en état de mort encéphalique (DDME), le reste de l’activité (essentiellement pour la greffe rénale) se partageant entre le don du vivant (10 %) et les donneurs décédés après arrêt cardiaque (DDAC) (2,2 %). Optimiser l’activité du recensement et du prélèvement à partir de DDME suppose un recensement le plus exhaustif possible du potentiel des donneurs en mort encéphalique, une baisse du taux de refus qu’il soit exprimé de son vivant ou par les proches au moment du don. Cette démarche doit être associée à l’analyse des disparités existant entre les régions. Le profil des donneurs s’est modifié du fait de l’épidémiologie des décès, du vieillissement de la population mais aussi d’une politique d’acceptation plus large des équipes de greffe. Les critères de prélevabilité ont évolué : le recours à des donneurs dits à critères élargis (DCE) a participé à la progression d’activité de greffe, essentiellement sur le critère d’âge. Cette stratégie tome 42 > n83 > mars 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.05.018

Prélèvement d’organes en France : état des lieux et perspectives

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Page 1: Prélèvement d’organes en France : état des lieux et perspectives

Presse Med. 2013; 42: 295–308� 2012 Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

Urgences - Reanimation - Anesthesie

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Key points

Organ procurement in France:

France has reached a pretty goable to southern European couplantations (TX) have been pe(60%) kidney TX, 1164 (24%)

and 312 (6.3%) lung TX. Howevedown since 2008 like in many cThe potential of donors is mainafter brain-death (DBD) (90%)transplantation participates for oTX, and donor after cardiac death2006, for 2.2%.Current challenges to maximizerely upon the implementation odeceased organ donation papproach of the regional dispathe detection of the potential doment and the refusal rate to orgThe profile of the donors hasepidemiologic shifts and a growresource of expanded criteria

mainly defined by a criteria of

and successful under specific adonor-recipient matching.

tome 42 > n83 > mars 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.05.018

Prélèvement d’organes en France :état des lieux et perspectives

François-Xavier Lamy, Alain Atinault, Marie Thuong

Agence de la biomédecine, 93212 Saint-Denis la Plaine cedex, France

Correspondance :Marie Thuong, direction prélèvement et greffe organes – tissus, Agence de labiomédecine, 1, avenue du Stade de France, 93212 Saint-Denis la Plaine cedex,[email protected]

Disponible sur internet le :21 juillet 2012

New challenges

od level of activity, compar-ntries: in 2011, 4945 trans-

rformed among them, 2976liver TX, 398 (8%) heart TXr, the progression has slowedountries.ly represented by the donor

, living donor (LD) for kidneysnly 10% of the overall kidney

(DCD) activity, just started in

the existing activity of DBDf program aimed to monitorotential, a comprehensiverities covering the steps of

nor, the rate of organ procure-an donation.

changed due to substantialing shortage of organs. The

donor (ECD) is widely used,age. This policy is acceptablellocation scheme based on a

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Points essentiels

La France a atteint un niveau d’activité de 4945 greffes en2011 versus 200 greffes par an réalisées dans les années 1970 :ces greffes se répartissent en 2976 (60 %) greffes rénales,1164 (24 %) greffes hépatiques, 398 (8 %) greffes cardiaqueset 312 (6,3 %) greffes pulmonaires. Depuis 2008, cette crois-sance sans précédent s’est ralentie comme dans beaucoup depays.La source en greffons pour près de 90 % des greffes estassurée par le recensement et le prélèvement des donneursdécédés en état de mort encéphalique (DDME), le reste del’activité (essentiellement pour la greffe rénale) se partageantentre le don du vivant (10 %) et les donneurs décédés aprèsarrêt cardiaque (DDAC) (2,2 %).Optimiser l’activité du recensement et du prélèvement àpartir de DDME suppose un recensement le plus exhaustifpossible du potentiel des donneurs en mort encéphalique,une baisse du taux de refus qu’il soit exprimé de son vivantou par les proches au moment du don. Cette démarche doit êtreassociée à l’analyse des disparités existant entre les régions.Le profil des donneurs s’est modifié du fait de l’épidémiologiedes décès, du vieillissement de la population mais aussi d’unepolitique d’acceptation plus large des équipes de greffe. Lescritères de prélevabilité ont évolué : le recours à des donneursdits à critères élargis (DCE) a participé à la progression d’activitéde greffe, essentiellement sur le critère d’âge. Cette stratégie

Page 2: Prélèvement d’organes en France : état des lieux et perspectives

296

Before the TX needs of the population have been adequatelymet, the opportunities for improvement should be thedevelopment of DCD and LD activities, in addition to DBDactivity. The extension to the DCD of the 3rd category ofMaastricht is currently devised as a possible option for thefuture.The development of perfusion machine, available for kidneypreservation and soon for the other organs is a new technicalchallenge that might increase the donor pool to previouslydiscarded grafts. This superior and cost-effective methodevaluated for ECD kidney preservation has also a potentialof resuscitation and prediction of post-transplant outcome.To give a new launch to the TX activity as it was done in 2000,the Agency together with the professionals, has elaborated a‘‘new action plan’’ for the next few years, which has beenacted on April 2012 by the Minister of health.

est rendue possible sous la condition d’appariement spécifiqueentre donneur et receveur.Dans l’attente d’une définition plus précise des besoins quipassent par une meilleure connaissance de l’épidémiologie desinsuffisances terminales d’organes, la réponse à la demandecroissante (16 371 candidats à la greffe en 2011) nécessite dedévelopper, parallèlement au DDME, les autres sources degreffons, que ce soit à partir d’un don du vivant ou du DDAC. Laréflexion sur l’extension au DDAC de la catégorie III de Maas-tricht est engagée.Le programme de déploiement des machines à perfusionrénale, et dans un avenir proche la même application pour lepoumon, le coeur et le foie, a pour objectif l’évaluation et laréhabilitation ex vivo des greffons prélevés permettant ainsid’élargir le pool de greffons marginaux, autrefois écartés dudon, tout en s’assurant de leur viabilité pour la greffe.Le plan greffe (2000–2003) a permis l’essor de la greffe enFrance. Afin de pouvoir insuffler un nouvel élan pour la greffe,les tutelles ont adopté le nouveau plan greffe en avril 2012.

F-X Lamy, A Atinault, M Thuong

La greffe d’organes, au-delà de sa phase pionnière initiale, aconnu une progression sans précédent tout du long de ces60 dernières années, pour être définitivement adoptée commeune thérapeutique efficace venant en suppléance des défail-lances terminales d’organes, principalement. La nouvelle di-rective européenne du 7 juillet 2010 relative aux normes dequalité et de sécurité des organes humains destinés à latransplantation est entrée en vigueur au 26 août 2010 [1].Conformément au droit communautaire, cette directive s’im-pose aux états membres en fixant les objectifs à atteindredurant toutes les phases du processus : don, prélèvement,transport et greffe. La transposition en droit interne s’annonceminimale puisque les exigences de cette directive sont quasi-ment remplies, soulignant notre avancée en termes d’enca-drement réglementaire et de mise en oeuvre. De 200 greffespar an réalisées dans les années 1970, la France a atteint unniveau d’activité de 4 945 greffes en 2011 dont 2976 (60 %)greffes rénales, 1164 (24 %) greffes hépatiques, 398 (8 %)greffes cardiaques et 312 (6,3 %) greffes pulmonaires (tableau

I) [2]. La supériorité de la greffe d’organes en termes de rapportcoût-bénéfice, évaluée pour la greffe rénale par comparaison àd’autre alternative telle que la dialyse dans l’insuffisance rénaleterminale, interroge actuellement les tutelles quant à sondéveloppement insuffisant sur le territoire national [3], dansune perspective où le nombre total de malades traités pardialyse ou greffe rénale augmente de 4 % par an environ. Sil’activité de greffe rénale reste soutenue en France compa-rativement à certains pays étrangers, elle se situe encore endeçà de certains pays européens qui ont réussi à développerplus largement l’accès à la greffe des patients en insuffisance

rénale terminale. Aux Pays-Bas, 56 % des patients insuffisantsrénaux sont greffés, en Suède 54 %, en Finlande 60 %, enNorvège 70 %, contre 45 % en France [4]. La croissance del’activité de greffe jusqu’alors constante et rassurante s’estralentie depuis 2008, comme dans les autres pays à activitécomparable [5], accentuant d’autant plus le déséquilibre pré-existant entre l’offre en greffons et la demande. L’adage « pasde greffe sans greffons » replace le prélèvement d’organes,activité moins reconnue que celle de la greffe, commeessentielle : la stagnation de l’activité de greffe depuis2008 est directement liée à la stagnation de l’activité deprélèvement d’organes. Lors de la seconde révision de la loide bioéthique [6], l’intérêt d’un nouvel élan à donner à la greffed’organes a été exprimé officiellement, volonté assortie d’unnouveau plan greffe adopté en avril 2012, à l’instar du plangreffe (2000–2003).

Activité de recensement et de prélèvementdes donneurs décédés en mortencéphaliquePour l’ensemble des donneurs décédés en 2011, le taux globalde prélèvement au niveau national est de 25 par milliond’habitants (pmh) pour une population de 65,1 millions d’ha-bitants, tenant compte des donneurs décédés en mort en-céphalique (DDME) (24,1 pmh) et de ceux décédés aprèsarrêt cardiaque (DDAC) (0,9 pmh).

Évolution du recensement et du prélèvement desdonneurs décédés en mort encéphalique

Nous abordons ici, l’évolution du recensement et du prélève-ment des DDME [2]. En France, les activités de prélèvement etde greffe sont réalisées, pour près de 90 %, à partir de DDME.

tome 42 > n83 > mars 2013

Page 3: Prélèvement d’organes en France : état des lieux et perspectives

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ea

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oin

t

Tableau I

La greffe d’organes en 2010 à 2011

Malades enattente de

greffe en 20101

Malades enattente de

greffe en 20111

Maladesgreffés

en 20102

Maladesgreffés

en 20112

Malades décédésen attente degreffe en 2011

Malades sortisde liste d’attente

en 20113

Porteurs d’un greffonfonctionnel le

31 décembre 20114

Coeur 767 798 356 398 60 38 4086

Poumons 449 489 244 312 17 15 1253

Coeur-poumons 50 39 19 12 3 4 186

Foie 2386 2462 1092 (17) 1164 (14) 135 222 10 381

Rein 11 717 12 320 2892 (283) 2976 (301) – 202 26 381

Pancréas 278 240 96 73 – 26 783

Intestin 28 23 9 10 1 4 36

Total 15 675 16 371 4708 (300) 4945 (315) 216 475 43 106

1 Malades restant en liste d’attente au 1er janvier auxquels s’ajoutent les malades inscrits dans l’année.2 Entre parenthèses : le nombre de malades greffés à partir d’un donneur vivant. Il est inclus dans le total des malades greffés indiqué.3 Hormis la greffe ou le décès, les malades sortent de liste d’attente lorsqu’une aggravation de leur maladie ou des complications médicales rendent la greffe incompatible avec leur

état. Dans une moindre mesure, les patients peuvent sortir de la liste d’attente lorsque leur maladie est en amélioration et ne justifie plus le recours à la greffe ou lorsqu’ils en décidentpour des raisons personnelles.

4 Nombre estimé à l’aide de la méthode non paramétrique de Kaplan-Meier (certains malades dont la greffe est ancienne étant perdus de vue). Le total s’exprime en nombre degreffons fonctionnels et non de personnes du fait des greffes multiples dont un rein ou un pancréas peut n’être plus fonctionnel (traitement de suppléance).

Prélèvement d’organes en France : état des lieux et perspectivesUrgences - Reanimation - Anesthesie

L’étape préalable de recensement des donneurs permet d’ap-précier au mieux le potentiel de donneurs parmi les décèshospitaliers, le choix du dénominateur international restant lapopulation « pmh ». Un total de 270 732 décès hospitaliers decourt séjour (contre 227 885 en 2004) ont été déclarés dans leshôpitaux en 2009 dont 164 589 (60,8 %) dans les centresautorisés au prélèvement (données de l’Agence technique del’information sur l’hospitalisation [ATIH]). Après une constanteprogression durant ces dernières années, le recensement dunombre de donneurs potentiels diminue depuis 2008 passantde 3181 (50 pmh) donneurs recensés à 3174 (48,7 pmh) en2011. Les DDME recensés représentent 1 % des décès hospi-taliers. Les causes de décès des DDME sont principalement lesaccidents vasculaires cérébraux (AVC), les traumatismescrâniens, les anoxies et les intoxications. L’analyse de la mor-talité dans la population générale indique que la mortalitéprécoce (personnes de moins de 65 ans) continue de diminuerpour les décès par traumatisme, qu’il s’agisse d’accident de lavoie publique (AVP) ou d’autres causes, alors qu’elle restestable depuis 2004 pour les décès par AVC [7]. Depuis 2005,cette tendance non spécifique à la France, s’accentue. Lescauses de décès par anoxie (dans les suites d’un arrêt cardiaquerécupéré) ont dépassé les AVP depuis 2005. En 2011, les causesde décès par AVC représentent 55 %, la part des donneursdécédés de traumatisme est de 26 %, celle des anoxies de 14 %(figure 1). Cette modification de l’épidémiologie des décès

tome 42 > n83 > mars 2013

explique pour l’essentiel le nouveau profil des DDME recenséset effectivement prélevés, qui a évolué vers des donneurs plusâgés et porteurs de comorbidités cardiovasculaires.Le taux de prélèvement d’organes évolue parallèlement autaux de recensement, à quelques nuances près (figure 2) :après une baisse en 2009 et 2010, le nombre de DDME prélevésa légèrement progressé, passant de 1563 (24,6 pmh) en 2008 à1572 (24,1 pmh) en 2011. En moyenne, 1 donneur recensé sur2 aboutit à un prélèvement d’organes : l’efficacité du prélève-ment est meilleure en 2011 (49,5 %) qu’en 2010 (48 %). Parmiles causes de non prélèvement, stables sur le temps, lesantécédents médicaux du donneur essentiellement pour ma-ladies tumorales ou infectieuses (10 à 12 %) et les incidents lorsde la maintenance du donneur (7 à 10 %) viennent loin après letaux d’opposition qui avoisine les 30 % de façon constante(figure 3). Depuis les années 1980, le taux d’opposition auprélèvement qu’il soit le reflet de la volonté exprimée par ledéfunt de son vivant ou un refus exprimé par les proches aumoment du don représente la 1ère cause de non prélèvement :en 2011, ce taux exprimé en fonction du nombre de donneursrecensés est de 32,4 % contre 33,7 % en 2010, soit 1028 don-neurs potentiellement prélevables (source potentielle de3000 greffes). Ce taux est éminemment variable d’une régionà l’autre (25,8 % à 54,5 %), voire d’un centre à l’autre au seind’une même région. Le taux de refus en Espagne, même s’il estexprimé en fonction du nombre d’entretiens réalisés avec les

297

Page 4: Prélèvement d’organes en France : état des lieux et perspectives

298

50,3 49,9 53,6 55,1 56,0 54,3 54 ,6 58,6 57,1 57,0 54,7

36,1 36,6 32,7 29,2 27,4 28,6 27,224,9 25,2 25,0 25,5

7,2 8,4 6,9 9,4 11,5 11,2 12,4 10,9 12,2 12,7 14,4

1,4 1,2 1,1 0,9 0,9 1 0,8 0,8 0,8 0,8 0,8

4,6 3,9 5,1 5,3 4,2 4,1 4,8 4,8 4,7 4,6 4,6

0%

20%

40%

60%

80%

100 %

200 1 2002 20 03 20 04 200 5 200 6 200 7 2008 20 09 20 10 201 1

%

Vasculaire Trau matisme Anoxie Intoxication Autre

Figure 1

Évolution de la répartition des causes de décès des donneurs décédés en état de mort encéphalique recensés

F-X Lamy, A Atinault, M Thuong

proches, est exemplaire (19 % en 2010) expliquant leur taux deprélèvement des DDME en 2010 à 29,3 pmh [5,8].Comme dans la plupart des pays, la tendance observée depuis1996 vers une augmentation significative de l’âge moyen desdonneurs se confirme : l’âge moyen des DDME prélevés d’aumoins un organe augmente régulièrement d’une année par anpour atteindre en 2011, 53,6 ans en France. La progression del’activité de prélèvement s’est faite grâce aux donneurs âgés deplus de 50 ans, particulièrement dans la tranche d’âge des plusde 65 ans : en 2011, 467 (29,7 %) DDME âgés de plus de 65 ans

106 51198 1119

1291 137 1 144

17,5

19,618,3

21,022,2

23,

0

200

400

600

800

1000

1200

1400

1600

1800

200 1 2002 2003 20 04 200 5 20 0

N

Nombre de donneurs prélevés

Figure 2

Évolution de l’activité de prélèvement à partir de donneur décédé e

ont fait l’objet d’un prélèvement contre 207 (16 %) en 2004 etseulement 18 (2 %) en 1996. En revanche, la proportion desdonneurs dans les tranches d’âge (0 à 17 ans) et (18 à 49 ans)tend à diminuer depuis plusieurs années pour représenter en2011, 5 et 32 %, respectivement. Cette tendance globales’observe pour les donneurs prélevés de rein et de foie(figure 4) à tel point que l’âge ne constitue quasiment plus uncritère de sélection hormis pour le poumon, le coeur, le pancréas.Si les taux de recensement et de prélèvement des donneursstagnent depuis 2008, l’activité de greffe, aussi ralentie dans sa

21561 1563 148 1 1476 1572

224,7 24,6

23,2 22,8

24,1

6 2007 20 08 200 9 2010 2011

0,0

5,0

10,0

15,0

20,0

25,0

30,0PMH

Nombre de donneurs prélevés PMH

n état de mort encéphalique

tome 42 > n83 > mars 2013

Page 5: Prélèvement d’organes en France : état des lieux et perspectives

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oin

t

50,4 47,651,3 49,5 51,4 48,9 47 49,6 49,1 48,1 48,4 49,5

31,7 34,631,8

31,8 30,531,3 32,1 28,3 30,7 32,3 33,7 32,4

11,4 11,2 10,5 11,7 12,110,1 10,1 10,7

11,2 10,8 10,7 10,8

5,2 5,9 5,2 5,8 4,88,6 10,1 10,8 8,7 8,4 7 7,1

0,31,3 0,7 1,1 1,3 1,2 1,1 0,8 0,6 0,3 0,4 0,2

0%

20%

40%

60%

80%

100%

2000 200 1 200 2 200 3 200 4 200 5 200 6 200 7 200 8 200 9 201 0 20 11

%

Prélevés Opposition Antécédents du donneur Incident médical Autres causes

Figure 3

Évolution des causes de non prélèvement chez les donneurs décédés en état de mort encéphalique. Le taux d’opposition est la causeprincipale de non prélèvement

Prélèvement d’organes en France : état des lieux et perspectivesUrgences - Reanimation - Anesthesie

dynamique de progression, n’a pour autant pas diminué : si lenombre de greffes réalisées a pu progresser de 7 % entre2008 et 2011, c’est grâce à une meilleure efficacité du prélève-ment. En moyenne, 3,3 greffons sont prélevés par donneur. Lapart des donneurs dont le foie a été prélevé est de 75 % en2011 (contre 67 % en 2008), pour le poumon de 19 % en 2011(contre 12 % en 2008) et pour le coeur de 27,6 % (contre 25 %en 2008) ; pour le rein, le taux de prélèvement a baissé (94,3 %en 2011 contre 96,4 % en 2008), en rapport avec l’âge plus

34,4

39,4

38,0

42

30

35

40

45

50

55

2002 2003 2004 2005 2006

Coeur Foie

Figure 4

Évolution de l’âge moyen des donneurs décédés en état de mort en

tome 42 > n83 > mars 2013

avancé des donneurs. Par ailleurs, le taux de greffons prélevéset non greffés par organe est relativement stable sur le tempssoit en 2011 pour le rein – 8,3 %, le foie – 7 %, le coeur – 7,4 %et le poumon – 9,5 %, le motif le plus souvent invoqué est « unemauvaise qualité du greffon ». La figure 5 présente au niveaueuropéen, le nombre de greffes rénales réalisées à partir deDDME en 2010, idéalement proche du double du nombre deDDME prélevés d’au moins un organe qui est le plus souvent unrein [5].

299

40,7

44,0

52,2

52,4

2007 2008 2009 2010 2011

Poumon Rein

céphalique prélevés par organe

Page 6: Prélèvement d’organes en France : état des lieux et perspectives

300

39,1

23,121,5

18,1

30,2

22,8

29,2

20,8 21,5

13,0 12,6 12 ,610,4

23,225,2

36,738,9

48,8

0,0

10,0

20,0

30,0

40,0

50,0

60,0

Portuga l France Espagn e Norvèg e Italie Dan emark Sui sse Suèd e Royau me-

Uni

Tau

x p

mh

Donneurs SME prélevés pmh Greffes rénales SME pmh

Figure 5

Nombre de donneurs décédés en état de mort encéphalique (DDME) prélevés d’un organe* et nombre de greffes rénales réalisées en2010 en Europe** à partir de DDME rapportés à la population du pays [5]pmh : par million d’habitants ; *organe greffé ou non ; le prélèvement d’un donneur d’organes concerne à plus de 90 % un prélèvement d’un ou de 2 reins : idéalement, le

rapport N reins greffés/N donneurs prélevés devrait s’approcher de 2 ; **à l’exception des pays participant à la plateforme d’allocation d’Eurotransplant (Allemagne, Autriche,

Belgique, Croatie Luxembourg, Pays-Bas, Slovénie).

F-X Lamy, A Atinault, M Thuong

Quelles pistes sont à développer pour améliorer lerecensement et le prélèvement des donneursdécédés en mort encéphalique ?

La loi de bioéthique et le plan greffe (2000–2003) ont permiscette progression d’activité à la faveur de plusieurs mesuresdont la création de postes de coordination hospitalière dédiésau recensement et au prélèvement des DDME, à l’image dumodèle espagnol. En 2010, ce sont 310 équivalents temps-plein (dont 74 % de personnel paramédical) dédiés à cetteactivité, répartis sur 195 centres autorisés au prélèvementd’organes et/ou de tissus couvrant le territoire national. Deplus, le fonctionnement des établissements non autorisésdevant s’inscrire au sein d’un réseau de prélèvement (ArticleL. 1233-1, CSP) a permis une redistribution des activités derecensement et de prélèvement dans la plupart des inter-régions des schémas interrégionaux d’organisation sanitairede la greffe (SIOS). L’activité de prélèvement est financée autravers d’un forfait annuel (CPO) versé sur la base de l’activitéréalisée pendant l’année N-1 : l’enveloppe budgétaire re-présente environ 43 millions d’euros/an versée aux établisse-ments concernés. Le fléchage de ces crédits allouésspécifiquement à l’activité de prélèvement vers les structuresde pôle impliquées est une requête régulière de l’Agenceadressée aux directions d’hôpitaux, que les professionnels sedoivent de relayer. Le système espagnol repose sur des co-ordinations hospitalières assumées à plus de 80 % par desmédecins : le système d’organisation mis en place est plus

proactif et le financement des professionnels plus incitatif,sachant que le paiement à l’acte en service public est interditen France (Article L. 1233-2, CSP).

Disparités régionales

Les activités de recensement et de prélèvement sont variablesd’une région à l’autre autorisant une marge de manoeuvrecertaine (figure 6). Il apparaît essentiel pour progresser plusavant dans nos actions d’analyser en préambule ces disparités,région par région, centre par centre, pour en comprendre lesmécanismes de nature possiblement très différente selon larégion (niveau socio-économique de la population, offre etaccès aux soins) ou selon l’établissement (moyens et res-sources alloués, organisation et recrutement des patients àl’échelon local).Deux outils d’assurance-qualité mis à la disposition des éta-blissements ont été développés, basés sur le volontariat : Cristal

Action et la certification des coordinations. Inspiré du pro-gramme européen Donor Action, le recensement précocedes donneurs potentiels est une démarche essentielle pourapprocher l’exhaustivité des sujets susceptibles de faire l’objetd’un prélèvement d’organes et pour améliorer la qualité de leurprise en charge. Depuis 2010, Cristal Action est un programmeinformatisé, directement en lien avec le système d’informationnational « Cristal donneur ». L’objectif de ce programme est à lafois d’assurer le recensement exhaustif des donneurs potentielset de proposer un chemin clinique dans le cadre d’un processusqualité conforme aux recommandations de la Haute Autorité de

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Figure 6

Activité de prélèvement des donneurs décédés en état de mortencéphalique (DDME) : des disparités régionalesa : le taux de prélèvement est rapporté de façon standardisée à la population

(pmh) ; b : le taux de prélèvement rapporté au nombre de décès hospitaliers est

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Santé (HAS) dans le cadre des évaluations des pratiquesprofessionnelles (EPP). Ce programme est destiné à piloterde façon pérenne l’activité de recensement et de prélèvementdans les établissements. En 2011, 71 établissements recensésont déclaré avoir mis en place Cristal Action (soit 43 % desétablissements autorisés au prélèvement d’organe sur DDME).Les premières données issues de ce programme laissent aper-cevoir un potentiel de donneurs non recensés dans les hôpitauxayant implémenté ce programme [9]. La certification descoordinations hospitalières s’est mise en place en 2007 dansle prolongement de la démarche d’audit externe pilotée parl’Agence de la biomédecine depuis 2005 afin de contribuer àl’harmonisation des pratiques du prélèvement d’organes et detissus. Cette démarche est complémentaire des objectifs de laHAS en s’axant sur le développement d’outils spécifiquess’intégrant dans le processus de certification des établisse-ments de santé concernant la référence don d’organes et detissus à visée thérapeutique (critère 26 c de la V 2010), dans ledispositif des pratiques professionnelles obligatoires pour tousles professionnels de santé (critère 28 a - V 2010) et celui de labiovigilance (critère 8 i - V 2010). L’évaluation sur la base d’unréférentiel d’auto évaluation actualisé en juillet 2010, permetd’apprécier la stratégie de l’établissement concernant l’activitéde prélèvement, le management des ressources humaines,équipements et locaux et système d’information. Au 31 décem-bre 2011, 57 établissements ont été audités, soit 33 % descoordinations hospitalières [10].

Taux de refus

La diminution du taux d’opposition est un objectif essentiel àviser. La loi française ayant adopté le principe du « consente-ment présumé », les modalités d’expression de sa volontéaprès le décès ont été définies (Article L. 1232-1, CSP). Celle-ciprévoit la possibilité de faire connaître de son vivant son refusau prélèvement, par tout moyen, et notamment par la possi-bilité de tout un chacun de s’inscrire sur un registre national desrefus créé à cet effet. En cas de non-inscription, le médecin doits’efforcer de recueillir, par tout moyen, l’expression d’uneéventuelle opposition auprès des proches au moment dudon. Opérationnel depuis 1998, le registre des refus comptait84 491 oppositions valides au 31 décembre 2011 (80 715 en2010) et 86 refus pour prélèvement à visée thérapeutique ontété identifiés lors d’interrogations depuis 1998 dont 14 refuspour prélèvement d’organes interrompant toute procédure.Hormis ces quelques cas, l’équipe de coordination hospitalièreest tenue d’aborder les proches du défunt lors d’un entretien,au cours duquel elle doit s’assurer de la volonté du défunt qui seserait exprimé sur le don d’organes soit de son vivant, quelle

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plus favorable dans certaines régions où la mortalité est plus faible (Île-de-France,

Rhône-Alpes).

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que soit la forme de cette expression, soit au travers de cequ’aurait pu être sa position dans la situation où les prochesn’ont pas connaissance de la position du défunt vis-à-vis du dond’organes. La ligne directrice des campagnes de communica-tion grand public vise à ce que le plus grand nombre depersonnes possibles prennent position sur la question, de leurvivant, afin de ne pas mettre leurs proches dans l’embarras lemoment venu. Quand bien même il s’agit d’une entorse auconsentement présumé adopté par la loi Caillavet [11], la priseen compte possible de la propre position des proches resteincontournable. L’abord des proches permet de maintenir unabsolu et nécessaire climat de confiance au sein de la sociétécivile. La remise en question du consentement présumé versusle consentement explicite (opting out versus opting in) ne sepose plus lorsqu’on compare les taux de prélèvement plus basdans les pays ayant adopté le consentement explicite [12].Les sondages réalisés auprès de la population généralerévèlent un taux de 70 à 85 % favorable au don d’organes.Le décalage qui existe entre un taux de refus exprimé horscontexte de don et celui observé nécessite d’être compris. À laquestion posée de l’eurobaromètre 2010 « quelles sont lesraisons pour lesquelles vous refuseriez le don soit pour vous-même, soit pour un de vos proches ? » auprès d’un panel de1000 personnes de chaque état membre : en France, la1ère cause avancée est l’atteinte à l’intégrité corporelle ou lacrainte de la manipulation du corps (FR 27 %, Europe 25 %) ; en2e position, vient la méfiance envers le système incluant lesystème de transplantation, de consentement ou sociétal engénéral (FR 16 %, Europe 21 %), en 3e, les motifs religieux (FR6 %, Europe 7 %), en 4e, d’autres causes (FR 19 % versus 16 %Europe) et enfin les indécis représentent un tiers des réponses(FR 32 %, Europe 31 %) [13]. Les déterminants du refus sontprobablement universels mais le poids de chacun d’eux différ-ent d’un pays à l’autre, a évolué avec le temps, notammentquant à la compréhension et l’acceptation du concept de mortencéphalique. Les quatre grands chefs religieux se sont large-ment exprimés sur le sujet de façon favorable en acceptant latransgression que peut représenter un prélèvement d’organesaccepté pour le seul bien d’autrui. Néanmoins, l’image dumorcellement du corps reste ancrée dans les esprits malgrétoute l’attention portée par les coordinations hospitalières à larestauration tégumentaire du corps. Le programme Cristal

Action débute au préalable par une enquête d’opinion auprèsde tous les personnels médicaux, para-médicaux et adminis-tratifs de l’établissement. La demande est forte et unanimepour toutes les catégories de professionnels de pouvoir dis-poser d’une formation spécifique sur cette problématique dudon vécue comme hors champ de leur compétence. Les actionsà mener devront s’orienter vers une meilleure compréhensiondes déterminants du refus et de la prise de décision au momentdu don pour les indécis, vers les modalités de l’abord desproches et la formation des professionnels [14–17], vers

l’implication des réanimateurs un peu en retrait dans l’activitéde prélèvement depuis la mise en place des postes de co-ordinations hospitalières ainsi que vers la poursuite des pro-grammes de communication tant destinés au grand publicqu’aux professionnels. Un des objectifs à poursuivre tenantcompte du principe de consentement présumé repose pourl’essentiel sur la transmission de sa position vis-à-vis du donaux proches qui permettrait d’alléger le poids (la responsabi-lité) d’une prise de décision qui reste une épreuve par essencebrutale et douloureuse. Actuellement, la transmission de savolonté exprimée de son vivant est connue, à ce jour, dans40 % des entretiens menés lors du recueil de non-opposition.Concernant l’entretien avec les proches, étape-clé de la procé-dure, le guide de bonnes pratiques espagnol recommande uneapproche séquentielle et méthodique, les coordinations devantêtre formées spécifiquement à ce type de communication [18].

Élargissement du potentiel des donneurs

Donneurs à critères élargisLes donneurs à critères élargis (DCE) ou donneurs dits limitesou marginaux ou à risque non standard, sont une source dedonneurs qui s’est imposée pour répondre aux besoins de lagreffe. Sous le terme de DCE, on entend toutes les situationspour lesquelles la qualité des organes pourrait ne pas êtreoptimale. Cette catégorie de donneurs recouvre essentielle-ment les donneurs âgés, les donneurs porteurs de maladieschroniques tels qu’un diabète, une hypertension artérielle,une obésité morbide, une stéatose hépatique. . ., le donneurdécédé après un arrêt cardiaque en fait parti. L’âge est uncritère déterminant de l’évolution de la greffe tant pour lesreceveurs que pour les donneurs sachant qu’il existe uneassociation forte entre l’âge et le risque de comorbidités,notamment cardiovasculaires. Les DCE recouvre aussi lessituations où le donneur est porteur de maladies pour les-quelles il existe un risque minime mais potentiel de maladiestransmissibles au receveur (intoxication aiguë, cancer, virusHBV et HCV). Ce concept inclut aussi les situations d’incompa-tibilité de groupe sanguin ABO ou HLA ou bien celles quirelèvent d’une inadéquation morphologique, entre donneuret receveur. Indépendamment des conditions liées au don-neur, la greffe peut aussi devenir à risque d’échec de par lesconditions chirurgicales de prélèvement ou les conditionslogistiques d’acheminement vers le lieu de la greffe, ainsique celles attenant à la période après la greffe et au suivi desgreffés. Le risque d’échec de la greffe se doit d’être ap-préhendé tel un continuum d’événements à risque, débutantdès la prise en charge du donneur et qui peuvent survenir toutau long du processus avec un cumul des risques. Le concept debénéfice-risque pour le receveur qui prévaut en matière degreffe d’organes se conçoit par l’analyse du bénéfice à êtregreffé avec un greffon donné, comparé au risque de ne pas

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être greffé, de décès sur liste d’attente et/ou de maintien endialyse. C’est dans ces conditions que le bénéfice individuel àêtre greffé, appréhendé en termes de survie du greffon et/oudu patient, a pu s’améliorer au fil du temps en appliquant unestratégie ciblée d’appariement d’un greffon donné pour unreceveur donné.

Rein

En 2010, l’âge médian des patients ayant débuté un1er traitement de suppléance pour insuffisance rénale chron-ique terminale est de 71 ans, celui des patients en dialysechronique de 70,9 ans [19]. Par voie de conséquence, l’âgemoyen des nouveaux malades en attente d’une greffe rénalea augmenté passant de 47,4 ans en 2005 à 51 ans en 2011.De même, l’âge des donneurs a suivi la même progression quitrouve ses raisons dans l’évolution de l’épidémiologie desdécès et une politique d’acceptation plus large par les équipespour palier la pénurie. Si l’on considère l’évolution, entre2000 et 2011, du nombre de DCE de reins en appliquant lescritères américains de l’United Network for Organ Sharing(UNOS) [20] : âge > 60 ans ou âge de 50 à 60 ans avec2 facteurs de risque (FDR) parmi l’HTA, le diabète, undécès de cause vasculaire ou un taux de créatininémie su-périeur à 130 mmol/L, le nombre de ces donneurs est multi-plié par 3 sur 10 ans passant de 23 % en 2001 à 41 % desdonneurs prélevés en 2011 (figure 7). Initialement, l’attribu-tion de ces greffons issus de donneurs âgés a soulevé desquestionnements d’ordre éthique ou d’efficacité : les reins de

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Donneurs à critères éla

Figure 7

Évolution de la répartition des donneurs décédés en état de mort enélargis*

*Le donneur à critères élargis est défini selon les critères United Network for Organ Sharin

l’HTA, le diabète, un décès de cause vasculaire ou un taux de créatininémie supérieur

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donneurs âgés ont une moins bonne survie que ceux dedonneurs jeunes, l’attribution de ces greffons à des receveursjeunes prédisposant au risque d’échec, de retour en dialyse etde re-transplantation ; l’attribution de greffons issus dedonneurs jeunes à des receveurs âgés dont l’espérance devie est moindre, expose au risque de décès avec un greffonfonctionnel d’où la notion « d’années de vie-greffons perdus »

[21]. Pour éviter cet écueil, la stratégie initiée par Eurotrans-plant en 1999 a été d’attribuer ces greffons selon unepolitique d’appariement en fonction de l’âge entre don-neur-receveur (programme « senior pour senior »). En France,le score d’attribution des greffons rénaux a introduit ce critèred’appariement à l’âge : en 2011, 75 % (672/895) despatients greffés âgés de plus de 60 ans ont reçu un rein issude donneurs âgés de plus de 60 ans [2]. La question légitimeest de savoir si, individuellement, cette prise de risque estacceptable : il est démontré que la survie du receveur âgé deplus de 60 ans greffé d’un rein issu d’un DCE, reste signifi-cativement supérieure à celle du patient âgé de plus de60 ans restant sur liste d’attente et non greffé [22]. Demême, la qualité de vie du patient greffé est meilleureque celle des dialysés, y compris chez les sujets âgés [23].L’âge du donneur et du receveur ne constitue donc plus unobstacle en soi pour peu que les risques soient anticipés. Desmesures de prévention dans ce contexte s’imposent portantsur les risques de complications chez le receveur âgé, qui sontprécoces et essentiellement de nature cardiovasculaire pourceux liés à la chirurgie et aux complications postopératoires et

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556 655 702 682 716 781

886 905 861 799 760 791

006 200 7 200 8 200 9 201 0 20 11

rgis Donneurs standards

céphalique prélevés : donneurs standards et donneurs à critères

g (UNOS) [20] : âge > 60 ans ou âge de 50 à 60 ans avec 2 facteurs de risque parmi

à 130 mmol/L.

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plus tardifs pour les risques inhérents au traitement immu-nosuppresseur.

Foie

La progression d’activité de greffe hépatique malgré la diminu-tion du prélèvement a été obtenue grâce à l’amélioration dutaux de prélèvement hépatique efficace et ce, grâce auxdonneurs plus âgés : les donneurs âgés de plus de 60 ans en2011 représentent 37 % (420/1129) du total des donneurs defoie. La définition du DCE de foie n’est actuellement pasconsensuelle parmi les professionnels, que ce soit le scoredonor risk index intégrant 8 critères (âge, cause de décès,ethnie, DDAC, partage hépatique, taille, proximité, duréed’ischémie froide) [24], ou la prise en compte de l’âge(� 70 ans) associé au taux de gammaGT (> 150 UI/L) sachantque la principale cause de non prélèvement de foie repose surl’aspect stéatosique (25 à 30 %). L’évaluation fiable du degréde stéatose lors de la qualification du donneur (morphologiqueou histologique) et l’impact du type et degré de stéatose sur lasurvie du greffon sont des pistes à explorer dans l’avenir. Lespartages hépatiques sur DDME, techniquement difficiles,concernent en moyenne 40 donneurs par an, source de40 hémi-greffons droits et 40 hémi-greffons gauches.

Poumon

L’activité de greffe pulmonaire est l’activité qui, actuellement,progresse le plus et comporte encore un potentiel conséquentde marge de progression. Les critères de prélevabilité desgreffons pulmonaires ont été définis en 2003 par les profes-sionnels selon 3 catégories de donneurs (optimal, marginal ouDCE et non proposable), en fonction de l’âge (� 55 ans, 56 à70 ans, > 70 ans) et du niveau de PO2/FiO2 (> 400 mmHg,200 à 400 mmHg, < 200 mmHg), principalement. En 2011, lacause la plus fréquente de non prélèvement des 2 greffonspulmonaires est une mauvaise gazométrie (31 %) loin devantl’âge du donneur (26 %). L’âge moyen des donneurs depoumon a augmenté comme pour les donneurs de rein etde foie (44 ans en 2011 contre 33 ans en 2001). L’analyseréalisée sur la période (2006–2009) a révélé que, seuls 26 %des 949 DCE en moyenne par an (définis par un âge entre 56 et70 ans ou un dernier résultat de PO2/FiO2 entre 200 et400 mmHg ou une radio de thorax anormale ou inhalation)ont été proposés aux équipes. La survie à 1 an après greffe chezles receveurs de greffons provenant de donneurs optimaux etde DCE était de 80 % et 71 %, respectivement, différence nonsignificative. La stratégie de proposer plus largement les DCE aété suivie en 2011 d’une augmentation très nette du nombre etde la part des DCE proposés et prélevés ainsi qu’une augmen-tation de 28 % du nombre de greffes (312 en 2011 contre244 en 2010). Récemment, plusieurs études ont proposé desstratégies d’optimisation de la prise en charge ventilatoiredestinées à prévenir tous phénomènes de dé-recrutement

alvéolaire durant la réanimation permettant une augmentationconséquente du taux de prélèvement pulmonaire [25].

Coeur

La situation du prélèvement cardiaque est caractérisée par unfaible pourcentage de donneurs prélevés parmi les donneursprélevés d’au moins un organe (29 % en 2011), à la baisse defaçon continue depuis 2000, posant la question des besoinsréels. La plus fréquente des causes de non prélèvement desgreffons cardiaques en 2011, loin devant une mauvaise fonc-tion ventriculaire gauche (16 %) et l’existence d’antécédentscardiovasculaires (17 %) est l’âge du donneur (37 %). Lamoyenne d’âge des donneurs de coeur est passée de 35 ansen 2001 à 40,7 ans en 2010. Les critères définissant un DCE decoeur sont en cours d’évaluation s’inspirant des recommanda-tions américaines et de celles de l’HAS : homme de 55 à 70 ansou femme de 60 à 70 ans/homme de 45 à 55 ans ou femme de55 à 60 ans avec au moins 1 FDR de maladie cardiovasculaire/femme de 45 à 55 ans avec au moins 2 FDR. En 2010, parmi les381 donneurs prélevés du coeur, 106 (28 %) remplissaient lescritères de DCE.

Cancers et virus

En 2011, 190 donneurs ou organes ont été récusés pour unemaladie maligne, soit 6 % des donneurs recensés : pour143 cas, il s’agissait d’un antécédent connu et pour 47 don-neurs, une découverte lors du prélèvement. Des recommanda-tions du Conseil de l’Europe ont été rédigées sur les critères deprélevabilité ou d’exclusion au don d’organes dans ces situa-tions d’antécédents connus ou de découverte lors du prélève-ment [26].La positivité d’un marqueur de maladie infectieuse est ladeuxième cause excluant le don après le cancer (N = 65). Aprèsune période d’évaluation de 5 ans, la greffe d’organes à partirde donneurs ayant été en contact avec le virus de l’hépatite B(VHB) et le virus de l’hépatite C (VHC) est autorisée (décretno 2010-1625 du 23 décembre 2010). La mise en place de cesgreffes dérogatoires pour le VHB a permis entre janvier 2006 etoctobre 2008, d’augmenter le pool de donneurs effectifs de 6 %(N = 293) et d’augmenter l’activité de greffe de 7 % (N = 617)sans évidence dans la période de suivi, de transmission viralepour les greffes autres qu’hépatiques, ni perte de chance pourle receveur quel que soit l’organe. Selon le principe de labalance bénéfice-risque, au vu des résultats de cette évaluationet tenant compte des pratiques à l’échelon international, ledispositif autorisant ces greffes à partir de donneurs positifspour le VHB est rendue possible de façon pérenne, sousconditions d’information du receveur et de son suivi. Pourles donneurs porteurs de l’hépatite C, l’évaluation est recon-duite faute d’inclusions suffisantes dans le protocole déroga-toire. En 2011, 81 donneurs porteurs de marqueurs VHB ou VHCont été prélevés d’au moins un organe (2,6 % des donneursrecensés) permettant de réaliser 195 greffes.

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Machines à perfusion

Une réflexion active sur les DCE, notamment les donneurs deplus en plus âgés ou ayant des comorbidités en particuliervasculaires s’est avérée nécessaire. Outre l’adéquation en âgeet la réduction du temps d’ischémie froide par une attributionrapide de ces greffons à des receveurs ciblés, l’utilisation demachines à perfusion en particulier rénale, s’est développéepour optimiser les conditions de préservation de ces greffons.Les résultats de la greffe obtenus dans ces conditions s’avèrentmeilleurs avec une reprise plus précoce de la fonction dugreffon, un meilleur taux de survie à 1 an et 3 ans pour lesgreffons perfusés en machine comparés aux greffons adelphespréservés en container classique à 4 8C [27,28]. Cette techni-que de préservation dite de « réanimation ex vivo ou deréhabilitation du greffon » améliore la qualité des greffonsaltérés durant les phases de passage en mort encéphalique, deprélèvement et de conservation par un effet de « lavage »

mettant en jeu différents mécanismes : diminution de lavasoconstriction intra-rénale, amélioration de la perfusiondu cortex rénal et de la microcirculation médullaire, maintiendu pH intracellulaire, diminution de l’oedème tissulaire, apportde substrats métaboliques et élimination des produits ducatabolisme. Surtout, ces machines servent de support àl’évaluation de la viabilité, dont la mesure des résistancesvasculaires intra-rénales [29,30]. Dans la situation de pénurieactuelle, en permettant de prélever des greffons autrefoisécartés, l’utilisation de ces machines pourrait augmenter lenombre de donneurs prélevés sans augmenter le risqued’échec primaire de la greffe. L’activité de mise sous machineen France est actuellement peu développée (108 reins per-fusés sur 1 an), le financement de ce programme dans leshôpitaux mis en place en mars 2012 devrait permettre sonexpansion. Des machines de perfusion comparables dans leurmodalité de fonctionnement et leur finalité sont en coursd’essais cliniques en greffe pulmonaire et cardiaque en Franceet prochainement en greffe hépatique.

Donneurs décédés après arrêt cardiaque

La reprise de l’activité de prélèvement sur donneur DDAC s’estfaite fin 2006 impliquant des centres volontaires sur la based’une convention signée avec l’Agence de la biomédecine. Lescentres s’engagent à suivre le protocole national qui définit lesmodalités de mise en oeuvre ainsi que les critères d’éligibilitéplus stringents des donneurs et des receveurs. Ces donneurs dufait des lésions induites par l’arrêt cardiaque irréversible sontconsidérés comme des DCE à part entière, raison pour laquelle2 procédures ont été mises en place : la préservation desorganes selon la méthode de perfusion in situ par sonde deGillot ou l’utilisation d’une circulation régionale normothermi-que (CRN) et la mise des greffons rénaux prélevés sur machineà perfusion [31,32]. Le programme initialement autorisé pour leprélèvement et la greffe rénale a été étendue au foie en 2009 :

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la CRN est obligatoire dans ce cadre, les machines à perfusionhépatique ne sont pas encore disponibles. En France, leprélèvement sur DDAC n’est autorisé que pour les catégoriesI, II et IV de la classification de Maastricht [33] : celles-ciconcernent les arrêts cardiaques réfractaires (ACR) dits « noncontrôlés » de survenue inopinée et inattendue en secteurextra- ou intra-hospitalier. Ces patients pris en charge initiale-ment dans un contexte d’ACR majoritairement extra-hospitalierne sont éligibles au programme DDAC qu’après échec desmanoeuvres standardisées de réanimation et entreprises àvisée thérapeutique. De plus, l’élaboration de recommanda-tions en 2008 sur les indications ciblées de circulation extra-corporelle dans les ACR à visée thérapeutique a permis declarifier les situations d’ACR relevant d’une prise en chargethérapeutique de ceux relevant d’une procédure DDAC [34]. Laclasse III concerne les patients pour lesquels l’arrêt cardiaqueest dit « contrôlé » et fait référence à la notion d’arrêt destraitements qui reste encore en France complexe dans lesesprits, même si elle a été éclairée par la loi relative à la finde vie du 22 avril 2005 dite loi « Léonetti » [35]. Cette dernièrecatégorie de donneurs se démarque des catégories I, II ou IV caril s’agit d’une activité programmée. La classification de Maas-tricht fera l’objet d’une révision prochaine en 2013 avec lanotion plus appropriée d’arrêt « circulatoire » que d’arrêt« cardiaque ». La comparaison internationale de cette activitéest rendue difficile, notamment avec les pays tels que les États-Unis, les Pays-Bas, la Belgique et le Royaume-Uni, où les DDACreprésentent, depuis des décennies, une source de greffonsimportante (20 à 50 % du total des greffes rénales à partir dedonneur décédé contre 3 % en France). Aux Pays-Bas et enBelgique, la part des DDAC de la catégorie III représente 80 à90 %. L’Espagne et l’Italie ont développé leur activité selon lesmêmes modalités qu’en France soulignant les déterminantsculturels de nos pratiques [5,36].En 2011 [2], 15 centres en France sont autorisés pour leprélèvement rénal dont 11 centres actifs. Depuis 2006, ondénombre 551 donneurs recensés, majoritairement pris encharge en extra-hospitalier impliquant les SAMU et les BSPP.Il s’agit d’une activité contrainte par le temps nécessitant unelogistique lourde ; sa progression est lente avec la réalisation de66 greffes rénales en 2011 contre 62 en 2008, 70 en 2009 et79 en 2010. On observe une prédominance masculine (87 %),l’âge moyen des donneurs est de 41 ans versus 53 ans pour lesDDME (sachant que l’âge limite d’inclusion des DDAC est de55 ans). Depuis 2006, un total de 268 donneurs ont étéprélevés (49 % des donneurs recensés) de 314 reins grefféschez 310 receveurs (dont 4 bi-greffes). Les greffons prélevésécartés de la greffe (N = 212), l’ont été principalement devantl’aspect macroscopique au prélèvement et les tests de viabilitérecueillis sur machine. L’expérience accumulée par les équipesa permis une amélioration de l’efficacité du programme, aveccertes la persistance d’un taux élevé de donneurs recensés non

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prélevés (51 %) mais une progression du taux de greffe desreins prélevés (63,7 %) [37]. L’opposition au prélèvementreprésente 24,6 % des donneurs recensés. Les résultats préli-minaires de la survie et de la fonction rénale à 1 an, en analysemultivariée, ne montrent pas de différence significative entreles DDAC et les DDME à critères élargis. Quant à l’activité deprélèvement hépatique, 3 centres sont autorisés depuis2010 dont 2 actifs : un total de 8 greffes dont 5 en2011 ont pu être réalisées.Le bilan réalisé par l’Agence en 2010 auprès des centres, qu’ilssoient actifs ou non, confirme l’importance de la filière pré-hospitalière déjà soulignée [38] et montre que l’implicationforte de la direction hospitalière, l’utilisation du circuit déjàdéveloppé de prise en charge des DDME et le compagnonnagelors de l’apprentissage à la CRN, la communication au sein del’hôpital sur cette activité sont les éléments clé nécessaires à laréussite de la mise en place et la pérennité du programme.Du fait de la reprise dans le même temps, de l’activité DDAC etde l’adoption du projet de loi sur la fin de vie, la catégorie III n’apas été envisagée en 2005 afin d’éviter toute confusion lors del’installation du programme DDAC, entre une décision d’arrêtdes traitements et l’intention d’un prélèvement d’organe. À lalumière de l’expérience acquise depuis 2005 et à l’occasion dela seconde révision de la loi de bioéthique, la mission d’in-formation rapportée par J. Léonetti, a proposé d’inviter lessociétés savantes à ouvrir un débat sur la procédure deprélèvements après arrêt cardiaque pour la catégorie III deMaastricht. Ce débat devrait porter sur les critères médicaux duprélèvement, l’intentionnalité des actes médicaux et leur di-mension éthique. Les comités d’éthique des sociétés savantes(Société de réanimation de langue française [SRLF] et Sociétéfrançaise d’anesthésie-réanimation [SFAR]) se sont emparés dusujet.

Activité de prélèvement et de greffe à partir dedonneur vivant

L’activité de greffe à partir de donneur vivant (DV) a suivi uneprogression lente en France jusqu’en 2008 : en 2011, ce sont316 donneurs (4,8 pmh) qui ont permis la réalisation de302 greffes de rein (10 % du total des greffes rénales versus7,9 % en 2009) et 14 greffes de lobes de foie (1,2 % du totaldes greffes hépatiques versus 1,1 % en 2009). Cette évolution àla hausse est le fruit d’une volonté affichée d’augmenter lerecours au DV insuffisamment développée en France, en pa-rallèle à l’activité DDME. En effet, Les DV représentent unpotentiel important d’augmentation du pool des donneurs sil’on considère la Scandinavie, le Royaume-Uni et les Pays-Basoù la proportion de DV est de l’ordre de 40 à 50 % plaçant cetteactivité en 1ère intention avant l’activité DDME ; aux États-Unis,le pool de donneurs se partage entre les DDME, les DDAC detype III et les DV [5,8,12]. En France, comme pour l’activitéDDAC, il existe un parallélisme entre le profil d’activité de

greffes et l’importance de la pénurie avec, pour exemple,près de 50 % du total des greffes DDAC et DV réalisées enÎle-de-France, région où la pénurie est maximale [2]. Le déve-loppement des greffes rénales à partir de DV constitue un desaxes prioritaires pour l’Agence de la biomédecine, les position-nant non plus comme une alternative à l’activité DDME mais encomplément de cette dernière, quelle que soit le niveau depénurie régionale. Pour le foie, compte tenu du risque à la foispour le donneur et le receveur lors du don d’un foie droit entreadultes, l’essentiel de ces greffes sont pédiatriques (don delobe gauche d’un parent pour son jeune enfant). Historique-ment, les pionniers de la transplantation rénale ont freiné ledéveloppement de ces greffes au nom du principe éthique denon malveillance ou primum non nocere. L’évidence des bonsrésultats de ces greffes, d’une part pour les receveurs avec destaux de survie meilleurs que ceux enregistrés pour la greffe àpartir de DDME (activité programmée, greffons issus de don-neurs particulièrement sélectionnés, plus jeunes et moinscomorbides que les DDME, durée d’ischémie froide courte) etd’autre part, le risque marginal à terme pour le donneur d’unenéphrectomie, confirment l’acceptabilité d’une telle pratique[39–41].Depuis mai 2004, le suivi des DV est assuré au travers d’unregistre national tenu par l’Agence. Le don du vivant depoumon est autorisé par la loi mais vu le potentiel conséquentde DDME et des risques encourus pour le donneur, le dernierdonneur de poumon (sur un total de 10) a été enregistré en mai2004. Entre le 1er juin 2004 et le 1er juin 2011, un total de1645 donneurs de reins et de 171 donneurs de foie, soit1816 donneurs sont suivis : l’exhaustivité du suivi est de93 % (N = 1695) à 3 mois. L’exhaustivité du suivi périodiqueà 1 an, au 1er novembre 2010, concerne 82 % des DV, soit1337 des 1629 DV (1468 donneurs de rein, 161 donneurs defoie). De plus, la qualité de vie du DV, enjeu majeur pourl’acceptabilité de cette activité, a fait l’objet d’une évaluationrétro- et prospective (en cours). Le 1er volet rétrospectif portantsur la période (2005–2009) a permis de colliger l’avis de 74 %(N = 501) des DV interrogés offrant un recul en moyenne de3 ans [41]. Les non-répondants s’avèrent plus jeunes et moinssuivis par le registre. Plus de 84 % des donneurs sont suivis parun professionnel de santé. Les donneurs sont essentiellementles ascendants (36 %), les collatéraux (33 %) et les conjoints(26 %). Le niveau de santé physique des DV apprécié selon unscore résumé physique SF36 est très bon, d’autant plus s’ils sontâgés comparativement aux sujets de la population générale demême âge et de même sexe. Ce phénomène traduit la sélec-tion drastique des donneurs potentiels. Le seul facteur influe-nçant le niveau de santé physique à distance du don est latechnique chirurgicale utilisée : les 261 (52 %) sujets ayantbénéficié d’une coelioscopie ont moins souvent eu des douleursdans les suites opératoires (OR = 0,5 ; 0,3–0,8 ; p < 0,002) etont plus souvent récupéré à distance de façon complète sans

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Prélèvement d’organes en France : état des lieux et perspectivesUrgences - Reanimation - Anesthesie

aucune douleur résiduelle (OR = 1,7 ; 1,2–2,5 ; p < 0,004). Endépit des complications chirurgicales, des insatisfactions de leursuivi médical, des licenciements ou des réajustements de leurvie professionnelle (13 %), de leurs difficultés à porter descharges lourdes, des relations parfois complexes avec le re-ceveur ou leur entourage, des non remboursements des frais etdes pertes de salaire (12 %), ils conseilleraient le don à 95 % etsi c’était à refaire. . . ils recommenceraient à 98 %.Une deslimites au développement des greffes avec DV est la difficultépour les équipes à dégager le temps nécessaire à l’organisationde telle greffe. La préparation en est longue, d’une duréemoyenne 4 à 6 mois, aboutissant à un don dans 30 % descas. À côté de la motivation des divers professionnels impli-qués, la présence d’une infirmière de coordination de greffe(décret no 2007-1257 du 21 août 2007) dédiée à cette tâche estune clé du succès des centres actifs. Les équipes volontairesexpriment le souhait d’un plus fort soutien de la part del’administration hospitalière pour surmonter de nombreux ob-stacles organisationnels (gestion de l’évaluation médicale dudonneur et de sa prise en charge financière, disponibilité desblocs opératoires, poste de coordination. . .) et d’une plus largediffusion de l’information sur la greffe avec DV et ses résultatstant auprès de leurs pairs que des patients candidats à la greffe,voire au stade de l’annonce de l’insuffisance rénale terminale[42].Depuis 2004, le cercle familial a été élargi aux grands-parents, oncle, tante, cousin et cousine germains ainsi qu’auxpersonnes pouvant attester d’une vie commune avec lereceveur d’au moins 2 ans (Article L 1231–1, Article L1231-2, CSP). La seconde révision de la loi de bioéthique[6] a introduit deux nouvelles dispositions : celle de l’élar-gissement du cercle des donneurs à toute personne faisant lapreuve d’un lien affectif, étroit et stable depuis au moins deuxans et l’autorisation au don croisé. La pratique des donscroisés s’est développée dans de nombreux pays européenstels que les Pays-Bas, au Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie etplus récemment le Portugal. Cette nouvelle activité autorisele don croisé entre deux paires de donneur-receveur lorsquele don n’est pas possible au sein de chaque paire en raisond’une incompatibilité de groupe sanguin ou liée au HLA : ledonneur d’une paire A donne, par exemple, un rein aureceveur d’une paire B et le donneur de la paire B donneau receveur de la paire A, dès lors que l’algorithme d’appa-riement de croisement des paires détecte une compatibilitémutuelle entre elles. Le cadre réglementaire permettant lesdons croisés d’organes s’inscrit dans le cadre des dispositionsexistantes pour le don du vivant : gratuité et anonymat entrepaires, règles éthiques relatives au respect du consentementéclairé (protection des mineurs, information et autorisationdes donneurs par les comités d’experts, passage devant letribunal de Grande Instance), estimation du bénéfice-risque.Une des spécificités du don croisé repose sur la nécessité pour

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les établissements, de s’assurer de la simultanéité des inter-ventions de prélèvement chez les donneurs et de greffe chezles receveurs. À ce jour, il est difficile d’apprécier le nombrede greffes potentielles dans la mesure où ces incompatibilitésn’apparaissent pas dans les statistiques des procédures DV.Néanmoins, un sondage auprès des quelques centres actifsfait apparaître un potentiel à terme de la montée en chargenécessaire à la mise en place du dispositif, de 50 à 100 greffessupplémentaires par an.

ConclusionSi la France occupe une situation confortable, en 3e ou4e position selon l’activité d’organe considérée au sein del’Europe, le prélèvement et la greffe ont atteint un palier face àdes besoins (incidence des insuffisances terminales d’organe)et une demande (nouveaux inscrits en liste d’attente) qui nefont que croître parallèlement à l’allongement de l’espérancede vie. La perspective d’alternative à d’autres sources degreffons que les organes issus de donneurs décédés, tellesque la thérapie et l’ingénierie cellulaires, reste encore loin-taine même si des progrès encourageants sont avancés dansce domaine. Quand bien même les chiffres d’activité pourl’année 2011 s’avèrent meilleurs, une marge de progressionexiste et il nous appartient de consolider l’existant en orientantnos efforts vers ces niches potentielles de sources de greffonsqu’ils soient issus de donneurs décédés pour le recensementdes DDME, la baisse du taux d’opposition, le DDAC ou qu’ils’agisse des DV. L’analyse fine des disparités régionales àchaque étape est un pré-requis pour comprendre les spécifi-cités propres à chaque région et constituer un vrai levier pourdécliner des actions ciblées de benchmarking. Les moyens etressources mis à disposition dans les régions se doivent deviser l’objectif de tendre au moins vers la moyenne nationale,s’inspirant de l’expérience positive des régions dépassant lamoyenne nationale. Le recours aux DDAC de la catégorie III deMaastricht constitue une vraie solution à la situation de pénu-rie qui ne peut s’affranchir d’une appropriation effective etaffirmée par les professionnels des dispositions de la loi sur lafin de vie. Outre ces démarches essentielles qui visent àconforter l’existant et inscrites dans le nouveau plan greffe,l’Agence de la biomédecine oriente ses actions vers l’intégra-tion des activités de prélèvement et de greffe au sein desfilières d’amont (par le suivi de cohortes de patients eninsuffisance terminale d’organes permettant d’apprécier aumieux les besoins réels) et au sein des filières d’aval, notam-ment en ce qui concerne le suivi des patients greffés etporteurs de greffons fonctionnels (près de 43 000 au 31 décem-bre 2011), actuellement assumé quasi-exclusivement par leséquipes de greffe.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.

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