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© Masson, Paris, 2005. Gastroenterol Clin Biol 2005;29:1164-1168 1164 Pseudo-syndrome de Zollinger-Ellison en rapport avec une sténose duodénale d’origine tuberculeuse Pierre-Emmanuel RAUTOU (1), Olivier CORCOS (1), Pascal HAMMEL (1), Dominique CAZALS-HATEM (2), Jean-Luc SLAMA (3), Anne-Sophie MORIN (4), Réza KIANMANESH (1, 5), Philippe LÉVY (1), Philippe RUSZNIEWSKI (1) (1) Fédération Médico-Chirurgicale d’Hépato-Gastroentérologie, (2) Service d’Anatomie-Pathologique, Hôpital Beaujon, Clichy ; (3) Service d’Hépato-Gastroenté- rologie, Centre Hospitalier Intercommunal Robert Ballanger, Aulnay-sous-Bois ; (4) Service de Médecine Interne, Hôpital Beaujon ; (5) Service de Chirurgie Digestive, Hôpital Louis Mourier, Colombes. RÉSUMÉ Nous rapportons l’observation d’un homme âgé de 32 ans d’origine indienne ayant un tableau évocateur d’un syndrome de Zollinger-Ellison associant des douleurs abdominales, une œso- phagite érosive, une sténose duodénale non améliorée par le trai- tement antisécrétoire, une hypergastrinémie à jeun se majorant après injection intraveineuse de sécrétine, une élévation marquée de la chromogranine A plasmatique et un aspect tumoral du cro- chet du pancréas à la scanographie. Une duodénopancréatecto- mie céphalique était réalisée. L’examen histologique de la pièce réséquée montrait l’absence de tumeur endocrine pancréatique ou duodénale mais des lésions florides de tuberculose folliculo-caséeuse. Le diagnostic finalement retenu était celui de pseudo-syndrome de Zollinger-Ellison en rapport avec un obstacle à la vidange gastri- que créé par une sténose duodénale d’origine tuberculeuse. SUMMARY Pierre-Emmanuel RAUTOU, Olivier CORCOS, Pascal HAMMEL, Dominique CAZALS-HATEM, Jean-Luc SLAMA, Anne-Sophie MORIN, Réza KIANMANESH, Philippe LÉVY, Philippe RUSZNIEWSKI We report the case of a 32-year-old Indian man with symptoms sug- gesting Zollinger-Ellison syndrome including abdominal pain, esaphagitis, duodenal stenosis that did not improve with antisecre- tory medication, elevated fasting gastrin serum levels that increased after intravenous secretin injections, elevated chromogranin A serum levels and tumoral aspect of pancreatic uncus on CT scan examina- tion. A pancreaticoduodenectomy was performed. Histological examination of the resected specimen showed that there was no endocrine tumour of the pancreas or the duodenum, but identified marked lesions of follicular and caseous tuberculosis. The final diag- nosis retained pseudo Zollinger-Ellison syndrome due to gastric out- let obstruction caused by duodenal stenosis of a tuberculosis origin. Introduction Le syndrome de Zollinger-Ellison (SZE) se caractérise clinique- ment par une maladie ulcéreuse chez près de 9 malades sur 10 et une diarrhée chronique chez deux tiers d’entre eux [1]. Il est dû à une hypersécrétion de gastrine par une tumeur endocrine appelée gastrinome, siégeant dans le pancréas ou la paroi duodénale. Il existe d’autres causes d’ulcère duodénal avec hypergastrinémie, mais sans gastrinome, que l’on regroupe habituellement sous le terme de pseudo-syndrome de Zollinger-Ellison (pseudo-SZE) qui recouvre, selon les auteurs, des entités variées. En pratique, il est souvent utilisé comme synonyme du principal diagnostic dif- férentiel du SZE, l’hyperplasie ou hyperfonctionnement de cellu- les G antrales avec ou sans infection à Helicobacter pylori [2]. L’obstacle chronique à la vidange gastrique constitue une cause exceptionnelle de pseudo-SZE. Habituellement, ces causes s’accompagnent d’un tableau incomplet des anomalies biologi- ques de SZE, en particulier le test à la sécrétine est fréquemment négatif. Nous rapportons la première observation de pseudo-SZE, avec anomalies morphologiques et biochimiques mimant un gas- trinome, causé par une sténose duodénale d’origine tuberculeuse. Observation Un homme âgé de 28 ans, d’origine indienne, sans antécédent per- sonnel ni familial notable était hospitalisé au mois d’août 2003 dans un autre établissement pour une altération de l’état général avec amaigris- sement de 20 kg en 4 mois, associée à des vomissements alimentaires post-prandiaux précoces et tardifs et des épigastralgies partiellement cal- mées par les vomissements. Il n’avait pas de diarrhée. L’examen clinique notait une sensibilité de l’épigastre avec signe du clapotement chez un malade très dénutri (44 kg pour 1,68 m, index de masse corporelle à 15,6 kg/m 2 ). Au plan biologique, il existait une éosinophilie à 520/mm 3 sans autre anomalie. À l’endoscopie digestive haute, on trouvait une sté- nose infranchissable du genu superius d’allure inflammatoire, sans ulcère visible, et une œsophagite érosive de stade II selon la classification de Savary-Miller. L’analyse des biopsies antrales révélait la présence d’une infection par Helicobacter pylori. Une hyperplasie des cellules G antrales n’était pas notée, une étude immunohistochimique avec un anti- corps anti-gastrine n’ayant pas été effectuée. La scanographie abdomi- nale montrait un épaississement non spécifique de la paroi du premier duodénum sans image de compression extrinsèque et faisait évoquer une sténose d’origine ulcéreuse. Un transit œso-gastro-duodénal confirmait la sténose filiforme du premier duodénum post-bulbaire (figure 1). L’évo- lution était initialement favorable sous traitement par inhibiteurs de la pompe à protons (oméprazole 160 mg/j pendant deux jours par voie intraveineuse, puis ésoméprazole 80 mg par jour per os) pendant un mois associé à une éradication de H. pylori (amoxicilline et clarithromy- cine pendant une semaine). Lors des contrôles endoscopiques effectués un mois et trois mois plus tard, l’œsophagite avait disparu, mais la sté- nose duodénale restait inchangée. Les biopsies gastriques de contrôle ne retrouvaient plus d’infection par H. pylori et celles réalisées au niveau de la sténose ne montraient qu’un abondant infiltrat inflammatoire lympho- plasmocytaire associé à de nombreux polynucléaires neutrophiles, sans granulome. Au mois de novembre 2003, devant cet aspect endoscopique, l’absence d’amélioration de l’état nutritionnel et la persistance d’épigas- tralgies et de vomissements nocturnes, un test à la sécrétine était effectué. Celui-ci, réalisé une semaine après l’arrêt du traitement par inhibiteurs de la pompe à protons, montrait une gastrinémie à jeun à 494 pg/mL (valeur supérieure de la normale : N < 120 pg/mL) passant à 757 pg/mL 60 minutes après l’injection de secrétine. Compte tenu de la sténose, il Pseudo Zollinger-Ellison syndrome in a patient with duodenal stenosis caused by tuberculosis (Gastroenterol Clin Biol 2005;29:1164-1168) Tirés à part : P. HAMMEL, Fédération Médico-Chirurgicale d’Hépato-Gastroentérologie, Hôpital Beaujon, 92 110 Clichy. E-mail : [email protected]

Pseudo-syndrome de Zollinger-Ellison en rapport avec une sténose duodénale d’origine tuberculeuse

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© Masson, Paris, 2005. Gastroenterol Clin Biol 2005;29:1164-1168

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Pseudo-syndrome de Zollinger-Ellison en rapport avec une sténose duodénale d’origine tuberculeuse

Pierre-Emmanuel RAUTOU (1), Olivier CORCOS (1), Pascal HAMMEL (1), Dominique CAZALS-HATEM (2), Jean-Luc SLAMA (3), Anne-Sophie MORIN (4), Réza KIANMANESH (1, 5), Philippe LÉVY (1), Philippe RUSZNIEWSKI (1)

(1) Fédération Médico-Chirurgicale d’Hépato-Gastroentérologie, (2) Service d’Anatomie-Pathologique, Hôpital Beaujon, Clichy ; (3) Service d’Hépato-Gastroenté-rologie, Centre Hospitalier Intercommunal Robert Ballanger, Aulnay-sous-Bois ; (4) Service de Médecine Interne, Hôpital Beaujon ;

(5) Service de Chirurgie Digestive, Hôpital Louis Mourier, Colombes.

RÉSUMÉNous rapportons l’observation d’un homme âgé de 32 ansd’origine indienne ayant un tableau évocateur d’un syndrome deZollinger-Ellison associant des douleurs abdominales, une œso-phagite érosive, une sténose duodénale non améliorée par le trai-tement antisécrétoire, une hypergastrinémie à jeun se majorantaprès injection intraveineuse de sécrétine, une élévation marquéede la chromogranine A plasmatique et un aspect tumoral du cro-chet du pancréas à la scanographie. Une duodénopancréatecto-mie céphalique était réalisée. L’examen histologique de la pièceréséquée montrait l’absence de tumeur endocrine pancréatique ouduodénale mais des lésions florides de tuberculose folliculo-caséeuse.Le diagnostic finalement retenu était celui de pseudo-syndromede Zollinger-Ellison en rapport avec un obstacle à la vidange gastri-que créé par une sténose duodénale d’origine tuberculeuse.

SUMMARY

Pierre-Emmanuel RAUTOU, Olivier CORCOS, Pascal HAMMEL, Dominique CAZALS-HATEM, Jean-Luc SLAMA, Anne-Sophie MORIN, Réza KIANMANESH, Philippe LÉVY, Philippe RUSZNIEWSKI

We report the case of a 32-year-old Indian man with symptoms sug-gesting Zollinger-Ellison syndrome including abdominal pain,esaphagitis, duodenal stenosis that did not improve with antisecre-tory medication, elevated fasting gastrin serum levels that increasedafter intravenous secretin injections, elevated chromogranin A serumlevels and tumoral aspect of pancreatic uncus on CT scan examina-tion. A pancreaticoduodenectomy was performed. Histologicalexamination of the resected specimen showed that there was noendocrine tumour of the pancreas or the duodenum, but identifiedmarked lesions of follicular and caseous tuberculosis. The final diag-nosis retained pseudo Zollinger-Ellison syndrome due to gastric out-let obstruction caused by duodenal stenosis of a tuberculosis origin.

Introduction

Le syndrome de Zollinger-Ellison (SZE) se caractérise clinique-ment par une maladie ulcéreuse chez près de 9 malades sur 10 etune diarrhée chronique chez deux tiers d’entre eux [1]. Il est dû àune hypersécrétion de gastrine par une tumeur endocrine appeléegastrinome, siégeant dans le pancréas ou la paroi duodénale. Ilexiste d’autres causes d’ulcère duodénal avec hypergastrinémie,mais sans gastrinome, que l’on regroupe habituellement sous leterme de pseudo-syndrome de Zollinger-Ellison (pseudo-SZE) quirecouvre, selon les auteurs, des entités variées. En pratique, ilest souvent utilisé comme synonyme du principal diagnostic dif-férentiel du SZE, l’hyperplasie ou hyperfonctionnement de cellu-les G antrales avec ou sans infection à Helicobacter pylori [2].L’obstacle chronique à la vidange gastrique constitue unecause exceptionnelle de pseudo-SZE. Habituellement, ces causess’accompagnent d’un tableau incomplet des anomalies biologi-ques de SZE, en particulier le test à la sécrétine est fréquemmentnégatif. Nous rapportons la première observation de pseudo-SZE,avec anomalies morphologiques et biochimiques mimant un gas-trinome, causé par une sténose duodénale d’origine tuberculeuse.

Observation

Un homme âgé de 28 ans, d’origine indienne, sans antécédent per-sonnel ni familial notable était hospitalisé au mois d’août 2003 dans un

autre établissement pour une altération de l’état général avec amaigris-sement de 20 kg en 4 mois, associée à des vomissements alimentairespost-prandiaux précoces et tardifs et des épigastralgies partiellement cal-mées par les vomissements. Il n’avait pas de diarrhée. L’examen cliniquenotait une sensibilité de l’épigastre avec signe du clapotement chez unmalade très dénutri (44 kg pour 1,68 m, index de masse corporelle à15,6 kg/m2). Au plan biologique, il existait une éosinophilie à 520/mm3

sans autre anomalie. À l’endoscopie digestive haute, on trouvait une sté-nose infranchissable du genu superius d’allure inflammatoire, sansulcère visible, et une œsophagite érosive de stade II selon la classificationde Savary-Miller. L’analyse des biopsies antrales révélait la présenced’une infection par Helicobacter pylori. Une hyperplasie des cellules Gantrales n’était pas notée, une étude immunohistochimique avec un anti-corps anti-gastrine n’ayant pas été effectuée. La scanographie abdomi-nale montrait un épaississement non spécifique de la paroi du premierduodénum sans image de compression extrinsèque et faisait évoquer unesténose d’origine ulcéreuse. Un transit œso-gastro-duodénal confirmaitla sténose filiforme du premier duodénum post-bulbaire (figure 1). L’évo-lution était initialement favorable sous traitement par inhibiteurs de lapompe à protons (oméprazole 160 mg/j pendant deux jours par voieintraveineuse, puis ésoméprazole 80 mg par jour per os) pendant unmois associé à une éradication de H. pylori (amoxicilline et clarithromy-cine pendant une semaine). Lors des contrôles endoscopiques effectuésun mois et trois mois plus tard, l’œsophagite avait disparu, mais la sté-nose duodénale restait inchangée. Les biopsies gastriques de contrôle neretrouvaient plus d’infection par H. pylori et celles réalisées au niveau dela sténose ne montraient qu’un abondant infiltrat inflammatoire lympho-plasmocytaire associé à de nombreux polynucléaires neutrophiles, sansgranulome.

Au mois de novembre 2003, devant cet aspect endoscopique,l’absence d’amélioration de l’état nutritionnel et la persistance d’épigas-tralgies et de vomissements nocturnes, un test à la sécrétine était effectué.Celui-ci, réalisé une semaine après l’arrêt du traitement par inhibiteursde la pompe à protons, montrait une gastrinémie à jeun à 494 pg/mL(valeur supérieure de la normale : N < 120 pg/mL) passant à 757 pg/mL60 minutes après l’injection de secrétine. Compte tenu de la sténose, il

Pseudo Zollinger-Ellison syndrome in a patient with duodenal stenosis caused by tuberculosis

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Tirés à part : P. HAMMEL, Fédération Médico-Chirurgicale d’Hépato-Gastroentérologie, Hôpital Beaujon, 92 110 Clichy.E-mail : [email protected]

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Pseudo-syndrome de Zollinger-Ellison

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n’était pas effectué de tubage gastrique pour mesure des débits acidesbasal et sous sécrétine. La vitamine B12 sérique était normale.

Le diagnostic de syndrome de Zollinger-Ellison responsable d’unesténose duodénale était retenu et le malade était adressé dans notre ser-vice pour suite de la prise en charge. Une nouvelle scanographie abdo-minale permettait de mettre en évidence, à la partie basse du crochet dupancréas, une lésion arrondie mesurant 1 cm de diamètre, ne se rehaus-sant pas au temps artériel sauf en périphérie, faisant évoquer une tumeurendocrine pancréatique primitive partiellement nécrosée ou une adéno-pathie accolée au pancréas (figure 2). En revanche, ni l’écho-endoscopiehaute, incomplète en raison de la sténose, ni la scintigraphie des récep-teurs de la somatostatine ne confirmaient le diagnostic de tumeur endo-crine. La chromogranine A plasmatique était à 2 421 pg/mL( N < 86,5 pg/mL) en décembre 2003 et à 3 859 μg/L en janvier 2004alors que le malade avait repris l’oméprazole (160 mg/j) après le test àla sécrétine. Il n’y avait pas d’argument en faveur d’une néoplasie endo-crinienne multiple de type 1 (bilan phosphocalcique normal, absence demutation du gène MEN1).

Après renutrition par voie parentérale et supplémentation vitamini-que pour traiter une neuropathie périphérique d’origine carentielle(index de masse corporel à l’arrivée dans le service : 13,8 kg/m2), ondécidait de réaliser un traitement chirurgical au mois de février 2004.L’exploration de la cavité abdominale mettait en évidence une fibroseintéressant le pédicule hépatique dans sa portion inférieure, une sténosescléreuse du genu superius, et, à proximité, une zone indurée au niveaude la partie haute de la tête du pancréas, sans qu’il soit possible de pré-ciser s’il existait ou pas une tumeur intra-pancréatique. Il existait desadénopathies péri-duodénales et à proximité de l’angle duodéno-jéjunalcentimétriques, ainsi que de multiples adénopathies infra-centimétriquesmultiples. Un examen histologique extemporané de plusieurs adénopa-thies mésentériques était réalisé et ne montrait qu’un aspect réactionnel.On ne palpait pas de tumeur du crochet. Dans ces conditions, enl’absence de tumeur maligne prouvée chez un malade ayant une sténoseduodénale très symptomatique et non amélioré par le traitement médical,une duodéno-pancréatectomie céphalique était effectuée. L’examen ana-tomo-pathologique de la pièce opératoire mettait en évidence des lésionsflorides de tuberculose folliculo-caséeuse au niveau de multiples gan-glions rétro-pancréatiques, rétro-cholédociens et de la pointe du crochetpancréatique (correspondant à la lésion arrondie vue en scanographie),et au niveau de la paroi des premier et deuxième segments du duodé-num, responsables de la sténose qui mesurait 4 cm de longueur(figures 3 à 5). L’examen immunohistochimique révélait une hyperplasiemajeure des cellules G antrales, chiffrée à 120 cellules G par mm (parréférence aux valeurs normales citées dans la littérature, en moyenneinférieures à 60 cellules G par mm [2]) (figure 6). Le malade recevaitalors une quadrithérapie antituberculeuse par rifamycine, isoniazide,éthambutol et pyrazinamide. Ce dernier était arrêté après 11 jours detraitement en raison d’une élévation des transaminases. Un mois aprèsl’intervention, la chromogranine A sérique était normale alors que lemalade recevait encore 40 mg d’oméprazole. La nutrition entérale étaitprogressivement arrêtée, le malade étant asymptomatique et s’alimentantnormalement. Le poids était alors de 42 kg. L’oméprazole était arrêté aubout de trois mois. Neuf mois après l’intervention, le malade restaitasymptomatique et en bon état général. La gastrinémie et la chromogra-nine A étaient normales.

Discussion

Les diagnostics différentiels du SZE sont bien connus(tableau I). Les mécanismes impliqués ont, pour beaucoup, étéélucidés et leurs caractéristiques biologiques assez bien explo-rées (tableau I). Parmi eux, l’obstacle à la vidange gastriqueconstitue un diagnostic différentiel particulièrement délicat. Eneffet, chez un malade ayant une sténose duodénale, et dessymptômes et anomalies biologiques (hypergastrinémie) évo-quant une hypersécrétion acide, il est difficile de savoir si l’obs-truction est la conséquence d’un SZE – diagnostic habituellementévoqué - ou la cause d’un pseudo-SZE.

Dans notre observation, le diagnostic de SZE semblaitaffirmé devant l’association d’une œsophagite érosive, d’unesténose duodénale, d’une hypergastrinémie avec test à la sécré-tine positif, d’une élévation marquée de la chromogranine Aplasmatique et d’une possible tumeur pancréatique du crochetdu pancréas à la scanographie. Les éléments discordants étaientla présence d’une infection par H. pylori et la normalité de lascintigraphie des récepteurs de la somatostatine, positive dansplus de 85 % des cas en présence de gastrinome mesurant plusde 2 cm [3].

La réalisation d’une duodéno-pancréatectomie céphaliqueétait décidée en raison de l’inefficacité du traitement médical dela sténose duodénale, qui était responsable d’une altération

ABRÉVIATIONS :SZE : syndrome de Zollinger-Ellisonpseudo-SZE : pseudo syndrome de Zollinger-EllisonECL : enterochromaffin like

Fig. 2 – Scanographie préopératoire : temps artériel après injection deproduit de contraste. Début de la sténose duodénale (flèche).Rigidité de la paroi antrale (tête de flèche). Adénopathierétropancréatique (flèche creuse).Preoperative CT scan. Beginning of the duodenal stenosis (arrow).Gastric antral rigidity (arrow head). Retropancreatic lymph node(empty arrow).

Fig. 1 – Transit oeso-gastro-duodénal. Sténose duodénale responsable d’unretard à la vidange gastrique (flèche).Barium meal. Gastric outlet obstruction caused by a duodenalstenosis (arrow).

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P.-E. Rautou et al.

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importante de l’état général du malade. D’autre part, l’explora-tion de la cavité abdominale per-opératoire ainsi que l’examenanatomo-pathologique extemporané n’avaient apporté d’élé-ment en faveur d’une tumeur maligne métastatique ; cependant,la présence d’un gastrinome pancréatique ou duodénal de petitetaille n’était pas formellement écartée.

Chez notre malade, l’hyperplasie des cellules G antralesconstatée sur l’analyse de la pièce opératoire n’était pas signa-lée lors de l’analyse des biopsies faites lors des endoscopies pré-cédant l’intervention, mais les lames n’ont pas été relues. Cettehyperplasie des cellules G antrales avec hypergastrinémie étaitsans doute liée à la distension gastrique chronique engendréepar la sténose duodénale [4]. Il a été montré, chez le rat, qu’unobstacle à la vidange gastrique peut entraîner une hyperplasiedes cellules G [5]. Cette dernière diffère, par son caractèresecondaire, de l’hyperplasie des cellules G antrales classique-ment décrite.

Une hypothèse pourrait être que l’obstacle à la vidange gas-trique, en diminuant l’arrivée de suc gastrique acide dans leduodénum, et donc son action sécrétagogue vis-à-vis de lasécrétine - qui normalement diminue par rétroaction négative la

sécrétion des cellules G antrales — pourrait entraîner à longterme un hyperfonctionnement, voire une hyperplasie des cellu-les G antrales.

Dans notre observation, les autres causes d’élévation de lagastrine étaient éliminées. L’infection par H. pylori avait été éra-diquée 3 mois avant le premier dosage de la gastrinémie. Unehypergastrinémie basale peut s’observer chez des sujets infectéspar H. pylori [6] et régresse généralement un mois après l’éradi-cation du germe [7]. L’hypergastrinémie au cours de l’infectionpar H. pylori serait liée à la diminution de la densité des cellulesD antrales avec diminution de la sécrétion de la somatostatine etdonc de son action frénatrice sur la sécrétion de gastrine [8]. Letraitement par inhibiteurs de la pompe à protons est exception-nellement responsable d’une élévation aussi importante de lagastrinémie [9]. Enfin, la normalité de la vitamine B12 sérique,la présence d’une œsophagite et surtout, l’absence d’atrophiegastrique sur les biopsies, écartaient une maladie de Biermer.

L’élévation importante de la chromogranine A constatée cheznotre malade est probablement expliquée par une hyperplasiedes cellules enterochromaffin-like (ECL) engendrée par l’hyper-gastrinémie prolongée [10]. En effet, des études in vitro et chez

Fig. 3 – Adénite tuberculeuse localisée au bord inférieur du crochet pancréatique (grossissement x 100, coloration hématéine et éosine).Tuberculosis lympadenitis located in the inferior edge of the pancreas (magnification x 100, hematein and eosine stain);

Fig. 4 – Granulomes épithélioïdes centrés par de la nécrose caséeuse et des cellules géantes (grossissement x 250, coloration hématéine et éosine).Epithelioid granuloma with central caseation and giant cells (magnification x 250, hematein and eosine stain).

Fig. 5 – Sténose du duodénum proximal : lésions tuberculeuses florides dans la sous-muqueuse duodénale (grossissement x 250, coloration hématéine et éosine).Proximal duodenum stenosis: florid tuberculosis lesions in the duodenal sub mucosae (magnification x 250, hematein and eosine stain).

Fig. 6 – Détection par immunohistochimie d’une hyperplasie majeure des cellules G antrales, chiffrée à 120 cellules G/mm (immunoperoxydase, grossissement x 100).Detection by immunohistochemistry of marked antral G-cell hyperplasia, estimated at 120 G-cells/mm (immunoperoxydase stain, x 100 magnification).

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Pseudo-syndrome de Zollinger-Ellison

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l’animal ont montré que la gastrine active le promoteur du gènede la chromogranine A et induit une prolifération des cellulesECL [11]. Dans l’étude de Kleveland et al. [12] portant sur26 malades ayant une hypergastrinémie et une suspicion clini-que de SZE, la chromogranine A sérique était « élevée »(> 30 ng/mL, limite de détection : 20 ng/mL) chez 23 malades(88 %). Cependant, la proportion de malades réellement atteintsde gastrinome n’étant pas indiquée, ces résultats sont difficiles àanalyser.

Bien que dans notre observation le malade eût arrêté l’omé-prazole une semaine avant le test à la sécrétine, il recevait uneforte dose depuis plusieurs mois au moment du dosage de lachromogranine A. La prise d’un inhibiteur de la pompe à pro-tons est une deuxième cause d’élévation d’origine non tumoralede la chromogranine A. En effet, il a été montré qu’un traitementde 3 mois par oméprazole peut entraîner une augmentationmodérée (< 150 %) de ce marqueur, par hyperplasie des cellulesECL [13].

La principale originalité de notre observation réside dans letableau clinique et biologique qui mimait parfaitement un SZEchez ce malade, en particulier du fait de la positivité franche dutest à la sécrétine sur la gastrinémie. À notre connaissance,aucun cas de syndrome de pseudo-SZE lié à un obstacle à lavidange gastrique avec test à la sécrétine clairement positif (aug-mentation de la gastrinémie > 50 %) n’avait été rapporté. Uneélévation paradoxale modérée (10 %-35 %) de la gastrinémieaprès injection de sécrétine a néanmoins été signalée chez qua-tre malades dans une série ancienne portant sur 9 maladesatteints de pseudo-SZE par hyperfonctionnement des cellules Gantrales, sans obstacle à la vidange gastrique [14].

Une autre originalité de notre observation tient à la causeinhabituelle de la sténose duodénale d’origine inflammatoire. Eneffet, les causes classiquement rapportées sont l’ulcère duodénalchronique et la maladie de Crohn [2]. La tuberculose de localisa-tion duodénale est rare, évaluée entre 0 % et 8,5 % des tubercu-

loses digestives [15-17]. En dehors d’un obstacle à la vidangegastrique, la tuberculose duodénale peut se manifester par unulcère hémorragique ou perforé, une fistule cholédocho-duodé-nale, ou une cholestase par obstacle sur la voie biliaire princi-pale. Dans notre observation, le diagnostic de tuberculose n’apas été posé en pré- ni en per-opératoire. Une recherche dubacille de Koch par polymerase chain reaction sur biopsies per-met d’obtenir une réponse en 48 heures avec une sensibilité etune spécificité élevées (75-80 % et 85 %-95 % respectivement)[17, 18]. En effet, le traitement antituberculeux entraîne une amé-lioration clinique dans plus de 90 % des cas, en présence de sté-nose intestinale symptomatique, évitant un geste chirurgical [19].

En conclusion, un obstacle à la vidange gastrique sans gas-trinome peut mimer un tableau complet de SZE, avec test à lasécrétine positif et élévation de la chromogranine A sérique.

Par ailleurs, en présence d’une sténose duodénale ne cédantpas sous traitement antisécrétoire, une cause tumorale ou nontumorale, comme une tuberculose, doit être évoquée et des biop-sies duodénales multiples effectuées.

RÉFÉRENCES

1. Mignon M, Cadiot G, Sobhani I, Ruszniewski P. Syndrome deZollinger-Ellison. In: Rambaud JC. Traité de gastroentérologie.1ère ed. Paris :Flammarion Médecine-Sciences 2000;85:921-32.

2. Zaatar R, Younoszai MK, Mitros F. Pseudo-Zollinger — Ellison syn-drome in a child presenting with anemia. Gastroenterology1987;92:508-12.

3. Cadiot G, Lebtahi R, Sarda L, Bonnaud G, Marmuse JP, VissuzaineC, et al. Preoperative detection of duodenal gastrinomas and peripan-creatic lymph nodes by somatostatin receptor scintigraphy. GroupeD’etude Du Syndrome De Zollinger-Ellison. Gastroenterology1996;111:845-54.

4. Feurle G, Ketterer H, Becker HD, Creutzfeldt W. Circadian serumgastrin concentrations in control persons and in patients with ulcerdisease. Scand J Gastroenterol 1972;7:177-83.

Tableau I. – Diagnostics différentiels devant une élévation de la gastrinémie et du débit basal acide.Diagnostic differentials during increased gastrinemia and basal acid output.

Affection Mécanisme Débit basal acide (DBA)

Gastrinémiestimulée par repas

Test à la sécrétine

Référence

Syndrome de Zollinger-Ellison

Hypersécrétion de gastrine par un gastrinome nn p ou n modérée Fortement positif (> 200 pg/mL)

[1, 14, 20]

Syndrome d’hyperplasie-

hyperfonctionnement des cellules G antrales

Hyperplasie :augmentation importante du nombre des cellules G antrales.Hyperfonctionnement :nombre normal de cellules G antrales,

Incertain. Facteurs possiblement impliqués :- Infection par Helicobacter pylori- Génétique- ↓ cellules D et ↓somatostatine sérique- Vagotomie

n nn (> 100 %) Souvent négatifParfois positif

[3][21][22][23]

Syndrome de l’antre exclu

Gastrectomie partielle type Billroth II, avec antre laissé en place et exclu

nn N ou n négatif [24][25]

Obstacle à la vidange gastrique

Distension gastrique avec stimulation inadaptée de la sécrétion de gastrine par l’antre

n NC Souvent négatif [4]

Après résection massive du grêle

Suppression de cellules sécrétant un facteur inhibant la sécrétion de gastrine par les cellules G.

N ou n NC Souvent négatif [26-28]

Insuffisance rénale chronique

Diminution de dégradation de la gastrine par le rein (mais pas de la clairance) parfois accompagnée d’une élévation de la sécrétion acide gastrique.

habituellement p,parfois n

n négatif [27, 29, 30]

Hyper-lipidémie Interférence des graisses sériques (si triglycérides > 10 g/L) avec le dosage de la gastrine qui peut être faussement élevé (>1000 ng/L).

n NC positif [31]

N : normal; NC : non connu; n : augmentation modérée; nn augmentation importante; p : diminution modérée.

Page 5: Pseudo-syndrome de Zollinger-Ellison en rapport avec une sténose duodénale d’origine tuberculeuse

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