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, conditions de travail et politiques du bonheur.
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INTRODUCTION :
LA QUALITE, UN SYMPTOME A DECHIFFRER
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Il s'agit en effet d'un sujet d'une grande complexit o l'apparente simplicit de l'objectif affich,
amliorer la qualit, n'implique pas la simplicit des moyens de le raliser. Intervenir dans le
domaine de la qualit c'est toucher peu ou prou beaucoup d'aspects des entreprises mais aussi
aux habitudes de vie des consommateurs, et une amlioration de la qualit se fait souvent, souspeine d'chouer, au prix de profondes rorganisations. Selon les approches, les mthodes et les
techniques, l'intervention sur la qualit ne sera pas la mme, diffrentes dmarches sont en
concurrence les unes avec les autres, et des diffrences existent aussi selon qu'il s'agit
d'entreprises industrielles ou de services. Sans parler du fait que pour de simples raisons de
march, chaque cabinet de consultants ou de spcialistes de la qualit a intrt inventer
dmarche.
Il n'y a pourtant pas autant de conceptions de la qualit et de moyens de la fabriquer qu'il y a de
dmarches. Nous en exposons ici une synthse, qui montre que quelques orientations de fond
traversent chacune d'entre elles, et que des enjeux comparables se jouent sur des terrains qui ne
sont distincts qu'en apparence, dans les entreprises, mais aussi chez les consommateurs.
Dans les entreprises, ces dmarches se constituent de plus en plus en vritables systmes de
gestion et de management qui comprennent leurs centres de formation (coles, instituts et
universits de la qualit), leurs services spcialiss (dpartement ou service de la qualit), leurs
cellules de communication interne et externe, et de nombreux spcialistes et experts, aussi bien
salaris de l'entreprise qu'extrieurs celle-ci. Omniprsente dans les ateliers et les bureaux, la
qualit devient alors non seulement un idal que tous les membres du personnel sont invits
partager, mais parfois mme une sorte
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Dispositifs participatifs, avec les ou les , les
dmarches qualit tentent parfois de crer des terrains de collaboration entre une partie des
salaris et la direction des entreprises, qui court-circuitent les organisations syndicales et brisent
des secrets de fabrication et certaines solidarits d'quipe ou d'atelier. Ces dmarches peuventnanmoins entraner un enrichissement de certaines tches, stimuler la crativit et l'esprit
d'initiative, montrer qu'il n'y a pas de travail de pure excution, et contribuer parfois rellement
, dans un sens jug positif par les salaris. Au point que d'aucuns y voient
dj les prmisses d'un nouveau modle productif, impliquant notamment une gestion des
processus de production par la demande de la clientle et le dveloppement croissant d'une
dimension de service dans les produits industriels. Mais en mme temps, des tendances visant
accroitre le contrle tatillon des tches d'excution, le renforcement du pouvoir central des
entreprises, et le dveloppement d'une nouvelle morale du travail, notamment par les normes ISO
9000, se font jour. Ce qui se joue ainsi finalement sur le terrain de la qualit dans les entreprises,
c'est la question du taylorisme : son renouvellement ou son dprissement.
Cette question du taylorisme, et les diffrentes manires de la traiter, sont prsentes avec des
dosages diffrents dans chaque singulire. D'o le fait que quand il est
question de , il est question en mme temps de toutes sortes d'autres choses qui
n'ont en apparence avec la qualit que de lointains rapports.
Cette thse nous semble pouvoir aborder autrement un certain nombre d'interrogations qui
apparaissent au moment de la mise en place d'actions qualit dans les entreprises. En effet, ceux
qui prennent l'initiative de telles actions s'tonnent parfois des rsistances qu'elles rencontrent. Ils
estiment par exemple que la qualit tant par dfinition une valeur positive, il est difficile de s'y
opposer, et effectivement, rares sont ceux qui s'opposent ouvertement aux projets de production
d'une qualit meilleure.
Pourtant, des rsistances existent. Elles s'opposent apparemment non au but final qui serait un
service ou un produit de meilleure qualit, mais aux conceptions du qui sont celles
des promoteurs de ces projets et au prix payer pour y parvenir. Ce prix concerne entre autres les
rformes organisationnelles, les changements dans les rapports de pouvoir, les modifications
techniques, les nouvelles normes et valeurs qui sont exiges pour parvenir cette qualit juge
meilleure. Cela signifie qu'on peut tre contre les actions qualit pour les raisons les plus diverses,
souvent mme contradictoires. Et l'inverse est vrai aussi : des gens sont , au nom de
raisons parfois tout fait opposes.
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Pour le dire en d'autres termes, le thme de la qualit reprsente toujours la pointe d'un iceberg. Il
occupe la place du clocher et de la ferme dans la citation de Freud en exergue de cette
introduction, et est pris dans toute la stratgie de modernisation des entreprises qui se joue sur le
terrain de la qualit mais aussi sur celui de la dcentralisation, du management ou du marketing parexemple.
Dans cet essai, nous allons explorer la partie immerge de l'iceberg, et analyser la stratgie
gnrale dans laquelle le thme de la qualit est pris aujourd'hui. On peut en dduire que le thme
de la qualit n'est pas donn, n'est pas vident, mais doit, chaque fois tre resitu dans la
conjoncture particulire de chaque entreprise, pour tre compris. La qualit est un symptme
dchiffrer. C'est ce dchiffrement que nous convions le lecteur.
Notre thse majeure est que en gnral est une fiction politique, une nouvelle
version du bonheur reprsente par les produits et les services. La qualit se prsente comme
l'une des formes du bien et du beau, l'une des formes de ce qu'il y a de plus dsirable, pour tous
les citoyens dans la vie, l'un des supports du bien-tre universel. Investie dans les produits et les
services, la qualit y dsigne ce qu'il y a en eux de plus prcieux, ce qui est mme de satisfaire
les besoins des consommateurs, mais aussi ce qui devrait faire le bonheur de ceux qui la
produisent. La qualit, c'est le bonheur propos par les entreprises. Mais ce bonheur fait parfois le
malheur de ceux chargs de fabriquer ces produits, et de ceux pour qui ils sont inaccessibles. Ce
qui signifie qu'aussi techniques que paraissent certaines interventions dans le domaine de la
qualit, aussi rbarbatifs que soient beaucoup des manuels en la matire, ce sont des actions
dominante idologique et politique, ayant pour enjeu de renforcer certains idaux contre d'autres,
certaines forces contre d'autres.
Car malgr de fortes apparences consensuelles, le terrain de la qualit est l'enjeu de sourdes
batailles, que l'emploi du terme unique a tendance mconnatre. Ce terme unique a,
quand on y regarde de plus prs, des significations trs varies, et ne veut pas du
tout dire la mme chose selon les points de vue de ceux qui prononent ce mot. Il s'agit d'une
construction sociale tel point polysmique qu'il faut une cl de traduction consistant ajouter,
au terme simple de qualit, toute une srie d'adjectifs pour comprendre de quelle qualit
particulire il est question chaque fois : qualit organisationnelle, qualit statistique, qualit
commerciale, qualit ou , qualit de scurit, qualit normative,
qualit bourgeoise et qualit populaire et bien d'autres encore qu'on exposera au fur et mesure
des analyses prsentes ici. La qualit est une question sociale, non seulement parce qu'il n'y a de
qualits que sociales (il n'y a pas de qualits purement techniques), mais aussi parce que sur le
terrain balis par les dmarches qualit se rejoue la vieille question sociale apparue au cours duXIXme sicle.
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Question sociale au sein des entreprises : tentatives pour rpondre travers les dmarches qualit
aux demandes de participation et d'amlioration des conditions de travail, de manire ngocier
des compromis acceptables tant par les directions des entreprises que par une majorit de salaris,
et de faon ce que ces derniers soient contents de leur vie au travail et s'en contentent.Question sociale en dehors des entreprises : dans les dmarches qualit, c'est la
des consommateurs et leur satisfaction qui deviennent de plus en plus centrales, et la mme chose
vaut pour toutes sortes d'autres protagonistes de la qualit que sont les gouvernements, les
actionnaires des entreprises, les associations de consommateurs, les mouvements cologistes.
C'est tout ce monde que les dmarches qualit voudraient satisfaire, rendre contents, rendre
heureux et surtout, tranquilles. Dans ce sens, il y a une vise scuritaire dans les dmarches
qualit. La qualit est l'un de ces biais par lesquels les entreprises jouent un rle socital, et
dveloppent une politique qui, en voulant le de ceux qui elles s'adressent, vise les
fidliser et les rendre dpendants des produits et des services proposs par ces entreprises.
Puisqu'on peut ainsi trouver le bonheur, dans une socit qui n'est certes pas parfaite mais encore
perfectible, pourquoi dsirer en construire une autre, pourquoi toujours se plaindre et manifester ?
En partant de la qualit, nous chouons donc sur des rivages auxquels on ne s'attendait pas au
dpart. Le thme de la qualit est un thme transversal par excellence, qui met en jeu non
seulement la politique des entreprises mais aussi leur culture et la culture en gnral. Cela n'a rien
d'tonnant pour une notion qui a t depuis des sicles au cur des dbats de la religion, de la
culture, de la philosophie et plus tard des rflexions scientifiques. C'est un thme qui permet de
dsenclaver les entreprises, de les sortir d'une vision trop troitement interne, et d'largir le dbat
vers des enjeux qui, tout en se jouant sur le terrain des entreprises, les dpassent de loin.
Cela explique le style de cet ouvrage qui, tout en se basant en priorit sur des exemples de
d'entreprises, et les crits des spcialistes en matire de qualit, les analyse travers la
loupe des Sciences sociales et humaines, de la philosophie et de la littrature, qui traitent leur
faon de ce thme. Mais le style de l'ouvrage, c'est aussi la dconstruction de la notion
apparemment si uniforme et monolithique de , pour en montrer les diffrentes
facettes. Il en va de mme des dmarches qui interviennent sur ce terrain, dont nous menons une
analyse critique, tendant montrer qu'elles s'occupent de tout fait autre chose que ce que leurs
promoteurs prtendent et croient.
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Ce qui nous importe ici c'est de donner voir ce dont nous pensons qu'il est vraiment question
quand il s'agit de . Non pour dnoncer de manire strile ce qui se passe dans les
entreprises ou critiquer sans appel les promoteurs des dmarches qualit, mais pour tenter d'y voir
un peu plus clair et permettre ainsi de construire des stratgies d'intervention dans ces domainesqui soient menes en connaissance de cause. Nous estimons en effet que plus on en sait, mieux on
sait faire ce qu'on veut effectivement faire. C'est pourquoi on trouvera ici non seulement des
analyses, mais aussi des pistes de travail.
Notre ouvrage se veut suffisamment conceptuel et rigoureux pour fournir des lments de
rflexions qui permettront de voir autrement certains des enjeux des dmarches qualit, et
d'intresser ce titre des chercheurs et des tudiants qui se proccupent de savoir quels enjeux
de socit se jouent aujourd'hui dans les entreprises. Il intresse galement tous ceux qui, en
position de chercheurs ou de consultants, sont amens faire des tudes et des interventions
dans les entreprises. Mais il se veut en mme temps utilisable pour constituer un document de
travail pour ceux qui, en position de direction ou d'encadrement, conoivent des stratgies dans le
domaine de la qualit, sont chefs de projet, pilotes ou animateurs de ces dmarches, et dsirent
mieux se reprer dans les enjeux de leurs domaines respectifs. Nous ne prtendons nullement
donner une vue exhaustive de l'ensemble des thories, dmarches et actions
existantes aujourd'hui sur le march, et nous ne traiterons pas du dtail de telle ou telle mthode,
sauf pour y pingler les principes de fond qu'il nous importe de comprendre ici. Il s'agit de tenter
d'exposer d'une manire aussi gnrale que possible les enjeux de toute action qualit quelle
qu'elle soit, et notamment de montrer en quoi elle peut constituer une forme de
ou au contraire une tentative de rupture avec le taylorisme.
Notre matriel est compos d'entretiens avec des responsables dans le domaine de la qualit dans
diffrentes entreprises industrielles et de service, et plus gnralement d'lments d'enqutes
menes dans diffrents domaines, ayant un rapport avec la qualit. Les entreprises concernes
sont en priorit la RATP, France Tlcom et La Poste, avec lesquelles nous travaillons depuis un
certain nombre d'annes, et plus ponctuellement IBM, le groupe Accor, les Aroports de Paris, la
Rgie Renault, la Sodexho et la SNCF o nous avons eu l'occasion d'avoir des entretiens Mais des
exemples nous sont venus aussi de notre exprience de voyageur, de consommateur ou de client,
des entreprises cites ou des restaurants Mac Donald et de grands supermarchs, des discussions
avec des collgues et des amis connaissant telle entreprise ou y travaillant, ou de la lecture de
revues et des quotidiens apportant tous les jours leurs lots de nouvelles en rapport avec les
proccupations que nous avons eues ici. Un certain nombre de mmoires d'tudiants effectuant un
Diplme d'tudes suprieures spcialises (DESS) l'universit d'Evry, dont les stages portaient
sur des dmarches qualit (spcialement ISO 9000), ont t galement mis contribution dans celivre.
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Enfin, les discussions que nous avons pu avoir avec divers reprsentants du Mouvement franais
pour la qualit (MFQ), en premier lieu Christian Mayeur et Bertrand Jouslin de Noray, ainsi que la
participation aux journes sur la recherche organises par ce mouvement, ont t d'une grande
utilit pour la rdaction et le positionnement final de cet ouvrage. Bien entendu, la responsabilitde l'usage des exemples revient l'auteur de ce livre, et non aux entreprises concernes.
Notre ouvrage est compos de deux grandes parties.
La premire partie de ce livre, intitule :
tente de rpondre la question de la dfinition de la qualit et des dmarches qualit. Le premier
chapitre fournit des repres historiques, permettant de situer les dmarches qualit dans une
certaine chronologie et dfend l'ide qu'elles n'ont pu se constituer que sur la base de certaines
conditions runies par l'industrie de masse, au dbut de ce sicle. Le deuxime chapitre dfinit la
notion si complexe de qualit, partir de l'ide qu'il faut distinguer le terme de qualit au sens
normatif et moral, qui domine dans les dmarches qualit o est gnralement
synonyme de , et son sens scientifique, o qualit dsigne les caractristiques
et proprits d'une chose ou d'un tre. Le troisime chapitre analyse les principales significations
du mot dans les dmarches du mme nom, et propose une cl de traduction destine
mieux entendre quelles significations exactes a la qualit dans ces dmarches.
On verra ainsi que le terme de qualit est le nud de multiples contradictions, et quand on en tire
les diffrents fils, on dcouvre chaque fois des conceptions sociales plus ou moins opposes
concernant les conditions de travail et les critres de rentabilit des entreprises, les produits et
leur prix, mais aussi les styles de vie en gnral, qui sont celles des dirigeants d'entreprise, des
salaris, des consommateurs.
La deuxime partie : analyse les
conceptions sociales l'uvre dans trois dmarches qualit.
Le chapitre quatre dcrit les dmarches de , en commenant par donner
une dfinition des services qui montre comment ils transforment l'identit de leurs clients. La
dfinition de la qualit d'un service tant en dernier ressort politique, et pas seulement pour les
services publics. Le chapitre cinq est consacr la , la certification
selon les normes ISO 9000, que nous avons dfinie comme nouvelle morale d'entreprise. Le
sixime et dernier chapitre tudie les dmarches dites de , qui ont l'ambition
d'tre le en matire de dmarche qualit.
Dans ces trois chapitres nous rencontrons deux dimensions transversales toutes les dmarches,
que le , prn par le Mouvement
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franais pour la qualit (MFQ), fait ressortir particulirement : la culture et les rapports de pouvoir.
D'o le titre de notre ouvrage, clair plus longuement dans la conclusion : au-del de la qualit, on
dcouvre le politique. Les dmarches qualit proposent en effet la qualit comme idal du bonheur.
Et celui qui dtient le bien que tous les citoyens dsirent, celui-l dtient le pouvoir.
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Que sont les dmarches qualit ? Quand sont-elles apparues, et que font-elles de la qualit ?
Qu'est-ce que la qualit ?
Si la qualit est un thme trs ancien, les dmarches spcialises la concernant sont
historiquement assez rcentes, car on peut les dater du dbut du sicle quand apparaissent
certains problmes dans la production de masse. Contemporaines de la naissance du taylorisme, ce
dernier ne les a jamais quittes, et constitue encore aujourd'hui la pierre de touche des dmarches
: s'agit-il d'une forme de no-taylorisme, ou tentent-elles de rompre avec lui ? Le premier chapitre
est consacr ces questions concernant la constitution historique et le dploiement de ces
dmarches.
La qualit est un mot qui a au moins trois significations trs diffrentes, dans les domainesscientifique, juridique et moral. L'analyse dtaille de ces dfinitions jette une nouvelle lumire sur
la manire trs normative dont le mot qualit figure dans la majorit des dmarches qualit. Au
cur des dbats sur la qualit, apparaissent les questions de la diffrenciation et de la distinction
entre classes sociales. La qualit, a sert classer et dclasser, juger et djuger. Le mot en
ressort bien moins innocent qu'il ne parat de prime abord. Tel est le sujet du deuxime chapitre.
Dans les dmarches qualit, existe une pluralit de dfinitions de la qualit, et on en distingue de
diffrentes sortes, selon le point de vue des producteurs ou celui des consommateurs. Ces
diffrences tmoignent de divergences d'orientations entre dmarches, certaines tant plus
dogmatiques et sectaires que d'autres qui se veulent plus relativistes et pluralistes. Le troisime
chapitre commence par montrer que la qualit en gnral est un leurre, mais un leurre agissant et
efficace, base d'un vaste consensus.
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Ces dmarches sont des modalits d'intervention spcialises sur un phnomne qu'elles
contribuent autonomiser du reste de la production : . Or, ce terme aujourd'hui si
vident, revt selon les poques et les industries, mais aussi selon les catgories de personnels ou
de consommateurs concerns, des significations trs diffrentes et chaque fois singulires, qui
ne se recouvrent pas, et nous font affirmer que la qualit en gnral n'existe pas. Lesproccupations en matire de qualit sont historiques, au sens o s'y dcident des enjeux situs
dans un pays donn, une conjoncture particulire, une conomie et une culture socialement et
historiquement ancres, qui sont mme souvent limites un secteur particulier de l'industrie.
Tantt la qualit dsigne la prcision des machines ou l'interchangeabilit des pices, tantt elle
dsigne le respect effectif par les ouvriers des consignes qui leur sont donnes, tantt elle signifie
l'attrait commercial d'un produit, tantt elle reprsente la pice constitutive d'une nouvelle culture
d'entreprise. Les interventions sur la qualit sont insparables de la conjoncture des entreprises et
de la socit, dont on retrouve les diffrents lments en leur sein.
C'est l'une des raisons qui rend l'histoire des dmarches qualit si difficile, car l'apparente
continuit du mot qualit, recouvre en ralit des ruptures dans les proccupations, les objectifs,
les moyens, et donc dans les enjeux, qui interdisent de penser qu'il y a une tranquille continuit
entre par exemple les premires dmarches de contrle et d'inspection des produits en fin de
production, et les normes ISO 9000 d'aujourd'hui.
A l'encontre de ceux des spcialistes de la qualit qui prnent de telles thses volutionnistes
(Robin, 1988 ; Stora, 1986), faisant remonter les dmarches qualit jusqu' la nuit des temps,
nous avanons l'hypothse que lesdmarches qualit se constituent dans un moment de rupture
avec les modalits de la production antrieure, ce qui n'exclut pas qu'elles ont une prhistoire.
I. LA PREHISTOIRE : LA QUESTION DE L'INTERCHANGEABILITE DES PIECES
Le risque de la description d'une prhistoire est qu'on y prenne la fin, les dmarches qualit
actuelles, pour la cause en rinterprtant telle poque historique en rfrence cette fin, pour en
faire l'origine. L'artisan du Moyen Age et ce qu'on appelle son
apparat alors comme le prcurseur de W.E. Deming, l'un des fondateurs des dmarches qualit,
alors qu'il n'y a entre les deux aucun lien de continuit autre que celui qu'on souhaiterait, aprs-
coup, y trouver. Nous n'chapperons pas ce risque, mais nous tenterons de l'attnuer en
indiquant par des remarques et des questions, les moments de discontinuit et de rupture qui nous
semblent les plus importants, en privilgiant l'exemple de la France.
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Ce qui nous intresse donc est de savoir ce qui distingue les dmarches qualit qui se sont
constitues dans ce sicle, d'autres manires de produire dans des poques o la qualit n'tait
pas l'objet d'interventions spcialises. Il est toujours possible en effet de trouver, chez les
Egyptiens ou les Aztques, ou dans les rgles dictes par les corporations du Moyen Age, des loiset des rglements concernant le contrle du travail command, ou des citations o figure le mot
. Ce seul mot ne suffit pas pour qu'on ait affaire des dmarches qualit, qui se sont
constitues dans l'industrie de masse, et non dans l'artisanat. Leur prhistoire se situe aux dbuts
de l'industrie, comme l'indiquent d'ailleurs mme ceux qui font remonter l'origine de ces dmarches
l'Antiquit, car les rfrences qu'ils fournissent deviennent beaucoup plus prcises partir de
l'poque industrielle : >
(Jouslin de Noray, 1990).
I.1. Comment la qualit se constitue comme problme
Avec le dveloppement de l'industrie, la gnralisation des rapports marchands et la disparition
concomittante de l'artisanat, se creuse la sparation entre ceux qui fabriquent les produits mis sur
le march, et ceux qui en sont les propritaires. Mais la sparation se creuse aussi entre les
producteurs et les consommateurs de ces produits. L o l'artisan avait un intrt direct faire
des produits ayant telle ou telle caractristique prcise souhaite par son commanditaire, l'ouvrier
qui produit non pour un client mais pour un employeur perd un tel intrt, car qu'il travaille
ou , cela ne change gure son salaire. Et quand le patron est vcu comme un
, l'ouvrier peut mme penser qu'il a intrt travailler le moins et le plus mal
possible. Pour le matre-artisan la qualit telle que dfinie par les rglements de sa corporation, fait
partie intgrante de sa matrise, pour l'ouvrier ou l'employ cela n'est plus le cas. Ds lors la
peut effectivement devenir un problme pour les dirigeants et les ingnieurs
qui encadrent les ateliers de production. Les dmarches qualit sont donc nes sur le socle de
certaines formes de la division sociale et historique du travail.
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Mais ces dmarches ne naissent pas dans n'importe quelle industrie. Il faut en
effet d'abord souligner que le passage de l'Ancien Rgime la fin du XIXme sicleest surtout marqu par l'enrlement de millions de familles paysannes et d'artisans
dans les manufactures et les usines, o l'on fabriquait des objets de toutes sortes
dont la qualit premire tait de coter beaucoup moins cher que les objets
artisanaux (Braudel, 1985). Mais la grande masse de la population travaillant seize
heures par jour, six jours par semaine, consommait trs peu de choses. Dans la
grande industrie sidrurgique ou les mines, les ouvriers dpendaient des boutiques
de leurs patrons qui dfalquaient directement les produits achets de leur salaire,
ou ils achetaient crdit. En France comme en Angleterre, de nombreux rapports
officiels font tat des pratiques dlibres de production de mauvaise qualit
auxquelles cette vente crdit donne lieu. Marx, citant certains de ces rapports,
note l'exemple d'une bonne partie des boulangers de Londres qui vendent crdit
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Les premiers problmes vont apparatre dans l'industrie de l'armement, et par son biais dans celle
de la machine-outil. Ils sont provoqus par un client important, qui joue, tout au long de l'histoiredes dmarches qualit jusqu' nos jours, un rle moteur : l'arme. C'est ce que remarque l'un des
auteurs d'une histoire de la qualit, qui cite l'exemple de Vaquette de Gribeauval, inspecteur
gnral de l'artillerie, qui la fin du XVIIIme sicle
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Or, quelle tait la situation dans ces usines d'armement franaises ? Les machines, manies par des
ouvriers gnralement qualifis, y produisaient des pices qu'on jugerait aujourd'hui grossires,finies ensuite la main par des ajusteurs. Pour mesurer la prcision de cette finition, ils disposaient
de divers instruments, calibres et pieds coulisse, permettant une prcision jusqu' 1/100 de
millimtre, avec une bonne part d'valuation faite l'il et au jug. Le pouvoir de finition et de
prcision tait donc aux mains de ces ajusteurs, dpendait de leur habilet, de leur plus ou moins
bonne volont, et rendait impossible pour les dirigeants d'entreprise de garantir l'interchangeabilit
demande par l'arme.
Mais le deuxime obstacle cette interchangeabilit tait les ingnieurs qui, comme le notent
plusieurs observateurs de l'poque, avaient l'habitude de faire confiance aux ouvriers pour grer
leur propre travail. Or, certains dirigeants d'entreprise et ingnieurs vont tenter des expriences
qui imposeront progressivement l'idal de l'interchangeabilit des pices et vont faire passer le
pouvoir de la prcision, des ouvriers aux instruments de mesure et aux instructions crites, puis
des machines pouvant tre conduites par des ouvriers non-qualifis. On assistera ainsi la
disparition progressive du mtier d'ajusteur, et plus gnralement des ouvriers qualifis, des
ateliers de mcanique. Cela bien sr non sans mal et rsistances, mais le rsultat final est bien
atteint.
Ces transformations dans les usines d'armement taient conditionnes par la possibilit de
fabriquer des machines-outils d'une beaucoup plus grande prcision qu'auparavant, rendant
possible la suppression des retouches. Ces machines taient souvent importes des Etats-Unis, o
elles taient de bien meilleure prcision que les machines produites en France. Or, partir du
moment o ces machines existent, o donc des techniques et des savoir-faire en la matire sont
disponibles, l'exprience acquise grce la production des armes peut se rpandre dans d'autres
productions en srie, comme les machines coudre (Peyrire, 1990), les cycles, et surtout
l'automobile partir de 1900. On passe ainsi d'une contrainte institutionnelle (celle de l'arme)
une logique de march. A partir du moment o l'on sait produire des pices interchangeables, et o
l'on dispose des machines pour le faire, il s'agit de les utiliser au maximum, donc de fabriquer
autant que possible en srie, et de se , et cela (Cohen,
1994).
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Ces clients, d'abord dirigeants et ingnieurs d'autres usines, ensuite simples particuliers, n'ont
gure les moyens de rsister cette standardisation qui va mettre leur disposition des produits
qu'on imaginait jusque-l inaccessibles, en premier lieu l'automobile. Mais il ne faut nanmoins pas
voir dans cette standardisation une fatalit technique, quelque chose d'inexorable qui seraitinhrent l'volution de l'industrie moderne. La standardisation n'a pas gagn tout de suite tous
les secteurs de l'industrie. Et depuis quelques annes les entreprises sont en train d'inverser cette
tendance, au moyen de productions flexibles qui proposent des produits fabriqus en petites sries
la demande des clients. La standardisation est donc, un moment donn de l'histoire du
capitalisme, laforme de production trouve, qui condense en elle des dterminants de prix, des
possibilits scientifiques et techniques, des rapports de force au sein de l'entreprise, la prise de
pouvoir des ingnieurs sur les manires de travailler, mais aussi une idologie de l'galit, du
, de l'identique, qui se matrialisera pour les consommateurs par des produits
standardiss. C'est ainsi que s'impose aussi la domination de la production sur l'usage et sur la
consommation, avec la standardisation des produits (Cohen, 1992).
Ces problmes dans la prcision de plus en plus exacte de pices standardises et interchangeables
nous semblent constituer le prototype des problmes de qualit. Ils apparaissent partir du
dcalage entre les exigences de standardisation et d'interchangeabilit d'un client puissant,
l'arme, et la ralit des produits disponibles. Mais tant que le pouvoir de finition de ces produits
tait aux mains des ajusteurs, c'tait un problme insoluble, parce qu'il aurait exig une
transformation pralable des conditions mmes de toute la production. Une fois la prise de pouvoir
des ingnieurs sur la production effectue, la prcision finale devient un problme sur lequel ces
ingnieurs ont une prise relle. Par le biais des instruments de mesure de plus en plus prcis,
d'instructions crites de plus en plus rigoureuses, et de machines servies par des ouvriers peu
qualifis, la prcision peut devenir un problme d'ingnieur, recevant des solutions d'ingnieur,
donnant lieu des crits dots dsormais du pouvoir de passer dans les faits. De ce fait, les
dfinitions de la qualit des produits par des ingnieurs vont dominer celles, jusque-l conues par
les ouvriers, et une contradiction entre deux sortes de qualits va apparatre au sein des
entreprises.
L'interchangeabilit des pices, la standardisation, la production en srie et la prcision se
transforment petit petit d'un idal en une ralit. Cela permet la rduction des cots.
L'interchangeabilit est donc la qualit industrielle essentielle du moment, et elle va s'imposer
comme nouvelle qualit aux clients fabriquants, et ensuite aux clients consommateurs, d'abord sur
des marchs assez limits.
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Pourtant, toute cette bataille autour de l'interchangeabilit des pices n'est pas mene sous la
bannire de en gnral, et ce serait de l'anachronisme que d'y voir, aprs-coup, une
. Nous y voyons plutt la cration de certaines des conditions pralables
l'apparition de problmes de qualit, qui sont, dans l'industrie de masse, des problmesd'ingnieurs. Mais ces conditions pralables ne dboucheront pas ncessairement ni
automatiquement sur des dmarches qualit autonomes et spcialises, et bon nombre
d'industries semblent, jusqu' ces dernires annes, avoir chapp de telles dmarches, ou ont
peut-tre invent leurs propres mthodes sans qu'on en entende parler.
Comme le montre l'exemple ci-dessus, F.W.Taylor n'est pas le seul avoir invent de nouvelles
mthodes d'organisation du travail. Pourtant, nous pensons avec d'autres auteurs (Hermel, 1989 ;
Cruchant, 1993) que c'est bien avec lui que se mettent en place les conditions d'apparition de
dmarches qualit, car c'est lui qui a runi et systmatis un ensemble de mthodes qui ont pu,
comme les dmarches qualit, prtendre une certaine universalit au-del de la spcificit de tel
ou tel secteur de l'industrie.
Dans les textes de F.W.Taylor, on trouve plusieurs rfrences aux activits explicitement lies
des questions de qualit. Dans Shop management (1902), traduit et publi en France en 1907
sous le titre Direction des ateliers, sont dfinies les responsabilits des surveillants, des chefs de
brigade, des chefs d'allure et d'entretien, dont certaines ont trait la qualit du travail, avec des
prcisions concernant les instructions, la propret des machines, l'emploi des bons outils, et la
vrification du travail final, le tout afin d'excuter le travail de la faon la plus conomique possible.
Dans Principles of scientific management, publi aux Etats-Unis en 1911 et l'anne d'aprs en
France sous le titre Principes de l'organisation scientifique des usines, est relate l'exprience de la
rationalisation du travail de vrification des billes de bicyclettes :
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F.W.Taylor, congdier les plus intelligentes et les plus consciencieuses, qui taient aussi les plus
lentes.
Se rendant compte que dans ce travail de vrification, les exigences de rentabilit pouvaient
contredire les exigences en termes de qualit, F.W.Taylor mit en place des systmes de contre-vrification et de contre-contre-vrification bref, tout un systme de contrle, de surveillance et
de sanction, par lequel se crrent de nouvelles fonctions : des ouvrires contre-vrificatrices, un
contrematre vrificateur, et un inspecteur en chef coiffant l'ensemble de la contre-inspection. Ce
systme, qu'on peut appeler policier, permit de (F.W.Taylor, 1927). C'tait le moyen trouv pour s'assurer contre la dprciation de la
qualit, pour s'occuper ensuite de l'essentiel, l'augmentation du rendement. Mais la qualit restait
une proccupation, et taient rcompenses chez celles des ouvrires qui faisaient , cela dans le but , le salaire
de celles qui travaillaient moyennement tant diminu et celles qui montraient une lenteur et une
ngligence tant congdies. Le systme de salaire ensuite mis en uvre visait
la fois augmenter le rendement, mais aussi la qualit du travail. De plus, un systme
d'encouragement verbal et d'autres formes d'attention personnelles de la part des chefs
prfiguraient dj la dcouverte des dans l'entreprise. Le rsultat final
tait selon F.W.Taylor
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Ce systme repose sur un clatement de l'unit de commandement, et rpartit les tches de
direction, de conception, de contrle et de sanction sur une plthore de salaris spcialiss. Ce
qui, par la suite, va tre l'origine de bon nombre de problmes de qualit ! Cette accentuation
de la spcialisation des tches forme certainement l'une des conditions historiques pourl'apparition de spcialistes de la qualit et de personnels spcialiss dans les tches de
vrification.
Avec ce systme d'organisation du travail, se renforcent les bases pour un rel . D'une part, l'accroissement considrable de la productivit fait s'accrotre la quantit
de produits disponibles, et en fait baisser le prix, donc les rend plus accessibles. D'autre part,
en proposant aux ouvriers un idal d'enrichissement rendu possible par certaines
augmentations de salaire, F.W.Taylor a contribu au mouvement gnral d'augmentation du
pouvoir d'achat de la population ouvrire, dj entam depuis la fin du XIXme sicle par les
revendications syndicales et politiques.
Les mthodes de F.W.Taylor se veulent scientifiques, se rfrent aux approches des sciences
physiques et naturelles, aux mathmatiques et au calcul des temps et des dpenses d'nergie,
aux sciences conomiques et morales, la physiologie et une esquisse de , ce qui en fait une tentative de rationalisation du travail. Avec ses
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II.1. La constitution de la qualit comme objet de savoir d'ingnieurs-conseil
La vrification et l'inspection de la qualit, l'une des spcialisations parmi d'autres systmatises
par le taylorisme, consistait donc, dans un premier temps, la fin du processus
de fabrication entre les produits visiblement et les autres, , qui taient
retirs et au besoin, refaits (Cruchant, 1993). L'inspection posait aux inspecteurs le problme du
choix des lots vrifier, de manire ce que ceux-ci soient reprsentatifs pour la totalit des
produits contrler. Cette inspection va trouver dans les instruments statistiques le moyen de
dvelopper son emprise non plus seulement sur la fin du processus de production, mais tout au
long de celui-ci. Ces instruments statistiques forment donc en quelque sorte la premire thorie
spcifique en matire de qualit, le dbut d'une doctrine particulire dans ce domaine, qui permet
de dfinir et de cerner comme objet spcifique dans le processus de
production, lgitimant de nouvelles fonctions d'inspection et de nouveaux mtiers d'inspecteurs.
Selon diffrents auteurs, c'est en 1924, aux Etats-Unis, dans une filiale de la Compagnie de
tlphone Bell, la Western Electric, que fut invent et appliqu par G. Edwards et W.A. Shewhart,
ce qui deviendra la (Jouslin de Noray, 1990). Le premier fut
l'origine de la cration de missions spcialises dans le contrle de la qualit spares de la
production, et a invent la notion de . Le second, qui aura pour
disciples entre autres W.E.Deming et J.M.Juran, deux de la qualit,
introduisit la statistique comme moyen de vrification et de contrle de celle-ci, permettant de
reprer les variations dans sa conformit aux normes stipules. A cela il faut ajouter l'invention, en
1930, du , permettant de classifier les dfauts selon leur gravit, et durant
la Seconde Guerre mondiale, toujours aux Etats-Unis et la compagnie Bell, l'laboration de tables
d'chantillonnage simplifies destines aux inspecteurs de la qualit pour organiser leurs activits
de contrle.
La plupart de ces inventions eurent lieu dans les laboratoires de la Bell compagnie, et concernent
donc l'industrie du tlphone, secteur la fois de technologies de pointe (lectromcaniques, puis
plus tard lectroniques), et hautement stratgique pour les communications nationales et
internationales, y compris les communications au sein des armes. C'est un secteur dans lequel
mme de petits dfauts peuvent avoir de trs graves consquences, non seulement sur l'abonn
particulier,qui n'avait pas un grand pouvoir de pression sur Bell, mais aussi sur des clients
puissants, comme les entreprises ou l'arme. Or, dans le nouveau central tlphonique dont le
mauvais fonctionnement avait t l'origine des premires analyses de la qualit, on dcouvrit l'un
des inconvnients du taylorisme : il y avait plus de personnel d'inspection que d'ouvriers, et laproduction fonctionnait mal cause d'une vaste bureaucratie (Jouslin de Noray, 1990) !
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Les entreprises de la Bell compagnie ont t ainsi des sortes de laboratoires exprimentaux, car
c'est aussi la Western Electrics qu'eurent lieu, entre 1924 et 1932, les expriences en
psychologie sociale d'Elton Mayo et de son quipe, l'origine de l'mergence du , en troite collaboration avec l'universit d'Harvard (Bouilloud/Lecuyer,
1994). Mais c'est l que les rcits historiques existants s'avrent lacunaires, car aucun auteurn'indique s'il y a eu des liens entre ces expriences en matire statistique ayant abouti
l'assurance qualit et les expriencs en matire de . Si une
telle jonction avait eu lieu, cela permettrait d'expliquer par exemple d'o sont venues W.E.
Deming certaines de ses conceptions participatives.
C'est ainsi que s"est cre ce qu'on peut appeler la premire dmarche en matire de qualit,
formalise, exportable d'autres industries, et gnralisable. Car s'est cre alors une premire
appellation contrle,
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Or, en se constituant en dmarche spcifique, l'assurance qualit forme aussi une sorte de matrice
originelle, une rfrence premire, pour toutes les autres dmarches. La qualit statistique qu'elle
amne l'existence se veut une assurance, destine tranquilliser, assurer mais aussi rassurer,
les clients, et en l'occurence, l'arme. La qualit devenue autonome s'inscrit d'emble dans uneproblmatique de la confiance, comme le font encore aujourd'hui les normes ISO 9000. Destine
rassurer, la qualit statistique, aussi technique qu'elle apparaisse, et mme quand ses chiffres et
ses tableaux s'emparent de l'ensemble du processus de production, a non seulement une vise
organisationnelle et politique (le contrle du travail d'excution) mais aussi une vise idologique :
elle propose un idal de tranquillit, en affirmant aux clients . Cet
idal de tranquillit est alors aussi un idal passablement policier, ce qui n'est pas tonnant quand
on voit la longue liaison qui existe entre les premires dmarches qualit et l'arme, elle aussi trs
proccupe par la matrise des dsordres et du non-conformisme.
Durant la Seconde Guerre mondiale, ces mthodes statistiques furent diffuses, la demande du
Ministre des armes des Etats-Unis, dans les usines d'armement. Ces dmarches aboutirent
l'apparition de la notion de (NQA), labore partir des
standards de qualit que l'arme amricaine indiquait pour ses armements pendant la Seconde
Guerre mondiale, aux fabricants d'armes. C'est cette position institutionnelle puissante qui, via la
guerre, permettra ces mthodes de s'imposer aussi aux armes et aux usines d'armement allies,
donc un peu partout dans le monde, par le biais des ingnieurs-conseil. Comme le note un auteur,
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tudes, la production et aux services d'atteindre une complte satisfaction du client de la faon
la plus conomique>> (Gogue, 1990).
Le contrle de la qualit devient donc d'une part l'affaire des diffrents services de l'entreprise, et
d'autre part une proccupation essentielle du management*
, dont la tche primordiale estl'intgration, qui implique que chacun doit abandonner ses particularits pour se fondre dans un
ensemble dfini par la direction gnrale. Cette action d'intgration sera considre comme la
mission la plus importante des dirigeants et des ingnieurs. J.M.Juran aussi bien que
A.V.Feigenbaum, continuent dfendre une conception trs pyramidale de l'entreprise, et du
contrle de la qualit, qui reste une spcialit, mme si cette spcialit est plus largement rpartie.
A partir des tudes de marketing, les commencent tre
prsents dans cette approche.
S'y ajoutent au fur et mesure l'valuation et le contrle des cots conomiques de la qualit
(Juran, 1983), la compression de certains de ces cots par des actions prventives, des
oprations de simulation de l'utilisation des produits dans des conditions extrmes, ainsi que des
mesures qui incitent le personnel respecter au plus prs les normes imposes (Hermel, 1989). Ce
mouvement, pouss ses consquences extrmes, aboutit avec P.B.Crosby, prsident de la Qualit
chez International Telephone et Telegraph partir de 1966, la notion de , qui
implique que chaque employ de l'entreprise doit >, en opposition avec la notion de
.
Cette assurance est ainsi dfinie par l'Association franaise pour le contrle industriel de la qualit
(AFCIQ) : >
(Hermel, 1989, 30). La rfrence aux utilisateurs y est donc explicitement prsente, et concerne
surtout dans un premier temps les que sont d'autres entreprises ou des
institutions, susceptibles ainsi de diminuer leurs propres contrles des produits achets. Cette
notion d'assurance a trouv son origine, une fois encore, dans l'industrie de l'armement, la
fabrication des missiles Pershing aux Etats Unis en 1961. Assurance aussi bien pour les fabricants
que pour les clients, qui devraient pouvoir . La qualit va acqurir le
statut de garantie, qui signifie que ce qu'on achte est rellement ce qu'on croit acheter, d'aprs
* Par "management" nous entendons ici une mthodologie particulire de direction et d'encadrement,comprenant une doctrine labore avec les apports des sciences sociales et humaines, et gnralement une
vise participative, qui a t mise au point aux Etats-Unis dans les annes 30, et importe avec le planMarshall en France dans les annes 50. Voir sur ce point L. Boltanski : Les cadres, Minuit 1986, chapitre"L'introduction du management et la fascination de l'Amrique", et notre tude "Le management entrescience politique et dispositif d'encadrement", Cahiers d'Evry, juin 1995.
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les documents officiels qui dcrivent le produit. La qualit c'est donc la conformit du produit rel
ce qui en est dcrit.
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Cette qualit devient ainsi un idal, un argument publicitaire et un lment de la culture des
entreprises, l'une des bases de leur liaison avec leur clientle, qui va s'inscrire de plus en plus dans
des rglementations, des contrats et des lgislations. Le fameux de
l'entreprise de distribution Darty en est l'un des exemples les mieux connus. Loin d'tre cantonnedans un rle avant tout technique ou financier, la qualit va panouir ses dimensions symboliques
et mme, selon certaines orientations, ses vertus spirituelles. Comme le dit un auteur : > (Hermel, 1989, 32), et qui constituent en quelque
sorte une tentative pour runir la diversit des approches existantes.
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Les orientations de cette version de la qualit totale, labore essentiellement aux Etats-Unis,
restent dominance taylorienne, au sens o les spcialistes de la qualit mais aussi les dirigeants
d'autres services de l'entreprise, ordonnent aux oprateurs de produire de telle et telle manire et
de (Crosby, 1986). Cette qualit totale se prsente souvent sousla forme de vastes programmes conus au sommet de l'entreprise, qu'il s'agit ensuite de , au moyen de diffrentes mesures incitatives. Cette qualit est dite parce
qu'elle concerne tous les services d'une entreprise et l'ensemble du personnel, et ne consiste plus
seulement en contrles tout au long du processus de production, mais aussi en actions de
prvention et d'amlioration. Elle s'appelle aussi totale car elle se croit parfaite...ayant atteint les
sommets de la qualit. La qualit est devenue un idal, qui fait partie des systmes de valeur de
l'entreprise, auquel les salaris sont parfois invits vouer une sorte de culte. Enfin, la qualit
totale se veut totale car elle thorise et systmatise la volont des et des
spcialistes en qualit de , surtout le travail de ceux qui doivent excuter ce
qu'eux conoivent.
Autour des annes 70, les dmarches qualit sont en France et dans de nombreux pays
industrialiss, le thtre d'importantes transformations, troitement lies la conjoncture
internationale. La premire de ces transformations est due l'apparition de la concurrence
japonaise, mais aussi l'attrait que va exercer le mythe du Japon, entre autres travers les cercles
de qualit. Une reformulation des dmarches de qualit totale, qui veut rompre avec le taylorisme,
en rsulte. La seconde volution concommitante s'inscrit dans la critique du taylorisme et les
fortes demandes de participation et de changement dans les conditions de travail que cette
critique implique. Les dmarches qualit redcouvrent alors le et des
approches originales, utilisant les apports des Sciences sociales et humaines notamment dans les
services, donneront lieu la cration de la . La troisime volution, plus
prs de nous, se passe sur fond de crise et d'ouverture du march europen. Il s'agit du
dveloppement des dmarches de certification par les normes ISO 9000, qui ressemblent par bien
des cts un retour au taylorisme. La dernire volution enfin, dans laquelle nous nous situons
aujourd'hui, c'est le passage des proccupations en termes de qualit celles en termes de
management, avec la constitution du .
On peut alors se demander si les dmarches qualit ne sont pas en train de perdre leur spcificit,
voire mme si elles ne vont pas disparatre d'ici quelques annes.
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Avant la guerre, l'industrie japonaise avait mauvaise rputation, au point qu'on dsignait aux Etats-
Unis les japonais comme les (marchands de pacotille du monde).Cette expression montre que la notion de qualit tait devenue un argument commercial. Cela
n'empchait pas cette d'tre vendue, car elle avait pour qualit de n'tre pas chre.
Mais la Seconde Guerre mondiale va changer cet tat de choses, et les triomphes des usines
d'armement japonaises vont constituer une sanglante revanche sur l'industrie amricaine. Bien
qu'ils surestiment gnralement la dimension technique dans la guerre, ainsi que le rle des
, et sous-estiment des facteurs comme le moral des troupes, les stratgies
militaires ou l'influence de l'opinion publique, les auteurs ont raison de souligner que la qualit de
l'armement est aussi d'un poids important dans la lutte arme.
Aprs la dfaite de l'Empire du Soleil levant, les armes allies et notamment l'arme amricaine,
s'installrent au Japon, et c'est par ce biais qu'un tournant dcisif va s'oprer dans l'industrie
japonaise, qui , ds les annes 70, commence produire une concurrence redoutable pour les
industries de ses anciens vainqueurs. Paradoxalement, cela s'est fait en partie grce l'importation
des mthodes de labores par la Bell compagnie.
Au moment de la guerre de Core (1950-1953) le Japon va devenir la base arrire de l'arme
amricaine, et les autorits amricaines et allies dcidrent de remplacer les dirigeants des
principales industries japonaises lies aux activits militaires par de nouveaux dirigeants, forms
aux mthodes de gestion et de management amricaines. L encore, c'est l'industrie des
tlcommunications qui va jouer un rle dcisif, par le biais de la Section de communication civile
de l'tat major du commandement des forces allies, dont la mission est de conseiller les
fabricants de matriel tlphonique, l'un des instruments de la , comme le note B.Jouslin de Noray (1990). Cet organisme dispense des cours de
, qui vont tre trs largement diffuss aux dirigeants et cadres
d'entreprises japonais. Ce qui va donner lieu la cration d'un organisme japonais, la Japanese
Union of Scientists and Engineers (JUSE), qui sera dirige par K. Ishikawa, l'un des matres--penser
de la qualit au Japon.
Or, c'est ici que plusieurs versions de l'histoire se contredisent en partie. Car selon les uns, l'arme
amricaine va imposer les enseignements de W.E. Deming aux dirigeants et ingnieurs japonais,
alors que selon les autres, il est invit par la JUSE venir faire des confrences, dont le succs est
tel qu'il dbouchera plus tard sur la cration d'un (Gogue, 1990).
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W.E.Deming, lire ses livres, tait trs critique vis--vis des dirigeants d'entreprise amricains,
qui il reprochait leur peu de got pour se former, alors que leurs styles et mthodes de
management taient d'aprs lui tels qu'ils ne savaient jamais vraiment ce qui se passait dans leurs
usines. Il insiste sur l'importance de ce qui se passe de la production, chez lesoprateurs, et sur la ncessit de ne pas rserver les mthodes d'analyse et d'amlioration de la
qualit aux seuls spcialistes. Il crit par exemple : , , , , > et le dsir de relever un norme dfi national et international, qui a
donn lieu la cration des premiers cercles de qualit au Japon, partir de 1962. Ces cercles de
qualit sont l'une des composantes de la en matire d'organisation du travail,
qui donnera lieu toutes les interrogations sur les secrets de la russite du .
Il existe une autre inspiration de l'originalit de l'organisation du travail au Japon, qui elle, ne
semble pas devoir grand-chose aux spcialistes de la qualit amricains, que nous n'avons vue
mentionne par aucun des auteurs consults, peut-tre parce qu'il ne s'agit pas d'une spcialise, mme si la qualit en constitue l'un des fondements et objectifs essentiels.
Avec cette rfrence nous entrons de plain-pied dans un dbat encore trs actuel qui oppose,
chez les conomistes, les historiens et les sociologues, plusieurs interprtations de l'originalit du
, dont les uns affirment qu'il est anti-taylorien, et les autres qu'il continue
F.W.Taylor d'une faon originale (Coriat, 1991, Durand/Sebag, 1995).
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L'ingnieur T.Ohno, embauch par Toyota, va rorganiser cette entreprise de fond en comble
partir de 1956. Toyota, qui a failli faire faillite en 1948, va mettre au point un systme de
production de , l'encontre des grandes sries standardises de l'industrie
automobile amricaine. Ce systme de production fonctionne selon les principes du , donne la possibilit aux oprateurs d'arrter les chanes de montage en cas de production
de dfauts, introduit le principe de la des ouvriers, les obligeant
intervenir dans plusieurs fonctions la fois et donc maximiser leur occupation. Il les oblige
s'intresser l'amont et l'aval de leur propre poste de travail, intgrant ainsi la gestion de la
qualit au cur du travail ouvrier (Coriat, 1991). C'est l que va natre le systme de la gestion de
la production partir des commandes, partir de
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Car il ne faut pas se faire trop d'illusions sur la participation et le consensus au Japon, qui n'ont
rien de spontan ou de naturel, car ils font partie de tout un systme de contrle social qui
comprend de multiples instances et activits, comme des quipes sportives, des amicales et des
concours qui soudent le personnel l'entreprise, et auxquels il est trs mal vu de ne pas participer(Hisai, 1995). Ce type de fonctionnement ne concerne par ailleurs qu'une minorit de grandes
entreprises, pouvant assurer pour une partie de leur personnel un emploi vie, mais employant en
mme temps des personnels sous contrats temporaires (Sugimoto, 1993). Et ces dernires
annes, cet semble aussi tre remis en cause dans certaines entreprises.
Ne d'un processus d'autonomisation et de spcialisation, l'intervention sur la qualit tend donc au
Japon, partir des annes 50, tre rintgre dans l'ensemble du procs de production dont elle
s'tait d'abord dtache, et mme disparatre en tant que dmarche spcialise, pour faire
place l'organisation du travail et au management. Car loin de s'expliquer seulement par des
raisons culturelles comme le prtendent certains auteurs (Robin, 1988), le succs des entreprises
japonaises s'explique avant tout par d'autres mthodes d'organisation du travail (Coriat, 1991),
dans lesquelles les cercles de qualit occupent une place importante.
III.2. Les cercles de qualit, symptmes mythiques de la crise du taylorisme
A la fin des annes 6O, au moment o le a clat au grand jour, certains
dirigeants d'entreprise, des spcialistes de la qualit, des conomistes et des sociologues, firent de
multiples voyages au Japon o ils dcouvrirent les cercles de qualit. De l penser que c'est dans
ces cercles que se trouvait le secret de l'industrie japonaise il n'y avait qu'un pas, et il en a t vite
fait des sortes de gadgets participatifs qu'on imaginait facilement transposables en Europe. Plus
encore, ces cercles ont jou en France, juste aprs la priode de mai 1968, un rle analogue celui
de la Rvolution culturelle chinoise ou, une autre poque, celui des Soviets en Union sovitique
: ils reprsentaient, pour bon nombre d'intellectuels, mais aussi pour certains spcialistes de la
qualit et dirigeants d'entreprise dsireux de diriger autrement, la ralisation enfin venue d'un rve
de dmocratie au sein de l'entreprise.
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Car on peut difficilement comprendre toutes les questions que ces cercles de qualit ont
provoques aux Etats-Unis et en Europe, si on oublie la conjoncture politique et sociale gnrale
dans laquelle ils ont t dcouverts. Celle-ci se caractrisait, dans les annes 70, non seulement
par l'apparition soudaine de la redoutable concurrence japonaise, mais aussi par les premires
mises en question de masse du taylorisme, dans l'industrie automobile entre autres, avec denombreuses grves d'ouvriers spcialiss (O.S., comme on le disait l'poque). Un spcialiste en
qualit affirmait ds lors : > (Raveleau,
1987). On dcouvre ainsi que les entreprises sont traverses par des contradictions entre
plusieurs conceptions de la qualit de la vie au travail et de celle des produits.
En France, cette prise de conscience se situe autour de mai 1968, qui a vu une contestation
estudiantine et par la jeunesse en gnral, des valeurs tablies dans l'enseignement, mais aussi
dans la famille avec les mouvements dits des femmes, de la , et autres.
Contestation suivie de la plus massive et longue des grves ouvrires de l'histoire de France,
aboutissant aux accords de Grenelle, la cration du SMIC, de nouvelles instances
reprsentatives du personnel et des hausses importantes de salaire. Cela a fortement marqu et
transform la fois le rapport des salaris leurs conditions de travail avec l'apparition des
revendications dites . Cela a fortement transform le rapport des consommateurs
leurs habitudes de consommation avec entre autre les critiques de la , leur rapport la publicit avec les protestations contre les publicits montrant
des , leur rapport aux supermarchs et aux entreprises avec, par exemple,
l'apparition des (Cantarelli, 1984). A cette poque sont reconnues
aussi les premires associations de consommateurs, ce dont tmoignent aux Etats-Unis l'action de
Ralph Nader et en France la cration de Que Choisir ?eten 1966 la cration de l'Institut national
de la consommation. Les associations de consommateurs obtiennent en 1973 avec la loi Royer le
droit d'agir en justice (Encyclopdia Universalis, 6, 1989). Le thme de la va
ainsi rsonner avec celui de la qualit des produits et des services.
C'est en rfrence ce nouveau climat gnral qu'on peut mieux comprendre l'engouement pour
les cercles de qualit, qui apparaissaient comme la rponse toute trouve, et facilement ralisable,
des demandes de plus de participation dans l'entreprise et de plus de pouvoir sur l'organisation du
travail. Le terrain mme de la qualit en sera profondment marqu, et c'est ainsi qu'on peut
comprendre que G. Borel et V. Cantarelli (Cantarelli, 1984), spcialistes de la qualit en France,
donnrent en 1969 Tokyo une confrence intitule , ou
que l'Association franaise des ingnieurs qualiticiens (AFCIQ) organisa des confrences sur la
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qualit (AFCERQ) (Jouslin de Noray, 1990). Celle-ci recensait, en 1987, 30.000 cercles de qualit
en France.
On peut donc en conclure que dsormais, le champ de la qualit, cet ensemble d'institutions, de
pratiques, de spcialistes et de manuels qui construisent socialement la qualit, est travers pardes luttes entre plusieurs orientations, qui sont les mmes que celles qui traversent les autres
dimensions des entreprises, voire la socit toute entire.
Les cercles de qualit, dvelopps en France dans un certain nombre d'entreprises partir de
1980 environ, vont connatre leur apoge vers 1987 pour ensuite s'essouffler. S'ils ont connu un
tel succs c'est non seulement parce qu'ils semblaient, un certain nombre de dirigeants
d'entreprise et de spcialistes de la qualit, une des cls de la russite conomique du Japon,
adaptables en France, mais aussi parce qu'il s'agissait de dispositifs pouvant constituer un terrain
de participation des salaris l'amlioration de la qualit et parfois l'amlioration de certaines
conditions de travail. En mme temps ils pouvaient reprsenter une rponse aux obligations
lgales, rsultant des Lois Auroux (1983), de cration de > (Raveleau, 1987). Et un autre auteur de conclure : > (Serieyx, 1987). Il s'agit donc de changer les mentalits, l'une des conditions pour
changer la manire de produire et pour soutenir les positions des entreprises dans la concurrence
internationale, et notamment europenne. Et les cercles de qualit ont sembl, pendant quelques
annes, le moyen tout trouv d'effectuer ce changement des mentalits.
C'est probablement ce qui en a fait le succs fulgurant d'une courte priode, et ce qui en explique
la disparition tout aussi rapide, quand les conditions politiques et sociales qui les ont vu apparatre
ont disparu *. Car ces cercles de qualit ont assez vite t mal accueillis par les organisations
syndicales qui y voyaient une manire de les court-circuiter, en faisant remonter vers les directions
des entreprises, sans leur intermdiaire, certaines demandes concernant les conditions de travail et
des suggestions. A des degrs divers, les cercles de qualit ont alors rencontr l'opposition des
organisations syndicales, mme si celles-ci n'ont pas toutes ragies de la mme faon, et qu'il faille
*Que l'AFCERQ ait dpos son bilan en 1989 ne signifie pas pour autant, selon G.Raveleau qui en tait le dlgu
gnral, que les cercles de qualit ont disparu (il y en a quelques dizaines de milliers qui continuent fonctionner sans
bruit en France), mais s'explique par la volont des entreprises (qui subventionnaient l'AFCERQ) de n'avoir qu'une seuleet grande association de promotion de la qualit, qu'est devenue l'AFCIQ. Voir entretien au journal Le Monde, 1 juin
1990. Peu aprs ce dpt de bilan est n le Mouvement franais pour la qualit.
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par exemple distinguer entre les ractions de la CFDT, de la CGT et de FO, ces deux dernires
refusant le plus souvent ces dispositifs participatifs, bien qu'il y ait dans ce domaine des volutions
ces dernires annes.
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Ces oppositions ne faisaient qu'exposer au grand jour des rsistances que les diffrentes formes
des dmarches dans le domaine de la qualit ont toujours rencontr, et cela non seulement de la
part des organisations syndicales, mais aussi de bon nombre de salaris. Le terrain de la qualit n'a
jamais t aussi consensuel et lisse que certains de ses spcialistes ne le prtendent. Certainsprogrammes qualit, lancs grand renfort de publicit dans les entreprises, ont chou tout
simplement parce qu'ils taient imposs par la direction, sans consultation, d'autres aboutissaient
enfermer le personnel dans un carcan de nouvelles procdures qui leur enlevait certaines de leurs
marges de manuvre, d'autres encore leur donnaient l'impression que tout ce qu'ils avaient fait
auparavant tait mauvais.
Mais une autre raison pour laquelle les cercles de qualit ont perdu de leur intrt pour les salaris,
de prime abord intresss, c'est qu'ils n'ont pas tenu les promesses qu'ils semblaient contenir.
L'espoir de bon nombre de salaris tait que quelque chose allait changer, que non seulement ils
auraient leur mot dire, mais que cela ne s'arrterait pas l, et que certains aspects de
l'organisation mme et du contenu du travail quotidien allaient s'en trouver modifis. De fait, cela
n'a t que rarement le cas, et une fois sortis des runions de rsolution de problmes, de stages
ou de formations, tout semblait comme avant.
La question de l'adhsion du personnel, des conditions et du prix payer pour celle-ci, se pose
donc de plus en plus explicitement sur le terrain de la qualit, et avec elle, la question de la
redfinition du terrain du
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Aprs les Trente Glorieuses, dont les dernires annes taient dsignes par le terme de , les marchs commencent se saturer, les consommateurs ont plus de choixet leurs comportements deviennent l'objet d'tudes de plus en plus pousses, faites notamment
par les services de marketing. L aussi, les interventions des associations de consommateurs ou de
comits d'usagers, parfois mme des campagnes de boycottage de certains produits sur des bases
politiques ou cologiques, ont jou un grand rle. Aux Etats-Unis, beaucoup plus qu'en France, les
consommateurs sont nombreux faire des procs aux entreprises ayant vendu des produits qui
ont provoqu des accidents. Les nouvelles exigences des consommateurs ne sont donc pas un vain
mot, et se traduisent aussi en termes de changements des habitudes alimentaires, d'abandon
d'une marque pour une autre, donc dans les chiffres des ventes. Les dirigeants des entreprises, les
spcialistes de marketing et de qualit, sont la recherche de nouveaux instruments intellectuels
pour comprendre ce qui se passe chez les clients (Dupuy/Thnig, 1986).
Ces instruments, ils les trouvent en partie dans les Sciences sociales et humaines. Car la
dcouverte de l'importance des dimensions culturelles l'intrieur et hors des entreprises a aussi
t rendue possible par l'intervention de nouveaux spcialistes et de nouvelles disciplines : la
sociologie et la psychologie, entre autres. La sociologie du travail dveloppe des analyses souvent
critiques du fonctionnement des entreprises, et met en avant les ides des salaris .
Quant la sociologie des organisations, avec en particulier M.Crozier et E.Friedberg, avance l'ide
que les salaris sont des , ayant chacun une , et des
stratgies plus ou moins personnelles (Crozier, 1963). Ces analyses soulignaient surtout que,
contrairement ce que prtendaient les concepteurs d'organigrammes ou les inventeurs de
procdures, une entreprise ne fonctionne jamais selon les reprsentations officielles que sa
direction ou son schma organisationnel s'en font, et que pour laborer des stratgies en
connaissance de cause, mieux vaut savoir comment elle fonctionne rellement.
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Dans les activits de marketing, o les apports des Sciences humaines, et notamment de la
psychologie sociale, sont importants, on dcouvre que les liens entre une entreprise industrielle et
sa clientle ne sont pas les mmes que ceux entre une entreprise de service et sa clientle, et
c'est sur cette base qu'une spcialit, le , se constitue. Il insiste luiaussi sur l'importance de la culture et de la communication, des dans
la relation entre le personnel, les installations du service et les clients, physiquement prsents sur
les lieux de production. Ces diffrents apports contribuent crer des dmarches particulires en
matire de qualit dans les services, en partie moins technocratiques et plus culturelles que les
dmarches dites de dans les industries, sous le vocable de la (Normann, 27). Cela reste nanmoins une orientation jusqu'ici assez minoritaire, bien
moins rpandue que les dmarches de qualit totale ou de certification aux normes ISO 9000 qui
font fureur aujourd'hui.
Paradoxalement, c'est la crise de ces dernires annes, et surtout ses consquences pour les
salaris en termes de chmage et d'exclusion, qui a cr de nouvelles conditions pour une
participation aux dmarches qualit, savoir une certaine rsignation. Avec cette crise, l'ide que
salaris et direction d'une entreprise menace par ses concurrents, donc menaant d'avoir
procder des licenciements, soient , fait son chemin. Et c'est cela
qui donne aujourd'hui toutes sortes de projets, que ce soit dans le domaine du management, du
contrle de gestion, ou de la qualit, de nouvelles possibilits d'tre accepts par le personnel
directement concern.
C'est en rfrence cette conjoncture qu'il faut, notre avis, situer l'importance actuelle de la
normalisation europenne, par le biais des normes ISO 9000 notamment. Car la certification d'une
entreprise oprant sur le march europen semble aujourd'hui une condition sine qua non pour
faire face la concurrence internationale, et cette certification est une affaire de longue haleine,
obligeant une mise plat et parfois une rorganisation assez importante des fonctionnements et
des procdures existants, pour aboutir de nouvelles procdures et formalisations. Dans certaines
entreprises les projets d'entreprise connaissent ainsi une nouvelle impulsion grce aux dmarches
de certification.
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Ces normes europennes ne datent pourtant pas d'aujourd'hui, mais sont l'aboutissement de trois
quarts de sicle de standardisation, de contrle et de formation, par diffrents organismes d'abord
nationaux et ensuite internationaux. En France la cration de la date de 1918, celle de >,
la norme NF, .
Ds 1926 est cr un organisme international, l'International Standard Association (ISA), qui se
transforme en 1947 en International Standard Organisation (ISO), ou , regroupant un reprsentant par pays des diffrentes associations nationales.
Normalisation internationale qui a t longue et laborieuse mettre en place,
(Encyclopdia Universalis, 10, 1989). C'est donc cette organisation qui dlivre les normes et d'autres, aujourd'hui trs demandes par les entreprises.
Les procdures de standardisation et de normalisation se situent au cur des enjeux de la
concurrence internationale. Elles codifient des rgles et des usages qui sont ms par des rapports
de pouvoir entre entreprises, mais sont aussi lis aux habitudes socio-historiques changeantes
propres chaque pays. Les discussions entre spcialistes des matriaux, entre autres dans
l'valuation de certains risques, sont souvent trs conflictuelles (Courtin/Vaucelle, 1990), comme
on le lit de temps en temps dans les journaux propos des risques nuclaires, ou comme le
montrent les alertes rgulires propos de l'amiante ou des produits solaires.
Ce ne sont l que des exemples extrmes et particulirement spectaculaires du fait que les rgles
qu'on tente d'tablir rsultent d'intrts et de prises de position divergents, auxquels elles ne
mettent pas fin mme si momentanment apparat une sorte de modus vivendi. Car si les
conditions de la production changent, les prix des matires premires montent ou baissent, de
nouvelles inventions technologiques sont faites, tout peut tre remis en cause : en matire de
concurrence, il n'y a pas de limites aux attaques que des concurrents peuvent se faire, quand ils
estiment que c'est de leur intrt.
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La normalisation est dfinie comme
(Encyclopdia Universalis, 1989) et une norme est dfinie par dcret en 1984, comme une
(comme l'incompatibilit de certains composants dematriaux entre eux). Or, cette dfinition trs consensuelle des normes, stipule une sorte
> (Usine Nouvelle, 1994). Elle se
met la place de cette loi du plus fort sans la supprimer pour autant, comme le montre la suite de
l'article qui parle des classements draconiens des sous-traitants par les grands donneurs d'ordre,
et l'limination de certains des premiers suite aux divers audits que la norme ISO exige. Et on voit
tous les jours qu'en la matire, peu de rgles de morale tiennent devant la recherche de la
rentabilit financire, du contrle et du pouvoir que les directions d'entreprise tentent d'imposer
leurs concurrents comme leurs salaris.
D'o dj un certain nombre de critiques qui s'adressent, de la part des directions d'entreprise
comme de leurs salaris, cette nouvelle normalisation, taxe de
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Cela n'empche pas ces normes ISO 9000 de constituer, elles aussi, un nouveau entre orientations diffrentes. L o des dmarches qualit n'existaient pas, comme
dans certaines PME et PMI, elles peuvent apporter de nouvelles connaissances sur le travail.
Beaucoup dpend de la manire dont elles sont mises en uvre, mme s'il est craindre que, lapression du march europen aidant, le formalisme qu'elles induisent l'emporte. Mettre nu les
procds de travail existants n'est jamais sans risque pour ceux qui travaillent, mais cela peut tre
aussi une opportunit pour introduire des changements jugs positifs dans les conditions de
travail.
Cette nouvelle conjoncture n'est probablement pas sans rapport avec le fait que
plusieurs associations franaises pour la qualit, l'AFCIQ et ce qui restait de l'AFCERQ, ont fusionn
dans le Mouvement franais pour la qualit (MFQ) en 1991, auquel diverses autorits ministrielles
apportent dsormais un soutien de plus en plus actif. C'est une manire d'tre plus fort dans les
instances internationales.
Ce mouvement, auquel adhrent dj 5000 grandes et petites entreprises, tente dsormais de
rassembler les diffrentes dmarches spcialises en matire de qualit qui se sont dveloppes un
peu partout, et voit la certification selon les normes ISO 9000 comme un premier pas de nouvelles
entreprises (elles sont environ 4000 dbut 1995) vers le .
Le MFQ dveloppe une intense activit dans diffrents domaines, travers des dlgations
rgionales et dpartementales au plus prs des entreprises. Il dite des brochures de vulgarisation
et des revues, organise des groupes de rflexion et de travail ainsi que des formations, fournit de
l'aide et du conseil aux entreprises qui en font la demande, et tente d'associer des consultants,
des chercheurs et des universitaires ses diverses activits. Avec son appui se sont constitus un
Institut Qualit et Management et un Institut de Recherche et de Dveloppement de la qualit.
Ce mouvement reprsente ainsi une orientation transversale, dpassant les clivages entre
industries et services, grandes et petites entreprises, qualit totale, qualit de service,
normalisation, et tente de sensibiliser les entreprises l'importance des dimensions de la russite de la qualit, comme la culture et la communication, l'organisation du
travail et les relations de pouvoir dans l'entreprise. L'accent est mis de plus en plus sur des
activits, comme la gestion des ressources humaines, le management et l'organisation du travail,
qui soulvent des questions que se posent aussi des dirigeants d'entreprise, des ingnieurs, des
chercheurs et des syndicalistes, dans d'autres champs comme ceux de l'innovation, de la gestion,
de la technologie ou du management. La qualit devient une proccupation de moins en moinsspcialise, qui s'articule la modernisation des entreprises en gnral. On peut alors se demander
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si moyen terme, la spcificit des dmarches qualit se justifiera encore, et si elle ne tendra pas
disparatre ?
Qu'en est-il finalement de l'influence de ces diffrentes dmarches qualit sur la qualit des
produits et des services, mais aussi de la qualit de vie en gnral ? Peut-on dire qu'elle s'est, ces
trente dernires annes, globalement amliore ? La rponse n'est pas simple, car elle dpend
troitement de ce qu'on entend par...qualit.
On pourrait dire par exemple que les appareils lectro-mnagers tombent moins en panne qu'avant,
que les appareils hifi et les tlviseurs ont un son et des images bien plus nets qu'il y a dix ans, que
les voitures sont de plus en plus sres, que les jouets provoquent moins d'accidents, et que les
consommateurs, par l'invention de nouveaux labels en matire de qualit et par leurs associations
de dfense et Instituts pour la consommation, sont de mieux en mieux informs, et deviennent de
plus en plus exigeants...Tout cela est probable, encore qu'il n'y a gure de statistiques prcises en
la matire.
Mais on peut dire aussi exactement l'inverse, pour les mmes ou d'autres produits, en se basant
sur d'autres critres : les mmes appareils et les mmes voitures ont une dure de vie de plus en
plus courte, toutes sortes de produits jetables remplacent ceux plus durables, les fruits et les
lgumes ont de moins en moins de got, la restauration rapide et les plats cuisins risquent de
faire disparatre la gastronomie franaise. Car dans toutes sortes de domaines, les produits
industriels remplacent dsormais les produits plus artisanaux, qui restent pourtant une rfrence
en matire de qualit. S'il y a tant d'insistance de la lgislation sur la transparence de la
composition exacte des produits industriels (sur l'emballage), c'est aussi parce que le savoir des
consommateurs sur ces produits diminue rapidement, leur fabrication et composition devenant
plus opaques. Si les produits haute technologie sont de plus en plus sophistiqus, faut-il pour
autant se rjouir de voir apparatre partout des gens qui tlphonent dans la rue ou dans leur
voiture (et font moins attention aux pitons), ou de l'installation d'alarmes de plus en plus
bruyantes sur ces mmes voitures et dans les maisons et entreprises ? Les TGV sont plus rapides,
mais aussi plus difficilement accessibles que les trains il y a quelques annes, et dans les trains de
banlieue le confort et la rgularit se dtriorent d'anne en anne. Et que dire du stress au travail,
des menaces qu'y fait peser le chmage, ou de la des chmeurs, des SDF et
autres exclus qui est elle aussi, en rgression rapide ?
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Est-ce que les dmarches qualit ne deviendraient pas d'autant plus insistantes du fait que
globalement la qualit des biens de consommation est en diminution constante ? Ne participent-
elles pas finalement d'un mouvement plus gnral, qui consiste euphmiser les enjeux sociaux,
refouler du vocabulaire les mots jugs trop durs comme pouvoir, argent ou profit, en prtendantque dsormais les entreprises travaillent pour le bien des consommateurs ? Car au moment mme
o l'on dclare que la qualit est faite pour leur servir et pour rpondre leurs dsirs, l'influence
des grandes entreprises et de la grande distribution sur ces consommateurs s'est
considrablement accrue, malgr tout ce qu'on dit sur la concurrence. Les discours sur la qualit
des produits et des services participeraient ainsi de ces discours qui tentent de donner consistance
aux rves d'harmonie sociale, entre entreprises et consommateurs, employeurs et salaris.
Discours qui, en matire de qualit, laissent finalement entendre que le bonheur est trouver dans
les objets, produits et services offerts par les entreprises qui pratiquent des dmarches en matire
de qualit.
Mais cela signifie aussi, l'inverse, que de nouveaux enjeux de socit se forment au cur des
entreprises, au cur du rapport entre employeurs et employs, au cur du rapport entre
partenaires sociaux. Dire aux consommateurs, leurs associations ou aux mouvements cologistes,
qu'on se proccupe de la qualit des produits, qu'on veille la sant de ceux qui les utilisent et la
sauvegarde de l'environnement, c'est aussi crer au sein de l'entreprise un nouveau terrain de
dbats et parfois de conflits. C'est rendre les salaris et les organisations syndicales attentifs ce
genre de problmes, ou abonder dans leur sens s'ils l'taient dj, et par l mme, c'est donner
une autre signification et une autre porte au travail.
Les dmarches qualit qui se sont dveloppes depuis un sicle, s'occupent donc de bien d'autres
choses que de la qualit des produits et des services au sens troit du terme. C'est pourquoi une
rponse la question de savoir si la qualit s'est amliore ou non depuis un sicle n'a de sens que
si l'on dfinit de manire plus prcise ce qu'il faut entendre par .
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QU'EST-CE QUE LA QUALITE ?
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Se demander ce qu'est la qualit est une trs vieille question. Elle est en effet aussi vieille que la
philosophie, et ce sont les philosophes grecs, notamment Aristote, qui l'ont pose les premiers.
C'est dire que cette notion, si rpandue aujourd'hui dans les entreprises, touche aux questions
philosophiques les plus fondamentales. Rpondre l'interrogation >, qui rflchissent dans la philosophie ce que sont intrinsquement les
choses et les humains. La qualit est en effet une manire d'tre, une caractristique. Aristote,
dans son Organon, crit :
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Toutes les choses ont ainsi leurs qualits, ni bonnes, ni mauvaises, et il en va de mme des tres
humains ou des animaux. Un plat peut ainsi tre pic ou fade, chaud ou froid, un endroit peut tre
sec ou humide, un objet peut tre mtallique ou en bois, un cheval peut tre pur sang ou sans
pdigree, une personne peut tre mince ou corpulente, ce ne sont pas l des jugements de valeur,on ne parle pas alors de bonnes ou de mauvaises qualits, on parle simplement des proprits des
choses et des tres.
Les thories scientifiques s'occupent, notamment, de cerner et de dfinir objectivement les
diffrentes qualits des phnomnes qu'elles tudient. Ce dont tmoigne par exemple l'affirmation
de Galile que au lieu d'avoir la qualit d'tre immobile et au
centre de l'univers, comme la religion le croyait et le faisait croire. Ce sont des qualits
dmontres, prouves car prouves, dfinies aprs mr examen. On peut tre d'accord ou pas,
c'est comme a, moins qu'on arrive dmontrer scientifiquement le contraire.
Suivant cette signification ontologique, la quantit est elle-mme une forme de qualit, c'est une
espce particulire de qualit, la . Quand on dit d'une chose qu'elle est
quantifiable cela implique qu'on peut l'inscrire dans la logique des nombres et que cela a un sens.
On peut, par exemple, quantifier le nombre de rebuts produits sur une chane de montage, calculer
leur pourcentage par rapport aux produits sans dfauts, et ces chiffres et pourcentages feront
partie des qualits numriques de ces rebuts. Ce sont des qualits numriques au mme titre que
le nombre de globules rouges et de globules blancs dans le sang sur un rsultat d'examen de
laboratoire, qui dfinit les qualits de la composition du sang.
A ct de ces choses quantifiables il y a des choses qu'on dit non quantifiables, qui ne peuvent pas
s'inscrire dans la logique des chiffres ou pour lesquelles cela n'a pas de sens : les sentiments, la
subjectivit, l'amour. Cela a du sens de dire qu'un amour est , c'en est une qualit, mais
pas qu'on est . Cela veut donc dire qu'il y a des
phnomnes qui ne se laissent pas caractriser de faon primordiale par la qualit numrique, par
les chiffres, mais plutt par d'autres formes de la qualit : qualits olfactives, de got, de couleur,
de robustesse, etc. On oppose mme qualit et quantit, en disant par exemple qu'il vaut mieux
manger peu de plats, mais de bonne qualit, que beaucoup et de mauvaise qualit.
Vu sous cet angle philosophique et scientifique, tout objet a donc des qualits, il n'y a pas d'objet
sans qualits, c'est--dire sans caractristiques. Les rebuts, les dchets, les rats, les produits
dfauts, les malfaons, ont leurs qualits eux. Le personnel d'une entreprise ne peut pas ne pas
se faire une certaine ide de la qualit des produits qu'on y fabrique. De la qualit, on en fait
toujours, mme si on n'apprcie pas celle qu'on fait. Un aliment qui contient une substance toxiqueest, pour un chimiste, un ensemble de molcules comme un autre, dont la toxicit est l'une des
qualits.
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Le fait que l'on puisse donc dfinir les qualits des objets et des tres humains d'une manire
objective, sans jugement de valeur, ne signifie pas que ces dfinitions soient fixes, construites une
fois pour toutes. Comme en tmoignent de nombreuses dcouvertes scientifiques, les qualits
sont sujettes rectification. Ainsi croyait-on que la qualit de la terre tait d'tre plate et d'tre lecentre de l'univers, et on a tabli qu'en ralit elle tourne autour du soleil et est plus ou moins
ronde.
Cela signifie donc que les objets n'ont pas de qualits intrinsques ternelles, pas de qualits en
soi, mais des qualits attribues, dfinies, reconnues ou mconnues, dnies, rectifies: c'est en
fonction du regard qu'on porte sur eux, en rfrence aux thories disponibles, que les qualits des
objets et des tres sont fixes. Comme l'indique la citation de R.Musil au dbut du chapitre, la
qualit existe toujours en situation, au sein d'une grille de lecture, eu gard une proccupation,
en fonction des rapports qu'un objet ou un tre entretient avec d'autres. Non pas que les qualits
soient totalement relatives, qu'il y aurait autant de qualits qu'il existe de points de vue et que
chaque point de vue aurait le pouvoir d'inventer de toutes pices de nouvelles qualits : le verre
n'est pas aussi rsistant que le diamant, quelle que soit la manire de regarder l'un et l'autre. Mais
chaque point de vue fait voir, fait ressortir, des qualits que d'autres ne voient pas et auxquelles
d'autres ne s'intressent pas, et dans le domaine scientifique, une thorie peut en chasser une
autre qui deviendra en partie fausse.
Les choses ont des qualits que le discours tenu sur elles n'invente pas de toutes pices, mais en
mme temps, il faut nommer les qualits pour qu'on puisse les reconnatre et qu'elles commencent
exister. , , , sont des mots. (Musil, 1956) . Quand on discute pour savoir quelles sont les qualits qu'on
attribue un objet, c'est des dfinitions qu'on discute. Reconnat