50
Cour Européenne des Droits de l’Homme Waite et Kennedy c. Allemagne Arrêt du 18 février 1999 page 1 Beer et Regan c. Allemagne Arrêt du 18 février 1999 page 3 Al-Adsani c. Royaume-Uni Arrêt du 21 novembre 2001 page 5 Cour Internationale de Justice Arrêts Affaire Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala) 6 avril 1955 page 6 Affaires du Plateau Continental de la Mer du Nord ( République Fédérale d’Allemagne [RFA]/ Danemark; RFA/Pays-Bas) 20 février 1969 page 6 Affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne) 5 février 1970 page 7 Affaire des essais nucléaires (Australie c. France) 20 décembre 1974 page 8 Affaire relative au personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis d’Amérique à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran) 24 mai 1980 page 9 Affaire du plateau continental (Tunisie c. Libye) 24 février 1982 page 9 Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique) 27 juin 1986 page 10 Affaire du différend frontalier (Burkina-Faso c. Mali) 22 décembre 1986 page 12 Affaire relative au Projet Gabcíkovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie) 25 septembre 1994 page 12 Affaire relative au Timor oriental (Portugal c. Australie) 30 juin 1995 page 13 Affaire de l’île de Kasikili/Sedutu (Botswana c. Namibie) 13 décembre 1999 page 14 Affaire LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique) 27 juin 2001 page 16 Affaire du mandat d’arrêt (République Démocratique du Congo c. Belgique) 14 février 2002 page 17 Affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée Équatoriale (intervenant)) 10 octobre 2002 page 18 Affaire relative à la souveraineté sur Pulau Litigan et Pulau Sipadan (Indonésie c. Malaisie) 17 décembre 2002 page 21 Affaire des plates-formes pétrolières ( République Islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique) 6 novembre 2003 page 23 Affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) 31 mars 2004 page 24 Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République Démocratique du Congo c. Ouganda) 19 décembre 2005 page 25 Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République Démocratique du Congo c. Rwanda) 3 février 2006 page 26 Affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) 26 février 2007 page 26 Affaire du différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras) 8 octobre 2007 page 27 Recueil de jurisprudence en Droit International Public fait par Peter Craddock, avec la collaboration de: Valérie-Anne Boursoit, Audrey Deltour, Florence Goffinet, Michaël Houbben, Marie-Eve Lerat, Simon Vander Putten

Recueil de jurisprudence en Droit International Public

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Page 1: Recueil de jurisprudence en Droit International Public

Cour Européenne des Droits de l’Homme

Waite et Kennedy c. AllemagneArrêt du 18 février 1999 page 1

Beer et Regan c. AllemagneArrêt du 18 février 1999 page 3

Al-Adsani c. Royaume-UniArrêt du 21 novembre 2001 page 5

Cour Internationale de Justice

Arrêts

Affaire Nottebohm(Liechtenstein c. Guatemala)6 avril 1955 page 6

Affaires du Plateau Continental de la Mer du Nord(République Fédérale d’Allemagne [RFA]/Danemark; RFA/Pays-Bas)20 février 1969 page 6

Affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited(Belgique c. Espagne)5 février 1970 page 7

Affaire des essais nucléaires(Australie c. France)20 décembre 1974 page 8

Affaire relative au personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis d’Amérique à Téhéran(Etats-Unis d’Amérique c. Iran)24 mai 1980 page 9

Affaire du plateau continental(Tunisie c. Libye)24 février 1982 page 9

Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci(Nicaragua c. États-Unis d’Amérique) 27 juin 1986 page 10

Affaire du différend frontalier(Burkina-Faso c. Mali)22 décembre 1986 page 12

Affaire relative au Projet Gabcíkovo-Nagymaros(Hongrie c. Slovaquie)25 septembre 1994 page 12

Affaire relative au Timor oriental(Portugal c. Australie)30 juin 1995 page 13

Affaire de l’île de Kasikili/Sedutu(Botswana c. Namibie)13 décembre 1999 page 14

Affaire LaGrand(Allemagne c. États-Unis d’Amérique)27 juin 2001 page 16

Affaire du mandat d’arrêt(République Démocratique du Congo c. Belgique)14 février 2002 page 17

Affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria(Cameroun c. Nigéria;Guinée Équatoriale (intervenant)) 10 octobre 2002 page 18

Affaire relative à la souveraineté sur Pulau Litigan et Pulau Sipadan(Indonésie c. Malaisie)17 décembre 2002 page 21

Affaire des plates-formes pétrolières(République Islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique)6 novembre 2003 page 23

Affaire Avena et autres ressortissants mexicains(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique)31 mars 2004 page 24

Affaire des activités armées sur le territoire du Congo(République Démocratique du Congo c. Ouganda)19 décembre 2005 page 25

Affaire des activités armées sur le territoire du Congo(République Démocratique du Congo c. Rwanda)3 février 2006 page 26

Affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)26 février 2007 page 26

Affaire du différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes(Nicaragua c. Honduras)8 octobre 2007 page 27

Recueil de jurisprudence

en Droit International Public

fait par Peter Craddock, avec la collaboration de:

Valérie-Anne Boursoit, Audrey Deltour, Florence Goffinet,

Michaël Houbben, Marie-Eve Lerat, Simon Vander Putten

Page 2: Recueil de jurisprudence en Droit International Public

Avis consultatifs

Réparation des dommages subis au service des Nations unies11 avril 1949 page 31

Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)21 juin 1971 page 31

Sahara Occidental16 octobre 1975 page 32

Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (ONU)ETLicéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé (OMS)8 juillet 1996 page 33

Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé9 juillet 2004 page 33

Ordonnance

Affaire relative à des questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie(Libye c. États-Unis d’Amérique)14 avril 1992 page 35

Cour Permanente d’Arbitrage

Rhin de Fer(Belgique c. Pays-Bas)Sentence du 24 mai 2005 page 36

Cour Permanente de Justice Internationale

Affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine(Grèce c. Royaume-Uni)Arrêt du 30 août 1924 page 37

Affaire relative à l’usine de Chorzow(Allemagne c. Pologne)Arrêt du 13 septembre 1928 page 37

Compétence de l’OIT pour réglementer accessoirement le travail personnel du patronAvis consultatif du 23 juillet 1926 page 38

Tribunal de première instance des Communautés Européennes

Opel Austria GmbH contre Conseil de l'Union européenneArrêt du 22 janvier 1997 page 39

Ahmed Ali Yusuf et Al Barakaat International Foundation contre Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennesArrêt du 21 septembre 2005 page 39

Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

Tadi!Arrêt du 2 octobre 1995 page 41ETArrêt du 15 juillet 1999 page 42

Tribunaux et Cours belges

Immunité de l’État

Irak c. DumezCiv. Bruxelles27 février 1995 page 43

Zaïre c. d’HoopCiv. Bruxelles9 mars 1995 page 43ETBruxelles8 octobre 1996 page 44

Leica A.G. c. Central bank of Irak and Republic of IraqBruxelles15 février 2000 page 45

Irak c. Vinci SABruxelles4 octobre 2002 page 45

Immunité de l’organisation

Ligue des Etats arabesCour de cassationArrêt du 12 mars 2001 page 46

L... M... c. Secrétariat général du Groupe des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du PacifiqueBruxelles4 mars 2003 page 47

S... M... c. Union de l’Europe occidentale [U.E.O.]C. trav. Bruxelles17 septembre 2003 page 48

s.a. Energies nouvelles et environnement c. Agence spatiale européenneCiv. Bruxelles1er décembre 2005 page 48

Page 3: Recueil de jurisprudence en Droit International Public

Waite et Kennedy c. AllemagneCEDH

Arrêt du 18 février 1999

47. Les requérants prétendent n’avoir pas été entendus équitablement par un tribunal sur la question de l’existence, en vertu de la loi allemande sur le prêt de main-d’œuvre, d’une relation contractuelle entre eux-mêmes et l’ASE. Ils allèguent la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

48. Le Gouvernement et la Commission sont de l’avis contraire.

A. Applicabilité de l’article 6 § 1

49. Le Gouvernement ne conteste pas que, par la procédure devant les juridictions du travail, les requérants recherchaient une décision relative à « des contestations sur [leurs] droits et obligations de caractère civil ». Cela étant, et les arguments soumis par les parties se rapportant à l’observation de l’article 6 § 1, la Cour se propose de partir du principe que celui-ci s’applique en l’espèce.

B. Observation de l’article 6 § 1

50. L’article 6 § 1 garantit à toute personne le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect (arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A n° 18, p. 18, § 36, et, récemment, arrêt Osman c. Royaume-Uni du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, p. 3166, § 136).

51. Les requérants ont eu accès au tribunal du travail de Darmstadt, puis au tribunal régional du travail de Francfort-sur-le-Main et à la Cour fédérale du travail, seulement pour entendre déclarer leur action irrecevable par l’effet de la loi (paragraphes 17 à 25 ci-dessus). La Cour constitutionnelle fédérale a refusé de retenir leur recours au motif qu’il ne soulevait aucune question d’intérêt général et que la violation alléguée de leurs droits constitutionnels ne revêtait pas une importance particulière (paragraphes 26 à 28 ci-dessus).La procédure devant les juridictions allemandes du travail visait donc principalement à déterminer si l’ASE pouvait ou non valablement invoquer son immunité de juridiction.

52. Dans leur mémoire et à l’audience devant la Cour, les requérants ont réitéré l’argument que l’ASE avait indûment invoqué l’immunité devant les juridictions allemandes du travail. Selon eux, la levée de l’immunité convenue, en vertu de l’article 6 § 2 de l’Accord relatif à l’ESOC (paragraphe 42 ci-dessus), en faveur du CERS, organisation qui a précédé l’ASE, valait pour l’ASE.

53. Pour le Gouvernement, cette thèse est injustifiée, eu égard à la différence marquée entre l’immunité consacrée par l’article XV et le transfert des droits et obligations énoncé à l’article XIX de la Convention de l’ASE (paragraphes 33, 35 à 38 ci-dessus).

54. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, entre autres, l’arrêt Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3255, § 43). Il en va de même lorsque le droit interne renvoie à des dispositions du droit international général ou d’accords internationaux. Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation.

55. Les juridictions allemandes du travail ont jugé irrecevable l’action engagée par les requérants en vertu de la loi allemande sur le prêt de main-d’œuvre, l’ASE, la défenderesse, ayant invoqué l’immunité de juridiction conformément à l’article XV § 2 de la Convention de l’ASE et à l’article IV § 1 de son annexe I. Selon l’article 20 § 2 de la loi allemande sur l’organisation judiciaire, certaines personnes jouissent de l’immunité de juridiction en vertu des règles du droit international général, ou en application d’accords internationaux ou d’autres dispositions légales (paragraphe 30 ci-dessus).

56. En l’espèce, les juridictions allemandes du travail ont conclu à l’irrecevabilité de l’action des requérants, considérant que les conditions posées par la disposition précitée étaient remplies. Dans son jugement, confirmé par le tribunal régional du travail de Francfort-sur-le-Main, le tribunal du travail de Darmstadt a estimé que l’ASE jouissait de l’immunité de juridiction en vertu de la Convention de l’ASE et de son annexe I. Pour ces juridictions, l’ASE avait été instituée en tant qu’organisation internationale nouvelle et indépendante et n’était donc pas liée par l’article 6 § 2 de l’Accord relatif à l’ESOC (paragraphes 17 à 19 ci-dessus). Selon la Cour fédérale du travail, cette disposition ne pouvait en tout cas s’appliquer à la situation des requérants puisqu’ils n’avaient pas été employés par l’ASE mais avaient travaillé pour celle-ci en vertu d’un contrat de travail conclu avec un tiers (paragraphes 21 à 25 ci-dessus).

57. La Cour observe que l’ASE a été créée à partir du CERS et du CECLES comme une organisation nouvelle et unique (paragraphe 12 ci-dessus). Selon son instrument constitutif, l’ASE jouit de l’immunité de juridiction et d’exécution, sauf dans la mesure, notamment, où son Conseil y renonce expressément dans un cas particulier (paragraphes 33 et 36 à 38 ci-dessus). Eu égard aux dispositions exhaustives de l’annexe I à la Convention de l’ASE et au libellé de l’article 6 § 2 de l’Accord relatif à l’ESOC (paragraphe 42 ci-dessus), les motifs invoqués par les juridictions allemandes du travail pour reconnaître l’immunité de juridiction de l’ASE en vertu de l’article XV de la Convention de l’ASE et son annexe I ne sauraient être qualifiés d’arbitraires.

58. Certes, les requérants ont eu la possibilité de plaider la question de l’immunité successivement devant trois juridictions allemandes. Cependant, la Cour doit maintenant examiner si ce degré d’accès limité à une question préliminaire suffisait pour assurer aux requérants le « droit à un tribunal », eu égard au principe de la prééminence du droit dans une société démocratique (arrêt Golder précité, pp. 16-18, §§ 34-35).

59. La Cour rappelle que le droit d’accès aux tribunaux, reconnu par l’article 6 § 1, n’est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l’Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation ne se concilie avec l’article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir l’arrêt Osman précité, p. 3169, § 147, et le rappel des principes pertinents dans l’arrêt Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994, série A n° 294-B, pp. 49-50, § 65).

60. Les requérants soutiennent que le droit d’accès aux tribunaux ne consistait pas seulement à engager une procédure judiciaire. Selon eux, il voulait aussi que les tribunaux examinassent le bien-fondé de leurs griefs. Les intéressés considèrent que les juridictions allemandes n’ont pas tenu compte de la primauté des droits de l’homme sur des règles d’immunité découlant d’accords internationaux. Ils concluent que le bon fonctionnement de l’ASE n’appelait pas, dans leur cas particulier, le recours à l’immunité devant les juridictions allemandes.

61. Pour le Gouvernement et la Commission, le but de l’immunité en droit international est de protéger les organisations internationales contre les ingérences de tel gouvernement ou de tel autre. Ils y voient un but légitime autorisant des restrictions à l’article 6. Selon le Gouvernement, les tâches incombant aux organisations internationales revêtent une importance particulière à une époque de mondialisation des défis techniques et économiques ; leur fonctionnement exige qu’elles se dotent de dispositions internes uniformes, notamment d’un règlement intérieur approprié, et qu’elles ne soient pas contraintes de s’adapter à des principes et règles nationaux qui diffèrent entre eux.

62. Dans ses observations écrites (paragraphe 7 ci-dessus), le Comité des représentants du personnel des organisations coordonnées estime que les dispositions statutaires relatives à l’immunité doivent s’interpréter de manière que les droits fondamentaux garantis par l’article 6 § 1 de la Convention soient respectés.

63. A l’instar de la Commission, la Cour observe que l’octroi de privilèges et immunités aux organisations internationales est un moyen

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Page 4: Recueil de jurisprudence en Droit International Public

indispensable au bon fonctionnement de celles-ci, sans ingérence unilatérale de tel ou tel gouvernement. Le fait pour les Etats d’accorder généralement l’immunité de juridiction aux organisations internationales en vertu des instruments constitutifs de celles-ci ou d’accords additionnels constitue une pratique de longue date, destinée à assurer le bon fonctionnement de ces organisations. L’importance de cette pratique se trouve renforcée par la tendance à l’élargissement et à l’intensification de la coopération internationale qui se manifeste dans tous les domaines de la société contemporaine.Dans ces conditions, la Cour estime que la règle de l’immunité de juridiction, que les tribunaux allemands ont appliquée à l’ASE, poursuit un but légitime.

64. Quant à la question de la proportionnalité, la Cour doit apprécier la limitation litigieuse apportée à l’article 6 à la lumière des circonstances particulières de l’espèce.

65. Pour le Gouvernement, la limitation est proportionnée au but poursuivi, qui est de permettre aux organisations internationales d’exécuter efficacement leurs fonctions. S’agissant de l’ASE, il considère que le régime précis de protection juridique mis en place par la Convention de l’ASE pour les litiges avec le personnel et par l’annexe I pour d’autres différends répond aux normes de la Convention. A son sens, l’article 6 § 1 exige l’accès à un organe juridictionnel, mais pas nécessairement à un tribunal national. Si les requérants souhaitaient faire valoir des droits contractuels, les années qu’ils avaient passées au service de l’ASE et leur intégration aux activités de cette organisation, ils avaient en particulier la faculté de saisir la Commission de recours de celle-ci. Selon le Gouvernement, d’autres possibilités encore s’offraient à eux, par exemple celle de demander réparation à la société étrangère qui les avait mis à la disposition de l’ASE.

66. La Commission se rallie pour l’essentiel au point de vue du Gouvernement selon lequel, pour les litiges de droit privé impliquant l’ASE, il est possible d’obtenir un contrôle juridictionnel ou équivalent, mais au moyen de procédures adaptées aux particularités d’une organisation internationale et, dès lors, différentes des recours disponibles en droit interne.

67. De l’avis de la Cour, lorsque des Etats créent des organisations internationales pour coopérer dans certains domaines d’activité ou pour renforcer leur coopération, et qu’ils transfèrent des compétences à ces organisations et leur accordent des immunités, la protection des droits fondamentaux peut s’en trouver affectée. Toutefois, il serait contraire au but et à l’objet de la Convention que les Etats contractants soient ainsi exonérés de toute responsabilité au regard de la Convention dans le domaine d’activité concerné. Il y a lieu de rappeler que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. La remarque vaut en particulier pour le droit d’accès aux tribunaux, vu la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (voir, comme exemple récent, l’arrêt Aït-Mouhoub c. France du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3227, § 52, citant l’arrêt Airey c. Irlande du 9 octobre 1979, série A n° 32, pp. 12-13, § 24).

68. Pour déterminer si l’immunité de l’ASE devant les juridictions allemandes est admissible au regard de la Convention, il importe, selon la Cour, d’examiner si les requérants disposaient d’autres voies raisonnables pour protéger efficacement leurs droits garantis par la Convention.

69. La Convention de l’ASE et son annexe I prévoient expressément divers modes de règlement des litiges de droit privé, qu’il s’agisse de différends touchant son personnel ou d’autres litiges (paragraphes 31 à 40 ci-dessus).Les requérants ayant fait valoir l’existence d’une relation de travail avec l’ASE, ils auraient pu et dû saisir la Commission de recours de l’organisation. Conformément à l’article 33 § 1 du Statut du personnel de l’ASE, la Commission de recours, « indépendante de l’Agence », « connaît des litiges relatifs à toute décision explicite ou implicite prise par l’Agence et l’opposant à un membre du personnel » (paragraphe 40 ci-dessus).Quant à la notion de « membre du personnel », il appartenait à la Commission de recours de l’ASE, en vertu de l’article 33 § 6 du Statut du personnel, de se prononcer sur la question de sa juridiction et, dans ce contexte, de décider si la notion de « membre du personnel » s’appliquait en substance aux requérants.

70. Par ailleurs, les travailleurs temporaires ont en principe la faculté de demander réparation aux sociétés qui les ont employés et qui les ont mis à la disposition de tiers. Ils peuvent intenter une action en dommages-intérêts contre ces sociétés en invoquant les dispositions générales du droit du travail ou, plus particulièrement, la loi allemande sur le prêt de main-d’œuvre. Pareille action permet de préciser la nature des relations de travail. Le fait que toute action invoquant la loi sur le prêt de main-d’œuvre présuppose la bonne foi (paragraphe 29 ci-dessus) ne la prive pas, de manière générale, de chances raisonnables de succès.

71. La présente affaire se caractérise par la circonstance que les requérants, après avoir assuré des prestations de services dans les locaux de l’ESOC à Darmstadt pendant une longue période, en vertu de contrats avec des sociétés étrangères, ont revendiqué le statut d’agents permanents de l’ASE en invoquant la législation spéciale susmentionnée réglementant le marché du travail allemand.

72. Comme la Commission, la Cour conclut que, compte tenu du but légitime des immunités des organisations internationales (paragraphe 63 ci-dessus), le critère de proportionnalité ne saurait s’appliquer de façon à contraindre une telle organisation à se défendre devant les tribunaux nationaux au sujet de conditions de travail énoncées par le droit interne du travail. Interpréter l’article 6 § 1 de la Convention et ses garanties d’accès à un tribunal comme exigeant forcément que l’on applique la législation nationale en la matière entraverait, de l’avis de la Cour, le bon fonctionnement des organisations internationales et irait à l’encontre de la tendance actuelle à l’élargissement et à l’intensification de la coopération internationale.

73. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la Cour estime que les tribunaux allemands n’ont pas excédé leur marge d’appréciation en entérinant, par le jeu de l’article 20 § 2 de la loi sur l’organisation judiciaire, l’immunité de juridiction de l’ASE. Eu égard en particulier aux autres voies de droit qui s’offraient aux requérants, on ne saurait dire que les restrictions de l’accès aux juridictions allemandes pour régler le différend des intéressés avec l’ASE aient porté atteinte à la substance même de leur « droit à un tribunal » ou qu’elles aient été disproportionnées sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.

74. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

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Beer et Regan c. AllemagneCEDH

Arrêt du 18 février 1999

37. Les requérants prétendent n’avoir pas été entendus équitablement par un tribunal sur la question de l’existence, en vertu de la loi allemande sur le prêt de main-d’œuvre, d’une relation contractuelle entre eux-mêmes et l’ASE. Ils allèguent la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »

38. Le Gouvernement et la Commission sont de l’avis contraire.

A. Applicabilité de l’article 6 § 1

39. Le Gouvernement ne conteste pas que, par la procédure devant le tribunal du travail, les requérants recherchaient une décision relative à « des contestations sur [leurs] droits et obligations de caractère civil ». Cela étant, et les arguments soumis par les parties se rapportant à l’observation de l’article 6 § 1, la Cour se propose de partir du principe que celui-ci s’applique en l’espèce.

B. Observation de l’article 6 § 1

40. L’article 6 § 1 garantit à toute personne le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect (arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A n° 18, p. 18, § 36, et, récemment, arrêt Osman c. Royaume-Uni du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, p. 3166, § 136).

41. Les requérants ont eu accès au tribunal du travail de Darmstadt seulement pour entendre déclarer leur action irrecevable par l’effet de la loi. Dans sa décision, cette juridiction renvoya à l’arrêt rendu le 10 novembre 1993 par la Cour fédérale du travail dans l’affaire de MM. Waite et Kennedy (paragraphe 15 ci-dessus).En l’espèce, comme dans l’affaire de MM. Waite et Kennedy, la procédure devant la juridiction allemande du travail visait donc principalement à déterminer si l’ASE pouvait ou non valablement invoquer son immunité de juridiction.

42. Dans leur mémoire et à l’audience devant la Cour, les requérants ont réitéré l’argument que l’ASE avait indûment invoqué l’immunité devant les juridictions allemandes du travail. Selon eux, la levée de l’immunité convenue, en vertu de l’article 6 § 2 de l’Accord relatif à l’ESOC (paragraphe 32 ci-dessus) en faveur du CERS, organisation qui a précédé l’ASE, valait pour l’ASE.

43. Pour le Gouvernement, cette thèse est injustifiée, eu égard à la différence marquée entre l’immunité consacrée par l’article XV et le transfert des droits et obligations énoncé à l’article XIX de la Convention de l’ASE (paragraphes 23, 25 à 28 ci-dessus).

44. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, entre autres, l’arrêt Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3225, § 43). Il en va de même lorsque le droit interne renvoie à des dispositions du droit international général ou d’accords internationaux. Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation.

45. La juridiction allemande du travail a jugé irrecevable l’action engagée par les requérants en vertu de la loi allemande sur le prêt de main-d’œuvre, l’ASE, la défenderesse, ayant invoqué l’immunité de juridiction conformément à l’article XV § 2 de la Convention de l’ASE et à l’article IV § 1 de son annexe I. Selon l’article 20 § 2 de la loi allemande sur l’organisation judiciaire, certaines personnes jouissent de l’immunité de juridiction en vertu des règles du droit international général, ou en application d’accords internationaux ou d’autres dispositions légales (paragraphe 20 ci-dessus).

46. En l’espèce, le tribunal du travail de Darmstadt a conclu à l’irrecevabilité de l’action des requérants, considérant que les conditions posées par la disposition précitée étaient remplies. Dans son

jugement, il a estimé que l’ASE jouissait de l’immunité de juridiction en vertu de la Convention de l’ASE et de son annexe I ; l’ASE avait été instituée en tant qu’organisation internationale nouvelle et indépendante et n’était donc pas liée par l’article 6 § 2 de l’Accord relatif à l’ESOC (paragraphe 15 ci-dessus). Il a en outre renvoyé à l’arrêt rendu par la Cour fédérale du travail dans l’affaire de MM. Waite et Kennedy (paragraphe 15 ci-dessus).

47. La Cour observe que l’ASE a été créée à partir du CERS et du CECLES comme une organisation nouvelle et unique (paragraphe 12 ci-dessus). Selon son instrument constitutif, l’ASE jouit de l’immunité de juridiction et d’exécution, sauf dans la mesure, notamment, où son Conseil y renonce expressément dans un cas particulier (paragraphes 23 et 26 à 28 ci-dessus). Eu égard aux dispositions exhaustives de l’annexe I à la Convention de l’ASE et au libellé de l’article 6 § 2 de l’Accord relatif à l’ESOC (paragraphe 32 ci-dessus), les motifs invoqués par les juridictions allemandes du travail pour reconnaître l’immunité de juridiction de l’ASE en vertu de l’article XV de la Convention de l’ASE et son annexe I ne sauraient être qualifiés d’arbitraires.

48. Certes, les requérants ont eu la possibilité de plaider la question de l’immunité. Cependant, la Cour doit maintenant examiner si ce degré d’accès limité à une question préliminaire suffisait pour assurer aux requérants le « droit à un tribunal », eu égard au principe de la prééminence du droit dans une société démocratique (arrêt Golder précité, pp. 16-18, §§ 34-35).

49. La Cour rappelle que le droit d’accès aux tribunaux, reconnu par l’article 6 § 1, n’est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l’Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation ne se concilie avec l’article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir l’arrêt Osman précité, p. 3169, § 147, et le rappel des principes pertinents dans l’arrêt Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994, série A n° 294-B, pp. 49-50, § 65).

50. Les requérants soutiennent que le droit d’accès aux tribunaux ne consistait pas seulement à engager une procédure judiciaire. Selon eux, il voulait aussi que les tribunaux examinassent le bien-fondé de leurs griefs. Les intéressés considèrent que les juridictions allemandes n’ont pas tenu compte de la primauté des droits de l’homme sur des règles d’immunité découlant d’accords internationaux. Ils concluent que le bon fonctionnement de l’ASE n’appelait pas, dans leur cas particulier, le recours à l’immunité devant les juridictions allemandes.

51. Pour le Gouvernement et la Commission, le but de l’immunité en droit international est de protéger les organisations internationales contre les ingérences de tel gouvernement ou de tel autre. Ils y voient un but légitime autorisant des restrictions à l’article 6. Selon le Gouvernement, les tâches incombant aux organisations internationales revêtent une importance particulière à une époque de mondialisation des défis techniques et économiques ; leur fonctionnement exige qu’elles se dotent de dispositions internes uniformes, notamment d’un règlement intérieur approprié, et qu’elles ne soient pas contraintes de s’adapter à des principes et règles nationaux qui diffèrent entre eux.

52. Dans ses observations écrites (paragraphe 7 ci-dessus), le Comité des représentants du personnel des organisations coordonnées estime que les dispositions statutaires relatives à l’immunité doivent s’interpréter de manière que les droits fondamentaux garantis par l’article 6 § 1 de la Convention soient respectés.

53. A l’instar de la Commission, la Cour observe que l’octroi de privilèges et immunités aux organisations internationales est un moyen indispensable au bon fonctionnement de celles-ci, sans ingérence unilatérale de tel ou tel gouvernement.Le fait pour les Etats d’accorder généralement l’immunité de juridiction aux organisations internationales en vertu des instruments constitutifs de celles-ci ou d’accords additionnels constitue une pratique de longue date, destinée à assurer le bon fonctionnement de ces organisations. L’importance de cette pratique se trouve renforcée par la tendance à l’élargissement et à l’intensification de la coopération

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internationale qui se manifeste dans tous les domaines de la société contemporaine.Dans ces conditions, la Cour estime que la règle de l’immunité de juridiction, que les tribunaux allemands ont appliquée à l’ASE, poursuit un but légitime.

54. Quant à la question de la proportionnalité, la Cour doit apprécier la limitation litigieuse apportée à l’article 6 à la lumière des circonstances particulières de l’espèce.

55. Pour le Gouvernement, la limitation est proportionnée au but poursuivi, qui est de permettre aux organisations internationales d’exécuter efficacement leurs fonctions. S’agissant de l’ASE, il considère que le régime précis de protection juridique mis en place par la Convention de l’ASE pour les litiges avec le personnel et par l’annexe I pour d’autres différends répond aux normes de la Convention. A son sens, l’article 6 § 1 exige l’accès à un organe juridictionnel, mais pas nécessairement à un tribunal national. Si les requérants souhaitaient faire valoir des droits contractuels, les années qu’ils avaient passées au service de l’ASE et leur intégration aux activités de cette organisation, ils avaient en particulier la faculté de saisir la Commission de recours de celle-ci. Selon le Gouvernement, d’autres possibilités encore s’offraient à eux, par exemple celle de demander réparation à la société étrangère qui les avait mis à la disposition de l’ASE.

56. La Commission se rallie pour l’essentiel au point de vue du Gouvernement selon lequel, pour les litiges de droit privé impliquant l’ASE, il est possible d’obtenir un contrôle juridictionnel ou équivalent, mais au moyen de procédures adaptées aux particularités d’une organisation internationale et, dès lors, différentes des recours disponibles en droit interne.

57. De l’avis de la Cour, lorsque des Etats créent des organisations internationales pour coopérer dans certains domaines d’activité ou pour renforcer leur coopération, et qu’ils transfèrent des compétences à ces organisations et leur accordent des immunités, la protection des droits fondamentaux peut s’en trouver affectée. Toutefois, il serait contraire au but et à l’objet de la Convention que les Etats contractants soient ainsi exonérés de toute responsabilité au regard de la Convention dans le domaine d’activité concerné. Il y a lieu de rappeler que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. La remarque vaut en particulier pour le droit d’accès aux tribunaux, vu la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (voir, comme exemple récent, l’arrêt Aït-Mouhoub c. France du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3227, § 52, citant l’arrêt Airey c. Irlande du 9 octobre 1979, série A n° 32, pp. 12-13, § 24).

58. Pour déterminer si l’immunité de l’ASE devant les juridictions allemandes est admissible au regard de la Convention, il importe, selon la Cour, d’examiner si les requérants disposaient d’autres voies raisonnables pour protéger efficacement leurs droits garantis par la Convention.

59. La Convention de l’ASE et son annexe I prévoient expressément divers modes de règlement des litiges de droit privé, qu’il s’agisse de différends touchant son personnel ou d’autres litiges (paragraphes 21 à 30 ci-dessus).Les requérants ayant fait valoir l’existence d’une relation de travail avec l’ASE, ils auraient pu et dû saisir la Commission de recours de l’Organisation. Conformément à l’article 33 § 1 du Statut du personnel de l’ASE, la Commission de recours, « indépendante de l’Agence », « connaît des litiges relatifs à toute décision explicite ou implicite prise par l’Agence et l’opposant à un membre du personnel » (paragraphe 30 ci-dessus).Quant à la notion de « membre du personnel », il appartenait à la Commission de recours de l’ASE, en vertu de l’article 33 § 6 du Statut du personnel, de se prononcer sur la question de sa juridiction et, dans ce contexte, de décider si la notion de « membre du personnel » s’appliquait en substance aux requérants.

60. Par ailleurs, les travailleurs temporaires ont en principe la faculté de demander réparation aux sociétés qui les ont employés et qui les ont mis à la disposition de tiers. Ils peuvent intenter une action en dommages-intérêts contre ces sociétés en invoquant les dispositions générales du droit du travail ou, plus particulièrement, la loi allemande sur le prêt de main-d’œuvre. Pareille action permet de préciser la nature des relations de travail. Le fait que toute action invoquant la loi sur le prêt de main-d’œuvre présuppose la bonne foi (paragraphe 19 ci-

dessus) ne la prive pas, de manière générale, de chances raisonnables de succès.

61. La présente affaire se caractérise par la circonstance que les requérants, après avoir assuré des prestations de services dans les locaux de l’ESOC à Darmstadt pendant une longue période, en vertu de contrats avec des sociétés étrangères, ont revendiqué le statut d’agents permanents de l’ASE en invoquant la législation spéciale susmentionnée réglementant le marché du travail allemand.

62. Comme la Commission, la Cour conclut que, compte tenu du but légitime des immunités des organisations internationales (paragraphe 53 ci-dessus), le critère de proportionnalité ne saurait s’appliquer de façon à contraindre une telle organisation à se défendre devant les tribunaux nationaux au sujet de conditions de travail énoncées par le droit interne du travail. Interpréter l’article 6 § 1 de la Convention et ses garanties d’accès à un tribunal comme exigeant forcément que l’on applique la législation nationale en la matière entraverait, de l’avis de la Cour, le bon fonctionnement des organisations internationales et irait à l’encontre de la tendance actuelle à l’élargissement et à l’intensification de la coopération internationale.

63. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la Cour estime que les tribunaux allemands n’ont pas excédé leur marge d’appréciation en entérinant, par le jeu de l’article 20 § 2 de la loi sur l’organisation judiciaire, l’immunité de juridiction de l’ASE. Eu égard en particulier aux autres voies de droit qui s’offraient aux requérants, on ne saurait dire que les restrictions de l’accès aux juridictions allemandes pour régler le différend des intéressés avec l’ASE aient porté atteinte à la substance même de leur « droit à un tribunal » ou qu’elles aient été disproportionnées sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.

64. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

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Al-Adsani c. Royaume-UniCEDH

Arrêt du 21 novembre 2001

53. Le droit d'accès aux tribunaux n'est toutefois pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l'Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d'une certaine marge d'appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l'accès offert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareilles limitations ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], n° 26083/94, § 59, CEDH 1999-I).

54. La Cour doit d'abord rechercher si la limitation poursuivait un but légitime. Elle note à cet égard que l'immunité des Etats souverains est un concept de droit international, issu du principe par in parem non habet imperium, en vertu duquel un Etat ne peut être soumis à la juridiction d'un autre Etat. La Cour estime que l'octroi de l'immunité souveraine à un Etat dans une procédure civile poursuit le but légitime d'observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre Etats grâce au respect de la souveraineté d'un autre Etat.

55. La Cour doit déterminer ensuite si la restriction était proportionnée au but poursuivi. Elle rappelle que la Convention doit s'interpréter à la lumière des principes énoncés par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, qui dispose en son article 31 § 3 c) qu'il faut tenir compte de « toute règle de droit international applicable aux relations entre les parties ». La Convention, y compris son article 6, ne saurait s'interpréter dans le vide. La Cour ne doit pas perdre de vue le caractère spécifique de traité de garantie collective des droits de l'homme que revêt la Convention et elle doit tenir compte des principes pertinents du droit international (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Loizidou c. Turquie (fond) du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2231, § 43). La Convention doit autant que faire se peut s'interpréter de manière à se concilier avec les autres règles de droit international, dont elle fait partie intégrante, y compris celles relatives à l'octroi de l'immunité aux Etats.”

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Affaire Nottebohm(Liechtenstein c. Guatemala)

CIJArrêt du 6 avril 1955

Le caractère ainsi reconnu dans l’ordre international à la nationalité n’est pas contredit par le fait que le droit international laisse à chaque État le soin de régler l’attribution de sa propre nationalité.S’il en est ainsi, c’est que la diversité des conditions démographiques n’a pas permis jusqu’ici l’établissement d’un accord général sur les règles concernant la nationalité, encore que, par sa nature, celle-ci affecte les rapports internationaux. On a estimé que le meilleur moyen de faire concorder ces règles avec les conditions démographiques diverses existant ici et là était de laisser leur détermination à la compétence de chaque État. Corrélativement, un État ne saurait prétendre que les règles par lui ainsi établies devraient être reconnues par un autre État que s’il s’est conformé à ce but général de faire concorder le lien juridique de la nationalité avec le rattachement effectif de l’individu à l’État qui assume la défense de ses citoyens par le moyen de la protection vis-à-vis des autres États.

La nécessité d’une telle concordance se retrouve dans les travaux poursuivis au cours de ces trente dernières années à l’initiative et sous les auspices de la Société des Nations et des Nations Unies.Là se trouve l’explication de la disposition que la conférence pour la codification du Droit international tenue à La Haye, en 1930, de lois en matière de nationalité, disposition énonçant que la législation édictée par un État pour déterminer quels sont ses nationaux, “doit être admise par les autres États, pourvu qu’elle soit en accord avec […] la coutume internationale et les principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité”. Dans le même esprit, l’article 5 de cette convention se référait à des critères de rattachement effectif pour trancher le problème de la double nationalité se posant dans un État tiers.

Selon la pratique des États, les décisions arbitrales et judiciaires et les opinions doctrinales, la nationalité est un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d’existence, d’intérêts, de sentiments jointe à une réciprocité de droits et de devoirs. Elle est, peut-on dire, l’expression juridique du fait que l’individu auquel elle est conférée, soit directement par la loi, soit par un acte de l’autorité, est, en fait, plus étroitement rattaché à la population de l’État qui la lui confère qu’à celle de tout autre État. Conférée par un État, elle ne lui donne titre à l’exercice de la protection vis-à-vis d’un autre État que si elle est la traduction en termes juridiques de l’attachement de l’individu considéré à l’État qui en a fait son national.

Affaires du Plateau Continental de la Mer du Nord(République Fédérale d’Allemagne [RFA]/

Danemark; RFA/Pays-Bas)CIJ

Arrêt du 20 février 1969

19. Ce qui est plus important encore, c'est que la doctrine de la part juste et équitable semble s'écarter totalement de la règle qui constitue sans aucun doute possible pour la Cour la plus fondamentale de toutes les règles de droit relatives au plateau continental et qui est consacrée par l'article 2 de la Convention de Genève de 1958, bien qu'elle en soit tout à fait indépendante: les droits de l'État riverain concernant la zone de plateau continental qui constitue un prolongement naturel de son territoire sous la mer existent ipso facto et ab initio en vertu de la souveraineté de l'Etat sur ce territoire et par une extension de cette souveraineté sous la forme de l'exercice de droits souverains aux fins de l'exploration du lit de la mer et de l'exploitation de ses ressources naturelles. II y a là un droit inhérent. Point n'est besoin pour l'exercer de suivre un processus juridique particulier ni d'accomplir des actes juridiques spéciaux. Son existence peut être constatée, comme cela a été fait par de nombreux Etats, mais elle ne suppose aucun acte constitutif. Qui plus est, ce droit est indépendant de son exercice effectif. Pour reprendre le terme de la Convention de Genève, il est “exclusif” en ce sens que, si un Etat riverain choisit de ne pas explorer ou de ne pas exploiter les zones de plateau continental lui revenant, cela ne concerne que lui et nul ne peut le faire sans son consentement exprès.

73. En ce qui concerne les autres éléments généralement tenus pour nécessaires afin qu'une règle conventionnelle soit considérée comme étant devenue une règle générale de droit international, il se peut que, sans même qu'une longue période se soit écoulée, une participation très large et représentative à la convention suffise, à condition toutefois qu'elle comprenne les Etats particulièrement intéressés. S'agissant de la présente affaire, la Cour constate que, même si l'on tient compte du fait que certains des Etats ne peuvent participer à la Convention de Genève ou, faute de littoral par exemple, n'ont pas d'intérêt à y devenir parties, le nombre des ratifications et adhésions obtenues jusqu'ici est important mais n'est pas suffisant. On ne saurait s'appuyer sur le fait que la non-ratification puisse être due parfois à des facteurs autres qu'une désapprobation active de la convention en cause pour en déduire l'acceptation positive de ces principes: les raisons sont conjecturales mais les faits demeurent.

77. L'élément essentiel à cet égard - il semble nécessaire de le souligner - est que, même si pareille attitude avait été beaucoup plus fréquente de la part des; Etats non parties à la Convention, ces actes, même considérés globalement, ne suffiraient pas en eux-mêmes à constituer l'opinio juris car, pour parvenir à ce résultat, deux conditions doivent être remplies. Non seulement les actes considérés doivent représenter une pratique constante, mais en outre ils doivent témoigner, par Leur nature ou la manière dont ils sont accomplis, de la conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l'existence d'une règle de droit. La nécessité de pareille conviction, c'est-à-dire l'existence d'un élément subjectif, est implicite dans la notion même d'opinio juris sive necessitatis. Les Etats intéressés doivent donc avoir le sentiment de se conformer à ce qui équivaut à une obligation juridique. Ni la fréquence ni même le caractère habituel des actes ne suffisent. II existe nombre d'actes internationaux, dans le domaine du protocole par exemple, qui sont accomplis presque invariablement mais sont motivés par de simples considérations de courtoisie, d'opportunité ou de tradition et non par le sentiment d'une obligation juridique.

101. Par ces motifs, LA COUR, par onze voix contre six, dit que, pour l'une et l'autre affaire, A) l'application de la méthode de délimitation fondée sur l'équidistance n'est pas obligatoire entre les Parties; B) il n'existe pas d'autre méthode unique de délimitation qui soit d'un emploi obligatoire en toutes circonstances; C) les principes et les règles du droit international applicables à la délimitation entre les Parties des zones du plateau continental de la mer du Nord relevant de chacune d'elles, au-delà des lignes de délimitation partielle respectivement déterminées par les accords du 1er décembre 1964 et du 9 juin 1965, sont les suivants: 1) la délimitation doit s'opérer par voie d'accord conformément à des

principes équitables et compte tenu de toutes les circonstances

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pertinentes, de manière à attribuer, dans toute la mesure du possible, à chaque Partie la totalité des zones du plateau continental qui constituent le prolongement naturel de son territoire sous la mer et n'empiètent pas sur le prolongement naturel du territoire de l'autre;

2) si, par suite de l'application de l'alinéa précédent, la délimitation attribue aux Parties des zones qui se chevauchent, celles-ci doivent être divisées entre les Parties par voie d'accord ou, à défaut, par parts égales, a moins que les Parties n'adoptent un régime de juridiction, d'utilisation ou d'exploitation commune pour tout ou partie des zones de chevauchement;

D) au cours des négociations, les facteurs à prendre en considération comprendront : 1) la configuration générale des côtes des Parties et la présence de

toute caractéristique spéciale ou inhabituelle; 2) pour autant que cela soit connu ou facile à déterminer, la structure

physique et géologique et les ressources naturelles des zones de plateau continental en cause;

3) le rapport raisonnable qu'une délimitation opérée conformément à des principes équitables devrait faire apparaître entre l'étendue des zones de plateau continental relevant de l'Etat riverain et la longueur de son littoral mesurée suivant la direction générale de celui-ci, compte tenu à cette fin des effets actuels ou éventuels de toute autre délimitation du plateau continental effectuée entre Etats limitrophes dans la même région.

Affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited

(Belgique c. Espagne)CIJ

Arrêt du 5 février 1970

33. Dès lors qu'un Etat admet sur son territoire des investissements étrangers ou des ressortissants étrangers, personnes physiques ou morales, il est tenu de leur accorder la protection de la loi et assume certaines obligations quant à leur traitement. Ces obligations ne sont toutefois ni absolues ni sans réserve. Une distinction essentielle doit en particulier être établie entre les obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d'un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premières concernent tous les Etats. Vu l'importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés; les obligations dont il s'agit sont des obligations erga omnes.

34. Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international contemporain, de la mise hors la loi des actes d'agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de l'esclavage et la discrimination raciale. Certains droits de protection correspondants se sont intégrés au droit international général (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23); d'autres sont conférés par des instruments internationaux de caractère universel ou quasi universel.

70. Lorsqu'il s'agit d'établir un lien entre une société et tel ou tel Etat aux fins de la protection diplomatique, le droit international se fonde, encore que dans une mesure limitée, sur une analogie avec les règles qui régissent la nationalité des individus. La règle traditionnelle attribue le droit d'exercer la protection diplomatique d'une société à l'Etat sous les lois duquel elle s'est constituée et sur le territoire duquel elle a son siège. Ces deux critères ont été confirmés par une longue pratique et par maints instruments internationaux. Néanmoins des liens plus étroits ou différents sont parfois considérés comme nécessaires pour qu'un droit de protection diplomatique existe. Ainsi certains Etats ont pour pratique d'accorder leur protection diplomatique à une société constituée selon leur loi uniquement lorsque le siège social, la direction ou le centre de contrôle de cette société se trouve sur leur territoire ou lorsque la majorité ou une partie substantielle des actions appartient à leurs ressortissants. C'est dans ces cas seulement, a-t-on dit, qu'existe entre la société et l'Etat en question un lien de rattachement effectif comme celui qui est bien connu dans d'autres domaines du droit international. Toutefois, sur le plan particulier de la protection diplomatique des personnes morales, aucun critère absolu applicable au lien effectif n'a été accepté de manière générale. Les critères que l'on a retenus ont un caractère relatif et l'on a parfois mis en balance les liens d'une société avec un Etat et ses liens avec un autre. A cet égard l'on s'est référé à l'affaire Nottebohm et en fait les Parties l'ont fréquemment mentionnée au cours de la procédure. Toutefois, étant donné les aspects de droit et de fait que présente la protection en l'espèce, la Cour estime qu'il ne saurait y avoir d'analogie avec les questions soulevées ou la décision prise en cette affaire.

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Affaire des essais nucléaires(Australie c. France)

CIJArrêt du 20 décembre 1974

46. L'un des principes de base qui président à la création et à l'exécution d'obligations juridiques, quelle qu'en soit la source, est celui de la bonne foi. La confiance réciproque est une condition inhérente de la coopération internationale, surtout à une époque où, dans bien des domaines, cette coopération est de plus en plus indispensable. Tout comme la règle du droit des traités pacta sunt servanda elle-même, le caractère obligatoire d'un engagement international assumé par déclaration unilatérale repose sur la bonne foi. Les Etats intéressés peuvent donc tenir compte des déclarations unilatérales et tabler sur elles; ils sont fondés à exiger que l'obligation ainsi créée soit respectée.

47. Ayant examiné les principes juridiques en jeu, la Cour en vient plus précisément aux déclarations du Gouvernement français. Le Gouvernement australien a indiqué à la Cour pendant la procédure orale comment il interprétait la première de ces déclarations (paragraphe 27 ci-dessus). Au sujet de celles qui ont suivi, on peut se référer a ce qu'a dit l'Attorney-General devant le Sénat australien le 26 septembre 1974 (paragraphe 28 ci-dessus). En réponse à une question relative à des informations d'après lesquelles la France avait annoncé qu'elle avait terminé ses essais nucléaires en atmosphère, il a dit que la déclaration du ministre des affaires étrangères de France en date du 25 septembre 1974 (paragraphe 39 ci-dessus) « est fort loin de représenter un engagement suivant lequel le Gouvernement français n'effectuerait plus d'essais dans l'atmosphère à son centre d'expérimentations du Pacifique » et que la France « continue de se réserver le droit de se livrer à des essais nucléaires dans l'atmosphère » de sorte que « [d]'un point de vue juridique, l'Australie n'a rien obtenu du Gouvernement français qui la protège contre de nouveaux essais atmosphériques ».

48. On notera que l'Australie a admis que le différend pourrait être résolu par une déclaration unilatérale, de la nature précisée plus haut, qui serait donnée par la France et sa conclusion qu'en fait aucun «engagement ferme, explicite et de caractère obligatoire » n'a été pris procède de l'idée que l'assurance ne revêt pas une forme absolue, qu'il faut « distinguer l'affirmation selon laquelle les essais seront désormais souterrains de l'assurance qu'il n'y aura plus de nouveaux essais dans l'atmosphère », que « la possibilité d'une reprise des essais en atmosphère après le début des tirs souterrains ne saurait être exclue » et qu'ainsi « le Gouvernement français continue de se réserver le droit de se livrer à des essais nucléaires dans l'atmosphère ». II appartient cependant à la Cour de se faire sa propre opinion sur le sens et la portée que l'auteur a entendu donner à une déclaration unilatérale d'où peut naître une obligation juridique, et à cet égard elle ne peut être liée par les thèses d'un autre Etat qui n'est en rien partie au texte.

49. Parmi les déclarations du Gouvernement français en possession desquelles la Cour se trouve, il est clair que les plus importantes sont celles du président de la République. Etant donné ses fonctions, il n'est pas douteux que les communications ou déclarations publiques, verbales ou écrites, qui émanent de lui en tant que chef de l'Etat, représentent dans le domaine des relations internationales des actes de l'Etat français. Ses déclarations et celles des membres du Gouvernement français agissant sous son autorité, jusques et y compris la dernière déclaration du ministre de la défense, en date du 11 octobre 1974, doivent être envisagées comme un tout. Ainsi, quelle qu'ait pu en être la forme, il convient de les considérer comme constituant un engagement de l'Etat, étant donné leur intention et les circonstances dans lesquelles elles sont intervenues.

50. Les déclarations unilatérales des autorités françaises ont été faites publiquement en dehors de la Cour et erga omnes, même si la première a été communiquée au Gouvernement australien. Ainsi qu'on l'a vu plus haut, pour que ces déclarations eussent un effet juridique, il n'était pas nécessaire qu'elles fussent adressées à un Etat particulier, ni qu'un Etat quelconque signifiât son acceptation. Les caractères généraux de ces déclarations et leur nature sont les éléments décisifs quand il s'agit d'en apprécier les effets juridiques; c'est à leur interprétation que la Cour doit procéder maintenant. La Cour est en droit de partir de la présomption que ces déclarations n'ont pas été faites in vacuo mais à propos des essais qui forment l'objet même de l'instance, bien que la France ne se soit pas présentée en l'espèce.

51. Quand il a annoncé que la série d'essais atmosphériques de 1974 serait la dernière, le Gouvernement français a signifié par là à tous les

Etats du monde, y compris le demandeur, son intention de mettre effectivement fin à ces essais. II ne pouvait manquer de supposer que d'autres Etats pourraient prendre acte de cette déclaration et compter sur son effectivité. La validité de telles déclarations et leurs conséquences juridiques doivent être envisagées dans le cadre général de la sécurité des relations internationales et de la confiance mutuelle si indispensable dans les rapports entre Etats. C'est du contenu réel de ces déclarations et des circonstances dans lesquelles elles ont été faites que la portée juridique de l'acte unilatéral doit être déduite. L'objet des déclarations étant clair et celles-ci étant adressées à la communauté internationale dans son ensemble, la Cour tient qu'elles constituent un engagement comportant des effets juridiques. La Cour estime que le président de la République, en décidant la cessation effective des essais atmosphériques, a pris un engagement vis-à-vis de la communauté internationale à qui il s'adressait. Certes le Gouvernement français a constamment soutenu, en particulier dans la note que l'ambassadeur de France à Canberra a adressée le 7 février 1973 au premier ministre et ministre des affaires étrangères d'Australie, qu’« il est convaincu que ses expériences nucléaires n'ont violé aucune règle du droit international » et il n'a pas reconnu non plus qu'il était tenu de mettre fin à ses expériences par une règle de droit international mais cela rie change rien aux conséquences juridiques des déclarations étudiées plus haut. La Cour estime que l'engagement unilatéral résultant de ces déclarations ne saurait être interprété comme ayant comporté l'invocation d'un pouvoir arbitraire de révision. La Cour constate en outre que le Gouvernement français a assumé une obligation dont il convient de comprendre l'objet précis et les limites dans les termes mêmes où ils sont exprimés publiquement.

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Affaire relative au personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis d’Amérique à Téhéran

(Etats-Unis d’Amérique c. Iran)CIJ

Arrêt du 24 mai 1980

86. Bref les règles du droit diplomatique constituent un régime se suffisant à lui-même qui, d'une part, énonce les obligations de 1'Etat accréditaire en matière de facilités, de privilèges et d'immunités à accorder aux missions diplomatiques et, d'autre part, envisage le mauvais usage que pourraient en faire des membres de la mission et précise les moyens dont dispose l'Etat accréditaire pour parer à de tels abus. Ces moyens sont par nature d'une efficacité totale car, si l'Etat accréditant ne rappelle pas sur-le-champ le membre de la mission visé, la perspective de la perte presque immédiate de ses privilèges et immunités, du fait que l'Etat accréditaire ne le reconnaîtra plus comme membre de la mission, aura en pratique pour résultat de l'obliger, dans son propre intérêt, à partir sans tarder. Le principe de l'inviolabilité des personnes des agents diplomatiques et des locaux des missions diplomatiques est l'un des fondements mêmes de ce régime: établi de longue date et à l'évolution duquel les traditions de l'Islam (ont apporté une contribution substantielle. Le caractère fondamental du principe d'inviolabilité est en outre souligné avec force par les dispositions des articles 44 et 45 de la convention de 1961 (voir aussi les articles 26 et 27 de la convention de 1963). Même en cas de conflit armé ou de rupture des relations diplomatiques, ces dispositions obligent l'Etat accréditaire à respecter l'inviolabilité des membres d'une mission diplomatique aussi bien que celle de ses locaux, de ses biens et de ses archives. Naturellement l'observation de ce principe ne veut pas dire - et le gouvernement demandeur l'a d'ailleurs expressément reconnu - qu'un agent diplomatique pris en flagrant délit d'agression ou d'autre infraction ne puisse. en certaines circonstances, être brièvement détenu par la police de l'Etat accréditaire à des fins préventives. Mais de telles éventualités n'ont aucun rapport avec ce qui s'est passé en l'espèce.

92. La Cour regrette profondément que la situation ayant donné lieu à ces observations n'ait pas été corrigée depuis lors. Vu leur importance, la Cour estime essentiel de réitérer lesdites observations dans le présent arrêt. La fréquence avec laquelle, à l'époque actuelle, les principes du droit international qui régissent les relations diplomatiques et consulaires sont réduits à néant par des individus ou des groupes d'individus est déjà déplorable en elle-même. Mais l'affaire soumise à la Cour est unique et d'une gravité toute particulière parce qu'en l'occurrence ce ne sont pas seulement des individus privés ou des groupes d'individus qui ont agi au mépris de l'inviolabilité d'une ambassade étrangère ; c'est le gouvernement de l'Etat accréditaire lui-même qui l'a fait. En rappelant donc à nouveau l'extrême importance des principes de droit dont elle est amenée à faire application en la présente affaire, la Cour croit de son devoir d'attirer l'attention de la communauté internationale tout entière, y compris l'Iran, qui en est membre depuis des temps immémoriaux, sur le danger peut-être irréparable d'événements comme ceux qui ont été soumis à la Cour. Ces événements ne peuvent que saper à la base un édifice juridique patiemment construit par l'humanité au cours des siècles et dont la sauvegarde est essentielle pour la sécurité et le bien-être d'une communauté internationale aussi complexe que celle d'aujourd'hui, qui a plus que jamais besoin du respect constant et scrupuleux des règles présidant au développement ordonné des relations entre ses membres.

Affaire du plateau continental(Tunisie c. Libye)

CIJArrêt du 24 février 1982

50. Dans le nouveau texte, toute indication d'un critère spécifique pouvant aider les Etats intéressés à parvenir à une solution équitable a disparu. L'accent est placé sur la solution équitable à laquelle il faut aboutir. Les principes et règles applicables à la délimitation de zones de plateau sont ceux qui conviennent pour produire un résultat équitable ; c'est là un aspect sur lequel la Cour aura à revenir. Pour le moment, elle se bornera à noter que le nouveau texte n'affecte pas le rôle du concept de prolongement naturel dans ce domaine.

100. Dans la mesure où la question des droits de pêche historiques est soulevée en liaison avec la notion de « prolongement naturel », la Cour n'a pas à l'examiner davantage, étant donné les conclusions où elle est parvenue sur ce dernier point (paragraphes 67-68). Mais la question reste à considérer en elle-même. Les titres historiques doivent être respectés et préservés, ainsi qu'ils l'ont toujours été en vertu d'un long usage. On notera à cet égard que, lorsque la conférence sur le droit de la mer de 1958 s'est penchée sur la question, elle a adopté une résolution intitulée « Régime des eaux historiques », annexée à l'acte final, par laquelle l'Assemblée générale était priée de faire procéder à une étude de ce sujet. En 1959, l'Assemblée a adopté une résolution qui invitait la Commission du droit international à entreprendre l'étude du régime juridique des eaux historiques, y compris les baies historiques. La Commission n'a pas encore accompli ce travail. De son côté le projet de convention de la troisième conférence sur le droit de la mer ne contient pas de dispositions détaillées sur le régime des eaux historiques : les notions d’« eaux historiques » et de « baies historiques» n'y sont pas définies et leur régime juridique n'y est pas précisé. Certaines références aux « baies historiques », aux « titres historiques » ou à des raisons historiques peuvent cependant être assimilées à des réserves aux règles énoncées dans le reste du projet. Il paraît clair que la question reste régie par le droit international général, lequel ne prévoit pas de régime unique pour les « eaux historiques » ou les « baies historiques », mais seulement un régime particulier pour chaque cas concret et reconnu d’« eaux historiques » ou de « baies historiques ». Il est donc manifeste que, pour l'essentiel, la notion de titres ou d'eaux historiques et la notion de plateau continental sont gouvernées par des régimes juridiques distincts en droit international coutumier. Le premier de ces régimes repose sur l'acquisition et l'occupation, le second sur des titres existant « ipso facto et ab initio ». Sans doute arrive-t-il que les deux régimes coïncident en tout ou en partie, mais cette coïncidence ne peut être que fortuite, comme dans le cas de la Tunisie, où l'accès au plateau continental se trouve compris dans les limites des zones de pêche. Les droits et titres historiques de la Tunisie se rattachent plutôt à la zone économique exclusive, que l'on peut considérer comme faisant partie du droit international moderne. Or la Tunisie ne s'est pas fondée sur cette notion.

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Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci

(Nicaragua c. États-Unis d’Amérique) CIJ

Arrêt du 27 juin 1986

115. La Cour a estimé (paragraphe 110 ci-dessus) que, même prépondérante ou décisive, la participation des États-Unis à l'organisation, à la formation, à l'équipement, au financement et à l'approvisionnement des contras, à la sélection de leurs objectifs militaires ou paramilitaires et à la planification de toutes leurs opérations demeure insuffisante en elle-même, d'après les informations dont la Cour dispose, pour que puissent être attribués aux États-Unis les actes commis par les contras au cours de leurs opérations militaires ou paramilitaires au Nicaragua. Toutes les modalités de participation des États-Unis qui viennent d'être mentionnées, et même le contrôle général exercé par eux sur une force extrêmement dépendante à leur égard, ne signifieraient pas par eux-mêmes, sans preuve complémentaire. que les États-Unis aient ordonné ou imposé la perpétration des actes contraires aux droits de l'homme et au droit humanitaire allégués par l’État demandeur. Ces actes auraient fort bien pu être commis par des membres de la force contra en dehors du contrôle des États-Unis. Pour que la responsabilité juridique de ces derniers soit engagée, il devrait en principe être établi qu'ils avaient le contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires au cours desquelles les violations en question se seraient produites.

186. Il ne faut pas s'attendre à ce que l'application des règles en question soit parfaite dans la pratique étatique, en ce sens que les États s'abstiendraient, avec une entière constance, de recourir à la force ou à l'intervention dans les affaires intérieures d'autres États. La Cour ne pense pas que, pour qu'une règle soit coutumièrement établie, la pratique correspondante doive être rigoureusement conforme à cette règle. Il lui paraît suffisant, pour déduire l'existence de règles coutumières, que les États y conforment leur conduite d'une manière générale et qu'ils traitent eux-mêmes les comportements non conformes à la règle en question comme des violations de celle-ci et non pas comme des manifestations de la reconnaissance d'une règle nouvelle. Si un État agit d'une manière apparemment inconciliable avec une règle reconnue, mais défend sa conduite en invoquant des exceptions ou justifications contenues dans la règle elle-même, il en résulte une confirmation plutôt qu'un affaiblissement de la règle, et cela que l'attitude de cet État puisse ou non se justifier en fait sur cette base.

191. S'agissant de certains aspects particuliers du principe en question, il y aura lieu de distinguer entre les formes les plus graves de l'emploi de la force (celles qui constituent une agression armée) et d'autres modalités moins brutales. Pour déterminer la règle juridique s'appliquant à celles-ci, la Cour peut à nouveau faire appel aux mentions incluses dans la déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre États conformément à la Charte des Nations Unies (résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale déjà mentionnée). Comme il a été souligné, le fait que les États ont adopté ce texte fournit une indication de leur opinio juris sur le droit international coutumier en question. La déclaration comporte, à côté de certaines formulations qui peuvent s'appliquer à l'agression, d'autres qui ne visent que des modalités moins graves d'emploi de la force. On y trouve notamment les passages suivants : « Tout État a le devoir de s'abstenir de recourir à la menace ou à l'emploi de la force pour violer les frontières internationales existantes d'un autre État ou comme moyen de règlement des différends internationaux, y compris les différends territoriaux et les questions relatives aux frontières des États. Les États ont le devoir de s'abstenir d'actes de représailles impliquant l'emploi de la force. Tout État a le devoir de s'abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l'autodétermination, à la liberté et à l'indépendance les peuples mentionnés dans la formulation du principe de l'égalité de droits et de leur droit de disposer d'eux-mêmes. Chaque État a le devoir de s'abstenir d'organiser ou d'encourager l'organisation de forces irrégulières ou de bandes armées, notamment de bandes de mercenaires, en vue d'incursions sur le territoire d'un autre État. Chaque État a le devoir de s'abstenir d'organiser et d'encourager des actes de guerre civile ou des actes de terrorisme sur le territoire d'un autre État, d'y aider ou d'y participer, ou de tolérer sur son territoire des activités organisées en vue de perpétrer de tels actes, lorsque les actes

mentionnés dans le présent paragraphe impliquent une menace ou l'emploi de la force. »

193. La règle générale d'interdiction de la force comporte certaines exceptions. Etant donné l'argumentation avancée par les États-Unis pour justifier les faits qui leur sont reprochés par le Nicaragua, la Cour doit s'exprimer sur le contenu du droit de légitime défense, et plus précisément du droit de légitime défense collective. A l'égard, tout d'abord, de l'existence de ce droit elle constate que, selon le libellé de l'article 5 1 de la Charte des Nations Unies, le droit naturel (ou “droit inhérent”) que tout État possède dans l'éventualité d'une agression armée s'entend de la légitime défense, aussi bien collective qu'individuelle. Ainsi la Charte elle-même atteste l'existence du droit de légitime défense collective en droit international coutumier. En outre, de même que les mentions de certaines déclarations de l'Assemblée générale adoptées par les États attestent leur reconnaissance du principe de prohibition de la force sur le plan proprement coutumier, certaines mentions de ces mêmes déclarations jouent le même rôle à l'égard du droit de légitime défense (collective aussi bien qu'individuelle). Ainsi, dans la déclaration déjà citée relative aux principes du droit international touchant les relations amicales entre les États conformément à la Charte, les mentions relatives à la prohibition de la force sont suivies d'un paragraphe aux termes duquel : “Aucune disposition des paragraphes qui précèdent ne sera interprétée comme élargissant ou diminuant de quelque manière que ce soit la portée des dispositions de la Charte concernant les cas dans lesquels l'emploi de la force est licite.”Cette résolution démontre que les États représentés à l'Assemblée générale considèrent l'exception à l'interdiction de la force que constitue le droit de légitime défense individuelle ou collective comme déjà établie par le droit international coutumier.

195. Dans le cas de la Légitime défense individuelle, ce droit ne peut être exercé que si l’État intéressé a été victime d'une agression armée. L'invocation de la Légitime défense collective ne change évidemment rien à cette situation. L'accord paraît aujourd'hui général sur la nature des actes pouvant être considérés comme constitutifs d'une agression armée. En particulier, on peut considérer comme admis que, par agression armée, il faut entendre non seulement l'action des forces armées régulières à travers une frontière internationale mais encore “l'envoi par un État ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un autre État d'une gravité telle qu'ils équivalent” (entre autres) à une véritable agression armée accomplie par des forces régulières, “ ou [au] fait de s'engager d'une manière substantielle dans une telle action”. Cette description, qui figure à l'article 3, alinéa g), de la définition de l'agression annexée à la résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée générale, peut être considérée comme l'expression du droit international coutumier. La Cour ne voit pas de raison de refuser d'admettre qu'en droit international coutumier la prohibition de l'agression armée puisse s'appliquer à l'envoi par un État de bandes armées sur le territoire d'un autre État si cette opération est telle, par ses dimensions et ses effets, qu'elle aurait été qualifiée d'agression armée et non de simple incident de frontière si elle avait été le fait de forces armées régulières. Mais la Cour ne pense pas que la notion d'“agression armée” puisse recouvrir non seulement l'action de bandes armées dans le cas ou cette action revêt une ampleur particulière, mais aussi une assistance à des rebelles prenant la forme de fourniture d'armements ou d'assistance logistique ou autre. On peut voir dans une telle assistance une menace ou un emploi de la force, ou l'équivalent d'une intervention dans les affaires intérieures ou extérieures d'autres États. Il est clair que c'est L’État victime d'une agression armée qui doit en faire la constatation. Il n'existe, en droit international coutumier, aucune règle qui permettrait à un autre État d'user du droit de légitime défense collective contre le prétendu agresseur en s'en remettant à sa propre appréciation de la situation. En cas d'invocation de la légitime défense collective, il faut s'attendre à ce que l’État au profit duquel ce droit va jouer se déclare victime d'une agression armée.

199. Quoi qu'il en soit, la Cour note qu'en droit international coutumier, qu'il soit général ou particulier au système juridique interaméricain, aucune règle ne permet la mise en jeu de la Légitime défense collective sans la demande de l’État se jugeant victime d'une agression armée. La Cour conclut que l'exigence d'une demande de l’État victime de l'agression alléguée s'ajoute à celle d'une déclaration par laquelle cet État se proclame agressé.

200. A ce point de son arrêt, la Cour peut se demander s'il existe en droit international coutumier une exigence semblable à celle que prévoit le droit conventionnel de la Charte des Nations Unies et qui

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impose à l’État se prévalant du droit de Légitime défense individuelle ou collective de faire rapport à un organe international habilité à se prononcer sur la conformité au droit international des mesures nationale; que cet État entend par là justifier. Ainsi l'article 5 1 de la Charte des Nations Unies prescrit aux États prenant des mesures dans l'exercice de ce droit de Légitime défense de les “porter immédiatement” à la connaissance du Conseil de sécurité. Comme la Cour l'a déjà relevé (paragraphes 178 et 188), un principe consacré par un traité mais existant dans le droit international coutumier peut fort bien, dans celui-ci, être affranchi des conditions et modalités dont il est entouré dans le traité. Quelque influence que la Charte, en ces matières, ait pu avoir sur le droit coutumier, il est clair que, sur le plan de ce droit, la licéité de l'exercice de la Légitime défense n'est pas conditionnée par le respect d'une procédure aussi étroitement dépendante du contenu d'un engagement conventionnel et des institutions qu'il établit. En revanche, si un État invoquait la Légitime défense pour justifier des mesures qui normalement enfreindraient aussi bien le principe du droit international coutumier que celui de la Charte, on s'attendrait à ce que les conditions énoncées par la Charte fussent observées. Par conséquent, dans l'examen effectué au titre du droit coutumier, l'absence de rapport au Conseil de sécurité peut être un des éléments indiquant si l’État intéressé était convaincu d'agir dans le cadre de la légitime défense.

205. Malgré la multiplicité des déclarations des États acceptant le principe de non-intervention, deux problèmes subsistent : premièrement celui du contenu exact du principe ainsi accepté et, deuxièmement, celui de la démonstration que la pratique lui est suffisamment conforme pour qu'on puisse faire état d'une règle de droit international coutumier. En ce qui concerne le premier problème - celui du contenu du principe de non-intervention - la Cour se bornera à définir les éléments constitutifs de ce principe qui paraissent pertinents pour la solution du litige. A cet égard, elle note que, d'après les formulations généralement acceptées, ce principe interdit à tout État ou groupe d'États d'intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre État. L'intervention interdite doit donc porter sur des matières à propos desquelles le principe de souveraineté des États permet à chacun d'entre eux de se décider librement. Il en est ainsi du choix du système politique, économique, social et culturel et de la formulation des relations extérieures. L'intervention est illicite lorsque à propos de ces choix, qui doivent demeurer libres, elle utilise des moyens de contrainte. Cet élément de contrainte, constitutif de l'intervention prohibée et formant son essence même, est particulièrement évident dans le cas d'une intervention utilisant la force, soit sous la forme directe d'une action militaire soit sous celle, indirecte, du soutien à des activités armées subversives ou terroristes à l'intérieur d'un autre État. Ainsi qu'il a été noté (au paragraphe 191), la résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale assimile une telle assistance à l'emploi de la force par l’État qui la fournit quand les actes commis sur le territoire de l'autre État “impliquent une menace ou l'emploi de la force”. Ces formes d'action sont alors illicites aussi bien à l'égard du principe de non-emploi de la force que de celui de la non-intervention. Compte tenu de la nature des griefs du Nicaragua contre les États-Unis et de ceux que les États-Unis font valoir relativement à la conduite du Nicaragua envers El Salvador, c'est essentiellement d'actes d'intervention semblables que la Cour est amenée à se préoccuper en la présente espèce.

210. Lorsqu'elle a analysé le contenu de la règle prohibant l'emploi de la force. la Cour a examiné l'exception à cette règle que représente. en cas d'agression armée. l'exercice du droit de Légitime défense collective. De même doit-elle maintenant se poser la question suivante : si un État manque au principe de non-intervention à l'égard d'un autre État. est-il licite qu'un troisième État prenne, envers le premier, des contre-mesures qui constitueraient normalement une intervention dans ses affaires intérieures ? Le droit d'agir ainsi en cas d'intervention serait analogue au droit de Légitime défense collective en cas d'agression armée. mais il se situerait en principe à un niveau inférieur de gravité de L’acte déclenchant la réaction et de cette réaction elle-même. La Cour s'occupant ici d'un différend dans lequel un emploi illicite de la force est allégué. elle doit avant tout se demander si un État possède un droit de riposter à l'intervention par l'intervention qui irait jusqu'à justifier l'usage de la force en réaction à des mesures qui. sans constituer une agression armée, pourraient néanmoins impliquer l'emploi de la force. La question en elle-même est incontestablement pertinente d'un point de vue théorique. Mais la Cour. n'ayant à se prononcer que sur les points de droit nécessaires au règlement du différend qui lui est soumis, n'a pas à décider des réactions directes auxquelles peut licitement se livrer un État se

jugeant victime, de la part d'un autre, d'actes d'intervention comportant éventuellement l'usage de la force. Elle n'a donc pas à déterminer si, dans l'éventualité où le Nicaragua aurait commis de tels actes à l'égard d'El Salvador, celui-ci pouvait licitement prendre des contre-mesures particulières. On pourrait cependant faire valoir que, dans une telle hypothèse, les États-Unis auraient pu intervenir au Nicaragua dans l'exercice d'un droit analogue au droit de Légitime défense collective et qui jouerait en cas d'intervention se situant en deçà de l'agression armée.

246. Ayant conclu que les activités des États-Unis en relation avec celles auxquelles se livraient les contras au Nicaragua constituent prima facie des actes d'intervention, la Cour doit examiner s'il existe des motifs juridiques qui puissent les légitimer. Comme la Cour l'a indiqué, le principe de non-intervention relève du droit international coutumier. Or il perdrait assurément toute signification réelle comme principe de droit si l'intervention pouvait être Justifiée par une simple demande d'assistance formulée par un groupe d'opposants dans un autre État, en l'occurrence des opposants au régime du Nicaragua, à supposer qu'en l'espèce cette demande ait été réellement formulée. On voit mal en effet ce qui resterait du principe de non-intervention en droit international si l'intervention, qui peut déjà être justifiée par la demande d'un gouvernement, devait aussi être admise à la demande de l'opposition à celui-ci. Tout État serait ainsi en mesure d'intervenir à tout coup dans les affaires intérieures d'un autre État, à la requête, tantôt de sein gouvernement, tantôt de son opposition. Une telle situation ne correspond pas, de l'avis de la Cour, à l'état actuel du droit international.

261. La Cour ne trouve cependant rien dans ces documents, résolution et communication transmettant le “plan de paix”, qui permette de conclure à l'intention de faire naître un engagement juridique. La junte avait d'ailleurs bien rappelé dans l'un de ces documents que l'invitation adressée par elle à l'organisation des États américains pour qu'elle contrôle la vie politique du Nicaragua ne devait pas faire perdre de vue que la définition et la conduite de la politique intérieure du pays dépendait bien évidemment de la volonté des Nicaraguayens eux-mêmes. La résolution du 23 juin 1979 déclare elle aussi qu'il appartient “exclusivement” au peuple nicaraguayen de résoudre ses problèmes, même si elle indique que leur solution “devrait reposer” (deberia inspirarse) sur certaines bases, qu'elle ne fait que recommander au futur gouvernement. Cette partie de la résolution n'est qu'une simple déclaration ne comportant pas d'offre formelle pouvant constituer, par son acceptation, une promesse en droit et donc une obligation juridique. La Cour ne peut pas davantage souscrire à l'idée que le Nicaragua avait concrètement pris l'engagement d'organiser des élections libres et que cet engagement revêtait un caractère juridique. La junte nicaraguayenne de reconstruction nationale avait prévu dans son programme politique de gouvernement la tenue d'élections libres, comme l'avait recommandé la dix-septième réunion de consultation des ministres des relations extérieures de l'organisation des États américains. Il s'était agi d'une promesse essentiellement politique, faite non seulement à l'organisation mais aussi au peuple du Nicaragua qui devait en être le premier bénéficiaire. Mais la Cour ne découvre aucun instrument ayant une valeur juridique, unilatéral ou synallagmatique, par lequel le Nicaragua se serait engagé quant au principe et aux modalités de la tenue d'élections. Mention a déjà été faite de la charte de l'organisation des États américains et du respect dont elle témoigne pour l'indépendance politique des États membres ; dans le domaine de la politique intérieure, elle se borne à énumérer les normes sociales à l'application desquelles les États membres “conviennent de consacrer tous leurs efforts”, y compris : “L'incorporation et la participation progressive des secteurs marginaux de la population. tant rurale qu'urbaine, à la vie économique, sociale, civique:. culturelle et politique de la nation, afin d'aboutir à la pleine intégration de la communauté nationale, d'accélérer le processus de mobilité sociale et de consolider le régime démocratique.” (Art. 43 f).) II est évident que des dispositions de cette nature sont fort loin de constituer l'engagement d'avoir recours à des mécanismes politiques particuliers.

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Affaire du différend frontalier(Burkina-Faso c. Mali)

CIJArrêt du 22 décembre 1986

20. Dès lors que, comme on l'a rappelé, les deux Parties ont expressément demandé à la Chambre de trancher leur différend sur la base notamment du « principe de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation », la Chambre ne saurait écarter le principe de l'uti possidetis juris dont l'application a précisément pour conséquence le respect des frontières héritées. Bien qu'il ne soit pas nécessaire. aux fins de la présente affaire, de démontrer qu'il s'agit là d'un principe bien établi en droit international, en matière de décolonisation, la Chambre désire en souligner la portée générale, en raison de l'importance exceptionnelle qu'il revêt pour le continent africain ainsi que pour les deux Parties. A ce propos il convient d'observer que le principe de l'uti possidetis paraît bien avoir été invoqué pour la première fois en Amérique hispanique, étant donné que c'est sur ce continent qu'on a assisté pour la première fois au phénomène d'une décolonisation entraînant la formation d'une pluralité d'Etats souverains sur un territoire ayant antérieurement appartenu à une seule métropole. Ce principe ne revêt pas pour autant le caractère d'une règle particulière, inhérente à un système déterminé de droit international. Il constitue un principe général, logiquement lié au phénomène de l'accession à l'indépendance, où qu'il se manifeste. Son but évident est d'éviter que l'indépendance et la stabilité des nouveaux Etats ne soient mises en danger par des luttes fratricides nées de la contestation des frontières à la suite du retrait de la puissance administrante.

63. Outre les textes et les cartes énumérés ci-dessus, les Parties ont invoqué à l'appui de leurs thèses respectives les « effectivités coloniales », autrement dit le comportement des autorités administratives en tant que preuve de l'exercice effectif de compétences territoriales dans la région pendant la période coloniale. Pour le Burkina Faso, les « effectivités » peuvent conforter un titre existant, écrit ou cartographique, mais lorsqu'il s'agit d'en peser la valeur probante, elles doivent être constamment rapportées au titre considéré et ne peuvent en aucun cas se substituer à lui. Le Mali, pour sa part admet qu'on ne peut en principe invoquer des « effectivités » à l'encontre d'un texte, mais maintient qu'en l'absence de description conventionnelle ou législative d'une limite il faut bien faire appel à d'autres moyens pour établir cette limite, la recherche des «effectivités» devenant alors essentielle. Le rôle joué en la présente affaire par ces « effectivités » est complexe et la Chambre aura à peser soigneusement leur valeur juridique dans chaque cas d'espèce. Elle doit cependant indiquer dès à présent, en termes généraux, la relation juridique qui existe entre les « effectivités » et les titres servant de base à la mise en œuvre du principe de l'uti possidetis. A cet effet plusieurs éventualités doivent être distinguées. Dans le cas où le fait correspond exactement au droit, où une administration effective s'ajoute à l'uti possidetis juris, 1'« effectivité » n'intervient en réalité que pour confirmer l'exercice du droit né d'un titre juridique. Dans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire objet du différend est administré effectivement par un Etat autre que celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre. Dans l'éventualité où 1’« effectivité » ne coexiste avec aucun titre juridique, elle doit inévitablement être prise en considération. Il est enfin des cas où le titre juridique n'est pas de nature à faire apparaître de façon précise l'étendue territoriale sur laquelle il porte. Les « effectivités » peuvent alors jouer un rôle essentiel pour indiquer comment le titre est interprété dans la pratique.

Affaire relative au Projet Gabcíkovo-Nagymaros(Hongrie c. Slovaquie)

CIJArrêt du 25 septembre 1994

51. La Cour considère tout d'abord que l'état de nécessité constitue une cause, reconnue par le droit international coutumier, d'exclusion de l'illicéité d'un fait non conforme à une obligation internationale. Elle observe en outre que cette cause d'exclusion de l'illicéité ne saurait être admise qu'a titre exceptionnel. Telle était aussi l'opinion de la Commission du droit international lorsqu'elle a expliqué qu'elle avait opté pour une formule négative à l'article 33 de son projet

«pour marquer, par cet aspect formel aussi, que l'hypothèse d'une invocation à titre de justification de l'état de nécessité doit être considérée comme constituant vraiment une exception - une exception encore plus rarement admissible que ce n'est le cas pour les autres circonstances excluant l'illicéité ... » (ibid., p. 50, par. 40).

Ainsi, d'après la Commission, l'état de nécessité ne peut être invoqué qu'a certaines conditions, strictement définies, qui doivent être cumulativement réunies; et l'Etat concerné n'est pas seul juge de la réunion de ces conditions.

83. Pour pouvoir être justifiée. une contre-mesure doit satisfaire à certaines conditions (voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 127, par. 249. Voir aussi Sentence arbitrale du 9 décembre 1978 en l’affaire concernant l’accord relatif aux services aériens du 27 mars 1946 entre les États-Unis d’Amérique et la France, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XVIII, p. 483 et suiv., et articles 47 A 50 du projet d'articles sur la responsabilité des Etats adopté par la Commission du droit international en première lecture, «Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-huitième session, 6 mai-26 juillet 1996», Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante et unième session, supplément n°10 (A/5l/lO), p. 167-168.) En premier lieu, elle doit être prise pour riposter à un fait internationalement illicite d'un autre Etat et doit être dirigée contre ledit Etat. Bien qu'elle n'ait pas été présentée à titre principal comme une contre-mesure, il est clair que la variante C a constitué une riposte ii la suspension et à l'abandon des travaux par la Hongrie et qu'elle était dirigée contre cet Etat; et il est tout aussi clair, de l'avis de la Cour, que les agissements de la Hongrie étaient internationalement illicites.

85. De l'avis de la Cour, une condition importante est que les effets d'une contre-mesure doivent être proportionnés aux dommages subis compte tenu des droits en cause. En 1929, la Cour permanente de Justice internationale, à propos de la navigation sur l'Oder, a déclaré ce qui suit:

«[la] communauté d'intérêts sur un fleuve navigable devient la base d'une communauté de droit, dont les traits essentiels sont la parfaite égalité de tous les Etats riverains dans l'usage de tout le parcours du fleuve et l'exclusion de tout privilège d'un riverain quelconque par rapport aux autres» (Juridiction territoriale de la Commission internationale de l'Oder. arrêt n° 16, 1929, C.P.J.I. série A n° 23, p. 27).

Le développement moderne du droit international a renforcé ce principe également pour les utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, comme en témoigne l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies, le 21 mai 1997, de la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation. La Cour considère que la Tchécoslovaquie, en prenant unilatéralement le contrôle d'une ressource partagée, et en privant ainsi la Hongrie de son droit à une part équitable et raisonnable des ressources naturelles du Danube -- avec les effets continus que le détournement de ses eaux déploie sur l'écologie de la région riveraine du Szigetköz - n'a pas respecté la proportionnalité exigée par le droit international.

104. La Hongrie soutient en outre qu'elle était en droit d'invoquer divers événements qui, en se cumulant, auraient constitué un changement fondamental de circonstances. A cet effet, elle a plus particulièrement mentionné des changements profonds de nature politique, le fait que le projet devenait de moins en moins rentable, les progrès des connaissances en matière d'environnement et le développement de nouvelles normes et prescriptions du droit international de l'environnement (voir paragraphe 95 ci-dessus). La Cour rappellera que, dans l'affaire de la Compétence en matière de pêcheries (C.I.J. Recueil 1973, p. 63, par. 36), elle a dit que

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«l'article 62 de la convention de Vienne sur le droit des traités ... peut, à bien des égards, être considéré comme une codification du droit coutumier existant en ce qui concerne la cessation des relations conventionnelles en raison d'un changement de circonstances».

Certes, la situation politique qui prévalait alors a certainement été pertinente au regard de la conclusion du traité de 1977. Mais la Cour rappellera que ce traité prévoyait un programme d'investissement conjoint pour la production d'énergie, la maîtrise des inondations et l'amélioration des conditions de navigation sur le Danube. De l'avis de la Cour, les conditions politiques de l'époque n'étaient donc pas liées à l'objet et au but du traité au point de constituer une base essentielle du consentement des parties et, en se modifiant, de transformer radicalement la portée des obligations qui restaient à exécuter. Il en va de même du système économique en vigueur au moment de la conclusion du traité de 1977. Par ailleurs, même si la rentabilité estimée du projet pouvait apparaître moins élevée en 1992 qu'en 1977, il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour qu'elle était condamnée à chuter dans une proportion telle que les obligations conventionnelles des parties s'en fussent trouvées radicalement transformées. La Cour ne saurait considérer que les nouvelles connaissances acquises en matière d'environnement et les progrès du droit de l'environnement aient présenté un caractère complètement imprévu. Bien plus, le libellé des articles 15, 19 et 20, conçu dans une perspective d'évolution, a mis les parties en mesure de tenir compte de ces développements et de les appliquer lorsqu'elles exécuteraient ces dispositions conventionnelles. De l'avis de la Cour, les changements de circonstances que la Hongrie invoque ne sont pas, pris séparément ou conjointement, d'une nature telle qu'ils aient pour effet de transformer radicalement la portée des obligations qui restent à exécuter pour réaliser le projet. Un changement fondamental de circonstances doit être imprévu; les circonstances existant à l'époque où le traité a été conclu doivent avoir constitué une base essentielle du consentement des parties à être liées par le traité. Le fait que l'article 62 de la convention de Vienne sur le droit des traités soit libellé en termes négatifs et conditionnels indique d'ailleurs clairement que la stabilité des relations conventionnelles exige que le moyen tiré d'un changement fondamental de circonstances ne trouve à s'appliquer que dans des cas exceptionnels.

Affaire relative au Timor oriental(Portugal c. Australie)

CIJArrêt du 30 juin 1995

29. Le Portugal avance cependant un argument additionnel aux fins de démontrer que le principe formulé par la Cour dans l'affaire de l'Or monétaire pris à Rome en 1943 ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce. Il soutient en effet que les droits que l'Australie aurait violés étaient opposables erga omnes et que, par conséquent, le Portugal pouvait exiger de l'Australie, prise individuellement, le respect de ces droits, qu'un autre Etat ait ou non adopté un comportement illicite analogue. La Cour considère qu'il n'y a rien à redire à l'affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, tel qu'il s'est développé à partir de la Charte et de la pratique de l'organisation des Nations Unies, est un droit opposable erga omnes. Le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a été reconnu par la Charte des Nations Unies et dans la jurisprudence de la Cour (voir Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31-32, par. 52-53 ; Sahara occidental, avis consultatif; C.I. J. Recueil 1975, p. 31-33, par. 54-59); il s'agit là d'un des principes essentiels du droit international contemporain. Toutefois, la Cour estime que l'opposabilité erga omnes d'une norme et la règle du consentement a la juridiction sont deux choses différentes. Quelle que soit la nature des obligations invoquées, la Cour ne saurait statuer sur la licéité du comportement d'un Etat lorsque la décision à prendre implique une appréciation de la licéité du comportement d'un autre Etat qui n'est pas partie à l'instance. En pareil cas, la Cour ne saurait se prononcer, même si le droit en cause est opposable erga omnes.

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Affaire de l’île de Kasikili/Sedutu(Botswana c. Namibie)

CIJArrêt du 13 décembre 1999

90. La Namibie fonde cependant sa revendication sur l'île de Kasikilil/Sedudu, non seulement sur le traité de 1890, mais encore, à titre subsidiaire, sur la doctrine de la prescription. La Namibie soutient en effet que

« en vertu de l'occupation et de l'utilisation continues et exclusives de l'île de Kasikili ainsi que de l'exercice d'une juridiction souveraine sur cette île depuis le début du siècle, au vu et au su des autorités responsables au Bechuanaland et au Botswana et avec leur acceptation et acquiescement, la Namibie a acquis un titre par prescription sur l'île».

91. Le Botswana estime que la Cour ne peut prendre en considération les arguments de la Namibie relatifs à la prescription et à l'acquiescement car ceux-ci ne s'inscrivent pas dans le cadre de la question qui lui a été soumise aux termes du compromis. Selon le Botswana, ce dernier avait pour but d'obtenir de la Cour une détermination de la frontière sur la seule base du traité de: 1890; l'invocation de la prescription reviendrait dès lors à retenir un fondement totalement différent pour déterminer la frontière. A l'appui de sa thèse, le Botswana fait en particulier valoir que la mention, dans le compromis, des « règles et principes du droit international » constitue un « pléonasme » car un accord international est normalement interprété en tenant compte de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties. Et il ajoute que

« la preuve alléguée de l'acquisition d'un titre par prescription ne peut pas être admise comme une “pratique ultérieure”, car dans un tel cas l'hypothèse de travail est précisément l'existence d'un titre du Botswana (ou de son prédécesseur), qui serait remplacé par l'effet de la prescription »

92. La Namibie conteste cette thèse. Elle prétend pour sa part que le libellé de la question formulée dans le compromis est clair et que ce libellé

« exige que la Cour examine tout élément de preuve ou observations et conclusions des Parties fondés sur les règles et principes généraux du droit international au même titre que les observations et conclusions fondées sur le traité de 1890 ».

Selon la Namibie, « [l]a tentative du Botswana d'agir comme si la référence aux “règles et principes du droit international)) ne faisait pas partie du compromis est contraire aux règles fondamentales de l'interprétation des traités ».

Elle souligne le caractère contradictoire de la position du Botswana qui laisse entendre que l'expression « règles et principes du droit international » ne couvre que les règles et principes relatifs à l'interprétation des traités tout en admettant lui-même que les règles de droit international relatives à l'interprétation des traités sont visées dans la première partie de la question ayant trait au traité de 1890. La Namibie reproche également au Botswana de ne pas tenir compte de la dualité de l'argumentation qu'elle a présentée et selon laquelle

« la pratique ultérieure constitue soit une “pratique ... qui établit l'accord des parties à l'égard de l'interprétation” du traité, soit une base indépendante du titre, fondée sur la doctrine de la prescription ou de l'acquiescement, ou les deux ».

93. La Cour note que, aux termes de l'article 1 du compromis, elle est priée de déterminer la frontière entre la Namibie et le Botswana autour de l'île de Kasikili/Sedudu et le statut juridique de cette île « sur la base du traité anglo-allemand du 1er juillet 1890 et des règles et principes du droit international ». Même en l'absence de référence aux « règles et principes du droit international », la Cour aurait été autorisée a faire application des règles générales d'interprétation des traités internationaux aux fins d'interpréter le traité de 1890. Il est donc à supposer que la mention expressément faite, dans cette disposition, des « règles et principes du droit international », si elle doit avoir un sens, revêt une autre portée. De fait, la Cour observe que l'expression en cause présente un fort degré de généralité et, que, interprétée dans son sens ordinaire, elle ne saurait viser uniquement les règles et principes relatifs à l'interprétation des traités. L'interprétation restrictive de cette formule défendue par le Botswana apparaît d'autant moins fondée que l'article III du compromis précise que « [l]es règles et principes du droit international qui s'appliquent au différend sont ceux qui sont énumérés au paragraphe 1 de l'article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice ». Il ressort d'un tel libellé que les Parties

n'ont pas entendu circonscrire les règles et principes de droit applicables en l'espèce aux seuls règles et principes du droit international relatifs à l'interprétation des traités.De l'avis de la Cour, en se référant aux « règles et principes du droit international ». le compromis autorise non seulement la Cour à interpréter le traité de 1890 à la lumière de ceux-ci, mais également à faire une application indépendante desdits règles et principes. La Cour estime en conséquence que le compromis ne lui interdit pas de connaître des arguments relatifs à la prescription avancés par la Namibie.

94. Selon la Namibie, quatre conditions doivent être remplies pour que la possession d'un Etat puisse engendrer un titre par prescription:

« 1. La possession de l'Etat ... doit être exercée à titre de souverain. 2. La possession doit être paisible et ininterrompue. 3. La possession doit être publique. 4. La possession doit se prolonger pendant un certain temps. »

La Namibie allègue qu'en l'espèce l'Allemagne jouissait d'une possession paisible de l'île dès avant le début du siècle et a exercé des pouvoirs souverains sur celle-ci à partir de l'établissement du premier poste colonial au Caprivi en 1909, le tout de façon notoire et au vu et au su des autorités du Bechuanaland à Kasane, installées à un kilomètre ou deux seulement de l'île. Elle expose que cette possession paisible et publique de l'île, à titre de souverain, a été poursuivie de façon ininterrompue par les successeurs de l'Allemagne jusqu'à l'accession du territoire à l'indépendance. Elle relève enfin qu'après être lui-même devenu indépendant en 1966, le Botswana, qui était au courant des faits, a gardé le silence pendant près de vingt ans. A l'appui de ses allégations, la Namibie souligne l'importance de la présence sur l'île des populations masubia du Caprivi oriental « depuis le début de la période coloniale au moins et probablement bien avant celle-ci ». Elle affirme que

« [l]es documents coloniaux des autorités allemandes, britanniques et sud-africaines, ainsi que les dépositions de membres de la collectivité des Masubia dans le district de Kasika devant la commission mixte d'experts techniques ... [en 1994] établissent de façon concluante que le peuple masubia du Caprivi oriental occupe et utilise l'île de Kasikili depuis des temps immémoriaux »

et précise que « [l]es Masubia de la bande de Caprivi ont utilisé et occupé l'île de Kasikili comme une partie intégrante de leurs terres et de leur vie ». La Namibie admet certes que, pour établir l'acquisition d'un titre à la souveraineté par la voie de la prescription, de l'acquiescement et de la reconnaissance, elle doit démontrer davantage que l'usage du territoire contesté par des particuliers à des fins privées; mais elle soutient que:

« les prédécesseurs de la Namibie ont exercé une autorité et juridiction continues sur l'île de Kasikili. De 1909 jusqu'à ce qu'il soit mis fin au mandat en 1966, les fonctionnaires allemands, bechuanalandais et sud-africains ont constamment gouverné le Caprivi oriental par l'intermédiaire des chefs des Masubia, dont la juridiction s'étendait à l'île de Kasikili. Après qu'il eut été mis fin au mandat, l'Afrique du Sud. sous les pressions découlant de la lutte de libération, a exercé de plus en plus un pouvoir direct dans la région jusqu'a l'accession de la Namibie à l'indépendance le 21 mars 1990.»

La Namibie précise que l'autorité exercée sur l'île de Kasikili par ses prédécesseurs l'a été,

« pendant la plus grande partie de cette période ..., suivant le régime de l'“administration indirecte”, c'est-à-dire par le recours aux chefs et aux institutions politiques des Masubia pour exécuter les directives de la puissance administrante, sous le contrôle et la surveillance des représentants de celle-ci »

et que « [b]ien que l'administration indirecte se manifestât de diverses manières, la prémisse essentielle était que les actes d'administration des autorités coloniales et ceux des autorités traditionnelles émanaient ... d'une entité unique. le gouvernement colonial ».

Selon la Namibie, cette situation « s'est maintenue sans aucune opposition, réserve ou protestation de la part du Botswana ou de ses prédécesseurs en titre pendant près d'un siècle jusqu'en 1984, date à laquelle le Botswana a pour la première fois revendiqué officiellement l'île au cours d'entretiens privés avec le Gouvernement sud-africain ».

A l'appui de son argumentation relative à la prescription, la Namibie invoque également l'incident ayant opposé une vedette des forces de défense sud-africaines et une unité des forces de défense botswanaises en octobre 1984, qui indiquerait d'après elle que l'Afrique du Sud exerçait sa juridiction sur l'île en effectuant des patrouilles militaires dans le chenal sud. Elle fait en outre état d'un certain nombre de cartes officielles du Caprivi situant l'île sur son territoire depuis le début du siècle, ainsi que de l'assentiment des autorités britanniques.

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95. Bien qu'il considère la doctrine de la prescription comme inapplicable en l'espèce pour les raisons mentionnées ci-dessus, le Botswana juge acceptables les conditions nécessaires à l'acquisition d'un titre par prescription telles qu'elles ont été énoncées par la Namibie; il soutient cependant que la Namibie et ses prédécesseurs ne les ont pas remplies. Le Botswana affirme en substance qu'il « n'existe aucun élément de preuve digne de foi établissant que la Namibie ou ses prédécesseurs ont exercé une autorité étatique sur l'île » et que, même si la preuve d'une possession paisible, publique et continue de l'île par des populations du Caprivi avait été rapportée, cette possession n'aurait pu s'exercer à titre de souverain. Le Botswana ne conteste pas, en effet, que des habitants du Caprivi se soient servis de l'île de Kasikili/Sedudu à certains moments à des fins agricoles; mais il précise qu'il en allait de même des populations qui vivaient de l'autre côté du Chobe, au Bechuanaland et réfute qu'il y ait jamais eu un village ou un établissement permanent sur l'île. Le Botswana fait valoir qu'en tout état de cause «[l]es actes de personnes privées ne peuvent donner naissance à un titre que s'ils sont ultérieurement ratifiés par l'Etat »; que la preuve n'a pas été rapportée que les chefs masubia avaient le pouvoir de se livrer à des activités susceptibles de donner naissance à un titre au profit de l'Allemagne ou de ses successeurs; et qu'il n'existe pas non plus de preuve d'une «conviction sincère » de l'Allemagne et de ses successeurs quant à l'existence d'un titre. Quant aux activités de patrouille menées par l'Afrique du Sud, le Botswana affirme qu'il s'agissait tout au plus d'opérations antiguérilla qui ne peuvent être considérées comme un exercice de juridiction; selon lui, l'incident d'octobre 1984 ne saurait constituer un indice d'une possession paisible aux fins de la prescription. Enfin, le Botswana dénie toute valeur aux éléments de preuve cartographiques en l'espèce; il soutient que ceux-ci sont contradictoires et prêtent à confusion, et que les autorités du Bechuanaland et du Botswana n'ont jamais reconnu les cartes plaçant la frontière dans le chenal sud ou acquiescé à celles-ci.

96. Les Parties conviennent entre elles que la prescription acquisitive est reconnue en droit international, et elles conviennent de surcroît des conditions auxquelles un titre territorial peut être acquis par prescription, mais elles s'opposent sur le point de savoir si ces conditions sont réunies dans le cas d'espèce. Leur désaccord a essentiellement trait aux conséquences juridiques qui peuvent être tirées de la présence sur l'île de Kasikili/Sedudu des Masuha du Caprivi oriental. En effet, alors que la Namibie se fonde essentiellement sur cette présence, considérée à la lumière de la notion d'« administration indirecte », pour prétendre que ses prédécesseurs ont exercé sur l'île une autorité étatique constitutive d'un titre, le Botswana y voit une simple activité « privée » dénuée de toute pertinence au regard du droit international.

97. Aux fins de la présente espèce, la Cour n'a pas à s'attarder sur le statut de la prescription acquisitive en droit international ou sur les conditions d'acquisition d'un titre territorial par prescription. En effet, elle considère, pour les motifs exposés ci-après, que les conditions énoncées par la Namibie elle-même ne sont pas remplies et que l'argumentation namibienne relative à la prescription acquisitive ne peut en conséquence être retenue.

98. La Cour a déjà eu l'occasion de s'intéresser à la présence des Masubia sur l'île de Kasikili/Sedudu lorsqu'elle a examiné la conduite ultérieure des parties au traité de 1890 (voir ci-dessus paragraphes 71 et suivants). Il résulte de cet examen que, même si des liens d'allégeance ont pu exister entre les Masubia et les autorités du Caprivi, il n'est pas établi que les membres de cette tribu occupaient l'île « à titre de souverain », c'est-à-dire y exerçaient des attributs de la puissance publique au nom de ces autorités. Au contraire, il ressort du dossier de l'affaire que les Masubia utilisaient l'île de façon intermittente. au gré des saisons et selon leurs besoins, à des fins exclusivement agricoles; cette utilisation, antérieure à l'établissement de toute administration coloniale dans la bande de Caprivi, semble s'être ensuite poursuivie sans être liée à des prétentions territoriales de la Puissance administrant le Caprivi. Certes lorsque, en 1947-1948, la question de la frontière dans la région s'est posée pour la première fois entre les autorités locales du protectorat du Bechuanaland et celles de l'Afrique du Sud, et qu'on a estimé que le « chenal principal » du Chobe autour de l'île était le chenal nord, les autorités sud-africaines se sont prévalues de la présence des Masubia sur l'île pour prétendre qu'elles possédaient un titre fondé sur la prescription. Toutefois, dès ce moment, les autorités du Bechuanaland ont considéré que la frontière

se situait dans le chenal nord et que l'île faisait partie du protectorat; après quelques hésitations, elles ont refusé de satisfaire les prétentions sud-africaines sur l'île, tout en reconnaissant la nécessité de protéger les intérêts des tribus du Caprivi. La Cour en infère d'une part que, pour le Bechuanaland, les activités des Masubia sur l'île étaient une question indépendante de celle du titre sur celle-ci, et d'autre part que, lorsque l'Afrique du Sud a officiellement revendiqué ce titre, le Bechuanaland n'a pas accepté cette revendication, ce qui excluait un acquiescement de sa part.

99. De l'avis de la Cour, la Namibie n'a pas prouvé avec le degré de précision et de certitude nécessaire que des actes d'autorité étatique susceptibles de fonder autrement l'acquisition d'un titre par prescription selon les conditions qu'elle a énoncées auraient été accomplis par ses prédécesseurs ou par elle-même sur l'île de Kasikili/Sedudu. La Cour a déjà constaté ci-dessus qu'elle ne pouvait tirer des conclusions des éléments de preuve cartographiques produits en l'espèce (voir paragraphe 87). Elle estime qu'elle ne peut davantage tirer des conclusions de l'incident ayant mis aux prises, en octobre 1984, des forces de défense botswanaises et sud-africaines dans le chenal situé au sud de l'île.

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Affaire LaGrand(Allemagne c. États-Unis d’Amérique)

CIJArrêt du 27 juin 2001

102. L'objet et le but du Statut sont de permettre à la Cour de remplir les fonctions qui lui sont dévolues par cet instrument, et en particulier de s'acquitter de sa mission fondamentale, qui est le règlement judiciaire des différends internationaux au moyen de décisions obligatoires conformément à l'article 59 du Statut. L'article 41, analysé dans le contexte du Statut, a pour but d'éviter que la Cour soit empêchée d'exercer ses fonctions du fait de l'atteinte portée aux droits respectifs des parties à un différend soumis à la Cour. II ressort de l'objet et du but du Statut, ainsi que des termes de l'article 41 lus dans leur contexte, que le pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires emporte le caractère obligatoire desdites mesures, dans la mesure où le pouvoir en question est fondé sur la nécessité, lorsque les circonstances l'exigent, de sauvegarder les droits des parties, tels que déterminés par la Cour dans son arrêt définitif, et d'éviter qu'il y soit porté préjudice. Prétendre que des mesures conservatoires indiquées en vertu de l'article 41 ne seraient pas obligatoires serait contraire à l'objet et au but de cette disposition.

124. Les Etats-Unis ont communiqué à la Cour des informations qu'ils jugent importantes sur leur programme. Or si, dans le cadre d'une instance, un Etat fait référence de manière répétée devant la Cour aux activités substantielles auxquelles il se livre aux fins de mettre en œuvre certaines obligations découlant d'un traité, cela traduit un engagement de sa part de poursuivre les efforts entrepris à cet effet. Certes, le programme en cause ne peut fournir l'assurance qu'il n'y aura plus jamais de manquement des autorités des Etats-Unis à l'obligation de notification prévue à l'article 36 de la convention de Vienne. Mais aucun Etat ne pourrait fournir une telle garantie, et l'Allemagne ne cherche pas à l'obtenir. La Cour estime que l'engagement pris par les Etats-Unis d'assurer la mise en œuvre des mesures spécifiques adoptées en exécution de leurs obligations au titre de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 doit être considéré comme satisfaisant a la demande de l'Allemagne visant à obtenir une assurance générale de non-répétition.

128. Par ces motifs, LA COUR,1) Par quatorze voix contre une, Dit qu'elle a compétence, sur la base de l'article premier du protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends à la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, pour connaître de la requête déposée par la République fédérale d'Allemagne le 2 mars 1999.

[…]

3) Par quatorze voix contre une, Dit que, en n'informant pas sans retard Karl et Walter LaGrand, après leur arrestation, des droits qui étaient les leurs en vertu de l'alinéa b) du paragraphe I de l'article 36 de la convention et en privant de ce fait la République fédérale d'Allemagne de la possibilité de fournir aux intéressés, en temps opportun, l'assistance prévue par la convention, les Etats-Unis d'Amérique ont violé les obligations dont ils étaient tenus envers la République fédérale d'Allemagne et envers les frères LaGrand en vertu du paragraphe 1 de l'article 36;

4) Par quatorze ,voix contre une, Dit que, en ne permettant pas, a la lumière des droits reconnus par la convention, le réexamen et la révision des verdicts de culpabilité des frères LaGrand et de leurs peines, une fois constatées les violations rappelées au paragraphe 3) ci-dessus, les Etats-Unis d'Amérique ont violé l'obligation dont ils étaient tenus envers la République fédérale d'Allemagne et envers les frères LaGrand en vertu du paragraphe 2 de l'article 36 de la convention;

5) Par treize voir; contre deux, Dit que, en ne primant pas toutes les mesures dont ils disposaient pour que Walter LaGrand ne soit pas exécuté tant que la Cour internationale de Justice n'aurait pas rendu sa décision définitive en l'affaire, les Etats-Unis d'Amérique ont violé l'obligation dont ils étaient tenus en vertu de l'ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 3 mars 1999:

6) A l'unanimité.,

Prend acte de l'engagement pris par les Etats-Unis d'Amérique d'assurer la mise en œuvre des mesures spécifiques adoptées en exécution de leurs obligations au titre de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention; et dit que cet engagement doit être considéré comme satisfaisant à la demande de la République fédérale d'Allemagne visant à obtenir une assurance générale de non-répétition;

7) Par quatorze voix contre une, Dit que, si des ressortissants allemands devaient néanmoins être condamnés à une peine sévère sans que les droits qu'ils tiennent de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention aient été respectés, les Etats-Unis d'Amérique devront, en mettant en œuvre les moyens de leur choix, permettre le réexamen et la révision du verdict de culpabilité et de la peine en tenant compte de la violation des droits prévus par la convention.

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Affaire du mandat d’arrêt(République Démocratique

du Congo c. Belgique)CIJ

Arrêt du 14 février 2002

54. La Cour en conclut que les fonctions d'un ministre des affaires étrangères sont telles que, pour toute la durée de sa charge, il bénéficie d'une immunité de juridiction pénale et d'une inviolabilité totales a l'étranger. Cette immunité et cette inviolabilité protègent l'intéressé contre tout acte d'autorité de la part d'un autre Etat qui ferait obstacle a l'exercice de ses fonctions.

55. A cet égard, il n'est pas possible d'opérer de distinction entre les actes accomplis par un ministre des affaires étrangères à titre «officiel» et ceux qui l'auraient été à titre «privé», pas plus qu'entre les actes accomplis par l'intéressé avant qu'il n'occupe les fonctions de ministre des affaires étrangères et ceux accomplis durant l'exercice de ces fonctions. C'est ainsi que, si un ministre des affaires étrangères est arrêté dans un autre Etat a la suite d'une quelconque inculpation, il se trouvera à l'évidence empêché de s'acquitter des tâches inhérentes à ses fonctions. Les obstacles ainsi apportés a l'exercice de telles fonctions officielles ont des conséquences aussi graves, que le ministre des affaires étrangères, au moment de son arrestation, ait été présent à titre officiel ou privé sur le territoire de l'Etat ayant procédé a cette arrestation, que celle-ci concerne des actes qu'il aurait accomplis avant d'occuper le poste de ministre des affaires étrangères ou des actes accomplis dans le cadre de ses fonctions, ou encore qu'elle concerne des actes qu'il aurait accomplis a titre «officiel» ou des actes qu'il aurait accomplis a titre «privé». En outre, le simple fait qu'en se rendant dans un autre Etat ou qu'en traversant celui-ci un ministre des affaires étrangères puisse être exposé a une procédure judiciaire peut le dissuader de se déplacer à l'étranger lorsqu'il est dans l'obligation de le faire pour s'acquitter de ses fonctions.

56. La Cour passera maintenant à l'examen de l'argumentation de la Belgique selon laquelle les immunités reconnues aux ministres des affaires étrangères en exercice ne peuvent en aucun cas protéger ceux-ci lorsqu'ils sont soupçonnés d'avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Aux fins d'étayer cette position, la Belgique se réfère dans son contre-mémoire a divers instruments juridiques créant des juridictions pénales internationales, à des exemples tirés de législations nationales, ainsi qu'à la jurisprudence de juridictions internes et internationales. La Belgique précise tout d'abord que des dispositions des instruments créant des juridictions pénales internationales prévoient expressément que la qualité officielle d'une personne n'est pas un obstacle a l'exercice de leur compétence par ces juridictions. Elle insiste également sur certaines décisions rendues par des juridictions nationales et tout particulièrement sur les décisions rendues le 24 mars 1999 par la Chambre des lords du Royaume-Uni et le 13 mars 2001 par la Cour de cassation française, respectivement dans les affaires Pinochet et Kadhafi, dans lesquelles une exception à la règle de l'immunité aurait été admise en cas de crimes graves de droit international. Ainsi, selon la Belgique, la décision Pinochet reconnaît une exception à la règle de l'immunité lorsque lord Millet dit qu’« on ne peut supposer que le droit international ait institué un crime relevant du jus cogens tout en prévoyant une immunité ayant la même portée que l'obligation qu'il cherche à imposer », ou que lord Phillips of Worth Matravers expose qu’« aucune règle établie de droit international n'exige que l'immunité d'un Etat ratione materiae soit accordée dans le cadre de poursuites pour crime international ». Quant a la Cour de cassation française, en décidant que, « en l'état du droit international, le crime dénoncé [faits de terrorisme], quelle qu'en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au principe de l'immunité de juridiction des chefs d'Etat étrangers en exercice », elle aurait reconnu explicitement, selon la Belgique, l'existence de telles exceptions.

57. Le Congo soutient pour sa part que, en l'état actuel du droit international, rien ne permet de soutenir qu'il existerait une quelconque exception au principe de l'immunité pénale absolue du ministre des affaires étrangères en exercice dans le cas où il serait accusé d'avoir commis des crimes de droit international. A l'appui de cette affirmation, le Congo se réfère à la pratique des Etats, examinant notamment A ce titre les affaires Pinochet et Kadhafi, pour constater que cette pratique ne correspond pas à ce que la Belgique prétend, mais consacre au contraire le caractère absolu de l'immunité pénale des chefs d'Etat et des ministres des affaires étrangères. Ainsi, s'agissant de la décision Pinochet, le Congo cite lord

Browne-Wilkinson, selon lequel l’« immunité dont jouit un chef d'Etat en fonction ou un ambassadeur en exercice est une immunité totale liée a la personne du chef d'Etat ou de l'ambassadeur et qui exclut toute action ou poursuite judiciaire à son encontre... ». Selon le Congo, la Cour de cassation française aurait adopté la même position dans son arrêt Kadhafi en affirmant que «la coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'Etat en exercice puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux parties concernées, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un Etat étranger». Quant aux instruments créant des juridictions pénales internationales et à la jurisprudence de ces dernières, ils ne concernent, selon le Congo. que ces seules juridictions internationales et rien ne saurait en être tiré en ce qui concerne les actions pénales devant des juridictions nationales à l'encontre des personnes jouissant d'une immunité en vertu du droit international.

58. La Cour a examiné avec soin la pratique des Etats, y compris les législations nationales et les quelques décisions rendues par de hautes juridictions nationales, telle la Chambre des lords ou la Cour de cassation française. Elle n'est pas parvenue à déduire de cette pratique l'existence, en droit international coutumier, d'une exception quelconque à la règle consacrant l'immunité de juridiction pénale et l'inviolabilité des ministres des affaires étrangères en exercice, lorsqu'ils sont soupçonnés d'avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. La Cour a par ailleurs examiné les règles afférentes à l'immunité ou à la responsabilité pénale des personnes possédant une qualité officielle contenues dans les instruments juridiques créant des juridictions pénales internationales et applicables spécifiquement à celles-ci (voir statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, art. 7; statut du Tribunal militaire international de Tokyo, art. 6; statut du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, art. 7, par. 2; statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, art. 6, par. 2; statut de la Cour pénale internationale, art. 27). Elle a constaté que ces règles ne lui permettaient pas davantage de conclure à l'existence, en droit international coutumier, d'une telle exception en ce qui concerne les juridictions nationales. Enfin, aucune des décisions des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, ainsi que du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, que cite la Belgique ne traite de la question des immunités des ministres des affaires étrangères en exercice devant les juridictions nationales lorsqu'ils sont accusés d'avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. La Cour note, par conséquent, que ces décisions ne contredisent en rien les constatations auxquelles elle a procédé ci-dessus. Au vu de ce qui précède, la Cour ne saurait donc accueillir l'argumentation présentée par la Belgique à cet égard.

59. Il convient en outre de relever que les règles gouvernant la compétence des tribunaux nationaux et celles régissant les immunités juridictionnelles doivent être soigneusement distinguées: la compétence n'implique pas l'absence d'immunité et l'absence d'immunité n'implique pas la compétence. C'est ainsi que, si diverses conventions internationales tendant à la prévention et à la répression de certains crimes graves ont mis à la charge des Etats des obligations de poursuite ou d'extradition, et leur ont fait par suite obligation d'étendre leur compétence juridictionnelle, cette extension de compétence ne porte en rien atteinte aux immunités résultant du droit international coutumier, et notamment aux immunités des ministres des affaires étrangères. Celles-ci demeurent opposables devant les tribunaux d'un Etat étranger, même lorsque ces tribunaux exercent une telle compétence sur la base de ces conventions.

60. La Cour souligne toutefois que l'immunité de juridiction dont bénéficie un ministre des affaires étrangères en exercice ne signifie pas qu'il bénéficie d'une impunité au titre de crimes qu'il aurait pu commettre, quelle que soit leur gravité. Immunité de juridiction pénale et responsabilité pénale individuelle sont des concepts nettement distincts. Alors que l'immunité de juridiction revêt un caractère procédural, la responsabilité pénale touche au fond du droit. L'immunité de juridiction peut certes faire obstacle aux poursuites pendant un certain temps ou a l'égard de certaines infractions; elle ne saurait exonérer la personne qui en bénéficie de toute responsabilité pénale.

61. Les immunités dont bénéficie en droit international un ministre ou un ancien ministre des affaires étrangères ne font en effet pas obstacle à ce que leur responsabilité pénale soit recherchée dans certaines circonstances.

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Ils ne bénéficient, en premier lieu, en vertu du droit international d'aucune immunité de juridiction pénale dans leur propre pays et peuvent par suite être traduits devant les juridictions de ce pays conformément aux règles fixées en droit interne. En deuxième lieu, ils ne bénéficient plus de l'immunité de juridiction à l'étranger si l'Etat qu'ils représentent ou ont représenté décide de lever cette immunité. En troisième lieu, des lors qu'une personne a cessé d'occuper la fonction de ministre des affaires étrangères, elle ne bénéficie plus de la totalité des immunités de juridiction que lui accordait le droit international dans les autres Etats. A condition d'être compétent selon le droit international, un tribunal d'un Etat peut juger un ancien ministre des affaires étrangères d'un autre Etat au titre d'actes accomplis avant ou après la période pendant laquelle il a occupé ces fonctions, ainsi qu'au titre d'actes qui, bien qu'accomplis durant cette période, l'ont été a titre privé. En quatrième lieu, un ministre des affaires étrangères ou un ancien ministre des affaires étrangères peut faire l'objet de poursuites pénales devant certaines juridictions pénales internationales dès lors que celles-ci sont compétentes. Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda, établis par des résolutions du Conseil de sécurité adoptées en application du chapitre VI1 de la Charte des Nations Unies, ainsi que la future Cour pénale internationale instituée par la convention de Rome de 1998, en sont des exemples. Le statut de cette dernière prévoit expressément, au paragraphe 2 de son article 27, que «les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne».

76. Cependant, ainsi que la Cour permanente de Justice internationale l'a dit dans son arrêt du 13 septembre 1928 en l'affaire relative à l'Usine de Chorzów:

« [l]e principe essentiel, qui découle de la notion même d'acte illicite et qui semble se dégager de la pratique internationale, notamment de la jurisprudence des tribunaux arbitraux, est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis » (C. P. J. I. série A n° 17, p. 47).

Or, dans le cas d'espèce, le rétablissement de « l'état qui aurait vraisemblablement existé si [l'acte illicite] n'avait pas été commis » ne saurait résulter simplement de la constatation par la Cour du caractère illicite du mandat d'arrêt au regard du droit international. Le mandat subsiste et demeure illicite nonobstant le fait que M. Yerodia a cessé d'être ministre des affaires étrangères. Dès lors la Cour estime que la Belgique doit, par les moyens de son choix, mettre à néant le mandat en question et en informer les autorités auprès desquelles ce mandat a été diffusé.

Affaire de la frontière terrestre et maritimeentre le Cameroun et le Nigéria

(Cameroun c. Nigéria;Guinée Équatoriale (intervenant))

CIJArrêt du 10 octobre 2002

200. La Cour examinera a présent la question de savoir si la Grande-Bretagne était habilitée a transmettre, par l’accord anglo-allemand du 11 mars 1913, le titre sur Bakassi.Le Cameroun rappelle a cet égard que l’accord du 11 mars 1913 fixait le tracé de la frontière entre les Parties dans la région de Bakassi et plaçait cette dernière du côté camerounais de la frontière. 11 invoque a cet effet les articles XVIII a XXI dudit accord, qui disposent notamment que la frontière «suit le thalweg de l’Akwayafé jusqu'à une ligne droite joignant Bakassi Point et King Point)) (art. XVIII) et qu’«[a]u cas ou le cours inférieur de l’Akwayafé déplacerait son embouchure de telle sorte que celle-ci arrive au Rio del Rey, il est entendu que la région actuellement appelée presqu'île de Bakassi restera néanmoins territoire allemand» (art. XX). Le Cameroun ajoute que, depuis l'entrée en vigueur de l’accord du 11 mars 1913, Bakassi a appartenu aux prédécesseurs du Cameroun et qu'aujourd'hui la souveraineté sur la presqu'île lui appartient.

201. Le Nigéria ne conteste pas que le sens de ces dispositions était bien d'attribuer la presqu'île de Bakassi à l'Allemagne. Il souligne toutefois que ces dispositions n'ont jamais été mises en pratique, et se trouvaient même dépourvues de validité pour divers motifs, même si les autres articles de l’accord du 11 mars 1913 sont demeurés valides.Le Nigéria fait valoir que le titre de souveraineté sur Bakassi dont il se réclame appartenait initialement aux rois et chefs du Vieux-Calabar. Selon lui, les cités-Etats de la région de Calabar constituaient, à l'époque précoloniale, une «fédération acéphale» composée d'«entités indépendantes ayant la personnalité juridique internationale». Aux termes du traité de protectorat conclu le 10 septembre 1884 entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar. ces derniers auraient conservé leur statut et leurs droits propres sur le plan international, y compris le pouvoir d'entrer en relations avec des «nation[s] ou puissance[s] étrangère[s]», même si le traité prévoyait qu'ils ne pouvaient exercer ce pouvoir qu'après avoir informé le Gouvernement britannique et obtenu l'agrément de ce dernier. Selon le Nigéria, ce traité ne conférait à la Grande-Bretagne que certains pouvoirs limités; il ne transférait en aucune manière à celle-ci la souveraineté sur les territoires des rois et chefs du Vieux-Calabar. Le Nigéria soutient que la Grande-Bretagne, ne possédant pas la souveraineté sur ces territoires en 1913, ne pouvait les céder à un tiers. 11 en résulterait que, dans sa partie pertinente, l’accord anglo-allemand du 11 mars 1913 excédait le «pouvoir de conclure des traités de la Grande-Bretagne» et que «cette partie du traité ne liait pas les rois et chefs du Vieux-Calabar». Le Nigéria ajoute que, « [a]u moment où [l’accord] de 1913 a été conclu», les limites des pouvoirs de la Grande-Bretagne en vertu du traité de 1884,

«et en particulier le fait que celle-ci n'était pas souveraine sur la presqu'île de Bakassi et qu'il ne lui appartenait donc pas, en droit international, de disposer du titre sur celle-ci, devaient être connues de l'Allemagne, ou auraient dû l'être, en supposant que celle-ci agissait avec une prudence raisonnable».

De l'avis du Nigéria, l'invalidité de l'accord du 11 mars 1913 au motif qu'il contrevenait au principe nemo dat quod non habet ne portait toutefois «que sur les parties [de l’accord] censées définir une frontière qui, si elles avaient été suivies d'effet, auraient entraîné la cession d'un territoire à l'Allemagne», c'est-à-dire essentiellement ses articles XVIII à XXII. Les autres dispositions de l'accord n'étaient pas, quant à elles, entachées de ce vice et demeuraient par conséquent en vigueur et pleinement exécutoires; elles étaient autonomes et leur application ne dépendait pas des dispositions relatives à Bakassi qui, étant entachées d'un vice juridique, devaient être séparées du reste de l'accord.

202. En réponse, le Cameroun soutient que l'argumentation du Nigéria selon laquelle la Grande-Bretagne n'avait pas la capacité juridique de céder la presqu'île de Bakassi par voie de traité est manifestement dénuée de tout fondement. Selon le Cameroun, le traité conclu le 10 septembre 1884 entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar établissait un «protectorat colonial» et, «dans la pratique de l'époque, il n'y avait que peu de différences de fond, au plan international, en termes d'acquisition territoriale, entre les colonies et les protectorats coloniaux». C'était plus au regard du droit interne des puissances coloniales que du droit international qu'il aurait existé des différences

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de fond entre le statut de colonie et celui de protectorat colonial. Le Cameroun ajoute que l'élément clef du protectorat colonial était le «postulat de souveraineté extérieure de 1'Etat protecteur», qui se manifestait

«de différentes manières, mais principalement par l'acquisition et l'exercice de la capacité et de la compétence de céder une partie des territoires couverts par les protectorats par des traités internationaux, sans aucune intervention de la population ou de l'entité en question».

Le Cameroun soutient en outre que, même dans l'hypothèse où la Grande-Bretagne n'aurait pas disposé de la capacité juridique de transférer la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi par le biais de l'accord du 11 mars 1913, cette circonstance ne saurait être invoquée par le Nigéria comme cause d'invalidité dudit accord. Il fait observer que ni la Grande-Bretagne, ni le Nigéria, Etat qui lui a succédé, n'ont jamais invoqué une telle cause d'invalidité; il indique a cet égard que

«[b]ien au contraire, jusqu'au début des années 1990, le Nigéria avait de manière non équivoque confirmé et accepté la ligne frontière de 1913 par sa pratique diplomatique et consulaire, ses publications géographiques et cartographiques officielles et, enfin, ses déclarations et sa conduite sur la scène politique»,

et que «[l]a même chose était vraie en ce qui concerne l'appartenance de la presqu'île de Bakassi au Cameroun)). Le Cameroun précise en outre qu'aucune autre cause d'invalidité de l'accord du 11 mars 1913 ne peut être invoquée. Le Cameroun soutient également que, en tout état de cause, l'accord du 11 mars 1913 forme un tout indivisible et qu'on ne saurait en séparer les dispositions relatives a la presqu'île de Bakassi. Il affirme qu'«il existe une forte présomption que les traités acceptés comme valides doivent être interprétés globalement et l'ensemble de leurs dispositions respectées et appliquées», et que «[Iles parties ne peuvent choisir les dispositions [de l'accord] qui doivent être appliquées et celles qui ne doivent pas l'être, elles ne sauraient faire un tri, en l'absence d'une disposition leur permettant d'agir de la sorte».

203. La Cour observera tout d'abord que, a l'époque de la Conférence de Berlin, les Puissances européennes signèrent de nombreux traités avec des chefs locaux. La Grande-Bretagne en conclut quelque trois cent cinquante avec les chefs locaux du delta du Niger. Parmi ceux-ci figuraient des traités conclus en juillet 1884 avec les rois et chefs d'Opobo et, en septembre de la même année, avec les rois et chefs du Vieux-Calabar. Que ceux-ci aient été considérés comme des personnalités ressort clairement du fait que ces traités furent conclus par le consul, représentant expressément la reine Victoria, et que les Britanniques s'engagèrent a ce que soient étendues à ces rois et chefs les «bonnes grâces et [la] bienveillante protection» de Sa Majesté la reine de Grande-Bretagne et d'Irlande. L'article II du traité du 10 septembre 1884 disposait en contrepartie que

«[l]es rois et chefs du Vieux-Calabar s'engage[aient] à s'abstenir de toute correspondance, de tout accord et de tout traité avec une quelconque nation ou puissance étrangère sans l'autorisation préalable du gouvernement de Sa Majesté britannique».

Le traité conclu avec les rois et chefs du Vieux-Calabar ne précisait pas sur quel territoire la Couronne britannique entendait étendre «ses bonnes grâces et sa bienveillante protection», ni sur quel territoire chacun des rois et chefs du Vieux-Calabar, signataires du traité, exerçait son pouvoir. Toutefois, le consul qui négocia et signa le traité présenta le Vieux-Calabar comme un «pays [qui], avec ses dépendances, s'étend de Tom Shots ... jusqu'à la rivière Rumby (a l'ouest des monts Cameroun)». Quelque six années plus tard, en 1890, un autre consul britannique, Johnston, dans un rapport adressé au Foreign Office, devait indiquer: «l'autorité des chefs du Vieux-Calabar s'étend bien au-delà de la rivière Akpayafe, jusqu'au pied même des monts Cameroun». La Cour relève que, bien qu'un tel territoire s'étende considérablement à l'est de Bakassi, Johnston précisa à cette occasion que les chefs du Vieux-Calabar s'étaient retirés des terres situées à l'est de la Ndian. Bakassi et le Rio del Rey se trouvent à l'ouest de la Ndian, région que Johnston présente comme constituant sans conteste «leur véritable territoire». Selon la Cour, la Grande-Bretagne se faisait une idée assez exacte des territoires sur lesquels les rois et chefs du Vieux-Calabar ont, à différentes époques, exercé leur autorité, comme de leur rang.

204. Le Nigéria a soutenu que le titre même du traité de 1884 et la mention faite, à son article 1, de l'exercice d'une «protection» montrent que la Grande-Bretagne n'était pas habilitée à faire davantage que protéger et, en particulier, n'était pas habilitée à céder le territoire concerné à des Etats tiers : «nemo dat quod non habet».

205. La Cour tient à faire observer que le statut juridique international d'un «traité de protection» conclu sous l'empire du droit alors en

vigueur ne saurait être déduit de son seul titre. Certains traités de protection furent ainsi conclus avec des entités qui conservèrent, dans le cadre de ces traités, la souveraineté qui était antérieurement la leur au regard du droit international, que ces territoires protégés aient ensuite été appelés «protectorats» (comme dans le cas du Maroc, de la Tunisie et de Madagascar (1885; 1895) dans leurs relations conventionnelles avec la France) ou «Etats protégés» (comme dans le cas de Bahreïn et de Qatar dans leurs relations conventionnelles avec la Grande-Bretagne). En Afrique subsaharienne, en revanche, des «traités de protection)) furent conclus non pas avec des Etats, mais avec d'importants chefs indigènes exerçant un pouvoir local sur des parties identifiables de territoire. Considérant un traité de ce type dans une autre région du monde, Max Huber, siégeant comme arbitre unique en l'affaire de 1'11e de Palmas, devait dire : «il n'y a pas la d'accord entre égaux; c'est plutôt une forme d'organisation intérieure d'un territoire colonial, sur la base de l'autonomie des indigènes ... Et c'est [ainsi] la suzeraineté exercée sur 1'Etat indigène qui devient la base de la souveraineté territoriale a l'égard des autres membres de la communauté des nations.» (Revue générale de droit international public, t. XLII, 1935, p. 187.) La Cour fait observer que ces concepts ont également trouvé leur expression dans son avis consultatif concernant le Sahara occidental. La Cour déclara a cette occasion que, à l'égard de territoires qui n'étaient pas terrae nullius, mais étaient habités par des tribus ou des peuples dotés d'une organisation sociale et politique, «on voyait dans [l]es accords avec les chefs locaux ... un mode d'acquisition dérivé» (Sahara occidental, avis consultutif; C. 1. J. Recueil 1975, p. 39, par. 80). Même si ce mode d'acquisition ne correspond pas au droit international actuel, le principe du droit intertemporel impose de donner effet aujourd'hui, dans la présente instance, aux conséquences juridiques des traités alors intervenus dans le delta du Niger.

206. Le choix d'un traité de protectorat par la Grande-Bretagne découlait de ses préférences quant a la façon de gouverner. Ailleurs, et en particulier dans la région de Lagos, ce furent des traités de cession de territoire que la Grande-Bretagne conclut avec les chefs locaux. Et c'est précisément en raison de ces différences que l'on se trouva en présence au Nigéria d'une colonie de Lagos et d'un protectorat de la côte du Niger, qui devait devenir le protectorat du Nigéria méridional.

207. De l'avis de la Cour, de nombreux éléments amènent à considérer que le traité de 1884 conclu avec les rois et chefs du Vieux-Calabar n'était pas un traité de protectorat international. Il s'agissait d'un traité parmi une multitude d'autres conclus dans une région où les chefs locaux n'étaient pas assimilés a des Etats. De fait, et mis à part les déclarations parallèles par lesquelles plusieurs chefs de moindre importance acceptèrent d'être liés par le traité de 1884, on ne dispose pas même de preuves convaincantes de l'existence d'un pouvoir fédéral central. Il semble plutôt que le Vieux-Calabar ait été constitué d'agglomérations dirigées par des chefs qui se considéraient comme vassaux de rois et chefs plus importants. En outre, la Grande-Bretagne estima d'emblée qu'il lui incombait d'administrer les territoires couverts par le traité de 1884, et non pas seulement de les protéger. Le consul Johnston devait d'ailleurs exposer en 1888 que «le pays situé entre la frontière de Lagos et la frontière du Cameroun allemand est actuellement administré par les agents consulaires de Sa Majesté, en vertu de divers Ordres en conseil». Qu'une délégation des rois et chefs du Vieux-Calabar se soit rendue à Londres en 1913 pour y discuter de questions relatives au régime foncier ne saurait être considéré comme impliquant une personnalité internationale. Cela ne fait que confirmer l'exercice par la Grande-Bretagne d'une administration indirecte sur ces territoires. Le Nigéria a lui-même été dans l'incapacité de faire état d'un rôle quelconque joué, après la conclusion du traité de 1884, par les rois et chefs du Vieux-Calabar dans des domaines pertinents aux fins de la présente instance. Répondant à une question d'un membre de la Cour, le Nigéria a indiqué qu'il était «impossible de savoir précisément ce qu'il [était] advenu de la personnalité juridique internationale des rois et chefs du Vieux-Calabar après 1885 ». La Cour relève que l'une des caractéristiques d'un protectorat international réside dans des rencontres et discussions régulières entre la puissance protectrice et les dirigeants locaux du protectorat. Dans l'affaire de la Délimitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), de nombreux documents de ce type ont été présentés à la Cour, pour la plupart issus des archives britanniques. En la présente espèce, il a été indiqué à la Cour que le Nigéria «ne peut pas dire que de telles rencontres n'ont jamais eu lieu, ni le contraire [, et que] les documents qui permettraient de répondre à la question n'existent probablement plus ».

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208. Quant à la question de savoir à quel moment les rois et chefs ont cessé d'exister en tant qu'entité distincte, le Nigéria a indiqué à la Cour qu'il était impossible d'y répondre avec précision. La Cour note à cet égard que, dès 1885, la Grande-Bretagne avait établi par proclamation un «protectorat britannique des districts du Niger» (qui changea plusieurs fois de nom par la suite) regroupant en une entité unique les différents territoires couverts par les traités de protection passés dans la région depuis juillet 1884. Elle relève en outre qu'il n'est fait mention du Vieux-Calabar dans aucun des divers Ordres en conseil qui énumèrent les protectorats et Etats protégés, et ce quelle qu'en soit la date. Il en va ainsi de l'Ordre en conseil de 1934 sur les personnes protégées britanniques, qui, à son annexe, fait état du «protectorat du Nigéria et du Cameroun sous mandat britannique». La deuxième annexe à l'Ordre en conseil de 1949 relatif aux protectorats britanniques, aux Etats protégés et aux personnes protégées n'en fait pas davantage mention, alors que la première annexe contient une référence au «protectorat du Nigéria ». En outre, aucun élément n'a été présenté à la Cour qui donnerait à penser qu'en 1913 les rois et chefs du Vieux-Calabar auraient émis quelque protestation que ce fût, ni qu'en 1960 ils auraient pris des mesures en vue de transférer un territoire au Nigéria lors de l'accession de ce dernier à l'indépendance.

209. La Cour conclut par conséquent que, au regard du droit qui prévalait à l'époque, la Grande-Bretagne, en 1913, pouvait déterminer sa frontière au Nigéria avec l'Allemagne, y compris pour ce qui est de sa partie méridionale.

223. La Cour relève toutefois que. dans aucune de ces affaires. les actes invoqués n'étaient des actes contra legem, et que par suite ces précédents ne sont pas pertinents. La question d'ordre juridique consistant à déterminer dans quelle mesure des effectivités peuvent amener à considérer qu'un titre appartient à un Etat plutôt qu'a un autre n'est pas la même que celle consistant à déterminer si de telles effectivités peuvent permettre de supplanter un titre conventionnel établi. Ainsi que la Chambre de la Cour constituée en l'affaire du Diffërend frontalier (Burkina Faso/République du Mali) l'a clairement indiqué, dans l’éventualité où il existe un conflit entre effectivités et titre juridique, il y a lieu de préférer le titre (C. I. J. Recueil 1986, arrêt, p. 586-587, par. 63). La Cour estime que la question d'ordre juridique qui se pose véritablement en l'espèce est de savoir si la conduite du Cameroun en tant que détenteur du titre peut être considérée comme une forme d'acquiescement à la perte du titre conventionnel dont celui-ci avait hérité lors de son accession à l'indépendance. Un certain nombre d'éléments prouvent que le Cameroun a notamment tenté de percevoir un impôt auprès de résidents nigérians en 1981-1982 dans les localités d'Idabato I et II, Jabare I et II, Kombo Abedimo, Naumsi Wan et Forisane (Atabong Est et Ouest, Abana et Ine Ikoi). Il n'a toutefois procédé qu'occasionnellement à des actes d'administration directs sur Bakassi, en raison des ressources matérielles limitées qu'il pouvait consacrer à cette région éloignée.Son titre était toutefois déjà établi. En outre, ainsi que la Cour l'a montré plus haut (voir paragraphe 21 3), en 1961-1962, le Nigéria reconnaissait clairement et publiquement le titre du Cameroun sur Bakassi. Cette position perdura au moins jusqu'en 1975, année de la signature par le Nigéria de la déclaration de Maroua. Aucune effectivité nigériane a Bakassi antérieure à cette date ne saurait revêtir une quelconque portée juridique aux fins de démontrer l'existence d'un titre nigérian, ce qui peut en partie expliquer l'absence de protestations du Cameroun à l'égard des activités du Nigéria dans les domaines de la santé, de l'éducation et de la fiscalité. La Cour note également que dès son indépendance le Cameroun déploya des activités qui démontraient qu'il n'entendait nullement abandonner son titre sur Bakassi. Le Cameroun et le Nigéria ont participé aux négociations qui, entre 1971 et 1975, devaient déboucher sur les déclarations de Yaoundé, Kano et Maroua, et qui portaient sur une ligne maritime dont il était clair qu'elle supposait l'existence d'un titre camerounais sur Bakassi. Le Cameroun a également accordé un certain nombre de concessions pétrolières sur la presqu'île et ses eaux adjacentes, témoignant encore du fait qu'il n'avait pas abandonné son titre malgré une présence nigériane significative sur Bakassi ou toutes effectivités nigérianes contra legem. L'action militaire nigériane de 1994 suscita quant a elle des protestations immédiates.

265. La Cour examinera à présent l'argumentation du Nigéria tirée de la méconnaissance des règles constitutionnelles de ce pays relatives à la conclusion des traités. A cet égard elle rappellera que le paragraphe 1 de l’article 46 de la convention de Vienne sur le droit des traités

dispose que «[l]e fait que le consentement d'un Etat à être lié par un traité a été exprimé en violation d'une disposition de son droit interne concernant la compétence pour conclure des traités ne peut être invoqué par cet Etat comme viciant son consentement». Certes, ce paragraphe précise ensuite qu'il en est ainsi «à moins que cette violation n'ait été manifeste et ne concerne une règle de son droit interne d'importance fondamentale», le paragraphe suivant disposant quant à lui qu'«[u]ne violation est manifeste si elle est objectivement évidente pour tout Etat se comportant en la matière conformément à la pratique habituelle et de bonne foi». Les règles relatives au pouvoir de signer des traités au nom d'un Etat sont des règles constitutionnelles d'une importance fondamentale. Cependant, si la capacité d'un chef d'Etat à cet égard est restreinte, cette restriction n'est manifeste au sens du paragraphe 2 de l’article 46 que si, à tout le moins, elle a été rendue publique de manière appropriée. Cela est d'autant plus nécessaire que les chefs d'Etat font partie des personnes qui, aux termes du paragraphe 2 de l'article 7, sont considérées comme représentant leur Etat «[e]n vertu de leurs fonctions et sans avoir à produire de pleins pouvoirs ». La Cour ne peut souscrire à l'argument du Nigéria selon lequel le paragraphe 2 de l’article 7 de la convention de Vienne sur le droit des traités vise uniquement la manière d'établir la fonction d'une personne en qualité de représentant d'un Etat, et non l'étendue de ses pouvoirs lorsqu'elle exerce cette fonction de représentation. La Cour relève que, dans son commentaire sur ce paragraphe 2, la Commission du droit international indique expressément que «les chefs d'Etat sont considérés comme habiles à représenter leur Etat pour accomplir tous les actes relatifs à la conclusion d'un traité» (paragraphe 4 du commentaire sur ce qui était alors l’article 6 du texte préliminaire de la convention, Annuaire de la Commission du droit international, 1966, vol. II, p. 210).

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Affaire relative à la souveraineté surPulau Litigan et Pulau Sipadan

(Indonésie c. Malaisie)CIJ

Arrêt du 17 décembre 2002

126. La Cour examinera donc à présent si les éléments de preuve fournis par les Parties en ce qui concerne les effectivités invoquées par celles-ci peuvent l'amener à déterminer - comme elle en est priée dans le compromis - à qui appartient la souveraineté sur Ligitan et Sipadan. La Cour rappelle qu'elle a déjà eu a se prononcer dans un certain nombre d'affaires sur la relation juridique existant entre les effectivités et le titre. Le prononcé pertinent, aux fins de la présente espèce, peut être trouvé dans l'arrêt rendu en l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), dans lequel la Chambre de la Cour a déclaré, après avoir indiqué que « plusieurs éventualités doivent être distinguées », que: « [d]ans l'éventualité où l'“effectivité” ne coexiste avec aucun titre juridique, elle doit inévitablement être prise en considération » (C.I.J. Recueil 1986, p. 587, par. 63; voir aussi Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), C.I.J. Recueil 1994, p. 38, par. 75-76; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, fond, C. I. J. Recueil 2002, p. 353-354, par. 68).

127. Les Parties font toutes deux valoir que les effectivités sur lesquelles elles s'appuient ne font que confirmer un titre conventionnel. A titre subsidiaire, la Malaisie prétend avoir acquis un titre sur Ligitan et Sipadan par une possession et une administration pacifiques et continues de celles-ci, sans protestation de la part de l'Indonésie ou de ses prédécesseurs en titre.Ayant conclu qu'aucune des deux Parties ne détient un titre conventionnel sur Ligitan et Sipadan (voir paragraphes 92 et 124 ci-dessus), la Cour examinera la question des effectivités de manière indépendante et distincte.

128. L'Indonésie souligne que c'est pendant les négociations de 1969 sur la délimitation des plateaux continentaux respectifs des deux Etats que la Malaisie émit une revendication de souveraineté sur les îles de Ligitan et Sipadan. Selon l'Indonésie, ce serait donc à ce moment que se situerait la « date critique » dans le présent différend. Elle soutient qu'en effet, par échange de lettres du 22 septembre 1969, les deux Parties se sont engagées à ne rien faire qui pourrait modifier le statu quo quant aux îles en litige. A partir de 1969, les prétentions respectives des Parties se seraient par conséquent trouvées «juridiquement neutralisées», et, pour cette raison, leurs actions ou déclarations ultérieures seraient sans pertinence aux fins de la présente espèce. L'Indonésie ajoute qu'à partir de 1979 la Malaisie a cependant pris une série de mesures unilatérales fondamentalement incompatibles avec l'engagement ainsi pris de respecter la situation existant en 1969. L'Indonésie cite à titre d'exemples la publication par la Malaisie de cartes qui représentaient les îles en litige comme étant malaysiennes, à la différence des cartes qu'elle avait publiées auparavant, ainsi que la construction d'un certain nombre d'installations touristiques à Sipadan. L'Indonésie ajoute qu'elle a protesté à chaque fois que la Malaisie a pris de telles mesures unilatérales.

129. S'agissant de la date critique, la Malaisie commence par affirmer que, avant les discussions de 1969 sur la délimitation des plateaux continentaux des Parties, ni l'Indonésie ni ses prédécesseurs n'avaient manifesté un quelconque intérêt pour ces îles ou formulé de revendications sur elles. Elle souligne toutefois l'importance de la date critique, non pour la recevabilité des éléments de preuve, mais quant au «poids à leur donner». Selon la Malaisie, rien n'interdit donc à un tribunal de tenir compte d'une activité postérieure à la date critique, si la partie qui la fait valoir démontre que l'activité en question a débuté avant la date critique et s'est simplement poursuivie ensuite. En ce qui concerne les activités de plongée sous-marine à Sipadan, la Malaisie fait observer que le tourisme engendré par ce sport est né au moment où ce dernier est devenu populaire et qu'elle a elle-même accepté les responsabilités découlant de sa souveraineté pour assurer la protection de l'environnement de l'île et satisfaire les besoins essentiels des visiteurs.

130. A l'appui de ses arguments relatifs aux effectivités, l'Indonésie invoque les patrouilles effectuées dans la région par des navires de la marine royale des Pays-Bas. Elle mentionne une liste des navires néerlandais présents dans la région entre 1895 et 1928, établie sur la base des rapports sur les colonies présentés chaque année au Parlement

par le Gouvernement néerlandais (« Koloniale Verslagen »), en insistant particulièrement sur la présence dans la région du destroyer néerlandais Lynx, en novembre et décembre 1921. L'Indonésie rapporte qu'une équipe de patrouille du Lynx fut envoyée sur l'île de Sipadan et que l'hydravion qui était à son bord traversa l'espace aérien et les eaux de Ligitan, tout en respectant la zone des 3 milles autour de Si Amil et des autres îles sous autorité britannique. L'Indonésie considère que le rapport soumis par le commandant du Lynx au commandant des forces navales néerlandaises après l'expédition montre que les autorités néerlandaises considéraient les îles de Ligitan et Sipadan comme relevant de la souveraineté néerlandaise, alors que d'autres îles situées au nord de la ligne de 1891 étaient considérées comme britanniques. L'Indonésie mentionne également les levés hydrographiques effectués par les Néerlandais, et notamment ceux réalisés en octobre et novembre 1903 par le navire Macasser dans toute la région, y compris la zone située autour de Ligitan et Sipadan. S'agissant de ses propres activités, l'Indonésie souligne qu’« [a]vant que le différend ne naisse, en 1969, la marine indonésienne était elle aussi active dans la zone et avait notamment effectué plusieurs visites à Sipadan ». En ce qui concerne les activités de pêche, l'Indonésie déclare que des pêcheurs indonésiens ont exercé traditionnellement leur métier aux abords des îles de Ligitan et Sipadan. Elle a soumis une série de déclarations sous serment faisant état d'expéditions occasionnelles dans les îles, qui remontent aux années cinquante et au début des années soixante, voire au début des années soixante-dix, c'est-à-dire après la date à laquelle le différend a surgi. Enfin, évoquant sa loi n° 4 relative aux eaux indonésiennes promulguée le 18 février 1960, en vertu de laquelle sont définies ses lignes de base archipélagiques, l'Indonésie reconnaît qu'à l'époque elle n'a pas utilisé Ligitan ou Sipadan comme points de base pour le tracé des lignes de base et la définition de ses eaux archipélagiques et de sa mer territoriale, mais fait valoir que cela ne saurait être interprété comme montrant qu'elle considérait les îles comme n'appartenant pas à son territoire. L'Indonésie souligne à cet égard que la loi de 1960 fut préparée dans une certaine précipitation, qui peut s'expliquer par la nécessité de créer un précédent aux fins de la consécration de la notion d'eaux archipélagiques, juste avant la deuxième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, qui devait se tenir du 17 mars au 26 avril 1960. L'Indonésie ajoute qu'elle entendait en outre s'écarter le moins possible du droit de la mer existant, dont l'un des principes était que le tracé de lignes de base ne pouvait s'écarter de façon appréciable de la direction générale des côtes.

131. La Malaisie soutient que le nombre des prétendues activités navales néerlandaises et indonésiennes est très limité. Elle soutient que ces activités ne sauraient être considérées comme des preuves de l'exercice continu d'une activité étatique à l'égard de Ligitan et Sipadan qui traduirait une quelconque revendication de titre sur lesdites îles. S'agissant de la pratique postcoloniale, la Malaisie fait observer que, pendant les vingt-cinq premières années de son indépendance, l'Indonésie n'a montré aucun intérêt pour Ligitan et Sipadan. La Malaisie allègue que l'Indonésie « n'a nullement manifesté sa présence dans la région, n'a pas essayé d'administrer les îles, n'a adopté aucune loi, pris aucune ordonnance ni promulgué aucun règlement concernant les deux îles ou les eaux environnantes ». La Malaisie fait en outre observer que la loi indonésienne n° 4 du 18 février 1960, à laquelle une carte était annexée, définissait les limites extérieures des eaux nationales indonésiennes au moyen d'une liste de coordonnées de lignes de base; l'Indonésie n'a cependant pas utilisé les îles en litige comme points de référence pour les lignes de base. La Malaisie fait valoir que, a la lumière de ladite loi et de la carte qui lui était annexée, les îles de Ligitan et Sipadan ne sauraient être considérées comme appartenant à l'Indonésie. Elle reconnaît qu'elle n'a toujours pas publié de carte détaillée de ses propres lignes de base. Elle souligne qu'elle a toutefois publié les limites de son plateau continental en 1979, en tenant pleinement compte des îles en cause.

132. S'agissant de ses effectivités relatives aux îles de Ligitan et Sipadan, la Malaisie évoque la réglementation de la capture des tortues et le ramassage des œufs de tortue; elle déclare que ce ramassage avait constitué l'activité économique la plus importante sur Sipadan pendant de nombreuses années. Dès 1914, la Grande-Bretagne prit des mesures pour réglementer et limiter le ramassage des œufs de tortue sur Ligitan et Sipadan. La Malaisie souligne le fait que c'était a des fonctionnaires du Nord-Bornéo britannique qu'était confié le règlement des différends relatifs au ramassage des œufs de tortue. Elle rappelle qu'un régime d'autorisations avait été institué pour les bateaux pêchant dans les parages des îles. Elle s'appuie également sur la création, en 1933, d'une réserve ornithologique sur Sipadan. Elle relève en outre que les

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autorités coloniales du Nord-Bornéo britannique construisirent des phares sur les îles de Ligitan et Sipadan au début des années soixante, lesquels existent toujours aujourd'hui et sont entretenus par les autorités malaysiennes. Enfin, la Malaisie évoque la réglementation du tourisme sur Sipadan par le Gouvernement malaysien et le fait que, depuis le 25 septembre 1997, Ligitan et Sipadan ont été classées zone protégée en vertu d'un décret de la même année sur les zones protégées.

133. L'Indonésie conteste le fait que les actes invoqués par la Malaisie, pris isolément ou conjointement, soient suffisants pour établir l'existence d'une possession et d'une administration continues et pacifiques des îles susceptibles de créer un titre territorial en sa faveur. S'agissant du ramassage des œufs de tortue, l'Indonésie ne conteste pas les faits énoncés par la Malaisie, mais fait valoir que les règlements publiés par les Britanniques et les règles mises en place pour résoudre les litiges entre les occupants de la région constituaient des preuves de I'exercice d'une compétence personnelle plutôt que territoriale. L'Indonésie conteste également le fait que la création sur Sipadan d'une réserve ornithologique par les autorités britanniques soit une preuve de leur volonté de se comporter « à titre de souverain ». De même, la construction et l'entretien de phares par la Malaisie ne constituent pas, aux yeux de l'Indonésie, une preuve d'actes effectués « à titre de souverain ». Elle fait observer en tout état de cause que, si elle ne s'est pas opposée à ces activités de la Malaisie, c'est parce que celles-ci revêtaient un intérêt général pour la navigation.

134. La Cour rappellera tout d'abord ce qu'a indiqué la Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire du Statut juridique du Groënland oriental (Danemark c. Norvège), à savoir que:

« une prétention de souveraineté fondée, non pas sur quelque acte ou titre en particulier, tel qu'un traité de cession, mais simplement sur un exercice continu d'autorité, implique deux éléments dont l'existence, pour chacun, doit être démontrée: l'intention et la volonté d'agir en qualité de souverain, et quelque manifestation ou exercice effectif de cette autorité. Une autre circonstance, dont doit tenir compte tout tribunal ayant à trancher une question de souveraineté sur un territoire particulier, est la mesure dans laquelle la souveraineté est également revendiquée par une autre Puissance. »

La Cour permanente poursuivait en ces termes: « Il est impossible d'examiner des décisions rendues dans les affaires visant la souveraineté territoriale sans observer que, dans beaucoup de cas, le tribunal n'a pas exigé de nombreuses manifestations d'un exercice de droits souverains pourvu que l'autre Etat en cause ne pût faire valoir une prétention supérieure. Ceci est particulièrement vrai des revendications de souveraineté sur des territoires situés dans des pays faiblement peuplés ou non occupés par des habitants à demeure.» (C. P. J. I. série A/B n° 53, p. 45-46.)

Dans le cas, en particulier, de très petites îles inhabitées ou habitées de façon non permanente - telles que Ligitan et Sipadan, dont l'importance économique était, du moins jusqu'à une date récente, modeste -, les effectivités sont en effet généralement peu nombreuses.

135. La Cour fait en outre observer qu'elle ne saurait prendre en considération des actes qui se sont produits après la date à laquelle le différend entre les Parties s'est cristallisé, à moins que ces activités ne constituent la continuation normale d'activités antérieures et pour autant qu'elles n'aient pas été entreprises en vue d'améliorer la position juridique des Parties qui les invoquent (voir la sentence arbitrale rendue en l'affaire de la Palena, International Law Reports (ILR), vol. 38, p. 79-80). La Cour examinera donc essentiellement les effectivités datant de la période antérieure à 1969, année ou les Parties formulèrent des prétentions opposées sur Ligitan et Sipadan.

136. La Cour relève enfin qu'elle ne peut tenir compte de ces activités en tant que manifestation pertinente d'autorité que dans la mesure où il ne fait aucun doute qu'elles sont en relation spécifique avec les îles en litige prises comme telles. Les réglementations ou actes administratifs de nature générale ne peuvent donc être considérés comme des effectivités relatives à Ligitan et Sipadan que s'il est manifeste dans leurs termes ou leurs effets qu'ils concernaient ces deux îles.

137. Examinant à présent les effectivités invoquées par l'Indonésie, la Cour commencera par faire observer qu'aucune d'entre elles ne revêt un caractère législatif ou réglementaire. Elle ne saurait en outre ignorer le fait que la loi indonésienne n° 4 du 8 février 1960 définissant les lignes de base archipélagiques de l'Indonésie et la carte qui l'accompagne ne mentionnent ni n'indiquent Ligitan et Sipadan comme des points de base ou des points d'inflexion pertinents.

138. L'Indonésie invoque en premier lieu une présence continue de la marine néerlandaise et de la marine indonésienne dans les parages de Ligitan et Sipadan. Elle s'appuie notamment sur l'expédition du destroyer néerlandais Lynx en novembre 1921. Cette expédition faisait partie d'une action conjointe des marines britannique et néerlandaise visant a combattre la piraterie dans les eaux situées à l'est de Bornéo. Selon le rapport du commandant du Lynx, un cotre armé fut envoyé sur Sipadan pour recueillir des informations sur les activités des pirates, et un hydravion effectua un vol de reconnaissance en traversant l'espace aérien de l'île, puis survola Ligitan. L'Indonésie conclut de cette opération que les Pays-Bas considéraient cet espace aérien, et donc les îles, comme territoire néerlandais.

139. De l'avis de la Cour, ni le rapport du commandant du Lynx ni aucun autre document présenté par l'Indonésie concernant la surveillance et les activités de patrouille des marines néerlandaise ou indonésienne ne permettent de conclure que les autorités maritimes concernées considéraient Ligitan et Sipadan, ainsi que les eaux environnantes, comme relevant de la souveraineté des Pays-Bas ou de l'Indonésie.

140. L'Indonésie déclare pour finir que les eaux entourant Ligitan et Sipadan ont traditionnellement été utilisées par des pêcheurs indonésiens. Toutefois, la Cour fera observer que les activités de personnes privées ne sauraient être considérées comme des effectivités si elles ne se fondent pas sur une réglementation officielle ou ne se déroulent pas sous le contrôle de l'autorité publique.

141. La Cour conclut que les activités dont se prévaut l'Indonésie ne constituent pas des actes à titre de souverain reflétant l'intention et la volonté d'agir en cette qualité.

142. Pour ce qui est des effectivités invoquées par la Malaisie, la Cour relèvera tout d'abord que, par la convention de 1930, les Etats-Unis renoncèrent à toute revendication qu'ils auraient pu avoir sur Ligitan et Sipadan et qu'aucun autre Etat ne fit à l'époque acte de souveraineté sur ces îles ni ne s'opposa à ce que l'Etat du Nord-Bornéo continuât à les administrer. La Cour observera en outre que les activités antérieures à la conclusion de cette convention ne sauraient être considérées comme des actes à titre de souverain, dans la mesure ou la Grande-Bretagne ne revendiquait pas alors la souveraineté pour le compte de 1'Etat du Nord-Bornéo sur les îles situées au-delà de la limite des 3 lieues marines. Cependant, la Grande-Bretagne ayant reconnu à la BNBC le droit d'administrer les îles, position officiellement reconnue par les Etats-Unis après 1907, ces activités administratives ne sauraient être non plus ignorées.

143. A titre de preuve d'une telle administration effective des îles, la Malaisie cite les mesures prises par les autorités du Nord-Bornéo pour réglementer et limiter le ramassage des œufs de tortue sur Ligitan et Sipadan, cette activité revêtant à l'époque une certaine importance du point de vue économique dans la région. Elle se réfère notamment à l'ordonnance de 1917 sur la protection des tortues, qui avait pour objet de restreindre, « dans les limites de 1'Etat [du Nord-Bornéo] ou [ses] eaux territoriales », la capture des tortues et le ramassage de leurs œufs. La Cour note que ladite ordonnance prévoyait à ce propos un système de concession de permis et la création de réserves indigènes pour le ramassage des œufs de tortue, et mentionnait Sipadan parmi les îles comprises dans l'une de ces réserves. La Malaisie invoque plusieurs documents qui démontrent que l'ordonnance de 1917 sur la protection des tortues a été appliquée au moins jusque dans les années cinquante. Elle cite par exemple à cet effet le permis délivré le 28 avril 1954 par le chef de district de Tawau autorisant la capture des tortues en application de la section 2 de cette ordonnance. La Cour relève que ce permis visait une zone comprenant « les îles de Sipadan, Ligitan, Kapalat, Maboul, Dinawan et Si Amil ». En outre, la Malaisie se réfère à un certain nombre de cas dans lesquels il est établi que les autorités administratives, après comme avant 1930, réglèrent des différends relatifs au ramassage des œufs de tortue sur Sipadan.

144. La Malaisie mentionne également le fait qu'en 1933, en application de l'article 28 de l'ordonnance de 1930 portant régime foncier, Sipadan fut déclarée réserve ornithologique.

145. La Cour est d'avis que tant les mesures prises pour réglementer et limiter le ramassage des œufs de tortue que la création d'une réserve ornithologique doivent être considérées comme des manifestations

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d'autorité réglementaire et administrative sur un territoire mentionné par son nom.

146. La Malaisie invoque en outre le fait que les autorités de la colonie du Nord-Bornéo ont construit un phare sur Sipadan en 1962 et un autre sur Ligitan en 1963, que ceux-ci existent toujours et qu'ils sont entretenus par les autorités malaysiennes depuis son indépendance. Elle fait valoir que la construction et l'entretien de ces phares «participent d'un ensemble de manifestations d'autorité étatique, appropriées par leur caractère et leur portée à la nature du lieu concerné ».

147. La Cour fait observer que la construction et l'exploitation de phares et d'aides à la navigation ne sont généralement pas considérées comme une manifestation de l'autorité étatique (Minquiers et Ecréhous, arrêt, C. I. J. Recueil 1953, p. 71). La Cour rappelle cependant que, dans son arrêt rendu en l'affaire de la Délimitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), elle a déclaré ce qui suit :

« Certaines catégories d'activités invoquées par Bahreïn, telles que le forage de puits artésiens, pourraient en soi être considérées comme discutables en tant qu'actes accomplis à titre de souverain. La construction d'aides à la navigation, en revanche, peut être juridiquement pertinente dans le cas de très petites îles. En l'espèce, compte tenu de la taille de Qit'at Jaradah, les activités exercées par Bahreïn sur cette île peuvent être considérées comme suffisantes pour étayer sa revendication selon laquelle celle-ci se trouve sous sa souveraineté. » (Arrêt, fond, C. I. J. Recueil 2001, p. 99-100, par. 197.)

La Cour est d'avis que les mêmes considérations s'appliquent dans la présente espèce.

148. La Cour note que, si les activités invoquées par la Malaisie, tant en son nom propre qu'en tant qu'Etat successeur de la Grande-Bretagne, sont modestes en nombre, elles présentent un caractère varié et comprennent des actes législatifs, administratifs et quasi judiciaires. Elles couvrent une période considérable et présentent une structure révélant l'intention d'exercer des fonctions étatiques à l'égard des deux îles, dans le contexte de l'administration d'un ensemble plus vaste d'îles. La Cour ne saurait en outre ignorer le fait que, à l'époque où ces activités ont été menées, ni l'Indonésie ni son prédécesseur, les Pays-Bas, n'ont jamais exprimé de désaccord ni élevé de protestation. La Cour relève à ce propos que les autorités indonésiennes n'ont même pas rappelé en 1962 et 1963 aux autorités de la colonie du Nord-Bornéo, ou à la Malaisie après son indépendance, que les phares construits alors l'avaient été sur un territoire qu'elles regardaient comme indonésien; même si elles considéraient ces phares comme simplement destinés à la sécurité de la navigation dans une zone revêtant une importance particulière pour la navigation dans les eaux situées au large du Nord-Bornéo, une telle attitude est inhabituelle.

149. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, et au vu en particulier des éléments de preuve fournis par les Parties, la Cour conclut que la Malaisie détient un titre sur Ligitan et Sipadan sur la base des effectivités mentionnées ci-dessus.

Affaire des plates-formes pétrolières(République Islamique d’Iran

c. États-Unis d’Amérique)CIJ

Arrêt du 6 novembre 2003

41. Il convient de ne pas perdre de vue qu'aux termes de l'article premier du traité de 1955, cité au paragraphe 31 ci-dessus, «[il] y aura paix stable et durable et amitié sincère entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Iran». En 1996, la Cour a dit que cet article était «de nature à éclairer l'interprétation des autres dispositions du traité » (C. I. J. Recueil 1996 (II), p. 815, par. 31). Une interprétation de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX selon laquelle les «mesures» qui y sont prévues pourraient même comprendre un recours illicite à la force par une partie contre l'autre ne serait guère compatible avec l'article premier. En outre, conformément aux règles générales d'interprétation des traités telles qu'elles ont trouvé leur expression dans la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, l'interprétation doit tenir compte «de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties» (alinéa c) du paragraphe 3 de l'article 31). La Cour ne saurait admettre que l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX du traité de 1955 ait été conçu comme devant s'appliquer de manière totalement indépendante des règles pertinentes du droit international relatif à l'emploi de la force, de sorte qu'il puisse être utilement invoqué, y compris dans le cadre limité d'une réclamation fondée sur une violation du traité, en cas d'emploi illicite de la force. L'application des règles pertinentes du droit international relatif à cette question fait donc partie intégrante de la tâche d'interprétation confiée à la Cour par le paragraphe 2 de l'article XXI du traité de 1955.

43. La Cour commencera donc par examiner l'application de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX du traité de 1955, ce qui, dans les circonstances de l'espèce, et ainsi qu'il a été expliqué plus haut, fait intervenir le principe de l'interdiction en droit international de l'emploi de la force et sa limitation constituée par le droit de légitime défense. Compte tenu de cette disposition, une partie au traité peut être fondée à prendre certaines mesures qu'elle considère «nécessaires» à la protection de ses intérêts vitaux sur le plan de la sécurité. Ainsi que la Cour l'a souligné en l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci à l'égard de la disposition équivalente du traité de 1956 entre les Etats-Unis d'Amérique et le Nicaragua, « les mesures ne doivent pas simplement tendre à protéger les intérêts vitaux de sécurité de la partie qui les adopte; elles doivent être “nécessaires” à cette fin » ; en outre, la question de savoir si une mesure donnée est «nécessaire» ne « relève pas de l'appréciation subjective de la partie intéressée » (C. I. J. Recueil 1986, p. 141, par. 282) et peut donc être évaluée par la Cour. En l'espèce, la question de savoir si les mesures adoptées étaient «nécessaires» recoupe en partie celle de leur validité en tant qu'actes de légitime défense. Ainsi que la Cour l'a relevé dans sa décision de 1986, les critères de nécessité et de proportionnalité doivent être respectés pour qu'une mesure puisse être qualifiée d'acte de légitime défense (voir ibid., p. 103, par. 194, et paragraphe 74 ci-dessous).

51. Bien que s'étant ainsi référés à des attaques menées contre des bâtiments et aéronefs d'autres nationalités, les Etats-Unis ne prétendent pas avoir agi dans l'exercice de la légitime défense collective au nom des Etats neutres se livrant à la navigation dans le golfe Persique, ce qui aurait exigé qu'une demande en ce sens leur fût adressée par «l'Etat se jugeant victime d'une agression armée» (C.I. J. Recueil 1986, p. 105, par. 199). Par conséquent, pour établir qu'ils étaient en droit d'attaquer les plates-formes iraniennes dans l'exercice du droit de légitime défense individuelle, les Etats-Unis doivent démontrer qu'ils ont été attaqués et que l'Iran était responsable des attaques, et que celles-ci étaient de nature à être qualifiées d'«agression armée» tant au sens de l'article 51 de la Charte des Nations Unies que selon le droit coutumier en matière d'emploi de la force. Ainsi que la Cour l'a fait observer dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, il y a lieu de distinguer «entre les formes les plus graves de l'emploi de la force (celles qui constituent une agression armée) et d'autres modalités moins brutales» (C. I. J. Recueil 1986, p. 10 1, par. 19 1) car « [d]ans le cas de la légitime défense individuelle, ce droit ne peut être exercé que si 1'Etat intéressé a été victime d'une agression armée» (ibid., p. 103, par. 195). Les Etats-Unis doivent également démontrer que leurs actions étaient nécessaires et proportionnées à l'agression armée subie par eux, et que les plates-formes constituaient une cible militaire légitime susceptible d'être attaquée dans l'exercice de la légitime défense.

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64. A supposer que tous les incidents dénoncés par les Etats-Unis doivent être attribués à l'Iran, et laissant par conséquent de côté la question examinée plus haut de l'attribution à celui-ci de l'attaque menée contre le Sea Isle City, la question est de savoir si cette attaque, prise isolément ou dans le cadre de la «série d'attaques» invoquée par les Etats-Unis, peut être qualifiée d'« agression armée » contre les Etats-Unis, agression qui justifierait le recours à la légitime défense. La Cour constate tout d'abord que le Sea Isle City se trouvait dans les eaux koweïtiennes lorsqu'il fut attaqué, et qu'un missile «ver à soie» tiré, comme il est allégué, à plus de 100 kilomètres de là ne pouvait pas viser précisément ce navire, mais pouvait seulement avoir été programmé pour toucher une cible dans les eaux koweïtiennes. D'autre part, quel qu'en soit le propriétaire, le Texaco Caribbean ne battait pas pavillon américain, de sorte qu'une attaque contre ce navire ne peut être assimilée, en elle-même, à une attaque contre les Etats-Unis. S'agissant des tirs qui auraient été dirigés contre des hélicoptères américains par des vedettes rapides iraniennes, ainsi que depuis la plate-forme de Reshadat, les Etats-Unis n'ont fourni aucun moyen de preuve convaincant à l'appui de leur allégation. Il n'est pas démontré que le mouillage de mines auquel se serait livré l'Iran Ajr visait précisément, à une époque où l'Iran était en guerre avec l'Iraq, les Etats-Unis; de la même manière, il n'a pas été établi que la mine heurtée par le Bridgeton avait été mouillée dans le but précis d'endommager ce navire ou d'autres navires américains. Même pris conjointement, et réserve faite, comme il a déjà été dit, de la question de la responsabilité de l'Iran, ces incidents ne semblent pas à la Cour constituer une agression armée contre les Etats-Unis comparable à ce qu'elle a qualifié, en l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, de forme d'emploi de la force parmi «les plus graves » (voir paragraphe 51 ci-dessus).

73. Comme il a été noté ci-dessus (voir paragraphe 43) en la présente affaire, la question de savoir si telle ou telle action est «nécessaire» se pose à la fois en tant qu'élément du droit international de la légitime défense et au regard du texte même de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX du traité de 1955, déjà cité, aux termes duquel le traité «ne fera pas obstacle à l'application de mesures ... nécessaires ... à la protection des intérêts vitaux [de l'une ou l'autre partie] sur le plan de la sécurité». Sur ce dernier point, les Etats-Unis affirment qu'ils ont estimé de bonne foi que les attaques contre les plates-formes étaient nécessaires pour protéger leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité, et qu'«une partie devrait se voir accorder une certaine liberté d'appréciation en ce qui concerne l'application de bonne foi de mesures destinées à protéger ces intérêts vitaux en matière de sécurité». L'Iran est prêt à reconnaître que certains des intérêts évoqués par les Etats-Unis - la sécurité des navires de ces derniers et de leur équipage, et la continuité du commerce maritime dans le golfe Persique - étaient des intérêts raisonnables sur le plan de la sécurité des Etats-Unis, mais il conteste que les actions menées par les Etats-Unis contre les plates-formes puissent être considérées comme «nécessaires» à la protection de ces intérêts. La Cour n'a toutefois pas à décider si l'interprétation que donnent les Etats-Unis de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX est sur ce point correcte, dès lors que l'exigence que pose le droit international, selon laquelle des mesures prises au nom de la légitime défense doivent avoir été nécessaires à cette fin, est rigoureuse et objective, et ne laisse aucune place à «une certaine liberté d'appréciation». La Cour se penchera donc maintenant sur les critères de nécessité et de proportionnalité dans le cadre du droit international relatif à la légitime défense.

Affaire Avena et autres ressortissants mexicains(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique)

CIJArrêt du 31 mars 2004

150. La Cour entend par ailleurs rappeler ;i ce sujet que, dans l'affaire LaGrand, l'Allemagne a notamment voulu obtenir « des Etats-Unis une assurance pure et simple qu'ils ne répéteront pas leurs actes illicites» (C. I. J. Recueil 2001, p. 51 1, par. 120). Concernant cette demande de caractère général visant l'obtention d'une assurance de non-répétition, la Cour a dit ceci:

« [S]i, dans le cadre d'une instance, un Etat fait référence de manière répétée devant la Cour aux activités substantielles auxquelles il se livre aux fins de mettre en œuvre certaines obligations découlant d'un traité, cela traduit un engagement de sa part de poursuivre les efforts entrepris à cet effet. Certes, le programme en cause ne peut fournir l'assurance qu'il n'y aura plus jamais de manquement des autorités des Etats-Unis à l'obligation de notification prévue à l'article 36 de la convention de Vienne. Mais aucun Etat ne pourrait fournir une telle garantie, et l'Allemagne ne cherche pas à l'obtenir. La Cour estime que l'engagement pris par les Etats-Unis d'assurer la mise en œuvre des mesures spécifiques adoptées en exécution de leurs obligations au titre de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 doit être considéré comme satisfaisant a la demande de l'Allemagne visant à obtenir une assurance générale de non-répétition. » (C. I. J. Recueil 2001, p. 512-513, par. 124.)

La Cour estime que, s'agissant de la demande du Mexique visant a obtenir des garanties et assurances de non-répétition, ce qu'elle a dit dans l'extrait ci-dessus de l'arrêt LaGrand demeure applicable et satisfait ladite demande.

153. Pas ces motifs, LA COUR,1) Par treize voix contre deux, Rejette l'exception opposée par les Etats-Unis du Mexique à la recevabilité des exceptions soulevées par les Etals-Unis d’Amérique à la compétence de la Cour et à la recevabilité des demandes des Etats-Unis du Mexique;

2) A l'unanimité, Rejette les quatre exceptions à la compétence de la Cour soulevées par les Etats-Unis d' Amérique ;

3)A l'unanimité, Rejette les cinq exceptions à la recevabilité des demandes des Etats- Unis du Mexique soulevées par les Etats-Unis d'Amérique ;

4) Par quatorze voix contre une, Dit que, en n'informant pas sans retard, lors de leur détention, les cinquante et un ressortissants mexicains visés au point 1) du paragraphe 106 ci-dessus des droits qui sont les leurs en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, les Etats-Unis d'Amérique ont violé les obligations leur incombant en vertu dudit alinéa ;

5) Par quatorze voix contre une, Dit que, en ne notifiant pas sans retard au poste consulaire mexicain approprié la détention des quarante-neuf ressortissants mexicains visés au point 2) du paragraphe 106 ci-dessus et en privant ainsi les Etats-Unis du Mexique du droit de rendre en temps utile aux intéressés l'assistance prévue par la convention, les Etats-Unis d’Amérique ont violé les obligations leur incombant en vertu de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36;

6) Par quatorze voix contre une, Dit que, en ce qui concerne les quarante-neuf ressortissants mexicains visés au point 3) du paragraphe 106 ci-dessus, les Etats-Unis d'Amérique ont prive les Etats-Unis du Mexique du droit, en temps utile, de communiquer avec ces ressortissants et de se rendre auprès d'eux lorsqu'ils sont en détention, et ont de ce fait voilé les obligations leur incombant en vertu des alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention;

7) Par quatorze voix contre une, Dit que, en ce qui concerne les trente-quatre ressortissants mexicains visés au point 4) du paragraphe 106 ci-dessus, les Etats-Unis d’Amérique ont privé les Etats-Unis du Mexique du droit de pourvoir en temps utile à la représentation en justice desdits ressortissants, et

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ont de cc fait violé les obligations leur incombant en vertu de l'alinéa c) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention;

8) Par quatorze voix contre une, Dit que, en ne permettant pas le réexamen et la révision, au regard des droits définis dans la convention, du verdict de culpabilité rendu et de la peine prononcée à l'encontre de M. César Roberto Fierro Reyna, M. Roberto Moreno Ramos et M. Osvaldo Torres Aguilera, une fois qu'il avait été établi que les intéressés étaient victimes des violations visées au point 4) ci-dessus, les Etats-Unis d'Amérique ont viole les obligations leur incombant en vertu du paragraphe 2 de l'article 36 de la convention;

9) Par quatorze voix contre une, Dit que, pour fournir la réparation appropriée en l'espèce, les Etats-Unis d'Amérique sont tenus d'assurer, par les moyens de leur choix, le réexamen et la révision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées contre les ressortissants mexicains visés aux points 41, 51, 6) et 7) ci-dessus, en tenant compte à la fois de la violation des droits prévus par l'article 36 de la convention et des paragraphes 138 à 141 du présent arrêt;

10) A l'unanimité, Prend acte de l'engagement pris par les Etats-Unis d'Amérique d'assurer la mise en oeuvre des mesures spécifiques adoptées en exécution de leurs obligations en vertu de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne; et dit que cet engagement doit être considéré comme satisfaisant à la demande des Etats-Unis du Mexique visant à obtenir des garanties et assurances de non-répétition ;

11) A l'unanimité, Dit que, si des ressortissants mexicains devaient néanmoins être condamnes à une peine sévère sans que les droits qu'ils tiennent de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention aient été respectés, les Etats-Unis d'Amérique devront, en mettant en oeuvre les moyens de leur choix, assurer le réexamen et la révision du verdict de culpabilité et de la peine, de façon à accorder tout le poids voulu a la violation des droits prévus par la convention, en tenant compte des paragraphes 138 à 141 du présent arrêt.

Affaire des activités armées sur le territoire du Congo(République Démocratique du Congo c. Ouganda)

CIJArrêt du 19 décembre 2005

148. L’interdiction de l’emploi de la force constitue une pierre angulaire de la Charte des Nations Unies. Le paragraphe 4 de l’article 2 dispose que

«[l]es Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies».

L’article 51 de la Charte ne peut justifier l’emploi de la force en légitime défense que dans les limites qui y sont strictement définies. Il n’autorise pas, au-delà du cadre ainsi établi, l’emploi de la force par un Etat pour protéger des intérêts perçus comme relevant de la sécurité. D’autres moyens sont à la disposition de l’Etat concerné, dont, en particulier, le recours au Conseil de sécurité.

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Affaire des activités armées sur le territoire du Congo(République Démocratique du Congo c. Rwanda)

CIJ Arrêt du 3 février 2006

64. La Cour commencera par réaffirmer que «les principes qui sont à la base de la convention [sur le génocide] sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même en dehors de tout lien conventionnel» et que la conception ainsi retenue a pour conséquence «le caractère universel à la fois de la condamnation du génocide et de la coopération nécessaire “pour libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux” (préambule de la convention)» (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23). Il en résulte que «les droits et obligations consacrés par la convention sont des droits et obligations erga omnes» (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616, par. 31).La Cour observe toutefois qu’elle a déjà eu l’occasion de souligner que «l’opposabilité erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la juridiction sont deux choses différentes» (Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29), et que le seul fait que des droits et obligations erga omnes seraient en cause dans un différend ne saurait donner compétence à la Cour pour connaître de ce différend.Il en va de même quant aux rapports entre les normes impératives du droit international général (jus cogens) et l’établissement de la compétence de la Cour : le fait qu’un différend porte sur le respect d’une norme possédant un tel caractère, ce qui est assurément le cas de l’interdiction du génocide, ne saurait en lui-même fonder la compétence de la Cour pour en connaître. En vertu du Statut de la Cour, cette compétence est toujours fondée sur le consentement des parties.

Affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)

CIJArrêt du 26 février 2007

403. La Cour, bien qu’ayant attentivement examiné les arguments développés par la Chambre d’appel au soutien de la conclusion qui précède, n’est pas en mesure d’adhérer à cette doctrine. Tout d’abord, elle observe que le TPIY n’était pas appelé dans l’affaire Tadi!, et qu’il n’est pas appelé en règle générale, à se prononcer sur des questions de responsabilité internationale des Etats, sa juridiction étant de nature pénale et ne s’exerçant qu’à l’égard des individus. Le Tribunal s’est donc, dans l’arrêt précité, intéressé à une question dont l’examen n’était pas nécessaire pour l’exercice de sa juridiction. Ainsi qu’il a été dit plus haut, la Cour attache la plus haute importance aux constatations de fait et aux qualifications juridiques auxquelles procède le TPIY afin de statuer sur la responsabilité pénale des accusés qui lui sont déférés et, dans la présente affaire, tient le plus grand compte des jugements et arrêts du TPIY se rapportant aux événements qui forment la trame du différend. La situation n’est pas la même en ce qui concerne les positions adoptées par le TPIY sur des questions de droit international général qui n’entrent pas dans son domaine spécifique de compétence, et dont la résolution n’est d’ailleurs pas toujours nécessaire au jugement des affaires pénales qui lui sont soumises.

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Affaire du différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes

(Nicaragua c. Honduras)CIJ

Arrêt du 8 octobre 2007

176. La Cour examinera maintenant les différentes catégories d’effectivités présentées par les Parties.

177. Le contrôle législatif et administratif. Le Honduras prétend avoir exercé un contrôle législatif et administratif sur les îles et fournit un certain nombre d’arguments à l’appui de sa thèse. Le Nicaragua, quant à lui, ne cherche pas à prouver qu’il aurait exercé un contrôle législatif et administratif sur les îles, mais soutient que les éléments de preuve du Honduras sont insuffisants.

178. La thèse du Honduras est fondée sur les textes de ses Constitutions et de sa loi agraire de 1936. Les trois Constitutions (1957, 1965, 1982) énumèrent des îles lui appartenant, désignant nommément un certain nombre d’îles situées dans l’Atlantique, parmi lesquelles les cayes de Falso, Gracias a Dios et Palo de Campeche, «ainsi que toutes les autres situées dans l’Atlantique qui, historiquement, géographiquement et juridiquement (seule la Constitution de 1982 emploie le terme «géographiquement»), sont siennes». La Constitution de 1982 ajoute, en les désignant nommément, les cayes de Media Luna, Rosalind et Serranilla.

179. Sous le titre «Droit de l’Etat», la loi agraire hondurienne de 1936 énumère un certain nombre de cayes qui «appartiennent au Honduras», «y compris Palo de Campeche» ! nommément désignée ! et «d’autres situées dans l’océan Atlantique». Ni les Constitutions ni la loi agraire ne font toutefois explicitement référence aux îles et cayes en litige. Le Honduras allègue néanmoins que la référence à Palo de Campeche et à d’autres îles situées dans l’Atlantique doit être comprise comme incluant les îles adjacentes en litige.

180. Le Nicaragua réfute les éléments de preuve d’ordre législatif présentés par le Honduras en faisant valoir que ces textes ne mentionnent pas spécifiquement la zone en litige ni une quelconque intention de réglementer les activités sur les îles. Le Nicaragua précise qu’il n’avait, en conséquence, «aucune raison de protester» puisque les lois honduriennes «sont dénuées de pertinence pour la question de la délimitation maritime, en raison non seulement de leur date (pour celles postérieures à 1977), mais aussi de leur contenu, qui règle des questions relevant de la souveraineté et de la juridiction honduriennes sans faire expressément mention des îles».

181. La Cour, constatant qu’il n’est fait aucune référence aux quatre îles en litige dans les diverses constitutions du Honduras et dans la loi agraire, relève de surcroît qu’aucun élément de preuve n’atteste que le Honduras ait, d’une manière ou d’une autre, appliqué ces instruments juridiques dans les îles. La Cour estime par conséquent que la thèse du Honduras selon laquelle il exerçait un contrôle législatif et administratif sur les îles n’est pas convaincante.

182. Application du droit pénal et du droit civil. Le Honduras soutient également avoir appliqué son droit civil dans la zone en litige et fournit à cet égard divers exemples. Il allègue que les accidents survenus dans la zone, impliquant généralement des plongeurs, ont pendant longtemps été déclarés aux autorités honduriennes, et non nicaraguayennes. Il prétend que «les tribunaux honduriens [examinent les plaintes de cette nature], parce que les accidents sont considérés comme ayant eu lieu au Honduras». Le Honduras présente des extraits de quatre plaintes déposées dans le domaine du droit du travail, dont trois auprès de la juridiction du travail de Puerto Lempira et une auprès d’un tribunal de Roatan (Bay Islands).

183. Le Honduras soutient en outre que «c’est [son] droit pénal … qu’appliquent et veillent à faire respecter les tribunaux honduriens lorsque des délits sont commis sur les îles» et que «plusieurs plaintes pour vol et voies de fait à Savanna Cay et Bobel Cay ont été examinées par les autorités honduriennes et portées devant des tribunaux honduriens». Le Honduras présente un extrait d’une décision rendue le 17 avril 1997 par le tribunal de Puerto Lempira relativement à la confiscation d’une embarcation en fibre de verre abandonnée sur Half Moon Cay. Il produit également une plainte déposée au pénal devant une juridiction de Puerto Lempira dans laquelle il est indiqué que six appareils respiratoires autonomes de plongée ont été volés à South Cay sur un navire, le Mercante, et dans laquelle sont nommément désignés

les deux auteurs présumés devant être cités à comparaître. Le Honduras prête également une valeur juridique à une opération de lutte antidrogue menée en 1993 dans la région par les autorités honduriennes et les services fédéraux de lutte antidrogue des Etats-Unis d’Amérique (DEA). Ce projet, baptisé «Satellite Operation Plan», avait notamment pour objet de «procéder à des opérations de reconnaissance en vue d’identifier et de localiser, par la prise de photographies aériennes, des cibles possibles, zones et installations utilisées pour le trafic de stupéfiants à l’échelle nationale ou liées à celui-ci, dans le but de neutraliser les opérations criminelles liées au trafic illégal de stupéfiants». Des «aéronefs dotés des équipements appropriés» devaient également «survoler l’espace aérien national». Le Satellite Operation Plan comporte une liste d’«[î]les et cayes» dont Bobel Cay, South Cay, Half Moon Cay et Savanna Cay.

184. Le Nicaragua conteste les allégations du Honduras, sans invoquer pour autant aucune mesure par laquelle il aurait appliqué ou fait respecter son droit pénal ou son droit civil. Selon lui, tous les exemples invoqués par le Honduras concernent des faits qui datent des années quatre-vingt-dix, et sont donc bien postérieurs à 1977, que le Nicaragua a proposé comme date critique. Il soutient également que les affaires invoquées ont probablement été portées devant des juridictions honduriennes parce qu’elles concernaient des ressortissants honduriens, et non parce que les incidents avaient eu lieu en territoire hondurien.

185. La Cour estime que les éléments de preuve fournis par le Honduras pour démontrer qu’il avait appliqué et fait respecter son droit pénal et son droit civil revêtent bien une valeur juridique en la présente affaire. Le fait qu’un certain nombre de ces actes aient été accomplis dans les années quatre-vingt-dix ne remet pas en cause leur pertinence, puisque la Cour a jugé que la date critique s’agissant des îles était 2001. Les plaintes déposées au pénal se révèlent pertinentes dans la mesure où les actes visés se sont produits sur les îles contestées en la présente affaire (South Cay et Savanna Cay). Bien que ne constituant pas nécessairement un exemple d’application du droit pénal hondurien, l’opération de lutte antidrogue de 1993 peut tout à fait être considérée comme une autorisation de survol des îles citées dans le document ! lesquelles se trouvent au sein de la zone contestée ! accordée par le Honduras aux services fédéraux de lutte antidrogue des Etats-Unis d’Amérique. Le fait que le Honduras ait accordé à ceux-ci une autorisation de survol de «l’espace aérien national» et qu’aient été expressément mentionnées les quatre îles et cayes peut être considéré comme un acte souverain de l’Etat constituant une effectivité pertinente dans la zone.

186. Réglementation de l’immigration. Le Honduras affirme tenir des registres d’immigration concernant les étrangers vivant au Honduras, dans lesquels sont «systématiquement recensés les ressortissants étrangers vivant sur les îles aujourd’hui revendiquées par le Nicaragua». A titre d’exemple, est produite une note en date du 31 mars 1999 adressée au directeur général des questions de population et d’immigration à Tegucigalpa par l’agent régional des services de l’immigration de Puerto Lempira, sous couvert de laquelle est communiqué un rapport. Figurent dans ce rapport le nombre de cabanes dans la zone inspectée, la nationalité des personnes y séjournant (avec, dans le cas des étrangers, les renseignements relatifs à leur numéro de passeport, à leur date de naissance et à la date d’expiration de leur visa) ainsi que la date d’expiration de leurs permis de pêche. Les informations concernent Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay, South Cay et Gorda Cay.

187. La Cour relève que le Honduras semble avoir mené une importante activité en matière de réglementation de l’immigration et de délivrance des permis de travail en découlant à l’égard de personnes présentes dans les îles en 1999 et en 2000. Il n’existe aucun élément de preuve de pareille réglementation avant 1999. La correspondance adressée par le directeur des questions de population et d’immigration au ministre de l’intérieur du Honduras au sujet des mouvements migratoires sur les îles en litige date de novembre et décembre 1999. Le Honduras fournit également des éléments de preuve visant à montrer l’exercice de pouvoirs réglementaires en matière d’immigration. En 1999, les autorités honduriennes se sont rendues sur les quatre îles et ont recueilli des renseignements sur les étrangers vivant à South Cay, Port Royal Cay et Savanna Cay (Bobel Cay n’était pas habitée à l’époque, mais l’avait été auparavant). Le Honduras présente la déclaration d’un agent hondurien des services de l’immigration qui s’est rendu sur les îles à trois ou quatre reprises de 1997 à 1999. Cet agent a aussi accompagné en deux occasions les

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forces navales au cours de patrouilles effectuées par celles-ci dans la zone qui entoure les îles. Selon l’agent, la mairie de Puerto Lempira délivre des permis de travail provisoires à des ressortissants jamaïcains et nicaraguayens ainsi qu’occasionnellement à des ressortissants d’Etats tiers qui, certains se trouvant sur les îles, auraient apparemment reçu des permis de séjour temporaire en attendant d’obtenir un statut de résident. Le Honduras produit également un document portant prorogation des visas de trois ressortissants jamaïcains «établis à» Savanna Cay et South Cay.

188. Là encore, le Nicaragua conteste les éléments de preuve relatifs à l’activité de réglementation de l’immigration par le Honduras, prétendant que cette activité remonte seulement à 1999, soit à une date postérieure à la date critique.

189. La Cour estime qu’une valeur juridique doit être attachée aux éléments fournis par le Honduras en matière de réglementation de l’immigration en tant que preuve d’effectivités, en dépit du fait que cette activité n’a commencé qu’à la fin des années quatre-vingt-dix. La délivrance de permis de travail et de visas à des ressortissants jamaïcains et nicaraguayens atteste l’exercice d’un pouvoir réglementaire par le Honduras. Les visites effectuées sur les îles par un agent hondurien des services de l’immigration témoignent d’un exercice de compétence, même si l’objet de ces visites était de contrôler plutôt que de réglementer l’immigration sur les îles. Le laps de temps au cours duquel ces actes de souveraineté ont été accomplis est plutôt bref, mais seul le Honduras a pris dans la zone des mesures qui peuvent être considérées comme des actes accomplis à titre de souverain. A aucun moment le Nicaragua n’affirme avoir réglementé l’immigration sur les îles en litige, que ce soit avant ou après les années quatre-vingt-dix.

190. Réglementation des activités de pêche. Le Honduras soutient que les bitácoras (permis de pêche) accordés aux pêcheurs constituent la preuve d’actes accomplis sous le contrôle de l’autorité publique. Il affirme que «[l]es pêcheurs qui exercent leurs activités dans ces régions, et le font en vertu de permis de pêche délivrés par le Honduras, sont en effet nombreux à utiliser les îles. Certains y vivent, d’autres ne font que s’y arrêter». Il ajoute que «[p]our preuves de sa pratique en matière de pêche, le Honduras a présenté à la Cour vingt-huit dépositions de témoins. Sur ces vingt-huit dépositions, vingt-quatre font état de l’existence, sur les cayes, d’activités connexes aux activités de pêche autorisées par le Honduras».

191. Le Honduras fournit des éléments de preuve concernant des bâtiments qui auraient été construits sur Savanna Cay sur autorisation des autorités de Puerto Lempira et en vertu de permis accordés par celles-ci. Dans un témoignage, un ressortissant jamaïcain, «pêcheur de profession, vivant présentement à Savanna Cay», déclare : «Nous avons construit tous les bâtiments existant sur la caye. Ils sont enregistrés à la municipalité de Puerto Lempira. Toutes les maisons ont été répertoriées par la municipalité, qui a commencé à le faire il y a à peu près deux ans de cela.» Un autre ressortissant jamaïcain, qui affirme que «pendant la majeure partie de l’année [il vit] à Savanna Cay», atteste également que des Jamaïcains «ont construit toutes les maisons existant sur la caye. Ces maisons ont été construites légalement avec le consentement des autorités honduriennes.»

192. Le Honduras soutient que «du matériel de pêche est entreposé à South Cay par le titulaire d’un permis de pêche délivré par les autorités locales». Un certain Mario Ricardo Dominguez indique que, en raison de ses activités de pêche,

«il utilise des installations présentes sur South Cay depuis [1992] ; les installations en question comprennent une maison en bois où il entrepose son matériel de pêche, à savoir des filets de pêche, du matériel de plongée, un congélateur et un générateur électrique ; … pour utiliser son matériel de pêche, il soumet chaque année une demande de permis de pêche à l’inspecteur des pêches de Puerto Lempira et acquitte la taxe due».

193. Le Nicaragua affirme que le Honduras «ne présente aucun élément de preuve établissant que la réglementation des activités de pêche par le Honduras prouve que celui-ci a un titre sur les îlots en litige» et que, de manière plus générale, le Honduras ne parvient pas à établir de distinction entre les activités pertinentes pour la délimitation maritime et celles permettant l’établissement d’un titre sur les îles.

194. La Cour, concernant les activités de personnes privées, a estimé qu’elles «ne sauraient être considérées comme des effectivités si elles ne se fondent pas sur une réglementation officielle ou ne se déroulent pas sous le contrôle de l’autorité publique» (Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 683, par. 140). A cet égard, le Honduras a présenté des dépositions de témoins ayant pour objet d’établir qu’il accorde des licences pour les activités de pêche autour des îles et des cayes et autorise la construction de bâtiments sur Savanna Cay. Le point de savoir si la réglementation des activités de pêche par le Honduras autour des îles en litige constituait en soi un exercice effectif ou une manifestation d’autorité à l’égard de ces îles est aussi une question qui doit être tranchée.

195. La Cour note que l’ensemble des éléments de preuve présentés par le Honduras concernant les activités de pêche montre que ces activités se sont déroulées sur autorisation hondurienne dans les eaux qui entourent les îles, mais non qu’elles ont été menées à partir des îles elles-mêmes. Le Honduras fournit plutôt des éléments attestant qu’il a accordé des permis pour des activités sur les îles qui sont liées aux activités de pêche, telles que la construction de bâtiments ou l’entreposage de bateaux de pêche. Au total, la Cour estime que les autorités honduriennes considéraient que les permis de pêche, même si les zones visées n’y étaient pas spécifiées, étaient utilisés pour la pêche qui se pratiquait autour des îles ; le Honduras accordait son autorisation pour la construction sur les îles d’habitations à des fins liées aux activités de pêche. La Cour est par conséquent d’avis que les autorités honduriennes délivraient des permis de pêche en ayant la conviction qu’il détenait, sur la base de son titre sur les îles, des droits sur les espaces maritimes entourant celles-ci. Les éléments de preuve fournis par le Honduras au sujet de la réglementation de l’activité des bateaux de pêche et des constructions sur les îles sont également juridiquement pertinents, de l’avis de la Cour, au titre du contrôle administratif et législatif exercé (voir paragraphes 177-181 ci-dessus).

196. La Cour considère que les permis délivrés par le Gouvernement hondurien pour la construction de maisons à Savanna Cay et le permis délivré pour l’entreposage de matériel de pêche sur la même caye, permis accordés par la municipalité de Puerto Lempira, peuvent également être regardés comme une manifestation, certes modeste, de l’exercice d’une autorité, et comme des éléments de preuve d’effectivités dans les îles en litige.

197. Pour sa part, le Nicaragua soutient qu’il a exercé une juridiction sur les îles en question, en invoquant le différend qui l’opposa au Royaume-Uni au sujet de la pêche à la tortue au XIXe siècle et qui se poursuivit jusqu’au début du XXe siècle. Le Nicaragua soutient également que les négociations menées dans les années cinquante avec le Royaume-Uni pour le renouvellement d’un traité bilatéral remontant à 1916, qui resta «la base de la pêche à la tortue par les habitants des îles Caïmanes jusqu’en 1960», constituent une autre preuve de son titre sur les îles en litige. A ce propos, le Nicaragua a produit une carte de 1958 établie par un hydrographe britannique, le commandant Kennedy, dont il affirme qu’elle «inclut les îlots, cayes et récifs revendiqués par le Nicaragua dans la zone en litige avec le Honduras».

198. La Cour note tout d’abord que la carte ne prouve pas que le commandant Kennedy considérait les îles comme appartenant clairement et sans conteste au Nicaragua. La Cour fait observer que, bien que la carte établie par le commandant Kennedy inclue effectivement les îles aujourd’hui en litige entre le Nicaragua et le Honduras, l’intéressé relevait à propos de celles-ci que l’on «pou[rrait] prétendre qu’elles font partie du plateau continental du Honduras, en fonction de l’accord final sur la manière dont la frontière traverse le plateau». Par ailleurs, le travail cartographique entrepris par le commandant Kennedy ne l’a pas été sur instructions du Gouvernement du Royaume–Uni. La Cour ne trouve pas non plus convaincant l’argument selon lequel les négociations menées entre le Nicaragua et le Royaume-Uni dans les années cinquante, en vue du renouvellement des droits de pêche à la tortue au large des côtes nicaraguayennes, attesteraient la souveraineté du Nicaragua sur les îles en litige. La Cour ne saurait dès lors attacher de valeur juridique, aux fins des effectivités, au différend relatif à la pêche à la tortue qui a opposé le Nicaragua au Royaume-Uni.

199. Patrouilles navales. En se fondant sur un certain nombre de dépositions, le Honduras affirme qu’il a procédé depuis 1976 à des patrouilles navales et autres pour maintenir la sécurité et faire appliquer la législation hondurienne autour des îles, en particulier la législation sur les pêcheries et la législation en matière d’immigration.

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Un agent hondurien des services de l’immigration et un responsable du port de Puerto Lempira, qui ont participé avec la marine hondurienne aux patrouilles autour des îles, ont apporté leur témoignage. Il existe également «des preuves documentaires, sous forme de livres de bord de patrouille et d’autres documents, montrant que le Honduras effectue des patrouilles dans les eaux entourant les cayes, les récifs et les bancs situés dans la zone au nord du 15e parallèle». Le Honduras soutient aussi que deux bâtiments affectés à ces patrouilles ont été régulièrement en opération, se rendant dans les îles tout comme sur les bancs de Rosalind et Thunder Knoll.

200. Le Nicaragua conteste la prétention du Honduras en soulignant le fait que les patrouilles militaires et navales se sont déroulées après la date critique, qu’il considère être 1977. De plus, le Nicaragua affirme avoir de son côté effectué des patrouilles militaires et navales autour des îles.

201. La Cour a déjà indiqué que la date critique aux fins de la question du titre sur les îles n’était pas 1977, mais 2001. Les éléments de preuve mis en avant par les deux Parties au sujet des patrouilles navales sont peu abondants et ne démontrent pas clairement un lien direct entre le Nicaragua ou le Honduras et les îles en litige. Dès lors, la Cour ne trouve pas convaincants, aux fins de l’existence d’effectivités concernant ces îles, les éléments de preuve fournis par l’une comme par l’autre Partie. Elle ne saurait déduire de ces éléments que les autorités du Nicaragua ou celles du Honduras considéraient les îles en litige comme relevant de leur souveraineté respective (voir Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 683, par. 139). La Cour se penchera plus loin, dans le cadre de son examen du différend maritime entre les Parties, sur la valeur juridique à attacher aux éléments de preuve soumis par celles-ci au sujet des patrouilles navales.

202. Concessions pétrolières. Dans ses écritures, le Honduras a présenté des éléments se rapportant aux concessions pétrolières comme preuve d’un titre sur les îles situées dans la zone en litige ; à l’audience, toutefois, cet argument n’a plus été développé. Dans ses plaidoiries, le Honduras a choisi de mettre l’accent sur un autre point, en affirmant qu’«[u]n certain nombre de concessions honduriennes [avaient donné lieu] à une activité souveraine sur les îles». Ainsi, selon le Honduras, celles-ci ont «servi d’appui à la prospection pétrolière» et ont «été utilisées comme base pour les activités de prospection pétrolière depuis les années soixante». A l’audience, le Honduras a concentré son argumentation sur la pertinence des concessions pétrolières des Parties aux fins de prouver l’existence d’un accord tacite concernant le respect d’une frontière «traditionnelle» le long du 15e parallèle.

203. Le Nicaragua soutient que la pratique nicaraguayenne et hondurienne en matière d’octroi des concessions pétrolières ne présente aucune cohérence, s’agissant du titre sur les îlots. De l’avis du Nicaragua, la pratique des deux pays montre qu’il n’y avait aucun accord sur l’existence d’une ligne d’attribution de souveraineté et que le Nicaragua considérait les îlots en litige en la présente affaire comme faisant partie de son territoire.

204. La Cour estime que les éléments de preuve relatifs aux activités de prospection pétrolière offshore des Parties n’ont aucun rapport avec les îles contestées. Aussi, dans son examen de la question des effectivités produites à l’appui du titre sur les îles, la Cour s’intéressera-t-elle, sous la rubrique des travaux publics, aux actes accomplis sur les îles en relation avec les concessions pétrolières.

205. Travaux publics. Le Honduras avance comme autre preuve d’effectivités l’installation en 1975, sur son autorisation, d’une antenne sur Bobel Cay en tant qu’aide à la Union Oil. Un élément de preuve supplémentaire soumis par le Honduras est constitué par les bornes géodésiques installées sur Savanna Cay, South Cay et Bobel Cay en 1980 et 1981, en application d’un accord conclu en 1976 avec les Etats-Unis. Le Honduras affirme que le Nicaragua n’a pas protesté contre l’accord de 1976, ni contre l’installation des bornes ; depuis que ces bornes ont été posées il y a plus de vingt ans, il n’a pas demandé non plus qu’elles soient enlevées. Le Nicaragua ne conteste pas que ces activités puissent être qualifiées d’effectivités, mais fait plutôt remarquer que ces bornes furent installées après ce qu’il considère comme la date critique, à savoir 1977.

206. Dans l’affaire Qatar c. Bahreïn, la Cour a attaché une valeur juridique à certains travaux publics et a conclu comme suit :

«Certaines catégories d’activités invoquées par Bahreïn, telles que le forage de puits artésiens, pourraient en soit être considérées comme discutables en tant qu’actes accomplis à titre de souverain. La construction d’aides à la navigation, en revanche, peut être juridiquement pertinente dans le cas de très petites îles. En l’espèce, compte tenu de la taille de [l’île], les activités exercées par Bahreïn sur cette île peuvent être considérées comme suffisantes pour étayer sa revendication selon laquelle celle-ci se trouve sous sa souveraineté.» (Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), C.I.J. Recueil, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 99-100, par. 197.)

207. La Cour fait observer que l’installation sur Bobel Cay, en 1975, d’une antenne de 10 mètres de haut par Geophysical Services Inc. pour le compte de la Union Oil Company faisait partie d’un réseau géodésique local destiné à faciliter les activités de forage dans le cadre des concessions pétrolières accordées. Le Honduras soutient que la construction de l’antenne faisait partie intégrante des «activités de prospection pétrolière qu’il a autorisées». Des rapports sur ces activités étaient périodiquement soumis par la compagnie pétrolière aux autorités honduriennes, dans lesquels était également indiqué le montant des taxes correspondantes acquittées. Le Nicaragua prétend que l’installation de l’antenne sur Bobel Cay était un acte privé pour lequel aucune autorisation gouvernementale spécifique n’avait été délivrée. La Cour est d’avis que l’antenne a été installée dans le cadre d’activités de prospection pétrolière autorisées. Par ailleurs, le paiement de taxes au titre de ces activités en général peut être considéré comme un élément de preuve supplémentaire de ce que l’installation de l’antenne (qui, comme il est indiqué, faisait partie desdites activités) s’est effectuée avec l’autorisation du gouvernement. La Cour considère donc que les travaux publics dont fait état le Honduras constituent des effectivités qui viennent à l’appui de sa revendication de souveraineté sur les îles en litige.

208. Après avoir examiné les arguments et les éléments de preuve avancés par les Parties, la Cour conclut que les effectivités invoquées par le Honduras établissent une «intention et [une] volonté d’agir en qualité de souverain» et constituent une manifestation modeste mais réelle d’autorité sur les quatre îles (Statut juridique du Groënland oriental, arrêt, 1933, C.P.J.I. série A/B n° 53, p. 46 ; voir également Minquiers et Ecréhous (France/Royaume-Uni), arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 71). Bien qu’il n’ait pas été établi que les quatre îles revêtent une importance économique ou stratégique, et en dépit de la rareté des actes d’autorité étatique les concernant, le Honduras a démontré un ensemble de comportements suffisant pour manifester son intention d’agir en qualité de souverain à l’égard de Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay et South Cay. La Cour note en outre que ces activités honduriennes, qui peuvent être considérées comme des effectivités et que l’on peut présumer avoir été connues du Nicaragua, n’avaient suscité aucune protestation de la part de celui-ci. Quant au Nicaragua, la Cour n’a trouvé aucune preuve de son intention ou de sa volonté d’agir en qualité de souverain, ni aucune preuve d’un exercice effectif ou d’une manifestation de son autorité sur les îles. Le Nicaragua n’a donc pas satisfait au critère énoncé par la Cour permanente de Justice internationale dans l’affaire du Groënland oriental (voir paragraphe 172 ci-dessus).

7.4. Valeur probante des cartes pour confirmer la souveraineté sur les îles en litige

209. En l’espèce, un nombre important de cartes a été présenté par les Parties à l’appui de leur argumentation respective, mais tant le Nicaragua que le Honduras ont reconnu que ce matériau cartographique ne constituait pas en soi un titre territorial ni la preuve d’une souveraineté sur les îles ; ils n’ont pas soutenu non plus que ces cartes devaient se voir reconnaître une valeur probante particulière.

210. Figure parmi elles une carte officielle de 1982 du Nicaragua qui représente une large portion de la mer des Caraïbes adjacente aux côtes du Honduras et du Nicaragua et comprend un certain nombre de formations maritimes (bien qu’il ne s’agisse pas des quatre îles contestées). Il n’y est mentionné aucune attribution de souveraineté sur les formations maritimes. De la même manière, le Honduras fournit des cartes officielles qui couvrent des parties de l’océan Atlantique situées à proximité du Honduras et du Nicaragua, mais ne figurent aucune attribution de souveraineté à l’un ou l’autre pays.

211. Une carte de la République du Honduras de 1933 établie par l’Institut panaméricain de géographie et d’histoire donne l’impression

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qu’au moins Bobel Cay, Logwood Cay, le récif de Media Luna et South Cay sont à considérer comme appartenant au Honduras. Toutefois, la carte comporte un avertissement général concernant les zones contestées.

212. La carte officielle de la République du Honduras publiée en 1994 inclut, en tant que possessions insulaires du Honduras dans la mer des Caraïbes, une série de cayes, «situées dans le seuil connu géographiquement et historiquement en tant que «seuil nicaraguayen» dans des zones qui, selon le Nicaragua, sont «sous la souveraineté et la juridiction totales du Nicaragua». Au sujet de cette publication, le Nicaragua exprima «son total désaccord et formula des protestations vigoureuses».

213. La Cour, ayant examiné le matériau cartographique soumis par le Nicaragua et le Honduras, procédera maintenant à l’évaluation de celui-ci pour déterminer la mesure dans laquelle il peut être considéré comme étayant leur revendication respective de souveraineté sur les îles situées au nord du 15e parallèle. En s’acquittant de cette tâche, la Cour gardera à l’esprit le fait que les cartes peuvent «être prises en considération, bien qu’un tel matériau descriptif revête peu de valeur lorsqu’il a trait à un territoire peu ou pas du tout connu et dans lequel il ne semble pas y avoir eu un quelconque contrôle administratif réel» (Sentence arbitrale rendue le 23 janvier 1933 par le tribunal spécial de délimitation constitué en exécution du traité d’arbitrage entre le Guatemala et le Honduras, RSA, vol. II, p. 1325) [traduction du Greffe].

214. De l’avis de la Cour, les cartes susvisées n’étayent les revendications ni de l’une ni de l’autre des Parties. En la présente affaire, aucune des cartes soumises par les Parties et sur lesquelles sont représentées certaines des îles en litige n’indique clairement quel Etat exerce la souveraineté sur ces îles. Dans l’affaire de l’Ile de Palmas, la sentence arbitrale relevait que

«ce n’est qu’avec une extrême circonspection que l’on peut tenir compte des cartes pour trancher une question de souveraineté… Toute carte qui n’indique pas de façon précise la répartition politique des territoires … clairement marquée comme telle, doit être écartée… La première condition que l’on exige des cartes, pour qu’elles puissent servir de preuve sur des points de droit, est leur exactitude géographique. On doit noter ici que non seulement des cartes d’une date ancienne, mais aussi des cartes d’une date moderne, même o ff i c i e l l e s ou s emi o ff i c i e l l e s , pa r a i s s en t manque r d’exactitude.» (Ile de Palmas (Pays-Bas/Etats-Unis), 4 avril 1928, [traduction française : Revue générale de droit international public, t. XLIII, p. 179-180].)

215. La Cour réaffirme la position qu’elle a adoptée auparavant au sujet de la portée extrêmement limitée des cartes en tant que source d’un titre souverain :

«[Les cartes] ne constituent jamais ! à elles seules et du seul fait de leur existence ! un titre territorial, c’est-à-dire un document auquel le droit international confère une valeur juridique intrinsèque aux fins de l’établissement des droits territoriaux.» (Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 582, par. 54.)

216. Les Parties ont des vues opposées sur les cartes et la Cour s’est penchée avec grand soin sur la valeur probante de celles-ci. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en 1986 dans l’affaire Burkina Faso/Mali, la Chambre de la Cour a notamment déclaré ce qui suit : «Les autres considérations dont dépend le poids des cartes en tant qu’éléments de preuve ont trait à la neutralité de leurs sources par rapport au différend considéré et aux parties à ce différend.» (Ibid., p. 583, par. 56.)

217. En l’espèce, la présentation d’un matériau cartographique par les Parties vise essentiellement à renforcer leurs prétentions respectives et à étayer leur argumentation. La Cour estime qu’elle ne peut attacher que peu de valeur juridique aux cartes officielles qui lui ont été soumises et à celles qui émanent des instituts géographiques cités ; elle traitera ces cartes avec une certaine réserve. C’est une telle réserve qui se trouve exprimée dans le prononcé suivant de la Chambre de la Cour :

«La jurisprudence relativement ancienne avait montré à l’égard des cartes une réticence marquée … la valeur juridique des cartes reste limitée à celle d’une preuve concordante qui conforte une conclusion à laquelle le juge est parvenu par d’autres moyens, indépendants des cartes. En conséquence, hormis l’hypothèse où elles ont été intégrées parmi les éléments qui constituent l’expression de la

volonté de l’Etat[,] les cartes ne peuvent à elles seules être considérées comme des preuves d’une frontière car elles constitueraient dans ce cas une présomption irréfragable, équivalant en réalité à un titre juridique.» (Ibid.)

218. Aucune des cartes soumises par les Parties ne faisait partie d’un instrument juridique en vigueur ni, plus précisément, d’un traité frontalier conclu entre le Nicaragua et le Honduras.

219. La Cour conclut que le matériau cartographique qui a été présenté par les Parties au cours des procédures écrite et orale ne saurait en soi étayer leurs revendications respectives de souveraineté sur les îles situées au nord du 15e parallèle.

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Réparation des dommages subisau service des Nations unies

CIJAvis consultatif du 11 avril 1949

La Charte ne s'est pas bornée à faire simplement de l'Organisation créée par elle un centre ou s'harmoniseraient les efforts des nations vers les fins communes définies par elle (article premier, par. 4). Elle lui a donné des organes ; elle lui a assigné une mission propre. Elle a défini la position des Membres par rapport à l'organisation en leur prescrivant de lui donner pleine assistance dans toute action entreprise par elle (article 2, par. 5 ) , d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de Sécurité, en autorisant l'Assemblée générale à leur adresser des recommandations, en octroyant à l’Organisation une capacité juridique, des privilèges et immunités sur le territoire de chacun de ses Membres, en faisant prévision d’accords à conclure entre l’Organisation et ses Membres. La pratique, notamment par la conclusion de conventions auxquelles l’Organisation est partie, a confirmé ce caractère d’une Organisation placée, à certains égards, en face de ses Membres, et qui, le cas échéant, a le devoir de rappeler à ceux-ci certaines obligations. A cela s’ajoute que les Nations Unies sont une Organisation politique, ayant une mission politique d’un caractère très important et à domaine très large: maintenir la paix et la sécurité internationales, développer les relations amicales entre les nations, réaliser la coopération internationale dans l’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire (article premier), et qu’elle agit par des moyens politiques vis-à-vis de ses Membres. La “Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies”, de 1946, crée des droits et des devoirs entre chacun des signataires de l’Organisation (voir notamment section 35). Or, il serait difficile de concevoir comment une telle convention pourrait déployer ses effets sinon sur le plan international et entre parties possédant la personnalité internationale.

De l’avis de la Cour, l’Organisation était destinée à exercer des fonctions et à jouir de droits – et elle l’a fait – qui ne peuvent s’expliquer que si l’Organisation possède une large mesure de personnalité internationale et la capacité d’agir sur le plan international. Elle est actuellement le type le plus élevé d’organisation internationale, et elle ne pourrait répondre aux intentions de ses fondateurs si elle était dépourvue de la personnalité internationale. On doit admettre que ses Membres, en lui assignant certaines fonctions, avec les devoirs et les responsabilités qui les accompagnent, l’ont revêtue de la compétence nécessaire pour lui permettre de s’acquitter effectivement de ces fonctions.

En conséquence, la Cour arrive à la conclusion que l’Organisation est une personne internationale. Ceci n’équivaut pas à dire que l’Organisation soit un État, ce qu’elle n’est certainement pas, ou que sa personnalité juridique, ses droits et ses devoirs soient les mêmes que ceux d’un État. Encore moins cela équivaut-il à dire que l’Organisation soit un “super-État”, quel que soit le sens de cette expression. Cela n’implique même pas que tous les droits et devoirs de l’Organisation doivent se trouver sur le plan international, pas plus que tous les droits et devoirs d’un État ne doivent s’y trouver placés. Cela signifie que l’Organisation est un sujet de droit international, qu’elle a capacité d’être titulaire de droits et devoirs internationaux et qu’elle a capacité de se prévaloir de ses droits par voie de réclamation internationale.

[…]

Ici encore la Cour est autorisée à supposer que le dommage subi engage la responsabilité d’un État, et elle n’est pas appelée à exprimer une opinion sur les différentes manières dont pareille responsabilité pourrait être engagée. Par conséquent, la question qui se pose est celle de savoir si l’Organisation a qualité pour présenter une réclamation contre l’État défendeur afin d’obtenir réparation à raison de ce dommage, ou si, au contraire, cet État, s’il n’est pas membre de l’Organisation, est fondé à objecter que la qualité pour présenter une réclamation internationale fait défaut à l’Organisation. A cet égard, la Cour est d’avis que cinquante États, représentant une très large majorité des membres de la communauté internationale, avaient le pouvoir, conformément au droit international, de créer une entité possédant une personnalité internationale objective – et non pas simplement une personnalité reconnue par eux seuls – ainsi que la qualité de présenter des réclamations internationales.

Conséquences juridiques pour les Etatsde la présence continue de l’Afrique du Sud

en Namibie (Sud-Ouest africain)CIJ

Avis consultatif du 21 juin 1971

52. En outre l’évolution ultérieure du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu'il est consacré par la Charte des Nations Unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires. La notion de mission sacrée a été confirmée et étendue à tous les « territoires dont les populations ne s'administrent pas encore complètement elles-mêmes » (art. 73). Il est clair que ces termes visaient les territoires sous régime colonial. Manifestement la mission sacrée continuait à s'appliquer aux territoires placés sous le mandat de la Société des Nations auxquels un statut international avait été conféré antérieurement. Une autre étape importante de cette évolution a été la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1960) applicable à tous les peuples et à tous les territoires « qui n'ont pas encore accédé à l’indépendance ». De même, il est impossible de négliger l’histoire politique des territoires sous mandat en général. Tous ceux qui n'ont pas accédé à l’indépendance, à l’exception de la Namibie, ont été placés sous tutelle. Aujourd'hui sur quinze de ces territoires, non compris la Namibie, deux seulement sont encore sous la tutelle des Nations Unies. Ce n'est là qu'une manifestation de l’évolution générale qui a conduit à la naissance de maints nouveaux Etats.

53. Toutes ces considérations se rattachent à la manière dont la Cour envisage la présente affaire. Sans oublier la nécessité primordiale d'interpréter un instrument donné conformément aux intentions qu'ont eues les parties lors de sa conclusion, la Cour doit tenir compte de ce que les notions consacrées par l’article 22 du Pacte - « les conditions particulièrement difficiles du monde moderne » et « le bien-être et le développement » des peuples intéressés - n'étaient pas statiques mais par définition évolutives et qu'il en allait de même par suite de la notion de « mission sacrée de civilisation ». On doit donc admettre que les parties au Pacte les ont acceptées comme telles. C'est pourquoi, quand elle envisage les institutions de 1919, la Cour doit prendre en considération les transformations survenues dans le demi-siècle qui a suivi et son interprétation ne peut manquer de tenir compte de l’évolution que le droit a ultérieurement connue grâce à la Charte des Nations Unies et à la coutume. De plus, tout instrument international doit être interprété et appliqué dans le cadre de l’ensemble du système juridique en vigueur au moment où l’interprétation a lieu. Dans le domaine auquel se rattache la présente procédure, les cinquante dernières années ont marqué, comme il est dit plus haut, une évolution importante. Du fait de cette évolution il n'y a guère de doute que la «mission sacrée de civilisation » avait pour objectif ultime l’autodétermination et l’indépendance des peuples en cause. Dans ce domaine comme dans les autres, le corpus juris gentium s'est beaucoup enrichi et, pour pouvoir s'acquitter fidèlement de ses fonctions, la Cour ne peut l’ignorer.

112. Ce serait une interprétation insoutenable d'affirmer que, lorsque le Conseil de sécurité fait une telle déclaration en vertu de l'article 24 de la Charte au nom de tous les Etats Membres. ceux-ci sont libres de ne faire aucun cas de l'illégalité ni même des violations du droit qui en résultent. En présence d'une situation internationalement illicite de cette nature, on doit pouvoir compter sur les Membres des Nations Unies pour tirer les conséquences de la déclaration faite en leur nom. La question est donc de savoir quel est l'effet de cette décision du Conseil de sécurité à l'égard des Etats Membres des Nations Unies conformément à l'article 25 de la Charte.

113. On a soutenu que l'article 25 ne s'applique qu'aux mesures coercitives prises en vertu du chapitre VI1 de la Charte. Rien dans la Charte ne vient appuyer cette Idée. L'article 25 ne se limite pas aux décisions concernant des mesures coercitives mais s'applique aux «décisions du Conseil de sécurité » adoptées conformément à la Charte. En outre cet article est placé non pas au chapitre VI1 mais immédiatement après l'article 24, dans la partie de la Charte qui traite des fonctions et pouvoirs du Conseil de sécurité. Si l'article 25 ne visait que les décisions du Conseil de sécurité relatives à des mesures coercitives prises en vertu des articles 41 et 42 de la Charte, autrement dit si seules ces décisions avaient un effet obligatoire, l'article 25 serait superflu car cet effet résulte des articles 48 et 49 de la Charte.

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114. On a soutenu aussi que les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité sont rédigées en des termes qui leur confèrent plutôt le caractère d'une exhortation que celui d'une injonction et qu'en conséquence elles ne prétendent ni imposer une obligation juridique à un Etat quelconque ni toucher sur le plan juridique à l'un quelconque de ses droits. Il faut soigneusement analyser le libellé d'une résolution du Conseil de sécurité avant de pouvoir conclure à son effet obligatoire. Etant donné le caractère des pouvoirs découlant de l'article 25, il convient de déterminer dans chaque cas si ces pouvoirs ont été en fait exercés, compte tenu des termes de la résolution à interpréter, des débats qui ont précédé son adoption, des dispositions de la Charte invoquées et en général de tous les éléments qui pourraient aider à préciser les conséquences juridiques de la résolution du Conseil de sécurité.

119. Les Etats Membres des Nations Unies ont, pour les raisons indiquées au paragraphe 115 ci-dessus, l'obligation de reconnaître l'illégalité et le défaut de validité du maintien de la présence sud-africaine en Namibie. Ils sont aussi tenus de n'accorder à l'Afrique du Sud, pour son occupation de la Namibie, aucune aide ou aucune assistance quelle qu'en soit la forme, sous réserve de ce qui est dit au paragraphe 125 ci-dessous.

133. Par ces motifs,LA COUR est d’avis,[…]que les Etats Membres des Nations Unies ont l'obligation de reconnaître l'illégalité de la présence de l'Afrique du Sud en Namibie et le défaut de validité des mesures prises par elle au nom de la Namibie ou en ce qui la concerne, et de s'abstenir de tous actes et en particulier de toutes relations avec le Gouvernement sud-africain qui impliqueraient la reconnaissance de la légalité de cette présence et de cette administration, ou qui constitueraient une aide ou une assistance à cet égard ;

Sahara OccidentalCIJ

Avis consultatif du 16 octobre 1975

81. En l'espèce, il ressort des éléments fournis à la Cour qu'au moment de la colonisation le Sahara occidental était habité par des populations qui, bien que nomades, étaient socialement et politiquement organisées en tribus et placées sous l'autorité de chefs compétents pour les représenter. Il en ressort aussi que, en colonisant le Sahara occidental, l'Espagne n'a pas agi comme un Etat qui établirait sa souveraineté sur une terra nullius. Dans l'ordonnance royale du 26 décembre 1884, loin de considérer qu'elle occupait une terra nullius, l'Espagne a proclamé que le Roi prenait le Rio de Oro « sous sa protection » sur la base d'accords conclus avec les chefs des tribus locales; l'ordonnance se référait expressément aux « documents que les tribus indépendantes de cette partie de la côte » avaient « signés devant le représentant de la Société espagnole des Africanistes » et annonçait que le Roi avait confirmé « les actes d'adhésion » à l'Espagne. Dans ses négociations avec la France au sujet des limites du territoire espagnol au nord du Rio de Oro, c'est-à-dire dans la région de la Sakiet El Hamra, l'Espagne n'a pas non plus prétendu avoir acquis la souveraineté sur une terra nullius.

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Licéité de la menace ou del’emploi d’armes nucléaires

CIJAvis consultatif du 8 juillet 1996

Avis demandé par l’OMS

25. La Cour a à peine besoin de rappeler que les organisations internationales sont des sujets de droit international qui ne jouissent pas, à l'instar des Etats, de compétences générales. Les organisations internationales sont régies par le «principe de spécialité», c'est-à-dire dotées par les Etats qui les créent de compétences d'attribution dont les limites sont fonction des intérêts communs que ceux-ci leur donnent pour mission de promouvoir. La Cour permanente de Justice internationale s'est référée à ce principe de base dans les termes suivants :

«Comme la Commission européenne n'est pas un Etat, mais une institution internationale pourvue d'un objet spécial, elle n'a que les attributions que lui confère le Statut définitif, pour lui permettre de remplir cet objet; mais elle a compétence pour exercer ces fonctions dans leur plénitude, pour autant que le Statut ne lui impose pas de restrictions.» (Compétence de la Commission européenne du Danube, avis consultatif, 1927, C.P.J.I. série B n° 14, p. 64.)

Les compétences conférées aux organisations internationales font normalement l'objet d'une formulation expresse dans leur acte constitutif. Néanmoins, les exigences de la vie internationale peuvent mettre en lumière la nécessité pour les organisations de disposer, aux fins d'atteindre leurs buts, de compétences subsidiaires non expressément prévues dans les textes fondamentaux qui gouvernent leur activité. Il est généralement admis que les organisations internationales peuvent exercer de tels pouvoirs dits «implicites». S'agissant de l'Organisation des Nations Unies, la Cour s'est à cet égard exprimée comme suit :

«Selon le droit international, l'Organisation doit être considérée comme possédant ces pouvoirs qui, s'ils ne sont pas expressément énoncés dans la Charte, sont, par une conséquence nécessaire, conférés à l'Organisation en tant qu'essentiels à l'exercice des fonctions de celle-ci. Ce principe de droit a été appliqué à l'Organisation internationale du Travail par la Cour permanente de Justice internationale dans son Avis consultatif n° 13, du 23 juillet 1926 (Série B, n° 13, p. 18), et il doit l'être aux Nations Unies.» (Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1949, p. 182-183; cf. Effet de jugements du Tribunal administratif des Nations Unies accordant indemnité, C.I.J. Recueil 1954, p. 57.)

De l'avis de la Cour, reconnaître à l'OMS la compétence de traiter de la licéité de l'utilisation des armes nucléaires - même compte tenu de l'effet de ces armes sur la santé et l'environnement - équivaudrait à ignorer le principe de spécialité; une telle compétence ne saurait en effet être considérée comme nécessairement impliquée par la Constitution de l'Organisation au vu des buts qui ont été assignés à cette dernière par ses Etats membres.

Avis demandé par l’Assemblée Générale de l’ONU

79. C'est sans doute parce qu'un grand nombre de règles du droit humanitaire applicable dans les conflits armés sont si fondamentales pour le respect de la personne humaine et pour des “considérations élémentaires d'humanité”, selon l'expression utilisée par la Cour dans son arrêt du 9 avril 1949 rendu en l'affaire du Détroit de Corfou (C.I.J. Recueil 1949, p. 22), que la convention IV de La Haye et les conventions de Genève ont bénéficié d'une large adhésion des Etats. Ces règles fondamentales s'imposent d'ailleurs à tous les Etats, qu'ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu'elles constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier.

97. En conséquence, au vu de l'état actuel du droit international pris dans son ensemble, tel qu'elle l'a examiné ci-dessus, ainsi que des éléments de fait à sa disposition, la Cour est amenée à constater qu'elle ne saurait conclure de façon définitive à la licéité ou à l'illicéité de l'emploi d'armes nucléaires par un Etat dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle sa survie même serait en cause.

Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé

CIJAvis consultatif du 9 juillet 2004

67. Comme la Cour l'expliquera au paragraphe 82 ci-après, le «mur» en question est un ouvrage complexe, de sorte que ce terme ne peut être entendu dans son sens physique strict. Toutefois, les autres termes utilisés par Israël («clôture ») ou par le Secrétaire général («barrière»), pris dans leur acception physique, ne sont pas plus exacts. De ce fait, dans le présent avis, la Cour a choisi d'user de la terminologie employée par l'Assemblée générale. La Cour relèvera par ailleurs que la requête de l'Assemblée générale a trait aux conséquences juridiques de l'édification du mur «dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est ». Comme la Cour l'expliquera également plus loin (voir paragraphes 79 à 84 ci-après), certaines parties de l'ouvrage sont en cours de construction, ou leur construction est prévue, sur le territoire même d'Israël ; la Cour ne considère pas qu'elle a à examiner les conséquences juridiques de la construction de telles parties du mur.

88. La Cour relèvera également que le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a été consacré dans la Charte des Nations Unies et réaffirmé par la résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale déjà mentionnée, selon laquelle «[t]out Etat a le devoir de s'abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l'autodétermination ... les peuples mentionnés [dans ladite résolution]». L'article 1er commun au acte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et au pacte international relatif aux droits civils et politiques réaffirme le droit de tous les peuples à disposer d'eux-mêmes et fait obligation aux Etats parties de faciliter la réalisation de ce droit et de le respecter, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies. La Cour rappellera qu'en 1971 elle a souligné que l'évolution actuelle du «droit international à l'égard des territoires non autonomes, tel qu'il est consacré par la Charte des Nations Unies, a fait de l'autodétermination un principe applicable à tous ces territoires». La Cour a ajouté que «[d]u fait de cette évolution il n'y a[vait] guère de doute que la “mission sacrée”» visée au paragraphe 1 de l'article 22 du Pacte de la Société des Nations «avait pour objectif ultime l'autodétermination ... des peuples en cause » (Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31, par. 52-53). La Cour s'est référée à ce principe a plusieurs reprises dans sa jurisprudence (ibid. ; voir aussi Sahara occidental, avis consultatif C. I. J. Recueil 1975, p. 68, par. 162). La Cour a même précisé qu'aujourd'hui le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est un droit opposable erga omnes (voir Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C. I. J. Recueil 1995, p. 102, par. 29).

139. Selon l'article 51 de la Charte des Nations Unies: « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. »

L'article 51 de la Charte reconnaît ainsi l'existence d'un droit naturel de légitime défense en cas d'agression armée par un Etat contre un autre Etat. Toutefois, Israël ne prétend pas que les violences dont il est victime soient imputables à un Etat étranger. La Cour note par ailleurs qu'Israël exerce son contrôle sur le territoire palestinien occupé et que, comme Israël l'indique lui-même, la menace qu'il invoque pour justifier la construction du mur trouve son origine à l'intérieur de ce territoire, et non en dehors de celui-ci. Cette situation est donc différente de celle envisagée par les résolutions 1368 (2001) et 1373 (2001) du Conseil de sécurité, et de ce fait Israël ne saurait en tout état de cause invoquer ces résolutions au soutien de sa prétention à exercer un droit de légitime défense. En conséquence, la Cour conclut que l'article 51 de la Charte est sans pertinence au cas particulier.

149. La Cour note qu'Israël est tout d'abord tenu de respecter les obligations internationales auxquelles il a contrevenu par la construction du mur en territoire palestinien occupé (voir paragraphes 114 à 137 ci-dessus). En conséquence, Israël doit observer l'obligation qui lui incombe de respecter le droit à l'autodétermination du peuple palestinien et les obligations auxquelles il est tenu en vertu du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l'homme. Par ailleurs, il doit assurer la liberté d'accès aux Lieux saints

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passés sous son contrôle à la suite du conflit de 1967 (voir paragraphe 129 ci-dessus).

151. Israël a en conséquence l'obligation de cesser immédiatement les travaux d'édification du mur qu'il est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris a l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. Par ailleurs, la Cour ayant indiqué plus haut (voir paragraphe 143 ci-dessus) que les violations par Israël de ses obligations internationales résultaient de l'édification du mur et du régime juridique qui lui est associé, la cessation de ces violations implique le démantèlement immédiat des portions de cet ouvrage situées dans le territoire palestinien occupé, y compris a l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. L'ensemble des actes législatifs et réglementaires adoptés en vue de son édification et de la mise en place du régime qui lui est associé doivent immédiatement être abrogés ou privés d'effet, sauf dans la mesure ou de tels actes, en ayant ouvert droit à indemnisation ou à d'autres formes de réparation au profit de la population palestinienne, demeurent pertinents dans le contexte du respect, par Israël, des obligations visées au paragraphe 153 ci-dessous.

152. Au demeurant, la construction du mur dans le territoire palestinien occupé ayant notamment nécessité la réquisition et la destruction d'habitations, de commerces ainsi que d'exploitations agricoles, la Cour constate aussi qu'Israël a l'obligation de réparer tous les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales concernées. La Cour rappellera que les modalités essentielles de la réparation en droit coutumier ont été formulées comme suit par la Cour permanente de Justice internationale :

«Le principe essentiel, qui découle de la notion même d'acte illicite et qui semble se dégager de la pratique internationale, notamment de la jurisprudence des tribunaux arbitraux, est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis. Restitution en nature, ou, si elle n'est pas possible, paiement d'une somme correspondant à la valeur qu'aurait la restitution en nature; allocation, s'il y a lieu, de dommages-intérêts pour les pertes subies et qui ne seraient pas couvertes par la restitution en nature ou le paiement qui en prend la place; tels sont les principes desquels doit s'inspirer la détermination du montant de l ' indemnité due à cause d 'un fai t contraire au droit international.» (Usine de Chorzów, fond, arrêt n° 13, 1928, C. P. J. I. .série A n° 17, p. 47.)

153. Israël est en conséquence tenu de restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis i toute personne physique ou morale en vue de l'édification du mur dans le territoire palestinien occupé. Au cas ou une telle restitution s'avérerait matériellement impossible, Israël serait tenu de procéder à l'indemnisation des personnes en question pour le préjudice subi par elles. De l'avis de la Cour, Israël est également tenu d'indemniser, conformément aux règles du droit international applicables en la matière, toutes les personnes physiques ou morales qui auraient subi un préjudice matériel quelconque du fait de la construction de ce mur.

156. S'agissant de la première de ces obligations, la Cour a déjà rappelé (voir paragraphe 88 ci-dessus) que, dans l'affaire du Timor oriental, elle avait estimé qu'il n'y avait « rien à redire » à l'affirmation selon laquelle « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, tel qu'il s'est développé à partir de la Charte et de la pratique de l'organisation des Nations Unies, est un droit opposable erga omnes » (C. I. J. Recueil 1995, p. 102, par. 29). La Cour relèvera également qu'aux termes de la résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale, a laquelle il a déjà été fait référence (voir paragraphe 88 ci-dessus),

« [t]out Etat a le devoir de favoriser, conjointement avec d'autres Etats ou séparément, la réalisation du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte, et d'aider l'Organisation des Nations Unies à s'acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui concerne l'application de ce principe...»

159. Vu la nature et l'importance des droits et obligations en cause, la Cour est d'avis que tous les Etats sont dans l'obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. Ils sont également dans l'obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction. Il appartient par ailleurs à tous les Etats de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu'il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à

l'exercice par le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination. En outre, tous les Etats parties à la convention de Genève relative a la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, ont l'obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette convention.

163. Par ces motifs,LA COUR,[…]3) Répond de la manière suivante a la question posée par l'Assemblée générale : […]B. Par quatorze voix contre une, Israël est dans l'obligation de mettre un terme aux violations du droit international dont il est l'auteur; il est tenu de cesser immédiatement les travaux d'édification du mur qu'il est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, de démanteler immédiatement l'ouvrage situé dans ce territoire et d'abroger immédiatement ou de priver immédiatement d'effet l'ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s'y rapportent, conformément au paragraphe 15 1 du présent avis;[…]D. Par treize voix contre deux, Tous les Etats sont dans l'obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction; tous les Etats parties à la quatrième convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, ont en outre l'obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette convention;

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Affaire relative à des questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971

résultant de l’incident aérien de Lockerbie(Libye c. États-Unis d’Amérique)

CIJOrdonnance du 14 avril 1992

42. Considérant que la Libye et les Etats-Unis, en tant que Membres de l'organisation des Nations Unies, sont dans l'obligation d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à l'article 25 de la Charte; que la Cour, qui, à ce stade de la procédure, en est à l'examen d'une demande en indication de mesures conservatoires, estime que prima facie cette obligation s'étend à la décision contenue dans la résolution 748 (1992); et que, conformément à l'article 103 de la Charte, les obligations des Parties à cet égard prévalent sur leurs obligations en vertu de tout autre accord international, y compris la convention de Montréal;

43. Considérant que si, à ce stade, la Cour n'a donc pas à se prononcer définitivement sur l'effet juridique de la résolution 748 (1992) du Conseil de sécurité, elle estime cependant que, quelle qu’ait été la situation avant l'adoption de cette résolution, les droits que la Libye dit tenir de la convention de Montréal ne peuvent à présent être considérés comme des droits qu'il conviendrait de protéger par l'indication de mesures conservatoires;

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Rhin de Fer(Belgique c. Pays-Bas)

CPASentence du 24 mai 2005

58. Il convient de rappeler que l’Article 31, paragraphe 3, alinéa (c) de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités renvoie à « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ». Pour cette raison, ainsi que pour des raisons relatives à sa propre juridiction, le Tribunal a examiné toutes les dispositions du droit communautaire qui pourraient être considérées comme éventuellement pertinentes en l’espèce (voir Chapitre III ci-après). Les dispositions du droit international général sont également applicables aux relations entre les Parties et par conséquent, doivent être prises en compte aux fins de l’interprétation de l’Article XII du Traité de Séparation de 1839 et de l’Article IV du Traité du Rhin de fer. En outre, le droit international de l’environnement est applicable aux relations entre les Parties. Des discussions considérables ont eu lieu en ce qui concerne ce qui, en matière de droit de l’environnement, constitue des « règles » ou des « principes », ce qui relève du droit non contraignant (« soft law »), et quel droit conventionnel ou principes en matière d’environnement a contribué au développement du droit international coutumier. Sans entrer plus avant dans ces controverses, le Tribunal remarque que dans toutes ces catégories, le terme « environnement » englobe l’air, l’eau, la terre, la faune et la flore, les écosystèmes et les sites naturels, la santé et la sécurité humaine, ainsi que le climat. Les principes qui en résultent, quel que soit leur statut actuel, font référence à la préservation, à la gestion, aux notions de prévention et de développement durable et à la protection des générations futures.

Cour Permanente d’Arbitrage

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Affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine(Grèce c. Royaume-Uni)

CPJIArrêt du 30 août 1924

Dans l’affaire des concessions Mavrommatis, il est vrai que le différend a d’abord été celui d’un particulier et d’un État, celui de Mavrommatis et de la Grande-Bretagne; puis, le Gouvernement a pris l’affaire en mains; le différend est alors entré dans une phase nouvelle: il s’est porté sur le terrain international; il a mis en présence deux États; dès lors, la possibilité existe qu’il relève désormais de la compétence de la Cour permanente de Justice internationale.[…]

C’est un principe élémentaire du droit international que celui qui autorise l’État à protéger ses nationaux lésés par des actes contraires au droit international commis par un autre État, dont ils n’ont pu obtenir satisfaction par les voies ordinaires. En prenant fait et cause pour l’un des siens, en mettant en mouvement, en sa faveur, l’action diplomatique ou l’action judiciaire internationale, cet État fait, à vrai dire, valoir son droit propre, le droit qu’il a de faire respecter en la personne de ses ressortissants, le droit international.

Il n’y a donc pas lieu, à ce point de vue, de se demander si, à l’origine du litige, on trouve une atteinte à un intérêt privé, ce qui d’ailleurs arrive dans un grand nombre de différends entre États.Du moment qu’un État prend fait et cause pour un de ses nationaux devant une juridiction internationale, cette juridiction ne connaît comme plaideur que le seul État. La Grande-Bretagne et la Grève sont un face l’une de l’autre dans le différend auquel ont donné lieu les concessions Mavrommatis; cela suffit; c’est un différend entre deux États, au sens de l’article 26 du Mandat pour la Palestine.

Affaire relative à l’usine de Chorzow(Allemagne c. Pologne)

CPJIArrêt du 13 septembre 1928

Il s’ensuit que l’indemnité due au Gouvernement allemand n’est pas nécessairement limitée à la valeur qu’avait l’entreprise au moment de la dépossession, plus les intérêts jusqu’au jour de paiement. Cette limitation ne serait admissible que si le Gouvernement polonais avait eu le droit d’exproprier et que si son tort se réduisait à n’avoir pas payé aux deux Sociétés le juste prix des choses expropriées; dans le cas actuel, elle pourrait aboutir à placer l’Allemagne et les intérêts protégés par la Convention de Genève, et pour lesquels le Gouvernement allemand a pris fait et cause, dans une situation plus défavorable que celle dans laquelle l’Allemagne et ces intérêts se trouveraient si la Pologne avait respecté ladite Convention.Une pareille conséquence serait non seulement inique, mais aussi et avant tout incompatible avec le but visé par les articles 6 et suivants de la Convention, voire la défense, en principe, de liquider des biens, droits et intérêts des ressortissants allemands et des sociétés contrôlées par des ressortissants allemands en Haute-Silésie, car elle équivaudrait à identifier la liquidation licite et la dépossession illicite en ce qui concerne leurs effets financiers.

Le principe essentiel, qui découle de la notion même d’acte illicite et qui semble se dégager de la pratique internationale, notamment de la jurisprudence des tribunaux arbitraux, est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis.Restitution en nature, ou, si elle n’est pas possible, paiement d’une somme correspondant à la valeur qu’aurait la restitution en nature; allocation, s’il y a lieu, de dommages-intérêts pour les pertes subies et qui ne seraient pas couvertes par la restitution en nature ou le paiement qui en prend la place; tels sont les principes desquels doit s’inspirer la détermination du montant de l’indemnité due à cause d’un fait contraire au droit international.

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Compétence de l’OIT pour réglementer accessoirement le travail personnel du patron

CPJIAvis consultatif du 23 juillet 1926

L’examen des dispositions du Traité montre que l’intention bien nette des Hautes Parties contractantes était de conférer à l’Organisation internationale du Travail des pouvoirs très étendus pour collaborer avec elles au sujet des mesures à prendre en vue d’assurer un régime de travail humain et la protection des travailleurs salariés. On ne saurait concevoir que leur but eût été d’empêcher l’Organisation internationale du Travail d’élaborer et de proposer des mesures essentielles à la réalisation de cette fin. L’Organisation, cependant, s’en trouverait empêchée si elle n’avait pas compétence pour proposer, afin de protéger les travailleurs salariés, une réglementation qui, pour atteindre son but, devrait nécessairement s’applique dans une certaine mesure au travail des patrons.Pareille limitation des pouvoirs de l’Organisation internationale du Travail, nettement inconciliable d’ailleurs avec l’objet et la portée de la Partie XIII, aurait dû, si elle avait été envisagée, trouver son expression dans le Traité lui-même. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que ce dernier ne contienne pas de disposition conférant expressément compétence à l’Organisation dans un cas aussi particulier que celui dont il est question dans la Requête.

Non seulement l’économie tout entière de la Partie XIII autorise à conclure que l’Organisation internationale du Travail n’est pas privée du droit de proposer des mesures tendant à la protection des salariés, parce que ces mesures pourraient accessoirement réglementer le travail personnel de l’employeur, mais encore on trouve dans le Traité des dispositions spéciales dans l’application desquelles, selon le sens qui leur est généralement attribué, on peut supposer que la réglementation accessoire du travail personnel du patron se trouve virtuellement impliquée. On en trouve un exemple dans la réglementation des heures de travail (Partie XIII, préambule) et dans l’adoption d’un repos hebdomadaire d’au moins vingt-quatre heures qui comprendra le dimanche toutes les fois que ce sera possible (article 427, principe 5).

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Opel Austria GmbH contre Conseil de l'Union européenne

TPICE (quatrième chambre)Arrêt du 22 janvier 1997 (T-115/94)

91. Ce principe a été codifié par l'article 18 de la convention de Vienne I, qui stipule: «Un État doit s'abstenir d'actes qui priveraient un traité de son objet et de son but: a) lorsqu'il a signé le traité ou a échangé les instruments constituant le

traité sous réserve de ratification, d'acceptation ou d'approbation, tant qu'il n'a pas manifesté son intention de ne pas devenir partie au traité; ou

b) lorsqu'il a exprimé son consentement à être lié par le traité, dans la période qui précède l'entrée en vigueur du traité et à condition que celle-ci ne soit pas indûment retardée.»

92. En l'espèce, le règlement litigieux a été adopté par le Conseil le 20 décembre 1993, soit sept jours après que les Communautés, comme dernières parties contractantes, eurent approuvé l'accord EEE et déposé leurs instruments d'approbation (voir ci-dessus point 23). Dans ces conditions, dès le 13 décembre 1993 la date d'entrée en vigueur de l'accord EEE était connue des Communautés. Il ressort en effet de l'article 129, paragraphe 3, de l'accord EEE, tel que remplacé par l'article 6 du protocole d'adaptation, et des articles 1er, paragraphe 1, et 22, paragraphe 3, du protocole d'adaptation que cet accord devait entrer en vigueur le premier jour du mois suivant la dernière notification d'approbation ou de ratification.

93 Il y a lieu d'observer ensuite que le principe de bonne foi est le corollaire, dans le droit international public, du principe de protection de la confiance légitime qui, selon la jurisprudence, fait partie de l'ordre juridique communautaire (voir arrêt de la Cour du 3 mai 1978, Toepfer/Commission, 112/77, Rec. p. 1019, point 19). Le droit de se prévaloir du principe de confiance légitime est ouvert à tout opérateur économique dans le chef duquel une institution a fait naître des espérances fondées (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 13 juillet 1995, O'Dwyer e.a./Conseil, T-466/93, T-469/93, T-473/93, T-474/93, et T-477/93, Rec. p. II-2071, point 48).

94 Dans une situation où les Communautés ont déposé leurs instruments d'approbation d'un accord international et où la date d'entrée en vigueur de cet accord est connue, les opérateurs économiques peuvent se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime pour s'opposer à l'adoption par les institutions, dans la période qui précède l'entrée en vigueur de cet accord international, de tout acte contraire aux dispositions de celui-ci qui, après son entrée en vigueur, produisent un effet direct dans leur chef.

Ahmed Ali Yusuf et Al Barakaat International Foundation contre Conseil de l’Union européenne et

Commission des Communautés européennesTPICE (deuxième chambre élargie)

Arrêt du 21 septembre 2005 (T-306/01)

272. Au regard des considérations énoncées aux points 243 à 254 ci-dessus, l’affirmation d’une compétence du Tribunal pour contrôler de manière incidente la légalité d’une telle décision à l’aune du standard de protection des droits fondamentaux tels qu’ils sont reconnus dans l’ordre juridique communautaire ne saurait dès lors se justifier ni sur la base du droit international ni sur la base du droit communautaire.

273. D’une part, une telle compétence serait incompatible avec les engagements des États membres au titre de la charte des Nations unies, en particulier ses articles 25, 48 et 103, de même qu’avec l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités.

274. D’autre part, une telle compétence serait contraire tant aux dispositions du traité CE, en particulier aux articles 5 CE, 10 CE, 297 CE et à l’article 307, premier alinéa, CE, qu’à celles du traité UE, en particulier à l’article 5 UE, aux termes duquel le juge communautaire exerce ses attributions dans les conditions et aux fins prévues par les dispositions des traités CE et UE. Elle serait, de surcroît, incompatible avec le principe selon lequel les compétences de la Communauté, et, partant, celles du Tribunal, doivent être exercées dans le respect du droit international (arrêts Poulsen et Diva Navigation, point 210 supra, point 9, et Racke, point 210 supra, point 45).

275. Il convient d’ajouter que, eu égard notamment à l’article 307 CE et à l’article 103 de la charte des Nations unies, l’invocation d’atteintes portées soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire, soit aux principes de cet ordre juridique ne saurait affecter la validité d’une résolution du Conseil de sécurité ou son effet sur le territoire de la Communauté (voir, par analogie, arrêts de la Cour Internationale Handelsgesellschaft, point 190 supra, point 3 ; du 8 octobre 1986, Keller, 234/85, Rec. p. 2897, point 7, et du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, Rec. p. 3165, point 38).

276. Force est donc de considérer que les résolutions en cause du Conseil de sécurité échappent en principe au contrôle juridictionnel du Tribunal et que celui-ci n’est pas autorisé à remettre en cause, fût-ce de manière incidente, leur légalité au regard du droit communautaire. Au contraire, le Tribunal est tenu, dans toute la mesure du possible, d’interpréter et d’appliquer ce droit d’une manière qui soit compatible avec les obligations des États membres au titre de la charte des Nations unies.

277. Le Tribunal est néanmoins habilité à contrôler, de manière incidente, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité au regard du jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger.

278. Il convient de relever, à cet égard, que la convention de Vienne sur le droit des traités, qui codifie le droit international coutumier (et dont l’article 5 dispose qu’elle s’applique « à tout traité qui est l’acte constitutif d’une organisation internationale et à tout traité adopté au sein d’une organisation internationale »), prévoit, en son article 53, la nullité des traités en conflit avec une norme impérative du droit international général (jus cogens), définie comme « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ». De même, l’article 64 de la convention de Vienne dispose que, « si une nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin ».

279. Au demeurant, la charte des Nations unies elle-même présuppose l’existence de principes impératifs de droit international et, notamment, la protection des droits fondamentaux de la personne humaine. Dans le préambule de la charte, les peuples des Nations unies se sont ainsi déclarés résolus à « proclamer [... leur] foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine ». Il ressort en outre du chapitre premier de la charte, intitulé « Buts et principes », que les Nations unies ont notamment pour but

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d’encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

280. Ces principes s’imposent tant aux membres de l’ONU qu’à ses organes. Ainsi, aux termes de l’article 24, paragraphe 2, de la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité doit, dans l’accomplissement des devoirs que lui impose la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, agir « conformément aux buts et principes des Nations Unies ». Les pouvoirs de sanction que possède le Conseil de sécurité dans l’exercice de cette responsabilité doivent donc être utilisés dans le respect du droit international et, en particulier, des buts et principes des Nations unies.

281. Le droit international permet ainsi de considérer qu’il existe une limite au principe de l’effet obligatoire des résolutions du Conseil de sécurité : elles doivent respecter les dispositions péremptoires fondamentales du jus cogens. Dans le cas contraire, aussi improbable soit-il, elles ne lieraient pas les États membres de l’ONU ni, dès lors, la Communauté.

282. Le contrôle juridictionnel incident exercé par le Tribunal, dans le cadre d’un recours en annulation d’un acte communautaire adopté, sans exercice d’une quelconque marge d’appréciation, en vue de mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité, peut donc s’étendre, le cas échéant, à la vérification du respect des règles supérieures du droit international relevant du jus cogens et, notamment, des normes impératives visant à la protection universelle des droits de l’homme, auxquelles ni les États membres ni les instances de l’ONU ne peuvent déroger parce qu’elles constituent des « principes intransgressibles du droit international coutumier » (avis consultatif de la Cour internationale de justice du 8 juillet 1996, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Rec. 1996, p. 226, point 79 ; voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt Bosphorus, point 239 supra, point 65).

283. C’est à la lumière de ces considérations générales qu’il convient d’examiner le moyen tiré de la violation des droits fondamentaux des requérants.

Tribunal de première instance des Communautés Européennes

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Tadi!IT-94-1-A

TPIY (Chambre d’Appel)Arrêt du 2 octobre 1995

1. Le Tribunal international est-il compétent ?

14. La Chambre de première instance déclare dans sa décision :"C'est une chose pour le Conseil de sécurité de prendre soin de s'assurer de la création d'une structure appropriée pour la conduite de procès équitables ; c'en est une autre de déduire, sous quelque angle qu'on se place, de cet établissement attentif, que l'intention était d'habiliter le Tribunal international à contester la légalité de la législation qui l'a créé. La compétence du Tribunal international est précise et étroitement définie ; ainsi que le prévoit l'article premier de son Statut, il est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire, sous réserve de limites spatiales et temporelles, et cela conformément audit Statut. C'est là toute l'étendue de la compétence du Tribunal international" (Décision de la Chambre de première instance, par. 8).

Une réserve doit être apportée à la première et la dernière phrases de cette citation. La première phrase suppose une approche subjective, estimant que la compétence ne peut être déterminée exclusivement qu'en se référant aux intentions du Conseil de sécurité ou par déduction de ces intentions, ignorant ainsi totalement tout pouvoir résiduel qui pourrait provenir des conditions de la "fonction judiciaire" proprement dite. C'est également la réserve qu'il convient d'apporter à la dernière phrase.De fait, la compétence du Tribunal international, qui est définie dans la phrase du milieu et décrite dans la dernière phrase comme "toute l'étendue de la compétence du Tribunal international", ne l'est pas en réalité. Elle est ce qu'on qualifie en droit international de compétence "originelle" ou "principale" et parfois "au fond". Mais elle ne comprend pas la compétence "incidente" ou "implicite", qui découle automatiquement de l'exercice de la fonction judiciaire.

15. Supposer que la compétence du Tribunal international se limite strictement aux "intentions" du Conseil de sécurité le concernant revient à le considérer uniquement comme un "organe subsidiaire" du Conseil de sécurité (voir Charte des Nations Unies, art. 7 2) et 29, une "création" entièrement façonnée dans le plus infime détail par son "créateur" et demeurant totalement en son pouvoir et à sa merci. Mais le Conseil de sécurité n'a pas seulement décidé de créer un organe subsidiaire (le seul moyen juridique à sa disposition pour créer un tel organe), il avait aussi clairement l'intention de créer un type spécial d'“organe subsidiaire” : un tribunal.

16. En traitant une affaire identique dans son avis consultatif Effets de jugements du Tribunal administratif des Nations Unies accordant des indemnités, la Cour internationale de Justice a déclaré :

"Il a été soutenu en troisième lieu que le tribunal administratif est un organe subsidiaire, subordonné ou secondaire, et que, par conséquent, ses jugements ne sauraient lier l'Assemblée générale qui l'a créé.(...)La question ne peut être résolue en prenant pour base l'étude des rapports entre l'Assemblée générale et le tribunal, c'est-à-dire en déterminant si le tribunal doit être considéré comme un organe subsidiaire, subordonné ou secondaire, ou bien en relevant qu'il a été créé par l'Assemblée générale. La solution dépend de l'intention de l'Assemblée générale quand elle a créé le tribunal et de la nature des fonctions que lui confère son statut. L'examen des termes du statut du tribunal administratif a démontré que l'Assemblée générale a voulu créer un corps judiciaire". (Effets de jugements du Tribunal administratif des Nations Unies accordant des indemnités, C.I.J. Recueil 1954, p. 47, 60-61, avis consultatif du 13 juillet ("Effets de jugements").)

17. La Cour avait, antérieurement, déduit la nature judiciaire du Tribunal administratif des Nations Unies ("TANU") de l'emploi d'une certaine terminologie et d'un certain langage dans le Statut ainsi que de certains de ses attributs. Parmi ces attributs de la fonction judiciaire, le pouvoir conféré par l'article 2, paragraphe 3 du Statut du TANU figure de façon éminente :

"En cas de contestation sur le point de savoir si le Tribunal est compétent, le Tribunal décide" (id., p. 51-52, citant le Statut du Tribunal administratif des Nations Unies, art. 2, par. 3).

18. Ce pouvoir, appelé principe de "Kompetenz-Kompetenz" en allemand ou "la compétence de la compétence" en français, est un élément et, de fait, un élément majeur de la compétence incidente ou implicite de tout tribunal judiciaire ou arbitral et consiste en sa "compétence de déterminer sa propre compétence". Ce principe est un élément constitutif nécessaire dans l'exercice de la fonction judiciaire et il est inutile qu'il soit expressément prévu dans les documents constitutifs de ces tribunaux, bien qu'il le soit souvent (voir, par exemple, Statut de la Cour internationale de Justice, art. 36, par. 6). Mais, pour reprendre les termes de la Cour internationale de Justice :

"Ce principe, que le droit international général admet en matière d'arbitrage, prend une force particulière quand le juge international n'est plus un tribunal arbitral (...) mais une institution préétablie par un acte international qui en définit la compétence et en règle le fonctionnement" (affaire Nottebohm (Liechtenstein c/ Guatemala), exception préliminaire, C.I.J. Recueil 1953, p. 7, 119, (21 mars)).

Ce n'est pas simplement un pouvoir entre les mains du tribunal. En droit international, où il n'existe pas de système judiciaire intégré et où chaque organe judiciaire ou arbitral a besoin d'un acte constitutif spécifique définissant sa compétence, "la première obligation de la Cour - comme de tout autre organe judiciaire - est de déterminer sa propre compétence" (Juge Cordova, opinion dissidente, avis consultatif sur les jugements du Tribunal administratif de l'OIT à l'occasion de plaintes déposées contre l'UNESCO, C.I.J. Recueil 1956, p. 77, 163, avis consultatif du 23 octobre).

19. Il est vrai que ce pouvoir peut être limité par une disposition expresse de l'accord d'arbitrage ou des actes constitutifs des tribunaux permanents, bien que cette dernière possibilité soit controversée, en particulier lorsque les limites risquent de nuire au caractère judiciaire ou à l'indépendance du Tribunal. Mais il est absolument clair qu'une telle limite, dans la mesure où elle est recevable, ne peut pas être déduite sans une disposition expresse autorisant la dérogation ou la restriction de ce principe bien établi du droit international général.Aucun texte limitatif de ce genre ne figure dans le Statut du Tribunal international et, par conséquent, celui-ci peut et, en fait, doit exercer sa "compétence de la compétence" et examiner l 'exception d'incompétence de la Défense dans le but de déterminer sa compétence à être saisi de l'affaire au fond.

20. Le Procureur a soutenu et la Chambre de première instance a maintenu que :

"Le présent Tribunal international n'est pas une juridiction constitutionnelle établie pour examiner les actions des organes des Nations Unies, il est, au contraire, un tribunal pénal doté de pouvoirs clairement définis, comportant une compétence pénale très spécifique et limitée. S'il entend confiner ses décisions à ces limites spécifiques, il n'aura aucune compétence pour examiner la légalité de sa création par le Conseil de sécurité" (Décision de la Chambre de première instance, par. 5 ; voir également par. 7, 8, 9, 17 et 24).

Il n'est pas question, bien sûr, que le Tribunal international fasse fonction de tribunal constitutionnel, réexaminant les actions des autres organes des Nations Unies, en particulier celles du Conseil de sécurité, son propre "créateur". Il n'a pas été créé à cette fin, ainsi qu'il ressort clairement de la définition du domaine de sa compétence "principale" ou "au fond" définie dans les articles 1 à 5 de son Statut.Mais là n'est pas la question. La question dont est saisie la Chambre d'appel est de savoir si le Tribunal international, en exerçant cette compétence "subsidiaire", peut examiner la légalité de sa création par le Conseil de sécurité aux seules fins de déterminer sa propre compétence "principale" quant à l'affaire dont il est saisi.

21. La Chambre de première instance a cherché à étayer sa position en s'appuyant sur certaines remarques de la Cour internationale de Justice ou de ses juges individuels (voir Décision de la Chambre de première instance, par. 10-13) aux termes desquels :

"Il est évident que la Cour n'a pas de pouvoirs de contrôle judiciaire ni d'appel en ce qui concerne les décisions prises par les organes des Nations Unies dont il s'agit". (Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, C.I.J. Recueil 1971, p. 16, par. 89, avis consultatif du 21 juin) ("Avis consultatif sur la Namibie").

Cependant, toutes ces remarques visent l'hypothèse où la Cour exerce ce contrôle judiciaire comme compétence "principale". Elles ne concernent pas du tout l'hypothèse d'un examen de la légalité des décisions d'autres organes en tant que compétence "subsidiaire", dans le but de définir et de pouvoir exercer leur compétence "principale" à l'égard de l'affaire dont ils sont saisis. En fait, dans l'avis consultatif sur la Namibie, immédiatement après la remarque précitée et reprise par la

Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

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Chambre de première instance (concernant sa compétence "principale"), la Cour internationale de Justice exerce la même compétence "subsidiaire" que l'on analyse ici :

"La question de la légalité ou de la conformité avec la Charte de la résolution 2145 (XXI) de l'Assemblée générale ou des résolutions connexes du Conseil de sécurité ne sont pas l'objet de la demande d'avis consultatif. Cependant, dans l'exercice de sa fonction judiciaire et du fait que des objections ont été soulevées, la Cour examinera ces objections dans le cadre de l'exposé de ses motifs avant de décider des conséquences juridiques desdites résolutions" (id., par. 89).

La Cour internationale de Justice a procédé au même type d'examen, notamment dans son avis consultatif "Effets de jugements" :

"La légalité du pouvoir de l'Assemblée générale de créer un tribunal compétent pour rendre des jugements liant les Nations Unies a été contestée. En conséquence, il convient d'examiner si la Charte a conféré ce pouvoir à l'Assemblée générale" (Effets de jugements, p. 56).

De toute évidence, plus le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité dans le cadre de la Charte des Nations Unies est large et plus le pouvoir du Tribunal international de réexaminer ses actions est étroit, même au plan de la compétence subsidiaire. Cela ne signifie pas, néanmoins, que ce pouvoir disparaît complètement, en particulier dans les affaires où l'on peut observer une contradiction manifeste avec les Principes et les Buts de la Charte.

22. La Chambre d'appel conclut, par conséquent, que le Tribunal international est compétent pour examiner l'exception d'incompétence le concernant fondée sur l'illégalité de sa création par le Conseil de sécurité.

Tadi!IT-94-1-A

TPIY (Chambre d’Appel)Arrêt du 15 juillet 1999

145. L’examen qui précède nous mène raisonnablement à la conclusion suivante. En l’espèce qui nous intéresse, les forces armées des Serbes de Bosnie étaient constituées en “organisation militaire” ; le droit international exige donc, pour qualifier le conflit armé d’international, que la RFY ait exercé sur ces forces un contrôle global allant au-delà de leur simple financement et équipement et impliquant également une participation à la planification et à la supervision de leurs opérations militaires. Par contre, le droit international ne requiert pas que ce contrôle s’étende à l’émission d’ordres ou d’instructions spécifiques concernant des actions militaires précises, que ces dernières aient été ou non contraires au droit international humanitaire .

Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

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Irak c. DumezCiv. Bruxelles27 février 1995J.T., 1995, p. 565

Sommaire:

1. Il n'existe pas d'obstacle de principe à ce que effet direct soit reconnu aux résolutions du Conseil de sécurité qui privent un Etat de la qualité d'Etat souverain et par voie de conséquence de toute immunité d'exécution.Encore faut-il prendre l'exacte mesure des résolutions en question et ne pas leur donner une portée extensive qu'elles n'ont pas.

2. En droit belge, les personnes de droit public ne jouissent plus d'une insaisissabilité absolue et automatique depuis la loi du 30 juin 1994.En droit international, ce principe n'a pas non plus de portée absolue. Pour que l'immunité joue, il faut que les fonds déposés entre les mains d'un tiers saisi soient affectés en tout ou en partie à des activités de souveraineté, l'Etat concerné ayant la charge de la preuve.

Zaïre c. d’HoopCiv. Bruxelles9 mars 1995

J.T., 1995, p. 567

Sommaire

I. - L'autorité de chose jugée interdit au juge des saisies de remettre en cause la levée de l'immunité de juridiction d'un Etat étranger prononcée au fond.

II. - Seuls les biens d'un Etat étranger affectés à des activités de souveraineté bénéficient de l'immunité d'exécution.Conformément à l'article 870 du Code judiciaire, la charge de la preuve de cette affectation incombe à l'Etat étranger agissant en mainlevée d'une saisie-arrêt-exécution.

III. - Le juge puise dans la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques le pouvoir de vérifier si elle n'est pas détournée de ses fins pour couvrir des dépôts étrangers aux activités de la représentations diplomatique.

Tribunaux & Cours belges

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Zaïre c. d’HoopBruxelles

8 octobre 1996J.T., 1997, p. 100

Sommaire

Utiliser la force publique contre un Etat étranger serait contraire aux droits des gens, à la souveraineté et l'indépendance des Etats ainsi qu'à la reconnaissance de cet Etat étranger par la Belgique.

Indépendamment de la différence faite en considération des biens du point de vue de leur affectation, soit qu'ils servent à l'accomplissement des fonctions inhérentes à la souveraineté, soit qu'ils sont détenus à titre purement privé, une exécution représente un acte de coercition et est, comme tel, en temps de paix, inadmissible contre un Etat étranger car elle est propre à blesser des susceptibilités et à porter préjudice aux rapports internationaux en y engendrant des frictions.

Texte

Attendu que l'action originaire mue par l'appelante avait pour objet d'entendre prononcer la mainlevée de la saisie-arrêt exécution pratiquée le 18 avril 1994 à sa charge pour sûreté d'une créance d'un montant fixé à la somme de 997.606 francs en principal, en exécution d'un jugement prononcé par le juge de paix du canton de Nivelles en date du 24 mars 1993, entre les mains des troisième et quatrième intimées, saisie dénoncée le 22 avril 1994, et la condamnation des intimés sub 1 et 2 au payement de la somme 50.000 francs, à titre de dommages-intérêts et des dépens;(…)Attendu qu'en page 6 de ses conclusions, l'appelante invoque le principe de l'immunité d'exécution dont jouissent les Etats étrangers;

Attendu que par jugement prononcé par le juge de paix du canton de Nivelles en date du 24 mars 1993 l'appelante fut condamnée à des paiements de sommes;

Que la nature de ceux-ci est sans incidence sur la valeur du titre exécutoire que les premier et deuxième intimés entendent mettre à exécution à charge de l'appelante;

Attendu que le principe de l'immunité d'exécution est basée sur la nécessité d'assurer des relations pacifiques entre les Etats;

Que la soumission des Etats étrangers aux voies d'exécution et même à de simples mesures conservatoires menacerait de compromettre ces relations (Bela Vitanyi, L'immunité des navires d'Etat, NTIR., 1963, pp. 58 - 59);

Que l'exécution, lorsqu'il y a lieu d'y procéder, entraîne l'emploi de la force publique pour la contrainte du débiteur;

Qu'utiliser la force publique contre un Etat étranger serait contraire aux droits des gens, à la souveraineté et l'indépendance des Etats, ainsi qu'à la reconnaissance de cet Etat étranger par la Belgique;

Qu'indépendamment de la différence faite en considération des biens du point de vue de leur affectation, soit qu'ils servent à l'accomplissement des fonctions inhérentes à la souveraineté, soit qu'ils sont détenus à titre purement privé, une exécution représente un acte de coercition et est comme tel, en temps de paix, inadmissible contre un Etat étranger, car elle est propre à blesser des susceptibilités et à porter préjudice aux rapports internationaux en y engendrant des frictions;

Attendu que, du reste, s'il était considéré que l'Etat étranger doit jouir de l'immunité dans la même mesure que l'Etat belge en bénéficie en pareille hypothèse, il ressort de l'article 1412 bis du Code judiciaire, que ne sont pas saisissables, les biens de l'Etat qui sont manifestement utiles pour l'exercice de sa mission ou pour la continuité du service public;

Attendu que les fonds saisis-arrêtés sont manifestement utiles pour l'exercice de la souveraineté de l'appelante en raison du fait que la saisie-arrêt opère une indisponibilité totale des avoirs saisis entre les mains des tiers saisis;

Que le principe de cette indisponibilité totale est unanimement admis (G. de Leval, Traité des saisies, règles générales, Faculté de droit de

Liège, 1988, n° 197, p. 370, in fine; Broeckx, K. en Dirix, E., Beslag, APR., 1992, n° 687);

Attendu qu'il ne se conçoit pas qu'un Etat étranger, tel que l'appelante, puisse se passer de ses avoirs bancaires, lesquels sont nécessaires à l'exercice de sa souveraineté et à la continuité des services publics qui en sont le corollaire;

Qu'il est manifeste que cette souveraineté est mise en brèche par un blocage immédiat et total de ses comptes bancaires, comme les premier et deuxième intimés le demandèrent dans l'exploit de saisie, lequel précise "que la partie requérante s'oppose formellement par les présentes à ce que la partie signifiée se dessaisisse ou se libère de toutes sommes, deniers, valeurs ou objets généralement quelconques, qu'elle a ou aura, doit ou devra, revenant ou appartenant à la République Populaire de Zaïre";

Attendu qu'il n'est pas établi que l'appelante ait renoncé à l'application de l'immunité d'exécution;

Qu'en vertu des mêmes principes, l'Etat étranger ne saurait être contraint à apporter la preuve de la nature des fonds saisis-arrêtés;

Attendu qu'il convient d'ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt querellée;

Tribunaux & Cours belges

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Leica A.G. c. Central bank of Irakand Republic of Iraq

Bruxelles15 février 2000J.T., 2001, p. 6

Sommaire

La résolution 687 (1991) du Conseil de sécurité des Nations unies du 3 avril 1991 n'a pas modifié les règles habituelles relatives à l'immunité d'exécution de l'Etat irakien pour toutes ses dettes étrangères à la guerre du Golf.

L'immunité d'exécution d'un Etat n'empêche pas qu'une reconnaissance de dette de cet Etat puisse donner lieu à exécution immédiate s'il ne s'exécute pas volontairement ou refuse d'exécuter un jugement exécutoire par provision rendu à sa charge.

Hors des règles d'immunité diplomatique, l'immunité de l'Etat ne joue que si le bien saisi appartient au domaine public de cet Etat et n'a donc pas reçu une destination privée.

De l'article 25 du traité de Vienne du 18 avril 1961 relatif aux relations diplomatiques entre États, résulte que les comptes des ambassades dans les pays d'accueil sont couverts par immunité.

S'il est vrai que ce traité ne vise pas expressément les comptes et crédits bancaires comme il vise les terrains, bâtiments et mobiliers, il précise que l'Etat d'accueil doit accorder à la mission diplomatique étrangères toutes facilités nécessaires à l'exercice de sa mission. Les comptes et crédits bancaires ouverts à cette fin ne peuvent donc être saisis sauf au saisissant à prouver qu'ils ne sont pas nécessaires à la mission de l'ambassade.

Irak c. Vinci SABruxelles

4 octobre 2002J.T., 2003, p. 318

Sommaire

Saisissabilité des comptes en banque d'une ambassade

En ce qui concerne l'immunité diplomatique, qui est distincte de l'immunité d'Etat, les comptes bancaires ne sont saisissables que s'ils ne sont pas utiles ou nécessaires au fonctionnement de l'ambassade. L'immunité d'exécution peut n'être que partielle et ne pas concerner la partie des fonds affectée à une activité autre que le service diplomatique.

Tribunaux & Cours belges

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Ligue des Etats arabesCour de cassation

Arrêt du 12 mars 2001RCJB, 2002

Quant à la première branche :

Sur la première fin de non-recevoir opposée par le défendeur au moyen, en cette branche, et déduite de ce que la Convention sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations internationales, conclue à Vienne le 21 mars 1986 et approuvée par la loi du 8 juin 1992, n'est pas encore en vigueur :

Attendu que l'assentiment donné à un traité par le pouvoir législatif n'a pour effet de conférer force obligatoire à ce traité dans l'ordre interne que sous la condition suspensive de son entrée en vigueur à l'égard de la Belgique dans l'ordre international;

Attendu qu'aux termes de son article 85, 1, la Convention de Vienne du 21 mars 1986 entrera en vigueur le trentième jour qui suivra la date du dépôt du trente-cinquième instrument de ratification ou d'adhésion par les Etats ou par la Namibie, représentée par le conseil des Nations Unies pour la Namibie;

Attendu que cette condition n'est pas réalisée de sorte que, nonobstant le dépôt par la Belgique de son instrument de ratification le 1er septembre 1992, ce traité n'est pas entré en vigueur à son égard dans l'ordre international;

Que la fin de non-recevoir est fondée;

Sur la seconde fin de non-recevoir opposée par le défendeur au moyen, en cette branche, et déduite de ce que l'accord de siège entre le royaume de Belgique et la Ligue des Etats arabes, signé à Bruxelles le 16 novembre 1995, n'a pas reçu l'assentiment des Chambres et n'a pas été ratifié :

Attendu que, d'une part, l'assentiment des Chambres à l'accord de siège précité a été donné par la loi du 9 juin 1999, publiée au Moniteur belge du 4 novembre 1999, dont l'article 3 dispose qu'elle produit ses effets le 16 novembre 1995;

Que, d'autre part, ledit accord de siège impose à chacune des parties pour seule formalité, prévue à l'article 31, alinéa 1er, de notifier à l'autre l'accomplissement des procédures requises par sa législation pour la mise en vigueur de cet accord;

Que la fin de non-recevoir ne peut être accueillie;

Sur le fondement du moyen, en cette branche :

Attendu qu'en vertu de l'article 167, § 2, de la Constitution, le Roi conclut les traités, à l'exception de ceux qui portent sur les matières, visées au § 3 du même article, qui relèvent de la compétence des conseils des communautés et des régions, et ces traités n'ont d'effet qu'après avoir reçu l'assentiment des Chambres;

Que ni l'article 167, § 4, de la Constitution ni l'article 16, § 1er, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 qui, en vertu de cette disposition constitutionnelle, dispose que l'assentiment aux traités dans les matières qui relèvent de sa compétence est donné par le conseil communautaire ou régional concerné, ne déroge à la règle qu'un traité conclu par le Roi ne peut produire d'effet sans l'assentiment des Chambres;

Que cette règle veut que, fût-il en vigueur à l'égard de la Belgique dans l'ordre international, un tel traité est, à défaut de cet assentiment, dépourvu de force obligatoire dans l'ordre interne et que les tribunaux ne peuvent l'appliquer;

Attendu que l'immunité de juridiction d'une partie litigante a pour effet de priver les cours et tribunaux normalement compétents selon le droit interne de leur pouvoir de connaître de la demande;

Attendu que, dès lors, le juge belge ne peut décliner sa juridiction en raison d'une immunité prévue par un traité que le Roi a conclu mais que les Chambres n'ont pas approuvé;

Quant à la troisième branche :

Attendu qu'il résulte de la réponse à la première branche du moyen qu'un traité conclu par le Roi n'a d'effet qu'après avoir reçu l'assentiment des Chambres même s'il porte en partie sur des matières relevant de la compétence des conseils des communautés et des régions;

Quant à la deuxième branche :

Attendu qu'il n'existe pas de principe général du droit international public, au sens de l'article 38, 1, c, du Statut de la Cour internationale de justice signé à San Francisco le 26 juin 1945 et approuvé par la loi du 14 décembre 1945, qui consacre l'immunité de juridiction des organisations internationales à l'égard des Etats qui les ont créées ou reconnues;

Que, dans la mesure où il est recevable, le moyen, en ses trois branches, manque en droit;

Sur le second moyen, pris de la violation des articles 1er de l'accord de siège conclu le 16 novembre 1995 entre la Ligue des Etats arabes et le royaume de Belgique, approuvé par les décrets et ordonnances reproduits dans le premier moyen, 1319, 1320, 1322 du Code civil et 149 de la Constitution,en ce que l'arrêt, statuant sur la demande formée par le défendeur contre la demanderesse, rejette l'exception invoquée par celle-ci et déduite de l'immunité de juridiction revendiquée par elle, et ce pour les motifs suivants, faisant suite à ceux par lesquels l'arrêt déclare écarter l'application de l'accord de siège du 16 novembre 1995 : "en outre et surabondamment, l'immunité de juridiction ne pouvait être accordée du fait que le litige porte sur l'exécution d'un contrat de travail, acte de gestion privée et non de la puissance publique. A cet égard, une jurisprudence constante et bien établie considère que les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire sont compétents pour trancher des litiges issus d'un acte de gestion; or, les obligations liées à l'exécution d'un contrat de travail appartiennent sans discussion possible à cette catégorie. (...) Cette jurisprudence et (cette) doctrine, parmi tant d'autres, reconnaissent que, dans le cadre de la conclusion du contrat de travail, il y a acte de gestion privée et donc absence d'immunité de juridiction",- alors que, première branche, dans l'hypothèse envisagée par cette

motivation, à savoir celle du caractère obligatoire de l'accord de siège du 16 novembre 1995, l'article 1er de cet accord énonce, sans restriction, que les biens et avoirs de la demanderesse utilisés exclusivement pour l'exercice des fonctions officielles jouissent de l'immunité de juridiction, sauf dans la mesure où la Ligue y a expressément renoncé dans un cas particulier; que cette disposition n'établit aucune distinction entre les actes de la puissance publique, qui bénéficieraient de l'immunité de juridiction, et les actes de gestion privée, qui n'en bénéficieraient pas; que cette distinction, qui peut trouver à s'appliquer aux immunités de juridiction résultant pour les Etats contractants de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, est en revanche sans application pour ce qui concerne l'immunité reconnue, soit par le principe général du droit international public qui la consacre, soit par des accords spécifiques, aux organisations internationales; d'où il suit qu'en consacrant une distinction que l'article 1er de l'accord de siège ne contient pas, l'arrêt viole cette disposition;

- deuxième branche, à supposer que l'accord de siège du 16 novembre 1995 ne soit pas considéré comme une norme, au sens de l'article 608 du Code judiciaire, dont la censure est soumise à la Cour, l'arrêt donne à tout le moins de cet acte une interprétation inconciliable avec ses termes et viole donc la foi qui lui est due (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil);

- troisième branche, la demanderesse avait énoncé, dans ses conclusions régulièrement soumises aux juges d'appel, que la distinction envisagée entre le "jure imperii" et le "jure gestionis" s'applique aux Etats mais non aux organisations internationales, et que l'immunité d'une organisation internationale est absolue; que, dans la motivation reproduite ci-dessus, l'arrêt ne rencontre nullement cette défense (violation de l'article 149 de la Constitution) :

Quant aux trois branches réunies :Attendu que les motifs de l'arrêt vainement critiqués par le premier moyen suffisent à fonder la décision de la cour du travail de se reconnaître le pouvoir de connaître de la demande;

Que le moyen qui, en ses trois branches, ne critique que des considérations surabondantes de l'arrêt, au demeurant qualifiées telles par celui-ci, ne saurait entraîner la cassation et est, comme le soutient le défendeur, irrecevable;

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S... M... c. Union de l’Europe occidentale [U.E.O.]C. trav. Bruxelles17 septembre 2003

J.T. 2004, p. 617

Sommaire

Si le recours prévu par le statut du personnel d’une organisation internationale n’offre pas les garanties du procès équitable, l’immunité de juridiction de cette organisation ne fait pas obstacle à la juridiction des tribunaux ordinaires du for. Les immunités dont bénéficient les organisations internationales n’empêchent pas celles-ci d’être soumises au droit de l’Etat hôte.

Texte

2. —Quant au fondement des appels.

Compétence des tribunaux belges de connaître d’une action dirigée contre l’U.E.O.

La Convention sur le statut de l’U.E.O. des représentants nationaux et du personnel international, signée à Paris le 11 mai 1955 et approuvée par la loi du 19 juillet 1956 (M.B., 4 août 1956) dispose en son article 4 : « L’organisation, ses biens et avoirs, quels que soient leur siège et leur détenteur, jouissent de l’immunité de juridiction, sauf dans la mesure où le secrétaire général, agissant au nom de l’organisation, y a explicitement renoncé dans un cas particulier. Il est toutefois entendu que la renonciation ne peut s’étendre à des mesures de contrainte et d’exécution ».La question se pose de savoir si l’immunité de juridiction dont l’organisation est ainsi dotée se heurte à l’article 6, § 1er, de la C.E.D.H.

L’immunité de juridiction des organisations internationales.

Les privilèges et immunités des organisations internationales ont pour objet de permettre à celles-ci de remplir leur mission de service public international avec toute l’indépendance nécessaire, à l’abri d’ingérences étatiques. A la différence des privilèges et immunités des Etats étrangers, dont la source est essentiellement coutumière, les privilèges et immunités des organisations internationales ont des sources presque uniquement conventionnelles et la coutume ne joue qu’un rôle accessoire. Le fondement de ces privilèges et immunités repose non pas sur une quelconque prééminence de l’organisation internationale par rapport aux Etats, mais, sur la volonté des Etats membres (E. David, Droit des organisations internationales, P.U.B., 2001, vol. 2, pp. 366 à 368).

[…]

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, les garanties procédurales énoncées à l’article 6 concernant l’équité, la publicité et la célérité seraient dépourvues de sens si le préalable à la jouissance de ces garanties, à savoir l’accès à un tribunal, n’était pas protégé. Elle l’a établi comme élément inhérent aux garanties consacrées à l’article 6 en se référant aux principes de la prééminence du droit et de l’absence d’arbitraire qui sous-tendent la majeure partie de la Convention. L’article 6, § 1er, garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil (arrêt Golder c. Royaume-Uni, 21 févr. 1975, série A, no 18, pp. 13-18, § 28-36; aff. Al-Adsani c. Royaume-Uni du 21 nov. 2001; McElhinney c. Irlande, 21 nov. 2001, § 33). Elle a souligné que le principe selon lequel une contestation civile doit pouvoir être portée devant un juge compte au nombre des principes fondamentaux de droit universellement reconnus et qu’il en va de même du principe de droit international qui prohibe le déni de justice (aff. Golder, § 35). La cour a cependant rappelé à maintes reprises que le droit d’accès aux tribunaux reconnu par l’article 6, § 1er, de la Convention n’est pas absolu, qu’il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l’Etat, que les Etats contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. La cour a toutefois souligné que les limitations mises en oeuvre ne peuvent restreindre l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même et qu’en outre pareille limitation ne se concilie avec l’article 6, § 1er, que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (arrêt Waite et Kennedy c. Allemagne, § 59, arrêt Beer et

Regan c. Allemagne, § 49 avec référence à l’arrêt Osman, p. 3169 et le rappel des principes pertinents dans l’arrêt Fayed c. Royaume-Uni, 21 sept. 1994, série A, n° 294-8, pp. 49-50, § 65, R.T.D.H., 2000 p. 81; mêmes considérations dans l’affaire Al Ad Sani, § 53).

[…]

Le recours organisé par le statut du personnel de l’U.E.O. n’offre donc pas toutes les garanties inhérentes à la notion de procès équitable et certaines des conditions les plus essentielles font défaut. Il échet de constater dès lors que la limitation d’accès au juge ordinaire en raison de l’immunité juridictionnelle de l’U.E.O. ne s’accompagne pas de voies de recours effectives au sens de l’article 6, § 1er, de la Convention.

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L... M... c. Secrétariat général du Groupe des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique

Bruxelles4 mars 2003

J.T. 2003, p. 684

Sommaire

Si le droit d’une organisation internationale ne prévoit pas un véritable mode de règlement pour les différends qui l’opposent à un particulier, la règle du droit au procès équitable et l’effet utile qu’il faut reconnaître à ce droit prévalent sur les immunités de juridiction et d’exécution de cette organisation et fondent la compétence des tribunaux ordinaires du for.

En cas de conflit entre une norme de la Convention européenne des droits de l'Homme ayant des effets directs dans l'ordre interne et une norme interne, le juge doit donner la primauté à la norme du traité même si la norme interne lui est postérieure.Les dispositions de la CEDH doivent recevoir un effet utile, c'est à dire qu'elles doivent s'interpréter comme garantissant des droits concrets et effectifs et non théoriques et illusoires.Le droit à un tribunal serait illusoire si l'ordre juridique interne d'un Etat contractant permettait qu'une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d'une partie. L'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du " procès " au sens de l'article 6 CEDH.Si la Cour européenne a reconnu que l'octroi de privilèges et d'immunités aux organisations internationales est un moyen indispensable au bon fonctionnement de celles-ci, elle considère néanmoins que, pour déterminer si une immunité est admissible au regard de la Convention, il importe d'examiner si les requérants disposent voies raisonnables pour protéger efficacement leurs droits garantis par la Convention.Rien n'indiquant qu'il existerait des régies alternatives à l'immunité d'exécution dont bénéficie le Secrétariat général du groupe des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique en vertu de l'accord de siège conclu le 26 avril 1993 entre la Belgique et le Groupe des Etats ACP, offrant des voies de recours en cas d'inexécution par celui-ci des décisions prises à son encontre, la règle du droit au procès équitable tel que consacrée par l'article 6, §1er CEDH doit primer sur celle de l'immunité accordée par un accord de siège.L'immunité d'exécution revendiquée par le Secrétariat ACP doit donc être écartée.

s.a. Energies nouvelles et environnementc. Agence spatiale européenne

Civ. Bruxelles1er décembre 2005

J.T. 2006, p. 171

Sommaire

L’immunité de juridiction bénéficiant à une organisation internationale ne viole pas le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme si son adversaire dispose de voies alternatives et raisonnables pour faire valoir ses droits.

Texte

[…]Attendu que l’A.S.E. invoque encore, à l’appui de sa thèse, mais à tort sur ce point, l’arrêt Ernst et autres c. Belgique (15 octobre 2003); Qu’en effet, par cet arrêt, la Cour a confirmé sa jurisprudence antérieure dans les termes suivants : « 53. — Le législateur belge a confié aux cours d’appel la compétence de connaître des délits à charge des magistrats et il a réservé au procureur général près la cour d’appel la compétence d’intenter l’action publique contre ces personnes sans permettre l’exercice direct des poursuites par la personne s’estimant lésée par l’infraction. Pour déterminer si un tel privilège de juridiction est admissible au regard de la Convention, il importe, selon la Cour, d’examiner si les requérants disposaient d’autres voies raisonnables pour protéger efficacement leurs droits garantis par la Convention (voy. les arrêts précités Waite et Kennedy c. Allemagne, § 68 et A. c. Royaume-Uni, § 86). […]Attendu qu’à la lumière de ce qui précède, il paraît clair qu’en l’espèce, pour admettre l’immunité de juridiction de l’A.S.E., E.N.E. devait disposer de voies de recours alternatives.

2°) L’existence de voies alternatives raisonnables pour faire valoir ses droits. Attendu qu’il n’est pas contesté que pour le type de litige en cause, il n’existe pas, au sein de l’A.S.E., une « commission de recours interne»;Qu’il n’est pas non plus contesté que l’A.S.E. a refusé tout arbitrage. […]Qu’en effet, ainsi que le rappelle l’A.S.E., dans l’affaire Ernst, la Cour a jugé que (§ 54 de l’arrêt précité) :

« (...) la Cour attache de l’importance au fait qu’en droit belge, la constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction est un des modes d’exercice de l’action civile et que les victimes disposent en principe d’autres voies pour revendiquer leurs droits civils. En l’espèce, dans la mesure où leur plainte était dirigée contre d’autres personnes que des magistrats, ils auraient pu intenter une action civile contre ces personnes devant le tribunal civil »;

Que la Cour avait déjà jugé de même dans les affaires Waite et Kennedy et Beer et Regan, et a confirmé son point de vue dans les arrêts ultérieurs rendus sur une seconde requête des deux derniers (arrêt Beer et Regan du 15 mai 2003) et ce alors même que les requérants faisaient valoir que leur recours contre l’Agence et celui contre les sociétés allemandes dont ils avaient, dans l’intervalle, obtenu indemnisation, n’avaient pas le même objet. Attendu qu’en la présente cause, et sans aborder à ce stade le fond du litige, il semble bien résulter des débats qu’E.N.E. n’était que sous-conctractant de C.E.S.I. ou sous-contractant de R.W.E. d’une part, et que, d’autre part l’A.S.E. n’avait pas le pouvoir d’imposer au contractant principal le choix de ses sous-contractants; Qu’il est dès lors vraisemblable qu’E.N.E. disposait d’un recours contre C.E.S.I. ou R.W.E.; Qu’il ressort en outre des pièces 7 et 11 du dossier de l’A.S.E. que celle-ci a d’ailleurs instauré une procédure d’ombudsman, précisément pour résoudre ce type de litige; Que, curieusement, E.N.E. semble cependant avoir négligé de saisir l’ombudsman; Que certes une telle procédure ne constitue pas un recours judiciaire ou administratif au sens strict du terme, mais qu’elle paraît constituer une « voie alternative raisonnable » au sens où l’entend la Cour, au vu de la jurisprudence précitée. Attendu qu’il résulte de ce qui précède qu’E.N.E. avait en l’espèce une ou plusieurs voies alternatives raisonnables de recours, au sens de la jurisprudence de la Cour; qu’en conséquence, l’A.S.E. est fondée à se prévaloir de son immunité de juridiction en la présente cause.

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