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REVUE INTERNATIONALE de la Croix-Rouge Sélection française Volume 96 Sélection française 2014 / 1 Champ d’application du droit dans les conflits armés Débat humanitaire : droit, politiques, action

REVUE INTERNATIONALE - icrc.org · La fi n de l’application du droit international humanitaire Marko Milanovic NOTE D’OPINION ... poraine et analyser les causes et les caractéristiques

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    Volume 96 Slection franaise 2014 / 1

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    Volume 96 Slection franaise 2014 / 1

    https://www.icrc.org/fr/international-review

    Champ dapplication dudroit dans les conflits arms

    ISSN : 1560-77551602/001

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    Volume 96 Slection franaise 2014 / 1

    Champ dapplication dudroit dans les confl its arm

    s

    ditorial Dlimiter les frontires de la violenceVincent Bernard, Rdacteur en chefEntretien avec lebrigadier gnral Richard C. GrossConseiller juridique du prsident du comit des chefs dtat-major interarmes des tats-Unis

    DBATLa rglementation desconfl its arms noninternationaux : unprivilge debelligrance peut-il tre envisag dans ledroit desconfl its arms noninternationaux ?Claus Kre et Frdric Mgret

    ARTICLESLe ciblage extraterritorial au moyen de drones arms : quelques consquences juridiquesJelena PejicLe dbut de lapplication du droit international humanitaire. Discussionautour dequelques dfi sJulia GrignonLa fi n de lapplication du droit international humanitaireMarko Milanovic

    NOTE DOPINIONLe consentement laccs humanitaire : uneobligation dclenche par lecontrle du territoire et non par les droits deltatFranoise Bouchet-Saulnier

    SLECTION DARTICLES SUR LE DIH ET LACTION HUMANITAIRETechnologie humanitaire : pourunprogramme derecherche critiqueKristin Bergtora Sandvik, Maria Gabrielsen Jumbert, John Karlsrud et Mareile Kaufmann

    RAPPORTS ET DOCUMENTSLe rle du Comit international delaCroix-Rouge (CICR) dans lessituations deviolence quinatteignent pas le seuil dunconfl it armDoctrine, fvrier 2014Commentaire de la Partie 1 du Document de Montreux sur les obligations juridiques pertinentes etles bonnes pratiques pour les tats en ce qui concerne les oprations des entreprises militaires et de scurit prives pendant les confl its armsMarie-Louise TougasQuestions/rponses du CICR etlexique sur laccs humanitaire

    LIVRES ET ARTICLESDroit international humanitaireJean dAspremont et Jrme de HemptinneRecension par Antoine P. Kabor

    Champ dapplication dudroit dans les conflits arms

    Dbat humanitaire : droit, politiques, action

    Slection franaise

  • But et contenuCre en 1869, la Revue internationale de la Croix-Rouge est un priodique publi par le Comit international de la Croix-Rouge (CICR) qui entend favoriser la rfl exion sur le droit international humanitaire, la politique et laction en temps de confl it arm et dautres situations de violence arme collective. En tant que revue spcialise en droit humanitaire, elle cherche promouvoir la connaissance, lexamen critique et le dveloppement de ce droit, et elle contribue la prvention de violations des rgles prot-geant les valeurs et les droits fondamentaux. La Revue offre une tribune pour discuter de laction humanitaire contem-poraine et analyser les causes et les caractristiques des confl its, afi n de favoriser la comprhension des problmes humanitaires qui en dcoulent. Enfi n, la Revue informe ses lecteurs sur les questions ayant trait au Mouvement inter-national de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et, en particulier, sur la doctrine et les activits du CICR.

    Comit international de la Croix-RougeOrganisation impartiale, neutre et indpendante, le Comit international de la Croix-Rouge (CICR) a la mission exclusivement humanitaire de protger la vie et la dignit des victimes de conflits arms et dautres situations de violence, et de leur porter assistance. Le CICR sefforce galement de prvenir la souffrance par la promotion et le renforcement du droit et des principes humanitaires universels. Cr en 1863, le CICR est lorigine des Conventions de Genve et du Mouvement international de la Croix-Rouge, dont il dirige et coor-donne les activits internationales dans les conflits arms et les autres situations de violence.

    Membres du ComitPrsident : Peter Maurer Vice-prsident : Olivier VodozVice-prsidente permanente : Christine Beerli

    Rdacteur en chefVincent Bernard, CICRComit de rdactionRashid Hamad Al Anezi, Universit de Kowet, Kowet Annette Becker, Universit de Paris-Ouest Nanterre La Dfense, France Franoise Bouchet-Saulnier, Mdecins sans Frontires, Paris, FranceAlain Dltroz, Bioma SA, SuisseHelen Durham, Croix-Rouge australienne, Melbourne, AustralieMykola M. Gnatovskyy, Universit nationale Taras-Shevchenko, Kiev, UkraineBing Bing Jia, Universit de Tsinghua, Pkin, ChineAbdul Aziz Kb, Universit Cheikh Anta Diop, Dakar, Sngal Elizabeth Salmn, Universit pontificale catholique du Prou, Lima, ProuMarco Sassli, Universit de Genve, SuisseYuval Shany, Universit hbraque de Jrusalem, IsralHugo Slim, Universit dOxford, Royaume UniGary D. Solis, Universit de Georgetown, Washington DC, USANandini Sundar, Universit de Delhi, New Delhi, IndeFiona Terry, Chercheuse indpendante en action humanitaire, AustraliePeter Walker, Feinstein International Center, Universit de Tufts, Boston, USA

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    Prsentation des manuscritsLa Revue internationale de la Croix-Rouge solli-cite des articles sur des sujets relatifs la poli-tique, laction et au droit international huma-nitaires. La plupart des numros sont consacrs des thmes particuliers, choisis par le Comit de rdaction, qui peuvent tre consults sur le site web de la Revue dans la rubrique Futurs thmes de la Revue internationale de la Croix-Rouge . Les contributions portant sur ces sujets sont particu-lirement apprcies.

    Les articles peuvent tre rdigs en anglais, arabe, chinois, espagnol, franais et russe. Les articles choisis sont traduits en anglais, si ncessaire.

    Les articles ne doivent pas avoir t publis, prsents ou accepts ailleurs. Ils font lobjet dun examen collgial. La dcision finale de les publier est prise par le rdacteur en chef. La Revue se rserve le droit den rviser le texte. La dcision daccepter, de refuser ou de rviser un article est communique lauteur dans les quatre semaines suivant la rception du manus-crit. Les manuscrits ne sont pas rendus aux auteurs.

    Les manuscrits peuvent tre envoys par courriel : [email protected]

    Rgles de rdactionLarticle doit compter entre 7 000 et 10 000 mots. Les textes plus courts peuvent tre publis dans la section Notes et opinions ou dans slection darticles sur le droit et laction Humanitaire.

    Pour de plus amples informations, veuillez consulter les informations lintention des auteurs et les rgles de rdaction, notes de bas de page, citations et questions de typographie sur le site web de la Revue : https://www.icrc.org/fr/revue-internationale-de-la-croix-rouge

    La Revue est produite en anglais et publie 4 fois par an.Une slection annuelle darticles est gale-ment publie au niveau rgional en arabe, chinois, espagnol et russe.

    Les articles publis dans la Revue sont accessibles gratuitement en ligne sur le site : https://www.icrc.org/fr/international-review Slection franaiseDepuis 2011, la Revue internationale de la Croix-Rouge publie deux quatre slec-tions franaises thmatiques par anne. Leurs contenus rassemblent une slection darti cles parmi ceux figurant dans les numros annuels de la version anglaise de la Revue internationale de la Croix-Rouge (International Review of the Red Cross).

    Pour recevoir la slection franaise, il faut sadresser :Dlgation rgionale du CICR Paris10 bis passage dEnfer75014 ParisFranceCourriel : [email protected]

    cicr 2015Lautorisation de rimprimer ou de repu-blier un texte paru dans la slection fran-aise doit tre obtenue auprs du rdacteur en chef. Les demandes sont adresser lquipe ditoriale.

    Photo de couverture : La ville syrienne de Koban, vue travers un tlobjectif, proximit du passage frontalier de Mursitpinar, dans la ville de Suru, au sud-est de la Turquie et la frontire avec la Syrie 19 octobre 2014Reuter/Kai Pfaffenbach

    Revue internationale de la Croix-RougeAvenue de la Paix 19CH - 1202 GenveTl. : +41 22 734 60 01Fax: +41 22 733 20 57Courriel: [email protected]

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    Mauro ArrigoniHugo BnzigerFranois Bugnion Jacques ChapuisBernard G. R. DanielMelchior de MuraltPaola GhillaniAlexis Keller

    Jrg KesselringThierry LombardYves Sandoz Doris SchopperRolf Soiron Bruno Staffelbach Heidi TagliaviniDaniel Threr

    Equipe ditorialeRdacteur en chef : Vincent BernardRdactrice : Mariya NikolovaAssistants de rdaction : Elvina Pothelet,Gaetane Cornet,Ellen Policinski Rdacteur charg des recensions :Jamie A. WilliamsonResponsable de la Slection franaise : Ghislaine Doucet, Dlgation rgionale du CICR Paris, France.

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  • Volume 96 Slection franaise 2014 / 1

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    R E V U EINTERNATIONALEde la Croix-RougeSlection franaiseDbat humanitaire : droit, politiques, action

    Champ dapplication dudroit dans les conflits arms

  • TABLE DES MATIRES

    Cette publication rassemble une slection darticles parus dans la version originale en anglais du numro de lInternational Review of the Red Cross, Vol. 96, n 893, Printemps 2014.

    Champ dapplication du droit dans les conflits arms

    005 ditorial Dlimiter les frontires de la violenceVincent Bernard, Rdacteur en chef

    013 Entretien avec lebrigadier gnral Richard C. GrossConseiller juridique du prsident du comit des chefs dtat-major interarmes des tats-Unis

    Dbat

    029 La rglementation desconflits arms noninternationaux : unprivilge debelligrance peut-il tre envisag dans ledroit desconflits arms noninternationaux ?Claus Kre et Frdric Mgret

    Articles

    069 Le ciblage extraterritorial au moyen de drones arms : quelques consquences juridiquesJelena Pejic

    111 Le dbut de lapplication du droit international humanitaire. Discussionautour dequelques dfisJulia Grignon

    137 La fin de lapplication du droit international humanitaireMarko Milanovic

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    Un article paraissant dans la Revue nengage que son auteur. En publiant un article dans la Revue, ni la rdaction ni le CICR ne prennent position au sujet des opinions exprimes par son auteur. Seuls les textes signs par le CICR peuvent lui tre attribus.

    Note dopinion

    167 Le consentement laccs humanitaire : uneobligation dclenche par lecontrle du territoire et non par les droits deltatFranoise Bouchet-Saulnier

    Slection darticles sur le DIH et laction humanitaire

    179 Technologie humanitaire : pourunprogramme derecherche critiqueKristin Bergtora Sandvik, Maria Gabrielsen Jumbert, John Karlsrud et Mareile Kaufmann

    Rapports et documents

    205 Le rle du Comit international delaCroix-Rouge (CICR) dans lessituations deviolence quinatteignent pas le seuil dunconflit armDoctrine, fvrier 2014

    237 Commentaire de la Partie 1 du Document de Montreux sur les obligations juridiques pertinentes etles bonnes pratiques pour les tats en ce qui concerne les oprations des entreprises militaires et de scurit prives pendant les conflits armsMarie-Louise Tougas

    293 Questions/rponses du CICR etlexique sur laccs humanitaire

    Livres et articles

    311 Droit international humanitaireJean dAspremont et Jrme de Hemptinne Recension par Antoine P. Kabor

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    Volume 96 Slection franaise 2014 / 1R E V U EINTERNATIONALEde la Croix-Rouge

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    DITORIAL

    DLIMITER LES FRONTIRES DE LA VIOLENCE

    En quoi consiste la rglementation juridique du conflit arm au dbut du XXIesicle ? Le droit autorise-t-il de cibler nimporte qui, nimporte o, avec des drones arms? Les tats peuvent-ils et doivent-ils appliquer leurs propres rgles en matire de droits de lhomme lorsquils sont impliqus dans une opration multinationale ltranger? quel moment une opration cyberntique quivaut-elle un conflit arm ? Certaines de ces questions se posent de faon quotidienne, alors que dfilent les actualits. Elles renvoient toutes ce que nous appelons le champ dapplication du droit rglementant les conflits arms le droit international humanitaire (DIH) et son interaction avec dautres rgimes juridiques.

    Aujourdhui, certains des concepts fondateurs de cet ensemble de rgles sont discuts et parfois remis en cause compte-tenu de lvolution de la violence arme et des moyens et mthodes de combat. premire vue, limage moderne des conflits semble, en effet, remettre en question les bases fondatrices du DIH. Les attaques cyberntiques branlent notre comprhension traditionnelle de la guerre, linstar dautres innovations technologiques, tels les systmes darmes de plus en plus autonomes1. Avec ses dichotomies entre conflit arm international (CAI) et conflit arm non international (CANI) ou entre civils et combattants , le DIH peut sembler, au premier abord, peu adapt aux nuances complexes de la ralit. Comme en tmoignent les situations en Rpublique dmocratique du Congo, en Irak ou en Syrie aujourdhui, les conflits arms contemporains font souvent intervenir des groupes arms non tatiques ; ils peuvent impliquer lintervention de forces armes dun ou plusieurs tats trangers ; certains de ceux qui combattent ont tendance se cacher dans la population civile ; des sous-traitants privs sont chargs dassumer des fonctions traditionnellement dvolues aux tats ; les conflits locaux prennent souvent des dimensions rgionales, voire internationales ; certains conflits et situations doccupation tendent se prolonger, sans perspective de rglement politique et la population civile continue de ptir des combats et de leurs consquences, y compris linscurit et leffondrement de ltat de droit.

    De plus, les crimes notamment les actes de terrorisme ainsi que les mesures rpressives adoptes par les tats pour y rpondre, passent dsormais

    1 Pour une tude densemble, voir Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 94, n 886, Slection franaise, Guerre et nouvelles technologies , 2012/2, disponible sur : https://www.icrc.org/fre/resources/international-review/review-886-new-technologies-warfare/index.jsp (toutes les rfrences Internet ont t consultes en dcembre 2015).

    https://www.icrc.org/fre/resources/international-review/review-886-new-technologies-warfare/index.jsphttps://www.icrc.org/fre/resources/international-review/review-886-new-technologies-warfare/index.jsp

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    souvent par le recours des moyens militaires. Ils peuvent tre utiliss grande chelle par des acteurs qui oprent sur plusieurs territoires, laide de technologies comme limagerie satellite, les drones ou Internet. Certaines attaques, comme celles commises contre le Kenya ou les tats-Unis, peuvent tre revendiques par des groupes oprant depuis ltranger et peuvent entraner, en rponse, des oprations militaires et des attaques de drones lautre bout du monde. De part et dautre, on invoque la rhtorique et la smantique classiques de la guerre pour justifier crimes et mesures exceptionnelles. Relaye par les mdias, cette smantique parfois trop simpliste peut ajouter la confusion induite par ces phnomnes complexes et proti-formes. Face de tels dfis, comment le DIH accommode-t-il les ralits politiques, militaires et humanitaires daujourdhui ? Est-il encore dune quelconque utilit ?

    Comme tout corps de rgles, le DIH est sujet interprtation, volution et dveloppement. Il ne saurait sappliquer indpendamment de facteurs socitaux et politiques, dautres rgimes juridiques ou de la nature changeante des conflits arms, sujet mme quil entend rglementer. Au cours des dernires dcennies, le DIH a continu voluer, bnficiant de contributions significatives provenant notamment du droit des traits, en particulier dans le domaine de la rglementation des armes. Nous avons aussi t tmoins du rapprochement entre le degr de protection garanti par le droit des CANI et celui des CAI. Des efforts considrables ont t dploys pour clarifier le droit existant grce des documents interprtatifs et dautres instruments de soft-law, tels les codes de conduite2. Rcemment, le rle de plus en plus important jou par les entreprises militaires et de scurit prives a t tudi par le Document de Montreux, dont un commentaire figure dans la section Rapports et Documents du prsent numro.

    Le DIH ne constitue que lune des multiples branches du droit international et dautres, en particulier le droit des droits de lhomme, jouent galement un rle en temps de conflit arm. Linteraction entre le DIH et le droit des droits de lhomme a fait lobjet de nombreuses tudes dans cette Revue et ailleurs. Paralllement, une juris-prudence riche, manant dorganes rgionaux de protection des droits de lhomme, notamment la Cour europenne des droits de lhomme, la Cour interamricaine des droits de lhomme et la Cour africaine des droits de lhomme et des peuples, sest dveloppe. Il est pratiquement impossible de recenser toutes les interprtations qui ont t faites des relations entre droit des droits de lhomme et rgles du DIH en priode de conflit arm. En termes oprationnels, les divergences dinterprtation ont trouv une pertinence particulire dans des cas o les tats oprent en dehors de leur propre territoire et/ou vis--vis dindividus qui ne sont pas leurs nationaux. Le Colonel Kirby Abbott revient sur ces tensions dans la version anglaise de ce numro en prenant lexemple de linteroprabilit entre les contingents des diffrents tats membres de lOTAN.

    2 Voir notamment Nils Melzer, Guide interprtatif sur la notion de participation directe aux hostilits en droit international humanitaire, CICR, Genve, mai 2009 ; HPCR Manual on International Law Applicable to Air and Missile Warfare, Humanitarian Policy and Conflict Research, Harvard University, mai 2009 ; Tallinn Manual on the International Law Applicable to Cyber Warfare, Cambridge University Press, mars 2013. Pour un exemple dun code de conduite rcent, voir le Code de conduite international des entreprises de scurit prives, disponible sur http://www.icoca.ch/fr/the_icoc.

    http://www.icoca.ch/fr/the_icoc

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    Volume 96 Slection franaise 2014 / 1

    La Revue publie rgulirement des articles qui vont au-del de la prsen-tation stricte des rgles de droit applicables et qui explorent de nouvelles pistes de dvelop pement du droit. Ces dernires annes, la Revue a ainsi consacr des numros plusieurs thmatiques dactualit : lapplication du droit aux groupes arms et par ceux-ci, en situation doccupation, par les forces multinationales, vis--vis du personnel mdical, etc. Les discussions ont fait cho aux dbats actuels et aux remises en question du DIH par des parties des conflits modernes, des experts et des universitaires.

    : : : : : : :

    Ce numro de la Revue traite de plusieurs questions relatives lapplicabilit du DIH : quoi ? O ? Quand ? Qui ? Les rponses ces questions sont importantes car elles dfinissent le champ de la protection que le DIH peut garantir aux personnes en priode de conflit arm. Pour le Comit international de la Croix-Rouge (CICR) et dautres acteurs humanitaires, elles dfinissent le cadre normatif et les conditions en vertu desquels ils peuvent aider et protger ceux qui en ont besoin. Le prsent numro de la Revue montrera comment ces questions les plus simples suscitent les dbats les plus complexes et les plus nuancs en DIH.

    quoi le DIH sapplique-t-il ?

    Comme ceci est maintenant souvent affirm, la guerre est un concept politique, tandis que lexpression conflit arm a une signification juridique dans le DIH contemporain. Pour rsumer, lemploi de la force peut constituer soit un CAI, soit un CANI, ou encore dautres situations de violence, ces dernires ne dclenchant pas lapplication du DIH. Les dbats relatifs au champ dapplication matriel du DIH se sont rcemment concentrs sur la pertinence de la typologie CAI-CANI pour appr-hender les diffrents visages des conflits arms contemporains. Il va sans dire que limmense majorit de ceux-ci sont des CANI et que les consquences humanitaires quils engendrent dstabilisation rgionale, afflux de rfugis, escalade potentielle vers un conflit intertatique peuvent tre importantes. La typologie des CANI sest dailleurs enrichie au fil du temps et sa terminologie est plus nuance : les CANI peuvent tre dcrits comme dbords , multinationaux, transfrontaliers, transnationaux , etc. Chacune de ces sous-catgories renvoie un ensemble particulier de circonstances factuelles qui dclencherait lapplicabilit du DIH. Ceci dit, il semble quil ny ait pas, aujourdhui, de cas de violence arme entre des parties organises qui nentreraient pas dans la dichotomie CAI-CANI.

    Au lendemain du 11 septembre et de linvasion amricaine de lAfghanistan qui sen est suivie, certains ont fait valoir que les tats-Unis et leurs allis taient engags dans un conflit mondial dun genre nouveau, auquel les rgles, selon eux trop anciennes, ne pouvaient sappliquer. Ainsi, le droit des CANI tait cens rgir les oprations contre Al-Qaida, les Talibans et les forces associes sur plusieurs territoires3. Dans la section Dbat du prsent numro, Claus Kress soutient que,

    3 Hamdan c. Rumsfeld, 548 US 57, 2006.

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    ditorial

    dans le contexte de la guerre contre la terreur , le DIH a t invoqu de manire permissive, afin datteindre des objectifs auxquels les tats nauraient pas pu parvenir au titre du paradigme du maintien de lordre4.

    Dans dautres contextes, au contraire, la tendance est daffirmer que certains actes de violence doivent tre qualifis dactes de terrorisme, voire dactes criminels classiques, ne relevant pas du DIH, ce qui conduit finalement rejeter lapplicabilit du DIH des situations qui, pourtant, constituent bien des conflits arms au sens de la dfinition du DIH. Cette perspective, consistant qualifier tous les acteurs arms de criminels, peut et cest dj le cas avoir des implications pour certaines oprations multinationales. Dfinir certaines oprations non pas comme une participation un conflit arm, mais simplement comme des mesures de contre-terrorisme ou de maintien de lordre est une approche qui risque de compromettre lacceptation de lapplicabilit du DIH. Une fois encore, le dfi ne tient pas tant au contenu du DIH per se, quaux choix politiques qui sous-tendent son application.

    O le DIH sapplique-t-il ?

    Le caractre transnational de la violence arme a remis en question la conception classique dun conflit arm comme confin un territoire en particulier. Les ques-tions qui se posent rgulirement concernent notamment sur le point de savoir si le DIH sapplique sur lensemble du territoire des parties au conflit et sil sapplique de manire extraterritoriale, en particulier sur le territoire dtats neutres ou non-belligrants.

    Rcemment, lusage de drones et doprations impliquant des forces spciales visant des individus ou des rseaux dindividus dans divers contextes a suscit des dbats houleux quant au cadre juridique applicable. La question est principalement de savoir si, et dans quelles circonstances, le fait de cibler des personnes avec des moyens militaires dans nimporte quel endroit du globe au risque de causer des dommages aux populations et aux biens civils est licite aux termes du DIH. Dans le prsent numro, Jelena Pejic examine, entre autres, le champ dapplication gographique dun CANI en vertu du DIH dans le contexte des frappes de drones. Elle souligne la ncessit dtablir une classification juridique correcte de chacun des contextes dans lesquels des drones sont utiliss pour des frappes cibles, afin de dterminer si elles sont rglementes ou non par le DIH.

    qui le DIH sapplique-t-il ?

    Face limplication croissante des forces multinationales/de maintien de la paix dans les conflits arms modernes, la question de savoir quels tats et quelles organisations internationales peuvent tre considres comme des parties un conflit sest pose

    4 Claus Kre, Dbat. La rglementation des conflits arms non internationaux : un privilge de belligrance peut-il tre envisag dans le droit des conflits arms non internationaux ? dans le prsent numro de la Revue.

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    plusieurs reprises, les scnarios les plus dlicats tant ceux dans lesquels les tats ont approuv une opration militaire multinationale mene par une organisation internationale ou rgionale et lui apportent un soutien logistique sans toutefois participer aux hostilits. Ces tats doivent-ils tre considrs comme parties au conflit ? Cette question nest pas seulement smantique puisque les forces armes doivent savoir sur la base de quel rgime juridique elles seront dployes et quelles rgles les protgeront. Le prcdent numro de la Revue, consacr aux oprations multinationales et au droit, traite de ce sujet.

    Le DIH est souvent peru comme un ensemble dobligations, plutt que comme un ensemble de protections garanties aux personnes en temps de guerre, notamment aux journalistes, au personnel mdical et aux entits prives. Le DIH protge aussi les acteurs humanitaires qui viennent en aide aux populations affectes. Cette aide dpend traditionnellement du consentement tatique pour accder aux populations en dtresse. Le lexique sur laccs humanitaire labor par le CICR et la note dopinion de Franoise Bouchet-Saulnier offrent deux points de vue, dans le prsent numro de la Revue, sur linterprtation du DIH vis--vis du droit des acteurs humanitaires apporter de laide quand les parties au conflit sont elles-mmes dans lincapacit de rpondre aux besoins des populations sous leur contrle5.

    Quand le DIH sapplique-t-il ?

    La porte temporelle de lapplication du DIH soulve deux questions particulirement dlicates : quand commence un conflit arm ? (en dautres termes, quel est le seuil de violence ncessaire pour constituer un conflit arm, international ou non, et dclencher par consquent lapplicabilit du DIH ?) et quand se termine-t-il ? (question semblable mais distincte de celle de savoir quand prend fin lensemble des obligations lies au DIH).

    En ce qui concerne le commencement dun CANI, la jurisprudence du Tribunal pnal international pour lex-Yougoslavie (TPIY) a dgag les critres devant tre pris en considration6. Il ny a pas dindication similaire dans le droit des CAI et les avis peuvent diverger quant au moment prcis auquel dbute un CAI. Le dbat se situe principalement entre ceux qui partagent la vision majoritaire selon laquelle le DIH sapplique ds le premier coup de feu (vision galement connue comme la thorie de Pictet ) et ceux qui estiment quun seuil de violence plus lev est ncessaire en dautres termes, que seul un certain degr dintensit dans lusage de la force dclencherait lapplicabilit du DIH un CAI7. La fin dun CAI est sans doute

    5 Voir Emanuela-Chiara Gillard, Le droit applicable aux oprations de secours transfrontalires , Revue internationale de la Croix-Rouge, Slection franaise, Vol. 95, n 890, pp. 229-262.

    6 TPIY, Le Procureur c. Duko Tadi, Affaire n IT-94-1-T, Jugement (Chambre dInstance), 7 mai 1997, par. 561-568 ; voir aussi TPIY, Le Procureur c. Fatmir Limaj, Affaire n IT-03-66-T, Jugement, 30novembre 2005, par. 84.

    7 International Law Association, Use of Force: Final Report on the Meaning of Armed Conflict in International Law, rapport, 2010, disponible sur : www.ila-hq.org/en/committees/index.cfm/cid/1022.

    http://www.ila-hq.org/en/committees/index.cfm/cid/1022http://www.ila-hq.org/en/committees/index.cfm/cid/1022

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    ditorial

    plus facile dterminer, bien que les expressions cessation des hostilits actives et fin gnrale des oprations militaires aient suscit de nombreux commentaires et une certaine confusion. Marko Milanovic et Julia Grignon soulignent tous deux la complexit de linterprtation de la fin dun CANI et les consquences juridiques engendres par la dqualification dun conflit.

    Comment le DIH devrait-il tre interprt ?

    Au fil des ans, le champ de la protection que le DIH offre ceux qui sont affects par les conflits arms na cess de saccrotre. Dans lensemble, les concepts du DIH rsistent lpreuve du temps parce quils sont pratiques et souples. Certes, le DIH ne propose pas une formule universelle permettant de dterminer quand, o et pour combien de temps ses rgles sappliquent. Les conflits contemporains continuent dexiger des efforts supplmentaires non seulement pour expliquer le droit et le raffirmer quand ses dispositions sont remises en cause, mais aussi pour identifier des failles et de possibles domaines de dveloppement. Toutefois, il semble que les concepts cls du DIH aient fait leurs preuves face aux dfis poss par les conflits arms, y compris dans les deux dernires dcennies. Les rgles du DIH semblent oprer la manire dune colonne vertbrale : elles sont suffisamment rigides pour que le corps tienne debout, mais suffisamment flexibles pour permettre ses mouvements.

    En droit international, les tats jouent un rle dcisif en interprtant le droit existant et en initiant de nouveaux dveloppements. La Revue a demand Richard Gross, le conseiller juridique du Prsident du Comit des chefs dtat-major interarmes amricain, son avis sur les enseignements retenus par les tats-Unis depuis leur invasion de lAfghanistan en 2001 et au cours des conflits arms ultrieurs dans ce pays et en Irak. Dans son interview liminaire ce numro, celui-ci fournit des pistes pour combattre le terrorisme dans le cadre dun conflit arm, en soulignant les progrs rencontrs dans la comprhension du rle jou par le CICR pour apporter une aide humanitaire neutre et indpendante.

    Pour sa part, le CICR a toujours tent dobserver au plus prs lvolution de la nature des conflits arms et de chercher des solutions humanitaires, notamment par le droit. Depuis 2003, le CICR a rgulirement fait le point sur les dfis poss au DIH par llaboration de rapports prsents tous les quatre ans la Confrence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ( Le droit international humanitaire et les dfis poss par les conflits arms contemporains ). Ces rapports ont pour but de susciter la rflexion et le dbat sur les questions identifies et desquisser des perspectives dactions du CICR pour clarifier et dvelopper le droit dans les annes venir8 .

    8 Voir note 3 ci-dessus. Voir aussi le rapport de 2003, disponible sur : https://www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/5xrha5.htm ; ainsi que le rapport de 2011, disponible sur https://www.icrc.org/fre/resources/documents/report/31-international-conference-ihl-challenges-report-2011-10-31.htm. Pour plus de dtails, voir la srie darticles consacrs aux Dfis contemporains pour le DIH disponible sur http://intercrossblog.icrc.org/icrc-ihl-contemporary-challenges/.

    https://www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/5xrha5.htmhttps://www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/5xrha5.htmhttps://www.icrc.org/fre/resources/documents/report/31-international-conference-ihl-challenges-report-2011-10-31.htmhttps://www.icrc.org/fre/resources/documents/report/31-international-conference-ihl-challenges-report-2011-10-31.htmhttp://intercrossblog.icrc.org/icrc-ihl-contemporary-challenges/

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    Lvolution de la nature du conflit engendre des problmes indits. Pour chaque nouveau dveloppement, le CICR doit dterminer si le DIH est applicable et, le cas chant, quelles rgles du DIH sappliquent prcisment : celles du CAI ou celles du CANI. Les drones, la cyberguerre, le recours des sous-traitants privs ou les attaques loin du champ de bataille tel quil est habituellement dfini, font-ils vritablement apparatre des failles dans le droit ou pouvons-nous les combler en interprtant les rgles existantes ? Le dbat sur le terrorisme a incit le CICR se concentrer sur la raffirmation de certains aspects du droit, tout en reconnaissant la ncessit den clarifier ou den dvelopper dautres, telles les garanties procdurales pour linternement, la dtention administrative9 ou la notion de participation directe aux hostilits10. Le CICR est, en outre, actuellement engag dans un projet de mise jour de ses Commentaires des Conventions de Genve de 1949 et des Protocoles additionnels de 1977, tenant compte des dveloppements dans la pratique du DIH depuis la rdaction des prcdents Commentaires qui datent respectivement des annes 1950 et 198011.

    Dans certains domaines, des interprtations complexes du droit sont et resteront ncessaires au vu de la ralit, en constante volution, de la violence collective. Les discussions sur le champ dapplication du droit rglementant cette ralit impliquent souvent des interprtations multiples, parfois divergentes. Dans la mesure o linterprtation juridique peut tre teinte de considrations idologiques, politiques ou stratgiques, il est ncessaire de rflchir ce qui devrait servir de boussole dans cet exercice. Dans ce contexte, il nest pas inutile de rappeler, du moins en ce qui concerne les traits, le principe de bonne foi qui prside leur interprtation, conformment lobjet et au but des rgles en question.

    Il est nanmoins important de souligner que la rponse ne saurait tre exclu-sivement juridique. Les crises actuelles sont souvent qualifies de complexes ou de plus en plus complexes . Or, celles-ci ne sont peut-tre pas fondamentalement plus complexes que ne ltaient la deuxime guerre mondiale, la guerre froide ou les guerres de dcolonisation. Cest plutt notre capacit mieux comprendre leur nature pluridimensionnelle et le besoin de trouver des solutions durables qui est en jeu.

    Paradoxalement, alors que nous disposons aujourdhui dune plus grande expertise et doutils plus nombreux que jamais pour grer les crises, nous vivons une poque o lon ne sembarrasse gure de complexits et o les dirigeants semblent privilgier des positions court terme et des ractions motives et ractives, plutt que dlaborer une vritable vision du futur. Afin de crer un environnement propice au respect du droit, il demeure essentiel de travailler non seulement au niveau juri-dique, mais aussi dinclure ces considrations dans un dialogue politique plus large avec les autorits, directement et indirectement par lintermdiaire de la socit civile

    9 Voir Jelena Pejic, Principes en matire de procdure et mesures de protection pouir linternement/la dtention administrative dans le cadre dun conflit arm et dautres situations de violence , Revue internationale de la Croix-Rouge, Slection franaise, Vol. 87, n 858, 2005.

    10 Voir N. Melzer, note 2 ci-dessus.11 Voir Jean-Marie Henckaerts, Adapter les commentaires des Conventions de Genve et de leurs

    Protocoles additionnels au XXIe sicle , Revue internationale de la Croix-Rouge, Slection franaise, Vol. 94, n 888, pp. 375-380.

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    ditorial

    et de manire primordiale dinvestir dans lenseignement long terme du DIH et dans la prvention des crimes.

    : : : : : : :

    La question la plus importante poser quant lapplication du droit aux conflits arms reste pourquoi ? . quoi nous sert le droit ? Les discussions juri-diques labores que nous avons aujourdhui propos du DIH et dautres rgimes juridiques ne doivent pas occulter le vritable enjeu : la protection de la vie, de la dignit et des biens des personnes. Face largumentation juridique des accuss pour justifier des actes de pillage et de spoliation, le Tribunal de Nuremberg avait ressenti le besoin daffirmer : il est essentiel de souligner que des actes interdits par les lois et coutumes de la guerre ne peuvent devenir permissibles par le recours des constructions juridiques compliques12 .

    Pour tre applicable par les porteurs darmes dans le feu de laction, il faut des interprtations du DIH qui offrent des solutions claires et pratiques pour les ralits sur le terrain, respectueuses de lquilibre inhrent entre impratifs humanitaires et ncessit militaire. Les principes dhumanit et les exigences de la conscience publique13 sont la pierre angulaire du DIH. Dessiner les contours et dterminer la porte du droit suppose donc simplement de dfinir les frontires de la violence les limites au-del desquelles lhumanit doit prvaloir.

    Vincent BernardRdacteur en chef

    12 Procs Krupp (Procs dAlfried Felix Alwyn Krupp von Bohlen und Halbach, Tribunal militaire de Nuremberg, 17 novembre 1947-30 juin 1948), Commission des crimes de guerre des Nations Unies, Rapport des Procs pour crimes de guerre, Vol. 10, 1949, pp. 130-159, extrait disponible sur www.icrc.org/casebook/doc/case-study/united-states-nuremberg-krupp-case-study.htm.

    13 Protocole additionnel I, art. 1.2.

    www.icrc.org/casebook/doc/case-study/united-states-nuremberg-krupp-case-study.htmwww.icrc.org/casebook/doc/case-study/united-states-nuremberg-krupp-case-study.htm

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    Le brigadier gnral Richard C. Rich Gross est le conseiller juridique du prsident du comit des chefs dtat-major interarmes des tats-Unis. Aprs sa formation lAcadmie militaire de West Point, il a intgr larme amricaine au grade de sous-lieutenant dinfanterie. Diplm de la Virginia School of Law et de lUS Army Judge Advocate Generals Corps, il est galement titulaire dun master dtudes stratgiques de lUS Army War College. Avant doccuper ses fonctions actuelles, il a t conseiller juridique en chef du Joint Special Operations Command , de la Force internationale dassistance la scurit (FIAS), des US Forces-Afghanistan (USFOR-A) et du Commandement central des tats-Unis.

    Le champ dapplication du droit international humanitaire (DIH) soulve des questions plus complexes quil ny parat. De manire gnrale, il sagit de dterminer o, quand et qui sappliquent les rgles du DIH. Bien que cela ait toujours t un prrequis pour dbattre de questions relatives au DIH, les limites de lapplicabilit du droit restent mal dfinies. Cest dans la perspective douvrir le dbat sur les nuances du champ dapplication du DIH que le brigadier gnral Gross nous a accord cet entre-tien. Il y prsente le point de vue des tats-Unis sur les circonstances dans lesquelles le DIH sapplique et sur les dfis qui nous attendent au vu de lvolution de la manire dont la guerre est conduite.

    : : : : : : :

    Entretien avec lebrigadier gnral Richard C. GrossConseiller juridique du prsident du comit des chefs dEtat-major interarmes des tats-Unis*

    * Cet entretien sest droul au Pentagone Washington le 9 avril 2014, en prsence de Vincent Bernard, rdacteur en chef ; Daniel Cahen, conseiller juridique, CICR Washington ; et Anne Quintin, conseillre pour la formation juridique, CICR Genve.

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    Entretien avec le brigadier gnral Richard C. Gross

    Quelles sont les responsabilits attaches vos fonctions de conseiller juridique du prsident du comit des chefs dtat-major interarmes ?

    Lintitul de mon poste laisse entendre que je conseille uniquement le chef dtat-major. En ralit, je conseille galement le vice-prsident du comit des chefs dtat-major interarmes et ltat-major dans son ensemble. Pour comprendre en quoi consistent mes fonctions, il est probablement prfrable que je commence par rappeler quelles sont celles de mon principal client . Selon le droit fdral amricain, le prsident du comit des chefs dtat-major interarmes est le principal conseiller militaire du Prsident, du Secrtaire la dfense et du Conseil de scurit nationale. Il apporte ce que lon nomme le meilleur conseil militaire aux dirigeants de notre pays sur des questions de scurit nationale. Je lui apporte donc un conseil juridique tandis quil apporte son conseil militaire.

    Combien de temps consacrez-vous chaque jour lexamen de questions lies auDIH ?

    Selon lactualit, les questions relatives au DIH peuvent occuper une partie non ngligeable de mon temps. Par exemple, une grande partie des dossiers sur lesquels je conseille le prsident et les membres du comit concerne principalement des opra-tions menes dans le monde entier. Les diffrents commandements de combattants (commandement pacifique, commandement europen, commandement central, commandement africain) proposent des oprations militaires dans diffrents pays, quil sagisse des exercices dentranement, des exercices multilatraux ou bilatraux, de coopration en matire de scurit, des oprations militaires en Afghanistan, en Irak ou ailleurs Toutes ces questions sont soumises au prsident du comit afin quil donne son avis militaire et quil fasse part de ses recommandations au Secrtaire la Dfense. Je conseille le prsident du comit ainsi que ltat-major dans son ensemble sur des questions relatives aux oprations militaires et certains de mes conseils concernent des questions de DIH. La plupart de celles relatives au jus in bello sont plutt traites par les conseillers juridiques, un niveau plus tactique et oprationnel plus pointu , pourrait-on dire dans la mesure o ce sont eux qui sont effectivement impliqus dans des oprations de combat. Pour ma part, je moccupe plutt de questions relatives aux fondements juridiques nationaux et internationaux de lusage de la force (jus ad bellum). Il marrive nanmoins daborder certaines questions de DIH qui se posent notre niveau, comme les oprations de dtention. En fait, ltendue de mon portefeuille dpend de lactualit internationale. Souvent, je sais comment se droulera lessentiel de ma journe juste en lisant les unes des journaux : que sest-il pass au cours de la nuit qui exigera du Prsident, du Conseil national de scurit et certainement du prsident du comit ainsi que du Secrtaire la dfense, quils se prononcent sur des questions de scurit nationale ? Ces questions, lorsquelles font la une des journaux, seront vraisemblablement celles auxquelles je devrai consacrer ma journe de travail.

    Souvent, les questions que nous traitons relvent du droit national et nim-pliquent pas doprations militaires. La fusillade tragique de Fort Hood, par exemple,

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    nous a amens reconsidrer nos protocoles de scurit, nos procdures denqute, nos programmes de sant mentale, etc.1 Quand de telles questions parviennent au prsident du comit et quelles soulvent des points juridiques, je suis impliqu. Ainsi, je suis, en quelque sorte, un homme tout faire . Je dois me tenir prt apporter un conseil sur toutes sortes de questions juridiques et pas seulement sur celles qui concernent le DIH.

    En ce qui concerne le DIH, quelles leons avez-vous retenues de ces treize dernires annes et de lensemble des oprations menes depuis le 11 septembre ?

    Vaste question ! Lune des leons que jai retenues en ce qui concerne le DIH, cest quil ne sert pas grand-chose de former des forces militaires au jus in bello, aux principes du DIH et aux rgles dengagement dans une salle de classe par le truchement dun PowerPoint. La formation des forces armes doit passer par des exercices. Idalement, ces formations doivent se fonder sur des scnarios bien rels, sous forme de jeux de rles, pour ancrer dans les esprits ce qui est juste et ce qui ne lest pas ; ce qui est licite et ce qui est illicite ; ce qui est permis en vertu des rgles dengagement et ce qui ne lest pas.

    Avant le 11 septembre, les rgles dengagement taient inscrites sur des pense-btes que les soldats portaient autour du cou ou quils conservaient dans leur portefeuille. Or, quand vous devez faire usage de la force ou que vous dtenez quelquun et que vous devez vous conformer au droit, vous navez pas franchement le temps de regarder votre petit pense-bte bien rang dans votre portefeuille. Il est donc ncessaire que le DIH fasse lobjet dune formation concrte, illustrative et descriptive, pour que chacun sache quoi faire au bon moment. On ne pourra jamais couvrir toutes les ventualits, mais on peut se prparer un large ventail de scnarios. Ce fut une leon trs importante : la formation peut dbuter dans une salle de classe mais le DIH doit tre inculqu tout au long de la formation militaire. Il doit aussi tre constamment renforc et mis en pratique.

    Une autre leon importante apprise au cours de ces treize dernires annes est que nous ne devons pas avoir peur danalyser nos actes et de remettre constam-ment en question nos procdures et nos tactiques. Nous devons garder lesprit ouvert et tre disposs mener une enqute rigoureuse lorsque quelque chose ne va pas, lorsque des dommages sont causs des victimes civiles ou face des allgations de comportement inappropri. Cette dmarche a pu susciter quelques rserves au dbut, mais il me semble que nous sommes arrivs au point o si quelque chose se passe mal, nous ouvrons systmatiquement une enqute. Nous enqutons de manire mticuleuse. Nous tablissons un compte-rendu indpendant, nous en tirons les

    1 N. D. . : Deux fusillades ont eu lieu sur la base militaire de Fort Hood prs de Killean, au Texas. La premire, le 5 novembre 2009, a fait treize morts et une trentaine de blesss. La deuxime, dont il est question ici, a eu lieu le 2 avril 2014 ; elle a fait quatre morts, dont le tireur, et seize blesss. Pour plus de prcisions, voir Manny Fernandez et Alan Blinder, Army Releases Detailed Account of Base Rampage, The New York Times, 7 avril 2014, disponible sur : www.nytimes.com/2014/04/08/us/officials-give-account-of-fort-hood-shooting.html?_r=1.

    www.nytimes.com/2014/04/08/us/officials-give-account-of-fort-hood-shooting.html?_r=1www.nytimes.com/2014/04/08/us/officials-give-account-of-fort-hood-shooting.html?_r=1

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    Entretien avec le brigadier gnral Richard C. Gross

    consquences qui simposent et, le cas chant, nous dsignons des responsables. Jestime que, sur ce point, nous nous sommes amliors.

    Nous avons galement appris, je pense, quil tait essentiel de protger les civils lors des combats. Depuis la guerre du Vietnam, tous les conflits auxquels nous avons pris part ont t de trs courte dure comme lopration Tempte du Dsert, lopration Just Cause ou encore nos interventions la Grenade et Panama. En revanche, en Irak et en Afghanistan, nous sommes engags dans un conflit qui se prolonge, en contact direct avec les populations civiles. Nous avons d apprendre protger les civils et leurs biens au quotidien, sur le long terme. Nous avons pris conscience que la protection des populations civiles ntait pas seulement un impratif juridique conformment aux principes du DIH, ni juste une affaire de stratgie ou dhumanit, ctait toutes ces choses la fois, mais, quen plus, protger les civils nous rendait plus efficaces dans un contexte de contre-insurrection. Ainsi, cest non seulement la meilleure chose faire conformment au droit et la morale, mais cest galement la meilleure chose faire pour remplir la mission. Je pense qu partir du moment o nos forces militaires ont pris conscience de cela, il est devenu plus facile dobtenir deux quils agissent en conformit avec le droit et nos troupes ont travaill dur pour protger les populations civiles. Donc, ceci fut galement une leon importante.

    Un quatrime enseignement qui, je pense, mrite dtre mentionn dans le prsent entretien est que nous avons compris limportance de nos relations avec le CICR. Jai dj eu loccasion de le dire dans dautres entretiens et je suis sincre. Nous avons compris que le CICR avait un rle dcisif pour amener les tats faire les bons choix en situation de guerre, se conformer au DIH et nous donner une perspective extrieure et impartiale, qui dit : Voici les lments quil vous faut prendre en considration ; voici les points qui laissent dsirer . Le CICR ne se contente pas de critiquer, il suggre aussi des moyens pour samliorer. Ces treize dernires annes, nous avons nou avec le CICR une vritable relation de travail. Nous nous rendons en Irak et nous vous y trouvons. Nous nous rendons en Afghanistan et nous vous y trouvons. Partout o nous allons, vous y tes aussi. Nous entretenons avec le CICR un dialogue bilatral et confidentiel trs constructif qui, de mon point de vue, est incomparable.

    Quel est votre avis sur cette relation confidentielle ? Pensez-vous quelle produise des rsultats ? Est-elle obsolte ?

    Non, elle na rien dobsolte. Une partie de ce que nous avons appris des conflits en Irak et en Afghanistan est que la confidentialit nous donne confiance en vous et vous permet dtre crdible. Nous savons que nous pouvons discuter ouvertement avec vous et en toute transparence. De votre ct, vous nous signalez trs ouvertement et candidement : Voici tous les lments que vous devriez prendre en considration dans cette opration particulire ; voici ce qu notre avis vous navez pas bien fait; voici les principes du DIH que vous semblez avoir transgress et voici pourquoi . Nous savons que nous pouvons nous fier vos remarques, vous faire part de ce que nous avons appris, mener une enqute et revenir vers vous en disant : Voil ce que

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    nous avons fait . Ce dialogue confidentiel est essentiel en ce quil nous permet de nous amliorer et dapporter des changements pour viter de commettre des faux-pas lavenir. Dautres organisations humanitaires, quand elles constatent que quelque chose ne va pas, sempressent dalerter les mdias et de le dnoncer publiquement. Il est impossible dengager un dialogue constructif, transparent et honnte avec un interlocuteur qui divulgue publiquement les informations que nous lui avons confies. Ce, sans mme nous laisser le temps denquter, de remdier au problme et de nous amliorer.

    Entendez-moi bien, je ne dis pas que la transparence est une mauvaise chose. Je pense que cest une bonne chose. Mais il y a des moments o vous avez besoin de mener une enqute sereine et impartiale, sans prjuger des faits, et en laissant aux enquteurs lespace et le temps de parvenir leurs propres conclusions. Ceci nest pas possible lorsque les faits sont constamment ports sur la place publique.

    Ainsi, un dialogue confidentiel est crucial et jai compris cela rcemment. Par exemple, je cherchais me renseigner auprs du CICR sur les centres de dtention dun autre tat. Mon interlocuteur ma rpondu : Je ne peux rien vous dire . Jai rpondu comment a vous ne pouvez rien me dire ? . Mais jai fini par comprendre ce quil voulait dire. Le CICR est tenu de respecter le caractre confidentiel des discussions bilatrales quil a avec cet tat afin de permettre ltat en question damliorer son systme de dtention sans que les autres tats en soient tenus au courant. Je comprends que le CICR ait catgoriquement refus de me transmettre de telles informations et respecte sa position. Cest ce moment-l que jai rellement compris, sagissant de la confidentialit, quel point le CICR tait strict et cela ma permis dtre pleinement confiant dans le fait que nos discussions seraient traites de la mme manire.

    La dichotomie traditionnelle entre conflit arm international (CAI) etconflit arm non international (CANI) est-elle pertinente face aux divers scnarios violents auxquels nous sommes aujourdhui confronts ? Est-elle toujours prise en considration dans les opinions juridiques de votre bureau ?

    Dans un sens, cette dichotomie reste tout fait pertinente mais, dans un autre ct, pour le gouvernement amricain, du moins pour le Dpartement de la Dfense, la question ne se pose pas vraiment. En effet, notre politique fait que nous appliquons en les rgles du CAI quelle que soit la nature du conflit militaire. Quelle que soit la qualification du conflit, la politique du Dpartement de la Dfense veut que toutes nos oprations doivent tre conformes aux principes du DIH applicables en CAI. Franchement, ceci me facilite la tche ainsi qu mes collgues juristes militaires oprationnels, dans le conseil que nous donnons nos clients , car nous navons pas nous proccuper de la qualification.

    En termes juridiques, indpendamment de toute considration politique, cette dichotomie est trs importante, en particulier pour les conflits arms non internationaux. Je pense quun conflit arm international est trs facile identifier : un conflit opposant plusieurs tats. Notre premire invasion de lIrak est sans doute le dernier conflit de ce genre que nous ayons connu. Aujourdhui, on ne voit plus

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    Entretien avec le brigadier gnral Richard C. Gross

    daffrontement traditionnel de type Seconde guerre mondiale entre les forces armes de deux ou plusieurs tats ; voil longtemps quun tel conflit grande chelle na pas eu lieu. Cependant, rien ne garantit quil nen survienne pas un dans les annes venir. Il est donc important de pouvoir se rfrer de telles rgles.

    mon sens, les difficults surgissent lorsquil est question de conflits arms non internationaux. Nous prouvons tous, je pense, des difficults comprendre exactement quel moment prcis un conf lit arm non international dbute. Difficults nest peut-tre pas le mot exact, mais nous essayons tous de dterminer ce quil faut faire lorsquil y a des acteurs non tatiques, comme Al Qaida, qui jouent un rle si prpondrant. Par exemple, je pense que le CICR considre le conflit actuel en Afghanistan comme tant un conflit arm non international. Alors que plus de quarante-cinq tats sont impliqus, ce serait un conflit arm non international. Cest un peu difficile comprendre. Il y a, en Afghanistan, plus de parties au conflit, plus dacteurs internationaux, quil ny en jamais eu dans aucun conflit prcdent. Mais, selon la dfinition, comme ce conflit noppose pas deux ou plusieurs tats, nous devons donc lui appliquer les rgles du CANI. Certains pays nappliquent mme pas les rgles du CANI, parce quils ne se considrent pas partie un CANI. On entre alors dans le vaste dbat autour des rgles applicables : conflit arm contre maintien de lordre. Aussi, je pense quil est trs important de pouvoir qualifier correctement une situation et il nous faudra continuer tudier linteraction entre les rgles du CANI et celles du droit international des droits de lhomme, car cela continuera dtre un dfi. Dans quel cas le DIH prvaut-il sur le droit des droits de lhomme ? Je pense que chaque tat aura une rponse diffrente cette question, ce qui rend ce domaine plutt intressant.

    Quelles tendances peut-on identifier dans les conflits arms dans lesquels lestats-Unis sont aujourdhui engags et quelles sont les relations entre ces tendances et le DIH ?

    Une tendance rside certainement dans lamlioration de la prcision des armes. Face des missiles de plus en plus intelligents et des systmes darmes de plus en plus prcis, on peut se demander sil sera bientt exclu dutiliser des systmes moins prcis. Si toutes nos armes sont capables de frapper une cible dun mtre carr avec une prcision quasi-chirurgicale, quelle sera la nouvelle norme ? Pourrons-nous encore utiliser des missiles moins prcis, moins intelligents ?

    La prcision accrue des systmes darmes contrls distance va-t-elle transformer la nature de la guerre ? Le fait que ces armes soient de plus en plus disponibles conduira-t-il devoir modifier le DIH ? mon avis, les armes autonomes marquent une tendance que nous allons devoir surveiller : elles ne relvent plus de la science-fiction mais de la ralit scientifique. Avec lvolution de lintelligence artificielle, des systmes informatiques et de ciblage, quel point une arme pourra-t-elle dcider automatiquement dun tir dfensif ? Quel droit sera alors applicable ? Un jour, les armes deviendront peut-tre mme capables de procder des tirs offensifs, de manire autonome, didentifier des cibles et de tirer selon un algorithme. Qui sait quand cela arrivera ? Dans dix ans, dans vingt-cinq ans, ou peut-tre moins ?

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    Honntement je ne sais pas mais ces systmes darmes de plus en plus sophistiqus ont de quoi nous faire rflchir. Ils appellent des considrations thiques qui vont au-del du DIH, mme si elles impliquent assurment aussi le DIH.

    mon avis, nous pouvons galement anticiper une tendance la protection accrue des civils, ce qui est une trs bonne chose. Cette tendance ne rsultera pas seulement de la prcision toujours plus sophistique des systmes darmes, mais aussi du fait que les mdias, les ONG et les groupes de pression sintressent de prs aux conflits. Par exemple, je peux difficilement imaginer que les bombardements, lors de la Premire et de la Seconde guerre mondiale, puissent se reproduire aujourdhui. Si cela devait arriver, il faudrait parler de troisime guerre mondiale. Mais il est difficile dimaginer que ceci pourrait se drouler sous les yeux impassibles des mdias et de lopinion publique. Aussi, Il me semble que nous nous dirigeons plutt vers une plus grande protection des populations civiles, vers un plus grand dploiement de moyens dans ce sens, vers un souci de mener des oprations militaires sans mettre les populations civiles en danger, etc. Cest la une perspective qui me semble trs probable. mon avis la guerre asymtrique sera aussi une grande tendance.

    tes-vous optimiste quant au dveloppement dun dialogue international surles questions cyberntiques afin de clarifier lapplicabilit du DIH dans laguerre informatique ?

    Nous continuons tous prouver des difficults avec la cyberntique notamment pour dfinir sa place, pour dfinir une attaque et pour dterminer partir de quel moment une cyber attaque (je mets a entre guillemets) quivaut une attaque arme laquelle on peut rpondre par la force. Cest une chose que dapporter une rponse cyberntique une cyber attaque, mais pouvons-nous riposter par une attaque arme? Si des lectrons surgissent et menacent mon rseau dlectricit, suis-je en droit de lancer un missile, un vritable missile, sur le site du serveur informatique et le dtruire, ou dois-je me limiter une riposte lectronique ? Il va nous falloir rflchir ces problmatiques mesure que les cyber-capacits deviennent plus efficaces et plus menaantes. Il va nous falloir apprendre faire face ce type de situations. Pour le moment, il me semble quil ny a pas de consensus, mme si le Manuel de Tallinn constitue une premire tape2. Il me semble quil ne sera pas facile dengager les discussions qui sont ncessaires, mais la guerre cyberntique est pourtant devenue une ralit laquelle nous sommes tous confronts.

    Malheureusement, je pense quil faudra un incident pour faire ragir les gens. On la vu dans une certaine mesure avec la cyber-activit ltranger. Nous avons vu comment les gens ragissaient ce genre dvnements et les pays ont ragi de manire trs positive en renforant leurs dfenses et en crant des centres dexcellence cyberntique. Cest le cas dans les pays baltes, entre autres. Jespre que

    2 N. D. . : le Manuel de Tallinn tudie lapplication du jus ad bellum et du DIH aux cyberoprations et la cyberguerre. Tallinn Manual on the International Law Applicable to Cyber Warfare, NATO Cooperative Cyber Defense Centre of Excellence, Cambridge University Press, Cambridge, avril 2013, disponible sur : www.ccdcoe.org/tallinn-manual.html.

    www.ccdcoe.org/tallinn-manual.html

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    Entretien avec le brigadier gnral Richard C. Gross

    nous naurons pas de grosse catastrophe, mais si nous en avons une, alors je pense que cela incitera les gens ragir.

    Le Secrtaire amricain la Dfense, Leon Panetta, a voqu la menace dun cyber Pearl Harbor et il nest pas le seul anticiper une telle ventualit. Je ne dis pas quune catastrophe de ce genre se produira forcment mais, le cas chant, elle nous obligerait rflchir. Si rien de ce genre narrive, aucun vnement qui pourrait nous pousser avoir ce dbat, il me semble que, par exemple, une runion dexperts, pourrait tre organise. Il serait bon davoir cette discussion, de dfinir quelle est, selon nous, la pratique des tats et de raisonner le cas chant par analogie avec dautres domaines pour voir ce qui serait applicable dans le domaine de la guerre cyberntique. Il serait prfrable que nous engagions ce dbat avant quune catas-trophe se produise et non aprs, pour que nous puissions y rflchir plus sereinement.

    Au vu des tendances actuelles et futures, comment envisagez-vous les oprations de dtention dans les conflits modernes ?

    Eh bien, nous continuerons de dtenir quelle que soit la forme du conflit ; pour autant, je pense que nous avons appris quelques pnibles leons, du moins les tats-Unis, mais mon avis dautres pays aussi. Nous avons appris de certaines situations, comme celle dAbou Ghraib, de nos expriences Guantanamo, en Irak et en Afghanistan. Nous avons beaucoup appris sur la dtention, sur les oprations lies la dtention et sur la manire de les mener correctement, notamment concernant linterrogatoire des dtenus. Nous en avons tir les enseignements et labor un recueil de bonnes pratiques Je pense que cest sans doute le cas pour dautres pays aussi. Pour avoir discut avec certains de mes homologues dans le monde entier, ils en ont galement tir les leons et cest une bonne chose. Esprons que nous naurons pas nous impli-quer dans un autre conflit mais, si cela devait arriver, ces enseignements juridiques et politiques seront l pour nous guider lors de nos oprations. Au lendemain du 11 septembre nous avions encore beaucoup apprendre. Nous avons commis des faux-pas mais depuis nous ne cessons de nous amliorer.

    mon avis, la possibilit de recourir la privation de libert doit faire partie intgrante de toute opration militaire. En tout premier lieu, il est hors de question denvisager une hypothse sur le mode pas de quartier , autrement dit tuer un ennemi car nous ne pouvons pas ou navons pas la capacit de le dtenir3. Cette situation serait inacceptable. Il nest pas non plus envisageable de devoir choisir entre lutilisation de la force ltale et la libration des combattants ennemis car, dans bien des cas, un ennemi remis en libert sera nouveau une menace court ou moyen terme. Donc, il reste loption capture/dtention mais elle doit tre correctement envisage, ds le dbut. Jespre quun jour mes successeurs pourront consulter les

    3 N. D. . : lexpression pas de quartier signifie refuser dpargner les combattants ennemis qui capitulent ou sont mis hors de combat sur le champ de bataille. Tout ordre ou toute menace dans ce sens constitue un crime de guerre dans les conflits arms internationaux et non internationaux. Voir Jean-Marie, Henckaerts et Louise Doswald-Beck (d.), tude de droit international humanitaire coutumier, Vol. 1 : Rgles, Cambridge University Press, 2005, Rgle 46.

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    archives et dire : Voici ce que nous avons appris en Irak et en Afghanistan ; nous sommes dsormais capables de faire mieux.

    Quelles normes relatives la dtention appliqueriez-vous dans des situations o la qualification du conflit nest pas claire ?

    Comme je lai dj dit, nous appliquons systmatiquement les rgles du CAI. Le Dpartement de la Dfense a une politique trs prcise en ce qui concerne les oprations de dtention et sur la manire dont elles doivent se drouler. Elles sont galement rgies par la lgislation sur le traitement des dtenus qui relve du droit fdral. Nous disposons donc dun vaste corpus juridique et politique auquel nous rfrer, indpendamment de la qualification du conflit.

    Quel est le champ dapplication gographique du DIH ? Sapplique-t-il seulement au champ de bataille ou sur lensemble du territoire de toutes les parties unconflit arm ? Un conflit arm suit-il toute personne qui participe directement aux hostilits, nimporte o dans le monde, y compris dans un tat non belligrant ?

    Je ne peux pas me prononcer sur la position des tats-Unis, mais je pense que vous avez vu dans des dclarations de lAdministration actuelle et de la prcdente, que lennemi choisit lendroit o il combat. Quand Al Qaida, organisation terroriste, sengage dans un conflit arm contre les tats-Unis, ce groupe ne se cantonne pas un seul pays. Quand bien mme le concept westphalien dtat-nation reste tout fait pertinent en droit international, des organisations terroristes transnationales comme Al Qaida ne le respectent pas. Elles traversent les frontires, elles sont partout. Aussi, prudemment encadrs par le droit et notre doctrine, nous devons avoir la capacit de traquer notre ennemi o quil soit. Cela ne veut pas dire une guerre globale. Cela ne veut pas dire que nous soyons partout. Il y a assurment des principes de souverainet. Nous devons respecter les principes du droit international. Il nest donc pas question dune guerre globale en tant que telle, mais ce nest pas non plus une guerre qui serait juste confine aux frontires de lAfghanistan.

    On entend souvent dire : Nous intervenons au Ymen, mais nous ne sommes pas en guerre contre le Ymen. Certes, nous ne sommes pas en guerre contre le Ymen, mais les autorits ymnites nous ont donn leur permission/consentement pour nous associer elles dans des actions menes sur leur territoire. Ce nest donc pas avec le Ymen ni avec ses ennemis que nous sommes en conflit, mais avec Al Qaida. videmment, la gographie a parfois son importance. Mais nous ne pouvons pas nous limiter un seul pays et dclarer que les affrontements nauront lieu que dans ce pays et pas ailleurs. Les tats-Unis ont dsormais une politique rgissant les oprations lextrieur de ce que nous appelons la zone active dhostilits ou le cur du champ de bataille , en loccurrence lIrak et lAfghanistan. Ce type doprations est donc trs encadr et je pense que cest important. Ces oprations respectent la souverainet des autres pays et gardent le conflit limit et concentr sur lennemi sans tre excessivement larges.

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    Entretien avec le brigadier gnral Richard C. Gross

    Concernant ltendue du champ de bataille, les tats-Unis considrent quilspeuvent poursuivre leur ennemi hors du cur du champ de bataille sans le consentement de ltat territorial si celui-ci ne veut pas ou ne peut pas rpondre la menace. Pouvez-vous expliciter ce point, qui nexiste pas lheure actuelle en droit international ?

    Il existe un consensus entre un certain nombre dtats (pas tous) qui saccordent sur le fait quun tat expos une menace provenant du territoire dun autre tat, qui ne veut pas ou ne peut pas rpondre cette menace, peut agir en situation de lgitime dfense, au titre du droit international coutumier, afin dradiquer cette menace (et seulement cette menace).

    Sans cette analyse fonde sur le manque de volont ou lincapacit, ltat attaqu naurait dautre choix que dattendre que la menace se concrtise. Grce cette analyse, nous pouvons intervenir en amont.

    Si le principal lment prendre en considration pour dlimiter le champ debataille nest pas le territoire, mais le lien entre les membres dun groupe arm non tatique et le conflit, quel type de lien est susceptible de dclencher lapplication du DIH ? Le DIH sapplique-t-il seulement ceux qui participent aux hostilits ou bien tous les membres dun groupe arm spcifique ?

    Prenons le cas dun conflit arm entre les tats-Unis et un groupe arm. Admettons quil sagisse dun groupe terroriste et que les tats-Unis aient ou pas la possibilit daccder la zone gographique. Par exemple, Al Qaida a lanc une attaque contre les tats-Unis depuis lAfghanistan. Les terroristes sont rests en Afghanistan, donc nous sommes alls en Afghanistan. Ils sont partis, mais il restait les talibans, de sorte que ce conflit avait une limite gographique. Mais Al Qaida aurait pu lancer des attaques depuis lAfghanistan, puis quitter ce pays avant larrive des troupes amricaines. Imaginons que le gouvernement lgitime soit revenu au pouvoir en Afghanistan ; nous nallons pas faire la guerre en Afghanistan. Alors o a lieu le combat ? Il a lieu l o se trouve Al Qaida. En loccurrence, les talibans sont rests en Afghanistan et cest donc l que nous avons envoy nos troupes. Comme Al Qaida a volu, quil sest dispers et quil constitue encore une menace pour les tats-Unis, nous lavons poursuivi l o il est, comme au Ymen et en Somalie.

    La notion de cur du champ de bataille est pertinente dans le cas dun conflit intense et durable dans un endroit prcis, comme lAfghanistan. Mais ds lors quAl Qaida peut sparpiller dans plusieurs tats, il ny a plus de lien gographique.

    Cest l un problme dlicat, pour nous qui avons lhabitude de rflchir en termes de conflits traditionnels. Durant la Seconde guerre mondiale, nous savions qui taient nos adversaires et o ils se trouvaient. Cela na pas empch la guerre de se propager dans le monde entier, dans des rgions qui auraient sans doute prfr rester neutres. Pourtant, personne na dit (certes, il sagissait dun CAI, alors la situation tait un peu diffrente) : Vous navez pas le droit de les combattre ici . Dans le contexte du conflit actuel, nous devons regarder l o se trouve lennemi, sans nous cantonner artificiellement aux frontires de ltat o le conflit a commenc.

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    Pensez-vous que le concept de forces associes restera pertinent ? Signifie-t-il que ce conflit est vou ne jamais finir ?

    Si vous regardez notre dfinition des forces associes , un lment rside dans le fait que nous considrons comme un co-belligrant celui qui a pris les armes aux cts dAl Qaida contre les tats-Unis ou ses partenaires de la coalition. Il ne sagit donc pas seulement dun groupe quelconque qui partage lidologie dAl Qaida ou qui combat les tats-Unis quelque part dans le monde. Il faut quil sagisse proprement parler dun co-belligrant. Cet lment est crucial.

    Dans le cas dun CAI, quand un pays A affronte un pays B, si un pays C se rallie au pays B, alors le pays C devient un ennemi. Mme si le combat contre le pays B cesse, le pays C reste un ennemi. Cette notion de co-belligrance est en partie ce qui empche une acception trop large des forces associes . Sans prendre en considration la dfinition exacte laquelle nous faisons rfrence, certains ont tendance penser que le concept de forces associes sapplique nimporte qui. Je ne pense pas que ce soit vrai. Cette dfinition est assez contraignante parce quest considr comme co-belligrant celui qui a rejoint les combats aux cts dAl Qaida contre les tats-Unis.

    Quelle est la position des tats-Unis sur lapplicabilit extraterritoriale du droit international des droits de lhomme en temps de conflit arm ? Le droit desdroits de lhomme est-il un problme quand les tats-Unis cooprent avec dautres tats, par exemple dans le cadre dune coalition ?

    Les tats-Unis considrent que le droit international des droits de lhomme ne sapplique pas de manire extraterritoriale. Cette question se pose souvent quand on travaille avec des partenaires internationaux, non pas tant la question de lextraterri-torialit du droit international des droits de lhomme, que celle du droit des droits de lhomme en particulier et, ce faisant, plus gnralement, quel droit, quel paradigme, quelles rgles sappliquent ? Quand nous participons une guerre de coalition, chacun vient avec son droit national, les traits auxquels il est partie, ainsi que les obligations juridiques, les mesures et rglementations qui lui sont propres. Chaque tat a une comprhension diffrente de son engagement. Nous constatons cela en Afghanistan o certains tats croient fermement que leur implication est rglemente par le paradigme des rgles de maintien de lordre, tandis que dautres considrent quil sagit dun conflit arm et que le DIH sapplique, en particulier le DIH des CANI. Dautres encore adoptent une position intermdiaire. Les tats europens, en particulier, appliquent la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales ainsi que la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lhomme. Dautres tats sont parties dautres traits de droits de lhomme et sont soumis dautres juridictions des droits de lhomme qui contrlent leurs pratiques. Enfin, certains pays sont parties aux Protocoles additionnels aux Conventions de Genve, tandis que dautres ne le sont pas, si bien que chacun a une perception lgrement diffrente du droit et de la rglementation applicables. Il en rsulte bien des dfis.

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    Entretien avec le brigadier gnral Richard C. Gross

    Lune des voies pour surmonter ces dfis est de disposer dun ensemble de rgles dengagement, dordres de mission, de directives, etc., manant de lOTAN-FIAS. Les tats acceptent de sy soumettre, sauf dans la mesure o ils formulent des rserves. Ces caveats sont importants puisquils les autorisent appliquer les rgles dengagement de manire plus restreinte. Mais, trs important, ces caveats (ou rserves) ne peuvent pas permettre aux tats daccrotre les pouvoirs qui leur sont confrs par lOTAN, ils ne peuvent que les restreindre.

    Les caveats permettent aux tats de signifier lOTAN leur comprhension des rgles qui rgiront leurs oprations. Ainsi les planificateurs militaires doivent planifier des oprations en sachant que, par exemple, un pays refusera de participer une opration de lutte contre les stupfiants. Ces caveats seront souvent lis au droit et la rglementation internes, pas avec le DIH, mais ils peuvent inclure des lments de DIH comme la dfinition du combattant . Ainsi, en planifiant une opration potentiellement lie une mission de lutte contre le narcotrafic, le commandant devrait en discuter avec lautre tat concern.

    Lautre dfi dans les oprations multinationales tient au fait quelles runissent quarante-cinq tats mais quil ny a pas un conseiller juridique pour chacun dentre eux. Certains tats doivent donc demander des conseils juridiques leur capitale ou sadresser au service juridique de la FIAS, et prendre conseil auprs dun officier amricain, britannique ou autre. Le mieux que lon puisse faire dans cette situation est dinterprter de bonne foi ce que disent les politiques et les rgles dengagement de lOTAN- FIAS. Il est difficile de conseiller un autre tat sur son propre droit national ou sur des obligations lies un trait rgional des droits de lhomme.

    Quels sont les principaux dfis juridiques soulevs par le retrait des troupes en Afghanistan ? Ce retrait affecte-t-il lapplicabilit du DIH ?

    Les dfis sont multiples. videmment, les dtenus restants en sont un. LAfghanistan a repris en charge les dtenus afghans et nous avons gard les dtenus originaires dautres pays. La question du traitement de ces dtenus et de leur rapatriement est un dfi. Nous ne savons pas encore sil y aura un accord bilatral de scurit entre les tats-Unis et lAfghanistan4. Ds lors que cet accord sera tabli, nous devrions avoir une dcision de la part du Prsident propos des forces qui restent et des missions qui leur seront attribues. LOTAN doit, bien sr, prendre des dcisions concernant les partenaires de la coalition : combien resteront et quelles seront leurs missions. Ilreste donc encore beaucoup de dcisions prendre.

    En conseillant nos clients sur le droit et les stratgies mettre en place, nous devons envisager diffrents scnarios et missions. Mais, en ralit, nous ne les connaissons pas encore. La nature de la mission, lampleur des forces dployes et le type daccord qui sera mis en place ne sont pas trs clairs. Cela pose un dfi.

    Je pense quaprs 2014, quand nous connatrons les missions des forces et leurs effectifs, nous devrons vraiment nous attaquer examiner quoi ressemble la

    4 N. D. .: Cet entretien est antrieur la signature de laccord bilatral de scurit entre les tats-Unis et lAfghanistan et de la Convention de lOTAN sur le statut des forces du 30 septembre 2014.

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    situation post-conflictuelle en Afghanistan et quelles rgles appliquer. Cela concerne les rgles pour les forces amricaines mais aussi pour ses partenaires de la coalition et pour les forces afghanes. Cela concerne la dtention, les questions de protection des forces, de lgitime dfense, etc. Autant de questions que nous anticipons en ce moment mme, sans savoir quoi ressemblera le scnario dfinitif.

    On entend dans les mdias aujourdhui que les tats-Unis sont rsolus faire un plus grand usage des oprations spciales (ou forces spciales) pour renforcer ou maintenir une prsence scuritaire dans les contextes de conflits dans le monde. Quel est le rgime juridique applicable aux forces spciales impliques dans des oprations de contre-insurrection ? Voyez-vous des dfis lapplication du DIH ?

    Je commencerai par rappeler que les forces spciales sont des forces militaires. ce titre, elles sont rgies par le mme droit et la mme rglementation que nimporte quelle autre opration. Elles doivent respecter pleinement le DIH. Elles doivent se soumettre aux mmes rgles dengagement et aux mmes ordres. Il peut arriver quelles aient des rgles dengagement spciales, mais ces rgles doivent demeurer conformes au DIH, ainsi quau droit et la rglementation des tats-Unis.

    Lide selon laquelle les forces spciales ont carte blanche et peuvent agir leur guise est un mythe, une lgende urbaine. En ralit, elles sont assujetties de trs nombreuses rgles. Une unit doprations spciales est une unit comme les autres qui bnficie juste dune formation spciale. Elles travaillent souvent en groupe plus rduit. Elles sont excellentes pour mener des oprations requrant un petit groupe dlite compos de personnel militaire hautement qualifi. Elles ne peuvent pas faire ce quune grande unit conventionnelle fait. Par exemple, il faut une division de blinds ou une division dinfanterie pour agir sur de vastes territoires. Les forces spciales nen sont pas capables. Elles peuvent mener des missions spcialises, mais elles nont pas la capacit de contrler de vastes tendues de territoires. Leurs comptences sont donc diffrentes.

    Vous avez sans doute pu entendre des dclarations et lire des articles dans la presse qui faisaient tat dune volont de compenser le retrait des forces conventionnelles par le dploiement de plus petits groupes de forces spciales qui pourraient conduire des missions plus limites et des missions spciales dans des endroits inaccessibles une division de blinds ou dinfanterie comme la 82e division aroporte. Par exemple, si vous avez besoin dentraner larme dun autre pays sur les tactiques des armes lgres, cela est une des spcialits des forces spciales. Elles sont trs comptentes pour entraner des forces sur la tactique des armes lgres. On ne dploierait donc pas la 82e division aroporte dans un pays pour faire cela ; on dploierait plutt un petit groupe des forces spciales ou une autre quipe restreinte.

    Franchement, ce qui pose problme dans le dploiement de petites units, cest quelles nont pas le mme type dinfrastructure, de ressources ou de contrle. Elles nont pas forcment un conseiller juridique leurs cts. Par dfinition, elles sont plus petites et plus isoles. Certes avec les moyens de communication actuels cela ne pose pas autant problme quil y a vingt ou trente ans. Aujourdhui, si les

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    units se posent une question dordre juridique concernant leurs obligations en vertu du DIH ou dautres rgles dengagement, elles obtiendront un conseil juridique trs rapidement. Toutefois leur conseiller ne se trouvera pas ncessairement sur le terrain leurs cts. Cette situation constitue lun des dfis que nous rencontrons. Elle exige que les forces spciales bnficient dun entranement et dune formation pralables leur dploiement, afin quelles connaissent leurs limites.

    Quelles obligations juridiques les tats-Unis doivent-ils respecter pour conseiller, assister et entraner dautres forces armes, nationales et locales, lorsquelles tablissent des partenariats avec elles ou lors de la conduite doprations conjointes ?

    Les tats-Unis sont dots dune lgislation et de rgles qui couvrent certains fonda-mentaux. Certaines dispositions de la loi Leahy interdisent la formation, lqui-pement et toute autre forme dassistance une unit coupable de violations manifestes des droits de lhomme5. Ceci permet de dceler les auteurs de violations graves des droits de lhomme. Lorsque nous cooprons avec dautres tats, nous veillons assurer une formation en matire de DIH et dautres obligations internationales. Le Defense Institute for International Legal Studies, tabli sur la base navale de Newport et financ par le Dpartement dtat, est majoritairement constitu de militaires actifs ou retraits qui sont chargs de former les militaires trangers. Cette formation est largement axe sur le droit applicable aux conflits arms, notamment le DIH et le droit des droits de lhomme. Cest l une mission trs importante nos yeux. Une fois encore, il ne sagit pas simplement dapprendre aux personnes se battre, manier une arme, dployer une unit ou communiquer. Il faut aussi leur apprendre faire tout cela conformment au droit et au principe de subordination des forces armes au pouvoir civil, quil nous semble galement capital de mettre en avant.

    Quels sont les domaines du DIH qui, selon vous, mriteraient dtre approfondis ou clarifis dans les annes venir ?

    La guerre informatique en est un. Nous devons galement continuer discuter des rgles de dtention dans les CANI. Comment grer les CANI qui ne semblent pas tre des CANI ? Peut-on parler de conflit arm transnational et faut-il un corpus juridique distinct pour le rglementer, ou bien le cadre juridique du CANI suffit-il pour couvrir le scnario o plus de quarante-cinq pays combattent un ennemi parpill dans une vingtaine de pays, de lExtrme-Orient lAfrique ? Sagit-il l dun CANI ? Oui, dans la mesure o ce nest pas un CAI, mais ny a-t-il pas une autre catgorie ? Faudrait-il en crer une ? Ce nest pas moi den dcider, mais cest l une question dont il convient de discuter.

    5 N. D. . : La loi Leahy est codifie dans le Foreign Assistance Act de 1961, P. L. 87-1954, 620M, 22 USC 2378d ; et dans le Department of Defense Consolidated Appropriations Act de 2014, PL 113-76 (entr en vigueur le 17 janvier 2014), par. 8057.

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    Un autre domaine qui mriterait dtre clarifi concerne les armes auto-nomes. Nous allons devoir rflchir aux dfis juridiques et thiques quelles soulvent. Ces armes sont-elles vritablement autonomes et jusqu quel point voulons-nous quelles le soient ? Par ailleurs, le concept en dehors du cur du champ de bataille, mon sens, va continuer intresser tant les chercheurs que les praticiens, eu gard en particulier lautonomie croissante des systmes darmement et leurs capacits doprer distance.

    Diriez-vous que nous sommes en train de sortir de lre du 11 septembre pour entrer dans ce que le Secrtaire la Dfense, Chuck Hagel, appelle laprs-guerre ? Comment envisagez-vous les dix annes venir6 ?

    Le retrait de nos troupes dAfghanistan marque la fin de notre prsence dans un conflit majeur contenu dans une rgion gographique bien dlimite ; nous devons donc nous poser ces questions. On envisage souvent cette situation comme un seul et mme conflit arm. Mais on pourrait considrer quil sagit de deux conflits distincts, lun contre Al Qaida et lautre contre les talibans. Ces deux conflits sont lis sans pour autant tre compltement identiques. Ainsi, en mettant fin au conflit en Afghanistan, mettons-nous un terme uniquement au conflit contre les talibans ou bien aussi celui contre Al Qaida ? La fin du conflit contre les talibans aura-t-elle une incidence uniquement sur les dtenus talibans Guantanamo, ou bien influera-t-elle aussi sur les dtenus membres dAl Qaida ? La fin du conflit en Afghanistan nous fera-t-elle passer en-de des seuils dintensit et dorganisation de sorte que ce conflit ne pourra plus tre qualifi de CANI ? Sinon, qui est lennemi dans ce conflit ? Est-ce un conflit seulement contre les talibans ou est-ce un conflit contre les talibans et Al Qaida ? Quid des rgions loignes de la zone active de combat ds lors quil ny a plus de zone dhostilits actives en Afghanistan ?

    Nous nous intressons toutes ces questions qui ont trait au DIH mais, au-del, nous avons nos propres problmatiques juridiques nationales relatives la rglementation autorisant le recours aux forces armes ; la loi de 2001 est notre fondement juridique national pour agir lencontre de Al Qaida, les talibans et les forces associes. Le Prsident a manifest la volont de travailler avec le Congrs en vue de la modifier et, terme, de labroger. Aussi, nous examinons galement ces questions sous langle juridique national. Dans la priode difficile que nous traversons, je pense que la tche du juriste oprationnel militaire nest pas facile, mais elle est particulirement stimulante.

    6 Kevin Baron, Hagels Plan for the Military in the Post-War Era , Defense One, 5 novembre 2013, disponible sur : www.defenseone.com/ideas/2013/11/hagel-plans-for-military-in-post-war-era/73203.

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    La section Dbat de la Revue vise contribuer la rflexion sur des questions contem-poraines relatives au droit, la politique et laction humanitaires. Dans ce numro de la Revue, nous avons invit deux experts en droit international humanitaire (DIH), Claus Kre et Frdric Mgret, discuter de la manire dont le DIH applicable aux conflits arms non internationaux (CANI) pourrait tre dvelopp. Le professeur Kre suggre la cration dune nouvelle norme de droit international interdisant les CANI, un jus contra bellum internum, accompagne dun ensemble correspondant de rgles applicables aux CANI, un jus in bello interno. Ce jus in bello interno accorderait aux acteurs non tatiques dans les CANI, un privilge de belligrance , semblable au privilge du combattant dans les conflits arms internationaux, qui les inciterait se conformer ces nouvelles rgles de la guerre civile. Frdric Mgret se livre, quant lui, un examen critique de ce privilge de belligrance en soulignant les aspects les plus problmatiques et conclut que loctroi systmatique dun tel privilge nest, en ralit, pas souhaitable.

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    La rglementation desconflits arms noninternationaux : unprivilge debelligrance peut-il tre envisag dans ledroit desconflits arms non internationaux ?Claus Kre et Frdric Mgret

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    Claus Kre et Frdric Mgret Dbat : La rglementation desconflits arms noninternationaux : unprivilge debelligrance peut-il tre envisag dans ledroit desconflits arms non internationaux ?

    Vers un nouveau dveloppement dudroit des conflits arms noninternationaux : une proposition pour un jus in bello interno et pour unnouveau jus contra bellum internumClaus Kre*Claus Kre est professeur de droit international public et de droit pnal. Il est directeur de lInstitute for International Peace and Security Law lUniversit de Cologne, o il est galement titulaire de la chaire de droit pnal allemand et international. En 2012, avec Stefan Barriga, il a dirig louvrage, TheTravaux Prparatoires of the Crime of Aggression, (Cambridge University Press, 2012).

    Rsum

    Depuis 1945, les conflits arms ont, le plus souvent, oppos des tats des rebelles, ou des groupes arms non tatiques entre eux dans des tats fragiles ou faillis. Actuellement, les tragdies qui se droulent en Irak, en Syrie et en Ukra