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REVUE PRATIQUE DES SOCIETES ANNEE 1998 BRUYLANT RUE DE LA REGENCE, 67 BRUXELLES

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REVUE

PRATIQUE DES

SOCIETES

ANNEE 1998

BRUYLANT RUE DE LA REGENCE, 67

BRUXELLES

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DIRECTION

Pierre COPPENS, Guy HORSMANS, Fran9ois T'KINT, Redacteur en chef.

REDACTION

Andre-Pierre ANDRE-DUMONT, Georges-Albert DAL, Yves DE CORDT, Patrick DEWOLF, Guy KEUTGEN,

Philippe LAMBRECHT, Sophie MAOUET, Pierre NICAISE,

COMITE SCIENTIFIQUE

Robert ANDERSEN, Anne BENOIT-MOURY, Michel COIPEL, Francis DELPEREE,

Marcel FONTAINE, Pierre VAN OMMESLAGHE.

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N° 6734

L'INCORPORATION COMME FACTEUR DE RATTACHEMENT DE LA LEX SOCIETATIS

SOMMAIRE

1. Introduction

2. Plan

I. - F ACTEURS DE RATTACHEMENT TRADITIONNELS

3. La « nationalite » des societes

4. La lex societatis

5. Theorie du siege reel

6. Theorie de !'incorporation

7. Coexistence des deux systemes

8. Facteurs de rattachement et correctifs respectifs

II. - LA THEORIE DU SIEGE REEL EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE BELGE

9. Article 197 L.C.S.C.

10. Ratio legis

11. Notion de principal etablissement I

III. - LA THEORIE DE L'INCORPORATION EN DROIT COMPARE

12. Generalites

A. - Droits anglo-americains

13. Origine

14. Etats de Californie et de New York

B. - Modifications legislatives recentes en droits neerlandais, italien et suisse

15. Droit neerlandais (lois du 17 decembre 1997)

16. Droit italien (loi du 31 mai 1995)

17. Droit suisse (loi du 18 decembre 1987)

C. - Doctrine allemande

18. Analyse traditionnelle

19. Theorie de !'incorporation

20. Evolution des theories du siege reel

D. - Conventions internationales

21. Conventions de La Haye et de Bruxelles

22. Traite de Rome

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IV. - POUR LE RATTACHEMENT DE LA LEX SOCIETATIS A LA LOI DE L'INCORPORA­

TION EN DROIT BELGE

23. Generalites

A. - Les avantages de la theorie de l 'incorporation

24. Respect du choix des fondateurs

25. Securite juridique

26. Deplacement volontaire du siege

27. Consequence d'une modification involontaire du principal etablissement

B. - Oontexte economique et social de la societe et evolution du droit international prive

28. «Sphere economique » de la societe

29. Lois d' application immediate

30. Inadequation du siege reel aux objectifs economiques

31. Mecanismes correcteurs de la loi de !'incorporation par les lois d'applica­tion immediate

32. Applications recentes de ces mecanismes

33. Protection par d' autres regles locales

C. - Evolution du droit belge des societes

34. Prise en compte de la loi de !'incorporation

35. Influence de la theorie des cadres legaux obligatoires

36. Nouvelle interpretation des articles 196 et 197 L.C.S.C.

37. Modification legislative

V. - CONCLUSION

38. Inadequation de la theorie du siege reel et avantages de la theorie de !'in­corporation

1. - Introduction. Il est important pour tout Etat de dis­poser, en presence d'elements d'extraneite, d'un systeme clair et simple de rattachement des societes a son droit national. La question peut paraftre marginale : dans la tres grande majorite des cas, tous les facteurs de rattachement de la societe et de son entreprise convergent vers un meme Etat. Elle a cependant pris de !'importance au fil de !'internationalisation croissante des economies et suscite des reactions legislatives dans divers pays.

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Ainsi, a l'issue d'interessants debats parlementaires (1), le legislateur neerlandais a adopte le 17 decembre 1997 une loi concernant le droit international prive des corporaties (Wet conflictenrecht corporaties) (2) et une loi concernant les formeel buitenlandse vennootschappen (Wet op de formeel buitenlandse ven­nootschappen) (3), entrees en vigueur le 1 er janvier 1998 (4). Ces lois confirment le choix du Iegislateur neerlandais pour la theorie de l'incorporation, mais en modalisent les effets (infra § 15). La

(1) Pour la Wet conflictenrecht corporaties : Tweede Kamer, session 1994-1995, 24.141, n°8 1-2 et A (proposition et corrections), session 1994-1995, 24.141, B (Avis du conseil d'Etat et rapport complementaire), session 1994-1995, 24.141, n° 3 (Expose des motifs), session 1995-1996, 24.141, n° 4 (Rapport), session 1996-1997, 24.141, n° 5 (note relative au rapport); pour la Wet op de formeel buiten­landse vennootschappen : Tweede Kamer, session 1994-1995, 24.139, n°8 1-2 et A (proposition et corrections), session 1994-1995, 24.139, B (Avis du conseil d'etat et rapport complementaire), session 1994-1995, 24.139, n° 3 (Expose des motifs), session 1995-1996, 24.139, n° 5, (Rapport), session 1996-1997, 24.139, n° 6 (note relative au rapport), session 1996-1997, 24.139, n° 7 (note modificative), session 1996-1997, 24.139, n° 8 (rapport complementaire); Eerste Kamer, session 1996-1997, 24.139, n° 352 (Proposition de loi modifiee); sur les deux textes simultane­ment: Eerste Kamer, session 1997-1998, 24.139 et 24.141, n°8 6la et 6lb; sur les projets dont ces deux lois sont issues, voir J.M.M. MAEIJER, Vertegenwoordiging en rechtspersoon - De rechtspersoon, Asser, 1997, n° 62; J.M.M. MAEIJER, « Struycken en het IPR-statuut van de rechtspersoon - kapitaalvennootschap », in Op recht A. V.M. Struycken, Zwolle, Tjeenk Willink, 1996, pp. 187 et s. ; C.A.E. UNIKEN VENEMA, « Pseudo-buitenlandse vennootschappen in Nederland; een advies van de Adviescommissie Vennootschapsrecht », N. V., 1992, pp. 266 et s.; J. VAN RrJN VAN A.LKEMADE, « Wetsvoorstellen conflictenrecht corporaties en formeel buitenlandse vennootschappen », W.P.N.R., 1996, pp. 563 et s. ; P. VLAS, «Twee wetsvoorstellen i.p.r. rechtspersonenrecht », T.V. V.S., 1995, pp. 233 et s.; P. KLEMANN, « Formeel buitenlandse vennootschappen )), N. V., 1995, pp. 186 et s. ; C.R. HmsKEs, « Vluchten kan niet meer 1 )>, in R.C.J. GALLE et M.J.G.C. RAAIJMAKERS (eds), Na 20 jaar Baek 2 BW, Tjeenk Willink, Zwolle, 1996, pp. 95 et s.

(2) Wet van 17 december 1997, houdende regels van internationaal privaat­recht met betrekking tot corporaties (Wet conflictenrecht corporaties), Staatsblad van het Koninkrijk der Nederlanden, 1997, n° 699.

(3) Wet van 17 december 1997 houdende regels met betrekking tot naar bui­tenlands recht opgerichte, rechtspersoonlijkheid bezittende kapitaalvennotschap­pen die hun werkzaamheid geheel of nagenoeg geheel in N ederland verrichten en geen werkelijke band hebben met de Staat naar welks recht zij zijn opgericht (Wet op de formeel buitenlandse vennootschappen), Staatsblad van het Koninkrijk der Nederlanden, 1997, n° 697.

(4) Besluit van 17 december 1997, houdende vaststelling van het tijdstip van inwerkingtreding van de Wet op de formeel buitenlandse vennootschappen (Staatsblad der Koninkrijk der Nederlanden, 1997, n° 698) et Besluit van 18 december 1997 houdende vaststelling van het tijdstip van inwerkingtreding van de Wet conflictenrecht corporaties (Staatsblad van het Koninkrijk der Neder­landen, 1997, n° 743).

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Wet conflictenrecht corporaties contient en outre des regles sur le transfert du siege social ( 5).

2. - Plan. Pour faire comprendre !'importance des regles de conflit de lois, il convient de rappeler brievement la notion de lex societatis (infra § 3 et 4), les deux principales theories en matiere de rattachement de la societe a un ordre juridique (infra§ 5 a 7) et leurs correctifs respectifs (infra § 8).

Ensuite, on decrira le systeme belge et on rappellera son ori­gine (infra§ 9 et s.). Puis, on examinera les choix operes par cer­tains droits etrangers : le droit de certains Etats americains (infra § 13 et 14), les nouvelles legislations en droit neerlandais, italien et suisse (infra § 15 et s.) et les discussions qui se deroulent depuis une vingtaine d' annees dans la doctrine allemande (infra § 18 et s.). Les regles internationales sont egalement une source importante (infra § 21 et 22).

Ces exemples permettront de mettre en lumiere les avantages de la theorie de l'incorporation (infra § 23 et s.) et la maniere dont elle s'inscrit dans l' evolution du droit international prive (infra § 28 et s.) comme dans la logique decoulant de la loi belge du 13 avril 1995 modifiant les lois sur les societes commerciales, coordonnees le 30 novembre 1935 (infra § 34 et s.).

Il faudrait, eu egard a ces evolutions, preferer en droit belge un systeme de rattachement a la loi de !'incorporation, assorti de certains mecanismes correcteurs (infra § 36 et 37) (6).

(5) Voir aussi la loi du 13 octobre 1994, qui autorise le transfert de siege en cas de necessite (Wet houdende regels omtrent de vrijwillige verplaatsing naar het buitenland van de statutaire zetel van naamloze vennootschappen, besloten vennootschappen, cooperaties, onderlinge waarborgmaatschappijen en stichtingen in tijden van nood); sur cette loi : H.J.M.N. HoNEE, « Zetelverplaatsing in een dubbeldekker », in Op recht A. V.M. Struycken, p. 127; P. VLAS, « Wetsvoorstel vrijwillige zetelverplaatsing derde landen », T.V. V.S., 1994, pp. 97 et s.; H.J. STEINVOORT, « Vrijwillige zetelverplaatsing derde landen », N. V., 1994, pp. 62 et s.

(6) Pour un rattachement, pour des raisons de securite juridique, a la loi d'in­corporation, comme il existe en droit anglais : J. HEENEN, «A propos de la natio­nalite des societes par actions)>, in Evolutions recentes du droit des affaires, C.D.V.A., Kluwer, 1992, p. 103; pour la suggestion de nuancer la regle du siege reel au regard des regles de libre etablissement (infra § 22) : J. WOUTERS, (<Over vennootschappen verwijzingsregels en vrijheid van vestiging », T.R. V., 1991, pp. 456 et s., qui renvoie a la theorie neerlandaise des« regels van maatschappelijke prioriteit )} et aux theories allemandes de l' « Uberlagerung )} et de la « Differenzie­rung )} (infra §§ 15 et 19).

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I. - FACTEURS DE RATTACHEMENT

TRADITIONNELS

3. - La « nationalite » des societes. Le probleme de la loi applicable aux societes a longtemps ete aborde en termes de recherche de la « nationalite » des societes (7) : par une sorte de reflexe anthropomorphique, chaque ordre juridique cherchait a definir quels etaient ses « nationaux », en ce compris les personnes morales. Le statut personnel qui en decoulait semblait fournir une explication uniforme de la naissance, du fonctionnement et de la mort de ces personnes (8). Cette discussion etait en outre obscurcie par les controverses relatives a la nature de la person­nalite morale (9).

II est progressivement apparu que la question d'une eventuelle nationalite des societes devait etre distinguee · de celle de la recherche de la lex societatis (10).

(7) Pour cette approche en droit positif beige, infra § 9 et 10. (8) Cette observation se verifie a la fois pour la tMorie du siege reel et pour

la theorie de I' incorporation, qui n' est pas moins anthropomorphique dans sa conception initiale de « domicile of origin » (L. LEVY, La nationalite des societes, L.G.D.J., 1984, n° 175).

(9) Sur ces controverses, V. SIMONART, La personnalite morale en droit prive compare, Bruxelles, Bruylant, 1995, n°8 19 et s. ; ainsi on s'interrogeait sur la pos­sibilite pour une entite etrangere ne correspondant pas a un type de personne morale de droit beige de jouir de la personnalite en Belgique (voir p. ex. PouL­LET, Manuel de droit international prive, Polidore Pee, 3° ed., 1947, n°8 197 et s.) et sur sa capacite a jouir de droits en Belgique (ibidem, n°8 215 et s.); on conside­rait en effet que l'Etat qui confere ainsi la personnalite ne peut « exercer son impe­rium au dela des limites du territoire » : WAUWERMANS, Manuel, n° 1089.

(10) J.-P. NrnoYET, « Existe-t-il vraiment une nationalite des societes ? », R.D.0.1.P., 1927, pp. 402 et s. (qui limite cette notion a un rattachement politi­que determine, en fonction de la nationalite de ceux qui exercent le controle); J. HAMEL, « Faut-il parler de 'nationalite' des societes commerciales? », Melanges M. Gutzwiller, Helbing & Lichtenhahn, 1959, pp. 365 et s.; en droit beige, conclu­sions du Procureur general DuMON, avant Cass., 12 novembre 1965, Rev. prat. SOC., 1966, p. 154 ; VAN RYN, Principes de droit commercial, t. I, 1 re ed., Bruxelles, Bruylant, 1954, n° 377; RONSE, Vennootschapsrecht, Acco, Leuven, 1975, p. 233; RIGAUX, Droit international prive, Theorie generale, Larcier, 2° ed., 1987, t. I, n°8 134 et 1574; G. VAN BoxoM, Rechtsvergelijkende studie over de nationaliteit der vennootschappen, Centre universitaire de droit compare, Bruxelles, Bruylant, 1964, pp. 14 et s.; en droit fran9ais : Y. LoussouARN, Les conflits de lois en matiere de societes, Librairie du Recueil Sirey, 1949, pp. 80 et s. ; B. AUDIT, Droit international prive, Economica, 2° ed., 1997, n° 1074; L. LEVY, La nationalite des societes, pp. 91 et s.; Y. LoussouARN et J.-D. BREDIN, Droit du commerce interna­tional, Sirey, 1969, pp. 251 et s. ; Y. LoussoUARN et P. BoUREL, Droit internatio­nal prive, 4° ed., Dalloz, n° 706; P. MAYER, Droit international prive, 4e ed.,

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Encore qu' elle n' ait pas un sens uniforme dans la doctrine, on s' accorde generalement a definir par la reference a la nationalite les attaches d'une societe avec un ordre politique determine et ce pour les besoins de certaines regles : protection diplomati­que (11), discrimination a l'egard de societes qui ont une majorite d'associes ennemis (12), etc.

Par contre, la recherche de la lex societatis ne suppose pas la determination prealable d'une nationalite, par hypothese uni­que (13). En tant qu'elle designe le corps de regles qui regit les societes, la « nationalite » d'une societe a done un sens tout diffe­rent de celle d'une personne physique (14).

Independamment de cette discussion, il faut degager un fac­teur de rattachement pour la lex societatis. Les systemes juridi­ques retiennent, avec de nombreuses nuances, tantot la loi du

Montchrestien, Paris, n° 1021; J. HEMARD, P. TERRE et P. MABILAT, Societes commerciales, t. I, Dalloz, 1972, n°8 105 et s.; en droit neerlandais : P. VLAS, Rechtspersonen, Praktijkreeks IPR, Kluwer-Deventer, 1993, n° 13; MAEIJER, Vertegenwoordiging en rechtspersoon - De rechtspersoon, n° 56.

(11) J. VERHOEVEN, «Condition des etrangers, conflit de lois et societes off­shore», note sous Cass., 15 decembre 1994, R.O.J.B., 1997, p. 19; V. SIMONART, La personnalite morale en droit prive compare, n° 177.

(12) P. VLAS, Rechtspersonen, n°8 13 a 15; L. LEVY, La nationalite des societes, n°8 45 et s. ; V. SIMONART, La personnalite morale en droit prive compare, n°8 176 et 590 et s.

(13) En droit belge : V. SIMONART, La personnalite morale en droit prive com­pare, n° 176; T. TILQUIN, Traite des fusions et scissions, Kluwer, 1993, n° 743; T1LQUIN et SIMONART, Traite des societes, t. I, Kluwer, 1996, n° 864; J. MEEUSEN, «In het buitenland opgerichte vennootschappen »,in Oommentaar Vennootschaps­recht, art. 196-197, § 5; R. PRIOUX, « L'article 197 des lois coordonnees sur les societes commerciales, disposition meconnue de droit international prive belge », note sous Bruxelles, 11 fevrier 1988, R.G.D.0., 1989, p. 483 ; en droit frarn;ais : Y. LOUSSOUARN et P. BoUREL, Droit international prive, 4° ed., n°8 704 et s.; P. MAYER, Droit international prive, 4e ed., n°" 1021 et 1038 et s. ; COZIAN et VIANDIER, Droit des societes, 9e ed., n° 293; voir toutefois Cass. fr. (Com.), 9 avril 1991, Rev. soc., 1991, p. 746, note R. LrncHABER, «La loi applicable aux societes et aux pouvoirs des dirigeants sociaux », qui critique l'ambigu'lte de la terminolo­gie utilisee par la Cour ; voir toutefois M. MENJUCQ, La mobilite des societes dans l'espace europeen, Bibliotheque de droit prive, L.G.D.J., 1997, n°" 50 et s. {spec. n° 52) ; BATTIFOL et LAGARDE, Droit international prive, t. I, 8° ed., n° 192, p. 330; voir aussi MERLE, Droit commercial, n° 85; HAMEL, LAGARDE et JAUF­FRET, Droit commercial, t. I, vol. 2, 2° ed., n°" 419 et s.

(14) Voir p. ex. RoNSE, Vennootschapsrecht, pp. 232 et 233; P. VLAS, Rechts­personen, n ° 13 ; MAEIJER, Vertegenwoordiging en rechtspersoon - De rechtsper­soon, n° 56; BATTIFOL et LAGARDE, Droit international prive, t. I, 8° ed., n° 192; voir aussi J. HEENEN, o.c., in Evolutions recentes du droit des affaires, C.D.V.A., Kluwer, 1992, p. 95.

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siege reel ( 15)' tantOt la loi de (< l 'incorporation » ( 16) ; on evoque parfois d'autres criteres, tel le controle (17). Ces principes s'appli­quent, par analogie, a toute entite dotee de la personnalite morale (18).

4. - La lex societatis. La lex societatis est generalement defi­nie comme le corps de regles qui regit la constitution, le fonction­nement interne (19) et externe, ainsi que la dissolution des societes (20).

Elle vise done a la fois les regles d' acquisition et de perte de la personnalite juridique et les autres regles du droit des societes.

On distingue souvent la question de la lex societatis de celle de la reconnaissance des personnes morales etrangeres (21), qui concerne l' admission par un ordre juridique de I' existence et des

(15) Voir p. ex. Allemagne (infra § 18), Belgique (infra § 9), Luxembourg et France (infra § 36).

(16) Voir p. ex. Grande Bretagne (infra§ 13), Irlande, Italie (infra§ 16), Pays­Bas (infra § 15) et Suisse (infra § 17).

(17) Sur le critere du controle, qui est toutefois etranger a la lex societatis : P. MA.YER, Droit international prive, n°" 1041 et 1042; BATTIFOL et LAGARDE, Droit international prive, t. I, 8° ed., n°" 195 et s.; v. SIMONART, La personnalite morale en droit prive compare, n°" 177 et 590 et s.; voir aussi Y. LoussoUARN, « Nationalite des societes et Communaute economique europeenne », R.J. Com., 1990, pp. 145 et s.;

(18) Voir p. ex. les formules utilisees a I' article 1 er de la Convention de La Haye du pr juin 1956 (« une societe, une association ou une fondation »), aux articles 1 et 2 de la Convention de Bruxelles du 29 f evrier 1968 ( « societes de droit civil ou commercial, y compris les societes cooperatives » et « personnes morales de droit public ou prive ... qui ... ant pour objet une activite economique ») et a I' arti­cle ier de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ( « la constitution, le fonctionne­ment interne et la dissolution des societes, associations et personnes morales, ainsi que la responsabilite personnelle legale des associes et des organes pour les dettes de la societe, association ou personne morale»).

(19) Ce qui permet notamment de determiner si la societe a valablement pris une decision ou accompli une operation.

(20) En droit belge, F. RIGAUX et M. FALLON, Droit international prive, t. II, n°" 1591 et s.; RoNSE, Vennootschapsrecht, p. 268; VANDER ELST, Droit interna­tional prive, Bruylant, Bruxelles, 1983, p. 247; G. VAN HECKE et K. LENAERTS, lnternationaal privaatrecht, A.P.R., Story-Scientia, n° 732 et s.; voir aussi VAN RYN, t. I, 1 re ed., n° 377 et M. COIPEL, Dispositions communes a toutes formes de societes commerciales, in Repertoire notarial, t. XII, livre II, Larcier, 1982, n° 262, qui visent «son existence et son fonctionnement », s'inspirant ainsi de Cass., 12 avril 1888, Pas., 1888, I, p. 190; comparer, en droits neerlandais, italien et suisse, infra § 15 et s.

(21) Voir p. ex. VANDER ELST, Droit international prive, n° 55.4; B. AUDIT, Droit international prive, n°" 1073 et 1075; L. LEVY, La nationalite des societes, n°" 27 et s. et les controverses sur cette question.

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effets d'une personnalite juridique etrangere (22) ou, plus restric­tivement, I'(< autorisation d 'exercer une activite ( meme aussi ele­mentaire que celle d'ester en justice) » (23).

Cette distinction permet de reconnaitre les entites etrangeres de maniere liberale (24) : des lors que la reconnaissance ne sou­leve aucun probleme de conflit de lois (25), le facteur de rattache­ment est indifferent (26). Les Conventions sur la reconnaissance des personnes morales (infra § 21) reposent d' ailleurs sur cette distinction (27).

Cette conception dualiste comporte toutefois des incertitudes. Ainsi, le juge appele a reconnaitre une societe doit s'interroger sur la validite de sa constitution et, le cas echeant, sur sa capa­cite et les pouvoirs de ses representants (28). Dans le systeme du siege reel applicable par hypothese au titre de regle de conflit du for (29), la loi dont la societe tire la personnalite qu'on lui recon­nait pourrait etre differente de celle qui regit les divers aspects

(22) L. LEVY, La nationalite des societes, n° 26. (23) P. MAYER, Droit international prive, n° 1019, p. 606; comparer, pour une

conception fort large des consequences de la reconnaissance : G. ScHRANS et H. VAN HoUTTE, Internationaal handels- en financieel recht, Acco, 1991, n° 85.

(24) Voir en droit belge VANDER ELST, Droit international prive, n° 55.4 et F. RIGAUX et M. FALLON, Droit international prive, t. II, n°8 1579 et s.

(25) L. LEVY, La nationalite des societes, n° 26, p. 52. (26) Voir les observations de P. VLAS, Rechtspersonen, n° 10, sur les Conven­

tions de La Haye du 1 er juin 1956 et de Bruxelles du 29 fevrier 1968. (27) On cite generalement sur ce point la controverse entre U. DROBNIG, « Kri­

tische Bemerkungen zum Vorentwurf eines EWG-Ubereinkommens iiber die Anerkennung von Gesellschaften », Z.H.R., 1967, pp. 93 et s., et B. GOLDMAN, «Le projet de convention entre les Etats membres de la Communaute economique europeenne sur la reconnaissance mutuelle des societes et personnes morales», RabelsZ, 1967, p. 204 («rationnellement, avant de designer la loi applicable a un organisme etranger qui se prevaut d 'une existence juridique propre, il faut decider si cette existence est ou non admise - autrement dit, si on la reconnait ou non en termes concrets ») ; voir aussi Y. LoussoUARN et J.-D. BREDIN, Droit du commerce inter­national, n° 422, p. 506; la position de M. GOLDMAN n'est plus suivie en droit frarn;iais (M. MENJUCQ, La mobilite des societes dans l'espace europeen, p. 19).

(28) Il peut en outre se demander si la societe en question n' est pas en realite une societe de son propre ordre juridique.

(29) Pour une recherche de la loi applicable fondee sur les regles du for: REs­TEAU, Traite des societes anonymes, t. I, 3e ed., n° 2lquinquies; R. PRioux, o.c., R.G.D.O., 1989, pp. 486 et 487; F. BoucKAERT, J. ERAUW et cts, « Overziclit van rechtspraak- lnternationaal privaatrecht en nationaliteitsrecht », T.P.R., 1993, p. 662, n° 267; J. MEEUSEN, o.c., in Oommentaar Vennootschapsrecht, art. 196-197, § 14; voir toutefois, pour la reticence des tribunaux sur ce point : infra § 34.

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de droit des societes (30). La Convention de La Haye (infra § 7, i et 21) fait a cet egard apparaftre que seuls les droits qui retien­nent le critere du siege reel dissocient les problemes de reconnais­sance et de conflit de lois (article 2, al. I et 2); la theorie de !'in­corporation evite une telle dualite (31).

5. - Theorie du siege reel. Le rattachement au siege reel consiste a appliquer a une societe le droit de l'Etat sur le terri­toire duquel elle a son principal etablissement OU « son adminis­tration centrale » (Convention de La Haye, article 2, al. 3; Convention de Bruxelles, article 5) (infra § 21).

Le droit etranger designe par le siege reel s' applique en prin­cipe aux societes qui ont leur principal etablissement a l'etranger, du moins en cas d' apprehension bilaterale des regles de rattache­ment (infra § 9 et 34) et sous reserve de I' application des regles du renvoi (infra § 7, i).

U ne societe qui transfere son principal etablissement dans un Etat appliquant le critere du siege reel est regie par le droit de ce dernier Etat (32). ,

L' etablissement par la societe d'une succursale dans un autre Etat n' affecte pas la loi applicable.

6. - Theorie de l'incorporation. La theorie de !'incorpora­tion consiste a appliquer a la societe la loi du lieu de sa constitu­tion, generalement par I' enregistrement ou le depot de I' acte

(30) Voir l'ambigu'ite de Cass., 12 avril 1888, Pa&, 1888, I, pp. 189 et 190, sur ce point, qui d'une part decide que «les personnes morales ont un etat et une capa­cite dans la mesure reglee par les lois qui les instituent» et d' autre part se ref ere au fait que «les conditions constitutives de leur existence et l'etendue de leur capacite sont exclusivement regies par les lois du pays ou elles ont leur siege» ; I' article 6 de la Convention de Bruxelles du 29 fevrier 1968 remedie a cette difficulte en pre­voyant qu' en principe les societes « ont la capacite qui leur est accordee en vertu de la loi en conformite de laquelle elles ont ete constituees ».

(31) Voir, par ex., I' analyse faite en droit neerlandais par P. VLAS, Rechtsperso­nen, n °" 8 et 9 ; voir aussi I' Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties (session 1994-1995, 24.141, n° 3, p. 3).

(32) La doctrine belge semble parfois nuancer cette consequence : selon cer­tains auteurs, en cas de transfert de siege, I' application du droit des societes belge n'empeche pas necessairement !'application de la loi du lieu de constitution (infra § 34).

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constitutif, qui doit en principe correspondre au siege indique dans les statuts (33).

Ce systeme est unitaire en ce sens que la meme loi confere la personnalite et regit les divers aspects de droit des societes.

Le choix initial des associes est done determinant : ils decident du lieu d'incorporation (34) et le droit initialement choisi n' est pas susceptible de varier en cas de deplacement de l' etablisse­ment principal de la societe (35).

Le deplacement du siege social s' avere toutefois malaise en l' absence de disposition legale l' autorisant expressement (infra § 26).

7. - Coexistence des deux systemes. Des lors que le droit international prive releve des droits nationaux et que ses regles ne sont pas unifiees, diverses difficultes peuvent surgir. Il s'agit d'une source d'inefficience si des Etats sont etroitement lies sur le plan economique (36).

(i) Les Etats qui appliquent la theorie du siege reel peuvent etre enclins a ne pas reconnaftre la personnalite de societes constituees dans des Etats qui appliquent la loi d'incorporation, du moins lorsque celle-ci ne co'incide pas avec celle de son princi­pal etablissement (infra § 8) (37). La Convention de la Haye du 1 er juin 1956 et, dans une moindre mesure, la Convention de Bruxelles du 29 fevrier 1968 visent expressement cette hypothese et traitent ainsi d'un aspect critiquable de la theorie du siege reel : la non-reconnaissance d'une societe pourtant valablement

(33) MAEIJER, Vertegenwoordiging en rechtspersoon - De rechtspersoon, n° 56; P. VLAS, Rechtspersonen, n° 16 et, pour une critique de !'expression « theorie du siege statutaire », n° 17.

(34) Cette theorie ne consacre toutefois pas le « caractere contractuel de la per­sonne morale» (voir toutefois B. AUDIT, Droit international prive, n° 108lbis; voir aussi Y. LoussouARN et J.-D. BREDIN, Droit du commerce international, n° 243, p. 262; VANDER ELsT, Droit international prive, p. 245, au sujet du« siege statu­taire ») ; ainsi, le droit neerlandais adopte la theorie de I' incorporation mais appa­rait plus generalement « institutionnel » ; d' autres auteurs rapprochent la theorie de I' incorporation de celle de la fiction de la personnalite morale (V ANDER ELsT,

Droit international prive, p. 245), mais ce debat semble depasse (supra § 4). (35) P. VLAS, Rechtspersonen, n° 18; L. STRIKWERDA, lnleiding tot het Neder­

landse internationaal privaatrecht, Wolters-Noordhoff, 3° ed., n° 199. (36) C.AE. UNIKEN VENEMA, o.c., N. v., 1992, p. 267. (37) Pour la distinction entre la reconnaissance et les conflits de lois : supra

§ 4.

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constituee pour une bonne partie des ordres juridiques. La Convention de Bruxelles evite cet ecueil pour les societes etablies dans la Communaute (infra § 21).

(ii) La coexistence des deux systemes pose de delicats pro­blemes de renvoi. Traditionnellement, les Etats retenant le cri­tere du siege reel bilateralisent cette regle (38), mais acceptent que si la loi du siege adopte le rattachement a la loi de !'incorpo­ration, un renvoi puisse etre fait a cette derniere (39), ce qui evite les conflits negatifs.

8. - Facteurs de rattachement et correctifs respectifs. II y a lieu de distinguer deux situations :

(i) Une societe etrangere peut n' avoir ni son principal etablis­sement ni son siege statutaire dans un Etat par lequel elle sou­haite simplement etre reconnue (supra § 4). Ence cas, les correc­tifs de l'un et l' autre systeme de rattachement sont pour l' essen­tiel similaires ( 40). L' effet extraterritorial de la lex societatis peut etre limite par « les imperatifs de defense des interets de l'Etat sur le territoire duquel la societe eff ectue des operations, interets dictes par le souci de proteger a la f ois son economie et les nationaux qui font partie de la societe ou qui traitent avec elle » ( 41). Certaines entites peuvent ainsi apparaftre comme contraire a I' ordre public international de l'Etat concerne (42) ; certaines regles du droit

(38) Par ex. le droit belge : infra § 9. (39) En droit belge, note K. LENAERTS, « Het personeel statuut van een Bel­

gische vennootschap bij overbrenging van de werkelijke zetel naar het buiten­land »; C.E., 29 juin 1987, T.R. V., 1988, p. 110; J.P. BLUMBERG, o.c., T.P.R., 1992, p. 817; K. GEENS et H. LAGA, «Overzicht van rechtspraak - Vennoot­schappem, T.P.R., 1993, p. 983; R. PRIOUX, o.c., note sous Bruxelles, 11 fevrier 1988, R.G.D.O., 1989, p. 484; J. MEEUSEN, o.c., in Oommentaar Vennootschaps­recht, art. 196-197, §§ 16 et s.; J. HEENEN, o.c., in Evolutions recentes du droit des affaires, C.D.V.A., Kluwer, 1992, p. 100; en droit fran9ais : P. MAYER, Droit international prive, 4e ed., n° 1030; en droit allemand : W.-H. ROTH, (( Recogni­tion of foreign companies in siege reel countries : a German perspective», in J. WoUTERS et H. SCHNEIDER (EDS.), Current issues of cross-border establishment of companies in the European Union, Maklu, Metro, 1995, p. 32.

(40) Sous reserve du refus de reconnaissance d'une societe incorporee dans un Etat mais dont le principal etablissement se trouve dans un Etat qui applique le critere du siege reel : supra § 7 (i) et infra § 21.

(41) Y. LoussouARN et J.-D. BREDIN, Droit commerce international, p. 369. (42) Pour cette question en droit belge, voir Cass., 13 janvier 1978 (decision

ecartant !'exception de contrariete a l'ordre public international tiree de l'uniper­sonnalite de l' entite etrangere, mais semblant reserver la possibilite d' examiner « si cette societe n'est pas contraire a l'ordre public pour des raisons de fraude a la

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etranger peuvent etre ecartees pour la meme raison (43). Enfin, il arrive que les tribunaux refusent de reconnaftre la personne morale dont le siege statutaire est fictif (44).

(ii) Les correctifs divergent lorsque la societe pretendument etrangere devrait en realite etre regie par la loi de l'Etat. La loi du siege reel comporte en quelque sorte son propre correctif en cas de transfert du principal etablissement, puisque la loi du pays d'immigration s' applique ( 45). Dans la theorie de I' incorporation, on retient parfois l' a bus du recours a la forme choisie (en droit neerlandais, « misbruik van buitenlandse rechtspersoon » (46)), mais les correctifs les plus efficaces consistent en l' application imme­diate de certaines regles (infra § 13 et s.) (47).

II. ----,- LA THEORIE DU SIEGE REEL

EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE BELGE

9. ~ Article 197 L.C.S.C. Issu de l' article 129 de la loi du 18 mai 1873, I' article 197 L.C.S.C. dispose que « toute societe dont le principal etablissement est en Belgique est soumise a la loi belge,

loi, de simulation ou autres »),Pas., 1978, I, p. 543, note A.T., Revue, 1979, p. 35, R. W., 1977-1978, col. 1942, note B. VAN BRUYSTEGEM, «Over de erkenning van een Liechtensteinse eenmansvennootschap » ; Ph. DE PAGE et B. VAN DE WALLE DE GHELCKE, (<Les personnes morales etrangeres et l'ordre public international belge », Revue, 1979, pp. 1 et s. ; RoNSE, Vennootschapsrecht, p. 268.

(43) Cass., 24 septembre 1963, Pas., 1964, I, p. 86, au sujet de la competence des organes (« l'etendue des pouvoirs legaux ou statutaires des societes anonymes etrangeres est exclusivement determinee par les lois du pays ou elles ont leur principal etablissement, sous reserve de l 'ordre public international belge ») ; Bruxelles, 11 fevrier 1988, J. T., 1988, p. 606.

(44) Ph. DE PAGE et B. VAN DE WALLE DE GHELCKE, o.c., Revue, 1979, p. 15, citant quelques decisions anciennes.

(45) Ce critere, qui n'est pas fonde sur l'activite effective, n'est toutefois guere satisfaisant : infra § 30. ,

( 46) Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, p. 8; J. WOUTERS, o.c., T.R. V., 1991, pp. 460 et 461; P. VLAS, Rechtspersonen, n°" 73 et s.; voir par contre en droit suisse, le refus de la Cour federale de considerer que le choix d'une forme etran­gere puisse, en elle-meme, etre une source d' abus, des lors que le Iegislateur a retenu la theorie de !'incorporation (infra § 17).

(47) Pour la responsabilite des gerants : L. STRIKWERDA, Inleiding tot het N ederlandse internationaal privaatrecht, n ° 200 ; Amsterdam, 22 decembre 1994, T.V. V.S., 1995, p. 307 et note P. VLAS.

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bien que l'acte constitutif ait ete passe en pays etranger » (48). Cette regle vaut aussi pour les autres personnes morales (49).

II s' applique tant au moment de la constitution qu' en cas de transfert subsequent du siege reel (infra § 34) et s'applique de maniere bilaterale (infra § 10, i) (50).

Dans cette theorie, on ne se refere au siege social indique dans les statuts que pour autant que cette indication ne soit pas « dementie par les fa its » ( 51).

Ce regime est complete par celui des succursales belges de societes etrangeres etablies en Belgique (article 198 L.C.S.C. (52)) et par !'obligation de depot de l'acte constitutif au greffe du tri­bunal de commerce avant toute emission, exposition, offre ou vente publique de titres d'une societe etrangere OU inscription de ces titres a la cote officielle d'une bourse beige (article 199, al. 1, L.C.S.C.) ; dans ce dernier cas, il faut en outre deposer les comptes annuels (article 199, al. 2, L.C.S.C.).

10. - Ratio legis. Le Iegislateur de 1873 voulait surtout regler le probleme de la reconnaissance des societes etrangeres en Belgique (53), objet de nombreuses controverses sous I' empire du

(48) Comparer, en droit fran9ais, !'article 1837, al. 1, du Code civil, qui dispose que « toute societe dont le siege est situe sur le territoire franfais est soumise aux dis­positions de la loi franfaise » : infra § 36.

(49) G. van HECKE et J. LENAERTS, lnternationaal privaatrecht, A.P.R., n° 731; P. RIGAUX et M. FALLON, Droit international prive, t. II, n° 1574.

(50) NAMUR, t. II, art. 129, § 1370, qui parle de reciprocite et souligne qu'« une societe dont le principal etablissement se trouve en pays etranger est soumise a la loi etrangere, bien que l'acte constitutif ait ete passe en Belgique»; Cass., 12 avril 1888, Pas., 1888, I, p. 186 ; RoNSE, Vennootschapsrecht, p. 269 ; RESTEAU, Traite des societes anonymes, t. I, 3e ed., n° 22; G. van HECKE et K. LENAERTS, lnternatio­naal privaatrecht, A.P.R., n° 750; M. COIPEL, Dispositions communes, n° 262; G. VAN BoxsoM, Rechtsvergelijkende studie over de nationaliteit der vennootschap­pen, n°" 28 et s.; J. MEEUSEN, o.c., in Oommentaar Vennootschapsrecht, art. 196-197, § 6 et 12; R. PRioux, o.c., R.G.D.O., 1989, p. 483.

(51) VAN RYN et HEENEN, Principes, t. II, n° 1126; pour le probleme des societes qui ne sont pas dotees de la personnalite : T. TILQUIN et V. SIMONART, Traite des societes, t. I, n° 803.

(52) Cette disposition a ete adaptee par la loi du 13 avril 1995 au texte de la onzieme directive n° 89/666/C.E.E. du Conseil du 21decembre1989 concernant la publicite des succursales creees dans un Etat membre par certaines formes de societe relevant du droit d'un autre Etat, J.0.0.E., n° L395 du 30 decembre 1989, pp. 36 et s.

(53) Et, si possible, la reconnaissance par reciprocite des societes belges par les Etats etrangers, sans que la reciprocite n'ait cependant ete formulee comme une exigence de la loi belge.

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Code de commerce (54). L'article 197 L.C.S.C. a ete presente comme « le complement de la pensee qui a preside a la redaction de l'article (196 L.O.S.O.) », aux termes duquel « les societes ano­nymes et les autres associations commerciales industrielles ou finan­cieres constituees et ayant leur siege en pays etranger pourront faire leurs operations et ester en justice en Belgique» (55). En effet, le probleme de la reconnaissance ne se pose pas pour les societes qui ont leur siege en Belgique et sont regies par la loi belge ( 56).

Plusieurs fondements expliquent le choix du legislateur belge en faveur du siege reel.

(i) Le Iegislateur de 1873 a ete inspire par un reflexe anthropo­morphique de recherche d'un « statut personnel » pour les societes (57), combine toutefois avec l'idee que, comme le pre­voyaient les anciennes coutumes en matiere d'association conju­gale, « quand une societe a son principal etablissement dans un pays, (c'est) ce pays qui a interet a lui imposer ses regles » (58). La doctrine a progressivement developpe cette analyse en soulignant que la societe « doit son existence - sa personnification - a un acte du pouvoir souverain . . . (et) lorsqu 'une societe se constitue sous le benefice de la loi belge, . . . elle veut etablir sur le territoire belge, comme un national belge, de f ayon effective et serieuse son siege social ... (et) se soumettre aux lois belges » (59). La comparaison avec les personnes physiques paraissait imposer cette recherche d'une sorte de « nationalite » des personnes morales (supra,

(54) Pour le refus de reconnaitre a des societes anonymes valablement consti­tuees en France le droit d'agir en justice en Belgique a defaut d'autorisation par le gouvernement belge (a un moment ou la constitution d'une societe anonyme requerait en Belgique une autorisation gouvernementale) : Cass., 8 fevrier 1849, Pas., 1849, I, p. 221; Cass., 30 janvier 1851, Pas., 1851, I, p. 307; pour l'histori­que de ces decisions : R. ABRAHAMS, Les societes en droit international prive, pp. 10 et 11; PH. DE PAGE et B. VAN DE WALLE DE GHELCKE, o.c., Rev. prat. soc., 1979, pp. 8 et s.

(55) NAMUR, t. II, art. 129, § 1369; BELTJENS, Droit commercial belge, t. II, 2e ed., art. 129, n° 1.

(56) NAMUR, t. II, art. 129, § 1369. (57) R. ABRAHAMS, Les societes en droit international prive, pp. 11 et 12; pour

cette meme question en droit frarn;iais, L. LEVY, La nationalite des societes, n°" 68 et s.

(58) Rapport PIRMEZ, in GUILLERY, Commentaires legislatifs, II, p. 150, n° 86. (59) WAUWERMANS, Manuel, n° 1089; voir aussi : P. VAN OMMESLAGHE et

X. Drnux, « Examen de jurisprudence - Les societes commerciales », R.C.J.B., 1992, p. 679; F. BoucKAERT, J. ERAUW et cts, « Overzicht van rechtspraak -International privaatrecht en nationaliteitsrecht », T.P.R., 1993, p. 662.

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§ 3) ( 60) et c' est de meme en se fondant sur I' article 3, al. 3 du Code civil (61) que la jurisprudence a bilateralise le facteur de rattachement au siege reel (62). Toutefois, le critere de cette nationalite est celui du territoire sur lequel la societe a son princi­pal etablissement ( 63)' le critere de la localisation geographique ayant longtemps paru aller de soi en droit international prive ou il est souvent presente comme « neutre » (64).

(ii) Le Iegislateur s' est inquiete de la multiplication des societes constituees a I' etranger «pendant un voyage des fonda­teurs » (65). Soucieux d'eviter les «fraudes » (66), il a voulu empe­cher les «faux» nationaux de jouir d'une personnalite acquise a I' etranger : le Iegislateur n' a «pas la responsabilite (des) societes ( etrangeres) ... ; ceux qui s 'y engagent en contractant avec elles savent qu 'ils ont affaire a une creation exotique ; c 'est a l'etranger qu 'ils doivent reclamer leurs renseignements OU leurs garan­ties » (67). Mais une societe ne pourrait etre constituee a l'etran­ger « dans le but unique de se soustraire aux lois belges, et speciale­ment a la publicite qu'elles prescrivent » (68). Le legislateur ne s'est neanmoins pas contente de I' organisation d'une publicite, comme celle organisee pour les succursales.

(60) Les auteurs anciens evoquent generalement la« nationalite »de la person­nalite morale sans nuancer ce terme (comparer supra § 3) : voir p. ex. NAMUR,

t. II, n° 1367; BELTJENS, Droit commercial belge, t. II, art. 128, n°" 19 et s. ; WAUWERMANS, Manuel, n° 1090; PASSELECQ, Les societes commerciales, in Les Novelles, n°" 5196 et s.; FREDERICQ, Traite, t. IV, n° 74, d, p. 168.

(61) «Les lois concernant l'etat et la capacite des personnes regissent les Belges meme residant en pays etrangers ».

(62) Cass., 12 avril 1888, Pas., 1888, I, p. 186, considerant que le mot «per­sonne » vise « tous les etres qui sont des sujets de droit, ce qui comprend les personnes civiles ou morales aussi bien que les personnes physiques»; comp. Cass., 24 sep­tembre 1963, Pas., 1964, I, p. 86 ou seul le sommaire se refere encore a I' article 3 du Code civil; PASSELECQ, Les societes commerciales, in Les Novelles, n° 5215.

( 63) C' est a son principal etablissement que la societe « se nationalise par le fait de se soumettre a la loi de ce domicile» : WAUWERMANS, Manuel, n° 1091; PouL­

LET, Manuel de droit international prive, n° 224, p. 244. (64) J. MEEUSEN, Nationalisme en internationalisme in het internationaal pri­

vaatrecht, Intersentia, 1997, n° 150, 152 et 860. (65) Rapport PIRMEZ, in GUILLERY, Gommentaire legislatif, II, n° 86, p. 150;

voir aussi infra § 12. (66) GurLLERY, Societes commerciales, t. III, n° 1285. (67) Rapport PIRMEZ, in GurLLERY, Gommentaires legislatifs, II, n° 85, p. 150. (68) NAMUR, t. II, n° 1366; GurLLERY, Societes commerciales, t. III, n° 1285;

BELTJENS, Droit commercial belge, art. 129, n° 2.

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(iii) La theorie du siege reel est liee a celle des cadres legaux obligatoires. En vertu de cette theorie, que la loi du 13 avril 1995 a totalement modifiee (infra § 35), les personnes qui reu­nissent les conditions de la societe et qui exercent ensemble une activite commerciale constituent necessairement une societe de l'une des formes prevues par les lois coordonnees sur les societes commerciales (69). Cette theorie impliquait que, sous reserve de l'hypothese OU elles repondaient a la definition de la societe momentanee ou en participation, les societes de fait beneficiaient, en vertu de la loi, de la personnalite morale et s' analysaient en une societe de l'une des formes visees a l' ar­ticle 2 L.C.S.C., fUt-elle irreguliere. Il ne serait pas acceptable que, alors que toute activite en commun est ramenee vers les formes du droit belge, les associes puissent decider d' echapper au droit belge nonobstant la localisation du siege reel (70) sur le territoire belge (71).

Une certaine defiance a l'egard des droits etrangers s'ajoute sans doute a ces fondements de logique juridique.

11. - Notion de principal etablissement. La notion de principal etablissement a evolue au fil du temps.

(i) Dans un premier temps, la jurisprudence a Msite entre le siege d' exploitation (lieu d' exercice des activites industrielles et commerciales) et le siege administratif (72). Des arrets de la fin

(69) Voy. T. TILQUIN et v. SIMONART, Traite des societes, t. I, n°" 666 et s. (70) Qui, en 1873, ne semblait guere etre dissocie du siege d'exploitation (infra

§ 11, i). (71) Les travaux preparatoires fondant la theorie des cadres legaux obliga­

toires soulignaient en effet que «la loi n'admet pas, et c'est a ban droit, que plu­sieurs personnes puissent en commun faire un negoce suivi, sans que de l'ensemble de leurs faits collectifs naisse un etre moral ayant une existence patente » : GUILLERY, Oommentaire legislatif, II, n° 29, p. 106; comparer pour les societes non dotees de la personnalite morale : T. TILQUIN et V. SIMONART, Traite des societes, t. I, n° 803.

(72) R. ABRAHAMS, Les societes en droit international prive, p. 108; G. VAN BoxsoM, Rechtsvergelijkende studie over de nationaliteit der vennootschappen, n°" 20 et 21; pour cette meme evolution en droit fran9ais : Y. LOUSSOUARN et J.­D. BREDIN, Droit du commerce international, n° 251; P. MAYER, Droit internatio­nal prive, n° 1023.

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du dix-neuvieme siecle (73) considerent encore que le principal etablissement est situe au siege d'exploitation (74).

(ii) Depuis le debut du vingtieme siecle, la doctrine et la juris­prudence admettent la co'.incidence entre le principal etablisse­ment et le siege administratif, « ou se concentre ... l'organisme d'ou partent les impulsions directrices des aff a ires sociales » ( 7 5). Il s' agit du lieu ou se reunissent le conseil d' administration et les assemblees generales, ou est tenue la comptabilite et ou sont conservees les archives (76). Pour certains auteurs, si les lieux ou se tiennent les assemblees ou conseils d' administration varient, « le lieu ou sont reunies les archives sociales pourra . . . constituer l 'element determinant » (77) ; d' autres preferent le lieu ou se reunit generalement l'organe de gestion (78) ou encore « l'organe ... qui detient le pouvoir ef f ectif de direction et de contr8le » ( 79).

La reference au siege d' administration apparalt, retrospective­ment, comme un assouplissement de la theorie du siege reel per­mettant de continuer a considerer comme belges des societes dont l'activite economique s'exerce a travers le monde (80). En ce sens, par cette possibilite d' expansion des societes regies par

(73) Gand, 18 fevrier 1888, Pas., 1888, II, p. 303 (societe constituee en France dont l'objet etait l'eclairage au gaz d'une ville belge); en matiere fiscale : Gand, 22 juillet 1898, Pas., 1899, II, p. 347 («la oit est le centre de ses interets et de sa vie commerciale »); voir aussi Comm. Anvers, 25 novembre 1919, Revue, 1922, p. 17, qui se refere a une societe constituee en Angleterre et « ayant son siege d'operation a Landres>}; BELTJENS, Droit commercial belge, t. II, art. 128, n° 30.

(74) Comparer le Rapport PIRMEZ, in GUILLERY, Oommentaire legislatif, II, n ° 86, qui vise les societes nees a l' etranger qui « viennent ensuite etablir en Bel­gique leur principal siege d 'operations ».

(75) PASSELECQ, Les societes commerciales, in Les Novelles, n°8 5207 et 5247 et s.; WAUWERMANS, Manuel, n° 1093; FREDERICQ, t. IV, n° 74, pp. 168 et s. et t. v, n° 771; v AN RYN, t. I, ire ed., n° 374; RESTEAU, Traite des societes ano­nymes, t. I, 3e ed., n° 21; RoNSE, Vennootschapsrecht, p. 235; G. VAN HECKE et K. LEN AERTS, Internationaal privaatrecht, n° 751 ; J. MEEUSEN, o.c.' in Oommen­taar Vennootschapsrecht, art. 196-197, § 13 et 14.

(76) FREDERICQ, t. IV, n° 74. (77) VAN RYN et HEENEN, t. II, n° 1126, p. 145. (78) G. VAN HECKE et K. LENAERTS, Internationaal privaatrecht, APR, n° 752;

G. ScHRANS et H. VAN HouTTE, Internationaal handels-en financieel recht, n° 72; K. LENAERTS, note precitee, T.R. V., 1988, p. 113.

(79) R. PRioux, o.c., R.G.D.O., 1989, p. 484; voir pour ce critere en droit fran-9ais : BATIFFOL et LAGARDE, Droit international prive, t. I, 8e ed., n° 194, p. 339; Y. LoussouARN et J.-D. BREDIN, Droit du commerce international, p. 282.

(80) Mais c'est aussi la source du manque de coherence de cette theorie : infra §§ 28 et s.

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la loi du siege reel, elle constitue une reponse a la tMorie de !'in­corporation.

III. - LA THEORIE DE L'INCORPORATION

EN DROIT COMP ARE

12. - Generalites. Le choix entre la tMorie de !'incorpora­tion et la theorie du siege reel n'est pas neutre en termes de poli­tique economique.

On presente souvent la premiere comme expansionniste, favo­risant le commerce international (81) et satisfaisant les Etats « qui esperent attirer chez eux des societes dont l 'objet social doit etre realise a l 'etranger ... la seduction qu 'ils exerceront pourra etre fon­dee sur des elements divers : liberalisme du droit des societes, avan­tages fiscaux et financiers, ... » (82).

La seconde repose sur un reflexe a priori plus defensif (83) et a d' ailleurs ete integree dans les lois beige et fran9aise a un moment ou I' Angleterre paraissait presenter un attrait particulier pour les fondateurs de societes' par suite de (( l 'inf eriorite de notre legislation commerciale vis-a-vis des faits nouveaux qui se sont pro­duits dans les usages et les developpements du commerce» (84).

En pratique les differences entre les consequences de ces deux systemes ne sont toutefois plus aussi tranchees, ainsi qu'il ressort de I' examen du droit compare.

(81) Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, p. 5.

(82) P. MAYER, Droit international prive, 4e ed., n° 1026; de maniere plus neutre, certains observent qu'il caracterise « un grand nombre de pays parmi les plus commeryants » et convient aux pays « exportateurs de capitaux » : B. AUDIT,

Droit international prive, 2° ed., Economica, 1997, n° 108lbis; voir aussi l'Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, p. 5 : « Het incorporatiestelsel past in een maatschappelijk bestel als het N ederlandse, gebaseerd op de ondernemingsgewijs georganiseerde, op expansie buiten de grenzen gerichte economie met een zo groat mogelijke vrijheid van mededin­ging »; voir aussi J. MEEUSEN, o.c., in Commentaar Vennootschapsrecht, art. 196-197, § 10.

(83) R.M. BUXBAUM et K.J. HoPT, Legal harmonization and the business enter­prise, de Gruyter, 1988, pp. 68 et 69.

(84) Rapports presentes au Senat (loi du 18 mai 1873), in GUILLERY, Commen­taire legislatif, p. 520, n° 16; de meme, la doctrine fram;aise observe que la theorie du siege reel s' est developpee comme une reaction a la constitution a Londres de societes « economiquement franraises » en vue de les soustraire a la loi du 13 juillet 1867 (L. LEVY, La nationalite des societes, n° 112).

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A. - Droits anglo-americains

13. - Origine. La theorie de !'incorporation trouve son ori­gine en Angleterre au dix-huitieme siecle. Elle permettait de constituer des societes qui essaimaient leurs activites a travers le monde.

Tous les Etats americains ont adopte ce facteur de rattache­ment. Certains, tel le Delaware, appliquent le systeme de maniere assez pure. Le droit du Delaware comporte uniquement une obli­gation de publicite ainsi que diverses regles de competence des tribunaux a l' egard des societes etrangeres actives dans l'Etat (85).

Il faut sans doute voir dans cette application de la theorie de !'incorporation une condition de la concurrence entre les Etats pour attirer des societes, le Delaware semblant l'emporter (86).

Dans le meme esprit, la doctrine anglaise recente n' exclut pas qu'il soit opportun d'instaurer une competition entre Etats membres comme celle qui existe aux Etats-Unis, pour que la Grande-Bretagne retrouve le role qu'elle a joue au dix-neuvieme siecle en matiere de societes (87).

14. - Etats de Californie et de New York. Le rattache­ment a la loi de !'incorporation est plus nuance dans des Etats

(85) §§ 376 et 382 a 384 de la Delaware General Corporation Law; la societe etrangere est celle qui est « organized under the laws of any jurisdiction other than this State» : § 371 (a) de la Delaware General Corporation Law; la societe active dans l'Etat est definie par le § 371 (b) de la Delaware General Corporation Law : « no foreign corporation shall do any business in this State, through or by any branch offices, agents or representatives located in this State, until ... » ; voir FOLK, Dela­ware General Corporation Law, §§ 371 et s.

( 86) Plus de 40 % des societes cotees sur le New York Stock Exchange sont incorporees dans le Delaware et la majorite des societes reprises dans le «Fortune 500 » et faisant appel au public sont incorporees dans le Delaware : voir par ex. D.G. KAoURIS, «Is Delaware still a heaven for incorporation 1 », Del. Journal of Corp. Law, 1995, vol. 20, p, 966.

(87) B.R. CHEFFINS, Company law, Clarendon Press, Oxford, 1997, pp. 426 et s. ; voir aussi, en droit allemand, la faveur donnee par certains auteurs a ces theories : W. SCHON, « Mindestharmonisierung im europaischen Gesellschafts­recht », Z.H.R., 1996, pp. 221 et s. ; G. SPINDLER, « Deregulierung des Aktien­rechts 1 », A.G., 1998, p. 54; pour une analyse tres complete de !'evolution de l'approche au sein de l'Union europeenne : W.F. EBKE, «Company law and the European Union : centralized versus decentralized lawmaking», Int'l Lawyer, 1997, vol. 31, pp. 962 et s.; W.F. EBKE, « Unternehmensrecht und Binnen­markt - E pluribus unum 1 », RabelZ, 1998, pp. 195 et s.

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comme celui de New York ou de la Californie (88). La legislation de ces Etats fait une large place a l' application de la loi locale aux societes incorporees dans un autre Etat mais actives sur leur territoire (89). Ce systeme est unilateral et ne remet pas en cause le systeme de !'incorporation mais tend a un equilibre avec les interets locaux.

Les Codes des societes des Etats de New York (90) et de Cali­fornie (91) appliquent leurs propres regles aux societes qui ont des liens d'affaires substantiels avec l'Etat (92). Ils definissent cependant ces liens de maniere assez restrictive (93). Le Code de Californie vise les societes qui ont en moyenne plus de 50 % de leurs actifs, employes et chiffres d'affaires en Californie (94) et dont les titres conferant le droit de vote sont detenus a plus de 50 % par des residents californiens (95). Le Code de l'Etat de New York vise les societes qui exercent une activite ( « doing busi­ness ») dans l'Etat et dont plus de la moitie du chiffre d' affaires est realise dans l'Etat (96). Ces Codes ne visent done pas les societes actives dans de nombreux Etats, et ecartent par ailleurs expressement l' application de la loi locale pour les societes incor­porees dans un autre Etat dont les actions sont cotees au New

(88) Dans ce dernier Etat, le systeme expose ci-apres a ete introduit en 1977 et a suscite assez bien de reticences lors des debats parlementaires : H. MARSH et R. FINKLE, Marsh's California Corporation Law, Aspen, 3e ed., Appendix F, F-2 et s.

(89) R.M. BUXBAUM et K.J. HoPT, Legal harmonization and the business enter­prise, pp. 62 et s.

(90) New York Business Corporation Law (N.Y. Bus. Corp. Law). (91) California Corporations Code, incluant la California General Corporation

Law, telle que votee en 1977 (Cal. Corp. Code). (92) HENN et ALEXANDER, Laws of corporation, 3° ed., § 98, pp. 220 et s. (93) Diverses propositions de loi ont ete faites dans les annees 1990 pour elar­

gir les criteres permettant d' appliquer la loi californienne, mais elles ont ete ecar­tees : H. MARSH et R. FINKLE, Marsh's California Corporation Law, Appendix F, F-22 et s.

(94) Ce rattachement est lie a !'application de la legislation fiscale : les «pro­perty factor», «payroll factor» et «sales factor» sont definis par les sections 25129, 25132 et 25134 du Revenue and Taxation Code.

(95) Cal. Corp. Code, § 2115 (a) ; H. MARSH et R. FINKLE, Marsh's California Corporation Law, § 26.16 ; HENN et ALEXANDER, Laws of Corporation, § 98, pp. 221 et 222.

(96) Le § 1320 (a) (1) de la N.Y. Bus. Corp. Law definit la societe etrangere comme celle dont « less than one-half of the total of its business income for the procee­ding three fiscal years ... was allocable to this State for franchise tax purposes».

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y ork Stock Exchange, a I' American Stock Exchange OU aupres d'une bourse nationale de valeurs mobilieres (97).

Les dispositions locales s' appliquent a I' exclusion de celles de la loi d'incorporation et comportent, en Californie, des regles for­tement liees au fonctionnement interne de la societe, notamment la revocabilite et la nomination des administrateurs, les restric­tions aux distributions aux actionnaires, majorites aux assem­blees extraordinaires, acces aux documents sociaux, etc. (98).

La conformite de ce dispositif avec la Constitution des Etats­Unis fait l'objet de nombreuses discussions notamment au regard du droit de faire le commerce entre Etats OU a I' etranger ( « enga­ging in interstate or foreign commerce») (99), mais elle est generale­ment admise au regard de la doctrine des «internal affairs», qui permet a chaque Etat de reglementer a tout le moins les relations entre les actionnaires et I' organe de gestion ( 100).

B. - Modifications legislatives recentes en droits neerlandais, italien et suisse

15. - Droit neerlandais (lois du 17 decembre 1997). Les Pays-Bas appliquent de longue date le systeme de !'incorpora­tion (101). A l'origine fonde sur une construction jurispruden-

(97) Cal. Corp. Code, § 2115 (e), qui vise egalement les filiales a 100 % des societes qui sont dispensees de I' application du Code; N.Y. Bus. Corp. Law, § 1320 (a) (1).

(98) H. MARsH et R. FINKLE, Marsh's California Corporation Law,§ 26.17, qui soulignent les conflits de normes de droit materiel qui peuvent en resulter dans certains cas; HENN et ALEXANDER, Law of corporations, § 98, pp. 221 et 224; R.M. BUXBAUM et K.J. HoPT, Legal harmonization and the business enterprise, pp. 89 et 90.

(99) Comparer avec la discussion sur la liberte d'etablissement : infra § 22. (100) Voir p. ex. HENN et ALEXANDER, Laws of corporations,§ 98; H. MARsH

et K. FINKLE, Marsh's California Corporation Law, Appendix F, F-17 et s.; R.M. BUXBAUM et K.J. HoPT, Legal harmonization and the business enterprise, pp. 90 et s. et 103 et s.; N.P. BURRIDGE, «The international affairs doctrine, the proper law of a corporation», Bus. Lawyer, 1989, vol. 44, pp. 693 et s.; W.F. EBirn, o.c., RabelZ, 1998, vol. 62, pp. 213 et 214; IDEM, o.c., Int'l Lawyer, 1997, vol. 31, p. 967.

(101) II n'en a pas toujours ete ainsi : les auteurs neerlandais du siecle dernier consideraient « juste et equitable » le systeme du siege reel qui visait « les societes etrangeres qui exercent leur industrie dans le territoire » (T.M.C. AssER, Elements de droit international prive, traduit, complete et annote par A. RIVIER, Paris, Rous­seau, 1884, n°8 100 et 102, p. 202; on trouve egalement de nombreuses hesitations dans la jurisprudence neerlandaise du debut du vingtieme siecle: P. VLAS, Rechts-

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tielle (102), ce systeme a resm ensuite un fondement legal par la loi d' execution de la Convention de La Haye du 1 er juin 1956 (103), puis par l'article 1.10, al. 2 du Code civil, qui definit le «domicile d'une personne morale» (104).

Ce critere de rattachement semblait faire des Pays-Bas un lieu de creation de societes plus aise, ce qui etait de nature a stimuler l'activite commerciale (105).

Certains auteurs ont suggere de nuancer la theorie de !'incorpo­ration en appliquant des « regels van maatschappelijke priori­teit » ( 106). La discussion a rebondi recemment lorsqu'il est apparu que certaines entreprises preferaient recourir a des formes societaires de droit etranger, plus liberales, notamment de l'Etat du Delaware ou de Grande-Bretagne (107).

personen, n°8 57 et s.; s. RAMMELOO, ((Recognition of foreign companies in 'incor­poration' countries : a Dutch perspective », in J. WouTERS et H. SCHNEIDER (EDS.), Current issues of cross-border establishment of companies in the European Union, Maklu, Metro, 1995, p. 52, note 24.

(102) Certains auteurs renvoient a un arret de la Hoge Raad du 23 mars 1866 (L. STRIKWERDA, Inleiding tot het Nederlandse internationaal privaatrecht, n° 199, p. 213 ; R.C. HUISKES, « Vluchten kan niet meer ? », in Na twintig jaar Baek 2 BW, R.C.J. GALLE et M.J.G.C. RAAIJMAKERS (eds), p. 101, note 16), mais cet arret concerne surtout la reconnaissance d'une societe etrangere et sa portee est controversee (P. VLAS, Rechtspersonen, p. 19, n° 61; voir aussi Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme Chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3); d'autres renvoient a un arret de la Hoge Raad du 19 mai 1950, N.J., 1951, n° 150, mais cette decision concernait une entite de droit public (la «United Nations Relief and Rehabilitation Administration»), et certains auteurs considerent qu' elle ne conforte pas necessairement la theorie de I' incorporation (S. RAMMELOO, o.c., in Current issues of cross-border establishment of companies in the European Union, pp. 52 et 53); voir les exemples plus recents cites par P. VLAS, Rechtspersonen, n°8 63 et s. et H.R., 20 avril 1990, N.J., 1991, n° 560, pp. 2343 et s.

(103) Wet van 25 juni 1959 houdende uitvoering van het Verdrag nopens de erkenning van de rechtspersoonlijkheid van vreemde vennootschappen, verenigin­gen en stichtingen; P. VLAS, Rechtspersonen, ll08 53 a 56.

(104) Article 1.10, al. 2 : « een rechtspersoon heeft zijn woonplaats ter plaatse waar hij volgens wettelijk voorschrift of volgens zijn statuten of reglementen zijn zetel heeft ».

(105) C.R. HursK.Es, o.c., in Na twintig jaar Baek 2 BW, p. 102, note 17. (106) P. VLAS, Rechtspersonen, n° 81. (107) Expose des motifs de la Wet op de formeel buitenlandse vennootschappen,

Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.139, n° 3, p. 2; MAEIJER, Vertegen­woordiging en rechtspersoon - De rechtspersoon, n° 63; C.W.A. TIMMERMANS, «De joint venture naar komend EG-recht »,in Grensoverschrijdende samenwerking van ondernemingen, 1992, Kluwer-Deventer, pp. 71 et s.; J.A.J. VAN VELZEN, « Vennootschappelijke buitenlanders in Nederland », N.J.B., 1995, pp. 1603 et s.; S.M. VAN DE BRAAK et C.R. HursKEs, «De Delaware-constructie onder vuur? »,

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Selon certains, cette « fuite » resulte de la rigidite du droit des societes introduite par le droit europeen (108). Le gouvernement neerlandais a en tout cas voulu corriger certains aspects de cette situation (109), parfois lies a la criminalite organisee (llO}.

Les recentes lois sur le droit international prive (Wet conflicten­r'echt corporaties) et sur les societes formellement etrangeres (wet op de f ormeel buitenlandse vennootschappen) (supra § I) ( 111) tra­duisent le choix du critere de !'incorporation, apres un examen des merites respectifs des systemes de rattachement au lieu de !'incorporation OU du siege reel (ll2). Ce choix a ete justifie par des raisons de simplicite, de logique juridique et de securite juri­dique (ll3}.

N.J.B., 1992, pp. 1165 et s.; I.D. LALISANG, « Een onderzoek naar de buiten­landse rechtspersoon in Nederland », T.V. V.S., 1995, pp. 70 et s.; S. RAMMELOO, o.c., in Current issues of cross-border establishment of companies in the European Union, pp. 57 et s., § 4 et 5.

(108) C.R. HuISKES, o.c., in Na twintig jaar Baek 2 BW, pp. 95 et s. (109) Meme si le nombre de societes etrangeres «formelles » (651) semblait rela­

tivement faible par rapport au nombre de B.V. (330.000) : Expose des motifs de la Wet op de formeel buitenlandse vennootschappen, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.139, n° 3, p. 2; S. VAN DEN BRAAK et C. HUISKES, o.c., N.J.B., 1992, p. 1168; pour des chiffres plus recents et plus eleves : J.A.J. VAN VELZEN, o.c., N.J.B., 1995, pp. 1604 et 1605.

(110) Pendant les travaux preparatoires, certains intervenants out emis cette crainte a propos de !'utilisation des societes etrangeres pour favoriser la crimina­lite organisee (intervention de M. VAN DER BURG, Deuxieme chambre, 28 aoilt 1997, 101 - 7147 et 7148); comparer les initiatives en la matiere pour prevenir ce probleme : J.S. JEREMIE, « The Caribbean - Anti-money laundering initia­tives», The Company Lawyer, 1995, pp. 221 et s.

( 111) Cette derniere loi est liee a la premiere : Expose des motifs de la Wet op de formeel buitenlandse vennootschappen, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.139, n° 3, p. 3.

(112) J.M.M. MAEIJER, « Struycken en het IPR-statuut van de rechtsper­soon - kapitaalvennootschap »,in Op recht A. V.M. Struycken, p. 187; souvent le Iegislateur a cependant tendance a conforter la theorie existante ; ainsi en France, lors du vote de la reforme de 1966, malgre les debats sur les deux techniques de rattachement, le legislateur a prefere celui du siege reel : HEMARD, TERRE et MABILAT, Societes commerciales, t. I, n°8 114 et 115.

(113) Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24141, n° 3, p. 5; J.M.M. MAEIJER, o.c., in Op recht A. W.M. Struycken, p. 187; pour des reserves sur cette solution et en faveur du siege reel, voir A.W.M. STRUYCKEN, in Grensoverschrijdende samenwerking van ondernemingen, Kluwer-Deventer, 1992, pp. 95 et s., definissant (p. 97) le siege reel comme le « centrum . . . waaruit zij participeert als rechtspersoon in het maat­schappelijk leven »); sur la position de cet auteur voir aussi J.M.M. MAEIJER, o.c., in Op recht A. V.M. Struycken, pp. 187 et s.

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L'article 2 de la Wet conflictenrecht corporaties consacre ce prin­cipe de rattachement a la loi de !'incorporation (114). Aux termes de I' article 3 de cette loi, les regles applicables aux « corpora­ties » (ll5) regissent la constitution (ll6), la personnalite et la capacite (ll 7), la structure et I' organisation interne (« inwendig bestel ») (118), les pouvoirs de representation des organes et agents de la societe, la responsabilite des organes et agents, la responsabilite des associes ou membres et la fin de la « corpora­tie » (ll9). Les dispositions en matiere de comptes annuels ou de droit d' enquete sont egalement susceptibles de s' appliquer aux « corporaties » ( 120).

La Wet op de f ormeel buitenlandse vennootschappen vise les societes etrangeres «formelles », c'est-a-dire les societes de capi­taux qui sont constituees en vertu d'une loi etrangere mais qui exercent toute ou presque toute leur activite aux Pays-Bas et n' ont aucun lien reel avec leur Etat de constitution (article 1 (121)). Le legislateur souhaitait en effet resoudre la ten-

(114) « Een corporatie die ingevolge de oprichtingsovereenkomst of akte van oprichting haar zetel of, bij gebreke daarvan, haar centrum van optreden naar buiten ten tijde van de oprichting, heeft op het grondgebied van de Staat naar welks recht zij is opgericht, wordt beheerst door het recht van die Staat ».

(115) La loi vise les « corporaties », a savoir les entites suivantes : « vennoot­schappen, verenigingen, cooperaties, onderlinge waarborgmaatschappijen, stichtingen en andere als zelfstandige eenheid of organisatie naar buiten optredende lichamen en samenwerkingsverbanden »; cette notion va done au-dela des seules societes et meme au-dela des seules personnes morales (« rechtspersonen »).

(116) Regles de fond, de forme, eventuelles autorisations administratives ou judiciaires prealables, etc. : Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, p. 17.

(117) « Het bezit van rechtspersoonlijkheid of van de bevoegdheid drager te zijn van rechten en verplichtingen, rechtshandelingen te verrichten en ·in rechte op te treden » ; la loi de !'incorporation definit ainsi la portee de la personnalite morale : Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, p. 18. '

(118) Sur le choix de ce terme: Expose des motifs de la Wet conflictenrecht cor­poraties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, pp. 18 et 19.

(119) Voir Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, pp. 17 a 20.

( 120) Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, p. 17.

(121) « Naar een ander dan Nederlands recht opgerichte, rechtspersoonlijkheid bezittende kapitaalvennootschap die haar werkzaamheid geheel of nagenoeg geheel in N ederland verricht en voorts geen werkelijke band heeft met de staat waarbinnen het recht geldt waarnaar zij is opgericht » ; Expose des motifs de la Wet op de formeel buitenlandse vennootschappen, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.139, n° 3,

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sion entre le droit de !'incorporation et le droit de l'Etat ou la personne morale a son etablissement principal, defini comme « centrum van haar optreden naar buiten » ( 122), ou encore comme I' endroit ou la personne morale est « feitelijk werkzaam » ( 123). II n' a cependant pas deroge a la theorie de I' incorporation pour les «formeel buitenlandse vennootschappen »et a choisi d'appliquer, au titre de loi d'application immediate (124), les regles imperatives les plus importantes en vue de la protection des tiers (125), a I' exclusion des regles de protection des actionnaires ( 126).

Cette loi vise les societes du type de la NV ou de la BV (127). Elle soumet ces societes a de nombreuses obligations, notamment le depot de leurs statuts, la mention du registre d'immatricula­tion de la societe, la communication du nom des actionnaires au registre des entreprises (article 2, § 1), la mention sur les docu­ments emanant de la societe de sa forme, son siege, le registre dans lequel elle est inscrite, etc. (article 3, § 1), le respect de diverses regles en matiere de capital minimum (article 4, § 1 a 3), le depot des comptes (article 5), etc. (128). Les administrateurs de la societe repondent personnellement de la violation des obli­gations en matiere d'enregistrement de la societe (article 4, § 4).

p. 1 ; sur le critere du lien reel avec l'Etat d'origine: C.AE. UNIKEN VENEMA, o.c., N. V., 1992, pp. 270 et 271.

(122) Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, p. 3.

( 123) Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, p. 7.

(124) S. VAN DEN BRAAK et C. HuISKES, o.c., N.J.B., 1992, p. 1169, note 30. (125) Sur cette notion et la difference par rapport aux regles materielles d'ap­

plication immediate : Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, pp. 10 et 11.

(126) C'est-a-dire, comme l'avait propose la doctrine anterieure, les « regels van maatschappelijke prioriteit »; Expose des motifs de la Wet op de formeel buiten­landse vennootschappen, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.139, n° 3, p. 3 ( « de belangrijkste voorschriften die strekken tot bescherming van de belangen van der­den die met de vennootschap te maken hebben »).

(127) Expose des motifs de la Wet op de formeel buitenlandse vennootschappen, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.139, n° 3, p. 17; comparer pour les definitions plus generales, anterieures a cette loi : P. VLAS, Rechtspersonen, n°8 16 et 53.

(128) La loi prevoit une exception aces deux derniers points pour les societes auxquelles s' appliquent les deuxieme, quatrieme et septieme directives euro­peennes.

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16. - Droit italien (loi du 31 mai 1995). Traditionnelle­ment, le droit italien paraissait combiner les theories du siege reel et de !'incorporation : les societes constituees a l'etranger mais ayant leur siege reel en Italie sont soumises au droit italien, alors qu'une societe constituee en Italie est soumise ace droit bien que son centre de direction soit a l'etranger.

La loi du 31 mai 1995 sur la reforme du systeme italien de droit international prive a toutefois modifie ces regles (129).

L' article 25, § 1 er, 1 re phrase, prevoit un rattachement a la loi du lieu de constitution tant pour les societes que pour les associa­tions et fondations (130).

L'article 25, § 2, donne a la lex societatis un champ d'applica­tion fort similaire a celui prevu par l' article 155 de la loi suisse sur le droit international prive (infra § 17) : personnalite morale de l' entite concernee, denomination et raison sociale ; constitu­tion, transformation et dissolution; capacite; composition, pou­voirs et .modalites de fonctionnement des organes ; representation de l' entite concernee ; mode d' acquisition et de perte de la qualite d' associe et droits et obligations attaches a cette qualite ; respon­sabilite pour les dettes de la societe ; consequences de la violation de la loi ou de l'acte constitutif (131).

L'article 25, § 1 er, deuxieme phrase apporte un correctif impor­tant a la loi de !'incorporation : les societes ayant leur siege d'ad-

(129) Sur ce texte, A. SANTA MARIA, « Spunti di riflessione sulla nuova norma di diritto internazionale privato in materia di societa ed altri enti », Riv. delle societa, 1996, pp. 1093 et s.; M.V. BENEDETTELLI, «La lege regolatrice delle per­sone giuridische dopo la riforma del diritto internationale privato », Riv. delle societa, 1997, pp. 39 et s. ; T. BALLARINO, (< Personnes, famille, regimes matrimo­niaux et successions dans la loi de reforme du droit international prive italien », Rev. crit. dr. int. prive, 1996, pp. 36 et s.

(130) «Le societa, le associazioni, le fondazioni ed ogni altro ente, publico o pri­vato, anche se privo di natura associativa, sono disciplinati dalla legge dello Stato nel cui territorio e stato perfezionato il procedimento di constituzione » (traduction libre : « les societes, associations, fondations et autres entites, publiques ou privees, meme si elles ne sont pas de nature associative, sont regies par la loi de l 'Etat sur le territoire duquel la procedure de constitution a ete accomplie »).

( 131) « a) la natura giuridica ; b) la denominazione o ragione sociale ; c) la constituzione, la transformazione e l'estinzione; d) la capacita; e) la formazione, i poteri e le modalita di funzionamento degli organi ; f) la rappresentanza dell 'ente ; g) le modalita di acquisto e di perdita della qualita di associato o socio nonche i diritti e gli obblighi inerenti a tale qualita ; h) la responsabilita per le obligazioni del­l 'ente; i) le conseguenze delle violazioni della legge o dell'atto costitutivo ».

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ministration en Italie ou dont l'objet principal s'exerce en Italie sont egalement soumises a la loi italienne (132). Ainsi, par une regle unilaterale, le legislateur italien applique I' ensemble des regles imperatives et d' ordre public a des societes qui, pour le surplus, restent soumises a la loi etrangere ( 133).

17. - Droit suisse (loi du 18 decembre 1987). La loi suisse du 18 decembre 1987 sur le droit international prive (« L.D.l.P. ») a consacre le critere de !'incorporation, deja admis par la jurisprudence (134).

Aux termes de I' article 154, § 1 er, L.D.I.P., les societes « sont regies par le droit de l 'Etat en vertu duquel elles sont organisees si elles repondent aux conditions de publicite OU d'enregistrement pres­crites par ce droit ou, dans le cas ou ces prescriptions n'existent pas, si elles se sont organisees selon le droit de cet Etat ». Le Tribunal federal a rejete toute possibilite d'y susbtituer, au nom de l'ordre public, les dispositions imperatives du droit suisse des societes en matiere de constitution (135). Le critere du siege reel est re~m a titre subsidiaire : la societe qui ne remplit pas les conditions pre­vues par le paragraphe 1 er est « regie par le droit de l 'Etat dans lequel elle est administree en fait » (article 154, § 2, L.D.I.P.).

La loi applicable aux societes (136) regit «la nature juridique de la societe; la constitution et la dissolution; la jouissance et l'exer­cice des droits civils ; le nom ou la raison sociale ; l 'organisation ; les rapports internes, en particulier les rapports entre la societe et ses membres ; la responsabilite pour violation des prescriptions du

(132) «Si applica, tuttavia, la legge italiana se la sede dell'amministrazione e situata in Italia, ovvero se in Italia si trova l'oggetto principale di tali enti ».

(133) A. SANTA MARIA, o.c., Riv. delle societa, 1996, pp. 1098 et 1099; M.V. BENEDETELLI, o.c., Riv. delle societa, 1997, pp. 87 et s.

(134) B. DuTOIT, Oommentaire de la loifederale du 18decembre1987, Bale, Hel­bing & Lichtenhaln, 1997, 2e ed., art. 154, § 3.

(135) B. DUTOIT, Oommentaire de la loi federale du 18 decembre 1987, art. 154, § 6; voir aussi J.-F. PERRIN, « Theorie de !'incorporation et coherence de l'ordre juridique » et J.A. REYMOND, « Societes etrangeres en suisse : exit fraus legis », in Etudes de droit international en l'honneur de Pierre Lalive, Bale, Helbing & Lich­tenhahn, 1993, resp. 141 et s. et pp. 173 et s.

(136) Notion definie de maniere tres large pour viser « toute societe de personne organisee et tout patrimoine organise» (article 150 L.D.I.P.) : B. DuTOIT, Oommen­taire de la loi federale du 18 decembre 1987, pp. 431 et s.; A. HEINI, M. KELLER, K. SIEHR, F. VISCHER et P. VoLKEN, IPRG - Kommentar, Zurich, 1993, pp. 1320 et s.

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droit des societes ; la responsabilite pour la societe, conf ormement a son organisation» (article 155).

La loi sur le droit international prive a prevu, en cas d'activite sur son territoire, des correctifs sous la forme de l' application de certaines regles ( 137) :

- Les « pretentions qui derivent de l 'emission ( publique) de titres de participation et d'emprunts » sont regies « soit par le droit applicable a la societe, soit par le droit de l'Etat d'emission » (article 156) (138). La protection de la denomination ou de la raison sociale est regie par le droit suisse (article 157). Sauf si elles sont connues de l' autre partie, « la societe ne peut pas invoquer les restrictions du pouvoir de representation d 'un organe ou d 'un representant qui sont inconnues du droit de l'Etat de l'etablissement ou de la residence habituelle de l'autre partie » (article 158) (139). La responsabilite des personnes qui agissent au nom d'une societe creee en vertu d'un droit etranger mais dont les acti­vites sont (( exercees en Suisse OU a partir de la Suisse», est regie par le droit suisse (article 159). Cette regle est consideree comme un inflechissement de la theorie de !'incorpora­tion (140), mais s'applique uniquement lorsque le cocontrac­tant croit de bonne foi avoir affaire a une societe suisse (141). On applique a la societe de droit etranger les regles du type de societe de droit suisse le plus similaire ou les « principes generaux du droit suisse » ( 142).

(137) On compare generalement ce regime a celui de la superposition(« Uberla­gerung ») prone par une partie de la doctrine allemande : infra § 19.

( 138) Sur cette notion, B. DuTOIT, Commentaire de la loi federale du 18 decembre 1987, art. 157, § 1; A. HEINi et cts, IPRG - Kommentar, pp. 1361 et s.; comparer avec l'article 199 L.C.S.C. (supra § 9).

(139) B. DuTOIT, Commentaire de la loi federale du 18 decembre 1987, art. 158, § 2; A. HEINi et cts, IPRG - Kommentar, pp. 1371 et 1372.

(140) B. DuTOIT, Commentaire de la loi federale du 18 decembre 1987, art. 159, § 1.

(141) B. DuTOIT, Commentaire de la loi federale du 18 decembre 1987, art. 159, § 2; A. HEINi et cts, IPRG- Kommentar, pp. 1374 et s. (pour lesquels une men­tion claire sur le papier a lettre suffit pour ecarter cette croyance).

(142) Sur les problemes que souleve cette regle, A. HEINi et cts, IPRG -Kommentar, pp. 1376 et 1377; B. DuTOIT, Commentaire de la loi federale du 18 decembre 1987, art. 159, § 4.

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De plus, les tribunaux suisses sont competents pour tout litige relatif a une societe etrangere dont I' activite entrafne I' adminis­tration de fait en Suisse (143) et pour tous faits qui se sont pro­duits en Suisse (144).

C. - Doctrine allemande

18. - Analyse traditionnelle. Le droit allemand retient le critere du siege reel non en vertu d'un texte legal mais de la juris­prudence constante des cours et tribunaux (145).

La doctrine majoritaire defend ce critere (146), mais le nombre de partisans du critere de !'incorporation ne cesse de croftre (147).

19. - Theorie de !'incorporation. La doctrine a developpe deux theories dans les annees 1970, qui aboutissent soit a depecer la loi du siege reel soit a preferer la loi de !'incorporation.

(i) Differenzierungslehre. La theorie de la « differenciation » propose de traiter differemment I' organisation interne de la societe qui serait regie par la loi de !'incorporation, et ses rela­tions externes ( 148) qui seraient regies par la loi qui protege les tiers concernes.

(ii) Uberlagerungstheorie. La theorie de la «superposition» s'inspire des theories americaines (supra § 14) et rattache le sta­tut de la societe a la loi de !'incorporation, mais applique la loi

(143) B. DuTOIT, Commentaire de la loi federale du 18 decembre 1987, art. 151, § 3, p. 435.

(144) B. DuTOIT, Commentaire de la loi federale du 18 decembre 1987, art. 151, § 5, p. 436.

(145) W.-H. ROTH, o.c., in Current issues of cross-border establishment of compa­nies in the European Union, p. 30 et les references citees; diverses regles legales paraissent toutefois reposer sur ce critere : ibidem, p. 35.

(146) B. GRoBFELD, Internationales Gesellschaftsrecht, in Staudinger BGB, n°8 33 et s. ; H. WIEDEMANN, Gesellschaftsrecht, I, Munich, C.H. Beck, pp. 785 et 786; G. KEGEL, Internationales Privatrecht, Munich, C.H. Beck, 1995, 7e ed., § 17 II, p. 415.

(147) RowEDDER, GmbHG, Enl. § 272; voir aussi W.-H. RoTH, o.c., in Current issues of cross-border establishment of companies in the European Union, pp. 29 et 36 et s. ; voir en particulier B. KNoBBE-KEUK, « Umzug von Gesellschaften in Europa», Z.H.R., 1990, pp. 325 et s.

(148) Pour cette theorie, attribuee a GRASMANN : B. GROBFELD, Internatio­nales Gesellschajtsrecht, in Staudinger BGB, n°8 31, 63 et 64; D. ZIMMER, Interna­tionales Gesellschaftsrecht, p. 214; H.-D. AssMANN, Grofikommentar AktG, vol. 1, Enleitung A-D, de Gruyter, Berlin, 4e ed., 1992, § 548.

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du siege pour les regles imperatives relatives aux relations avec les tiers (149) ou, du moins, les regles imperatives qui ne connais­sent pas d'equivalent dans le droit de !'incorporation (150).

Ces theories n' ont guere eu de succes en raison des incertitudes sur le caractere de chaque norme et des conflits potentiels entre les normes ( 151).

Elles s'inscrivent cependant parfaitement dans la tendance qui consiste a preferer la theorie de !'incorporation et a apprehender la theorie du siege reel comme une theorie correctrice qu'il convient de nuancer en fonction des objectifs du legislateur (infra § 29).

20. - Evolution des theories du siege reel. Certains auteurs suggerent aussi qu'il faut presumer que le siege reel se trouve a l'endroit OU sont accomplies les formalites d'enregistre­ment OU de depot, OU au siege statutaire, c'est-a-dire a l'endroit ou la societe se presente publiquement comme ayant son siege et etant centralisee ( 152).

Une partie de la doctrine favorable a la tMorie du siege reel semble par ailleurs chercher a unilateraliser la regle de conflit (153).

D. - Conventions internationales

21. - Conventions de La Haye et de Bruxelles. Tant la Convention de La Haye du pr juin 1956 (154) que la Convention

(149) 0. SANDROCK, « Ein amerikanisches Lehrstiick fiir das Kollisionsrecht der Kapitalgesellschaften », RabelsZ, 1978, pp. 246 et s.; pour cette theorie : B. GROBFELD, Internationales Gesellschaftsrecht, in Staud,inger BGB, n°" 32, 65 et 66; D. ZIMMER, Internationales Gesellschaftsrecht, pp. 214 et 215; H.-D. AssMANN,

Grofikommentar AktG, vol. 1, § 549. (150) Pour cette theorie attribuee a P. BEHRENS : D. ZIMMER, Internationales

Gesellschaftsrecht, p. 215. (151) B. GRoBFELD, Internationales Gesellschaftsrecht, in Staudinger BGB,

n°" 64 et 66; D. ZIMMER, Internationales Gesellschaftsrecht, pp. 214 et 215. (152) Pour l'expose de cette theorie : D. ZIMMER, Internationales Gesellschafts­

recht, p. 217. (153) H. WIEDEMANN, Gesellschaftsrecht, t. I, pp. 791 et s., operant une distinc­

tion entre societes constituees en Allemagne, dans la Communaute europeenne et ailleurs.

(154) Convention concemant la reconnaissance de la personnalite juridique des societes, associations et fondations etrangeres, signee a La Haye, approuvee par la loi du 14 mars 1962.

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de Bruxelles du 29 fevrier 1968 (155) concernent la reconnais­sance et partent d'une conception fondee sur la loi de !'incorpora­tion (156). Bien qu'elles n'entreront sans doute jamais en vigueur, ces Conventions sont une importante source de droit (157).

La Convention de La Haye impose de reconnaftre « la person­nalite juridique, acquise . . . en vertu de la loi de l 'Etat contractant ou les f ormalites d 'enregistrement ou de publicite ont ete rem plies et ou se trouve le siege statutaire » (art. 1, al. 1), mais elle prevoit d'im­portantes exceptions : elle permet a l'Etat dont le droit retient le critere du siege reel de refuser de reconnaitre une societe valable­ment constituee au regard d'un autre Etat s'il considere que le siege reel se trouve sur son propre territoire ou sur celui d'un autre Etat ayant adopte le critere du siege reel (art. 2, al. 1 et 2).

De meme, la Convention de Bruxelles retient le critere de !'in­corporation : soit les societes « constituees en conformite de la loi d 'un Etat contractant qui leur accorde la capacite d'etre titulaire de droits et d'obligations, et ayant leur siege statutaire dans les terri­toires auxquels s'applique la presente Convention» (art. 1). Elle prevoit cependant certains correctifs comme la possibilite de ne pas appliquer la Convention aux societes dont « le siege reel se trouve hors des territoires auxquels s 'applique la presente Conven­tion si (elles) n'ont pas de lien serieux avec l'economie de l'un de ces territoires » (article 3).

L' article 4 de la Convention de Bruxelles permet en out re a l'Etat du siege reel d'appliquer « les dispositions de sa propre loi qu 'il considere comme imperatives, aux societes . . . dont le siege reel

(155) Convention sur la reconnaissance mutuelle des societes et personnes morales et Protocole annexe, signes a Bruxelles, approuvee par la loi du 17 juillet 1970; sur cette convention, REsTEAU, Traite des societes anonymes, t. I, 3° ed., n° 22quinquies, pp. 68 et s. ; G. SCHRANS et H. VAN ROUTTE, Internationaal han­dels- en financieel recht, n°" 83 et 84; G. van HECKE et K. LENAERTS, Internatio­naal privaatrecht, n° 18; J. RENAULD, Droit europeen des societes, Bruylant -Vander, 1969, § 6.16 et s.

(156) L. STRIKWERDA, Inleiding tot het Nederlandse internationaal privaatrecht, 3e ed., n° 201; P. VLAS, Rechtspersonen, n°" 32 et s.; G. SCHRANS et H. v AN HouTTE, Internationaal handels- en financieel recht, n°" 82 et s.

(157) L'arret de la Cour de cassation du 13 janvier 1978 (Pas., I, p. 543 ; R.C.J.B., 1979, p. 40, note L.F. GANSHOF, «La reconnaissance en Belgique de la societe d'une personne de droit etranger )) ) souligne que par la loi du 17 juillet 1970, le Iegislateur a approuve cette Convention qui, entre autres, impose la reconnaissance des societes d'un seul associe.

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se trouve sur son territoire bien qu 'elles aient ete constituees selon la loi d 'un autre Etat contractant », et meme ses dispositions supple­tives si « les statuts n 'y derogent pas » ou si la societe concernee ne demontre pas « qu 'elle a exerce effectivement son activite pendant un temps raisonnable dans l 'Etat contractant en conformite de la loi duquel elle s 'est constituee ». Cet article est destine a cerner les interferences entre les regles de reconnaissance et celles de conflit de lois ( 158) mais on peut plus generalement s' en inspirer pour les regles de conflit (159). Les dispositions du droit des societes du siege reel apparaissent essentiellement comme des correctifs a celle de l'inco:tporation (160) et s'ajoutent a cette derniere (161). La superposition de regles imperatives qui en resulte est une source de difficultes (162).

22. - Traite de Rome. L'article 58 du Traite assimile aux personnes physiques ressortissant des Etats membres, pour l' acces aux libertes d' etablissement et de prestation de services, « les societes constituees en conformite de la legislation d 'un Etat membre et ayant leur siege social, leur administration centrale ou leur principal etablissement a l'interieur de la Oommunaute ». Pour les besoins de cette disposition, le Traite se refere done a l' ordre juridique d'incorporation, mais exige un certain lien entre les societes visees et le territoire de la Communaute (163).

(158) BATIFFOL et LAGARDE, Droit international prive, t. I, 8° ed., n° 198, p. 34;9.

(159) J. RENAULD, Droit europeen des societes, §§ 6.29 et 6.54; V ANDER ELsT, Droit international prive, p. 250.

(160) Cette regle ne s'applique cependant pas aux seuls Etats de siege reel : J. RENAULD, Droit europeen des societes, § 6.47; la doctrine porte pour le surplus peu d'attention ace texte : voir p. ex. : v ANDER ELST, Droit international prive, p. 250; BATIFFOL et LAGARDE, Droit international prive, t. I, 8° ed., n° 198, pp. 349 et 350.

(161) C.AE. UNIKEN VENEMA, o.c., N. V., 1992, p. 267, comparant cette tech­nique a celle de certains Etats americains ; voir pour ce rapprochement avec les «pseudo-foreign corporations» : G. ScHRANS et H. VAN HouTTE, Internationaal handels- en financieel recht, n° 83.

(162) Voir pour une critique de l'article 4 de la Convention sur ce point : G. van HECKE et K. LENAERTS, Internationaal privaatrecht, n° 757; pour une application nuancee de I' article 4, J. RENAULD, Droit europeen des societes, §§ 6.48 et s.

(163) Oh. GALVADA et G. PARLEANI, Droit des affaires de l'Union europeenne, Litec, 1995, n° 216; RIGAUX, Droit internat'ional prive, t. I, n° 138.

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Pour le surplus, les auteurs apprecient fort differemment !'in­fluence du principe de libre etablissement sur le choix du facteur de rattachement de la lex societatis.

Selon la plupart, les articles 52 et 58 du Traite ne restreignent pas le choix des Etats membres entre les theories du siege reel ou de !'incorporation (164). La question est cependant tres contro­versee : pour certains, le (( laxisme >) (165) du droit interne que permettrait la theorie de !'incorporation pure et simple est incompatible avec le Traite (166); pour d'autres, la theorie du siege reel apporte des limites inacceptables a la liberte d' etablis­sement (167).

La theorie de I' incorporation, en ce qu' elle rend plus aise le transfert des activites d'une societe, parait en realite davantage compatible avec I' article 52 du Traite (168).

La Cour de justice n' a toutefois pas ete amenee a trancher en faveur de l'un ou l'autre systeme; tout au plus peut-on deduire de sa jurisprudence que la mise en umvre du systeme du siege reel ne peut aboutir a constituer un obstacle a I' etablissement dans l'Etat concerne (169).

(164) MAEIJER, Vertegenwoordiging en rechtspersoon - De rechtspersoon, n° 61 ; J.M.M. MAEIJER, o.c., in Op recht A. V.M. Struycken, p. 188 ; B. GRoBFELD, Inter­nationales Gesellschaftsrecht, in Staudinger BGB, n° 26; H.-D. AssMANN, Groj3kom­mentar AktG, vol. 1, § 529, p. 225; voir aussi W.F. EBKE, «The limited partner­ship and transnational combinations of business forms : 'Delaware Syndrome' versus European Community law», Int'l Lawyer, 1988, p. 195.

(165) Ce terme fait reference a I' expression «race for laxity» parfois employe pour definir la competition entre Etats americains.

(166) En droit allemand, GRoBFELD, Internationales und Europa2sches unter­nehmensrecht, Muller, Heidelberg, 1995, p. 54 ; voir pour ces controverses, E. BRo­DERMANN et H. IVERSEN, Europiiische Gemeinschajtsrecht und I nternationales Pri­vatrecht, Mohr, Tiibingen, 1994, pp. 61 et s.

(167) En droit allemand, P. BEHRENS,« Niederlassungsfreiheit und internatio­nales Gesellschaftsrecht », RabelsZ, 1988, pp. 498 et s. ; B. KNOBBE-KEUK, « Umzug von Gesellschaften in Europa», Z.H.R., 1990, pp. 325 et s.

(168) En droit neerlandais, P. VLAS, Rechtspersonen, n°" 89 et s.; !'Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24141, n° 3, p. 5, semble considerer que !'article 58 du Traite implique une prefe­rence pour le facteur de rattachement (comp. l'avis du Conseil d'Etat pour qui le droit europeen est neutre sur ce point; ibidem, 24.141, B, p. 2).

(169) W.F. EBKE, o.c., Int'l Lawyer, 1997, vol. 31, p. 968; pour !'analyse de l'arret Segers sur ce point, P. VLAS, Rechtspersonen, n°" 91 et s. (cet arret concerne des dispositions en matiere de securite sociale de l'Etat d' etablissement defavo­rables aux societes incorporees a I' etranger et de nature a influencer I' exercice de leurs activite dans cet Etat, un dissuadant ses ressortissants de constituer une

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IV. - POUR LE RATTACHEMENT

DE LA LEX SOCIETATIS A LA LOI

DE L'INCORPORATION EN DROIT BELGE

23. - Generalites. Plusieurs types d' arguments incitent a retenir en droit belge la theorie de !'incorporation.

Divers avantages generalement invoques en faveur de cette tMorie meritent tout d'abord d'etre rappeles (A).

Les arguments les plus importants decoulent toutefois de ce qu'elle est la plus apte a tenir compte des objectifs que doit se fixer une legislation nationale a l'egard des societes qui s'inscri­vent dans sa sphere d'activite economique (B).

La tMorie de I' incorporation s'inscrit d' ailleurs parfaitement dans !'evolution du droit belge des societes (C).

A. - Les avantages de la theorie de l 'incorporation

24. - Respect du choix des fondateurs. La permanence de la lex societatis qu' autorise la theorie de !'incorporation permet de respecter la volonte des associes (170) en appliquant a la societe la loi de la constitution choisie par ceux-ci (171).

On considere parfois que les fondateurs qui cherchent a sou­mettre la societe a une loi differente de celle de l' endroit ou elle exerce son activite ont pour but d' echapper indument aux dispo­sitions imperatives de l'Etat auquel la societe « se rattache le plus etroitement » ( 1 72) et que la theorie du siege reel permettrait d' evi­ter les « fraudes » (supra § 8 et 10).

telle societe ou d'un devenir actionnaires majoritaires) ; comparer, en droit des Etats americains, supra § 14.

(170) P. VLAS, Rechtspersonen, n° 18; voir aussi G. van HECKE et K. LE­

NAERTS, Jnternationaal privaatrecht, n° 756. (171) B. GRoBFELD, Internationales Gesellschaftsrecht, in Staudinger BGB,

n°8 40 et 44. (172) B. AUDIT, Droit international prive, n° 108lbis; P. VLAS, Rechtspersonen,

n° 22; Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, p. 7; B. GRoBFELD, Internationales Gesellschafts­recht, in Staudinger BGB, n° 48.

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Cette objection n' est pas decisive puisque la theorie de I' incor­poration admet des correctifs tout aussi efficaces et en tout cas plus nuances (infra § 31 et 32) (173).

25. - Securite juridique. La loi d'incorporation est genera­lement tres aisee a identifier, alors que tel n'est pas le cas du siege reel, qui repose sur la recherche d'un element de fait (174). La theorie de !'incorporation offre done une plus grande securite juridique en raison de la previsibilite du resultat des regles de conflit (175).

On peut certes objecter que rares sont les cas ou le principal etablissement d' administration ne co'incide pas avec celui de l'in­corporation, de sorte que les tiers n' ont pas de doute sur la loi qui regit la societe (176). De meme, on peut soutenir que lorsque la creation d'une entite dotee de la personnalite ne depend pas d'un depot ou d'un enregistrement, le rattachement au siege reel doit etre considere comme un critere plus facilement identifiable par les tiers (177).

Il reste que le rattachement, suffisamment porte a l' attention des tiers, a un ordre juridique d'incorporation et qui n' est pas susceptible de faire l'objet d'un « conflit mobile» offre une plus grande securite juridique (178).

26. - Deplacement volontaire du siege. La theorie de !'in­corporation facilite le transfert du principal etablissement car il

(173) Voir p. ex. Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, p. 6.

(174) B. GRoBFELD, lnternationales Gesellschaftsrecht, in Staudinger BGB, n° 40; W.-H. RoTH, o.c., in Current issues of cross-border establishment of compa­nies in the European Union, p. 32.

(175) R.M. BUXBAUM et K.J. HoPT, Legal harmonization and the business enter­prise, p. 64; P. VLAS, Rechtspersonen, n° 18; Expose des motifs de la Wet conflic­tenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24.141, n° 3, pp. 5 et 6; G. van HECKE et K. LENAERTS, lnternationaal privaatrecht, n° 756; J. HEE­NEN, o.c., in Evolutions recentes du droit des affaires, pp. 101 et 102.

(176) B. GRoBFELD, lnternationales Gesellschaftsrecht, in Staudinger BGB, n° 41.

(177) P. MAYER, Droit international prive, n° 1023; voir, au contraire, lorsque la personnalite s'acquiert par depot ou enregistrement, infra § 35, iii.

(178) P. VLAS, Rechtspersonen, n° 18 ; comparer, pour la securite juridique dans les relations avec les tiers : infra § 28, iii.

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n'y a pas d'importance (supra § 6), alors que la theorie du siege reel le rend plus difficile (179).

Il convient toutefois de relativiser cet avantage.

Dans le systeme de !'incorporation, le deplacement du siege statutaire pose des problemes tout aussi complexes et cree tout autant de risques de discontinuite de la personnalite si les lois de l'Etat d' emigration et de l'Etat d'immigration ne reglent pas expressement la question (180). Les lois recentes le font d'ail­leurs (181).

Par ailleurs, les systemes fondes sur la theorie du siege reel admettent de plus en plus souvent le transfert de siege reel sans discontinuite de la personnalite morale, meme en l' absence de texte specifique (182).

27. - Consequence d'une modification involontaire du principal etablissement. Dans la theorie de !'incorporation, le respect des regles de constitution met la societe et ses associes a l'abri d'un contestation (183).

En revanche, dans la theorie du siege reel, une divergence entre la loi de constitution et celle du principal etablissement du fait d'un deplacement involontaire de ce dernier, par exemple par la reunion frequente des organes en dejors du pays d'incorpora­tion, peut avoir des consequences fort graves. Selon certains, cette inadequation entrafne la « nullite » de la societe au regard de la loi du siege reel (184). L'effet constitutif de la personnalite

(179) B. GRoBFELD, Internationales Gesellschaftsrecht, in Staudinger BGB, n°8 40 et 45.

(180) P. VLAS, Rechtspersonen, n° 18 (qui cite certaines lois prises specialement pour l'une ou l'autre societe).

(181) Article 4 de la Wet conflictenrecht corporaties (supra § 15) ; article 25, § 3 de la loi italienne sur le droit international prive (supra § 16) ; articles 161 et 163 de la loi suisse sur le droit international prive (supra § 17) ; par contre, en Grande Bretagne, la loi sur les societes ne contient pas de dispositions sur le transfert de siege et des lois privees specifiques («private legislation ») sont necessaires pour chaque societe qui veut deplacer son siege statutaire sans discontinuite : D. LE­wrs, «Corporate redomicile », The Company Lawyer, 1995, pp. 295 et s.

(182) En droit belge : infra § 34, ii. (183) P. VLAS, Rechtspersonen, n° 18. (184) F. RIGAUX, Droit international prive, t. I, n° 139, p. 97; pour (( l'inexis­

tence » d'une societe filiale dont les conseils d'administration se tiennent a l'etran­ger et dont la comptabilite est tenue a l'etranger: V ANDER ELST, Droit internatio­nal prive, p. 246, note 132; J. RENAULD, Droit europeen des societes, § 6.09, par­lant egalement de societe (( inexistante)); J. HEENEN, o.c.' in Evolutions recentes du

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morale qu' emporte I' enregistrement ou le depot inviterait plutot a considerer qu'une societe constituee et enregistree dans un Etat, mais qui a son siege reel dans un autre Etat, n' a pas la per­sonnalite et est regie par le droit commun des societes sans per­sonnalite, a defaut d' avoir accompli les formalites de constitution (infra § 35, i) (185).

B. - Contexte economique et social de la societe et evolution du droit international prive

28. - « Sphere economique » de la societe. Les elements les plus importants pour trancher le choix du critere de rattache­ment tiennent au role economique des societes et traduisent d' ail­leurs !'evolution des objectifs du droit des societes, davantage oriente vers la protection des interets des actionnaires minori­taires et des tiers.

(i) La doctrine recente insiste ainsi sur le fait que la societe s'inscrit dans une «sphere economique » (186), traduit un equilibre historique et social (187) et doit prendre en consideration la fonc­tion majeure pour un Etat des societes les plus importantes qui exercent des activites sur son territoire (188).

(ii) La possibilite d' echapper a la forme et aux regles plus OU

moins contraignantes qu'impose le droit des societes est suscep­tible de procurer un avantage concurrentiel indu.

(iii) Les operateurs economiques doivent, dans leurs relations avec d' autres entites, pouvoir se fier aux principes qu'ils connais­sent ou dont ils peuvent rapidement prendre connaissance.

droit des affaires, p. 101 ; voir aussi : B. GROBFELD, Internationales Gesellschaft­srecht, in Staudinger BGB, n° 40; B. DuTOIT, Commentaire de la loi federale du 18 decembre 1987, art. 154, § 2, p. 440.

(185) En droit allemand : W.-H. ROTH, o.c., in Current issues of cross-border establishment of companies in the European Union, p. 33; en droit fran9ais, MAYER, Droit international prive, n° 1018, pp. 605 et 606.

(186) P. MAYER, Droit international prive, 4e ed., n° 1022 (au sujet de la loi d'autonomie); W.-H. ROTH, o.c., in Current issues of cross-border establishment of companies in the European Union, p. 31.

(187) B. GRoBFELD, Internationales Gesellschajtsrecht, in Staudinger BGB, n° 46.

(188) B. GRoBFELD, Internationales Gesellschajtsrecht, in Staudinger BGB, n° 49.

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Sinon, il peut en resulter une moindre securite juridique et une moindre efficacite economique (189).

Ces elements sont generalement invoques en faveur de la theo­rie du siege reel. La loi applicable a la societe ne pourrait etre laissee a l' arbitraire des associes des lors qu' elle importe au plus haut point pour l' economie nationale. Le recours a des structures par hypothese plus legeres que permettrait la theorie de !'incor­poration pourrait etre la source d'un avantage concurrentiel pour les societes qui ne sont pas soumises au droit national mais ope­rent sur le meme marche que les autres et peut, simultanement, aboutir a vider de Sa substance le droit national puisque le legis­lateur autorise la « concurrence » que pourraient ainsi lui faire d' autres Iegislateurs. Enfin, dans la theorie de I' incorporation, on peut soumettre des societes dont l' activite est entierement ratta­chee a un Etat, a des regles d'un autre droit. Celles-ci pourraient par hypothese, etre inadaptees et meconnues des tiers avec les­quels la societe contracte ( 190). La portee des engagements pris et plus generalement le mode de fonctionnement des cocontrac­tants en deviendraient incertains, ce qui engendrerait un cout social (191).

L'utilisation de ces divers elements en faveur de la theorie du siege reel ne convainc guere. La question consiste precisement a determiner Si la theorie du siege reel OU la theorie de !'incorpora­tion, avec les correctifs introduits par les lois etrangeres recentes, servent mieux les interets de politique economique d'un Etat.

29. - Lois d'application immediate. Un premier element de reponse se trouve dans l' evolution des principes du droit inter­national prive, ou l'on a vu se developper l'usage des lois d'appli­cation immediate ou lois de police, definies comme le mecanisme d' application d'une regle interne a une situation internationale independamment de sa designation par une regle de conflit (192).

(189) W.-H. ROTH, o.c., in Current issues of cross-border establishment of compa­nies in the European Union, p. 45.

( 190) B. GROB FELD, I nternationales Gesellschaftsrecht, in Staudinger BG B, n°" 47 et 48.

(191) H.-D. AssMANN, Groj3kommentar AktG, vol. 1, § 538, p. 230. (192) Sur cette notion, voir p. ex. B. AUDIT, Droit international prive, n°" 113

et s. ; MA.YER, Droit international prive, n°8 121 et s. (loi d'application necessaire); P. RIGAUX, Droit international prive, t. I, n°" 290 et s.; G. van HECKE et K. LE­

NAERTS, Internationaal privaatrecht, A.P.R., n°" 183 et s. ; sur la reconnaissance

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La technique consistant a imposer a ses « nationaux » I' entierete du droit national des societes afin de prevenir les fraudes (supra § 10, i et ii) s'explique en realite par !'absence d'autres concepts en droit international prive au dix-neuvieme siecle (193) : !'appli­cation de la loi des societes du principal etablissement apparai't en effet retrospectivement comme une forme d' application imme­diate du «corps de regles » qui constitue la lex societatis (supra § 4). En ce sens, on observera que les legislations « defensives » fran9aises et belges (supra § 12) ont ete la source des reflexions theoriques dont sont issues les legislations americaines sur les societes pseudo-etrangeres («pseudo-foreign») (194). Ces legis­lations ont cependant prefere une approche fondee sur la theorie des lois d'application immediate, meme si ce terme n'est pas uti­lise (supra § 14).

La theorie du siege reel apporte en realite un remede excessif au probleme de prevention des fraudes : la technique des lois d' application immediate pour corriger les effets de la loi de !'in­corporation respecte davantage l'ordre juridique etranger qui regit la societe, tout en preservant les interets de l'Etat sur le ter­ritoire duquel s'exerce en realite l'activite essentielle (supra § 28, i et iii). Les legislations recentes font de meme apparai'tre que I' ordre juridique concerne peut se manifester par des regles d' ap­plication immediate assurant la protection des tiers ou des asso­cies que le Iegislateur national estime necessaire. Cette evolution

de cette technique dans le cadre de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, B. AUDIT, o.c., n°" 816 et s.; J. FOYER,« Entree en vigueur de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obli­gations contractuelles )), Olunet, 1991, pp. 629 et s.; P. LAGARDE, «Le nouveau droit international prive des contrats apres I' entree en vigueur de la Convention de Rome du 19 juin 1980 )>, R.O.D.l.P., 1991, pp. 324 et 325; R. PRioux, «Le juge et l' arbitre face aux lois etrangeres d' application immediate dans les contrats internationaux : les nouvelles possibilites offertes par la loi du 14 juillet 1987 )>, R.D.O., 1988, pp. 251 et s.

(193) R. ABRAHAMS, Les societes en droit international prive, pp. 65 et s. ; voir de meme en droit neerlandais AssER, supra § 15.

(194) R.M. BUXBAUM et K.J. HoPT, Legal harmonization and the business enter­prise, p. 70; voir aussi E.R. LATTY, «Pseudo-foreign corporations)>, Yale Law Journal, 1955, vol. 65, pp. 137 et s., spec. pp. 166 et s.

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apparaissait deja tres clairement dans les Conventions de La Haye et surtout de Bruxelles (195).

30. - Inadequation du siege reel aux objectifs economi­ques. Un deuxieme element de reponse est tire de l'inadequation du rattachement au siege reel par rapport aux objectifs des fac­teurs de rattachement, dans une economie qui se caracterise par I' eclatement entre les lieux d' exploitation et de decision (supra § 28) (196).

(i) Si le siege reel est le principal etablissement administratif, ce dernier n' est pas necessairement le lieu ou s' exerce I' activite economique principale qui interesse les tiers (197). Cette defini­tion du siege reel repose en outre sur une localisation tres incer­taine eu egard a !'internationalisation de la vie des affaires et aux developpements des moyens de telecommunications ( 198). Enfin, ce critere ne semble guere utile des lors que les actionnaires et administrateurs de structures etrangeres veillent au respect scru­puleux du fonctionnement societaire a I' etranger ( 199).

Des lors que le siege reel est defini comme le siege administra­tif, il ne permettra done generaleinent pas de rencontrer les objectifs de protection des tiers.

(195) De meme, certains auteurs frarn;iais considerent que le critere du siege reel est en realite un correctif de celui du siege social, B. AUDIT, Droit internatio­nal prive, n° 1087.

(196) Certains auteurs expliquent cette inadequation par la preoccupation, au milieu du dix-neuvieme siecle, de controler la fuite des investissements plutot que l'activite sur le territoire : R.M. BUXBAUM et K.J. HoPT, Legal harmonization and the business enterprise, p. 70; voir aussi J. HEENEN, o.c., in Evolutions recentes du droit des affaires, p. 102, note 37, qui souligne que la loi de 1873 protegeait fort mal les associes et les tiers.

(197) J. WOUTERS, o.c., T.R. V., 1991, p. 461; le siege reel ne presente done pas necessairement l' a vantage de correspondre a la realite economique ; en ce sens cependant, G. ScHRANS et H. VAN HoUTTE, Internationaal handels-en financieel recht, n° 72.

(198) J. WoUTERS, o.c., T.R. V., 1991, pp. 460 et s. et p. 478; J. HEENEN, o.c., in Evolutions recentes du droit des affaires, p. 101; J.P. BLUMBERG, ((Over het grensoverschrijdende associatieconcern, zetelverplaatsing en internationale fusie », T.P.R., 1992, pp. 814 a 816.

(199) T. AFSCHRIFT, «La constitution d'une personne morale de droit etranger dans l'unique but d'eluder l'impot belge )>, in Melanges Van der Elst, Nemesis, 1986, pp. 38 et s. ; T. AFSCHRIFT, ((Simulation et realite juridique apropos des societes etrangeres utilisees dans le but d'eviter l'impot belge )>, in Le droit fiscal international belge et l 'evitement de l 'impot, Jeune Barreau de Bruxelles, 1996, pp. 28 et 29.

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Le siege administratif est plutOt le lieu de ce qu' on pourrait considerer comme une « prestation caracteristique » du « contrat societe », dans les relations internes a celle-ci, mais auxquels s' ope­rerait un rattachement obligatoire (200). Ce rattachement pour­rait avoir une utilite si le seul but etait de proteger les associes. Toutefois, outre qu'il n'apparait pas toujours indispensable de proteger ces derniers s'ils ont entendu se soumettre a un droit etranger, ce critere demeure fort incertain et peu approprie. Par ailleurs, les actionnaires des societes faisant appel au public sont proteges par la loi du marche (infra § 33).

(ii) Si le siege reel est le lieu d' exploitation principal, qui est « celui ou la personne morale manifeste le plus son activite exterieure et ou elle contracte habituellement » (201), I' application de la loi de ce siege semble correspondre le mieux aux objectifs de protection des operateurs economiques (202). Ce critere risque toutefois d'aboutir a de nombreuses situations OU on ne pourrait determi­ner la loi applicable. II ne faut en effet pas negliger le facteur d'internationalisation des aff aires et d' essaimage de succursales ou centres d' exploitation tres importants au sein desquels il serait impossible de choisir le siege d' exploitation principal.

Par contre, ce dernier critere peut utilement etre choisi comme facteur de rattachement de correctifs, puisqu'il atteint alors les situations essentiellement locales (203).

31. - Mecanismes correcteurs de la loi de !'incorpora­tion par les lois d'application immediate. Enfin, la recherche des regles locales que le legislateur entend absolument faire res­pecter, que ce soit pour la protection des tiers ou celle des action­naires, parait bien plus efficace que I' application de I' entierete du droit des societes.

(200) En matiere contractuelle, le rattachement s'opere en principe a la loi de la prestation caracteristique, mais en principe seulement en I' absence de precision des parties.

(201) B. AUDIT, Droit international prive, n° 1082; ainsi !'Expose des motifs de la Wet conflictenrecht corporaties, Deuxieme chambre, session 1994-1995, 24141, n° 3 (p. 7), se refere systematiquement, lorsqu'il est question du siege reel, a l'en­droit ou la personne morale exerce ses activites economiques les plus importantes et se manifeste ainsi vis-a-vis des tiers (supra § 15).

(202) La jurisprudence fran9aise cherche aussi parfois a combiner le « rattache­ment juridique » et le « rattachement economique » : L. LEVY, La nationalite des societes, pp. 291 et s.

(203) Comparer dans les droits americains : supra § 14.

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Cette technique permet une selection des regles applicables en fonction des interets a proteger (infra § 32) et permet d'uni­formiser sur des points essentiels la situation de I' ensemble des societes actives sur le territoire de l'Etat concerne (supra § 28, ii). Le legislateur peut de meme proceder a des adaptations rapides en fonction de comportements contraires aux objectifs qu'il s' est fixes. Le systeme de !'incorporation ainsi corrige facilite !'installa­tion de societes etrangeres qui tiennent a preserver' dans leur ordre interne, le mode de fonctionnement qu' elles connais­sent, alors que le rattachement complet de la societe a la loi du siege a en principe pour effet de conduire a I' application de toutes les regles, imperatives et suppletives, du droit de l'Etat du principal etablissement. Ce systeme, appliquant la loi locale au seul titre de correctif, facilite I' activite des filiales locales de groupes multinationaux et rend plus neutre le choix entre succursale et filiale. Les Etats qui soumettent toute activite en societe sur leur territoire a la loi du siege et en font une theorie bilaterale se privent par la de la possibilite de voir des associes decider de s'incorporer sur leur territoire.

Enfin, l' evolution des droits des societes nationaux dans · l'Union europeenne semble marquee par la deregulation et la modernisation, voire la competition entre Etats en cette matiere. Le systeme mis en place par le Iegislateur neerlandais permet un assouplissement de la structure des « f ormele vennootschappen », par le recours a la loi etrangere, la OU d' autres Etats ont, par exemple, prefere la voie de la reforme legislative pour autoriser la creation d'une societe anonyme simplifiee ou, meme si sa fonc­tion est differente, d'une kleine Aktiengesellschaft (204), mais ont conserve un systeme de droit international prive plus rigide.

32. - Applications recentes de ces mecanismes. Les lois recentes traduisent toutes cet usage des regles d' application

(204) Loi fran9aise du 3 janvier 1994 instituant la societe par actions simpli­fiee, qui tend a faciliter la cooperation entre societes importantes, et loi allemande du 2 aout 1994 Sur les (( kleine Aktiengesellschaft urul zur Deregulierung des Aktien­gesetzes », qui tend surtout a faciliter l' activite des petites et moyennes entre­prises.

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immediate par les Etats qui appliquent la theorie de !'incorpora­tion.

(i) Certains droits tiennent compte de l'activite « principale » sur le territoire en adoptant un regime des societes « pseudo-etran­geres » (205), qui ne vise pas les entites reellement internationales. D' autres adoptent une approche plus fragmentee, reglant cer­tains aspects de l'activite sur le territoire {206).

(ii) Le legislateur neerlandais a retenu, pour regir 1es societes formellement etrangeres, les regles qui lui sont apparues les plus importantes pour la protection des tiers (supra § 15) (207). Le legislateur californien a egalement enonce I' ensemble des regles applicables, mais nombre d' entre elles touchent aussi a des meca­nismes de fonctionnement interne de la societe (supra § 14). Le legislateur italien a par contre considere qu'un renvoi plus gene­ral au droit des societes s'imposait (supra § 16) (208).

33. - Protection par d'autres regles locales. Le droit des societes ne se confond pas avec celui de l'entreprise; neanmoins, comme de nombreuses regles de droit des societes tendent a pro­teger les tiers, les facteurs de rattachement de la societe et de I' entreprise doivent co'incider dans une certaine mesure, ce que facilite I' usage des lois d' application immediate.

Le droit des societes peut ainsi s' appuyer sur d' autres corps de regles.

L' apprehension par le droit de I' entreprise de nombreux aspects de I' activite d'une societe permet des controles essentiels pour I' economie nationale.

De meme, l'appel public a l'epargne par !'emission de valeurs mobilieres est pour I' essentiel soumis a la loi du marche sollicite. Cette loi rej aillit sur le fonctionnement des societes, puisque la cotation implique que la societe cotee et ses actionnaires princi­paux se soumettent a diverses regles qui affectent les droits des

(205) Droit des Etats de Californie et de New York; droit italien; droit neer-landais.

(206) Droit suisse. (207) J.M.M. MAEIJER, o.c., in Opzet A. V.M. Struycken, p. 190 (208) L'application de la loi italienne n'affecte toutefois pas !'existence de la

societe qui tire ses droits d'un ordre juridique etranger : M. V. BENEDETTELLI,

o.c., Riv. delle societa, 1997, p. 89.

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titulaires de valeurs mobilieres et l' organisation de la societe (209).

Cet eclatement des normes de controle de l'activite economique des societes rend moins pressante la necessite pour un Etat d' ap­pliquer toutes les regles du droit des societes national aux societes qui exercent l' essentiel de leur activite sur son territoire.

C. - Evolution du droit belge des societes

34. - Prise en compte de la loi de l'incorporation. Le contexte international a amene a prendre de plus en plus en compte la loi de l'incorporation en droit belge.

Sur ce point, la Convention de Bruxelles du 29 fevrier 1968, bien qu'elle ne soit pas entree en vigueur, est une source de droit importante (210). Mais cette evolution a l'egard de la theorie de l'incorporation est egalement perceptible dans l' application de diverses regles de droit positif (211).

(i) Les tribunaux nient rarement la personnalite morale d'une SOCiete OU association etrangere, meme Si les tribunaux envisa­gent parfois leur contrariete a l' ordre public international belge, pour l'ecarter aussitOt (212). On s'accorde fort pragmatique­ment a considerer que (< les realites economiques suffisent a impo­ser» la reconnaissance (213). En outre, il existe une reticence a appliquer les regles de conflit du for dans des matieres tou-

(209) Les legislateurs de Californie et de l'Etat de New York ont ams1 estime pouvoir exempter les societes etrangeres de l'application de leur droit lorsque leurs titres sont cotes (supra § 14).

(210) Supra, § 21 et les references citees. (211) Outre celui des traites internationaux de reconnaissance, au regard

duquel de nombreuses societes sont, sans que l' on se preoccupe de leur siege reel, dispensees de la cautio judicatum solvi, voir Cass., 15 decembre 1994, Pas., 1994, I, pp. 1106 et s. et R.C.J.B., 1997, p. 5 et note J. VERHOEVEN precitee; note J.L. VAN BoxsTAEL, sous Bruxelles, 21 septembre 1995 et Comm. Brux., 12 juin 1995, Revue, 1996, p. 150 ; J. MEEUSEN, o.c., in Commentaar Vennoots­chapsrecht, art. 196-197, § 14; voir aussi Bruxelles, 26 juin 1985, Pas., 1985, II, p. 166 (qui vise la« residence») et Comm. Brux., 26 decembre 1984, J.T., 1985, p. 123.

(212) N. WATTE, « Quelques remarques sur la notion d'ordre public en droit international prive », note sous Cass., 27 fevrier 1986, R.C.J.B., 1986, pp. 87 et 88, n° 33; J. VERHOEVEN, o.c., R.C.J.B., 1997, p. 31; Comm. Bruxelles, 24 mai 1989, J.T., 1989, p. 682 («le principe meme d'une societe 'off shore' n'est en rien contraire aux principes de l 'ordre public international belge ») ; voir pour l' analyse en droit frarn;iais : P. MAYER, Droit international prive, 4e ed., n° 1018, p. 606.

(213) J. VERHOEVEN, o.c., R.0.J.B., 1997, p. 13.

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chant a la reconnaissance (supra § 4) (214) et les tribunaux se referent parfois, fut-ce implicitement, au droit de l'Etat d'incor­poration (215).

(ii) En cas de transfert de siege vers la Belgique, la doctrine majoritaire considere que la societe devient «de droit belge » (216). Certains auteurs nuancent cette proposition lorsque l'Etat d'emi­gration . est regi par le systeme. de !'incorporation. Pour ces der­niers, la ~ociete semble avoir u:ne double nationalite et peut sim­plement adopter les (< regles imperatives que le legislateur belge a impose pour chaque f orme de societe ... · iJ_ui sont determinantes dans les relations de la societe avec le~ tiers, avec ses associes et avec ses organes » (217). D'autres auteurs enfin estiment que le transfert vers la Belgique n' a «pas necessairement p9ur effet de 'denationali-

(214) Pour une critique de cette tendance, surla base de !'article 197 L.C.S.C.: · R. PRroux, o.c., R.G.D.C., 1989, p. 486; voir, ~ans le sens d'une recherche, un vue de I' application des regles de la cautio iudicatum solvi, de la nationalite exacte de la deriu1nderesse, societe liberienne, au regard des « criteres d'appreciation de l'ordre public international,>, Bruxelles, 26 octobre 1993, J.T., 1994, p. 2~9 (casse par Cass., 15 decembre 1994, precite), refusant de reconnaftre la nationalite libe­rienne a .une societe ((off shore)),

(215) Voir, pour !'identification des organes de la societe et la mention du siege social dans la citation (articles 702 et 703 du Code judiclaire) .: Bruxelles, 11 fevrier 1988, J.T,, 1988, p. 606; R. W., 1989-1990, col. 906, not<;) K. 1E­NAERTS; R.G.D.C., 1989, p. 479 et note R. PRIOUX; voir aussi J. MEEUSEN, o.c., in Commentaar Vennootschapsrecht, art. 196-197, § 15, note 4; R. ABRAHAMS, Les societes en droit international prive, pp. 79 et s. ; voir pour une opinion tres nuan­cee sur cette evolution J. VERHOEVEN, o.c., R.C.J.B., 1997, p. 33.

(216) WAUWERMANS, Manuel, n° 1095; J. VAN RYN, o.c., R.C.J.B., 1966, p. 401, note (3); conclusions du Procureur general DuMON, avant Cass., 12 novembre · 1965, Revue, 1966, p. 172 ; VANDER ELST, Droit international prive, p. 253; G. ScHRANS et H. VAN HouTTE, Internationaal handels- en financieel recht, n° 78, pp. 82 et 83; J. MEEUSEN, o.c., in Commentaar Vennootschapsrecht, art. 196-197, § 28 et 29; J.-P. LAGAE, «De migratie van v~nnootschappen en de Belgische inkomstenbelastingen ,>, in Liber amicorum Krings, Bruxelles, 1991, pp. 1043 et 1044 (cet auteur considere par contre qu'il n'y a pas lieu a« conver­sion)) en une forme beige); E. VAN DER BRUGGEN, « Het fiscaal regime van naar Belgie verplaatste vennootschappen ,>, T.R. V., 1994, pp. 487 et 488.

(217) V ANDER ELST, Droit international prive, n° 55.2., p. 253; voir aussi les termes utilises par K. LENAERTS, o.c., T.R. V., 1988, p. 114, n° 7 (« vanaf de over­brenging golden de Belgische vereisten inzake het functioneren ,>) et le rapprochement avec le mecanisme mis en place par !'article 4 de la convention de Bruxelles : RESTEAU, Traite des societes anonymes, t. I, 3° ed., n° 23ter, p. 73; comparer de meme RoNSE, Vennootschapsrecht, pp. 235 et 236 (n'excluant pas une double nationalite en cas de transfert de siege vers la Belgique); F. RIGAUX et M. FAL­LON, Droit international prive, t. II, n° 1602, p. 754 («le rattachement cufnulatif semble ne regir que la question de l 'existence meme de la societe ,>).

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ser ' la societe . . . la loi de constitution restant, en principe, seule competente pour determiner d 'une maniere 'absolue ' le destin de la societe » (218). Ces dernieres analyses sont conformes a !'evolution des principes du droit international prive, mais ne semblent pas compatibles avec la theorie des cadres legaux obligatoires qui prevalait jusqu'il y a peu (supra § 10, iii et infra § 35).

(iii) Les regles de renvoi designent la loi belge pour regir des societes ayant leur siege reel dans un Etat qui connalt le ratta­chement a la loi de !'incorporation (supra § 7, ii). Paradoxale­ment, la loi belge pourrait done dans certains cas etre une loi d'incorporation pour des societes dont le siege reel est a l'etran­ger (219).

Enfin, la reglementation relative au groupement europeen d'in­teret economique est inspiree de la theorie de !'incorpora­tion (220) et ne laisse pas de place a la theorie du siege reel (221).

35. - Influence de la theorie des cadres legaux obliga­toires. Depuis l'entree en vigueur de la loi du 13 avril 1995, les societes a forme commerciale n' acquierent la personnalite qu' a partir du depot de leur acte constitutif (art. 2, al. 2, L.C.S.C.). Des associes peuvent pour le surplus avoir une activite commer­ciale durable et ostensible sans acquerir la personnalite, leurs relations etant soumises aux regles du Code civil et, en cas d'uti­lisation d'une raison sociale, a l'article 17 L.C.S.C. (222).

La fin de la theorie des cadres legaux obligatoires qui resulte de ces nouvelles dispositions a une influence sur les principes du droit international prive (223).

(218) J. RENAULD, Droit europeen des societes, § 6.52. (219) On considerait par contre avant les conclusions du Procureur general

DuMoN sous Cass., 12 novembre 1965, que l'emigration entrafnait la dissolution de la societe : S. FREDERICQ et A. DESMET, «Le transfert du siege social», Rev. dr. int. et dr. compare, 1958, p. 147; WAUWERMANS, Manuel, n° 1097 (les societes (< retombent dans le neant en brisant le lien qui les rattache a la loi dont ( elles) tenaient l'existence »);G. VAN BoxsoM, Rechtsvergelijkende studie over de nationali­teit der vennootschappen, n ° 64, p. 54.

(220) Article 2.1.0 (« loi interne de l'Etat du siege fixe par le contrat de groupe­ment »);pour les questions de transfert de siege: V. SIMONART, «Les groupements d'interet economique », Rep. Not., XII, Livre IX, n°" 377 et s.

(221) P. VLAS, Rechtspersonen, n°" llO et s., spec. n° ll 7. (222) T. TILQUIN et V. SIMONART, Traite des societes, t. I, n°" 682 et s. (223) Pour le lien entre cette theorie et l'article 197 L.C.S.C. : supra § 10, iii.

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(i) Une societe incorporee a l'etranger qui aurait involontaire­ment transfere son siege reel en Belgique et y aurait une activite coil\merciale durable et ostensible n'est plus une societe irregu­liere (224) et n'a pas la personnalite a defaut de depot de son acte constitutif. Le droit beige devrait refuser la personnalite etran­gere, ce qui entra1ne des consequences graves pour la societe et ses associes (225). Cette negation pure et simple de la personna­lite reconnue par un Etat etranger est assez troublante, mais decoule de !'application combinee des articles 2, al. 2 et 197 L.C.S.C. (226).

(ii) En cas de transfert de siege vers la Belgique, les principes enonces par l'arret Lamot (supra § 34, ii) doivent etre nuances : rien n'empeche que l'ordre juridique beige « re9oive » une societe etrangere comme c' etait le cas anterieurement ; on devrait en outre admettre, comme en droit fran9ais, que la societe conserve, a tout le moins dans I' attente du depot, la personnalite morale nee a l'etranger et reconnue en Belgique (227). Toutefois, pour eviter toute discussion quant au fait que la societe devenue « de droit belge » (supra § 34, ii) l'est sans personnalite jusqu'au depot (228), if faut faire co'incider le transfert effectif et le depot au greffe de son acte d' adaptation au droit beige.

(iii) Le renforcement du role du depot et son effet constitutif de la personnalite incitent a preferer le lien avec la loi d'incorpo­ration (229).

(iv) Le « numerus clausus » des formes societaires (230), contrairement a la theorie des cadres legaux obligatoires, n'im­pose pas de considerer tout le droit des societes dotees de la per-

(224) Pour cette solution anterieurement a 1995, J. HEENEN, o.c., in Evolu­tions recentes du droit des affaires, p. 101 ; voir supra § 10, iii.

(225) RIGAUX, Droit international prive, t. I, n° 139, p. 97; J. HEENEN, o.c., in Evolutions recentes du droit des affaires, p. 101, en tant qu'il se refere a la loi fran-9aise.

(226) Pour cette solution en droit fran9ais et allemand, supra § 27; voir aussi le Traite de la Haye du 1 er juin 1956.

(227) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Societes commerciales, F. Lefebvre, Paris, 1998, § 396, p. 143.

(228) Qui opererait en consequence une veritable constitution. (229) En droit fran9ais : P. MAYER, Droit international prive, n°8 1024 et 1025;

L. LEVY, La nationalite des societes, n°5 195 et s.; M. MENJUCQ, La mobilite des societes dans l'espace europeen, pp. 131 et s., n°5 184 et s. ; comparer supra § 25.

(230) T. TrLQUIN et V. SrMONART, Traite des societes, t. I, n° 683.

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sonnalite comme d' « application immediate ». II n'y a done pas obstacle a appliquer de maniere selective certaines regles du droit des societes belges, comme cela se pratique dans d' autres droits (supra § 15 et s. et 23 et s.).

36. - Nouvelle interpretation des articles 196 et 197 L.C.S.C. L' evolution des regles de conflit et du droit beige des societes, invite a « debilateraliser » !'interpretation des articles 196 et 197 L.C.S.C. (231). On observe une telle evolution en droit fran9ais : dans les annees 1970, la doctrine (232) considerait que la loi de 1966 confortait les solutions du droit international prive anterieures (233) ; certains auteurs insistent desormais davantage sur le deuxieme alinea de I' article 1837 du Qode civil (234) pour soutenir que le facteur de rattachement est en principe le siege statutaire (235) et que I' application de la loi du siege reel ne resulte que d'une exception de fraude OU de la theorie de I' appa­rence (236). Cette analyse amene a suggerer que la regle de conflit de droit fran9ais se rapproche de celle de !'incorporation (237).

La reconnaissance prevue a !'article 196 L.C.S.C. pourrait s' etendre a toute societe dont le « siege d 'incorporation » est « en pays etranger », comme y invite la Convention de Bruxelles. L'ar­ticle 197 L.C.S.C. serait de meme interprete comme un correctif prevoyant I' application des regles imperatives et d' ordre public du droit des societes beige, a titre de loi d' application immediate, selon un systeme similaire a celui du droit italien (supra § 16).

Dans cette perspective, la notion de «principal etablissement » devrait etre con9ue dans le sens plus economique du lieu de

(231) Pour une suggestion en ce sens : J. VERHOEVEN, o.c., R.O.J.B., 1997, pp. 33 et 34; contra : R. ABRAHAMS, Les societes en droit international prive, p. 107; voir de meme la jurisprudence et la doctrine fran9aise citees par L. LEVY, La nationalite des societes, n °" 88 et s.

(232) HEMARD, TERRE et MABILAT, Societes commerciales, n°" 108 et 112 et s. (233) Article 3 de la loi du 24 juillet 1966 et article 1837 du Code civil, al. 1 :

« Toute societe dont le siege est situe sur le territoire franyais est soumise aux disposi­tions de la loi franyaise ».

(234) «Les tiers peuvent se prevaloir du siege statutaire, mais celui-ci ne leur est pas opposable par la societe si le siege reel est situe en un autre lieu ».

(235) BATIFFOL et LAGARDE, Droit international prive, t. I, 86 ed., n° 192, p. 331.

(236) M. MENJUCQ, La mobilite des societes dans l'espace europeen, pp. 135 et s. (237) M. MENJUCQ, La mobilite des societes dans l'espace europeen, pp. 134, 135

et 141; voir aussi les exemples cites par P. MAYER, Droit international prive, n°" 1030 et 1031; L. LEVY, La nationalite des societes, n° 115.

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contact principal avec les tiers et seules les societes dont l'acti­vite est principalement beige seraient visees (supra § 28).

37. - Modification legislative. Une telle interpretation impliquerait toutefois lin revirement jurisprudentiel considerable et il serait plus opportun de modifier les articles 196 et 197 L.C.S.C. (238), a la fois pour affirmer clairement le critere du rat­tachement et pour en organiser les correctifs.

L' application de tout le droit des societes national aux societes essentiellement actives en Belgique serait une source d'incerti­

. · tudes en raison de la difficulte d'identifier la nature imperative de certaines regles (239).

II faudrait done preferer des correctifs specifiques, qui pour­raient certainement s'inspirer de ceux que connaissent les droits etrangers.

Ces regles auraient pour objet d'organiser une publicite suffi­sante des caracteristiques de ces societes et de permettre un cer­tain control_e de leurs caracteristiques financieres. II convient aussi de' creer une securite des transactions similaires a celle qui

· existe dans les relations avec une societe constituee selon les formes du droit belge (par exemple en rendant inopposable toute re.striction au pouvoir de representation d'un organe ou agent (240)). L'article 198 L.C.S.C. a instaure des regles pour les succursales qui tendent, par de nombreux aspects, a. atteindre des objectifs fort similaires et dont ces nouvelles dispositions pourraient s'inspirer (241).

Certaines regles plus specifiques au fonctionnement des societes devraient s' appliquer egalement aux societes principalement actives en Belgique. II ne faut sans doute pas aller jusqu' a une ingerence aussi importante dans le fonctionnement des societes que celle pour laquelle a opte le legislateur californien. Le choix de ce dernier s' explique par la volonte de viser des societes dont

(238) Ainsi que les regles relatives a !'inscription des societes au registre de commerce et au champ d' application de la loi comptable, pour les adapter au regime de rattachement a la loi de !'incorporation.

(239) Voir en droit italien (supra § 16), dans les theories allemandes (supra § 19) et pour I' article 4 de la Convention de Bruxelles (supra § 21).

(240) Voir !'article 157 L.D.I.P. suisse. (241) Les articles 2 et 3 de la Wet op de formeel buitenlandse vennootschappen

traduisent une telle approche.

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le lien etroit avec l'Etat depend de la principale activite dans l'Etat et de la presence d'un actionnariat majoritairement cali­fornien, ce qui reduit simultanement les effets de cette legislation a des situations purement locales. Par contre, meme si on n' a pas egard a la composition de l' actionnariat, l' application de cer­taines regles se justifie pour les societes (( formellement » etran­geres. A titre d' exemple, on peut citer : l' exigence de I' indication d'un capital minimum et son maintien (242); I' obligation d'eta­blir des comptes et de preparer un rapport de gestion (243), ou de faire controler ces comptes ; le droit d'investigation et de controle, tel qu'il est prevu a l'article 64, § 2, al. 2 L.C.S.C. (244) ; le droit de requerir une expertise similaire a celle prevue a l' ar­ticle 191 L.C.S.C.

Une modification legislative de ce type n' aurait guere de conse­quence sur les traites bilateraux de commerce ou d' etablissement conclus par la Belgique (245). Ces traites (246) comportent sou­vent une partie relative a la reconnaissance des societes etran­geres et visent generalement les societes valablement, reguliere­ment ou dument constituees a l'etranger (247). Certains traites font parfois reference au siege social etabli sur le territoire d'une des parties. Outre qu'il convient de relativiser le role de ces traites des lors que la reconnaissance de la personnalite morale n' est plus guere contestee, le seul risque pourrait etre la limita­tion, en vertu de certains traites, de la reconnaissance des entites incorporees en Belgique, mais qui n'y auraient pas leur siege reel. Il faut y voir une simple question de champ d' application de ces traites, qui se pose d' ailleurs pour l' application de nombreuses dispositions. Ainsi, plus recemment, la Belgiqµe OU l'Union eco-

(242) Voir l' article 4 de la Wet op de formeel buitenlandse vennootschappen. (243) Voir l'article 5 de la Wet op de formeel buitenlandse vennootschappen. (244) La loi californienne prevoit ainsi un acces tres large a !'information. (245) Ni en matiere de fiscalite internationale, qui utilise une definition propre

de la notion de resident (article 4 du Modele de convention OCDE); voir J. MAL­HERBE, Droit fiscal international, Larcier, 1994, pp. 43 et s. et 57 et s.

(246) Pour les traites conclus a la fin du 19° siecle, PANDECTES, v 0 Societe com­merciale (droit international), partie II; pour une liste des traites jusqu'en 1957 : R. ABRAHAMS, Les societes en droit international prive, p. 116, note 1; peu de traites de ce type ont ete conclus depuis lors : voir le Traite d' amitie, d' etablisse­ment et de navigation du 21 fevrier 1961 entre le Royaume de Belgique et les Etats-Unis d' Amerique.

(247) R. ABRAHAMS, Les societes en droit international prive, p. 116.

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nomique belgo-luxembourgeoise et divers Etats ont conclu de multiples accords « concernant l'encouragement et la protection reci­proque des investissements » (248) et la plupart de ces accords pre­voient que les ressortissants belgo-luxembourgeois sont ceux constitues selon les legislations belge ou luxembourgeoise et qui ont leur siege social sur le territoire du Royaume ou du Grand Duche (249).

V. - CONCLUSION

38. - Inadequation de la theorie du siege reel et avan­tages de la theorie de !'incorporation. Le choix d'une regle de conflit de lois adequate en droit des societes est tres important pour un Etat. Les recentes reformes legislatives a I' etranger le font clairement apparaltre.

Ce contexte international invite a reexaminer les merites du rattachement au siege reel OU au lieu d'incorporation.

Cet examen fait appara1tre que la theorie du siege reel ne per­met pas de satisfaire les objectifs de securite juridique et de cohe­rence avec I' ordre juridique dans lequel se meuvent les societes.

(248) Ces accords ont ete conclus avec les Etats suivants (selon leur denomina­tion au jour de la signature) : Republique tunisienne (15 juillet 1964; loi du 26 janvier 1966); Royaume du Maroc (28 avril 1965); Republique d'Indonesie (15 janvier 1970; loi du 29 juillet 1971); Republique du Za'ire (28 mars 1976; notifications constatees le 21 fevrier 1978) ; Republique de Coree (20 decembre 1974; loi du 4 aout 1976); Republique Arabe d'Egypte (28 fevrier 1977; loi du 10 aout 1978); Republique socialiste de Roumanie (8 mai 1978; loi du 28 mars 1980); Republique de Singapour (17 novembre 1978; loi du 26 novembre 1980) ; Malaisie (22 novembre 1979; loi du 15 juillet 1981); Republique Unie du Came­roun (27 mars 1980; loi du 21 aout 1981); Bangladesh (22 mai 1981); Republi­que democratique socialiste de Sri Lanka (5 avril 1982; loi du 17 janvier 1984) ; Rwanda (2 novembre 1983 ; loi du 17 mai 1985) ; Republique populaire de Chine (4 juin 1984; loi du 6 oaut 1986); Republique populaire hongroise (14 mai 1986; loi du 20 juillet 1988) ; Republique de Turquie (27 aout 1986; loi du 9 fovrier 1990) ; Republique de Malte (5 mars 1987 ; loi du 21 mai 1990) ; Republique Populaire de Pologne (19 mai 1987; loi du pr mars 1991); Union des Republi­ques socialistes sovietiques (9 fevrier 1989; loi du 8 mars 1991) ; Republique socialiste tchecoslovaque (24 avril 1989; loi du 22 avril 1991) ; Republique popu­laire de Bulgarie (25 octobre 1988; loi du 24 avril 1991); Republique du Burundi (13 avril 1989; loi du 19 avril 1989) ; Republique d' Argentine (28 juin 1990; loi du 18 mai 1993) ; des accords existent aussi avec la Mauritanie, le Liberia et la Tha'ilande.

(249) Voir toutefois l'accord avec Singapour, qui ne comprend pas cette condi­tion.

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.L~rattacheµient en fonction du. critere de l'incorporation per­met une plus g'rande securite juridique. Le critere du siege reel est incertain, specialement lorsqu'il vise le siege d' administration. et il risque en particulier d'etre u~e source de difficultes peu sou­haitable pour la securite des transactions,. en cas de transfert volontaire et surtout iiivolontaire de siege vers la Belgique.

La theorie du siege reel traduit en realite une volonte de corri-: ger· certains e~fots sur Je. territoire national d'une constitution a l' etranger, en particulier l' application de regles plus laxistes. Or, d'une part., le .critere tire de la recherche du siege ~dministratif s'est avere ihadequat pour satisfaire cette preoccupation et d;autre part, .I' evolution des principes du droit international: priye. permet cJesormais ·de la rencontrer plus efficacement par la technique .. des lois d' application immediate,. corrige certaines . regles de la loi d'incorporation. .

Le legislateu,r peut, grace a l' applioatio~ du, c~tere de l'incor­porat~on mais e:f! l' affectant de correctifs, respecter l'ordre juridi­que etranger tout en prevoyant . l' application de certaines regles de son propre .otdre juridique. Il peut a cette fin se fixer ·des objectifs precis. et choisir sur cett~ base certaines regles, ce que ne permet pas le systeme du siege reel, qui emporte en principe l' application .d~ tout le droit national des societes. ·

Enfin, cette technique est plus coherente avec l'effet constitu­tif de la personnalite juridique qui decoule du depot de I' acte constitutif au greffe du tribunal du commerce .

. Tout invite en consequence a retenir en droit belge une regle de conflit de lois rep~sant sur le rattachement a la loi de l'incor­poration, corrige par le recours a des lois d' application imme­diate.

Thierry TILQUIN

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N° 6735

L'ARTICLE 17bis DE LA LOI DU 2 MARS i989 RELATIVE A LA PUBLICITE DES PARTICIPATIONS iMPORTANTES

DANS LES SOCIETES COTEES EN BOURSE ET REGLEMENTANT LES OFFRES PUBLIQUES

D'ACQUISITION : UNE .PISPOSITION A L'HERMETISM~ SYMBOLIQU~ ?

L - INTRODUCTION

. '

Aux termes de !'article l 7bis, al. l, de la loi du 2 mars 1989 relative a,· la publicite des participations importantes dans les societes cotees en bourse et reglem.entant les o:ffres publiques d' acquisition, (( est nul tout droit conf ere a des tiers par une societe, ajf ectant son patrimoine OU donnant naissance d une dette OU a Un engagement a sa charge, dont l 'exercice depend du .lancement d 'une off re publique d 'acquisition sur' ses actfon~ OU d 'un ch~ngemenrde controle exerc~· sur elle, si s~n octroi n'a pas ete decide par une assemblee generale et• si cette decision n 'a p~ ete deposee au, greff e du tribunal de commerce, conf ormement a forticle 10 des lois sur. les societes commerciales, coordonnees le 30 novembre 1935 ».

Le second ~linea de I' article I 7bis dispo~e q~e cette regle °ri'est pas applicable aux droits conferes a des tiers avant I' entree ~n . vigueur de la loi du 18 juillet 1991, mais que I' existence de ces droits doit etre communiquee a la prochaine assemblee generale ordinaire.

L'hermetis~e le plus sev~re prend parfois les. ~ontours d'une gr:;mde simplicite : c~ est le cas ~e I' article l 7bis de la. loi du 2 mars 1989~ qui n'a suscite que tres peu de litterature (1), alors qu'il n' est pas sans poser certaines questions d'interpretation au praticien.

C' est a cette interpretation que nous consacrons cette etude, afin de definir les champs d' application ratione materiae et perso­nae, ainsi que le regime de nullite de l' article l 7bis. Cette etude

(1) A notre connaissance, le seul article qui lui a ete specifiquement consacre est de la plume de M. CHARLES : « La loi sur la transparence ou reflexions sur l' ar­ticle 56 de la loi du 18 juillet 1991, devenu article l 7bis insere dans la loi du 2 mars 1989 et proposition d'une nouvelle disposition», Oahier du juriste, 1994, pp. 54 et s.

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nous amenera a conclure a la necessite d'une reflexion de lege ferenda sur cette disposition, et plus generalement a celle de pru­dence lors de la modification du droit des societes en fonction des exigences des marches financiers.

1. - LE CHAMP D'APPLICATION RATIONE MATERIAE

DE L' ARTICLE 17 BIS DE LA LOI DU 2 MARS 1989

1.1. - La notion de « droit aff ectant le patrimoine OU donnant naissance a une dette

OU a Un engagement »

Lorsque les conditions de validite imposees par l' article l 7bis n'ont pas ete respectees, est nul, aux termes de ce dernier, «tout droit confere a des tiers par la societe, affectant son patrimoine ou donnant naissance a une dette OU a Un engagement a Sa charge, dont l 'exercice depend d 'une off re publique d 'acquisition ou d 'un change­ment de controle exerce sur elle ».

Les notions d' offre publique d' acquisition ou de changement de controle dont depend l'exercice du droit, sont definies dans la loi du 2 roars 1989 et dans ses arretes d' execution. Elles ont en outre fait l'objet d'une importante doctrine et de quelques decisions de jurisprudence (2) (3).

(2) Consultez, par exemple, A. BRUYNEEL, «Les offres publiques d'acquisi­tion », J.T, 1990, pp. 141 a 160 et pp. 165 et s., E. WYMEERSCH, ((Cession de controle et offres publiques obligatoires », Revue, 1991, n° 6575, pp. 151 et s. ; D. MEULEMANS, «De private overdracht van een controle participatie », D.A.O.R., 19, pp. 9 et s.; J.M. NELISSEN GRADE,« Het openbaar bod en de beur­soverval na het De Benedetti K.B. », in Openbaar bod en beschermingsconstructies, Biblo, pp. 11 et s. ; K. GEENS, «De wijziging van controle in een vennootschap die een openbaar beroep op het spaarwezen heeft gedaan », T.R. V., 1990, pp.102 et s.; Bruxelles, 6 aoiit 1992, D.A.0.R., 25, pp. 63 et s., confirme par Cass., 10 mars 1994, T.R. V., 1995, p. 176 et note H. LAGA.

(3) La loi du 2 mars 1989 et ses arretes d'execution presentent toutefois cer­taines difficultes d'interpretation (voyez notre etude a paraftre dans la Bourse noir sur blan, «De certaines zones d'ombres de la reglementation des OPA obliga­toires, considerees a la lumiere du droit Fran9ais), comme l'ont encore demontre, semble-t-il, en cette fin d'annee 1997, les discussions quant a une eventuelle res­tructuration de l'actionnariat de la BBL, ayant precede l'O.P.A. lancee par I.N.G. La notion de controle conjoint, par exemple, en raison de son caractere particulierement vague (E. WYMMERSCH, op. cit., p. 175 ; J. WouTERS, « Geza­menlijke controle, verplicht overnamebod en gelijke behandeling der aandeelhou­ders », R. W., 1992-93, p. 633) suscite certaines difficultes d'interpretation

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II n' en est pas de meme pour la notion de « droit aff ectant le patrimoine OU donnant naissance a une dette OU a un engagement». L' affectation du patrimoine et la naissance d'un engagement, en particulier, sont susceptibles d'interpretations diverses, et aux consequences non negligeables, comme le demontrent quelques exemples choisis.

La pratique, particulierement celle internationale, des contrats de credit et de joint-venture fait regulierement appel aux clauses dites de changement de controle (4).

La clause de changement de controle inseree generalement dans les contrats de credit prevoit que tout changement de controle intervenu sur la societe emprunteuse ouvre, pour la ban­que OU le syndicat bancaire, Un droit de resiliation unilaterale du contrat. La banque peut alors resilier le credit non encore utilise et/ou demander le remboursement immediat de celui utilise. Aux termes de cette clause, l'emprunteur s'engage egalement a rem­bourser a la banque I' ensemble des pertes et depenses subies par elle en raison de la resiliation. En outre, si le contrat de credit a donne lieu a la constitution de suretes, il est parfois prevu que celles-ci pourront etre mises en amvre par la banque.

Dans les contrats de joint-venture, les clauses de changement de controle prennent un contour different ( 5). En cas de change­ment de controle sur l'un des actionnaires de la joint-venture, le ou les autres actionnaires possedent un droit d' achat sur les actions de l'actionnaire cede et/ou le droit de presenter un candi­dat au rachat de ces actions. Le changement de controle entrafne done un engagement de vendre dans le chef de I' actionnaire cede. II est parfois precise egalement, au sein de la clause de change­ment de controle, qu' en cas de dissolution et liquidation de la joint-venture suite au changement de controle et a l'impossibilite de trouver un nouveau candidat actionnaire, les actionnaires s' engagent a payer leurs dettes vis-a-vis de la joint-venture.

(A. BRUYNEEL, « Wagon-Lits ... (Ou en est la reglementation belge des O.P.A. apres l'arret du 10 mars 1994) »,Rev. Banque, 1994, p. 255; E. WYMEERSCH, op. cit. p. 175).

( 4) Ce type de clause se retrouve egalement au sein de contrats de distribution, de concession, d' agence, etc.

(5) La Iegitimite de ces clauses a ete reconnue en France, en matiere de societe par actions simplifiees, par }'article 262-18 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, tel qu'introduit, dans cette derniere, par la loi 94-1 du 3 janvier 1994.

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L'applicabilite de I' article l 7bis a ces clauses (6) n'est pas denuee d'incidences pratiques en raison de leur frequence et de !'importance des enjeux financiers ou strategiques souvent lies aux contrats de credit et de joint-venture. La soumission de ces clauses a I' article l 7bis entrainerait d'importants inconvenients pour le conseil d' administration a I' occasion de la gestion des affaires de I~ societe, puisque la conclusion de contrats de credit et de joint-venture ressortent normalement de sai, competence. Le conseil se verrait alors dans !'obligation de soumettre ces clauses au vote d'une assemblee generale, qu'il peut apparaitre - psy­chologiquement ou materiellement - difficile de convoquer. Une telle obligation peut done ralentir, voire entraver la conclusion de contrats fort importants pour la societe (7).

En matiere de contrat de credit, un changement de controle perniet a la. banque de resilier unilateralement le contrat et d'?bliger la societe a rembourser anticipativement le credit. II

(6) La validite in se des clauses de changement de controle n'a, a notre connaissance, jamais ete contestee en droit belge (voyez, par exemple, Liege, 3 avril 1992, J. T., 1992, p. 455). ·

La question a toutefois ete debattue en France (voyez, sur la validite de ces clauses au sein des contrats de joint-venture, F. WILMET, « L'exclusion d'une societe actionnaire en cas de changement de son controle », D.A.O.R., 1994, pp. 84 et s.). La jurisprudence fran9aise semble s'orienter vers une appreciation de la validite de ·ces clauses au regard d'un critere de proportionnalite par rapport a l'activite a !'occasion de laquelle elles ont ete convenues (sur la notion de pro­portionnalite, consultez Le principe de· proportionnalite en droit belge et en droit franyais, Editions du Jeune barreau de Liege, 1995; Ph,-E. PARTSCH et I. LEBBE, «Principe de proportionnalite et droit des societes », J. T., 1996, pp. 609 et s.). La Cour d' appel de Paris a considere « ( ... ) Qu 'en effet, la personne des dirigeants, la forme d 'organisation, les objectifs sociaux, · les alliances, les strategies et les methodes de la personne morale peuvent constituer autant d'elements regardes comme determi­nants par ses co-contractants ; Que la liceite des stipulations tendant a s 'assurer de la permanence de ces caracteristiques doit s 'apprecier en recherchant si les contraintes qu'elles prescrivent sont necessaires et proportionnees au regard de l'activite a l'occa­sion de laquelle elles ont ete convenues ou si, a l 'inverse, elles imposent, en elles­memes ou par l 'usage qui en est f ait, un contra le super flu ou abusif; Que de telles clauses ne sauraient conferer aux partenaires d 'une personne morale un droit d 'agre­ment arbitraire, mais peuvent trouver leur cause legitime dans le souci d 'assurer la securite et la loyaute des transactions» (Arret du 25 janvier 1995, Bulletin Joly, 1995, p. 413 et note A. COURET).

(7) Selon CHARLES,« ... il n'y a pas de raison de soumettre a l'assentiment de l'as­semblee generale d 'une societe, l 'existence de droits dont la negociation repond de la marche quotidienne des afjaires, competence du conseil d 'administration », car cela constituerait une « entrave ... a la continuite des relations commerciales » (op. cit., p. 56).

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n'y a pas la de droit donnant naissance a une dette a charge de la societe cible (8), puisque des la conclusion du contrat de credit, la societe a !'obligation de rembourser ce dernier; Le rembourse­ment anticipe ne fait pas naitre de dette nouvelle.

S'il ne fait pas naitre de dette a la charge de la societe cible, il pourrait etre defendu que ce droit de resiliation anticipee fait a tout le moins naitre, a charge de cette derniere, un engagement de remboursement du credit. On pourrait certes soutenir que !'engagement de remboursement est present, a charge de l'em­pn;mteur, des la conclusion du contrat de credit, et qu'en conse­quence, le droit de resiliation anticipee ne donne pas naissance a un engagement (9), qui preexiste et dont seule !'execution est acceleree. Il nous semble qu' en l' absence d'un droit de resiliation en cas de changement du controle exerce su:r elle, la societe emprunteuse ne devrait pas (sauf les autres cas de rembourse­ment .anticipe prevus au contrat) rembourser le credit anticipati­vement, mais au terme contractuellement fixe. Il s' agirait done bien d'un engagement different.

Dans le meme ordre d'idee, il pourrait etre argumente que la mise en oouvre de la clause n' entrame pas non plus d' affectation du patrimoine de la societe cible, puisque la resiliation anticipee du credit ne fait que rendre exigible la creance du banquier (10), qui existe, des l' origine, dans le patrimoine de cette societe. Le patrimoine est en effet l' ensemble des actifs et passifs dont une personne est titulaire ( 11), et comprend des lors egalement les dettes de cette derniere (12). En cas d'acceleration du credit, le remboursement de celui-ci n'augmente ni ne diminue le patri­moine de l'emprunteur, puisqu'a la disparition des capitaux a

(8) En ce sens, voyez M. VAN DER HA.EGEN et J.-M. GOLLIER, «Les societes commerciales. Loi du 18 juillet 1991 l>, J.T., 1992, p. 185.

(9) En ce sens, M. VAN DER HA.EGEN et J.-M. GOLLIER, op. cit., p. 216. (10) J. V A.N RYN et J. HEENEN, Principes de droit commercial, T. IV, 2e edi­

tion, Bruxelles, Bruylant, p. 415. (11) M. PLANIOL, Traite elementaire de droit civil, T. I, 1900, Paris, Pichon,

pp. 292 a 295; L. JossERA.ND, Oours de droit civil positif franrais, 1930, pp. 340 et' 341 ; AUBRY et RAU, Droit civil franrais, T. IX, 1953, Paris, Librairies techni­ques, p. 306; J. HA.NSENNE, Les biens, 1996, Liege, Collection scientifique de la Faculte de droit de Liege, pp. 43 et 44.

(12) M. PLA.NIOL, op. cit. ; L. JossERAND, op. cit.; AUBRY et RA.u, op. cit.; J. HANSENNE, op. cit., pp. 12 et 39.

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l'actif correspond la disparition de la dette au passif (13). II pour­rait par contre tout aussi bien etre defendu que nonobstant l' ab­sence d' augmentation ou de diminution du patrimoine dans son ensemble, celui-ci est bien affecte, puisque sa composition est modifiee ( d' autant plus que des suretes peuvent avoir ete accor­dees (14)).

La remuneration du banquier comporte un interet et une com­mission (15). Le credite n'est pas oblige d'user du credit, mais « est tenu de payer une commission qui, dans le cas d 'un credit par caisse, est calculee sur la totalite du montant du credit, sans egard a l 'importance des avances eff ectives » et « se justifie par le fa it que le banquier a du prendre ses dispositions pour faire face a une demande d 'utilisation du credit, et qu 'il a du conserver, a cette fin, une partie de ses disponibilites » ( 16). Cette dette de commission est done presente dans le patrimoine de la societe cible des la conclusion du contrat de credit. Dans la mesure ou les dommages et interets dus en cas de resiliation du contrat de credit corres­pondent a cette dette, il ne devrait pas y avoir affectation du patrimoine de la societe, ni naissance d'une dette nouvelle.

La situation peut sembler plus claire pour ce qui est des clauses de changement de controle inclues au sein des contrats de joint-venture. En cas de changement de controle sur la societe cible, les autres actionnaires de la joint-venture ont le droit de racheter !'ensemble des actions de la joint-venture possedees par la societe cible a un prix prealablement determine, ou de propo­ser un tiers acquereur qui devra faire l'objet d'un agrement par la societe cible. Ce droit donne par consequent naissance, dans les deux hypotheses decrites, a un engagement dans le chef de la

(13) En ce sens, M. VAN DER HAEGEN et J.-M. GOLLIER, op. cit., p. 216. (14) Lorsque !'execution des suretes eventuellement donnees est directement

liee au changement de controle sur l'emprunteur, ces suretes constituent des droits affectant le patrimoine, soumis en principe a I' article l 7bis. 11 n'en sera pas ainsi lorsque !'execution des suretes n'est liee qu'au non-remboursement de tout OU partie du credit, ce non-remboursement pouvant Se produire suite a !'accelera­tion du credit, en vertu d'une clause de changement de controle. L' execution des suretes depend alors en fait directement de I' eventuelle defaillance de I' emprun­teur a rembourser le credit, et seulement indirectement du changement de contrOle sur ce dernier, ce qui ne peut, a notre sens, suffire ales soumettre a !'ar­ticle 1 7bis.

(15) J. v AN RYN et J. HEENEN, op. cit.' p. 409. (16) J. v AN RYN et J. HEENEN, op. cit., pp. 409 et 410.

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societe cible : celui de vendre ses actions au second actionnaire ou au tiers propose, au cas ou le droit est exerce (17), engagement qui n' existe pas par ailleurs et qui n' est done pas simplement accelere. S'il semble clair que I' exercice de ce droit ne cree pas de dette a charge de la societe cible, la question de I' affectation de son patrimoine reste posee comme en matiere de contrats de cre­dit (18).

1.2. - Interpretation du texte de l 'article 17bis par reference

aux travaux preparatoires

Ces exemples demontrent que !'article l 7bis ne peut etre consi­dere comme un texte clair et precis (19), caractere qui empeche­rait en principe son interpretation et notamment le recours aux travaux preparatoires en vue de celle-ci (20). La doctrine a de plus exprime des theses tres differentes sur I' applicabilite de cet

(17) Par ailleurs, si un tiers acquereur n'est pas trouve ou agree par les parties, celles-ci s'engagent parfois a dissoudre et a liquider la joint-venture. Il y aurait done ici aussi un engagement a charge de la societe cible.

(18) Sa participation dans la joint-venture sera en effet remplacee au sein de son patrimoine, en cas d' application de la clause de changement de controle, soit par des liquidites egales a la valeur de celle-ci, soit par l' acquisition d'une quote­part du resultat de la liquidation egale a sa participation.

(19) Ence sens egalement, D. VAN GERVEN, «De regels voor vennootschappen die een publiek beroep op het spaarwezen doen of hebben gedaan », R. W., 1994-1995, p. 82; contra : M. CHARLES, op. cit., p. 55.

(20) Il s'agit de la doctrine «du sens clair », telle qu'elle se degage notamment des arrets de la Cour de cassation des 20 fevrier 1951 (Pas., 1951, I, p. 413), 15 janvier 1963 (Pas., 1963, I, p. 571), et 21 fevrier 1967 (Pas., 1967, I, p. 776). Cette doctrine reste toutefois fort critiquee par de nombreux auteurs, tels Ph. G.E­RARD («Le recours aux travaux preparatoires et la volonte du legislateur », in Beminaire d 'etudes juridiques interdisciplinaires, Facultes universitaires Saint­Louis, 1975) et M. VAN DE KERCHOVE, («La doctrine du sens clair des textes et la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique», in L'interpretation en droit. Approche pluridisciplinaire, Bruxelles, Facultes universitaires Saint-Louis, 1978). Selon ce dernier, il ne s'agirait que d'une fiction juridique ayant essentiellement trois objectifs : (i) reduire au maximum l' arbitraire de l'interprete en faisant pre­dominer un critere cense presenter le maximum de securite, (ii) eluder la discus­sion de certaines questions d'interpretation, (iii) dissimuler l' exercice dogmatique d'un pouvoir qui entend occulter les motifs reels de ses decisions (op. cit., pp. 47 a 50).

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article aux clauses de changement de controle (21). L'incertitude regne enfin egalement dans la pratique (22).

L'indetermination d'un texte peut par ailleurs etre tant tex­tuelle que contextuelle (23). Selon van de Kerchove, « ( ... ) la clarte d 'un texte est non seulement relative a son contexte d 'enoncia­tion, mais encore a ( ... ) son contexte d 'application, c 'est-a-dire a la nature des situations auxquelles on pretend l'appliquer » (24) (25). La Cour de cassation· a plusieurs fois applique ce critere contex­tuel (26).

A tout le moins, dans le contexte des contrats de credit, I' arti­cle l 7bis presente une r~daction dont l'ambigu'ite permet de recourir aux travaux preparatoires de cette disposition, afin de !'interpreter en vue de determiner son applicabilite a ces contrats (27).

(21) Ainsi, selon CHARLES (op. cit.), !'article 17bis trouverait a s'appliquer tant aux contrats de credit qu'aux contrats de joint-venture, ce qui le conduit a for­muler la proposition d'un nouveau texte. Selon F. T'KINT et I. CoRBISIER ( « La transmission des contrats et la protection des creanciers », in Le nouveau droit des fusions et des scissions de societes, Bruylant, Bruxelles, 1994, pp. 190 et 191), ce texte ne serait pas applicable aux clauses de changement de controle des contrats de joint-venture. Selon D. VAN GERVEN, par contre (« Gezamenlijke vennoots­chappen: vennootschaprechtelijke aspecten van de joint venture», R.D.C., 1995, p. 121), ce texte serait applicable aces dernieres. Selon VAN DER HAEGEN et GOL­LIER enfin (op. cit., p. 216), cet article n'est pas applicable aux clauses de change­ment de controle inserees dans les contrats de credit, sans qu'ils ne prennent tres clairement positfon sur celles inserees au sein des contrats de joint-venture.

(22) 11 n'est d'ailleurs pas rare de voit des praticiens s'opposer, a !'occasion de negociations, sur la necessite de respecter. ou non l' article l 7bis.

(23) M. v AN DE KERCHOVE, op. cit.' p. 19. (24) Op. cit., p. 23, citant egalement Ch. PERELMAN, selon lequel « une notion

est claire, non pas independamment de son contexte, mais parce que, dans les contextes connus, on n 'entrevoit pas de cas ou son application pourrait raisonnable­ment preter a controverse )),

(25) Voyez egalement a ce sujet, apropos de !'article 17bis, F. T'KINT et I. CoRBISIER, op. cit.

(26) M. VAN DE KERCHOVE, op. cit., pp. 24 et 25 et la jurisprudence citee. (27) Par ailleurs, meme s'il etait considere, quad non , que le texte de !'arti­

cle l 7bis est clair et precis, cela n'empecherait pas necessairement le recours aux travaux preparatoires afin de l'interpreter, au vu d'une certaine doctrine et juris­prudence permettant de « rechercher la volonte du legislateur, notamment par le recours aux travaux preparatoires, lorsqu 'on a lieu de croire que les termes de la dis­position legale n 'expriment pas fidelement cette volonte, alors meme que le texte de cette disposition semble clair et precis )) (Ph. GERARD, «Le recours aux travaux pre­paratoires et la volonte du legislateur )>, op. cit., 1975, p. 4; voyez egalement en ce sens : GESCHE, rapport avant Cass., 15 mai 1930, Pas., 1930, I, p. 225 ; P. LE­CLERQ, conclusions precedant Cass., 26 janvier 1928, Pas., 1928, I, p. 65 ; H. DE

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L' article l 7bis a ete introduit au sein de la loi du 2 mars 1989 par I' article 56 de la loi du 18 juillet 1991, modifiant les lois coor­donnees sur les societes commerciales dans le cadre de l' organisa­tion transparente du marche des entreprises et des offres publi­ques d' acquisition.

La loi du 18 juillet 1991 visait principalement a assurer « une plus grande stabilite de l 'actionnariat et de la gestion des entreprises sans toutef ois contrecarrer les acquisitions de participations et les restructurations du capital des entreprises par la voie d 'offres publi­ques d'acquisitions » (28). Pour ce faire, cette loi introduisit cinq grands types de mesures nouvelles dans notre droit (29) : des limitations diverses aux augmentations de capital hors droit de preference, la reconnaissance de diverses techniques destinees a proteger la stabilite de l' actionnariat, le renforcement de la res­ponsabilite des administrateurs et du role des actionnaires mino­ritaires, la reglementation des pratiques d' auto-controle OU de vente d'actifs en vue de contrecarrer une offre publique d'acqui­sition, et la possibilite d' emission d' actions reservees au person­nel.

PAGE, Traite elementaire de droit civil belge, T. I, pp. 311, 312 et 315; AUBRY et RAU, op. cit., T. I, eh. IV, par. 40; P. VANDEN EYKEN, Methode positive de l'inter­pretation juridique, 1906, Bruxelles, Librairie Falk, pp. 140 et 143). Cette theorie fut enoncee dans trois arrets de la Cour de cassation, des 9 fevrier 1925 (Pas., I, 1925, p. 129), 26 janvier 1928 (Pas., I, 1928, p. 63) et 15 mai 1930 (Pas., I, p. 223) ainsi que dans un jugement du Tribunal civil de Bruxelles du 28 decembre 1949 (Pas. III, 122). Selon l'arret de la Cour de cassation du 9 fevrier 1925, «il convient parfois de rechercher ce qu 'a voulu dire le legislateur, plutot que ce qu 'il a dit litteralement ; . . . il est preferable, en principe, de supposer qu 'il a employe une expression traduisant impmjaitement sa pensee, plutot que de lui prefer une pensee issue de l'arbitraire » (op. cit., p. 142). Selon Philippe GERARD, meme si aucun arret recent n' evoque expressement cette theorie, cela ne signifie pas qu' elle n' est pas appliquee par la Cour de cassation et les autres juridictions (Ph. GERARD, « Le recours aux travaux preparatoires et la volonte du Iegislateur »,in L'interpretation en droit. Approche pluridisciplinaire, Bruxelles, Facultes universitaires Saint­Louis, 1978, p. 54; contra : P. DE HARVEN, « Reflexions sur la technique de !'in­terpretation j udiciaire des lo is », J. T. , 1960, pp. 203 a 207, selon qui la jurispru­dence la plus recente rend caduque cette regle issue d'une jurisprudence plus ancienne).

(28) Expose des motifs, Doc. parl., Senat, sess. 1990-91, n° 1107-1, ci-apres I' «Expose des motifs», p. 4.

(29) M. VAN DER HAEGEN et J.-M. GOLLIER, op. cit, p. 187; H. BRAECKMANS, «De nieuwe vennootschapswet van 18 juli 1991 (eerste deel) », R. W., 1991-1992, p. 1002.

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L'article l 7bis de la loi du 2 mars 1989 trouve sa place parmi le quatrieme type de mesures decrites. Il vise en effet a confier a la competence de l' assemblee generale, et ainsi soustraire a celle du conseil d'administration (30), la mise en place d'une option de vente sur actifs ou «crown jewel option», technique consistant pour une societe, en vue de se proteger contre un changement de controle, a conferer a une societe tiers une option d' achat sur ses actifs les plus interessants, option qui sera exercee en cas de changement de controle (31). Selon Wtterwulghe, l'objectif de la crown jewel option est «de vider en cas d'acquisition agressive la societe concernee de ses actif s les plus attractif s pour le promo­teur » (32). Dans le meme sens, selon Lee et Carreau, « lorsqu'une societe possede un actif net important ou un actif immobilier de pre­mier choix dont la convoitise pourrait contribuer a la rendre cible d 'une OP A (. . .), elle peut tenter de se rendre mains attrayante ( ... ) en consentant a un tiers une option de vente sur cet actif (. .. ) » (33).

(30) En vertu de I' article 54 des lois coordonnees sur les societes commerciales, le conseil d' administration est l' organe de gestion par excellence de la societe, puisqu'il a le pouvoir d' accomplir tous les actes necessaires OU utiles a la realisa­tion de l'objet social de cette derniere, a !'exception de ceux que la loi reserve a l'assemblee generale. Les « grandes decisions» (I' expression est de MERCHIERS) telles que modification aux statuts, fusion, scission, reduction du capital, trans­formation de la societe . . . sont reservees a la competence de cette derniere. Sur ces questions, voyez Y. MERCHIERS, «Le pouvoir des dirigeants dans les societes : realite ou illusion», Principes et exigences du droit des societes en Europe, T. III, XIV0 Journee d'etudes juridiques Jean DABIN; F. DE CuYPER, «Les pouvoirs du conseil d'administration dans la societe anonyme : tentative de redefinition», in Principes et exigences du droit des societes en Europe, op. cit.

(31) Voyez sur cette technique, commentee generalement de maniere assez laconique en doctrine, K. VAN HULLE, « De voorstellen van Europese richtlijnen inzake openbaar bod en beschermingsconstructies », in Openbaar bod en bescher­mingsconstructies, op.cit., p. 198; P. DEJONGHE et E. MAcHIELS, «Over haaien en gifpillen. Beschermingsconstructies tegen openbaar bod in de Amerikaanse prak­tijk », in Openbaar bod en beschermingsconstructies, op. cit., pp. 330 et 331 ; M. QUERE, «French poison pills and take-over restrictions», International Finan­cial Law Review, 1988, p. 11 ; G. AsSANT et W. LEE, «Les acquisitions de societe aux Etats-Unis )), in Les acquisitions d'entreprises, Feduci, Larcier, Bruxelles, 1992, p. 497; R. WTTERWULGHE, L'offre publique d'acquisition, une analysejuridi­que, De Boeck, p. 39; w. LEE et D. CARREAU, (<Les moyens de defense a l'en­contre des offres publiques d'achat inamicales en France)), D.-S., 1988, III, p. 18; D. CARREAU et J.-Y. MARTIN,« Les moyens de defense anti-0.P.A. en France. 1 re

partie », La revue banque, 1990, p. 901. (32) WTTERWULGHE, op. cit.' p. 39. (33) LEE et CARREAU, op. cit., p. 18.

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Ce faisant, l' article l 7bis vise a eviter que le declenchement d'une OPA ne conduise a la vente des« bijoux» de la societe dans la clandestinite OU contre l'interet de celle-ci, et repond par consequent a deux des neuf criteres qui ont sous-tendu la loi du 18 juillet 1991 et sa reforme du droit des societes (34) : la trans­parence et la preference a l' assemblee generale dans le cadre de certaines decisions. Selon le critere de transparence, «la politique qu 'une societe entend mener dans le cadre des decisions liees a la structure de son actionnariat doit etre annoncee clairement a l 'en­semble de ses actionnaires. La societe doit expliquer les mesures adoptees et indiquer leur incidence a l'ensemble des action­naires » (35). En vertu du critere de preference,« l'Assemblee gene­rale doit etre preferee au Conseil d 'administration pour des delibera­tions portant sur des mesures liees a la structure de son actionnariat. Le recours a l'Assemblee generale permet de garantir notamment l'information de tous les actionnaires » (36).

Les travaux preparatoires sont done extremement clairs a ce sujet : le Iegislateur a entendu viser les options accordees sur les joyaux de l'entreprise visant a contrer les OPA (37). Selon !'Ex­pose des motifs (38), « lorsqu 'une societe possede des actifs impor­tants, celle-ci peut tenter de se rendre mains attrayante en vendant certains de ces actifs ou en consentant a un tiers une option de vente sur des actifs, option realisable posterieurement a la prise de contr8le de la societe cible par un tiers ... Cette disposition permet d'eviter que le declenchement d'une OP A conduise a la vente des 'bijoux' dans la clandestinite ou contre l'interet de la societe ». II ressort ega­lement de la discussion des articles que « le texte du projet de loi vise a reglementer la pratique des options que l'on donne a un tiers pour essayer de soustraire les 'joyaux ' du patrimoine industriel de l'entreprise » (39).

L' article l 7bis possede par consequent une ratio legis limitee. Cette derniere consiste a transferer le choix de la mise en place d'une eventuelle option sur les actifs interessants de la societe ou

(34) Ces criteres sont cites au sein de l'Expose des motifs, pp. 12, 13 et 14. (35) Expose des motifs, p. 13. (36) Ibidem. (37) Voyez, en ce sens, M. VAN DER HAEGEN et J.-M. GOLLIER, op. cit., p. 216;

F. T'KINT ET I. CoRBISIER, op. cit., pp. 189 et 190. (38) Expose des motifs, pp. 36 et 37. (39) Doc. Parl., Sess. 1990-91, n° 1107-3, p. 315.

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alternativement d'un endettement considerable a charge de cette derniere, a I' assemblee generale, qui doit se voir preferee au conseil d' administration en ce qui concerne le choix des mesures liees a la structure de I' actionnariat de la societe.

Cette methode conduit a l'adjonction d'un critere d'application a I' article l 7bis, consistant en la finalite recherchee par le droit confie a un tiers : s' agit-il de rendre plus difficile le declenche­ment d'une O.P.A. ou d'un changement de controle ~

Une telle interpretation de I' article l 7bis se justifie egalement, au regard du principe d'interpretation restrictive des lois deroga­toires au droit commun (40). Suite a la redefinition, en droit des societes, des pouvoirs respectifs de I' assemblee generale et du conseil d' administration ( 41), ce dernier a re9u competence de principe pour accomplir tous les actes necessaires OU utiles a la realisation de l'objet social de la societe, a !'exception de ceux que la loi reserve a l'assemblee generale (42). L'article l 7bis, en derogeant a la «plenitude des pouvoirs de gestion » ( 43) du conseil d' administration, constitue une exception au droit commun, tel que resultant de la loi du 6 mars 1973, et doit par consequent etre interprete de maniere restrictive (44).

Les clauses de changement de controle en matiere de credit bancaire sont de ce point de vue parfaitement Iegitimes, dans la mesure OU elles visent le plus souvent exclusivement a retablir I' efficacite du caractere intuitu personae au sein de ces contrats (45), afin d'eviter que suite a un changement dans l'ac­tionnariat de son co-contractant, la banque se retrouve en face d'un emprunteur non souhaite.

(40) Voyez, sur ce principe, H. DE PAGE, op. cit., p. 315. (41) Operee par la loi du 6 mars 1973, afin de transposer la premiere directive

europeenne du 9 mars 1968. (42) Voyez, sur ces competences respectives, Y. MERCIDERS, op. cit., p. 1 et

F. DE CUYPER, op. cit., p. 17. (43) F. DE CuYPER, op. cit., p. 17. (44) Voyez en ce sens, quoi que formulee de maniere plus large, l'idee, exprimee

par J.-F. ToSSENS («La societe ayant fait OU faisant publiquement appel a l'epargne : le concept et ses enjeux a l'aube d'une nouvelle reforme des lois coor­donnees sur les societes commerciales »,Revue, 1994, n° 6652, p. 406), selon laquelle « dans l 'attente d 'une theorie des societes publiques, une methode rigoureuse et restric­tive doit guider l 'interpretation d 'un droit positif imperatif au contenu incertain dont la seule ratio legis identifiable renvoie aux marches organises et aux societes cotees ».

(45) M. CHARLES, op. cit., p. 57.

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Ces clauses presentent generalement aussi, en matiere de contrats de joint venture, un caractere legitime, en visant a evi­ter aux co-contractants de se retrouver un jour en face d'un par­tenaire non souhaite ( tel un concurrent qui aurait ainsi acces a certains secrets commerciaux, know-how ... ). Ces clauses visent par la a retablir l'efficacite (46) d'un principe fondamental de ces contrats, leur nature intuitu personnae (47), dont le jeu peut etre fausse par la nature societaire eventuelle des co-contrac­tants (48). Peut-etre toute idee de moyen de defense anti-0.P.A. n'est-il toutefois pas toujours exclu de ces accords, qui peuvent alors devenir de veritables crown jewel options (49).

Si cette demarche d'interpretation perm~t indiscutablement de se rapprocher de la volonte reelle du legislateur, elle n'en pre­sente pas moins une difficulte. Comme, chaque fois qu'un critere d' application est fonde sur la motivation reelle d'une operation, se pose la question de la determination de cette motivation. Si les credits bancaires ne serviront effectivement sans doute pas un but de lutte contre les O.P.A., qu'en est-ii des credits obligataires convertibles, regulierement utilises a cette fin aux Etats-Unis ~

(46) Ph. MARCHANDISE, «Le changement de co-contractant dans les contrats a prestations successives », in La vie du contrat a prestations successives, A.B.J.E., 1991, p. 156.

(47) L. BAPTISTA et P. DuRANT-BARTHEZ, Les associations d'entreprises (joint­ventures) dans le commerce international, 2e edition, L.G.D.J., 1991, p. 98; R. DE HEMPTINNE, «De samenwerkingsovereenkomst », in La cooperation entre entre­prises, A.B.J.E., 1993, p. 84 ; M. DUBUISSON, «Les caracteres juridiques du contrat de cooperation en matiere industrielle et commerciale », D.P. C.I., 1984, p. 307. Selan ce dernier auteur « ( ... ) l'existence de ces liens privilegies qui vont se nouer entre les parties pour parcourir la route commune vers l 'objectif commun, repose necessairement sur la confiance reciproque. C'est-a-dire si le choix effectue par chacune des parties de la personne de son co-contractant sera determinant. En d'autres termes, l'element d'intuitu personnae dans les contrats de cooperation (. .. ) est absolument essentiel. C'est l'existence de cet element qui va transformer les parties en veritables partenaires occupes a realiser une tfiche commune ».

(48) Voyez Ph. MARCHANDISE, op. cit., p. 154. (49) Voyez l'O.P.A. lancee en 1988, en France, par Remy et Associes sur la

societe Benedictine. Il s' est avere qu'un changement de contr6le sur Benedictine pouvait non seulement entrainer la rupture anticipee des contrats de production et de distribution conclus avec Whitbread mais egalement le rachat de sa partici­pation au sein de B.W.E., joint-venture americaine entre Benedictine et Whit­bread, par B.W.E. La C.O.B. a estime que ce type de clause avait pour objet (nous le soulignons) de faire obstacle aux offres publiques et done au fonctionnement normal du marche, et a en consequence demande au president de BWE de s'enga­ger a renoncer a !'utilisation de la faculte laissee a cette derniere de racheter les actions (Rapport C.0.B., 1988, p. 81).

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Comment aussi etre certain que telle societe n' a pas reellement lutte contre l'insertion d'une clause de changement de controle parce que cette clause la rend, en realite, « inopeable » dans la mesure ou le remboursement des credits aurait pour effet de pro­voquer une faillite ~

Si nous estimons done que les clauses de changement de controle ne tom bent en principe pas dans le champ d' application de l' article 17 bis, notre demarche d'interpretation ne permet toutefois pas de lever avec certitude les doutes entourant le champ d' application rationae materiae de l' article l 7bis ( 50 ).

2. - LE CHAMP D' APPLICATION RATIONE PERSONNAE

DE L' ARTICLE 1 7 BIS DE LA LOI

DU 2 MARS 1989

Le champ d' application ratione personnae de l' article l 7bis n' est a priori pas limite aux societes faisant ou ayant fait appel public a l' epargne, et vise done egalement les societes privees. En effet, rien, ni dans la formulation de I' article l 7bis (51), ni dans les travaux preparatoires de la loi du 18 juillet 1991, ne laisse supposer que son champ d' application puisse etre limite aux societes publiques. Seul son positionnement au sein du chapi­tre II (52) de la loi du 2 mars 1989 pourrait laisser penser, en cas de changement de controle, que son champ d' application est limite aux societes publiques, puisque toute modification de controle dont il est question au sein de ce chapitre semble devoir necessairement porter sur une societe ayant fait ou faisant publi­quement appel a l'epargne (53).

Cette interpretation obligerait alors a distinguer entre deux champs d' application ratione personae de l' article l 7bis, selon que le droit confere au tiers par la societe cible est declenche par une OP A ou un changement de controle sur cette derniere, ces

(50) En raison de cette incertitude, le praticien conseillera generalement a son client, lorsque la clause de changement de controle vise le co-contractant de ce dernier, d' exiger le respect de l' article 17 bis dans le chef du co-contractant (a for­tiori lorsque l' assemblee generale peut etre aisement reunie).

(51) M. CHARLES, op. cit., p. 55. (52) Intitule : « Offres publiques d'acquisition et modifications du controle des

societes ayant fait OU faisant publiquement appel a l'epargne ». (53) En ce sens, D. VAN GERVEN, «De regels van vennootschappen die een

publiek beroep op het spaarwezen doen of hebben gedaan », op. cit., p. 83.

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champs d' application correspondant a ceux definis explicitement ou implicitement au sein de I' arrete royal du 8 novembre 1989 relatif aux offres publiques d' acquisition et aux modifications du controle des societes.

En ce qui concerne les offres publiques d' acquisition, le champ d' application de I' arrete royal du 8 novembre 1989 est determine non pas par le caractere de la societe cible, mais par la nature du comportement de l'acquereur potentiel (54). L'offre doit en effet, selon I' article 1 er, § 1 er, de l'arrete royal du 8 novembre 1989, pre­senter un caractere public, notion definie par l'arrete royal du 9 janvier 1991 relatif au caractere public des operations de sollici­tation de I' epargne et a I' assimilation de certaines operations a une offre publique. De maniere generale, ce caractere public est etabli par la mise en rnuvre d'un quelconque procede de publi­cite, le recours a ou !'intervention d'un intermediaire non agree, OU la sollicitation de plus de 50 personnes. La reglementation concernant les offres publiques d' acquisition ne possede done pas de champ d' application ratione personnae specifique.

Sont par contre seules soumises a la reglementation sur les modifications de controle ( chapitre III de I' arrete royal du 8 novembre 1989), les societes faisant ou ayant fait publiquement appel a l'epargne, c'est-a-dire aux termes de I' article 1 er, § 2, al. 2, de l'arrete royal du 8 novembre 1989 : (i) les societes dont les titres representatifs ou non du capital, conferant le droit de vote, ainsi que les titres donnant droit a la souscription OU a I' ac­quisition de tels titres ou a la conversion en de tels titres, sont inscrits a la cote d'une bourse de valeurs mobilieres OU a Un autre marche reglemente beige, et (ii) les societes non visees ci-dessus dont ces titres sont repandus dans le public.

Quant a cette seconde categorie de societes, une certaine incer­titude regne, la notion de « titres repandus dans le public » n' ayant ete definie ni dans la loi ni par reference a une quelconque legis­lation existante ( 55). Le caractere « repandus dans le public » des

(54) K. GEENS, «De wijziging van controle in een vennootschap die een open­baar beroep op het spaarwezen heeft gedaan », T.R. V., 1990, p. 105.

(55) J.M. NELISSEN GRADE,« Het openbaar bod en de beursoverval na het De Benedetti K.B. », op. cit., p. 65; A. BRUYNEEL, «Les offres publiques d'acquisi­tion », op. cit., 1990, p. 159 ; K. GEENS, op. cit., p. 105.

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titres de la societe est done une question de fait (56), dont une eventuelle appreciation par analogie avec les dispositions de l' ar­rete royal du 9 janvier 1991 est controversee (57).

En matiere de clauses de changement de controle sensu stricto (c'est-a-dire ne visant pas l'OPA}, l'on pourrait penser que le champ d' application ratione personae de l' article l 7bis est limite aux societes ayant fait ou faisant appel publiquement a l' epargne. En vertu de cette interpretation, une clause de change­ment de controle pourrait etre, dans le cadre d'une societe privee, valablement conclue par le conseil d' administration, sans que les conditions de validite de l' article l 7bis doivent etre respectees. Les clauses de changement de controle visant l'OP A ainsi que les clauses de changement de controle sensu stricto a conclure dans le cadre de societe ayant fait ou faisant publiquement appel a l' epargne devraient toutefois reunir les conditions de validite de l'article l 7bis (58).

Une telle interpretation, outre qu'elle ne nous semble pas auto­risee en raison de la clarte du texte de l' article l 7bis quant a son champ d' application rationae personnae, confererait a ce dernier un caractere extremement delicat a manier.

Meme si, comme le souligne Meulemans, le legislateur aurait pu choisir d'introduire l' article l 7bis dans les lois coordonnees sur les societes commerciales et que son choix s'est porte sur !'insertion

(56) K. GEENS, op. cit., p. 105. (57) Dans le sens d'une interpretation par analogie avec les dispositions de

l'ancien arrete royal du 12 n,ovembre 1969, A. BRUYNEEL, op. cit., p. 159 ; contra K. GEENS, op. cit., p. 105 et NELISSEN GRADE, op. cit, p. 65. Selon ces derniers auteurs, serait ainsi exagere le fait de considerer que les titres sont repandus dans le public des lors que plus de cinquante personnes en detiennent. La Commission bancaire et financiere a cependant deja considere qu'une societe dont l'actionna­riat comporte plus de cinquante personnes a fait publiquement appel a l'epargne, pour !'application de l'arrete royal du 8 novembre 1989, alors meme que la dis­persion de son actionnariat resultait exclusivement du jeu des successions fami­liales (Voyez P. HERMANT, «Les principes generaux », in Le nouveau droit des societes, Kluwer, 1995, p. 14).

(58) En ce sens, D. VAN GERVEN, «De regels voor vennootschappen die een publiek beroep op het spaarwezen doen of hebben gedaan », op. cit., p. 83, selon qui « Deze beperkende interpretatie vindt haar steun in de algemene filosofie van de wetgever die bij de wet van 2 maart 1989 er duidelijk voo1· heeft gekozen enkel wijzi­gingen in controle van vennootschappen die een publiek beroep op het spaarwezen doen of hebben gedaan, te reglementeren ».

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de ce dernier au sein de la loi du 2 mars 1989 (59), nous ne pen­sons pas qu' on puisse deduire de ce positionnement une even­tuelle volonte du legislateur de restreindre son champ d' applica­tion, en ce qui concerne les options liees a un changement de controle (et non a une OPA), aux societes faisant ou ayant fait appel public a l' epargne.

Si une telle interpretation n' est en effet pas etrangere aux prin­cipes d'interpretation traditionnels de notre droit, selon lesquels l' analyse d'un texte peut se baser sur son positionnement ou l'in­titule de son titre (60), !'interpretation ne s'autorise en principe que lorsque le texte de la loi n'est pas clair, ce qui n'est pas le cas en espece.

L'inspiration financiere de cet article ne pourrait de plus entrainer purement et simplement la limitation de son champ d' application ratione personae aux societes faisant ou ayant fait appel public a l'epargne (61), puisque, techniquement, une OPA peut etre lancee sur n'importe quel type de societes, tant prive~ que publique (62).

(59) « Verweermiddelen tegen vijandige openbare overname-aanbiedingen », in Het vernieuwd juridisch kader van de ondernemingen: financieel, vennootschaps- en boekhoudrecht, Die Keure, 1993, p. 74.

(60) C'est un precepte remontant aussi loin qu'au Digeste que celui selon lequel une disposition Iegale s'interprete en fonction d'une perspective legale complete, et notamment un examen d' ensemble de la loi a laquelle appartient la disposition leg ale interpretee : « I ncivile est, nisi tota lege perspecta, una aliqua particula ejus proposita judicare vel respondere » (liv. I, tit. 3, fr. 24). Selon PLANIOL et RIPERT (Traite elementaire de droit civil, T. I, Paris, 1932, p. 94), « ... il faut rechercher dans l'ensemble du texte un mat, une decision, une tendance, quelque chose qui eclaire le point douteux. O'est la une des grandes regles de l'interprete: il doit connaitre en tota­lite le texte de la loi pour bien comprendre le moindre passage » et « l 'intitule de la loi peut servir a en eclairer la portee et le but ... )) (G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil, I, Paris, Sirey, 1961, p. 230).

(61) En ce sens, M. VAN DER HAEGEN et J.-M. GOLLIER, op. cit., p. 216; contra : M. CHARLES, op. cit., p. 57.

(62) Meme si, en pratique, les O.P.A. visent le plus souvent des societes publi­ques, nous ne pensons pas possible, pour des raisons de technique juridique, de retrecir le champ d'application de l'article l 7bis a ces dernieres, comme le sug­gere, de lege ferenda, CHARLES (op. cit., p. 55). La notion d'O.P.A. est en effet sus­ceptible d' avoir un champ d' application plus large, dans la mesure ou elle ne se definit pas par un champ d'application ratione personnae, mais par les moyens mis en amvre lors de l' offre.

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3. - LE REGIME DE LA NULLITE

EDICTEE PAR L' ARTICLE 17 BIS

DE LA LOI DU 2 MARS 1989 ET SES CONSEQUENCES

3 .1. - Nature de la nullite edictee par l 'article 17bis

Aux termes de I' article 1 7bis, al. 1, est nul le droit qui aurait ete octroye sans respecter les conditions de validite de cet article (63).

Aux termes de I' alinea 2 de ce meme article, cette regle ne s' applique pas aux droits conferes a des tiers avant l' entree en vigueur de la loi du 18 juillet 1991. Toutefois, !'existence de ces droits devait etre communiquee a la prochaine assemblee gene­rale ordinaire. Il faut apparemment deduire de cette formulation ambighe que, dans ce cas egalement, le droit n'echappera a la nullite prevue par I' alinea 1 er de I' article l 7bis que si cette forma­lite a ete respectee (64).

La portee de la nullite instauree par I' article l 7bis est peu claire, des arguments pouvant etre avances tant dans le sens d'une nullite relative qu' absolue. Les nullites absolues se fondent sur un motif d' ordre public, des considerations d'interet gene­ral (65). Elles« touchent aux interets essentiels de l'Etat ou de la col­lectivite ou fixent dans le droit prive les bases juridiques sur les­quelles repose l'ordre economique ou social de la societe » (66), alors que les nullites relatives ne sont edictees qu' en vue de proteger des interets prives (67).

(63) Cette nullite n'affecte pas la possibilite pour les actionnaires (voire even­tuellement le beneficiaire du droit octroye par la societe) d'intenter une action en responsabilite a l' encontre des organes auxquels l'irregularite commise lors de l' octroi du droit concerne est imputable.

(64) En ce sens, M. VAN DER HAEGEN et J.-M. GOLLIER, op. cit., p. 216; contra : M. CHARLES, op. cit., p. 57.

(65) H. DE PAGE, op. cit., T. II, p. 703. (66) H. DE PAGE, op. cit., T. I, p. 111. (67) Ibidem.

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3 .1.1. Arguments en f aveur de la these de la nullite relative

On semble, a premiere vue, etre en presence d'une nullite pour defaut de pouvoir, traditionnellement de caractere relatif (68). Le conseil d' administration peut en effet conclure la clause de chan­gement de controle, mais l' octroi du droit doit avoir ete decide par une assemblee generale, alors que ce pouvoir appartient nor­malement au conseil d' administration.

Les travaux preparatoires de l' article l 7bis confirment que la nullite edictee par cet article vise a proteger les actionnaires de la societe contre des decisions influen9ant la structure de l' action­nariat, qui seraient prises par le conseil d' administration sans leur assentiment (69). Ils ne se referent aucunement a un quel­conque interet tiers, et encore moins a l'interet general.

Cette interpretation peut de plus trouver appui dans la decla­ration du Ministre devant la Chambre des representants, selon laquelle, a l' exception de la reglementation des conventions de vote, qui est d' ordre public, toutes les dispositions de la loi du 18 juillet 1991 sont seulement imperatives (70).

A ce titre, la nullite edictee par l' article l 7bis viserait a prote­ger la « collectivite mouvante des actionnaires » (71), et toucherait par consequent a l' « ordre public societaire » (72). Elle serait l'une de ces dispositions imperatives applicables a urie categorie de personnes (73), en l'espece I' ensemble des actionnaires de la societe.

(68) Le droit civil connai't la nullite d'un acte «pour defaut de pouvoir », par exemple en matiere d'incapacite des mineurs (Voyez H. DE PAGE, op. cit., T. II, p. 38). II s'agit, quant aux mineurs capables de discernement et non emancipes, de la nullite touchant les actes du representant legal de l'enfant, lorsque celui-ci a accompli seul un acte qui ne lui etait permis qu' avec I' autorisation du conseil de famille ou l'homologation du tribunal. Les actes nuls pour defaut de pouvoir du tuteur ne le sont que relativement puisqu'ils visent a proteger I' enfant mineur (H. DE PAGE, op. cit., p. 45).

(69) Voyez le point 1.2. de la presente etude. (70) Rapport fait au nom de la Commission chargee des problemes de droit

commercial et economiques par Mme Merckx-Van Goey, Doc. Parl., Chambre, sess. 1990-91, n° 1645/2, p. 15.

(71) T. TrLQUIN, op. cit., p. 793. (72) V. SIMONART, « L'ordre public et le droit des societes », R.D.C., 1994,

p. 122; HANNOUN, « Remarques sur la prescription de !'action en nullite en droit des societes », Rev. Soc., 1991, p. 48.

(73) P. LE CANNU, note sous Cass. Fr. (Com.) 17 janvier 1989, Bull. Joly, 1989, p. 249.

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En consequence, seuls les actionnaires (et chacun d' eux) pour­raient invoquer la nullite d'une clause de changement de controle violant I' article l 7bis. Cette nullite ne pourrait etre invoquee par le conseil d' administration de la societe, ni par des tiers au contrat -tel l' acquereur potentiel du controle sur la societe ou la Commis­sion bancaire et financiere. De plus, I' assemblee generale pourrait renoncer a invoquer cette nullite, a la majorite, dans le respect de l'interet collectif et sous le controle ulterieur des tribunaux.

3.1.2. Arguments en faveur de la these de la nullite absolue

Nous pensons toutefois que la nullite prevue par I' article l 7bis doit etre qualifiee d' absolue.

En effet, I' article l 7bis, quoi qu'adopte au sein d'une loi sur les societes, a ete place par le legislateur dans une reglementation a caractere financier (74), alors que ce dernier aurait tout aussi bien pu choisir d'inserer cette disposition au sein des lois coor­donnees sur les societes commerciales (75). Or, le droit financier est generalement considere a l'heure actuelle comme d' ordre public (76) (77), car «le moteur des marches financiers, en particu-

(74) Dont le second volet, ou se trouve insere l'article 17bis, « ... tra<luit une continuite des objectifs de protection des investisseurs, de transparence et de bon fonc­tionnement du marche » (J-F TossENS, «La societe ayant fait ou faisant publique­ment appel a l'epargne : le concept et ses enjeux a l'aube d'une nouvelle reforme des lois coordonnees sur les societes commerciales », op. cit., p. 353).

(75) MEULEMANS,« Verweermiddelen tegen vijandige openbare overname-aan­biedingen », op. cit., p. 74.

(76) Voyez en ce sens, J.-F. ToosSENS op. cit., p. 399; V. SIMONART, op. cit., p. 129; Brnxelles, 6 aout 1992 (R.D.C. 1992, pp. 789 et s., specialement p. 815), approuve par Cassation, 10 roars 1994 (T.R. V., 1995, pp. 176 et s. et note H. LAGA). Selon l'arret de la Cour d'appel, est d'ordre public l'article 15 de la loi du 2 roars 1989 ainsi que le chapitre III de l' arrete royal du 8 novembre 1989, dans la mesure ou il s' agit de reglementations de police de l' economie en matiere d'offres publiques d'acquisition et de modifications de controle des societes ayant fait OU faisant publiquement appel a l' epargne. En effet, selon la Cour d' appel, aux termes memes de l'article 15, § 1 er, cette derniere reglementation a ete prise afin de favoriser la transparence et le bon fonctionnement du marche. Cette « ... reglementation de police s 'insere ainsi dans une politique economique interessant la generalite des citoyens ou, du mains, certaines categories d 'entre eux ... ; [ elle] ... transcende les interets prives des porteurs de titres de societes faisant appel public a l'epargne ». Toujours selon l'arret, « ... cette reglementation a ete prise ajin d'assurer le bon fonctionnement du marche - et partant de l'economie du pays ... ».

(77) Cette affirmation etant toutefois nuancee par Tilquin, selon qui, « il convient d 'eviter (. .. ) d "institutionnaliser ' le droit des porteurs de valeurs mobi­lieres », (op. cit., pp. 772 et 773).

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lier du marche boursier, est le public, c 'est-a-dire une masse d 'ac­teurs necessairement indetermines, les investisseurs, proteges en rai­son du potentiel qu 'ils representent pour l 'economie dans son ensemble, independamment de tout lien avec une societe don­nee » (78).

O' est de plus en raison des exigences du marche que le Iegis­lateur a entendu, par la loi de 1991, soustraire au conseil d'admi­nistration, au profit de l'assemblee generale (79), toute mesure susceptible de contrarier les tentatives de prise de controle, telle la mise en place de crown jewels options ( 80).

Une des raisons de la preference accordee a l'assemblee gene­rale pour les deliberations portant sur des mesures liees a la structure de l' actionnariat reside, par ailleurs, dans la garantie d'information de tousles actionnaires (81), que permet le recours a I' assemblee generale. Ces objectifs de transparence et d'infor­mation, tres presents dans la reglementation financiere en gene­ral (82) - cette derniere tendant a organiser la confiance dans le marche des valeurs mobilieres (83) - nous semblent egalement indiquer que I' on se trouve en presence d'une reglementation d' ordre public.

(78) J.-F. TosSENS, « Plaidoyer pour l'autonomie du droit financier et I' ana­lyse critique de ses finalites », in Principes et exigences du droit des societes en Europe, op. cit., T. II, p. 22.

(79) J.-F. TossENS, « Plaidoyer pour l'autonomie du droit financier et I' ana­lyse critique de ses finalites », op. cit., p. 7.

(80) F. DE CuYPER semble toutefois se livrer a une analyse moins financiere que societaire de ce type de disposition. Selon lui, ces mesures visent a renforcer la democratie au sein de la societe ( « petit Etat democratique ») et empecher le conseil d' administration d' accomplir des actes susceptibles de compromettre la position des actionnaires minoritaires, a moins qu'intervienne une decision de l'assemblee generale (op. cit., spec., pp. 13 et 41).

(81) Rapport Verhaegen et Bayenet, Doc. Parl., Senat, sess. 1990-91, n° 1007/ 3, p. 8.

(82) Une certaine jurisprudence a d'ailleurs estime, quant au droit a !'informa­tion des actionnaires minoritaires, que ce dernier resulte « ... d'un principe legal general d'ordre public economique impose par le legislateur a travers toutes ses dispo­sitions recentes en matiere boursiere et financiere », (Ordonnance de refere du Presi­dent du tribunal de commerce de Nivelles du 23 octobre 1991). Voyez sur la ques­tion plus large de I' existence d'un principe general de droit en la matiere, R. PRioux, «La transparence, principe general de droit en matiere d'information des actionnaires et du marche ? ,>, J. T., 1994, pp. 217 et s.

(83) Voyez T. TILQUIN, op. cit., p. 753.

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Certains auteurs font remarquer que « devenu une exigence du marche, le droit a l 'information des actionnaires quitte les canaux institutionnels et, en particulier, le cadre de l 'assemblee generale », puisque « les beneficiaires de l 'information sont au demeurant autant les actionnaires eff ectif s que les actionnaires potentiels que represente le public en general» (84). Il est, a ce titre; significatif de retrouver, au sein de l'article l 7bis, une obligation de depot de la decision de l' assemblee au greffe du tribunal de commerce, conformement a l' article 10 des lois coordonnees sur les societes commerciales. Ce dernier element milite en faveur du caractere d'ordre public de la nullite edictee par !'article l 7bis. Celui-ci semble en effet presenter tres clairement, dans sa forme actuelle, une optique de transparence vis-a-vis des actionnaires potentiels, dans la mesure ou le depot au greffe du tribunal de commerce a pour objet de faire connaftre au marche la presence d'une option sur les actifs de la societe (85) (86) (87).

L' article l 7bis peut, a ce titre, etre rapprocM de l' article 33bis des lois coordonnees sur les societes commerciales ( 88), interdi-

(84) J.-F. TossENS, « Plaidoyer pour l'autonomie du droit financier et !'ana­lyse critique de ses finalites », op. cit., p. ll.

(85) VAN DER HAEGEN et GOLLIER, op. cit., p. 216. (86) Cette publicite pourrait trouver son inspiration dans une variante de la

«rule of passivity» (regle de paralysie du Conseil d'administration en cas d'O.P.A.) developpee par la doctrine americaine, selon laquelle « ... il faut reserver un traitement different aux ripostes dont le conseil d'administration prend l'initiative apres le declenchement de l'offre ou l'apparition de l'imminence de celle-ci, et celles par lesquelles le conseil met en muvre des dispositions statutaires anterieurement conyues par les fondateurs ou par l'assemblee generale pour le cas ou le controle de la societe serait menace. Ces dernieres doivent echapper a la reg le de passivite ('rule of passivity'), des lors que tout actionnaire a normalement eu la possibilite d'en connaftre l 'existence par la consultation des statuts avant de se porter acquereur de titres et que l'assemblee des associes les a regulierement admises », X. Drnux, «La societe anonyme : armature juridique de l'entreprise ou 'produit financier' 1 »,in Principes et exigences du droit des societes en Europe, op. cit., T. II, pp. 28 et 29.

(87) On trouve un prescrit de publicite semblable au sein de l' article 12 du Fondsenreglement hollandais prevoyant l'obligation de rendre public tout contrat passe par le conseil d'administratio:ri. et dont le dessein est de frustrer une O.P.A. agressive, que ce contrat soit conditionnel ou a terme. Voyez, sur cette disposi­tion, H.J.M.N. HoNEE, « Crown jewel en Pandora-constructies », in Beschermings­constructies, Kluwer-Deventer, 1990, pp. 45 et 46.

(88) Cet article est en quelque sorte le pendant de I' article l 7bis, apres le lan­cement de l'O.P.A .. 11 reglemente les mesures de protection prises a posteriori, alors que l'article l 7bis s'applique aux mesures de protection prises a priori (Voyez D. VAN GERVEN et P. HERMANT, La nouvelle legislation sur les societes commerciales, C.E.D.-Samsom, 1992, p. 109).

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sant notamment au conseil d' administration de la societe cible, pendant une OP A, de prendre des decisions OU de proceder a des operations ayant pour effet de modifier de maniere significative la composition de l'actif ou du passif de la societe visee ou d'assu­mer des engagements sans contrepartie effective. Selon le para­graphe 5 de I' article 33bis, le conseil d' administration doit en effet donner immediatement connaissance de maniere circonstan­ciee a l'offrant et a la Commission bancaire et financiere des deci­sions qui seraient prises par l' assemblee generale, et de plus rendre ces dernieres publiques.

L' article 33bis vise done tres certainement la protection non seulement de l'interet des actionnaires mais egalement de celui des tiers, en vue de la transparence et du bon fonctionnement du marche. L' article 33bis, § 3 a § 5, est par ailleurs une reproduction presque textuelle de I' article 8 de I' arrete royal du 8 novembre 1989 relatif aux offres publiques d' acquisition et aux modifica­tions du controle des societes, dont Bruyneel dit au sujet du paragraphe 3 que (< cette regle est judicieuse : de telles decisions, en periode d'OP A, ne sauraient rester scellees a l'offrant, elles peuvent en eff et constituer pour lui une raison determinante de modifier ou de retirer son offre » (89).

Le depot de la decision de l'assemblee generale prevue au sein de I' article l 7bis peut ainsi etre persm, comme le pendant des communications et publication prevues par I' article 33bis des lois coordonnees sur les societes commerciales.

De plus, dans la mesure ou !'article l 7bis est a rapprocher de I' article 33bis, qui a « legalise » l' article 8 de I' arrete royal du 8 novembre 1989 (90), cet arrete royal ayant vraisemblablement un caractere d' ordre public puisque pris sur base de l' article 15 de la loi du 2 mars 1989 (91), l'on peut penser que !'article l 7bis possede egalement ce caractere.

II peut cependant apparaftre curieux et peu consistant, qu'en vertu du deuxieme alinea de I' article l 7bis, la communication du droit accorde a la premiere assemblee generale ordinaire suivant

(89) A. BRUYNEEL, «Les offres publiques d'acquisition », op. cit., p. 169. (90) VAN DER HAEGEN et GOLLIER, op. cit., p. 191. (91) Lui-meme d'ordre public, selon l'arret de la Cour d'appel de Bruxelles du

6 aoft 1992, (R.D.O., op. cit., p. 815), confirme par l'arret de la Cour de cassation du 10 mars 1994 (op. cit.).

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l'entree en vigueur de la loi du 18 juillet 1991, ne doive pas faire l'objet d'un depot au greffe du tribunal de commerce (92).

3.1.3. Consequences du caractere absolu de la nullite edictee par l 'article 1 7bis

L' article l 7bis etant d' ordre public, la clause conclue en viola­tion de cet article est sanctionnee d'une nullite absolue.

Cette nullite peut par consequent etre invoquee par toute per­sonne ayant un interet personnel et Iegitime, ne et actuel. Elle n' est pas susceptible de confirmation, n' est prescrite qu' apres 30 ans et peut etre invoquee en tout etat de cause, pour la pre­miere fois devant la Cour de cassation le cas echeant (93).

L' action en nullite etant ouverte a tout tiers interesse, la nul­lite de la clause pourrait etre poursuivie non seulement par les actionnaires, mais egalement par des tiers, tels l' offrant en cas d'OPA, l'acquereur d'une cession privee de participation de controle ou la Commission bancaire et financiere.

La nullite etant absolue, la violation de l' article l 7bis ne peut etre confirmee (94). Elle ne pourrait pas non plus, lorsque le droit octroye n' a pas ete approuvee par l' assemblee generale, faire l' ob-

(92) Ce qui pourrait confirmer qu'un glissement s'est produit lors des travaux de la Commission ad hoe societe commerciale. L'obligation de publicite contenue au sein de l' article l 7bis, al. 1, peut, en effet, apparaftre curieuse dans la mesure ou, au cours de la discussion des articles de la loi du 18 juillet 1991, un deuxieme amendement avait ete introduit visant, au sein du futur article l 7bis, a« suppri­mer les mots 'deliberant comme en matiere de modification des statuts et si cette deci­sion n 'a pas ete deposee au greffe du tribunal de commerce conformement a l'ar­ticle 10 des lois sur les societes commerciales coordonnees le 30 novembre 1935' » (Doc. parl., Senat, session 1990-91, n°1107-3, p. 313). Cet amendement etait justi­fie par la mise en relation du futur article 17 bis avec !'article 2, § 3, du meme projet (actuel article 33bis, § 3, 3°, des lois coordonnees sur les societes commer­ciales), qui n'imposait ni deliberation de l'assemblee generale comme en matiere de modification des statuts ni depot de la decision au greffe du tribunal de com­merce (Ibidem, p. 314). Ce deuxieme amendement fut adopte a l'unanimite des membres presents (Doc. parl., Senat, session 1990-91, n° 1107-3, p. 316). Si la sup­pression de la necessite d'une deliberation comme en matiere de modification des statuts fut traduite dans la version definitive du texte de loi, celle-ci ne reprit toutefois pas la suppression de !'obligation de depot (Voyez Doc. parl., Senat, ses­sion 1990-91, n° 1107-3, p. 356).

(93) X. Drnux, «Le contrat : instrument et objet dirigisme 1 », in Les obliga­tions contractuelles, J.B., 1984, pp. 262-263.

(94) Contra, D. VAN GERVEN, « Gezamenlijke vennootschappen : vennoots­chapsrechtelijke aspecten van de joint venture», op.cit., p. 121.

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jet d'une regularisation (95) (96), « ( ... ) operation par laquelle l'or­gane competent valide de maniere objective, retroactive et erga omnes un acte affecte d 'un vice en faisant disparaitre la cause de nullite qui l'entachait » (97).

Les conditions de la regularisation seraient en effet les sui­vantes (98) : (i) la regularisation ne possede aucune force crea­trice par elle-meme : I' acte vicie auquel elle remedie doit etre preexistant (un acte ayant ete annule ne pourrait done plus faire l'objet d'une regularisation) ; (ii) la regularisation doit intervenir avant !'introduction d'une action en nullite, car elle ne peut pas porter atteinte aux droits acquis par des tiers dans l'intervalle; (iii) la regularisation doit s'effectuer de maniere objective, inde­pendamment de toute manifestation de volonte de personnes pouvant en etre prejudiciees; (iv) la regularisation est admise quelle que soit la gravite du vice affectant l'acte devant etre regularise.

A la difference de la confirmation,- subjective par essence -la regularisation revetirait ainsi un caractere objectif (99), et ne pourrait en consequence, selon une certaine doctrine, trouver a s' appliquer a des actes nuls pour absence de consentement, vices de consentement OU incapacite, qui pourraient done etre unique­ment confirmes (100). Or, une regularisation, par I' approbation par l'assemblee generale du droit octroye en violation de !'arti­cle l 7bis par le conseil d' administration, serait essentiellement

(95) Sur la distinction, en droit des societes, entre regularisation et confirma­tion, voyez V. SIMON.ART, op. cit., p. 15; T. TILQUIN et V. SIMON.ART, Traite des societes, Kluwer, 1996, p. 848.

(96) La possibilite de regulariser la plupart des actes de societes est une des raisons qui, selon Valerie SIMON.ART (op. cit., p. 119), attenue, en droit des societes, l'interet de la distinction entre causes de nullite relative et absolue.

(97) V. SIMON.ART, op. cit., p. 114. (98) V. SIMON.ART, op. cit., pp. 116 et 117. (99) V. SIMON.ART, op. cit., pp. 115 et 117; TILQUIN, «La societe privee et la

societe faisant OU ayant fait publiquement appel a l' epargne - Evolutions recentes (premiere partie) », op. cit., p. 404, note 115.

(100) V. SIMON.ART, op. cit., p. 117, et les references citees.

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subjective, puisqu'elle impliquerait une manifestation de volonte des personnes prejudiciees (101) (102).

La nullite d'un droit octroye en violation de I' article l 7bis pourrait toutefois etre regularisee, lorsque l'origine de cette nul­lite reside exclusivement dans l' absence de depot de la decision d' approbation de I' assemblee generale au greffe du tribunal de commerce.

3 .2. - Influence de la nullite de la clause de changement de contr8le du droit octroye

sur la validite du contrat

Lorsque I' on on a affaire a un contrat elabore, dont le droit octroye en violation de I' article 17 bis ( telle une clause de chan­gement de contr6le) n'est qu'un aspect, la question se pose de savoir si la nullite de la clause peut entrainer la nullite de I' en­semble du contrat.

Selon la regle classique de droit civil, une convention n'est nulle en raison de l'illiceite de l'une de ses clauses, que lorsqu' il est etabli que la clause illicite forme, avec les autres dispositions contractuelles, un ensemble indivisible ou qu'elle est un mobile determinant de la convention (103), c'est-a-dire un element dont

(101) Voyez ainsi V. SIMONART, selon qui, les decisions des assemblees, en rai­son d'irregularites le plus souvent tant subjectives qu'objectives, devront fre­quemment faire l'objet tant d'une confirmation que d'une regularisation (op. cit., p. 119).

(102) Lorsqu'un droit susceptible d'etre vise par !'article 17bis {telle eventuel­lement une clause de changement de controle) n'est qu'un element d'un contrat devant etre signe avant que l' assemblee generale de la societe concernee n' ait pu approuver la clause, il est prudent, afin d' eviter I' incertitude liee a la possibilite de regulariser une clause conclue sans le respect prealable de l' article 17bis, de soumettre l' octroi du droit a une condition suspensive, consistant en son approba­tion par une decision de l' assemblee generale de la societe et le depot de cette decision au greffe du Tribunal de commerce, conformement a l' article 10 des lois coordonnees sur les societes commerciales. La naissance du droit est alors suspen­due, (X. Drnux, «Des effets de la tutelle d'approbation sur les contrats conclus avec une autorite publique subordonnee », note sous Cass., 5 juin 1981, A.P.T., 1984, p. 149; F. DELPEREE, « Contrat sous condition suspensive : Consequences de la faute commise par une partie 'pendente conditione' »,note sous l'arrete pre­cite, R.O.J.B., 1983, p. 210.), de sorte que I' article 17bis ne peut trouver a s'appli­quer.

(103) H. DE PAGE, op. cit., T. II, n° 786; X. Drnux, «Le contrat: instrument et objet de dirigisme 1 », op. cit., p. 265 ; P. JADOUL, «La liquidation de la situa­tion contractuelle », in La fin du contrat, A.B.J.E., Bruxelles, 1993, p. 235.

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l'absence aurait entrafne le refus de consentement par l'une des parties, l'autre ayant toutefois eu connaissance de ce que cet ele­ment etait essentiel a son co-contractant. La question doit done etre tranchee au cas par cas ( 104), en ce qui concerne les clauses de changement de controle eventuellement conclues en violation de I' article l 7bis.

U ne clause de changement de controle ne nous semble pas indi­visible des autres dispositions contractuelles d'un contrat de joint-venture. Ce contrat peut parfaitement fonctionner sans la presence d'une telle clause. En outre, les parties prevoient fre­quemment, au sein de ce type de contrat, une clause d' autonomie des dispositions contractuelles. Le juge peut avoir egard a cette clause « ( ... ) comme indice revelateur de la volonte des parties, pour la determination de leurs mobiles determinants et de l'economie gene­rale de la convention » ( 105) ( 106).

La clause de changement de controle peut-elle toutefois appa­raftre comme un mobile determinant de la convention?

Nous pensons qu'une clause de changement de controle pour­rait etre consideree, au sein d'un contrat de joint-venture, comme un mobile determinant de la convention (107), dans le chef des co-contractants car elle vise en fait a retablir le jeu de l'intuitu personae au sein d'une convention conclue entre societes et entrafnant par consequent son inefficacite relative. Les parties doivent en effet pouvoir resilier le contrat en cas de changement de la personne de leur co-contractant, dans la mesure ou la confiance necessaire au contrat ne pourrait etre placee dans la personne de ce nouveau co-contractant. La personne du co­contractant joue en effet generalement en matiere de joint-ven-

(104) Ainsi, selon CHARLES, « s'il ressort de la volonte des parties et de l'interpre­tation qu 'on peut en faire que cette clause etait conyue comme un element determinant de leur intention de contracter ( c 'est-a-dire comme un pivot de leur convention), c 'est a l'existence meme du contrat que l'article 17bis s'attaque >) (op. cit., p. 56).

(105) X. Drnux, «Le contrat : instrument et objet de dirigisme? », op. cit., p. 265.

(106) Un juge pourrait toutefois refuser I' application de cette clause et etendre la nullite au contrat entier, s'il apparaissait que la clause illicite forme un tout indivisible avec le contrat, ou qu'elle est un mobile determinant des parties, X. Drnux, « Le contrat : instrument et objet de dirigisme ? », op. cit., p. 265 ; P. JADOULLE, op. cit., p. 237.

(107) Voyez en ce sens, apropos d'un contrat de concession, l'arret de la Cour d'appel de Paris du 25 janvier 1995, cite en note 6.

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ture (108), comme nous l'avons vu (109), un role fondamental dans la conclusion du contrat et implique que celui-ci soit carac­terise d' intuitu personnae, notion perdant de son efficacite lors­que le contrat est conclu avec une societe. Meme en cas d'arrivee d'un nouvel actionnaire de controle et de changements impor­tants apportes par celui-ci a !'orientation des activites de la societe et a son administration, le partenaire se trouve confronte, juridiquement, au meme co-contractant - la societe - et ne peut done se prevaloir du caractere intuitu personnae de la convention pour resilier cette derniere.

Visant a retablir le jeu d'un element essentiel du contrat de joint-venture, nous pensons que la clause de changement de controle pourra etre analysee comme un mobile determinant de ces contrats, pour l'un des ou les co-contractants. Chacun de ceux-ci s'engage en effet en fonction de la confiance qu'il porte a l'autre, la creation de la joint-venture supposant bien souvent la mise en commun de know-how, secrets, techniques de fabrica­tion et autres informations, qui ne seront communiques qu'en raison de la confiance accordee au co-contractant, et qu' aucun des co-contractants ne souhaite voir tomber entre les mains d'une societe concurrente, qui viendrait a controler l' autre partie. La clause de changement de controle, en prevoyant le retrait force de la societe cible de la joint-venture, vise a prevenir ce ris­que.

Dans les contrats de joint-venture, la nullite de la clause de changement de controle pourra done entrainer la nullite de !'en­semble du contrat et par consequent la dissolution et liquidation de la joint-venture, lorsque le caractere determinant de cette clause, pour l'un des ou les co-contractants, sera entre dans le champ contractuel.

Le contrat de credit bancaire est quant a lui generalement ana­lyse comme presentant une nature intuitu personnae pour la ban­que, vis-a-vis de son co-contractant. A supposer les clauses de changement de controles inserees dans ces contrats soumises a l' article l 7bis, la banque pourrait alors invoquer le caractere determinant de la clause visant a retablir l' intuitus personnae du

(108) Mais egalement en matiere de contrat de distribution, de franchise, etc. (109) Voyez le point 1.2. de la presente etude.

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contrat et, par consequent, a condition que ce caractere pour la banque soit entre dans le champ contractuel, la nullite de ce contrat, en cas de violation de l'article l 7bis.

L'invocation d'une telle nullite presenterait l' effet curieux de permettre a la banque de contourner l' application de l' arti­cle l 7bis, puisque cette derniere obtiendrait !'acceleration du cre­dit, suite au changement de controle intervenu sur son co­contractant, sans que la clause de changement de controle ait ete approuvee par l'assemblee generale de ce dernier, ni deposee au greffe du tribunal de commerce.

Elle risque, a ce titre, d'etre difficilement acceptee par un juge qui considererait que l' article l 7bis s' applique a ce type de clause, sans que l' on s' aper9oive sur quelle motivation juridique pourrait s'appuyer un eventuel rejet par ce dernier de la nullite invoquee par la banque. Le seul argument, qui exigerait par ail­leurs la mauvaise foi de cette derniere, pourrait etre la fraude a la loi (llO), loin toutefois d'etre acceptee en droit positif belge (111).

4. - NECESSITE D'UNE APPROCHE

DE LEGE FERENDA

Bien que notre analyse ait demontre qu'une interpretation de l'article l 7bis par reference aux travaux preparatoires de cette disposition, justifiee par le caractere ambigii et imprecis du champ d' application ratione materiae de cet article, pourrait eventuellement permettre aux clauses de changement de controle d'echapper a !'application de l'article l 7bis (ll2), nous ne pou-

(110) Celle-ci consiste en !'utilisation d'un procede en soi licite, sans simula­tion, en vue d' arriver a un resultat prohibe par une loi d' ordre public ou impera­tive, et cela via un procede qualifie d'astucieux, de deloyal ou d'immoral (P. VAN 0MMESLAGHE, (<Ah.us de droit, fraude aux droits des tiers et fraude a la loi », note sous Cass., 10 septemb:re 1971, R.O.J.B., 1976, p. 338).

(111) Consultez X. Drnux, «Le contrat : instrument et objet de dirigisme ~ », op. cit., et pp. 286 et s. ; D. DEVOS, « Propos sur la repression de la fraude en droit prive », R.D. 0., 1985, pp. 283 et s. Voyez toutefois, dans le sens d'une certaine consecration en droit belge, Cass., 25 novembre 1993, J.L.M.B., 1994, p. 221.

{112) Contrairement a CHARLES, qui conclut a l'applicabilite du texte de I' arti­cle l 7bis aux clauses de changement de controle inserees dans les contrats de cre­dit (op. cit., p. 57).

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vons etre certain que cette interpretation soit suivie par les juges qui auront a trancher d' eventuels litiges lies a l' article l 7bis.

Cette incertitude, combinee avec le besoin de remedier a cer­taines ambigu'ites ou autres manquements du texte, rendent selon nous necessaire une approche de lege ferenda de !'arti­cle l 7bis.

Nous approuvons, en ce qui concerne le champ d' application ratione materiae de l' article l 7bis, la suggestion de Charles, visant a remplacer, au sein de cet article, les mots (<tout droit confere a des tiers par une societe, affectant son patrimoine ou donnant nais­sance a une dette OU a Un engagement a Sa charge » par la notion de promesse de vente portant sur les actifs d'une societe (113), mais estimons de plus que devrait etre vise au sein de ce texte, les droits octroyes par une societe donnant naissance a une dette significative a sa charge (114), sans contrepartie effec­tive (115) (116). La notion de promesse de vente portant sur les actifs de la societe devrait de plus etre precisee en indiquant qu'il s'agira des actifs significatifs de la societe (117).

De meme, devrait etre indique au sein de l' article l 7bis que ces operations doivent etre accomplies en vue de frustrer une OP A ou un changement de controle sur la societe (118), afin d'empe­cher les operations commerciales legitimes qui pourraient avoir cet effet (119) (mais non cet objet (120)) accomplies par le conseil d' administration, de tomber sous l' em prise de l' article l 7bis.

(113) M. CHARLES, op. cit., p. 57. (114) En resonance aux termes « d'operations qui auraient pour effet de modifier

de maniere significative la composition ... du passif de la societe », utilises au sein de I' article 33bis, § 3, 3°, des lois coordonnees sur les societes commerciales.

(115) Notion egalement inspiree de la redaction plus adequate de !'arti-cle 33bis, § 3, 3°, des lois coordonnees sur les societes 'commerciales.

(116) Voyez sur cette technique, variante de la crown jewel option, DuPLAT et LAMBRECHT, « Evolutions recentes du droit des societes », in Le droits des affaires en evolution, A.B.J.E., Bruylant, Bruxelles, 1991, p. 74.

( 117) V oyez les termes d' « operations qui auraient pour effet de modifier de maniere significative la composition de l'actif de la societe », utilise au sein de I' arti­cle 33bis, § 3, 3°, des lois coordonnees sur les societes commerciales.

(118) Formulation inspiree par !'article 12 du Fondsreglement hollandais. (119) En ce sens egalement, Ph. MARcHANDISE, op. cit., p. 157. (120) Voyez la decision de la C.0.B., dans l'affaire de l'O.P.A. contre la societe

Benedictine, supra, note 49. Comparez egalement !'importance accordee recem­ment par la jurisprudence, en matiere d' option de vente, a la cause de la conven­tion, analysee comme !'intention des parties, en tant que critere de validite de ces

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Le fait de s'inspirer des termes employes au sein de !'arti­cle 33bis, § 3, 3°, presente egalement l'avantage de renforcer la coherence entre deux articles qui sont les pendants l'un de l' autre, a des temps differents : I' article l 7bis s' applique avant le declenchement de l'OPA, I' article 33bis, § 3, 3° etant d'applica­tion des reception par la societe de la communication faite par la Commission bancaire et financiere que cette derniere a ete saisie d'un avis d'OPA (121).

Le champ d' application ratione personae de cet article devra quant a lui etre expressement restreint, en ce qui concerne la modification de controle, aux societes faisant ou ayant fait publi­quement appel a l'epargne, telles que definies a I' article 1 er, § 2, al. 2, de l'arrete royal du 8 novembre 1989.

Devra de meme etre precisee, au sein de l' article 1 7bis, la nature de la nullite sanctionnant le ·respect de cet article, ou alternativement la nature - que nous pensons d' ordre public -de ce dernier' afin de remedier a toute difficulte d'interpretation.

Enfin, une formalite de publicite parallele a celle prevue a l'ali­nea 1 de cet article devrait etre introduite en son alinea 2 (depot d'un extrait du proces-verbal de l'assemblee generale declarant avoir pris connaissance de la clause), de sorte que les objectifs de transparence vis-a-vis du marche de cette disposition puissent etre atteints, egalement en ce qui concerne les clauses conclues avant l'entree en vigueur de la loi du 18 juillet 1991.

5. - CONCLUSION

L'hermetisme de l'article l 7bis de la loi du 2 mars 1989 relative a la publicite des participations importantes dans les societes cotees en bourse et reglementant les offres publiques d' acquisi­tion est symbolique a plus d'un titre.

Il l' est tout d' abord de la faible qualite et reflexion legislative actuelle, qui engendrent les « reparatiewet » (122), puisqu'une

options, au detriment de l'effet de celles-ci : (arret de la Cour d'appel de Liege du 15 septembre 1995, Revue, 1995, n° 6684, pp. 416 et s., et note C. BERTSCH).

(121) Et ce jusqu'a la cloture de l'offre. (122) Et les lois de reparation des lois de reparation (voyez, apropos de l'ar­

ticle 52 sexies des lo is coordonnees sur les societes commerciales, F. HELLEMANS

et R. TAs « Kruisparticipaties tussen onafhankelijke vennootschappen : de 'repa­ratiewet' gerepareed », T.R. V., 1996, pp. 445 et s.).

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simple attention a certains textes belge (tel I' article 33bis, § 3, 3°, des lois coordonnees sur les societes commerciales) ou etrangers (tel l'article 12 du Fondsreglement hollandais), et a certaines pra­tiques usuelles et Iegitimes de la vie des affaires auraient permis d' eviter les inconvenients du texte actuel.

Symbolique, l' article l 7bis l' est egalement d'une certaine ten­sion entre droit des societes et droit financier ( 123), et meme «contamination» (124) ou « desarticulation » (125) du premier par le second. L' article l 7bis illustre en effet parfaitement (i) le recul du critere d'interet social. comme critere de legitimite au sein de la societe (126), (ii) !'effacement de l'actionnaire derriere l'inves­tisseur et les exigences du marcM (127), (iii) la deconstruction du systeme de repartition des pouvoirs et des responsabilites au sein de la societe (128) et, de maniere generale, comme le montre les questions qu'il suscite quant a son caractere imperatif ou d' ordre public, (iv) la «tension entre les objectifs et les imperatifs des deux disciplines» (129);~

Puisse la presente etude contribuer a rendre l' article 17bis un pe:u moins hermetique, mais peut-etre surtout rappele:r que « ( ... ) la specificite des objectifs et du tissu normatif du droit_ financier

(123) Voyez X. Drnux, «La societe anonyme : armature jurid.ique de l'entre­prise ou 'produit financier' ? », op. cit., T. II, p. 1; J.-F. TossENS, «La societe ayant fait OU faisarit publiquement appel a l' epargne : le concept et ses enjeux a l'aube d'une nouvelle reforme des lois coordonnees sur les societes commerciales », op. cit., p. 388.

(124) J.-F. TOSSENS, «La societe ayant fait OU faisant publiquement appel a l'epargne : le concept et les enjeux a l'aube d'une nouvelle reforme des lois coor­donnees sur les societes commerciales », op. cit., p. 396.

(125) X. Drnux, «La societe anonyme : armature jurid.ique de l'entreprise ou 'produit financier' ? », op .. cit., p. 26.

(126) Sur cette notion, voyez X. Drnux, «La societe anonyme : armature juri­dique de l'entreprise ou 'produit financier' ? ,>,op. cit., p. 4; J.-F. TossENS, « Plai­doyer pour l' autonomie du droit financier et l' analyse critique de ses finalites », op. cit., p. 16.

(127) Sur cette notion, voyez J.-F. TossENS, « Plaidoyer pour l'autonomie du droit financier et l'analyse critique de ses finalites », op. cit., p. 13.

(128) Sur cette notion, voyez X. Drnux, «La societe anonyme: armature juri­dique de l'entreprise ou 'produit financier' ? ,>, op. cit., p. 3.

(129) X. Drnux, «La societe -anonyme : armature juridique de l'entreprise ou 'produit financier' ? ,>, op. cit., p. 1.

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incite a la prudence lors de la modification du droit des societes enO fonction des exigences du marche » ( 130).

Gilles Nejman

AvocAT AU BARREAU

DE BRUXELLES

(130) J.-F. TossENS, (<La societe ayant fait OU faisant publiquement appel a l'epargne : le concept et ses enjeux a l'aube d'une nouvelle reforme des lois coor­donnees sur les societes commerciales », op. cit., p. 398.

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N° 6736

Cour de cassation (eh. reun.) - 14 fevrier 1997

Sieg. : M. STRANARD, prem. pres., M. D'HAENENs, pres., MM. SAcE et HOLSTERS, pres. sect., MM. GHISLAIN, RAPPE, Mme CHARLIER, conseil­lers, Mme BAETE-SWINNEN, pres.-sect., MM. WILLEMS, VERHEYDEN, VEROUGSTRAETE, FoRRIER, BOES, DRAYER, Mme BOURGEOIS, MM. GOE­THALS et FRERE, conseillers, M. DuBRULLE, av. gen.

Plaid. : Me VERBIST.

( Gimvindus [ Domus Flandria] et R. M aleve c / M. Bataillie)

Societes commerciales. - Societes anonymes. - Creation par une autorite administrative. - Controle exerce par les pouvoirs publics. - Decisions obligatoires a l'egard de tiers. - Defaut. - Consequence. - Acte du conseil d'ad­ministration. - Recours en annulation. - Competence du Conseil d'Etat. - Lirnites.

Le Oonseil d'Etat, section d'administration, n'est pas competent pour statuer sur un recours en annulation dirige contre la decision du conseil d 'administration d 'une societe anonyme qui - fut-elle creee par une autorite administrative, soumise a un contr8le impor­tant eff ectue par les pouvoirs publics et investie d 'une mission d 'in­teret general - ne peut prendre des decisions obligatoires a l 'egard de tiers et, des lors, ne perd pas son caractere de droit prive.

ARR ET ( Traduction)

La Cour,

Ou'i Monsieur le conseiller Verougstraete en son rapport et sur les conclusions de Monsieur Dubrulle, avocat general ;

Vu l'arret attaque, rendu le 30 avril 1996 par le Conseil d'Etat, sec­tion d' administration ;

Sur le moyen, libelle comme suit : violation des articles 144, 145 de la Constitution coordonnee (92, 93 de la Constitution ancienne), 7 et 14 des lois sur le Conseil d'Etat coordonnees par l'arrete royal du 12 janvier

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1973, en ce que le Conseil d'Etat a rejete !'exception d'incompetence du Conseil d'Etat soulevee par les demandeurs dans leurs memoire en reponse et dernier memoire resumant les pieces precedentes et soumis regulierement au Conseil d'Etat, s'est declare competent pour connaitre du recours introduit par le defendeur et a ensuite annule la decision ren­due le 18 juillet 1989 nommant le second demandeur en cassation direc­teur, par les motifs suivants :

« que (la premiere demanderesse) a ete constituee par la S.A. G.I.M.V., qui realisait ainsi l'une de ses missions definies a !'article 5, § 2, de ses statuts, a savoir la promotion de !'initiative economique publique; que la S.A. G.I.M.V. a ete creee en vertu d'une loi, qu'elle execute une mis­sion d'interet general ; qu' elle est soumise au controle des pouvoirs publics ; que ces pouvoirs publics ont le dernier mot quant a sa survie ; que le fondateur de (la premiere demanderesse) est, des lors, une autorite administrative, que (la premiere demanderesse) a ete creee par une auto­rite administrative, a !'initiative du Gouvernement flamand ; qu'il peut etre infere des dispositions legislatives et statutaires ( ... ) que la S.A. Gimvindus accomplit des missions et poursuit des objectifs d'interet public ou general; que I' article 22, § 2, des statuts de la S.A. Gimvindus prevoit la nomination aupres de ladite societe d'un commissaire de l'Executif sur la proposition du Ministre communautaire qui a l'Econo­mie dans ses attributions, ainsi que d'un delegue des finances, sur la pro­position, du Ministre communautaire qui a les Finances et le Budget dans ses attributions : que le commissaire de l'Executif peut, dans les trois jours civils, suspendre toute decision qu'il juge contraire aux inte­rets de la Region flamande et la denoncer au ministre communautaire qui a l'Economie dans ses attributions : que, de meme, le delegue des Finances peut, dans le meme delai, suspendre et denoncer au ministre communautaire en charge des Finances toute decision a impact budge­taire ou financier pour la Region flamande qu'il juge contraire aux inte­rets precites; que, si dans les quinze jours de la notification faite, le ministre communautaire competent n' a pas statue, la decision devient executoire; qu'il resulte de ce qui precede que l'Executif flamand dis­pose d'un pouvoir de contrOle considerable : que, dans I' optique de I' ana­lyse qui vient d'etre faite, la S.A. Gimvindus doit etre consideree essen­tiellement comme une autorite administrative ; que ni le fait que la S.A. Gimvindus, pas plus d'ailleurs que la S.A. G.I.M.V., n'est soumise a la loi du 16 mars 1954 relative au controle de certains organismes d'interet public ( ... ), ni la circonstance accessoire qu'elle a pris la forme d'une societe commerciale, n'infirme cette conclusion ; que ne conduit pas davantage a une conclusion differente I' observation faite par (les deman­deurs) dans le dernier memoire, selon laquelle la S.A. Gimvindus n'est pas habilitee a imposer unilateralement des obligations contraignantes a

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des tiers ; que ce n' est pas parce que le Conseil d'Etat a utilise comme critere positif pour determiner la competence d'une personne morale le fait qu'un organe de celle-ci soit dote d'un pouvoir de decision unilate­ral, que I' absence de ce pouvoir de decision unilateral enleverait a cer­tains organes leur qualification d' autorite administrative ; que la plupart des operations par lesquelles la S.A. Gimvindus cherche a realiser son objet social, sont des operations qui s'apparentent a celles d'un holding; que de toute evidence de telles operations de droit prive ne tombent pas sous le pouvoir de controle du Conseil d'Etat, ce qui ne porte toutefois pas atteinte a la constatation que la S.A. Gimvindus reste essentielle­ment une autorite administrative ; que la decision attaquee, a savoir la nomination du directeur de la societe, done d'un organe de cette autorite administrative elle-meme, ne peut pas etre consideree comme un acte de droit prive, soustrait au controle de legalite du Conseil d'Etat; qu'il est vrai qu'un contrat de travail a ete conclu entre (la premiere demande­resse) et (le second demandeur) ; que, toutefois, la conclusion de ce contrat fut precedee d'une decision - distincte de ce contrat - du conseil d'administration de (la premiere demanderesse), de nommer (le second demandeur) en qualite de directeur de la premiere partie nom­mee ; que le Conseil d'Etat est competent pour connaftre de cette deci­sion, presentement attaquee ; que I' exception d'incompetence ne peut etre retenue »,

alors que, premiere branche, la premiere demanderesse est incompe­tente pour creer dans le commerce juridique directemen,t des obligations dans le chef d'u.ne ou de plusieurs personnes sur la seule base d'une declaration unilaterale de volonte, ce qui constitue une caracteristique necessaire de toute autorite administrative ; que le Conseil d'Etat ayant prealablement decide que cette competence fait defaut dans le chef de la premiere demanderesse, il aurait necessairement du constater ensuite que la premiere demanderesse ne constitue pas une autorite administra­tive et que sa, decision prise le 28 septembre 1989 ne constitue pas un acte juridique administratif susceptible d'etre annule, mais une simple declaration unilaterale de volonte faite par une autorite non administra­tive, d' ou il resulte que le Conseil est incompetent pour connaftre d'une demande d'annulation a l'egard de la decision prise le 18 juillet 1989 par le conseil d' administration de la premiere demanderesse et qu'une telle contestation ressortit au pouvoir judiciaire (violation des articles 144, 145 de la Constitution coordonnee, 7 et 14 des lois coordonnees sur le Conseil d'Etat) ;

et alors que, deuxieme branche, la seule constatation qu'une personne morale a ete creee en vertu d'une loi, qu' elle exerce une mission d'interet general et qu' elle est soumise au controle des pouvoirs pub lies n' a pas necessairement pour consequence qu'il y a lieu de qualifier cette per-

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sonne morale d' autorite administrative et qu' elle peut accomplir des actes juridiques administratifs susceptibles d'etre annules, d'ou il resulte que, sur la base de ces seules constatations, le Conseil d'Etat ne pouvait decider legalement que la premiere demanderesse constitue une autorite administrative pouvant accomplir des actes juridiques administratifs pour I' annulation desquels le Conseil d'Etat est competent (violation des articles 144, 145 de la Constitution coordonnee, 7 et 14 des lois coordon­nees sur le Conseil d'Etat) ;

et alors que, troisieme branche, au moment ou elle a pris la decision attaquee, la premiere demanderesse ne satisfaisait pas au critere organi­que sur la base duquel le Conseil d'Etat conclut que la nature d'une per­sonne morale est de droit public, la premiere demanderesse ayant la forme d'une societe de droit prive et n' ayant pas ete creee en vertu d'une loi OU d'un decret, d' OU il resulte que le Conseil d'Etat ne pouvait decider legalement que la premiere demanderesse constitue une personne morale de droit public dont les decisions sont susceptibles d'etre annu­Iees par le Conseil d'Etat (violation de toutes les dispositions visees au moyen) :

Quant a la premiere branche :

Attendu qu'aux termes de !'article 14 des lois coordonnees sur le Conseil d'Etat, le Conseil d'Etat statue sur les recours en annulation pour violation de formes soit substantielles, soit prescrites a peine de nullite, exces ou detournement de pouvoir, formes contre les actes et reglements des diverses autorites administratives OU contre les decisions contentieuses administratives ;

Que les institutions creees OU agreees par les pouvoirs publics fede­raux, les pouvoirs publics des communautes et regions, des provinces ou des communes, qui sont chargees d'un service public et ne font pas par­tie du pouvoir judiciaire ou Iegislatif, constituent en principe des auto­rites administratives, dans la mesure ou leur fonctionnement est deter­mine et controle par les pouvoirs publics et qu' elles peuvent prendre des decisions obligatoires a l'egard de tiers ;

Qu'une societe anonyme, fut-elle creee par une autorite administrative et soumise a un contr6le important de la part des pouvoirs publics, qui ne peut prendre des decisions obligatoires a I' egard de tiers, ne perd pas son caractere de droit prive; que le fait qu'une mission d'interet general lui est confiee est, a cet egard, denue de pertinence;

Attendu que la S.A. Gimvindus, denommee actuellement S.A. Domus Flandria, a ete creee le 16 fevrier 1989 par la S.A. Gewestelijke Investe­ringsmaatschappij voor Vlaanderen (GIMV), son unique actionnaire;

Qu'ainsi qu'il ressort de ses statuts, cette societe a pour objectif de contribuer, pour son compte ou en collaboration avec des tiers, a la crea-

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tion, a l' etablissement et au developpement d' entreprises ayant un inte­ret economique pour la Region flamande et vise egalement a stimuler, a planifier et a coordonner l' evolution favorable ulterieure des societes dans lesquelles elle detient une participation ;

Que le Conseil d'Etat decide que les pouvoirs publics flamands exer­cent un controle important sur la S.A. Gimvindus, mais admet que cette societe n'est pas habilitee a imposer unilateralement a des tiers des obli-

1 gations contraignantes;

Attendu que, des lors, le Conseil d'Etat ne decide pas Iegalement que la S.A. Gimvindus constitue une autorite administrative, ni qu'il etait competent pour statuer sur le recours introduit ;

Que le moyen, en cette branche, est fonde ;

Par ces motifs,

Casse l' arret attaque ;

Ordonne que le present arret sera transcrit dans le registre du Conseil d'Etat et qu'il en sera fait mention en marge de l'arret casse;

Condamne le defendeur aux depens ;

Renvoie la cause devant le Conseil d'Etat, section d'administration, autrement compose, qui se conformera a la decision de la Cour sur le point de droit juge par celle-ci.

N° 6737

Cour de cassation (1 re eh.) - 17 avril 1997

Sieg. : M. SACE, cons. F.F. pres., Mme CHARLIER, MM. VERHEYDEN, PARMENTIER et WAUTERS, cons., M. PIRET, av. gen.

Plaid. : MM08 HOUTEKIER, DE GRYSE, GERARD et SIMONT.

(Ohr. Mauzon c/ S.A. Titou, Franquin et crts)

Societes commerciales. - Generalites. - Acte de proce­dure accompli par un avocat. - Presomption de mandat regulier.

Sauf lorsque la loi exige un mandat special, l'avocat qui accomplit un acte de procedure dans lequel il declare agir au nom d 'une per­sonne morale dument identifiee est legalement presume avoir re9u a

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cette fin un mandat regulier d 'un organe competent de cette personne morale, sauf la preuve contraire par la partie qui conteste la regula­rite de ce mandat.

ARRET

La Cour,

Ou'i Monsieur le conseiller Parmentier en son rapport et sur les conclu­sions de Monsieur Piret, avocat general ;

Vu l'arret attaque, rendu le 26 septembre 1995 par la cour d'appel de Bruxelles;

Sur le premier moyen, pris de la violation de !'article 6, § ier, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertes fonda­mentales, signee a Rome le 4 novembre 1950, approuvee par la loi du 13 mai 1955,

en ce que I' arret a ete rendu par la neuvieme chambre de la cour d' ap­pel de Bruxelles, composee par le conseiller unique Dominique Rutsaert,

alors que le conseil de la premiere partie defenderesse, la s.a. Tifou, etait Me Antoine Braun, avocat a Bruxelles, qui a plaide la cause (et qui) etait allie au troisieme degre au conseiller Dominique Rutsaert; 'qu'il s' ensuit que l'impartialite du conseiller pouvait etre mise en cause ; que dans ces circonstances le demandeur n' a pas eu un proces equitable :

Attendu que le moyen soutient que I' arret a ete rendu par un magis­trat qui etait allie au troisieme degre au conseil de la premiere defende­resse;

Attendu qu'il ressort des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard que les relations d'alliance n'existaient plus au moment ou !'action origi­naire a ete formee ;

Attendu que, pour le surplus, de la circonstance que de telles relations avaient existe auparavant, il ne peut se deduire que ce magistrat n'etait pas en mesure de juger en la cause de maniere impartiale ou qu'un doute legitime existait quant a I' aptitude de la cour d' appel ainsi composee a juger la cause de maniere impartiale ;

Que le moyen ne peut etre accueilli ;

Sur le deuxieme moyen, pris de la violation des articles 440, deuxieme alinea, 703, troisieme et quatrieme alineas, du Code judiciaire,

en ce que I' arret de confirmation partielle re9oit les demandes a titre principal de la s.a. de droit suisse Tifou, ordonne la retractation de I' or­donnance rendue le 18 novembre 1991 par le juge des saisies et la Ievee de I' ensemble des mesures y contenues, et condamne le demandeur a payer 105.000 francs a la s.a. Tifou, 5.000.000 francs et un franc symbo-

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lique a la s.a. Odec Kid Cartoons, 508.800 francs a titre provisionnel avec reserves et un franc symbolique a la s.p.r.l. Van de Velde, aux motifs que le demandeur conteste la recevabilite de la tierce opposition formee par la s.a. Tifou, dont la decision n'aurait pas ete prise par l'or­gane competent ; qu'il fait remarquer qu'il y a peut-etre eu un change­ment d' administrateur en ce sens que Madame Clarien aurait peut-etre ete remplacee par Jean Dorsaz; qu'il souleve l'exception tiree du troi­sieme alinea de l' article 703 du Code judiciaire qui stipule que la partie contre qui est invoque un acte de procedure par une personne morale dont l'identite est suffisamment relatee par l'indication de sa denomina­tion, de sa nature juridique et de son siege social, est en droit d' exiger en tout etat de cause que la personne morale lui indique l'identite des personnes physiques qui sont ses organes ; que le quatrieme alinea de l' article 703 precise qu'il pourra etre sursis au jugement de la cause tant qu'il n' aura pas ete satisfait a cette demande ; qu'il appartient au juge d'apprecier s'il y a lieu ou non de surseoir au jugement de la cause; que le juge n' est nullement tenu de surseoir a statuer comme il ressort du te~te 'il pourra etre sursis' et ce d' autant plus que le proj et initial de l' article 703, alinea 4, prevoyait « qu'il sera sursis », projet qui fut modi­fie par la suite ; qu' ainsi le Iegislateur a voulu empecher que la cause soit inutilement trafnee en longueur ; que le demandeur ne fait pas etat d' ele­ments qui pourraient faire douter serieusement de la competence de l' or­gane de la s.a. Tifou qui a decide de faire opposition; qu'un changement d' administrateur n' a rien d' exceptionnel dans la vie d'une societe ano­nyme; qu'a bon droit la s.a. Tifou invoque l'article 440, alinea 2, du Code judiciaire, qui porte que « l'avocat comparaft comme fonde de pou­voirs sans avoir a justifier d' aucune procuration, sauf lorsque la loi exige un mandat special»; que l'avocat est ainsi en principe presume avoir re~m un mandat regulier d'un organe competent, lorsqu'il accomplit un acte de procedure au nom d'une personne morale ; que cette presomp­tion n' est pas irrefragable ; que la charge de la preuve incombe au demandeur qui conteste la regularite de la decision de former une tierce opposition ; que le demandeur n' etablit nullement que sa contestation est fondee et que la presomption tiree de l'article 440, alinea 2, du Code judiciaire est renversee; que I' exception tiree de l'article 703, alineas 3 et 4 du Code judiciaire, doit etre rejetee comme non fondee,

alors que, premiere branche, le demandeur soutenait expressement dans ses conclusions d'appel du 15 mai 1995 que dans le courant de la procedure, suite a des communications de pieces emanant de la s. a. Tifou, le demandeur avait constate que ces pieces etaient signees par une personne qui n' avait jusqu' a present pas eu la qualite d' administrateur de la s.a. Tifou; qu'eu egard a cette circonstance, il appartenait alas.a. Tifou d'etablir que ses organes, c'est-a-dire soit Madame Clavien, l'admi-

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nistrateur qui avait toujours signe tous les documents engageant la societe, soit Monsieur Jean Dorsaz, peut-etre bien nomme comme admi­nistrateur depuis lors, ont bien pris la decision de former la tierce-oppo­sition ; que, comme les societes n' agissent valablement en justice que representees par leurs organes, le demandeur ·a un interet legitime a connai'tre l'identite exacte de la personne qui avait la qualite d' organe au moment ou la decision d'introduire I' action litigieuse a ete prise ; que cet interet etait specialement fonde sur les documents signes par des per­sonnes differentes produits par la s.a. Tifou; que ni le fait que le deman­deur n' etait pas exactement au courant des changements eventuels intervenus a la societe Tifou ni le fait que le juge n' est pas tenu a sur­seoir a statuer, n'elimine l'interet ni le droit qu'a le demandeur a etre renseigne sur l'identite de I' organe qui a pris la decision d'introduire I' ac­tion en justice litigieuse; qu'il s'ensuit que l'arret rejette a tort !'excep­tion d'irrecevabilite invoquee de ce chef par le demandeur (violation de !'article 703, alineas 3 et 4, du Code judiciaire) ;

seconde branche, la regle que l'avocat comparai't comme fonde de pou­voir sans avoir a justifier d' aucune procuration, sauf lorsque la loi exige un mandat special, est etrangere a la question de la representation regu­liere de la societe par ses organes ; que cette regle n' empeche pas le demandeur, malgre la comparution de la s.a. Tifou par son conseil, de demander l'identite de l'organe de la societe qui a pris la decision d'in­troduire !'action litigieuse (violation des articles 440, alinea 2, et 773, ali­neas 3 et 4, du Code judiciaire)

Sur I' ensemble du moyen :

Attendu qu'aux termes de !'article 440, alinea 2, du Code judiciaire, l'avocat comparai't comme fonde de pouvoirs, sans avoir a justifier d'au­cune procuration, sauf lorsque la loi exige un mandat special ; que, ce cas excepte, l'avocat qui, devant une juridiction de l'Ordre judiciaire, accomplit un acte de procedure et qui se borne dans cet acte a declarer agir au nom d'une personne morale dument identifiee par !'indication de sa denomination, de sa nature juridique et de son siege social est Iegale­ment presume avoir re,;m a cette fin un mandat regulier d'un organe competent de cette personne morale ;

Attendu que cette presomption n' est pas irrefragable ; qu'il est permis a une partie d' affirmer que la decision d' accomplir un acte de procedure n' a pas ete approuvee par les organes de la personne morale et n' emane pas de celle-ci, mais que la charge de la preuve incombe a la partie qui emet cette contestation ;

Attendu que, certes, a cet egard, suivant !'article 703, alineas 3 et 4, du Code judiciaire, la partie contre laquelle est invoque un acte de pro­cedure accompli au nom d'une personne morale est en droit d'exiger, en

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tout etat de cause, que celle-ci lui indique l'identite des personnes qui sont ses organes lorsque cette identite n' est pas mentionnee dans l' acte, et il pourra etre sursis au jugement de la cause tant qu'il n' aura pas ete satisfait a cette demande; que, toutefois, cette regle n'a ete prevue par le legislateur que dans l'interet d'une information legitime de ladite par­tie, a titre de renseignement, et que le defaut de cette indication ne peut suffire a lui seul a etablir que l' acte ainsi accompli au nom de la per­sonne morale n' a pas ete autorise par celle-ci ;

Attendu que l' arret releve que le demandeur et les quatrieme et cin­quieme defendeurs (( ne font pas etat d' elements qui pourraient faire douter serieusement de la competence de l' organe de la (premiere defen­deresse) qui a decide de faire opposition » et « que la charge de la preuve incombe (aces parties) qui contestent la regularite de la decision de for­mer une tierce opposition dans le chef de la (premiere defenderesse) ; ( qu' elles) n' etablissent nullement que leur contestation est fondee et que la presomption tiree de l'article 440, alinea 2, du Code judiciaire est ren­versee »;

Qu' ainsi l' arret justifie legalement sa decision de rej eter l' exception que le demandeur deduisait de l' article 703 du Code judiciaire ;

Que le moyen, en ses deux branches, ne peut etre accueilli;

Sur le troisieme moyen, pris de la violation des articles 2, § I6r, de la Convention revisee pour la protection des amvres litteraires et artisti­ques, signee a Berne le 9 septembre 1886, approuvee par les lois des 26 juin 1951 et 26 septembre 1974, 2, § 1 er, de la Convention universelle sur le droit d' auteur et Protocoles annexes, signes a Geneve le 6 sep­tembre 1952, approuvee par la loi du 20 avril 1960, 1 er de la loi du 22 mars 1886 sur le droit d'auteur, 88, § 3, de la loi du 30 juin 1994 rela­tive au droit d'auteur et aux droits voisins, et 1481 du Code judiciaire,

en ce que l' arret de confirmation partielle dit que la demande origi­naire en saisie-contrefa9on est irrecevable dans le chef du demandeur, re9oit les demandes a titre principal de la s.a. Tifou et de la s.a. Odec, ordonne la retractation de l'ordonnance rendue le 18 novembre 1991 par le juge des saisies et la levee de l' ensemble. des mesures y contenues, et condamne le demandeur a payer 105.000 francs alas.a. Tifou, 5.000.000 francs et un franc symbolique a la s.a. Odec Kid Cartoons, 508.000 francs a titre provisionnel avec reserves et un franc symbolique a la s.p.r.l. Van de Velde aux motifs que c'est a tort que le demandeur se declare encore titulaire des droits d' auteur des films Tifou, alors qu'il n' a ete que mandataire de la s.a. Tifou agissant qualitate qua; que meme si l' on admettait que le demandeur aurait eu l'idee des personnages Tifous ou se serait comporte comme le producteur de la serie des dessins animes, il echet de relever qu'une simple idee n'est pas protegeable,

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qu'une reuvre n' existe que si elle a ete formee, c' est-a-dire coulee dans une forme particuliere, et que le producteur n' est investi d' aucun droit d'auteur, sauf cession explicite - quod non; que dans ces circonstances, le demandeur n'avait pas au moment du depot de la requete en saisie­contrefa9on le 12 novembre 1991 la qualite de titulaire des droits d'au­teur comme le veut !'article 1481 du Code judiciaire; que la demande originaire en saisie-contrefa9on est des lors irrecevable dans le chef du demandeur,

alors que, premiere branche, le demandeur n'avait pas seulement eu l'idee des personnages Tifous et avait invente leur nom, mais que ses idees concernant les personnages Tifous avaient egalement ete realisees et le nom employe d' abord dans la serie de marionnettes, puis dans une serie de dessins animes, dont le graphisme fut realise par Andre Fran­quin ; qu'il s' ensuit que le demandeur a ainsi, par la collaboration a cette reuvre artistique, acquis des droits d' auteur sur la serie des dessins animes reproduisant les personnages Tifous (violation des articles 1 er de la loi du 22 mars 1886, 88, § 3, de la loi du 30 juin 1994, 2, § 1 er, de la Convention revisee a Berne du 9 septembre 1886 et 2, § 1 er, de la Convention universelle de Geneve du 6 septembre 1952);

seconde branche, le producteur de dessins animes, dont I' activite n' est pas simplement technique, peut egalement ainsi acquerir des droits d'au­teur sur la production realisee ; que I' arret ne constate pas que I' activite du demandeur en ce qui concerne la realisation de dessins animes Tifous etait purement technique; qu'il s'ensuit que le demandeur, par sa colla­boration a cette reuvre, peut invoquer la protection de la legislation sur les droits d'auteur (violation des articles ier de la loi du 22 mars 1886, 88, § 3, de la loi du 30 juin 1994, 2, § ier, de la Convention revisee de Berne du 9 septembre 1886 et 2, § ier, de la Convention universelle de Geneve du 6 septembre 1952) ; qu'il s'ensuit que l'arret decide a tort que I' action en saisie-contrefa9on etait irrecevable dans le chef du deman­deur (violation de !'article 1481 du Code judiciaire) :

Quant a la premiere branche :

Sur la fin de non-recevoir opposee par les premiere et sixieme defende­resses et deduite de ce que le moyen, en cette branche, est melange de fait et de droit :

Attendu que le moyen, en cette branche, repose sur I' affirmation que le demandeur a eu « l'idee des personnages Tifous », que ses idees ont ete realisees et qu'il a collabore a I' reuvre artistique ;

Que l'examen du moyen obligerait la Cour a verifier des elements de fait, ce qui n' est pas en son pouvoir ;

Que la fin de non-recevoir est fondee;

Quant a la seconde branche :

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Sur la fin de non-recevoir opposee par les premiere et sixieme defende­resses et deduite de ce que le moyen, en cette branche, est melange de fait et de droit :

Attendu que le moyen, en cette branche, repose sur l' affirmation que le role du demandeur dans la realisation des dessins animes « Tifous » n' a pas ete simplement technique ;

Que l'examen d'un tel moyen obligerait la Cour a verifier des elements de fait, ce qui n'est pas en son pouvoir;

Que la fin de non-recevoir est fondee;

Sur le quatrieme moyen, pris de la violation des articles 2, § 1 er, de la Convention revisee pour la protection des reuvres litteraires et artisti­ques, signee a Berne le 9 septembre 1886, approuvee par les lois du 26 juin 1951 et 26 septembre 1974, 2, § 1 er, de la Convention universelle sur le droit d' auteur et Protocoles annexes, signes a Geneve le 6 sep­tembre 1952, approuves par la loi du 20 avril 1960, 149 de la Constitu­tion coordonnee de 1994, 1184 du Code civil, 1138, 3°, du Code judi­ciaire, 1 er de la loi du 22 roars 1886 sur le droit d'auteur, 88, § 3, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d' auteur et aux droits voisins, et 546 du Code des obligations suisse, et du principe general du droit de l' exception d'inexecution,

en ce que l' arret de reformation partielle re9oit les demandes a titre principal des s.a. Tifou et Odec, ordonne la retractation de l'ordonnance rendue le 18 novembre 1991 par le juge des saisies et la levee de !'en­semble des mesures y contenues, et condamne le demandeur a payer 105.000 francs a la s.a. Tifou, 5.000.000 francs et un franc symbolique a la s.a. Odec Kid Cartoons, 508.800 francs a titre provisionnel avec reserves et un franc symbolique a la s.p.r.l. Van de Velde, aux motifs que la demande en saisie-contrefa9on n' est pas fondee dans le chef d' Andre Franquin ; que les demandeurs invoquent des retards dans !'execution de la serie ainsi que le non-respect par la s.a. Tifou de ses engagements financiers a l'egard de la s.a. Odec chargee de la realisa­tion; que la s.a. Tifou et la s.a. Odec contestent le bien-fonde de ces reproches ; qu' elles attribuent le retard au fait qu' Andre Franquin tarda lui-meme a remettre les graphiques ; qu' en tout etat de cause, les deux reproches mentionnes ci-dessus sont etrangers au grief de contrefa9on et ne peuvent des lors en principe justifier la saisie-contrefa9on ; que les demandeurs reprochent encore a la s.a. Tifou et a la s.a. Odec d' avoir poursuivi la production des episodes de la serie « Tifous », alors qu'il avaient «retire» leurs droits depuis juin 1991 ; que cependant, les conventions entre les auteurs et la s.a. Tifou forment la loi des parties; qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une resolution amiable ni judiciaire conformement a l' article 1184 du Code civil, qu'il ne suffit pas aux

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demandeurs d' ecrire de mamere unilaterale qu'ils « reprennent leurs droits »,pour mettre fin aux conventions qu'ils ont signees; que c'est des lors a tort que les demandeurs soutiennent que la jouissance de leurs droits sur les personnages Tifous aurait ete concedee jusqu' au 19 juin 1991, date de la lettre du retrait unilateral; que l'article 3 de la conven­tion du 14 juin 1990 stipule que la cession est faite pour la duree maxi­male de la protection Iegale possible ; que les demandeurs reprochent egalement a la s.a. Odec d'avoir continue la fabrication de la serie sans le controle et l' accord necessaires des auteurs-createurs ; que cependant Andre Franquin a jusqu'au dernier episode (le n° 78) fourni a la s.a. Odec tous les modeles-:bases ainsi que les dessins supplementaires; que la s.a. Odec a ecrit a Andre Franquin que les episodes deja realises etaient a sa disposition pour le controle ; qu' Andre Franquin reconnaft en conclusions d' appel avoir re~m cette lettre ; que c' est des lors a bon droit que le premier juge reproche a Andre Franquin de ne pas avoir exerce le droit de controle prevu a la convention et non conteste par la s.a. Tifou et la s.a. Odec; que c'est a tort que les demandeurs soutien­nent que les defenderesses auraient modi fie le generique prevu ; qu' en effet, par lettre recommandee du 26 aout 1990, Andre Franquin a informe la s.a. Tifou qu'il ne tolerait plus aucune utilisation de son nom en relation avec cette serie jusqu' a ce qu'un accord intervienne ; que, dans ces circonstances, la demande en saisie-contrefa9on n'etait pas fon­dee dans le chef d' Andre Franquin,

alors que, premiere branche, la demande en saisie-description etait egalement faite au nom du demandeur et que l' arret ne s' est pas pro­nonce sur le bien-fonde de cette demande; que l'arret a done omis de se prononcer sur l'un des chefs de la demande (violation de l'article 1138, 3 °, du Code judiciaire) ;

deuxieme branche, le demandeur soutenait expressement dans ses conclusions d'appel que la s.a. Tifou n'etait titulaire des droits d'auteur relatifs a la realisation de la serie de dessins animes de 78 episodes des Tifous que dans la mesure ou le demandeur lui avait apporte en tant qu' associe ses propres droits d' auteur sur les personnages Tifous et dans la mesure ou Andre Franquin avait accepte de collaborer en tant qu'au­teur, a la realisation querellee; qu'en effet la s.a. Tifou, personne morale de droit prive, n'a pas elle-meme cree les Tifous et ne detient certains droits que parce que le demandeur est l'un des associes ; que dans ces conditions, le contrat de societe existant entre Jean Dorsaz et le deman­deur n'ayant pas ete execute de maniere correcte par Jean Dorsaz, le demandeur declara reprendre ses droits conformement au droit suisse et en avisa la s.a. Tifou; que cette mise en demeure, faite par les lettres des 21 et 24 juin 1991, n'entrafna aucune reaction de la part de la s.a. Tifou ; que l' arret n' a pas repondu a suffisance de droit a cette defense

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circonstanciee et n' est done pas regulierement motive (violation de I' ar­ticle 149 de la Constitution coordonnee de 1994) ;

troisieme branche, !'article 546 du Code des obligations suisse, dont le demandeur avait dans la lettre du 21 juin 1991 expressement invoque I' application, prevoit que la societe existant entre le demandeur et les sieurs Lehmann et Dorsaz prenait fin a I' expiration du delai legal de six mois a compter de l'avertissement donne le 19 decembre 1990 par le demandeur; qu'il s'ensuit que, dans le cadre de la societe dissoute, le demandeur pouvait des lors reprendre avec effet au 19 juin 1991 tous ses droits d'auteur et autres droits de la propriete intellectuelle, en tant que createur et producteur des Tifous, et dont il avait accorde la jouissance a la s.a. Tifou a titre d'apport dans la societe; que l'arret, en refusant de tenir compte de ce retrait, meconnai:t ainsi !'article 546 precite (viola­tion de !'article 546 du Code des obligations suisse);

quatrieme branche, le demandeur, qui avait signale a la defenderesse qu'il reprenait ses droits, en lui faisant defense de continuer la produc­tion parce que la defenderesse n'avait pas correctement execute ses obli­gations, invoquait ainsi !'exception d'inexecution et etait en droit de suspendre I' execution de ses obligations sans que les conventions, conclues entre parties, aient fait l'objet d'une resolution amiable ou judi­ciaire ; que I' exception d'inexecution peut en effet etre invoquee sans procedure judiciaire (violation de !'article 1184 du Code civil et du prin­cipe general du droit de I' exception d'inexecution) ;

cinquieme branche, la confection des dessins animes reproduisant les personnages Tifous, apres que I' autorisation donnee par les auteurs de ces personnages avait ete retiree, est une contrefa9on de ces person­nages ; qu'il s' ensuit que I' arret considere a tort I' action en saisie-des­cription des demandeurs comme non justifiee (violation des articles 2, § 1 er, de la Convention revisee de Berne du 9 septembre 1886, 2, § ier, de la Convention universelle de Geneve du 6 septembre 1952, 1 er de la loi du 22 mars 1886 et 88, § 3, de la loi du 30 juin 1994) :

Quant a la premiere branche :

Attendu que l'arret declare irrecevable la demande en saisie-contrefa-9on formee par le demandeur; que, des lors, le grief fait a la cour d'appel de ne pas s'etre prononcee sur le fondement de cette demande est sans interet;

Que le moyen, en cette branche, est irrecevable ;

Quant a la deuxieme et a la troisieme branche :

Attendu que I' arret constate que « l'idee des trois personnages 'Tifous', revient a Jean-Luc Lehman et date de 1987; que celui-ci prit contact avec (le demandeur) qui connaissait (le quatrieme defendeur); que ce dernier accepta de faire le graphisme des 'Tifous' ; ( ... ) que, le

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23 decembre 1988, Lehman, Mauron et Dorsaz constituerent la societe anonyme Tifou ; ( ... ) qu' en vue d'une exploitation nouvelle des person­nages Tifous sous forme d'une serie televisee de dessins animes et d'autres formes derivees d'exploitation fut conclue le 14 juin 1990 'la convention de regie artistique et de cession de droits d' auteur entre la s.a. Tifou et la s.a. Franquin' ; que dans cette convention la s.a. Fran­quin ( ... ) a cede alas.a. Tifou !'ensemble des droits patrimoniaux ( ... ) »;

Que l' arret constate egalement que le demandeur « n' a ete que manda­taire de la societe anonyme Tifou agissant qualitate qua » ;

Attendu que sur la base de ces constatations, qui repondent aux conclusions invoquees dans la deuxieme branche, la cour d' appel a pu Iegalement decider que le demandeur n' etait pas titulaire de droits d' au­teur;

Qu' en aucune de ces branches, le moyen ne peut etre accueilli ;

Quant a la quatrieme branche :

Attendu que dans ses conclusions le demandeur s' est borne a faire valoir que la premiere defenderesse n' avait pas correctement execute ses obligations, sans en tirer de consequences juridiques et notamment sans lui opposer I' exception d'inexecution ;

Que le moyen, en cette branche, est nouveau et, partant, irrecevable ;

Quant a la cinquieme branche ;

Attendu que I' arret considere que la cinquieme defenderesse « a cede a la (premiere defenderesse) I' ensemble des droits patrimoniaux d'auteur resultant de I' execution de son travail, ( ... ) qu' a defaut d'un jugement definitif pronon9ant la resolution de la cession des droits d'auteur, la declaration unilaterale d' Andre Franquin et de Christian Mauron de reprise des droits d'auteur ne peut avoir quelque effet juridique »et« que les conventions entre les auteurs et la s.a. Tifou forment la loi des par­ties; qu'elles n'ont fait l'objet d'une resolution ni amiable ni judiciaire conformement a I' article 1184 du Code civil; qu'il ne suffit pas aux (demandeur et quatrieme defendeur) d'ecrire de maniere unilaterale qu'ils reprennent leurs droits, pour mettre fin aux conventions qu'ils ont signees »;

Attendu que, sur la base de ces considerations, la cour d' appel a decide legalement que I' action en saisie-contrefa9on du demandeur etait irrecevable ;

Que le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli ;

Sur le cinquieme moyen, pris de la violation des articles 1382 et 1383 du Code civil,

en ce que I' arret de confirmation partielle condamne le demandeur a payer 105.000 francs a la s.a. Tifou, 5.000.000 francs et un franc symbo-

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lique a la s.a. Odec Kid Cartoons, 508.800 francs a titre provisionnel avec reserves, et un franc symbolique a la s.p.r.l. Van de Velde, aux motifs que la saisie-contrefa9on pratiquee a la requete du demandeur a un caractere temeraire et vexatoire ; que la faute du demandeur en tant que partie saisissante sur requete unilaterale est d'avoir informe le juge des saisies de maniere tendancieuse, inexacte et incomplete, mettant tous les torts a charge de la s.a. Tifou et de la s.a. Odec, alors qu'il n'y a pas d' apparence que ces dernieres auraient COlis quelque manquement concernant I' exercice du droit de controle par Andre Franquin, motif principal invoque par les demandeurs Andre Franquin, la s.a. Franquin et Cie et Christian Mauron, pour justifier l' obtention de la saisie-descrip­tion ; qu' en outre, la saisie-contrefa9on etait abusive parce que causant un prejudice important aux parties saisies tout en etant denuee d'un interet suffisant pour les demandeurs ; qu' a cote de cela le maintien des mesures connexes, a savoir !'interdiction de se dessaisir des episodes Tifous et d'en confectionner des nouveaux, n'etait pas justifie; que, dans ces circonstances, le caractere abusif, temeraire et vexatoire de la saisie-contrefa9on est etabli,

alors que I' arret decide a tort que les dessins animes representant les personnages Tifous n'etaient pas contrefaits, qu'il s'ensuit que la deci­sion critiquee, d' apres laquelle I' action en saisie-description etait teme­raire et vexatoire, n'est pas legalement justifiee; qu'il n'est pas non plus legalement demontre que la saisie-description aurait ete abusive ni que les mesures connexes n' etaient pas justifiees ; qu' en effet les fautes rete­nues par l' arret dans le chef du demandeur ne sont pas demontrees a suf­fisance de droit : que I' arret viole ainsi les dispositions visees au moyen :

Attendu que, d'une part, il ressort de la reponse a la cinquieme branche du quatrieme moyen que I' arret decide Iegalement que I' action en saisie-contrefa9on du demandeur est irrecevable ;

Attendu que, d' autre part, I' arret considere que « la faute des ( deman­deur et quatrieme et cinquieme defendeurs) en tant que partie saisis­sante sur requete unilaterale est d' avoir informe le juge des saisies de maniere tendancieuse, inexacte et incomplete, mettant tous les torts a charge de la s.a. Tifou et de la s.a. Odec, alors qu'il n'y a pas d' appa­rence que ces dernieres auraient commis quelque manquement concer­nant I' exercice du droit de controle par Andre Franquin, motif principal invoque par ( eux) pour justifier l' obtention de la saisie-contrefa9on ; qu' en outre, la saisie-contrefa9on etait abusive parce que causant un prejudice important aux parties saisies, tout en etant denuee d'un inte­ret suffisant pour ( eux) ; qu' a cote de cela le maintien des mesures connexes, a savoir !'interdiction de se dessaisir des episodes Tifous et d' en confectionner des nouveaux, n' etait pas justifie » ;

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Que sur la base de ces considerations I' arret justifie Iegalement sa decision que la saisie-contrefa9on pratiquee par le demandeur revetait un caractere temeraire et vexatoire ;

Que le moyen ne peut etre accueilli ;

Sur le sixieme moyen, pris de la violation des articles 17, 18 et 1122 du Code judiciaire,

en ce que I' arret de confirmation partielle dit la demande du deman­deur en declaration d' arret commun introduite contre la Banque canto­nale du Valais irrecevable aux motifs que cette demande a pour objet de rendre le present arret sur la demande principale opposable a la ban­que, c' est-a-dire a lui conferer I' autorite de la chose jugee ; que cela n' a de sens qu' a I' egard d'un tiers dont les droits pourraient etre Ieses et qui pourrait dans la suite faire tierce opposition ; que le seul interet du demandeur est d' empecher la Banque cantonale du V alais a former ulterieurement une tierce opposition; que cependant une tierce-opposi­tion de la Banque cantonale du V alais au present arret ne peut etre accueillie conformement a !'article 1122, alinea ier, du Code judiciaire pour le motif que le present arret ne prejudicie aux droits ni de la Ban­que cantonale du Valais ni de la s.a. Tifou; qu'en effet, le present arret en confirmant la retractation de I' ordonnance qui autorisait la saisie­contrefa9on et en accordant les dommages-interets revendiques donne entierement satisfaction aux demandes de la s.a. Tifou; que, des lors, la Banque cantonale du V alais n' a aucun interet a former ulterieure­ment une tierce opposition ; qu' en consequence, le demandeur n' a pas d'interet a faire declarer le present arret commun et opposable a la Banque cantonale du Valais ; qu'une possibilite d'interet au cas ou la cour d' appel aurait pu reformer le premier juge ne suffit pas pour rece­voir une demande; qu'en effet, l'interet doit etre ne et actuel (articles 17 et 18 du Code judiciaire) ; que, dans ces circonstances, la demande en declaration d'arret commun doit etre rejetee comme irrece­vable,

alors que, premiere branche, il ressort des moyens precedents que l'ordonnance du 18 novembre 1991 autorisant la saisie~description a ete retractee a tort par l'arret; qu'il s'ensuit que le demandeur a ainsi un interet ne et actuel pour demander que I' arret litigieux soit declare commun a la Banque cantonale du V alais (violation des articles 17 , et 18 du Code judiciaire) ; qu'en effet cette banque, par les interets qu'elle a acquis dans la s.a. Tifou, pourrait faire tierce opposition contre cette decision (violation des articles 17, 18 et 1122 du Code judiciaire) ;

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seconde branche, la possibilite d'interet, au cas ou la cour d'appel aurait pu reformer la decision du premier juge, constitue dans le chef du demandeur un interet suffisant, ne et actuel, pour demander que l'arret soit declare commun a la Banque cantonale du V alais ; qu' en effet, la possibilite d'une reformation suffit pour rendre l'interet ne et actuel pour une declaration d'arret commun (violation des articles 17, 18 et 1122 du Code judiciaire) :

Quant a la premiere branche

Attendu que le moyen, en cette branche, repose sur I' affirmation que I' arret confirme a tort la decision du premier juge retractant I' ordon­nance du 18 novembre 1991;

Qu'il ressort des reponses aux troisieme, quatrieme et cinquieme moyens que cette decision de l' arret est Iegalement justifiee ;

Quant a la seconde branche :

Attendu que la demande en declaration d' arret commun formee par le demandeur est irrecevable lorsqu'il n'apparait pas que celui-ci ait interet a faire declarer l'arret commun a la partie appelee en interven­tion;

Attendu que I' arret constate que le demandeur a forme contre la sixieme defenderesse une demande en declaration d' arret commun ; qu'il la rejette par les motifs « que le seul interet ( ... ) est d' empecher la Ban­que cantonale du V alais (de) former ulterieurement une tierce opposition ( ... ) ; que cependant une tierce opposition de la Banque cantonale du V alais au present arret ne peut etre accueillie ( ... ) pour le motif que le present arret ne prejudicie pas aux droits ni de la Banque cantonale du Valais ni de la s.a. Tifou; qu'en effet, le present arret, en confirmant la retractation de I' ordonnance qui autorisait la saisie-contrefa9on et en accordant les dommages-interets revendiques, donne entierement satis­faction aux demandes de la s.a. Tifou; que, des lors, la Banque canto­nale du V alais n' a aucun interet a former ulterieurement une tierce opposition » ;

Attendu que I' arret justifie ainsi legalement sa decision de declarer non fondee la demande en declaration d' arret commun dirigee contre la sixieme defenderesse ;

,Que le moyen, en ses deux branches, ne peut etre accueilli ;

Par ces motifs,

Rej ette le pourvoi ;

Oondamne le demandeur aux depens.

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N° 6738

Cour d'appel de Liege (7e eh.) - 16 mai 1997

Sieg. : MM. DISKEUVE, pres., DE FRANCQUEN et LrnoT, cons.

Plaid. : MMes COMPERE, DA VREUX, P APEIANS DE MoRCHOVEN loco MIL­LER ET HoNNAY.

(Lecomte e.a. c/ synerfi e.a.)

Societe anonyme. - Option d'achat. - Mandataire. -Porte-Fort. - Moyen de Preuve. - Designation d'un sequestre. - Degre d 'urgence.

U ne apparence de droit f ondee sur des presomptions precises et concordantes, justifie l'urgence d'une situation d'attente, necessaire a la sauvegarde d 'interets litigieux.

Si des parts ont ete bloquees entre les mains d 'un sequestre, le «gel» de dividendes doit egalement etre ordonne pour eviter l'appau­vrissement artificiel des patrimoines concernes.

ARR ET

Vu l'appel incident et la demande nouvelle que les intimes Couvreur, Delloye et Synerfi forment par conclusions du 9 avril 1997 ;

ANTECEDENTS

1. - Le litige tient a l'exercice par Andre Oouvreur, Emmanuel Del­loye et la sa Synerfi le 3 octobre 1996 d'une option d' achat portant sur l'integralite des actions representatives du capital des societes anonymes Fonderies Lecomte et Lecomte Industries, consentie aux deux premiers le 5 juillet 1996 pour une duree de trois mois par Jean-Marie Lecomte agissant tant personnellement qu' en qualite de porte fort de I' ensemble des autres actionnaires des deux societes.

2. - La difficulte provient de ce que les trois premiers intimes n'ont pu produire qu'une simple photocopie de la convention du 5 juillet 1996, !'original dont ils d'isposaient ayant disparu dans des conditions particu­lieres : les intimes accusent en effet le premier appelant d'avoir derobe

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le document litigieux dans la serviettte oubliee par le premier d' entre eux sur le parking. des Fonderies Lecomte.

3. - Cette version est formellement contestee par le premier appe­lant qui tout en reconnaissant l' existence de pourparlers serieux ayant eu pour objet la cession des actions des deux societes qualifie de faux grossier la piece qui fonde les pretentions de Delloye, Couvreur et Synerfi.

4. - Ceux-ci ont postule et obtenu du president du tribunal de com­merce de Namur siegeant en ref ere qu'il soit fait interdiction aux appe­lants de se dessaisir des actions des deux societes et que soit ordonne le depot entre les mains d'un sequestre de l' ensemble des titres litigieux pendant toute la duree de la procedure au fond relative a la propriete des actions.

5. - L' ordonnance rendue le 27 novembre 1996 a ete executee et les titres ont ete deposes en mains du sequestre B. Hoe.

6. - Les trois premiers intimes qui redoutent que « (les appelants) n'enlevent a Fonderies Lecomte et Lecomte Industries toute valeur, en decidant, par exemple, la distribution d'un dividende exceptionnel » (conclusions p. 25, pt VIII) postulent que soit ordonne le depot des divi­dendes produits par ces actions entre les mains du sequestre ; tel est l'objet de l'appel incident qu'ils ont introduit.

7. - Ils demandent egalement que le sequestre soit autorise ((a se faire remettre par les dirigeants de Fonderies Lecomte et Lecomte Industries tout document de nature d'une part, a determiner le montant des parts anciennement detenues par chacun des appelants et, d' autre part, l'identite des actionnaires actuels de Fonderies Lecomte et Lecomte Industries » ;

8. - Jean-Marie Lecomte s'est constitue partie civile le 4 novembre 1996 entre les mains du juge d'instruction du tribunal de premiere ins­tance de Namur et a depose plainte contre Emmanuel Delloye, Andre Couvreur et Pierre Robin ( directeur de Synerfi) des chefs de faux, usage de faux et tentative d' escroquerie.

9. - Les appelants postulent qu'il leur soit donne acte de ce qu'ils se reservent de solliciter reparation du prejudice qu'ils ont subi en raison de l' execution de l' ordonnance dont ils postulent la reformation.

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DISCUSSION

Sur le declinatoire de competence

Attendu que le declinatoire de competence souleve par les appelants en instance etait irrecevable pour avoir ete propose apres !'exception d'irrecevabilite (violation de !'article 855 du code judiciaire) ;

que de toutes fa9ons, la question a perdu tout interet en raison de I' application de I' article 643 du code judiciaire ;

Quant a I' exception d'irrecevabilite

Attendu que les appelants concluent a bon droit au rejet de !'action introduite par Synerfi qui n' est pas partie a la convention litigieuse ;

que la convention intervenue le 3 octobre 1996 entre Andre Couvreur, Emmanuel Delloye et Synerfi n'a pas ete notifiee a Jean-Marie Lecomte ; qu' elle n' est des lors pas opposable aux appelants ;

Attendu que suivant les termes memes de la convention invoquee par Andre Couvreur et Emmanuel Delloye, ceux-ci declarent agir conjointe­ment « au nom et pour le compte d'une societe NEWCO a constituer » ;

qu'a ce jour, cette societe n'est pas constituee ; que !'argument d'irre­cevabilite qu' en tirent les appelants n' est pas fonde ; qu' aussi longtemps que les engagements ne sont pas repris ou que la societe n'est pas consti­tuee dans les delais determines par I' article I3bis des lois coordonnees sur les societes commerciales, le promoteur est creancier sous condition resolutoire de la reprise des engagements par la societe, ce qui lui permet de faire valoir ses droits pendant la periode d'incertitude (S. GILCART, note sous Mons 29.11.1993, R.D.O.' 1995, pp. 156 a 159 : E. POTTIER, note sous Pres. Com. Bruxelles, 26 janvier 1990, R.D.O. 1991, pp. 52 et s.; Rep. not., tome XII, Livre III, n° 23; v. eglt VAN 0MMESLAGHE et Drnux, chronique, R.C.J.B., 1992, n° 37, p. 661);

que I' action introduite par A. Couvreur et E. Delloye est done rece­vable;

Sur l'urgence

Attendu que le premier juge a considere a bon droit et par de justes motifs que la cour s' approprie que la condition d'urgence prevue par I' article 584 du code judiciaire etait remplie ;

que l'urgence existe toujours en degre d'appel nonobstant !'introduc­tion de I' action au fond par les trois premiers in times par. citations des 26, 27 decembre 1996 et 14 janvier 1997 ;

que la cession par les membres de la famille Lecomte des actions qu'ils detiennent dans les deux societes qu'ils controlent entierement creerait en effet une situation irreversible eu egard au delai qui s'ecoulera avant que n'intervienne une decision au fond ;

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- llO -

Quant aux mesures sollicitees

Attendu que la competence du juge des referes a ordonner des mesures provisoires ou conservatoires reste subordonnee a l' existence d'un droit qui, au moins au plan des apparences ou d'une appreciation sommaire des interets en presence, puisse appara1tre comme vraisemblable, serieux OU non veritablement conteste ;

Attendu que sur le plan des apparences, la valeur probatoire de la photocopie qui fonde les pretentions des trois premiers intimes est tout a fait relative puisqu' elle est contestee et qu'il n' est pas etabli de maniere indiscutable que le titre ait ete perdu par cas fortuit OU force majeure (MOUGENOT, La preuve, Rep. Not, n°8 189 et 192; M. FONTAINE, La preuve des actes juridiques et les techniques nouvelles, Colloque des 12 et 13 mars 1987, U.C.L., pp. 17 & 21; T.P.D.0., t. 1, n° 137; VAN 0MMESLAGHE, Obligations, vol. V, p. 144; VERHEYDEN-JEANMART, Droit de la preuve, n° 428; Cass., 8 mai 1980, J.T. 1980, p. 577; Mons, 20.3.1984, R.R.D., 84, p. 173; C. Travail Mons, 11.6.1992, en cause Bou­chez c. Institut Medical Specialise, G.D. Justel Ministere de la Justice, version 1/96; Bruxelles, 14.2.1968, Pas. 68, II, 148) ;

qu'« en tout etat de cause, la photocopie peut (cependant) etre consi­deree comme une presomption dans les cas ou ce mode de preuve est admissible» (Mougenot, Verheyden-Jeanmart, Fontaine, memes refe­rences);

Attendu que le document du 2.10.1996 qui porte la signature de J.-M. Lecomte et qui contient un certain nombre d'informations dont la com­munication accredite la vraisemblance d'une levee imminente de l' option d'achat consentie constitue un commencement de preuve par ecrit au sens de l' article 134 7 du code civil ;

qu'il est des lors permis d' avoir egard a l' attestation precise delivree le 3 fevrier 1997 par J. Planchard et L. Lannoye respectivement presi­dent du conseil d' administration et directeur de la sa INVESTSUD qui precisent que

- « Les investigations faites par notre societe sur l' entreprise elle-meme ainsi que sur la poursuite des negociations avec Messieurs Andre Cou­vreur et Emmanuel Delloye en vue d' obtenir un accord de partena­riat relatif a l' achat des actions de Fonderies Lecomte et Lecomte Industries n'auraient jamais pu avoir lieu s'il y avait eu le moindre doute dans notre chef quant a l' existence du contrat d' option signe par Messieurs Jean-Marie Lecomte et Andre Couvreur le 5 juillet 1996 et expirant le 4 octobre 1996. »

- «A aucun moment, lors de ces discussions, Monsieur Jean-Marie Lecomte n' a emis le moindre doute sur l' existence de la convention d' option (du 5 juillet 1996) » ;

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qu'il n' existe aucune raison de douter de la sincerite de cette attesta­tion delivree par des personnes qui ne sont apparemment plus interes­sees par !'operation projetee par A. Oouvreur et E. Delloye;

qu'il en va de meme en ce qui concerne !'attestation delivree par P.-M. Jacques;

Attendu qu' au premier examen, la photocopie de la convention pre­sentee par A. Oouvreur et E. Delloye n'est pas suspecte; que meme s'il fait etat de faux grossiers, le premier appelant indique lui-meme qu'il croit reconnaltre sa signature et son ecriture sur la convention du 5 juil­let 1996 et sur le document intitule «Corrections apportees a la conven­tion d' acquisition en annexe a la convention d' option » (conclusions d'appel p. 7, avant dernier parag.) ;

que dans la mesure ou un avenant etait etabli, il n' est pas anormal ni suspect que ce soit une photocopie du texte du projet de convention de vente etabli en 1995 qui soit annexe a la convention d' option du 5 juillet 1996 ;

Attendu que la these d'un « coup de force » monte de toutes pieces par les deux premiers intimes n'est pas evidente; que J.-M. Lecomte ne conteste pas la realite du vol de la mallette d' Andre Oouvreur ;

que le commissaire Dupuis de la Ville d' Andenne confirme que Andre Oouvreur lui a signale le 6 septembre 1996 la perte de son attache-case contenant des documents commerciaux importants sur le parking de la sa Lecomte situe a Seilles rue des Marais;

qu' a ce moment, A. Oouvreur et E. Delloye n' avaient aucune raison de craindre que J.-M. Lecomte ne remette en question !'existence de la convention (v. le temoignage de J. Planchard et L. Lannoye) ; qu'il n'est des lors nullement anormal qu'ils n' aient pas depose plainte officielle­ment et qu'ils n'aient pas cru utile de demander confirmation a J. M. Lecomte de son engagement;

Attendu qu'il existe done dans le chef des deux premiers intimes une apparence de droit suffisante fondee sur des presomptions precises et concordantes qui justifie que soit amenagee d'urgence une situation d' attente qui sauvegarde autant que possible les interets en conflit ;

que le premier juge a ordonne a bon droit que les actions litigieuses soient « bloquees » ; que les effets dans le temps de la mesure ordonnee doivent cependant etre limites au jour du jugement qui dira si la demande est ou non fondee ;

qu'il pourra en effet etre debattu de I' execution provisoire du juge­ment a intervenir devant le tribunal competent ;

Attendu que le refus des appelants Roger, Didier, Marie-Julie Lecomte et Frarn;ioise Hermant de ratifier les engagements pris par Jean-Marie Lecomte en leur nom (v. conclusions d'instance, dossier de

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la procedure p. 8, p. 2, pt. 1) ne fait pas obstacle au maintien des mesures ordonnees par le premier juge; qu'il doit en effet etre tenu compte des conditions dans lesquelles ce refus est exprime ;

que « tous etaient (en effet) au courant des negociations menees par Jean-Marie Lecomte et (qu') ils avaient ratifie la convention d'aout 1995 » (conclusions d'appel p. 3);

qu'ils pourraient des lors etre tenus sur base de la theorie du mandat apparent;

Attendu que si le « gel » des dividendes entre les mains du sequestre doit egalement etre ordonne afin d' eviter I' appauvrissement artificiel des deux societes, l'amenagement d'une solution d'attente ne requiert pas qu'il soit demande au sequestre de s'informer quant a la repartition pas­see et presente des actions entre les membres de la famille Lecomte;

que cette mesure qui touche a !'instruction du litige ne presente pas un caractere d'urgence et peut etre demandee au juge du fond (article 19 alinea 2 du code judiciaire) ;

Par ces motifs,

( ... ) La Cour statuant contradictoirement ;

Rec;JOit l'appel incident et la demande nouvelle

Confirme I' ordonnance entreprise sous les emendations suivantes

1. la demande de la sa Synerfi est rejetee,

2. la mission du sequestre est limitee dans son objet a la conservation des actions des societes Fonderies Lecomte et Lecomte Industries et des dividendes produits par celles-ci, dans le temps au jour du jugement au fond rendu sur les actions introduites par citations des 26, 27 decembre 1996 et 14 janvier 1997,

( ... )

N° 6739

Cour d'appel de Liege (7e eh.) - 26 juin 1997

Sieg. : M. DISKEUVE, pres., M. DE FRANCQUER, M. LmoT, cons., Mme RENAUT, av. gen.

Plaid. : MM08 CAVENAILLE, GERKENS, GERMEAU.

( s.a. Belcam en liquidation/s.a. Credit General et Me J.-J. Germeau q.q. faillite s.a. Belcam)

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Societe commerciale en liquidation. - Faillite. - Cessa­tion des payements et ebranlement de credit. - Abus de droit.

Toute societe en liquidation est susceptible d'etre declaree en fail­lite.

La societe en liquidation qui ne peut payer ses dettes exigibles ou qui ne pourra les payer a court terme et a laquelle les creanciers refusent d'accorder un delai de payement ou une reduction de creance et qui ne peut obtenir un nouveau credit se trouve en etat de faillite.

Il reste possible, par le recours a la notion d'abus de droit qui por­tera sur la notion d 'ebranlement de credit, de refuser la f aillite au creancier d'importance minime ou dont le seul but serait d'evincer un liquidateur pourtant exempt de reproches.

Abuse de sa qualite celui qui, titulaire d 'une creance peu impor­tante, entend pour des raisons non devoilees mettre un terme a une liquidation pratiquement terminee et a l 'encontre de laquelle il n 'est pas denonce d'operations critiquables.

ARRET

Vu l'appel du jugement rendu le 29 mai 1996 par le tribunal de coierce de Liege, interjete le 13 juin 1996 par la societe anonyme en liquidation Belcam;

Attendu que les faits de la cause resultent suffisaient du jugement entrepris ; que la cour y renvoie et retient en resume que l'intimee, creanciere a concurrence de 252.678 francs (voir declaration de creance 9.6.1994 - piece 11 dossier de l'intimee) a egard d'une societe-EcF Bel­systeme en faillite depuis le 20 mai 1994, se pose egalement comme creanciere de l'appelante en vertu d'un acte de caution« suppletive », du 21 avril 1987 (piece 2) souscrit pour garantir les engagements de ladite societe Belsysteme, et que n' etant pas payee, elle a assigne l' appelante en paiement puis transforme son action en demande de declaration de faillite de l' appelante qui depuis le 17 juin 1993 est en liquidation volon­taire;

Attendu que sur base d'une attestation du curateur de la faillite Bel­systeme precisant le 5 fevrier 1996 {piece 17 dossier intimee) que l'inti­mee ne recevrait, dans l'hypothese la plus optimiste, qu'un dividende de l'ordre de 50.000 francs, le tribunal a retenu que l'appelante devrait

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done en toute hypothese intervenir a titre suppletif pour la difference non couverte, soit environ 200.000 francs, reconnaissant ainsi a l'intimee le droit d' agir comme creancier d'une soie certaine, liquide et exigible ;

Attendu que ce pronostic se confirme partiellement dans la mesure ou la liquidation de la faillite Belsysteme a permis a l'intimee de recevoir ll5.014 francs (conclusions additionnelles du 6.5.1997) le 6 mars 1997 (piece 29) ; qu'il est done aujourd'hui acquis que l'appelante est debitrice de l'intimee pour plus de 100.000 francs et non pour les 85.000 francs reconnus (conclusions p. 6 § 3 et p. 7 § 2) mais qu'au moment ou les pre­miers juges ont statue ce droit de l'intimee existait deja en germe, auto­risant celle-ci a revendiquer sa qualite de creanciere ;

Attendu que des le 23 decembre 1994 (piece 15 dossier intimee), le liquidateur de l'appelante ecrivait, apres avoir recupere un actif d'une dizaine de millions nonobstant les demarches entreprises par l'intimee pour faire valoir ses droits aupres de debiteurs de I' appelante, que « la societe BELCAM se cl6turera en mali et que les creanciers chirogra­phaires n' ont aucune chance quelconque de recevoir un dividende » ; que cette reponse a determine l'intimee a agir, la citation introductive d'ins­tance etant signifiee le 9 j anvier 1995 ;

Attendu que par cette assignation, l'intimee a entendait surtout mani­fester son insatisfaction devant la reponse qui lui etait adressee et sa defiance a l'egard ·d'une liquidation sur laquelle elle n'avait pas d'infor­mation precise, I' essentiel des operations de liquidation etant pourtant termine;

Attendu que toute societe en liquidation est susceptible d'etre declaree en faillite ; que la societe en liquidation qui ne peut payer ses dettes exi­gibles OU qui ne pourra les payer a court terme et a laquelle les crean­ciers refusent d' accorder un delai de paiement ou une reduction de creance et qui ne peut obtenir un. nouveau credit se trouve en etat de faillite (Cass 17.6.1994, Pas 1994, I, 624);

Attendu que l'appelante se trouve et se trouvait deja au moment ou le tribunal a statue confrontee aux difficultes erigees en conditions necessaires pour etre declaree en faillite et ci-avant definies, approuvees par les commentateurs (Ph. Gerard, conditions de la faillite et societe commerciale en liquidation, R.D.O., 1994, p. 876; Coppens et t'Kint, examen de jurisprudence, les faillites, les concordats et les privileges, R.O.J.B., 1997, p. 158, n° 4) mais qu'il reste possible, par le recours a I' abus de d.roit qui ne portera sur la notion d' ebranlement de credit, de refuser la faillite au creancier d'importance minime ou dont le seul but serait d'evincer un liquidateur pourtant exempt de reproches (voir t'Kint et Derij eke, expose des principaux points a propos desquels le

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regime des faillite a evolue au cours des dernieres decennies, Annales de droit de Louvain, 1997 /1, p. 80);

Attendu que le liquidateur s' astreint a une comptabilite presentant toutes les apparences de la regularite (voir bilan au 31.12. 1995 - piece 25 dossier de I' appelante) ;

Que certes, l'intimee soutenait que « BELCAM aurait cede pour une somme symbolique sa participation dans le capital de la S.A. BELSYS­TEME, dont elle etait l'actionnaire majoritaire » (citation du 9.1.1995, page 2, § 6), laissant supposer par la que la liquidation ne se deroulait pas dans des conditions de correction pourtant necessaire pour meriter la confiance des creanciers ;

Attendu que ce reproche n' est plus mis en avant et qu'il n' en est pas tire de conclusion ; que les autres creanciers, apparemment nombreux puisqu'il est fait etat d'une perte a reporter de plus de 60 millions de francs ( voir bilan deja cite)' ont continue a maintenir leur confiance a la liquidation qui semble etre arrivee a son terme;

Que I' on n' aper9oit pas bien, des lors qu'il n' est pas allegue que la liquidation serait frauduleuse, I' a vantage qu'une mise en faillite pourrait presenter; que dans l'hypothese d'un tres large consensus des creanciers, il n'est pas possible de parler d'ebranlement de credit (voir T'KINT, liqui­dation OU faillite, chronique de droit a l'usage du palais 1989, tome VII droit des societe, a propos de Liege 17.11.1988, R.P.S., 1989, p. 66) et qu' abuse de sa qualite celui qui, comme l'intimee, titulaire d'une creance peu importante entend pour des raisons non devoilees mettre un terme a une liquidation pratiquement terminee et a I' encontre de laquelle il n'est pas denonce d'operations critiquables (voir aussi Comm. Liege 23.4.4997, en cause Guinea c. New Tubemeuse en liquidation, R.G., n° 1763/96, inedit - piece 26 dossier appelante);

Par ces motifs, ( ... ) La Cour, statuant contradictoirement, De l'avis contraire de Madame A. Renaut, avocat general, donne a

I' audience du 13 juin 1997, Reforme le jugement entrepris et rapporte la faillite de I' appelante. Condamne l'intimee aux depens des deux instanees ( ... ).

Observations. - Faillite d'une societe en liquidation entre apherese et apocope.

1. - De fa9on assez inexplicable, et en depit d'une jurispru­dence seculaire et constante de la Cour de cassation, une contro­verse avait - dans les annees 80-90 - resurgi du fond des ages :

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etait-il possible de prononcer la faillite d'une societe en liquida­tion et, plus specifiquement encore, cette faillite pouvait-elle intervenir plus de six mois apres la decision de dissolution (sur l'evolution de la jurisprudence en la matiere, voy. W. DERIJCKE,

«La faillite d'une societe en liquidation. Epanalepse OU epanadi­plose? », ohs. sous Cass. 17 juin 1994, Revue, 1994, n° 6655, pp. 424-453) ?

Pourtant, des lors qu'une societe etait reputee exister pour les besoins de sa liquidation (article 178, alinea 1 er, des lois coordon­nees sur les societes commerciales) et que ladite societe etait com­men;ante du seul fait de son objet, on n'apercevait aucune objec­tion a la faillite d'une societe en liquidation pour autant que les autres conditions d'une declaration de faillite fussent reunies (Cass., 12 mars 1885 Pas., 1885, I, p. 91; Cass., 5 mai 1911, Pas., I, p. 233 avec concl. M.P ; Cass., 8 mai 1930, Pas., 1930, I, p. 202; Cass., 17 juin 1994, Pas., 1994, I, n° 319, p. 642 et A.O., 1994, n° 319, avec concl. M.P. ; voy. aussi Cass., 17 mai 1906, Pas., 1906, I, p. 249 et Cass., 10 novembre 1950, Pas., 1951, pp. 142-159; Cass., 17 septembre 1996, Pas., 1996, I, n° 314, p. 818). Oomme pour tout ancien commer9ant, cette faillite pou­vait etre prononcee jusqu' a l' expiration du sixieme mois suivant la date de clOture de liquidation.

L' article 2, alinea 4, de la loi du 8 aout 1997 sur les faillites tire des lors les enseignements de plus d'un siecle de jurisprudence constante de la Cour de cassation : « La faillite d 'une personne morale dissoute peut etre declaree jusqu 'a six mois apres la cloture de sa liquidation.» Ce delai est, de fa9on implicite mais certaine, prescrit a peine de decheance.

La tete de la bete curieuse qu' est le probleme de la faillite des societes en liquidation se trouve ainsi tranchee. Reste la queue.

2. - Le deb at ne peut, en effet, s' arreter a ce constat.

Un navire qui ne prend (une derniere fois) lamer que pour se rendre dans le port ou il sera desarme, ne peut etre traite sur le meme pied que celui qui part faire le tour du monde. Il n' en va pas autrement pour les societes. Une societe qui decide de cesser d' exister doit respecter des imperatifs lies a toute situation de concours : a dater de sa dissolution, ses creanciers seront confrontes a un inevitable moment de flottement, dicte par

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I' obligation du liquidateur de respecter les regles de preference et, pour le surplus, la necessaire egalite des creanciers (article 184 des lois coordonnees sur les societes commerciales).

Pendant un temps, le fait materiel de la cessation des paye­ments, ou du moins de leur suspension, s'imposera comme une necessite liee a une liquidation a la fois rationnelle et efficace. Ce temps de suspension inevitable peut varier selon l'importance et/ ou la nature de la societe.

En outre, le credit dont a besoin la societe en liquidation n' est plus celui de creanciers qui croient en une exploitation perfor­mante. Les liquidateurs ne demandent qu'une confiance dans leur probite et dans leur aptitude a liquider les actifs de la societe au mieux des interets de chacun, et specialement des interets des creanciers (article 186 des lois coordonnees sur les societes com­merciales).

D' ou il suit que les conditions de la faillite necessitent une appreciation specifique lorsque le commer9ant concerne est une societe en liquidation (voy. not. Gand, 19 juin 1997, R.D.C.B., 1997, p. 609; comm. Hasselt, 29 septembre 1994, R.D.C.B., 1995, p. 553 ; comm. Charleroi, 12 septembre 1995, R.R.D., 1996, p. 76, note L. DERMINE ; comp. comm. Bruxelles, 24 juin 1996, J. T., 1996, p. 820 ; comm. Bruxelles, 17 octobre 1995, T.R. V., 1995, p. 697, not ; comm. Bruxelles, 13 septembre 1994, T.R. V., 1994, p. 613; comm. Termonde, 4 fevrier 1994 R. W., 1996-1997, p. 1066, note). D'une part, le fait materiel de la cessation des payements est inherent a la phase initiale de la liquidation. D'autre part, des lors que les creanciers se satisfont de la perspec­tive d'un dividende, un tribunal de commerce ne pourrait pro­noncer la faillite. Le tribunal pourrait meme refuser de prononcer une faillite, si la demande de faillite, emanant d'un creancier. isole ou de quelques creanciers de faible importance, constitue un abus de droit, dicte par des preoccupations qui ne sont pas celles que le legislateur a entendu proteger (voy. P. COPPENS et Fr. T'KINT, « Examen de jurisprudence (1984 a 1991) - Les faillites, les concordats et les privileges», R. C.J.B., 1991, n° 10, pp. 314-315 ; voy. aussi l' analyse minutieuse faite par comm. Bruxelles, 24 juin 1996, J. T., p. 820).

Cette analyse rej oint celle de la Cour de cassation : « La societe en liquidation qui ne peut payer ses dettes exigibles ou qui ne pourra

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les payer a court terme, et a laquelle les creanciers refusent d'accor­der un delai de payement ou une ·reduction de creance et qui ne peut

. obtenir un nouveau credit, se trouve en etat de faillite » (Cass., 17 juin 1994, Pas., 1994, I, n° 319, p. 642 et A.O., 1994, n° 319, p., avec concl. M.P. ; Revue, 1994, n° 6655, p. 415, concl. M.P. et note W. DERIJCKE ; T.R. V., 1994, 598, note P. TERMOTE, R. W., 1993-94, p. 561, concl. M.P.; D.A.O.R., 1~94 n° 32, p. 93, note D. PHILIPPE; A.J.T., 1994-95, p. 44, note; R.D.O.B., 1994, p. 876, note Ph. GERARD ; J. T., 1995, p. 27 ; T. not., 1995, p. 245; voy. aussi Fr. T'KINT, «Les responsabilites en cas de fail­lite et de liquidation volontaire », D. A. O.R., 1995, n° 34, pp. 25-28, n° 46-50; P. COPPENS et Fr. T'KINT, (< Examen de jurispru­dence (1991 a 1996) - Les faillites, les concordats et les privi­leges», R.O.J.B., 1997, n° 4, pp. 158-162).

En acceptant de se soumettre a une liquidation dont le carac­tere deficitaire est certain, les creanciers n' engagent aucune res­ponsabilite (contra, mais a tort, comm. Bruxelles, 24 juin 1996, J. T., 1996, p. 820).

Alors qu'il avait regle de maniere tranchante, a l'une de ses extremites, le probleme de la faillite des societes en liquidations, le legislateur a-t-il ignore I' autre bout de la difficulte 1 On peut au moins considerer qu'il a donne les clefs de l'issue. On sait que la Cour de cassation etablissait une nette parente entre les condi­tions d' ebranlement de credit et de cessations des payements (voy. P. COPPENS et Fr. T'KINT, « Examen de jurisprudence (1991 a 1996) - Les faillites, les concordats et les privileges», R.O.J.B., 1997, n° 5, pp. 163-165). La reforme de 1997 a cepen­dant mis en lumiere la specificite de l'une et I' autre conditions ( voy. Ph. GERARD, « Liquidation des societes commerciales et faillite », in La faillite et le concordat judiciaire en droit positif belge apres la reforme de 1997, Rapports du 47e seminaire de la Com­mission Droit et vie des aff aires, 6 et 7 novembre 1997, n os 19 a 26, pp. 144-157). Apres avoir rappele que l'arret du 17 juin 1994 de la Cour de cassation laisse aux juges du fond une marge d' ap­preciation qui n'est pas a dedaigner, M. Ph. GERARD souligne fort apropos : « L'esprit dans lequel, d'apres les travaux parlementaires de la loi du 8 aout 1997, la notion de l'ebranlement de credit a ete retablie a l'article 2, alinea 1er, comme condition de la faillite, ne commande pas une severite accrue dans l 'appreciation des juges du

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f and et devrait, au contraire, les encourager a faire preuve de la meme souplesse et du meme pragmatisme que leurs devanciers » (Ibi­dem, n° 26, p. 157).

3. - L'arret annote applique parfaitement les principes qui viennent d'etre rappeles.

Une societe s'etait portee caution d'une autre a l'egard d'un banquier. Le debiteur principal tombe en faillite. La banque se retourne contre la caution. Le quantum de sa demande subira quelques vicissitudes, mais le principe n' en est pas conteste. Des lors que la societe-caution, qui a ete mise en liquidation, ne s' exe­cute pas, la banque demande que sa faillite soit prononcee. Le tribunal de commerce de Liege fait droit a la demande. L' arret annote rapporte la faillite.

La cour d' appel rappelle d' abord l' enseignement de l' arret du 17 juin 1994 de la Cour de cassation : rien ne s' oppose en principe a ce qu'une societe commerciale en liquidation soit mise en fail­lite.

Elle conclut encore a la cessation des payements, en constatant que cette societe « se trouve et se trouvait deja au moment ou le tri­bunal a statue confrontee aux difficultes erigees en conditions neces­saires pour etre declarees en faillite ... ».

L'assignation en faillite, par un creancier, pourrait egalement faire conclure a l' ebranlement du credit, mais la cour d' appel s'interroge sur un eventuel abus de droit. Par une souveraine appreciation en fait, la cour d' appel constate que le liquidateur ne peut etre soup9onne de se livrer a des malversations. En outre, alors que le banquier ne reclame qu'une centaine de mil­liers de francs, les autres creanciers, a concurrence d'une soixan­taine de millions de francs, se satisfont du travail du liquidateur. Enfin, la cour d'appel ne voit pas l'avantage que, dans ces condi­tions, le banquier retirerait d'une eventuelle faillite; le principal a vantage de la faillite sur la liquidation residant dans l' existence de la periode de suspicion et dans le controle judiciaire sur le curateur, pourquoi, en effet, prononcer la faillite d'une societe en liquidation ou rien de suspect n' apparaft et ou la tres grande majorite des creanciers font confiance au liquidateur?

4. - Comme pour toute autre personne morale commer9ante, les conditions de la faillite doivent exister au moment ou le juge

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statue et c' est a cette meme date que la faillite sera ouverte, sans aucun effet retroactif. La date de la dissolution, si elle peut etre prise en consideration pour la fixation de la periode suspecte (article 12, alinea 5, de la loi sur les faillites), est sans pertinence pour la declaration de faillite (P. COPPENS et Fr. T'KINT, « Exa­men », R. C.J.B., 1991, pp. 312-313, n° 9 ; voy. aussi K. TROCH, « Het tij dstip van de beoordeling van de faillissementsvoorwaar­den ten aanzien van een vennootschap m vereffening », R. W., 1996-1997, pp. 1041-1052).

5. - Une chose est, en effet, de prononcer la faillite. Une autre de fixer le debut de la periode suspecte.

On sait que le jugement de faillite risque d'etre prononce a un moment ou les conditions de la faillite sont reunies depuis deja uncertain temps. La securite des transactions interdit de donner a la faillite, et specialement au dessaisissement qui en est la consequence, un effet retroactif absolu. On doit cependant craindre que, dans les mois qui ont precede cette faillite, le com­mer9ant se soit livre a des operations qui ont meconnu l' egalite de principe des creanciers. Pour concilier la securite des transac­tions avec la necessite de sanctionner certains actes prejudi­ciables aux creanciers, la loi a permis au tribunal de commerce qui prononce la faillite de fixer le moment de la cessation des payements a une date qui peut etre anterieure a celle du juge­ment de faillite. La periode separant ces deux dates est commu­nement appelee « periode suspecte ». On preferera l' appellation plus expressive, de periode de suspicion (voy. M. V. TESCH, rap­port fait au nom de la commission de la Chambre sur « la revision de la legislation sur les faillites, banqueroutes et sursis », Annales parlementaires, seance du 20 novembre 1849, p. 65). Certains actes poses ou passes par le failli pendant cette periode pourront, dans les conditions que la loi determine, etre declares inoppo­sables a la masse.

Le jugement de faillite re9oit ainsi un effet retroactif limite. Le tribunal ne pourra, en principe, «fixer la date de la cessation de paiement a une date precedant de plus de six mois le jugement decla­ratif de faillite » (article 12, alinea 6, de la loi sur les faillites).

Le legislateur de 1997 a cependant fait une exception impor­tante a !'interdiction de fixer une periode suspecte d'une duree superieure a six mois.

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Une societe commerciale a la derive peut etre tentee de se soustraire a une procedure de faillite en decretant sa liquidation. Le legislateur lui-meme a admis que le procede n'est pas necessai­rement illegitime, puisqu'il n' a en vue que la sanction des mises en liquidation qui ont lieu « dans l 'intention de nuire aux crean­ciers » (article 12, alinea 6, de la loi sur les faillites). Les crean­ciers peuvent au demeurant fort bien s' accommoder d'une liqui­dation amiable (voy. ci-avant, n° 2).

La liquidation volontaire a tous les avantages d'une grande souplesse. Les inconvenients de cette souplesse sont le faible degre de controle tant par les tribunaux que par les creanciers. Le legislateur n' a pas voulu que cette souplesse puisse etre detournee et utilisee dans le dessein de porter prejudice aux creanciers. Des lors, « s'il existe des indices [que la liquidation] a ete OU est menee dans l'intention de nuire aux creanciers », le tribu­nal de commerce pourra reporter le debut de la periode suspecte au jour ou la societe a decide sa mise en liquidation (article 12, alinea 2, de la loi sur les faillites). Il resulte du texte de la loi que le tribunal ne pourrait retenir aucune autre date intermediaire entre la periode de suspicion du droit commun et la date de disso­lution d'une societe commerciale.

Le tribunal dispose de cette faculte meme si « l 'intention de nuire » n' est pas contemporaine de la dissolution de la societe, mais n' est apparue qu'ulterieurement, et meme si la liquidation a ete clOturee, etant entendu toutefois que la faillite elle-meme ne pourra intervenir au-dela de l' expiration du sixieme mois apres cette cloture (article 2, alinea 4, de la loi sur les faillites).

6. - Une societe en liquidation pourrait-elle obtenir un concordat judiciaire et, partant, en cas de faillite ulterieure, la periode suspecte pourrait-elle etre reportee a la date de la disso­lution 1

Une application mecanique de la loi conduira a une reponse affirmative. Toutefois, on aper9oit mal dans quelle situation une societe en liquidation obtiendrait un concordat, des lors que le tribunal de commerce ne peut octroyer de sursis (provisoire) que, entre autres conditions, si « il est possible sur la base d 'une appre­ciation provisoire d'assurer totalement ou partiellement la continuite de l'entreprise » (article 15, § 1 er, de la loi du 17 juillet 1997 rela­tive au concordat judiciaire). Seule une societe en liquidation

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dont l' entreprise - viable - n' aurait pas encore ete cedee, et dont les difficultes seraient autre chose qu'une cessation des payements pure et simple, serait susceptible de repondre aux conditions du concordat. Il s' agirait sans aucun doute d'une situation hors du commun.

7. - La loi et la jurisprudence ont pose toutes les 'bases neces­saire en vue de regler definitivement la question de la faillite des societes en liquidation. Apres une analyse correcte du probleme, tant dans son principe que dans sa conclusion, il se retrouve ramene a ce qu'il n' aurait j amais du cesser d'etre : une pure ques­tion de fait reservee a !'appreciation souveraine des juges du fond.

N° 6740

Werner DERIJCKE

ASSISTANT

A L'UNIVERSITE CATHOLIQUE

DE LOUVAIN

Tribunal de premiere instance de Tournai (Ref.) - 27 juin 1997

Sieg. : M. FA VIER, juge unique.

Plaid. : MM08 HIMPLER, VAN BESIEN, KENSIER et BONNET loco DECO­

NINCK.

(Debaecke c/ Delwarde, SP RL « Delwarde, Debaeke et Oie et sc Credit Prof essionnel du H ainaut)

Reviseurs d'entreprise. - Personne morale inscrite au Tableau de l'Ordre. - Absence de nature commercial. -Activites necessairement civiles.

Le reviseur d 'entreprise exerce une profession liberale, caracterisee par son independance et la nature du travail. Elle est, a ce titre, sou­mise a des regles deontologiques. Sans caractere commercial OU spe­culatif, sans lieu de subordination a l'egard des clients, elle constitue

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une actionite civile, incompatible avec l 'emprise du droit commer­cial.

La personne morale qui exerce cette profession et est inscrite au tableau de l'lnstitut, doit etre consideree comme societe civile a forme commerciale, devant s 'interdire toute activite de nature commerciale.

( ... )

ORDONNANCE

B. - Quant a l'objet de la reouverture des debats

Attendu que l'objet de la reouverture des debats etait de savoir si la societe qui a ete creee par le demandeur et le defendeur Delwarde doit, au vu des intentions des associes au moment de sa constitution, de son objet et de la legislation existante etre consideree comme une societe civile ou commerciale ;

1. - Attendu que la doctrine et la jurisprudence admettent que « c'est sur base de ses statuts et de la definition de 1 'objet social qu'ils com­portent que se determine la nature civile ou commerciale d'un societe. » (R.O.J.B., 1992, p. 589);

Que comme le releve le demandeur en conclusions, la Cour de Cassa­tion a dit que : « le caractere civil ou commercial d 'une societe depend, non point de la forme sous laquelle elle a ete constituee, mais de l'objet de son activite tel qu 'il resulte du contrat qui lui a donne naissance » (Cass. 30 avril 1945, Pas, I, 150) ;

Attendu que le tribunal de commerce de Bruxelles a juge que pour determiner si une societe est civile ou commerciale, seul son objet doit etre pris en consideration, tel qu'il est decrit dans le pacte social ; que si cet objet est purement civil, la societe participe de la meme nature et ne peut ainsi, par exemple etre declaree en faillite (Commerce Bruxelles, 3 mars 1969, J.0.B., 1969, II, 629);

Attendu que l' article 3 des statuts de la SPRL Delwarde, Debaeke et Cie definit I' objet social comme suit :

« . . . La societe a pour objet les missions liees a la f onction de reviseur d'entreprises, telles que definis a l'article trois de la loi du 22 juillet mil neuf cent cinquante-trois modifiee et coordonnee par la loi du 21 f evrier mil neuf cent quatre-vingt-cinq en toute autre norme actuelle ou a venir definni­sant la fonction de reviseur d'entreprises. En toute occurence, l'objet social ne peut comprendre que 1 'exercice des missions de revision et d 'activites compatibles avec la qualite de Reviseur d 'Entreprises. »

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2. - Attendu que le reviseur d'entreprises exerce une profession libe­rale qui se caracterise par son independance d' exercice hormis les regles qui organisent cette profession sur le plan civil et deontologique notam­ment;

Qu'une autre carateristique de cette profession reside dans la nature du travail ; qu'il s' agit d'un travail intellectuel, sans caractere commer­cial ou speculatif et sans lien de subordination a l'egard des clients, moyennant remuneration sous forme d'honoraires (DE V ALKENEER, Pre­cis de Notariat, Bruylant, 1988, 37);

Attendu qu'une profession liberale constitue ainsi une activite civile car son exercice est incompatible avec une organisation sur des bases commerciales ;

Que, meme si elle se rattachent a la vie economique, les professions liberales echappent a I' emprise du droit commercial ;

Attendu en effet que les professions liberales sont soumises a des regles deontologiques qui interdisent a leurs membres d'etre uniquement inspires par le souci du rendement; que les regles qui les gouvernent sont « ... de nature a maintenir 1 'autorite morale, 1 'independance et le cre­dit personnel dont doivent jouir ceux qui se consacrent a ces activites pour qu 'ils puissent remplir leur fonction dans la societe ... » (VAN RYN, T. I. 1976, p. 6, n° 2) ;

Que tel est le cas de la profession de reviseur d' entreprises ;

3. - Attendu qu'en vertu de l'article 33 de la loi du 22 juillet 1953, modifiee par la loi du 21 fevrier 1985, c'est la societe qui a pour objet social la profession elle-meme, ce qui lui permet d'etre admise au tableau de l'Institut des Reviseurs d'entreprises, et, en consequence, d'etre nom­mee reviseur ce qui est le cas pour la SPRL Delwarde, Debaeke et Cie;

Que comme le releve le demandeur, il resulte de ce qui precede :

* que la personnalite des associes ne s' efface pas derriere celle de la societe;

* que la societe exerce elle-meme la profession de reviseur d'entreprise ; * que partant son objet est civil, ce qui lui confere le caractere de

societe civile ;

Attendu que d'autre part, l'article 7bis, 2° de la meme loi interdit aux reviseurs d' entreprises, qu'ils socient personnes physiques ou societes, d' exercer des activites commerciales ;

4. - Attendu qu'il resulte des plaidoiries et des pieces produites que les parties avaient l'intention de constituer une societe qui avait pour objet les missions liees a la fonction de reviseur d'entreprise;

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Attendu qu'il resulte de ce qui precede que la SPRL Delwarde, Debaeke et Cie doit etre consideree comme une societe civile a forme commerciale, ce que ne semble plus contester formellement le defendeur Delwarde actuellement ;

Que le tribunal de ceans est des lors competent ratione materiae ;

( ... )

C. - Quant aux demandes

1. Les demandes principales

Attendu que le demandeur affirme que, suite aux problemes qu'il a connus (sante notamment), il a fait part au defendeur Delwarde de son souhait de ralentir ses activites professionnelles ;

Que, conscient des problemes que cela pouvait creer au niveau de la gestion de la SPRL notamment, il a propose, a defaut d' autre solution a ce moment, que chacun des associes poursuive sa voie de son cote a dater du 1 er j anvier 1997 ;

Attendu que cette proposition semble avoir ete faite en toute bonne foi par un appel telephonique du 7 octobre 1996, confirme par lettre du 11 octobre 1996 ;

Qu'il ne ressort nullement des plaidoiries et des pieces produites que cette proposition du demandeur visait a nuire aux interets et droits du defendeur Delwarde, ni a ceux de la societe qu'ils avaient creee;

Attendu que par contre, le defendeur Delwarde, semble avoir tres mal accepte, pour des raisons et/ou motifs non objectivement etablis a ce jour, cette proposition de son associe, le demandeur;

Que cela s' est concretise notamment par les demarches suivantes, prise a !'initiative du seul defendeur Delwarde, ce qui n' est pas conteste et a I'insu du demandeur :

* gel des avoirs financiers de la societe par regroupement de fonds sur un seul compte aupres de la SC Credit Professionnel du Hainaut ;

* suspension par la societe creee par le demandeur et le defendeur de la remuneration mensuelle du premier ;

* decision de ne plus faire payer par la societe le loyer du bureau qu' elle prend en location a Bruxelles, rue du Repos, 127, OU le demandeur travaille pour le compte de la societe;

Attendu que ces mesures ont ete prises sans preavis et sans que le demandeur n'en soit avise, alors que des discussions difficiles il est vrai, se tenaient entre les parties ;

Que cette maniere d' agir, brusque et unilaterale, ne peut etre conside­ree que comme une voie de fait a laquelle il echet de mettre fin ;

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Qu'en effet, en agissant de la sorte, le defendeur Delwarde a manifes­tement porte atteinte aux droits du demandeur, lui causant un prejudice qu'il importe de faire cesser d'urgence;

Attendu qu'il echet ainsi de dire fondees les demandes principales, sauf en ce qui concerne la demande de condamnation au paiement d'une astreinte, au vu de la qualite du demandeur et du defendeur Delwarde ;

2. Les demandes reconventionnelles

Attendu que le defendeur Delwarde, demandeur sur reconvention, ne justifie en aucune maniere que le demandeur Debaeke aurait commis une quelconque voie de fait pouvant nuire tant aux interets de la SPRL Delwarde, Debaeke et Cie, qu' aux siens ;

Que partant, ces demandes ne sont pas fondees ;

Par ces motifs,

( ... ) Declarons les demandes principales fondees ;

Faisons defense au defendeur Delwarde de prendre toute decision dans le cadre de la gestion de la SPRL Delwarde, Debaeke et Cie qui serait de nature a porter prejudice aux droits et interets legitimes du deman­deur et/ou de la societe, ainsi qu'aux prerogatives normales et/ou histori­ques du demandeur, ainsi qu' aux droits des tiers ;

( ... ).

N° 6741

Justice de Paix d' Anderlecht (1 er canton) - 14 avril 1997

Sieg. : M. HEREMANs.

Plaid. : MMesy an der Stock et GRISA Y.

(lmmo T.G. V. c/ Duplaix)

Societe en formation. - Porte-Fort. - Bail commer­cial. - Loyers impayes. - Absence de solidarite.

Le gerant de la societe est le seul organe competent pour decider le reprise d'engagaments anterieurs a la societe, dans le delai de deux mois de l'art. 13bis (L.O.S.O.).

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Ayant un eff et retroactif, cette reprise libere integralement le pro­moteur lequel n 'a plus a repondre d 'une quelconque solidarite (art. 13bis, al. 2).

JUGEMENT

( ... )

0BJET DE L' ACTION

Attendu que l' action, mue par la susdite citation, tend a entendre condamner le defendeur a payer a la demanderesse la somme de 1.030.303 F., sous reserve d'augmentation en cours de procedure;

LES FAITS

Attendu que suivant bail intitule « commerce de gros » signe le 26.04.1988, la demanderesse a donne en location a la societe en forma­tion « REQUEST SPRL » les locaux en etat de gros-amvre, comprenant un magasin au rez-de-chaussee avec un sous-sol, d'un immeuble sis 158, rue Brogniez a Anderlecht, et ce pour une periode de 9 ans prenant cours le 1 er mai 1988 pour se terminer le 30 avril 1997' le loyer de base etant fixe a 200.000 F. par mois;

Attendu qu' au moment de la signature de la convention de b11il, la SPRL REQUEST n' etant pas encore creee, c' est I' actuel defendeur qui representa celle-ci et se porta fort pour elle ;

Attendu que ladite societe fut formee le 4 mai 1988 et que le defen­deur adressa le 16 mai 1988 un courrier a la bailleresse pour lui signaler la creation de la societe et la reprise du bail par celle-ci ;

Attendu que des le debut du bail la SPRL REQUEST proceda en sa qualite de preneuse au paiement des loyers ;

Attendu que par notre jugement rendu contradictoirement entre par­ties le 16 fevrier 1995, il fut donne acte aux parties de leur accord aux termes duquel la defenderesse, la SPRL REQUEST, fut condamnee a payer a l'actuelle demanderesse la Somme de 1.030.303 F. a titre provi­sionnel a valoir sur les arrieres de loyers et charges;

Attendu que la SPRL REQUEST fit aveu de faillite le 16 fevrier 1996 et que les actifs de la faillite ne permirent pas d'indemniser la demande­resse;

Attendu que cette derniere, considerant que le defendeur, qui dans le contrat de bail s'etait porte fort pour ladite societe faillie, est tenu soli­dairement des dettes contractees par cette derniere, reclame actuelle-

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ment le paiement de la somme de 1.030.303 F. a laquelle elle fut condamnee par notre susdit jugement ;

EN DROIT

Attendu qu' a I' appui de son action la demanderesse invoque la dispo­sition de l' article 13bis des lois coordonnees sur les societes commer­ciales;

Attendu qu' a bon droit le defendeur retorque a I' argumentation de la demanderesse que c' est a tort que celle-ci se fonde sur la disposition de cet article pour lui reclamer les arrieres de loyers dont la societe faillie demeure redevable ;

Attendu, en effet, qu'il est incontestable, ainsi qu'il resulte des pieces produites aux de bats par le defendeur, que I' acte de porte-fort pose par celui-ci a ete formellement repris dans le delai de deux mois a dater de l' acte constitutif de la SPRL REQUEST ;

Qu'un ecrit emanant du gerant, seul organe competent pour decider de la reprise eventuelle d' engagement, etablit, comme le releve de maniere judicieuse le defendeur, avec certitude que la SPRL REQUEST s' est substituee a lui ;

Qu'en outre, tous les loyers payes dans le cadre de !'execution de la convention de bail l'ont toujours ete par ladite societe REQUEST;

Attendu que le susdit article invoque par la demanderesse dispose en son alinea 2 que : « Lorsque les engagements sont repris par la societe en formation, ils sont reputes avoir ete contractes par elle des I' origine )) ;

Attendu qu'il est des lors etabli que la SPRL REQUEST est devenue retroactivement preneur, et ce des le 26.04.1988, du contrat de bail conclu a vec la demanderesse ;

Attendu qu'il resulte des considerations qui precedent que le defen­deur n' a pas a repondre du defaut de paiement de loyers dus par la SPRL REQUEST, la reprise de !'engagement par celle-ci ayant pour effet de liberer integralement le promoteur qui disparaft du rapport contractuel (J. RoNSE, « Algemmen deel van het vennootschapsrecht », III, o.c., p. 480 ; Comm., Marche-en Famenne, 16 novembre 1981, Rev. prat. soc., pp. 157-162; Anvers, 19 janvier 1984, R.D.O., 1984, p. 617.);

Attendu que I' action est des lors denuee de tout fondement ;

Par ces motifs,

Nous, Juge de Paix,

Statuant contradictoirement, en prosecution de cause et en premier ressort;

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Rejetant toutes conclusions autres, plus amples ou contraires, comme denuees de pertinence et non fondees ;

Declarons l' action recevable mais non fondee et en deboutons la demanderesse ;

( ... ).

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SOMMAIRE

N° 6734. - L 'incorporation comme facteur de rattachement de la lex societatis, par Thierry TILQUIN . . p. 5

N° 6735. - L'article 17bis de la loi du 2 mars 1989 relative a la publicite des par­ticipations importantes dans les societes cotees en bourse et reglementant les offres publiques d 'acquisition : une disposition a l 'hermetisme symbolique ? , par Gilles NEJMAN . p. 57

N° 6736. - Gour de cassation (eh. reun.) - 14 fevrier 1997. - Societes commer­ciales. - Societes anonymes. - Creation par une autorite administrative. -Controle exerce par les pouvoirs publics. - Decisions obligatoires a l'egard de tiers. - Defaut. - Consequence. - Acte du conseil d' administration. Recours en annulation. - Competence du Conseil d'Etat. - Limites. p. 90

N° 6737. - Gour de cassation (re eh.) - 17 avril 1997. - Societes commer­ciales. - Generalites. - Acte de procedure accompli par un avocat. - Pre­somption de mandat regulier. . p. 94

N° 6738. - Gour d'appel de Liege (7e eh.) - 16 mai 1997. - Societe ano-nyme. - Option d' achat. - Mandataire. - Porte-Fort. Moyen ·de Preuve. - Designation d'un sequestre. - Degre d'urgence. . . p. 107

N° 6739. - Gour d'appel de Liege (7e eh.) - 26 juin 1997. - Societe commer­ciale en liquidation. - Faillite. - Cessation des payements et ebranlement de credit. -Abus de droit. - Observations Werner DERIJCKE (« Faillite d'une societe en liquidation : entre apherese et apocope ») . p. 112

N° 6740. - Tribunal de premiere instance de Tournai (Ref.) - 27 juin 1997. -Reviseurs d'entreprise. - Personne morale inscrite au Tableau de l'Ordre. -Absence de nature commercial. - Activites necessairement civiles . p. 122

N° 6741. - Justice de Paix d'Anderlecht (ler canton) -14avril1997. - Societe en formation. - Porte-Fort. Bail commercial. Loyers impayes. -Absence de solidarite. . . p. 126

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IMPRIME EN BELGIQUE

ETABLISSEMENTS EMILE BRUYLANT, societe anonyme, Bruxelles Pres.-Dir. gen. : JEAN VANDEVELD, av. W. Churchill, 221, 1180 Bruxelles