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CHAPITRE 2
Socialisation et performances : le sens des concepts
Section I. Quelques conceptions de la socialisation : DURKHEIM, BOURDIEU, DUBET ET MARTUCELLI, VINCENT
§.1. La conception âdurkheimienneâ de la socialisation : lâarchĂ©type de la âsocialisation moralisatriceâ
« Durkheim a traitĂ© le social comme une rĂ©alitĂ© extĂ©rieure Ă lâindividu et lâa chargĂ© dâexpliquer tout ce qui se prĂ©sente Ă lâindividu comme devoir ĂȘtre. »244
Pour Emile DURKHEIM, lâaction sociale consiste « en des maniĂšres dâagir, de penser et de sentir, extĂ©rieures Ă lâindividu, et qui sont douĂ©es dâun pouvoir de coercition en vertu duquel elles sâimposent Ă lui. »245 Câest la contrainte extĂ©rieure qui constitue lâindividu comme ĂȘtre social. Les attitudes individuelles sont dĂ©terminĂ©es par la forme de la collectivitĂ©. Les rĂšgles, les normes et les valeurs sâimposent par intĂ©riorisation contrainte. Comme le souligne Paul de GAUDEMAR, la socialisation, pour DURKHEIM, est indissociable de lâĂ©ducation : « Elle sâidentifie presque avec lâĂ©ducation elle-mĂȘme. LâĂ©ducation est, en son noyau dur, et en son tout, de part en part, socialisation. Et la socialisation ne peut sâeffectuer que par sa seule voie royale : lâĂ©ducation. »246 Chez DURKHEIM, le procĂšs de socialisation conjugue Ă la fois, lâapprentissage de la rĂ©gularitĂ©, de la soumission Ă la rĂšgle impersonnelle et lâintĂ©gration Ă une communautĂ© : « Pour que lâhomme soit un ĂȘtre moral, il faut quâil tienne Ă autre chose quâĂ lui-mĂȘme ; il faut quâil soit et se sente solidaire dâune sociĂ©tĂ©, si humble soit-elle. »247 Lâinculcation de lâesprit de discipline et de lâautonomie, « dĂ©finie comme la connaissance de la nĂ©cessitĂ© »248, va de pair avec lâĂ©ducation
244 M. MERLEAU-PONTY, Le mĂ©taphysique dans lâhomme, in Sens et non sens, op. cit., p.110 245 E. DURKHEIM, Les RĂšgles de la mĂ©thode sociologique, Ă©ditions Champs Flammarion, 1988, p.97 246 P. DE GAUDEMAR, Le concept de socialisation dans la sociologie de lâĂ©ducation chez Durkheim, in Durkheim sociologue de lâĂ©ducation, textes rĂ©unis par F. CARDI et J. PLANTIER, INRP et LâHarmattan, 1993, p.15 247 E. DURKHEIM, LâĂ©ducation morale, op. cit., p.66 248 G. VINCENT, Le pĂ©dagogique et le politique : rĂ©flexions sur quelques textes de Durkheim, in Durkheim sociologue de lâĂ©ducation, textes rĂ©unis par F. CARDI et J. PLANTIER, op. cit., p.12
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« destinĂ©e Ă mettre un jour le citoyen en Ă©tat de remplir ses fonctions »249 et avec lâappropriation, par le futur citoyen, du sentiment dâappartenance Ă une mĂȘme communautĂ© dâidĂ©es et de sentiments, ce qui en assure sa cohĂ©sion. Cette conception âdurkheimienneâ de la socialisation se comprend en rĂ©fĂ©rence Ă sa thĂ©orie des âdeux consciencesâ250 :
La âconscience collectiveâ est constituĂ©e par lâensemble des maniĂšres dâagir, de penser et de sentir qui structurent lâhĂ©ritage commun dâune sociĂ©tĂ© donnĂ©e. Ătablies au cours de lâhistoire, ces maniĂšres se transmettent de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, sont extĂ©rieures aux personnes dans la mesure oĂč elles les ont prĂ©cĂ©dĂ©es, les transcendent et leur survivent. La âconscience individuelleâ relĂšve de la sphĂšre privĂ©e de chaque
individu, de son caractĂšre, de son tempĂ©rament, de son hĂ©rĂ©ditĂ©, de ses expĂ©riences personnelles. La conception âdurkheimienneâ de la socialisation articule intĂ©rĂȘts
individuels et maintien de lâordre social : câest une conception objectivante dont la cĂ©lĂšbre citation « considĂ©rer les faits sociaux comme les choses »251 rĂ©vĂšle lâessence. DĂ©finie Ă partir des notions dâextĂ©rioritĂ© et de contrainte, cette conception oĂč « lâĂ©ducation consiste en une socialisation mĂ©thodique de la jeune gĂ©nĂ©ration »252 est celle dâune socialisation subie. La socialisation, dĂ©finie dans une perspective âdurkheimienneâ, dĂ©signe ainsi le procĂšs par lequel un individu est contraint dâagir et de penser en conformitĂ© avec la communautĂ© qui lâaccueille : il sâagit dâune âsocialisation moralisatriceâ.
§.2. La conception âbourdieusienneâ de la socialisation : lâajustement, via lâhabitus, des espĂ©rances et des aspirations aux chances objectives Câest pour tenter de comprendre les raisons pour lesquelles âles gens font
ce quâils fontâ, âse comportent comme ils se comportentâ, que Pierre BOURDIEU a Ă©laborĂ©, entre autres, les concepts dâhabitus et de champ. Il dĂ©finit lâhabitus comme « structure structurĂ©e prĂ©disposĂ©e Ă fonctionner comme structure
249 E. DURKHEIM, Leçons de sociologie, PUF, 1950, p.116 250 « En chacun de nous, il existe deux ĂȘtres qui, pour ĂȘtre insĂ©parables autrement que par abstraction, ne laissent pas dâĂȘtre distincts. Lâun est fait de tous les Ă©tats mentaux qui ne se rapportent quâĂ nous-mĂȘme et aux Ă©vĂ©nements de notre vie personnelle : câest ce quâon pourrait appeler lâĂȘtre individuel. Lâautre est un systĂšme dâidĂ©es, de sentiments et dâhabitudes qui expriment en nous, non pas notre personnalitĂ©, mais le groupe ou les groupes diffĂ©rents dont nous faisons partie ; telles sont les croyances religieuses, les croyances et les pratiques morales, les traditions nationales ou professionnelles, les opinions collectives de toute sorte. Leur ensemble forme lâĂȘtre social. Constituer cet ĂȘtre en chacun de nous, telle est la fin de lâĂ©ducation. » E. DURKHEIM, Ăducation et sociologie, PUF, 1966, p.51 251 E. DURKHEIM, Les RĂšgles de la mĂ©thode sociologique, op. cit., p.108 252 E. DURKHEIM, Ăducation et sociologie, op. cit., p.51
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structurante »253, câest-Ă -dire comme systĂšme de catĂ©gories de perception, dâapprĂ©ciation et de prĂ©fĂ©rences. Il sâagit dâun systĂšme de dispositions durables et transposables, structurĂ© par les conditions dâexistence et qui Ă son tour structure, engendre, organise des reprĂ©sentations et des pratiques. « Lâhabitus nâest pas une nature, ce nâest pas un destin, câest une inclination, un schĂšme gĂ©nĂ©rateur de pratiques, un principe dâinvention. »254 Pour Pierre BOURDIEU, les pratiques, qui semblent librement dĂ©terminĂ©es par la volontĂ© de lâindividu, sont induites, via lâhabitus, par ses conditions sociales dâexistence et notamment par celles quâil a connues durant sa prime enfance. « Histoire incorporĂ©e, faite nature et par-lĂ oubliĂ©e en tant que telle, lâhabitus est la prĂ©sence agissante de tout le passĂ© dont il est le produit. »255 Lâhabitus dâun individu peut ĂȘtre dĂ©fini comme la âgrammaireâ gĂ©nĂ©ratrice de toutes ses pratiques, symboliques ou matĂ©rielles, gĂ©nĂ©rales ou singuliĂšres. Pour P. BOURDIEU, la comprĂ©hension des conduites humaines dans leur singularitĂ© nĂ©cessite la prise en compte de la relation entre des habitus et ce quâil appelle des champs, concept sâinscrivant dans une perspective structurale, P. BOURDIEU dĂ©finissant le champ comme espace de positions objectives et non comme espace dâinteractions. La politique, la religion, le journalisme, le sport, lâart, la science, la didactique, fonctionnent comme des champs256 au sein desquels les agents sociaux luttent en fonction de la position quâils occupent dans ces espaces pour conserver ou transformer la structure de ces espaces sociaux structurĂ©s. La complexitĂ© de la dĂ©finition de lâhabitus permet de dĂ©passer le modĂšle holiste de la soumission aux rĂšgles, aux normes et aux valeurs qui sâimposeraient de lâextĂ©rieur aux agents sociaux et dâĂ©chapper Ă une explication mĂ©caniste par la dĂ©termination, au plan inconscient, des structures objectives. Elle permet Ă P. BOURDIEU de dĂ©crire les pratiques ordinaires comme habitĂ©es de finalitĂ©s sans fins posĂ©es comme telles, autrement dit, dâintentionnalitĂ© sans intentions, de connaissances sans conscience, de rationalitĂ© sans calcul, de rĂ©gularitĂ© sans obĂ©issance Ă des rĂšgles. Comme le souligne Jean Pierre SYLVESTRE, « [Lâhabitus] va jouer un rĂŽle mĂ©diateur et dĂ©cisif entre la thĂ©orie des effets [âŠ] qui rend compte de la diffĂ©rence des comportements individuels et collectifs Ă partir des conditions objectives dâexistence et la thĂ©orie des stratĂ©gies qui concerne les raisons pour lesquelles, de leur point de vue [âŠ], les acteurs font ce quâils font. En mĂȘme temps producteur et produit dâun certain nombre dâeffets, lâhabitus fonde les stratĂ©gies des acteurs et il rĂ©ussit ainsi lâarticulation entre les structures et les pratiques. »257 PrĂ©sence active et synthĂ©tique du passĂ© qui lâa produit, lâhabitus
253 P. BOURDIEU, Le sens pratique, op. cit., p.88 254 P. BOURDIEU, IntĂ©rĂȘt et dĂ©sintĂ©ressement, Ă©ditions du GRS, UniversitĂ© Lyon 2, 1989, p.30 255 P. BOURDIEU, Le sens pratique, op. cit., p.94 256 - que lâon peut penser par analogie avec des champs de forces physiques : champ magnĂ©tique, champ gravitationnel, champ Ă©lectrique - 257 J.P. SYLVESTRE, La pratique et ses raisons, op. cit., p.54
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est la structure gĂ©nĂ©ratrice de pratiques conformes Ă sa logique et Ă ses exigences, câest-Ă -dire excluant les pratiques les plus improbables, avant tout examen, au titre dâimpensable, les individus ajustant leurs espĂ©rances Ă leurs chances comme si, lorsque la possibilitĂ© dâaccomplir quelque chose disparaissait, le dĂ©sir lui-mĂȘme sâĂ©vaporait : « Câest parce quâil est le produit dâune confrontation durable avec un monde social prĂ©sentant des rĂ©gularitĂ©s indiscutables que lâhabitus peut assurer une adaptation minimale au cours probable de ce monde, Ă travers des anticipations âraisonnablesâ, grossiĂšrement ajustĂ©es (en dehors de tout calcul) aux chances objectives, et propres Ă contribuer au renforcement circulaire de ces rĂ©gularitĂ©s. »258 Dans la mesure oĂč, Ă©cartant toute stratĂ©gie leur paraissant trop risquĂ©e du fait de leurs expĂ©riences antĂ©rieures, les individus finissent gĂ©nĂ©ralement par ne vouloir que ce quâils ont les chances de rĂ©ussir, compte tenu de leur passĂ©, lâhabitus assure « cette sorte de soumission immĂ©diate Ă lâordre qui incline Ă faire de nĂ©cessitĂ© vertu, câest-Ă -dire Ă refuser le refusĂ© et Ă vouloir lâinĂ©vitable. »259 Câest cette sorte de ârĂ©gulation socialeâ que P. BOURDIEU appelle « le processus purement social et quasi magique de socialisation »260 puisquâil assure lâadhĂ©sion subjective et la participation active des agents Ă la reproduction de leur position sociale : « La âcausalitĂ© du probableâ qui tend Ă favoriser lâajustement des espĂ©rances aux chances est sans doute lâun des facteurs les plus puissants de la conservation de lâordre social. »261 Comme le soulignent François DUBET et Danilo MARTUCELLI, la notion de socialisation est ici pensĂ©e Ă la fois comme une cause et comme un effet, comme un objet Ă expliquer par le social et comme une explication de ce social. « Les conduites sont expliquĂ©es par la socialisation des acteurs, par la rĂ©alisation des schĂšmes et des modĂšles intĂ©riorisĂ©s, qui doivent, Ă leur tour, ĂȘtre expliquĂ©s par la nature dâune sociĂ©tĂ© produite par lâaction socialisĂ©e. Il est vrai que lâon peut craindre parfois dâĂȘtre pris dans des raisonnements circulaires tenant au fait que la socialisation apparaĂźt comme le mĂ©diateur essentiel de lâacteur et du systĂšme. La notion dââhabitusâ, telle quâelle a Ă©tĂ© construite par P. Bourdieu, peut ĂȘtre conçue comme une Ă©laboration thĂ©orique extrĂȘmement sophistiquĂ©e de cette conception de la socialisation, dans la mesure oĂč elle prĂ©sente une face de subjectivation de lâobjectivitĂ©, de conditionnement, et une autre dĂ©finie comme la capacitĂ© dâobjectiver ces dispositions subjectives dans diverses pratiques. Cette notion vise Ă croiser, comme dans le jeu des reflets des miroirs face Ă face, lâobjectivitĂ© de la sociĂ©tĂ© et la subjectivitĂ© de lâacteur. »262
258 P. BOURDIEU, MĂ©ditations pascaliennes, op. cit., p.255 259 P. BOURDIEU, Le sens pratique, op. cit., p.90 260 P. BOURDIEU, Le sens pratique, op. cit., p.96 261 P. BOURDIEU, MĂ©ditations pascaliennes, op. cit., p.273 262 F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, Ă©ditions du Seuil, 1996, p.51
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Le concept dâhabitus, qui constitue en quelque sorte le ânoyau durâ Ă partir duquel P. BOURDIEU dĂ©veloppe une conception de la socialisation, se trouve cependant mis en question sur un certain nombre de points.
Le premier point renvoie Ă lâanalyse du changement : en effet, si lâhabitus263 permet dâexpliquer la rĂ©sistance Ă la colonisation, Ă la domination, Ă lâimposition et donc la rĂ©sistance au changement, alors, inversement, son ancrage dans le structuralisme constitue un obstacle pour expliquer le changement lorsquâil se produit. Lâhabitus, dĂ©fini comme âstructure structurĂ©eâ, est, en tant que tel, vouĂ© Ă rĂ©sister et Ă demeurer ; câest une des critiques formulĂ©es par Claude DUBAR : « Si chaque individu est conditionnĂ© de façon cohĂ©rente, dĂšs sa prime enfance, dans ses postures corporelles comme dans ses croyances les plus intimes, Ă ne percevoir, ne vouloir et ne faire que ce qui est conforme Ă ses conditions sociales antĂ©rieures, on ne voit pas dâoĂč pourrait venir le changement : chacun reproduisant strictement ce quâil a connu, les conditions ayant engendrĂ© les habitus se retrouveraient inchangĂ©es par les pratiques issues de ces habitus. »264 Une interrogation porte sur le problĂšme de lâĂ©laboration des
structures mentales considĂ©rĂ©es comme produit de lâintĂ©riorisation des structures sociales, une autre porte sur les questions relatives Ă la libertĂ© des agents et Ă leur capacitĂ© dâinvention. Elles Ă©manent notamment de Jean Pierre SYLVESTRE : « Si les individus ne sont pas, dans leur essence mĂȘme, des ĂȘtres de raison, comment expliquer le passage de la rationalitĂ© âstructuraleâ Ă la rationalitĂ© individuelle ? Et si les individus ne sont pas Ă©galement, par essence, des ĂȘtres libres, comment expliquer le changement social et le fait que des conditions objectives identiques puissent engendrer des habitus ou des âsystĂšmes de dispositionâ diffĂ©rents ? »265 AprĂšs avoir soulignĂ© la duplicitĂ© que fait P. BOURDIEU du concept
dâhabitus, qui lui permettrait dâopposer ou de concilier les contraires266, Claude GRIGNON considĂšre que ce concept, dans son principe, fonctionne comme une vĂ©ritable âboĂźte noireâ, scellĂ©e de maniĂšre dĂ©finitive, ce qui a pour effet regrettable de dissuader les chercheurs dâentreprendre les tĂąches empiriques de description et de reconstitution indispensable Ă lâĂ©laboration
263 - comme dâailleurs le concept dâethos utilisĂ© par BOURDIEU dans AlgĂ©rie 60 ou par Richard HOGGART dans La culture du pauvre - 264 C. DUBAR, La socialisation, Construction des identitĂ©s sociales et professionnelles, Ă©ditions A. Colin, 1995, p.66 265 J.P. SYLVESTRE, La pratique et ses raisons, op. cit., p.61 266 « Comme le montre lâexemple de lâopposition entre le sujet et lâobjet [âŠ], utiliser la notion dâhabitus permet de ne jamais se prononcer sur le sens de la relation que lâon dĂ©signe, de mĂ©nager Ă tout moment la possibilitĂ© dâune inversion, dâun renversement. » C. GRIGNON, Le savant ou le lettrĂ© ou lâexamen dâune dĂ©sillusion, op. cit., p.95
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dâune vĂ©ritable thĂ©orie sociologique : « DĂšs lors que chaque terme renferme son contraire, il nây a pas lieu dâĂ©crire le ârĂ©citâ quâon prĂ©tend rĂ©sumer dâun mot sans le connaĂźtre ; il est inutile de chercher Ă dĂ©couvrir les mĂ©canismes de cette reproduction, de savoir dans quelles conditions, Ă quel degrĂ©, par quelles Ă©tapes, les sujets intĂ©riorisent leur condition objective, de dĂ©mĂȘler les enchevĂȘtrements du calcul et de la spontanĂ©itĂ©, de reconstituer la genĂšse et la diversitĂ© sociale des apprentissage, la complexitĂ© des conflits et des arrangements entre les expĂ©riences succesives dont se composent les personnalitĂ©s individuelles. »267
§.3. François DUBET et Danilo MARTUCELLI : la socialisation définie comme processus combinatoire par lequel les acteurs construisent leur expérience
« La socialisation nâest pas rĂ©ductible Ă un processus de mise en conformitĂ© des acteurs avec leur environnement, elle ne se ramĂšne pas Ă la seule acquisition de dispositions car elle implique aussi que les acteurs acquiĂšrent une capacitĂ© dâadaptation Ă un environnement multiple et changeant et, surtout, une capacitĂ© dâindividualisation et dâautonomie : une rĂ©flexivitĂ©. Câest par ce travail sur lui-mĂȘme que lâindividu nâest pas seulement un acteur social mais quâil est aussi un sujet. »268
François DUBET et Danilo MARTUCELLI dĂ©finissent lâexpĂ©rience scolaire comme « la maniĂšre dont les acteurs, individuels ou collectifs, combinent les diverses logiques de lâaction qui structurent le monde scolaire. »269 En ce sens, lâexpĂ©rience scolaire possĂšde une double nature :
Dâune part, elle est un travail des individus qui construisent une identitĂ©, une cohĂ©rence et un sens, dans un ensemble social qui nâen possĂšde pas a priori dans la mesure oĂč les fonctions sociales270 de lâĂ©cole se sont sĂ©parĂ©es et dĂ©sarticulĂ©es : « LâutilitĂ© sociale des Ă©tudes, leurs finalitĂ©s culturelles et leurs modes de contrĂŽle ne sâaccordent plus et ne se renforcent plus mutuellement. »271 Dans cette perspective, la socialisation et la formation du sujet sont dĂ©finies comme le processus par lequel les acteurs construisent leur expĂ©rience. Dâautre part, les logiques de lâaction qui se combinent dans
lâexpĂ©rience scolaire nâappartiennent pas aux individus ; elles correspondent aux Ă©lĂ©ments du systĂšme scolaire et sont imposĂ©es aux
267 C. GRIGNON, Le savant ou le lettrĂ© ou lâexamen dâune dĂ©sillusion, op. cit., p.96 268 F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, op. cit., p.50 269 F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, op. cit., p.62 270 - fonction de socialisation, fonction de distribution des qualifications scolaires, fonction Ă©ducative - 271 F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, op. cit., p.66
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acteurs comme des Ă©preuves quâils ne choisissent pas. Ces logiques de lâaction (lâintĂ©gration272, la stratĂ©gie273, la subjectivation274) correspondent Ă trois fonctions du systĂšme scolaire que DUBET et MARTUCELLI identifient : la socialisation, la distribution de compĂ©tences et lâĂ©ducation. âLâexpĂ©rience scolaireâ se prĂ©sente comme une Ă©preuve dans laquelle les
Ă©lĂšves sont âobligĂ©sâ de combiner et dâarticuler ces diverses logiques de lâaction. DUBET et MARTUCELLI analysent, par exemple, les raisons qui conduisent un Ă©lĂšve Ă travailler : « LâĂ©lĂšve peut travailler parce que câest ainsi, parce quâil a intĂ©riorisĂ© lâobligation du travail scolaire dans sa famille et Ă lâĂ©cole, et câest essentiel. Mais cet Ă©lĂšve doit et peut aussi travailler sâil est capable de percevoir lâutilitĂ©, scolaire ou non, de ce travail, sâil est en mesure ou en position dâanticiper des gains, ce qui ne recouvre pas exactement le premier type de signification. Enfin, lâĂ©lĂšve peut travailler parce quâil Ă©prouve ce travail comme une forme de rĂ©alisation de soi, dâintĂ©rĂȘt intellectuel. »275 Pour DUBET et MARTUCELLI, toutes ces significations sâenchevĂȘtrent et se transforment, mais ne se confondent pas : « Câest lâindividu qui les combine et les articule dans une expĂ©rience qui est le travail mĂȘme de la socialisation. »276 Lâanalyse du processus de socialisation (lâexpĂ©rience scolaire) doit alors permettre de mettre au jour « ce que âfabriqueâ lâĂ©cole, quel type dâacteur et quel type de sujet. »277 DUBET et MARTUCELLI distinguent alors un certain nombre de variables fondamentales :
272 « Tout acteur social est soumis Ă une logique de lâintĂ©gration sociale. Il est dĂ©fini par une appartenance, par un rĂŽle et par une identitĂ© culturelle dont il hĂ©rite, non seulement Ă sa naissance, mais au cours des diverses Ă©tapes ou situations de son existence. [âŠ] Quand lâacteur se place dans cette perspective de lâaction, le monde est perçu comme un ordre, comme un ensemble organisĂ© dans lequel les normes et les rapports sociaux dĂ©finissent la place de chacun, la forme et le niveau de son intĂ©gration. [âŠ] Ătre Ă©lĂšve, câest comprendre et intĂ©rioriser les attentes de lâorganisation, se situer dans lâordre des hiĂ©rarchies scolaires, câest aussi se socialiser Ă travers le jeu des groupes dâappartenance et des groupes de rĂ©fĂ©rence. » F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, op. cit., p.62 273 « Lâaction sociale nâest pas seulement dĂ©finie en termes dâintĂ©gration ; elle est aussi portĂ©e par une logique stratĂ©gique dans laquelle lâacteur construit une rationalitĂ© limitĂ©e en fonction de ses objectifs, de ses ressources et de sa position. [âŠ] Par exemple, le bon Ă©lĂšve nâest pas seulement capable de se conformer aux attentes de lâorganisation ; il est aussi celui qui triomphe dans un espace scolaire dĂ©fini comme une compĂ©tition dans laquelle il est nĂ©cessaire dâanticiper sur le moyen et le long terme, de choisir de la façon la plus efficace et de mesurer Ă la fois les bĂ©nĂ©fices et les coĂ»ts. » F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, op. cit., p.63 274 « Lâacteur social nâest pas uniquement dĂ©fini par ses appartenances et par ses intĂ©rĂȘts. Il est aussi dĂ©fini par une distance Ă lui-mĂȘme et par une capacitĂ© critique qui en font un âsujetâ dans la mesure oĂč il se rĂ©fĂšre Ă une dĂ©finition culturelle de cette capacitĂ© dâĂȘtre sujet. Ainsi, Ă cĂŽtĂ© de lâintĂ©gration et de la confrontation des stratĂ©gies, lâexpĂ©rience scolaire est nĂ©cessairement dĂ©finie par une rĂ©fĂ©rence Ă la culture capable de former un sujet autonome au-delĂ de lâutilitĂ© des rĂŽles. » F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, op. cit., p.64 275 F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, op. cit., p.65 276 F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, op. cit., p.65 277 F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, op. cit., p.65
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Le premier type de variables est de nature historique : au fil du temps et de âlâaventure scolaireâ, lâexpĂ©rience scolaire se transforme sous la double influence de lâĂąge et de la position scolaire. Bien quâil soit difficile de distinguer ce qui relĂšve du registre de la psychogenĂšse de celui de la sociogenĂšse, DUBET et MARTUCELLI supposent que la nature et le poids des diverses logiques de lâaction se transforment du seul fait que les enfants grandissent et que leur position dans le systĂšme scolaire change : les modes dâintĂ©gration et de discipline Ă©voluent, comme la place faite au groupe de pairs. Au fil du temps et de âlâaventure scolaireâ, la diversitĂ© du systĂšme et la compĂ©tition sâaccentuent et le projet devient une dimension essentielle de lâexpĂ©rience. Le rapport subjectif aux Ă©tudes se transforme Ă©galement avec lâĂ©volution des programmes, des mĂ©thodes dâenseignement et de la maturation cognitive des Ă©lĂšves. Le second type de variables est relatif Ă la position sociale et scolaire
des Ă©lĂšves. En fonction de leur place dans le systĂšme, les Ă©lĂšves ne sont soumis ni aux mĂȘmes programmes ni aux mĂȘmes mĂ©thodes et ne disposent pas des mĂȘmes ressources stratĂ©giques. Dans la mesure oĂč les positions scolaires des Ă©lĂšves sâinscrivent dans leur carriĂšre, le passĂ© de chacun dâeux doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un « facteur de dĂ©termination »278 de cette expĂ©rience. DUBET et MARTUCELLI soulignent que dâautres variables comme le sexe, la nature des Ă©tablissements scolaires, le style pĂ©dagogique des enseignants, jouent Ă©galement un rĂŽle dans lâexpĂ©rience scolaire, mais ne lâĂ©puisent pas. Remarquons que DUBET et MARTUCELLI mobilisent abondamment le
vocabulaire du dĂ©terminisme pour expliciter leur conception de la socialisation comme lâatteste lâextrait suivant : « LâexpĂ©rience scolaire doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme fortement dĂ©terminĂ©e socialement dans la mesure oĂč chaque logique de lâaction relĂšve dâun mode de dĂ©termination spĂ©cifique : lâengendrement par la socialisation, lâeffet dâun systĂšme de composition issu des concurrences, et la tension entre la culture et les rapports sociaux. »279 PrĂ©cisons que nous nâabordons, dans ce paragraphe, que la seule conception de la socialisation dĂ©veloppĂ©e par ces auteurs : leur problĂ©matique gĂ©nĂ©rale de recherche, leur mĂ©thode et leurs conclusions seront interrogĂ©es par la suite.
Les acceptions du mot socialisation oscillent entre deux exigences
opposĂ©es. La premiĂšre acception concerne le âprocĂšs de normalisationâ : lâaccent est mis sur lâintĂ©riorisation via lâinculcation ou via lâadaptation de lâindividu Ă la communautĂ© qui lâaccueille. Lâautre acception concerne le 278 F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, op. cit., p.66 279 F. DUBET et D. MARTUCELLI, Ă lâĂ©cole, Sociologie de lâexpĂ©rience scolaire, op. cit., p.66
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âprocĂšs dâautoconstructionâ dont lâexplicitation nĂ©cessite lâemploi du verbe rĂ©flĂ©chi âse-socialiserâ. Câest contre lâidĂ©e de socialisation subie, contre lâidĂ©e de âsocialisation adaptationâ280, contre lâidĂ©e dâintĂ©riorisation, mais en rĂ©fĂ©rence Ă la phĂ©nomĂ©nologie existentielle telle que lâa Ă©laborĂ©e Maurice MERLEAU-PONTY, que Guy VINCENT a dĂ©fini la socialisation comme « la rĂ©alisation dâune certaine maniĂšre dâĂȘtre-ensemble et dâĂȘtre-au-monde. »281 La prĂ©sentation de ce paradigme fait lâobjet du paragraphe suivant.
§.4. La socialisation : processus sans cesse renouvelĂ© âdâune maniĂšre dâĂȘtre ensemble et dâĂȘtre au mondeâ LâĂȘtre social se-construit. Cette conception du social sâinscrit dans la
tentative de dĂ©passer de nombreuses alternatives - celle du sujet et de lâobjet, celle de la conscience pour soi et de la chose en soi - et de rĂ©activer une certaine conception des rapports entre sciences de lâhomme et philosophie, dĂ©veloppĂ©e notamment par Maurice MERLEAU-PONTY dans Sens et non sens282 et dans PhĂ©nomĂ©nologie de la perception.
Abordant la question des classes sociales Ă travers lâalternative de la
âclasse en soiâ et de la âclasse pour soiâ, M. MERLEAU-PONTY consacre les vingt derniĂšres pages de PhĂ©nomĂ©nologie de la perception283 Ă lâexposĂ© de sa conception. Prolongeant la thĂšse de Karl MARX, pour qui la classe ouvriĂšre nâexiste quâĂ partir du moment oĂč il y a conscience de classe, Maurice MERLEAU-PONTY dĂ©veloppe lâidĂ©e selon laquelle ce nâest pas la position dans des rapports objectifs qui qualifie le prolĂ©taire mais le fait quâil construise progressivement sa conscience de classe Ă travers âla rĂ©alisation dâune certaine maniĂšre dâĂȘtre-au-mondeâ. « Ce nâest pas lâĂ©conomie ou la sociĂ©tĂ© considĂ©rĂ©es comme systĂšme de forces impersonnelles qui me qualifient comme prolĂ©taire, câest la sociĂ©tĂ© ou lâĂ©conomie telles que je les porte en moi, telles que je les vis, - et ce nâest pas davantage une opĂ©ration intellectuelle sans motif, câest ma maniĂšre dâĂȘtre au monde dans ce cadre institutionnel. »284 Il nâexiste pas de classes qui prĂ©existeraient et dont on prendrait conscience ensuite : les classes sociales se rĂ©alisent dans et par la conscience de classes. Il est remarquable que cette conception se trouve en quelque sorte âillustrĂ©eâ par lâanalyse des classes populaires anglaises que nous livre Richard HOGGART dans La culture du
280 - attachĂ©e au structuralisme gĂ©nĂ©tique - 281 G. VINCENT, De âlâĂ©ducation de la dĂ©mocratieâ Ă la âsocialisation dĂ©mocratiqueâ, in Vers une socialisation dĂ©mocratique, sous la direction de J. B. PATURET, Ă©ditions ThĂ©Ă©tĂšte 1997, p.48 282 Chapitre III de la deuxiĂšme partie (Le mĂ©taphysique dans lâhomme) : M. MERLEAU-PONTY, Sens et non sens, op. cit. 283 Chapitre III (La libertĂ©) de la troisiĂšme partie (LâĂȘtre-pour-soi et lâĂȘtre-au-monde) : M. MERLEAU-PONTY, PhĂ©nomĂ©nologie de la perception, op. cit. 284 M. MERLEAU-PONTY, PhĂ©nomĂ©nologie de la perception, op. cit.
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pauvre285. R. HOGGART analyse des styles de vies ; il dĂ©crit Ă la fois le langage et le sentiment des classes populaires, les maniĂšres de se comporter, de sâhabiller, les maniĂšres de faire au cours des diffĂ©rences circonstances de la vie, par exemple dans le domaine de lâalimentation, de la contraception, de la conversation, de lâhumour, des relations de voisinage, du rapport aux jeux dâargent : il montre comment relier ces âmaniĂšres dâĂȘtre-ensemble et dâĂȘtre-au-mondeâ. Pour R. HOGGART, il existe une logique fondamentale Ă lâĆuvre dans ces diffĂ©rentes conduites, logique quâil rattache aux conditions dâexistence : les gens des classes populaires anglaises vivent au jour le jour. Cette attitude se comprend par rĂ©fĂ©rence Ă leurs conditions de vie, non seulement au peu dâargent disponible mais au fait que les gens sont payĂ©s Ă la semaine. « Chaque semaine on touche sa paye et, chaque semaine, on la dĂ©pense entiĂšrement. »286 Câest dans son unitĂ© que Richard HOGGART aborde la culture des classes populaires : il cherche Ă lâĆuvre dans les façons de vivre, de penser, de sentir, dâagir, les principes fondamentaux de ce rapport-au-monde. Un des principes, quâil met en Ă©vidence est une âcertaine maniĂšre dâĂȘtre au tempsâ, un certain rapport Ă lâavenir. Un autre principe de ce rapport-au-monde est la distinction entre âeuxâ et ânousâ287 qui est lâexpression de la conscience dâĂȘtre prĂ©sent dans un monde structurĂ© par des rapports de domination. âCette conscience deâŠâ apparaĂźt aux sujets en mĂȘme temps quâun certain nombre de leurs conditions de vie. Ce sont ces maniĂšres âdâĂȘtre-ensemble et dâĂȘtre-au-mondeâ, maniĂšres changeantes, qui permettent Ă lâauteur de dĂ©crire ce quâil appelle âla culture du pauvreâ, câest-Ă -dire âla conscience du pauvreâ. Les analyses descriptives de Richard HOGGART, notamment lorsquâil aborde la condition des dĂ©racinĂ©s, des autodidactes et de ce
285 Ă©dition anglaise, 1957, traduction française aux Ă©ditions de Minuit en 1970 286 R. HOGGART, La culture du pauvre, Ă©ditions de Minuit, 1970, p.184 287 « Pour les classes populaires, le monde des âautresâ se dĂ©signent dâun mot : âeuxâ. [âŠ] Le monde des âautresâ, câest dâabord celui des patrons, quâil sâagisse dâemployeurs privĂ©s ou de fonctionnaires, comme cela tend Ă devenir la rĂšgle. Mais le monde des âautresâ sâĂ©tend facilement aux membres de toutes les autres classes, exception faite de ceux que les travailleurs connaissent personnellement. Un mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste qui se fait accepter en se dĂ©vouant Ă ses clients nâest pas âun autreâ : il a lui-mĂȘme (ou sa femme) une physionomie sociale. âLes autresâ, cela comprend encore les policiers, les fonctionnaires de lâautoritĂ© centrale ou locale que les travailleurs ont lâoccasion de rencontrer, les instituteurs, les assistantes sociales et les juges de correctionnelle. Il fut un temps oĂč les directeurs de bureaux de chĂŽmage et les assistantes sociales Ă©taient particuliĂšrement typiques de cet univers. Aux yeux des couches les plus pauvres en particulier, le monde des âautresâ constitue un groupe occulte, mais nombreux et puissant, qui dispose dâun pouvoir presque discrĂ©tionnaire sur lâensemble de la vie : le monde se divise entre âeuxâ et ânousâ. âEuxâ, câest, si lâon veut âle dessus du panierâ, âles gens de la hauteâ, ceux qui vous distribuent lâallocation-chĂŽmage, âappellent le suivantâ, vous disent dâaller Ă la guerre, vous collent des amendes, vous ont obligĂ©s pendant les annĂ©es 30 Ă diviser votre famille pour Ă©viter de voir rĂ©duire les secours. » R. HOGGART, La culture du pauvre, op. cit., p.117-118
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quâil appelle les âbricoleurs intellectuelsâ288, relĂšvent ainsi dâune phĂ©nomĂ©nologie de la conscience de classe ; elles illustrent parfaitement la conception de la socialisation exposĂ©e par Guy VINCENT : « La socialisation est sans cesse en train de se faire, de se dĂ©faire, de se refaire. Elle peut toujours se faire autrement. »289
La socialisation, considérée ici comme procÚs sans cesse renouvelé de
socialisation/dĂ©-socialisation est recherche290 âtĂątonnanteâ de sens, le mot âsensâ devant ĂȘtre entendu au triple sens de sensation, de signification et de direction. Le but que lâon poursuit est toujours voilĂ©. « Une jeune fille qui a envie de se marier a envie dâune chose qui lui est tout Ă fait inconnue. Le jeune homme qui court aprĂšs la gloire nâa aucune idĂ©e de ce quâest la gloire. Ce qui donne un sens Ă notre conduite nous est toujours totalement inconnu. »291 Cette conception constructiviste de la socialisation nĂ©cessite la prise en compte des concepts de situation, dâhistoricitĂ© et de sujet historique qui lui sont attachĂ©s.
Tout individu est un ĂȘtre social situĂ© dans le monde et dans lâhistoire qui
se-construit comme sujet historique Ă mesure quâil se trouve confrontĂ© aux situations quâil contribue lui-mĂȘme Ă Ă©tablir. Il se-socialise dans des formes sociales non prĂ©alablement constituĂ©es mais qui sâĂ©laborent Ă partir de lâexistant, du dĂ©jĂ -lĂ . Il ne cesse alors dâĂȘtre sollicitĂ© par un ensemble dâĂ©vĂ©nements auxquels il peut ou non donner un sens et quâil peut Ă©ventuellement saisir en les inflĂ©chissant de maniĂšre Ă se construire un avenir. Cette prise en compte des relations dâintersubjectivitĂ© entre les diffĂ©rents sujets nous amĂšne naturellement Ă rencontrer les thĂšses de Norbert ELIAS, notamment pour substituer Ă lâanalyse âclassiqueâ du rapport entre groupe social et individu, considĂ©rĂ© comme rapport de âdĂ©terminationâ de lâindividu par la sociĂ©tĂ©, une analyse en termes de formes de relations dâinterdĂ©pendances et de 288 « Le boursier appartient en effet (et cela reste vrai Ă peu prĂšs jusquâen classe terminale) aux deux mondes Ă la fois : il subit plus que tout autre Ă©lĂšve, lâinfluence de lâĂ©cole et des valeurs scolaires, mais il nâen reste pas moins attachĂ© Ă la vie du groupe familial et Ă ses valeurs. Câest donc en rĂ©sistant Ă ce qui fait la qualitĂ© principale de la vie des classes populaires, lâintensitĂ© des Ă©changes familiaux, que le boursier doit faire les premiers pas de sa longue marche vers la solitude, puis peut-ĂȘtre vers lâintĂ©gration Ă un autre groupe. [âŠ] Son vĆu le plus profond serait de faire communiquer les deux univers entre lesquels il est Ă©cartelĂ©. » R. HOGGART, La culture du pauvre, op. cit., p.351-352 289 G. VINCENT, De âlâĂ©ducation de la dĂ©mocratieâ Ă la âsocialisation dĂ©mocratiqueâ, op. cit., p.48 290 « Les sciences de lâhomme ont fait voir que toute connaissance de lâhomme par lâhomme est inĂ©vitablement, non pas contemplation pure, mais reprise par chacun, selon ce quâil peut, des actes dâautrui, rĂ©activation Ă partir de signes ambigus dâune expĂ©rience qui nâest pas la sienne, appropriation par lui dâune structure [âŠ] dont il ne forme pas un concept distinct et quâil restitue comme le pianiste exercĂ© dĂ©chiffre une musique inconnue : sans saisir lui-mĂȘme les motifs de chaque geste ou de chaque opĂ©ration, sans pouvoir rĂ©veiller tout le savoir sĂ©dimentĂ© dont il fait usage Ă ce moment. » M. MERLEAU-PONTY, Le mĂ©taphysique dans lâhomme, in Sens et non sens, Ă©ditions Gallimard, NRF, 1996, p.113-114 291 M. KUNDĂRA, Lâinsoutenable lĂ©gĂšretĂ© de lâĂȘtre, NRF Gallimard, 1984, p.156-157
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configurations historiques. La dichotomie traditionnelle individu\sociĂ©tĂ©, critiquĂ©e par ELIAS, considĂšre lâindividu comme un rĂ©ceptacle relativement passif, agi et dĂ©terminĂ© de lâextĂ©rieur par des influences, par un environnement social. En ce sens, traiter les individus comme isolĂ©s, câest oublier leur Ă©ducation, lâensemble des relations quâils ont eues avec dâautres, leur historicitĂ©. Or, pour ELIAS la sociĂ©tĂ© nâest pas extĂ©rieure Ă lâindividu : ce qui est constitutif de la sociĂ©tĂ©, ce sont les individus. PlutĂŽt que de se poser la question des relations de dĂ©termination, dâinfluences rĂ©ciproques, de causalitĂ©, de rapport, dâeffets, entre individus et sociĂ©tĂ©, individus et environnement social, individus et milieu social, ELIAS Ă©tudie les formes que prennent ces relations dâinterdĂ©pendance. Il appelle configurations les formes spĂ©cifiques dâinterdĂ©pendance qui relient les individus entre eux. ELIAS substitue Ă la conception dâune sociĂ©tĂ© comme simple collection dâindividus-atomes, indĂ©pendants les uns des autres, interchangeables et fondamentalement rationnels, lâidĂ©e de configurations concrĂštes que les individus forment ensemble sans jamais leur prĂ©exister et que lâon ne peut analyser sans tenir compte du sens intentionnel que les actions possĂšdent pour les ĂȘtres sociaux. La sociĂ©tĂ© est alors envisagĂ©e comme le tissu mouvant et changeant de multiples dĂ©pendances rĂ©ciproques, dâĂ©quilibres instables, de tensions, de forces, qui lient les individus les uns avec les autres. Chaque existence individuelle et collective est indissociablement individuelle et collective. Les individus sont ce quâils sont parce quâils se sont constituĂ©s depuis leur naissance Ă travers les multiples relations dâinterdĂ©pendance dans lesquelles ils ont Ă©tĂ© sollicitĂ©s. Ils se constituent socialement, mentalement Ă travers les relations quâils entretiennent avec leurs parents, leurs frĂšres et sĆurs, avec les diffĂ©rents groupes sociaux auxquels ils appartiennent. Pour ELIAS, il nây a pas un individu sĂ©parĂ© qui serait constituĂ© hors de tout rapport avec le reste du monde et qui rentrerait en relation avec le reste du monde. DĂšs le dĂ©part, la rĂ©alitĂ© mĂȘme de cet individu, mentale, psychique, sociale est une rĂ©alitĂ© qui sâest construite Ă travers les diffĂ©rentes relations quâil a entretenues avec diffĂ©rents individus appartenant Ă diffĂ©rents groupes sociaux, et pour comprendre la maniĂšre dont les individus pensent, se comportent, il faut reconstruire ces formes de relations dâinterdĂ©pendance. « Pour comprendre un individu, il faut savoir quels sont les dĂ©sirs prĂ©dominants quâil aspire Ă satisfaire.[...]Mais ces dĂ©sirs ne sont pas inscrits en lui avant toute expĂ©rience. Ils se constituent Ă partir de la plus petite enfance sous lâeffet de la coexistence avec les autres. »292 Pour ELIAS, cette interdĂ©pendance est constitutive de chaque subjectivitĂ©. Les relations nous transforment Ă nâimporte quel moment, plus ou moins durablement, plus ou moins profondĂ©ment : nous sommes progressivement constituĂ©s, retransformĂ©s par les relations. Il est important dâobserver que, pour ELIAS, les formes dâinterdĂ©pendances dans
292 N. ELIAS, Mozart, Sociologie dâun gĂ©nie, Ă©ditions du Seuil, 1991, p.14
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lesquelles sont pris les ĂȘtres sociaux nâagissent pas uniquement comme des contraintes extĂ©rieures, mais participent Ă la formation des « structures de la personnalitĂ© sociale. »293 Un ĂȘtre social sâinsĂšre tout au long de sa vie dans de nombreux rĂ©seaux de relations qui lui prĂ©existent (une famille, une classe sociale, une ville, une nation, ...) et qui sont souvent le produit dâune longue histoire. Ce sont ces rĂ©seaux de relations qui vont contribuer Ă modeler ses formes de sensibilitĂ© et de pensĂ©e. « Par exemple, les parents sont eux-mĂȘmes rattachĂ©s par de multiples liens invisibles Ă leurs propres parents, leurs frĂšres et sĆurs, leurs relations de travail, leurs amis, leurs voisins... ces liens Ă©tant prĂ©sents mais aussi passĂ©s : ces adultes se sont constituĂ©s Ă travers des rĂ©seaux dâinterdĂ©pendance que nous ne saisissons plus quâĂ travers leurs produits cristallisĂ©s, sous forme de dispositions spĂ©cifiques Ă se comporter, Ă sentir, Ă agir, Ă penser... »294 On doit Ă Bernard LAHIRE dâavoir montrĂ© comment le concept de formes dâinterdĂ©pendance pouvait se rĂ©vĂ©ler particuliĂšrement Ă©clairant pour rendre compte de rĂ©ussites scolaires singuliĂšres dâĂ©lĂšves originaires des milieux populaires295. Alors que les hypothĂšses qui mettent en exergue un facteur explicatif dominant (le surinvestissement scolaire, le âprojet scolaireâ, le contrĂŽle moral rigoureux, ...) conduisent Ă des apories dĂšs lors que lâon considĂšre des cas singuliers dans leur complexitĂ©, la description des formes de relations dâinterdĂ©pendance familiales permet de progresser dans la comprĂ©hension des processus de construction des schĂšmes mentaux, comportementaux, cognitifs et permet ainsi dâatteindre les processus Ă lâĆuvre Ă lâoccasion de leur rĂ©ussite. Socialisation et totalitarisme
De trĂšs nombreux passages du livre de Milan KUNDĂRA, Lâinsoutenable lĂ©gĂšretĂ© de lâĂȘtre, rendent compte de la pertinence de la conception du social dĂ©fini comme intersubjectivitĂ© et histoire : câest le cas notamment lorsque lâauteur Ă©voque un certain nombre de formes et de processus Ă lâĆuvre dans le totalitarisme, non seulement Ă travers lâhistoire collective du peuple tchĂšque mais Ă©galement et de maniĂšre indissociable Ă travers lâhistoire individuelle des personnages quâil raconte. « Dans les pays communistes, lâinspection et le contrĂŽle des citoyens sont des activitĂ©s fondamentales et permanentes. Pour quâun peintre obtienne lâautorisation dâexposer, pour quâun citoyen ait un visa et passe ses vacances au bord de la mer, pour quâun footballeur soit admis dans lâĂ©quipe nationale, il faut dâabord que soient rĂ©unies toutes sortes de rapports et de certificats les concernant (de la concierge, des collĂšgues de travail, de la police, de la cellule du parti, du comitĂ© dâentreprise), et ces attestations sont ensuite additionnĂ©es, soupesĂ©es, rĂ©capitulĂ©es par des fonctionnaires
293 N. ELIAS, La société des individus, éditions Fayard, 1991, p.239 294 B. LAHIRE, Tableaux de familles, éditions du Seuil, 1995, p.38-39 295 B. LAHIRE, Tableaux de familles, op. cit.
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spĂ©cialement affectĂ©s Ă cette tĂąche. Ce qui est dit dans ces attestations nâa rien Ă voir avec lâaptitude du citoyen Ă peindre ou Ă shooter, ou avec son Ă©tat de santĂ© qui peut exiger un sĂ©jour Ă la mer. Il y est question dâune seule chose, de ce quâon appelle âle profil politique du citoyenâ (ce que dit le citoyen, ce quâil pense, comment il se comporte, sâil participe aux rĂ©unions ou aux cortĂšges du 1er mai). Ătant donnĂ© que tout (la vie quotidienne, lâavancement et les vacances) dĂ©pend de la façon dont le citoyen est notĂ©, tout le monde est obligĂ© (pour jouer dans lâĂ©quipe nationale, avoir une exposition ou passer des vacances au bord de la mer) de se comporter de maniĂšre Ă ĂȘtre bien notĂ©. [âŠ] Sabina, au temps oĂč elle Ă©tait Ă©tudiante, habitait dans une citĂ© universitaire. Le 1er mai, tout le monde Ă©tait obligĂ© de se rendre de bonne heure aux points de rassemblement du cortĂšge. Pour quâil ne manquĂąt personne, des Ă©tudiants, militants rĂ©tribuĂ©s, vĂ©rifiaient que le bĂątiment Ă©tait vide. Elle allait se cacher dans les toilettes et ne retournait dans sa chambre que lorsque tout le monde Ă©tait depuis longtemps parti. [âŠ] Quand Ă©tudiante, elle travaillait au Chantier de la jeunesse et avait dans lâĂąme le venin des joyeuses fanfares qui jaillissaient sans interruption des haut-parleurs, elle Ă©tait partie un dimanche Ă moto. Elle parcourut des kilomĂštres en forĂȘt et sâarrĂȘta dans un petit village inconnu perdu au milieu des collines. Elle appuya la moto contre le mur de lâĂ©glise et entra. On cĂ©lĂ©brait justement la messe. La religion Ă©tait alors persĂ©cutĂ©e par le rĂ©gime communiste et la plupart des gens Ă©vitaient les Ă©glises. Sur les bancs il nây avait que des vieillards, car eux nâavaient pas peur du rĂ©gime. Ils nâavaient peur que de la mort. »296 De telles descriptions sont lâoccasion de souligner que cette conception phĂ©nomĂ©nologique du social sâaccorde avec la prise en compte de la possibilitĂ©, pour les ĂȘtres confrontĂ©s aux pires situations de domination297, de rĂ©sister en se-construisant ou en sâinventant quelques interstices de libertĂ©.
Nous pensions, lors dâune premiĂšre lecture, pouvoir ârattacherâ le travail
sociologique de Vincent DE GAULEJAC apprĂ©hendĂ© principalement Ă travers deux ouvrages - La nĂ©vrose de classe et La lutte des places298 -, Ă cette conception historicisante de la socialisation puisquâil articule sociologie, histoire et psychanalyse. Or, la pertinence de ce ârattachementâ se rĂ©vĂšle en fait problĂ©matique. Le concept dâhistoricitĂ© est la principale notion convoquĂ©e par ces auteurs pour apprĂ©hender notamment la nature de « la nĂ©vrose de classe [qui] spĂ©cifie un conflit qui Ă©merge Ă lâarticulation entre lâhistoire personnelle, lâhistoire familiale et lâhistoire sociale dâun individu »299, pour apprĂ©hender âles 296 M. KUNDĂRA, Lâinsoutenable lĂ©gĂšretĂ© de lâĂȘtre, op. cit., p.125, 129, 142 297 On peut lire sur ce sujet, une analyse de la rĂ©sistance Ă lâextermination au camp de concentration dâAuschwitz Ă travers Lâhistoire de Margareta Glas-Larsson, entretien commentĂ© par G. BOTZ et M. POLLAK, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°41, fĂ©vrier 1982, p.3-28 298 V. DE GAULEJAC, I. TABOADA LĂONETTI, F. BLONDEL, D.M. BOULIER, La lutte des places, Ă©ditions DesclĂ©e de Brouwer, 1994 299 V. DE GAULEJAC, La nĂ©vrose de classe, Hommes et groupes Ă©diteurs, 1987, p.15
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conflits psychologiques liĂ©s au dĂ©classement socialâ, âlâexclusion socialeâ, âlâinsertion et la dĂ©sinsertionâ. Ă travers lâexpĂ©rience de ZAHOUA, jeune Ă©tudiante algĂ©rienne dont lâidentitĂ© est traversĂ©e par les conflits entre la culture algĂ©rienne et la culture française, dĂ©crite et analysĂ©e sociologiquement par Abdelmalek SAYAD dans un article de la revue Actes de la Recherche en Sciences Sociales300, Vincent DE GAULEJAC avance lâidĂ©e que seule lâanalyse de la genĂšse sociale, par ZAHOUA, de ses conflits personnels et interpersonnels, peut lui permettre de sortir de âcette double contrainte socialeâ. « Nommer les choses comme elles sont, dĂ©monter les mĂ©canismes qui produisent ces doubles liens, comprendre la chaĂźne qui va de lâhistoire de la colonisation Ă lâĂ©migration, de lâĂ©migration Ă lâhistoire de sa famille et de cette histoire Ă la constitution de son identitĂ©, est le moyen pour Zahoua de dĂ©velopper sa fonction dâhistoricitĂ© câest-Ă -dire sa capacitĂ© Ă analyser et Ă maĂźtriser les Ă©lĂ©ments qui la constituent comme sujet historique. »301 âLes mĂ©canismes qui produisent ces doubles liensâŠâ, âles Ă©lĂ©ments qui la constituentâŠâ, ce sont prĂ©cisĂ©ment de telles expressions qui nous conduisent Ă ne pas adopter la conception âquasi durkheimienneâ de la socialisation exprimĂ©e par Vincent DE GAULEJAC et que confirme le propos suivant : « Lâhistoire inscrit lâindividu dans une solidaritĂ©, dans une communautĂ©, dans un ensemble, qui le âsocialisentâ. En ce sens, il en est le produit. »302 Tout en nous dĂ©marquant de leur conception de la socialisation, nous sommes reconnaissant Ă Vincent DE GAULEJAC de traiter, avec une grande sensibilitĂ©, les problĂšmes essentiels de nos sociĂ©tĂ©s modernes ; de plus lâarticulation des conflits psychologiques et sociologiques quâils mettent en Ćuvre est riche de perspectives.
Le concept de socialisation, défini comme processus sans cesse renouvelé
dâune maniĂšre dâĂȘtre-ensemble et dâĂȘtre-au-monde, nĂ©cessite ainsi des analyses des formes sociales et historiques au sein desquelles la socialisation se rĂ©alise. Il nous faut maintenant prĂ©ciser le sens du mot âperformanceâ que nous avons associĂ© Ă celui de socialisation dans le titre de cette recherche.
300 A. SAYAD, Les enfants illégitimes, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1979, n°25 et 26-27, p.61-81, 117-132 301 V. DE GAULEJAC, La névrose de classe, op. cit., p.30-31 302 V. DE GAULEJAC, La névrose de classe, op. cit., p.30
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Section II. Une mise en question sociologique du concept de âperformanceâ
Ă lâorigine le mot âperformanceâ est un dĂ©rivĂ© de lâanglais performance303. Il est alors employĂ© en lieu et place dââaccomplissementâ, de ârĂ©alisationâ, dââeffectuationâ, dans un champ trĂšs vaste : âperformances sportivesâ, âperformances sexuellesâ, âperformances thĂ©Ăątralesâ... « Ă partir de lâidĂ©e dâexĂ©cution, il a dĂ©signĂ© celle dâune Ćuvre littĂ©raire ou artistique, puis une exĂ©cution en public, une reprĂ©sentation, un spectacle. »304 Ce nâest quâau XXe siĂšcle que lâusage courant a Ă©tĂ© pĂ©nĂ©trĂ© par lâidĂ©e dââexploitâ. Câest le sens initial quâa retenu Roger CHARTIER qui, dans le cadre de lâanalyse des formes de production, de circulation et dâappropriation des textes aux XVIe et XVIIe siĂšcles, utilise lâexpression « effectuation performative »305 pour rendre compte des maniĂšres de âdire un texteâ. Son propos vise Ă dĂ©montrer que le rapport contemporain aux Ćuvres est une construction historique et ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme universel. Sâil existe effectivement un grand nombre de textes Ă©crits pour un lecteur seul, silencieux, en âquĂȘte de sensâ306, nombreux sont Ă©galement les textes et les genres âlittĂ©rairesâ, qui ne supposent pas, comme destinataire le type de lecteur dĂ©crit prĂ©cĂ©demment : solitaire, silencieux, en quĂȘte du sens. Faits pour ĂȘtre dits ou lus Ă haute voix, partagĂ©s dans une Ă©coute collective, pensĂ©s pour produire des effets, certains textes obĂ©issent aux lois propres de la âperformanceâ. Les expressions « performances poĂ©tiques »307, « performances thĂ©Ăątrales »308 apparaissent ainsi dans la retranscription de la confĂ©rence que Roger CHARTIER a tenue Ă Lyon en 1995. Le terme de âperformanceâ est indissociable de la parole, de lâĂ©nonciation, en dâautres termes de âlâeffectuation orale et communautaireâ. La âperformanceâ, câest donc le texte dit : mĂȘme le texte non Ă©crit, comme celui qui est formulĂ© par le griot, est une âperformanceâ et donc, en ce sens, âperformanceâ nâĂ©gale pas texte.
Lâautre rĂ©fĂ©rence que nous souhaitons convoquer pour interroger la notion
de âperformanceâ est connexe Ă celle de Roger CHARTIER. Elle a Ă©galement Ă voir avec lâeffectuation mais il sâagit dâune effectuation linguistique au sens
303 - emprunt que lâon peut situer vers la fin du XVe siĂšcle - 304 cf. article âPerformanceâ, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1992, p.1478 305 R. CHARTIER, Textes, âperformancesâ, publics aux XVIe-XVIIIe siĂšcles, UniversitĂ© LumiĂšre LYON 2, cahiers du GRS, n°16, mars 1995, p.10 306 - et les textes produits par les sociologues, les historiens, les philosophes, les scientifiques en font partie - 307 R. CHARTIER, Textes, âperformancesâ, publics aux XVIe-XVIIIe siĂšcles, op. cit., p.10 308 R. CHARTIER, Textes, âperformancesâ, publics aux XVIe-XVIIIe siĂšcles, op. cit., p.11
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large : il sâagit de la âgrammaire gĂ©nĂ©rativeâ309 que Noam CHOMSKY a conceptualisĂ©e. CHOMSKY dĂ©finit le comportement linguistique dâun locuteur par un couple de concepts : dâune part la âcompĂ©tenceâ (le savoir linguistique du locuteur), dâautre part la âperformanceâ (la rĂ©alisation effective dâĂ©noncĂ©s conforme aux rĂšgles de la langue). Dans le cadre de sa thĂ©orie, la âcompĂ©tenceâ est relative aux rĂšgles qui dĂ©terminent la structure des Ă©noncĂ©s ; elle permet de produire des phrases selon un modĂšle de grammaticalitĂ© ; elle permet Ă©galement de dĂ©celer dans les phrases Ă©mises par les autres, les phrases a-grammaticales. La âperformanceâ, elle, est relative Ă lâutilisation qui est faite de ces rĂšgles par le sujet pour produire et interprĂ©ter des Ă©noncĂ©s ; elle consiste Ă Ă©mettre ces phrases et Ă les recevoir. En linguistique la âperformanceâ dâun sujet est un sous-ensemble de la âcompĂ©tenceâ : elle en constitue en quelque sorte les donnĂ©es observables ; elle peut ĂȘtre Ă©valuĂ©e selon un systĂšme empirique.
Ce dĂ©tour, par lâanalyse Ă©tymologique de ces deux concepts linguistiques,
va nous permettre dâinterroger sociologiquement la nature du lien existant entre les âcompĂ©tences mathĂ©matiquesâ et les âperformances mathĂ©matiquesâ. Mais auparavant, il nous faut prĂ©ciser et interroger le sens attribuĂ©, dans cette recherche, aux termes âconnaissancesâ et âcompĂ©tencesâ. Câest ce que nous proposons de faire en articulant ce questionnement au questionnement relatif aux savoirs.
309 Du point de vue formel, N. CHOMSKY considĂšre un langage comme un ensemble infini âEâ dâĂ©noncĂ©s virtuels engendrĂ©s par un systĂšme âGâ de rĂšgles ou âGrammaireâ, qui serait universel. Chaque langue particuliĂšre rĂ©alise dâune certaine maniĂšre les transformations de âGâ. Ainsi, toutes les langues connaissent des opĂ©rations nĂ©gatives, passives, etc., que chacune exprime Ă sa façon. Du point de vue psychologique, la thĂ©orie postule lâinnĂ©itĂ© de âGâ. Pour N. CHOMSKY, ce que lâenfant apprend, ce nâest pas âGâ, mais la façon dont son milieu linguistique le rĂ©alise. Le modĂšle du âLanguage Acquisition Deviceâ (LAD) serait celui dâune machine prĂ©programmĂ©e oĂč la grammaire innĂ©e âGâ permet le dĂ©codage des inputs (les phrases entendues) et, une fois connus le lexique et les modalitĂ©s propres Ă la langue considĂ©rĂ©e, la production dâoutputs qui, trĂšs vite, ne se limitent pas Ă la simple rĂ©pĂ©tition dâĂ©noncĂ©s effectivement entendus et retenus passivement.
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§.1. Savoirs objectivés / savoirs praxiques Considérons la distinction savoirs objectivés / savoirs praxiques : les
savoirs objectivĂ©s recouvrent, entre autres, les savoirs scolaires qui sont les savoirs dispensĂ©s par lâĂ©cole310 et les savoirs scientifiques produits par la communautĂ© scientifique, le savoir universitaire en constituant une sous-espĂšce. Les savoirs praxiques (âsavoir-y-faireâ) sont des savoirs pratiques appris pratiquement. Ils ne sont pas sĂ©parĂ©s des opĂ©rations dans lesquelles ils sont investis. Ils sont peu formalisĂ©s et en partie non-Ă©nonçables. Les mĂ©canismes de leur âtransmissionâ sont lâimmersion (on est âmis dans le bainâ), lâincorporation (on apprend âpar corpsâ et non pas âpar cĆurâ) et lâimitation. Leur âtransmissionâ ne nĂ©cessite ni discours, ni conceptualisation, ni rĂ©flexivitĂ© : câest en quelque sorte lâhabitude qui se transforme en seconde nature. Il est donc possible de distinguer, en premiĂšre approximation, savoirs praxiques et savoirs objectivĂ©s lesquels sont indissociables de la forme Ă©crite. Un exemple de savoir praxique nous est donnĂ© par les agriculteurs Ă©gyptiens. Pour reconstituer les limites des champs rectangulaires que les crues du Nil faisaient disparaĂźtre en apportant le limon fertile, les arpenteurs Ă©gyptiens utilisaient des cordes de longueur 12 unitĂ©s avec un premier nĆud placĂ© Ă 3 unitĂ©s dâune des origines de la corde, un second nĆud situĂ© 4 unitĂ©s du premier et un troisiĂšme nĆud situĂ© 5 unitĂ©s plus loin : ils mobilisaient ainsi un savoir praxique pour construire des angles droits. PYTHAGORE, pour qui toutes les choses Ă©taient des nombres, nâa pas inventĂ© le thĂ©orĂšme qui porte son nom. Il a rĂ©flĂ©chi sur les schĂšmes de conduite des fellah Ă©gyptiens qui faisaient rapidement et parfaitement des champs rectangulaires avec des cordes Ă nĆuds. Il sâest demandĂ© pourquoi il y avait 5 unitĂ©s pour le grand cĂŽtĂ©, 4 pour le moyen, 3 pour le petit. Quelle relation unit les nombres 5, 4 et 3 ? Il a trouvĂ© que câest leur Ă©lĂ©vation au carrĂ© : 52 = 42 + 32. Il a ensuite dĂ©montrĂ© que ce rĂ©sultat Ă©tait gĂ©nĂ©ralisable Ă tous les triangles rectangles. Cet exemple illustre le lien existant entre savoir praxique et savoir objectivĂ©. Le savoir objectivĂ© est universel, dĂ©temporalisĂ©, fondĂ©, rigoureux, explicitĂ© et impersonnel. Il appartient au monde social, fait lâobjet dâune diffusion, dâune publicitĂ©, et peut faire lâobjet dâun enseignement ; il est le produit dâun travail de mise Ă distance par rapport au savoir praxique correspondant qui demeure singulier, empirique et qui se dĂ©ploie dans le prĂ©sent : savoirs objectivĂ©s et savoirs praxiques entretiennent des rapports diffĂ©rents au temps.
310 Un des principes fondamentaux de la rĂ©flexion Ă©pistĂ©mologique consiste, nous semble-t-il, Ă ne pas considĂ©rer le âsavoir-scientifiqueâ comme âsupĂ©rieurâ au âsavoir-faireâ du technicien et au âsavoir-scolaireâ. Nous considĂ©rons tous ces types de savoirs comme des savoirs Ă part entiĂšre, Ă©quivalents quant Ă leur lĂ©gitimitĂ©. Par contre, ils ne sont Ă©quivalents ni quant Ă leur universalitĂ© ni quant Ă leur nĂ©cessitĂ©.
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§.2. Connaissances dĂ©claratives / connaissances procĂ©durales Dans la thĂ©orie piagĂ©tienne, connaĂźtre, câest, pour un sujet, sâadapter Ă des
situations. En ce sens, la connaissance est indissociable du sujet et des situations. Elle se caractĂ©rise par sa dimension de construction individuelle : il sâagit dâune expĂ©rience personnelle et privĂ©e. La connaissance sâinscrit dans le temps ; elle est insĂ©parable du corps, du langage. Elle suppose Ă la fois perception et action311 ; elle a Ă voir avec le domaine de lâexpĂ©rience intime, parfois unique, qui fait que le sujet passe dâun systĂšme de reprĂ©sentations312 du monde Ă un autre systĂšme, plus englobant ou plus approfondi, irrĂ©ductible et parfois intraduisible aux autres. Câest Ă la fois le monde des actions313 objectives sur les choses et les ĂȘtres, et celui des expĂ©riences subjectives, du retentissement, de lâintĂ©rioritĂ©. En ce sens, connaĂźtre une chose, câest se lâassimiler, se la rendre intĂ©rieure en lui laissant son statut de rĂ©alitĂ© extĂ©rieure, indiffĂ©rente, en tant que tel, au processus par lequel elle devient objet de
311 Dans lâouvrage intitulĂ© Lâinscription corporelle de lâesprit quâil a Ă©crit en collaboration avec E. ROSCH et E. THOMSON, Francisco VARELA dĂ©fend lâidĂ©e que perception et action sont fondamentalement insĂ©parables dans tout acte cognitif. Il propose lâexpression dââaction incarnĂ©eâ ou âenactionâ afin de mettre en Ă©vidence les deux points suivants : premiĂšrement, la cognition dĂ©pend des types dâexpĂ©rience qui dĂ©coulent du fait dâavoir un corps dotĂ©s de diverses capacitĂ©s sensori-motrice ; en second lieu, ces capacitĂ©s sensori-motrices individuelles sâinscrivent elles-mĂȘmes dans un contexte biologique, physiologique et culturel plus large. Le terme dââenactionâ est utilisĂ© par F. VARELA pour souligner que les processus sensoriels et moteurs, la perception et lâaction, sont fondamentalement insĂ©parables dans la cognition vĂ©cue. Pour illustrer le lien entre perception et action, il sâappuie notamment sur une recherche menĂ©e par deux chercheurs amĂ©ricains, R. HELD et A. HEIN qui ont Ă©levĂ© ensemble deux groupes de chatons. DĂšs leur naissance, ces chatons sont placĂ©s dans lâobscuritĂ©. Ils ne sont soumis Ă la lumiĂšre que dans les conditions dâexpĂ©riences suivantes : un groupe est attelĂ© Ă un chariot contenant les autres chatons. Les deux groupes partagent donc la mĂȘme expĂ©rience visuelle, mais le second groupe (celui installĂ© dans le chariot) est entiĂšrement passif. RelĂąchĂ©s aprĂšs quelques semaines, les chatons du premier groupe se comportent normalement alors que les autres se conduisent comme sâils Ă©taient aveugles : ils se cognent sur les objets quâils rencontrent. Pour les chercheurs concernĂ©s, comme pour F. VARELA, cette expĂ©rience dĂ©montre que la vision ne consiste pas Ă reconnaĂźtre une rĂ©alitĂ© extĂ©rieure et Ă en extraire des propriĂ©tĂ©s indĂ©pendantes des individus. Pour F. VARELA, il nây a pas de perception sans action sur le rĂ©el : câest en sens que la cognition est une âaction incarnĂ©eâ. De mĂȘme, lâexemple de la vision des couleurs montre que la connaissance nâest ni le reflet dâun monde prĂ©donnĂ©, indĂ©pendant de nos capacitĂ©s perceptives, ni un simple produit de nos reprĂ©sentations : elle est dans la relation entre ces deux donnĂ©es. La couleur est liĂ©e Ă lâexpĂ©rience, Ă lâaction, Ă la biologie de lâespĂšce comme Ă notre expĂ©rience de lâenvironnement. F. VARELA, E. ROSCH, E. THOMSON, Lâinscription corporelle de lâesprit, Sciences cognitives et expĂ©riences humaines, Ă©ditions du Seuil, 1993 312 J.C. ABRIC dĂ©finit la reprĂ©sentation sociale « comme une vision fonctionnelle du monde, qui permet Ă lâindividu ou au groupe de donner sens Ă ses conduites, et de comprendre la rĂ©alitĂ©, Ă travers son propre systĂšme de rĂ©fĂ©rences. [...] Elle est Ă la fois le produit et le processus dâune activitĂ© mentale par lequel un individu ou un groupe reconstitue le rĂ©el auquel il est confrontĂ© et lui attribue une signification spĂ©cifique. » J.C. ABRIC, Pratiques sociales, reprĂ©sentations, PUF, 1994, p.13 313 action Ă©tant entendu ici dans un sens trĂšs gĂ©nĂ©ral : un geste culturel, une maniĂšre de penser, une maniĂšre de sâexprimer.
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connaissance. Ces Ă©lĂ©ments nous conduisent Ă dĂ©finir la connaissance comme lâensemble des moyens, des mĂ©thodes et des concepts, dont se dote progressivement un individu pour tenter de comprendre la rĂ©alitĂ© en agissant sur elle. Cette dĂ©finition peut ĂȘtre Ă©largie et peut dĂ©signer toute dĂ©marche dâanalyse susceptible de permettre, Ă travers le contingent, la comprĂ©hension des principes actifs et de leur organisation : cette Ă©tape permet alors dâĂ©laborer un modĂšle de cette rĂ©alitĂ© qui autorise lâaction et la transformation. En ce sens, la connaissance caractĂ©rise le caractĂšre dynamique dâune dĂ©marche afin que celle-ci Ă©volue simplement par lâeffet de sa mise en Ćuvre.
Certains chercheurs, en sciences cognitives notamment, ont proposé
dâĂ©largir la notion de connaissance afin de pouvoir rendre compte des âperformancesâ sans faire appel Ă dâautres concepts. GĂ©rard LAMOUROUX distingue ainsi les connaissances pragmatiques, situationnelles, procĂ©durales, dĂ©claratives, conceptuelles, relationnelles, opĂ©ratoires, symboliques314... Philippe PERRENOUD315 rappelle la distinction la plus frĂ©quente entre connaissances dĂ©claratives, procĂ©durales et conditionnelles :
Les connaissances dĂ©claratives renvoient aux lois, aux thĂ©ories, aux dĂ©finitions, aux propositions : elles Ă©noncent des contenus bruts, informatifs, indissociables des formes dans lesquelles elles sont Ă©noncĂ©es. Dans lâensemble des connaissances dĂ©claratives on peut Ă©galement distinguer les connaissances notionnelles (Ă©noncĂ©s de thĂ©orĂšmes) et les connaissances formelles (Ă©noncĂ©s en Ă©criture symbolique de ces mĂȘmes thĂ©orĂšmes) :
âą âDans tout triangle ABC, rectangle en A, le carrĂ© de la longueur de lâhypotĂ©nuse [BC] est Ă©gal Ă la somme des carrĂ©s des longueurs des cĂŽtĂ©s de lâangle droit.â Le sujet qui Ă©nonce cette proposition dispose dâune connaissance dĂ©clarative de type notionnel.
âą ABÂČ + ACÂČ = BCÂČ renvoie Ă la mĂȘme connaissance dĂ©clarative que celle exprimĂ©e au paragraphe prĂ©cĂ©dent mais indique ici lâappropriation par le sujet de la connaissance dĂ©clarative sous un aspect formel.
Les connaissances procĂ©durales sont des connaissances relatives aux procĂ©dures, aux rĂšgles dâaction, aux opĂ©rations Ă effectuer, aux algorithmes Ă mettre en Ćuvre. Ainsi la dĂ©termination, par un sujet, de la longueur de la diagonale dâun carrĂ© dâarĂȘte 5 centimĂštres est un indicateur de ses
314 G. LAMOUROUX, SchĂšmes et opĂ©rations de la pensĂ©e, in Piaget aprĂšs Piaget, Ă©ditions La pensĂ©e sauvage, 1998, p.349 315 P. PERRENOUD, Construire des compĂ©tences dĂšs lâĂ©cole, ESF Ă©diteur, 1997, p.9
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connaissances procédurales.316 Pour Philippe PERRENOUD, les connaissances méthodologiques sont une sous-espÚce des connaissances procédurales317. Les connaissances conditionnelles précisent les conditions de validité des connaissances procédurales. La mise en évidence de ces différents concepts - connaissances
conditionnelles, dĂ©claratives et procĂ©durales - peut conduire Ă lâidĂ©e que toute action se rĂ©sume Ă une mobilisation de connaissances. Or, lâanalyse des pratiques, et notamment celles dâexperts disposant, dans leur domaine, des connaissances les plus fiables et les plus Ă©tendues, fait apparaĂźtre dâautres dimensions, notamment la capacitĂ© de mobiliser Ă bon escient les connaissances adaptĂ©es Ă la situation ainsi que la mise en jeu et en synergie de ressources cognitives complĂ©mentaires. Cette attitude dĂ©passe la mise en Ćuvre de rĂšgles ou de connaissances : il faut alors parler de compĂ©tences.
Lucie TANGUY rappelle dans lâouvrage Savoirs et compĂ©tences318 que la
compĂ©tence est insĂ©parable de lâaction et quâelle ne peut-ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e que dans une situation donnĂ©e. Se rĂ©fĂ©rant Ă la dĂ©finition proposĂ©e par le LAROUSSE319, elle souligne que si la compĂ©tence suppose des connaissances raisonnĂ©es, il nâexiste cependant pas de compĂ©tence complĂšte lorsque les connaissances thĂ©oriques ne sont pas accompagnĂ©es des qualitĂ©s et de la capacitĂ© permettant lâexĂ©cution quâelles ont suggĂ©rĂ©e. Philippe PERRENOUD dĂ©finit la compĂ©tence comme la « capacitĂ© dâagir efficacement dans un type dĂ©fini de situation, capacitĂ© qui sâappuie sur des connaissances, mais ne sây rĂ©duit pas. »320 Toute action mobilise des connaissances, parfois Ă©lĂ©mentaires et Ă©parses, parfois complexes, organisĂ©es en rĂ©seaux. Les compĂ©tences manifestĂ©es dans ces actions ne sont pas elles-mĂȘmes des connaissances : elles utilisent, intĂšgrent, mobilisent des connaissances. Si le professeur de mathĂ©matiques connaĂźt quelques mathĂ©matiques, sa compĂ©tence dĂ©borde son Ă©rudition. Il ne lui suffit pas de connaĂźtre thĂ©orĂšmes et algorithmes de calcul pour rĂ©soudre un problĂšme. Sa compĂ©tence est indissociable de sa capacitĂ© Ă se reprĂ©senter et Ă interprĂ©ter le problĂšme, Ă identifier les savoirs mathĂ©matiques pertinents et Ă mettre en relation des connaissances et des procĂ©dures tout en interrogeant les conditions de leur emploi. PrĂ©cisons que la connaissance nâest quâune condition nĂ©cessaire de la compĂ©tence, quâelle fait partie de la compĂ©tence, mais que la compĂ©tence ne se rĂ©sume pas Ă la connaissance : une compĂ©tence nâest jamais la pure et
316 d 255255 222 =Ă=+= . 317 P. PERRENOUD, Construire des compĂ©tences dĂšs lâĂ©cole, op. cit., p.9 318 F. ROPĂ et L. TANGUY, Savoirs et compĂ©tences, op. cit., p.14 319 Ă©dition 1930 320 P. PERRENOUD, Construire des compĂ©tences dĂšs lâĂ©cole, op. cit., p.7
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simple mise en Ćuvre rationnelle de connaissances, de modĂšles dâaction, de procĂ©dures.
Section III. Socialisation moralisatrice ou socialisation démocratique ? Forme scolaire ou forme instruction publique ? Performances disciplinaires ou compétences mathématiques ?
§.1. Performances ou compétences⊠Le sens de la nuance Les épreuves de mathématiques, dans les classes et aux principaux
examens, jugent du niveau des candidats sur la base de âperformancesâ ponctuelles imposĂ©es dans des conditions de temps, de lieu et de forme, caractĂ©ristiques des formations dans lesquelles elles sâinsĂšrent. Les Ă©preuves Ă©crites de mathĂ©matiques, qui sâinscrivent dans le procĂšs de formation et de sĂ©lection de techniciens supĂ©rieurs, relĂšvent de ce modĂšle dominant. Habituellement dĂ©signĂ©es par les expressions âĂ©valuationâ, âcontrĂŽle de connaissancesâ, elles sont le vĂ©ritable lieu des âperformancesâ mathĂ©matiques, âperformancesâ jugĂ©es par des professeurs qui les qualifient Ă lâaide de notes chiffrĂ©es. Câest donc par rapport Ă des âcompĂ©tencesâ idĂ©ales souhaitĂ©es, par rapport Ă des âconnaissancesâ espĂ©rĂ©es que sont qualifiĂ©es les âperformancesâ des Ă©tudiants. Dans ce cadre, les âperformancesâ mathĂ©matiques, qui sâapprĂ©cient au regard du respect dâun certain nombre de rĂšgles et de normes impersonnelles propres Ă lâĂ©criture mathĂ©matique, apparaissent pures, objectives. Mais de mĂȘme que la tĂąche du linguiste est dâĂ©laborer un modĂšle de la âperformanceâ linguistique, ce qui suppose que soit cernĂ©e avec suffisamment de prĂ©cision la notion dâacceptabilitĂ© qui est du domaine de la âperformanceâ (quâest-ce qui fait quâune phrase syntaxiquement bien formĂ©e est jugĂ©e acceptable ou non acceptable par un locuteur ?), celle du professeur de mathĂ©matiques est de qualifier les âperformancesâ des Ă©lĂšves. Pour le âsens communâ et en particulier pour lâensemble des acteurs du systĂšme scolaire, la âperformanceâ mathĂ©matique consiste en la rĂ©alisation effective dâĂ©noncĂ©s qui sont Ă la fois une rĂ©ponse au problĂšme et conformes aux rĂšgles mathĂ©matiques et constitue âles donnĂ©es observables de la compĂ©tence mathĂ©matiqueâ. Le parallĂšle avec la dĂ©finition chomskyenne de la performance prendrait donc ici son sens. En dâautres termes, pour les enseignants, les Ă©lĂšves et les familles, la âperformanceâ mathĂ©matique serait une âmesureâ de la âcompĂ©tenceâ mathĂ©matique, la âperformanceâ mathĂ©matique constituant âle visibleâ, la partie âĂ©mergĂ©eâ de la âcompĂ©tenceâ. Cette conception peut alors se comprendre par analogie avec ce qui relĂšve du modĂšle sportif oĂč il est admis, par exemple, que la performance dâun sauteur Ă la perche est un indicateur de sa compĂ©tence dans cette spĂ©cialitĂ©.
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La âcompĂ©tenceâ nâest Ă©valuable quâindirectement Ă travers lâexamen de
âperformancesâ, telle semble ĂȘtre la conception commune qui se dĂ©gage âspontanĂ©mentâ. Autre formulation : les âperformancesâ sont un bon indicateur des âcompĂ©tencesâ et lâinstitution scolaire, pour se prononcer sur la âcompĂ©tence mathĂ©matiqueâ, mesure des âperformances mathĂ©matiquesâ. Cette pratique, qui apparaĂźt naturelle, logique et Ă©conomique Ă lâensemble des acteurs, trouve une justification dans le fait que les âperformancesâ se rĂ©vĂšlent plus facilement observables et mesurables que les compĂ©tences.
Nous considĂ©rons que cette conception - la âperformance mathĂ©matiqueâ
(en section de Technicien SupĂ©rieur) comme mesure de la âcompĂ©tenceâ - non seulement âreflĂšte lâexpĂ©rience naĂŻve du monde socialâ mais participe de la mystification des rapports de domination et contribue Ă la lĂ©gitimation dâune morale sociale dont lâessence rĂ©side dans le respect de lâordre Ă©tabli. Cette conception a dâailleurs fait lâobjet dâun certain nombre de recherches Ă©laborĂ©es dans un cadre purement didactique Ă lâintĂ©rieur duquel les problĂšmes de lâĂ©valuation des connaissances et de la docimologie ont pris toute leur321 place. La rĂ©flexion qui accompagne ces travaux ne manquerait cependant pas de sâĂ©toffer si elle pouvait ĂȘtre accompagnĂ©e dâun questionnement relatif Ă la nature et au sens de lâĂ©cart entre la formation des âperformancesâ et la formation des âcompĂ©tencesâ.
§.2. Le ânon-ditâ dâune socialisation caractĂ©risĂ©e par la rĂ©alisation et lâexamen de âperformancesâ plutĂŽt que par une socialisation centrĂ©e sur la mise en Ćuvre de âcompĂ©tencesâ PrĂ©cisons tout dâabord ce que nous entendons par ânon-ditâ. Il existe en
effet deux formes de ânon-ditâ : le ânon-ditâ au sens dâabsence de quelque chose et le ânon-ditâ au sens de refus positif de se laisser dire. Rappelons quâen grec, il existe deux nĂ©gations : la nĂ©gation ouk qui constate simplement lâabsence de quelque chose et la nĂ©gation mĂȘ qui fait intervenir une dĂ©fense devant ce qui suit le mĂȘ. Ainsi, il peut y avoir ânon-ditâ non seulement lorsquâil y a une lacune par rapport Ă ce qui nâa pas Ă©tĂ© dit mais Ă©galement parce que quelque chose refuse positivement de se laisser dire non par dĂ©faut mais au contraire par excĂšs. Ce nâest pas parce que ce qui est en question se trouve barrĂ© par la nĂ©gative quâil est invisible, câest au contraire parce quâil est trop visible telle âla lettre volĂ©eâ dâEdgar Allan POE, cet objet quâon ne voit pas prĂ©cisĂ©ment parce quâil nâest pas cachĂ©. Cette âlettre volĂ©eâ que les spĂ©cialistes de la police nâarrivent pas Ă trouver malgrĂ© des fouilles approfondies, mĂ©thodiques, rationnelles oĂč rien nâest
321 - voire, âont pris toute la placeâ -
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laissĂ© au hasard. Les fauteuils sont sondĂ©s, les meubles dĂ©montĂ©s. « Nous avons examinĂ© les bĂątons de toutes les chaises, et mĂȘme les jointures de toutes les piĂšces de lâameublement, Ă lâaide dâun puissant microscope. »322 Le sol pavĂ© de briques, le parquet, les tapis sont ainsi lâobjet de fouilles systĂ©matiques et minutieuses. « Nous avons examinĂ© la mousse entre les briques. [âŠ] Nous avons enlevĂ© chaque tapis, et nous avons examinĂ© les planches au microscope. »323 Tous les livres de la bibliothĂšque sont passĂ©s au peigne fin⊠Et puis, lors du dĂ©nouement, nous apprenons alors que âla lettre volĂ©eâ Ă©tait tout simplement posĂ©e sur un pupitre, lĂ oĂč tout le monde pouvait la voir et oĂč personne ne la remarquait. Il est Ă©videmment difficile dâadmettre quâun phĂ©nomĂšne ne se voit pas parce quâil est trop riche pour ĂȘtre vu, mĂȘme si la plupart des recherches et des rĂ©sultats en didactique nous convainquent souvent de la pertinence de cette hypothĂšse. Or, câest prĂ©cisĂ©ment le propre du regard sociologique, que de faire apparaĂźtre ce qui ne se montre pas, non par dĂ©faut mais par excĂšs.
Quelle est donc la forme et quel est donc le sens de lâĂ©cart entre une
socialisation dont la finalitĂ© consiste en la rĂ©alisation de âperformancesâ et une socialisation qui vise la mise en Ćuvre de âcompĂ©tencesâ ? Ce sont prĂ©cisĂ©ment de telles questions qui nous conduisent Ă articuler analyse du systĂšme scolaire et analyse de la forme scolaire. Nous considĂ©rons en effet quâil existe un Ă©cart entre dâune part, assimiler des connaissances, ĂȘtre âperformantâ et dâautre part acquĂ©rir des âcompĂ©tencesâ et que câest dans cet Ă©cart que sâexerce un pouvoir pĂ©dagogique dont les effets sont diffĂ©renciateurs dans le champ Ă©conomique et social. Ainsi lâanalyse de la forme et du sens de lâĂ©cart entre âperformancesâ et âcompĂ©tencesâ, conduite au regard des rapports de domination qui structurent la division technique, sociale et marchande du travail, rĂ©vĂšle lâexistence dâune diffĂ©rence entre la forme de lâenseignement dĂ©livrĂ© aux membres dâune Ă©lite constituĂ©e notamment des futurs ingĂ©nieurs (futurs cadres capables de conceptualiser, de dĂ©velopper et de mettre en Ćuvre des âcompĂ©tencesâ) et la forme de lâenseignement dĂ©livrĂ© aux techniciens supĂ©rieurs (futurs collaborateurs capables de rĂ©aliser, dâexĂ©cuter avec intelligence un ensemble de âperformancesâ parcellisĂ©es et instrumentales).
322 E.A. POE, La lettre volée, in Contes, Essais, PoÚmes, éditions R. Laffont, 1989, p.824 323 E.A. POE, La lettre volée, op. cit., p.824-825
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§.3. âPer-formanceâ et âmise-en-formeâ « Toute forme est lâĂ©tat dâune Ă©preuve de forces que celles-ci dĂ©forment, transforment, informent ou performent. Stable, la forme nâapparaĂźt plus comme une Ă©preuve. »324
Quâen est-il de lâexistence Ă©ventuelle dâun rapport entre dâune part, les notions de âperformances scolairesâ, de rapport Ă la rĂšgle impersonnelle et de forme scolaire et dâautre part les notions de âcompĂ©tencesâ, de rapport Ă la raison et de socialisation dĂ©mocratique ? Que nous apporte lâanalyse Ă©tymologique des mots âformeâ, âperformanceâ ?
âFormeâ : du latin âformaâ a donnĂ©, entre autres, âformareâ : en italien
âformareâ, âformatoâ, puis âformatâ, âformaterâ, âformatageâ. Une autre branche, Ă partir de âformareâ, a donnĂ© âformerâ (âformatifâ, âformableâ, âformageâ), puis âformerâ, en ancien français, a donnĂ© âparformerâ, puis âparformanceâ, qui a donnĂ© le mot anglais âperformanceâ. La filiation entre la âformeâ et la âperformanceâ est Ă©tablie Ă©tymologiquement. Ainsi, comme le dictionnaire historique de la langue française325 nous y incite, en attribuant au prĂ©fixe âperâ le sens de âĂ traversâ nous Ă©tablissons un rapport entre la âmise en formeâ et la âper-formanceâ. Cette correspondance permet de mettre au jour le rapport entre le concept de âforme scolaireâ et celui de âper-formance scolaireâ. Cette proximitĂ© nâa, semble-t-il, guĂšre Ă©tĂ© interrogĂ©e comme si cette âĂ©videnceâ avait pu sâĂ©vaporer Ă cause de sa trop grande visibilitĂ©. Mais si lâanalyse Ă©tymologique permet, dans ce cas, un rapprochement particuliĂšrement fĂ©cond entre le concept de forme scolaire et celui de performance, elle doit aussi ĂȘtre complĂ©tĂ©e par une analyse sociologique, seule capable dâapprofondir la nature de ce lien et de permettre le dĂ©voilement dâun certain nombre de processus ayant trait Ă lâorganisation sociale. La forme et le sens de cet Ă©cart feront donc lâobjet dâune analyse approfondie dans la deuxiĂšme partie de cette thĂšse au chapitre 8. Cette analyse sera dĂ©veloppĂ©e Ă partir de lâexamen de la forme dans laquelle la transmission du calcul des probabilitĂ©s est effectuĂ©e Ă la fois dans les sections de techniciens supĂ©rieurs et dans une Ă©cole dâingĂ©nieurs : lâĂ©tude de la âdisciplinarisationâ de ce savoir sera alors effectuĂ©e.
Soulignons que Gaston BACHELARD a critiqué la notion de forme au profit
de la notion de force - au sens de lâĂ©nergie investie - dans les premiĂšres pages de La formation de lâesprit scientifique et dans lâintroduction de Lâair et les songes. Dans cette introduction - âimagination et mobilitĂ©â - il montre que lâactivitĂ© crĂ©atrice de lâesprit, qui permet dâapprendre, nâest jamais du cĂŽtĂ© de âlâentrĂ©e
324 B. LATOUR, Irréductions, in Les Microbes : guerre et paix, éditions Métailié, 1984, p.178 325 Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1992, p.1474
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dans la formeâ mais est au contraire du cĂŽtĂ© de la dĂ©formation. « On veut toujours que lâimagination soit la facultĂ© de former des images. Or, elle est plutĂŽt la facultĂ© de dĂ©former les images fournies par la perception, elle est surtout la facultĂ© de nous libĂ©rer des images premiĂšres, de changer les images. »326
Nous mettrons Ă lâĂ©preuve lâhypothĂšse selon laquelle la performance
scolaire, comme mise en application de rĂšgles (notamment procĂ©durales) et la forme scolaire sont indissociables : rapport Ă la rĂšgle impersonnelle, disciplinarisation et pĂ©dagogisation des savoirs, socialisation moralisatrice constituent un ensemble cohĂ©rent. Ă lâopposĂ©, la formation de compĂ©tences nĂ©cessite de faire appel Ă des rĂšgles, Ă la raison et Ă un mode de socialisation dĂ©mocratique.
326 G. BACHELARD, Lâair et les songes, Le livre de poche, 1998, p.5