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Journal de Chirurgie (2009) 146, 199—206 Staff public Surgical grand rounds S. Bageacu Service de chirurgie digestive et cancérologique, département des maladies de l’appareil digestif, CHU de Saint-Étienne, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France Disponible sur Internet le 21 juin 2009 Présentation du cas clinique Cette observation a été présentée au 4 e Congrès francophone de chirurgie digestive et hépatobiliaire, à Marne-la-Vallée, le 4 décembre 2008 lors de la séance de dossiers cli- niques. Le présentateur (Docteur Serban Bageacu) fait des propositions, discutées par les animateurs (Docteur Sauvanet et Mariette) qui encouragent la salle à prendre la parole. Docteur Bageacu « Il s’agit d’un patient âgé de 49 ans qui a peu d’antécédents, en dehors d’un taba- gisme et d’un alcoolisme modéré. Il a présenté une dysphagie progressive depuis environ trois mois, une perte de poids estimée à 15 % du poids initial. À la gastroscopie, on a découvert une tumeur du tiers moyen de l’œsophage qui se révèle être un carcinome épidermoïde bien différencié. Un transit œsogastroduodénal a montré une sténose irré- gulière sur 10 cm, en regard du tiers moyen de l’œsophage. Une tomodensitométrie (TDM) thoraco-abdominopelvienne a confirmé la tumeur avec deux adénopathies au contact. Une tomographie à émission de positons (TEP-scan) a trouvé une fixation unique sur le tiers moyen de l’œsophage. Une fibroscopie bronchique et un examen ORL étaient normaux. Le dossier est discuté en réunion de concertation multidisciplinaire, il est proposé de débuter une radiochimiothérapie non exclusive avec 45 Gy puis une chimiothérapie par 5 FU et cis-platine. Quelques semaines après la radiochimiothérapie, une gastroscopie a Adresse e-mail : [email protected]. 0021-7697/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jchir.2009.05.021

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Journal de Chirurgie (2009) 146, 199—206

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Surgical grand rounds

S. Bageacu

Service de chirurgie digestive et cancérologique, département des maladies de l’appareildigestif, CHU de Saint-Étienne, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France

Disponible sur Internet le 21 juin 2009

Présentation du cas clinique

Cette observation a été présentée au 4e Congrès francophone de chirurgie digestive ethépatobiliaire, à Marne-la-Vallée, le 4 décembre 2008 lors de la séance de dossiers cli-niques. Le présentateur (Docteur Serban Bageacu) fait des propositions, discutées parles animateurs (Docteur Sauvanet et Mariette) qui encouragent la salle à prendre laparole.

Docteur Bageacu

« Il s’agit d’un patient âgé de 49 ans qui a peu d’antécédents, en dehors d’un taba-gisme et d’un alcoolisme modéré. Il a présenté une dysphagie progressive depuis environtrois mois, une perte de poids estimée à 15 % du poids initial. À la gastroscopie, on adécouvert une tumeur du tiers moyen de l’œsophage qui se révèle être un carcinomeépidermoïde bien différencié. Un transit œsogastroduodénal a montré une sténose irré-gulière sur 10 cm, en regard du tiers moyen de l’œsophage. Une tomodensitométrie (TDM)thoraco-abdominopelvienne a confirmé la tumeur avec deux adénopathies au contact. Unetomographie à émission de positons (TEP-scan) a trouvé une fixation unique sur le tiersmoyen de l’œsophage. Une fibroscopie bronchique et un examen ORL étaient normaux.Le dossier est discuté en réunion de concertation multidisciplinaire, il est proposé dedébuter une radiochimiothérapie non exclusive avec 45 Gy puis une chimiothérapie par5 FU et cis-platine. Quelques semaines après la radiochimiothérapie, une gastroscopie a

Adresse e-mail : [email protected].

0021-7697/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.jchir.2009.05.021

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etrouvé une sténose non franchissable du tiersoyen de l’œsophage et il est fait une TDM thoraco-

bdominopelvienne. Voici trois coupes successives enegard de la tumeur (Fig. 1). Cinq semaines après la fine la radiothérapie, le patient est hospitalisé en urgenceour hématémèse. Une gastroscopie est demandée et,oudain, il présente un choc hypovolémique majeur. Queroposez-vous ? ».

octeur Mariette

On a donc un cancer de l’œsophage qui a eu, pour uneumeur localement avancée, une radiochimiothérapie etuste avant la chirurgie le patient présente une hématé-èse massive avec un choc hypovolémique. Vous recevez

e malade aux urgences et on vous demande de faire desropositions en termes de prise en charge diagnostiquet thérapeutique ; ce qui vous semble opportun dans ceontexte ».

octeur Sauvanet

Il faut avoir l’esprit chirurgical pour ce malade. . . ».

octeur Elias

Un des premiers diagnostics est sans doute une fissurationans l’aorte. Je demanderais une angiographie très rapi-ement. Si le diagnostic est confirmé, il n’y a, dans monxpérience, pas grand chose à faire ».

octeur Mariette

Le diagnostic évoqué est rupture aortique par contact dea tumeur avec l’aorte. On commence par une IRM ou unengio-TDM ; mais apparemment le malade saigne beau-oup, car il présente un choc hypovolémique majeur ».

octeur Bageacu

La tension artérielle (TA) est imprenable ».

octeur Laurent

Si la TA est vraiment imprenable. Compte tenu de sonntécédent d’alcoolisme, il a peut-être des varices œsopha-iennes. On aurait aussi proposé une artériographie. Mais enomplétant le diagnostic par une endoscopie et s’il y a unrifice visible mettre en place une endoprothèse œsopha-ienne ».

igure 1. Tomodensitométrie thoraco-abdominopelvienne : tumeur du

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S. Bageacu

octeur Chiche

Je pense que l’explication du docteur Elias est la plusraisemblable, et à situation catastrophique, solution catas-rophique, je monterai un ballonnet de contre pulsionortique pour clampage aortique ».

octeur Mariette

Tout le monde à ce stade du dossier est sûr qu’il saignee son œsophage ? ».

octeur Boudjema

Je ne suis pas convaincu qu’il ait fissuré son aorte sinonn n’aurait pas vraiment le temps de faire quoi que ceoit et on ne nous l’aurait pas présenté aujourd’hui. . .

e crois, en revanche, qu’il peut saigner de varices œso-hagiennes. Il peut fissurer dans une grosse veine, laeine azygos par exemple. Toute la difficulté va être deasser cette sténose pour pouvoir gérer la situation tech-iquement. Dans l’immédiat, je le réanimerai de faconctive ».

octeur Sauvanet

tiers moyen de l’œsophage avec adénopathies (flèche) au contact.

Il peut saigner beaucoup si c’est une azygos ‘‘deiche’’ ! ».

octeur Mariette

Donc pour M. Boudjema le diagnostic de fissuration n’estas certain. Y a-t-il d’autres propositions diagnostiquest thérapeutiques ? Quelqu’un le met-il aux �-bloquantsu à un médicament au pousse-seringue électrique pouraire baisser l’hypertension portale ? Qu’il a peut-êtreu qu’il n’a pas. Enfin, qui propose de le pousser auloc ? ».

octeur Kianmanesh

Ce malade n’a absolument pas de signe d’hypertensionortale, donc de varices. Je ne pense pas à l’apparition’hypertension portale après radio-chimiothérapie. Enevanche, sur le troisième cliché que vous avez montré onoit que la tumeur était à développement exo-œsophagien.a lumière était assez bien visible mais surtout la gaine de’aorte était envahie à plus de trois quarts (Fig. 1). Donc,e diagnostic c’est la rupture aortique : contre-pression parallonnet, voire chirurgie d’emblée. Personnellement, j’irailutôt à la thoracotomie d’emblée ».

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Docteur Sauvanet

« De quel côté ? ».

Docteur Kianmanesh

« Plutôt du côté gauche ».

Docteur Sauvanet

« Il y en a un qui le met au bloc, qui le couche sur le côtédroit et qui l’ouvre à gauche ».

Docteur Bageacu

« On a effectivement fait un remplissage massif avant lebloc. On a commencé par une laparotomie, l’estomac étaitrempli de sang et de caillot. On ouvre l’estomac, on enlèvele caillot à la main et là on a une hémorragie artériellemassive. Que proposez-vous à ce stade ? ».

Docteur Sauvanet

« Est-ce que vous arrivez à savoir d’où ca vient, plutôt duhaut de l’estomac ? ».

Docteur Bageacu

« Ca vient du haut ».

Docteur Triboulet

« J’ai été confronté à ce problème une fois dans ma car-rière. On a sauvé momentanément le malade en agrafantl’œsophage en haut et en bas ».

Docteur Sauvanet

« Vous avez donc transformé l’œsophage en anévrismesacciforme : transformation anévrismale de l’œsophageavec deux agrafages ».

Docteur Mariette

« Là vous avez l’estomac ouvert, ca saigne de facon cata-clysmique et vous ne savez pas exactement d’où casaigne ».

Docteur Dousset

« Je suis pragmatique, je n’agrafe pas mais je mets unesonde de Foley intra-œsophagienne et je gonfle ».

Docteur Penna

« Cela m’est arrivé une fois. On pensait à des varicescar il n’y avait pas eu d’explorations préopératoires. Lemalade saignait, on a fait une gastrotomie, cela venait del’œsophage, on a mis une sonde de Blakemore ; ca s’estarrêté de saigner. Mais comme on était dans un pays envoie de développement et que l’infirmière tirait trop fortsur la Blakemore ca s’est mal passé. Mais je pense quej’essaierai de tamponner en mettant une sonde de Blake-more et ensuite de faire un geste endovasculaire ».

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Docteur Sauvanet

« Voilà une vraie proposition thérapeutique. Mais la sondede Blakemore ca existe encore, mais c’est parfois dif-ficile à trouver même dans un hôpital spécialisé. Maispourquoi pas, et faire l’hémostase temporairement à laBlakemore ».

Docteur Bageacu

« On a gonflé une sonde de Foley et on a eu une hémorra-gie cataclysmique par la bouche du côté des anesthésistes.On est donc parti ensuite en thoracotomie antérolatéraledroite. On a mis l’œsophage sur un tourniquet à peu prèsà hauteur de la crosse de la veine azygos en haut puis surun tourniquet en bas, on a serré les tourniquets. Là on avu l’œsophage gonfler rapidement. Que proposez-vous à cestade-là ? ».

Docteur Mariette

« Donc l’œsophage est mis sur lacs. On est d’accord : vousavez un gonflement entre les deux moyens obstructifs(ballonnet de la sonde de Foley et le lacs). Vous en dédui-sez quoi sur le plan diagnostique ? ».

Docteur Bageacu

« Sur le plan diagnostique, on en déduit qu’il y a proba-blement une fistule aorto-œsophagienne à hauteur de latumeur ».

Docteur Mariette

« On part sur un diagnostic de fistule aorto-œsophagienneaprès une radio-chimiothérapie à visée néo-adjuvante de45 Gy, ce n’est pas tout à fait habituel dans cette situa-tion. Vous avez l’œsophage sur lacs, qui contrôle un peula tension je pense donc à une sorte de technique à la« Triboulet », pourrait-on peut dire. Maintenant que vousavez arrêté l’hémorragie, l’idée est de savoir ce qu’il faut

faire. Car si vous lâchez le lacs, je pense que cela va malse passer. . . ».

Docteur Triboulet

« La fistule survient sur la tumeur ; de la tumeur radiothé-rapée par 45 Gy. Je ne vois pas comment on peut s’en sortiren dehors d’un geste majeur vasculaire et digestif ».

Docteur Sauvanet

« Le stent endovasculaire, on sent que c’est une pro-position. Mais avez-vous tous un stent endovasculairedisponible à mettre en urgence, alors que vous êtes enthoracotomie et que vous n’aviez pas prévu le geste ? ».

Docteur Dousset

« Dans ces situations, ce qui est très difficile c’est d’arriver,sans que le malade soit mort sur la table, d’essayer de locali-ser la zone du trou sur l’aorte dont on s’attend à ce qu’il soiten regard de la tumeur. Une des possibles solutions est detrouver une prothèse vasculaire, de faire un cerclage suf-fisamment haut pour essayer d’étanchéifier partiellementl’aorte sur ce troncon perforé ; et ne pas chercher à la répa-rer car cela ne marchera pas ».

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Docteur Pouliquen

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octeur Sauvanet

Un wrapping comme je crois faisaient les anciens. Il meemble que M. Fekete m’avait raconté qu’il lui était arrivée terminer quelques œsophagectomies avec des wrap-ing péri-aortiques mais je ne sais pas si cela peut tenirrès longtemps. . . ».

octeur Letoublon

Je pense qu’il faut lui monter un ballon aortique et lesadiologues sont tout à fait capables de venir monter un bal-on aortique et d’emmener ensuite leur malade en radio. Laadioscopie n’est pas indispensable, ils mesurent très rusti-uement ; ils prennent leur sonde ; ils regardent la distance,t ensuite, ils montent la même distance ».

octeur Sauvanet

Et le triangle de Scarpa est bien sûr dans le champ. . . ».

octeur Letoublon

On peut l’y mettre. On a déjà mis le thorax et’abdomen. . . ».

octeur Mariette

Y a-t-il d’autres propositions ? La proposition c’est donce faire venir le radiologue au bloc pour mettre un bal-

on en attendant un geste endovasculaire. Il faut quandême un radiologue sur place disponible avec le matérielécessaire. . . ».

octeur Chiche

Je ne suis pas d’accord, je complète ce que je disais quande disais ‘‘contre pulsion aortique’’ : on utilise les ballon-ets de clampage endovasculaire dont on se sert dans lesros traumatismes, quand on ne peut pas les mettre au bloc

t quand on ne peut pas les ouvrir. Cela correspond à unlampage interne. On calcule la distance à partir du Scarpat on clampe l’aorte, sans avoir du tout besoin de radio-ogue. On peut le faire sous anesthésie locale avant d’ouvrire malade. On n’a pas besoin de radiologue pour ces clam-ages endovasculaires. Si on n’a pas de ballonnet de contreulsion, on peut prendre une sonde de Foley, c’est publiét. . . utile ».

octeur Sauvanet

Et comment terminez-vous l’intervention ? ».

octeur Chiche

Une fois que c’est clampé, ca ne saigne plus et on peutéfléchir, faire de la place, enlever l’œsophage et voiromment est l’aorte. Mais il faut aller vite car entre lesontre pulsions, il y a l’artère d’Adamkievitch ».

octeur Mariette

Y a-t-il d’autres propositions ? Parce que je ne suis pasûr que la solution du ballon soit gérable par tout le mondeans une situation d’extrême urgence et de stress intensear on est tous assis à regarder les diapositives ; mais

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S. Bageacu

e pense qu’au bloc opératoire ca doit être un peu laanique, non ? ».

octeur Bageacu

Ce n’était pas le cas. . . Mais le service de cardiovascu-aire et la radiologie c’est, chez nous à Saint-Étienne, dans’autre hôpital. . . ».

octeur Mariette

Il faut changer le malade d’hôpital entre deux ; donc làe pense que c’est difficile. . . Oublions donc cette propo-ition en extrême urgence, sachant qu’il faut transférere malade. Ce qui est quand même le cas dans beaucoupe structures et on en revient à la question : avez-vous’autres propositions ? ».

octeur Kianmanesh

C’est historique, mais il a été mis des ballonnets dans lastule, gonflés : pas une Foley de 16, mais vraiment uneoley de 20, essayer de clamper au-dessus et au-dessous,mener le ballonnet à l’intérieur de la fistule et le gonfler.ela suppose que l’on est déjà clampé surtout au-dessus etue l’on ouvre l’œsophage, donc qu’on est dans la tumeurais la fistule peut ne pas être très grande. Et, en pratique,

’est sûrement une fistule qui n’est pas très grande, puisquee malade est toujours là. . . ».

octeur Sauvanet

Donc une grosse sonde de Foley pour traiter une petitestule aorto-œsophagienne. Y a-t-il d’autres proposi-ions ? ».

Tant qu’à jouer le va-tout, je tenterai un saucissonnagee l’œsophage tumoral préfistuleux avec une spirale de filsien serrés en espérant avoir une espèce de patch biologiquerovisoire. . . ».

octeur Sauvanet

C’est-à-dire patcher la perforation artérielle avec’œsophage, la tumeur ? ».

octeur Bageacu

C’est ce que l’on a fait, on a pris deux patchs de pro-hèse, on a disséqué au plus près de la fistule, j’essaiee vous le schématiser. On a passé un patch de pro-hèse en avant, un autre en arrière avec des points en Ue fils non résorbables (Fig. 2). On a fermé l’œsophagen regard de la fistule. Sur le plan hémodynamiqueout s’est bien passé, il a eu une transfusion mas-ive, avec des anesthésistes qui ont réagi très vite, etl a rétabli ses constantes au réveil : dès la sortie duloc opératoire, il avait un PH normal, une hémoglo-ine normale. Voila, le patient parfaitement stable, aes constantes normales, l’hémorragie est arrêtée. Queroposez-vous ? ».

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Figure 2. Schéma de l’intervention : fermeture de l’œsophage su

Docteur Mariette

« La solution qui a été adoptée a été celle proposée parM. Pouliquen : un patch pour fermer la fistule en utili-sant l’œsophage comme moyen de pression. Avec ca,l’hémorragie est tarie. Alors, que faites-vous ? ».

Docteur Sauvanet

« Qui prend une bonne bière. . . ? (rires dans la salle) Parceque là quand même on a déjà fait la première moitié d’unmiracle, d’accord ? On revient de loin et est désormaispresque dans une situation à froid ; cela devient un peuplus facile non ? ».

Docteur Mariette

« Que fait-on, on ferme le malade, on le transfère, on faitune imagerie ? Voulez-vous aller plus loin à ce stade ? Est-

ce que vous voulez enlever l’œsophage ? ».

Docteur Letoublon

« Ils ont réussi à lui sauver la vie, il faut maintenant faire untraitement intermédiaire peut-être, ou définitif, qui seraitalors la prothèse intravasculaire ».

Docteur Mariette

« M. Letoublon propose un geste endovasculaire de pro-thèse au risque que ca resaigne ».

Docteur Sauvanet

« C’est un traitement ‘‘ validé ’’ des anévrismes de l’aortethoracique ou abdominale me semble-t-il ».

Docteur Maucourt

« Je pense que là c’est un geste de sauvetage. On ne vapas le critiquer, mais on va rapidement se trouver face àune infection du patch. On est passé en pleine tumeur et jepense qu’une prothèse endovasculaire, à partir du momentoù on va avoir du matériel prothétique infecté en dessous,je ne suis pas certain de la pérennité d’un geste comme ca ».

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fistule par deux patchs prothétiques.

Docteur Hannoun

« Puisqu’on nous le présente et que l’on est dans le miracle,on va essayer de le réaliser jusqu’au bout. J’aurais ététenté de lui enlever l’œsophage mais en mettant les deuxcoups d’agrafeuses au-dessus et en dessous du patch, de lepréparer à un transplant ; donc de le préparer à une œso-phagectomie, de refermer la thoracotomie et de faire venirun vasculaire, ou transférer en chirurgie vasculaire, pourlui enlever cette fistule. De toutes les facons, c’est de latumeur, donc si on veut être curatif on peut lui faire unremplacement aortique prothétique et après avoir discutéle rétablissement ».

Docteur Sauvanet

« Simplement, pour la clarification, le malade est dans unesituation où il ne va plus manger, on est d’accord ».

Docteur Slim

« On a parlé de la prothèse intra-aortique, bien sûr, maisvous venez de dire qu’il ne peut plus manger : donc il fautaussi lui mettre une prothèse œsophagienne ».

Docteur Bageacu

« Ce sont des fils non résorbables, et c’est bien serré. . . ».

Docteur Sauvanet

« En endoscopie interventionnelle, il faudrait unperforateur pneumatique. On peut aussi scinderles différents problèmes, c’est-à-dire que l’on a arrêtél’hémorragie. . . ».

Docteur Elias

« Je n’ai pas la solution mais je rappelle que c’est un patientqui a eu une radio-chimiothérapie ; qui a une tumeur quis’étend sur 10 cm et qui vient de perforer donc c’est unetumeur T4. Le pronostic est mauvais à moyen terme. Onpeut imaginer retirer tout l’œsophage, mettre tout à la peauet demander un remplacement prothétique. Mais ce qui megène si l’on discute cette attitude c’est que le pronostic

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F prothétique et fistule (a) ; fistule non visible à la reconstruction (b).

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voyez la trachée mise sur lacs. Après dissection, on voitl’orifice aortique qui ne saigne pas du tout (Fig. 6). Il a étécollé avec de la bio-glue. Les suites ont été simples, il estsorti à j20 de l’hôpital. L’anatomopathologie a montré qu’ilétait R1 à hauteur de la fistule ; qui était donc bien une fis-tule néoplasique, alors qu’existent dans la littérature desdescriptions de fistules, purement radiothérapiques commel’a signalé M. Dousset. À distance, il a une voix bitonale,par atteinte du récurrent. Pour l’instant, il est vivant, sansrécidive malgré une résection R1, avec un recul de 14 mois ;mais il ne saurait que récidiver dans les semaines ou lesmois qui viennent. Je l’ai revu récemment en consultation,j’ai fait une photo parce que la thoracotomie passe un peudans le mamelon (Fig. 7), à la volée. . .

Cette situation, dont je vous ai décrit un cas, est assezpeu connue. On dispose de 225 références, avec un pre-mier cas décrit par un auteur francais en 1918 [1], 160 ansavant un premier survivant [2]. Les causes les plus fré-quentes — plus de 80 % — sont les anévrismes de l’aorte

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igure 3. Tomodensitométrie au sortir du bloc opératoire : patch

st tout de même épouvantable et que ce problème est unroblème de fond dès le départ ».

octeur Bageacu

M. Elias a raison parce que le patient — pour la petite his-oire — a été refusé à la sortie du bloc, par un service deéanimation, en disant qu’il n’y a pas de ‘‘ projet théra-eutique ’’ à son égard. Il a finalement été accepté par unecond service de réanimation. . . ».

octeur Dousset

Je ne suis pas sûr d’avoir une idée précise du traitement,ais je pense que l’on ne peut pas du tout affirmer que

a fistule aorto-œsophagienne soit celle d’une tumeur T4n poussée. Elle peut être au contraire une réponse tropmportante de la radiochimiothérapie. La tumeur peut êtreotalement stérilisée, donc il ne faut pas fermer la porte

un ‘‘ projet thérapeutique ’’ intermédiaire, mais il fautnvisager une séquence qui répare l’aorte puis qui fasse lahirurgie de l’œsophage ».

octeur Bageacu

En sortant du bloc opératoire il a eu une TDM (Fig. 3).ous voyez sur l’image de gauche les deux patches pro-hétiques, en regard de la fistule (Fig. 3a) : c’est un petitamelon sur la crosse de l’aorte. On a fait une recons-

ruction 3D mais on n’a jamais pu mettre en évidence lastule (Fig. 3b). On a contacté nos collègues cardiovascu-

aires qui devaient commander la prothèse, donc prendrees mesures sur la TDM pour pouvoir la commander et l’avoire jour même. Il est transféré dans le service de chirurgieasculaire. À j1 est mise en place une endoprothèse paroie fémorale qui dépasse au minimum la fistule de 3 cmu-dessus et au-dessous (Fig. 4). Ils ont bouché l’ostiume l’artère sous-clavière gauche sans conséquences sur leembre supérieur. On a attendu cinq jours comme phase de

lotting (pour que la thrombose s’organise sur la paroi de’endoprothèse vasculaire). On est ensuite intervenu pouraire l’œsophagectomie de type Lewis-Santi. Vous voyez lesatches prothétiques en regard de la fistule de la chirur-ie initiale (Fig. 5). Par la même occasion, on a découvertne fistule en regard de la carène trachéobronchique. Vous

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S. Bageacu

horacique, puis le corps étranger œsophagien et, en der-

igure 4. Reconstruction tomodensitométrique : mise en place’une endoprothèse aortique par voie fémorale.

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Figure 5. Vue opératoire : œsogastrectomie polaire supérieure(Lewis-Santi) et découverte d’une fistule œsotrachéale.

Figure 6. Vue opératoire : encollage de la fistule aortique etpatch de péricarde sur la fistule trachéale.

Figure 7. Photographie du malade : vue antérolatérale droite.

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nier lieu, le cancer de l’œsophage. Il existe des causes plusrares, comme celle décrite dans le Journal de Chirurgie en1992 d’un volumineux ulcère de l’œsophage [3], des causesinfectieuses et, plus récemment, des fistules iatrogènes àla suite de procédures endovasculaires. Si on cherche parmiles 225 références le lien entre cancer de l’œsophage et fis-tule aorto-œsophagienne on trouve seulement dix cas avecun survivant en 2006. En revanche, dans un article publiéen 1976, Alrenga avait fait une étude de la littérature encherchant l’association cancer de l’œsophage + hémorragiefatale [4]. Il trouvait tout de même 78 fistules aorto-œsophagiennes hautes. Il existe un syndrome cliniqueassocié à cette complication, c’est la triade de Chiaridécrite en 1914 [5] qui associe douleur rétrosternale, oudysphagie, puis une hématémèse sentinelle mineure puisenfin, quelques heures à quelques jours après, une exsan-guination souvent mortelle [6]. Un article intéressant aété publié en chinois en 1992, dans lequel ont été décrits17 cas de fistule aorto-œsophagienne ; une grande majo-rité secondaire à des corps étrangers — os de poulet oude poisson — dont une grande partie s’accompagnait de latriade de Chiari [7]. Le résultat du traitement conservateur,portant sur huit cas, fut de huit décès ; après traitementchirurgical portant sur six cas, cinq décès furent observés.Un autre article à retenir est une revue de la littératureoù sont compilés 37 survivants, tous après fistules secon-daires à un anévrisme de l’aorte thoracique [8]. Les auteurspréconisent, comme traitement idéal, l’endoprothèse aor-tique en urgence, suivie d’un remplacement par une aortecryopréservée, puis d’une œsophagectomie. Un intéressanttravail de Toppel et al. dans Annals of Surgery de 2007 portesur six cas, traités par endoprothèse aortique, qui a stabi-lisé le patient sur le plan hémodynamique [9]. Mais deuxmalades n’ont pas été opérés en raison des comorbiditésassociées. Sur les quatre patients qui ont eu un remplace-ment de l’aorte par de l’aorte cryopréservée, l’œsophageétait fermé par un patch épiploïque, il y a eu trois médias-tinites secondaires, qui ont conduit à une œsophagectomie.

En conclusion, il s’agit d’une affection, qui n’est passi rare dans la littérature. Il faut y penser devant la

triade de Chiari. Il est vrai que le traitement ‘‘ idéal ’’est l’endoprothèse à condition de l’avoir sous la main.En revanche, dans des cas d’hémorragie catastrophique leseul espoir c’est la chirurgie. Il faut toujours penser àl’œsophagectomie systématique du fait des complicationsseptiques secondaires ».

Docteur Mariette

« Finalement, la stratégie de sauvetage a été payante. Lemessage est donc de ne pas abandonner ces malades, etbravo pour la survie prolongée à 14 mois après une tellesituation clinique ! ».

Références

[1] Dubreuil O. Observation sur la perforation de l’’œsophage et del’aorte thoracique par une portion d’os avalé, J Univ Sci Med1818;9: 357—65.

[2] Ctercteko, et al. J Thorac Cardiovas Surg 1980;80:233—5.[3] Marmuse JP, et al. La fistule aorto-œsophagienne : cause rare

d’hémorragie digestive haute. J Chir 1992;129:433—5.[4] Alrenga DP. Fatal hemorrhage complicating carcinoma of the

esophagus. Report of four cases. Am J Gastroenterol 1976;65:422—6.

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5] Chiari H. Über Fremdkörperverletzung des Oesophagus mit AortaPerforation. Berlin Klin Wochenschr 1914;51:7—9.

6] Carter R, Mulder GA, Snyder ENJr, Brewer LA. III: Aortoesopha-geal fistula. Am J Surg 1978;136:26—30.

7] Li S.Zhonghua Er Bi Yan Hou Ke Za Zhi. Aorto-esophageal fis-tula caused by swallowed foreign body (report of 17 cases)1992;27:91—2,125—6.

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S. Bageacu

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