STREET PHOTOGRAPHY

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PHILIPPE CHAUDRÉ • VINCENT BURGEON

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STREET PHOTOGRAPHY

DAVID GIBSON

Le savoir-faire du photographe de rue

Traduit de l’anglais par FABIENNE GONDRAND

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PHILIPPE CHAUDRÉ • VINCENT BURGEON

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STREET PHOTOGRAPHY

DAVID GIBSON

Le savoir-faire du photographe de rue

Traduit de l’anglais par FABIENNE GONDRAND

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Crédits photo

Estate of André Kertész/Higher Pictures : André Kertész 43Estate of Saul Leiter : Saul Leiter 125Simone Giacomelli : Mario Giacomelli 107Collectif In-Public : Narelle Autio 173 – Paul Russell 9 – Nick Turpin 12-13 – Matt Stuart 15, 67 – Richard Bram 28 – Andrew Morley-Hall 31 – Nils Jorgensen 40-41, 65, 91 – Jesse Marlow 136-137 – Gus Powell 48 – David Solomons 166-167 – Blake Andrews 84-85Magnum Photos : Henri Cartier-Bresson 7, 18-19 – Elliott Erwitt 51, 64 – Bruce Gilden 63 – Sergio Larraín 33 – Trent Parke 22-23, 131 – Martin Parr 25 – Gueorgui Pinkhassov 113 – Raghu Rai 10 – Marc Riboud 38, 97 – Ferdinando Scianna 16 – Alex Webb 34-35Maloof Collection, Ltd : Vivian Maier 77Pace/MacGill Gallery, New York : Robert Frank 44© pour les autres photographies : leurs auteurs respectifs : Caspar Claasen 151, 152-153 – Fan Ho 11 – Oliver Lang 179 – Johanna Neurath 144-145 – Shin Noguchi 102-103 – Colin O’Brien 20 – Kaushal Parikh 56-57 – Maria Plotnikova 72-73 – Jack Simon 119 – Lukas Vasilikos 78-79Toutes les autres photographies © David Gibson

Nous avons fait tout notre possible pour obtenir les autorisations nécessaires à la reproduction des photographies de cet ouvrage. Toute erreur ou omission qui nous sera signalée se verra rectifiée dans le prochain tirage.

En couverture : David Gibson, Londres, 2011

L’édition originale de cet ouvrage est parue en 2014 au Royaume-Uni sous le titre The Street Photographer’s Manual© 2014 Quintet Publishing Limited.

© Dunod, 2014 pour la traduction française

5 rue Laromiguière, 75005 Pariswww.dunod.com

ISBN 978-2-10-071135-2

Traduction : Fabienne GondrandRelecture : Charlotte MonnierCouverture : WIPMise en page : Arclémax

Ouvrage imprimé en Chine

À ma mère : Margaret Gibson (1923-2008)

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P O R T R A I T / B R U C E G I L D E N 6 2

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P O R T R A I T / M A T T S T U A R T 6 6

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I N T R O D U C T I O NSe promener en ville sans idée précise d’un sujet à photographier peut sembler étrange mais, lorsque la magie opère, la démarche devient à la fois naturelle et merveilleuse.

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Q U ’ E S T- C E Q U E L A S T R E E T P H O T O G R A P H Y   ?Dans le rayon photo des librairies, les étagères les moins intéressantes à mes yeux sont celles des manuels techniques et didactiques. Je ne les comprends pas, ni d’un point de vue pratique, ni d’un point de vue émotionnel. Lorsque j’ai commencé à étudier la photographie à la fin des années 1980, la théorie a failli me dégoûter de la pratique en inhibant ma confiance. J’en ressens encore les effets aujourd’hui. Je préfère mille fois regarder des photos, notamment des photos de rue. C’est là que j’ai appris la photographie et c’est la rue qui donne le ton de cet ouvrage. J’espère qu’il saura inspirer les lecteurs qui s’intéressent déjà à la street photography.

D’emblée, rappelons que les opinions personnelles sont subjectives, comme l’est par exemple mon aversion pour la technique. En écrivant ce livre, j’ai pris davantage conscience de l’intransigeance et de la facilité avec laquelle on peut camper sur ses positions. L’opinion de chacun est différente pour une même photo, y compris concernant sa genèse. Par exemple, Henri Cartier-Bresson n’aimait pas la photographie en couleur. Ce livre pourrait tout aussi bien s’adresser à moi

il y a quelques années, quand j’étais encore un jeune photographe naïf qui venait de se prendre de passion pour la photographie, désireux de s’imprégner de tout et de donner une orientation à sa pratique. Par naïveté, j’entends cet émerveillement qu’éprouvent les enfants mais qui est remis en question avec l’âge. J’ai pleinement conscience de cette période initiale d’apprentissage obsessionnel à laquelle je ne peux jamais vraiment retourner. Par le biais des ateliers de street photography que j’anime, j’ai rencontré cette même soif chez d’autres. Leur enthousiasme est vivifiant.

À travers ce livre, mon but est d’observer et identifier le processus qui donne vie à la photographie de rue. La chance ne s’enseigne pas, pas plus que la passion. Mais si l’envie a déjà germé, j’espère que ce livre clarifiera voire accélérera le processus.

J’ai étudié la photographie dans un livre d’Andreas Feininger intitulé The Complete Photographer (1968). Je suis accro au design et à la typo de ce livre, dont la couverture est illustrée par le portrait saisissant d’une femme asiatique. Consacré aux aspects techniques de la photographie, l’ouvrage de Feininger s’accompagne de

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schémas, graphiques et équations. Bon photographe, l’auteur concède lui-même que, « la photographie ne peut s’enseigner qu’en partie, spécifiquement les aspects techniques. Tout le reste doit venir du photographe ».

Je trouve cet aveu rassurant, même si mon livre finira probablement dans les rayons techniques des librairies plutôt que dans celui des livres d’art. En vérité, cet ouvrage est un entre-deux : il aborde les aspects pratiques de la photographie de rue mais tente d’en décomposer les diverses approches en concepts clairs. J’avais peur que certains soient évidents, puis je me suis remémoré le conseil désinvolte que j’avais donné

à quelqu’un qui ne savait pas trop quoi photographier dans la rue. Je lui avais suggéré de prendre un bus, de regarder défiler le monde et de descendre lorsqu’il verrait quelque chose d’intéressant : ce fut pour lui une révélation. Moi qui faisais cela depuis des années, j’ai été surpris. Ce qui paraît évident à certains peut être utile à d’autres.

En me penchant sur l’histoire générale de la street photography, j’ai été captivé par la perception et la pensée de vingt photographes. Je souhaite que cette passion, que tant d’autres partagent à travers le monde, transparaisse dans cet ouvrage.

Henri Cartier-Bresson, Shanghai, 1948

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Au cours de sa réflexion sur la signification des sujets et des personnalités en photographie dans The Ongoing Moment (2005), Geoff Dyer pose une question fascinante : quelle est la différence entre une route et une rue ? Il conclut :

« Ce n’est pas une question de taille (certaines rues en ville sont plus larges que des routes de campagne). Une route sort de la ville alors que la rue y reste. À la campagne, on ne trouve donc pas de rues, mais des routes. Si une rue mène à une route, on quitte la ville. Si une route se transforme en rue, on entre dans la ville. Si on roule longtemps, une route finit par devenir une rue, l’inverse n’étant pas forcément vrai (une rue peut être une fin en soi). Les rues sont toujours bordées de maisons. Les meilleures rues invitent à rester, la route incite à partir. »

Cette perspective, bien que séduisante, déboussole littéralement. Pourtant, la question n’est pas de savoir si une photo a été prise sur la route ou dans la rue.

Dyer a aussi publié un ouvrage très émouvant sur le jazz, But Beautiful (1992), avec lequel la street photography entretient une parenté, les deux ayant été façonnés par des non-conformistes. Ce lien singulier me permet de proposer un autre nom pour la photo de rue, qui se rapporte au jazz et à sa manière de jongler avec les mélodies. Surtout, je note une empathie avec l’état d’esprit des musiciens de jazz, qui font le choix de se perdre : ils maîtrisent la situation mais restent ouverts à l’imprévu et à l’intuition du moment. La photographie de rue pourrait s’appeler « la photographie perdue », car les photographes de rue doivent savoir se perdre.

La photo de rue recouvre tout type de cliché pris dans un espace public. Elle montre le plus souvent des personnes vaquant à leurs activités quotidiennes. Sa valeur essentielle et non négociable est qu’elle n’est jamais mise en scène.

Le mot « rue » suggère son authenticité : elle est née dans la rue, avec un caractère bien à elle, mais parallèlement, les espaces publics offrent un éventail d’instants poignants. Particularité déterminante : la photo de rue n’exige pas la présence de personnes. C’est un pot-pourri, comme le prouvent dans l’ouvrage les portraits consacrés à vingt photographes, d’où la difficulté à définir précisément ce qu’est la photo de rue. Ces portraits donnent le ton, et je reconnais volontiers que le choix a été quelque peu le fruit du hasard. Ce mélange est démocratique, même si j’admets qu’il devrait compter plus de femmes.

Q U ’ E S T- C E Q U E L A S T R E E T P H O T O G R A P H Y   ? P O U R R É P O N D R E , C O N S I D É R O N S T O U T D ’ A B O R D C E U X Q U I L A P R A T I Q U E N T. S I V O U S P L O N G E Z A U C Œ U R D E L E U R S M O T I V A T I O N S , T O U T S ’ É C L A I R E .

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2007

Paul Russell, installé sur la côte sud de l’Angleterre, aime les foires agricoles. Elles mêlent la foule et montrent l’excentricité des Anglais. Russell est considéré comme un photographe de rue typique, doté d’un sens de l’humour décalé, bien que son territoire ne soit a priori pas les centres urbains. Le concept de la photo de rue peut largement dépasser la grande ville.

La photographe documentaire de paysage Kate Kirkwood a pris quelques photos dans la rue, mais la majeure partie de son travail (de loin la plus mémorable) provient de la ferme du Lake District qu’elle habite en Angleterre. Sa série Spine est en substance un entrelacement entre le pelage du bétail, les collines et le ciel. Les photos couleurs sont époustouflantes et provoquent invariablement l’émerveillement mais, lorsque je les ai montrées lors d’un atelier à Athènes, un des participants s’est écrié, « ce n’est pas de la photo de rue », et il n’avait pas tort. La street photography englobe les photos prises sur le pas de la porte, mais s’étend-elle aux animaux de la ferme et aux paysages ?

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Raghu Rai, Mumbai, 2010

L I E U X E T C O M M U N A U T É SLe lieu est un facteur clé dans la photo de rue et certains pays sont probablement plus avancés que d’autres. L’Afrique semble absente du domaine, mais cette appréciation est certainement étriquée. Malheureusement, la Scandinavie, l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale ne figurent pas dans cet ouvrage, bien que les photographes de rue y soient assurément actifs. Il existe par exemple à Stockholm une association qui promeut la street photography (CUP, Contemporary Urban Photographers), qui convie des photographes à organiser des ateliers et des expositions et qui présente ses propres œuvres.

J’ai sans l’ombre d’un doute laissé de côté certains grands photographes de rue. Je connais Invisible Photographer Asia (IPA) à Singapour, plateforme de l’Asie mais aussi de la photographie en Asie. Fondée en 2010 par Kevin WY Lee, IPA compte d’ores et déjà un nombre impressionnant d’adeptes dans la région et continue à prendre de l’ampleur en ligne. Lee est fermement convaincu de l’importance du contact, de la représentation et du partage tangibles des photos sur les murs de la galerie IPA ou dans des livres.

En 2012, IPA a publié une liste passionnante des vingt photographes les plus influents en Asie, qui classait Daido Moriyama, Nobuyoshi Araki et Raghu Rai respectivement en 1re, 2e et 3e positions. Dans cette liste figurait également Fan Ho, photographe, acteur et cinéaste de Hong Kong. Pour moi comme pour bien d’autres, ses photographies en noir et blanc de Hong Kong dans les années 1950 sont une véritable révélation. Découvrir les œuvres magnifiques d’un photographe relativement inconnu prouve qu’il existe toujours des talents à découvrir.

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Fan Ho, Hong Kong, 1956

L’ É N E R G I E D E L A S T R E E T P H O T O G R A P H Y V A R I E S E L O N L E S V I L L E S À T R A V E R S L E M O N D E . S I C E R T A I N E S I M A G E S S O N T P L U S C É L È B R E S Q U E D ’ A U T R E S , L E P O T E N T I E L E X I S T E P A R T O U T.

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Quel mot décrit le mieux les aspects de la photographie qui se situent à la marge ou qui n’entrent pas parfaitement dans le moule ? Peut-être le mot fiction, bien qu’il suggère une invention, notion impensable pour de nombreux photographes de rue. Il faudrait cartographier cette zone située à l’écart du noyau de la photo de rue. Une région s’appellerait « distorsion », accueillant tout ce qui s’éloigne de ce que perçoit l’œil naturellement. Les objectifs ultra-grand-angle et les téléobjectifs la peupleraient, car ils observent la réalité sans la mettre en scène ni la réorganiser.

Il y a plusieurs années, je me promenais dans les rues de Londres en compagnie du photographe Matt Stuart, lorsque nous avons aperçu un panneau près d’une zone de travaux, qui annonçait « Extreme Danger ». Pour m’amuser, j’ai demandé à Matt de faire

le poirier derrière la planche de manière à ce que l’on ne voie que ses jambes. La photo est drôle, mais je la montre rarement parce que j’ai conscience qu’elle est mise en scène. Elle nécessite une mise en garde, comme sur les paquets de cigarettes (« cette photo est une mise en scène »), parce que la faire passer pour un vrai instant serait mensonger ; la confiance serait rompue. Cela peut sembler exagéré, mais il existe des codes de conduite précis et un sens des responsabilités dans ce domaine que l’on pourrait qualifier de « tolérance zéro ».

Tout photographe de rue a probablement eu cette tentation de la mise en scène, notamment pour les natures mortes urbaines. Combien peuvent honnêtement affirmer n’avoir jamais dégagé d’un coup de pied un élément qui faisait tache dans le cadre ?

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2001

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Cette question sensible tourne essentiellement autour de l’honnêteté. Consolons-nous de ce qu’un œil aguerri est capable de repérer le mensonge (ce qui n’est pas naturel dans une photo), qu’une photo a été mise en scène ou pire, que la manipulation numérique l’a complètement falsifiée.

Ce dernier point est une problématique distincte, mais qui renvoie néanmoins à l’honnêteté. « Manipulation numérique » n’est pas un gros mot. Elle appartient à ce que fut jadis la chambre noire, qui était vulnérable aux mauvais traitements. Dans leur labo, les photographes argentiques bricolaient leurs images, parfois à l’excès.

F A I T E S L A D I F F É R E N C E E N T R E L E S P H O T O S M I S E S E N S C È N E E T C E L L E S A U P L U S P R È S D U R É E L. R E C H E R C H E Z C E Q U I É V O L U E À L A M A R G E – T O U T C E Q U I N E C O L L E P A S À L A N O R M E .

Matt Stuart, Londres, 2006

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