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Revue de chirurgie orthopédique © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 2007, 93, 181-185 FAIT CLINIQUE Syndrome de la pince aorto-mésentérique après correction d’une déformation rachidienne À propos d’un cas et revue de la littérature F. Zadegan, T. Lenoir, O. Drain, C. Dauzac, R. Leroux, E. Morel, P. Guigui Service de Chirurgie Orthopédique, Hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy. ABSTRACT Superior mesenteric artery syndrome is a rare complication which can develop after surgical correction of a spinal deformity. The syndrome is caused by an extrinsic compression on the third portion of the duodenum by the aorta posteriorly and the mesenteric artery anteriorly. We report here a case of aortomesenteric compression of the duodenum secondary to surgical correction of lower thoracic scoliosis in a 19-year-old female. The patient presented vomiting and intestinal obstruction ten days after spinal surgery. Treatment consisted in exclusive parenteral nutrition followed by careful surveillance and progressive reintroduction of oral food intake to avoid unnecessary sur- gery. Young thin subjects are predominantly exposed to this type of complication. The body mass index is a good indication to identify subjects at risk. Symptoms of upper gastrointestinal obstruction develop seven to ten days after surgery. Diagnosis is based on transit studies using a hydroluble contrast agent which reveals major gastric dilation and a clear interruption of the transit at the level of the third duodenum as well as retrograde peristaltism. Medical treatment should be undertaken first and is effective in the large majority of cases. Surgery may be proposed only in the event of failure. Recurrence is exceptional. Early diagnosis, delivery of clear information for the patient and family and multidisciplinary management are important points to con- sider for proper care for this complication which if neglected can become life-threatening. Key words: Superior mesenteric artery, duodenal obstruction, spinal deformity. RÉSUMÉ Le syndrome de la pince aorto-mésentérique est une complication rare pouvant survenir après correction chirurgicale d’une déformation rachidienne. La fermeture de la pince formée par l’aorte en arrière et l’artère mésentérique en avant provoque une sténose extrinsèque de la 3 e portion du duodénum. Nous rapportons ici l’observation d’un cas de syndrome de la pince aorto- mésentérique secondaire à une correction chirurgicale d’une scoliose thoracique basse chez une jeune fille de 19 ans, et une revue de la littérature. Les symptômes (vomissements, arrêt du transit) ont débuté au 10 e jour postopératoire. Le traitement a consisté en une mise au repos du tube digestif accompagnée d’une nutrition parentérale. Une surveillance rapprochée et une réintroduction progressive de l’alimentation orale ont permis d’éviter un geste chirurgical. Les sujets jeunes et longilignes sont les plus exposés à cette complication. L’indice de masse corporelle (IMC) apparaît être un bon indice pour identifier les sujets à risque. Les symptômes d’occlusion haute apparaissent de façon retardée de 7 à 10 jours. Le diagnostic repose sur le transit aux hydrolubles qui montre une dilatation gastrique importante avec un arrêt net au niveau du 3 e duodénum ainsi qu’un péristaltisme rétrograde. Le traitement est en premier lieu médical. Celui-ci est efficace dans la grande majorité des cas. En cas d’échec, un traitement chirurgical doit être envisagé. Les récidives sont exceptionnelles. Un diagnostic précoce, une information claire au patient et à la famille et une prise en charge multidisciplinaire sont les points importants de cette complication qui est susceptible d’engager le pronostic vital. Mots clés : Artère mésentérique supérieure, occlusion duodénale, déformation rachidienne. Superior mesenteric artery syndrome following correction of spinal deformity: case report and review of the literature Correspondance : F. ZADEGAN, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] Acceptation définitive le : 13 septembre 2006

Syndrome de la pince aorto-mésentérique après correction d’une déformation rachidienne

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Page 1: Syndrome de la pince aorto-mésentérique après correction d’une déformation rachidienne

Revue de chirurgie orthopédique © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés2007, 93, 181-185

FAIT CLINIQUE

Syndrome de la pince aorto-mésentérique après correction d’une déformation rachidienneÀ propos d’un cas et revue de la littérature

F. Zadegan, T. Lenoir, O. Drain, C. Dauzac, R. Leroux, E. Morel, P. Guigui

Service de Chirurgie Orthopédique, Hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy.

ABSTRACT

Superior mesenteric artery syndrome is a rare complication which can develop after surgical correction of a spinal deformity.The syndrome is caused by an extrinsic compression on the third portion of the duodenum by the aorta posteriorly and themesenteric artery anteriorly. We report here a case of aortomesenteric compression of the duodenum secondary to surgicalcorrection of lower thoracic scoliosis in a 19-year-old female.

The patient presented vomiting and intestinal obstruction ten days after spinal surgery. Treatment consisted in exclusiveparenteral nutrition followed by careful surveillance and progressive reintroduction of oral food intake to avoid unnecessary sur-gery.

Young thin subjects are predominantly exposed to this type of complication. The body mass index is a good indication toidentify subjects at risk. Symptoms of upper gastrointestinal obstruction develop seven to ten days after surgery. Diagnosis isbased on transit studies using a hydroluble contrast agent which reveals major gastric dilation and a clear interruption of thetransit at the level of the third duodenum as well as retrograde peristaltism. Medical treatment should be undertaken first and iseffective in the large majority of cases. Surgery may be proposed only in the event of failure. Recurrence is exceptional. Earlydiagnosis, delivery of clear information for the patient and family and multidisciplinary management are important points to con-sider for proper care for this complication which if neglected can become life-threatening.Key words: Superior mesenteric artery, duodenal obstruction, spinal deformity.

RÉSUMÉ

Le syndrome de la pince aorto-mésentérique est une complication rare pouvant survenir après correction chirurgicale d’unedéformation rachidienne. La fermeture de la pince formée par l’aorte en arrière et l’artère mésentérique en avant provoque unesténose extrinsèque de la 3e portion du duodénum. Nous rapportons ici l’observation d’un cas de syndrome de la pince aorto-mésentérique secondaire à une correction chirurgicale d’une scoliose thoracique basse chez une jeune fille de 19 ans, et unerevue de la littérature. Les symptômes (vomissements, arrêt du transit) ont débuté au 10e jour postopératoire. Le traitement aconsisté en une mise au repos du tube digestif accompagnée d’une nutrition parentérale. Une surveillance rapprochée et uneréintroduction progressive de l’alimentation orale ont permis d’éviter un geste chirurgical.

Les sujets jeunes et longilignes sont les plus exposés à cette complication. L’indice de masse corporelle (IMC) apparaît êtreun bon indice pour identifier les sujets à risque. Les symptômes d’occlusion haute apparaissent de façon retardée de 7 à10 jours. Le diagnostic repose sur le transit aux hydrolubles qui montre une dilatation gastrique importante avec un arrêt net auniveau du 3e duodénum ainsi qu’un péristaltisme rétrograde. Le traitement est en premier lieu médical. Celui-ci est efficace dansla grande majorité des cas. En cas d’échec, un traitement chirurgical doit être envisagé. Les récidives sont exceptionnelles.

Un diagnostic précoce, une information claire au patient et à la famille et une prise en charge multidisciplinaire sont les pointsimportants de cette complication qui est susceptible d’engager le pronostic vital.

Mots clés : Artère mésentérique supérieure, occlusion duodénale, déformation rachidienne.

Superior mesenteric artery syndrome following correction of spinal deformity: case report and review of the literature

Correspondance : F. ZADEGAN, à l’adresse ci-dessus.E-mail : [email protected]

Acceptation définitive le : 13 septembre 2006

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INTRODUCTION

Le syndrome de la pince aorto-mésentérique, encoreappelé syndrome de Wilkie ou syndrome de l’artère mésen-térique supérieure, entraîne une occlusion haute au niveaude la 3e portion du duodénum. Ce syndrome est favorisé parles conditions anatomiques locales particulières du duodé-num, celui-ci étant situé entre, en arrière, l’aorte et, enavant, l’artère mésentérique supérieure. L’artère mésentéri-que supérieure naît de l’aorte au niveau de L1 puis se dirigeen bas et en avant avec un angle aigu par rapport à l’aortecompris entre 45° et 60. Le duodénum croise l’aorte auniveau de L3. Il est suspendu entre l’aorte et l’artère mésen-térique supérieure par le ligament de Treitz issu dudiaphragme. Ces trois éléments (duodénum, aorte et artèremésentérique supérieure) sont contenus dans un tissu grais-seux et lymphatique (fig. 1).

Le syndrome de l’artère mésentérique supérieure résulted’une compression d’origine vasculaire du 3e duodénum :fermeture de l’angle formé par l’aorte et l’artère mésentéri-que supérieure (AMS), d’où le nom de pince donné à cesyndrome.

Plusieurs facteurs peuvent entraîner un tel syndrome :perte de poids rapide (anorexie mentale, brûlure étendue,syndrome de malabsorption) diminuant la masse graisseuseprotégeant le duodénum, hématome rétro péritonéal, utérusgravide ou correction d’une déformation du rachis par con-tention plâtrée ou par chirurgie. La correction de la cyphoseest le facteur déterminant en entraînant la fermeture del’angle aorto-mésentérique.

Nous rapportons un cas de syndrome de la pince aorto-mésentérique secondaire à la correction chirurgicale d’unescoliose. Une revue de la littérature a permis de faire une

mise au point sur la prise en charge de cette complicationrare.

OBSERVATION

Une patiente âgée de 19 ans, suivie pour une scoliose thoraci-que basse avec une contre courbure lombaire, a été hospitaliséedans le service pour correction chirurgicale. Elle n’avait aucunantécédent, pesait 52 kg et mesurait 1,65 m avec un profil longi-ligne (IMC : 19,1 kg/cm2). Sa scoliose était idiopathique et dataitde l’adolescence. De plus, on notait l’existence d’un spondylo-listhésis L5-S1 par lyse isthmique asymptomatique. Le bilanradiologique préopératoire comprenait des clichés grands axesdu rachis de face et de profil, des clichés du rachis thoracique etlombaire de face et de profil, des clichés de Bending, ainsi qu’untest d’élongation. L’angulation régionale mesurée selon la tech-nique de Cobb était de 75° entre T4 et T10 et de 60° entre T10 etL5 (fig. 2).

Le traitement chirurgical a consisté en une correction-fusioninstrumentée T1- L4 par voie postérieure (CD horizon 5,5). Enpostopératoire, les angles de Cobb respectifs étaient de 20° et15° (fig. 3).

Après un séjour en soins intensifs de 24 h à titre systématiquela patiente est retournée en salle d’hospitalisation. Entre les 2e etle 5e jours postopératoires, la patiente était nauséeuse et a vomi àplusieurs reprises. Initialement, cette symptomatologie a étémise sur le compte de la morphine (pompe à morphine). Aprèsdiminution des antalgiques morphiniques, les nausées se sontestompées et la patiente s’est verticalisée sous couvert d’un cor-set thermoformé.

Au 10e jour, alors que la patiente était sortante, elle a recom-mencé à vomir de façon abondante. Aucune cause médicaleévidente n’a été identifiée. La douleur à la palpation abdominalenous a conduits à demander un avis auprès des chirurgiens digestifs.Un scanner abdominal a été demandé en urgence. La suspicion de

FIG. 1. – Illustration montrant la position anatomique duduodénum, de l’aorte et de l’artère mésentérique supérieure.

FIG. 2. – a) Radiographie rachis entier de face préopératoire.b) Radiographie rachis entier de profil préopératoire.

a b

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pince aorto-mésentérique sur les images scannographiques (fig. 4) amotivé la réalisation d’un transit aux hydrosolubles, qui a confirméce diagnostic (fig. 5).

La patiente a alors été mise à jeun, une sonde naso-gastrique aété posée. Le corset a été retiré afin de diminuer les contraintessur le duodénum. La patiente a été positionnée en décubitus laté-ral gauche. Une nutrition parentérale a été débutée après la posed’une voie centrale. Initialement, un apport de 1500 Cal a été ins-titué. Devant l’absence de prise de poids et un volume récupérépar la sonde gastrique supérieure à 1500 cm3, il a été décidéd’augmenter les apports à 2000 Cal et de tenter la pose d’unesonde d’alimentation en aval de la sténose sous endoscopie. La

gastroscopie a confirmé le diagnostic de sténose du 3e duodénum.La sténose était infranchissable par l’endoscope comme par lasonde. Des lésions ulcéreuses ont été constatées. Pendant la pro-cédure, une mauvaise tolérance respiratoire liée à une inhalationde liquide gastrique a conduit à interrompre le geste. La patiente aété mise sous double antibiothérapie. L’évolution respiratoire aété rapidement favorable.

La patiente était pesée régulièrement et stagnait à 48 kg. Untest de clampage a été réalisé à 7 semaines postopératoires.Devant la bonne tolérance digestive, la sonde gastrique a été reti-rée 4 jours plus tard. La reprise de l’alimentation entérale s’estfait progressivement. La voie centrale a été retirée lorsquel’apport calorique par voie entérale a été supérieur à 1500 Cal (autotal 8 semaines de nutrition parentérale).

Finalement, la patiente a repris un transit normal et a pu sortir encentre de rééducation 9 semaines après l’intervention. Aucun exa-men d’imagerie de contrôle n’a été réalisé avant la sortie. À unrecul de 9 mois, la patiente était toujours asymptomatique, pesait53 kg et le résultat clinique et radiologique était satisfaisant.

DISCUSSION

Le syndrome de la pince aorto-mésentérique est unecomplication bien décrite dans la littérature en particulieraprès correction chirurgicale de déviations rachidiennesmais aussi après port de corset plâtré. Cela reste une com-plication très rare qu’il convient de garder à l’esprit surtoutdevant un faisceau d’arguments : sujet jeune et longiligne,correction d’une déformation du rachis, occlusion intesti-nale haute quelques jours après la chirurgie.

Plusieurs séries concluent à une incidence de 1 % aprèschirurgie du rachis [Goin et Wilk (1), Nugent (2), Andersonet al. (3), Hutchinson et Bassett (4)]. Plus récemment, uneétude prospective multicentrique portant sur 3 311 patients

FIG. 3. – a) Radiographie rachis entier de face postopératoire.b) Radiographie rachis entier de profil postopératoire.

a b

FIG. 4. – Coupe scannographique montrant la compression duduodénum par la pince aorto-mésentérique.

FIG. 5. – Transit aux hydrosolubles montrant un arrêt net auniveau de la 3e portion du duodénum.

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estime sa fréquence à 1 pour 1000 [Guigui et Blamoutier(5)]. Une étude rétrospective récente conclut à une inci-dence de 0,5 % [Altiok et al. (6)].

En 1995, une revue de la littérature depuis 1970 [Adsonet al. (7)] a recensé 152 cas de syndrome de la pince aorto-mésentérique, les étiologies les plus fréquentes étant : uneaccélération de la croissance à l’adolescence chez des sujetsminces (25 %), la chirurgie pour scoliose (13,8 %), les brû-lures, l’alitement prolongé ou les traumatismes multiples(3,9 %) et enfin l’anorexie mentale (2,6 %). Il est intéressantde constater que la correction chirurgicale des scoliosesintervient souvent en fin d’adolescence donc chez des sujetsencore en cours de croissance.

Une étude rétrospective en 2003 [Shah et al. (8)], a permisde montrer l’importance du morphotype préopératoirecomme facteur de risque d’un syndrome de la pince aorto-mésentérique. Plus les sujets sont grands et minces, plus ilsrisquent de fermer leur pince aorto-mésentérique après lacorrection chirurgicale postérieure. Il est admis dans la litté-rature que le syndrome de la pince aorto-mésentériquen’existe pas chez les sujets ayant une surcharge pondérale.Malgré tout, on note une exception publiée par Walker etKahanovitz (9) : une jeune fille obèse de 17 ans ayant déve-loppé une syndrome de la pince aorto-mésentérique aprèscorrection chirurgicale d’une scoliose. La correction chirurgi-cale d’une déformation du rachis peut donc entraîner un syn-drome de la pince aorto-mésentérique même dans desconditions très favorables pour le duodénum. Selon Altioket al. (6), l’indice de masse corporelle semble être un bonparamètre permettant d’identifier les patients à risque et aubesoin de prévenir cette complication par un régime péri-opératoire adapté. Cet indice nécessite tout de même une cor-rection chez les patients scoliotique chez qui la taille est sous-estimée. Dans l’équation logY = 0,011X – 0,177, Y repré-sente la perte de taille par la scoliose et X l’amplitude de ladéformation frontale mesurée sur des clichés de face. Cetteméthode ne peut être utilisée que chez les patients ayant unedéformation inférieure à 100° [Altiok et al. (6), Carr et al.(10), Bjure et al. (11)].

Pour certains auteurs la position anormalement haute duligament de Treitz ou des anomalies de rotation de duodé-num peuvent également favoriser un syndrome de la pinceaorto-mésentérique.

L’apparition des symptômes est toujours retardée d’aumoins une semaine par rapport à la chirurgie. Cela corres-pond à la reprise du transit postopératoire et à la reverticalisa-tion sous couvert d’un corset. Il nous parait donc importantde repérer les patients à risque. Les manifestations cliniquessont une intolérance alimentaire, des vomissements incoerci-bles, un arrêt des matières et des gaz. Ces signes d’occlusionhaute doivent alerter le clinicien surtout chez des patientsjeunes, longilignes et à courte distance d’une chirurgie decorrection de scoliose. Les patients peuvent ressentir un sou-lagement lorsqu’ils se mettent en décubitus latéral gauche ouen chien de fusil. La présentation clinique peut être pluschronique et évoluer sur plusieurs mois.

Les examens complémentaires à demander sont, en pre-mier lieu, une radiographie standard de l’abdomen debout etcouché qui montre une distension gastrique importante avecun niveau hydroaérique gastrique et l’absence d’air dans lereste du tube digestif. Il faut s’assurer de l’absence de pneu-mopéritoine qui témoignerait d’une rupture gastrique. L’exa-men de référence reste le transit aux hydrosolubles quimontre : une dilatation gastrique et du duodénum proximalimportante avec un arrêt brutal du produit de contraste auniveau du 3e duodénum et un péristaltisme important pouvantêtre rétrograde. L’artériographie de l’artère mésentériquesupérieure peut être utile mais il s’agit d’un examen invasif.Le scanner abdominal peut montrer une réduction de l’angleaorto-mésentérique passant de 45-60° à moins de 15° et uneéventuelle répercussion sur la veine rénale gauche (dilata-tion) qui croise aussi l’aorte sous l’artère mésentérique supé-rieure au dessus du duodénum [Ooi et al. (12)]. L’endoscopieapporte la preuve de la sténose au niveau du 3e duodénum :compression extrinsèque pulsatile. Elle peut également servirà placer une sonde d’alimentation en aval de la sténose. Unbilan biologique complet comprenant un bilan hépatique etpancréatique est nécessaire à la recherche d’une anomalie.

La prise en charge consiste à traiter l’occlusion de façonsymptomatique et d’entreprendre un apport calorique.L’objectif est la prise de poids du patient malgré la mise aurepos du tube digestif. Concrètement le patient est mis à jeun,une sonde gastrique en aspiration est posée et une nutritionparentérale est débutée par voie centrale afin de permettre unapport calorique suffisant pour une prise de poids. Le but estd’augmenter la masse graisseuse rétropéritonéale et d’ouvrirla pince aorto-mésentérique. Des mesures posturales en met-tant le patient en décubitus latéral gauche peuvent égalementpermettre l’ouverture de la pince et donc de soulager lepatient. Le port du corset doit être évité jusqu’à la reprised’un transit normal.

Un apport entéral en plaçant une sonde d’alimentation enaval de la sténose sous endoscopie peut accélérer la prise depoids. Cependant, la sténose est souvent difficile à franchir.Dans ce cas, il est préférable de ne pas insister pour éviter decréer des lésions iatrogènes.

Un contact étroit avec les chirurgiens digestifs est indispen-sable. Dans la plupart des cas, le traitement conservateur estefficace mais long. Le patient et sa famille doivent être préve-nus de la durée du traitement qui peut aller jusqu’à 6 semai-nes. Les complications les plus fréquentes sont : l’ulcèregastrique (10,5 %), la pancréatite aiguë (8,5 %), la déshydra-tation pouvant aller jusqu’au collapsus cardio-vasculaire(9,8 %) et le diabète (2,6 %) [Adson et al. (7)]. À noter égale-ment que la compression de la veine rénale gauche peutentraîner des douleurs du flanc gauche ainsi qu’une hématuriemacroscopique intermittente (nutcracker syndrome ou syn-drome de casse-noisette) qui nécessite une prise en chargeurologique (transposition de la veine rénale gauche, traitementendovasculaire par stent ou auto transplantation rénale gau-che). En effet, l’hyperpression veineuse entraîne la formationde varices hilaires qui peuvent saigner dans les cavités rénales.

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En cas d’échec du traitement médical un traitement chirur-gical est envisagé. Actuellement, l’intervention de choix estla transposition antérieure du duodénum par rapport à l’artèremésentérique supérieure. Une duodénojéjunostomie peut êtreproposée afin de permettre une nutrition entérale. On peutégalement proposer une section du ligament de Treitz parcœlioscopie.

Dans leur série rétrospective, Adson et al. (7) constatentque dans les 110 cas où le type de traitement était mentionné,65 ont nécessité un traitement chirurgical et 45 un traitementconservateur a suffi. Altiok et al. (6), sur une série rétrospec-tive de 17 patients, constatent qu’un seul patient a nécessitéun traitement chirurgical.

La sévérité du syndrome de la pince aorto-mésentériquevarie dans la littérature : en 1971, Evarts et al. (13) consta-taient 4 décès sur une série de 16 cas ; en 1974, Hughes et al.(14) rapportaient 7 décès sur une série de 37 cas. La déshy-dratation progressive et ses répercutions électrolytiques dues àun retard diagnostique étaient les causes principales de décès.Depuis 25 ans, aucun décès n’est retrouvé dans la littérature.

Le traitement du syndrome de la pince aorto-mésentériquea aussi évolué. Au cours des années 1970, le traitement con-sistait dans la majorité des cas en un traitement chirurgical[Evarts et al. (13), Hughes et al. (14), Bunch et Delaney(15)]. Plus récemment, plusieurs équipes font état d’un traite-ment conservateur efficace avec un traitement chirurgicaldevenu exceptionnel : aucun sur 5 cas pour Munns et al. (16),1 sur 6 cas pour Sapkas et O’Brien (17), aucun sur 14 caspour Hutchinson et Basett (4). En revanche, l’introduction denouvelles techniques « non distractives » n’a pas éliminé lesyndrome de la pince aorto-mésentérique [Altiok et al. (6)].

CONCLUSION

L’occlusion du duodénum par la pince aorto-mésentériqueest une complication rare mais qui peut engager le pronosticvital. Le diagnostic doit être suspecté devant des vomisse-ments quelques jours après la correction, chirurgicale ou parcorset plâtré, d’une déformation du rachis.

La plupart des patients évoluent favorablement avec untraitement conservateur, celui-ci permettant de diminuer lesphénomènes inflammatoires locaux dus aux vomissementset d’augmenter la masse graisseuse rétropéritonéale. Lesindications chirurgicales sont rares. La prise en charge doitêtre multidisciplinaire.

Cette complication rallonge la durée d’hospitalisation etest une source d’inquiétude pour les patients et leur famille. Ils’agit souvent de patients jeunes. L’explication doit être clairedès le début de la prise en charge en insistant sur la durée et lapénibilité du traitement. Une fois le transit repris, les récidi-ves sont rares. Cependant, en cas de récidive, le traitementconservateur est recommandé et il est généralement efficaceplus rapidement car le délai diagnostique est raccourci.

Un diagnostic rapide, des explications claires et une appro-che multidisciplinaire sont les trois éléments essentiels pourune prise en charge optimale.

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