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L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017
1
Synthse Ltat et ses contrleur-e-s lpreuve de laudit
interne Une tude sur lintroduction dune fonction daudit
interne dans ladministration centrale dtat en France
Laure CLRIER
Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017
L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017
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Table des matires
Introduction ...................................................................................................................................... 3
1. Prsentation de la thse ............................................................................................................. 5
1.1 La rforme de 2011 et le contexte du contrle de ladministration ................................... 5
1.2 Cadre thorique et mthodologie retenue ............................................................................... 8
2. Les conditions de possibilit et le lancement de la rforme de 2011 ...................................... 11
2.1 Le succs plantaire de laudit interne dans les organisations publiques et prives ............ 11
2.2 Les remises en cause du contrle de ladministration .......................................................... 13
2.3 Le lancement de la rforme de 2011 et les incertitudes de laudit interne de ladministration
.................................................................................................................................................... 15
3. Linterprtation et la mise en uvre de la rforme de 2011 : lmergence dun audit interne
de ladministration .......................................................................................................................... 18
3.1 La pluralit des interprtations de la rforme ....................................................................... 18
3.2 Lmergence dune interprtation dominante de laudit interne et les incertitudes pesant sur
le renouvellement du contrle de ladministration ..................................................................... 20
3.3 La mise en uvre de la rforme au sein de linspection gnrale des Finances .................. 22
Conclusion ...................................................................................................................................... 24
Bibliographie .................................................................................................................................. 27
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Introduction
Le 28 juin 2011 un dcret, suivi deux jours plus tard dune circulaire, lancent la mise en place
dune fonction daudit interne dans ladministration de ltat en France (Dcret n 2011-775; Fillon
2011). Laudit interne est dfini comme une activit, exerce de manire indpendante et
objective, qui donne chaque ministre une assurance sur le degr de matrise de ses oprations et
lui apporte ses conseils pour lamliorer (Dcret n 2011-775, 1) ; il doit couvrir le primtre de
lensemble des activits ministrielles. La rforme introduit de nouvelles instances. Elle cre en
effet, dans chaque ministre, des comits et missions ministrielles daudit interne, respectivement
en charge de la supervision de la politique ministrielle daudit interne et de la programmation des
audits. De plus, un interministriel Comit dharmonisation de laudit interne, le CHAI, est mis en
place avec pour principal rle dharmoniser les mthodologies daudit dployes.
La rforme de 2011 peut tre interprte comme une manifestation de plus du New Public
Management (NPM) dans ladministration franaise, et des transformations de celle-ci dans un
contexte de financiarisation du capitalisme. Dune part, laudit est largement assimil un
renouvellement des modes de contrle dans les organisations publiques, visant accrotre
lefficacit et lefficience de ces dernires, et dgager des conomies de fonctionnement (Power
1994; Power 1999; Barzelay 2000; Pollitt 2007). Dautre part, du fait de son essor partir des
annes 1980 dans le sillage de scandales boursiers, laudit interne fait figure de pratique de contrle
du secteur priv, qui doit son succs plantaire au mouvement actuel de financiarisation (Power
2010; Chiapello 2014). Inscrits dans un ensemble plus large de rformes, le dcret et la circulaire
de juin 2011 pourraient ainsi participer dune transformation de ladministration, qui prendrait
appui sur un renouvellement de lorganisation du contrle. Cette transformation contribuerait
gommer les spcificits de ladministration franaise, vis--vis non seulement des administrations
publiques dautres pays, mais en outre de lorganisation dentreprises but lucratif, soucieuses de
leur bonne image auprs dinvestisseuses-rs. Au-del de lorganisation du contrle, la rforme
pourrait donc affecter lexercice du pouvoir tatique, ltat rendant compte de sa bonne gestion
auprs de parties prenantes. Dans le mme temps, ladministration franaise est bien souvent
prsente comme fortement imprgne dune culture napolonienne, qui la rendrait unique et
irrductible lorganisation interne dentreprises du secteur marchand et celles des
administrations publiques dautres pays. Certes, lide dune administration antinomique du
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mouvement de NPM et incompatible avec lintroduction de modes de gestion du secteur priv a
largement t battue en brche par des travaux explorant la longue histoire des rformes de
ladministration et de la permabilit entre les modes de gestion de ladministration et ceux
dentreprises prives (voir essentiellement Bezs 2009). Mais et ces mmes travaux en font tat
, ladministration franaise reste, au regard des exemples passs, fortement idiosyncratique. Par
ailleurs, laudit interne lui-mme a dj t dcrit comme compatible avec une grande diversit de
pratiques (Power 1994; Mennicken 2010; Arena et Jeppesen 2015). Dans ce contexte, les effets de
lintroduction de laudit interne dans ladministration centrale franaise sont largement
imprvisibles. Notre thse a alors propos une rponse la question de recherche suivante :
Dans quelle mesure lintroduction dun standard international de contrle, laudit interne,
est-elle rvlatrice dune transformation profonde de lexercice du pouvoir tatique lheure
du capitalisme financiaris ?
Pour rpondre cette question, nous avons adopt une mthodologie qualitative reposant sur
une analyse de donnes collectes entre juillet 2012 et juin 2015. Nous avons conduit tout dabord
des entretiens semi-directifs (n=121), mens principalement avec des personnes qui travaillaient,
ou avaient travaill, dans des services de contrle de ladministration centrale. Au moment de notre
terrain, les personnes interroges avaient particip llaboration de la rforme, ou bien
contribuaient la mise en uvre de celle-ci. Des observations participantes et non participantes
ont ensuite t menes. De plus, un grand nombre de documents de ladministration a t collect.
Nous avons ralis un travail particulier sur le service de contrle de linspection gnrale des
Finances (IGF), en conduisant avec les membres de ce service un nombre significatif dentretiens
(n=50) ainsi quune observation participante de 5 mois.
Dans cette synthse de notre thse, nous prsentons tout dabord le contexte et la mthodologie
de notre enqute (1). Puis, nous exposons, en diffrentes parties, les rsultats de notre travail :
premirement le contexte de la rforme, travers une tude de lessor de laudit interne, des
rformes antrieures de ladministration franaise et du lancement de la rforme (2) ;
deuximement, linterprtation et la mise en place de la rforme dans les services ministriels de
contrle en gnral et au sein de lIGF en particulier (3). Nous concluons en mettant en avant les
contributions de ce travail.
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1. Prsentation de la thse
Cette section introductive prsente notre objet de recherche et son contexte (1.1), le cadre
thorique retenu et la mthodologie dploye dans notre travail (1.2).
1.1 La rforme de 2011 et le contexte du contrle de ladministration
Notre thse a pour objet une rforme, qui introduit une fonction daudit interne dans
ladministration de ltat en France. Nous prsentons la rforme, puis le contexte du contrle de
ladministration.
La mise en place dune fonction daudit interne dans ladministration franaise est lobjet de
deux textes rglementaires le dcret et la circulaire de juin 2011 , dune longueur densemble
de trois pages. Dfini dans des termes proches de ceux de lIFACI (cf. supra), laudit interne de la
rforme se voit attribuer diffrents objets et finalits, dans la continuit de rformes antrieures de
ladministration. Par le dcret du 28 juin, laudit interne non seulement vise assurer la matrise
des risques lis la gestion des politiques publiques dont les services des ministres ont la
charge ; mais sinscrit aussi dans un dispositif plus large de contrle interne et de matrise des
risques, dont il doit assurer lefficacit ; enfin, la circulaire associe laudit interne lambition de
rduire les cots de fonctionnement de ladministration, en cohrence avec la Rvision Gnrale
des Politiques Publiques (RGPP) lance en 2007 (Fillon 2011). Les textes de la rforme installent
une gouvernance de laudit interne, qui repose sur des instances nouvelles. Larticle 2 du dcret
cr un interministriel Comit dharmonisation de laudit interne (CHAI). Prsid par la-e
ministre en charge de la Rforme de ltat, le CHAI rassemble les responsables de laudit interne
dans chaque ministre, un reprsentant du directeur gnral des Finances Publiques, [et] un
reprsentant du directeur du Budget ; de plus, participent au CHAI trois personnalits qualifies,
parmi lesquelles la-e ministre en charge de la Rforme de ltat dsigne un-e vice-prsident-e. Le
CHAI joue un rle essentiellement mthodologique : selon le dcret, il harmonise la
mthodologie de travail des ministres en matire daudit et diffuse en leur sein les bonnes
pratiques . La circulaire de 2011 cre des organes ministriels. Dans chaque ministre est cr
un comit ministriel daudit interne, prsid par la-e ministre et compos de personnes internes et
externes aux ministres. Ce comit assume principalement un rle de supervision de lactivit
daudit interne conduite dans le ministre. Les missions daudit interne sont les deuximes
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instances organisationnelles cres par la rforme au niveau ministriel. Selon la circulaire (Fillon
2011), chaque mission dfinit le programme daudit ministriel soumis ensuite lapprobation
du comit. Dans laudit interne de ladministration, les responsables des missions daudit interne
jouent un rle cl : iels rendent en effet compte de leurs activits au CHAI et au comit ministriel
daudit interne. Les textes de la rforme ne crent pas de structure nouvelle, ni nimposent le
recrutement dauditrices-eurs internes rien nest dit sur les effectifs des missions ministrielles
daudit interne. Ces textes ne dictent pas les modalits de larticulation de cette gouvernance de
laudit interne avec les dispositifs prexistants de contrle.
Dans ladministration franaise, chaque ministre a, sa tte, un-e ou plusieurs ministres,
chacun-e tant entour-e de son cabinet1. Il se divise en directions, qui dclinent la politique du
ministre dans un domaine donn. Le fonctionnement de lensemble du ministre est coordonn
par des secrtariats gnraux, qui rassemblent les fonctions support transverses lensemble des
directions de chaque ministre. Les activits de contrle sont principalement dvolues des
services de contrle placs auprs des ministres et directrices-eurs des ministres, pour lesquel-le-
s ils conduisent des missions dites dinspection, denqute, dvaluation, de contrle ou encore
daudit. La rforme crant des instances un niveau ministriel, nous nous sommes centre sur les
effets de la rforme sur les services de contrle placs auprs des ministres. Ces services sont
dsigns par diverses appellations : dinspection, dinspection gnrale, de contrle gnral et de
conseil gnral ; nous avons choisi lappellation de services ministriels de contrle pour
dsigner lensemble de ces services. Le nombre de services de contrle ministriel par ministre
est variable ; il dpend dune part de lhistoire des services de contrle qui peuvent de scinder ou
fusionner , et dautre part des redcoupages ministriels. Au moment de notre travail de thse,
nous dnombrions, pour onze ensembles ministriels, seize services ministriels de contrle (cf.
Tableau 1.1).
1 Le nombre de ministres et le nombre de ministres pour chacun dentre eux varie selon les gouvernements lors de notre observation lIGF, il y avait par exemple sept ministres au sein du ministre
de lconomie et des Finances.
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Tableau 1.1 Les services ministriels de contrle
Les services de contrle prsentent des caractristiques communes : ils accomplissent plusieurs
types de missions semblables, le plus souvent ralises pour les ministres de tutelle des services ;
ils partagent un mme positionnement hirarchique, au plus haut niveau ; leurs effectifs se
caractrisent enfin par une autonomie et une indpendance fortes. Les services ministriels de
contrle ne constituent toutefois pas un ensemble homogne. Leur prestige est par exemple ingal,
lIGF tant, de manire inconteste, le plus prestigieux des services de contrle de ladministration.
Outre quelle compte parmi les services de contrle les plus anciens de ladministration, lIGF
2 Les ensembles ministriels, dnomms ministres dans cette thse, correspondent au primtre des
secrtariats gnraux. 3 Les services de la-du Premire-er ministre ne disposent pas de service de contrle.
Ministre2 Service de contrle ministriel3 Acronyme Corps
conomie et
Finances
- Inspection Gnrale des Finances
- Contrle Gnral conomique et
Financier
- Conseil Gnral de lconomie, de
lIndustrie, de lnergie et des
Technologies
- IGF
- CGEFI
- CGE
Oui
Oui
Oui
Affaires
Sociales
- Inspection Gnrale des Affaires Sociales
- Inspection Gnrale Jeunesse et Sport
- IGAS
- IGJS
Oui
Oui
Intrieur - Inspection Gnrale de lAdministration - IGA Oui
Dfense - Contrle Gnral des Armes - CGA Oui
cologie et
quipement
- Conseil Gnral de lcologie et du
Dveloppement Durable
- Inspection Gnrale des Affaires
Maritimes
- CGEDD
- IGAM
Oui
Oui
Agriculture - Conseil Gnral de lAgriculture, de
lAlimentation et des Espaces Ruraux
- CGAAER Oui
Culture - Inspection Gnrale des Affaires
Culturelles
- IGAC Oui
ducation
Nationale et
Enseignement
Suprieur
- Inspection Gnrale de lAdministration,
de lducation Nationale et de la
Recherche
- Inspection Gnrale de lducation
Nationale
- Inspection Gnrale des Bibliothques
- IGAENR
- IGEN
- IGB
Oui
Oui
Oui
Affaires
trangres
- Inspection Gnrale des Affaires
trangres
- IGAE Non
Justice - Inspection Gnrale des Services
Judiciaires
- IGSJ Non
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recrute parmi les tudiant-e-s les mieux class-e-s de lENA, qui constitue la formation la plus
lgitime dans la haute administration seuls deux autres services, lIGAS et lIGA recrutent des
tudiant-e-s, moins bien class-e-s, de cette cole. En raison de ce recrutement la sortie de lENA,
lIGF se caractrise aussi par une moyenne dge plus faible que celle des autres services de
contrle ; lIGAS, lIGA et le CGA, qui dispose de son propre concours de recrutement, sont trois
autres services dont le prestige tient aussi la jeunesse des effectifs. Celle-ci, associe une
productivit et un dynamisme plus levs du service, est en effet valorise. Enfin, le prestige de
lIGF tient aussi son primtre dintervention : non seulement lIGF est une inspection dite
interministrielle, de mme que lIGAS et lIGA cest--dire ayant vocation intervenir dans
lensemble de ladministration , mais en outre elle est habilite contrler toute structure
collectrice de deniers publics.
La rforme de 2011 semble appeler un renouvellement de la gouvernance de ladministration, fond sur un modle mis en avant par des associations professionnelles.
Dans le mme temps, les textes de 2011 inscrivent laudit interne dans la continuit de
changements antrieurs comme la RGPP. De plus, les transformations potentielles amenes
par laudit interviennent dans un paysage administratif o existent dj des services de
contrle placs auprs des ministres, et dont les diffrences laissent prsager de
consquences plurielles de la rforme. Sur cette triple prise en compte du renouvellement
de gouvernance que peut signifier lintroduction de laudit interne, du lit de rformes dans
lequel elle sinscrit, et de la prexistence dun ensemble de services ministriels de contrle
repose le cadre thorique principal retenu et les concepts heuristiques choisis pour cette
thse.
1.2 Cadre thorique et mthodologie retenue
Pour rpondre notre question de recherche, nous avons mobilis principalement le cadre
thorique de la sociologie des preuves (Boltanski et Chiapello 1999), qui relve dune
pistmologie pragmatique notre travail na ainsi de vise ni normative, ni positive. Dans ce
cadre, une preuve est un vnement, impliquant une confrontation dtres, et lissue duquel des
biens sociaux, matriels et symboliques, sont attribus ; lpreuve est galement inscrite dans une
relation dialectique entre critique et changement : les critiques portant sur une preuve donne, en
affaiblissant sa lgitimit, rendent le changement possible. Diffrents types de changements
peuvent apparatre : lpreuve peut tre remplace par une nouvelle preuve, en rponse des
critiques dites radicales ; elle peut tre modifie pour restaurer sa lgitimit, par lassimilation de
critiques dites correctives ; enfin, lpreuve peut subir des dplacements, cest--dire des
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changements incrmentaux ne faisant pas lobjet dune formulation explicite. Dans notre travail,
nous considrons lorganisation du contrle par les services ministriels de contrle comme une
preuve. Cette dernire implique des contrleur-e-s et des contrl-e-s, les premires-ers portant
une apprciation sur ladquation des activits des second-e-s aux attentes relatives ces activits
quil sagisse dun respect de rglements, dune atteinte dobjectifs, etc. Cette apprciation peut
tre assortie de sanctions ou de rcompenses pour les contrl-e-s. Cette preuve du contrle est
amene changer, en rponse aux critiques qui lui sont adresses. En loccurrence, nous
considrons la rforme de 2011 comme un changement apport lpreuve du contrle. Cette
considration nous amne explorer les critiques antrieures qui ont rendu la rforme possible, en
faisant apparatre celle-ci comme souhaitable, logique ou ncessaire, pour remdier
limpossibilit de dgager une signification claire du sens de lpreuve du contrle. Mais, nous
estimons que la nature du changement radical ou correctif4 apport par la rforme est
indtermine. Cette indtermination a pour origine lambigut des textes et la plasticit du
dispositif introduit5. Elle nous conduit enrichir notre cadre thorique initial par le concept
dexplicitation, emprunt la philosophie deleuzienne, et dj mani en sociologie pour ltude
des rformes de ladministration (Muniesa et Linhardt 2011). Lexplicitation renvoie un
processus dinterprtation et de mise en uvre dune rforme, qui conduit lmergence dune
interprtation dominante de la rforme. Par lexplicitation, non seulement une rforme prend forme
et son indtermination initiale est rsolue, mais en outre, lobjet sur lequel porte la rforme recouvre
un sens renouvel et clarifi. Dans notre travail, nous avons donc tudi lmergence dune
interprtation dominante de la rforme, issue de rapports de sens et de force entre celleux impliqu-
e-s dans lapplication des textes de 2011. Puis, nous avons explor le renouvellement de lpreuve
du contrle, qui rsulte de linterprtation et de la mise en uvre de la rforme, et qui permet au
contrle de ltat de trouver un contenu et des contours clarifis.
Notre thse prend la forme dune tude de cas, ralise partir dune mthodologie qualitative :
la rponse apporte notre question de recherche se fonde sur lanalyse dentretiens semi-directifs,
4 En tant que faisant lobjet dune formulation explicite via des textes rglementaires, la rforme ne relve
pas dun dplacement. 5 La littrature tant comptable quissue de la science politique a soulign lambigut des textes de rforme
(par exemple: Arnaboldi et Palermo 2011; Lascoumes 1990). Au sujet de la plasticit de laudit interne et
de la pluralit des pratiques associes, voir par exemple Power (1999) Mennicken (2010); Arena et Jeppesen
(2015).
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dobservations, et de documents, portant principalement sur lorganisation du contrle au sein de
ladministration. Les entretiens constituent le matriau le plus important de notre thse : 121
entretiens, dune dure comprise entre 45 minutes et 4 heures 20, ont t conduits avec 100
personnes, de juillet 2012 juin 2015. Les entretiens mens dans ladministration centrale se sont
concentrs sur les services de contrle ministriels, et parmi eux, sur lIGF ; dautres entretiens ont
t conduits avec divers actrices-eurs de ladministration centrale, auprs de la Cour des comptes6,
lIFACI, lOCDE, au sein du service daudit de la Commission europenne et enfin avec des
consultant-e-s du secteur priv. la collecte dentretiens sajoute la conduite dobservations entre
janvier 2013 et juin 2015. La plus importante de ces observations a pris la forme dun stage de cinq
mois lIGF entre fvrier et juin 2013, avec la participation deux missions daudit interne du
ministre des Finances. Nous avons aussi particip des colloques, organiss dans la sphre
publique, des vnements de lIFACI et des runions du CHAI. Enfin, notre travail repose sur
une analyse de documents, savoir des textes lgislatifs et rglementaires ; des publications
essentiellement de haut-e-s fonctionnaires de ladministration et dorganisations internationales,
duniversitaires et dauditrices-eurs internes ; des supports de communication organisationnelle
et de formation produits par des haut-e-s fonctionnaires ; une documentation interne aux services
de ladministration ; des rapports produits par des instances internes et externes la sphre tatique
des services de contrle, de commissions de haut-e-s fonctionnaires, de la Cour des comptes,
dinstances parlementaires, de lIFACI, dorganisations internationales et enfin dorganisations
prives.
Dans notre thse, nous cherchons comprendre dans quelle mesure lintroduction dun
standard international de contrle, laudit interne, est rvlatrice dune transformation profonde de
lexercice du pouvoir tatique lheure du capitalisme financiaris. Pour rpondre notre question
de recherche, nous retenons le cadre thorique de la sociologie des preuves, enrichi du concept
dexplicitation et appliqu lorganisation du contrle dans ladministration. Nous analysons les
conditions de possibilits de la rforme de 2011 i.e. la dstabilisation de lpreuve du contrle
antrieurement la rforme ; le changement apport par la rforme au contrle de
ladministration, par lanalyse de lmergence dune interprtation dominante de la rforme et une
affirmation renouvele du contour et du contenu de lpreuve du contrle en dautres termes,
lexplicitation de lpreuve du contrle loccasion de la rforme ; et enfin, la porte de ce
changement sur ltat dans son ensemble. Notre tude se fonde sur une collecte de donnes
qualitatives.
6 La Cour des comptes remplit plusieurs fonctions dans le contrle de ladministration, y compris, depuis
2006, celle de certifier les comptes de ltat en application de la LOLF.
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2. Les conditions de possibilit et le lancement de la rforme de 2011
Dans cette section, nous prsentons les lments, externes et internes ladministration, qui ont
contribu lessor de la lgitimit de laudit interne dans ladministration et la dstabilisation de
lpreuve du contrle, et nous exposons les incertitudes pesant sur le lancement de la rforme de
2011.
2.1 Le succs plantaire de laudit interne dans les organisations publiques et prives
Par ltude de textes acadmiques et de manuels daudit interne parus partir des annes 1950,
nous retraons le dveloppement de laudit interne et les diffrents rles accumuls par celui-ci au
fil du temps. Nous associons laudit interne lessor, dans le contexte des rvolutions industrielles
du XIXme sicle, de lentreprise capitaliste moderne : laudit interne merge comme une fonction,
place auprs de la direction des entreprises, pour rendre compte celle-ci du reste des activits de
lorganisation. partir des entreprises capitalistes anglo-saxonnes, laudit interne conquiert durant
le XXme sicle un ensemble toujours plus large de rgions et dorganisations. Le succs de laudit
interne est le rsultat de limplication russie dune pluralit dactrices-eurs organisations
internationales, instances rgulatrices, auditrices-eurs internes, etc. , engag-e-s dans la diffusion
de ce mode de contrle, et auxquel-le-s chaque nouvelle crise boursire et lclatement de scandales
financiers donnent un nouveau souffle. Une partie de ces actrices-eurs sest regroupe partir du
milieu du XXme sicle en associations professionnelles dauditrices-eurs internes. Les
certifications dcernes par lIIA la plus connue dentre elles tant le titre de Certified Internal
Auditor ou CIA permettent en outre dasseoir la lgitimit de laudit interne et danimer une
communaut qui se revendique professionnelle au sens anglo-saxon, fonctionnaliste du terme7. La
conqute de laudit interne est galement porte par des textes lgislatifs qui, dans plusieurs pays,
associent celui-ci une meilleure gouvernance, une transparence accrue et la lutte contre la fraude.
Lisomorphisme organisationnel entran par la diffusion de laudit interne est simultanment
facilit et limit par la polysmie de celui-ci : laudit interne a embrass au fil des ans un nombre
toujours plus large de pratiques, de la lutte contre la fraude la gestion des risques, en passant par
7 Cest--dire une profession disposant du monopole dexercice dune activit donne, regroupant une
communaut aux contours dlimits, caractrise par un ensemble de savoir-tre et de savoir-faire (Carr-
Saunders et Wilson 1933; Larson 1980).
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le simple reporting au management. Ces diverses fonctions sont essentielles au succs de laudit
interne, pour deux raisons : laudit interne peut apporter des rponses sans cesse renouveles aux
dfis indits poss par les transformations du capitalisme ; de plus, il sadapte aux particularits de
chaque organisation, dans laquelle il prendra une forme ad hoc. Cette pluralit des fonctions de
laudit interne rend en mme temps imprvisibles les effets de lintroduction de celui-ci dans une
organisation donne. Cette imprvisibilit est accrue par lindfinition des frontires du groupe des
auditrices-eurs internes : lexercice de laudit interne reste ouvert des personnes aux formations
et aux parcours antrieurs divers. Dans le contexte de ladministration, il nest pas possible de
prvoir comment laudit interne transformera lexercice du mtier de contrleur-e.
La rforme de 2011 sinscrit dans un contexte de dynamisme de laudit interne franais dune
part et de laudit interne des administrations publiques dautre part. En France, le succs de laudit
interne a plusieurs explications. Laudit interne bnficie tout dabord de linvestissement
dactrices-eurs professionnel-le-s. Cr en 1965, lIFACI diffuse sa Revue Franaise de lAudit
interne en 1976, remplace en 2015 par la revue francophone Audit, Risques et Contrle, vocation
internationale. Des membres actifs de lIFACI, comme Jacques Renard et Louis Vaurs, participent
aussi la publication douvrages et darticles, destins des praticien-ne-s et des acadmiques
(Vaurs 2002; Renard 2010; Renard et Nussbaumer 2011). De plus, lIFACI anime une communaut
des auditrices-eurs internes. LInstitut cr des groupes de travail, qui, partir du dbut des annes
2000, rflchissent une dclinaison des normes de laudit interne par secteur dactivit. Il met sur
pied un programme de certification, distinct de celui de lIIA, et qui sanctionne la bonne matrise
des normes daudit interne dans des services. Par ailleurs, lIFACI organise des vnements de
diverses nature des formations payantes, des petits djeuners mensuels gratuits, etc. Lassemble
gnrale annuelle est une autre occasion de rassemblements. Enfin, lIFACI ralise intervalles
rguliers des enqutes sur ltat des lieux de laudit et du contrle internes en France, avec le
concours ventuel dtablissements denseignement suprieur (par exemple IFACI & ESSEC
2010). Ces efforts sont ports et rcompenss par la mise en uvre de diffrents textes lgislatifs
et rglementaires, qui encouragent ou imposent le dveloppement de laudit interne dans des
organisations de secteurs dactivit toujours plus nombreux. La rforme de 2011 peut donc tre lue
comme un succs de plus de laudit interne dans le contexte hexagonal. Mais, elle est aussi
cohrente avec les succs de laudit interne dans les administrations publiques.
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Laudit interne caractrise depuis les annes 1990 une gouvernance financire renouvele des
administrations publiques, associe la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance, axe
sur la matrise des risques et reposant sur le dploiement du contrle interne. Encourag, ou impos,
selon les contextes, par les organisations internationales, cet audit interne caractrise une nouvelle
phase de rformes de New Public Management et succde ainsi aux audits dits externes et de
performance, constitutifs des vagues antrieures. Dans lUnion europenne, la Commission
europenne a impos lintroduction de procdures daudit pour attester de la bonne gestion de ses
fonds, et a incit un renouvellement de la gouvernance financire reposant sur lintroduction de
dispositifs daudit et de contrle internes des tats membres obligatoire pour les candidats
ladhsion et quelques pays lendettement public lev.
La rforme de 2011 permet donc daligner ladministration franaise sur les pratiques de
contrle les plus lgitimes, tant au niveau des organisations marchandes que des administrations
publiques. Mais ces lments sont insuffisants rendre compte des conditions de possibilit de la
rforme.
2.2 Les remises en cause du contrle de ladministration
La rforme de 2011 est rendue possible par un affaiblissement du contrle de ladministration,
dissociable de lessor de laudit interne. partir de la fin des annes 1980, une srie de rapports,
portant sur les rformes conduire au sein la sphre tatique, formulent des critiques plus ou moins
importantes des activits des services ministriels de contrle. Ces rapports, produits par des
parlementaires, des commissions de haut-e-s fonctionnaires, avec le concours ventuel de
chercheuses-rs, dnoncent linefficacit des contrles de ladministration, du fait du manque de
coordination des activits de contrle, de labsence de mthodologie rigoureuse ou encore de la
trop forte empathie des contrleur-e-s pour les contrl-e-s. Htrognes dans la svrit des
constats dresss et des recommandations formules, ces critiques sont symptomatiques de
revendications dune ampleur indite pour la prise en main de lorganisation du contrle par des
instances externes ladministration notamment la Cour des comptes et le Parlement :
lorganisation traditionnelle du contrle dans ladministration, par laquelle des contrleur-e-s
rendent compte des ministres de leurs activits, est remise en cause. De plus, ces critiques
rencontrent un cho favorable : elles sont reprises lextrieur de la sphre tatique, par des
consultant-e-s et des chercheur-e-s ; au sein mme des services de contrle, elles entranent un
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intrt croissant pour des activits normes daudit ou dvaluation. La rforme de 2011 est donc
mise en uvre alors que les services de contrle se heurtent, en particulier depuis deux dcennies,
des critiques relatives leur manque de professionnalisme, formules notamment par des
instances qui revendiquent un droit de regard accru sur leurs activits.
Dans les annes 2000, plusieurs rformes, en partie inscrites dans la continuit des rapports des
annes 1990, se sont traduites par un renouvellement des attentes pesant sur les services de
contrle. La plus importante de ces rformes est certainement la Loi Organique relative aux Lois
de Finances (LOLF), vote en 2001 et mise en uvre en 2006. Protiforme, la LOLF est porteuse
de plusieurs effets sur le contrle de ladministration : elle rforme la comptabilit de la sphre
publique et fait de la Cour des comptes la certificatrice externe des comptes de ltat qui prend
appui sur les services de contrle de ladministration pour la conduite daudits internes ; elle
introduit dans ladministration un management par objectifs, qui donne lieu une reddition de
comptes nouvelles envers le Parlement ; enfin, elle se traduit par la production dun ensemble
dindicateurs et la mise en uvre daudits dits de modernisation, qui accroissent linfluence de
Bercy sur le reste de ladministration. Trois rformes successives sinscrivent dans le prolongement
de chacun de ces trois renouvellements du contrle de ladministration par la LOLF : vote en
2005, la rforme du contrle financier poursuit la rforme comptable et accrot la pertinence des
audits internes comptables et financiers dans ladministration ; mise en place entre 2007 et 2011,
la RGPP prolonge les audits de modernisation et confirme linfluence de Bercy sur lorganisation
du contrle de ladministration ; enfin, la rforme constitutionnelle de 2008 renforce le rle du
Parlement et de la Cour des comptes dans la conduite dvaluation des politiques publiques. Au-
del de leur diversit et de leurs contradictions8, ces rformes sont porteuses, ensemble, dun triple
mouvement de renouvellement du contrle de ladministration : elles imposent des comptences
indites en comptabilit, cette dernire devenant de manire croissante la matire premire des
contrles conduits, qui visent de manire indite lefficacit et lefficience des administrations ;
elles se traduisent par la lgitimit renforce de mthodologies inspires des sciences de gestion
dans ladministration, pour conduire des contrles de manire standardise ; enfin, elles ont pour
8 Lanalyse de l esprit de la LOLF et de la RGPP et des contradictions de ces rformes a fait lobjet de
plusieurs travaux (Calmette 2006; Abraham et Brillet 2008; Bezs 2009; Bezs 2011; Eyraud 2013)
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rsultat une redevabilit accrue des contrleur-e-s envers des instances diverses principalement
les ministres, le ministre des Finances, le Parlement et la Cour des comptes.
Le lit de la rforme de 2011 a donc t creus par un affaiblissement de la lgitimit des services
de contrle, confirm par une srie de rformes, qui ont accru la subordination du contrle de
ladministration trois instances concurrentes de la sphre tatique, en mme temps quelles
familiarisaient les contrleur-e-s avec la conduite daudits, y compris internes. Mais, ces lments
ne permettent pas de faire compltement sens de la survenue de la rforme de 2011 : ils ne disent
rien des lments dclencheurs.
2.3 Le lancement de la rforme de 2011 et les incertitudes de laudit interne de ladministration
Au cours des annes 2000, laudit interne se dveloppe dans les ministres de manire disperse,
et au-del de la seule prparation la certification des comptes. Outre les initiatives destines
mettre en uvre les audits internes pralables la certification des comptes, celles, denvergure
locale, rsultant de linitiatives de contrleur-e-s parfois isol-e-s au sein de leurs services , et
enfin celles prises loccasion de programmes partenariaux de formation avec des services de
contrle dadministrations dautres pays, trois ministres les Finances, la Dfense et les Affaires
sociales mettent en place une fonction structure daudit interne, assortie dune gouvernance
propre. Mais, dans ces trois ministres, ces fonctions obissent des dynamiques divergentes. Au
sein du ministre des Finances, la fonction daudit interne est introduite linitiative de lIGF, qui
prend ainsi la main sur un audit interne essentiellement ralis par dautres services directionnels
et ministriels de contrle pour des instances diverses la Cour des comptes, les directrices-eurs
de ladministration, les organismes dans lesquels ltat dtient des participations financires, etc.
la Dfense, la fonction daudit interne mise en place permet non seulement au CGA, service
ministriel de contrle, de prendre la main sur laudit interne du ministre comme au ministre
des Finances mais aussi de revendiquer, vis--vis de la Cour des comptes et de Bercy, le
professionnalisme de ses contrles et de prserver son autonomie. Enfin, au sein du ministre en
charge des Affaires sociales, la mise en place dune fonction daudit interne est dvolue une
mission daudit interne, externe lIGAS et en position rivale vis--vis de celle-ci. Cre
linitiative du secrtaire gnral du ministre, cette mission conduit des audits internes comptables,
en relation troite avec la Cour des comptes ; sa cration conduit lIGAS former ses effectifs
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laudit interne, ce qui lui permet de revendiquer aussi le professionnalisme de ses contrles. la
veille de la rforme, laudit interne de ladministration ne prsente donc pas de visage unifi. Les
partisan-e-s de laudit interne dans les ministres se retrouvent au sein du groupe professionnel
Administrations de ltat de lIFACI, qui merge ainsi comme une arne de rflexion et de
partage des bonnes pratiques pour laudit interne de ladministration.
La rforme de 2011 est lance linitiative de lIGF : deux rapports superviss par linspecteur
gnral des Finances Henri Guillaume prparent la rforme. Le premier rapport ralise un
benchmark de laudit interne dans les administrations publiques de cinq pays de lOCDE et des
services de la Commission europenne ; le second rapport dresse un tat des lieux de laudit interne
de ladministration et recommande la mise en place dune fonction daudit interne une
proposition de dcret figure en annexe de ce rapport. Plusieurs motivations sont lorigine de ces
rapports. Dune part, il est important pour lIGF de porter un coup darrt la monte en puissance
de la Cour et de cantonner les audits externes de celle-ci la seule certification des comptes. LIGF
propose en effet la mise en place dune fonction daudit interne, destine servir la gouvernance
propre chaque ministre et qui serait orchestre, au niveau interministriel, par le ministre des
Finances. Dautre part, Henri Guillaume encourage un alignement de ladministration franaise sur
les pratiques de contrle dominantes au niveau international ; il nourrit de plus lambition que la
France joue le rle de locomotive, pour llaboration dun cadre de rfrence de laudit interne
propre aux administrations publiques. Dautre part enfin, laudit interne est investi de lambition
de renouveler les services de contrle, notamment par un rajeunissement des effectifs et une
professionnalisation des mthodes employes. De facto, le second rapport Guillaume contribue au
dcloisonnement entre les services de contrle, en rassemblant des informations relatives ltat
de laudit interne dans chacun dentre eux. Ce rapport permet aussi laffirmation de la domination
de lIGF, qui porte une apprciation sur laudit interne de ladministration et prend linitiative de
la rforme.
La prparation et le lancement de la rforme sont ensuite marqus par des coups de force et des
ngociations, qui faonnent le contenu des textes. Au sein de ladministration, linitiative de lIGF
est largement considre comme servant les intrts et la domination propres de celle-ci vis--
vis de la Cour des comptes et des autres services de contrle et linfluence de son ministre sur
lensemble de ladministration. Afin dobtenir un ralliement le plus large possible son projet et
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mettre fin la dispersion des initiatives de ladministration en matire daudit interne , lIGF
accepte des concessions aux services de contrle dautres ministres. En particulier, par rapport au
projet initial de rforme, linfluence du ministre des Finances sur laudit interne de
ladministration est rduite. De leur ct, linvestissement des services de contrle dans la rforme
est motiv par le souhait de ne pas laisser passer le train de la rforme et se retrouver concurrenc
par de nouvelles instances daudit interne au sein des ministres, ou bien se voir imposer le fruit
des discussions conduites au niveau interministriel. LIGF et la direction du Budget, qui appuie
la rforme, doivent galement composer avec les rsistances du Conseil dtat et de haut-e-s
fonctionnaires, qui redoutent notamment le dploiement dun audit interne sous la coupe de Bercy.
Avec celleux-ci les coups de force et les ngociations se poursuivent en aval du lancement de la
rforme, et dbouchent sur la publication de textes ultrieurs et notamment, en novembre 2012,
le dcret relatif la gestion budgtaire et comptable publique (GBCP) qui impose le lancement
daudits internes budgtaires, renforant ce faisant linfluence du ministre des Finances dans
laudit interne de ladministration. Finalement, les textes de la rforme sont porteurs dincertitudes
et dambiguts par exemple sur larticulation de laudit interne avec les activits de contrle
prexistantes, sur la reprise des normes professionnelles de laudit interne. Ces incertitudes et
ambiguts sont le fruit des ngociations et rapports de force qui ont conduit ladoption des textes.
La rforme de 2011 est rendue possible par une conjonction dlments. Hors de
ladministration, laudit interne connat un succs en apparence irrsistible en France et dans le
monde, dans les entreprises et les administrations publiques. Au sein de ladministration, les
services de contrle font lobjet de critiques et les attentes leur gard sont renouveles ; laudit
interne est introduit dans les annes 2000, principalement en pralable la certification des comptes
par la Cour. La rforme est dclenche linitiative de lIGF, non seulement en raction aux
renouvellements des modalits de contrle dans les administrations dautres pays, mais aussi pour
rpondre aux critiques adresses aux services de contrle, et dans un contexte de rivalit avec la
Cour des comptes. Mais, les changements apports par laudit interne lorganisation du contrle
restent imprvisibles, en raison non seulement de la polysmie de celui-ci mais aussi de la diversit
des interprtations possibles des textes de la rforme.
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3. Linterprtation et la mise en uvre de la rforme de 2011 : lmergence dun audit interne de ladministration
Laudit interne de la rforme donne lieu diverses interprtations par les contrleur-e-s investi-
e-s dans la mise en uvre des textes de 2011. Dans cette section, nous prsentons les diffrentes
interprtations de laudit interne, et les renouvellements du contrle de ladministration auxquels
ces interprtations sont associes. Puis, nous montrons lmergence dune interprtation dominante
de la rforme, associe un renouvellement limit du contrle de ladministration. Enfin, nous
exposons les raisons de la marginalit de laudit interne au sein de linspection gnrale des
Finances.
3.1 La pluralit des interprtations de la rforme
La rforme de 2011 est lobjet dun accueil cliv par les contrleur-e-s investi-e-s dans sa mise
en uvre. Une grande partie des contrleur-e-s manifeste des apprhensions de plusieurs ordres
vis--vis de lintroduction dune fonction daudit interne. Ces contrleur-e-s redoutent tout dabord
que lintroduction de laudit interne ne soit instrumentalise par la Cour des comptes et le ministre
des Finances, qui obtiendraient la subordination des services de contrle de ladministration leurs
projets et, partant, leur mainmise sur le contrle de ladministration. Iels expriment ensuite leurs
craintes que laudit interne nentrane une dgradation du contenu de leurs activits et la
substitution dun savoir managrial la connaissance intime des arcanes de ladministration. Enfin,
ces contrleur-e-s voient dans lintroduction de laudit interne le rsultat dinfluences diverses qui
ne viseraient pas tant lamlioration du contrle dans ladministration que la satisfaction dintrts
pluriels lobtention de parts de march pour les cabinets de conseil, un affichage russi auprs de
lUnion europenne pour lIGF et le ministre des Finances, une visibilit accrue pour les
associations professionnelles daudit interne, etc. Dans ce contexte, linvestissement important
dautres contrleur-e-s en faveur de laudit interne est considr comme une menace. Une petite
partie des contrleur-e-s peroit en effet laudit interne comme une opportunit bienvenue pour une
transformation et une professionnalisation de leur mtier. Ces contrleur-e-s sappliquent suivre
rigoureusement les recommandations de lIFACI, les normes de lIIA et/ou dialoguer avec la
Cour pour la transmission de leurs travaux. Laudit interne permettrait alors, outre de partager un
langage commun avec les contrleur-e-s dautres pays, de servir lintrt gnral, par des contrles
plus rigoureusement mens et par une organisation rationalise du contrle de ladministration.
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Au-del de cette perception clive des consquences de lintroduction de laudit interne sur le
mtier de contrleur-e, les contrleur-e-s investi-e-s dans la mise en uvre de la rforme associent
laudit interne des vertus diverses dans lamlioration du contrle de ladministration. A minima,
celui-ci permettrait lamlioration de la mthodologie dploye par les contrleur-e-s, avec
notamment, une meilleure traabilit des pices collectes, ainsi quune hirarchisation et un suivi
des recommandations. En plus de ces avantages mthodologiques, des contrleur-e-s estiment que
laudit interne peut entraner un changement souhaitable dans lorganisation du contrle, par la
mise en place dune gouvernance visant la matrise des risques et reposant sur la formalisation de
processus de contrle interne. Dans une acception plus pousse de laudit interne, des contrleur-
e-s considrent bienvenu le dveloppement de contrles non seulement caractris par une
mthodologie nouvelle et relevant dune gouvernance indite, mais en outre prenant pour objets
des donnes comptables, visant principalement lefficacit et lefficience de ladministration, ainsi
que la soutenabilit des dpenses, et inscrits dans une chane de contrle au bout de laquelle se
situe la Cour des comptes. Enfin, une minorit de contrleur-e-s partage une vision maximaliste de
laudit interne, qui renverrait une nouvelle profession, caractrise par un ensemble de savoir-
tre et de savoir-faire, dont la bonne matrise est indissociable du respect des normes de laudit
interne, et garantie par les certificats de lIIA.
Les propos des contrleur-e-s sur les vertus et menaces que reprsenteraient laudit interne et
sur ce que celui-ci pourrait appeler au contrle de ladministration permettent de deviner diffrentes
reprsentations du contrle de ltat. Une partie, minoritaire, des contrleurs, envisage son activit
dans une perspective essentiellement rgalienne dinspection, fonde sur un contrle de rgularit.
Lappropriation de laudit interne par les services de contrle peut permettre dune part de prserver
le monopole de ceux-ci dans le contrle de ladministration au service des ministres, et
ventuellement damliorer les contrles raliss et mieux collaborer avec les services de contrle
des autres ministres. Dautres contrleur-e-s revendiquent ladoption dune posture de
conseillres-ers auprs des dirigeant-e-s de ladministration et des ministres ; le contrle aurait une
dimension participative marque, sloignant ainsi de linspection traditionnelle. Une troisime
reprsentation du contrle de ladministration implique un renouvellement profond du mtier de
contrleur-e-s, dont les activits seraient subordonnes celles dinstances externes daudit, et non
plus destines aux ministres. Enfin, dans la reprsentation la plus innovante du mtier de
contrleur-e, ce dernier deviendrait un prestataire de service, ralisant, au sein de la sphre
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publique, diffrentes activits, permettant notamment dassurer les parties prenantes, parmi
lesquelles les apporteuses-rs de capitaux de la bonne gestion de ladministration.
La mise en uvre de la rforme de 2011 se traduit par des querelles dinterprtation sur ce
que doit tre laudit interne. Pour lensemble des contrleur-e-s, ce dernier peut amliorer le
contrle de ladministration, mais les raisons voques sont diverses. Pour une partie des
contrleur-e-s, laudit interne est porteur de menaces, car il pourrait profondment changer
lorganisation du contrle, ce que dautres contrleur-e-s estiment souhaitable. Les divergences
entre les contrleur-e-s traduisent diffrentes reprsentations du contrle de ltat. La mise en
uvre de la rforme permet lmergence dune acception dominante de laudit interne et du
contrle de ltat.
3.2 Lmergence dune interprtation dominante de laudit interne et les incertitudes pesant sur le renouvellement du contrle de ladministration
Les activits du CHAI permettent lmergence dune interprtation dominante de la rforme.
Cette dernire est faonne non seulement par la confrontation des actrices-eurs au sein du CHAI
mais en outre par la place que ce dernier parvient se crer au sein de la sphre publique et la
reconnaissance obtenue vis--vis dautres instances qui exercent une influence sur laudit interne
de ladministration, comme la Cour des comptes et lIFACI. Depuis septembre 2013, laudit interne
de ladministration a son propre cadre de rfrence : il sagit dune transposition des normes de
lIIA ladministration de ltat. Cette transposition, qui permet de satisfaire les attentes de la Cour
des comptes et dimposer la lgitimit du CHAI au sein de ladministration et en dehors
notamment vis--vis du groupe prexistant Administrations de ltat , de lIFACI , est impose
par Bercy la plus grande partie des contrleur-e-s, qui taient favorables llaboration dun
cadre fondamentalement distinct de celui des associations professionnelles. En dpit de
limposition dinitiatives parfois rebours de leur volont, les contrleur-e-s trouvent leur compte
dans une participation au CHAI, qui joue le rle dune arne et dune instance de sociabilit, pour
des contrleur-e-s de ladministration parfois isol-e-s au sein de leur ministre dans leur
investissement en faveur de laudit interne. Au sein de ladministration, lancrage du CHAI est
affermi par la diversification des activits du comit, qui permettent ce dernier daccrotre sa
visibilit et sa lgitimit auprs non seulement des contrleur-e-s de ladministration, mais plus
largement des haut-e-s fonctionnaires et des ministres. Finalement, la ngociation par le CHAI de
sa place dans le paysage de ladministration, tout comme les rapports de force et de sens au sein
du comit, entranent lmergence dun audit interne ne ncessitant pas de changement radical de
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lorganisation du contrle de ladministration, destin avant tout aux ministres, ax sur la matrise
des risques oprationnels et financiers et lvaluation des dispositifs de contrle interne les
contrleur-e-s, partisan-e-s dune forte coopration avec la Cour des comptes sont ainsi mis-es en
minorit. Mais, linterprtation de la rforme est lobjet de ngociations et de rapports de force
permanents, et linfluence de la Cour des comptes, de lIFACI et du ministre des Finances laisse
ouverte la possibilit dun audit interne plus proches des prceptes de lIIA, davantage soumis aux
exigences de la Cour ou bien subordonn aux attentes du ministre des Finances.
Au sein des ministres et au moment de notre terrain, laudit interne a des effets limits sur le
renouvellement du contrle. Lenrlement des contrleur-e-s ladoption dune dmarche nouvelle
constitue lobstacle principal : les contrleur-e-s qui sinvestissent dans la conduite de missions
daudit interne constituent un groupe restreint. Si lintrt pour laudit interne va croissant, celui-
ci reste fragile, dans un contexte de restrictions budgtaires qui limitent les formations et les
recrutements et alors que laudit interne est concurrenc par dautres activits dites dvaluation et
de conseil, sur lesquels dautres contrleur-e-s portent leurs efforts. Dans le mme temps, le
fonctionnement des instances ministrielles daudit interne est marqu par des rapports de force
entre les diffrentes composantes des ministres secrtariat gnral et directions notamment ,
qui cherchent exercer une influence sur laudit interne de ladministration et sintressent donc
aux effets de celui-ci sur leurs activits. Il semble que lavenir de laudit interne dans
ladministration et les effets de celui-ci sur le contrle de ladministration dpendent en trs grande
partie non seulement des renouvellements quil est possible dapporter au fonctionnement des
services de contrle et plus largement de ladministration en termes de recrutement et de parcours
de carrire notamment , mais aussi de lintrt des cabinets ministriels pour lamlioration du
fonctionnement de ladministration. La question de linfluence de la Cour des comptes reste
galement ouverte : si linstitution peut jouer un rle moteur dans le dveloppement de laudit
interne de ladministration, elle prsente, pour bien des contrleur-e-s, le risque dune autonomie
rduite. Celleux-ci sappuient donc de manire prudente sur la Cour pour allguer de limportance
de dvelopper laudit interne dans ladministration. Au-del de ces questionnements, le triple
mouvement de fond de transformation de lactivit des services de contrle, dont nous avions
diagnostiqu llan dans les annes 1990 (cf. 2.2), vers une redevabilit accrue, lemploi de donnes
comptables et celui de mthodes standardises, sort renforc de la mise en uvre de la rforme.
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3.3 La mise en uvre de la rforme au sein de linspection gnrale des Finances
Ayant jou un rle central dans la prparation et lorchestration de la mise en uvre de la
rforme, lIGF maintient paradoxalement ses effectifs labri de la conduite de missions daudit
interne. En particulier, la tourne , qui rassemble les inspectrices-eurs des Finances dans les
quatre annes suivant leur intgration dans le corps et constitue la force de frappe du service,
participe trs peu aux missions daudit interne programmes par les instances issues de la rforme
de 2011. Ces missions autant que les personnes qui les promeuvent linspection ne sont pas
valorises par ces inspectrices-eurs. Le paradoxe est dautant plus fort que, cre originellement
pour vrifier la bonne tenue des caisses des tablissements collecteurs de deniers publics, le cur
de mtier de lIGF parat proche de lexercice de missions daudit interne. De plus, ce grand corps
dtat est caractris, historiquement, par lessaimage de ses membres la tte dinstitutions des
secteurs bancaires et financiers, et lon pourrait supposer une affinit dautant plus grande que des
inspectrices-eurs des Finances, dirigeant des instances de rgulation et des banques, ont encourag
au dveloppement de laudit et du contrle internes dans les organisations9.
Nous avons apport deux rponses ce paradoxe. Une premire rponse concerne lIGF en tant
que corps. LIGF se caractrise par une culture cohsive forte au centre de laquelle la mission de
vrification joue un rle important. Cette mission, souvent compare de laudit interne, consiste
en un contrle de rgularit, men la plupart du temps dans un tablissement des Finances
publiques. Premire mission conduite par les inspectrices-eurs au moment de leur entre dans le
corps, la mission dite de vrification joue un rle important en tant quexprience formatrice et
moment de transmission de valeurs entre des inspectrices-eurs aguerri-e-s et les nouvelles-eaux
arrivant-e-s. Or, quel que soit le sens que les inspectrices-eurs placent dans cette mission, laudit
interne nest le plus souvent pas vu comme un substitut pertinent celle-ci : les inspectrices-eurs
valorisent tantt le bagage mthodologique rapidement acquis et aisment transposable transmis
loccasion de la mission de vrification, tantt lexhaustivit et la profondeur des contrles sans
hirarchisation des risques , tantt enfin, le rle de cette mission comme exprience commune et
distinctive de tou-te-s les membres du corps. Par ailleurs, peu dinspectrices-eurs dfendent
lintroduction de mthodes daudit durant les quatre annes de tourne, alors que la plupart des
9 Ctait ainsi le cas de Jean-Pierre Jouyet lAutorit des Marchs Financiers, et de Marc Vinot et Daniel
Bouton, successivement la tte de la Socit Gnrale.
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inspectrices-eurs ne se projettent pas dans une carrire de contrleur-e. La tourne est en effet avant
tout vue comme un passage, pour ensuite exercer des responsabilits ailleurs, des postes de
dirigeant-e-s. Non seulement, rester dans le service ou bien y revenir en cours de carrire est
bien souvent interprt comme un chec, mais en outre, la formation un mtier dauditrice-eur
est perue comme pouvant restreindre les opportunits professionnelles des inspectrices-eurs. Dans
ce contexte, la professionnalisation des contrleur-e-s par la formation laudit interne ne fait pas
sens aux yeux de la plupart des inspectrices-eurs.
Une seconde rponse concerne lIGF en tant que service dune part et grand corps dtat dautre
part. En tant que service, lIGF ne sinvestit pas dans les missions daudit interne programmes par
les instances ministrielles. Tout dabord, les inspectrices-eurs de la tourne prfrent le plus
souvent ces missions celles dites de vrification, dvaluation et de conseil, qui leur paraissent
revtir des enjeux plus importants en termes de lutte contre la fraude, une dimension plus
intellectuelle ou bien une porte stratgique plus leve. Souvent peu connu des inspectrices-eurs,
laudit interne souffre donc dune rputation moyenne. Ensuite, les inspectrices-eurs apprcient
peu la gouvernance collgiale et la dimension participative auxquelles sont associes les missions
daudit interne : les missions conjointes, menes avec des contrleur-e-s dautres services du
ministre ne sont pas les plus prises ; de mme, les dispositifs participatifs et collgiaux, auxquels
sont associes les instances de la rforme, sont peu valoriss. Dautre part enfin, les inspectrices-
eurs gnrales-ux plus g-e-s, les IG , participent rarement des quipes collgiales de
contrleur-e-s iels occupent souvent une position de supervision, ou bien sont seul-e-s luvre.
Les missions daudit, de conseil ou dvaluation ne constituent dailleurs quune de leurs
occupations parmi dautres et la plupart de leur temps de travail peut tre dvolu lexercice
dautres fonctions de reprsentation, danimations de comit, etc. En tant que grand corps dtat
ensuite, lIGF adopte une stratgie destine maintenir sa domination au sein de ladministration.
Suite une rforme de ses statuts conduite dans les annes 2000, lIGF a fait le choix dun
positionnement sur des missions de conseil stratgique, pour plusieurs raisons. Recrutant la sortie
de lENA parmi les narques les mieux class-e-s celleux de la botte , lIGF est en
concurrence avec la Cour des comptes et le Conseil dtat, qui sont les deux autres grands corps
dtat dits administratifs, avec lesquels lIGF se partage les premires-ers sorti-e-s de lENA. Or,
le positionnement sur des activits de conseil stratgique semble le mieux rpondre aux attentes
des narques, et assure de plus une spcificit lIGF vis--vis de la Cour des comptes : les rapports
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de lIGF, souvent confidentiels, visent appuyer les dcideuses-rs, quand les rapports dvaluation
des politiques de la Cour connaissent une forte publicit. Enfin, le choix du conseil est galement
distinctif vis--vis des autres services de contrle du ministre et assure une rpartition des rles
destine viter les redondances : les missions daudit interne sont conduites par dautres services
de Bercy, qui en font leur spcialit.
LIGF se positionne donc en concurrence avec des cabinets de conseil du secteur priv. Vis--
vis de ceux-ci, elle adopte une stratgie double dimitation et de distinction. Dun ct, lIGF
affiche un positionnement sur des activits de conseil en stratgie et conduit des rformes internes
destines rapprocher son fonctionnement de celui de cabinets priv rformes des recrutements,
parcours de monte en comptences, etc. Dun autre ct, le service et ses effectifs se montrent
soucieux de ne pas tre assimils tout fait un cabinet de conseil. Dans sa communication, lIGF
met ainsi en avant une dimension rgalienne dinspection, une longue histoire, une fine
connaissance de ladministration, la diversit des individualits qui la constituent et dans les
propos des inspectrices-eurs, le sur-mesure des prestations. Si les discussions sur les
rapprochements effectuer ou non avec les cabinets de conseil ou bien ce que ces cabinets sont
censs tre ont toujours cours, la plupart des inspectrices-eurs se montrent proccup-e-s de
maintenir cette identit. Or, cette dernire loigne certainement encore un peu plus lIGF de laudit
interne tel quil est mis en uvre dans ladministration et via les travaux du CHAI avec
notamment une dimension participative, une mthode standardise, et une rfrence relative au
monde professionnel des auditrices-eurs internes.
Conclusion
Dans cette thse, nous avons donc montr que la rforme de 2011 nest pas, elle seule,
symptomatique dun changement radical du contrle de ltat et de lexercice du pouvoir de ce
dernier. Laudit interne mis en place avec la rforme de 2011 sinscrit dans la continuit de
changements et de rformes antrieures, dont il confirme la porte en matire de renouvellement
du contrle , tout en apportant un inflchissement avec lattention porte la matrise des risques
notamment. La prparation et le lancement de la rforme confirment limportance prise par le
ministre des Finances dans lorganisation du contrle de ladministration sans rsoudre pour
autant de manire dfinitive la question du primtre dinfluence sur ladministration exerce par
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celui-ci et la Cour des comptes. Dans sa mise en uvre, laudit interne de ladministration se
dploie dans les services de contrle en place, o il sajoute aux activits de contrle prexistantes,
sans rorganisation majeure des services ni de leur recrutement. Ltude de linspection gnrale
des Finances fournit un clairage symptomatique : dans le service le plus prestigieux, qui orchestre
la prparation et la mise en uvre de la rforme, laudit interne a peu prise. Pour autant, et ltude
de lIGF illustre galement cet aspect, les effets de laudit interne sur lorganisation du contrle et
lexercice du pouvoir tatique ne sont pas du tout dpourvus de signification. Ils sajoutent en effet
ceux dautres changements et rformes, qui, ensemble, dessinent une nouvelle facette de ltat.
Ces changements et rformes concernent par exemple la hirarchisation des contrles, la
professionnalisation des contrleur-e-s et la reddition de comptes de ladministration des
instances externes Union europenne et agences de notation notamment , dont la lgitimit
semble aujourdhui acquise dans ladministration.
Notre travail vise enrichir les recherches et alimenter les discussions dans plusieurs domaines.
Un premier concerne celui des rformes de ltat. Par notre tude de lessor de laudit interne dans
un contexte de New Public Management, nous avons mis au jour une troisime vague de celui-ci.
De plus, nous avons montr, au-del des variations contextuelles, les traits communs des rformes
mises en uvre, qui apportent une triple extension, des logiques de rationalisation comptable, de
limpratif de redevabilit, et de lutilisation de mthodes issues des sciences de gestion.
Concernant en particulier ladministration franaise, notre recherche se situe dans la continuit des
travaux de Philippe Bezs (Bezs 2009) et complte ceux de Corinne Eyraud sur les rcentes
rformes comptables de ladministration (Eyraud 2013). Notre thse enrichit galement les
rflexions portant sur les rcentes dynamiques de renouvellement des mtiers des administrations
publiques (voir par exemple Boussard et al. 2010; Bezs et al. 2011) et celles, pour le moment
rares, relatives aux grands corps dtat administratifs (Latour 2004; Morin 2011). Ensuite, notre
thse apporte un nouvel exemple de possibilit dutilisation du cadre thorique de la sociologie des
preuves. Dune part, nous esprons avoir dmontr, par notre utilisation de ce cadre, la pertinence
de celui-ci pour lanalyse des rformes de ladministration et au-del, du changement dans les
organisations. Dautre part, notre thse a utilis ce cadre de manire peu ordinaire, non seulement
par un recentrage sur lorganisation dune preuve en loccurrence celle du contrle de
ladministration , mais en outre par lajout du concept dexplicitation, peu utilis jusqualors
(Muniesa et Linhardt, 2011). Cette utilisation nous a permis de rassembler, de manire dialectique,
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lensemble de ce qui nous semblait devoir tre pris en compte pour notre tude des tenants et
aboutissants de la rforme de 2011. Enfin, notre recherche entend contribuer aux changes et dbats
relatifs lintroduction de laudit interne dans les organisations. Par notre analyse des diffrentes
facettes prises par laudit interne au fil du temps et du succs de celui-ci, nous offrons une synthse
du dveloppement de laudit interne et des facteurs de son extension. travers notre tude des
diffrentes interprtations donnes de laudit interne, nous entendons enrichir les discussions sur
ce que laudit interne peut tre dans les organisations, notamment en dpassant les difficults
habituellement soulignes dans la littrature sur laudit interne. Celle-ci invite la fois la
prudence, pour ne pas surestimer les changements apports par laudit (Mennicken 2010), tout en
dnonant une colonisation des organisations par laudit (Power 1994; Power 1999; Power 2010).
Nous montrons de notre ct ce que laudit contient en puissance, mais qui ne se ralise pas
ncessairement, ou bien avec diffrents degrs dintensit, dans les organisations. Nous proposons
que cette typologie puisse tre complte par dautres travaux analysant le dploiement de laudit
interne dans les organisations.
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