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1 Texte de présentation et de la soutenance de thèse de doctorat en théologie orthodoxe du Père Dr. Jean Boboc : Homo absconditus et eschatologicus Eléments pour une théo- anthropologie orthodoxe, ternaire, apophatique et pneumatique . A la gloire de Dieu ! Car c’est bien de la gloire de Dieu qui s’est fait homme pour que nous devenions dieu, que nous allons parler. Il n’y a pas d’autre onto-théo-anthropologie que celle- ci qui révèle le sens de l’homme, question beaucoup plus taraudante que celle de sa voir s’il est le fruit de l’évolutionnisme ou de la création lorsque l’on a enfin compris que l’évolution n’est qu’une des modalités de la création de Dieu « qui fait que les choses se fassent… » Alors, « Oui ou non, la vie humaine a-t-elle un sens, et l’homme a-t-il une destinée ? » C’est ainsi que le philosophe Maurice Blondel 1 que cite souvent le Père Dumitru Staniloae 2 , avait formulé son interrogation qui est en fait celle qui sous-tend notre problématique anthropologique dès lors que nous pensons en termes de finitude et d’eschatologie. Nous avons cherché à répondre à cette question en l’abordant sur un plan théo-anthropologique sous le prisme du paradigme anthropologique tripartite et dans une optique orthodoxe pneumatique et apophatique et selon une méthodologie délibérément multidisciplinaire, historique, philosophique, mais surtout scripturaire, patristique, liturgique, hymnographique et scientifique par les avancées de l’embryologie et de la génétique , et cela dans un discours souvent en rupture et en débat contradictoire. La transdisciplinarité s’impose en effet devant les excès de la sur-spécialisation. Dès que l’on utilise le terme d’anthropologie, on se trouve face à un grand malentendu sur celle-ci, car elle est toujours en porte à faux puisque « conçue en terme philosophique, l’anthropologie n’adresse que des disciplines et matières non-philosophiques et que conçue en terme de science positive, on réduit l’homme à une espèce donnée, même si considérée supérieure, avec le risque de rater la cible : l’homme se faisant lui-même, fondant son 1 Maurice BLONDEL, L’action, Alcan, Paris, t.2, 1937. La citation mérite d’être complète : « Oui ou non, la vie humaine a-t-elle un sens, et l’homme a-t-il une destinée ? J’agis, mais sans même savoir ce qu’est l’action, sans avoir souhaité de vivre, sans connaître au juste ni qui je suis ni même qui je suis. Cette apparence d’être qui s’agite en moi, ces actions légères et fugitives d’une ombre, j’entends dire qu’elles portent en elles une responsabilité éternellement lourde, et que, même au prix du sang, je ne puis acheter le néant parce que pour moi il n’est plus : je serais donc condamné à la vie, condamné à la mort, condamné à l’éternité ! Comment et de quel droit, si je ne l’ai ni su ni voulu ? » Introduction, p. 15. L’ouvrage de Blondel fut interdit de publication par le Vatican. La philosophie de M. Blondel a eu une influence sur l’école dite « de Fourvières », qui réunissait des esprits tels que J. Daniélou, H. de Lubac, Teilhard de Chardin, H. Urs von Balthasar, G. Fessard. En 1950, une crise éclata entre le Vatican et l’école de Fourvières, à la suite du Surnaturel du père H. de Lubac, auquel l’encyclique De Humani Generis semblait répondre. Par ailleurs, l’influence de l’école et de Blondel dépassa la France et le Père D. Staniloae le cite à plusieurs reprises dans son ouvrage mentionné dans la note suivante, n.2. La même question : « Qu’est ce que l’homme, quelle est sa place dans le cosmos ? » était posée de l’autre côté du Rhin par Max Scheler qui proposait une métanthropologie, c'est-à-dire une anthropologie prenant en compte la transcendance et avançant une anthropologie métaphysique. Auteur auquel faisait aussi référence le Père D. Staniloae, en particulier au regard de l’ouvrage, Vom Ewigen im Menschen (1921) cité dans Ascetica şi Mistica Bisericii Ortodoxe. 2 Dumitru STANILOAE, Ascetica şi Mistica Bisericii Ortodoxe, Editura Institului Biblic şi de Misiune al Bisericii Ortodoxe Române, Bucarest, 2002. Ascétique et Mystique de l’Eglise Orthodoxe, traduction française du père Jean BOBOC et de Romain OTAL, Cerf, 2011.

Texte de présentation et de la soutenance de thèse de ... · 1 Texte de présentation et de la soutenance de thèse de doctorat en théologie orthodoxe du Père Dr. Jean Boboc :

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    Texte de prsentation et de la soutenance de thse de doctorat en thologie orthodoxe du

    Pre Dr. Jean Boboc : Homo absconditus et eschatologicus Elments pour une tho-

    anthropologie orthodoxe, ternaire, apophatique et pneumatique.

    A la gloire de Dieu ! Car cest bien de la gloire de Dieu qui sest fait homme pour que nous

    devenions dieu, que nous allons parler. Il ny a pas dautre onto-tho-anthropologie que celle-

    ci qui rvle le sens de lhomme, question beaucoup plus taraudante que celle de savoir sil

    est le fruit de lvolutionnisme ou de la cration lorsque lon a enfin compris que lvolution

    nest quune des modalits de la cration de Dieu qui fait que les choses se fassent

    Alors, Oui ou non, la vie humaine a-t-elle un sens, et lhomme a-t-il une destine ? Cest

    ainsi que le philosophe Maurice Blondel1 que cite souvent le Pre Dumitru Staniloae

    2, avait

    formul son interrogation qui est en fait celle qui sous-tend notre problmatique

    anthropologique ds lors que nous pensons en termes de finitude et deschatologie. Nous

    avons cherch rpondre cette question en labordant sur un plan tho-anthropologique sous

    le prisme du paradigme anthropologique tripartite et dans une optique orthodoxe pneumatique

    et apophatique et selon une mthodologie dlibrment multidisciplinaire, historique,

    philosophique, mais surtout scripturaire, patristique, liturgique, hymnographique et

    scientifique par les avances de lembryologie et de la gntique, et cela dans un discours

    souvent en rupture et en dbat contradictoire. La transdisciplinarit simpose en effet devant

    les excs de la sur-spcialisation.

    Ds que lon utilise le terme danthropologie, on se trouve face un grand malentendu sur

    celle-ci, car elle est toujours en porte faux puisque conue en terme philosophique,

    lanthropologie nadresse que des disciplines et matires non-philosophiques et que conue en

    terme de science positive, on rduit lhomme une espce donne, mme si considre

    suprieure, avec le risque de rater la cible : lhomme se faisant lui-mme, fondant son

    1 Maurice BLONDEL, Laction, Alcan, Paris, t.2, 1937. La citation mrite dtre complte : Oui ou non, la vie

    humaine a-t-elle un sens, et lhomme a-t-il une destine ? Jagis, mais sans mme savoir ce quest laction, sans

    avoir souhait de vivre, sans connatre au juste ni qui je suis ni mme qui je suis. Cette apparence dtre qui

    sagite en moi, ces actions lgres et fugitives dune ombre, jentends dire quelles portent en elles une

    responsabilit ternellement lourde, et que, mme au prix du sang, je ne puis acheter le nant parce que pour moi

    il nest plus : je serais donc condamn la vie, condamn la mort, condamn lternit ! Comment et de quel

    droit, si je ne lai ni su ni voulu ? Introduction, p. 15. Louvrage de Blondel fut interdit de publication par le

    Vatican. La philosophie de M. Blondel a eu une influence sur lcole dite de Fourvires , qui runissait des

    esprits tels que J. Danilou, H. de Lubac, Teilhard de Chardin, H. Urs von Balthasar, G. Fessard. En 1950, une

    crise clata entre le Vatican et lcole de Fourvires, la suite du Surnaturel du pre H. de Lubac, auquel

    lencyclique De Humani Generis semblait rpondre. Par ailleurs, linfluence de lcole et de Blondel dpassa la

    France et le Pre D. Staniloae le cite plusieurs reprises dans son ouvrage mentionn dans la note suivante, n.2.

    La mme question : Quest ce que lhomme, quelle est sa place dans le cosmos ? tait pose de lautre ct

    du Rhin par Max Scheler qui proposait une mtanthropologie, c'est--dire une anthropologie prenant en compte

    la transcendance et avanant une anthropologie mtaphysique. Auteur auquel faisait aussi rfrence le Pre D.

    Staniloae, en particulier au regard de louvrage, Vom Ewigen im Menschen (1921) cit dans Ascetica i Mistica

    Bisericii Ortodoxe. 2 Dumitru STANILOAE, Ascetica i Mistica Bisericii Ortodoxe, Editura Institului Biblic i de Misiune al Bisericii

    Ortodoxe Romne, Bucarest, 2002. Asctique et Mystique de lEglise Orthodoxe, traduction franaise du pre

    Jean BOBOC et de Romain OTAL, Cerf, 2011.

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    histoire 3. Cette rflexion dAlphonse De Waehlens est bien entendu valable pour mettre en

    perspective toute tude anthropologique mais ne lest plus pour une anthropologie rvle.

    Si pour le christianisme orthodoxe le dfi du XXIe sicle est bien celui daffirmer le

    principe central de son anthropologie : que Dieu a cr lhomme son image 4, la ncessit

    dune vision anthropologique, recentre sur le Crateur, appelle une tho-anthropologie

    faisant front lanthropologie occidentale, celle dite des Sciences Humaines et en particulier

    lanthropologie humaniste et celle du sicle des Lumires et de leurs pigones actuelles, qui

    ont conduit la dclaration de la mort de Dieu et par voie de consquence celle de

    lhomme5. Dj lon voit se dessiner aujourdhui les prmices trs militants dune

    anthropologie contemporaine qui nest ni moderne, ni mme post-moderne, mais post-

    humaine, selon lexpression de Francis Fukuyama6 faisant rfrence aux consquences des

    biotechnologies.

    Quelques thologiens orthodoxes se plaignent mi-mot de ne pas bnficier dune

    anthropologie orthodoxe, faisant figure de discipline universellement reue (le cas de C.

    Andronikoff). Vl. Lossky dit aussi la mme chose : en gnral, lanthropologie chrtienne

    na pas reu une laboration thologique suffisante, on la connait surtout par le biais de la

    christologie [] Une anthropologie scientifique, fonde sur lobservation des faits concrets,

    ne peut avoir quune valeur accidentelle pour la thologie. Une anthropologie thologique se

    construit de haut en bas, en partant des dogmes trinitaire et christologique pour dcouvrir dans

    la ralit humaine lunit de nature et la multiplicit dhypostases cres, etc. 7. Car il sagit

    dune anthropologie rvle et ce nest pas du puzzle des fossiles palontologiques ni de la

    philosophie quil faut partir, mais de lArchtype. Cest ce que disait aussi le pre Rafal

    (Noca), dans une de ses confrences de carme auprs dtudiants en thologie, prcisant que

    lanthropologie tudie lhomme pour voir ce quest lhomme, tandis que nous, nous

    tudions le Christ pour voir ce quest lhomme. Le Christ est Dieu, mais il est le Dieu qui est

    venu dans notre nature pour nous montrer ce quest lhomme tel que Lui, la pens. Aucun

    des fils dAdam na pu parvenir la gloire de ce quest un homme parfait 8.

    Cest dire que la dmarche sera apophatique. Comme lcrivait Mgr Kallistos Ware, une

    thologie apophatique, (donc orthodoxe), rpond aussi une anthropologie apophatique.

    3 A. De WAELHENS, article anthropologie , Encyclopaedia Universalis, vol.2, Paris, mai 1976 et La

    philosophie et les expriences naturelles, La Haye, 1961. 4 Cf. J. BRECK, Le don sacr de la vie, Cerf, 2005, p. 167. 5 I.ICA jr, dans la prface lAnimal divinis de P. NELLAS, version roumaine cite. 6 Francis FUKUYAMA, Our posthuman Future. Consequences of the Biotechnology Revolution, Londres, Profile Books, 2003. Ce que disait dj C.S. LEWIS en 1943 : Ltape finale, ce sera lorsque lHomme, par leugnisme, le conditionnement prnatal, une ducation et une propagande bases sur une psychologie applique parfaite, sera parvenu une matrise totale sur lui-mme. La nature humaine sera le dernier bastion de la Nature se rendre lHomme , dans The Abolition of Man, Londres, Harper-Collins, 1999, p. 36-37. 7 A limage et la ressemblance, Cerf, p. 182. 8 Rafal NOICA, Sur lHomme , confrence donn aux tudiants en thologie dAlba Iulia. Grand Carme de

    1995. In Cultura duhului, Editura Rentregirea, Alaba Iulia, 2002, p. 148, (en roumain).

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    Cette dmarche daffirmation et de dfense de lanthropologie orthodoxe, gnre puis

    implique toute une srie de questionnements issus de la premire et principale interrogation,

    qui nest pas de savoir quest-ce que lhomme ?, mais qui est lhomme ?9, et pourquoi

    lhomme ?

    Ce qui est lhomme ? conduit la dcouverte de lhomo absconditus (en regard du

    Deus absconditus), et ce pourquoi lhomme ? conduit son tour lhomo eschatologicus.

    Le dynamisme entre les deux nest autre que la mtamorphose paulinienne qui va de

    limage la ressemblance, de lhomme psychique compos dun corps et dune me

    lhomme spirituel, n lesprit. Transformez-vous 10

    dit Paul.

    La question de limage demeure donc primordiale et justifie de comprendre lvolution de

    ce concept dans les Anthropologies premires (hic, ch. I) et dans lAntiquit classique (hic,

    ch. II). Nous avons altern deux modules : lanthropo-morphologie des dieux et la divino-

    morphologie des hommes.11

    Le passage de la condition humaine lanthropologie proprement dite sous limpact des

    cultes mystriques, de linfluence considrable de lOrphisme, de la pntration du

    chamanisme et des expriences extatiques, greffe sur lancien schma de reprsentation de

    lhomme le concept hellnique de limmortalit de lme et confre finalement une

    configuration humaine duelle, un dualisme selon la terminologie moderne que lon en donne

    aujourdhui12

    .

    Cette pntration de lhellnisme et de son paradigme anthropologique dualiste

    asymtrique conduit des consquences durables quant la reprsentation de lhomme

    devenu dsormais corps et me (donc duel et bientt dualiste par glissement), alors quil tait

    un dans sa ternarit holistique vtrotestamentaire13

    . Le tripartisme anthropologique

    notestamentaire, que lon sest efforc de dmontrer, hritier de lancien assure lunit de

    lhomme limage du Crateur Un en son essence et Trine dans ses hypostases, tripartition

    anthropologique si vidente chez les Pres, en particulier chez saint Irne et saint Ephrem,

    jusque dans lanthropologie palamite comme la montr Mgr. Amphiloque dans sa thse.14

    Le distinguo entre les paradigmes anthropologiques bipartiste et tripartiste nest pas

    anodin, contrairement certaines positions15

    , ni une simple question de smantique car les

    tenants du dualisme anthropologique ont peu peu scotomis lontologie du , qui fera

    9 J. BRUN, Qui est lhomme ? , in Hommage Alphonse de Waehlens, Facult universitaire Saint-Louis,

    Bruxelles, 1982, p. 49. Lauteur montre comment lon a gliss de la question qui est lhomme ? celle de quest-

    ce que lhomme ?, de mme que la rvlation fait place au dvoilement, la chute de lhomme la chute des

    corps, etc. 10 Rm 12, 2 : Transformez-vous par le renouvellement 11 Sur le statut de limage, cf. Corps des dieux, sous la direction de Charles Malamoud et Jean-Pierre Vernant, Gallimard, 1986. 12 S. PETREMENT, Le dualisme dans lHistoire, ch. V. 13 Sur cette question controverse voir Ephram E. URBACH, Les Sages dIsral, Conceptions et croyances des matres du Talmud, Ch. X, LHomme, Cerf/Verdier, 1996. 14 Mtropolite AMPHILOQUE, Le mystre de la Sainte Trinit selon Saint Grgoire Palamas, traduction franaise dYvan Koenig, Cerf, 2012. 15 Celles de J-C Larchet et mme de Vl. Lossky certains gards.

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    progressivement place un intgr comme partie de la 16

    , selon le modle du

    Time, dont on sait la carrire.

    Le tripartisme anthropologique garant de lontologie de lesprit de lhomme (et l est bien

    la question) et non de lEsprit dans lhomme, est une position dfendue tant par Paul que par

    saint Irne, saint Ephrem, et bien dautres, dans la conception de lhomme achev ou de

    lhomme spirituel partir de lhomme psychique (corps et me), implique justement le

    passage de limage la ressemblance par la ncessaire mtamorphose.17

    Lomniprsent paradigme anthropologique dualiste occidental nest en fait quun postulat

    qui ne dmontre rien et en particulier rien de dterminant sur lontologie de lme mais

    prtend configurer la ralit de notre tre non ce quil est mais ce quil en dit. Seul le

    paradigme de lanthropologie tripartite peut rendre compte de lenseignement pneumatique du

    Christ Nicodme, lappelant une seconde naissance, celle en esprit, vritable

    mtamorphose permettant lhomme de trouver la voie de son achvement anthropologique,

    c'est--dire dans la dynamique de leschatologie. Cest lEsprit, dit saint Cyrille, qui nous

    fait passer un autre tat. 18

    Le terme grec utilis est fort, signifie une autre manire

    dtre, un autre tat. Il est vraiment question ici dune mtamorphose, dont nombre dindices

    sont mmes visibles des tiers et dont M. Fromaget donne quelques exemples analogiques

    tirs de la vie biologique. Je cite largement Fromaget et reprend mon compte pratiquement

    tout ce quil dit sur le tripartisme et la mtamorphose. Evoquant les mtamorphoses des

    chenilles en papillons, celles de diffrentes larves en ctoines, libellules ou cigales, celles de

    diffrents ttards en grenouilles, tritons ou salamandres, lauteur insiste sur le fait que la

    mtamorphose, et cest cela qui nous importe dlivre le sujet cach dans la larve 19

    . Cest

    l un point essentiel. Il est intressant de noter aussi cette remarque de lauteur : Sait-on,

    dailleurs, dit-il, quen latin, les mots larva et persona peuvent tre synonymes ? 20

    et que

    ltre parfait quelles dlivrent sappelle, chez les insectes, imago 21

    .

    Lanalogie avec notre sujet est vidente, sinon pertinente. Chez lhomme, ce passage de la

    larva limago, cest en fait le passage de lhomme psychique (corps et me) lhomme

    spirituel par la naissance lesprit. Cest dire que nous sommes dans un paradigme

    anthropologique de type ternaire et non pas duel, ou dualiste.

    Ceux qui ne veulent cultiver que le vieil homme et se refusent la mtamorphose,

    demeurent donc ltat larvaire : c'est--dire celui de lhomme psychique. Lhomme

    vrai, accompli, cest celui que nous dcrit saint Irne :

    La chair modele elle seule nest pas lhomme achev : elle nest que le corps de

    lhomme, donc une dimension de lhomme. Lme elle seule nest pas davantage

    lhomme : elle nest que lme de lhomme, donc une dimension de lhomme. LEsprit non

    16 Sur la question de la spiritualisation du pneuma, voir le travail controvers de G. VERBEKE, Lvolution de la doctrine du pneuma du stocisme Augustin, Paris Louvain, 1945. 17 M. FROMAGET, Dix Essais sur la conception anthropologique Corps, me, Esprit , LHarmattan, 2000. 18

    Cyrille DALEXANDRIE, In Io XVI, 6-7, P.G., 74, 433 CD. 19

    Op. cit., p. 19. 20

    Ibidem. 21

    Ibid.

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    plus nest pas lhomme : on lui donne le nom dEsprit, non celui dhomme. Cest lunion,

    dans la communion, de ces trois ralits qui constitue lhomme achev. Irne (Contra

    haereses, V, 6, 1). Voici donc mon Credo !

    Or, prcisment une des ces trois ralits qui forment ensemble lhomme achev, la

    dimension de lme, doit tre revue et recouvrer, certes, la place qui lui revient, mais en mme

    temps laisser surtout place lesprit dont lontologie est indpendante de cette dernire. Ds

    lors que lon approche la question de lontologie de lesprit et celle de lme, on est confront

    des questions non rsolues ou du moins insuffisamment rvalues laune des

    connaissances actuelles, dont celles embryologiques. Il nous a paru que concernant lme,

    nous demeurons dans un flou thologique prilleux. La question de lanimation doit tre

    reconsidre du fait de son obsolescence , elle aussi, ds lors que nous savons que ds la

    syngamie, le zygote est anim et na donc pas besoin de ltre de lextrieur. (Tertullien,

    Grgoire de Nysse, Anastase le Sinate, Jean Damascne ) ne disent pas autre chose,

    conscients de cette intuition antique de la semence porteuse dme . La doctrine du

    traducianisme obstinment refuse par Rome semble pourtant une vidence scientifique et

    thologique. Quant la question de limmortalit de lme, elle nest acceptable que dans le

    distinguo entre sa mortalit naturelle et son ventuelle immortalit par grce. Aussi

    proposons-nous une nouvelle donne, celle de la saisie du zygote humain par lEsprit ds la

    formation de celui-ci, proposition que nous posons face la doctrine hautement discutable du

    cratianisme. Autant de questions anthropologiques fondamentales qui ont donn lieu des

    dveloppements dans cette thse, avant daborder la dification (sous sa forme ternaire et

    unifie) et sans lesquelles, on en resterait lamertume dOrigne sur linconsquence de

    lenseignement ecclsiastique sur lme. Telles sont les lignes de rflexion fondamentales qui

    forment la toile de fond permanente aux diffrentes dclinaisons tripartites de notre tho-

    anthropologie.

    ------------------------

    Une fracture entre lOrient et lOccident sur la conception anthropologique peut tre la

    premire fracture avant toute autre fracture ecclsiologique - devenait donc invitable ds lors

    que des notions telles que nature pure (augustinienne) et suradditum, confinant un dualisme

    anthropologique patent et a-pneumatique, avec ses consquences thologiques et liturgiques

    videntes, et ce dautant plus quil y avait (et quil y a encore) carence dexplication sur lme

    comme le dnonait dj Origne dans le Trait des Principes22

    . Cest cette anthropologie

    dualiste, a-pneumatique qua dnonc plus tard aussi le pre Henri de Lubac (futur cardinal)

    sous le vocable danthropologie trique 23

    , qui est source de la-pneumatisation des

    anthropologies contemporaines et de leur dficit pneumatologique.

    La mconnaissance et la scotomisation volontaire de lontologie de lesprit de lhomme,

    telles quelles prdominent en Occident (Concile de Vienne, Concile Tridentin, Vatican II

    gaudium et spes etc.), demandent donc un contre-feu qui doit dans un premier temps tenter

    22 ORIGENE, Trait des principes, tome 1, prface, introduction, texte critique de la version de Rufin, trd.par Henri CROUZEL et Manlio SIMONETTI, SC 252, p. 85. 23 H. de LUBAC, Introduction lanthropologie tripartite, p.172.

  • 6

    de prouver la ralit de cette ontologie, question dont la thologie mystique de lEglise

    dOrient dans son vcu spirituel a pu faire lconomie. Cette dmonstration pour satisfaire la

    logique occidentale rationnelle, devrait passer par une tentative srieuse de dfinition de lme

    et non pas par les numrations si commodment rptes de ses qualits et proprits, et

    aussi par ltude des caractres diffrentiels de lme et de lesprit humain. Les dfinitions de

    lme tant, daprs nous, gomtrie variable et non unitaire tantt lon parle dun principe

    vital unique, tantt cest laddition de caractristiques psychiques et spirituelles, ou enfin le

    tout la fois les tenants de la thse que lme est dfinie par ses qualits devront alors

    accepter honntement quil en soit mthodologiquement de mme pour lesprit de lhomme.

    Ainsi, par exemple, le cadre nosologique des maladies psychosomatiques, des maladies

    mentales, et des maladies spirituelles, bien individualises et dfinies par leur symptmes,

    forme une des mthodes didentification de lesprit qui le montre totalement autre que

    lme24

    , mme sil y a proximit des deux. Ainsi peut-on dj discerner ce qui ressort du

    psychique et ce qui tient du spirituel car Le maintien de la distinction, disait H. de Lubac,

    entre la zone du psychisme et celle du spirituel est dune importance majeure pour maintenir

    leur juste place, dans les limites de leur comptence, toutes sortes de psychologies. Elle

    soppose la dissolvante confusion psychanalytique du psychisme et du spirituel25

    . Si

    larrt de la vise au rationnel et au moral fut souvent la grande tentation, et si cette

    tentation demeure, ce qui est le plus redouter aujourdhui est larrt au psychique .26

    Entre psychique et spirituel, il y a autant de diffrence, dis-je, quentre le Moi et le Je ,

    et quentre lAvoir et ltre .

    La distinction ontologique entre lme et lesprit est un argument fondamental du paradigme

    anthropologique ternaire dans le NT. A titre dexemples connus de tout le monde :

    Mon me est triste en mourir , dit le Seigneur (Mt 26, 37).

    Le Christ au Mont des Oliviers na pas dit mon esprit est triste , mais mon me est

    triste . Sur la Croix le Christ a remis son esprit et non pas son me. Et Jsus poussa un

    grand cri et rendit son esprit (Mt 27, 50). Pre, en tes mains, je remets mon esprit (Lc 23,

    46). Chez Jean, lexpression est encore plus forte car elle annonce leffusion de lEsprit-

    Saint : Et inclinant la tte, il rendit lesprit . Le protomartyr Etienne ployant les genoux

    sous les jets de pierres de la lapidation, invoque le Christ : Seigneur Jsus, reois mon

    esprit (Act 7, 59).

    Ainsi lesprit va Dieu, tandis que le corps va la tombe et lme en enfer.27

    24 Voir les ouvrages que M. Fromaget, op.cit., consacre cette question, ainsi que le cadre nosologique des maladies mentales et spirituelles de J-C Larchet, par exemple. 25

    Jacques-Albert. CUTTAT, La rencontre des Religions avec une tude La spiritualit de lOrient Chrtien, 12

    Aubier, ditions Montaigne, 1957, p. 40. 26

    Henri de LUBAC, Introduction lanthropologie tripartite. Thologie dans lHistoire, Paris, D.D.B., 1990, vol.

    I, p. 198. 27

    Cette question de lanthropologie tripartite de lhumanit du Christ, est discute au paragraphe VIII.4.e., o

    nous examinons lanalyse de J. DANILOU sur la trichotomie dOrigne et lapparent dualisme de Grgoire de

    Nysse.

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    Tout ceci a t dit bien avant nous par Origne, distinguant lme et lesprit du Seigneur :

    on peut observer que, quand lvangile parle dme du Sauveur, autre est ce qui lui est

    attribu avec le mot me, autre est ce qui lui est attribu avec le mot esprit. Lorsque

    lvangile mentionne quelque passion ou trouble, il emploie le mot me ; comme dans :

    Maintenant mon me est trouble ; Mon me est triste jusqu la mort, et : Personne ne

    mte mon me, mais cest moi qui la dpose. Mais ce quil confie aux mains du Pre, ce nest

    pas son me, mais son esprit, et, lorsquil dit que la chair est infirme, il ne dit pas que lme

    est prompte, mais que lesprit est prompt : do il semble que lme soit quelque chose

    dintermdiaire entre la chair infirme et lesprit prompt 28

    . La mme ide est retrouve chez

    saint Irne.

    De mme dans le Magnificat, lvidence du tripartisme anthropologique est patente.

    Pour parler de Marie, fille de la race humaine, il serait logique de parler sur la base de

    simple anthropologie. Mais la rflexion apophatique, prend immdiatement conscience de

    linsuffisance des termes pour celle qui est Thotokos. Plus que toute crature, Marie relve

    dune anthropologie tripartite ds le premier chapitre lucanien, par son rapport direct avec

    lEsprit-Saint. Son dialogue avec lArchange, confirme quelle sera ombrage par lEsprit.

    Lors de sa visite lisabeth, Marie dit : Mon me exalte le Seigneur et mon esprit sest

    rempli dallgresse cause de Dieu, mon Sauveur (Lc 1, 46-47). Il ny a ici aucune

    polysmie des termes, mais une prcision parfaite entre lme qui exalte en tant que

    sentiment et lesprit rceptif qui reoit et sest empli dallgresse :

    , .

    Si le Magnificat renvoie au Cantique dAnne (1S 2,1), en tant que prototype du Magnificat,

    nous ne nous intressons ici quaux aspects anthropologiques du verset lucanien et ses

    renvois aux Psaumes et en particulier au Psaume 16, 9, comme le fait la Bible de L. Segond.

    En effet, le verset 9 du Psaume est dune grande richesse danthropologie ternaire smitique.

    Ne nous aventurerons pas dans des discussions de traduction, nous contentant simplement

    de remarquer dune part lunicit de ltre en ses trois dimensions dans le Psaume 16, et

    dautre part la diffrenciation ontologique bien nette entre lme et lesprit, ainsi quentre les

    modalits daction de ces deux entits, lune passive, lautre active, dans le verset lucanien

    (Lc 1, 46-47).

    Il faut cependant remarquer avec Mgr. A. B. Calkins29

    , que ces traductions portent en

    elles-mmes une insuffisance par rapport au texte grec. En effet, lexpression mon me

    magnifie () le Seigneur est grammaticalement au temps prsent, tandis que

    lexpression mon esprit sest rjoui () en Dieu mon Sauveur est au temps pass.

    Ce qui signifie que la joie de lesprit de Marie prcde celle de son me. Calkins fait

    remarquer que la plupart des exgtes contemporains ne font pas cette diffrence entre les

    fonctions de lme et de lesprit et que les traductions ne respectent pas non plus cette

    28

    De Principiis, Peri Archon, II, 8, 4, Introduction, texte critique de la version de RUFIN, traduction par H.

    CROUZEL et M. SIMONETTI, Cerf, 1978, SC 252, p. 349. 29

    Arthur Burton. CALKINS, The tripartite Biblical vision of Man: A Key to the Christian Life, 22 avril 2007.

  • 8

    diffrence des temps, ajoutant quelles refltent ainsi une incapacit reconnatre la

    prcision du langage biblique et son utilisation dans le fonctionnement de lorganisme

    spirituel.30

    Dfendre le paradigme anthropologique tripartite implique donc de tenter de proposer des

    lments ontologiques distinctifs entre lme et lesprit, bien quil y ait proximit des deux et

    trop souvent une confusion masque par un flou thologique du fait davoir louablement

    voulu faire du , avec le no-platonisme, la fine pointe de lme et davoir finalement dans

    la foule platonicienne du Time, accepter de mettre dans lme une hirarchie dtages. Alors

    que le , comme le dit Palamas, hritier de la tradition de la spiritualisation du ,

    existe en lui-mme et donc se distingue de lme composite, fallait-il vraiment en faire un

    supplment dme, intgr lme et prendre ainsi le risque dassimiler deux entits

    ontologiquement diffrentes en un seul concept ? Voici ce que nous appelons : lerreur du

    dualisme anthropologique ou du moins un de ses effets secondaires pernicieux avec ses dgts

    collatraux.

    La pneumatologie de lhomme nest quune chimre tant que celui-ci persiste sprouver

    comme un tre duel, fait dune me et dun corps, dont lopposition dialectique de laltrit ne

    peut conduire et/ou reconduire quau mpris platonicien du corps, son assimilation une

    prison mprisable et contraignante ou au mieux un simple instrument de lme, alors quil

    est pourtant le Temple de lEsprit . Comprise dans cette perspective, lanthropologie

    dualiste ne peut conduire qu cultiver le vieil homme.

    Il faut redire tout le drame de la confusion ontologique entre lme et lesprit et les

    consquences de ce fameux flou dans les conceptions thologiques, essentiellement

    occidentales, se cachant souvent derrire lexcuse de la polysmie des termes. La pense

    orthodoxe, fidle lapophatisme et la prire pure, sait que lillumination et la divinisation

    dj ici-bas, commencent justement larrt de lactivit mentale, comme lont rpt tous les

    hsychastes, pour que lEsprit (grand E) puisse se manifester lesprit (petit e). Le flou de ces

    imprcisions sur les notions dme et desprit, est parvenu ce point de confusion que lon

    pense le mental comme relevant de lordre de lesprit, ou le psychique de lordre du spirituel !

    Il y a pourtant distinction. Est psychique ce qui relve du psychisme, c'est--dire tout un

    ensemble de facults, telles que la perception, lmotion, lintelligence, la comprhension, la

    conscience, la volont, la mmoire, limagination intuitive, le rve, la rflexion, etc. dont on

    remarque demble la forte note psychosomatique pour plusieurs de ces facults constitutives

    du psychisme. Or dans son option vitaliste, la ou lanima a seulement pour fonction

    essentielle danimer le corps. Laporie est totale sur cette question de lontologie de lme et

    force est de constater que si lon dcrit fort bien les caractristiques et multiples fonctions de

    lme, on ne lui donne pas de dfinition autre que de dire quelle se dfinit par ses fonctions,

    et cela a sembl suffire beaucoup. .

    30

    Ibid.

  • 9

    Le lien entre lme et le corps est, certes, essentiel, formant lhomme psychique, mais le

    clivage volontaire qui est fait entre lme et le corps dans une apparence dvidence, nest

    quune regrettable commodit de langage qui ne rpond pas non plus la

    question fondamentale de ltre et de lavoir: suis-je une me ou ai-je une me?

    Est spirituel, par contre, ce qui relve de la transcendance, donc dorigine non

    spcifiquement humaine, relevant du divin, de lincr par opposition au psychisme et au

    physique qui, eux, relvent du cr. Il convient dcarter les thories spirites et leurs mes

    dsincarnes et pour qui me et esprit sont une seule et mme chose, tout autant que certains

    rcits de dcorporation31

    , dextases et de voyages chamaniques32

    qui relvent de la littrature,

    de lhistoire et de la phnomnologie des religions. Le spirituel en tant que dimension

    transcendantale rfute toute ontologie commune lme et lesprit et oriente vers une vision

    de lhomme ternaire, corps, me, esprit, conformment lenseignement de Paul qui fait que

    toute la nature biopsychique de lhomme peut participer lesprit et entrainer le passage du

    corps psychique au corps spirituel, c'est--dire la pneumatisation.

    Ainsi peut-on opposer lesprit lme, ce qui est incr ce qui est cr et ce qui est

    unicit ce qui est diversit. La rupture ontologique se situe entre lme et lesprit, mais il y a

    par contre une continuit entre lesprit et lEsprit de faon ce que la communication puisse

    avoir lieu. Si cest ses fruits que lon reconnait larbre, ainsi reconnaitra-t-on ce qui est de

    lesprit par les fruits qui mriront avec le temps et qui seront frapps au coin de permanence,

    dunit et dimmuabilit, tandis que ce qui relve de lme, du psychique, reste marqu

    dinconstance, dinstabilit car il ny a de certitude exempte de doute, ni damour toujours

    gal. Le fruit demeure finalement le critre de distinction.

    [Enfin, un dtail smantique ne devrait pas chapper lanalyse. Lamour qui vient de

    lesprit nest pas celui qui vient de lme au sens smitique du terme. Le grec des vangiles a

    su faire le distinguo. Ainsi le verbe signifie aimer au sens chrtien dun amour venant

    de lesprit, tandis que le verbe exprime lamour en gnral, celui qui vient de lme,

    31

    Raymond MOODY, La vie aprs la vie, Paris, 1977 et S. Rose, The Soul after Death, Platina, CA. 1977. Sans

    mettre systmatiquement en cause les travaux du Dr. Moody, repris en grande partie par lArchimandrite

    Seraphim Rose, notons que beaucoup de ces tmoignages doivent tre temprs par lobservation clinique

    actuelle des tats

    comateux et pr-comateux, par lapprciation plus fine des effets narcotiques et hallucinatoires de nombreuses

    drogues utilises cette priode et des effets pharmaco-cliniques secondaires et/ou paradoxaux des

    tranquillisants et analgsiques utiliss en phase terminale. De mme lutilisation de champignons hallucinognes

    et de diffrentes herbes est-elle de mise dans les expriences chamaniques. Beaucoup de rcits prsents comme

    des expriences post-mortem ne sont en fait que des comptes rendus de souvenirs oniriques de la conscience ou

    du subconscient en priode dagonie dite terminale mais nayant pas finalement abouti la mort. Les

    tmoignages de ceux qui sont sortis dun coma plus ou moins prolong, sont difiants cet gard. Par ailleurs,

    les ouvrages du Dr. Moody ont abreuv le proslytisme bouddhiste tibtain de Sogyal Rinpoch dans les

    programmes daccompagnement spirituel dans les centres palliatifs et autres collecteurs dexpriences

    parapsychiques aux Etats Unis notamment. 32

    Voir Le Chamanisme de M. ELIADE, op.,cit.

  • 10

    c'est--dire de lhomme charnel.33

    Cest aussi ce quenseigne Diadoque de Photice : Autre

    est lamour de type naturel de lme, et autre celui qui vient en elle de lEsprit Saint 34

    .]

    Si pour le corps temple de lEsprit appel la pneumatisation de la matire, les choses

    sont relativement claires, de mme que pour lesprit de lhomme que nous pensons pouvoir

    affirmer dans son ontologie, des questions concernant lme se posent, dont trois majeures :

    celle de lanimation, celle du traducianisme, et celle de son immortalit.

    La question de lanimation, (si fondamentale dans le pass combien de traits intituls De

    anima ? et tellement obsolte aujourdhui si lon veut bien rflchir tant soit peu la ralit

    concrte de la syngamie et du zygote humain), se rvle avoir t mal pose justement du fait

    de la conception anthropologique dualiste. La fameuse question de lanimation immdiate ou

    retarde a aussi particip creuser ce foss anthropologique entre lOrient et lOccident. Ainsi

    la leon aristotlicienne de lanimation tardive sest rvle particulirement toxique en

    Occident, avec la doctrine de la succession des mes nutritives, sensitives et rationnelles,

    (reprise par Thomas dAquin), tandis que lOrient considrait la coexistence immdiate de

    lme et du corps ds la conception, selon les leons de la synthse anthropologique de

    Grgoire de Nysse (hic, ch. VIII), et de la rcapitulation de Maxime le Confesseur (hic, ch.

    IX), qui suivaient en fait et les dveloppaient les ides de Tertullien, le grand prcurseur en ce

    domaine, et navaient pas eu besoin pour cela des donnes de lembryologie actuelle.

    La question du traducianisme sest avre elle aussi manquer de clart. Lme provient-elle

    des parents ? Ou est-elle donne par Dieu, cre par Dieu chaque fcondation ? Tent par le

    traducianisme, le bienheureux Augustin a fini par reconnatre ne pas pouvoir trancher et

    mme ne plus rien y comprendre.35

    Cette incertitude augustinienne et ce louvoiement entre

    cratianisme et traducianisme, a finalement dot lOccident de la doctrine de lhrdit de la

    faute originelle, ce que les auteurs de la littrature intertestamentaire avaient justement voulu

    viter en ddouanant Adam de cette responsabilit et voulant mme en faire le premier

    patriarche pr-abrahamique36

    . Toutes choses impliquant de reconsidrer les consquences

    anthropologiques de la transgression (hic, ch. X) et la signification des tuniques de peau, en

    tant que mortalit, lment essentiel de lanthropologie orthodoxe.

    La question de limmortalit de lme na pas non plus manqu dambigut. La conception

    dualiste de lhomme nous prsente donc un compos naturel dun corps et dune me, sans

    nous dire si cette me vient au corps par cratianisme ou par traducianisme, ni do et quand

    vient cette me au corps, ni ne prcise non plus leur contemporanit et coexistence, laissant

    un choix de type optionnel, et entranant une consquence vidente et mme une

    33

    Remarque que nous empruntons M. FROMAGET, op. cit., p. 67, qui ajoute que cette rgle connat quelques

    rares exceptions . 34

    DIADOQUE DE PHOTIC, Discours asctique, 34 ; P.G., 45, 1178 B. 35 AUGUSTIN, De Genesi ad litteram, X, 37-39, t.2, trad, introd. Et notes par P. Agasse et A. Solignac, BA 48-49, Paris 20002, 20012, p. 212-215. 3636 Sur cette question anthropologique de la responsabilit dAdam, voir Peter C. BOUTENEFF, Beginnings, Baker Academic, Grand Rapids, Michigan, 2008, ch.1, p. 14-26.

  • 11

    inconsquence notoire : lhomme sexpliquerait simplement par ses deux composants, son

    corps et son psychisme, et trouvera donc logiquement son accomplissement par la mise en

    valeur de ces deux composants, comme seule finalit quasi eschatologique. La question de

    lanimation immdiate ou retarde, proccupera les philosophes et les mdecins de lantiquit,

    puis les Pres de lEglise qui opteront avec Grgoire de Nysse et Maxime le Confesseur pour

    la contemporanit des deux composants. Nous avons soulign par quelles rflexions les deux

    thologiens aboutirent cette ncessaire conclusion, du moins pour lpoque.

    Le dualisme induit donc que lme, le moi la conscience de moi-mme lindividu :

    unit indivisible et possdant une identit et la personne celle qui parle au travers du

    masque des apparences se trouvent sur un mme plan, de type horizontal. Cela fait

    beaucoup dlments distincts pour ce qui devait tre un principe simple, le principe vital!

    Dans ces conditions, il devient alors difficile de considrer cette me autrement que

    mortelle, tant ses caractristiques relvent de lunion au corps, ce qui dfinit bien lhomme de

    chair, lhomme psychique mortel par nature en fait par nature contre nature . La question

    de la position chrtienne vis vis de lide grecque de limmortalit de lme avait t pose

    par G. Florovsky : Are Christians, as Christians, necessarily commited to the belief in the

    Immortality of the human Soul ? 37

    . Citant Etienne Gilson, G. Florovsky rajoute: What is,

    on the contrary, absolutely inconceivable, is Christianity without a Resurrection of Man. Si

    lme est cre et mme cre pour chaque nouvel individu - doctrine du cratianisme -, elle a

    donc un dbut et se trouve alors lie une fin. Lme immortelle ne peut donc ltre que par

    le bon vouloir de Dieu, cest dire par grce et non par nature. Saint Thophile dAntioche

    penche dailleurs pour le caractre neutre de lhomme, ni mortel ni immortel par nature mais

    capable des deux38

    .

    Les premiers Pres ont bien ni limmortalit de lme par nature. Ce faisant, ils fondaient

    la diffrence entre me et esprit. Sil y avait une me elle ne pouvait qutre cre et si cre,

    il lui fallait une fin, elle ne pouvait que mourir. Si cette me devait tre immortelle, alors ne le

    pouvait-elle que par Grce. Ainsi lme humaine rationnelle devenait-elle immortelle par

    GrceEncore fallait-il expliquer comment et quand elle sincarnait et sinscrivait dans la

    matire, c'est--dire se dterminer sur lanimation de lembryon et comment se dtachant du

    corps elle pouvait alors retourner Dieu et attendre la Rsurrection.

    37

    Georges FLOROVSKY, Creation and Redemption, vol. III, Nordland Publishing Company, Belmont,

    Massachussetts, 1976, p. 213. 38

    THOPHILE DANTIOCHE, Ad Autolycum, 2, 27. OECT, Oxford, Clarendon, 1970. La logique de linterprtation

    thologique de Thophyle mrite de donner ici la citation in extenso : Mais, on nous dira : mourir ntait-il pas

    dans la nature de lhomme ? Pas du tout ! Etait-il donc immortel ? Nous ne disons pas cela non plus. On va

    rpliquer : il ntait donc rien du tout ? Ce nest pas non plus ce que nous supposons. Voil : par nature lhomme

    nest pas plus mortel quimmortel, sil avait t cr dans le principe immortel, il eut t cr Dieu. Dautre part

    sil avait t cr mortel, il et sembl que Dieu fut la cause de sa mort. Ce nest donc, ni mortel quil a t cr,

    ni immortel, mais capable des deux , dans Trois livres Autolycus, texte grec tabli par G. Bardy, traduction de

    Jean Sender, introduction et notes de Gustave Bardy, SC 20, Cerf, 1948, p. 165.

  • 12

    Tatien pensait que lme nest pas immortelle en elle-mme : Lme nest pas en soi

    immortelle, Grecs, mais mortelle, mais il est possible pour elle de ne pas mourir ! 39

    La

    pneumatologie de Tatien distingue en fait deux espces desprit ( )

    dont lun sappelle lme et lautre est suprieur lme (tant) image et ressemblance de

    Dieu ; lun et lautre se trouvaient chez les premiers hommes, de faon quils fussent en partie

    matriels, en partie suprieurs la matire 40

    .

    Sattaquant au dualisme grec, Tatien affirme sa trichotomie anthropologique et maintient

    que lme ne peut chapper la mort, si elle nest sauve par lesprit, ce qui est aussi la thse

    de Justin martyr. Ce nest pas lme qui a sauv lesprit, dit Tatien ; elle a t sauv par lui ;

    et la lumire a reu les tnbres, en tant que la lumire de Dieu est verbe et que lme

    ignorante est tnbres. Cest pourquoi lme livre elle-mme sabme dans la matire et

    meurt avec la chair ; mais si elle possde lunion avec lesprit divin (

    ), elle ne manque plus daide ; elle monte vers les rgions o la guide lesprit, car

    cest en haut quil a sa demeure, et cest en bas quelle a son origine.41

    Non seulement Tatien

    pose clairement le paradigme anthropologique tripartite, mais il en donne la justification

    eschatologique, lesprit doit pneumatiser lme mortelle par nature qui slve grce lui.

    Un autre passage confirme sa vision anthropologique tripartite. Or le Dieu parfait na pas

    de chair, mais lhomme est chair ; lme est le lien de la chair (), et la chair est ce qui

    contient () lme. Si la forme dun tel arrangement est comme un temple, Dieu veut y

    habiter par le moyen de lesprit, son reprsentant. Mais si lhabitation nest point telle,

    lhomme ne lemporte sur la bte que par la parole articule ; pour le reste, il mne la mme

    vie, ntant pas la ressemblance de Dieu .42

    Ainsi Tatien nous informe que cest bien par

    lesprit de lhomme que Dieu opre la pneumatisation de lme, qui, si elle na pas lieu,

    abandonne lhomme son tat naturel, celui dhomme psychique ou si lon se rfre ce qui

    a t dit plus haut, son tat de larva, naccomplissant pas son parachvement

    anthropologique++++

    Pour Justin (Martyr) aussi, lme est naturellement mortelle : toutes les choses cres ont

    la nature de la corruption. Les cratures en tant que telles sont corruptibles 43

    et allant plus

    loin, Justin ajoute : Dieu a appel lhomme pour la vie et la rsurrection, et non une partie

    mais le tout, qui est lme et le corps 44

    et ailleurs sur la mme ide Justin conclue : Ceux

    qui disent quil ny a pas de rsurrection des morts et que leur me leur mort, est enleve

    aux cieux, ne sont pas du tout chrtiens 45

    . On voit ici tout le chemin parcouru par lancien

    philosophe qui prend dailleurs ses distances avec le dualisme platonicien en forant mme la

    note anthropologique tripartite de la faon suivante: Il y a rsurrection pour le corps qui a

    39

    TATIEN , Oratio ad Graecos, dition M. Whittaker = OECT, 1982 [Texte et trad. anglaise]. Trad. franaise A.

    PUECH, Recherches sur le Discours aux Grecs de Tatien, suivies dune trad. franaise du Discours avec notes,

    Paris, 1903. 40

    Ibid., (12, 1 ; p. 12, 18-21 SCHWARTZ), cit par P.-H. POIRIER in La lecture pneumatologique de Gn 2, 7

    art.cit. 41

    Ibid., 12, 1-2 ; p. 14, 18-26 SCHWARTZ, cit et traduit par P.-H., POIRIER, art. cit. 42

    Ibid., 15, 1-3 ; p. 16, 6-27 SCHWARTZ, cit et traduit par P.-H., POIRIER, art. cit, p. 10. 43

    JUSTIN, Dialogue avec le Juif Tryphon, 5 et 6. Collection Ichtus, DDB, 1982. 44

    JUSTIN, De resurrectione, 8.Texte tabli par K. HOLL, Texte und Untersuchungen, N. F., V2 Leipzig, 1899. 45

    JUSTIN, Dial., 80. op. cit.

  • 13

    succomb car lesprit ne succombe pas. Dans le corps il y a lme ; le corps ne peut vivre sans

    lme ; quand lme la quitt, il nexiste plus, car le corps est la maison de lme et lme

    celle de lesprit. Ces trois lments seront sauvs chez ceux qui mettent en Dieu tout leur

    espoir et leur foi absolue 46

    . On touche ici avec Justin lun des fondements de

    lanthropologie ternaire, dans la mesure o ce qui a t avanc par Tatien ne peut tre

    considr comme un enseignement des Pres de lglise, mme si sur ce point, il est

    parfaitement orthodoxe.

    Saint Irne et mme Clment dAlexandrie dont la rputation de platonicien nest plus

    faire, affirmaient que lme nest pas immortelle par nature . Augustin qui stait dtourn

    si difficilement du platonisme parlait de la mortalit de lme et dans son ouvrage dj

    mentionn, G. Florovsky le cite : According to the mutability of this life, it may be said to be

    mortal . Quant saint Jean Damascne, les Anges eux-mmes ne sont pas pour lui immortels

    par nature mais bien par grce.

    Lassertion anthropologique dAthnagore dAthnes fait de lme et du corps une entit

    vivante . Dailleurs lAncien Testament ne sait rien dune me sauver : lme cest

    lhomme lui-mme, en son essence, sa potentialit, exactement comme dans la structure dune

    me primitive dclare Van der Leuuw47

    sinspirant de J. Pedersen48

    . Le primitif qui dvore

    le cur de son ennemi sen assimile la puissance. Il ny a pas de dualisme pour lui ! Lme

    nest pas pour lui une partie de lhomme mais lhomme tout entier dans sa saintet 49

    .

    A lexception de la parabole du Riche et du pauvre Lazare (Lc 16, 19-21) et de celle du

    Riche insens (Lc 12, 20), le Christ ne parle pratiquement jamais dme mais de vie et

    desprit. Je suis la Rsurrection et la vie (Jn 11, 25). Dailleurs le Nouveau Testament

    parle peu de lme mais surtout de lesprit. Nous y reviendrons dans le chapitre sur les sources

    scripturaires du tripartisme anthropologique. Et G. Florovsky de conclure sur ce point:

    Christians as Christians, are not commited to any philosophical doctrine of immortality.

    But they are commited to the belief in the general Resurrection50

    .

    Van der Leuuw remarquait quavec le christianisme, limmortalit cdait la place la

    Rsurrection. Cest bien le point de vue dO. Cullmann qui va aussi dans le mme sens que le

    thologien orthodoxe (Florovsky). Dans un ouvrage de tendance exgtique, Immortalit de

    lme ou rsurrection des morts51

    , le thologien protestant cerne la diffrence considrable

    entre lattente chrtienne de la rsurrection des morts et la croyance grecque limmortalit

    de lme 52

    . Cullmann nhsite pas avancer que lon aurait volontiers sacrifi au Phdon, le

    chapitre 15 de la premire lettre aux Corinthiens, si prcise dans sa dialectique quant la

    rsurrection des morts!

    46

    JUSTIN, De Resur., 7-10. Cit par A.G HAMMAN dans LHomme Icne de Dieu, PDF, Migne, Paris 1998, p.

    70,71. 47

    Gerardus VAN DER LEUUW, La Religion dans son essence et ses manifestations, Payot, Paris, 1970, 45,3. 48

    J. PEDERSEN, Israel, I-II, 1920, 68 ss. Le corps, cest lme sous la forme extrieure ,125. 49

    Gerardus VAN DER LEUUW, op. cit, p. 272. 50

    G. FLOROVSKY, op. cit, p. 239. 51

    O. CULLMANN, Immortalit de lme ou Rsurrection des morts, d. Delachaux et Niestl, Neuchatel, Suisse,

    1956. 52

    O. CULLMANN, op. cit, p.8-9.

  • 14

    Pour les premiers chrtiens, dit Cullmann, lme nest pas immortelle en soi, mais lest

    devenue uniquement par la rsurrection de Jsus Christ le premier dentre les morts et par la

    foi en Lui. 53

    Cullmann ne parle cependant pas dhypostase humaine ! Au terme me, il prfre celui

    dhomme intrieur. Si bien que lorsque Paul parle de la nudit de lme prive du corps, qui

    vit donc bien et nest pas mortelle et quil dit : nous prfrons demeurer hors du corps et

    demeurer auprs du Seigneur , Cullmann comprend que lhomme intrieur dpouill du

    corps nest plus seul et quil y a continuit de la vie en esprit. Il y a l simplement une

    analogie avec limmortalit de lme mais la diffrence est anthropologiquement radicale.

    Dpassant donc la question ontologique de lme, Florovsky insiste sur le fait que les

    chrtiens naspirent pas une immortalit naturelle systmatique mais bien une

    continuelle communion avec Dieu, une thosis 54

    . Ce point rejoint en fait ce que dit le pre

    D. Staniloae sur la continuation de la vie sans hiatus , dans ce que nous proposons comme

    paradigme anthropologique tripartite : c'est--dire dans le dynamisme de la mtamorphose

    eschatologique pectasique et donc sans fin ni satit.

    Notre dmarche apophatique savre donc ncessaire pour comprendre lhgmonie de

    lesprit sur les autres composants de lhomme (le corps et lme) et de lui faire recouvrer

    paradoxalement son caractre holistique et unitaire justement dans sa ternarit qui le fonde.

    La dmarche sappuie sur la richesse de lhritage scripturaire qui plaide en faveur du

    tripartisme et de son paradigme anthropologique, confort par la dcouverte de lesprit et de la

    seconde naissance, celle de lesprit lesprit (hic, ch. V), par le distinguo entre lesprit et

    lme (hic, ch. VI), et la dimension apophatique de la personne (hic, ch. VII).

    Concernant les arguments, nous nous sommes adosss :lhritage scripturaire biblique,

    vtrotestamentaire (en particulier Gense et Deutronome), notestamentaire (synoptique,

    johannique et pistolaire55

    , dont lincontournable vangile de Jean sur la seconde naissance et

    la primordiale affirmation paulinienne de lhomme complet et spirituel, tripartite, (1 Th 5,

    23), lhritage patristique, ainsi qu celui liturgique, hymnologique en particulier

    lanthropologie du Grand Canon pnitentiel de saint Andr de Crte, et toute la littrature

    philocalique et la tradition hsychaste, qui viennent soutenir les thmes du paradigme

    anthropologique tripartite et la dimension apophatique de la personne dans son eschatologie.

    Lhgmonie de lesprit sur lme et de lme sur le corps (saint Ephrem56

    ), rend possible

    la spiritualisation de ces derniers, quasiment par induction pneumatique et peut assurer la

    thosis.

    53

    Ibid., p. 20. 54

    G. FLOROVSKY, op. cit, p. 240. 55 1 Th 5, 23. 56 Paradis, sermon IX, t. III, p. 591.

  • 15

    Avant de se modeler sur la thologie acadmique occidentale, la thologie orthodoxe a t

    par excellence mystagogique . Dans notre vision thoanthropologique, il ny a pas de chemin

    plus mystagogique que celui de la naissance lEsprit par lesprit de lhomme.

    Au plan mthodologique, la logique analytique est prsente mais tient peu de place dans nos

    dveloppements, qui relvent plus de la logique apophatique, car lapophatisme nest pas

    dnu de sa propre logique. La logique analytique npuisera jamais le contenu ontologique

    profond des ralits, leur fond inexprimable de faon conceptuelle, leur essence

    indfinissable. 57 Cest bien ce que saint Basile crivant contre Eunome, affirme : Non

    seulement lessence divine mais aussi les essences cres, elles mmes, ne peuvent tre

    connues et exprimes laide de concepts 58. Si notre tre se rduisait une simple existence

    naturelle, prive de cette profondeur de sa structure apophatique, il se diluerait vite dans une

    existence strictement naturelle, ayant perdu sa consistance ontologique spcifique.

    Afin de runir le faisceau darguments permettant de proposer le paradigme anthropologique

    tripartite, et sa caractristique pneumatique et apophatique, en individualisant lontologie de

    lesprit de lhomme, il fallait survoler nouveau des pans entiers de culture, que nous nallons

    pas dvelopper maintenant, mais qui ont t brosss en plusieurs tableaux dans la premire

    partie de ce travail, intitule : Sous le signe de lincompltude, la seconde partie tant Sous le

    signe de la mtamorphose, (ou lalternative anthropologique) et la troisime partie : La

    Rvolution anthropologique, celle de lIncarnation-Rsurrection et des consquences jusqu

    la dification de lhomme un et trine, lui aussi, puisqu limage de Dieu.

    Sous le signe de lincompltude fait ltat des lieux des Anthropologies premires au regard

    de la condition humaine et de la finitude dans le contexte du Proche Orient, depuis le monde

    sumro-babylonien, celui du Nil (et son au-del) et la mora grecque.

    Lobjectif tant de sortir de la condition humaine et de passer du destin lintriorit,

    lOrphisme prend alors toute sa place, ainsi que les Mystres, et inaugurent ensemble une

    anthropologie proprement dite pour certains auteurs, qui considrent que lon ne peut parler

    danthropologie que ds ce tournant spirituel.

    La seconde partie de ce travail est intitule Sous le signe de la mtamorphose et traite de

    lalternative anthropologique : natre lesprit ou cultiver le vieil homme.

    Cette mtamorphose dont nous avons parl de manire analogique, est en fait la

    dynamique spirituelle qui se met en marche ds lors que naissant lesprit qui est en lui,

    lhomme va vers ce quil est ou devrait tre, c'est--dire son imago, et plus prcisment son

    image dans la ressemblance.

    57

    Ibid., p. 102. 58

    Contra Eunomium, I, 1, c, 6, P.G. 29, col. 521-524.

  • 16

    La troisime partie de ce travail tente de tirer les consquences anthropologiques de la

    seule mutation anthropologique historique, celle de LIncarnation-Rsurrection, entrainant la

    double mutation ontologique, o Dieu se fait homme pour que lhomme se fasse dieu, afin

    que lhomo eschatologicus parachevant sa mutation participe la thosis et ce dans

    lpectase.

    Ayant justifi la dmarche apophatique en anthropologie, reconnu lesprit de lhomme son

    ontologie propre et propos une nouvelle approche de lintervention divine dans la survenue

    dune nouvelle vie par la saisie du zygote humain par lesprit ce qui a de profondes

    implications en biothique - nous parlons dsormais dune onto-tho-anthropologie

    orthodoxe, tripartite et unitaire, apophatique et pneumatique, qui considre la mtamorphose

    de lhomo absconditus en homo eschatologicus, ou de limage la ressemblance, en vue de sa

    thosis epectasique. Cela nous semble rclamer une rvision du concept dme, une

    rhabilitation du traducianisme partiel et de nouvelles avances sur lanatomie de la

    mtamorphose.

    Avec tout le respect que lon doit aux anciens, nous ne pouvons cependant plus les suivre

    dans leurs modes de pense. Sans tre totalement en rupture, nous ressentons la ncessit de

    rflchir autrement et en dehors des catgories de pense qui ont gnr une scolastique

    contagieuse. Est-il obligatoire de continuer de rflchir en termes de thse, dantithse et de

    synthse, de toujours penser lautre en termes de simple dualit dans laltrit, davoir le tiers

    exclu pour logique, alors que le tiers inclus solutionne tant de questions, que laltrit dvoile

    le plus ontologique de lautre au-del de la simple contingence. Nous entendons chapper au

    strilisant corsetage des cataphatismes scolastiques, qui conduisent comme le dnonait A.V.

    Kartachov, une thologie mascule, au manque daudace. Dans le domaine de la

    philosophie nous avons montr comment cette exigence de rupture sest finalement impose

    M. Merleau-Ponty qui dsirait se dtacher des modes de pense universitaires et tourner le dos

    avec combien de difficults, au dualisme.

    Par contre la dmarche apophatique applique non pas la question de lhomme naturel

    (que nous avons vu contre-nature selon les Pres) et que nous abandonnons aux sciences

    humaines, mais celle de lhomme en son lien infrangible (mme si celui-ci nest pas

    reconnu) avec son Crateur, ouvre des perspectives eschatologiques infinies jusqu la

    dynamique de lpectase.

    Toute la tho-anthropologie est dpendante de la rvolution anthropologique de

    lIncarnation-Rsurrection. Quand le Verbe sest fait chair, Il sest fait chair dans un homme

    aux trois dimensions, de corps, dme et desprit ce que navait pas compris Apollinaire de

    Laodice, et a mme endoss les tuniques de peau. Aussi lorsque lhomme se fait dieu, par la

    pneumatisation de tout son tre et par la participation aux nergies incrs, cest lensemble

    de ltre qui se fait dieu et non pas son me seule, ou plutt son . Cest pourquoi, il a fallu

    dans la troisime partie revenir sur diffrents aspects du corps et en particulier du corps

    pneumatis et faire quelques avances peut tre prsomptueuses et risques sur une tho-

    anthropologie ternaire de la dification et mme de leschatologie universelle en nous assurant

    de la consistance de nos propos audacieux et peut-tre oss, par leur adquation la pense

  • 17

    dun grand thologien, en loccurrence celle du pre D. Staniloae, sur qui nous nous sommes

    adoss, du moins sur les aspects anthropologiques eschatologiques.

    Deux points nous ont paru essentiels, concernant lternit de lhomme, sous le prisme de

    la tho-anthropologie. Dune part la continuit hypostatique en ses trois dimensions ou si lon

    prfre, celle de la personne, et dautre part lindestructibilit de la relation de la personne

    Dieu, la survie sans hiatus et le maintien par Dieu du lien dont sans doute il ne veut pas se

    dfaire, celui qui est le lieu de lamour et de la prire.

    Lamour incessant de Dieu pour sa crature ne saurait tre limit par la mort. Et nous ne

    voyons pas, dit le pre D. Staniloae, le motif pour lequel Dieu se priverait un temps si long de

    ce qui est son trne, la relation damour avec lhomme croyant ou comment Dieu tolrerait

    que soit dtruit lhomme divinis ou quil demeure dans un sommeil aussi prolong. La mort,

    comme disent les spirituels, ne peut parvenir jusqu lesprit qui dj dici sest clair aux

    rayons de lternit 59.

    La tho-anthropologie, tripartite, pneumatique et eschatologique, sans rien renier de la

    Tradition et sans relativisme, rpond pleinement au sens de lhomme dans le monde :

    lhomme projet de Dieu qui attend dans le plrome lhumanit maximale participante la

    dification.

    59

    D. STANILOAE, Teologia dogmatic ortodox, op. cit., t. III, Bucureti, 2003, p. 247 (trad. personnelle).