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Gilles Barbier Planqué dans l’atelier , 1996 Né en 1965 à Port-Vila (République de Vanuatu). Vit à Marseille. Apparition, disparition, reproduc- tion (sous la forme d’autoclones) sont les registres les plus fréquents du travail de Gilles Barbier. Les deux œuvres présentées ici s’intè- grent dans un ensemble de quatre œuvres acquises par le Frac. Plan- qué dans l’atelier a deux significa- tions suivants qu’il est nom commun : «le planqué» (celui qui se dérobe) ou adjectif/attribut au sens de ce qui est caché. Ces œuvres à double tranchant ne dévoilent qu’un as- pect partiel de l’usine désaffectée où l’artiste travaille à Marseille. Au premier abord, les photos paraissent banales, anodines, quotidiennes. Elles font le portrait de quelqu’un, par le biais de son absence et entérinent les traces de son travail. L’indice caché dans le titre de l’œuvre modifie la manière de regarder l’image et met en route un processus de recherche. L’œil balaie la surface, cherche des in- dices, analyse en triant, et s’aperçoit qu’au-delà du désordre apparent, un principe d’ordre très stricte règne, discrètement structuré par moults objets traînant presque par hasard mais disposés tel un réseau de flèches. Toutes convergent vers un point pré- cis du cliché où se trouve la personne recherchée. Yves Bélorgey 23 de Enero Blocs n°45 46 47, 2001 Né en 1960 à Chalon-sur-Saône, vit à Lyon. Yves Bélorgey réalise des dessins et des tableaux représentant des façades d’immeubles de toutes les changer d’état. À moins que la dis- parition ne soit précisément la forme la plus aboutie de la félicité. Tout ici se situe en effet aux frontières du réel et de la fiction, du roman et du reportage, du rêve paradisiaque et du cauchemar. C’est tout le charme ambigu que distille cette œuvre. Entre les deux –chez Martine Abal- léa, on est toujours “ entre ”- L’Ins- titut Liquéfiant réunit les vertus de l’image et celles de leur improbable réalisation. Wilfrid Almendra Cholet... Carquefou, 2008 Né en 1972 à Cholet où il vit. Les sculptures de Wilfrid Almendra sont des constructions élaborées dont l’approche artisanale et décalée détourne l’esthétique post-pop. Elles dessinent un paysage mental peuplé de formes singulières, hybridations d’images de la culture populaire et de motifs inspirés de la nature. Re- tranchées derrière leur singularité, ces créations résistent à la des- cription, ou plutôt rendent celle-ci forcément subjective. Comme un test de Rorschach en trois dimensions, les décrire relève inévitablement de l’interprétation. Casque de moto dont la structure a été reproduite gran- deur nature en fil de fer à la manière des objets vendus aux touristes aux bords des routes d’Afrique, cette sculpture de Wilfrid Almendra, en ap- parence peu luxueuse, a pourtant né- cessité un processus de fabrication complexe dû à l’épaisseur du métal. Agrémenté d’une visière en céramique sur laquelle est reproduit un des- sin aléatoire réalisé par l’artiste en posant une feuille sur ses genoux lors de trajets en voiture, l’objet est un nouvel hybride entre imagi- naire populaire de la route, hautes technologies et poésie japonisante du dessin. Chaque casque de cette série de sculptures porte le nom des deux villes reliées par Wilfrid Almendra en voiture au moment de la réalisa- tion du dessin (ici de son atelier de Cholet jusqu’au Frac des Pays de la Loire), double évocation du paysage mental de l’artiste et de celui, bien réel, de la route, ainsi fantasmée par le regardeur immobile. Feuilles de salle entuspotruniuopelepluiepruiloezromphtref Le Frac est à vous (7) Désir et Désordre œuvres de la collection du Frac des Pays de la Loire entuspotruniuopelepluiepruiloezromphtref Martine Aballéa L’Institut liquéfiant, 1994 (série) Née en 1950 à New York, vit à Paris. L’Institut liquéfiant est une série de six photographies en noir et blanc rehaussées à la peinture à l’huile selon la technique propre à l’ar- tiste. On peut parler ici de série clé dans la mesure où Martine Aballéa, si elle y reprend la méthode des pho- tographies uniques qu’elle réalisait auparavant, l’atmosphère également, s’engage plus avant dans la fiction et annonce ainsi des œuvres comme Hôtel Passager (présenté à l’ARC, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1999) où le visiteur, en pé- nétrant dans ledit hôtel, est invité à confronter ses propres désirs, sa propre rêverie, au décor que lui sou- met l’artiste. En six images donc, Martine Aballéa donne à voir et plus encore à imagi- ner cet improbable Institut Liqué- fiant qui évoque les centres de cure de toutes sortes qui caractérisent notre époque. Ici pourtant on ne sait trop si la fonction de l’énigma- tique établissement est d’apporter du mieux être et de la félicité ou si, au contraire, il n’a d’autre but que de nous faire disparaître, à tout le moins de nous faire dangereusement

Texte sur les oeuvres, exposition le Frac est à vous (7)

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Oeuvres de la collecion du Frac des Pays de la Loire. Martine Aballéa, Gilles Barbier, Yves Bélorgey, Michel Gerson, Trixi Groiss, Diango Hernandez, Thomas Huber, Anne Marie Jugnet, Rut Blees Luxemburg, Andrew Miller, Petra Mrzyk & Jean-François Moriceau, Liza May Post, Jean-Jacques Rullier, Laurent Tixador & Abraham Poincheval, Patrick Tosani, Boyd Webb.

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Gilles BarbierPlanqué dans l’atelier, 1996

Né en 1965 à Port-Vila (République de Vanuatu). Vit à Marseille.

Apparition, disparition, reproduc-tion (sous la forme d’autoclones) sont les registres les plus fréquents du travail de Gilles Barbier. Les deux œuvres présentées ici s’intè-grent dans un ensemble de quatre œuvres acquises par le Frac. Plan-qué dans l’atelier a deux significa-tions suivants qu’il est nom commun : «le planqué» (celui qui se dérobe) ou adjectif/attribut au sens de ce qui est caché. Ces œuvres à double tranchant ne dévoilent qu’un as-pect partiel de l’usine désaffectée où l’artiste travaille à Marseille. Au premier abord, les photos paraissent banales, anodines, quotidiennes. Elles font le portrait de quelqu’un, par le biais de son absence et entérinent les traces de son travail. L’indice caché dans le titre de l’œuvre modifie la manière de regarder l’image et met en route un processus de recherche. L’œil balaie la surface, cherche des in-dices, analyse en triant, et s’aperçoit qu’au-delà du désordre apparent, un principe d’ordre très stricte règne, discrètement structuré par moults objets traînant presque par hasard mais disposés tel un réseau de flèches. Toutes convergent vers un point pré-cis du cliché où se trouve la personne recherchée.

Yves Bélorgey23 de Enero Blocs n°45 46 47, 2001 Né en 1960 à Chalon-sur-Saône, vit à Lyon.

Yves Bélorgey réalise des dessins et des tableaux représentant des façades d’immeubles de toutes les

changer d’état. À moins que la dis-parition ne soit précisément la forme la plus aboutie de la félicité. Tout ici se situe en effet aux frontières du réel et de la fiction, du roman et du reportage, du rêve paradisiaque et du cauchemar. C’est tout le charme ambigu que distille cette œuvre. Entre les deux –chez Martine Abal-léa, on est toujours “ entre ”- L’Ins-titut Liquéfiant réunit les vertus de l’image et celles de leur improbable réalisation.

Wilfrid AlmendraCholet... Carquefou, 2008

Né en 1972 à Cholet où il vit.

Les sculptures de Wilfrid Almendra sont des constructions élaborées dont l’approche artisanale et décalée détourne l’esthétique post-pop. Elles dessinent un paysage mental peuplé de formes singulières, hybridations d’images de la culture populaire et de motifs inspirés de la nature. Re-tranchées derrière leur singularité, ces créations résistent à la des-cription, ou plutôt rendent celle-ci forcément subjective. Comme un test de Rorschach en trois dimensions, les décrire relève inévitablement de l’interprétation. Casque de moto dont la structure a été reproduite gran-deur nature en fil de fer à la manière des objets vendus aux touristes aux bords des routes d’Afrique, cette sculpture de Wilfrid Almendra, en ap-parence peu luxueuse, a pourtant né-cessité un processus de fabrication complexe dû à l’épaisseur du métal. Agrémenté d’une visière en céramique sur laquelle est reproduit un des-sin aléatoire réalisé par l’artiste en posant une feuille sur ses genoux lors de trajets en voiture, l’objet est un nouvel hybride entre imagi-naire populaire de la route, hautes technologies et poésie japonisante du dessin. Chaque casque de cette série de sculptures porte le nom des deux villes reliées par Wilfrid Almendra en voiture au moment de la réalisa-tion du dessin (ici de son atelier de Cholet jusqu’au Frac des Pays de la Loire), double évocation du paysage mental de l’artiste et de celui, bien réel, de la route, ainsi fantasmée par le regardeur immobile.

Feuilles de salleentuspotruniuopelepluiepruiloezromphtref

Le Frac est à vous (7)Désir etDésordreœuvres de la collection du Frac des Pays de la Loire

entuspotruniuopelepluiepruiloezromphtref

Martine Aballéa

L’Institut liquéfiant, 1994 (série)

Née en 1950 à New York, vit à Paris.

L’Institut liquéfiant est une série de six photographies en noir et blanc rehaussées à la peinture à l’huile selon la technique propre à l’ar-tiste. On peut parler ici de série clé dans la mesure où Martine Aballéa, si elle y reprend la méthode des pho-tographies uniques qu’elle réalisait auparavant, l’atmosphère également, s’engage plus avant dans la fiction et annonce ainsi des œuvres comme Hôtel Passager (présenté à l’ARC, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1999) où le visiteur, en pé-nétrant dans ledit hôtel, est invité à confronter ses propres désirs, sa propre rêverie, au décor que lui sou-met l’artiste.En six images donc, Martine Aballéa donne à voir et plus encore à imagi-ner cet improbable Institut Liqué-fiant qui évoque les centres de cure de toutes sortes qui caractérisent notre époque. Ici pourtant on ne sait trop si la fonction de l’énigma-tique établissement est d’apporter du mieux être et de la félicité ou si, au contraire, il n’a d’autre but que de nous faire disparaître, à tout le moins de nous faire dangereusement

villes du monde, de Manhattan à An-kara, en passant par Bogotá, Lodz et Ivry-sur-Seine. Des lotissements parfois, de l’habitat collectif la plupart du temps. Dès 1993, l’artiste circonscrit l’objet de ses recherches plastiques à l’architecture fonc-tionnaliste, et plus précisément aux tours et aux grands ensembles nés de l’utopie moderniste. Il en résulte des œuvres troublantes dont l’absence de concession n’interdit cependant pas une certaine nostalgie. Si Bélorgey qualifie l’architecture moderne de «révolutionnaire » car « destinée à changer la vie », il n’en ignore pas moins l’échec du projet social. Les immeubles qu’il peint incarnent à la fois les ruines et le témoignage de cette utopie. Fragmentaires, les com-positions de Bélorgey ne dessinent pas des paysages urbains que le re-gard pourrait embrasser mais plutôt le point de vue du passant, incapable d’en cerner l’étendue. Quoiqu’elles ne semblent jamais inhabitées - la trace indicielle d’une présence ras-sure l’œil -, les cités apparaissent toujours désertes. Mais dans le face à face avec la toile, le grand format investit le corps du spectateur qui se pose ‹comme étant la figure hu-maine du tableau›.

Michel Gerson2, rue Gaston Veil, 2001L’Appartement rue Tivoli, 1996

Né en 1964 à Paris, vit à Nantes.

Le Frac possède plusieurs pièces de Michel Gerson, si tant est qu’on puisse, dans son cas, parler de “ pièces ”, quand bien même elles se présentent sous la forme d’objets artistiques clairement identifiables : peintures, dessins, photographies… Le travail de Gerson, en effet, est un ensemble à la fois cohérent et multiple, compact et éclaté, clos et constamment ouvert, in progress. À l’image de la vie, de sa vie puisque aussi bien celle-ci en constitue le centre et la matière, le décor et la source inépuisable, le cadre et le mouvement. Sa vie, et plus précisé-ment sa vie personnelle et domes-tique, familiale, mais aussi sa vie d’artiste dans la mesure où tout cela, dans son cas, ne fait qu’un. Une et indivisible. Une pièce de Michel Gerson ne peut donc être comprise que comme fragment, comme trace d’une entreprise globale qui, à par-

tir de son environnement personnel, consiste à produire di fférents ob-jets qui, certes, existent de manière autonome, mais qui n’acquièrent tout leur sens que dans la configuration générale où ils s’inscrivent et dont ils procèdent. La conception arborescente du CD Rom convie à une lecture très ajus-tée parce que dynamique et rhyzoma-tique de l’œuvre de Michel Gerson. On y circule entre les pièces de l’ap-partement nantais du 2 rue Gaston Veil (C’est le titre du CD), dans les grandes questions (et les petites) de la vie.

Trixi GroissMy dog is houwling, 2007 (série)

Née en 1958 dans le Voralberg (Autriche), vit à Cologne et à Berlin.

Après une formation dans le domaine des arts appliqués et de la mode, et un passage dans l’atelier de Karl Lagerfeld, Trixi Groiss fait ses pre-miers pas sur la scène viennoise avec une performance-défilé aux accents punks, menée sous le regard de Valie Export. Le vêtement tient une place essentielle dans les sculptures et les installations qu’elle développe par la suite, enrichies de dessins et de textes très brefs, haïkus d’un quoti-dien absurde. Sa pratique graphique et photographique s’autonomise alors en séries fouillant le corps dans tous ses états : peaux saturées de tatouages, corps criminels, membres mutants, têtes secouées...où affleure la question du genre (gender), de la norme et de l’identité. Invitée par le Frac en 2007 dans le cadre des Ateliers Internationaux, l’artiste a réalisé une série de des-sins au trait ciselé représentant des chiens à la fois vulgaires cabots et rockstars : où comment interroger le bon goût en fashionisant l’uni-vers des toutous, et en brouillant les frontières entre l’homme et l’animal.

Diango HernandezDrawing (Wipers), 2003

Né en 1970 à Sancti Spiritus (Cuba), vit à Trento (Italie) et Düsseldorf (Allemagne).

Diango Hernandez est un artiste qui s’interroge sur la notion de pré-carité, sur la relation de l’artiste avec le quotidien, tout cela dans une relation étroite avec son pays d’origine, Cuba, où la récupération des objets pour les réutiliser reste encore un moyen de survie.Ce “dessin” n’est pas un ready-made mais bien un geste provisoire, un acte éphémère, une réalisation rapide avec des objets récupérés, le résultat d’une gestuelle artistique dont la simplicité n’enlève rien à sa force évocatrice. La communication est par exemple un thème récurrent dans son travail, ici l’assemblage de la batterie avec les essuie-glaces nous renvoie à la réalisation d’une antenne radio de fortune, en même temps qu’apparaît l’image d’un oi-seau qui déploie ses ailes vers une liberté nouvelle.Dans la récupération d’objets, dans le questionnement de la société et l’évocation d’un pays, Cuba, l’ar-tiste questionne dans un bouillonne-ment incessant l’art et son rôle dans notre vie moderne.

Thomas HuberStellage, 2002 Né en 1955 à Zurich (Suisse), il vit à Neuss (Allemagne).

Pour Thomas Huber, la peinture ne consiste pas uniquement à peindre des images mais, dans une approche totale de l’art, à accompagner sa pratique picturale de textes et de discours qui sont aussi importants que les toiles peintes et qui sont autant la peinture que les tableaux eux-mêmes. Il y a donc pour lui un

lien direct, une relation déclarée, entre le verbal et le pictural, entre le lisible et le visible. La peinture au sens total de ce terme les récon-cilie en faisant du discours un mo-ment d’apparition de l’image. Prépa-rée par de nombreux dessins, par des esquisses et aquarelles ou encore par des maquettes, son œuvre picturale se répartit d’abord en séries thé-matiques. Ainsi Stellage appartient à un vaste cycle, Huberville, dont le titre même joue avec le nom de l’ar-tiste, dans lequel se retrouvent les motifs et les questions, les figures et les symboles transversaux à l’en-semble de son travail. On y retrouve, pour ce qui concerne les motifs pic-turaux, des références explicites à l’histoire de l’art et de l’architec-ture (villes imaginaires peintes par les artistes de la Renaissance, ar-chitectures de Palladio, fresques en trompe-l’œil de Véronèse, panoramas du XIXe siècle, scènes de théâtre...). Le tableau nous montre une exposi-tion de tableaux, de volumes et de signes : c’est un dispositif d’accro-chage qui est peint et qui fonctionne comme une architecture pour la pein-ture et pour l’art en général. On y retrouve un procédé de construction et de réflexion transversal au travail d’Huber : la mise en abyme.

Anne-Marie JugnetDésir et désordre, 1994 Née en 1958 à La Clayette, vit à Paris.

La question de l’espace est au cœur du travail d’Anne-Marie Jugnet. L’espace mais aussi le langage, le rapport du langage à l’espace, le langage comme espace. La dimension spatiale du langage ressort moins du texte comme masse compacte que dès lors qu’on en extrait un mot, une phrase courte, une formule ellip-tique, un énoncé que l’œil saisit d’un seul coup, comme stimulus visuel et comme unité de sens. Unité ou confrontation. Désir et Désordre se présente sous la forme d’une double projection de diapositives qui se font face. Chaque mot prend appui sur la limite du sol mais la taille monumentale des lettres et le fond blanc d’où elles ressortent créent une situation propice à l’immersion du regardeur qui baigne dans les mots. Par ailleurs, le dispositif de projection fait qu’en regardant l’un des mots, on se trouve aveuglé par

le projecteur opposé. Ainsi, à fixer « désir », on prend « désordre » en pleine figure. On en subit l’effet vio-lent mais on ne peut le lire, c’est-à-dire que ce qu’on expérimente là, c’est le désordre lui-même. L’expé-rience peut s’inverser mais d’une manière qui n’est pas symétrique. On voit à quel point le faisceau de significations qu’induit ce dispositif est ouvert et que didactisme et rai-deur sémantique n’ont pas de place ici. C’est au seuil et au risque de la disparition que surgit l’intérêt de l’expérience.

Rut Blees LuxemburgVertiginous Exhilara-tion, 1997Enges Bretterhaus/Narrow Stage, 1998

Née en 1967 à Mosel (Allemagne), vit à Londres.

Lorsque Rut Blees Luxemburg pho-tographie des lieux déserts dans Londres, la nuit, sa démarche relève presque de la performance : l’artiste équipée de son matériel photogra-phique et en tenue de sport parcourt la ville et en construit un portrait qui semble refléter les sentiments compulsifs qu’elle éprouve à son égard. Elle nous livre des images presque abstraites d’une urbanité fascinante et oppressive en même temps, qui révèlent une sorte d’eu-phorie palpable, comme dans Vertigi-nous Exhilaration. Les habitants ne sont jamais représentés, les photo-graphies de l’espace désert s’im-prègnent d’une atmosphère glauque qu’incarne une palette soutenue -des cuivres, des ors- conséquence cal-culée du temps de pose extrêmement long que l’artiste utilise. Narrow stage : un caisson rouge, un abri de chantier accueille une chaise, une table et des boissons pour se désal-térer. Tel un petit théâtre il semble attendre un acteur. Cette boîte, à la fois cercueil et abri, espace ambigu et sujet principal de l’image, en vient à se confondre avec une fiction personnelle. La trivialité initiale des sujets (un abri de chantier ba-nal, un parking, un terrain de tennis) se trouve ainsi sublimée, l’obscurité devient l’instrument d’une certaine théâtralité souvent teintée de mélan-

colie, signe de l’absence ou possible lieu du crime.

Liza May PostSans titre, 1996Shadow, 1996

Née en 1965 à Amsterdam (Pays-Bas) où elle vit.

Pour Liza May Post, l’image, qu’elle soit vidéo, photographique ou ciné-matographique représente un enjeu personnel : l’artiste est toujours la protagoniste de ses œuvres et la performance joue un rôle central dans son travail. Ses images photo-graphiques sont saugrenues, in-trigantes et, malgré leur froideur, véritablement chargées d’une tension dramatique. Dans Shadow, un person-nage à l’identité sexuelle mal définie soutient une femme perchée sur des sortes d’échasses, dans un mouvement difficile et incongru. Dans l’œuvre Sans titre, un poli-cier aux mains délicates cueille des myosotis dans une position impos-sible… Les visages sont absents des images vaguemement inquiétantes de Liza May Post, mais dans cet univers l’humour et la fantaisie concourent aussi à l’élaboration d’une identité fictionnelle.

Andrew MillerExtension, 2005

Né en 1969 à Dartington, vit à Glasgow (Royaume-Uni).

Avec épure et raffinement, l’œuvre d’Andrew Miller traverse les fron-tières de genre. L’artiste utilise aussi bien la photographie, le wall drawing, la sculpture, que les ins-tallations. Extension, présentée ici, a été réalisée à partir d’une photo-graphie prise à Trinidad au large du

Vénézuela.Cette œuvre témoigne de ce déve-loppement de l’architecture sans planification. Elle se base sur une extension de bâtiment à partir d’échafaudages en bois s’interpéné-trant comme des arbres. Un escalier en béton rompt avec l’esthétique fra-gile du bois, un tas de sable au sol évoque un chantier. « Où que je sois, mon point de référence est toujours l’architecture : les constructions, l’éclairage des rues, le mobilier. À Trinidad, l’un des premiers constats que j’ai effectué est celui de la transformation de l’architecture. Le paysage urbain des années 1960 et 1970 était fait de béton prémoulé, de tubes fluorescents. L’apparition de l’air conditionné a mené à la des-truction de la plupart des architec-tures intéressantes. Mon regard s’est alors tourné vers l’architecture vernaculaire, la manière dont les gens s’approprient les espaces et les objets, ou au contraire les rejettent. Auparavant, en raison de la chaleur, beaucoup de bâtiments étaient ou-verts au soleil et aux courants d’air, d’une manière presque moderniste. Ils sont aujourd’hui des boîtes her-métiques. » Andrew Miller.

Petra Mrzyk & Jean-François MoriceauFeeling, 2001

Née à Nuremberg en 1973 et né à Saint-Nazaire en 1974, vivent à Cha-tillon.

Petra Mrzyk et Jean-François Mori-ceau puisent leurs sources dans le fanzine, la bande-dessinée et les cartoons, la télévision, les magazines ou encore la radio. Le film d’animation Feeling renou-velle avec maestria le genre du dessin, ici en l’occurrence devenu animé et pour le moins jubilatoire. Point de modèle, ni de convention, mais une liberté totale qui n’est pas sans rappeler celle qui a accompagné le surréalisme et l’esprit des « ca-davres exquis ». Sous nos yeux défile une iconographie doucement dérangée et sans complexe : motifs pop, figures décalées et créatures hybrides, jungles étranges, le trait donne naissance à une profusion haletante de dessins, à un tumulte parfois hi-larant et toujours percutant.

Jean-Jacques RullierMauvais rêves, 1993 (série)

Né en 1962 à Bourg-Saint-Maurice, vit à Lyon.

Les œuvres de Jean-Jacques Rullier présentes dans la collection du Frac sont des dessins, ce qui ne signi-fie pas que cet artiste soit à ranger dans la catégorie des dessinateurs ou que le médium soit à ses yeux pri-mordial. Pour preuve, ses premières œuvres (quelques-unes de ses toute dernières également) qui consistaient en des prélèvements d’objets ou bien encore les éditions diverses qui ponctuent son itinéraire de manière très significative. C’est néanmoins par le dessin qu’il s’attache le plus souvent à dire et à montrer son expé-rience du monde ; c’est à cela qu’on reconnaît sa marque et son style.La plupart des dessins de Rullier ont à voir avec l’espace et les ex-périences humaines qui s’y inscri-vent. Espace réels (les Promenades par exemple) ou imaginaires (les Rêves) bien que la frontière entre les deux ne soit pas toujours aussi nette. Concernant la seconde série de dessins présente dans la collection, l’artiste demande qu’on lui confie un rêve que l’on garde en mémoire puis, s’il le juge intéressant, il réalise la représentation graphique d’un de ses moments clé. Le fragment retenu évoque le plus souvent un temps de passage et de transformation (d’une matière en une autre, de la vie à la mort, etc.). On retrouve ici cette fas-cination de l’artiste pour les fron-tières et tous les lieux de bascule, Berlin par exemple. Les dessins de rêves que possède le Frac montrent un bestiaire en proie à toutes sortes de mutations : Le rêve du poisson pêché (qui devient pierre) ou encore Le Rêve de la cuillerée transformée en insectes. Entre également dans le choix de ces moments visuels forts, outre leur tendance à la mutation, une réelle prise en compte de la di-mension sensorielle : le toucher, par exemple, que l’activité onirique sait si bien restituer, mais aussi le goût, l’odorat, etc. On admet que les rêves sont un fait de langage autant qu’une représentation et Rullier accorde un

soin tout particulier à la formula-tion du songe comme d’ailleurs aux légendes de ses Promenades.

Abraham Poincheval et Laurent Tixador

Total Symbiose 2, 2005 Né en 1972 à Alençon, vit à Marseille et né en 1965 à Colmar, vit à Nantes.

L’ensemble des trois œuvres réunies par le Frac rend compte des diverses performances sur le terrain de ce duo d’artistes. L’Inconnu des grands horizons : une virée lors de laquelle les artistes ont marché de Nantes à Caen puis de Caen à Metz en ligne droite avec pour seul moyen d’orien-tation une boussole ; Total Symbiose 2 : séjour en autarcie au beau milieu d’une prairie de Dordogne, dans des igloos de terre construits par eux-mêmes ; Killingusap Avataani : le lancement d’un faux iceberg télécom-mandé à Illulisat, Disco Bay, Groen-land. De ces épopées, il en résulte des re-liques, entre autres douilles d’obus gravées, os de seiche sculptés, say-nètes ou accessoires reconstitués dans des bouteilles réalisées par les artistes durant leurs expéditions ou au retour. Objets témoins, ils sont teintés d’une certaine facture kitsch qui n’est pas sans souligner leur posture excentrique. Leurs ex-ploits nous sont aussi restitués par les films qu’ils réalisent, dont un est présenté sur moniteur dans la même salle, où leur univers s’affirme et n’a de légèreté de l’enfance que l’apparence. Dans leur expérience singulière au monde, contexte (créé) d’un état de survie, leur lot de for-tunes s’éprouve avec une conscience d’adultes.

Patrick TosaniLes chaussures de lait,

2002 (série)

Né en 1954 à Poissy L’Aillerie, vit à Montrouge.

La série Les chaussures de lait est sans doute, sur le plan de la méta-phore et des déplacements, l’œuvre la plus chargée. Un contenant solide, un contenu liquide : le blanc; le noir, couple d’opposés au-delà du monde des couleurs, donc du seul monde d’ici bas. Le blanc liquide n’est pas hasardeux, c’est du lait, l’élément nourricier qui aidera chacun à sortir de sa condition rampante pour s’élé-ver, avancer dans le monde, marcher après avoir chaussé ces contenants noirs et adaptés de protection. Le lait, le cuir des bottines, l’animal vivant qu’il faut vider et tuer, mais aussi, le prolongement incontour-nable, le corps humain qu’il faut sans cesse reremplir, l’humain qui en s’appropriant liquide et peau vit et prolonge cette vie dans d’autres vies. L’immense talent de Patrick Tosani est dans cette absence de détails inutiles, dans ce choix juste, maîtrisé des seuls éléments à rete-nir, dans sa probité et son respect de ceux à qui il s’adresse : la totale clarté sans artifices, la perfection de la lisibilité.

Boyd WebbLung, 1984

Né en 1947 à Christchurch (Nouvelle-Zélande), vit à Londres (Grande-Bre-tagne).

Il s’agit d’un travail de mise en scène en studio où les éléments (l’eau, l’air), sont habituellement remplacés par d’autres : un grand morceau de moquette bouclée, une toile de fond peinte au nuagisme particulièrement dense et démons-tratif («il va pleuvoir!). La lumière artificielle répartit les espaces, laissant notamment dans une relative pénombre les zones immergées. Il ne reste qu’à peupler ces espaces. Dans Lung, un marin de fortune à l’allure quelque peu austère tente de re-pêcher les naufragés à l’aide d’un accordéon. En y regardant de près, on aperçoit la présence ostensible d’un morceau de bois sur lequel repose la baignoire. Boyd Webb s’en explique ainsi : «je voulais que le tableau ressemble à une chaire. La seule façon d’y parvenir était de montrer sur quoi il reposait. Un simple coup

d’œil au bout de bois suffit. L’homme qui est dans le bateau a une posture assez puritaine. Ou c’est peut-être la couleur de son pull. J’avais en tête l’image de St Pierre. C’est bien St Pierre qui était pêcheur? De toute façon c’est un sauvetage. C’est un évangéliste qui sort un homme de l’eau».