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ENFANT ET SOClI~TI~ Un Mot de la Maman de Pierrot b ces m mes Grandes Personnes J'ai lu dans un de vos journaux que vous aviez fait une f6te, et j'ai cru reconna}tre l'histoire de mon fils racont& par Pierrot. Alors, j'ai ~td ~i la fois fi~re, 6mue, 6tonnde et bouleversde de ce qu'il a dcrit. Cette lettre ne lui est pas adress6e, m~me si je pense trSs fort ~ lui en vous &rivant, et peut-&re mSme aurais-je envie qu'il la lise. Bref, je vous laisse juge ; puisque vous faites pro- fession de vous occuper des enfants, vous devez savoir mieux que moi. J'ai cru lire ~i travers les lignes, qu'il avait 4td malheureux petit, sans doute parce que je ne l'ai pas ~lev~, mais ce n'est pas ma faute... Je trouve quand m~me qu'il a eu de la chance parce qu'il a eu une bonne nourrice ; c'est lui qui le dit. Sa Tara, il y est restd longtemps, et il y &ait tr~s bien ; j'ai pule vdrifier moi-m~me, car vous savez, j~allais le voir tr~s rdguli~rement m~me s'il ne s'en souvient pas... Dans le Centre off il est, il y est tr~s bien, m~me s'il r~le souvent. Je leur ferai un reproche : ils ~cou- tent trop les enfants, enfin d'une certaine mani~re, et alors nous, on sait pas trop comment faire pour leur ~ducation ; on a toujours t'impression qu'on fait moins bien qu'eux ; m~me s'ils ne nous le disent pas, ils nous le font comprendre. Ce qui m'inqui~te, c'est qu'il travaille pas bien ~t l'dcole ; pourtant il est intelligent, tout le monde le dit, et tous dans le Centre, et m~me avant, ils n'arrivaient pas ~i le faire travailler. Alors, moi, je sais ce que c'est le ch6mage, la vie difficile, le p~re qui rentre saofil, et qui va de bistrot en bistrot quand il n'a pas de travail. C'est ga qui rend les 484 enfants malheureux, parce qu'ils ne vont pas r8gu- li~rement en classe (c'est mon cas) et quTils n'ont pas la t&e au travail. Souvent, je le lui dis : (( Profite que tues clans de bonnes conditions pour travailler ; c'est pour toi que tu travailles ; tu le regretteras plus tard... ,,. Moi j'avais pas cette chance : des 4ducateurs pour mraider ; mes parents, ils savaient pas grand chose et ils s'int6res- saient pas ~i ga. La psychologue m'a dit qu'il avait des probl~mes. Je trouve que c'est vite dit : Ces gens-l~i, ils affirment des choses comme ga, sans vous donner d'explication, et on est oblig8 de les croire. Enfin bref dans le Centre o~1 est mon fils, c'est comme ga qu'ils travaillent, enfin je n'ai rien ~i dire mSme si je pense pas moins, mSme si je ne suis pas toujours d'accord avec leurs m&hodes. Les sorties, les week-ends, c'est eux qui les r~gle- mentent mSme s'ils nous demandent notre avis, et puis je trouve que quand il y a un week-end suppl& mentaire, il va chez sa Tata plus souvent que chez moi ; alors bon, c'est bien qu'il y aille, mais je suis quand m~me sa m~re non ? J'ai l'impression qu'on l'oublie un peu souvent ! Bien stir, comme je vous le disais, je ne l'ai pas 8lev6, mais croyez bien que j'en souffre, m~me que ma m~re me r6p~te souvent : ~r C'est normal qu'il aime mieux aller chez sa Tata ,, : c'est normal pour lui, oui ; pour moi, non ! Ma m~re, tout ga, tout ce qui arrive, c'est de sa faute ; elle m'a 6lev~ oui, elle ne m'a pas mise ~i la DDASS, mais elle ne m'a pas aim6e, c'est pas mieux !... Je suis arriv6e la cinqui~me. Ma m~re avait eu 6 enfants et venait d'en perdre un, un fr~re qui avait 3 Journal de PI~DIATRIE et de PUI~RICULTURE n ~ 8-1992

Un mot de la maman de pierrot à ces mêmes grandes personnes

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ENFANT ET SOClI~TI~

Un M o t de la M a m a n de Pierrot b ces m mes G r a n d e s Personnes

J 'ai lu dans un de vos journaux que vous aviez fait une f6te, et j'ai cru reconna}tre l 'histoire de mon fils racont& par Pierrot.

Alors , j 'ai ~td ~i la fois fi~re, 6mue , 6 tonnde et bou leve r sde de ce qu ' i l a dcrit.

Cette lettre ne lui est pas adress6e, m~me si je pense trSs fort ~ lui en vous &rivant , et peut-&re mSme aurais-je envie qu'il la lise.

Bref, je vous laisse juge ; puisque vous faites pro- fession de vous occuper des enfants , vous devez savoir mieux que moi.

J 'a i cru lire ~i travers les lignes, qu ' i l avai t 4td m a l h e u r e u x pet i t , sans doute parce que je ne l'ai pas ~lev~, mais ce n 'es t pas m a faute. . .

Je trouve quand m~me qu ' i l a eu de la chance parce qu'i l a eu une bonne nourrice ; c'est lui qui le dit. Sa Tara, il y est restd longtemps, et il y &ait tr~s bien ; j'ai p u l e vdrifier moi -m~me, car vous savez, j~allais le voir tr~s rdguli~rement m~me s'il ne s'en souvient pas...

D a n s le Cen t r e off il est, il y est tr~s bien, m~me s'il r~le souvent. Je leur ferai un reproche : ils ~cou- tent trop les enfants, enfin d 'une certaine mani~re, et alors nous, on sait pas trop comment faire pour leur ~ducation ; on a toujours t ' impression qu 'on

f a i t moins b ien q u ' e u x ; m~me s'ils ne nous le disent pas, ils nous le font comprendre.

Ce qui m'inqui~te, c'est qu' i l t ravai l le pas b i en ~t l 'dcole ; pour tant il est intell igent, tout le monde le dit , et tous dans le Centre, et m~me avant, ils n 'arrivaient pas ~i le faire travailler. Alors, moi, je sais ce que c'est le ch6mage, la vie difficile, le p~re qui rentre saofil, et qui va de b i s t ro t en b is t ro t quand il n'a pas de travail. C'est ga qui rend les

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enfants malheureux, parce qu'ils ne vont pas r8gu- l i~rement en classe (c'est mon cas) et quTils n 'ont pas la t&e au travail.

Souvent, je le lui dis : (( Profite que tues clans de bonnes conditions pour travailler ; c'est pour toi que tu travailles ; tu le regretteras plus tard... ,,. Moi j'avais pas cette chance : des 4ducateurs pour mraider ; mes parents, ils savaient pas grand chose et ils s'int6res- saient pas ~i ga. La psychologue m'a di t qu'il avait des probl~mes. Je t rouve que c'est vi te di t : Ces gens-l~i, ils a f f i rment des choses comme ga, sans vous donner d 'explicat ion, et on est oblig8 de les croire.

Enfin bref dans le Centre o~1 est mon fils, c'est comme ga qu'ils travaillent, enfin je n'ai rien ~i dire mSme si je pense pas moins, mSme si je ne suis pas toujours d'accord avec leurs m&hodes.

Les sorties, les week-ends, c'est eux qui les r~gle- mentent mSme s'ils nous demandent notre avis, et puis je trouve que quand il y a un week-end suppl& mentaire, il va chez sa Tata plus souvent que chez moi ; alors bon, c'est bien qu'i l y aille, mais je suis quand m~me sa m~re non ? J'ai l ' impression qu'on l 'oublie un peu souvent !

Bien stir, comme je vous le disais, je ne l'ai pas 8lev6, mais croyez bien que j 'en souffre, m~me que ma m~re me r6p~te souvent : ~r C'est normal qu'il aime mieux aller chez sa Tata ,, : c 'es t n o r m a l p o u r lui, ou i ; p o u r moi , n o n !

Ma m~re, tout ga, tout ce qui arrive, c 'es t de sa f au te ; elle m'a 6lev~ oui, elle ne m'a pas mise ~i la D D A S S , mais el le ne m ' a pas a im6e, c 'es t pas mieux !...

Je suis arriv6e la cinqui~me. Ma m~re avait eu 6 enfants et venait d 'en perdre un, un fr~re qui avait 3

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ans. Alors, j'ai pas bien 8t8 accueillie ; j'ai pas beau- coup de souvenirs pet i te , mais surtout pas de souve- nirs de c~lins ni le soir ni autrement . Parfois, ma grand-mSre venait ; elle disait : r vais t'en prendre un pour te soulager >,. Je me disais pourquoi elle dit toujours n( soulager ~ : les enfants, on &ait donc des fardeaux ?...

Parfois le ma t i n quand on se r6veil lai t , il n 'y avait personne ~ la maison ; on s'habillait pour aller

l 'Scole, et la vois ine venai t pou r nous aider 7t d~jeuner et nous disait : ,~ DgpSchez-vous d 'a l ler en classe, votre mare, elle est dgja au t rava i l ~ (elle faisait des mdnages de bureaux) . ~n Vous savez , elle a du mgrite parce que votre p$re, i l ne rapporte pas beaucoup d'argent ~ la maison ,,.

Du m&ite, du m&ite. . . , on trouvait pas rant que ga. Quand elle &ait ~t la maison, elle criait tout le temps ; il fallait toujours aller vite, manger vite, s'habiller vite, travailler vite pour faire la vaisselle, etc . . . . Jamais, elle ne s'arrStait une minu te pour nous demander si nous voulions quelque chose, si on dtait bien...

Avec mon pet i t fr~re seulement, elle prenait du temps. Je me rappelle qu'elle restait longtemps avec lui sur ses genoux pour faire son << rot >> et je me disais qu'i l avait de la chance... Je regrettais de ne pas &re peti te. . , pour rester sur ses genoux, et je pensais aussi que peut-Stre c'~tait parce qu'il &air un gargon, et que j'avais perdu mon fr~re quand il avait 3 ans, donc ma mSre, elle aimait mieux les gargons sur ses genoux...

M o n p~re lui, il rentrait ou il ne rentrait pas. On savait pas trop s'il travaillait. Lui, il disait << Oui >>. Ma m~re, elle disait qu ' i l ne rapporta i t pas assez d 'argent pour nous nourrir. I1 $tait souvent saofil, mais l~t on ne savait pas comment il serait. Ou bien, il res ta i t sans r ien dire dans un coin gent i l , en regardant la tS18, ou il criait qu'i l avait s que le repas n '&ait pas pr& (alors que ma m~re n'avait pas art&4 dans sa cuisine), et que si ga cont inuai t , il allait ,( se t irer et voir ail leurs si c'gtait mieux ,,.

Nous, avec rues frSres et soeurs, on se demandait s'il allait partir. . . Alors on aurait encore moins manger, mais on se disait aussi qu 'on en tendra i t moins gueuler...

Dans ce t te a tmosphere , j 'ai g r a n d i . J 'a l lais l'$cole, mais parfois quand aucun de mes parents n'~tait g la maison, je faisais l '&ole buissonni~re... Je prenais du retard, mais mes parents ne pouvaient m'aider, pas intSressSs d'abord et n'ayant pas d'ins- truction.. . Tandis que mon i l s , comme je vous le disais, il a des gens qui peuvent l 'aider dans son tra- vail... Alors je ne comprends pas...

Bref, quand j'avais 14-15 ans, je pensais qu'~ une chose : p a r t i r de c h e z m e s p a r e n t s ; je voulais

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trouver du travail, mais vu que je n'avais pas grand bagage scolaire , ils me disaient que ce serait difil- cile. Stir, je ne ferai pas du m~nage c o m m e ma m~re, je ne me marierai pas jeune comme elle, je n'aurai pas trop d'enfants.., pour pouvoir bien m'en occuper...

Bref, surtout pas comme elle ! Pour le << trop >, d'enfants, j'ai r~ussi ; << bien s'en occuper >>, c'est pas pareil, je l'ai pas eu avec moi.., mais je l 'aime mon ills !

A 17 ans, j'ai trouv~ un boulot qui m~a permis de les quitter. Ouf !... J 'allais v ivre m a vie... P ro - l i ter. . . Plus tard, beaucoup plus tard, je rencontre- rai l 'homme de ma vie..., et j'aurai des enfants.., pas trop, un gargon et une fille.

J 'avais des copains. Ma vie a tourn~ comme ga quelques mois.., et puis le malheur est arriv$ : Je me re t rouve e n c e i n t e . J 'osais pas le dire ~t mes parents, ni ~ personne. Mon ami me dit : nn T'en fa i s

pas, on se dgbrouillera.., f f ' a i des copains, ils vont nous aider ,,... Les copains, ils &aient aussi paum~s que nous... Ma grossesse : un cauchemard... Je vomissais t o u s l e s jours en allant au travail. Je serrais mes jupes, je ne voulais pas que ga se voie. Je me disais : n, T a n t que j e ne serai pas grosse, i l n 'arr ivera pas ,,. J ' imaginais qu'il pourrait jamais arriver...

Mon ami, le p}re de mon i l s , me disait : r N e t ' inquiate /)as, on se ddbrouillera ; un bgbg ;a ne prend pas trop de place >>. On avait une chambre de bonne. Moi je savais qu'i l fallait de la place pour un b4b6 ; je n'avais pas eu de place moi dans la famille... Lui, il avait v&u seul avec sa m~re et sa grand-m~re.

Une copine m'avait amen~e voir une Assistante Sociale du quar t ier . Elle m ' ava i t aid~e pour les papiers, m'avait dit que j'aurai des primes ~ la nais- sance, et puis aussi qu 'on nous aiderait ~ trouver un logement quand le b4b4 serait l~t... Tout ga m'avait quelque peu rassurde ; je c o m m e n q a i s ~ m e faire ~t l ' idde << d ' e t r e m ~ r e ~>.

Les visites des docteurs et de la sage-femme se pas sa i en t b ien. n< Vous a u r e z un beau bgM >, me d i sa i en t - i l s , r i l se prgsente bien, vous a v e z de la

chance... A votre gge, on accouche faci lement ~.

n~ D e la chance, de la chance, ~ mon gge ~. . . Pour l ' accouchement , peu t -&re , mais enfin.. . ,~ A mon ~ge .I ~... mais je ne disais rien... Ceux-l~, ce qui les intdressait seulement , c'est mon accouchement, e t l'arriv~e du bSb$ ~ la maternit&..

Enfin le jour arriva. J'eus des contractions un soir ; m o n copain n '$tait pas rentr$ ; peu t -&re avait-il p ro longd son travail, peut-~tre Stait-il all$ boire avec les copains en oubliant que nous allions avoir un b~b& Pourtant, le week-end, on faisait des cha- teaux en Espagne... : Quand il y aura le b6b~, on fera ceci ou cela .... on partira en vacances en cara-

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vane.., caravane que nous n'avions pas, mais qu e nous emprunterions.. .

Comme l 'attente se prolongeait et que j'avais de plus en plus mal, j'allais chez la voisine. Elle m'ap- pella un taxi, et je pars k la maternitY. J'avais une idle confuse que je chassais. J 'd ta is a b a n d o n n d e avec u n gamin. . .

L ' a c c o u c h e m e n t s 'es t pass~ v i t e , t r op v i t e para~t-il, mais le b~b~ &ait 1~ : beau, il avait tout, il pesait 4 kg... un beau gargon.., je fus remplie de bonheur... Moi j'avais pu faire un si gros et si beau gargon.., je n'en revenais pas. J '&ais tr~s entour6e. Mon ami v int le mat in avec un gros bouque t de roses. La veille, il avait regardd le match de foot ~i la t~l~ chez des copains, << c'gtait pas sa faute son retard >> disait-il, << il y avait eu les prolongations ,> ! Ma m~re est venue aussi, elle me fit beaucoup de compli - ments sur ce gargon si r4ussi ; elle me donna aussi beaucoup de conseils, ce qui m'agaga.., elle en avait dlevd tel lement !...

Le Service Social passa p lus ieurs lois pendan t mon s6jour ; on me demanda si j'avais besoin de que lque chose, j'ai di t : << Rien ,,. D'abord , je ne pensais qu'~ l ' instant pr6sent, tout ~i mon bonheur d'avoir mon ills ~t c6t6 ; je ne voulais pas penser ~i l 'avenir ; apr~s on se d6brouillerait. Mon ami avait achet6 un berceau, j'avais de la layette donnfie par ma mbre et des copines...

Le b~b6 tStait bien.., il pleurait un peu, mais la nui t on me le prenai t pour que je me repose. La p u & i c u l t r i c e me m o n t r a i t c o m m e n t le langer. . . << Elle viendrait ,,, disait-elle, << me voir ~ domicile ,,.

Vers la fin du sSjour, j'avais un peu le cafard. Je pleurais le soir dans mon lit, sans savoir bien pour- quoi. Une copine du boulot ~ qui j 'en ai parle, et qui &ait pass& par 1~, me dit que cela ~tait normal, et qu~apr~s chez sol, cela passerait.

Le dimanche suivant, mon ami ayant emprunt6 la voi ture d 'un copain vint me chercher. J 'habil lais mon ills comme un prince. Je pr~parais ses affaires et les miennes, et nous voil~ partis. Bref moment de r~ve et de bonheur... Nous rentrions chez nous, le roi, la reine et le pet i t Prince !...

H~las, les dtages ~i monter me ilrent vite d~chan- ter.., et le pet i t berceau qui tr6nait au milieu de la chambre me parut bien mis6rable !...

Quelques semaines pass~rent. Je nourrissais mon ills qui semblait bien aller. I1 pleurait seulement la nuit, un peu trop souvent, ce qui faisait rentrer son p~re de plus en plus tard sous des prdtextes divers. J'allais ~i la PMI. Je rencontrais d'autres mamans ; c'~tait mon ballon d'oxyg~ne.

N o s re la t ions avec mort ami d e v e n a i e n t assez diff ici les . I1 me reprochait de m'occuper trop du petit , eniln <~ t r o p , quand il &ait l~i. C'est vrai que

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nous ne pouvions plus sortir, aller au hal, retrouver les copains le samedi soir, etc. J 'avais un fil ~i la patte. . . , et ce ill m'emp~cherai t de marcher et de vivre toute ma vie !...

U n soir oh il rentrait plus tard que d 'habitude, il me dit un peu g~n~ : << Tu sais, nous n'avons pas trouvg de logement plus grand. Toi, tu as ton i l ls ; moi je me sens un peu prisonnier ici ; j e su is o b l i # de r eprendre m a libertE. Je sais que tu t'occuperas bien du petit, je vien- drai k voir ,,.

Alors !... Les cieux me sont tomb6s sur la t&e... Je me suis retrouv6e seule , seule. . . N o u s 4 t ions abandonnds . . . Je me suis rappel4e les menaces de mon p~re : <<J'irai voir ailleurs si c'est mieux... ,>. Je n'aurai jamais plus confiance dans les hommes !... J ' en voulais ~t m o n ills de son ~, innocence ~,. J ' en voulais ~ la terre enti~re, ~ Pexistence, ~ la Vie...

Je restai comme ~a seule avec cet enfant quelque temps. J'avais des maux divers, la grippe, des maux de ventre, des maux de t&e. L'Assistante Sociale, qu i me voya i t q u e l q u e f o i s , m ' a v a i t donn~ des << secours ,>, et me disait qu'i l fallait que je vole un m6decin. Mon ills aussi &ait un peu p~le, et j'es- sayais de le sortir souvent au square. Des fois, son sou r i r e m e consola i t . Je me disais que je n'6tais pas seule, mais des fois, sa vitali t~ faisait a f f ron t ~t la m i e n n e .

Le m~decin que je voyais m'avait donn6 des vita- mines pour moi et pour mon ills, et m'avai t di t qu ' i l ne fallait pas que je reste co m m e ga tou te seule. L 'Assis tante Sociale avec qui il avait pris con tac t sans dou te me proposa d ' a l l e r clans u n h6 te l ma te rne l . J 'y serais avec mon ills, on s~occu - perait de lui, cela me donnerait de la libertY... ~l'en- tendais cette libert6 comme celle qu'avait reprise mon ami !...).

L'Assistante Sociale m'avait a id& ~ trouver du travail, et c'&ait une solution << raisonnable, et pour le moment ,, m'avait-elle dit.

J 'ai 6cout~ la raison, et j'ai accept6.

Apr6s tout, une ,< bonne m~re ,> dolt penser ~t son ills.., et il serait bien : il y avait une creche, des pu&icultrices, etc . . . . Apr~s tout, je pensais ~ moi, et je me disais que peut-~tre ce << ill ~ la pat te >, serait desserr~, que je pourrai plus facilement sortir, revoir des copines, et vivre eniln...

Arriv& dans cette maison avec mon ills, j'eus une dr61e d'impression. I1 y avait 1~ des 6ducateurs, pu& r i c u h r i c e s , in f i rmi6res , p sycho logues , doc teur , etc . . . . C'~tait un peu comme si je redevenais une enfant ?i qui on voulait apprendre ~i s'occuper d 'un enfant...

J 'ai pas bien support~ la discipline, les heures oft il fallait rentrer pour donner ~ manger aux enfants, toutes les autres m6res aussi paum4es que moi ,

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m~me s'il y e n a qui sont devenues mes copines. II y avait aussi de la jalousie : ?i celle qui avait le plus bel enfant. I1 faut dire que le mien, je l'avais bien rSussi...

Pendant ce temps, j~allais au travail ; j'avais un peu repris le gofit ~t la vie en dehors de l 'h6tel maternel. Le soir, quand je rentrais, l'8ducatrice ou la dame de la cr&he me parlait de mon ills, de ses progr& ; il s '&ait mis fi marcher tout seul, mais c'&ait pas quand j'&ais l?i...

A l'ext~rieur, j 'avais un copain. J 'avais un peu envie de vivre avec lui, d'essayer, mais j'avais peur que ga recommence, et je ne voulais pas meier mon ills ?i ga. J 'en avais marre aussi de l 'encadrement ; je me retrouvais un peu dans le carcan maternel.

I1 fallait que je m'en aille ! I1 fallait que j'essaye de vivre avec mon copain. Et mon ills : ~( Qu'est-ce

qu ' i l f a l l a i t pour lui ? ,,. Udducatrice et l'Assistante Sociale m'avaient parl~ d 'un Placement Familial pour lui. Soi-disant , il en avait besoin ; il &air petit, il pouvait pas vivre en collectivitd ; et tout ga en a t t e n d a n t que je retrouve un logement , que j'aille bien. La psychologue m'avait d i t : r II f a u t

que vous pensiez aussi ~ vous , .

Moi, je savais : si je pensais ?i moi , je ne pense- rai p lus ?i lui.

Bref, un soir, j'ai d&ouch8 de l 'h6tel maternel sans pr&enir. J 'ai eu des remontrances, et je ne sup- portals plus cette ambiance.

Uassistante sociale m'expliqua longuement qu'il fallait preparer un placement familial. O~t ? Dans une famille ? ?i la DDASS ? Tout ga, c'&ait des mots pleins de sens qui m'affolaient. La DDASS, c'est celle clui retire les enfants ?i des parents coupables. Une iamille ? C'&ait des parents en mal d'enfants qui allaient le prendre et en faire le leur.

Et bien puisqu'ils le veulent, ils n 'ont qu'~ l'em- porter. Je n'irai plus jamais le voir.., et puis aussi, ils ne l 'auront jamais, on partira tousles deux ?i tra- vers le monde, personne ne nous rattrapera.

Toutes ces id&s m'agitaient ; je voulais surtout qu'il n'exist~t pas, et que je ne ffis jamais sa m~re ; mais c '&ai t impossible , il &ai t l?i, et j '&ais sa m~re.

L'assistante sociale, l'$quipe 8ducatrice, et plein de gens je crois, se sont mis en qu&e d'une bonne nourrice, d 'une bonne famille pour lui. Et p o u r moi , qu 'es t -ce quqls faisaient ?... J'avais un loge- ment, et quand j'irai bien, je le reprendrai...

Mon ills, dans ce qu' i l vous a &ri t , il di t que chercher un Centre pour qu'i l y soit bien, c '&ait pour lui du ~, pipo ~,. Je pensais la m~me chose pour moi. C'est pas vrai qu'ils m'aidaient...

Journa l de pI~DIATRtE et de PUI~RICULTURE n ~ 8-1992

ENFANT ET SOClETI~

Le jour arriva, off il fal lai t v i s i t e r la f ami l l e d ' a ccue i l de m o n ills. La veille, j'avais tr~s real do rmi . Je faisais des cauchemards : on m 'ava i t enfonc& dans un trou, et on me pi&inait. J'&ais ?~ genoux, je ne sais si j 'implorais ou & m a n & i s par- don. Je me suis r~veill& brusquement. Je suis all& voir s i m o n ills dormait �9 il &ait calme et paisible. Je pensais qu'il avait de la chance...

L 'Assistante Sociale est venue me chercher, et nous sommes all&s ~t la campagne, ?i quelques kilo- m&res. L'Assistante Sociale parlait, la famille drac - cueil aussi. Je nrai rien entendu. I1 m'a sembl6 que c'&ait une belle maison. Je tenais mon petit dans les bras avec son ours, mais c '&ait pas mon ills, U&ait moi petite fille que je serrais tr~s fort pour ne pas &re abandonn&...

Les jours et les semaines on t pass& Je m'ef- forqa is de ne p e n s e r h r i en . Au boulot , je me d&endais ; avec mon copain ~a collait ~ peu pr~s. Je n~avais pas envie d~avoir des nouvelles de mon fiis, mais l'Assistante Sociale m'en donnait et me disait qu'il fallait t~16phoner. Deux ou trois fois, j'appellai quand je savais qu'il dormait (j'aimais bien le voir dormir quand j'&ais avec lui), sa nourrice me don- nait des nouvelles et me disait que tout allait bien pour lui. Elle r~p&ait toujours �9 ,~ I I a pris des joues,

des joues ; vous verrez comme i l est beau ! , . Mais moi, j'avais pas envie de le voir avec des grosses joues. Et puis, m8me s'il allait bien, c'est que je ne lui man- quais pas. Les enfants ga oublie vite ! C'est ingrat.

La premiSre lois que je suis all&, il ne m ' a pas r econnue . II courait partout ; sa nourrice lui a dit �9 . Fais un bisou ~ M a m a n ,,. Mais ce n'&ait d6j?i plus le mien ; elle l 'avait pris. Je n'ai rien dit.

Le t emps passait . J 'ai eu des anndes difficiles dans m o n travail ; j'ai connu le ch6mage. Le loge- ment, cela n'a jamais 4td facile. Quand je passais du temps sans aller voir mon ills, j'avais encore plus de mal ?i y aller. Je voyais les r ep roches dans le regard de la nourrice. L 'Ass is tan te Sociale me disai t " , C'est importantpour lui d'aller le voir ~,. Important ! Important, pas tant que r Je voyais bien qu'il &ait plus int~ress8 par les jouets et les bonbons que j'ap- portals que par ma pr&ence... Reproche de la nour- rice, reproche de l'assistante sociale, reproche vivant de mon ills...

Pour tant cependant, quand j'allais le voir avec mon ami, je rSvais qu'on pourrait revivre ensemble. Mon ami me l'a proposd ; il aimait bien mon ills... j 'en avais envie, mais j'ai pas osd ; j'avais peur... Je pensais que l'arriv~e de mon ills dans mon foyer cas- serait ma vie, je voulais d'abord avoir un enfant avec cet ami pour fonder une famille, et ensuite, j 'int& grerai mon ills dans ma famille. Cela n'a pas $t6 possible.

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ENFANT ET SOCII~TI~

Q u a n d il est v e n u chez moi la p remie re lois, il m'a di t que j*avais une bien petite maison, que chez sa Tata c'~tait mieux ; et puis le soir, il a fait la com~die parce quail n~y avait pas la m~me soupe que chez Tata... Bien stir, on a pas les m~mes habi- tudes ~i la campagne quqh la ville ! Entin, tout ~a et le reste, je ne voulais plus le reprendre ; il fallait que je me fasse ~i cette idle.

En p lus , il n ' a p p r e n a i t pas. La nourrice aussi avait beaucoup de real avec lui depuis qu'ii grandis- salt ; elle me le disait quand je venais le chercher en week-end. Bref, on ne r~ussissait pas avec lui !...

L 'Assistante Sociale, IT~ducatrice et la psycho- logue de la DDASS m*ont convoqu~e. I1 fa l la i t t r o u v e r u n in t e rna t , et le preparer ~ ce change- ment. Si c'~tait pour son bien, d~accord.., y e n dou- tais un peu...

J*ai eu des rencontres, des r~unions avec l~6quipe du Centre. Je pense qu'i l y a des ~ducateurs, des professionnels quoi, c~est sans doute mieux pour lui. Et pour moi, c~est peut-~tre mieux parce que j~ai moins honte qu'il soit place. Je suis comme beau- coup de parents qui mettent leurs enfants en pen- sion. Vous savez dans mon travail, j'ai chang~ de

place ; parfois je n'ai pas dit que j'avais un enfant. C ~ t a i t t rop dur. J~avais des copines qui ~taient comme moi << des enfants k la DDASS >>. Darts le Centre oh il est, c'est pas la DDASS. II dit toujours en week-end : ~ A la VGA, on fai t ceci ou cda ,~ ; il est tier, tan t mieux.. . I1 devient de plus en plus grand. Des lois, quand il est chez moi, qu'il regarde ia t~l~ assis sur le fauteuil, je le regarde et je pense : ~ C'est presque un petit homme ,,. Cela me laisse son- geuse et pleine de craintes...

Je vais a r r~ te r lh m a t r o p l o n g u e le t t re . Je vois queen p e n s a n t tr~s for t ~i lui, je n*ai par16 que de moi . Alors, vous les profess ionnels des e n f a n t s , de l ' e n f a n c e , n ~ o u b l i e z p a s q u e les paren t s des en fan t s don t vous vous occupez ont dtd e u x aussi des en fan t s !...

Merci de m~avoir 6cout~e.

La M a m a n de Pierrot .

PS : J'oubliais de vous dire, s i m o n ills est tou- jours avec vous, quand il aura 18 ans, montrez lui ?i ce moment-l~t cette lettre. S~il est avec moi, je m'en chargerai.

488 Journal de PF_DIATRIE et de PUI~RICULTURE n ~ 8-1992