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HAL Id: tel-02105231 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02105231 Submitted on 20 Apr 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Un platonisme original au XIIe siècle : métaphysique pluraliste et théologie trinitaire dans le De unitate d’Achard de Saint-Victor Iryna Lystopad To cite this version: Iryna Lystopad. Un platonisme original au XIIe siècle : métaphysique pluraliste et théologie trinitaire dans le De unitate d’Achard de Saint-Victor. Philosophie. École pratique des hautes études - EPHE PARIS, 2016. Français. NNT: 2016EPHE5105. tel-02105231

Un platonisme original au XIIe siècle: métaphysique

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Page 1: Un platonisme original au XIIe siècle: métaphysique

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Submitted on 20 Apr 2019

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Lrsquoarchive ouverte pluridisciplinaire HAL estdestineacutee au deacutepocirct et agrave la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche publieacutes ou noneacutemanant des eacutetablissements drsquoenseignement et derecherche franccedilais ou eacutetrangers des laboratoirespublics ou priveacutes

Un platonisme original au XIIe siegravecle meacutetaphysiquepluraliste et theacuteologie trinitaire dans le De unitate

drsquoAchard de Saint-VictorIryna Lystopad

To cite this versionIryna Lystopad Un platonisme original au XIIe siegravecle meacutetaphysique pluraliste et theacuteologie trinitairedans le De unitate drsquoAchard de Saint-Victor Philosophie Eacutecole pratique des hautes eacutetudes - EPHEPARIS 2016 Franccedilais NNT 2016EPHE5105 tel-02105231

Mention laquo Religions et systegravemes de penseacutee raquo

Eacutecole doctorale de lrsquoEacutecole Pratique des Hautes Eacutetudes

Institut de recherche et dhistoire des textes (CNRS) UPR 841

et

Ecole doctorale de lrsquoUniversiteacute Nationale laquo Acadeacutemie Mohyla de Kyiumlv raquo

Un platonisme original au XIIe siegravecle

Meacutetaphysique pluraliste et theacuteologie trinitaire dans le De unitate

drsquoAchard de Saint-Victor

Par Iryna Lystopad

Thegravese de doctorat de Philosophie

Sous la direction de M Dominique Poirel directeur drsquoeacutetudes EPHE et de M Andriy Vasylchenko chargeacute de recherches agrave lrsquoIP ANSU

Soutenue le 17 deacutecembre 2016

Devant un jury composeacute de Julie Brumberg-Chaumont chargeacutee de recherche au LEM CNRS Irene Caiazzo directrice de recherche au LEM CNRS Ceacutedric Giraud maicirctre de confeacuterences agrave lrsquoUniversiteacute de Lorraine Christophe Grellard directeur deacutetude agrave lEPHE Dominique Poirel directeur de recherches au CNRS (IRHT) Andriy Vasylchenko directeur de recherches agrave lrsquoInstitut de Philosophie de lrsquoAcademie Nationale des Sciences drsquoUkraine

1

A ma famille

2

REMERCIEMENTS

Cette thegravese correspond agrave sept ans de travail pendant lesquels jrsquoai grandi jrsquoai subi plusieurs

eacutepreuves et surmonteacute plusieurs deacutefis le deacutemeacutenagement en France (les deacutemarches administratives

la barriegravere de la langue et la solitude) les eacuteveacutenements en Ukraine (la reacutevolution et la guerre) Tout

cela na pas pour autant affaibli mon envie de minvestir dans la recherche

Je deacutesire remercier avant tout mes directeurs de thegraveses M ANDRIY VASYLCHENKO et M

DOMINIQUE POIREL Je connais M VASYLCHENKO depuis treize ans Crsquoest lui qui mrsquoa soutenue il y

a dix ans dans mon envie drsquoeacutetudier la logique meacutedieacutevale Surtout il mrsquoa montreacute un exemple de

deacutevotion pour la recherche M POIREL a joueacute un rocircle deacutecisif dans la naissance de cette thegravese

Connaissant mon niveau modeste en langue franccedilaise il a pourtant accepteacute drsquoecirctre mon directeur de

thegravese Il a guideacute mon travail degraves la premiegravere lecture commune du De unitate jusqursquoagrave la reacutedaction

finale Et surtout il fut preacutesent et sut faire preuve de patience durant mes travaux preacuteliminaires ma

remise agrave niveau linguistique et la finalisation de mon projet de thegravese

Je tiens agrave remercier eacutegalement JULIE BRUMBERG qui a toujours eacuteteacute attentive agrave la qualiteacute de

ma thegravese et qui ma prodigueacute de nombreux conseils mais aussi agrave IREgraveNE CAIAZZO qui mrsquoa aiguilleacutee

au moment crucial du choix des sources et qui eacutetait en tecircte du comiteacute de suivi de thegravese Mes

remerciements vont eacutegalement agrave M CEacuteDRIC GIRAUD et M CHRISTOPHE GRELLARD pour avoir

accepteacute de participer agrave ce jury de thegravese et pour leurs travaux marquants sur la penseacutee du XIIe siegravecle

Ce travail nrsquoaurait pas eacuteteacute possible sans le soutien financier et administratif du CROUS et du

JOHN TEMPLETON FOUNDATION La bibliothegraveque de lrsquoENS la bibliothegraveque du SAULCHOIR et la

Bibliothegraveque interuniversitaire de la SORBONNE ont eacuteteacute les lieux ougrave jrsquoai pu travailler en paix

Je profite de cette occasion pour remercier mes parents ndash NATALIIA et VOLODYMYR

LYSTOPAD ndash qui eacutetant eux-mecircmes enseignants-chercheurs en matheacutematiques ont accepteacute mon

choix et mrsquoont soutenue tant financiegraverement que moralement dans mon parcours et ma grand-megravere

GALYNA KUTSENTKO qui a toujours eu une grande confiance en moi Je ne veux pas oublier mes

amis qui mrsquoont encourageacutee et qui ont contribueacute agrave la relecture de cette thegravese en particulier SIMON

ERTEL qui en a relu la plus grande partie Je veux remercier eacutegalement mes amis de lrsquoassociation

STUDIUM qui ont creacuteeacute une ambiance amicale dans la communauteacute des meacutedieacutevistes franccedilais et mes

amis de lrsquoassociation UKRAINE ACTION qui mrsquoont permis de me sentir utile agrave mon pays dans cette

peacuteriode difficile

3

ABREVIATIONS

BA Bibliothegraveque Augustinienne

CCCM Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis

CCSL Corpus Christianorum Series Latina

4

INTRODUCTION GENERALE

Vous chercheriez en vain la figure drsquoAchard de Saint-Victor parmi les philosophes les plus

connus de lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale Ses œuvres speacuteculatives ont eacuteteacute eacutediteacutees tardivement et nrsquoont pas

encore eacuteteacute tregraves eacutetudieacutees par les philosophes Pour les chercheurs anteacuterieurs au milieu du XXe siegravecle

Achard nrsquoeacutetait qursquoun eacutevecircque et un preacutedicateur ndash auteur reconnu des Sermons et auteur probable du

De discretione animae spiritus et mentis En fait crsquoest gracircce agrave Jean Chacirctillon que sa doctrine

meacutetaphysique est sortie de lrsquoombre Neacuteanmoins nous ne voulons pas traiter Achard comme un

philosophe de second ordre car nous trouvons que le classement des doctrines surtout quand il

srsquoagit de la philosophie meacutedieacutevale reste souvent assez conventionnel et deacutependant du hasard Au

contraire ce que nous voulons faire crsquoest reacutetablir les thegraveses principales exposeacutees par Achard dans

son livre De unitate et pluralitate creaturarum pour montrer que les capaciteacutes meacutetaphysiques de ce

penseur ne le cegravedent pas aux philosophes plus connus de son eacutepoque comme Abeacutelard ou Gilbert de

Poitiers

Le but de cette thegravese est de revenir sur le De unitate drsquoAchard pour en comprendre la

signification Le sujet du De unitate (lrsquouniteacute et la pluraliteacute) creacutee une image drsquoAchard comme rejeton

drsquoune tradition platonicienne A la fois successivement chanoine de Saint-Victor maicirctre de Saint-

Victor et abbeacute de Saint-Victor Achard appartient de toute eacutevidence agrave la mecircme eacutecole que ses

confregraveres plus connus les victorins Hugues Richard Andreacute Godefroid et Gautier Jusqursquoici cette

donneacutee historique manifeste a eacuteteacute quelque peu neacutegligeacutee dans les eacutetudes De cette faccedilon Achard est

un meacutetaphysicien souvent qualifieacute de platonicien qui appartient agrave lrsquoeacutecole de Saint-Victor

Lrsquoeacutecole de Saint-Victor et la philosophie

Pour comprendre la maniegravere dont se pose agrave Saint-Victor la question drsquoune philosophie et en

particulier drsquoune philosophie (neacuteo)platonicienne il faut commencer par remonter aux origines de la

penseacutee chreacutetienne

La doctrine chreacutetienne entre dans un champ intellectuel formeacute par la philosophie paiumlenne Le

christianisme commence agrave dominer et les penseurs transforment la philosophie pour qursquoelle

corresponde agrave leurs besoins Pourtant certaines doctrines du christianisme contredisent des thegraveses

des philosophes antiques (comme par exemple la creacuteation du monde ex nihilo vs lrsquoeacuteterniteacute du

monde) Les penseurs chreacutetiens critiquent ces thegraveses et les auteurs paiumlens mais ils ne rejettent pas la

philosophie comme discipline Par exemple Augustin accepte une vision platonicienne de la

philosophie comme vie contemplative et discipline de lrsquoesprit mais il place Dieu au centre de cette

5

vie1 Il deacuteveloppe la philosophie chreacutetienne mais il critique les philosophes paiumlens (De ordine I II

32)

La discipline de lrsquoesprit exige une eacuteducation conforme agrave ce qui megravene au deacuteveloppement du

trivium et du quadrivium comme sciences destineacutees agrave preacuteparer le sage chreacutetien agrave la compreacutehension

de lrsquoEcriture sainte En mecircme temps les philosophes demandent si les outils logiques peuvent ecirctre

utiliseacutes pour parler de Dieu Augustin Boegravece Erigegravene et Anselme deacuteveloppent la doctrine de

lrsquoapplication de la logique pour deacutecrire la reacutealiteacute divine et en particulier la Triniteacute Avec le temps

la logique et la discipline du trivium qui lui correspond ndash la dialectique ndash commencent agrave ecirctre vues

dans le milieu intellectuel comme les outils de la raison naturelle qui sont le moyen de comprendre

Dieu Lrsquoune des questions principales de la philosophie chreacutetienne du XIe siegravecle est de deacutefinir le

rocircle de ces outils face agrave lrsquoautoriteacute de lrsquoEcriture sainte Lrsquoactiviteacute intellectuelle des penseurs chreacutetiens

produit deux maniegraveres de raisonner qui srsquoopposent deacutejagrave au XIe siegravecle

- celle fondeacutee sur lrsquoautoriteacute

- celle fondeacutee sur lrsquoexamen naturel2

La notion de theacuteologie existait dans lrsquoAntiquiteacute Chez Platon le mot theologia deacutesigne la

mythologie chez Aristote la science divine chez Varron le discours rationnel sur le divin Mais

cette notion nrsquoa pas eacuteteacute reprise par Augustin qui influence en grande partie les penseurs du haut

Moyen Age La notion de partie theacuteologique de la philosophie apparaicirct chez Boegravece (De Trinitate)3

Agrave partir du Xe siegravecle les moines deacutesignent souvent leur activiteacute comme laquo vraie

philosophie raquo4 Il srsquoagit drsquoune vie consacreacutee agrave apprendre la doctrine chreacutetienne De maniegravere plus

geacuteneacuterale avant le XIIe siegravecle le mot theologia nrsquoeacutetait pas reacutepandu dans le milieu monastique

Lrsquoeacutetude de Dieu eacutetait le plus souvent deacutesigneacutee par le sacrum studium la sacra eruditio ou la sacra

doctrina5 Les rares lecteurs du pseudo-Denys entendaient par theologia le discours de Dieu ndash la

Bible elle-mecircme6

La renaissance du XIIe siegravecle se caracteacuterise eacutegalement par la reacuteception de lrsquoheacuteritage de la

philosophie ancienne7 Le problegraveme drsquoune conciliation entre les doctrines chreacutetienne et paiumlenne

1 Voir agrave ce propos SOLERE J-L laquo La philosophie des theacuteologiens raquo La servante et la consolatrice la philosophie dans ces rapports avec la theacuteologie au Moyen Age eacuted J-L SOLERE et Z KALUZA Paris p 21-22 O BOULNOIS laquo Introduction au volume II lrsquoentretien infini raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 13-14 2 Voir B GOEBEL laquo Autoriteacutes sacreacutees ou raisons dialectiques La querelle sur la meacutethode dans la theacuteologie du XIe siegravecle raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 105-113 3O BOULNOIS laquo Introduction au volume II lrsquoentretien infini raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 10-11 4 LECLERCQ J Etudes sur le vocabulaire monastique du moyen acircge Rome 1961 p 54-58 5 EVANS G R Old arts and new theology the beginnings of theology as an academic discipline Oxford 1980 p 29 6 POIREL D laquo Pierre Abeacutelard Hugues de Saint-Victor et la naissance de la theacuteologie raquo dans Perspectives meacutedieacutevales 31 2007 p 47-48 7Cf M-D CHENU La Theacuteologie au Douziegraveme Siegravecle ch V laquo Les platonismes du XII siegravecle raquo Paris 1957 p 108-141 S GERSH laquo Platonism-Neoplatonism- Aristotelianism A twelfth Century Metaphysical System and its Sources raquo dans Renaissance and Renewal in the twelfth Century Oxford 1982 p 512-534 M LEMOINE Theacuteologie et Platonisme au

6

revient agrave travers le conflit entre la theacuteologie monastique8 (eacutelaboreacutee dans les eacutecoles monastiques

dans le prolongement de la penseacutee des Pegraveres sapientielle non speacuteculative narrative alleacutegorique) et

scolastique (eacutelaboreacutee dans les eacutecoles urbaines systeacutematique speacuteculative dialectique)9 Un exemple

marquant de la relation entre ces deux courants est le conflit entre Bernard de Clairvaux le spirituel

et Abeacutelard le dialecticien10

La theacuteologie monastique se forme au sein des eacutecoles monastiques Elle est drsquoapregraves Jean

Leclercq laquo lrsquoauthentique continuation de la theacuteologie des Pegraveres elle est porteuse de toute la

tradition anteacuterieure et de toute la segraveve de la penseacutee patristique11 raquo Cette theacuteologie eacutetait destineacutee agrave

stimuler lrsquoexpeacuterience de la foi12 Jean Leclercq insiste sur la reconnaissance de la theacuteologie

monastique comme un courant important de penseacutee du XIIe siegravecle13 Il admet eacutegalement que les

repreacutesentants de ce courant se sont appeleacutes souvent laquo vrais philosophes raquo Ils suivaient la tradition

augustinienne de consideacuterer la vie asceacutetique et monastique comme veacuteritable laquo philosophie

chreacutetienne raquo14 Le mot theologia eacutetait plus rare dans leur usage Elle deacutesignait laquo la contemplation et

lrsquoexpression admirative enthousiaste que celle-ci reccediloit dans la priegravere15 raquo

La theacuteologie scolaire ou preacutescolastique se deacuteveloppe dans les eacutecoles urbaines16 comme

celles drsquoAbeacutelard ou drsquoAnselme de Laon destineacutees agrave former des laquo clercs raquo au double sens de ce

mot eccleacutesiastiques et savants Dans le prolongement des Opuscules theacuteologiques de Boegravece les

repreacutesentants de ces eacutecoles ont entrepris lrsquointerpreacutetation rationnelle de la foi par le moyen de la

dialectique et de la systeacutematisation de la theacuteologie17 Ils nrsquoheacutesitaient pas non plus agrave incorporer les

XIIe siegravecle Paris 1998 J MARENBON laquo Twelfth-Century Platonism Old Paths and New Directionsraquo dans Aristotelian Logic Platonism and the Context of Early Medieval Philosophy in the West Burlington 2000 XV p 1-21 8 Le terme a eacuteteacute introduit par Jean Leclercq en 1953 dans son article laquo Saint Bernard et la theacuteologie monastique Du XIIe siegravecleraquo dans Saint Bernard theacuteologien actes du Congregraves de Dijon 15-19 septembre 1953 Rome 1953 p 7-23 et deacuteveloppeacute dans son livre Lamour des lettres et le deacutesir de Dieu initiation aux auteurs monastiques du Moyen acircge Paris 1957 Ambrogio Piazzoni dit que ce terme sert plutocirct agrave valoriser lrsquoheacuteritage de la laquo peacuteriode obscure raquo entre Boegravece et Thomas drsquoAquin quand la theacuteologie speacuteculative nrsquoeacutetait pas encore deacuteveloppeacutee Il a eacuteteacute creacuteeacute suite agrave la sureacutevaluation de lrsquoheacuteritage scolastique du Moyen Age tardive A M PIAZZONI laquo Monaci teologi raquo dans Storia della Teologia nel Medioevo ed J drsquoONOFRIO t II La grande fioritura Casale Monferrato 1996 p121 9 Voir J LECLERCQ F VANDENBROUCKE L BOUYER La spiritualiteacute du Moyen Age Paris 1961 partie 2 chapitre 1 laquo Les milieux scolaires du XIIe siegravecle raquo p 275-282 CH LOHR laquo Theacuteologie meacutedieacutevale raquo dans Nouveau dictionnaire de theacuteologie eacuted P EICHER Paris 1996 p 974-978 A M PIAZZONI laquo Monaci teologi raquo dans Storia della Teologia nel Medioevo ed J drsquoONOFRIO t II La grande fioritura Casale Monferrato 1996 p 119-123 10Cf Jacques VERGER et Jean JOLIVET Bernard-Abeacutelard ou le cloicirctre et lrsquoeacutecole Paris 1982 P ZEBRI laquo lsquoTeologia monasticarsquo et lsquoteologia scolasticarsquo Letture riletture riflessioni sul contrasto tra san Bernardo di Chiaravalle e Abelardo raquo dans Medioevo e latinitagrave in memoria di Ezio Franceschini Milano 1993 p 479-494 11 J LECLERCQ Chances de la spiritualiteacute occidentale Paris 1966 p 200 12 A M PIAZZONI laquo Monaci teologi raquo dans Storia della Teologia nel Medioevo ed J drsquoONOFRIO t II La grande fioritura Casale Monferrato 1996 p 122 13 Voir J LECLERCQ Lamour des lettres et le deacutesir de Dieu initiation aux auteurs monastiques du Moyen acircge Paris 1957 chapitre IX laquo La theacuteologie monastique raquo 14 O BOULNOIS laquo Introduction au volume II lrsquoentretien infini raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 14 P NOUZILLE laquo Theacuteologie monastique contre dialectique raquo ibid p 151 LECLERCQ J Etudes sur le vocabulaire monastique du moyen acircge Rome 1961 p 58-65 15 LECLERCQ J Etudes sur le vocabulaire monastique du moyen acircge Rome 1961 p 72 16 J LECLERCQ Teacutemoins de la spiritualiteacute occidentale Paris 1965 p 289-290 17 J LECLERCQ laquo The Renewal of Theology raquo dans Renaissance and Renewal in the twelfth Century ed RL BENSON

7

doctrines des penseurs preacutechreacutetiens et surtout platoniciens dans leurs œuvres Vers la fin du XIIe ndash

deacutebut du XIIIe siegravecle ces eacutecoles se sont reacuteunies en une corporation qui est devenue lrsquouniversiteacute

parisienne Abeacutelard est aussi consideacutereacute comme responsable de la creacuteation de la notion

contemporaine de la theacuteologie comme la laquo science raquo de Dieu18

Au XIIe siegravecle tel qursquoil se preacutesente dans les recherches contemporaines il srsquoagit de

lrsquoopposition des penseurs claustraux et laquo seacuteculiers raquo Leurs deacutesaccords sont tant sur la meacutethode

(lrsquoexpeacuterience personnelle de la foi contre lrsquoeacutetude scientifique) que sur lrsquoobjectif (laquo enflammer le

cœur raquo et laquo nous faire participer agrave leur propre expeacuterience raquo19 contre construire la foi en tant que

systegraveme agrave partir des donneacutees incontestables) Crsquoest lagrave le conflit des laquo philosophes chreacutetiens raquo et de

la future theacuteologie systeacutematique Il est plus proche de lrsquoopposition entre lrsquoautoriteacute (car les vraies

philosophes eacutetaient le Christ Moiumlse et David20) et la raison (la dialectique) que de lrsquoopposition

contemporaine de la theacuteologie et de la philosophie

Il existe eacutegalement une troisiegraveme figure dans le paysage du XIIe siegravecle les chanoines

reacuteguliers Drsquoapregraves Jean Leclercq ils megravenent la vie des moines et srsquooccupent davantage de la cura

animarum21 Il constate aussi que la diffeacuterence entre les moines et les chanoines reacuteguliers nrsquoest pas

si frappante ndash leur but commun est lrsquoamour de Dieu ils megravenent la vie claustrale En mecircme temps

les chanoines reacuteguliers cherchent agrave retourner aux ideacuteaux de lrsquoeacuteglise primitive pour cultiver une vie

commune pauvre et apostolique avec un accent sur la preacutedication22 Caroline Bynum souligne que

les chanoines reacuteguliers se distinguent des moines en ce qursquoils pratiquent agrave la fois la contemplation et

lrsquoaction apostolique (preacutedication sacrements) et que pour eux la vie en communauteacute nrsquoest pas

seulement une neacutecessiteacute pratique mais aussi lrsquooccasion de vivre la chariteacute selon la Regravegle de saint

Augustin23

Saint-Victor est une abbaye de chanoines reacuteguliers suivant la regravegle de saint Augustin ce qui

permet de dire qursquoelle emprunte une laquo voie moyenne raquo entre les moines et les clercs24

G CONSTABLE CD LANHAM Oxford 1982 p 68-87 F DEL PUNTA C LUNA laquo La teologia scolastica raquo dans Lo spazio letterario del Medioevo Il medioevo latino vol I La produzione del testo t II dir G CAVALLO E MENESTO Romo 1993 p 330-332 La formation de la theacuteologie en tant que science ont eacuteteacute deacutecrite Gillian Evans dans Old arts and new theology the beginnings of theology as an academic discipline Oxford 1980 18 O BOULNOIS laquo Introduction au volume II lrsquoentretien infini raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 15 G DAHAN laquo Exeacutegegravese et theacuteologie raquo ibid p 76 19 J LECLERCQ laquo Saint Bernard et la theacuteologie monastique Du XIIe siegravecle raquo dans Saint Bernard theacuteologien actes du Congregraves de Dijon 15-19 septembre 1953 Rome 1953 p 15 20 LECLERCQ J Etudes sur le vocabulaire monastique du moyen acircge Rome 1961 p 59-60 21 J LECLERCQ Teacutemoins de la spiritualiteacute occidentale Paris 1965 p 216-217 Sur la diffeacuterence entre les eacutecoles urbaines voir eacutegalement F DEL PUNTA C LUNA laquo La teologia scolastica raquo dans Lo spazio letterario del Medioevo Il medioevo latino vol I La produzione del testo t II dir G CAVALLO E MENESTO Romo 1993 p 329-331 22 CHATILLON J Le mouvement canonial au Moyen acircge reacuteforme de lrsquoEacuteglise spiritualiteacute et culture eacutetudes reunies par P SICARD Paris-Turnhout 1992 (Bibliotheca victorina 3) p 44-45 et 66 23 Cf BYNUM CW Jesus as mother studies in the spirituality of the High Middle Ages Berkeley-Los Angeles-London 1982 24 J CHATILLON laquo Lrsquoeacutecole de Saint-Victor raquo dans Communio t 6 n 5 1981 p 63 M LEMOINE laquo Les notion de ldquophilosopherdquo et ldquophilosophierdquo dans lrsquoeacutecole de Saint-Victor raquo dans Langage sciences philosophie au XIIe siegravecle eacuted J

8

Lrsquoenseignement au sein de son eacutecole combine la dispute et la meacuteditation lrsquoardeur et lrsquohumiliteacute25

Crsquoest probablement la raison pour laquelle certains chercheurs opposent la penseacutee des victorins au

reste de la scolastique naissante26 mais certains la mettent agrave son avant-garde27

Hugues de Saint-Victor est connu notamment comme un maicirctre qui a ordonneacute et

systeacutematiseacute les savoirs pour des besoins peacutedagogiques (le Didascalicon) et qui a inspireacute une pleacuteiade

drsquoautres penseurs victorins28 Drsquoapregraves Patrick Healy29 cette systeacutematisation servait agrave preacuteparer le

disciple agrave la contemplation et agrave exprimer lrsquoexpeacuterience spirituelle Dans le Didascalicon I IV-V la

philosophie est expliqueacutee comme un recueil des savoirs humains et divins30 Dominique Poirel

caracteacuterise le rocircle de la theacuteologie chez Hugues comme laquo la partie de la philosophie son sommet et

son deacutepassement31 raquo Hugues reconnaicirct la valeur de la theacuteologie ancienne et de la sagesse

mondaine (sagesse naturelle des Anciens) mais il met au sommet des savoirs la sagesse divine

expliqueacutee agrave travers laquo une penseacutee christocentrique et biblique raquo32

Il existe ainsi une tendance agrave preacutesenter les victorins en tant que maicirctres de la scolastique

naissante qui se concentraient neacuteanmoins sur les moyens de se preacuteparer agrave la contemplation de la

diviniteacute Il semble que la philosophie soit toujours auxiliaire dans leur doctrine Pourtant avec

Achard de Saint-Victor on a affaire agrave un penseur original et drsquoenvergure comparable agrave Thierry de

Chartres et agrave Gilbert de Poitiers qui fut fascineacute par la question de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute au point

que sa reacuteflexion sur ce sujet finit par prendre son indeacutependance par rapport agrave la question

BIARD Paris 1999 p 19 D POIREL laquo Scholastic Reasons Monastic Mediations and Victorine Conciliations The Question of the Unity and Plurality of God in the 12th Century raquo dans The Oxford Handbook of Trinity eacuted G EMERY OP M LEVERING Oxford 2011 p 168 D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p461 25 POIREL D laquo lsquoApprends toutrsquo Saint-Victor et le milieu des victorins agrave Paris 1108-1330 raquo dans Lieux de savoir 1 Espaces et communauteacutes eacuted C JACOB Paris 2007 p 318 26 Par exemple Franccedilois Vandenbrouck oppose les conceptions christologiques eccleacutesiales et sacramentaires drsquoHugues agrave la meacutetaphysique agrave lrsquoanthropologie agrave la psychologie et agrave la morale des eacutecoles et des universiteacutes dans J LECLERCQ F VANDENBROUCKE L BOUYER La spiritualiteacute du Moyen Age Paris 1961 p 285 Dom Guy Oury valorise aussi lrsquoheacuteritage spirituel des victorins Cf lrsquoarticle laquo Spiritualiteacute et mystique raquo dans Dictionnaire des lettres franccedilaises t1 Le Moyen Age eacuted R BOSSUAT L PICHARD et G R DE LAGE Paris 1964 p 1409 Voir aussi le chapitre laquo The Victorine Ordering of Mysticism raquo dans B MCGINN The growth of mysticism New York 1999 p 363-418 27 Charles Lohr trouve que laquo Par son Didascalicon Hugues de Saint-Victor a permis non seulement de transfeacuterer agrave la theacuteologie la terminologie philosophique mais aussi drsquoeacutelaborer une veacuteritable doctrine scientifique raquo LOHR CH laquo Theacuteologie meacutedieacutevale raquo dans Nouveau dictionnaire de theacuteologie eacuted P EICHER Paris 1996 p 977 Marie-Dominique Chenu trouve que laquo la raison theacuteologique demeure communicable comme telle raquo mecircme chez Richar de Saint-Victor M-D CHENU La Theacuteologie au Douziegraveme Siegravecle Paris 1957 p 345 28 Voir D POIREL Hugues de Saint-Victor Paris 1998 p 134 29 P J HEALY laquo The Mysticism of the School of Saint Victor raquo dans Church History Vol 1 N 4 1932 p 213-214 30 laquo Philosophia est disciplina omnium rerum humanarun atque divinarum rationes plene investigans raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Didascalicon de Studio legendi a critical text I IV ed CH H BUTTIMER Washington 1939 p 11 = PL176 744C 31 D POIREL laquo De la lsquofides querens intellectumrsquo agrave la theacuteologie scolastique Hugues de Saint-Victor et Gilbert de la Porreacute raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 166 32 POIREL D laquo Pierre Abeacutelard Hugues de Saint-Victor et la naissance de la theacuteologie raquo dans Perspectives meacutedieacutevales 31 2007 p 83

9

theacuteologique de deacutepart qui portait sur la Triniteacute Comment donc lrsquoeacutecole de Saint-Victor a-t-elle pu

produire une œuvre aussi profondeacutement meacutetaphysicienne que le De unitate

Le but de notre thegravese est ainsi de confirmer que lrsquoheacuteritage de lrsquoeacutecole de Saint-Victor et

notamment celui drsquoHugues et de Richard incorpore des eacuteleacutements de la meacutetaphysique platonicienne

Et crsquoest le De unitate drsquoAchard ndash une œuvre qui nrsquoa pas eacuteteacute suffisamment consideacutereacutee dans son cadre

victorin ndash dont lrsquoeacutetude permettra de valoriser la partie meacutetaphysique et platonicienne de lrsquoheacuteritage

de lrsquoeacutecole de Saint-Victor

A la recherche du platonisme

Le nom mecircme de lrsquoœuvre drsquoAchard (le De unitate et pluralitate creaturarum) eacutevoque son

problegraveme principal ndash la conciliation de lrsquoun et du multiple Ce problegraveme est ainsi au cœur de notre

questionnement Il engendre beaucoup drsquointerrogations En reacutealiteacute crsquoest une source ineacutepuisable de

conflits meacutetaphysiques depuis le deacutebut de la penseacutee

Le recours agrave des principes matheacutematiques pythagoriciens de base fait remarquer une relation

de deacutependance entre lrsquoun et le multiple Le postulat pythagoricien mettant lrsquoun agrave lrsquoorigine de tous

les nombres deacutetermine la destineacutee philosophique de ce couple drsquooppositions

Mais quand on srsquoappuie sur lrsquoun et le multiple afin drsquoexpliquer la structure du monde

beaucoup de problegravemes srsquoimposent immeacutediatement La pluraliteacute apparaicirct-elle plus tard que lrsquouniteacute

Et si oui pourquoi doit-elle apparaicirctre Et sinon comment est-il possible que la source de la

pluraliteacute soit deacutejagrave dans lrsquouniteacute Lrsquouniteacute est-elle par conseacutequent exclue de notre vision du monde

Et dans quelle mesure ces deux principes (lrsquouniteacute et la pluraliteacute) sont-ils instancieacutes dans les ecirctres qui

en proviennent Ces questions ont eacuteteacute transmises au XIIe siegravecle avec lrsquoheacuteritage platonicien

En parlant de lrsquoinfluence de Platon au Moyen Age Raymond Klibansky33 distingue la

tradition directe et indirecte de la transmission de ses textes Le seul texte de Platon connu jusqursquoau

milieu du XIIe siegravecle une partie du Timeacutee (17A-53C) traduite par Calcidius repreacutesente la tradition

directe En ce qui concerne la tradition indirecte de la transmission de la doctrine platonicienne les

chercheurs contemporains estiment que la plus grande contribution a eacuteteacute apporteacutee par les penseurs

qui vivaient entre le IIe siegravecle avant J-C et le VIe apregraves J-C La penseacutee de cette eacutepoque est parfois

diviseacutee en deux peacuteriodes meacutedioplatonisme et neacuteoplatonisme34

33 R KLIBANSKY The Continuity of the Platonic Tradition during the Middle Ages Platorsquos Parmenides in the Middle Ages and the Renaissance London 1982 34 Pour observer les points de vue principaux voir S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol I Notre Dame 1986 p 26-50 M ZAMBON Porphyre et le moyen-platonisme Paris 2002 (Histoire des doctrines de lrsquoAntiquiteacute classique 27) p 23-28

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Il existe un certain scepticisme concernant la deacutefinition du meacutedioplatonisme comme un

courant laquo indeacutependant raquo de penseacutee vu qursquoil est difficile de trouver des caracteacuteristiques qui le

rendraient diffeacuterent du neacuteoplatonisme35 Les doctrines des meacutedioplatoniciens sont assez variables

et pourtant la plupart de leurs eacuteleacutements doctrinaux seront repris plus tard par les neacuteoplatoniciens Il

est difficile drsquoeacutevoquer leurs doctrines comme constituant un courant de penseacutee unique Par exemple

Marco Zambon deacutefinit le meacutedioplatonisme comme laquo lrsquointense travail drsquoune systeacutematisation

dogmatique de la penseacutee platonicienne qui srsquoest opeacutereacute par le biais drsquoune seacuterieuse confrontation non

seulement entre les eacutecoles mais aussi entre les diffeacuterentes images de Platon qui circulaient agrave

lrsquoeacutepoque36 raquo Drsquoapregraves lui ce pluralisme termine avec lrsquoarriveacutee de Plotin

James Dillon dans son livre The Middle Platonists37 eacutetudie ce courant de la penseacutee

platonicienne agrave part Mecircme srsquoil traite chaque auteur seacutepareacutement il trouve que les platoniciens de

cette peacuteriode ont eu des caracteacuteristiques communes le dogmatisme lrsquoacceptation des doctrines

aristoteacuteliciennes et stoiumlciennes lrsquoinfluence du pythagorisme Dillon propose eacutegalement une bregraveve

introduction ougrave sont eacutenumeacutereacutes les eacuteleacutements doctrinaux communs aux meacutedioplatoniciens heacuteriteacutes des

systegravemes philosophiques anteacuterieurs

Stephen Gersh deacutefinit le neacuteoplatonisme comme une philosophie systeacutematique deacuteveloppeacutee agrave

partir de la triade de lrsquoUn de lrsquoIntellect et de lrsquoAme ordonneacutee hieacuterarchiquement38 Des tenants de

lrsquoideacutee que le neacuteoplatonisme est un courant original de la penseacutee diffeacuterent du platonisme en geacuteneacuteral

proposent eacutegalement leurs propres deacutefinitions du neacuteoplatonisme en eacutevoquant ses caracteacuteristiques

principales39

Ainsi comme le dit Stephen Gersh il est toujours discutable de savoir si ces deux courants

ont une veacuteritable distinction doctrinale ou srsquoil srsquoagit simplement de deux peacuteriodes de

deacuteveloppement du platonisme dont la deuxiegraveme commence avec Plotin

Mecircme si Stephen Gersh considegravere la distinction entre le neacuteoplatonisme et le

meacutedioplatonisme comme purement chronologique et non doctrinale dans son livre Middle

Platonism and Neoplatonism il distingue neacuteanmoins le meacutedioplatonisme (du Ier siegravecle avant J-C

jusqursquoau IIIe siegravecle apregraves J-C) du neacuteoplatonisme (agrave partir du IIe siegravecle apregraves J-C) Pour structurer

sa recherche sur la penseacutee platonicienne latine Gersh fait la diffeacuterence entre (i) le meacutedioplatonisme 35 Par exemple Pauliina Remes deacutecrit les points communs du moyen-platonisme et neacuteoplatonisme heacuteriteacutes de la doctrine de Platon P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 3 voir aussi E IVAacuteNKA Plato christianus La reacuteception critique du platonisme chez les Pegraveres de lrsquoEacuteglise Paris 1990 (Theacuteologiques 5) p 85 en eacutetudiant le platonisme de lrsquoeacutecole de Chartres Michel Lemoine classifie toute la tradition indirecte comme le neacuteoplatonisme Voir M LEMOINE Theacuteologie et Platonisme au XIIe siegravecle Paris 1998 p 50-63 36 M ZAMBON Porphyre et le moyen-platonisme Paris 2002 (Histoire des doctrines de lrsquoAntiquiteacute classique 27) p 28 Pour ecirctre plus preacutecis il faut ajouter que Marco Zambon preacutefegravere traiter tous les platoniciens drsquoavant et apregraves Plotin du point de vue de leur originaliteacute et non comme repreacutesentants de tel ou tel courant de penseacutee ibid p 339-340 37 JM DILLON The Middle Platonists 80 DC to AD 220 London 1977 38 Voir S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 114 39 La bibliographie agrave propos de la question si le neacuteoplatonisme est diffegraverent du platonisme cf P MERLAN From Platonism to Neoplatonism The Hague 1953 p 6

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chreacutetien (Tertullien Lactance et Arnobe) (ii) le meacutedioplatonisme paiumlen (Ciceacuteron Seacutenegraveque Gellius

Apuleacutee) (iii) le neacuteoplatonisme chreacutetien (Marius Victorinus Ambroise Augustin) (iv) le

neacuteoplatonisme paiumlen (Macrobe et Martianus Capella)40 Boegravece et Jean Scot Erigegravene peuvent

eacutegalement ecirctre ajouteacutes agrave la liste des auteurs latins influenceacutes par des neacuteoplatoniciens41

Voyons les traits principaux du meacutedioplatonisme et du neacuteoplatonisme dans les œuvres des

penseurs paiumlens et chreacutetiens surtout chez les penseurs connus au XIIe siegravecle Nous pouvons nous

appuyer sur lrsquoideacutee de Stephen Gersh de la transmission des eacuteleacutements doctrinaux de la philosophie

ancienne (grecque) dans la philosophie latine en en tant que philosophegravemes42

Le meacutedioplatonisme

James Dillon deacutecrit les questions principales et les principes du meacutedioplatonisme qui nous

inteacuteressent dans le cadre de cette recherche43

1) La monade et la dyade en tant que premiers principes ont eacuteteacute deacutecrites par Eudore

drsquoAlexandrie et par Plutarque Augustin parle briegravevement de la dualitas (il demande si Dieu peut

ecirctre dualiteacute44)

2) La hieacuterarchie des trois niveaux est deacutejagrave preacutesente chez des meacutedioplatoniciens45

Lrsquointellect suprecircme (nous) est le premier principe46 les ideacutees qui sont dans lrsquointellect deviennent

imprimeacutees dans la matiegravere La triple structure de la reacutealiteacute ndash le deacutemiurge les ideacutees et la matiegravere ndash est

exposeacutee dans le Timeacutee (27c-29d) et reacutepeacuteteacutee par Apuleacutee (Platon et sa doctrine V 190)47 Un

exemple classique drsquoun tel systegraveme (les ideacutees-raisons qui sont dans lrsquointellect de Dieu) est preacutesenteacute

dans la Quaestio de ideis (De diversis quaestionibus 83 qu 46) 40 S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol I Notre Dame 1986 p 25 41 R B HARRIS laquo A brief Description of Neoplatonisme raquo dans The Significance of neoplatonism eacuted R HARRIS Norfolk 1976 (Studies in neoplatonism 1) p 15-16 42 S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 116-117 43 JM DILLON The Middle platonists A study of platonism 80 B C to A D 220 London 1977 p 45-49 Cf S LILLA Introduzione al medio platonismo Roma 1992 (Sussidi patristici 6) p 5-8 44 laquo Sed quid agimus quia cum duo mitterentur ad Sodomam apparentes fratri Abrahae Loth et ipse agnoscit in eis diuinitatem et cum duos uideat dominum appellat Et ille in tribus dominum et ille in duobus dominum Ne separemus ergo trinitatem et faciamus in Sodoma dualitatem puto quia melius intellegimus quia patres nostri dominum in angelis agnoscebant habitantem in habitatione intellegebant non portantibus sed insidenti gloriam dabant raquo AUGUSTIN Sermo VII 6 eacuted C LAMBOT Turnhout 1961 (CCSL 41) p 74 45 D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 10-11 46 Pauliina Remes et Salvatore Lilla tracent lrsquoorigine de ce principe agrave partir des doctrines de la reacutealiteacute intelligible de Platon et de lrsquointellect parfait seacutepareacute drsquohumains drsquoAristote P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 5 S LILLA Introduzione al medio platonismo Roma 1992 (Sussidi patristici 6) p 6 47 Voir M ZAMBON Porphyre et le moyen-platonisme Paris 2002 (Histoire des doctrines de lrsquoAntiquiteacute classique 27) p 30 D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 31

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Les ideacutees sont parfois conccedilues comme les penseacutees de Dieu48 et dans ce cas elles sont sur le

mecircme niveau ontologique que lui Et parfois elles lui sont infeacuterieures dans lrsquoordre causal49

3) En mecircme temps que Dieu il existe souvent un autre principe premier ndash une sorte du

creacuteateur immanent ndash lrsquoAme du monde (Timeacutee) ou le Logos (Philon drsquoAlexandrie) Lrsquoacircme du monde

est preacutesente dans le commentaire de Calcidius (Commentarius 26) le Logos a eacuteteacute transmis dans la

philosophie chreacutetienne latine en tant que Verbe de Dieu ou sa Sagesse50

4) Lrsquoopposition entre deux niveaux ndash intelligible et sensible ndash srsquoexprime dans le

dualisme ideacutees-objets sensibles Ces derniers sont des laquo demi-reacutealiteacutes raquo des imitations imparfaites

des ideacutees51 Le monde mateacuteriel est constitueacute de quatre ou cinq eacuteleacutements (par exemple Calcidius

Commentarius 272) La matiegravere informe est un principe qui existe agrave part La creacuteation est effectueacutee

agrave partir de la matiegravere

Pour conclure des principes du meacutedioplatonisme ont eacuteteacute retenus dans la philosophie latine

tardo-antique tels ceux qui viennent drsquoecirctre deacutecrites Mecircme si agrave partir IVe siegravecle apregraves J-C il est

difficile de classer les auteurs latins en tant que meacutedioplatoniciens laquo purs raquo52 nous pouvons

retrouver les eacuteleacutements du meacutedioplatonisme dans leurs doctrines

Le neacuteoplatonisme

Lrsquoimage du neacuteoplatonisme que nous prenons en compte en eacutetudiant le De unitate srsquoest

formeacutee dans les travaux de Stephen Gersh Alain de Libera Christophe Erismann Marco Zambon

Pauliina Remes etc Voici les principaux eacuteleacutements doctrinaux du neacuteoplatonisme

48 Voir A RICH laquo The Platonic Ideas as the Thoughts of God raquo dans Mnemosyne Fourth Series Vol 7 Fasc 2 1954 p 123-133 49 D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 28 50 Voir agrave ce propos notre exposeacute sur lrsquohistoire de la doctrine du Verbe de Dieu dans le chapitre VII laquo La pluraliteacute des raisons dans le Verbe raquo 51 D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 20 52 Par exemple James Dillon trouve que le penseur tardo-antique Calcidius ne sort pas du cadre du moyen-platonisme (Cf The Middle platonists A study of platonism 80 B C to A D 220 London 1977 p 401-408) tandis que Stephen Gersh insiste sur la structure neacuteoplatonicienne de la doctrine de ce dernier (S GERSH laquoCalcidiusrsquo Theory of First Principles raquo dans Studia Patristica 182 Papers of 1983 Oxford Patristic Conference 1989 p 85ndash92) Dans son livre Middle Platonism and Neoplatonism Gersh met Augustin parmi les neacuteoplatoniciens latins agrave lrsquoexception de son œuvre Quaestio ldquoDe Ideisrdquo qui srsquoappuie plus sur Ciceacuteron voir S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol I Notre Dame 1986 p 411-413 Jean Peacutepin trouve que la preacutesence des eacuteleacutements des traiteacutes I 6 et V 1 du Sur le Beau de Plotin est plus importante dans cette œuvre J PEacutePIN laquo Augustin Quaestio ldquoDe Ideisrdquo Les affiniteacutes plotiniennes raquo dans From Athens to Chartres Neoplatonism and Medieval thought Studies in honour of Edouard Jeauneau H J WESTRA amp BP STOCK Leiden New York Koumlln 1992 (Studien und Texte zur Geistesgeschichte des Mittelalters 35) p 117-134

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1) Il existe une source ou un principe unique qui se multiplie afin de creacuteer le monde La

source ou le premier principe creacutee ou srsquoeacutepanche agrave travers ces effets La source est trop parfaite

elle a besoin de prolifeacuterer Par suite les effets partagent la nature de la cause mais de maniegravere

deacuteficiente Tout ce qui provient du premier principe est plus faible sous certains aspects (en beauteacute

bonteacute perfection etc)53 Les relations entre le premier principe et ses effets sont causales et non

neacutecessairement temporelles54

Le principe est manifesteacute dans les ecirctres Selon Plotin tous les ecirctres teacutemoignent de lrsquouniteacute

primordiale Lrsquouniteacute est aussi la source de la beauteacute des choses55 Le principe est ainsi relieacute

directement aux choses

LrsquoUn dans le neacuteoplatonisme se deacuteveloppe agrave travers des hypostases lrsquoUn lrsquoIntellect et

lrsquoAme pour Plotin lrsquoEtre lrsquoIntellect et la Vie pour Porphyre Dieu (summus deus) lrsquoEsprit (mens

nous) et lrsquoAme (anima) pour Macrobe56 Les parallegraveles entre cette approche et la deacutefinition des

personnes de la Triniteacute dans le De vera religione drsquoAugustin ont eacuteteacute remarqueacutes par Stephen Gersh

Augustin met lrsquoaccent sur le fait que les personnes de la Triniteacute sont des principes qui opegraverent afin

que les choses soient creacuteeacutees Par exemple la premiegravere personne assure lrsquoecirctre de la chose la

deuxiegraveme sa forme et la troisiegraveme sa bonteacute En outre la relation entre les choses et leur creacuteateur

srsquoexplique agrave travers la relation de la premiegravere et de la deuxiegraveme personne de la Triniteacute agrave savoir de

lrsquoecirctre agrave la similitude57

Ainsi lrsquoideacutee neacuteoplatonicienne de la procession de tout agrave partir de sa source se traduit dans la

procession interne des personnes de la Triniteacute mais aussi dans la procession externe des creacuteatures agrave

partir de la Triniteacute58

2) Diffeacuterents niveaux meacutetaphysiques portent les entiteacutes ontologiquement diffeacuterentes de

la source59 Cela forme la hieacuterarchie verticale La source est tellement puissante et parfaite qursquoelle

laquo srsquoeacutepanche raquo laquo prolifegravere raquo ce qui megravene agrave la creacuteation des niveaux infeacuterieurs60

53 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 7 critegravere i p 42-43 principe I M ZAMBON Porphyre et le moyen-platonisme Paris 2002 (Histoire des doctrines de lrsquoAntiquiteacute classique 27) p 23 54 Ce principe a eacuteteacute deacutecrit en particulier par J Dillon et L Gerson Voir laquo Introduction raquo dans Neoplatonic philosophy introductory readings ed J DILLON et P L GERSON Indianapolis 2004 p XX 55 Notamment chez Plotin voir E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 132-137 56 S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 114 125-126 57 Ibid p 114 124-125 58 Le dogme chreacutetien de lrsquoalteacuteriteacute de la nature divine par rapport agrave la nature du monde srsquoimpose que la procession des choses ne peut pas ecirctre directe Nous allons aborder ce problegraveme dans la deuxiegraveme partie de notre recherche 59 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 7 critegravere ii 60 Ibid p 43 principe II

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Dans le neacuteoplatonisme de Plotin et de ses premiers disciples il y a toujours lrsquoUn qui est en

haut et drsquoougrave le reste provient (laquo eacutemane raquo) LrsquoUn reste au-delagrave de lrsquoecirctre Crsquoest un principe

transcendant61

Les entiteacutes deacuteriveacutees sont concevables tandis que le premier principe est ineffable62 Le

scheacutema de lrsquoeacutemanation selon Plotin est lrsquoUn lrsquoIntellect lrsquoAme le domaine du sensible la

matiegravere63 Le terme preacuteceacutedant est agrave lrsquoorigine du terme suivant il le cause Chaque terme suivant

deacutepend du terme preacuteceacutedent64

Dans le poegraveme 9 du livre III du De consolatione philosophiae Boegravece deacuteveloppe une

doctrine cosmologique de provenance neacuteoplatonicienne qursquoil attribue explicitement agrave Platon65 Il

parle du Pegravere creacuteateur immuable atemporel qui donne le mouvement et creacutee le temps du modegravele

ceacuteleste (la beauteacute parfaite le souverain bien) de lrsquoacircme du monde et des acircmes Ce scheacutema est

reacuteversible Les uniteacutes produites deacutesirent rentrer dans leur source lrsquoun

Dans la philosophie chreacutetienne Dieu et le monde sont seacutepareacutes Dieu ne srsquoeacutepanche pas

directement dans le monde Il contient en lui son prototype intelligible

En mecircme temps dans le scheacutema neacuteoplatonicien la geacuteneacuteration des niveaux est atemporelle

Elle sert en tant que meacutetaphore afin drsquoexpliquer la structure du monde ougrave nous existons Cette

particulariteacute permet de rapprocher la hieacuterarchie ontologique du monde de lrsquooutillage

eacutepisteacutemologique qursquoAristote utilise pour deacutecrire la reacutealiteacute sensible Un exemple de cette approche se

trouve dans lrsquoIsagoge de Porphyre Dans son article laquo Processio id est multiplicatio raquo Christophe

Erismann montre comment Porphyre interpregravete les Cateacutegories drsquoAristote dans le cadre de

lrsquoontologie neacuteoplatonicienne66 Cela implique une sorte de laquo renversement raquo de la doctrine

eacutepisteacutemologique drsquoAristote Pour Porphyre les substances secondes (les genres et les espegraveces) ont

la primauteacute ontologique sur les substances premiegraveres les dix cateacutegories sont les genres suprecircmes de

lrsquoecirctre et les principes de la reacutealiteacute

Lrsquoun des aspects de la doctrine de la procession est la participation Les ecirctres proviennent les

uns des autres (les infeacuterieurs des supeacuterieurs) les ecirctres infeacuterieurs peuvent participer aux ecirctres

supeacuterieurs Le terme de participation apparaicirct chez Alexandre drsquoAphrodise comme le reacutesultat de

61 E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 119 62 Ici nous preacutepons aussi quelques critegraveres pour diffeacuterencier neacuteoplatonismes des autres doctrines proposeacutes par Pauliina Remes P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 7 Voir le critegravere i 63 Ibid 2008 p 58 Drsquoapregraves Marco Zambon il nrsquoexiste pas de meacutediation entre lrsquointelligible et sensible dans le systegraveme de Plotin Lrsquoecirctre est au-delagrave du monde de devenir Contrairement agrave lui Porphyre fonde laquo une conception graduelle et hieacuterarchique de lrsquoecirctre raquo M ZAMBON Porphyre et le moyen-platonisme Paris 2002 (Histoire des doctrines de lrsquoAntiquiteacute classique 27) p 341-2 64 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 43-45 principes III et IV Cf D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 13-15 65 S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 117 66 CHR ERISMANN laquo Processio id est multiplicatio Lrsquoinfluence latine de lrsquoontologie de Porphyre le cas de Jean Scot Erigegravene raquo dans Revue des Sciences Philosophiques et Theacuteologiques t 88 2004 p 401-460

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laquo la hieacuterarchisation des ecirctres par rapport agrave un premier raquo afin de reacutesoudre le problegraveme du rapport

entre laquo les ecirctres ordonneacutes suivant lrsquoanteacuterieur et le posteacuterieur agrave partir drsquoun premier67raquo

Des doctrines de la participation ont eacuteteacute deacuteveloppeacutees par Augustin (De Trinitate VII I 2) et

Erigegravene (Periphyseon II)68

3) La conjonction de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute apparaicirct au cours de la descente du haut

vers le bas Lrsquouniteacute est plus intense en haut et la varieacuteteacute apparaicirct au fur et mesure de la descente vers

le bas69 En mecircme temps ce qui est en haut est constant ce qui est en bas changeant

Selon Endre von Ivaacutenka lrsquoeacutepisteacutemologie du neacuteoplatonisme se caracteacuterise par

laquo lrsquolsquoentrelacementrsquo universel du monde des Ideacutees le principe selon lequel les reacutealiteacutes se

particularisent et se divisent quand on descend lrsquoeacutechelle des ecirctres alors qursquoelles se geacuteneacuteralisent et

lsquosrsquounifientrsquo quand on la remonte70 raquo

En outre ce qui est en haut de la hieacuterarchie est toujours plus puissant et simple ce qui est en

bas moins puissant et plus complexe Ce principe selon Pauliina Reims provient de Platon (la

doctrine qursquoil existe un ecirctre qui serait agrave lrsquoorigine de tous ceux qui sont contraires dans le monde

Parm 127e2ndash8) et drsquoAristote (la doctrine que les ecirctres muables ne donnent pas la base agrave la penseacutee

Metaph Α 6 987a30)71 Ces deux doctrines incitent les neacuteoplatoniciens agrave accepter une prolifeacuteration

de niveaux ce qui permet drsquoaffirmer la simpliciteacute du premier principe par rapport agrave la complexiteacute

des ecirctres dans le monde

Selon Plotin le premier principe est simple et en mecircme temps il contient toutes les choses

sans distinction72

Lrsquoun des aspects de la multiplication des entiteacutes est lrsquoexistence des formes en tant que

prototypes des choses La question a eacuteteacute poseacutee par Platon dans son Parmeacutenide (130endash131e) La

doctrine de la participation (metexis) a eacuteteacute proposeacutee comme solution

La deacutependance des creacuteatures vis-agrave-vis de lrsquouniteacute supeacuterieure en Dieu a eacuteteacute discuteacutee par

Augustin (De vera religione XXXIV 66) Christophe Erismann voit le monde drsquoAugustin comme

laquo un vaste chaicircne causale ougrave des entiteacutes plus lsquopuissantesrsquo donnent lrsquoecirctre agrave des entiteacutes moindres73 raquo

67 J LONFAT laquo Archeacuteologie de la uniteacute drsquoanalogie drsquoAristote agrave Saint Thomas drsquoAquin raquo dans Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Age t 71 2004 p 56 68Voir le chapitreV15 laquo La participation chez Erigegravene raquo 69 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 7-8 Voir le critegravere iii 70 E IVAacuteNKA Plato christianus La reacuteception critique duplatonisme chez les Pegraveres de lrsquoEacuteglise Paris 1990 (Theacuteologiques 5) p 15-6 71 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 40-41 72 E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 126 73 CHR ERISMANN laquo La divisibiliteacute de lrsquoespeacutece selon Augustin De Trinitate VII raquo dans Le De Trinitate de Saint Augustin Exeacutegegravese logique noeacutetique eacuted E BERMON et G OrsquoDALY Paris 2012 p 149 Voir eacutegalement la suite p 150-151

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4) Il existe une connexion tregraves forte entre la reacutealiteacute intelligible contenue dans lrsquoesprit ou

lrsquoacircme humaine et la reacutealiteacute exteacuterieure Cela est possible gracircce agrave la connexion speacuteciale que lrsquoacircme

humaine a avec des niveaux supeacuterieurs de la reacutealiteacute (lrsquoUn)74 Un exemple de cette connexion est la

doctrine de la connaissance intuitive drsquoAugustin Cristina drsquoAncona Costa trace le deacuteveloppement

de la doctrine de la connaissance divine agrave partir du Dieu drsquoAristote qui ne connaicirct que lui-mecircme

mais qui est neacuteanmoins le premier principe jusqursquoagrave la deuxiegraveme hypostase de Plotin Cette

hypostase est en mecircme temps lrsquointellect divin et les formes intelligibles connues par cet intellect75

Plotin va jusqursquoagrave identifier lrsquoecirctre et la penseacutee (lrsquointellect)76 Proclus ajoute que Dieu connaicirct des

ecirctres sensibles de maniegravere intelligible (indivisible atemporelle et neacutecessaire) sans que cela entraicircne

le moindre changement en lui77 Cette doctrine a eacuteteacute reprise par le pseudo-Denys et a influenceacute le

Livre des causes78

5) Tous les ecirctres qui ne sont pas de nature intelligible sont imparfaits Ils souffrent en

souhaitant revenir agrave lrsquouniteacute intelligible primordiale Le monde sensible est compris gracircce agrave son

composant intelligible Etant en bas de la hieacuterarchie ontologique il est complexe dans son contenu

La maniegravere dont il est expliqueacute (souvent agrave travers la similitude) est elle-mecircme complexe79

Lrsquointelligible est la source totale des diffeacuterents aspects des sensibles Et pourtant il nrsquoest pas

impliqueacute dans lrsquoaspect infeacuterieur du monde sensible80

La doctrine de la production du monde sensible agrave travers le monde intelligible a eacuteteacute

deacuteveloppeacutee notamment par Calcidius (Commentarius in Platonis Timaeum I 23-25)

Le niveau meacutetaphysique le plus bas est la matiegravere Le neacuteoplatonisme heacuterite la conception

aristoteacutelicienne drsquoune matiegravere premiegravere imperceptible En mecircme temps Plotin traite la matiegravere

comme une privation de la forme81 Il existe aussi une autre sorte de matiegravere ndash celle qui fusionne

avec la forme Cette matiegravere est perceptible agrave travers les formes et drsquoapregraves certains platoniciens

elle est une source drsquoindividuation82

74 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 8 le critegravere iv 75С DrsquoANCONA COSTA laquo Proclus Denys le Liber de Causis et la science divine raquo dans Le contemplateur et les ideacutees modegraveles de la science divine du neacuteoplatonisme au XVIIIe siegravecle eacuted O BOULNOIS J SCHMUTZ et J-L SOLERE Paris 2002 (Bibliothegraveque drsquohistoire de la philosophie nouvelle seacuterie) p 27 76 D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 37-38 77 С DrsquoANCONA COSTA laquo Proclus Denys le Liber de Causis et la science divine raquo dans Le contemplateur et les ideacutees modegraveles de la science divine du neacuteoplatonisme au XVIIIe siegravecle eacuted O BOULNOIS J SCHMUTZ et J-L SOLERE Paris 2002 (Bibliothegraveque drsquohistoire de la philosophie nouvelle seacuterie) p 31 78Ibid p 37 79 Cf laquo Introduction raquo dans Neoplatonic philosophy introductory readings ed JDillon et P L Gerson Indianapolis 2004 p XXI 80 OrsquoMEARA D J Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 77 et 97 81 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 83 82 Ibid p 128

17

Les platonismes de la premiegravere moitieacute du XIIe siegravecle

Lrsquoune des raisons de notre inteacuterecirct pour la tradition platonicienne consiste dans le fait que le

De unitate appartient au premier acircge83 de la meacutetaphysique meacutedieacutevale avant lrsquointroduction des

nouvelles traductions des œuvres drsquoAristote Ainsi toutes les questions logiques et seacutemantiques qui

y sont preacutesentes proviennent de la tradition platonicienne qui a adopteacute plusieurs eacuteleacutements

aristoteacuteliciens au cours de son deacuteveloppement

En donnant lrsquohistoriographie des eacutetudes du platonisme au XIIe siegravecle John Marenbon

remarque que ce dernier a des aspects poeacutetiques humanistes litteacuteraires et scientifiques Mais il ne

le considegravere pas vraiment comme une position ou une meacutethode philosophique 84 Pour lui le

platonisme ne peut ecirctre laquo le principe organisationnel et identifiant raquo de la philosophie du XIIe siegravecle

vu que les penseurs de cette eacutepoque ne voulaient pas eacutetudier reacutetablir ou inventer un certain systegraveme

platonicien Ces penseurs ne cherchent qursquoagrave reacutepondre aux questions de la theacuteologie chreacutetienne agrave

travers les sources disponibles85

Certains chercheurs ont eacutetudieacute le platonisme en le consideacuterant comme une source importante

de la penseacutee philosophique du XIIe siegravecle La premiegravere eacutetude des sources des platonismes dans la

theacuteologie du XIIe siegravecle a eacuteteacute effectueacutee par Marie-Dominique Chenu86 Il distingue les sources

suivantes les œuvres drsquoAugustin le Timeacutee avec le commentaire de Calcidius les œuvres de Boegravece

celles du pseudo-Denys et de son traducteur Erigegravene et celles du neacuteoplatonisme arabe87 Dans ses

eacutetudes sur les eacutecrits attribueacutes agrave Thierry de Chartres Stephen Gersh distingue trois sources du

platonisme du XIIe siegravecle le meacutedioplatonisme agrave travers Asclepius et Calcidius le neacuteoplatonisme de

Plotin et Porphyre agrave travers Calcidius et Augustin et le neacuteoplatonisme alexandrin agrave travers Boegravece88

Lrsquoeacutetude de la transmission du platonisme a eacuteteacute faite seacutepareacutement pour des eacutecoles et des

penseurs de lrsquoeacutepoque en question Edouard Jeauneau eacutetudie le platonisme de Thierry de Chartres89

Drsquoapregraves Jeauneau certains eacuteleacutements doctrinaux (lrsquoimposition de lrsquouniteacute en tant que source qui se

multiplie agrave travers la dualiteacute lrsquoexplication de lrsquoAme du monde en tant que Saint-Esprit le dualisme

83 La distinction de la philosophie meacutedieacutevale sur deux peacuteriodes a eacuteteacute introduite dans lrsquohistoriographie depuis un siegravecle Elle est reacutecemment mise en valeur par Alain de Libera et Christophe Erismann CHR ERISMANN Lrsquohomme commun La genegravese du reacutealisme ontologique durant le haut Moyen Age Paris 2011 p 3-5 84 J MARENBON laquo Twelfth-Century Platonism Old Paths and New Directionsraquo dans Aristotelian Logic Platonism and the Context of Early Medieval Philosophy in the West Burlington 2000 XV p 6 lrsquohistoriographe des eacutetudes du platonisme du XIIe siegravecle Cf ibid p 1-8 85 Ibid p 21 86 M-D CHENU La Theacuteologie au Douziegraveme Siegravecle ch V laquo Les platonismes du XIIe siegravecle raquo Paris 1957 p 108-141 87 Celles derniegraveres ont eacuteteacute introduites vers la fin du XIIe siegravecle et eacutevidemment elles nrsquoont pas pu influencer le De unitate 88 S GERSH laquo Platonism-Neoplatonism-Aristotelianism A twelfth Century Metaphysical System and its Sources raquo dans Renaissance and Renewal in the twelfth Century eacuted RL BENSON G CONSTABLE CD LANHAM Oxford 1982 p 512-534 89 ED JEAUNEAU laquo Un repreacutesentant du platonisme au XIIe siegravecle maitre Thierry de Chartresraquo dans dans laquo Lectio philosophorum raquo Recherches sur lrsquoEcole de Chartres Amsterdam 1973 p 75-86

18

de Dieu et de la matiegravere ainsi que plusieurs citations du Timeacutee) eacutevoquent le caractegravere platonicien de

la philosophie de Thierry de Chartres Michel Lemoine prend les œuvres des Chartrains comme

modegravele du platonisme du XIIe siegravecle90 Il eacutenumegravere les sources principales du neacuteoplatonisme des

Chartrains Apuleacutee Macrobe Martianus Capella Calcidius Boegravece et Augustin Tullio Gregory

eacutetudie lrsquoinfluence du Timeacutee et du Commentaire de Calcidius sur les œuvres des Chartrains91 Iregravene

Caiazzo eacutetudie eacutegalement certaines doctrines platoniciennes comme celle des quatre eacuteleacutements et

celle de lrsquoAme du monde chez les philosophes Chartrains 92

Tullio Gregory examine le rocircle de Platon dans les œuvres drsquoAbeacutelard93 Tullio Gregory et

John Marenbon94 soulignent deux doctrines platoniciennes chez Abeacutelard lrsquoAme du monde (qui

deacutesigne le Saint-Esprit) et quelques ideacutees politiques (le laquo communisme raquo de la Reacutepublique connue agrave

travers le Timeacutee 18BD) La question de savoir si Abeacutelard eacutetait reacutealiste voire mecircme platonicien en

ce qui concerne le problegraveme des universaux est discuteacutee par Martin Tweedale95 Jean Jolivet96

Alain de Libera97 et John Marenbon98 Marenbon distingue trois types de neacuteoplatonisme chez Pierre

Abeacutelard le platonisme logique de la Logica ingredientibus et de la Dialectica (il srsquoagit de la

position de Platon rejeteacutee par Abeacutelard) la doctrine du Timeacutee et de la Reacutepublique dans les

Theacuteologies99

Le platonisme de lrsquoeacutecole de Saint-Victor reste tregraves peu eacutetudieacute aujourdrsquohui Constant Mews

remarque que le traitement de la nature qui aide agrave comprendre Dieu dans les œuvres drsquoHugues est

inspireacute par le platonisme100 Il croit qursquoHugues eacutetait familier avec le Timeacutee de Calcidius et qursquoil

reacutealisait que certains principes du platonisme (ideacutee archeacutetype matiegravere premiegravere) contredisent agrave la

doctrine chreacutetienne101 Mews suppose que dans ces œuvres Hugues reacutepond aux tentations de

90M LEMOINE Theacuteologie et Platonisme au XIIe siegravecle Paris 1998 91 T GREGORY laquo The Platonic Inheritanceraquo dans A History of Twelfth-Century Western Philosophy eacuted P DRONKE Cambridge-New York 1988 p 54-80 92 I CAIAZZO laquo Lrsquoacircme du monde un thegraveme privileacutegieacute des auteurs chartrains au XIIe siegravecle raquo dans Le temps de Fulbert enseigner le Moyen Age agrave partir dun monument la catheacutedrale de Chartres actes de lrsquouniversiteacute drsquoeacuteteacute du 8 au 10 juillet 1996 Chartres 1996 p 79-89 I CAIAZZO laquo The Four Elements in the Work of William of Conches raquo dans Guillaume de Conches Philosophie et science au XIIe siegravecle 2011 Firenze p 3-66 93 T GREGORY laquo Abelard et Platon raquo dans Peter Abelard proceedings of the international conference Louvain May 10-12 1971 eacuted E M BUYTAERT Leuven The Hague 1974 p 38-64 94 J MARENBON laquo Twelfth-Century Platonism Old Paths and New Directions raquo dans Aristotelian Logic Platonism and the Context of Early Medieval Philosophy in the West Burlington 2000 XV p 9-12 95 MM TWEEDALE Abailard on Universals New York p 185-188 96 J JOLIVET laquo Non-reacutealisme et platonisme chez Abeacutelard Essai drsquointerpreacutetation raquo dans Abeacutelard et son temps Actes du Colloque international Paris 1981 p 175-195 97 A de LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 148-158 98 J MARENBON laquo The Platonisms of Peter Abelard raquo dans Neacuteoplatonisme et philosophie meacutedieacutevale Actes du colloque international de Corfou 6-8 octobre 1995 organiseacute pat la Socieacuteteacute Internationale pour lrsquoEtude de la Philosophie Meacutedieacutevale eacuted L G BENAKIS Turnhout 1997 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale VI) p 112-118 99 Ibid p 109-129 100C J MEWS laquo The world as text the Bible and the book of nature in twelfth-century theology raquo dans Scripture and pluralism reading the Bible in the religously plural worlds of the Middle Ages and Renaissance ed TH J HEFFERNAN and TH E BURMAN Leiden p 107 101 MEWS CJ laquo William of Champeaux Abelard and Hugues of Saint-Victor Platonism Theology and Scripture in Early Twelfth-Century France raquo dans Bibel und Exegese in der Abtei Saint-Victor zu Paris Formund Funktion eines Grundtextes im europaumlischen Rahmen eacuted B RAINER Muumlnster 2009 p 150-151

19

Thierry de Chartres et Guillaume de Conches drsquoincorporer les thegraveses platoniciennes laquo dangereuses raquo

au christianisme102 Dominique Poirel voit plusieurs courants platoniciens qui ont influenceacute

Hugues Augustin pseudo-Denys Boegravece Calcidius Macrobe la patristique grecque Erigegravene

Mecircme si lrsquoinspiration platonicienne de ces penseurs est eacutevidente ils ont eacuteteacute influenceacutes eacutegalement

par lrsquoaristoteacutelisme le stoiumlcisme le pythagorisme et lrsquohermeacutetisme Voilagrave pourquoi Poirel qualifie la

penseacutee drsquoHugues non pas comme un platonisme mais comme une synthegravese originale et eacuteclectique

de diffeacuterentes doctrines103 De cette faccedilon Hugues Saint-Victor nrsquoest pas consideacutereacute comme

platonicien contrairement agrave plusieurs autres penseurs de la mecircme eacutepoque

La meacutethodologie et le plan

Plus haut nous avons accepteacute sans preuves la supposition qursquoAchard est platonicien

Maintenant en ayant la description du platonisme il sera possible de montrer en quoi preacuteciseacutement

consiste le platonisme du De unitate De cette faccedilon notre premier pas va consister agrave distinguer les

doctrines platoniciennes du De unitate Ensuite nous allons eacutetudier drsquoabord les deacuteveloppements de

ces doctrines dans les textes qui eacutetaient les sources directes du platonisme du XIIe siegravecle puis dans

lrsquoheacuteritage de lrsquoeacutecole de Saint-Victor (chez Hugues Richard et Achard)

Nous comprenons la doctrine comme la totaliteacute des thegraveses et des notions qui reacutepondent agrave une

question Si la question et les moyens de reacutepondre ne changent pas au cours du temps nous

consideacuterons qursquoil srsquoagit de la mecircme doctrine Par exemple Augustin et Boegravece expliquent la pluraliteacute

des personnes au sein de la Triniteacute agrave travers la preacutedication de la cateacutegorie de relation Il srsquoagit de la

mecircme doctrine (ce qui nrsquoempecircche que ces auteurs ont utiliseacute eacutegalement drsquoautres doctrines pour

expliquer la Triniteacute)

Par conseacutequent nous nous imposons les eacutetapes suivantes

- discerner quelques doctrines platoniciennes au sein du De unitate

- deacutesigner lrsquoorigine de ces doctrines dans les textes platoniciens qui ont eacuteteacute connus au XIIe

siegravecle

- veacuterifier si elles ont eacuteteacute accepteacutees par Hugues et Richard de Saint-Victor

- eacutetudier le deacuteveloppement de ces doctrines par Achard en tenant compte de lrsquoheacuteritage

qursquoil avait agrave sa disposition

Ainsi nous nous posons les buts suivants

- preacuteciser le contenu doctrinal de lrsquoheacuteritage platonicien du XII siegravecle

- valoriser le constituant meacutetaphysique et surtout platonicien de la penseacutee victorine

102 Ibid p 163 103 D POIREL laquo Thomas dAquin lecteur dHugues de Saint-Victor agrave propos de la nature humaine raquo dans Archives dHistoire Doctrinale et Litteacuteraire du Moyen Acircge 78 2011 p 196-7 et 224

20

- montrer la relation entre Achard et ses collegravegues victorins

Pour les atteindre nous adopterons la deacutemarche suivante Une premiegravere partie sera

consacreacutee agrave replacer le De unitate drsquoAchard dans son contexte agrave la fois historique par la

preacutesentation de son auteur codicologique par la description du manuscrit unique qui le transmet

litteacuteraire par lrsquoeacutetude de son plan et de son lexique philosophique et historiographique par le

reacutesumeacute des recherches anteacuterieures agrave son sujet Dans les deux parties suivantes le problegraveme de

lrsquouniteacute et de la pluraliteacute chez Achard sera eacutetudieacute dans lrsquoordre que lui-mecircme propose au chapitre 37

du premier traiteacute du De unitate drsquoabord en Dieu lui-mecircme ensuite dans les creacuteatures Pour les

deuxiegraveme et troisiegraveme parties nous avons choisi six sujets qui ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes par Achard (nous

justifions notre choix dans la premiegravere partie)

- lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu la procession dans la Triniteacute et la pluraliteacute des raisons dans

le Verbe sont les sujets de la deuxiegraveme partie

- la doctrine de formes les deux niveaux drsquoexistence drsquouniteacutes intelligibles et le problegraveme

de lrsquoidentiteacute dans le monde sensible sont les sujets de la deuxiegraveme partie

Nous allons tracer lrsquohistoire de chacun de ces sujets degraves son apparition chez les premiers

platoniciens tardo-antiques et alto-meacutedieacutevaux agrave travers lrsquoeacutecole de Saint-Victor jusqursquoau De unitate

21

Premiegravere partie

Achard de Saint-Victor et son De unitate

22

Introduction Le De unitate drsquoAchard de Saint-Victor nrsquooccupe pas dans lrsquohistoire de la philosophie

meacutedieacutevale la place qursquoil meacuterite Il srsquoagit drsquoun texte dont un seul manuscrit est conserveacute et lui-mecircme

est eacutediteacute dans une collection confidentielle agrave faible tirage104 Il existe pour lrsquoinstant deux grandes

eacutetudes consacreacutees agrave cette œuvre dont lrsquoune a eacuteteacute reacutedigeacutee sur la base drsquoune source incomplegravete105

Les problegravemes qui compliquent lrsquoeacutetude du De unitate sont selon Dominique Poirel laquo lrsquoeacutetat

fragmentaire du texte sa transmission par un manuscrit tardif et corrompu enfin plusieurs

difficulteacutes dans lrsquoordre le style et la penseacutee106 raquo

Dans notre recherche nous voudrions veacuterifier lrsquohypothegravese que le De unitate est une œuvre

drsquoinspiration platonicienne Pour faire cela il nous faut une mise au point concise sur la place

drsquoAchard dans lrsquohistoire de la penseacutee la creacutedibiliteacute de lrsquoeacutedition du De unitate la structure interne et

les thegraveses principales de cette œuvre et le reacutesumeacute des eacutetudes qui ont eacuteteacute deacutejagrave effectueacutees Crsquoest pour

cette raison que nous croyons neacutecessaire de consacrer la premiegravere partie de notre thegravese agrave

lrsquoeacuteclaircissement du destin et de la doctrine du De unitate drsquoAchard de Saint-Victor

Nous allons partir de la question la plus geacuteneacuterale qui est Achard et quel heacuteritage

intellectuel a-t-il laisseacute

Lrsquoeacutetude de De unitate va ecirctre commenceacutee par lrsquoanalyse de son manuscrit unique Padova 89

Nous allons eacutevaluer la qualiteacute de lrsquounique eacutedition du De unitate et voir si une interpreacutetation

alternative de cette œuvre est possible

Apregraves avoir eacutetabli la rigueur du texte existant nous allons lire et analyser de maniegravere tregraves

deacutetailleacutee le De unitate afin de comprendre quelles thegraveses de cette œuvre appartiennent agrave Achard et

quelles sont les thegraveses qursquoil met en question Le but de cette partie est drsquoeacutetablir le plan deacutetailleacute du

De unitate de repeacuterer des notions principales et des problegravemes correspondants En mecircme temps

nous verrons si le De unitate contient vraiment les traces des doctrines platoniciennes qui ont eacuteteacute

deacutecrites dans lrsquointroduction Cette eacutetude permettra eacutegalement de mettre agrave part les grands sujets

abordeacutes par Achard dont nous souhaitons eacutetablir lrsquoorigine

Nous allons enfin observer ce qui a eacuteteacute deacutejagrave eacutecrit sur Achard pour voir ce qursquoil reste agrave

eacutetudier

Vers la fin de cette partie nous saurons si Achard eacutetait platonicien au sens large de ce terme

et quels sujets il faudrait eacutetudier davantage pour deacutefinir le constituant platonicien de la philosophie

victorine 104 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 105A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 106 D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p510

23

CHAPITRE I

I Achard et ses œuvres

I1 Biographie drsquoAchard et lrsquoabbaye de Saint-Victor

Mecircme apregraves lrsquoenquecircte meacutethodique de Jean Chacirctillon107 la question de lrsquoorigine drsquoAchard

de Saint-Victor (dagger1171) reste partiellement en suspens comme celles de la date et de lrsquoanneacutee de sa

naissance Lrsquoeacutepitaphe victorine du deacutebut du XIIIe siegravecle teacutemoigne qursquoil eacutetait anglais

Huius oliua domus Anglorum gloria cleri

Iam dignus pridem celesti luce foveri

Felix Achardus florens etate senili

Presul Abricensis ex hoc signatur ovili

Olivier de cette maison gloire du clergeacute anglais

Digne depuis longtemps de jouir de la lumiegravere

ceacuteleste

Le bienheureux Achard vieillard florissant

Sort de notre bercail et srsquoillustre comme preacutelat

drsquoAvranches108

En se basant sur ce poegraveme Chacirctillon estime eacutegalement qursquoAchard est probablement neacute agrave la

fin du XIe ou au deacutebut du XIIe siegravecle (puisque au moment de sa mort il eacutetait un vieillard

florissant) En reacutesumant les recherches preacuteceacutedentes Chacirctillon nrsquoarrive pas agrave deacutefinir lrsquoendroit exact

ougrave Achard eacutetait neacute (deux groupes de teacutemoignages proposent la ville de Domfront au sud-ouest de

la Normandie et Bridlingon dans le Yorkshire) Chacirctillon remarque agrave ce propos laquo Crsquoest une chose

tregraves frappante en effet que de voir agrave quel point les premiers Victorins dans ce monastegravere

cosmopolite se sont refuseacute agrave parler des origines des plus ceacutelegravebres drsquoentre eux [] ltCe quigt est

lrsquoexpression silencieuse drsquoune ascegravese spirituelle et intellectuelle dont Hugues de Saint-Victor avait

traceacute le programmeraquo109

Lrsquoabbaye de Saint-Victor ndash le berceau intellectuel drsquoAchard ndash a eacuteteacute fondeacutee par Guillaume de

Champeaux (1070 - 1121) En eacutetablissant le nouveau monastegravere agrave Paris pregraves du cloicirctre de Notre-

Dame et de la montagne Saint-Geneviegraveve Guillaume a suivi une tendance de son eacutepoque agrave se 107 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 11-52 108 Ibid p 13 (drsquoapregraves le ms Paris Bibl Mazarine 778 f 146r PL 196 1374) trad D Poirel 109 Ibid р 50

24

deacutepouiller des avantages des postes eccleacutesiastiques (en 1108 il eacutetait archidiacre de Paris et eacutecolacirctre

de Notre-Dame) laquo pour aller mener dans la solitude une vie de pauvreteacute inspireacutee de lrsquoideacuteal des

pegraveres du deacutesert et de la tradition primitive de lrsquoEacuteglise raquo110 Bien qursquoil ait bientocirct quitteacute ce monastegravere

(en 1113 Guillaume de Champeaux a eacuteteacute deacutesigneacute lrsquoeacutevecircque de Chacirclons) il a reacuteussi agrave y creacuteer une

ambiance intellectuelle agreacuteable qui a attireacute des penseurs reconnus comme Hugues de Saint-Victor

De cette faccedilon Guillaume de Champeaux a beaucoup contribueacute agrave la fondation du monastegravere ougrave la

vie religieuse et les eacutetudes intellectuelles des clercs ont eacuteteacute relieacutees harmonieusement

La deuxiegraveme personne qui a beaucoup contribueacute agrave lrsquoeacutetablissement du monastegravere eacutetait son

nouvel abbeacute Gilduin (dagger 1155) qui a occupeacute ce poste pendant quarante-deux ans Il est connu

principalement gracircce au Liber Ordinis ndash le coutumier de Saint-Victor ougrave les activiteacutes scolaires et la

production de nouvelles œuvres spirituelles (crsquoest-agrave-dire la composition de leurs reacuteflexions sous la

forme de sermons ou de meacuteditations) eacutetaient favoriseacutees111 Et finalement lrsquoimage intellectuelle de

lrsquoeacutecole de Saint-Victor a eacuteteacute creacuteeacutee par le maicirctre illustre qui a consacreacute toute sa vie agrave lrsquoenseignement

fondateur drsquoune tradition drsquohumanisme agrave Saint-Victor Hugues de Saint-Victor (dagger 1141)

D Poirel compte quatre peacuteriodes dans lrsquohistoire de lrsquoeacutecole de Saint-Victor112 1) la

fondation (1108-1141) qui comprend le travail de Guillaume de Champeaux Gilduin (abbeacute de

Saint-Victor) Hugues de Saint-Victor et Adam de Saint-Victor 2) lrsquoessor (1150-1180) Andreacute

Achard Richard Simon Gautier et Godefroy de Saint-Victor 3) le recentrement sur lrsquoactiviteacute

cleacutericale (1190 ndash 1220) Pierre de Poitiers Robert de Flamborough et Thomas Gallus113 4)

lrsquoassimilation graduelle (1230-1237) de lrsquoeacutecole theacuteologique de Saint-Victor au sein de lrsquouniversiteacute

parisienne comme un collegravege reacutegulier ce qui assimile les victorins aux autres eacutetudiants114

La vie drsquoAchard ressemble agrave la vie typique drsquoun clerc meacutedieacuteval qui a reacuteussi il a commenceacute

comme chanoine ensuite il est devenu maicirctre puis il a eacuteteacute eacutelu abbeacute (1155) et finalement en 1161 il

a occupeacute le siegravege eacutepiscopal drsquoAvranches qursquoil a posseacutedeacute jusqursquoagrave sa mort en 1170 ou 1171 110 Ibid p55 111 A propos de Guilduin voir JOCQUEacute L POIREL D laquo De Donat agrave Saint-Victor un De accentibus ineacutedit raquo dans La tradition vive Meacutelanges drsquohistoire des textes en lrsquohonneur de Louis Holtz eacuted P LARDET Turnhout 2003 (Bibliologia 20) p 165-8 112POIREL D laquoDominicains et victorins agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecleraquo dans laquoLector et compilatorraquo Vincent de Beauvais fregravere precirccheur Un intellectuel et son milieu au XIIIe siegravecle eacuted S LUSIGNAN et M PAULMIER-FOUCART Gracircne 1997 (Rencontres agrave Royaumont) p 170-3 Avant lui ce sujet a eacuteteacute eacutetudieacute par Jean Chacirctillon voir J CHATILLON laquo De Guillaume de Champeaux agrave Thomas Gallus Chronique drsquohistoire litteacuteraire et doctrinale de lrsquoeacutecole de Saint-Victor raquo dans Revue du Moyen Age latin t 8 1952 p 139-162 247-272 113 Tandis que Chacirctillon appelle la troisiegraveme peacuteriode de lrsquohistoire de lrsquoabbaye ldquole deacuteclinrdquo (Ibid р 264) Dominique Poirel preacutecise que ce mot peut ecirctre utiliseacute seulement en comparaison de lrsquoessor de Saint-Victor quand le clergeacute concentrait sur la production intellectuelle Par ailleurs le traitement de la vocation cleacutericale comme lrsquoactiviteacute initialement principale agrave laquelle les entraicircnements intellectuels servent nous aide agrave voir la troisiegraveme peacuteriode de Saint-Victor comme la suite logique de son deacuteveloppement D POIREL laquo Aux sources drsquoune influence les raisons du rayonnement victorine raquo dans Lrsquoeacutecole de Saint-Victor de Paris Influence et rayonnement du Moyen Acircge agrave lrsquoEpoque moderne Turnhout 2010 (Biblioteca Victorina XXII) p 16 POIREL D laquo lsquoApprends toutrsquo Saint-Victor et le milieu des victorins agrave Paris 1108-1330 raquo dans Lieux de savoir t 1 Espaces et communauteacutes eacuted C JACOB Paris 2007 p 305 114 Plus preacuteciseacutement voir J VERGER laquo Saint-Victor et lrsquouniversiteacute raquo dans Lrsquoeacutecole de Saint-Victor de Paris Influence et rayonnement du Moyen Acircge agrave lrsquoEpoque moderne Turnhout 2010 (Biblioteca Victorina XXII) p 139-152

25

La peacuteriode claustrale de la vie drsquoAchard se deacuteroule agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoessor de Saint-Victor ndash la

deuxiegraveme peacuteriode du deacuteveloppement de lrsquoabbaye et de lrsquoeacutecole philosophique quand agrave son fondateur

spirituel Hugues de Saint-Victor ont succeacutedeacute ses eacutelegraveves Andreacute lrsquoexeacutegegravete Achard le

meacutetaphysicien Richard le spirituel Simon le poegravete Gautier le pourfendeur drsquoheacutereacutesies et Godefroy

lrsquohumaniste qui semblaient se reacutepartir les activiteacutes intellectuelles de leur maicirctre115

Nous nrsquoavons pas beaucoup de teacutemoignages de cette peacuteriode sur la vie drsquoAchard On sait

qursquoavant 1160 Achard et Robert de Melun ont assisteacute agrave une dispute publique entre le theacuteologien

anglais Robert de Crickelade et les disciples de Pierre de Lombard concernant les doctrines

christologiques de ce dernier116 Au contraire il y a beaucoup de traces de la carriegravere abbatiale

drsquoAchard Sa correspondance avec des chanoines des eacutevecircques des cardinaux et mecircme avec le roi

drsquoAngleterre et le Pape prouvent son ardeur agrave augmenter les biens spirituels et mateacuteriels de lrsquoabbaye

de Saint-Victor117 Quant agrave lrsquoeacutepiscopat drsquoAchard crsquoeacutetait plutocirct le reacutesultat de ses relations politiques

Il a eacuteteacute deacutesigneacute eacutevecircque drsquoAvranches sur le territoire franccedilais dont le roi drsquoAngleterre Henri II eacutetait

duc Comme eacutevecircque Achard a assisteacute agrave plusieurs eacuteveacutenements officiels et srsquoest occupeacute

soigneusement de lrsquoabbaye des Preacutemontreacutes de la Lucerne voisine de sa ville eacutepiscopale Achard est

mort le 29 mars 1170 ou 1171 (il existe deux teacutemoignages eacutegaux agrave ce propos) Il a eacuteteacute enseveli dans

lrsquoeacuteglise de la Lucerne dont il eacutetait un des principaux fondateurs118

115 J CHATILLON laquo De Guillaume de Champeaux agrave Thomas Gallus Chronique drsquohistoire litteacuteraire et doctrinale de lrsquoeacutecole de Saint-Victor raquo dans Revue du Moyen Age latin t 8 1952 р 247 D POIREL Hugues de Saint-Victor Paris 1998 р 134 116 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 74 J CHATILLON laquo Achard de Saint-Victor et les controverses christologiques du XIIe siegravecle raquo dans Meacutelanges F Cavallera Toulouse 1948 p 322-323 117 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 80-85 118 Sur le tombeau drsquoAchard on trouve une autre eacutepitaphe (PL 196 1379) Praesul Abrincensis famosus doctor Achardus

Hic jacet ut terrae restituatur humus Gratia coelestis dedit illi dona sophiae

Et praefecit eum digniter Ecclesiae Plurima nunc sileo bona facta suae pietatis

Quae satis audita visa fuere satis Abbas ipse fuit Sancti Victoris in aede

Et complevit opus moribus ore pede Exuviis ejus domus est haec nobilitata

Desuper est nobis gratia tanta data Ergo pater tantus fidei jurisque patronus

Pastoralis erat cujuis in ore sonus Gaudia divinae contempletur faciei

Pontificisque boni mansio detur ei

26

I2 Les œuvres drsquoAchard de Saint-Victor

Aujourdrsquohui nous connaissons trois œuvres principales drsquoAchard Ce sont les Sermons

le De discretione animae spiritus et mentis et le De unitate et pluralitate Les dates drsquoapparition de

ces œuvres ne sont pas connues Vu que le contenu et la structure du De unitate et du De discretione

ressemblent plutocirct aux fruits du travail de maicirctre de lrsquoeacutecole119 nous croyons qursquoils ont eacuteteacute eacutecrit

quand Achard eacutetait toujours le maicirctre au Saint-Victor (avant 1155) En ce qui concerne les Sermons

en consideacuterant leur structure leur contenu et les allusions aux controverses de son temps qursquoils

renferment J Chacirctillon date les douze premiers de la peacuteriode de lrsquoenseignement drsquoAchard (avant

1155) et les trois derniers de la peacuteriode abbatiale (entre 1155 et 1161) puisque laquo lrsquoorateur [hellip] ne

parle plus ici en professeur mais en maicirctre spirituel raquo120

En exerccedilant ses obligations drsquoabbeacute et drsquoeacutevecircque Achard a eacutecrit des lettres121 Quelques

morceaux conserveacutes actuellement agrave Dijon sont attribueacutees laquo magistro Achardo abbati sancti

Victoris raquo Ce sont des quaestiones qui selon Jean Chacirctillon contiennent un certain nombre de

piegraveces provenant probablement de lrsquoenseignement drsquoAchard mais qursquoon ne peut pas lui attribuer

directement122

I21 Le De discretione animae spiritus et mentis

Le De discretione animae spiritus et mentis est une œuvre dont lrsquoorigine a donneacute lieu agrave des

discussions Nous avons aujourdrsquohui cinq manuscrits de cette œuvre deux se trouvent agrave Paris deux

agrave Cambridge et un agrave Oxford123 Un de ces manuscrits indique la premiegravere lettre du nom de lrsquoauteur

A et lrsquoautre est intituleacute Tractatus magistri Achardi de divisione anime et spiritus

119 La structure et les formes litteacuteraires du De unitate seront speacutecialement analyseacutes plus loin 120 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 142 121Epistula ad Henricum regem Angliae dans A DU CHESNE Historiae Francorum scriptores t IV p 762 et aussi dans E MARTENE Amplissima collectio t VI p 230 PL 196 1381-1382 Epistula ad Arnulfum Lexoviensem dans E MARTENE Amplissima collectio t VI p 231 PL 196 1382 Epistula ad Alexandrum Papam III (signeacutee drsquoAchard et de Guillaume de Passavant eacutevecircque du Mans) dans R-N SAUVAGE laquo Fragments drsquoun cartulaire de Saint-Pierre de Lisieux raquo dans Etudes lexoviennes Paris 1928 p 341-342 122 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) p 116-7 123 N M HAumlRING laquo Gilbert of Poitiers author of the De discretione animae spiritus et mentis commonly attributed to Achard of Saint-Victor raquo dans Medieval Studies t 22 1960 p 173 TARLAZZI C laquo An Unidentified Version of Achard of Saint-Victorrsquos De discretione animae spiritus et mentis in Oxford Exeter College Library Ms 23 raquo dans Bulletin de Philosophie Meacutedieacutevale t 56 2014 p 31-59

27

Par la faute du bibliotheacutecaire victorin du XVIe siegravecle Claude de Grandrue le traiteacute dont le

manuscrit fournit lrsquoinscription A a eacuteteacute attribueacute drsquoabord agrave Adam de Saint-Victor124 Cette

attribution a eacuteteacute corrigeacutee par un eacuterudit du XVIIe siegravecle Casimir Oudin qui a trouveacute un autre

manuscrit contenant le traiteacute intituleacute Tractatus magistri Achardi de divisione anime et spiritus agrave

Cambridge125 La quecircte a eacuteteacute continueacutee agrave la fin du XIXe siegravecle par Germain Morin126 et puis au

milieu du XXe siegravecle par Nicolas Haumlring127 Chaque chercheur propose une eacutedition du De

discretione Tandis que le premier deacutefend lrsquoautoriteacute drsquoAchard128 le second admet Gilbert de

Poitiers comme lrsquoauteur en consideacuterant le contenu du traiteacute qui lui semble assez proche de

lrsquoenseignement de ce dernier129 Le point deacutefinitif sur cette question a eacuteteacute fait en 1965 par Jean

Chacirctillon qui a prouveacute lrsquoauthenticiteacute achardienne du De discretione en le comparant avec le De

unitate et pluralitate creaturarum et les Sermons deacutejagrave deacutecouverts130 Catarina Tarlazzi a reacutecemment

deacutecouvert agrave Oxford le texte qui peut ecirctre une autre version du De discretione131 Le texte est plus

court que celui eacutediteacute par Haumlring et lrsquoordre des phrases est alteacutereacute

En 1987 Emmanuel Martineau a fait la traduction franccedilaise du De discretione132 sur la base

de lrsquoeacutedition de Haumlring en 2001 Hugh Feiss a fait la traduction anglaise133

Crsquoest un traiteacute court qui contient 74 paragraphes (selon le deacutecoupage de Haumlring) destineacutes agrave

deacutevelopper une theacuteorie distinguant trois substances inteacuterieures dans lrsquohomme anima spiritus et

mens Achard soulegraveve le problegraveme anthropologique (la relation de la personne humaine agrave Dieu) qui

donne lieu agrave une analyse speacuteculative

Le De discretione animae spiritus et mens est un œuvre qui selon Hugh Feiss fait partie de

la doctrine meacutetaphysique drsquoAchard Ce petit traiteacute est facilement divisible en quatre parties (qui

deacutecrivent respectivement lrsquoacircme le spiritus et la mens et la maniegravere dont ils fonctionnent ensemble) 124 OUY G Les manuscrits de lrsquoabbaye de Saint-Victor Catalogue eacutetabli sur la base du reacutepertoire de Claude de Grandrue (1514) t II Paris 1999 (Biblioteca Victorina 10) p 258 ms HH3 88 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) p 129 125 Ibid p 130 126 G MORIN laquo Un traiteacute ineacutedit drsquoAchard de Saint-Victor raquo dans Aus der Geisteswelt des Mittelalters t 1 Muumlnster 1935 (Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters Supplementband 31-2) p 251-262 127 N M HAumlRING laquo Gilbert of Poitiers author of the De discretione animae spiritus et mentis commonly attributed to Achard of Saint-Victor raquo dans Medieval Studies t 22 1960 p 148-191 128 G MORIN laquo Un traiteacute faussement attribueacute agrave Adam de Saint-Victor raquo dans Revue beacuteneacutedictine t 16 1899 p 218-219 129 N M HAumlRING laquo Gilbert of Poitiers author of the De discretione animae spiritus et mentis commonly attributed to Achard of Saint-Victor raquo dans Medieval Studies t 22 1960 p 152-157 130 J CHATILLON laquo Achard de Saint-Victor et le De discretione animae spiritus et mentis raquo dans Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Age t 31 1964 p 7-35 131TARLAZZI C laquo An Unidentified Version of Achard of Saint-Victorrsquos De discretione animae spiritus et mentis in Oxford Exeter College Library Ms 23 raquo dans Bulletin de Philosophie Meacutedieacutevale t 56 2014 p 31-59 132ACHARD DE SAINT-VICTOR laquo Du discernement entre Ame spiritus et mens raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) Saint-Lambert-des-Bois 1987 p199-208 133ACHARD OF SAINT VICTOR laquo On the Distinction of Soul Spiritus and Mind raquo dans Achard of Saint Victor Works trans H FEISS Kalamazoo 2001 p 353-374

28

Mais avant de passer agrave lrsquoenquecircte de la diffeacuterence entre ces trois Achard propose une sorte

drsquointroduction

Il commence par deacutecrire la substance inteacuterieure jointe aux corps de lrsquohomme Cette

substance constitue secundum se et in se une puissance essentiellement une et indivise Achard

utilise deux arguments afin de le deacutemontrer

1) thegravese 2 dans cette chose faite agrave lrsquoimage de Dieu la puissance est une essence identique de

mecircme qursquoen Dieu

2) thegraveses 3-6 la puissance est la substance elle-mecircme et non la forme de celle-ci car la forme

entre en assemblage avec un sujet (une substance) ce qui est selon Achard impossible pour

une puissance

Thegravese 7 laquo cette puissance est simple en son essence mais multiple en ces fonctions [hellip]

elle est dite et puissance une en plusieurs et plusieurs puissances en une ou plutocirct une-multiple ou

multiple-une134 raquo est deacutemontreacute pour Dieu

- en lui il y a une puissance et une volonteacute simple multiplieacutees drsquoapregraves leurs objets (les

deacutemonstrations sont faites agrave partir de lrsquoEcriture les thegraveses 8-9)

La remarque (11-13) la multipliciteacute numeacuterique existe en Dieu et mecircme plus que dans les

creacuteatures mais vu qursquoil est immobile on ne trouve pas en lui aucune pluraliteacute (au contraire des

creacuteatures)

Finalement Achard eacutevoque que la substance infeacuterieure (celle de lrsquohomme) nrsquoa pas de

multipliciteacute selon lrsquoessence mais selon les choses qui sont dans son essence (14) agrave savoir diverses

affections gracircce auxquelles elle est pluraliseacutee formellement en diverses puissances (16) Ces

puissances (la volonteacute la raison le sens lrsquoimagination lrsquointelligence la meacutemoire 17) sont

distingueacutees selon les qualiteacutes (19)

Le principe de distinction de lrsquoacircme le spiritus et la mens dans la substance unique de

lrsquohomme est le mecircme que celui des trois personnes de la Triniteacute dans la substance unique de Dieu

(21) Ensuite Achard eacutevoque les distinctions entre ces trois termes donneacutees par lrsquoEcriture (22-29)

Puis il deacutecrit une par une toutes les puissances de la substance de lrsquohomme

Mens (30-33)

laquo Seule la mens en effet assume par soi immeacutediatement lrsquoamour de Dieu et lrsquoayant

assumeacute elle le transfuse autant que possible selon certaines affections et effets au spiritus et

par lrsquointermeacutediaire de celui-ci agrave lrsquoacircme mouvant affectant et disposant agrave partir drsquoelle et

134 laquo Potentia autem haec [hellip] in essentia est simplex in officiis multiplex ut [hellip] potentia una in multis dicatur et multae in una vel potius una multae et multae una raquo eacuted HAumlRING dans Medieval Studies t 22 1960 p 175 trad eacuted MARTINEAU p 200

29

selon elle les pouvoirs infeacuterieurs135 raquo (30) laquo La mens est en haut lrsquoacircme en bas le spiritus au

milieu136 raquo (31)

En outre la mens est la puissance supeacuterieure capable drsquointelliger et drsquoaimer et crsquoest pour

cela qursquoelle est agrave lrsquoimage de Dieu (33)

Ame (34-40)

laquo Crsquoest lrsquoacircme au contraire qui autant qursquoil est en elle peut se reacutepandre pour ainsi dire

infeacuterieurement et exteacuterieurement par lrsquointermeacutediaire des instruments du corps jusqursquoaux

espegraveces derniegraveres des choses crsquoest-agrave-dire jusqursquoaux formes et aux proprieacuteteacutes corporelles

pour les percevoir par le sens et les deacutesirer par la sensualiteacute137 raquo (34)

Lrsquoacircme est unie au corps elle opegravere par son intermeacutediaire (35) pourtant ce nrsquoest que lrsquoacircme

qui peut se reacutejouir de la perception (36) En effet lrsquoacircme aime le bien et hait le mal par la volonteacute

(38) Et crsquoest agrave cause drsquoun vice animal qursquoelle reccediloit un plaisir de la sensualiteacute mais cela lui permet

de passer agrave la deacutelectation supeacuterieure ndash celle de la mens (39)

Spiritus (41-54)

Drsquoabord Achard compare le spiritus et lrsquoacircme Le premier opegravere par lrsquoimagination afin

de percevoir les images de choses agrave partir des donneacutees de lrsquoacircme la deuxiegraveme par le sens pour

percevoir les choses agrave partir du corps laquo Mais lrsquoimage bien qursquoelle puisse ecirctre nommeacutee une certaine

forme de la chose corporelle nrsquoest pas elle-mecircme corporelle138 raquo (44) Le spiritus reccediloit les images

agrave partir de lrsquoacircme mais cela nrsquoest pas reacuteciproque (46) Il peut percevoir lrsquoimage des choses absentes

comme il le fait dans les songes tandis que lrsquoacircme non (47-49)

Ensuite lrsquoauteur compare la mens et le spiritus Crsquoest la mens qui porte le sens de

reacuteveacutelations de Dieu comme celles de prophegravetes ou des extases des saints (50-51) mais crsquoest le

spiritus qui reccediloit les images (52)

Achard explique aussi que le spiritus est lrsquointermeacutediaire entre la mens et lrsquoacircme Il ressemble

agrave lrsquoEsprit Saint car ce dernier est la connexion du Pegravere et du Fils (53-54)

135 laquo Sola namque mens dilectionem Dei secundum se et immediate suscipit susceptam vero secundum quosdam affectus et effectus ad spiritum et spiritu mediante ad animam prout potest transfundit inferiores videlicet vires ex illa et secundam illam movendo afficiendo atque disponendo raquo eacuted HAumlRING p 180 trad eacuted MARTINEAU p 203 136 laquo Est enim mens in summo anima in imo spiritus in medioraquo eacuted HAumlRING p 181 trad eacuted MARTINEAU p 203 137laquo Anima vero est quae per instrumenta corporis ad ultimas rerum species ad corporalis scilicet formas et proprietates sensu percipiendas et sensualitate concupiscendas quasi inferius et exterius quantum in ipsa est se potest effundere raquo eacuted HAumlRING p 181 trad eacuted MARTINEAU p 203 138 laquo Imago autem licet rei corporalis forma quaedam nominari possit ipsa tamen corporalis non est raquo eacuted HAumlRING p 184 trad eacuted MARTINEAU p 204

30

Pour conclure Achard eacutetablit aussi une liste des ecirctres qui possegravedent soit lrsquoacircme soit le

spiritus soir la mens soit certains entre eux (54-58)

bruti animalia quae memoria carent anima

animalia quae memoriam habent anima+spiritus

homo anima+spiritus+ mens

angelus spiritus+ mens

Deus mens

Tandis que la mens ou lrsquoacircme peuvent exister seules le spiritus ne le peut jamais car sa

fonction est celle de la meacutediation de lrsquoune de ces deux (59-60) Bien que lrsquoacircme soit unie agrave la chair

elle ressemble plus au spiritus et agrave la mens (60-62)

Achard finit en preacutecisant lrsquousage de ces trois termes dans lrsquoEcriture et en expliquant

pourquoi on les confond parfois (63-74)

De cette maniegravere Achard nous preacutesente un traiteacute assez technique destineacute agrave discerner les trois

termes anima spiritus et mens

I22 Les Sermons

Les Sermons ont eacuteteacute deacutecouverts par Bartheacutelemy Haureacuteau parmi les manuscrits de la

Bibliothegraveque nationale en 1892139 Ils ont eacuteteacute conserveacutes dans plusieurs manuscrits surtout dans des

collections drsquohomeacutelies destineacutees agrave la lecture publique ou priveacutee souvent mecircleacutes agrave drsquoautres piegraveces140

La publication a eacuteteacute faite par Jean Chacirctillon en 1970 La traduction franccedilaise du texte inteacutegral des

Sermons pour lrsquoinstant nrsquoexiste pas (seul le sermon XV Les sept deacuteserts a eacuteteacute traduit au XVIIIe

siegravecle par le victorin Simon Gourdan [dagger 1729]) mais la traduction complegravete anglaise a eacuteteacute faite par

le savant beacuteneacutedictin Hugh Feiss

Les Sermons contiennent quinze textes de longueurs diffeacuterentes composeacutes agrave lrsquooccasion de

diverses fecirctes de lrsquoanneacutee Voici la liste des Sermons dresseacutee selon le calendrier liturgique Avent

(III) Noeumll (I) Rameaux (V et XI) Septuageacutesime (VII et X) Pacircques (IV et VI) Transfiguration

(XII) fecircte de saint Augustin (IX) Nativiteacute de la Vierge (VIII) Deacutedicace (II et XIII) Toussaint

139 Bartheacutelemy Haureacuteau donne la description du manuscrit 14590 qui est un recueil des sermons des victorins parmi lesquels certains appartiennent agrave Achard B HAUREAU Notices et extraites de quelques manuscrits latins de la Bibliothegraveque nationale t III Paris 1891 p 18-67 140 Voir la liste et la classification des manuscrits dans J CHATILLON laquo Introduction raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted JCHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age XVII) p 8-17

31

(XIV) et premier dimanche de Carecircme (XV) Les douze premiers sermons sont de simples homeacutelies

et les trois derniers plus longs ont un contenu meacutetaphysique beaucoup plus riche

Ces Sermons ont eacuteteacute destineacutes principalement agrave la lecture publique et priveacutee qui occupait une

large partie du temps des victorins Achard associe les diffeacuterentes eacutetapes de lrsquohistoire spirituelle de

lrsquohomme aux fecirctes chreacutetiennes Hormis les deacuteveloppements theacuteologiques les Sermons contiennent

des explications philosophiques concernant le statut de lrsquohomme dans lrsquounivers creacuteeacute Comme les

autres victorins141 Achard a heacuteriteacute de la tradition augustinienne la vision de la nature humaine

comme deacutechue et deacuteformeacutee et qui donc a besoin de la restauration pour ecirctre reacuteunie agrave Dieu Ainsi

lrsquohistoire spirituelle de lrsquohomme est le sujet principal des Sermons laquo Le propos de lrsquoorateur est en

effet de preacutesenter agrave ses auditeurs une sorte de cateacutechegravese savante qui srsquoattache avant tout agrave lrsquohistoire

spirituelle de lrsquohomme sa creacuteation agrave lrsquoimage et agrave la ressemblance de Dieu sa chute et son exil dans

la reacutegion de la dissemblance lrsquoIncarnation reacutedemptrice ensuite qui lui apporte le salut et enfin

lrsquoitineacuteraire que chacun doit parcourir ici-bas sous lrsquoaction vivifiante de la gracircce pour redevenir

semblable agrave Dieu participer agrave sa vie et parvenir agrave lrsquoeacutepanouissement deacutefinitif de la gloire 142 raquo

A son eacutepoque la diffusion des douze premiers sermons fut assez limiteacutee (agrave quelques rares

exceptions il srsquoagit de manuscrits parisiens et victorins) relativement aux trois derniers dont on peut

trouver les traces agrave Saint-Geneviegraveve Clairvaux et mecircme en Angleterre143 En ce qui concerne la

tradition indirecte des Sermons drsquoAchard les deux textes les plus remarquables sont celui de

Frowin drsquoEngelberg (abbeacute beacuteneacutedictin du monastegravere drsquoEngelberg qui se trouve dans le territoire de

la Suisse contemporaine) qui reproduit une grande partie du sermon XIII dans son De laude liberi

arbitrii144 et celui du victorin Simon Gourdan qui a traduit le sermon XV en franccedilais sous le titre

Les sept deacuteserts (sermon sur les premiers mots de lrsquoeacutevangile de la messe du premier dimanche de

Carecircme)145 Ce dernier sermon est vraiment le plus remarquable comme contenant laquo la plupart des

enseignements anthropologiques meacutetaphysiques et theacuteologiques qursquoil avait preacutesenteacutes ailleurs raquo146

Deux des manuscrits agrave partir desquels Chacirctillon a fait lrsquoeacutedition critique des Sermons

drsquoAchard (Saint-Omer 195 et Troyes 259) contiennent aussi quelques fragments drsquoauthenticiteacute

douteuse qui laquo ont tous pour objet drsquoexposer la signification alleacutegorique drsquoun certain nombre de

141 J CHATILLON laquo La culture du lrsquoeacutecole de Saint-Victor au 12e siegravecle raquo dans Le mouvement canonial au Moyen acircge reacuteforme de lrsquoEacuteglise spiritualiteacute et culture eacutetudes reunies par P SICARD Paris-Turnhout 1992 (Bibliotheca victorina 3) p 339 142 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 153 143Ibid p 148 144 Ibid p 148 145 Ibid p 149 146 ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted J CHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age XVII) p 196

32

textes bibliques rapprocheacutes les uns aux autres par le jeu drsquoassociations verbales plus ou moins

ingeacutenieuses147 raquo Chacirctillon ne trouve pas ces fragments inteacuteressants

La seule eacutetude sur les Sermons drsquoAchard est celle de Jean Chacirctillon parue en 1969148 ougrave il a

fait non seulement une enquecircte sur la vie et les œuvres drsquoAchard ce qui nous a permis de discerner

la figure drsquoAchard parmi les autres Victorins mais aussi a donneacute une premiegravere esquisse de sa

penseacutee

Mecircme si le propos principal des Sermons est de parler des fecirctes chreacutetiennes susmentionneacutees

sur le plan spirituel (IV V VIII X XI XII XIV) la plupart drsquoentre eux touchent aussi le sujet de

lrsquohistoire spirituelle de lrsquohomme (II VI VII IX XIV) et le rocircle qursquoy joue le Christ dans sa

reacuteparation spirituelle (I III IV XI XII XIII XV)

J Chacirctillon et H Feiss agrave sa suite proposent de diviser la penseacutee drsquoAchard preacutesenteacutee dans les

Sermons en une theacuteologie (qui comprend une anthropologie et une christologie) et une spiritualiteacute

(qui comprend la description de la vie active et contemplative) En ce qui concerne lrsquoanthropologie

Achard part de la Genegravese I 26-27 (laquo Dieu fit lrsquohomme agrave son image et agrave sa ressemblance raquo) Il

affirme que comme la creacuteature spirituelle participe agrave son creacuteateur de maniegravere triple selon la

creacuteation selon la justification et selon la beacuteatification il y a trois reacutegions de la ressemblance selon

la nature selon la gracircce et selon la gloire La personne a naturellement lrsquoaptitude agrave connaicirctre Dieu agrave

lrsquoaimer et agrave jouir de lui mais elle a besoin de la gracircce de Dieu qui perfectionne sa nature jusqursquoagrave ce

que cette aptitude atteigne son eacutepanouissement deacutefinitif dans la gloire La derniegravere de ces trois

reacutegions est la plus proche de Dieu et la premiegravere en est la plus eacuteloigneacutee Cette doctrine srsquoappuyant

sur la deacutefinition des modes de participation et des reacutegions de ressemblance se deacuteveloppe dans le

cadre de lrsquohistoire spirituelle La personne humaine avant le peacutecheacute originel a eu la gracircce de Dieu

qui lui permettait drsquoacceacuteder agrave la similitude selon la gloire Pourtant apregraves elle a perdu cette gracircce et

srsquoest retrouveacutee dans les reacutegions de dissemblance qursquoAchard eacutevoquait selon la nature selon la peine

et selon la faute (dont la derniegravere est la plus eacuteloigneacutee de Dieu) La diffeacuterence essentielle entre ces

deux eacutetats pour lrsquohomme reacuteside dans le fait qursquoapregraves le peacutecheacute son sens sa volonteacute et sa raison sont

en contradiction ce qui creacutee le conflit inteacuterieur Neacuteanmoins avec lrsquoarriveacutee du Reacutedempteur

lrsquohomme a reccedilu la chance de reacuteparer sa faute Cependant lrsquoanthropologie achardienne tend vers

une christologie

En ce qui concerne le Christ Achard reacutepegravete les dogmes principaux de la doctrine chreacutetienne

Particuliegraverement (1) le Christ est consubstantiel agrave Marie (la substance humaine) et agrave Dieu

147ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted J CHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age XVII) p 246 Lrsquoeacutedition de ces fragments p 245 148 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII)

33

(substance divine) (2) lrsquoincarnation est une action commune des trois personnes constitueacutees dans un

terme unique ndash le Fils (3) le Christ srsquoest incarneacute de telle sorte que lrsquohomme est devenu Dieu et Dieu

est devenu homme sans perdre ses proprieacuteteacutes principales (4) le Verbe (le Christ) qui assume

possegravede par nature tout ce que lrsquohomme qui a eacuteteacute assumeacute (homo assumptus) possegravede par gracircce (5)

le Christ possegravede une humaniteacute qui nrsquoest pas rien (6) les deux natures sont reacuteunies dans la

personne du Verbe Le but de cette quecircte est neacutecessaire puisque la vie spirituelle est consideacutereacutee

comme laquo une participation de plus en plus eacutetroite agrave la gracircce du Christ raquo149 Achard traite la nature

humaine comme la matiegravere qui est formeacutee par la gracircce agrave partir de la participation au corps du Christ

(par la communion) et qui est reacuteformeacutee par la justification (qui consiste drsquoune part en la justice

originelle restitueacutee par le sacrement de baptecircme et drsquoautre part en la justice actuelle qui provient

de la coopeacuteration avec notre libre arbitre) Le corps du Christ qui est multiple (naturel sacramentel

virtuel intellectuel et spirituel) est formeacute aussi par lrsquoEglise Achard eacutevoque aussi les trois attributs

du Christ qui correspondent aux trois demeures qursquoon doit construire agrave lrsquointeacuterieur de soi la vertu

(lrsquoattribut de la puissance) lrsquoamour (lrsquoonction spirituelle) et la sagesse (la contemplation) 150 En

passant par toutes ces eacutetapes la personne peut se restaurer de telle sorte que la participation au corps

du Christ (lrsquoEglise) devient possible

La spiritualiteacute deacuteveloppe de maniegravere pratique le thegraveme de la restauration de la nature

humaine La premiegravere partie du deacuteveloppement spirituel est la vie active qui exige lrsquointeacuteriorisation

la purification et la pacification La personne doit passer par les cinq deacuteserts crsquoest-agrave-dire deacuteserter

successivement le peacutecheacute le monde la chair sa volonteacute propre et mecircme sa raison Crsquoest la deacutevotion

qui aide agrave passer de lrsquoaction agrave la contemplation La derniegravere est orienteacutee vers la connaissance du

mystegravere de Dieu Elle passe de la connaissance du creacuteateur dans le miroir de la creacuteature corporelle

jusqursquoagrave la vision de la Triniteacute Parmi les trois hieacuterarchies supeacuterieures qui seront ouvertes au

contemplatif il y a les raisons judicielles (les Trocircnes) formelles (les Cheacuterubins) et finales (les

Seacuteraphins) Les deux derniers deacuteserts couronnent la vie contemplative le sixiegraveme deacutesert lrsquounion

mystique avec le Christ dans lrsquoesprit du contemplatif ce qui est symboliseacute par la geacuteneacuteration

spirituelle du Fils de Dieu par la Vierge (en passant par cette eacutetape le contemplatif sort de lui-mecircme

ce qui signifie la mort de lrsquohomme cela veut dire le remplacement de la raison et de la volonteacute

humaine par celles de Dieu) le septiegraveme est lrsquoidentification au Christ ce qui signifie que le

contemplatif doit venir aider ses fregraveres comme le Christ qui est venu pour sauver les hommes

Ainsi les Sermons sont une œuvre homileacutetique mais qui est en mecircme temps riche par ses

doctrines theacuteologiques ndash un veacuteritable fruit des reacuteflexions drsquoun maicirctre et guide spirituel

149 Ibid p 232 150 Ibid p 224 Chacirctillon rapporte cette doctrine agrave la doctrine de lrsquoappropriation trinitaire laquo selon laquelle les opeacuterations ad extra communes aux trois personnes peuvent ecirctre plus speacutecialement attribueacutees agrave lrsquoune ou agrave lrsquoautre drsquoentre elles raquo (p 224)

34

CHAPITRE II

Le manuscrit de Padoue

Le manuscrit Padova 89 est le seul manuscrit du De unitate connu aujourdrsquohui Tandis que

ce manuscrit unique a eacuteteacute fait agrave Padoue au XIVe siegravecle le De unitate avait eacuteteacute eacutecrit au XIIe siegravecle agrave

Paris Lrsquohistoire se complique par le fait que des passages du De unitate ont eacuteteacute citeacutes par le

philosophe du XIVe siegravecle Jean de Ripa Il les cite sous le nom de De Trinitate et il les attribue agrave

Anselme Il est ainsi eacutevident que le manuscrit de Padoue nrsquoest pas un teacutemoignage direct et qursquoil est

possible que le texte ait eacuteteacute alteacutereacute lors de sa transcription par un copiste des copistes

Le fait que le texte du De unitate ait pu ecirctre alteacutereacute donne une raison pour corriger la

transcription du manuscrit unique Dans son eacutedition du De unitate Martineau a bien fait cela

Dans ce chapitre nous allons eacutetudier les lectures du De unitate (tireacutees du Padova 89) afin de

voir si une interpreacutetation alternative de cette œuvre est possible

II 1 Description du manuscrit

Lrsquoeacutedition du De unitate a eacuteteacute faite sur la base du manuscrit unique qui se trouve

actuellement agrave la bibliothegraveque du couvent de Saint-Antoine agrave Padoue151 Le manuscrit a 200 pages

Il contient les œuvres de Jean Damascegravene (De fide ortodoxa) Boegravece (De Trinitate De duabus

naturis in una persona Christi152) et Anselme (Monologion Prosologion avec les reacuteponses de

Gaunilon etc) Le codex a eacuteteacute copieacute par deux copistes diffeacuterents Les œuvres jusqursquoagrave la page 176

sont eacutecrites en eacutecriture gothique calligraphique franccedilaise et agrave partir de la page 177 par une main

moins soigneuse et eacuteleacutegante non franccedilaise La pagination nrsquoest pas non plus unifieacutee dans tout le

manuscrit La deacutecoration des majuscules par contre lrsquoest153 Le manuscrit est dateacute du XIVe siegravecle

(la datation preacutecise peut ecirctre tireacutee de lrsquoexplicit de lrsquoœuvre drsquoAchard laquo Sub anno incarnationis

ejusdem Domini 1352 Amen raquo 188v)

Le De unitate se trouve entre les pages 177r et 188v en un seul cahier Lrsquoordre des folios a

eacuteteacute bouleverseacute lrsquoœuvre se lit donc selon la seacutequence suivante 177 180 179 182 181 178 187

151 Padova Bibliotheca Antoniana Scaff V 89 152 Celui qui est connu aujourdrsquohui sous le nom Contra Eutychen et Nestorium 153 ABATE G LUISETTO G Codici e manoscritti della Biblioteca Antoniana col catalogo delle miniature eacuted F AVRIL F DARCAIS et G MARIANI CANOVA t 1 Vicenza 1975 p 106-107 Cassandro C Giovegrave Marchioli N Massalin P e Zamponi S I manoscritti datati della provincia di Vicenza e della Biblioteca Antoniana di Padova Tavarnuzze 2000 p 65

35

184 183 186 185 188154 Le manuscrit ne porte pas de nom drsquoauteur et le texte se trouve entre les

œuvres drsquoAnselme (entre le De Casu Diaboli Dialogus et le Liber Orationum) La page 176v

contient une reacuteclame indiquant que la page suivante devrait commencer par les mots laquo voluntas

tripliciter raquo mais ce nrsquoest plus le cas

Toutes les œuvres preacutesentes dans le codex sauf le De unitate comportent des tables des

chapitres et parfois un prologue Le deacutebut du De unitate ne donne pas de titre Cela et la reacuteclame

du 176v permettent de supposer que le deacutebut a eacuteteacute perdu155

Le titre est introduit agrave la fin laquo De unitate et pluralitate creaturarum raquo

Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny remarque que le fragment du manuscrit de Padoue nrsquoest pas la

seule œuvre drsquoAchard trouveacutee en compagnie des œuvres drsquoAnselme Lrsquoun des manuscrits de Saint-

Victor qui se trouve actuellement agrave la Bibliothegraveque Nationale de France contient un autre traiteacute

drsquoAchard qui a pour thegraveme le verset Ductus est Ihesus in deserto156 transcrit avec le Prosologion et

des extraits du Monologion157

En ce qui concerne la qualiteacute du manuscrit de Padoue Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny remarque

laquo En plusieurs passages on soupccedilonne des homoioteleuton des mots omis ou mal

interpreacuteteacutes et la confrontation des citations abondantes drsquoAugustin avec une eacutedition

correcte donne de graves inquieacutetudes quant au reste de la transcription158 raquo

Dominique Poirel dit que laquo le manuscrit de Padoue offre un texte visiblement alteacutereacute raquo159

Vu que le Padova 89 a eacuteteacute copieacute deux siegravecles apregraves la reacutedaction du De unitate et que des

doutes concernant son exactitude ont eacuteteacute exprimeacutes nous nous permettons de supposer que des

fautes pouvaient apparaicirctre lors de la transmission de texte Notamment nous avons trouveacute un

endroit ougrave les chapitres pouvaient ecirctre deacutecoupeacutes autrement

154ABATE G LUISETTO G Codici e manoscritti della Biblioteca Antoniana col catalogo delle miniature eacuted F AVRIL F DARCAIS et G MARIANI CANOVA t 1 Vicenza 1975 p 110 155 ABATE G LUISETTO G Codici e manoscritti della Biblioteca Antoniana col catalogo delle miniature eacuted F AVRIL F DARCAIS et G MARIANI CANOVA t 1 Vicenza 1975 p 110-111 156 Crsquoest le Sermon XV 157 M-T DrsquoALVERNY laquo Notes sur deux œuvres theacuteologiques du XIIe siegravecle Alain de Lille Expositio prosae de Angelis Achard de Saint-Victor De Trinitate raquo dans Bibliothegraveque de lrsquoEacutecole des Chartes t 112 1954 p 249 158M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 301 159 D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p 509

36

II11 I 19-20 le deacutecoupage en chapitres

Voyons la fin du chapitre I 19 et le deacutebut du chapitre I 20

Texte latin Traduction franccedilaise (Martineau)

Quis ergo ibi magis concedendus

fuerit numerus ubi est et origo et finis

omnium ubi est et illa principalis et

prima substantiae scilicet Patris figura et

forma increata a qua et juxta quam

figurantur et formantur omnia

Quel nombre en effet admettra-t-on de

preacutefeacuterence lagrave ougrave se trouve lrsquoorigine et la fin de

toutes choses lagrave ougrave est aussi cette figure

principale et premiegravere de la substance ndash crsquoest-agrave-

dire du Pegraveremdash et cette forme increacuteeacutee agrave partir de

laquelle et drsquoapregraves laquelle toutes choses sont

figureacutees et formeacutees

Numerus quoque penes quem vis

et forma consistit omnium rerum ab

unitate aequalitas ab aequalitate species

omnes docetur procedere inaequalitatis

Aequalitas illa in tribus constituitur et tria

sunt praecepta secundum quae omnis illa

inaequalitas derivatur

En outre le nombre au pouvoir duquel se

trouve la vertu et la forme de toutes choses crsquoest

lrsquoeacutegaliteacute qui provient de lrsquouniteacute crsquoest de

lrsquoeacutegaliteacute est-il enseigneacute que procegravedent toutes les

espegraveces drsquoineacutegaliteacute Cette eacutegaliteacute est poseacutee entre

trois termes et il y a trois regravegles selon lesquelles

toute cette ineacutegaliteacute en deacuterive160

Le corpus des chapitres I 19-20 peut ecirctre modifieacute de telle sorte que la premiegravere phase du

chapitre I 20 srsquoajoute agrave la fin du chapitre I 19 Cette phrase peut servir en tant que suite de la

question poseacutee agrave la fin du chapitre I 19 Voici ce que cela donne

Texte latin corrigeacute Traduction corrigeacutee

Quis ergo ibi magis concedendus

fuerit numerus ubi est et origo et finis

omnium ubi est et illa principalis et

prima substantiae scilicet Patris figura et

forma increata a qua et juxta quam

figurantur et formantur omnia numerus

quoque penes quem vis et forma consistit

omnium rerum

Quel nombre en effet admettra-t-on de

preacutefeacuterence lagrave ougrave se trouve lrsquoorigine et la fin de

toutes choses lagrave ougrave est aussi cette figure

principale et premiegravere de la substance ndash crsquoest-agrave-

dire du Pegraveremdash et cette forme increacuteeacutee agrave partir de

laquelle et drsquoapregraves laquelle toutes choses sont

figureacutees et formeacutees mais aussi le nombre au

pouvoir duquel se trouvent la vertu et la forme

160ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 19-20 p 92-93

37

de toutes choses

Ab unitate aequalitas ab

aequalitate species omnes docetur

procedere inaequalitatis

Lrsquoeacutegaliteacute provient de lrsquouniteacute de lrsquoeacutegaliteacute

est-il enseigneacute procegravedent toutes les espegraveces

drsquoineacutegaliteacute

De cette faccedilon le chapitre I 19 reccediloit un autre argument en faveur du nombre trois161 et le

chapitre I 20 commence le nouvel argument baseacute sur le De arithmetica de Boegravece

Ainsi nous proposons de changer le deacutecoupage original des chapitres I 19-20 du manuscrit

de Padoue

II 2 Lrsquoeacutedition de Martineau une eacutevaluation

Il est difficile drsquoomettre le fait que lrsquoeacutedition princeps du De unitate a eacuteteacute faite drsquoun point de

vue assez original Lrsquoeacutediteur de cette œuvre se considegravere laquo un simple apprenti pheacutenomeacutenologique

non pas un meacutedieacuteviste162 raquo

Contrairement agrave Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny Martineau a beaucoup de confiance dans le

manuscrit de Padoue Il accuse mecircme Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny de lancer laquo une campagne de

deacutenigrement et mecircme de diffamation de lrsquounique teacutemoin du De unitate163 raquo dont il a voulu

deacutebloquer la publication Martineau tente de reacutefuter lrsquoargument principal de Marie-Theacuteregravese

drsquoAlverny en faveur de mauvaise qualiteacute du manuscrit ndash la confrontation des citations drsquoAugustin

avec une eacutedition correcte A son avis la diffeacuterence nrsquoest pas si grave et donc elle ne peut servir en

tant que teacutemoignage drsquoune faiblesse de ce manuscrit164 En effet Martineau se concentre

uniquement sur le manuscrit de Padoue Il ne soutient pas lrsquohypothegravese de Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny

que ce manuscrit pouvait servir en tant que source de Jean de Ripa Ainsi les extraits ripiens nrsquoont

aucune autoriteacute pour Martineau165

En mecircme temps Martineau prend le copiste du manuscrit pour un laquo imbeacutecile raquo qui ne

comprend pas ce qursquoil copie166 Cela lui permet de proposer plusieurs ajouts qui constituent parfois

de veacuteritables hypothegraveses eacuteclaircissant le sens des phrases Par conseacutequent Martineau a introduit

quelques corrections facilitant la compreacutehension du texte Les pluparts de ces corrections

161 Crsquoest laquo le nombre au pouvoir duquel se trouvent la vertu et la forme de toutes choses raquo 162 E MARTINEAU laquo Note sur le manuscrit de Padoue et la preacutesente eacutedition raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 67 163 Ibid p 63 164 Ibid p 65-66 165 Ibid p 64 166 Ibid p 64

38

concernent des formes grammaticales167 La preacutesence de ces corrections montre que lrsquoeacutedition de

Martineau deacutepasse la simple transcription du texte mais elle comprend aussi lrsquoaspect critique

destineacute agrave reacutetablir le sens du De unitate

La lecture du manuscrit montre quelques endroits qui lus autrement peuvent avoir un autre

sens Nous allons eacutetudier ces cas pour eacutevaluer lrsquoefficaciteacute de la strateacutegie choisie par lrsquoeacutediteur

II21 La veritas et lrsquounitas

La notion drsquounitas est une des notions centrales de la doctrine drsquoAchard La maniegravere de

lrsquoeacutecrire dans le manuscrit ressemble agrave celle de la veritas

Voici le mot unitas

bull Parfois le mot est eacutecrit clairement

177r colonne gauche ligne 2

Les cas semblables

177r colonne gauche lignes 3 7 10 11 14 21 22 36 40 colonne droite lignes 1 6 11

12 19 (2) 22 26 32 37 177v colonne gauche lignes 3 13 25 34 38 39 41 colonne droite

lignes 3 17 24 27 32

bull Parfois il est abreacutegeacute agrave la fin

177v colonne droite ligne 38

Les cas semblables

180r colonne droite ligne 44 180v colonne droite ligne 3 8 12 22 24 34 (2) etc

186v colonne droite ligne 13

bull Parfois il est abreacutegeacute au milieu ( ui )

177r colonne droite ligne 41 167 Voir les notes agrave lrsquoeacutedition drsquoACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 ch I 5 p 74 note c consideratur agrave considerato I 7 p 76 note b quidem agrave quod etc

39

Les cas semblables

177v colonne gauche ligne 32 colonne droite ligne 19 180v colonne droite ligne 43

179r colonne gauche ligne 12 179v colonne gauche ligne 15

Voici le mot Veritas

bull Le mot Veritas est toujours abreacutegeacute u ou plutocirct u pour deacutesigner ver

184v colonne gauche ligne 6

Les cas semblables

184v colonne droite ligne 24 186r colonne droite ligne 22

bull Parfois lrsquoeacutecriture drsquoun trait dans lrsquoabreacuteviation de veritas nrsquoest pas claire mais il

ressemble toujours agrave un trait courbe et le mot se lit donc comme veritas

181r colonne gauche ligne 10

Les cas semblables

181 v colonne droite ligne 12-13 187v colonne droite ligne 19 35 38 184r colonne

gauche ligne 45 184v colonne gauche ligne 3 colonne droite ligne 1 186r colonne droite

ligne 24 25 187v colonne droite lignes 19 35 38 39 40 (2) 184r colonne gauche ligne 45

etc

bull Le trait nrsquoest pas clair quand le mot se trouve agrave la fin de la ligne

187v colonne droite ligne 38

Le cas semblable 186r colonne gauche ligne 32

bull Sauf ce cas unique verite deacutesigne veritate

185v colonne droite ligne 5

Dans tous les cas que nous avons eacutetudieacutes la transcription de Martineau est correcte du point

de vue de la paleacuteographie Pourtant dans plusieurs cas ougrave lrsquoabreacuteviation se lit unitas Martineau

transcrit veritas Et vice versa

40

Les deux groupes de fautes semblables existent dans les chapitres I 1-10 et II 3-18 Nous

allons drsquoabord observer les corrections faites par Martineau lors de sa transcription et ensuite nous

allons estimer la neacutecessiteacute de ces corrections

I 1-10

Voici des cas ougrave nous voyons clairement le trait vertical courbe qui correspond agrave veritas

Pourtant Martineau transcrit unitas

177r colonne gauche ligne 10

Les cas semblables

177r colonne gauche lignes 16 177v colonne gauche ligne 27 colonne droite lignes 6 7

20 21 31

177r colonne droite ligne 16

Les cas semblables

177r colonne droite lignes 21 177v colonne gauche lignes 35 36 180v colonne gauche

ligne 14

Quelle eacutetait la motivation de Martineau Voyons le texte

I 1

laquo Impossibile namque est pluralitatem vel esse vel dici proprie nisi quia est ipsa pluralitatis

unitas id est vera pluralitas vel quia imitatur eam Imitari autem eam nequit quin ipsa sit

Ipsa igitur est esse autem non potest nisi ubi et unitas vera nec unitas vera nisi in Deo Ibi

ergo et veram consistere oportet et pluralitatem et unitatem sed non secundum idem raquo

Si lrsquoabreacuteviation en question (en gras) eacutetait transcrite comme veritas cela donnerait

lrsquoexpression tautologique veritas vera

I 2

laquo Creaturarum quoque pluralitas tam longe est ab unitate summa ut ei inhaerere immediate

non possit Non solum enim ab ea distat quia haec pluralitas illa unitas est sed quia haec

temporalis est cum illa sit aeternahellip raquo

41

Lrsquoopposition unitas-pluralitas est preacutesente ici Il nrsquoy a pas de raisons de la changer pour

lrsquoopposition veritas-pluralitas

I 5

laquo Tanta etiam causa dignoscitur esse pulchritudo hujus unitatis pluribus communis ut

pulchrior esse nequeat unitas singularis id est eorum quae inest singulis sed inferior ubique

istius occurrit pulchritudo nisi cum creatura suo unitur creatori et ei adhaerens unus

efficitur spiritus ubi tamen multo praestantior et gratior est unitas qua in unum

conglutinantur spiritum quam ea quae in solo spiritu creatohellip raquo

Ici les degreacutes de lrsquouniteacute sont compareacutes

Ces exemples sont similaires aux autres cas dans les chapitres I 6-10 Le sujet de ces

chapitres est la relation entre lrsquouniteacute et la pluraliteacute Dans ce cas le choix de la correction est justifieacute

par le contexte

Voici un cas ougrave Martineau lit lrsquoabreacuteviation drsquounitas (trait horizontal) comme veritas

177v colonne gauche ligne 12

I 7

laquo Unde et veritas ut summam sui et Patris qualis reperiri nequeat alibi commendaret

unitatem laquo Ego inquit in Patre et Pater in me est raquo raquo

Achard introduit une citation de la Bible (Jean XIV 11) qui parle du Fils de Dieu qui est la

Veacuteriteacute (laquo ego sum via et veritas raquo Jean XIV 6) De plus il y a deacutejagrave le mot unitas dans cette

phrase Voilagrave pourquoi la correction veritas est justifieacutee

En somme la majoriteacute des cas douteux ougrave le mot abreacutegeacute comme veritas se lit par Martineau

comme unitas se trouvent dans les chapitres I 1-10 Ces lectures sont deacutefinies par le contexte (la

doctrine de lrsquouniteacute de Dieu) et par plusieurs cas clairs de lrsquoabreacuteviation du mot unitas

II 3-18

Dans les chapitres II 3-18 Martineau lit souvent lrsquoabreacuteviation drsquounitas comme veritas

187v colonne droite ligne 40

42

Les cas semblables

184r colonne droite lignes 34 37 184v colonne droite ligne 18 183v colonne gauche

lignes 17 22 186r colonne gauche ligne 40 186 v colonne droite ligne 31 etc

187v colonne droite ligne 22

Les cas semblables

187v colonne droite lignes 36 41 45(2) 184r colonne droite ligne 41 43 184v colonne

droite lignes 3 30 183r colonne gauche ligne 18 183v colonne gauche ligne 18 183v

colonne gauche lignes 22 26 etc

Parfois le copiste met un petit trait au-dessus drsquoui qui sur notre reproduction ressemble agrave un

point Il peut ecirctre interpreacuteteacute soit comme un tilde soit comme un trait courbe Par conseacutequent ce

signe est ambigu il peut signifier soit unitas soit veritas

187v colonne droite ligne 40

Les cas semblables

184r colonne droite ligne 38 183r colonne gauche ligne 18 183r colonne droite ligne

37 186r colonne gauche ligne 23 25 colonne droite ligne 3 etc

Voyons le texte

II 3

laquoIn veritate igitur illa aeterna ex qua tempora omnia facta sunt formam secundum quam

sumus et secundum quam vel in nobis vel in corporibus vera et recta ratione aliquid

operamur visu mentis aspicimus quae certe alia non potest esse nisi veritas ipsa in qua

formam rei cujuscumque ab altenus forma distinctam evidenter raquo

Dans ce passage la lecture veritas est susciteacutee par la citation drsquoAugustin (De Trinitate IX

VII) agrave laquelle Achard reacutefegravere Lrsquoabreacuteviation du mot veritate qui appartient au texte drsquoAugustin

(187V colonne droite ligne 19) est plus claire

laquo Cum etiam hujusmodi forma id est ratio formalis rei cujuslibet ipsius sit veritas si rerum

omnium forma haec sine distinctione esset una et veritas omnium eodem modo esset una

et nulla consideratione aliquatenus distincta Quod quidem si esset nec si quis in Dei

43

contemplatione rei alicujus veritatem videre posset quin pariter et eo ipso cujuslibet etiam

rei alterius veritatem agnosceret nec veritatem rei unius sciret quin simul et veritatem

sciret omnium nec intelligeret alter ibi aliquid de rerum veritate quod non alter sed nec id

quod penitus sine omni distinctione esset et in participationem aliquam venire posset nec

pateret quomodo quis id per se ipsum et in se ipso videret quin tantum videret vel quomodo

etiam Deus ltnecgt ipse aliquid circa veritatem sive in veritate rerum videret raquo

Tous ces cas du deacutechiffrement de veritas sont impliqueacutes par la premiegravere occurrence de

veritas dans ce passage qui se lit clairement (187v colonne droite ligne 35)

II 4

laquo Deus autem intelligit rerum omnium rationes et veritates aeternas propter quas ltetgt in

quibus vere dicitur intelligere et vere res intelligit omnes utpote qui eas non per speculum et

in aenigmate non in imaginibus vel umbris ltsedgt in ipsis earum contemplatur veritatibus

vel magis ipsas earum veritates quae utique aliud non sunt quam intelligens ipse Et ideo

ipse res videt non solum vere sed et immediate nec per aliud quam per se nec in alio quam

in se quae quidem Dei visio quasi quaedam est ipsius Dei videntis et veritatis rei visae ut

dictum est connexio Juxta quod ut postmodum assignabitur ltutgt rationes rerum ltetgt

veritates ad Filium sic et [ad] intellectus earum referri poterint ad considerationem

Spiritultsgt sanctltigt ut nam ad Filium distinctio sic ad Spiritum sanctum si monstrata est et

adhuc monstranda est pertinerelttgtm connexio raquo

Les cas de la lecture de veritas sont deacutetermineacutes ici par le contexte

- selon la Bible le Fils est la veacuteriteacute (Jean XIV 6) De cette faccedilon il paraicirct

logique de dire que les veacuteriteacutes sont dans le Fils

- lrsquoopposition veacuteriteacute-image correspond agrave la doctrine platonicienne que les

choses qui existent dans le monde sont les imitations des ideacutees eacuteternelles et agrave la doctrine

chreacutetienne que lrsquohomme a eacuteteacute creacuteeacute selon image de Dieu168

De plus les raisons sont clairement appeleacutees des veacuteriteacutes plus loin dans le texte (II 4 184v

colonne gauche lignes 3 et 6)

Dans les autres cas des chapitres II 3-18 quand les abreacuteviations avec un tilde ou avec un

point ont eacuteteacute interpreacuteteacutees comme veritas Martineau a fait ce choix pour les mecircmes raisons

168 Un exemple de lrsquoassemblage de ces deux doctrines est dans le De officiis drsquoAmbroise de Milan laquo Hic umbra hic imago illic ueritas umbra in Lege imago in Euangelio ueritas in caelestibus raquo I XLVIII eacuted TESTARD Turnhout 2000 (CCSL 15) p 88

44

Quelques cas de lrsquoemploi du mot unitas se trouvent aussi dans ces chapitres

- 184r colonne gauche linge 30 184v gauche 41 186v colonne droite ligne 13 ndash la lecture

claire du mot unitas

- 184r colonne gauche 45 ndash le mot unitatem abreacutegeacute avec le tilde Il srsquoagit de lrsquouniteacute de

personne du Verbe incarneacute de Dieu (laquo Ibi et ipse homo a Dei verbo et veritate summa in

unitatem personae susceptus raquo) La lecture est ainsi impliqueacutee par le contexte

Il y a un cas ougrave lrsquointerpreacutetation de Martineau peut ecirctre changeacutee

184r colonne gauche ligne 18

Martineau lit cette abreacuteviation comme unitatem Voyons le contexte

II 3

laquo item creaturarum beatitudines nonnisi beatitudinis summae quae in Deo et Deus est

quaedam sunt derivationes et utraeque non aliud sunt nisi creaturae rationalis ad creatorem

suum tanquam imaginis ad unitatem connexiones quae et ipsae connexionis summae quae

inter personas Trinitatis est videntur esse quaedam imagines raquo

Ici il est possible de lire veritatem pour la mecircme raison qursquoen II 4 pour eacutetablir lrsquoopposition

entre lrsquoimage et la veacuteriteacute

En somme il est eacutevident que Martineau a choisi la strateacutegie drsquointerpreacuteter les lectures selon le

contexte au lieu de transcrire purement et simplement En I 1-10 il lit toujours les abreacuteviations

avec un trait courbe comme unitas et une fois lrsquoabreacuteviation avec un tilde comme unitas En II 3-18

les abreacuteviations avec un trait courbe ou avec un point sont lues plutocirct comme veritas

Apparemment Martineau a choisi ces lectures car en I 1-10 il srsquoagit de la doctrine de lrsquouniteacute de

Dieu et en II 3-18 des raisons eacuteternelles qui sont les veacuteriteacutes dans la Veacuteriteacute

Nous avons pu repeacuterer seulement une fois ougrave la lecture de Martineau peut ecirctre contesteacutee Il

srsquoagit du mot unitatem qui serait lu plutocirct comme veritatem en II 3 (184r colonne gauche ligne

18)

45

II22 hochaechic en II 2-3

Sur la reproduction du Padova 89 nous ne voyons pas clairement de diffeacuterence entre hoc et

haec mais la diffeacuterence est assez claire entre hoc et hic

Parfois le copiste eacutecrit clairement hoc

177v colonne gauche ligne 14

Les cas semblables

177 v colonne droite ligne 26 187v colonne gauche ligne 44 etc

Dans la plupart de cas il utilise cette abreacuteviation

- h avec un point (souvent prolongeacute drsquoun trait de fuite) qui peut ecirctre eacutegalement lu

comme un trait (lui aussi souvent prolongeacute drsquoun trait de fuite)

Martineau lrsquointerpregravete en tant que haec (avec un trait) ou hoc (avec un point) Les deux

tendent agrave se deacuteformer et agrave se confondre agrave cause de la cursiviteacute

Dans le traiteacute I

Haec 177r colonne gauche lignes 15 16 (2) 17 18 177 v colonne gauche lignes 17 et

45 colonne droite ligne 24 180r colonne gauche ligne 39 colonne droite ligne 40 etc

Hoc 177r colonne gauche ligne 27 177 v colonne droite ligne 39 etc

La diffeacuterence graphique nrsquoest pas clairement perceptible entre les deux cas Etudions un

exemple pour comprendre la logique de lrsquointerpreacutetation de Martineau

I 2

laquo Creaturarum quoque pluralitas tam longe est ab unitate summa ut ei inhaerere immediate

non possit Non solum enim ab ea distat quia haec pluralitas illa unitas est sed quia haec

temporalis est cum illa sit aeterna haec in mensura cum illa sit immensa haec mutabilis

atque corruptibilis cum illa sit immutabilis atque incorruptibilis haec creata illa increata

Exigit itaque ratio super hanc pluralitatem a Deo remotam constitui aliquam superiorem quae

illi summae unitati cohaereat immediate et quasi mediata sit inter illam unitatem et hanc

pluralitatem Media autem intelligatur non loco aut dignitate sed causa atque imagine id est

46

quae sit ex illa et qua sit ista similitudine etiam commune scilicet aliquid habens cum

utraque cum ista quia pluralitas est cum illa quia increata est quia immutabilis etc Quae de

unitatis natura sunt dicta ut sic pluralitas ista per hoc quod habet cum illa commune ei

posset aliquatenus inhaerere et unitati etiam mediante pluralitate raquo

Dans ce passage les premiegraveres abreacuteviations sont lues comme haec dans lrsquoopposition avec

illa De plus il est clairement marqueacute hanc pluralitatem agrave lrsquoaccusatif La derniegravere abreacuteviation est

interpreacuteteacutee comme hoc car il est preacuteceacutedeacute per qui demande lrsquoaccusatif et suivi par quod habet qui

demande un neutre singulier

Dans les autres cas Martineau interpregravete h comme haec soit dans le cas drsquoopposition

haecilla (I 810) soit quand cela est grammaticalement justifieacute (haec unitas I 8)

Dans le traiteacute II la mecircme abreacuteviation (h) est eacutegalement preacutesente

Hoc 187r colonne droite lignes 11 et 23 187v colonne gauche lignes 2 4 (2) 19 et 29

colonne droite ligne 26 etc

Haec 187v colonne gauche ligne 40 184r colonne droite ligne 7 etc

Dans ces chapitres Martineau lit h comme hoc sauf srsquoil deacutesigne le mot au feacuteminin (forma

prima II 2 et 3)

Une fois Martineau lit mecircme lrsquoabreacuteviation comme haec (187v colonne droite ligne

36) car elle deacutesigne la forme Dans un autre endroit il lit une abreacuteviation semblable comme licet

(184r colonne droite ligne 5)

En somme nous avons vu que les abreacuteviations drsquohoc et drsquohaec sont en pratique tregraves proches

et crsquoest le sens du contexte (opposition haecilla) qui preacutecise lrsquointerpreacutetation

Voici comment le copiste deacutesigne hic

h avec une ligne verticale

Dans le traiteacute I 180r colonne droite ligne 42 180v colonne gauche ligne 1 colonne

droite ligne 1 etc 179v colonne gauche ligne 34 colonne droite ligne 29 182v colonne

droite lignes 17 25 etc

Dans le traiteacute II 187r colonne droite ligne 29 187v colonne gauche ligne 30 colonne

droite ligne 2 11 et 28 etc

47

Parfois Martineau lit hic mecircme si lrsquoabreacuteviation ressemble plutocirct agrave hochaec

II 1

laquo Itltemgt ne quis ipsum hoc aliter exponeret lucem vocans in verbo Dei quod hic factum

est eo solum quod illuminamur per rerum intelligentiam praecipue cum eas intelligimus

prout ibi sunt raquo - 187r colonne droite ligne 12

Dans ce cas nous pourrions lire hoc Mais hic est justifieacute par lrsquoopposition avec ibi

II 2

laquo Omnia fecisti in sapientia nec secundum aliam utique nisi ltsecundumgt eandem ipsam

ipsa autem facta non est vel formata ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque

prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna quae ex ipsa est actualiter in rebus

ipsis temporaliter factis et ideo ipsa quoque hic facta temporalis raquo - 187v colonne droite

ligne 9

Ici ni hoc ni haec nrsquoont sens Il y a aussi la tendance agrave mettre ensemble facta et hic pour

souligner la creacuteation temporelle ici

II 3

laquo ut quod ibi in seipso sine termino in istis quoque sit et sine numero ibique nihil sit in sua

unitate quod non hic totum sit in varia et multiplici imo infinita distinctione raquo - 184r

colonne gauche ligne 30

Hoc au lieu de hic ici changerait le sens de cette phase et donnerait une nouvelle

interpreacutetation agrave la doctrine drsquoAchard169 La seule raison de mettre hic est de garder lrsquoopposition

hicibi qui est renforceacutee par lrsquoopposition ibiin istis

De cette faccedilon il existe des interpreacutetations des abreacuteviations hic et hoc alternatives agrave celles

proposeacutee par Martineau Nous croyons que le seul cas signifiant est celui du chapitre II 3

169 Cela donnerait la traduction suivante laquo et qursquoil nrsquoy a rien lagrave-bas dans lrsquouniteacute de Dieu qursquoil ne soit tout entier dans une distinction varieacutee et multiple et mecircme infinie raquo La distinction serait de cette faccedilon dans lrsquouniteacute de Dieu et non dans le monde

48

II23 Le deacutecoupage des phrases en I 30

Nous voudrions eacutegalement modifier leacutegegraverement la traduction de Martineau de la

phrase suivante

Rationes igitur quae Filium a Patre ostenderunt

procedere idipsum probant et de amborum

aequalitate quod autem a Filio procedat cum

ab ipsa non possit Filius procedere siquidem

ltquodgt nihil a sua ut astruximus procedit

aequalitate arguit ratio illa de unitate superius

proposita

Les raisons donc qui ont montreacute que le Fils

procegravede du Pegravere prouvent aussi la mecircme chose

agrave propos de lrsquoeacutegaliteacute des deux agrave savoir qursquoelle

procegravede du Fils quand bien mecircme le Fils ne

peut proceacuteder drsquoelle-mecircme de fait que rien

comme on lrsquoa eacutetabli ne procegravede de sa propre

eacutegaliteacute crsquoest ce qursquoa deacutemontreacute notre

raisonnement anteacuterieur au sujet de lrsquouniteacute170

Martineau interpregravete cette phrase de telle faccedilon que le fait que le Fils provient du

Pegravere signifie que lrsquoeacutegaliteacute provient du Fils Nous croyons que cette phrase peut contenir

deux arguments

1) laquo Rationes igitur quae Filium a Patre ostenderunt procedere idipsum probant

et de amborum aequalitate raquo ndash laquo Les raisons donc qui ont montreacute que le Fils procegravede du

Pegravere prouvent aussi la mecircme chose agrave propos de lrsquoeacutegaliteacute des deux raquo a savoir que lrsquoeacutegaliteacute

provient du Pegravere

Nous croyons que le mot rationes peut indiquer dans ce cas les arguments proposeacutes

dans les chapitre I 26-28 ougrave Achard deacutemontre la provenance du Fils (lrsquoeacutegal) agrave partir du

Pegravere (lrsquouniteacute) vu que le Pegravere (lrsquouniteacute) provient de lui-mecircme

2) laquo Quod autem a Filio procedat cum ab ipsa non possit Filius procedere

siquidem ltquodgt nihil a sua ut astruximus procedit Aequalitate arguit ratio illa de unitate

superius proposita raquo ndash laquo Ce que lrsquoeacutegaliteacute procegravede du Fils puisque le Fils ne peut proceacuteder

drsquoelle-mecircme du fait que rien comme on lrsquoa eacutetabli ne procegravede de sa propre eacutegaliteacute crsquoest ce

qursquoa deacutemontreacute notre raisonnement anteacuterieur au sujet de lrsquouniteacuteraquo

Cela veut dire que lrsquoeacutegaliteacute provient du Fils car le Fils ne provient drsquoelle La

deuxiegraveme partie de la phrase (laquo arguit ratio illa de unitate superius proposita raquo) peut deacutesigner

lrsquoargument du chapitre I 22 ougrave Achard explique que rien ne procegravede de son eacutegaliteacute car laquo il

170 De unitate I 30 eacuted MARTINEAU p 100-101 une rare faute causeacutee probablement par le manque drsquoattention Martineau traduit laquo eacutegaliteacute raquo au lieu de lrsquouniteacute

49

convient de consideacuterer chaque chose en soi avant de la consideacuterer dans lrsquoeacutegaliteacute drsquoune autre171 raquo

De cette faccedilon la phrase eacutetudieacutee dit que lrsquoeacutegaliteacute provient du Pegravere (1) et du Fils (2)

Ainsi nous proposons de modifier la traduction du chapitre I 30 faite par Martineau

Nous avons eacutetudieacute le manuscrit unique du De unitate et son interpreacutetation par Emmanuel

Martineau

Nous avons trouveacute un problegraveme possible de transmission

- le deacutecoupage des chapitres I 19-20

Nous avons eacutegalement trouveacute des points faibles dans lrsquointerpreacutetation de Martineau

1) le deacutechiffrage des certains mots

- unitasveritas

- haechic et hic

2) le deacutecoupage des phrases en I 30

En somme nous croyons que lrsquoeacutedition de Martineau rend le texte de Padova 89 de maniegravere

assez claire mais qursquoil faut rendre compte du fait que les autres interpreacutetations sont possibles

171 laquo Et prius est quamque rem considerare in se quam in alterius aequalitate raquo De unitate I 22 eacuted MARTINEAU p 94

50

CHAPITRE III

Examen deacutetailleacute du De unitate

III1 A la recherche du De unitate

III11 Lrsquohistoire de la redeacutecouverte

Il semble que le De unitate soit reacuteapparu dans le champ intellectuel franccedilais gracircce au

hasard172 Les premiegraveres traces du De unitate ont eacuteteacute retrouveacutees par Andreacute Combes dans le

Commentaire de Jean de Ripa sur le premier livre des Sentences et ont eacuteteacute publieacutees en 1944173

Combes a mis en doute lrsquoattribution des extraits agrave saint Anselme donneacutee par Jean de Ripa mais il

nrsquoa rien proposeacute en remplacement En 1948 Jean Chacirctillon a publieacute son article consacreacute agrave la

christologie drsquoAchard de Saint-Victor174 ougrave il a citeacute les autres extraits du De unitate apparus dans

la lettre de Jean de Cornouailles Eulogium ad Alexandrum papam tertium (1176 ou 1177)175

Finalement le puzzle a eacuteteacute mis en ordre par Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny qui au deacutebut de lrsquoanneacutee

cinquante a retrouveacute le manuscrit de 1352 du De unitate dans la bibliothegraveque de Padoue176 Elle a

identifieacute ce texte gracircce aux citations de Jean de Cornouailles et de Jean de Ripa et lrsquoa attribueacute agrave

Achard de Saint-Victor Et pourtant lrsquoeacutedition critique et la traduction franccedilaise du De unitate ont

eacuteteacute publieacutees en 1987 par Emmanuel Martineau La traduction anglaise a eacuteteacute accomplie en 2001 par

Hugh Feiss La traduction allemande des fragments du De unitate (I 1-12) a eacuteteacute faite en 2002 par

Hideki Nakamura177 et jrsquoai preacutepareacute la traduction ukrainienne (I 1-11 14) en 2010178

172 Lrsquohistoire deacutetailleacutee et engageacutee de la reacuteapparition du De unitate dans le champ intellectuel de France est deacutecrite par E MARTINEAU laquo La redeacutecouverte du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 11-18 173 A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 174 J CHATILLON laquo Achard de Saint-Victor et les controverses christologiques du XIIe siegravecle raquo dans Meacutelanges F Cavallera Toulouse 1948 p 317-337 175 Cf JOHANNIS CORNUBIENSIS (JOHN OF CORNWALL) laquo Elogium Ad Alexandrum Papam Tertium raquo ed N M HAumlRING dans Medieval Studies t 13 1951 p 267 176 M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 299-306 177 ACHARD VON SAINT-VICTOR De unitate (Dei) et pluralitate creaturarum Uumlber die Einheit Gottes und die Vielheit der Geschoumlpfe (Auszug) in Vom Einen zum Vielen der neue Aufbruch der Metaphysik im 12 Jahrhundert eine Auswahl zeitgenoumlssischer Texte des Neoplatonismus hrsg eingeleitet uumlbersetzt und kommentiert von A FIDORA und A NIEDERBERGER Frankfurt am Main 2002 p 34-49 178 ACHARD DE SAINT-VICTOR De unitate Dei et pluralitate creaturarum trad IV Lystopad dans Penseacutee philosophique 3 2010 p 67-79

51

Pourtant vu que le livre de Martineau a eacuteteacute malheureusement publieacute dans une collection

confidentielle agrave faible tirage cette eacutedition eacutetait peu accessible jusquagrave reacutecemment Crsquoest en partie agrave

cause de cela que nous nrsquoavons que la monographie drsquoIlkhani et quelques articles consacreacutes au De

unitate drsquoAchard En 2003 le facsimileacute de lrsquoeacutedition de Martineau a eacuteteacute publieacute agrave Caen par Gilles

Olivo

II12 Le titre

Il est neacutecessaire de garder en meacutemoire le fait que le titre De unitate ltDeigt et de pluralitate

creaturarum est artificiel et que cette œuvre a porteacute un autre nom ou plutocirct drsquoautres noms agrave

lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale

Le teacutemoignage le plus ancien ndash celui de Jean de Cornouailles ndash mentionne lrsquoœuvre drsquoAchard

sous le nom de De Trinitate Cela permet de la lier theacutematiquement agrave la tradition des œuvres

trinitaires agrave laquelle se rattachent des victorins comme Richard mais aussi des commentateurs

chartrains de Boegravece (comme Thierry) et qui remonte agrave Augustin et Boegravece Elle a aussi eacuteteacute connue

comme De Trinitate agrave lrsquoeacutepoque de la Renaissance179

Lrsquoapparition suivante du texte drsquoAchard a eacuteteacute effectueacutee par Jean de Ripa sous le nom de De

unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum et sous lrsquoautoriteacute drsquoAnselme de Cantorbeacutery180

Le manuscrit retrouveacute par Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny agrave Padoue donne le titre De unitate et pluralitate

creaturarum dans lrsquoexplicit181 Les hypothegraveses destineacutees agrave expliquer cette pluraliteacute de titres ont eacuteteacute

deacutejagrave preacutesenteacutees par Emmanuel Martineau dans sa preacuteface agrave lrsquoeacutedition critique du texte Il admet que

le nom De Trinitate ne vaut que pour la premiegravere partie de lrsquoœuvre drsquoAchard qui a eacuteteacute traiteacutee par

Jean de Cornouailles182 Finalement il rejette la variante ripienne et celle de Jean de Cornouailles

pour valoriser le titre fourni par le manuscrit de Padoue neacuteanmoins leacutegegraverement modifieacute (il ajoute

ltdeigt pour eacutecrire De unitate ltdeigt et pluralitate creaturarum)

Apregraves avoir eacutetudieacute attentivement la doctrine ci-preacutesente nous croyons que le titre De unitate

et pluralitate creaturarum correspond bien agrave la totaliteacute de lrsquoœuvre En effet la pointe de lrsquoouvrage

nrsquoest de distribuer lrsquouniteacute (agrave Dieu) et la pluraliteacute (aux creacuteatures) mais bien au contraire de montrer

que lrsquouniteacute et la pluraliteacute preacutesentes dans les creacuteatures ont en Dieu toutes deux leur origine

179 Notamment dans Index Britanniae scriptorum de Jonh Bale De rebus britanicis Collaectanea de Jonh Leland Voir J MURANO laquo Le opere di Acardo di San Vittore raquo Revue drsquohistoire de textes t 5 2010 p 165-166 E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 46 180A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 р 21-24 181 Padova 89 188v 182 E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 47-52

52

III13 Le plan du De unitate

La division formelle que nous allons utiliser dans ce travail est tireacutee du texte du manuscrit

retrouveacute par Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny dans la bibliothegraveque de Padoue183 Le De unitate y consiste

en deux traiteacutes (qui sont deacutesigneacutes ici respectivement I et II) dont le premier contient 50 chapitres et

le deuxiegraveme 21 La division theacutematique ne correspond pas agrave la division formelle

La premiegravere esquisse de la division du De unitate a eacuteteacute donneacutee par Andreacute Combes dans son

eacutedition critique des extraits du De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum retenus du

texte de Jean de Ripa En reacutealiteacute Combes avait agrave sa disposition seulement les morceaux de trois

chapitres du premier traiteacute (I 4345 et 50) et de onze du deuxiegraveme (II 1-6 10-13 17) il nrsquoavait pas

donc les premiers trente-cinq chapitres consacreacutes aux questions trinitaires Ainsi pour lui la

division du De unitate eacutetait laquo fort simple raquo il y avait les deux traiteacutes laquo consacreacutes au sujet bien

deacutelimiteacute [] (1) des formes creacuteeacutees en les consideacuterant selon leur double mode drsquoexistence dans

lrsquointellect divin et reacutealiseacutees dans les creacuteatures [] (2) des formes premiegraveres et principales [] en

lesquelles il convient de situer le principe des creacuteatures et il [Achard] montrait comment elles se

distinguent entre elles184 raquo Pour Combes la premiegravere partie du De unitate consistait en les

chapitres 43 46 et 50 du traiteacute I et la deuxiegraveme en les chapitres 1-5 10-13 et 17 du traiteacute II

Tandis que le contenu des extraits publieacutes par Andreacute Combes eacutetait assez homogegravene Marie-

Theacuteregravese drsquoAlverny a remarqueacute qursquoil y avait beaucoup de diffeacuterences entre les deux traiteacutes du De

unitate185

La premiegravere critique interne du texte drsquoAchard a eacuteteacute faite par Emmanuel Martineau Il a

remarqueacute que le plan du texte proposeacute dans le chapitre I 12 ne correspondait qursquoagrave une partie du

texte mais il a aussi noteacute la preacutesence du nouveau deacutebut du De unitate dans le chapitre I 37 et de

lrsquoincoheacuterence entre la division bipartite du texte (en deux traiteacutes) et la division tripartite (les trois

causes formelles finales et deacuteployantes tireacutees du chapitre I 42186)

Nous acceptons cette derniegravere division et voudrions ajouter les fragments du De unitate qui

la prouvent Lrsquoindication la plus importante se trouve dans le chapitre I 37

laquo Par toutes les raisons preacuteceacutedentes a donc eacuteteacute deacutemontreacutee semble-t-il la distinction de la

Triniteacute dans le Pegravere le Fils et le Saint-Esprit et les causes de leurs proprieacuteteacutes et de leurs 183 M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 р 300 184 A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 р 67 185 M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954р 302-305 186 E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 52-56

53

noms ont eacuteteacute trouveacutees [hellip] ltMaisgt afin que tout cela ressorte mieux [hellip] essayons une autre

voie conduisant agrave ces buts et adoptons un autre mode de recherche mdash le mode mecircme qursquoont

suivi je crois tous ceux agrave qui il a eacuteteacute accordeacute ou plutocirct donneacute par Dieu de rechercher et de

deacutecouvrir ce point par la raison187 raquo

En outre les chapitres I 1-36 et I 37-II 21 diffegraverent theacutematiquement Dans les chapitres I

1-36 il srsquoagit de la Triniteacute et dans chapitres I 37 agrave II 21 des raisons eacuteternelles des choses creacuteeacutees Au

premier regard il semble que le passage du chapitre I 37 citeacute plus haut nous fournisse la seule

connexion logique entre les deux parties du texte

A partir de maintenant la division du De unitate faite dans le chapitre I 37 sera plus

importante pour nous que celle en deux traiteacutes Ainsi nous appelons les chapitres I 1-36 la

premiegravere partie et les chapitres I 37-II 21 ndash la deuxiegraveme partie

La deuxiegraveme partie elle-mecircme peut ecirctre subdiviseacutee En expliquant ce qursquoil voulait dire par

les laquo causes eacuteternelles raquo dans le chapitre I 39 Achard expose la doctrine des trois sortes de raisons

eacuteternelles laquo Les choses en effet ont trois ltsortes degt raisons celles agrave cause desquelles celles

selon lesquelles et celles par lesquelles elles adviennent [hellip] Toutefois les premiegraveres meacuteritent

drsquoecirctre appeleacutees la plupart du temps finales les secondes formelles ou exemplaires et les troisiegravemes

deacuteployantes ces derniegraveres pouvant ecirctre elles-mecircmes nommeacutees aussi formelles raquo188 En fait le reste

du texte consiste en exposeacute de lrsquoordre geacuteneacuteral des raisons et de chaque type de raisons en

particulier

Ainsi nous acceptons le plan du texte tel qursquoil a eacuteteacute indiqueacute par Martineau

1) I 1-36 ndash la doctrine trinitaire

2) I 37-II 20 ndash la doctrine des trois sortes de raisons

(a) I 37-42 ndash les trois sortes de raisons

(b) I 43-50 et II 1-15 - la premiegravere sorte de raisons formelles

(c) II 16-21 - la deuxiegraveme sorte finales

Les raisons deacuteployantes nrsquoont eacuteteacute jamais exposeacutees De cette faccedilon il est eacutevident que le texte

nrsquoest pas compleacuteteacute

187 laquo Rationibus omnibus praetermissis Trinitatis ostensa videtur distinctio in Patre et Filio et Spiritu sancto quorum proprietatum et nominum causae [hellip] Quae omnia ut magis eluceant manifestiorque [hellip] ad haec eadem aliam ambigemus vialtmgt aliumque investigationis assumemus modum quem reor potius assecutos omnes quibus ratione hoc investigare et invenire concessum imo divinitus datum est raquo De unitate I 37 eacuted EMARTINEAU p 106-107 188 laquo Tres etenim sunt rerum rationes propter quas fiunt secundum quas et per quas [hellip] Sed et primae maxima ex parte finales secundae formales sive exemplares tertiae explicatrices quae et ipsae formales nominari valent eo quod non per eas solum sed juxta eas quodammodo res formetur raquo De unitate I 39 eacuted MARTINEAU p 108-109

54

Il a eacuteteacute deacutejagrave dit que le texte du Padova 89 nrsquoa pas de table de matiegravere ni drsquointroduction

Toutefois Achard annonce le plan de son œuvre dans le chapitre I 12189

Il commence de maniegravere suivante

laquo Maintenant donc il nous reste agrave chercher si avec le secours de la gracircce il est possible de

saisir eacutegalement par la raison ce que nous tenons mdash et qursquoil faut tenir fermement mdash par la

foi mecircme si nulle raison ne comprend qursquoil en est ainsi agrave savoir qursquoil existe en Dieu une

pluraliteacute personnelle En effet depuis le deacutebut de notre exposeacute nous nous sommes proposeacute

lrsquoordre suivant 190 raquo

Ainsi lrsquoauteur se rend compte que le plan est mis au milieu de la narration et non pas au

deacutebut et qursquoil faut y inscrire le morceau qui a eacuteteacute deacutejagrave fait

Le plan est diviseacute en trois parties Observons-les

1) Ce qursquoil a deacutejagrave deacutecouvert

11 laquo In primis raquo ndash laquo la raison tout drsquoabord recherche et deacutecouvre autant qursquoelle

en a le pouvoir que Dieu est qursquoil est un ce que crsquoest que cet un et combien grand il est et toutes

les autres ltquestions qui icigt comme agrave propos de toute autre chose ont coutume de se preacutesenter

suivant un ordre naturel Crsquoest pourquoi nous avons tireacute en consideacuteration conformeacutement agrave sa

succession propre la seacuterie complegravete des preacutedicaments precirctant attention agrave propos de chacun agrave la

question de savoir comment ils peuvent ecirctre dits de Dieu selon eux-mecircmes bien que non pas

veacuteritablement selon eux-mecircmes ni par eux-mecircmes raquo

12 laquo Quibus exsecutis processit ratio raquo ndash laquo si la deacuteiteacute consistait seulement dans

lrsquouniteacute ou bien aussi et agrave part eacutegale dans quelque pluraliteacute quoique non substantielle raquo

2) Ce qursquoil est en train de deacutemontrer (laquo sequitur quod nunc propositum est raquo)

- laquo quel est le mode de cette nature elle-mecircme et peut-elle ecirctre deacutemontreacutee

personnelle raquo

189 laquo Nunc igitur investigandum restat utrumne adjuvante gratia ratione etiam deprehendi queat quod fide tenemus et indubitanter tenendum est etiam si ita esse nulla comprehendat ratio pluralitatem videlicet in Deo consistere personalem Hunc namque ab exordio disputationis nostrae proposuimus ordinem ut in primis ratio quaereret et pro facultate sua inveniret Deum esse et unum esse et quid unum et quantum et caetera ltquaegt tanquam circa rem quamlibet ordine naturali inquirenda occurrere solent Unde et ad considerationem prout ipsa sibi succedit adduximus seriem omnium praedicamentorum attendentes in singulis unde secundum ipsa licet non vere secundum ipsa neque ex ipsis de Deo quidem dici possunt quibus exsecutis processit ratio investigans an in sola consisteret deitas [in] unitate an pariter et in aliqua quamvis non substantiali qualicumque tamen pluralitate Hac igitur ibi variis jam et necessariis inventa assertionibus sequitur quod nunc propositum est cujusmodi natura scilicet ipsa sit et an personalis esse monstrari possit quod cum obtinuerimus deinceps insistendum erit ostendere quota sit et quot ibi sint personae post qualiter distinguendum et juxta singularum proprietates ratio nominum assignanda Tandem vero de personis suis agendum erit nominibus sive conjunctim sive divisim sive secundum communia sive secundum propriaraquo De unitate I 12 eacuted MARTINEAU p 80-83 190 Ici et jusqursquoau la fin du chapitre la traduction du chapitre I 12 est celle de Martineau Voir la note preacuteceacutedente

55

3) Ce qursquoil lui reste agrave voir (laquo quod cum obtinuerimus deinceps insistendum erit

ostendere raquo)

31 laquo quelle est la quotiteacute de cette pluraliteacute ltcrsquoest-agrave-diregt combien il y a lagrave-bas

de personnes raquo

32 laquo post raquo ndash laquo comment il faut faire leur distinction et comment la raison de

leurs noms doit ecirctre fixeacutee drsquoapregraves leurs proprieacuteteacutes respectives raquo

33 laquo Tandem raquo ndash laquo agrave propos des personnes il faudra traiter de leurs noms soit

conjointement soit seacutepareacutement soit suivant ce qursquoelles ont en commun soit suivant ce qursquoelles ont

en particulier raquo

En deacutefinitive dans le chapitre I 12 Achard propose le plan drsquoun traiteacute trinitaire Il est

eacutevident que ce plan ne correspond pas totalement agrave celui qui a eacuteteacute repeacutereacute par Martineau

Lrsquoeacutetablissement du plan deacutetailleacute du De unitate permettra de comprendre dans quelle mesure les

deux plans correspondent au texte

III2 Analyse stylistique lexicale et doctrinale du de unitate

Le De unitate tel qursquoil nous est parvenu nrsquoest pas un texte facile agrave comprendre Nous avons

deacutejagrave remarqueacute qursquoil ne contient ni introduction ni table de matiegravere qursquoil consiste en deux parties

consacreacutees agrave des sujets diffeacuterents qursquoil est probablement incomplet et que le plan proposeacute par

lrsquoauteur ne correspond pas au plan repeacutereacute par les chercheurs

La thegravese que le De unitate est inacheveacute et mecircme que parfois il ressemble agrave un brouillon

appartient originellement agrave Emmanuel Martineau191 et a eacuteteacute soutenue par Dominique Poirel192 Il

nous semble important de confirmer ou rejeter cette thegravese avant de passer agrave lrsquoanalyse de la doctrine

de lrsquoœuvre Nous voyons deux moyens de deacutemontrer cette thegravese

- eacutetude de la forme litteacuteraire du De unitate

- eacutetude du plan

Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny trouve que la forme litteacuteraire du De unitate ressemble agrave celle du

Monologion de Saint-Anselme laquo division en capitula qui srsquoenchaicircnent en une seacuterie continue

191 E MARTINEAU laquo Note sur le manuscrit de Padoue et la preacutesente eacutedition raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 56 192 Dans son intervention pendant la journeacutee drsquoeacutetudes consacreacutee agrave Achard de Saint-Victor qui a eu lieu le 10 avril 2015 agrave Caen

56

drsquoaffirmations et drsquoargumentations193 raquo Une premiegravere lecture superficielle permet de remarquer que

le De unitate nrsquoa pas de forme litteacuteraire unique Lrsquoeacutetude de ces eacuteleacutements formels permettra de

valoriser le De unitate en tant qursquoune œuvre du deacutebut de la scolastique mais aussi de mieux

comprendre le contexte de lrsquoapparition de certaines thegraveses drsquoAchard

Voilagrave pourquoi nous croyons neacutecessaire drsquoanalyser le De unitate en deacutegageant ses thegraveses

principales et pour ainsi dire eacuteleacutementaires Nous allons eacutegalement repeacuterer le plan deacutetailleacute qui va

montrer la relation entre ces thegraveses et qui va permettre de deacutefinir les doctrines principales de

lrsquoœuvre

Parallegravelement agrave ce travail nous allons deacutemontrer que le De unitate contient des thegraveses qui

ressemblent agrave celles des doctrines platoniciennes Nous allons mettre agrave part les notions principales

relieacutees agrave ces thegraveses Les notions relieacutees aux doctrines platoniciennes vont constituer le squelette de

notre travail posteacuterieur

Ainsi lrsquoanalyse du De unitate permettra drsquoatteindre les buts suivants

- surmonter les difficulteacutes des lectures poseacutees par le texte initial

- justifier la possibiliteacute de lrsquoeacutetude du platonisme du De unitate

- mettre en avance les sujets les doctrines et les notions qui vont ecirctre eacutetudieacutes

III21 Partie 1 La doctrine trinitaire drsquoAchard (I 1-36)

Achard commence tout simplement en affirmant laquo Dans les creacuteatures il nrsquoy a pas de

pluraliteacute vraie parce qursquoil nrsquoy a pas drsquouniteacute vraie raquo194

En reacutealiteacute le premier chapitre contient la formule exprimant le sens de sa doctrine de

lrsquouniteacute et de la pluraliteacute laquo elle [la pluraliteacute] ne peut exister que lagrave ougrave existe lrsquouniteacute vraie et il nrsquoy a

drsquouniteacute vraie qursquoen Dieu Crsquoest lagrave-bas donc que doit reacutesider et la pluraliteacute vraie et lrsquouniteacute vraie

mais non pas du mecircme point de vue raquo195 Le deacuteveloppement et la justification de cette formule sont

proposeacutes dans les chapitres suivants

III211 I 2-11 ndash Ce qui rend possible la pluraliteacute en Dieu

Afin de comprendre la division du De unitate il paraicirct neacutecessaire drsquoavancer un peu plus loin

dans le texte pour deacutetecter les instructions donneacutees par Achard lui-mecircme Elles se trouvent dans le

chapitre I 9 193 M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 302 194 laquo In creaturis non est vera pluralitas quia nec vera unitas raquo De unitate I 1 eacuted MARTINEAU p 70-71 195 laquoIpsa igitur est esse autem non potest nisi ubi et unitas vera nec unitas vera nisi in Deo Ibi ergo et veram consistere oportet et pluralitatem et unitatem sed non secundum idem raquo De unitate I 1 eacuted MARTINEAU p 70-71

57

laquo Nous avons donc trouveacute jointe agrave lrsquouniteacute suprecircme ou mecircme au sein de lrsquouniteacute

suprecircme la pluraliteacute qui eacutetait chercheacutee plus haut et en mecircme temps nous avons aussi

deacutemontreacute lrsquoeacutegaliteacute de cette pluraliteacute En effet cette uniteacute commune ou pour ainsi dire

plurielle en quelque faccedilon que la raison a confirmeacutee ecirctre en Dieu ou bien la beauteacute parfaite

(dont il a eacuteteacute question) qui srsquoattache agrave cette uniteacute ou encore cette pleine similitude que lrsquoon a

anteacuterieurement deacutemontreacutee ne peut pas ne pas ecirctre lrsquouniteacute de plusieurs et de plusieurs

assureacutement eacutegaux et elle-mecircme comme il apparaicirctra dans la suite ne peut pas ne pas ecirctre

tout aussi eacutegale agrave ces eacutegaux196 raquo

Dans ce chapitre Ach ard eacutevoque les trois termes qursquoil a deacutejagrave trouveacutes lrsquouniteacute la pluraliteacute et

lrsquoeacutegaliteacute Il emploie eacutegalement les deux termes relieacutes la beauteacute et la similitude Voyons deacutesormais

comment ces sujets ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes dans les chapitres I 2-8

Les deacutebuts et les fins des chapitres I 2-4 eacutevoquent qursquoil srsquoagit lagrave de la pluraliteacute197 par

conseacutequent ces chapitres forment le premier groupe theacutematique (relieacute par le mecircme sujet) Voyons

deacutesormais le contenu de ce groupe

Dans le chapitre I 2 Achard dit que entre la pluraliteacute des creacuteatures et lrsquouniteacute suprecircme il

existe une autre pluraliteacute laquo plus eacuteleveacutee qui adhegravere immeacutediatement agrave cette uniteacute suprecircme et qui soit

pour ainsi dire intermeacutediaire entre cette uniteacute-lagrave et cette pluraliteacute-ci raquo donc laquoil faut que cette

pluraliteacute provienne de cette uniteacute-lagrave et soit cause de cette pluraliteacute-ci et qursquoelle ait quelque chose de

commun par la similitude agrave savoir de commun avec lrsquoune et lrsquoautre raquo198 Dans le chapitre I 3

toutes les creacuteatures sont traiteacutees en tant que semblables agrave lrsquouniteacute suprecircme mais dont la similitude

est imparfaite Il en ressort qursquoil existe une similitude pleine qui ne peut reacutesider que dans la diviniteacute

mecircme (crsquoest-agrave-dire au mecircme niveau que lrsquouniteacute) Par conseacutequent la pluraliteacute est preacutesenteacutee dans la

diviniteacute Enfin en I 4 la similitude parfaite entre lrsquouniteacute et la similitude provient de la nature mecircme

de la similitude qui ressemble agrave lrsquouniteacute premiegravere Ainsi il existe au moins deux termes dans lrsquouniteacute

premiegravere cette uniteacute elle-mecircme et la similitude

196 laquo Inventa est itaque cum summa unitate vel etiam in summa unitate quae quaerebatur pluralitas superius quoque pluralitatis simul ostensa est aequalitas Unitas enim ista communis sive ut ita dicam quodammodo pluralis qualem in Deo comprobavit ratio sive hujusmodi unitatis perfecta illa de qua praefati sumus pulchritudo sive etiam plena illa quam praemonstravimus unitatis similitudo nequit utique esse non plurium nec eorum certe nisi aequalium nec nisi eisdem aequalibus ipsa quoque ut ex sequentibus elucebit non minus aequalis raquo De unitate I 9 eacuted MARTINEAU p 76-79 197 Voir I 2 laquo Creaturarum quoque pluralitas tam longe est ab unitate summa raquo I 3 laquo Sed aliud est quod pluralitatem ibi consistere aliqua arguere videntur raquo et la fin laquoIbi ergo non sola unitas sed et pluralitas raquo I 4 laquo Inde praeterea illam quam quaerimus pluralitatem astruitraquo De unitate I 2 eacuted MARTINEAU p 70 et 72 198 laquoExigit itaque ratio super hanc pluralitatem a Deo remotam constitui aliquam superiorem quae illi summae unitati cohaereat immediate et quasi mediata sit inter illam unitatem et hanc pluralitatem Media autem intelligatur non loco aut dignitate sed causa atque imagine id est quae sit ex illa et qua sit ista similitudine etiam commune scilicet aliquid habens cum utraque raquo De unitate I 2 eacuted MARTINEAU p 70-71

58

De cette maniegravere les chapitres I 2-4 preacutesentent les arguments en faveurs de la pluraliteacute en

Dieu Le premier argument (en I 2) provient de la neacutecessiteacute drsquoun intermeacutediaire entre lrsquouniteacute

suprecircme et la pluraliteacute en bas et les deux autres arguments (en I 3 et 4) de la nature de la similitude

Voyons agrave preacutesent les chapitres I 5-8 Soit leurs deacutebuts parlent de la pluraliteacute (I 5 et 7)199

soit ils promettent de continuer les sujets du chapitre preacuteceacutedent (I 6 et 8)200 Observons le contenu

et la sous-division de ces chapitres

Le chapitre I 5 est diviseacute en trois parties Dans la premiegravere partie Achard deacutecrit les sortes

diffeacuterentes de lrsquouniteacute et il les range selon les deacutegreacutees de sa beauteacute Ensuite Achard enchaicircne

quelques phrases (commenccedilant respectivement par Si quid ndash Unde ndash Sic namque) pour parler de

lrsquouniteacute increacuteeacutee agrave savoir du fait que des eacutegaux qui la constituent possegravedent le mecircme degreacute de beauteacute

que lrsquouniteacute Et finalement il passe agrave la conclusion que lrsquouniteacute suprecircme consiste en quelques

constituants eacutegalement beaux dont la beauteacute est eacutegale agrave cette mecircme uniteacute mais que cela nrsquoest

possible que dans lrsquouniteacute suprecircme qui est Dieu

Achard consacre le chapitre I 6 agrave la deacutemonstration de lrsquoexistence de lrsquouniteacute suprecircme Vu

que cette uniteacute est une beauteacute suprecircme laquo par qui est beau tout ce qui est beau et sans qui rien de

beau ne peut ecirctre raquo201 elle ne peut exister qursquoen Dieu et elle est Dieu mecircme Ce chapitre introduit

un autre argument afin de soutenir la conclusion du chapitre preacuteceacutedent

En I 7 Achard examine les cas diffeacuterents de lrsquouniteacute pour retrouver lrsquouniteacute parfaite Il passe

des uniteacutes creacuteeacutees (dans les corps creacuteeacutes dans les esprits creacuteeacutes) agrave lrsquouniteacute increacuteeacutee pour deacutemontrer que

cette uniteacute parfaite est en Dieu Et dans le chapitre I 8 Achard renforce cette conclusion en

argumentant que quelque chose drsquoimparfait dans le monde nrsquoexiste que si Dieu creacutee cette chose

parfaite en lui et donc les uniteacutes imparfaites dans le monde correspondent agrave lrsquouniteacute parfaite en Dieu

Ainsi dans le chapitre I 5 Achard parle de la beauteacute des uniteacutes et en I 6 il montre

pourquoi lrsquouniteacute en Dieu est la plus belle dans le chapitre I 7 il examine les cas drsquouniteacute et en I 8

il montre pourquoi lrsquouniteacute parfaite existe en Dieu

Nous avons trouveacute de cette faccedilon tous les eacuteleacutements qursquoAchard eacutevoque dans le chapitre I 9

la deacutemonstration de la pluraliteacute en Dieu (I 2-4) et de lrsquouniteacute de Dieu (I 5-8) par moyen de la

similitude (I 3-4) et de la beauteacute (I 5-6) Il nous reste agrave observer comment il est possible que cette

uniteacute suprecircme soit lrsquouniteacute des eacutegaux auxquelles cette uniteacute elle-mecircme est eacutegale

199 I 5 laquo Unitas etiam quae rebus inest raquo I 8 laquo In creaturis namque assignata unitas raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 72 et 74 200 I 6 laquo Manifestum quoque ex praemissis est raquo I 8 laquo Absurdum est dicere etiam raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 74 et 76 201 laquo Quare etsi non determinata pulchritudine impossibile est quid pulchrum esse ipsa igitur est aut nihil pulchrum sed nec alibi quidem nisi in Deo videlicet nec aliud nisi Deus ipsa potest esse a quo pulchrum est quidquid pulchrum est et sine quo nihil pulchrum esse potest raquo De unitate I 6 eacuted MARTINEAU p 74-75

59

Au deacutebut du chapitre I 10 Achard eacutevoque le changement de sujet de son enquecircte laquo Mais

poursuivons cette mecircme recherche sur lrsquouniteacute en empruntant une autre voie celle de la nature de

lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme et en lrsquoeacutetayant par de nouvelles raisons raquo 202 Le chapitre I 11 part de ce qui a

eacuteteacute trouveacute preacuteceacutedemment (laquo Etenim ostensum est raquo) Le thegraveme de ces deux chapitres est lrsquoeacutegaliteacute

Le chapitre I 10 a une structure interne Achard deacutemontre une thegravese et il rejette une autre

thegravese Pour faire cela il reacuteunit quelques arguments en structurant son discours par des conjonctions

Voici cette structure

I Deacutemonstration203

1 laquo si raquo ndash drsquoabord Achard introduit une regravegle logique geacuteneacuterale laquo Si le fait drsquoecirctre

eacutegal agrave lrsquoun a pour conseacutequence drsquoecirctre eacutegal agrave lrsquoautre il est impossible que lrsquoun et lrsquoautre ne soient

pas eacutegaux204 raquo Ensuite (laquo si autem raquo) il applique cette regravegle agrave lrsquouniteacute et agrave lrsquoeacutegaliteacute (laquo si quelque

chose est eacutegal agrave lrsquouniteacute suprecircme il ne peut pas non plus ecirctre ineacutegal agrave lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme raquo) en

tirant deux conseacutequences suivantes

11 laquo igitur raquo ndash la premiegravere conseacutequence lrsquouniteacute est eacutegale agrave lrsquoeacutegaliteacute

12 laquo Item raquo ndash la deuxiegraveme conseacutequence lrsquoeacutegaliteacute est lrsquouniteacute suprecircme

2 laquo Non autem raquo ndash Achard propose ensuite une preacutecision (laquo le fait que lrsquoeacutegaliteacute

soit eacutegale agrave lrsquouniteacute cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme raquo) en la deacutemontrant agrave partir

de lrsquoexemple de la couleur blanche qui nrsquoest pas la blancheur

21 laquo non ergo raquo ndash la premiegravere conseacutequence laquo ce nrsquoest pas parce que

lrsquoeacutegaliteacute est Dieu donc qursquoelle nrsquoest pas lrsquoeacutegaliteacute mecircme raquo

22 laquo juxtra quam regulam etiam nec siraquo ndash la deuxiegraveme conseacutequence du

contre-argument laquo ce nrsquoest pas parce que quelque chose est Dieu qursquoil nrsquoest pas

lrsquoeacutegaliteacute raquo

laquo Igitur raquo ndash la conclusion laquo Dieu est lrsquoeacutegaliteacute ou lrsquoeacutegaliteacute peut ecirctre Dieu raquo

De cette faccedilon Achard a deacutemontreacute que Dieu peut ecirctre eacutegaliteacute mais non qursquoil lrsquoest

neacutecessairement

202 laquo Amplius autem et per ipsius aequalitatis naturam haec ipsa alia investigentur via aliisque instruentur rationibus raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 203 laquoDuobus quibuslibet propositis si quid sequitur esse aequale eorum uni quia est aequale alteri et illa duo aequalia non esse est impossibile Si autem aliquid unitati summae est aequale ipsum etiam aequalitati ipsi non potest esse inaequale alioquin enim non tanta est eorum aequalitas quanta ipsa sunt aequalia et est aequalitas imperfecta vel nulla Aequalitas igitur unitati est aequalis Item si aequalitas primae et summae unitati aequalis est ipsa dicendum est Non autem si ipsa est aequalis illi non est aequalitas ipsa veluti non si color est album album ipsa non est albedo eo quod ipsa substantia albedinis est album modo participatione Non ergo si aequalitas est Deus ipsa non est aequalitas quod enim non sequitur ad antecedens nec ad consequens Juxta quam regulam etiam nec si quid est Deus ipsum non est aequalitas Deus igitur aequalitas est sive aequalitas Deus esse potest raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 204 Ici et jusqursquoau la fin du chapitre la traduction du I 10 est celle de Martineau Voir la note preacuteceacutedente

60

II Neacutegation205

laquo Alioquin namque sequitur illud raquo ndash la thegravese qursquoil faut rejeter laquo sans quoi il reacutesulterait que

lrsquoeacutegaliteacute ne serait pas quelque chose qui se rapporte agrave Dieu mecircme raquo

1 laquo autem ndash quare raquo ndash le premier argument contra laquo Dieu ne peut pas ecirctre quelque

chose ou plutocirct quelque chose ne peut pas ecirctre Dieu qui ne soit pas Dieu Crsquoest pourquoi lrsquoeacutegaliteacute

elle aussi est Dieu raquo

2 Le deuxiegraveme argument contra qui est plus eacutelaboreacute

21 laquo non enim ndash quod utique ndash quod autem raquo ndash lrsquoeacutegaliteacute ne perd pas sa substance

mais elle la garde

22 laquo Sic enim ndash non enim ndash juxta quem modum raquo ndash lrsquoexemple de la sagesse de

lrsquouniteacute montre qursquoelles sont respectivement sages et unes par leur substance et non par la

participation La mecircme chose est valable pour lrsquoeacutegaliteacute

laquo Quare raquo ndash la premiegravere conclusion laquo si lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave lrsquouniteacute susdite alors elle aussi

conserve la substance de lrsquoeacutegaliteacute qui puisse lui ecirctre eacutegale raquo

laquo Rursus autem raquo ndash la deuxiegraveme conclusion laquo si lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave lrsquouniteacute citeacutee alors elle

est avec elle de la mecircme substance raquo

La conclusion geacuteneacuterale laquo La substance de cette uniteacute et de lrsquoeacutegaliteacute est la mecircme206 raquo

En I 11 apregraves avoir reacutepeacuteteacute la conclusion preacuteceacutedente (laquo Etenim ostensum est raquo) Achard

introduit la thegravese suivante (1) (laquo underaquo) laquo il est neacutecessaire qursquoelle [lrsquoeacutegaliteacute] soit aussi elle-mecircme

Dieu raquo Vu que lrsquouniteacute est Dieu lrsquoeacutegaliteacute est aussi Dieu Crsquoest une conseacutequence de la derniegravere thegravese

du chapitre I 10

III En I 11 Une autre neacutegation207

205 laquo Alioquin namque sequitur illud aequalitatem scilicet non quid esse ad ipsum Deum esse Deus autem aliquid esse non potest nec aliquid Deus quod Deus non sit Quare et aequalitas Deus est Non enim ut ostendimus si aequalitas unitati summae est aequalis ipsam amittat substantiam aequalitatis Quod utique prorsus necessarium esset si substantia aequalitatis summae unitatis substantia inferior esset Quod autem si non solum non sequitur aequalitatem si illi est aequalis unitati aequalitatis substantiam amittere sed et retinere Sic enim nec ipsa unitas una nec sapiens esset sapientia nisi utraque suam servaret substantiam Non enim participando sed existendo ea quae ipsae sunt id est unitas et sapientia haec est una illa sapiens Juxta quem modum et aequalitas si cui aequalis est se ipsa utique non aequalitate alia ei aequalis est Hoc autem impossibile nisi ipsa remaneat aequalitas Quare si aequalitas praedictae aequalis est unitati et ipsa retinet substantiam aequalitatis quae ei possit esse aequalis non enim participatione aequalitatis potest esse aequalitas alicui aequalis ut caetera quae dicuntur aequalia sed existendo aequalitas ipsa Rursus autem si aequalitas unitati est aequalis propositae et ipsa ejusdem est cum illa substantiae Eadem ergo unitatis illius aequalitatis substantia est raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 206 Nous modifions leacutegeacuterment la traduction de Martineu pour la rendre plus lisible Le text latin laquo Eadem ergo unitatis illius aequalitatis substantia est raquo la traduction de MARTINEAU laquo Donc crsquoest la substance de cette uniteacute qui constitue aussi celle de lrsquoeacutegaliteacute raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 207laquo Etenim ostensum est si aequalitas illi ltunitatigt est aequalis manens utique aequalitatis substantia est illi aequalis si autem aequalis est ei manens id quod ipsa est et ipsa manens quod ipsa est et tamen ipsa Deus est unde et ipsam Deum esse necesse est Alioquin enim si unitati illi esset aequalis sequeretur quidem modo ipsam Deum esse et nequaquam id quod ipsa est manere sed ex hoc ipso quod Deus esset et ipsa aliud quia modo est necessario esset nisi vel et ipsa modo Deus esset quemadmodum est homo si ipse lapis esset non id esset quod est quare homo modo lapis non est si autem homo animal est non inde sequitur ipsum aliud esse quare ipse modo est unde et inferri potest quia

61

Toute suite apregraves la thegravese que nous venons drsquoexpliquer Achard ajoute son opposition

(2) (laquo alioquin enim raquo) laquo sans quoi si elle eacutetait ltautrementgt eacutegale agrave cette uniteacute il srsquoensuivrait

certes qursquoelle-mecircme serait modalement Dieu et qursquoelle ne demeurerait nullement ce qursquoelle est elle-

mecircme raquo A partir de cette thegravese opposeacutee Achard explicite lrsquoaffirmation probleacutematique (3) (laquo sed

ex raquo) laquo du fait mecircme qursquoelle [lrsquoeacutegaliteacute] serait Dieu elle serait neacutecessairement lrsquoeacutetant modalement

autre chose ltqursquoelle-mecircmegt raquo Voilagrave la thegravese qursquoil cherche agrave nier

Il le fait agrave partir (laquo nisi vel raquo) de deux exemples

1 laquo si raquo ndash si lrsquohomme eacutetait une pierre il ne serait pas lui-mecircme mecircme modalement

2 laquo si autem raquo ndash si lrsquohomme est un animal il reste lui-mecircme et il est modalement un animal

De cette maniegravere il deacutemontre que lrsquoeacutegaliteacute peut ecirctre modalement Dieu et en mecircme temps

rester lrsquoeacutegaliteacute Ainsi il nie la thegravese (3) laquo quand lrsquoeacutegaliteacute est autre chose modalement elle ne peut

ecirctre lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme raquo et il corrige la premiegravere thegravese lrsquoeacutegaliteacute est Dieu mais modalement et

elle reste elle-mecircme

Dans lrsquoeacuteclaircissement 1 du De unitate Emmanuel Martineau explique lrsquoemploi du terme

modo en I 11 Martineau suppose qursquo laquo ecirctre modalement raquo signifie la relation entre la substance et

lrsquoaccident Cette relation est neacutecessaire afin de faire la distinction entre lrsquoidentiteacute parfaite (chaque

chose et chaque concept sont identiques agrave eux-mecircmes) et lrsquoidentiteacute avec un autre objet (dans ce cas

Dieu) Martineau appelle cette sorte de participation laquo horizontale raquo et il pense que la source

drsquoAchard ne se trouve pas dans la philosophie de Plotin ni drsquoAugustin208

De cette maniegravere dans les chapitres I 10-11 Achard deacutemontre comment lrsquoeacutegaliteacute est

possible en Dieu

Les chapitres I 10 et 11 se lisent ensemble Drsquoabord Achard arrive agrave une conclusion que

Dieu peut ecirctre lrsquoeacutegaliteacute et ensuite il deacutemontre pourquoi il nrsquoest pas possible que Dieu ne lrsquoest pas

Pour faire cela il reacutefute deux thegraveses qui sont opposeacutees agrave la premiegravere conclusion

- lrsquoeacutegaliteacute nrsquoest pas Dieu

- Elle est Dieu mais elle nrsquoest pas elle-mecircme

La deacutemonstration agrave partir des preacutemisses est une forme du raisonnement logique deacutecrit par

Boegravece dans lrsquoIn Topica Ciceronis I (PL 64 1048D) Elle va ecirctre largement utiliseacutee dans les

quaestiones de lrsquoeacutepoque de lrsquoessor de la scolastique209 Une autre particulariteacute des quaestiones qui

apparaicirct dans ces chapitres est la reacutefutation de thegraveses opposeacutees210 De cette faccedilon la maniegravere dont

ipse modo animal est Ubicumque autem et qualitas est et aequalitas est Non enim nisi modo aliquo plurium esse potest vel dici aequalitas raquo De unitate I 11 eacuted MARTINEAU p 80-81 208 E MARTINEAU laquo Eclaircissements I Sur le chapitre I 11 et le terme laquo modo raquo raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 209-211 209 LM deRIJK laquo Specific tools concerning logical education raquo dans Meacutethodes et instruments du travail intellectuel au moyen acircge eacuted O WEIJERS Brepols 1990 p 65-67 210 Selon Raymon Martin les quaestiones comportent les parties suivantes

62

Achard structure son discours fait penser agrave une forme litteacuteraire scolastique ndash la quaestio Il ne pose

pas encore la question qui a deux solutions mais il deacutemontre sa thegravese et il reacutefute les thegraveses

opposeacutees

En deacutefinitive en I 2-11 Achard deacutemontre qursquoil existe en Dieu lrsquouniteacute la pluraliteacute et

lrsquoeacutegaliteacute Les grands sujets neacuteoplatoniciens tels que la procession de la pluraliteacute agrave partir de lrsquouniteacute

lrsquoexistence de deux niveaux des notions (en Dieu et au-dehors de Dieu) la procession des notions

(la similitude la beauteacute la sagesse) agrave lrsquoexteacuterieur de Dieu agrave partir de celles qui lui sont identiques

(lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute) sont abordeacutes dans les chapitres I 1-11 Les notions qui correspondent aux

doctrines deacutecrites sont lrsquounitas la pluralitas (avec tous les adjectifs et les pronoms qui les

caracteacuterisent plena perfecta ista illa etc) et lrsquoaequalitas qui deacutesignent les eacuteleacutements preacutesents en

Dieu mais aussi la similitudo la participatio et lrsquoexistendo qui deacutesignent la maniegravere drsquoecirctre preacutesent

drsquoun eacuteleacutement dans la substance

III212 I 13-16 ndash justification de la pluraliteacute en Dieu

Les chapitres I 13-15 parlent de la pluraliteacute de personnes en Dieu211

En I 13 Achard pose la question comment est-il possible que la pluraliteacute personnelle soit

en Dieu Afin de reacutepondre il examine la pluraliteacute de pluraliteacutes (pluralitas pluralitatum) agrave savoir les

types diffeacuterents de pluraliteacutes A chaque type de pluraliteacute Achard applique les critegraveres qui ont eacuteteacute

exprimeacutes dans sa premiegravere question

- ecirctre en Dieu (ce qui sert agrave eacuteliminer les pluraliteacutes substantielle et accidentelle)

- ecirctre en des termes (personnes) multiples ou diffeacuterents (ce qui sert agrave eacuteliminer les

pluraliteacutes des proprieacuteteacutes et des raisons)

Voyons quels types de pluraliteacutes il distingue

- laquo Est enim raquo ndash les pluraliteacutes substantielle (1) et accidentelle (2) (qui ne sont pas en

Dieu)

- laquo sola ibi relinqueretur raquo ndash la pluraliteacute personnelle (3) (celle qui est en question)

1) position du problegraveme 1) arguments pour et contre 2) solution 3) reacutefutation des arguments de la partie advers Voir RM MARTIN laquo Introductionraquo dans Œuvres de Robert de Melun t I Quaestiones de divina pagina Louvan 1932 p XL 211 Ce que les premiegraveres phrases de ces chapitres deacutemontrent I 13 laquo Investigationem vero praesentem de pluralitate utrumne in Deo personalis sit raquo I 14 laquo Est enim aliud quod impedit hanc nostram de personis inquisitionem raquo I 15 laquo Quid ergo amplius restat Nunc adhuc superest quod dici possit quid illud An non est in pluribus inventis pluralitas personalis an forte ibi est Sed quod ibi sit ostendere non potest ltratiogt an ostendi potest sed ratione alia raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 82 84 et 86

63

- laquo Videntur aliiraquo - la pluraliteacute des proprieacuteteacutes (4) Pour cette pluraliteacute Achard donne des

exemples des proprieacuteteacutes comme laquo de ne provenir drsquoaucun autre raquo ou laquo drsquoavoir un Fils ou

un Esprit raquo et il ajoute que cette pluraliteacute des proprieacuteteacutes se trouve eacutegalement dans une

seule personne

- laquo Si rationes etiam rerumraquo - la pluraliteacute des raisons (5) (elle est dans le Dieu mais elle

peut se trouver eacutegalement dans une seule personne) Achard eacutevoque la liste des

questions concernant ce type de pluraliteacute

a) si les raisons sont dans une seule personne

b) si chacune des raisons peut laquo ecirctre dite ou ecirctre personne raquo

c) si en tant que personnes elles reccediloivent laquo les proprieacuteteacutes susdites raquo (la proprieacuteteacute drsquoune

personne de la Triniteacute comme celles qui ont eacuteteacute citeacutees plus haut)

Pour finir Achard deacutemontre que les deux derniegraveres pluraliteacutes ne sont pas personnelles La

pluraliteacute des proprieacuteteacutes nrsquoest pas personnelle car chaque proprieacuteteacute en Dieu nrsquoest pas une personne

particuliegravere mais elle est dans une ou plusieurs personnes prises seacutepareacutement Et la pluraliteacute des

raisons nrsquoest pas personnelle non plus car elle est dans une seule personne Finalement Achard

propose un nouveau critegravere pour la recherche de la pluraliteacute personnelle elle doit ecirctre laquo en des

termes multiples ou diffeacuterents raquo

Ainsi dans le chapitre I 13 Achard eacutenumegravere les cinq types de pluraliteacute substantielle

accidentelle personnelle celle des proprieacuteteacutes et celle des raisons En cherchant la pluraliteacute

personnelle il a deacutemontreacute que quatre types de pluraliteacute (substantielle accidentelle celle des

proprieacuteteacutes et celle des raisons) ne correspondent pas agrave ces critegraveres

Dans I 14 Achard propose une sorte de contre-exemples pour deacutemontrer pourquoi les

critegraveres existants de la pluraliteacute ne sont pas suffisants Drsquoabord il reacutepegravete le critegravere de la personnaliteacute

en Dieu qursquoil a deacutejagrave eacutetabli la pluraliteacute ((1) laquo ecirctre en des personnes multiples ou diffeacuterentes raquo voir

ch I 14) Et il propose un autre critegravere (2) laquo ecirctre de nature rationnelle212 raquo Ensuite il traite les cas

ougrave ils apparaissent ensemble

1) laquo sed obviant raquo ndash il y a plusieurs parties dans lrsquoacircme qui ont la mecircme personnaliteacute et

aucune ne reccediloit le nom de personne par elle-mecircme213

2) laquo Resistit namque raquo ndash la personnaliteacute humaine consiste en un corps et en une acircme mais

ce nrsquoest que lrsquoacircme qui reccediloit le nom de personne par elle-mecircme

212 laquo Cum enim plura sint ut ostendimus in deitate una rationalis quidem naturae sunt omnia Unde et in eis personalitas negari non potest sine qua rationalis natura nunquam est Hinc ergo inferri forsitan posset plures ibi personas raquo De unitate I 14 eacuted MARTINEAU p 84 Martineau explique cet argument comme tel qui se reacutefegravere agrave la deacutefinition de personne proposeacutee par Boegravece (laquo rationabilis naturae individua substantia raquo) p 85 I 14 note 1 213 Pour expliquer cette thegravese on peut se reacutefeacuterer agrave un autre traiteacute drsquoAchard De discretione animae spiritus et mentis ougrave il parle de la puissance inteacuterieure qui srsquoappelle souvent lrsquoacircme mais qui comprend anima spiritus et mens

64

3) laquo Non tamen ita se habet raquo ndash tout cela nrsquoest pas possible en Dieu En lui la substance est

unique et indivise mais aussi chaque personne est pleine parfaite et eacutegale aux autres

(laquo rien ne peut ecirctre dit de lrsquoun drsquoentre eux selon la substance qui ne puisse agrave titre eacutegal

ecirctre assigneacute dans lrsquoun quelconque de tous les autres214 raquo)

Ces trois cas correspondent aux critegraveres proposeacutes et neacuteanmoins dans les deux premiers il

nrsquoy a pas la pluraliteacute rechercheacutee Cela veut dire que ces critegraveres ne sont pas satisfaisants Voilagrave

pourquoi Achard preacutecise que mecircme si la nature rationnelle doit ecirctre unique et indivise un autre

critegravere est neacutecessaire (3) il faut que chaque personne laquo puisse ecirctre par soi dite personne en tant que

prise isoleacutement215 raquo

Puis il demande si ce critegravere est suffisant Achard veacuterifie les cas suivants de la pluraliteacute en

Dieu

4) laquo Sed venit ex adverso raquo ndash le Christ selon la doctrine chreacutetienne a deux natures qui

sont rationnelles Les deux premiers critegraveres sont donc satisfaits Neacuteanmoins bien que

lrsquoune et lrsquoautre natures puissent ecirctre dites laquo personnes raquo par elles-mecircmes il nrsquoy a qursquoune

personne216

5) laquo Quid igitur amplius occurrit raquo ndash il y a aussi la pluraliteacute des raisons mais aucune

raison ne srsquoappelle personne par elle-mecircme

Ces deux pluraliteacutes sont diffeacuterentes de celle rechercheacutee car la pluraliteacute de natures du Christ

est gratuite (donneacutee par la gracircce de Dieu) et la pluraliteacute de raisons nrsquoa pas de procession agrave lrsquointeacuterieur

drsquoelle (les raisons ne proviennent pas lrsquoune agrave partir de lrsquoautre)

6) Ensuite Achard procegravede agrave la comparaison de la pluraliteacute des raisons avec une autre

pluraliteacute qui selon lui laquo a deacutejagrave eacuteteacute deacutecouverte plus haut raquo

laquo Cette pluraliteacute ltdes raisonsgt diffegravere de celle qui a eacuteteacute deacutejagrave deacutecouverte plus haut je veux

dire dans lrsquouniteacute dans ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute et dans lrsquoeacutegaliteacute mecircme srsquoil est vrai qursquoici

lrsquoune des raisons nrsquoest pas drsquoune autre tandis que lagrave comme on le montrera ensuite ce qui

est eacutegal agrave lrsquouniteacute vient de lrsquouniteacute mecircme ou doit en proceacuteder et lrsquoeacutegaliteacute ltproceacutedergt des

deux217 raquo

214 laquo Ut de uno quolibet eorum dici nihil possit secundum substantiam quod non aeque in reliquorum singulis assignari queat raquo De unitate I 14 eacuted MARTINEAU p 84-85 215 laquo Oportet itaque unumquodque eorum personam posse dici per se ut sigillatim quamvis ipsorum substantia pronuntiari potest rationalis naturae raquo De unitate I 14 eacuted MARTINEAU p 84-85 216 A propos de la christologie drsquoAchard voir J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 190-216 et J CHATILLON laquo Achard de Saint-Victor et les controverses christologiques du XIIe siegravecle raquo dans Meacutelanges F Cavallera Toulouse 1948 p 317-337 217 laquo Differt tamen pluralitas haec ab ea quae superius jam inventa est in unitate scilicet et eo quod aequale est unitati et ipsa aequalitate eo quod hic rationum una ab alia non est ibi vero ut post ostendetur id quod unitati est aequale ab ipsa est vel procedere oportet ltabgt unitate aequalitatem ab utroque raquo De unitate I 14 eacuted MARTINEAU p 86-87

65

La diffeacuterence consiste donc en ce que les personnes proviennent lrsquoune de lrsquoautre dans la

Triniteacute Il est eacutetonnant qursquoAchard donne ici sa deacutefinition de la Triniteacute mais comme quelque chose

deacutejagrave deacutemontreacute avant Crsquoest pour cela que Martineau considegravere cet extrait comme le laquo comble du

brouillon218 raquo

7) laquo Sic itaque raquo ndash Et enfin la derniegravere deacutecouverte de ce chapitre est la thegravese drsquoAchard

concernant lrsquoimpossibiliteacute de la procession drsquoune personne drsquoelle-mecircme Si telle

provenance eacutetait possible selon Achard cela induirait (laquo Ista autem si irrefragabilis

foret ratio raquo)

- lrsquoexistence de deux personnes de deux natures diffeacuterentes dans le Christ

- lrsquoexistence de trois natures diffeacuterentes dans la Triniteacute

Ainsi en examinant les contre-exemples de la pluraliteacute personnelle Achard deacutecrit les types

suivants de la pluraliteacute les parties de lrsquoacircme la personnaliteacute humaine (le corps et lrsquoacircme) les natures

du Christ et les raisons eacuteternelles Il explicite eacutegalement la pluraliteacute de la Triniteacute qui consiste en

lrsquouniteacute ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute mecircme

Dans le chapitre I 15 Achard continue agrave explorer la pluraliteacute en Dieu mais il change sa

maniegravere drsquointerroger afin de recueillir plusieurs arguments Drsquoabord (laquo Conveniant itaque raquo) il

eacutenumegravere les critegraveres de la pluraliteacute rechercheacutee

- laquo chacun drsquoeux qui sont tous de mecircme nature et substance reccediloit seacutepareacutement le

preacutedicat de personne raquo

- laquo de lrsquoun drsquoentre eux existe ou procegravede le second et des deux le troisiegraveme219 raquo

En eacutevoquant le dernier critegravere Achard avoue qursquoil connaicirct deacutejagrave la reacuteponse La pluraliteacute qursquoil

cherche est celle des personnes de la Triniteacute Maintenant il lui reste agrave deacutemontrer pourquoi dans les

autres types de pluraliteacute il y a lagrave-bas plusieurs personnes laquoou [hellip] si elles nrsquoeacutetaient plusieures il

srsquoensuivrait qursquoune personne existe ou procegravede de soi-mecircme ce qui est impossible220 raquo Il examine

donc les pluraliteacutes suivantes

218 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 87 I 15 note 2 219 laquo Conveniant itaque in unum id quod postremo nunc de processione est adducendum et caetera quae de eisdem pluribus prius sunt assignata quia videlicet in eis personalitas consistit et quia unumquodque eorum personae praedicationem seorsum recipit quae omnia sunt ejusdem naturae atque substantiae et quia ab uno illorum existit vel procedit alterum et ex ambobus tertium raquo De unitate I 15 eacuted MARTINEAU p 86-87 220 laquo Ne plures ibi esse personas inferri valeat vel nisi plures fuerint personam a se ipsa sequeretur existere atque procedere quod est impossibile raquo De unitate I 15 eacuted MARTINEAU p 88-89

66

1 laquo Quamvis autem in Verbo raquo ndash Verbe incarneacute (le Christ) qui a deux natures et une

personne Dans cette pluraliteacute il y a la procession (lrsquohomme est Verbe) mais il y a la

pluraliteacute de natures la pluraliteacute de personnes nrsquoest donc plus requise

2 laquo In rationibus vero aeternis ideo raquo ndash les raisons eacuteternelles qui doivent avoir soit

plusieurs natures soit plusieurs personnes (srsquoil y avait la procession parmi elles)

3 laquo Cum igitur in supra dictis tribusraquo ndash la Triniteacute

laquo Le second procegravede de lrsquoun drsquoentre eux et de lrsquoun et lrsquoautre le troisiegraveme et que tous sont de

mecircme nature ou substance ils ne peuvent aucunement appartenir agrave la mecircme personne mais

il est neacutecessaire qursquoil y ait lagrave-bas plusieurs personnes221raquo

Ainsi Achard compare trois types de pluraliteacute celle du Verbe incarneacute celle des raisons

eacuteternelles et celle de la Triniteacute Bien que les deux premiegraveres pluraliteacutes correspondent agrave certains

critegraveres crsquoest seulement pluraliteacute de la Triniteacute qui satisfait tous les critegraveres En effet dans ce

chapitre Achard parle beaucoup de la procession surtout de la procession de la personne et de

lrsquoimpossibiliteacute pour elle de proceacuteder drsquoelle-mecircme Ses reacuteflexions agrave ce sujet sans doute extrecircmement

subtiles ne nous semblent pas tregraves claires222

Il est inteacuteressant que deux passages des chapitres I 14 et 15 aient eacuteteacute citeacutes par Jean de

Cornouailles pour exprimer la position drsquoAchard concernant la question sur la maniegravere dont la

nature humaine est assumeacutee dans le Christ223 Neacuteanmoins selon le texte du De unitate qursquoon a

aujourdrsquohui il semble qursquoAchard nrsquoait pas eu lrsquointention de reacutepondre agrave cette question

En I 13 Achard a poseacute les questions concernant la pluraliteacute des raisons eacuteternelles

premiegraverement si elles sont dans une seule personne deuxiegravemement si chacune des raisons peut

laquo ecirctre dite ou ecirctre personne raquo et troisiegravemement si le fait drsquoecirctre personne laquo peut ecirctre reccedilu des

proprieacuteteacutes susdites raquo En I 13 il a donneacute une reacuteponse neacutegative agrave la premiegravere question (elles ne sont

221 laquo Ab uno illorum procedat alterum et ab eorum utroque tertium et omnia sunt ejusdem naturae atque substantiae nullatenus ejusdem esse possunt personae sed plures ibi necessarium est personas esse aut personam procedere a se raquo De unitate I 15 eacuted MARTINEAU p 88-89 222 Martineau semble ecirctre drsquoaccord avec nous Voir le De unitate I 14 eacuted MARTINEAU note 10 p 87 I 15 note 8 p 89 223I 14 laquo Ibi namque duae sunt naturae quarum utraque persona dici potest per se nec tamen duae sunt ibi personae sed una in naturis duabus in Deo hominem assumente id est in Verbo ex ipsius natura in homine autem assumpto ex assumentis Verbi beneficio et gratia raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 84 Et I 15 laquo Quamvis autem in Verbo assumente et homine assumpto alterum sit ex altero homo scilicet a Verbo non tamen ibi duas esse personas vel unam a se ipsa consequens est eo quod homo alterius est naturae a Verbo secundum quam potest esse ab eo et ideo propter pluralitatem naturarum jam ibi non exigitur pluralitas personarum Etsi non sit alterum ab altero secundum personam alteram potest tamen ab eo esse secundum eam quae ltibigt est naturam alteram Si vero altera non esset ibi natura necessario cum personalitatem ibi esse constet et utrumque personam dici per se persona ibi esset altera aut neutrum esset ab altero aut persona una prorsus a se ipsa raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 88 JOHANNIS CORNUBIENSIS (JOHN OF CORNWALL) laquo Elogium Ad Alexandrum Papam Tertium raquo ed N M HAumlRING dans Medieval Studies t 13 1951 p267) Crsquoest gracircce agrave ces citations que le De unitate a eacuteteacute identifieacute comme lrsquoœuvre drsquoAchard par Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny

67

pas dans une seule personne) en I 14 pour la deuxiegraveme (aucune raison ne peut ecirctre personne) La

troisiegraveme question est par conseacutequent eacutelimineacutee

Ainsi dans les chapitres I 13-15 Achard deacutemontre comment la pluraliteacute personnelle peut

ecirctre en Dieu Drsquoabord il examine les types de pluraliteacute (substantielle accidentelle des proprieacuteteacutes

des raisons et enfin personnelle I 13) afin de deacutemontrer que la pluraliteacute personnelle diffegravere du

reste Puis il cherche la pluraliteacute personnelle parmi les choses qui consistent en plusieurs parties

(les puissances diffeacuterentes de lrsquoacircme lrsquoecirctre humain qui est constitueacute de lrsquoacircme et du corps le Christ

de la nature humaine et de la nature divine la pluraliteacute des raisons I 14) et il a trouveacute dans la

Triniteacute ougrave il y a lrsquouniteacute ce qui lui est eacutegaleacute et lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme Dans le chapitre I 15 Achard

eacutenumegravere tous les critegraveres de lrsquoadmissibiliteacute de la pluraliteacute personnelle ecirctre plusieurs avoir la

procession recevoir seacutepareacutement le preacutedicat de personne laquo de lrsquoun drsquoentre eux existe ou procegravede le

second et des deux le troisiegraveme raquo

A ces trois chapitres (I 13-15) nous pouvons ajouter le chapitre I 16 ougrave Achard parle aussi

des trois personnes Il commence le chapitre I 16 par lrsquoassertion que lrsquouniteacute et ce qui est eacutegal agrave

lrsquouniteacute nrsquoest pas une seule personne Selon lui cela deacutemontre que la cause de cette diffeacuterence entre

les personnes est la mecircme pour toutes les personnes agrave savoir le fait drsquoavoir sa propre

personnaliteacute224 Puis il demande (Numquid) si cette cause est la substance ou une proprieacuteteacute

commune des trois personnes et il reacutepond que non crsquoest plutocirct une proprieacuteteacute singuliegravere (propre agrave

chaque personne) Ainsi Achard attribue la personnaliteacute propre aux trois personnes divines en vertu

de leurs diffeacuterences mutuelles crsquoest-agrave-dire agrave lrsquo laquo uniteacute raquo car elle est agrave partir drsquoelle-mecircme agrave laquo ce qui

est eacutegal agrave lrsquouniteacute raquo car elle est de lrsquouniteacute et agrave lrsquo laquo eacutegaliteacute raquo car elle est des deux premiegraveres Et il

conclut en disant qursquoen effet si lrsquoune de ce trois nrsquoavait pas de personnaliteacute propre elles seraient

ineacutegales

Nous avons donc observeacute la maniegravere dont Achard reacutepond agrave la question de la pluraliteacute divine

dans les chapitres I 13-16225

En effet dans ces chapitres Achard fait une eacutenumeacuteration des pluraliteacutes En mecircme temps il

les analyse une par une afin de donner plusieurs critegraveres qui caracteacuterisent la pluraliteacute personnelle en

Dieu mais non les autres types de pluraliteacute Une telle organisation du discours complique la lecture 224 laquo Non enim unitas et id quod aequale est unitati persona est una cum ut diximus ab unitate prorsus sit quod ei est aequale Unitas vero a se ipsa id est non ab alio unitas utique illa est persona a se Quod autem ei est aequale non a se sed ab ipsa unitate a qua ipsum est quicquid quoquo modo est Hujusmodi igitur differentiae in personalitatem habendo ea[n]demque erit causa raquo De unitate I 16 eacuted MARTINEAU p 90 Martineau traduit la derniegravere phrase de maniegravere suivante laquo ltLa causegt drsquoune telle diffeacuterence donc ltseragt dans le fait drsquoavoir une personnaliteacute ltpropregt et ce sera la mecircme cause raquo et il avoue qursquoil ne comprend pas de quoi srsquoagit-il dans cette phrase (voir p 91 note 1 agrave ch I 16) Mais nous croyons que cette phrase peut ecirctre comprise de maniegravere plus simple qursquoon a proposeacutee plus haut 225 Pour comprendre mieux ces chapitres voir les tableaux que nous avons faits dans le chapitre VI3 laquo La Triniteacute et les personnes dans le De unitate raquo

68

du texte et cache le fait qursquoAchard y introduit des autres importantes questions theacuteologiques telles

que lrsquouniteacute de la personne et la pluraliteacute des natures dans le Christ la preacutesence des raisons eacuteternelles

dans une personne divine Dieu la deacutefinition dynamique (agrave travers la procession) de la Triniteacute Cela

cantonne avec lrsquoideacutee neacuteoplatonicienne de la premiegravere uniteacute intelligible qui contient plusieurs uniteacutes

intelligibles et qui se prolifegravere dans le monde Ainsi parmi les notions principales il y a non

seulement la pluralitas mais aussi Verbum ratio Unitas Id quod aequale unitati et Aequalitas

III212 I 17-22 ndash justification du nombre des personnes

Le chapitre I 17 est un autre chapitre de transition (comme I 9 ou 12) qui sert agrave eacutevoquer la

direction de la recherche Achard y observe ce qursquoil a deacutejagrave deacutemontreacute (la pluraliteacute personnelle) et ce

qui lui reste agrave deacutemontrer agrave savoir

laquo Ce que sont lagrave-bas les personnes Sont-elles plus nombreuses que celles qui ont deacutejagrave eacuteteacute

deacutemontreacutees crsquoest-agrave-dire trois agrave savoir dans lrsquouniteacute dans ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute et dans

lrsquoeacutegaliteacute mecircme des deux 226 raquo

Dans les chapitres suivants Achard donnent la reacuteponse En I 18-20 il propose la reacuteponse en

srsquoappuyant sur le De arithmetica de Boegravece227 Cette reacuteponse est baseacutee sur les proprieacuteteacutes des

nombres pairs et impairs (vu que lrsquoimpariteacute est relieacutee agrave lrsquouniteacute trois est preacutesent dans lrsquouniteacute suprecircme

en tant que premier nombre impair I 18) du triangle (laquo figure drsquoougrave naissent tous les nombres raquo I

19) et de lrsquoeacutegaliteacute (qui est agrave lrsquoorigine de toute ineacutegaliteacute et qui est donc en Dieu car il est agrave lrsquoorigine

de toutes les creacuteatures qui sont ineacutegales entre elles I 20) A lrsquoargument du chapitre I 20 Achard

ajoute (laquo sed ratio monstrat raquo) que lrsquoeacutegaliteacute nrsquoexiste qursquoentre deux en tant que troisiegraveme eacuteleacutement et

il y a donc trois eacuteleacutements en Dieu Ainsi dans les chapitres I 18-20 Achard montre qursquoil y a trois

personnes en Dieu

Les deacutebuts des chapitres I 21-22 et la fin du chapitre I 22228 eacutevoquent le thegraveme de ces

chapitres lrsquoimpossibiliteacute drsquoune quatriegraveme personne dans la Triniteacute

226 laquoId est quid ibi sint personae utrumne plures esse possint quam jam demonstratae sunt id est tres in unitate videlicet et eo quod unitati est aequale ltetgt in ipsa amborum aequalitate raquo De unitate I 17 eacuted MARTINEAU p 90-91 227 Martineau eacutevoque lrsquoArithmetique de Boegravece en tant que la source de ces chapitres (I 18 du De unitate I 359 et 13 de lrsquo Arithmetique I 19 II 6 23 I 20 I 32) voir E MARTINEAU laquo Eclaircissement IIraquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 211- 212 228 I 21 laquo Si autem post haec tria sibi penitus aequalia quarta in Deo introducatur persona raquo I 22 laquo Si dicet quis alteram esse aequalitatem a qua illa procedit persona alteram quae procedit ab illa raquo et laquo Non igitur quartum potest esse

69

En I 21 Achard propose

- laquo si autem raquo ndash une supposition srsquoil y avait une quatriegraveme personne qui procegravede des

trois premiegraveres

- laquo iterum autem raquo ndash une reacutefutation cette personne serait eacutegale aux trois premiegraveres et par

conseacutequent elle ferait proceacuteder une autre eacutegaliteacute et cette conseacutequence est absurde

(laquo quod est impossibile raquo) il y aurait lrsquoeacutegaliteacute qui produit une personne laquelle agrave son

tour produit lrsquoeacutegaliteacute

Dans le chapitre I 22 Achard continue agrave reacutefleacutechir sur le mecircme sujet Il traite des

modifications possibles de la supposition faite en I 21

1) laquo Si dicet raquo ndash Et srsquoil y aura une deuxiegraveme eacutegaliteacute crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutegaliteacute produite par

une quatriegraveme personne serait-elle diffeacuterente de celle qui est la troisiegraveme personne

11 Reacutefutation1 Dieu ne peut pas avoir deux eacutegaliteacutes comme il nrsquoa ni deux

grandeurs ni deux sagesses ni deux puissances Il existe lagrave une eacutegaliteacute qui correspond agrave

lrsquounique substance de Dieu

Conclusion (laquo Sic et raquo) laquo Pour les grandeurs et les eacutegaliteacutes suprecircmes il est impossible

qursquoelles soient deux229 raquo

12 Reacutefutation2 (laquo Si etiam raquo) srsquoil y avait deux eacutegaliteacutes il y aurait cinq

personnes

2) laquoObjiciitur etiam raquo ndash Et si une quatriegraveme personne ne provient pas des trois

premiegraveres Cela nrsquoest pas possible car

a) laquo ltcette personnegt ne peut ecirctre lagrave-bas que si elle procegravede de lrsquouniteacute elle-mecircme raquo

b) laquo cette eacutegaliteacute exige neacutecessairement qursquoexiste quelque chose drsquoeacutegal agrave lrsquouniteacute de telle

sorte que existant elle-mecircme entre lui et lrsquouniteacute mecircme elle ne requiert plus rien drsquoautre

pour ltatteindregt son ecirctre propre srsquoil est vrai qursquoelle existe en pleacutenitude entre ces deux

termes raquo

c) laquo il faudra que tout ce qui pourra ecirctre proposeacute de surcroicirct de mecircme qursquoil provient de

lrsquouniteacute et de ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute provienne aussi de leur eacutegaliteacute mecircme230 raquo

quod tribus praemissis sit aequale Unde et tres solum ibi personas fateri est necesseraquo De unitate I 17 eacuted MARTINEAU p 92 et 94 229 laquo Et magnitudines et aequalitates summas impossibile est esse duas raquo De unitate I 22 eacuted MARTINEAU p 94-95 230 laquo Quamvis ibi esse non possit nisi ab ipsa procedat unitate [] hoc vero inde evenit quia aequalitas illa ut sit aliquid unitati aequale necessario exigit inter quod et ipsam unitatem cum ipsa fuerit ad esse suum jam amplius nihil requirit utpote quae inter duo illa plena consistit Unde quicquid reliquum deinceps fuerit propositum quemadmodum ab unitate et eo quod unitati est aequale sic et ab ipsa eorum aequalitate oportebit esse raquo De unitate I 22 eacuted MARTINEAU p 94-95

70

De cette maniegravere Achard deacutemontre que mecircme srsquoil y avait une quatriegraveme personne dans la

Triniteacute elle proviendrait neacutecessairement des trois premiegraveres Il y aurait donc un autre eacutegal (lrsquoEgal1)

provenant de lrsquoeacutegaliteacute ce qui nrsquoest pas possible selon Achard car

laquo Rien ne tient ni ne peut tenir son ecirctre de sa propre eacutegaliteacute [hellip] il est neacutecessaire que

lrsquoeacutegaliteacute procegravede des lttermesgt dont elle est lrsquoeacutegaliteacute raquo ndash les eacutegaux preacutecegravedent toujours

lrsquoeacutegaliteacute231

Ainsi les chapitres I 21-22 srsquounissent pour justifier lrsquoimpossibiliteacute drsquoune quatriegraveme

personne en Dieu Dans ces deux chapitres Achard observe les trois cas diffeacuterents de la preacutesence

drsquoune quatriegraveme personne en deacutemontrant leur impossibiliteacute De cette maniegravere il arrive agrave la

conclusion qursquoune quatriegraveme personne nrsquoest pas possible dans la Triniteacute

La justification des trois personnes qui est exposeacutee dans ces chapitres reacutesout un autre grand

problegraveme de theacuteologie trinitaire ndash pourquoi la provenance ne srsquoarrecircte pas aux trois personnes crsquoest-

agrave-dire pourquoi Dieu nrsquoeacutemane-t-il pas directement dans le monde Ce problegraveme est au cœur de la

meacutetaphysique platonicienne chreacutetienne La notion de nombre (numerus) devient alors importante

dans le contexte de la justification arithmeacutetique de la Triniteacute Afin de reacutefuter une quatriegraveme

personne Achard utilise les notions de lrsquounitas de lrsquoaequalitas et de la substantia

III214 I 23-36 ndash justification des noms de la Triniteacute et des personnes

I 23-29 ndash le Pegravere et le Fils

Le chapitre I 23 commence par le reacutesumeacute de ce qui a eacuteteacute deacutejagrave deacutemontreacute (qursquoil nrsquoy a que trois

personnes dans la Triniteacute) Ensuite Achard interroge la maniegravere dont il convient drsquoappeler la

Triniteacute Il examine trois variantes Triniteacute (Trinitas) ternaire (ternarius) ou triple (triplex) Crsquoest le

nom laquo Triniteacute raquo qui convient le mieux aux trois personnes mais laquo ternaire raquo nrsquoest pas loin non plus

car il signifie eacutegalement trois fois une personne ce qui est proche de la deacutefinition arithmeacutetique

Achard ajoute qursquoil y a aussi une dualiteacute dans ces deux personnes (une personne multiplieacutee par

231 Notre conclusion est tireacute du passage suivant drsquoAchard laquo Quicquid autem ab aequalitate illa est jam ipsa ejus ad aliquid aequalitas esse non potest nihil enim a sua esse habet vel habere potest aequalitate Ipsum esse siquidem oportet ut sit alicui aequale et prius est quamque rem considerare in se quam in alterius aequalitate ut ostensum est et postmodum ostendetur abundantius semper aequalitatem ab eis quorum est aequalitas necesse est procedere raquo De unitate eacuted MARTINEAU I 22 p 94-95

71

deux) mais cela ne veut pas dire qursquoil nrsquoy ait pas plus que deux personnes A la fin de ce chapitre

Achard pose la question

laquo Toutefois on ne peut prononcer purement et simplement que dans les personnes de la

diviniteacute existe la dualiteacute drsquoautant plus que ce que nous cherchons crsquoest ce que sont lagrave-bas

les personnes afin que lrsquoon ne pense pas que nous voulions dire qursquoil nrsquoen existe pas lagrave-bas

plus de deux Quel est donc leur nombre La raison dans la suite srsquoacheminera peut-ecirctre

jusqursquoagrave ce point232 raquo

Il nrsquoest pas clair pourquoi Achard pose cette question vu qursquoil a deacutejagrave deacutemontreacute (en I 18-22)

que le nombre des personnes est trois

En I 24 Achard fait une autre transition entre les chapitres

laquo Maintenant en effet le moment est venu de discerner les personnes par des proprieacuteteacutes et

selon leurs proprieacuteteacutes de les distinguer par des noms [hellip] Aussi devons-nous consideacuterer les

trois lttermesgt citeacutes dans lesquels a eacuteteacute trouveacutee la pluraliteacute de la Triniteacute crsquoest-agrave-dire lrsquouniteacute

ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme et comme la substance en est unique

examiner la diffeacuterence entre tous ces lttermesgt aussi soigneusement qursquoil se pourra233 raquo

En examinant le deacutebut des chapitres suivants on peut remarquer que le chapitre I 25

commencent par laquo En premier lieu raquo (laquo In primis raquo) et il srsquoagit lagrave de lrsquouniteacute le chapitre I 30 par

laquo de la troisiegraveme donc raquo (laquo Tertiae igitur raquo) et il srsquoagit de lrsquoeacutegaliteacute Dans les premiegraveres phrases des

chapitres I 26-29 laquo ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute raquo (la deuxiegraveme personne) est mentionneacute Drsquoougrave nous

tirons la conclusion que les chapitres I 25-30 sont lieacutes (25 puis 26-29 et enfin 30) afin de parler de

chacune des trois personnes Plus tard nous deacutecouvrirons que les chapitres I 30-36 sont tous

consacreacutes agrave la troisiegraveme personne

En I 25 Achard traite lrsquouniteacute Selon lui lrsquouniteacute nrsquoa ni distinction ni pluraliteacute et laquo rien ne

peut ecirctre son origine et sa cause raquo Afin de deacutemontrer cela Achard fait une supposition (laquo si

enim raquo) lrsquouniteacute provient drsquoautre chose Les deux conseacutequences sont ainsi possibles

232 laquo Non tamen simpliciter pronuntiandum in personis divinitatis consistere dualitatem praecipue cum quaeritur quid sint ibi personae ne significare putemur quod non plures quam duae ibi consistant personae De numero autem personarum quidnam sit in sequentibus fortasse procedet ratio raquo De unitate I 23 eacuted MARTINEAU p 96-7 233laquo Nunc enim personae discernendae sunt proprietatibus et secundum proprietates distinguendae nominibus [hellip] Consideranda sunt itaque tria proposita in quibus Trinitatis pluralitas est inventa id est unitas et quod unitati aequale est et aequalitas ipsa et cum una sit substantia omnium eorum differentia diligentius prout fieri potest est attendenda raquo De unitate I 24 eacuted MARTINEAU p 96-7

72

1) laquo Vel raquo il nrsquoy a que lrsquouniteacute donc lrsquouniteacute provient drsquoelle-mecircme

2) laquo Aut raquo il y a de la pluraliteacute mais dans ce cas crsquoest toujours la pluraliteacute qui provient

de lrsquouniteacute et non lrsquoinverse

Ainsi la proprieacuteteacute de lrsquouniteacute est laquo de ne pouvoir absolument pas ecirctre drsquoun autre que

drsquoelle-mecircme234 raquo

Dans les chapitres I 26-29 Achard deacutecrit les proprieacuteteacutes de la deuxiegraveme personne ndash ce qui

est eacutegal agrave lrsquouniteacute ndash agrave savoir la proprieacuteteacute de provenir de lrsquouniteacute235 La provenance de la deuxiegraveme

personne implique qursquoil y a une distinction et une pluraliteacute premiegravere (la dualiteacute) dans lrsquouniteacute

Ensuite en I 26 Achard eacutevoque les deux obstacles qui apparaissent si la deuxiegraveme personne (ce

qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute) ne provient pas de cette uniteacute (mais par conseacutequent elle proviendrait drsquoelle-

mecircme)

a) laquo Sine qua raquo ndash ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute ne serait pas diffeacuterent de lrsquouniteacute

b) laquo nec raquo ndash les deux personnes ne pourraient pas ecirctre eacutegales si elles nrsquoeacutetaient pas distinctes

en quelque mode

Dans le chapitre I 27 Achard continue les reacuteflexions prises dans le chapitre preacuteceacutedent

- laquo Si enim raquo ndash laquo En effet si ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute eacutetait de soi-mecircme comme lrsquouniteacute il

nrsquoy aurait plus rien par quoi il pucirct ecirctre distingueacute drsquoelle 236 raquo

- laquo Siquidem raquo ndash par conseacutequent il nrsquoy aurait pas pluraliteacute car ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute

serait identique agrave lrsquouniteacute mecircme

Formellement dans ce chapitre Achard reacutepegravete le cas eacutevoqueacute en I 26 (voir lrsquoobstacle a) De

plus Achard utilise la mecircme conjonction laquo si enim raquo qursquoil a utiliseacutee en I 25 pour introduire la

supposition Le chapitre I 27 ressemble ainsi au deacuteveloppement logique du chapitre I 26

En I 28 Achard fait une autre supposition

1 laquo Si raquo ndash ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute provient de lui-mecircme seacutepareacutement (seorsum) bien qursquoil ait la

mecircme nature et les mecircmes opeacuterations que lrsquouniteacute premiegravere

- laquo eo tamen raquo ndash lrsquoobjection lrsquouniteacute de ces deux personnes est moindre car (laquo non tamen raquo)

laquo aucune drsquoelles nrsquoest ou ne fait rien en deacutependance de lrsquoautre ou dans lrsquoautre raquo 234laquo Unde nihil ipsius unitatis potest esse origo et causa ut prorsus aliunde esse nequeat nisi a se ipsa raquo De unitate I 25 eacuted MARTINEAU p 96 235 Voir les deacutebut de ces chapitres ougrave Achard pose la question de la procession laquo Quae etiam ratio id quod unitati est aequale ab unitate ipsa convincit esse raquo I 26 laquo Si enim quod unitati est aequale a se ipso esset ut unitas raquo I 27 laquo Si fieri quoque aliqua permitteret ratio ut id quod unitati est aequale seorsum a se ipso quemadmodum unitas suam haberet existentiam raquo I 28 laquo Quamvis autem ab unitate esset quod ei est aequale non tamen ab illa procedere adeo proprie diceretur nisi ita esset ab illa quod ab ipsa illius proflueret substantia raquo I 29 236 laquo Si enim quod unitati est aequale a se ipso esset ut unitas jam nihil esset unde ab illa distingui posset raquo De unitate I 27 eacuted MARTINEAU p 98-99

73

2 laquo quemadmodum raquo ndash lrsquoexemple le feu la chaleur et le rayonnement Ils possegravedent la

caracteacuteristique suivante

21 laquo le feu opegravere donc lui aussi en lrsquoune et en lrsquoautre et crsquoest pourquoi tout ce que fait la

chaleur et le rayonnement le feu ltle faitgt aussi raquo

22 Pourtant Achard eacutevoque que dans les deux cas suivants une telle coopeacuteration de ces

trois eacuteleacutements ne serait pas possible

221 laquo si raquo ndash laquo la chaleur ou le rayonnement sortait drsquoailleurs que du feu raquo

222 laquo vel si raquo ndash laquo la chaleur ou le rayonnement provenait du feu de telle maniegravere qursquoil pucirct

cependant exister mecircme sans plus sortir de lui237 raquo

3 laquo Quae quidem similitudo raquo ndash cette comparaison peut servir afin de laquo mettre en relief lrsquouniteacute mecircme

de la Triniteacute raquo

31 laquo il est requis assureacutement que tout ce qui est dit de lrsquoune quelconque des personnes mdash

exception faite pour la proprieacuteteacute mdash que cela mecircme et par le fait mecircme puisse ecirctre dit

eacutegalement de nrsquoimporte laquelle des autres autrement dit que ceci et cela puisse ecirctre dit

tant selon la substance que selon la volonteacute et lrsquoopeacuteration238 raquo

32 Et les deux cas ougrave lrsquouniteacute substantielle est impossible

321 laquo si raquo ndash lrsquouniteacute et ce qui lui est eacutegal procegravedent de lrsquoautre

322 laquo vel si raquo ndash soit ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute procegravede drsquoelle de maniegravere ponctuelle crsquoest-agrave-

dire que la procession cesse

33 laquo Ut igitur [hellip] relinquitur quod raquo ndash la conclusion les conditions de la preacutesence de lrsquouniteacute

substantielle dans la Triniteacute doivent ecirctre les suivantes laquo que ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute

procegravede drsquoelle-mecircme et que cette procession ne cesse jamais239 raquo

De cette maniegravere la correspondance entre lrsquoexemple du feu de la chaleur et du rayonnement

et la Triniteacute devient eacutevidente Le thegraveme geacuteneacuteral de ce chapitre est lrsquoimpossibiliteacute de la procession de

la deuxiegraveme personne drsquoelle-mecircme de telle maniegravere qursquoelle soit eacutegale agrave la premiegravere personne Les

conseacutequences absurdes de cette provenance sont donneacutees (321 et 322) et la solution est proposeacutee

(33)

237 laquo Quemadmodum quia calor et splendor non operatur quid nisi ab igne et ignis operatur in utroque ideo quicquid calor et splendor efficit et ignis et eo etiam ipso quod nequaquam contingeret si aliunde quam ab igne calor vel splendor exiret vel si etiam ita ab igne esset quod jam non ab igne exeundo existere tamen posset raquo De unitate I 28 eacuted MARTINEAU p 98-99 238 laquo Quae quidem similitudo ad illam quae in Trinitate est processionem intelligendam et ad ipsam Trinitatis unitatem commendendam non parum valere poterit ibi enim ut sit trium unitas summa exigitur profecto ut quicquid de una qualibet proprietate excepta dicitur persona idipsum et eo ipso de aliarum quoque utralibet vel utrumque tam secundum substantiam quam secundum voluntatem et operationem dici aeque possit raquo De unitate I 28 eacuted MARTINEAU p 98-99 239 laquo Relinquitur quod ei est aequale ab ipsa procedere et processionem illam nunquam cessare raquo De unitate I 28 eacuted MARTINEAU p 98-99

74

Formellement en I 28 Achard deacuteveloppe la supposition faite en I 26 b (si la deuxiegraveme

personne provient drsquoelle-mecircme de telle sorte qursquoelle soit diffeacuterente de la premiegravere personne) Il

propose une conseacutequence absurde il nrsquoy aurait pas drsquouniteacute entre ces deux personnes Pourtant

lrsquoexemple proposeacute dans ce chapitre permet de relever la proprieacuteteacute de la deuxiegraveme personne (de

proceacuteder de lrsquouniteacute et que cette procession ne cesse jamais) Cela implique la preacutesence de deux

personnes parfaitement eacutegales (en tous sens) mais pas identiques dans la Triniteacute

En I 29 Achard fait la deacutemarche suivante

1 laquo quamvis [hellip] nisi raquo ndash impose une autre condition ce qui est eacutegal doit proceacuteder de la

mecircme substance que lrsquouniteacute

2 laquo si etiam si autem raquo ndash la deacutemonstration par lrsquoabsurde Si ce qui est eacutegal ne proceacutedait pas

de lrsquouniteacute elle proceacutederait donc de rien (de nullo) et elle serait donc la creacuteature et non

Dieu elle serait corruptible et elle ne pourrait pas ecirctre eacutegale agrave lrsquouniteacute premiegravere

3 laquo igitur raquo ndash ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute procegravede de la mecircme substance que lrsquouniteacute et garde

cette substance

La deuxiegraveme partie du chapitre diffegravere de la premiegravere Achard y propose des noms pour deux

premiegraveres personnes de la Triniteacute agrave partir de la proprieacuteteacute qursquoil a trouveacutee preacuteceacutedemment Achard

eacutevoque deux types de noms qui correspondent agrave cette condition laquo Pegravere raquo et laquo Fils raquo et

laquo engendrant raquo et laquo engendreacuteraquo Ensuite Achard demande agrave quels ecirctres ces noms peuvent-ils ecirctre

appliqueacutes Lrsquolaquo engendrant raquo et lrsquolaquo engendreacute raquo srsquoappliquent aux ecirctres de la nature vivante et

sentante ainsi qursquoaux choses insensibles et inanimeacutees Le laquo Pegravere raquo et le laquo Fils raquo srsquoappliquent non

seulement aux ecirctres de la nature vivante et sentante mais aussi agrave ceux de nature rationnelle Voilagrave

pourquoi les noms laquo Pegravere raquo et laquo Fils raquo vont mieux agrave Dieu qui est de nature rationnelle

Ainsi les chapitres I 26-29 sont relieacutes de maniegravere agrave creacuteer un groupe dont la structure est la

suivante

I 26 ndash Le problegraveme comment ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute provient-il de lrsquouniteacute mecircme Deux

objections sont proposeacutees

1) I 27 ndash La premiegravere objection la deuxiegraveme personne peut provenir drsquoelle-

mecircme (de soi) la reacuteponse dans ce cas elle serait identique agrave lrsquouniteacute et il nrsquoy aurait

aucune pluraliteacute

2) I 28 ndash La seconde objection la deuxiegraveme personne peut provenir drsquoelle-

mecircme (de soi) et ne pas ecirctre identique agrave la premiegravere personne de maniegravere agrave ce qursquoil y ait

deux personnes indeacutependantes en Dieu la reacuteponse dans ce cas il nrsquoy aurait pas drsquouniteacute

entre ces deux personnes

75

I 28 ndash La solution du problegraveme ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute (la deuxiegraveme personne) provient

drsquoelle-mecircme (la premiegravere personne) et cette procession ne cesse jamais

I 29 ndash La preacutecision de la solution la deuxiegraveme personne provient de la substance de la

premiegravere

I 29 ndash La nomination des deux premiegraveres personnes agrave partir de leurs proprieacuteteacutes (la proprieacuteteacute

de la seconde personne de proceacuteder de la substance de la premiegravere de telle sorte que la procession

ne cesse jamais) laquo Pegravere raquo et laquo Fils raquo signifient la geacuteneacuteration dans les natures sentantes vivantes et

rationnelles

Ainsi dans ces chapitres les deacutefinitions des personnes qursquoAchard a eacutetablies auparavant

(Unitas Id quod unitati est aequale) sont probleacutematiseacutees par rapport aux proprieacuteteacutes de chaque

personne Achard eacutetablit lrsquoordre correct de la procession des personnes agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute

Les eacutetapes de la procession des personnes (lrsquouniteacute la dualiteacute) font reacutefeacuterence agrave des tels principes

meacutedioplatoniciens comme la monade et la dyade

I 30-36 ndash Saint-Esprit

Le chapitre I 30 est aussi une transition Au deacutebut Achard se donne un but

laquo Il nous faut donc chercher pour la troisiegraveme personne le nom mdash celui drsquoeacutegaliteacute ou tout

autre mdash qui soit le mieux adapteacute si lrsquoon considegravere sa proprieacuteteacute par rapport agrave lrsquoun et lrsquoautre

lttermesgt preacuteciteacutes puisque crsquoest drsquoapregraves elle que devra se faire eacutegalement lrsquoimposition du

nom240 raquo

Ainsi Achard cherche le nom pour la troisiegraveme personne qui va lui correspondre et sa

proprieacuteteacute agrave partir de laquelle le nom va ecirctre imposeacute De cette maniegravere il suit son plan proposeacute en I

24

Ensuite il preacutecise que la proprieacuteteacute en question de la troisiegraveme personne est de proceacuteder du

Pegravere et du Fils et que crsquoest cela qursquoil veut monter agrave partir de ce qui est deacutejagrave deacutecouvert Voilagrave

pourquoi il eacutenumegravere ce qursquoil a deacutejagrave eacutetabli agrave propos des proprieacuteteacutes des deux premiegraveres personnes

240laquo Tertiae igitur [autem] ipsius aequalitatis personae sive quodcumque quaerendum est nomen quod aptius fuerit ejus ad utrumque praenominatum proprietate considerata secundum namque eam et nominis facienda erit impositioraquo De unitate I 30 eacuted MARTINEAU p 100-101

76

1) laquo Les raisons donc qui ont montreacute que le Fils procegravede du Pegravere prouvent aussi la

mecircme chose agrave propos de lrsquoeacutegaliteacute des deux raquo agrave savoir que lrsquoeacutegaliteacute provient du Pegravere241 ndash I

26-28

2) laquo lrsquoeacutegaliteacute procegravede du Fils quand bien mecircme le Fils ne peut proceacuteder drsquoelle-

mecircme de fait que rien comme on lrsquoa eacutetabli ne procegravede de sa propre eacutegaliteacute crsquoest ce qui a

deacutemontreacute notre raisonnement anteacuterieur au sujet de lrsquoeacutegaliteacuteraquo ndash I 21

3) laquo en effet en aucun cas ne pourrait exister entre eux cette perfection drsquouniteacute qursquoon a

indiqueacutee lagrave-bas lten Dieugt si lrsquoun ne proceacutedait pas de la substance de lrsquoautre et de mecircme

que cela a eacuteteacute affirmeacute lagrave-bas universellement agrave propos de tous les lttermesgt eacutegaux raquo ndash I 29

(la provenance de la substance) et I 28 (lrsquoaffirmation agrave propos de tous les eacutegaux)

Et il ajoute ce qui lui reste agrave deacutecouvrir

4) laquo Il faut que soit trouveacutee tant dans la substance du Fils que dans celle du Pegravere ltune

raisongt pour laquelle soit assigneacutee une eacutegaliteacute de chacun des deux agrave lrsquoautre raquo242

Dans les chapitres I 31-36 Achard examine la troisiegraveme personne Etant donneacute que les

chapitres I 31-34 sont relativement courts leurs deacutebuts ne nous donnent pas drsquoindication

concernant leurs contenus Ils montrent plutocirct que ce sont les parties du mecircme reacutecit (laquo Sed cum ndash

Quemadmodum quoque ndash Item veluti ndash Amplius raquo) Les thegravemes des chapitres I 31-34 est la

proprieacuteteacute de la troisiegraveme personne et des chapitres I 35-36 le nom qui la convient

I 31

- laquo Sed cum raquo ndash Est-ce que lrsquoeacutegaliteacute comme la grandeur peut ecirctre en plusieurs (voir I 22)

Non

- laquo Igitur raquo ndash laquo Lrsquoeacutegaliteacute provient de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute raquo agrave savoir de la premiegravere

pluraliteacute qui est la dualiteacute du Pegravere et du Fils

I 32

- laquo Quemadmodum raquo ndash il ajoute une autre raison de lrsquoeacutegaliteacute les eacutegaux existent seulement

entre plusieurs la pluraliteacute est donc la condition de lrsquoeacutegaliteacute

I 33

- laquo Item veluti raquo ndash laquo srsquoil est neacutecessaire qursquoil y ait ainsi un entre deux pour que soit trois la

dualiteacute est donc requise pour qursquoil y ait eacutegaliteacute laquelle ne peut ecirctre sans nombre ternaire raquo

241 Voir lrsquoexplication de ce deacutecoupage des phrases dans le chapitre II laquo Le manuscrit de Padoue raquo 242 Voici le texte des points 1-4 donneacute plus haute dans la traduction de Martineau laquo Rationes igitur quae Filium a Patre ostenderunt procedere idipsum probant et de amborum aequalitate quod autem a Filio procedat cum ab ipsa non possit Filius procedere siquidem ltquodgt nihil a sua ut astruximus procedit aequalitate arguit ratio illa de unitate superius proposita Nullatenus enim consisteret inter eos illa quae ibi notata est unitatis perfectio nisi alterum ab alterius procederet substantia et quemadmodum ibi de omnibus generaliter assertum est aequalibus oportet tam in Filii quam in Patris reperiri substantia unde utriusque ad alterum assignetur aequalitasraquo De unitate I 30 eacuted MARTINEAU p 100-101

77

- laquo Praeterea raquo ndash laquo Lrsquoeacutegaliteacute du Pegravere et du Fils est une suprecircme et omniforme coheacutesion raquo Une

certaine disposition est neacutecessaire pour lrsquoexistence drsquoune telle coheacutesion Achard propose

deux exemples

a) lrsquoacircme et le corps

b) laquo le rayon visuel qui srsquoeacutecoule par lrsquoœil et le rayon solaire que lrsquoœil trouve dans

lrsquoair raquo 243

I 34

- laquo Amplius raquo ndash Achard fait ici une supposition et si lrsquoeacutegaliteacute ne provient qursquoagrave partir du Pegravere

et non pas agrave partir du Fils Mais lrsquoimpossibiliteacute de la provenance de la troisiegraveme personne agrave

partir du Pegravere seul a eacuteteacute deacutejagrave deacutemontreacutee en I 21 Par conseacutequent lrsquoeacutegaliteacute provient de deux

Ainsi dans les chapitres I 31-34 Achard a deacutemontreacute pourquoi lrsquoeacutegaliteacute provient de deux

premiegraveres personnes Ensuite il passe agrave lrsquoimposition du nom de la troisiegraveme personne Il propose

quelques options

1) laquo Fils raquo Les raisons pour lesquelles ce nom ne correspond pas

- laquo Cur ergo raquo ndash ce nom est deacutejagrave occupeacute (I 35)

- laquo Apertior autem ratio est raquo ndash ce nom deacutenote les relations agrave lrsquointeacuterieur de la famille

qui ne sont pas possibles quand lrsquoeacutegaliteacute provient du Pegravere et du Fils car laquo si elle (la

troisiegraveme personne) eacutetait leur fils elle serait ltfils de lrsquoun etgt de lrsquoautre donc elle

aurait deux pegraveres ce que la nature ne peut toleacuterer plus encore mdash chose qui serait

horrible dans le monde creacuteeacute mdash le mecircme serait fils et petit-fils du mecircme et le mecircme

derechef fils et fregravere du mecircme et inversement244 raquo (I 36)

2) laquo Si autemraquo - laquo Dieu raquo La reacutefutation de cette maniegravere elle deacutesignerait la communion

entre le Pegravere et le Fils Pourtant il faut que ce nom deacutesigne eacutegalement laquo une personne en

soi singuliegravere raquo Mais aussi cela impliquerait que crsquoest la troisiegraveme personne dont

proviennent le Fils et le Pegravere et non lrsquoinverse (ce qursquoon a dans le cas de Dieu)

3) laquo Vero - Sedraquo - laquo Saint-Esprit raquo ougrave laquo esprit raquo deacutesigne lrsquouniteacute de la nature et laquo Saint raquo

lrsquouniteacute de la volonteacute propre agrave la troisiegraveme personne

243 laquo Item veluti necesse est unum esse sic inter duo ut sint tria exigitur ergo dualitas ut sit quae sine ternario esse non potest aequalitas Aequalitas praeterea Patris et Filii quaedam eorum est summa et omnimoda cohaesio Cohaesio autem omnis ex cohaerentibus nunquam enim res altera cohaeret alteri nisi in ambabus aptitudo sit et causa cohaerendi Cur enim anima magis cohaeret carni quam lapidi nisi quia majorem ibi reperit competentiam cohaerendi Sed nec caro magis sic animae cohaeret quam non animae nisi ex ea quae in anima est cohaerendi aptitudine Similiter et radius qui per oculum perfluit visualis et radius quem in aere reperit solaris nequaquam sic ibi concurrerent ut communi cursu suo visum ex ipsis procedentem formarent nisi uterque in altero idoneitatem inveniret ita inter se et permiscere posset raquo De unitate I 33 eacuted MARTINEAU p 102-103 244laquo Unde si eorum Filius esset et alterius et sic duos quod rerum non sustinet natura haberet patres sed et quod in creaturis horrendum foret idem ejusdem filius esset et nepos et item idem ad eundem filius et frater e contrario idem pater et avus idem quoque ejusdem pater et frater raquo De unitate I 36 eacuted MARTINEAU p 104-105

78

Dans les chapitres I 30-36 les noms des personnes (Pater Filius et Spiritus Sanctus) sont

expliqueacutes agrave partir de leurs proprieacuteteacutes respectives Ces chapitres renforcent eacutegalement ce qui a eacuteteacute dit

dans les chapitres I 20-22 agrave propos de lrsquoimpossibiliteacute drsquoune quatriegraveme personne en mettant lrsquoaccent

sur la vie interne de la Triniteacute La probleacutematique correspond aux sujets du platonisme chreacutetien

III22 Partie 2 Doctrine des raisons eacuteternelles (I 37-II 21)

III221 I 37-42 ndash doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave remarqueacute plus haut le chapitre I 37 sert agrave seacuteparer les deux parties

du De unitate Achard y change son mode drsquoenquecircte tandis que dans la premiegravere partie il a parleacute

de Dieu agrave partir de sa nature invisible agrave partir du chapitre I 38 il explique les creacuteatures agrave partir de

leurs raisons eacuteternelles invisibles

Dans le chapitre I 38 Achard continue drsquoexposer la doctrine des raisons eacuteternelles des

choses (crsquoest surtout le deacutebut du chapitre laquo Inde enim raquo qui fait penser agrave la continuiteacute de son

discours) Les premiegraveres phrases des chapitres suivants contiennent les adverbes laquo etenim raquo (I 39)

laquo autem raquo (I 40 mais aussi 41) et laquo igitur raquo (I 42) Les mecircmes phrases suggegraverent qursquoil srsquoagit des

raisons eacuteternelles Cela permet de supposer que dans les chapitres I 39-42 la doctrine des trois

sortes de raisons eacuteternelles est introduite dans lrsquoensemble de la description (ce que lrsquoadverbe

laquo igitur raquo nous eacutevoque)

Dans les chapitres I 37 et 38 Achard adopte une maniegravere de parler indirecte ce qui lui

permet de ne pas expliciter le sujet des phrases Soit il utilise des pronoms en citant Rom 1 20245

soit il emploie le verbe sans sujet246 De cette faccedilon Achard introduit la division sur ce qui sont ici

et lagrave-bas (hic et ibi) ou comme il explique plus tard en I 38 sur les choses en elles-mecircmes (res in

semetipsis hic) et les choses dans leurs raisons eacuteternelles (in aeternis rationibus suis ibi) Dans le

mecircme chapitre Achard promet aussi de montrer que toutes les raisons sont une Raison selon la

substance et la personne bien qursquoil existe entre elles une distinction

En I 39 Achard preacutesente la doctrine des raisons des choses (finales formelles et

deacuteployantes ou les formes les causes et les modes) En I 40 il admet que ces trois sortes de raisons

245laquo Modus autem hic et sicuti in hiis quae facta sunt respiciet tamen ad ea quae ltnongt facta sunt siquidem rationes eorum et origines attendens ea non in esse a ltsegtmetipsis sed ubi multo verius subsistunt in aeternis ipsorum causis raquo De unitate I 37 eacuted MARTINEAU p 106 246laquo Inde enim huc venerunt unde nullatenus profluxissent nisi et ibi juxta aliquem fuissent modum Non autem ita inde venerunt ut ibi esse desierint quando huc venerunt nec ideo ibi fuerunt vel sunt quia huc venerunt sed magis ideo hic temporaliter facta sunt quia ibi aeternaliter infecta fuerunt et sunt raquo De unitate I 38 eacuted MARTINEAU p 108

79

se trouvent dans la Sagesse divine qui est la personne du Fils et qursquoelles y sont distinctes Puis il

dit qursquoelles sont distinctes non seulement dans notre intellect mais aussi en Dieu (I 41)

Tandis que dans le chapitre I 39 Achard deacutecrit trois sortes de raisons en expliquant

briegravevement chacune drsquoelle dans les deux chapitres suivants il eacuteclaircit pourquoi elles sont

distinctes Pour deacutemontrer cela il choisit deux maniegraveres drsquoargumenter

1) I 40 ndash laquo habere auctoritates praedictae raquo ndash en srsquoappuyant sur les autoriteacutes

(lrsquoexeacutegegravese des versets bibliques Jean 1 3-4 et Genegravese 1 1 23 6)

2) I 41 ndash laquo habere rationes necessariae raquo ndash en srsquoappuyant sur les raisons neacutecessaires

Les maniegraveres drsquoexpliquer utiliseacutees dans ces deux chapitres sont complegravetement diffeacuterentes

En I 40 Achard cherche agrave deacutemontrer sa doctrine des trois sortes de raisons agrave travers les

versets de la Bible Jean I 3-4 et Genegravese I 2-3 6 En glosant ces versets Achard reacuteexpose sa

doctrine de trois sortes de raisons247

En I 41 il fait deux deacutemonstrations en montrant les conseacutequents absurdes drsquoune thegravese

opposeacutee

1) laquo Quod autemhellip Causae siquidem faciendorum raquo ndash les causes des choses sont telles que

Dieu les a eacutetablies agrave faire car sinon (laquo Si enim raquo) il aurait fait drsquoautres choses et aurait

eacutetabli drsquoautres causes pour elles

2) laquo Formas autem raquo ndash il y a non seulement les formes pour tout ce que Dieu a fait et ce

qursquoil peut faire (facit et facere potest) mais des modes (modi faciendi) dans lrsquoesprit de

Dieu Les conseacutequences absurdes du contraire

22 laquo Alioquin enim raquo ndash Dieu pourrait plus qursquoil ne saurait

33 laquo Nisi enim raquo ndash laquo Les anges ne pourraient voir dans le Verbe de Dieu quels ils ont

eacuteteacute faits qursquoils ne voient tout autant comment ils ont eacuteteacute faits et en geacuteneacuteral ils ne

verraient absolument pas lagrave-bas la forme drsquoune chose quelconque qursquoils ne voient par le

fait mecircme aussi le mode de sa production et pas davantage nrsquointelligeraient-ils quel le

Fils a eacuteteacute engendreacute qursquoils nrsquointelligent en mecircme temps comment il lrsquoa eacuteteacute248 raquo

Dans le chapitre I 42 Achard preacutesume que la distinction des trois sortes de raisons est

suffisamment deacutemontreacutee et qursquoil est possible ainsi de passer agrave la question suivante agrave savoir les

247 Reiner Berndt explique que la liberteacute drsquointerpreacutetation est caractegravere pour les gloses du XII siegravecle R BERNDT laquo La theacuteologie comme systegraveme du monde Sur lrsquoeacutevolution des sommes theacuteologiques de Hughes de Saint-Victor agrave Saint Thomas drsquoAquin raquo dans Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques t 784 1994 p 558-9 248 laquo Videre non possent angeli in Verbo Dei quales sint facti quin non pariter viderent et qualiter sint facti nec penitus ibi viderent formam cujuslibet rei quin eo ipso videant et modum illam faciendi nec etiam intelligerent qualis Filius est genitus quin simul intelligerent et qualiter est genitus raquo De unitate I 41 eacuted MARTINEAU p 112-113

80

distinctions de chaque sorte de raison par elles-mecircme Voilagrave ce qursquoil propose comme plan de

recherche

laquoLes formes des choses se preacutesentent agrave notre connaissance avant les causes de lrsquoopeacuteration

ou les modes et les causes avant les modes [hellip] Crsquoest pourquoi dans notre discussion agrave

leur sujet nous suivrons nous aussi ce mecircme ordre traitant premiegraverement des formes

deuxiegravemement des causes enfin des modes ainsi que bien entendu des formes des choses

Que nous faudra-t-il donc montrer (1) Tout drsquoabord qursquoelles sont de toute eacuteterniteacute dans

lrsquoesprit de Dieu (2) ensuite que lagrave-bas aussi elles sont distinctes (3) apregraves quoi ces

distinctions elles-mecircmes devront ecirctre en quelque mesure assigneacutees et (4) enfin ltnous

aurons agrave nous demandergt si ce sont ces ltecirctresgt mecircmes qui sont ici qui sont eacutegalement lagrave-

bas ou bien si ceux qui sont lagrave-bas sont autres que ceux qui sont ici bien que ceux qui sont

ici soient dits ecirctre lagrave-bas agrave cause drsquoeux Mais ce nrsquoest sans doute pas tout et bien drsquoautres

questions nous occuperont249 raquo

De cette faccedilon Achard expose le plan geacuteneacuteral qursquoil a deacutesormais lrsquointention de suivre

deacutecrire chaque sorte de raisons formes causes modes Il faut remarquer qursquoAchard ne deacutecrit que

les raisons formelles (I 43-II 15) et finales (II 16-21) La partie du texte ougrave il parle de la troisiegraveme

sorte de raisons (les modes) est absente

De plus Achard propose le plan partiel qursquoil a lrsquointention de suivre afin de deacutecrire chaque

sorte de raisons (voir les points 1-4 du dernier passage citeacute) Emmanuel Martineau remarque la

correspondance entre ce plan et la description des raisons formelles dans les chapitres suivants

1 ndash I 43

2 ndash I 44

3 ndash I 45

4 ndash I 46 - 48250

Les chapitres I 38-42 ont pour le sujet principal les trois sortes de raisons eacuteternelles et leurs

diffeacuterences mutuelles Pour expliquer cela Achard demande ce que Dieu peut et sait faire Cette

probleacutematique correspond agrave la question de lrsquoeacutequilibre entre la puissance et la sagesse de Dieu

Drsquoautres problegravemes sont eacutegalement preacutesents Par exemple en I 39 Achard rappelle que les raisons

249 laquo Quia autem primo cognitioni nostrae occurrunt formae rerum quam causae operandi vel modi ltet causae primo quam modi [hellip]gt Ideo et hunc ipsum ordinem de eis disputando sequemur ut primo de formis secundo de causis demum agamus de modis et de formis quidem rerum Inprimis ostendendum quia in mente Dei ab aeterno sunt post quia ibi quoque distinctae sunt deinde distinctiones ipsae aliquatenus assignandae postmodum utrumne eadem ipsa quae hic sunt sint et ibi an ibi alia quam hic propter quae tamen quae hic sunt ibi esse dicantur Sed et alia pluraque inquirenda fortasse erunt raquo De unitate I 42 eacuted MARTINEAU p 112-113 250 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) De unitate eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 113 les notes 4-7

81

sont dans une seule personne ndash le Verbe de Dieu Verbum est un terme proche du mot grec logos

Achard touche eacutegalement le problegraveme de lrsquouniteacute de la source et de la pluraliteacute des deacuteriveacutes En I

38 Achard deacutecrit deux niveaux des ecirctres hic et ibi ce qui reacutefegravere au dualisme platonicien Les

notions principales de ces doctrines sont rationes finales formales et explictrices causae formae et

modi

III222 I 43-I 50 ndash Les formes eacuteternelles et les choses creacuteeacutees

Nous avons regroupeacute les chapitres I 43-50 car les chapitres I 43-48 suivent selon Martineau

le plan eacutetabli par Achard en I 42251 et les chapitres I 49-50 parlent aussi des ecirctres ici et lagrave-bas

En I 43 Achard explique comment les formes sont laquo de toute eacuteterniteacute dans lrsquoesprit de

Dieu raquo Au cours de son deacuteveloppement il propose deux arguments en faveur de sa thegravese

1) Dieu a toujours su ce qursquoil ferait

2) Lrsquoindulgence (indulgentia) de Dieu cause lrsquoexistence des choses et non vice versa (les

choses ne causent pas lrsquoindulgence de Dieu)

La conclusion qui suit Dieu a intelligeacute les ecirctres qursquoil ferait depuis lrsquoeacuteterniteacute mais aussi leur

quantiteacute qualiteacute etc La diffeacuterence entre les ecirctres ici et lagrave-bas reacuteside dans le fait que les premiers

existent in actu et les deuxiegravemes in intellectu Afin de deacutesigner ces deux modes drsquoecirctres Achard

adopte de nouveau une maniegravere drsquoeacutecrire indirecte (il deacutesigne ces ecirctres par lrsquoadjectif neutre omnia)

Les objets in intellectu sont les formes ou les prototypes et in actu les copies ou les simulacres

Dans la deuxiegraveme partie du chapitre Achard deacutefinit les formes agrave lrsquoaide de notions comme

les choses les essences et les substances

En I 44 Achard remarque que la distinction des formes (essentialis formalis substantialis

ou entre lrsquoacircne et lrsquohomme) par lrsquointellect est possible car les formes sont distinctes aupregraves de Dieu

Ce chapitre est lieacute agrave la fin du chapitre preacuteceacutedent gracircce agrave son vocabulaire (lrsquoessence la substance la

forme) Crsquoest seulement dans ces deux chapitres que ces notions sont ainsi lieacutees

251 Cela se voit des premiegraveres phrases (1) laquo ltQuodgt enim omnia quae hic sunt et ibi ab aeterno fuerunt quoquo ibi intelligantur fuisse modo contradici non potest raquo I 43 ibi ndash dans lrsquoesprit de Dieu (2) laquo Quae quidem rerum formae nisi essent et apud Deum distinctae raquo I44 (3) laquo Distinctae autem sunt ibi formae non solum substantiales sed accidentales raquo I45 (4) laquo Cum autem infinita sint ibi ut ostendimus quae vero sunt hic nihil vero est hic id est in creaturis quod non possit dici esse et ibi quaerendum non immerito videtur utrum res numero eaedem ltessegt possunt utrobique raquo I46 laquo Cum autem res eaedem ut ostensum est sint et hic et ibi investigandum est utrumne illae quae eaedem [numero] sunt hic et ibi raquo I48 sauf I 47 qui commence laquo Movere autem aliquem fortasse poterit si in intellectu divino verius sunt res quam in seipsis raquo

82

En I 45 Achard deacutecrit la variation des formes eacuteternelles agrave savoir les formes substantielles

accidentelles celles drsquoindividus drsquoespegraveces et de genres Il explique aussi que la variation des

formes lagrave-bas deacutepasse leur varieacuteteacute ici

laquo Et de mecircme encore pour les individus ils sont distingueacutes lagrave-bas par une infiniteacute de

formes et par lrsquoinfiniteacute des degreacutes de la mecircme forme En effet le ciel qui ici nrsquoest que

rond lagrave-bas est triangulaire lagrave-bas est carreacute et figureacute agrave lrsquoinfini de toutes les maniegraveres252 raquo

Mecircme les formes dont lrsquoexistence ici contredit agrave la nature eacutetablie des choses sont lagrave-bas

Ainsi la question du nombre des formes eacuteternelles par rapport aux choses creacuteeacutees surgit

Le chapitre I 46 a une structure interne bien deacuteveloppeacutee Au deacutebut Achard pose une

question

Les choses sont-elles les mecircmes numeacuteriquement (numero eaedem) dans les deux niveaux

drsquoexistence (utrobique)

Et il examine les reacuteponses possibles

1) laquo Si enim eadem raquo ndash srsquoil y a reacuteponse positive la premiegravere question est

comment les formes-exemplaires lagrave-bas sont les mecircmes qursquoici

11) laquo Numquid enimraquo ndash Soit laquo quelque chose sera modegravele ou

forme de soi-mecircme raquo

12) laquo Nonne enim raquo ndash soit laquo ce qui est fait agrave la ressemblance de

quelque chose est autre qursquoelle et mecircme posteacuterieur agrave elle raquo ce qui peut entraicircner

(laquo Numquid vero quid raquo) que laquo quelque chose peut ecirctre autre que soi-mecircme ou

se preacuteceacuteder soi-mecircme raquo

2) laquo Item si eadem raquo - la reacuteponse positive ouvre eacutegalement une deuxiegraveme

question agrave savoir comment les formes des choses qui existeront agrave lrsquoavenir ou qui ont

deacutejagrave cesseacute drsquoexister existent lagrave-bas

3) laquo Si autem eadem non sunt raquo ndash srsquoil y a reacuteponse neacutegative253

Voyons deacutesormais le scheacutema de son argumentation

252 laquo Singula quoque individua per infinitas ibi distincta sunt formas et per ejusdem formae gradus infinitos Caelum enim quod hic est non nisi rotundum ibi est triangulum ibi est quadratum et usque in infinitum modis omnibus figuratum raquo De unitate I 45 eacuted MARTINEAU p 118-119 253 laquo Cum autem infinita sint ibi ut ostendimus quae vero sunt hic nihil vero est hic id est in creaturis quod non possit dici esse et ibi quaerendum non immerito videtur utrum res numero eaedem ltessegt possunt utrobique Si enim eaedem quomodo illae quae ibi sunt formae vel exemplaria sunt eaedem quae hic sunt Numquid enim aliquid sui ipsius exemplar erit vel forma Nonne enim quod ad alicujus fit similitudinem alterum ab eo esse oportet sed et posterius Numquid vero quid a se ipso potest esse alterum vel praecedere se ipsum Item si eaedem sunt omnino res quae hic sunt et quae ibi quomodo hiis nondum existentibus fuerunt illae et hiis etiam pereuntibus permanent illae Si autem eaedem non sunt nec eaedem quae hic sunt in intellectu Dei sunt raquo De unitate I 46 eacuted MARTINEAU p 118-119

83

Achard commence par la reacuteponse neacutegative (3) en donnant deux arguments avec lesquels il

nrsquoest pas drsquoaccord

- laquo Si enim alia sunt raquo ndash Dieu ne voit pas les choses directement mais par

lrsquointermeacutediaire des formes qui sont numeacuteriquement diffeacuterentes des choses

- laquo Et sententia utique nonnulorum fuit raquo ndash certains philosophes disent que

Dieu ne voit pas les choses directement car en eacutetant lrsquoecirctre intellectuel il ne peut pas voir

des ecirctres corporels

Il nrsquoest pas drsquoaccord avec ces arguments donc la reacuteponse neacutegative est refuseacutee

Ensuite il donne un argument en faveur de la reacuteponse positive (1)

- laquo Consideremus quoquehellip raquo ndash le verset est le mecircme laquo dans lrsquointellect de

Dieu dans son œuvre et dans sa connaissance raquo Le verset ressemble ainsi aux choses

qui avaient eacuteteacute disposeacutees par Dieu drsquoabord et qui ont eacuteteacute faites par lui ensuite Il a fait

tout ce qursquoil avait preacutevu donc il y a le mecircme nombre de choses qursquoil avait preacutevu agrave faire

(qui sont in intellectu) et qursquoil a fait (in actu)

Apregraves avoir deacutemontreacute que la premiegravere proposition (les ecirctres ici et lagrave-bas sont les mecircmes

numeacuteriquement) est vraie Achard nie la premiegravere sous-proposition laquo quelque chose sera modegravele ou

forme de soi-mecircme raquo (11)

- laquoNon autem inde sequitur raquo ndash la chose nrsquoest pas son modegravele mais plutocirct la forme est

le modegravele de la chose en tant qursquoelle (la forme) est en elle-mecircme (lagrave-bas)

De cette faccedilon Achard arrive agrave 12 Il nrsquoarticule pas clairement la reacuteponse agrave cette question

mais il donne trois exemples

- laquo si quis raquo ndash celui du vieillard qui est diffeacuterent de lui-mecircme enfant

- laquo vel si quis raquo ndash celui de la personne qui peut avoir bonne ou mauvaise opinion drsquoelle-

mecircme

- laquo vel juxtra exemplum raquo ndash celui du verset profeacutereacute ou eacutecrit et intelligeacute dans lrsquoesprit

Tous ces exemples deacutemontrent qursquoune chose garde son identiteacute gracircce agrave la forme mecircme si

cette chose change Par conseacutequent une chose est posteacuterieure agrave une forme et elle peut ecirctre diffeacuterente

drsquoelle-mecircme

La reacuteponse agrave 12 megravene agrave reposer la question 2 agrave savoir laquo Comment les formes des choses

qui existeront dans le futur ou les formes des choses qui ont deacutejagrave cesseacute drsquoexister existent lagrave-bas raquo

A ce propos Achard dit que ce nrsquoest pas comme si les formes ont cesseacute drsquoecirctre quand les choses ont

commenceacute ou qursquoelles existent en mecircme temps (les formes et les choses) mais que les ecirctres qui

sont ici et lagrave-bas ne sont pas de la mecircme maniegravere (taliter) car les seconds sont intelligeacutes

Ainsi Achard soutient lrsquohypothegravese que les choses ici et lagrave-bas sont les mecircmes

numeacuteriquement (les reacuteponses positives aux questions 1 et 2) En examinant la proposition 1 il

84

rejette 11 et accepte 12 La question 2 reccediloit une reacuteponse preacuteliminaire Lrsquoexamen plus preacutecis de

cette derniegravere reacuteponse pose mecircme plus de questions agrave propos de ce qursquoest ecirctre ici et lagrave-bas De cette

maniegravere dans le chapitre I 46 Achard deacutemontre que les formes sont les mecircmes numeacuteriquement

que les choses et qursquoelles sont les modegraveles qui preacutecegravedent les choses selon leur nature

Nous croyons que la forme litteacuteraire de ce chapitre ressemble encore plus agrave la quaestio que

celle du chapitre I 10 il y a une question au deacutebut qui peut avoir deux reacuteponses laquo oui raquo ou laquo non raquo

et des arguments en faveur de ces deux reacuteponses254

Dans le chapitre I 47 Achard pose la question suivante comment est-il possible de

deacutesigner lrsquoexistence des formes lagrave-bas par le verbe laquoecirctreraquo (esse) qursquoon utilise pour nommer les

choses ici Il deacuteclare que quand on parle de lrsquoecirctre des formes on le dit en un sens transfeacutereacute

(translative) Tandis que au sens propre il faut dire laquo ecirctre dans le Verbe raquo ou laquo ecirctre dans lrsquointellect

de Dieu raquo Rappelons qursquoen I 46 Achard interroge pourquoi nous appliquons le mecircme nom aux

ecirctres ici et lagrave-bas (les formes et les choses) alors qursquoils sont de maniegraveres diffeacuterentes Le chapitre I

47 ressemble plutocirct agrave lrsquoexplication de la derniegravere thegravese du chapitre I 46 et donc il peut ecirctre

consideacutereacute comme un corollaire de la quaestio I 46

En I 48 Achard revient agrave la question comment les choses sont les mecircmes numeacuteriquement

ici et lagrave-bas Selon Martineau Achard le fait afin drsquoeacutetablir laquo la modaliteacute preacutecise raquo de lrsquoidentiteacute entre

les formes et les choses Crsquoest de cette maniegravere qursquoil explique la preacutecision laquo an etiam respectibus

diversis raquo255 Voyons deacutesormais la structure de ce chapitre qui est le plus long de tout le traiteacute

Achard examine

1) laquo In rebus namque corporeis raquo ndash les choses corporelles Il observe deux points de vue

diffeacuterents

11 Drsquoabord Achard traite la maniegravere drsquoecirctre ici Notamment il dit que les choses

sont soumises aux changements gracircce agrave la reacuteception de la nouvelle forme par la matiegravere

Cela le megravene agrave la conclusion qursquo laquo une chose quelconque ne peut en mecircme temps ecirctre une

chose mecircme et autre numeacuteriquement raquo256 ce que nous comprenons comme laquo la chose ne

peut avoir les deux formes en mecircme temps raquo vu que la chose selon Achard est composeacutee

de la forme et de la matiegravere et que crsquoest la forme qui cause le changement de la chose voir I

48 Il explique aussi que cela est diffeacuterent pour les esprits qui nrsquoont pas de corps

254 Cf RM MARTIN laquo Introductionraquo dans Œuvres de Robert de Melun t I Quaestiones de divina pagina Louvan 1932 p XL M TEEUWEN The Vocabulary of Intellectual life in the Middle Ages Turnhout 2003 p 322-323 255ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) De unitate eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 48 p 125 note 1 256 laquo Nunquam tamen in hujusmodi res aliqua simul esse res numero una et altera potest raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-125

85

12 laquo Quod autem alicubi sit actu idipsum contingit et intellectu raquo ndash ensuite il

traite les mecircmes choses du point de vue des modes drsquoexistence in actu et in intellectu

Achard affirme que laquo tout ce qui est lagrave-bas nrsquoest pas ici raquo car les choses ici se succegravedent

(changent dans le temps) et lagrave-bas elles sont simultaneacutees Cela implique que la chose ici

(composeacutee de la matiegravere et de la forme) ne peut pas ecirctre une et autre en mecircme temps tandis

que la chose lagrave-bas le peut

Ainsi Achard voit un obstacle agrave lrsquoexistence de lrsquoidentiteacute numeacuterique des choses ici et lagrave-bas

les choses changent ici car elles existent dans la matiegravere et les choses lagrave-bas ne changent pas mais

la forme drsquoune chose comporte toutes les variations possibles de cette chose

2) Achard demande (laquo utrum autem raquo) si Dieu peut faire que nrsquoimporte quelle chose

soit une numeacuteriquement en un temps et autre en un autre temps (si nrsquoimporte quelle chose peut

ecirctre changeacutee) Il propose deux reacuteponses possibles

21 laquo Si autem Deus id quod praedictum est de omnibus potest raquo ndash Dieu le peut

pour toutes les choses si sa puissance est infinie257 Mais Achard objecte qursquoil existe des

ecirctres qui ne sont pas soumis aux changements selon leur nature des esprits des

assemblages drsquoesprits et de corps la matiegravere premiegravere des choses la forme certains ecirctres

qui consistent en matiegravere et en forme

22 laquo Si autem non de omnibus id potest raquo ndash Dieu ne le peut que pour certains

ecirctres qui existent ici et lagrave-bas et qui sont soumis aux changements Sa puissance est donc

limiteacutee par la maniegravere dont il a eacutetabli sa creacuteature

3) Achard dit que les choses sont les mecircmes par le nombre ici et lagrave-bas Cela exige de

rejeter lrsquoobstacle eacutevoqueacute dans la premiegravere partie Afin de le faire Achard fait deux assertions

cruciales

- laquo Videntur enim ibi illae quae sunt hic raquo ndash laquo Les choses qui sont ici en effet

sont vues lagrave-bas en tant que numeacuteriquement mecircmes qursquoelles-mecircmes sont ici [hellip] parce

qursquoelles sont intelligeacutees les mecircmes par le nombre258 raquo ndash il veut dire que lrsquoidentiteacute

numeacuterique des choses ici et lagrave-bas srsquoeacutetablit agrave partir du fait qursquoelles existent ici in se et

ensuite elles sont intelligeacutees lagrave-bas ibi

- laquo Quae utique ibi nihilominus essentraquo ndash laquo elles seraient assureacutement lagrave-bas

mecircme si elles-mecircmes ne subsistaient point par soi au sens ou lrsquoanimal par exemple

avant de naicirctre est dit couramment avoir eacuteteacute dans lrsquoœuf mais selon la seule cause

originelle non pas selon la substance mecircme de lrsquoanimal ni selon la propre subsistance

257 Crsquoest Emmanuel Martineau qui a bien remarqueacute qursquoil srsquoagit ici de la puissance illimiteacutee et limiteacutee ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) De unitate eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 48 p 127 notes 11 et 12 258 laquo Videntur enim ibi illae quae sunt hic ut eaedem numero quae ipsae sunt hic [hellip] quia eaedem numero intelliguntur raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 128-129

86

qursquoil a deacutesormais en soi259 raquo ndash cela reflegravete le sens de lrsquoexistence in intellectu et in actu

lagrave-bas comme dans un œuf et ici en soi Les choses sont les mecircmes par les nombres dans

ces deux eacutetats mais le nombre correct de choses est eacutetabli agrave partir de leur eacutetat in actu et

non agrave partir de leur eacutetat in intellectu

Par conseacutequent les choses in intellectu selon Achard sont plus remplies de possibiliteacutes

qursquoin actu mais leur compreacutehension deacutepend de leur existence in actu De lagrave il est possible de tirer

la conclusion que les choses in intellectu comprennent tous les variations possibles des choses in

actu mais en mecircme temps les choses in intellectu existent lagrave-bas afin de deacuteterminer lrsquoexistence des

choses in actu Voilagrave pourquoi leur nombre est le mecircme

4) laquo Nemo autem aestimet raquo ndash Achard reacutefute lrsquoopinion que pour Dieu voir les choses

telles qursquoelles sont ici est meacutediocre et indigne Il soutient son point de vue par une seacuterie

drsquoarguments

- Dieu laquo voit tout cela en totaliteacute drsquoun regard unique et selon un mode toujours

le mecircme et [il] les voit sans commencement ni fin raquo

- Dieu aperccediloit les choses par la raison eacuteternelle invariable et immense et

laquo dans sa vision et son regard les choses sont telles et aussi grandes qursquoelles sont raquo ce

qui veut dire qursquoil voit la vraie beauteacute et grandeur des choses lesquelles sont beaucoup

plus grandes que ce que nous pouvons apercevoir par les sens corporels ou par la raison

humaine260

Ainsi dans le chapitre I 48 Achard traite la question de lrsquoidentiteacute numeacuterique des choses agrave

savoir si elles sont les mecircmes par le nombre in intellectu et in actu Nous venons de distinguer

quatre parties de ce chapitre Dans la partie 1 il pose le problegraveme de la diffeacuterence entre les choses

mateacuterielles qui changent et leurs formes intelligibles qui ne changent jamais Dans la partie 3 il

reacutepond que la chose in intellectu comprend toutes les variations possibles des choses in actu et que

le nombre des choses et des formes est donc le mecircme Achard ajoute eacutegalement deux questions

suppleacutementaires Notamment dans la partie 2 si Dieu peut faire que nrsquoimporte quelle chose soit une

numeacuteriquement en un temps et autre en un autre temps En reacutepondant il preacutecise la question poseacutee

dans la partie 1 les choses changent et Dieu peut intervenir dans la mesure que Dieu a preacutevue Et

Achard reacutepond que Dieu peut changer la chose numeacuteriquement mais seulement si la possibiliteacute

drsquoecirctre changeacute a eacuteteacute preacutevue par la nature de cette chose Ensuite vu que dans la partie 3 Achard dit 259 laquo Quae utique ibi nihilominus essent etsi ipsae in se non subsisterent quemadmodum et animal antequam esse[n]t in ovo fuisse dici solet sed secundum solam originalem causam non secundum ipsam animalis substantiam nec secundum propriam quam in se nunc habet subsistentiam raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 128-129 260 laquo Nemo autem aestimet parum hoc idem esse et indignum Deo ea scilicet quae hic sunt quamvis ad eum quasi nihil sunt videre ut hic sunt ea qui omnia videt et tota et intuitu uno et modo semper eodem et ea sine principio et fine nec ea quae hic sunt sola sed ut dictum est simul et similiter infinita alia nec ut res percipit sensus vel imaginatio sed ut intelligentia vel ratio aeterna invariabilis et immensa Quae utique non solum in universis sed in singulis nec solum in maximis et in magis pulchris sed etiam in minimis et in minime pulchris inaestimabilem videt tam magnitudinem quam pulchritudinem raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 130-1

87

que le nombre des choses in intellectu se deacutefinit par rapport au nombre des choses ici in actu dans

la partie 4 il se demande si voir les choses mateacuterielles est digne de Dieu Et sa reacuteponse est positive

car dans les choses il y a des beauteacutes et des grandeurs que nous ne voyons pas mais Dieu les voit

Le chapitre I 49 commence par une hypothegravese laquo si les choses sont lagrave-bas telles qursquoelles

sont en soi alors elles semblent ecirctre lagrave-bas muables 261 raquo Puis Achard la reacutefute les choses sont

immuables lagrave-bas car elles existent lagrave-bas de maniegravere agrave ecirctre intelligeacutees Cependant il tire aussi une

conclusion suppleacutementaire de ce raisonnement laquo Mais ces mecircmes ltecirctresgt sont dits lagrave-bas ecirctre

simultaneacutement muables et immuables temporels et eacuteternels agrave part eacutegale262 raquo Achard explique qursquoil

y a deux modes drsquoexister ici et lagrave-bas in intellectu et in actu Et le mode in intellectu comprend les

proprieacuteteacutes des choses in actu (ecirctre muables temporelles etc) mais non selon la substance ou la

qualiteacute mais comme des proprieacuteteacutes qui peuvent ecirctre reacutealiseacutees

En I 50 Achard deacuteveloppe lrsquoideacutee suivante laquo Il faut remarquer que comme les choses

creacuteeacutees sont lagrave-bas immuables et eacuteternelles non pas en vertu drsquoune qualiteacute agrave elle propre mais agrave cause

de leur seul mode drsquointellection il nrsquoy a point agrave chercher quels ltecirctresgt eacuteternels ou quels ltecirctresgt

immuables elles sont elles-mecircmes lagrave-bas263 raquo Il y a deux points importants agrave retenir

- laquo Si quis raquo ndash les choses in intellectu srsquoappellent lsquomodegravelesrsquo agrave cause de leur mode

drsquoexistence et crsquoest agrave ce mode drsquoexister in intellectu que lrsquoeacuteterniteacute des choses se

rapporte

- laquo Si enim raquo ndash les relations entre les choses ici et lagrave-bas sont celles du modegravele-copie lagrave-

bas les choses sont intelligeacutees telles qursquoelles sont ici laquo La seule diffeacuterence est modale et

elle consiste en ce qursquoelles sont ici variablement et qursquoelles sont ndash crsquoest-agrave-dire sont

intelligeacuteesmdash lagrave-bas invariablement264 raquo Ce nrsquoest pas neacutecessaire drsquoeacutetudier seacutepareacutement les

choses ici et lagrave-bas elles sont les mecircmes hormis qursquoelles existent selon deux modes

Ainsi apregraves avoir eacuteclairci la modaliteacute drsquoexistence des choses in intellectu Achard trouve

qursquoil a deacutejagrave suffisamment parleacute agrave propos des formes des choses laquo Mais pour eacuteviter une prolixiteacute

excessive au sujet de ces formes des choses tenons-nous en lagrave ltetgt pour consacrer un autre

261 laquo Si autem res ibi sunt quales sunt in se tunc ibi mutabiles videntur esseraquo De unitate I 49 eacuted MARTINEAU p 132-133 262 laquo Quae autem simul eadem ipsa et mutabilia ibi esse dicuntur et immutabilia temporalia pariter et aeterna raquo De unitate I 49 eacuted MARTINEAU p 132-133 263 laquo Notandum est quia cum res creatae ibi [esse] immutabiles vel aeternae non sint propter qualitatem sui sed propter modum solum intelligendi quaerendum non est quaenam aeterna vel quae ltimgtmutabilia ipsae sunt ibi raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135 264 laquo Hoc enim in modo interest solum quod hic variabiliter sunt ibi sunt id est intelliguntur invariabiliter raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135

88

exposeacute ltaux autres formes intellectuellesgt ouvrons une deuxiegraveme partie265 raquo Ainsi le chapitre I

50 finit le premier traiteacute du De unitate

Le thegraveme principal des chapitres I 43-50 est la relation entre les choses et les formes

Achard commence en postulant que les formes sont les modegraveles des choses (I 43) ensuite il

explique les distinctions des formes par rapport aux choses (I 44-45) et il pose la question

concernant le nombre des formes par rapport aux choses (I 46-48) Il conclut en expliquant que les

formes sont intelligeacutees drsquoapregraves les choses (I 49-50) ce qui reacutesout les problegravemes eacutevoqueacutes

preacuteceacutedemment Cet exposeacute contient plusieurs questions meacutetaphysiques La distinction in

intellectuin actu et la doctrine des formes qui sont les modegraveles sont clairement drsquoorigine

platonicienne En mecircme temps les questions des nombres des choses par rapport aux formes

contiennent le problegraveme de lrsquoidentiteacute des ecirctres Achard se demande si les modegraveles et les copies sont

vraiment identiques et comment les choses muables et corruptibles peuvent correspondre aux

formes immuables et incorruptibles Cela megravene agrave poser la question laquo qursquoest-ce qursquoune chose raquo et

laquo comment garde-t-elle son identiteacute lors drsquoun changement raquo Cette probleacutematique reacutefegravere agrave la

question du statut du monde sensible poseacutee par des neacuteoplatoniciens Nous croyons qursquoAchard

probleacutematise la relation entre les mondes intelligibles et sensibles et que sa solution peut sortir du

cadre platonicien En outre lrsquoeacutetat in intellectu reacutefegravere aux ecirctres dans lrsquointellect divin ce qui fait

penser agrave la doctrine meacutedioplatonicienne des ideacutees comme penseacutees dans lrsquointellect divin Achard

continue eacutegalement de deacutevelopper le sujet de lrsquoeacutequilibre entre la sagesse et la puissance de Dieu (I

43 et I 46) Dans ces chapitres Achard utilise le vocabulaire commun (forma essentia

substantialis accidentalis generalis res etc) mais aussi speacutecifique agrave lui (in intellectuin actu)

III223 II 1-4 ndash forme premiegravere

Les chapitres II 1 et II 2 sont construits de telle faccedilon qursquoils commencent par ce qursquoAchard

a deacutejagrave dit auparavant (sa doctrine des formes comme les choses in intellectu) Et ils finissent par la

deacutemonstration de lrsquoexistence de la forme premiegravere des choses De cette maniegravere Achard introduit

le nouvel eacuteleacutement de sa doctrine ndash la forme premiegravere Un autre chapitre consacreacute agrave la forme

265 laquo Ne autem sit immoderata prolixitas de praefatis rerum formis hucusque processerit ltut de aliis formis intellectualibusgt disputatio alia lthabeaturgt alius[que] formetur liber raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135

89

premiegravere est II 3266 Le chapitre II 4 est lieacute theacutematiquement avec II 3 (son thegraveme est aussi la

distinction267 mais lagrave il ne srsquoagit plus de la forme premiegravere

En outre les chapitres II 1-3 sont riches en citations bibliques surtout en II 1 Achard

utilise le prologue de lrsquoEvangile selon saint Jean (I 1-14) afin de deacutemontrer lrsquoexistence de la

premiegravere forme et en II 2 les versets drsquoIsaiumle XLV-XLV pour illustrer lrsquoexistence des formes in

intellectu268

Dans la premiegravere phrase du second traiteacute Achard annonce

laquo Les formes des choses [hellip] qui sont en Dieu par le seul intellect sont drsquoune substance tout

autre et bien infeacuterieure agrave celle de lrsquointellect par lequel elles sont dites ecirctre269 raquo

Il suppose donc qursquoil y a une autre substance un certain intellect qui est laquo Dieu lui-mecircme raquo

Afin de deacutemontrer cela il introduit lrsquoexeacutegegravese du prologue de saint Jean (I 1-14) Selon lui ces

versets servent agrave prouver qursquoil y a laquo lrsquointellect du Fils qui est et Verbe et lumiegravere raquo Il se pose donc

un but

laquo Trouver lagrave-bas pour toute chose une forme supeacuterieure aux formes eacutevoqueacutees jusqursquoici

[hellip] donc qui ne soit point lagrave-bas parce qursquoelle est intelligeacutee lagrave-bas mais au contraire soit

intelligeacutee lagrave-bas parce qursquoelle est lagrave-bas raquo270

Ainsi dans le chapitre II 1 il montre que la neacutecessiteacute drsquointroduire le nouvel eacuteleacutement de sa

doctrine ndash la forme premiegravere ndash provient de la doctrine exposeacutee dans la Bible Lagrave encore comme en

I 40 Achard preacutetend faire lrsquoexeacutegegravese de la Bible pour deacutemontrer sa propre doctrine

En II 2 Achard reacutefleacutechit agrave partir de ce qursquoil a deacutejagrave deacutecouvrent en I 48 laquo les ltecirctresgt qui

sont ici [hellip] ils ont eacuteteacute eux aussi de toute eacuteterniteacute lagrave-bas tels qursquoils sont maintenant en soi [hellip]

quoique non pas dans le mecircme eacutetat agrave cause de lrsquoeacuteterniteacute mecircme de leur intellection271 raquo

266 Voir son deacutebut laquo Intellectuales sive exemplares quae praedictae sunt rerum formae quae in Deo per solum dicuntur esse et sunt intellectum longe alterius et inferioris sunt substantiae quam intellectus quo dicuntur esse raquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136 267 Voir le deacutebut laquo Et ea utique quae sunt hic et ideo dicuntur ibi esse quia intelliguntur qualia nunc sint in se talia ibi fuerunt ab aeterno lttgtalia namque ab aeterno videbantur ibi ut monstratum est licet non taliter propter ipsam intelligendi aeternitatem raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 138 268 Ibid I 48 p 138 note 2 et laquo Eclarissement VI raquo p 219 p 139 note 12 p 141 notes 13 et 15 269 laquorerum formae quae in Deo per solum [hellip] sunt intellectum longe alterius et inferioris sunt substantiae quam intellectus quo dicuntur esseraquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136-137 270 laquo Oportet ergo formam rei cuilibet reperire ibi praedictis superiorem formis [hellip] ltnecgt ideo ibi sit quia ibi intelligitur sed potius ideo intelligatur ibi quia est ibi propter quam dictum sit quod factum est in ipso vita eratraquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136-137 271 laquo Et ea utique quae sunt hic [hellip] qualia nunc sint in se talia ibi fuerunt ab aeterno [hellip] licet non taliter propter ipsam intelligendi aeternitatem raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 138-139

90

Ensuite il reacutefegravere de nouveau agrave la Bible pour dire que ces deux laquo modes de faire raquo (in

intellectu et in actu) sont preacutesenteacutes par les versets laquo Dieu dit que cela soit raquo et laquo et cela a eacuteteacute fait

ainsi raquo (Genegravese I 1) La premiegravere phrase eacutevoque selon Achard lrsquoadvenir (fieri) des choses depuis

le Verbe et dans le Verbe (ex et in Verbo) Il propose les deux citations de saint Jean (laquo Le Verbe

eacutetait aupregraves de Dieu raquo Jean I 1 laquo ce qui a eacuteteacute fait raquo Jean I 3) pour deacutemontrer que les choses ont eacuteteacute

faites toujours aupregraves de Dieu in intellectu et qursquoelles eacutetaient lagrave-bas eacuteternellement

Puis Achard distingue la signification de lrsquoexpression laquo faite raquo par rapport aux ecirctres ici et lagrave-

bas Les premiers peuvent ecirctre faits par un artisan en acte selon sa volonteacute les deuxiegravemes ne sont

faits de rien en Dieu preacutealablement crsquoest-agrave-dire creacuteeacutees ou formeacutees intellectuellement La conclusion

drsquoAchard est ce qursquoil ne faut pas appliquer notre compreacutehension du mode de faire (modus faciendi)

agrave ce qui a eacuteteacute fait par Dieu

A la fin Achard se demande (laquo Utrum raquo) si crsquoest seulement les ecirctres qui ont eacuteteacute faits (facta)

et qursquoil avait donc eu lrsquointention de faire (facienda ou futura) existent aupregraves de Dieu in intellectu

ougrave eacutegalement tous les ecirctres mecircme ceux qui ne doivent jamais ecirctre faits (nunquam sint facienda) Il

avoue qursquoil ne connaicirct pas la reacuteponse Pourtant le fait qursquoil y a lagrave-bas des formes des ecirctres dont la

creacuteation est preacutevue est eacutevident pour Achard Drsquoougrave provient qursquoil existe une forme premiegravere qui est

la Sagesse de Dieu (laquo Oportet ergo raquo) Achard en propose deux deacutemonstrations

- laquo alioquinraquo ndash la forme premiegravere possegravede une nature plus haute que les formes sinon

elle ne pourrait pas ecirctre le modegravele premier (exemplar primum) et il y aurait donc une infiniteacute de

modegraveles pour chaque forme

- laquo sed nec hellip quod nonhellip nec secundum hellip nisihellipraquo ndash tout a eacuteteacute formeacute par Dieu selon

sa Sagesse elle est donc la forme premiegravere

La conclusion (laquo ergo raquo)

laquo Elle est donc elle-mecircme le modegravele premier de tout et la forme premiegravere en laquelle

srsquoaccomplit la formation intellectuelle eacuteternelle des choses Quant agrave ltla formegt qui provient

drsquoelle ltelle se trouvegt actuellement dans ces choses mecircmes faites dans le temps et par

conseacutequent elle est aussi elle-mecircme faite temporelle ici-bas272 raquo

De cette maniegravere Achard affirme que si les formes lagrave-bas ont eacuteteacute creacuteeacutees (ce qursquoil deacutemontre

dans la premiegravere partie du chapitre II 2) il doit exister une forme premiegravere qui les preacutecegravede en tant

que leur modegravele

272 laquo Ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna quae ex ipsa est actualiter in rebus ipsis temporaliter factis et ideo ipsa quoque hic facta temporalis raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140-141

91

Le chapitre II 3 est commenceacute par une hypothegravese laquo srsquoil nrsquoy avait dans cette forme premiegravere

et suprecircme des choses absolument aucune distinction raquo Ensuite Achard donne des conseacutequences

absurdes

laquo Elles non plus ne seraient mecircme pas formellement distinctes ougrave que ce soit ici ou lagrave-bas

mais de mecircme que toutes seraient diffeacuterentes quoique ltformeacuteesgt drsquoapregraves une forme

absolument la mecircme de mecircme il correspondrait neacutecessairement deux formes agrave une ltformegt

mecircme et unique Qui en effet produirait lrsquoimage du cheval et de lrsquoacircne drsquoapregraves la mecircme forme

Qui fixerait ses regards sur un mecircme exemplaire inteacuterieur ou exteacuterieur lorsqursquoil veut

former une maison ou un plat une tunique et une chape273 raquo

Ensuite il propose deux citations drsquoAugustin

- De Trinitate IX VII 12 ndash pour montrer qursquoil y a une forme unique qui sert en tant que

modegravele de tout

- De diversis quaestionibus 83 qu 46 ndash pour dire que les raisons des choses sont distinctes

entre elles

Et il conclut que les choses sont distinctes lagrave-bas car leurs formes sont eacutegalement distinctes

lagrave-bas

Puis Achard revient agrave sa premiegravere thegravese qui est opposeacutee agrave ce qursquoil vient drsquoobtenir

laquo De plus comme une telle forme crsquoest-agrave-dire la raison formelle drsquoune chose quelconque

est sa veacuteriteacute si cette forme de toutes choses eacutetait une sans distinction la veacuteriteacute de toutes

choses de la mecircme maniegravere serait tout aussi une et agrave aucun eacutegard distincte en quoi que ce

soit274 raquo

Et il deacutemontre son absurditeacute

1) en voyant une chose dans la contemplation de Dieu on en verrait une autre275

273 laquo Nec ipsae quidem ullatenus vel hic vel ibi formaliter essent distinctae ltsedgt ut secundum eandem penitus formam omnes essent ltdifgtferentes sic duae unius et ejusdem necessario consisterent formae Quis enim secundum formam eandem imaginem fecerit equi et asini Quis penitus idem vel intus vel foris attendat exemplar cum formare voluerit domum et discum tunicam et cappam raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 142-143 274 laquo Cum etiam hujusmodi forma id est ratio formalis rei cujuslibet ipsius sit veritas si rerum omnium forma haec sine distinctione esset una et veritas omnium eodem modo esset una et nulla consideratione aliquatenus distincta raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 142-143 275 Combes propose drsquoignorer le deuxiegraveme si dans la phrase laquo Quod quidem si esset nec si quis in Dei contemplatione rei alicujus veritatem videre possethellipraquo Ainsi la supposition introduite apregraves le deuxiegraveme si devient la premiegravere conseacutequence A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p 36 et 103 note 1 Martineau nrsquoest pas drsquoaccord Pour lui cette phase fait la partie de la thegravese citeacutee plus haute E MARTINEAU laquo Eclarissement IX raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois

92

2) en sachant la veacuteriteacute drsquoune chose on saurait la veacuteriteacute de toutes

3) ce que lrsquoun intelligerait lrsquoautre lrsquointelligerait aussi

4) ce qui serait indistinct ne pourrait pas ecirctre participeacute

5) ce qursquoun homme verrait il le verrait comme Dieu (dans la mecircme mesure et de la mecircme

maniegravere)

6) si Dieu voyait quelque chose un homme le verrait aussi lagrave-bas de la mecircme faccedilon276

Ensuite Achard ajoute qursquoil faut chercher non seulement les distinctions des choses mais

aussi les raisons en lesquelles les choses sont comprises comme distinctes277 Et il les eacutenumegravere

laquo Et en effet lagrave-bas sont neacutecessairement sous leurs raisons propres non pas seulement les

genres des choses et toutes leurs espegraveces mais aussi les individus et non seulement les

touts mais les parties bien qursquoelles soient infinies dans une chose mecircme unique et tout ce

qui est substantiel et accidentel et dans les accidents tant les quantiteacutes que les qualiteacutes etc

mdash et tout cela non seulement dans les choses qui sont mais encore et de la mecircme faccedilon

dans toutes les choses quelles qursquoelles soient qui peuvent ecirctre faites par Dieu Et non

seulement certes sont distinctes les raisons des creacuteatures et des natures mais aussi celles

des vertus et des beacuteatitudes et dans ce nombre non seulement de celles qursquoil confegravere aux

creacuteatures mais aussi de toutes celles mdash et autant qursquoelles sont mdash qursquoil peut confeacuterer soit agrave

celles qursquoil a deacutejagrave faites soit aux nouvelles qursquoil nrsquoa pas encore faites et qursquoil peut encore

creacuteer278 raquo

Vers la fin du chapitre (laquo Nec tantum certe raquo) Achard commence agrave eacutecarter le sujet principal

(les distinctions dans la forme premiegravere) Il expose sa doctrine des vertus et des beacuteatitudes Il existe

donc une seule Vertu qui est Dieu les vertus premiegraveres et suprecircmes qui sont en Dieu et les vertus

que les saints reccediloivent par participation agrave ces vertus suprecircmes Il existe eacutegalement des beacuteatitudes

suprecircmes qui sont Dieu et des beacuteatitudes de creacuteatures qui en deacuterivent Le nombre des vertus et des

1987 p 225-226 Nous ne pensons que ce si change beaucoup la signification La phrase 1 nrsquoest pas neacutecessaire comme preacutemisse et elle peut ecirctre parmi les conclusions 276 Martineau ajoute un nec au deacutebut de cette phrase pour souligner qursquoelle est une conseacutequence comme les cinq phrases preacuteceacutedentes E MARTINEAU laquo Eclarissement IX raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 225-226 277 Nous comprenons de cette maniegravere la phrase suivante laquo Et ut supra rerum quae ibi intelliguntur prosecuti sumus distinctiones sic et ipsarum in quibus ibi intelliguntur distingui oportet rationes ltet ipsas inter segt esse distinctas raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 145 278 laquo Etenim ibi sunt necessario sub rationibus suis non modo rerum genera et species universae sed et individua nec modo tota sed et partes licet sint infinitae in re et una et ea quae ltsuntgt substantialia et accidentalia et in accidentibus tam quantitates quam qualitates et ltcaeteragt universaliter omnia et hltaecgt universa non solum in rebus quae sunt ltsedgt et eodem modo in omnibus quaecumque a Deo fieri possunt Nec tantum certe creaturarum et naturarum ltsed etgt virtutum et beatitudinum distinctae sunt rationes et in hiis non modo earum quas confert creaturis sed et omnium quas et quot conferre potest sive eis quas jam fecit sive eis quas ipse nondum factas adhuc potest creare novasraquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-145

93

beacuteatitudes est plus grand lagrave-bas qursquoici car il en existe lagrave-bas certaines qui ne srsquoappliquent qursquoagrave Dieu

ou aux autres vertus et beacuteatitudes De cette maniegravere les vertus et les beacuteatitudes sont les

participations de la creacuteation au creacuteateur et les connexions entre ces deux

Ensuite Achard ajoute qursquoil existe deux relations de connexion celle entre le Pegravere le Fils

et le Saint-Esprit et celle entre le Saint-Esprit et les dons et gracircces qursquoil distribue La premiegravere

relation est le prototype de la deuxiegraveme Il preacutecise eacutegalement que les distributions des gracircces et des

dons ont eacuteteacute preacutedestineacutees crsquoest-agrave-dire avaient eacuteteacute distribueacutees intellectuellement aux creacuteatures avant

que le monde soit creacuteeacute

Achard propose eacutegalement un petit tour de lrsquohistoire spirituelle de la creacuteation richement

illustreacute par des citations de la Bible afin de souligner qursquoil y avait des eacuteveacutenements (lrsquoeacutetablissement

du royaume de Dieu lrsquoeacutelection du Saint des Saints ndash le Christ etc) qui ont eacuteteacute preacutevus avant la

creacuteation du monde Finalement il preacutecise que la preacutedestination est possible gracircce agrave la raison

causale ce qui illustre lrsquoexistence de trois sortes de raisons lagrave-bas la forme la cause et le mode et

le fait que Dieu a fait les choses laquo qui eacutetaient destineacutees agrave ecirctre279 raquo (futura erant) et non pas laquo tout ce

qursquoil pouvait faire raquo (facere poterat)

En II 4 Achard parle de distinction des raisons Il commence en disant que les distinctions

des choses proviennent (profluunt) des distinctions des raisons laquo et crsquoest pourquoi il faut qursquoelles

soient aussi distinctes et contiennent en elles-mecircmes de quoi ecirctre distinctes raquo Ensuite il se pose

une seacuterie de questions

laquo Mais drsquoougrave cette distinction mecircme tient-elle son origine Il nous faudra le dire dans la

suite Et puis qursquoest-elle donc Crsquoest-agrave-dire quelles proprieacuteteacutes selon lesquelles elle existe

ndash et non pas simplement les correacutelations que les raisons des choses ont avec les choses elles-

mecircmes ndash sont-elles dites les raisons de ces ltchosesgt ou comment la distinction des raisons

procegravede-t-elle de son origine Voilagrave qui semble comme cet ouvrage le montrera non

seulement difficile mais mecircme indicible280 raquo

A partir de ce moment et jusqursquoagrave la fin de ce chapitre relativement court Achard introduit la

nouvelle doctrine des intellections qui sont relieacutees aux connexions Il dit agrave propos des intellections

qursquoelles proviennent des raisons et concernent des choses et que laquo lrsquointellection drsquoune chose

279 Nous corrigeons ici lrsquoeacutedition de Martineau le texte adopteacute laquo factura erant raquo (qui eacutetaient destineacutees agrave faire) est manifestement absurde sauf agrave supposer une erreur grossiegravere de grammaire de la part drsquoAchard prenant agrave la voix passive un participe futur actif 280 laquo Unde autem originem habeat et illa distinctio in sequentibus dicendum erit Quodnam vero ipsa sit id est quae proprietates secundum quas consistit non ltcorregtlationes quas rationes rerum habent ad res ipsas tantum earum rationes dicuntur vel qualiter distinctio rationum a sua procedit origine hoc ut opus ostendet[ur] non modo difficile sed videtur indicibile raquo De unitate II 4 eacuted MARTINEAU p 148-149

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quelconque est en quelque sorte une connexion de celui qui intellige et de la chose intelligeacutee raquo281

Les intellections sont les connexions qui permettent agrave Dieu de voir les choses directement Comme

les raisons sont dans une raison de Dieu les intellections sont dans un intellect de Dieu Les raisons

et la distinction concernent le Fils et les intellections et la connexion le Saint-Esprit Il y a le mecircme

nombre de distinctions que des connexions

De cette faccedilon en II 4 Achard montre pourquoi les distinctions des raisons peuvent ecirctre

imposeacutees agrave partir des distinctions des choses

La notion principale de ces chapitres est la forma prima En II 1-4 Achard deacutemontre qursquoil

existe une forme premiegravere qui contient les formes creacuteeacutees Cette forme est distincte en soi De plus

ce nrsquoest pas seulement les formes qui ont cet ordre laquo la forme premiegravere ndash les formes creacuteeacutees ndash les

choses raquo mais aussi les vertus et les beacuteatitudes Les distinctions entre les formes qui sont dans les

formes creacuteeacutees peuvent ecirctre deacutecouvertes agrave partir des choses qui elles-mecircmes proviennent des formes

Ces hieacuterarchies sont lieacutees agrave la distinction in intellectuin actu deacuteveloppeacutee plus haut Notamment

Achard explique la distinction in intellectuin actu du point de vue du processus de la creacuteation (II

2) Il srsquoagit dans ce cas de la hieacuterarchie et de la multiplication qui sont des eacuteleacutements de systegravemes

platoniciens De plus selon Achard les formes (les ecirctres intelligibles) sont en haut de la hieacuterarchie

et les choses (dont aussi les ecirctres sensibles) en bas

En II 3 Achard parle de nouveau des cateacutegories (substances qualiteacutes accidents etc) et

drsquoautres moyens de distinguer les formes (les touts les parties etc) De cette faccedilon il essaie de

deacutefinir quels sont les eacuteleacutements indivisibles qui constituent des ecirctres intelligibles et sensibles Cela

touche la question de lrsquoidentiteacute des choses

Une autre notion importante est lrsquointellectus Au sens actif ce mot deacutesigne le Verbe de Dieu

(II 1-2) Au sens passif il deacutesigne lrsquoimage mentale drsquoune chose (II 4) La doctrine de lrsquoIntellect en

tant que forme premiegravere la Sagesse et le Verbe contribue agrave la christologie drsquoAchard Elle explique

notamment comment le Christ est la forme premiegravere des choses Elle ressemble agrave la doctrine

meacutedioplatonicienne du logos incarneacute mais aussi agrave la doctrine neacuteoplatonicienne selon laquelle le

monde sensible provient agrave partir du premier principe intelligible ou encore le premier principe

eacutemane dans son hypostase

281 laquo Intellectus autem rei cujuslibet quasi connexio quaedam est intelligentis et rei intellectae raquo De unitate II 4 eacuted MARTINEAU p 148-149

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III224 II 5-11 ndash varieacuteteacute des formes

Le deacutebut du chapitre II 5282 teacutemoigne qursquoil srsquoagit des nombres en tant que formes Drsquoabord

Achard divise les nombres en intellectuels et premiers (intellectuales et primi) et en nombres

nombrables (numerabiles) qui sont dans des esprits des corps ou des choses et qui sont infeacuterieurs

Ensuite (laquo Item nihilominus raquo) en srsquoappuyant sur de nombreuses citations drsquoAugustin

Achard affirme que les nombres sont dans la Sagesse qui est une et distincte Les nombres sont

donc laquo les mecircmes dans les raisons ou en eux-mecircmes crsquoest-agrave-dire invariables increacuteeacutes eacuteternels

veacuteritables et premiers ou plutocirct la veacuteriteacute mecircme raquo et laquo ils sont variables creacuteeacutes et temporels nrsquoeacutetant

alors que des simulacres et des traces raquo dans les creacuteatures283

Puis Achard ajoute (laquo ubi autem raquo) qursquoil existe des proportions des nombres qui ont

eacutegalement leurs raisons formelles Ces proportions intellectuelles des nombres sont agrave lrsquoorigine des

propositions des choses Les raisons des propositions se trouvent dans la Sagesse de Dieu

Vers la fin Achard revient agrave la theacuteorie des formes en preacutecisant qursquoil y a drsquoautres eacuteleacutements

qui se trouvent parmi les formes et laquo dans lesquelles les choses sont vues ou peuvent ecirctre vues raquo agrave

savoir laquo les espegraveces des choses ou leurs quantiteacutes ou leurs natures ou leurs figures ou leurs

relations ou leurs mouvements raquo 284

En finissant le chapitre II 5 Achard promet de rappeler ce qursquoAugustin a dit agrave propos des

raisons formelles des choses Et il le fait dans le chapitre II 6 Achard cite donc Augustin (De

Trinitate IX VI XII II XII XIVhellip) Ces citations servent agrave deacutemontrer les points suivants

1) il existe des choses eacuteternelles (raisons) qui sont contrairement aux choses temporelles

incorporelles intelligibles et inchangeables

2) il y deux maniegraveres de les concevoir par le sens corporel (lrsquoœil qui voit les objets dans la

lumiegravere) et par lrsquointuition (lrsquoacircme intellectuelle qui voit les choses intelligibles dans une

certaine lumiegravere speacutecifique)

282 laquo Quaea utique ltrationesgt cum sint prorsus infinitae in eis necessario omnes reperiuntur numeri raquo II 5 eacuted MARTINEAU De unitate p 150 283 laquo Forsitan vero ut de rerum formis sic intelligi potest et de numeris quia ipsi idem in rationibus sive in se ipsis ltingtvariabiles sunt increati aeterni veri et primi vel potius veritas ipsa atque principium quoddam causaque posteriorum in creaturis vero et rebus subjectis pro rerum earundem qualitate atque natura variabiles creati temporales simulacra et vestigia veritatis effectusque causae principalis raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152-153 284 laquo Ad formales quoque rerum rationes aeternas spectare videntur omnes illae in quibus videntur et videri possunt sive rerum species sive rerum quantitates sive naturae sive figurae sive relationes sive motus raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152-153

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Degraves les deacutebuts de chapitres II 7 et II 8285 nous apprenons que leur sujet commun est les

eacuteleacutements qui sont parmi les raisons eacuteternelles

En II 7 Achard distingue les deux groupes drsquoeacuteleacutements qui sont parmi les raisons formelles

- laquo celles dans lesquelles les choses sont connues raquo (laquo illae in quibus res agnoscuntur raquo)

- laquo celles agrave partir desquelles elles sont connues raquo (laquo illae ex quibus agnoscuntur raquo)286

Il donne agrave titre drsquoexemple (laquo Ut gratia exempli) que dans le deuxiegraveme cas il srsquoagit des

objets comme des points des lignes des surfaces incorporelles des longueurs et des largeurs des

corps matheacutematiques En outre ils laquo ne peuvent jamais tomber sous le sens ou lrsquoimagination mais

ils subsistent dans la seule compreacutehensibiliteacute de la raison ou de lrsquointellect raquo287 Finalement Achard

ajoute (laquo quamvis raquo) que ces objets sont parmi les nombres premiers et intellectuels

Le chapitre II 8 est consacreacute au problegraveme des universaux Drsquoabord Achard envisage deux

possibiliteacutes

1) Les choses universelles ont laquo lagrave-bas leurs raisons et leurs formes supeacuterieures drsquoapregraves

lesquelles elles seraient formeacutees lagrave-bas intellectuellement et ici en acte de mecircme que

sont formeacutees drsquoapregraves elles les choses sujettes raquo

2) Les choses universelles laquo sont les formes premiegraveres des choses elles-mecircmes immuables

et eacuteternelles en soi et infuseacutees temporellement et par participation aux choses formeacutees

drsquoapregraves elles raquo288

Ensuite Achard propose quelques exemples qui agrave son avis parlent des universaux

- la citation drsquoAugustin (De Trinitate VIII V-VI) agrave propos drsquoune acircme juste drsquoapregraves

laquelle toutes les acircmes doivent ecirctre formeacutees

- lrsquoexemple du corps carreacute qui est la forme geacuteneacuterique de tous les carreacutes (cet exemple prend

son origine eacutegalement chez Augustin De Trinitate XII XIV)

- la citation de Seacutenegraveque (Lettre LXV) agrave propos de lrsquohumaniteacute drsquoapregraves laquelle chaque

homme est formeacute

285 laquo Ad formales autem rerum rationes non solum pertinere tradendae sunt illae in quibus res agnoscuntur sed et illae ex quibus agnoscuntur raquo De unitate II 7 eacuted MARTINEAU p 158 laquo Res vero universales qualiter sint in aeternis rerum rationibusraquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 160 286 laquoAd formales autem rerum rationes non solum pertinere tradendae sunt illae in quibus res agnoscuntur sed et illae ex quibus agnoscuntur id est ex quibus demonstratur quod circa unius quoque ltreigt demonstrationem ad unam et de re illa veritatem comprobandam confluere possunt innumerabiles raquo De unitate II 7 eacuted MARTINEAU p 158-159 287 laquoUt circa lineam gratia exempli ltquiagt punctis non constat vel superficiem quia ipsa nec ex lineis vel corpus quia nec ipsum ex superficiebus ltpunctosgt autem ltvelgt lineas vel superficies intelligimus incorporales quales eas concipit vel definit ratio quae ad sensum vel imaginationem nunquam venire possunt sed in sola rationis vel intellectus comprehensibilitate subsistunt raquo De unitate II 7 eacuted MARTINEAU p 158-159 288 laquo Res vero universales qualiter sint in aeternis rerum rationibus utrumne scilicet ipsae suas habeant ibi rationes et formas superiores secundum quas et ipsae ibi sint intellectualiter formatae et hic actu ipso quemadmodum et secundum eas res formantur subjectae an et ipsae formae sint rerum primae incommutabiles in se et aeternae sed rebus secundum eas formatis ex tempore per participationem infusae raquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 160-161

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Ces trois exemples lui permettent de dire qursquoil existe certaines choses universelles qui

existent par rapport aux choses sujettes Ensuite il discerne deux sortes de choses universelles

- celles qui peuvent srsquoadapter agrave la taille de chaque chose laquo en eux de surcroicirct elle est

tout entiegravere en chacun et unique en tous et elle nrsquoest point singuliegravere en chacun ni

davantage universelle en tous289 raquo

- celles laquo qui subsistent identiques mecircme en acte dans des choses en nombre absolument

infini290 raquo la substance le corps le genre lrsquoaccident lrsquoeacutetant (ens) la chose

Et pour finir il fait une remarque concernant les noms de choses universelles qursquoils deacutesignent

ces choses laquo pour autant qursquoelles sont consideacutereacutees dans la participation elle-mecircme raquo crsquoest-agrave-dire

drsquoapregraves les choses sujettes291

Dans les chapitres II 9-11 Achard deacutecrivent les eacutenonceacutes vrais (vera laquo jugements vrais raquo

selon la traduction de Martineau) En particulier dans le chapitre II 9 Achard deacutecrit les veacuteriteacutes agrave

propos de Dieu en II 10 les veacuteriteacutes agrave propos de creacuteatures et en II 11 il tire la conclusion

laquo Ces veacuteriteacutes (veritates) bien qursquoelles soient eacutegalement distinctes entre elles de multiples

faccedilons convergent cependant toutes dans une veacuteriteacute unique et selon leur substance elles

sont une seule veacuteriteacute une seule raison en quelque sorte une seule forme une seule sagesse

et un seul Verbe de Dieu292 raquo

Les exposeacutes concernant ces deux types drsquoeacutenonceacutes vrais sont radicalement diffeacuterents En II

9 Achard examine les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu (les faits ou les affirmations de type laquo Dieu

est raquo laquo Dieu est Dieu raquo laquo Dieu est trine raquo etc ou la neacutegation laquo Dieu nrsquoest pas le ciel raquo laquo Dieu

nrsquoest pas la terre raquo etc) Il eacutetablit qursquoils sont essentiellement lagrave-bas et ils ne proviennent pas de

nous bien qursquoils puissent ecirctre intelligeacutes par nous Ils sont donc immuables et eacuteternels

Ensuite il demande que sont-ils ces eacutenonceacutes vrais (vera) agrave propos de Dieu Et il

nrsquoexamine que des propositions affirmatives (laquo Dieu est raquo laquo Dieu est Dieu raquo laquo Dieu trine raquo293) du

289 laquo In quibus etiam et tota est in singulis et una in universis nec in singulis singularis nec in universis magis universalis raquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 160-161 290 laquo Et sunt quaedam earum quae eaedem actu quoque in rebus subsistunt prorsus infinitis raquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 160-161 291 laquo Nomina autem res significantia hujusmodi non eas notant prout sunt vel intelliguntur in se et a rebus subjectis discretae sed prout attenduntur in ipsa participatione secundum quod sunt in illis in illarum actuali esse non secundum quod sunt in suo naturali et vero esse intellectuali ubi et ipsae in simplicitate sua subsistunt singulae singulariter quae se participando aliis distribuunt communiter raquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 162-163 292 laquo Quae veritates licet inter se multipliciter sint et distinctae omnes tamen in unam conveniunt veritatem et sunt secundum substantiam veritas una et ratio una et forma quodammodo una et sapientia una et Verbum Dei unum raquo De unitate II 11 eacuted MARTINEAU p 168-169 293 Nous croyons que cette traduction est meilleure que celle de Martineau laquo Or ces ltveacuteriteacutesgt semblent ecirctre en nombre infini ainsi par exemple Dieu ecirctre Dieu ecirctre Dieu Dieu ecirctre trine le Pegravere ecirctre le Pegravere ecirctre Pegravere le Pegravere ne pas ecirctre le Fils le Pegravere ne pas ecirctre lrsquoEsprit-Saint raquo laquo Haec autem infinita videntur esse ut Deum esse Deum esse Deum Deum

98

point de vue de leur bonteacute Achard distingue donc la laquo chose elle-mecircme raquo (laquo res ipsa raquo) et le fait

qursquoelle est (laquo esse rem raquo) La premiegravere peut ecirctre mesureacutee drsquoapregraves ce qursquoelle est laquo en elle-mecircme-

mecircme raquo (laquo in ipsa raquo) et le seconde drsquoapregraves laquo ce qui provient drsquoelle raquo (laquo ex ipsa raquo) laquo Le fait qursquoune

choses est raquo (laquo rem esse raquo) ne peut ecirctre moins bon que la chose elle-mecircme (laquo res ipsa raquo) car lrsquoecirctre

drsquoune chose est toujours bon pour la totaliteacute des choses mecircme si elle est mauvaise en soi Pourtant

Dieu est diffeacuterent du reste des choses creacuteeacutees car il est le bien suprecircme et tout ce qui est bien

provient de lui Par conseacutequent le fait que Dieu est (lrsquoaffirmation laquo Dieu est raquo) nrsquoest pas mieux ni

pire que Dieu lui-mecircme Et les faits laquo Dieu est Dieu raquo ou laquo Dieu est juste raquo ne sont moins bons que

sa deacuteiteacute ou sa justice Une addition importante le fait que lrsquoune des raisons eacuteternelles est nrsquoest pas

moins bon que cette raison elle-mecircme (laquo ratio ipsa raquo)

En II 10 les veacuteriteacutes dites agrave propos des creacuteatures sont traiteacutees Voici le plan de ce chapitre

1) laquo Vera autem raquo ndash les eacutenonceacutes vrais sont muables et temporels dans les creacuteatures et

immuables et eacuteternels en Dieu de la mecircme faccedilon que les creacuteatures ont une nature diffeacuterente en

elles-mecircmes et dans leurs raisons eacuteternelles Cela suit des preacutemisses suivantes

11laquo Ibi vero ndash Ut autem ndash Et ideo raquo ndash Ce qui est vrai ici (vera laquo les eacutenonceacutes vrais raquo) est la

veacuteriteacute (veritates) lagrave-bas car ce qui reacuteside ici dans la connexion des choses lagrave-bas est dans

les connexions des raisons

12laquo Connexiones vero raquo ndash les connexions laquo existent gracircce agrave lrsquoecirctre simple qui ou bien se

connecte agrave quelque chose ou bien connecte par soi quelque chose294 raquo En Dieu lrsquoessence

se rapporte au Pegravere les veacuteriteacutes au Fils et les connexions au Saint-Esprit

2) laquo Quae vera raquo ndash ces eacutenonceacutes vrais sont les mecircmes numeacuteriquement ici et lagrave-bas bien qursquoils

soient des substances diffeacuterentes lagrave-bas ndash eacuteternelle et intelligible les veacuteriteacutes mecircmes ici ndash

temporelle et perceptible les images et les similitudes des veacuteriteacutes Voici les conseacutequences

11 laquo Cum enim dicitur raquo ndash laquo Car lorsqursquoon parle de ltjugementgt vrai en lrsquooccurrence

eacuteternel lrsquoeacuteterniteacute peut bien ecirctre intelligeacutee comme srsquoeacutetendant agrave lrsquolsquoecirctrersquo de la veacuteriteacute mecircme

mais non pas agrave lrsquoecirctre que la chose sujette a en soi et non pas dans la veacuteriteacute au-dessus

drsquoelle295 raquo Ensuite Achard passe agrave lrsquoexplication de lrsquoimposition du nom laquo eacuteternel raquo en

prenant comme exemple le cas ougrave quelque chose est dit par adjonction

- la bague qui est dite neuve mecircme si lrsquoor soit ancien

- lrsquoeacutenonciation est reacutecente mecircme si le vers est ancien

esse trinum Patrem esse Patrem Deum esse Patrem Patrem esse Patrem non esse Filium Patrem non esse Spiritum sanctumraquo De unitate II 9 eacuted MARTINEAU p 162-163 294 laquo Connexiones [hellip] per simplex esse ltsuntgt quod vel se ipsum connectit alicui vel per se aliud raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166-167 295 laquo Cum enim dicitur verum videlicet aeternum in esse ipsius veritatis non in esse rei subjectae quod habet in se non in ipsa veritate supra se intelligi potest redundare aeternitas raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 168-169

99

- ou un homme est bon au moment donneacute en tant que citharegravede mais non pas cependant

bon absolument

Dans le chapitre II 11 Achard affirme que toutes les veacuteriteacutes ne sont qursquoune seule Veacuteriteacute

forme sagesse de Dieu et ensuite il dit la mecircme chose agrave propos des raisons eacuteternelles (il y la raison

qui intellige les raisons eacuteternelles) Pour conclure il dit que pour Dieu il nrsquoy a pas de diffeacuterence

entre la raison par laquelle il intellige et les raisons qursquoil intellige (les raisons eacuteternelles des choses)

Les raisons par conseacutequent ne sont que la distinction dans une seule raison

Ainsi dans les chapitres II 5 7-11 Achard examine tout ce que peut ecirctre consideacutereacute comme

formes agrave savoir les nombres les objets agrave partir desquels les choses sont connues (les lignes les

surfaces les corps matheacutematiques) les universaux les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu et les

creacuteatures Les notions centrales dans ces chapitres sont bien sucircr la forma et la ratio Cependant

Achard y introduit beaucoup drsquoautres notions qui servent agrave preacuteciser le contenu de formae (numeri

res universales res subjecta res aeterna etc) et agrave introduire des doctrines qui encadrent la doctrine

des formes (Ratio Verbum Dei Pater essentia connexio etc)

De cette faccedilon Achard souligne le fait qursquoil y a une pluraliteacute au niveau supeacuterieur de la

hieacuterarchie En mecircme temps les uniteacutes des ecirctres intelligibles correspondent aux ecirctres sensibles

(choses) qui sont en bas de la hieacuterarchie ce qui valorise le monde sensible par rapport au monde

intelligible

III225 II 12-15 ndash formes en tant qursquoideacutees

Le chapitre II 12 ouvre la nouvelle seacutequence Les chapitres II 12 et II 13 font partie de la

doctrine platonicienne des ideacutees et le chapitre II 14 reacuteunit les deux doctrines celle des ideacutees et

celle des formes En II 15 Achard pose une question concernant la forme premiegravere

La doctrine des ideacutees est introduite au chapitre II 12 Achard reconnaicirct qursquoil emprunte la

doctrine de Platon qui a eacuteteacute transmise par Seacutenegraveque (Lettres agrave Lucilius LVIII LXV) compleacuteteacutee par

Augustin et par Boegravece Selon Achard Augustin ajoute que les ideacutees sont laquo les modegraveles de ce qui

advient par art296 raquo et non seulement de ce qui advient par la nature (De diversis quaestionibus 83

qu 46) et Boegravece aperccediloit les ideacutees en tant que constituants du laquo monde archeacutetype raquo (De

consolatione philosophiae III metr 9 v 7-8) Ainsi le chapitre II 12 est en reacutealiteacute un recueil des

opinions drsquoAugustin de Boegravece et des laquo philosophes paiumlens raquo (Platon transmis par Seacutenegraveque) agrave

propos des ideacutees 296 laquo Has Plato definit lsquoaeterna exemplaria eorum quae natura fiuntrsquo Augustinus vero vult eas et exemplaria esse eorum quae artificialiter fiunt raquo De unitate II 12 eacuted MARTINEAU p 170-171

100

En II 13 Achard continue lrsquoexposeacute sur les ideacutees Il part de la distinction de Seacutenegraveque sur

lrsquoideacutee et lrsquoidos (Lettre LVIII) en lrsquointroduisant en tant qursquoeacutegale agrave sa distinction in intellectuin actu

Ensuite il revient de nouveau au deacutebut de la Genegravese laquo Dieu dit que la lumiegravere soit et la lumiegravere a

eacuteteacute faite raquo (I 3) pour dire qursquoil srsquoagit dans ce verset du Verbe de Dieu Il preacutecise aussi que cette

explication ne contredit pas son explication preacuteceacutedente (II 2) agrave savoir qursquoil srsquoagit lagrave de lrsquoexistence

in intellectu et in actu

La suite du chapitre II 13 fait comprendre que le deacuteveloppement preacuteceacutedent servait agrave eacutetablir

la doctrine des trois formes la forme premiegravere (qui est Verbe et Dieu lui-mecircme) la forme seconde

(agrave partir de la premiegravere mais in intellectu) la forme troisiegraveme (qui nrsquoest pas dans le Verbe) Achard

finit ce chapitre en rappelant lrsquoEvangile de saint Jean (I 3-4) laquo Ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie la

vie eacutetait la lumiegravere des hommes raquo qui parle agrave son avis de la forme premiegravere qui descend dans le

monde

En II 14 Achard compare drsquoabord les deux distinctions celle de lrsquoidea et lrsquoidos et celle des

trois types de formes Il croit qursquoil faut les examiner du point de vue de laquo divers eacutetats drsquoexistence et

modes drsquoecirctre intelligeacutees agrave elles propres raquo et drsquolaquo une multipliciteacute numeacuterique (numerositas formarum)

des formes mecircmes raquo297 Achard preacutecise eacutegalement qursquoil va expliquer cela agrave partir du verset de

lrsquoEvangile selon saint Jean (I 3-4) Ainsi les questions suivantes apparaissent

1) Est-ce qursquoil y a une diffeacuterence numeacuterique entre les formes seconde et troisiegraveme Achard

affirme qursquoil y a identiteacute entre ces deux types de formes (comme cela a eacuteteacute indiqueacute

auparavant en II 13)

2) Comment la forme premiegravere est-elle intelligeacutee en tant que mecircme numeacuteriquement (in

numero) avec les autres types de formes (seconde et troisiegraveme)

21 laquo Non enim raquo ndash parce qursquoil nrsquoy a pas deux formes qui preacutecegravedent la chose ni selon

lrsquoordre de la formation ni selon lrsquoordre de lrsquointellection il existe donc une seule Forme

22 laquo Item prorsus raquo ndash car ce sont les mecircmes ecirctres ici et lagrave-bas

Afin de deacutevelopper la seconde reacuteponse Achard enchaicircne la seacutequence des oppositions entre

ici et lagrave-bas qui se termine par la citation de saint Jean (I 3-4 5 9 14) Cela le megravene agrave expliquer

que lrsquoeacutevangeacuteliste utilise le passeacute laquo eacutetait raquo (laquo erat raquo) au lieu du preacutesent laquo est raquo298 afin de preacuteciser que

le Verbe eacutetait toujours aupregraves de Dieu avant de venir dans le monde mais qursquoil ne cesse pas drsquoecirctre

297 laquo Considerandum est an forte bipertita illa quae praemissa est formarum divisio in ideas videlicet et idos vel illa etiam tripertita in formas prout sunt in rebus subjectis et formas prout intelliguntur quae sunt ipsae rerum rationes aeternae secundum varios earum status existendi ltetgt intelligendi modos magis quam secundum ipsarum numerositatem formarum ltintelligendagt intelligendo sic ut omnino sit verum si et expresse et proprie dictum quia quod factum est in Verbo erat vita raquo De unitate II 14 eacuted MARTINEAU p 174-175 298 Dans la ligne laquo in principio erat Verbum et Verbum erat apud Deum et Deus erat Verbumraquo (Jean I1)

101

lagrave-bas mecircme apregraves Par conseacutequent le Verbe reste ici et lagrave-bas Etant donneacute que par le Verbe

Achard deacutesigne la forme premiegravere de cette maniegravere il montre que cette forme reste ici et lagrave-bas

identique

Pour finir ce chapitre il compare la forme premiegravere avec le Christ qui a deux substances

(divine et humaine) et une seule personne

Au deacutebut du chapitre II 15 Achard formule un autre problegraveme

laquo Mais bien que ce soit la mecircme forme qui est ici faite lagrave-bas non faite ici temporelle lagrave-

bas eacuteternelle cependant il nrsquoest pas vrai purement et simplement qursquoelle soit faite et non

faite temporelle ou eacuteternelle ou que la forme faite et temporelle soit la forme non faite et

eacuteternelle299 raquo

Vu que dans le chapitre preacuteceacutedent Achard a deacutemontreacute qursquoil y a une identiteacute entre la forme ici

et lagrave-bas ou entre la forme premiegravere et les ideacutees et les idos (les formes seconde et troisiegraveme) il se

demande comment cette forme premiegravere peut avoir la proprieacuteteacute drsquoecirctre faite tout en eacutetant non faite

Pour expliquer cela Achard propose trois exemples

1) le vers qui est dans lrsquoesprit prononceacute ou eacutecrit nrsquoest pas absolument le mecircme

2) le son (vox) qui tantocirct peut avoir signification (comme le verbe latin do laquo je donne raquo)

tantocirct non (comme la syllabe do dans le mot donas laquo tu donnes raquo ou domus laquo la maison raquo)

3) le modegravele (comme le vers dans lrsquoesprit) et la copie (le vers prononceacute) qui ne sont pas la

mecircme chose

Ensuite Achard propose une solution drsquoappeler ce qui est ici idos et ce qui est lagrave-bas idea

pour nommer la diffeacuterence entre les formes ici et lagrave-bas A partir de cela Achard tire une

conclusion suppleacutementaire

- il existe une raison pour laquelle lrsquoeacutevangeacuteliste a dit laquo ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie raquo

(Jean I 3-4) cette expression signifie lrsquoidea et lrsquoidos

- on ne sait pas comment nommer lrsquoidea et lrsquoidos pour chaque forme preacutecise

Dans les chapitres II 12-15 Achard expose la doctrine des ideacutees emprunteacutee agrave Seacutenegraveque Il

introduit eacutegalement la doctrine des trois sortes de formes (premiegravere deuxiegraveme troisiegraveme) en

expliquant que lrsquoidea et lrsquoidos correspondent aux formes deuxiegraveme et troisiegraveme Ses reacuteflexions

srsquoappuient souvent sur lrsquoexeacutegegravese de lrsquoEvangile selon saint Jean Les notions principales de cette

299 laquo Quamvis autem eadem forma sit hic facta ibi infecta hic temporalis ibi aeterna non tamen simpliciter verum est ltquod sitgt facta et infecta temporalis vel aeterna vel quod forma facta et temporalis forma sit infecta et aeterna raquo De unitate II 15 eacuted MARTINEAU p 176-177

102

partie sont lrsquoidea et lrsquoidos qui ont le rapport avec la notion de forma diviseacutee en prima secunda

tertia Cette division des formes complegravete la doctrine de leur hieacuterarchie qursquoAchard a deacutejagrave

commenceacute agrave exposer en II 1-2 Une autre question importante qui apparaicirct ici est laquo comment la

multipliciteacute des formes et des choses peut-elle provenir de la forme premiegravere raquo Achard discute

cela en II 14 et 15 en srsquoappuyant sur les expressions in actuin intellectu

En deacutefinitive Achard continue drsquoeacutetudier les sujets de la hieacuterarchie et de la multiplication

des ecirctres Les ecirctres qui se trouvent aux niveaux diffeacuterents de la hieacuterarchie (les trois sortes de

formes) ont des proprieacuteteacutes meacutetaphysiques diffeacuterentes ce qui est aussi un trait distinctif du

neacuteoplatonisme

III226 II 16-18 ndash doctrine des raisons causales

Le chapitre II 16 est une transition Au deacutebut Achard deacuteclare que les raisons eacuteternelles

eacutetaient jusque lagrave lrsquoobjet de sa recherche et qursquoil en a deacutejagrave deacutecouvert assez agrave ce propos300

Ensuite il expose ses reacuteflexions concernant la difficulteacute pour lrsquohomme de voir la veacuteriteacute des

choses Il srsquoappuie sur des notions comme laquo lrsquoœil de la seule intelligence raquo laquo la vivaciteacute du regard

de lrsquoacircme raquo laquo lrsquohomme inteacuterieur raquo etc Parmi les sources de ces reacuteflexions Martineau eacutevoque le De

Trinitate (VIII II-II) et le De ideis (De diversis quaestionibus 83 qu 46) drsquoAugustin

En mecircme temps dans ce chapitre Achard change le style de son exposition Ici il ne

propose pas de deacutemonstrations mais il veut plutocirct convaincre le lecteur de la neacutecessiteacute de

laquo lrsquoexercice freacutequent et zeacuteleacute de la raison dans une meacuteditation assidue de semblables choses [hellip] la

pureteacute du cœur et le silence inteacuterieur loin du fracas des actions et du tumulte des penseacutees301 raquo

A la fin Achard annonce qursquoil passe deacutesormais aux raisons agrave cause desquelles les choses

adviennent (raisons finales ou causes des œuvres) et qursquoil va les traiter plus briegravevement que les

raisons formelles

Il commence le chapitre II 17 par lrsquoargument

laquo Dieu qui est la raison elle-mecircme suprecircme infinie et immense ne peut rien opeacuterer

lsquoirrationnellementrsquo ni rien drsquoirrationnel302 raquo

300 laquo De rationibus igitur aeternis secundum quas res fiunt id est de intelligibilibus et primis earum formis hactenus prosecuti sumus raquo De unitate II 16 eacuted MARTINEAU p 180 301 laquo Mentis industria et in rerum hujusmodi meditatione assidua rationis frequens et diligens exercitatio [hellip] et a strepitu occupationum cogitationumque tumultu quies interna raquo De unitate II 16 eacuted MARTINEAU p 182-3 302 laquo Deus qui ratio ipsa summa infinita et immensa ltestgt operari nihil lsquoirrationabiliterrsquo vel irrationabile potest raquo De unitate II 17 eacuted MARTINEAU p 182-183

103

Cette thegravese ressemble agrave celle du Timeacutee 28a ougrave Platon dit qursquoune œuvre de la raison

rationnelle doit ecirctre aussi rationnelle Voici les conseacutequences

laquo (1) Dieu ne considegravere assureacutement aucune raison que la sienne propre pour ltdeacuteterminergt

pourquoi il fait tout ce qursquoil fait (2) ni ne srsquoincline au-dessous de lui-mecircme pour chercher

sous lui une cause rationnelle de ses ouvrages (3) et il nrsquoa absolument pas pu constituer

cette lsquocause premiegravere et geacuteneacuteralersquo ailleurs qursquoen lui-mecircme qui seul est le principe premier et

suprecircme de tout (4) pas plus qursquoil nrsquoa pris en consideacuteration de toute eacuteterniteacute une cause

muable et transitoire de ce qursquoil allait creacuteer dans le temps il a consideacutereacute au contraire une

cause deacutetermineacutee ferme et coeacuteternelle agrave lui (5) et la cause de sa volonteacute eacuteternelle mdash crsquoest-agrave-

dire la raison pourquoi il a voulu de toute eacuteterniteacute tout ce qursquoil a voulu mdash nrsquoa pu ecirctre une

raison non-eacuteternelle En effet une cause quelconque ne peut ecirctre posteacuterieure agrave ce dont elle

est cause 303 raquo

De cette maniegravere Achard deacutemontre qursquoil y a une cause eacuteternelle deacutetermineacutee et ferme en

Dieu Ensuite il ajoute que laquo mecircme chez lrsquohomme il nrsquoy a peut-ecirctre aucune raison de faire ou de

vouloir qui nrsquoait eacuteteacute de toute eacuteterniteacute304 raquo Il prend lrsquoexemple de la justice qui eacutetant la raison

eacuteternelle sert en tant que modegravele de tout ce qursquoun homme fait de juste Cette raison avait eacuteteacute

eacuteternelle en elle-mecircme (laquo in se ipsa raquo) avant de commencer agrave ecirctre dans la creacuteature (laquo in creatura raquo)

et mecircme apregraves elle demeure en tant que telle

Le chapitre II 18 commence par une seacutequence de neacutegations (laquo Nisi autem raquo laquo Imo raquo

laquo Negari tamen nequit quin raquo) qui servent agrave introduire la description des raisons causales De cette

maniegravere Achard affirme que les causes sont distinctes ce qui permet aux hommes et aux anges de

voir les choses distinctes Mais il existe une Cause distincte de tout (Achard cite lrsquoapocirctre Paul II

Corinthiens XII 2 et Romains XI 33 afin de deacutemontrer cela) ce qui permet agrave Dieu drsquoavoir une

intellection plus ample des choses Cette cause est la raison de Dieu ou Dieu lui-mecircme

Puis Achard donne un exemple de la subdivision de causes srsquoil existe la volonteacute divine en

tant que cause geacuteneacuterale et premiegravere il y a aussi des causes rationnelles (causae rationabiles) laquo

303 laquo Opus vero rationabile non est quod non ex aliqua ratione processltergtit id est quod aliquam rationabilem sui causam non habuerit nec Deus certe aliam nisi suam cur faciat omnia quae facit attendit rationem nec se inclinat infra se ut ltcausamgt rationabilem operum suorum quaerat sub se nec alibi prorsus eam constituere potuit lsquoprimam et generalemrsquo nisi in se qui solus primum et summum omnium est principium nec ab aeterno temporalem eorum quae facturus erat in tempore mutabilem[que] et transitoriam consideravit causam sed certam fixam atque sibi coaeternam nec voluntatis ipsius aeternae id est cur ab aeterno voluerit quicquid ipse voluit ratio alia potuit esse causa non aeterna raquo De unitate II 17 eacuted MARTINEAU p 182-185 304 laquo Sed nec ulla forsitan apud hominem quoque faciendi vel volendi quaelibet ratio est quae ab aeterno non fuerit raquo De unitate II 17 eacuted MARTINEAU p 184-185

104

pour faire une maison agrave savoir y habiter une autre pour faire un vecirctement agrave savoir srsquoen revecirctir une

autre pour faire un livre [hellip] pour le lire 305raquo

Ensuite Achard ajoute (laquo Similiter quoque raquo) qursquoil existe la Raison eacuteternelle qui se multiplie

en plusieurs raisons et la Cause eacuteternelle qui se multiplie donc en raisons causales En tant

qursquoexemple Achard prend la Sagesse multiple (multiplex) en srsquoappuyant sur la Sagesse VII 22 27

Le problegraveme suivant est la variation des œuvres laquo en conformiteacute avec les choses et les

temps raquo Selon Achard les œuvres (opera) varient mais leurs raisons sont invariables ainsi que les

raisons des variations Cela permet de juger des œuvres qui ont eacuteteacute faites rationnellement

Les raisons du jugement (judicium) agrave propos des œuvres singuliegraveres existent toujours mecircme

si les œuvres adviennent et peacuterissent en des moments diffeacuterents Crsquoest-agrave-dire il nrsquoy a pas de raisons

pour tous les eacutetats drsquoune chose (future preacutesente ou passeacutee) mais une raison pour chaque chose Le

problegraveme est ce que les choses adviennent et peacuterissent alors que les raisons restent immuables

Achard propose la solution suivante

laquo Et il nrsquoy a pas non plus de raison que quelque chose advienne preacutesentement (modo) qursquoil

nrsquoy ait aussi alors une raison non certes qursquoelle advicircnt alors (tunc) mais bien qursquoelle advicircnt

si la chose et ses lsquocirconstancesrsquo eacutetaient comme elles sont preacutesentement306 raquo

Achard veut dire qursquoil nrsquoy a pas de raisons drsquoactualisation qui fait exister la chose dans un

moment deacutefini du temps (preacutesent modo) mais plutocirct qursquoil existe une raison qui implique

lrsquoapparition drsquoune chose dans certaines circonstances et que cette raison existe alors (tunc) Bien

que cette raison existe alors (tunc) elle agit en moment deacutefini (modo)

Achard ajoute que pour les œuvres il est possible qursquoelles soient rationnelles en un moment

et irrationnelles en un autre par rapport aux choses diffeacuterentes mais pour les raisons il nrsquoest pas

possible que laquo ce qui une fois est raison devienne une autre fois non raison ou au contraire de non

raison raison ou encore que ce qui est chez lrsquoun raison soit chez lrsquoautre non raison307 raquo Cela veut

dire que la rationaliteacute des œuvres peut changer selon les circonstances mais non la rationaliteacute des

raisons non

305 laquo Causarum rationabilium distinctiones secundum quas propter aliud dicitur facere domum scilicet ut ibi inhabitet propter aliud vestimentum id est ut illud induat propter aliud librum [hellip] ad legendum raquo De unitate II 18 eacuted MARTINEAU p 186-187 306laquo Nec modo fieri aliquid ratio est quod et tunc ratio non esset [et] non ut tunc fieret sed ut fieret si res et circumstantiae ita se haberent ut modo se habent raquo De unitate II 18 eacuted MARTINEAU p 188-189 307laquo Ut autem quod semel est ratio aliquando fiat non ratio vel e contrario de non ratione ratio ut etiam quae apud alium est ratio apud alium sit non ratio penitus est impossibile si rationabiliter intelligit utrumque raquo De unitate II 18 eacuted MARTINEAU p 188-191

105

Lrsquoauteur finit par dire que mecircme si quelqursquoun peut se tromper dans le jugement agrave propos des

raisons cela nrsquoimplique pas le changement des raisons mecircmes La raison de jugement est la lumiegravere

(celle de Jean I 5) qui illumine de telle maniegravere qursquoelle permet de voir la Raison et la Veacuteriteacute lagrave-bas

De cette faccedilon les chapitre II 17-18 deacutecrivent les raisons causales comme cela a eacuteteacute

annonceacute en I 39 Achard change leacutegegraverement la nomination Il les appelle les causes rationnelles

(causae rationabiles) Elles existent en Dieu mais elles ont leurs conseacutequences dans le monde

sensibles ndash les œuvres (opera) La doctrine des causes ressemble agrave celle des formes il existe une

Cause premiegravere les causes se multiplient Achard pose eacutegalement des questions sur la

correspondance entre les causes et les œuvres et sur la possibiliteacute de juger correctement les œuvres

drsquoapregraves leurs causes Tout cela srsquoinscrit dans le cadre du dualisme platonicien

III227 II 19-21 ndash derniers chapitres

Les deacutebuts des chapitres II 19-21 montrent qursquoAchard change le sujet308 Il passe de la

description des raisons causales aux raisons en geacuteneacuteral

Dans le chapitre I 19 Achard pose de nouveau une question sur les trois sortes de raisons

car selon lui ce qursquoil a affirmeacute agrave propos des raisons causales vaut aussi pour les autres Il souligne

qursquoil existe une seule raison laquo que quelque chose advienne raquo qui est sa cause rationnelle et qui

signifie laquo la cause de faire mais aussi la forme du fait lui-mecircme et le mode de son deacuteploiement raquo

Et bien que la forme soit rationnelle laquo drsquoapregraves les raisons formelles la cause drsquoapregraves les raisons

causales le mode drsquoapregraves les raisons deacuteployantes ou si lrsquoon peut dire modales raquo il existe une

raison eacuteternelle gracircce agrave laquelle la chose advient309 De cette maniegravere il revient agrave la doctrine de la

raison de chaque chose

Achard promet aussi de parler des modes

308 laquo Quamvis autem hoc loco circa causales intentio consistat rationes quae tamen dicta sunt non solum de causalibus sed de aliis quoque vera sunt rationibus raquo De unitate II 19 laquo Rationes vero hujusmodi licet aeternas attendimus tamen nonnulas secundum ea etiam quae non sunt aeterna raquo De unitate II 20 laquo Cum autem originales ltcausaegt eorum quae a Deo ex sola ipsius fiunt id est bonitate gratuita nulla prorsus id exigente rei cujuslibet alterius sive natura sive justitia raquo De unitate II 21 De unitate II 19 eacuted MARTINEAU p 190-193 309 laquo Non enim tantum causa faciendi sed et forma ipsius facti et modus facti explicandi ltnominegt rationaltbigtlis causae significatur cum ut quid fiat ratio esse pronuntiatur Si namque quodlibet de hiis tribus rationabile non fuerit nec ipsum opus jam fieri ratio erit Forma autem rationabilis dicitur esse et est ex eo genere rationum de quo supra satis egimus modus ex eo de quo post agemus Forma siquidem rationabilis esse secundum rationes attenditur formales causa secundum causales modus secundum explicatrices sive ut ita dictum sit modales Non autem ideo dicitur de re aliqua quod ipsam fieri est ratio quia idipsum id est ipsam rem fieri sit ratio ipsa id enim temporale est ratio autem aeterna sed quia ratio est secundum quam et propter quam fieri queat aut esse debeat raquo De unitate II 19 eacuted MARTINEAU p 190-193

106

laquo Or la forme est dite et est rationnelle selon ce genre dont nous avons largement traiteacute

preacuteceacutedemment et le mode selon ce genre dont nous traiterons par la suite310 raquo

Mais il nrsquoexiste pas de teacutemoignage qursquoil fait cela

En II 20 Achard eacutevoque (laquo ut raquo) que nous consideacuterons certaines raisons drsquoapregraves ce qui nrsquoest

pas eacuteternel

laquo A partir de ce que nous voulons que les autres nous fassent nous remarquons ce que nous

devons faire aux autres et lorsque nous voyons ou apprenons ce que les autres font et

pourquoi et comment nous en infeacuterons parfois la forme la cause et le mode rationnels de la

chose agrave faire311 raquo

Et ensuite il ajoute (laquo ut raquo) la subdivision de raisons causales

laquo Et celles qui ne sont consideacutereacutees que drsquoapregraves ce qui est en Dieu seul peuvent ecirctre sans

inconvenance nommeacutees raisons ou causes originelles celles au contraire qui sont

consideacutereacutees drsquoapregraves les choses naturelles ltraisons ou causesgt naturelles celles qui sont

consideacutereacutees drsquoapregraves les meacuterites ltraisons ou causesgt judicielles celles enfin qui sont

consideacutereacutees drsquoapregraves les meacuterites de ce qui est fait crsquoest-agrave-dire drsquoapregraves ses conseacutequences

ltraisons ou causesgt finales312 raquo

De cette faccedilon Achard subdivise les raisons causales en raisons finales originelles

naturelles et judicielles Par conseacutequent il ne parle plus des raisons finales dans le cadre de la

doctrine de trois sortes de raisons mais il lrsquointroduit par rapport agrave la doctrine des raisons

causales313

Achard commence le chapitre II 21en eacutevoquant la cause originelle qui deacutepend de la bonteacute

de Dieu de maniegravere que tous les biens et les dons gratuits dans les creacuteatures proviennent drsquoelle Il y

310 laquo Forma autem rationabilis dicitur esse et est ex eo genere rationum de quo supra satis egimus modus ex eo de quo post agemus raquo De unitate II 19 eacuted MARTINEAU p 192-193 311 laquo Ut ex eo quod volumus ab aliis fieri nobis animadvertimus quid et nos facere debeamus aliis et cum videmus vel audimus quid faciant alii et quare et qualiter inde nonnunquam colligimus rei faciendae rationabilem et formam et causam et modum raquo De unitate II 20 eacuted MARTINEAU p 192-193 312 laquo Et illae quidem quae secundum id quod in solo Deo considerantur non inconvenienter nominari possunt rationes vel causae originales illae vero quae secundum naturalia naturales quae secundum merita judiciales quae autem secundum merita eorum quae fiunt id est secundum id quod ex eis sequitur finales raquo De unitate II 20 eacuted MARTINEAU p 192-193 313 Martineau preacutevient qursquoil ne faut pas confondre les raisons causales et les causes rationnelles I 19 De unitate eacuted MARTINEAU p 193 note 1

107

a deux moments principaux ougrave cette bonteacute a deacutecouleacute et est provenue (proflere et provenire) dans le

monde la creacuteation et la reacutedemption

Ensuite Achard deacutecrit les quatre gracircces creacuteation reacutedemption des hommes justification des

anges et collation des bienfaits temporels que Dieu manifeste Il hieacuterarchise les gracircces314 de la plus

petite agrave la plus grande la collation des bienfaits temporels la justification des anges la creacuteation et

la reacutedemption

En comparant les gracircces Achard introduit les notions de forme de Dieu de forme drsquoun

esclave et de forme de la justice La notion de forma est employeacutee dans un contexte assez diffegraverent

de son usage preacuteceacutedent (I 37-II 15)

Apregraves la description de la gracircce de justification des anges le De unitate finit brutalement par

la phrase

laquo Fin du traiteacute de lrsquouniteacute ltde Dieugt et de la pluraliteacute des creacuteatures en lrsquoanneacutee de

lrsquoIncarnation du mecircme Seigneur 1352 Amen315 raquo

La premiegravere lectrice agrave lrsquoeacutepoque contemporaine de cette œuvre Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny a

remarqueacute qursquoun exposeacute sur les anges qui preacutecegravedent cette phrase laquo appellerait de plus longs

deacuteveloppements316 raquo Ainsi eacutetant le dernier le chapitre II 21 ne donne aucune conclusion

Il est difficile de trouver le sujet commun agrave ces trois chapitres En II 19 Achard rappelle la

doctrine des trois sortes de raisons en la liant agrave la doctrine des raisons causales En II 20 il propose

la subdivision des raisons causales et en II 21 lrsquoexplication concernant lrsquoune de ces raisons ndash la

raison originelle Cela ressemble plutocirct au deacutebut drsquoun nouvel exposeacute sur les raisons causales

Ces chapitres ne sont pas relieacutes theacutematiquement au reste du traiteacute Nous allons moins

lrsquoutiliser dans notre recherche

314 Selon lrsquoobservation de Martineau II 21 note 16 p 197 315 laquo Explicit De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum sub anno Incarnationis ejusdem Domini 1352 Amenraquo De unitate II 21eacuted MARTINEAU p 196-197 316 M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 300

108

Conclusion

Le plan du De unitate

Le De unitate consiste en plusieurs chapitres de longueurs diffeacuterentes qui peuvent ecirctre

regroupeacutes selon leurs sujets en parties Lrsquoauteur deacuteveloppe deux sujets la Triniteacute et les raisons

eacuteternelles

Le contenu des chapitres I 1-36 fait penser au traiteacute trinitaire dont les formes litteacuteraires sont

assez diversifieacutees Par exemple les chapitres I 10-11 contiennent des eacuteleacutements de quaestio

Achard envisage de construire la deuxiegraveme partie du De unitate autour de la triade des

raisons Cette distinction se croise avec la distinction binaire sur hic et ibi et plus tard avec celle de

lrsquoidea et lrsquoidos Le croisement de ces dyades aident agrave formuler les problegravemes platoniciens du De

unitate Achard propose eacutegalement des eacutenumeacuterations des distinctions dans des raisons (I 43) et des

raisons mecircmes des choses (II 3 5 et 7) La deuxiegraveme partie contient aussi des quaestiones (I 46) et

des commentaires de versets bibliques (I 40 II 1 15) qui sont distincts drsquoun exposeacute argumenteacute du

reste du texte

Voici le plan deacutetailleacute du texte

Partie 1 La doctrine trinitaire drsquoAchard

I 1 ndash La pluraliteacute est en Dieu

1 I 2-11 ndash Ce qui rend possible la pluraliteacute en Dieu

11 I 2-3 ndash arguments en faveur de la pluraliteacute divine

- I 2 ndash la pluraliteacute est en Dieu en tant qursquointermeacutediaire entre lrsquouniteacute suprecircme et

la pluraliteacute

- I 3-4 - la pluraliteacute est en Dieu gracircce agrave la similitude qui rend possible la

pluraliteacute dans lrsquouniteacute suprecircme et qui elle-mecircme est lagrave-bas

12I 5-8 ndash arguments en faveur de lrsquouniteacute divine

- I 5-6 ndash lrsquouniteacute en Dieu est la plus belle

- I 7-8 ndash lrsquouniteacute parfaite nrsquoest possible qursquoen Dieu

I 9 ndash Conclusions preacutealables

13I 10-11 ndash les maniegraveres dont lrsquoeacutegaliteacute se preacutesente en Dieu

I 12 ndash Le plan

2 I 13-16 ndash Justification de la pluraliteacute en Dieu

I 17 ndash Transition

3 I 18-22 ndash Justification du nombre des personnes

109

31I 18-20 ndash arithmeacutetique

32I 21-22 ndash pourquoi une quatriegraveme personne est impossible

4 I 23-36 ndash Justification des noms de la Triniteacute et des personnes

41I 23 ndash Imposition du nom de Triniteacute

I 23-24 ndash Transition

42I 25 ndash la proprieacuteteacute de la premiegravere personne (lrsquouniteacute)

43I 26-29 ndash les proprieacuteteacutes de la deuxiegraveme personne

44I 29 ndash Imposition des noms de deux premiegraveres personnes (le Pegravere et le Fils)

I 30 ndash Transition

45I 31-34 ndash Justification de la proprieacuteteacute de Saint-Esprit de provenir du Pegravere et du

Fils

46I 35-36 ndash les noms possibles de cette personne

Partie 2 la doctrine des raisons eacuteternelles

I 37 ndash Chapitre de transition introduction agrave la deuxiegraveme partie

1 I 38-42 ndash La doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles

11 I 37-38 ndash les correspondances entre les laquo ecirctres raquo en Dieu (les raisons eacuteternelles)

et dans le monde

12 I 39-41 ndash les trois sortes de raisons eacuteternelles

I 42 ndash Transition plan des recherches

2 I 43-II 15 ndash Les formes eacuteternelles et les choses creacuteeacutees

21 I 43-45 ndash les distinctions des choses se reflegravetent dans les formes

22 I 46-48 ndash le nombre des formes eacuteternelles par rapport aux choses creacuteeacutees

23 I 49-50 ndash les modes hic et ibi

3 II 1-4 ndash La forme premiegravere

31 II 1-2 ndash la forme premiegravere qui est agrave lrsquoorigine des formes

32 II 3-4 ndash la distinction dans la forme premiegravere

4 II 5-11 ndash La varieacuteteacute des formes

41 II 5 ndash les nombres en tant que raisons premiegraveres des choses

42 I 6 ndash Augustin agrave propos des raisons eacuteternelles

43 II 7-8 ndash les formes laquo agrave partir desquelles raquo (des objets matheacutematiques et des

universaux)

44 II 9-11 ndash les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu et des creacuteatures

5 II 12-15 ndash Les formes en tant qursquoideacutees

110

Partie 3 II 16-18 ndash La doctrine des raisons causales

II 16 ndash Introduction agrave la partie III

1 II 17-18 ndash La structure des raisons finales la Cause qui est agrave lrsquoorigine et les causes

des choses

II 19-21 ndash Les derniers chapitres

II 19-20 ndash La varieacuteteacute des raisons eacuteternelles

II 21 ndash Les trois gracircces qui sont les causes originelles des choses

Il est deacutesormais possible de reacutepondre aux questions poseacutees au deacutebut de ce chapitre

Le plan de Martineau correspond au De unitate mais il ne prend pas en consideacuteration les

chapitres II 19-21 Il est vrai que ces chapitres sont plutocirct agrave part et que le chapitre II 21 fait mecircme

une digression spirituelle par rapport au reste du livre

Nous avons eacutetudieacute le plan du chapitre I 12 qui consiste en trois parties dont certaines ont

des sous-parties Il ne correspond qursquoagrave la premiegravere partie du De unitate agrave savoir

- la partie 12 aux chapitres I 1-11 ndash la deacutemonstration de la pluraliteacute en Dieu

- la partie 2 aux chapitres I 13-16 ndash la pluraliteacute personnelle en Dieu

- la partie 31 aux chapitres I 18-22 ndash le nombre des personnes

- la partie 32 aux chapitres I 23-36 ndash les noms et les proprieacuteteacutes des personnes

La partie 11 qui pose la question comment les preacutedicats sont dits de Dieu nrsquoest pas dans

le texte

En deacutefinitive ce sont seulement les chapitres I 1-36 du De unitate qui reflegravetent le plan du

chapitre I 12 et encore de faccedilon incomplegravete

Un autre plan a eacuteteacute proposeacute par Achard en I 42 Il a poseacute quatre questions pour chaque sorte

des raisons

1 si elles sont dans lrsquoesprit de Dieu

2 si elles sont distinctes lagrave-bas

3 drsquoapregraves quoi ces distinctions sont assigneacutees

4 si ce sont ces ltecirctresgt mecircmes ici et lagrave-bas

Martineau a deacutemontreacute qursquoAchard reacutepond agrave ces questions par rapport aux formes dans les

chapitres I 44-48 Nous croyons qursquoil le fait eacutegalement par rapport aux causes en I 17-18 A savoir

Dieu est raison et il opegravere par des causes rationnelles (1) les causes sont distinctes (2) et

subdiviseacutees (3) et elles sont les mecircmes quand elles varient nunc et restent immuable tunc (4)

111

Nous nrsquoavons pas la description des modes et nous ne savons pas si Achard poserait les

mecircmes questions

Le texte a eacutegalement quelques incoheacuterences

- un deacuteveloppement de penseacutee non conseacutecutif Achard introduit en I 14 une deacutefinition de la

Triniteacute comme si elle eacutetait deacutejagrave connue tandis que crsquoest seulement en I 26-29 qursquoil parle de la

deuxiegraveme personne comme de laquo ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute raquo

- une division sur les chapitres non justifieacutee les chapitres I 10 et 11 21 et 22 26-29 46-47

contiennent des arguments acheveacutes et ne sont pas compreacutehensibles seacutepareacutement

- les reacutefeacuterences vides en I 15 II 10 15 19 Achard reacutefegravere aux thegraveses qursquoil a lrsquointention

drsquoexposer ou qursquoil a deacutejagrave exposeacutes sauf qursquoon ne les trouve pas dans le De unitate

Ainsi la diversiteacute des formes litteacuteraires le deacuteveloppement non fini (le fait que le texte ne

peut pas ecirctre deacutecrit par un plan logique) les incoheacuterences de la penseacutee megravenent vers la conclusion

que le De unitate tel que nous lrsquoavons aujourdrsquohui nrsquoest pas acheveacute Cela peut ecirctre expliqueacute par

deux hypothegraveses

- une partie du texte a eacuteteacute perdu

- lrsquoœuvre nrsquoeacutetait pas finie par son creacuteateur

Le scheacutema platonicien et les grands sujets du De unitate

Au cours de lrsquoeacutetude preacuteliminaire du De unitate nous avons trouveacute plusieurs eacuteleacutements des

systegravemes platoniciens

- lrsquouniteacute en haut

- la participation de notions (uniteacute beauteacute similitude) du monde agrave la reacutealiteacute increacuteeacutee

- la division en deux niveaux ici et lagrave-bas

- la hieacuterarchie des ecirctres (forme premiegravere seconde troisiegraveme)

- la procession des ecirctres agrave partir drsquoune source unique

- lrsquointellect de Dieu qui contient ses ideacutees-raisons

- le questionnement concernant le statut des ecirctres intelligibles

Achard diversifie ces sujets en posant les questions inspireacutees par la philosophie et la

theacuteologie contemporaines Nous voyons les grands sujets qui regroupent ces questions

- Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu

- La procession interne et externe de la Triniteacute

- Les raisons dans le Verbe incarneacute

- la doctrine des formes

- le statut des ecirctres intelligibles

112

- le statut du monde sensible

Nous avons reacuteuni ces sujets en preacutecisant leurs questions principales

Uniteacute-Pluraliteacute

Est-ce que la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute qui se

multiplie en descendant du haut vers le bas

unitas pluralitas

Est-ce qursquoAchard accepte lrsquoexistence de niveaux

meacutetaphysiques qualitativement diffeacuterents (le

haut et le bas)

ista illa hic ibi

Comment la multipliciteacute est-elle possible en

Dieu (dans la Triniteacute)

unitas pluralitas similitudo participatio

existendo

La Triniteacute

Pourquoi y-t-il seulement trois personnes dans la

Triniteacute

Unitas Id quod aequale est unitati Aequalitas

persona numerus

Comment appeler correctement les personnes

persona proprietas aequalitas Trinitas Pater

Filius et Spiritus Sanctus

Quelle est la place des personnes de la Triniteacute

dans la meacutetaphysique du De unitate

Pater Filius et Spiritus Sanctus

Le Verbe et les raisons

Le Verbe incarneacute

Quelle explication du mystegravere de lrsquoincarnation a

eacuteteacute proposeacutee par Achard dans le De unitate

Verbum homo

Comment le Verbe contient-il les raisons Verbum persona ratio Sapientia veritas

Comment le Verbe est-il une forme premiegravere Verbum forma prima intellectus idea idos

natura Sapientia

En quoi consiste la doctrine christologique

drsquoAchard et quelle est son rocircle dans le De

unitate

Verbum forma prima idea idos natura

substantia

La multipliciteacute des raisons

En quoi consiste la doctrine des trois sortes de

raisons

rationes finales formales explicatrices causa

forma modum

Est-ce que les trois sortes de raisons causa forma modum potest sciret disposuit

113

correspondent agrave trois personnes de la Triniteacute potentia sapientia indulgentia

Quel est le rocircle des raisons causales ratio causalis causa rationabilis causae

finales orginales naturales judiciales

La Forme

Qursquoest-ce que la forme (dans le cadre de quelle

doctrine Achard la deacutefinit-elle )

forma ratio forma prima

Est-ce qursquoil existe une certaine hieacuterarchie des

formes

forma virtus beatitudo in intellectuin actu

Quelles uniteacutes intelligibles sont les formes forma rationes formales numerus res

universalis vera corpora mathematica

proportiones veritas

LrsquoIntellectus (in intellectuin actu)

Est-ce que les formes sont premiegraveres dans la

reacutealiteacute ou dans la connaissance

(ontologiquement ou eacutepisteacutemologiquement)

in intellectuin actu distinctio modus

intelligendi et modus subsistendi exemplar

exemplum

Comment la multitude des formes et des choses

peut-elle provenir drsquoune forme premiegravere

in intellectuin actu forma prima

Est-ce que les ecirctres in intellectu et in actu sont

identiques

in intellectuin actu numero

Monde sensible

En quels eacuteleacutements (en dehors des formes)

consistent les mondes creacuteeacute et increacuteeacute

substantia essentia materia corpus res

Comment les choses sont-elles les mecircmes dans

le nombre ici et lagrave-bas

res

Les trois premiers sujets (lrsquouniteacute et la pluraliteacute la Triniteacute le verbe et les raisons) deacutecrivent

lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu et les trois autres (la forma lrsquointellectus et le monde sensible) dans les

creacuteatures

114

CHAPITRE IV

IV Historique des recherches sur le De unitate

Formellement les eacutetudes sur lrsquoheacuteritage drsquoAchard de Saint-Victor peuvent ecirctre diviseacutees en

deux groupes Le premier concerne plutocirct les aspects textuels Les contributions principales dans ce

domaine ont eacuteteacute faites par Jean-Bartheacutelemy Haureacuteau317 Germain Morin318 Nicolas Haumlring319

Andreacute Combes320 Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny321 Jean Chacirctillon322 et Emmanuel Martineau323 les

eacuteditions critiques des trois œuvres principales drsquoAchard (Sermons De discretione animae spiritus

et mentis et De unitate et pluralitate) ont pu ecirctre reacuteunies gracircce agrave leur travaux

Le deuxiegraveme groupe comprend les interpreacutetations des œuvres drsquoAchard et peut ecirctre

subdiviseacute en eacutetudes et en traductions Parmi les eacutetudes de la philosophie drsquoAchard nous comptons

les travaux de Jean Chacirctillon324 Emmanuel Martineau325 Mohammad Ilkhani326 et Dominique

Poirel327 Les deux premiers srsquooccupent plutocirct drsquoœuvres seacutepareacutees drsquoAchard Jean Chacirctillon des

Sermons (quoique dans sa recherche il propose aussi une synthegravese geacuteneacuterale des donneacutees

biographiques sur Achard) et Emmanuel Martineau du De unitate (quoiqursquoil ne fasse que quelques

remarques geacuteneacuterales sur le contenu et les sources possibles de cette œuvre) On peut mecircme 317 B HAUREAU Notices et extraites de quelques manuscrits latins de la Bibliothegraveque nationale t III Paris 1891 p 18-67 318G MORIN laquo Un traiteacute ineacutedit drsquoAchard de Saint-Victor raquo dans Aus der Geisteswelt des Mittelalters t 1 Muumlnster 1935 (Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters Supplementband 31-2) p 251-262 319N M HAumlRING laquo Gilbert of Poitiers author of the De discretione animae spiritus et mentis commonly attributed to Achard of Saint-Victor raquo dans Medieval Studies t 22 1960 p 148-191 320A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 321M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 299-306 M-T DrsquoALVERNY laquo Notes sur deux œuvres theacuteologiques du XIIe siegravecle Alain de Lille Expositio prosae de Angelis Achard de Saint-Victor De Trinitate raquo dans Bibliothegraveque de lrsquoEcole des Chartes t 112 1954 p 247-250 322ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted JCHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age 17) 323E MARTINEAU laquo La redeacutecouverte du de unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 11-45 E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 46-62 324JCHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale 58) 325E MARTINEAU laquo Eclaircissements raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 209-260 326M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 327D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p459-537

115

consideacuterer Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor

de Jean Chacirctillon comme la premiegravere recherche geacuteneacuterale sur la philosophie drsquoAchard puisque

lrsquoanalyse bregraveve et preacutecise des fragments du De unitate y eacutetait incluse pour eacutetablir son portrait

meacutetaphysique complet Neacuteanmoins le premier chercheur qui a oseacute traiter la doctrine drsquoAchard

dans son inteacutegraliteacute est Mohammad Ilkhani en 1999 Dans une introduction agrave sa traduction anglaise

des œuvres drsquoAchard en 2001 Hugh Feiss propose une image geacuteneacuterale de la philosophie et de la

theacuteologie drsquoAchard et fait quelques remarques bregraveves concernant les liens qursquoAchard entretient avec

drsquoautres penseurs victorins La synthegravese qursquoeffectue Dominique Poirel dans son article du 2008

reacuteintroduit Achard en tant que Victorin Dominique Poirel328 et David Albertson329 ont fait des

articles qui contribuent agrave la reacuteeacutevaluation de la signification drsquoAchard pour la penseacutee trinitaire du

XIIe siegravecle

Des traductions des œuvres drsquoAchard ont eacuteteacute faites par Simon Gourdan (il a traduit au XVIIe

siegravecle le sermon XV Les sept deacuteserts en franccedilais et lrsquoa fait circuler en tant qursquoune œuvre

indeacutependante) Emmanuel Martineau (Le De unitate et le De discretione en franccedilais en 1987)

Hugh Feiss330 (Le De unitate le De discretione et les Sermons en anglais en 2001) Hideki

Nakamura (le fragment du De unitate I 1-12 en allemand)331 et Iryna Lystopad (le fragment du De

unitate I 1-11 en ukrainien)332

Dans notre recherche nous nous appuyons fortement sur la contribution des chercheurs qui

ont travailleacute en particulier sur le De unitate drsquoAchard agrave savoir Andreacute Combes Emmanuel

Martineau Mohammad Ilkhani et Dominique Poirel Drsquoici nous tenons agrave faire une bregraveve synthegravese

de leurs conclusions agrave propos du systegraveme meacutetaphysique drsquoAchard de Saint-Victor afin drsquoy revenir agrave

la fin de notre recherche

IV1 Andreacute Combes

La premiegravere veacuteritable recherche agrave propos du De unitate nrsquoest pas vraiment consacreacutee agrave cette

œuvre en elle-mecircme mais aux vestiges de lrsquoœuvre nommeacutee De unitate divinae essentiae et

328 D POIREL laquo Scholastic Reasons Monastic Mediations and Victorine Conciliations The Question of the Unity and Plurality of God in the 12th Century raquo The Oxford Handbook of Trinity ed G EMERY OP M LEVERING Oxford 2011 p 168-181 329 D ALBERTSON laquo Achard of St Victor (d 1171) and the Eclipse of the Arithmetic Model of the Trinity raquo Traditio t 67 2012 p 101-144 330Achard of Saint Victor Works trans H FEISS Kalamazoo 2001 331 ACHARD VON SAINT-VICTOR De unitate (Dei) et pluralitate creaturarum Uumlber die Einheit Gottes und die Vielheit der Geschoumlpfe (Auszug) in Vom Einen zum Vielen der neue Aufbruch der Metaphysik im 12 Jahrhundert eine Auswahl zeitgenoumlssischer Texte des Neoplatonismus hrsg eingeleitet uumlbersetzt und kommentiert von A FIDORA und A NIEDERBERGER Frankfurt am Main 2002 p 34-49 332ACHARD DE SAINT-VICTOR laquo Lrsquouniteacute de Dieu et la pluraliteacute des creacuteatures raquo dans Penseacutee philosophique 3 2010 p 80-95 (Ашар Сен-Вікторський laquo Про єдність Бога та множинність творіння Філософська думка 3 2010 р С 67-79)

116

pluralitate creaturarum retrouveacutee dans le Commentaire de Jean de Ripa sur le premier livre des

Sentences Combes part de lrsquohypothegravese que lrsquoauteur de cette œuvre est le laquo Veacuteneacuterable Anselme raquo Il

propose une eacutedition critique des vestiges du De unitate accompagneacutee de lrsquoanalyse terminologique

syntaxique et doctrinale de cette œuvre et des œuvres drsquoAnselme ce qui permet de mettre en doute

lrsquoorigine anselmienne du De unitate Ainsi Combes est le premier agrave proposer une description

syntheacutetique333 de la doctrine du De unitate et drsquoexprimer quelques suppositions concernant son

systegraveme meacutetaphysique

Combes deacutefinit le projet du De unitate de maniegravere suivante

laquo Il [Achard] a choisi comme point du deacutepart non lrsquouniteacute de lrsquoessence divine mais la

pluraliteacute des creacuteatures Il est normal degraves lors que sa dialectique le porte de la chose concregravete

agrave lrsquointellect divin qui la connaicirct et cherche non le secret du passage de lrsquoun au multiple

mais les lois drsquoune connaissance unificatrice qui respecte en leur individualiteacute propre les

ecirctres qursquoelle connaicirct et qursquoelle cause dans leur distinction mecircme et leur pluraliteacute334 raquo

En analysant la doctrine drsquoAchard Combes souligne que la forme premiegravere qui contient

toutes les formes est lrsquoIntellect de Dieu Les formes sont contenues dans cet Intellect de maniegravere agrave

ecirctre intelligeacutees (in intellectu) Lrsquointellect de Dieu est distinct en lui et contient les formes des

choses335

Andreacute Combes reconnaicirct lrsquoexistence de deux mondes dans la doctrine drsquoAchard le monde

sensible deacutesigneacute par le proverbe hic et le monde intelligible deacutesigneacute par ibi336

En deacutecrivant le deacuteveloppement de la penseacutee drsquoAchard (la doctrine de la forme premiegravere les

niveaux des formes creacuteeacutees et des choses le problegraveme de lrsquoidentiteacute numeacuterique de la forme premiegravere

etc) Combes pose eacutegalement une question concernant un arriegravere-plan de la penseacutee drsquoAchard Il est

difficile pour lui de donner une reacuteponse preacutecise vu le manque drsquoinformation dont il dispose mais il

rejette lrsquoinfluence possible de la penseacutee aristoteacutelicienne en inscrivant le De unitate dans le cadre des

reacuteflexions agrave propos du Dieu chreacutetien prenant place dans laquo un monde intelligible platonicien

christianiseacute raquo 337 En se basant sur le fait qursquoAchard cite des autoriteacutes telles que Platon Seacutenegraveque

Boegravece au cours de son enquecircte Combes conclut que sa vision de Dieu correspond plutocirct agrave lrsquoopifex

platonicien christianiseacute338

333Laquelle nous eacutevitons de reacutepeacuteter ici vu qursquoelle eacutetait faite agrave la base du texte incomplet 334A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p 198 335 Voir ch VI part 3 laquo Thegravemes doctrinaux raquo Ibid thegraveses IV et V p 197-202 336 Ibid p 173 337Ibid p 200 338Ibid p 214

117

Combes reconnaicirct la preacutesence chez Achard drsquoun reacutealisme qui se manifeste surtout par la

preacutesence en Dieu des ideacutees des individus (I 45) A son avis cela rapproche le De unitate soit du

courant meacutetaphysique du XIIe siegravecle (agrave savoir le reacutealisme du Guillaume de Champeaux) soit de la

penseacutee scotiste339

Ainsi Combes est le premier agrave accomplir lrsquoeacutetude comparative de la penseacutee drsquoAchard de

Saint-Victor qursquoil nomme pseudo-Anselme Il deacutecouvre que le systegraveme meacutetaphysique drsquoAchard est

plutocirct platonicien mais aussi qursquoil est drsquoun caractegravere empirique qui ne correspond pas au

platonisme de son eacutepoque

IV2 Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny

Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny est la premiegravere personne agrave rapprocher drsquoAchard le manuscrit du

De unitate Elle propose eacutegalement quelques remarques bregraveves mais preacutecieuses concernant son

contenu Ainsi la doctrine de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute preacutesenteacutee dans la premiegravere partie de lrsquoœuvre

est agrave son avis une interpreacutetation assez hardie de la respectable doctrine patristique de lrsquoimage et

des vestiges de la Triniteacute340

Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny est eacutegalement la premiegravere agrave observer que le De Trinitate et la

Quaestio de ideis drsquoAugustin sont laquo le fondement avoueacuteraquo du systegraveme drsquoAchard341 et agrave rapprocher

Achard des autres maicirctres de son eacutepoque en eacutevoquant leurs points de convergence comme leurs

sources communes (Boegravece Platon Seacutenegraveque pseudo-Denys et Jean Scot Erigegravene) le thegraveme de

lrsquouniteacute (qui le rapproche des Chartrains et des Porreacutetains) et la deacutefinition de la Triniteacute en tant

qursquoUnitas Aequalitas Connexio (Thierry de Chartres Clarembaud drsquoArras Alain de Lille)342

De cette faccedilon la chercheuse a remarqueacute lrsquooriginaliteacute de la doctrine trinitaire drsquoAchard et la

ressemblance de son sujet et de ses outils avec ceux de ses contemporains

IV3 Jean Chacirctillon

La contribution principale de Jean Chacirctillon consiste en lrsquoeacutedition des Sermons drsquoAchard de

Saint-Victor mais aussi en la mise en lumiegravere de la figure drsquoAchard et de son rocircle dans lrsquohistoire de

lrsquoabbaye de Saint-Victor En ce qui concerne le De unitate dans son livre Theacuteologie spiritualiteacute et

339Ibid p 190 et193 340M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 302 341Ibid p 303 342 Ibid p 303-304 M-T DrsquoALVERNY laquo Notes sur deux œuvres theacuteologiques du XIIe siegravecle Alain de Lille Expositio prosae de Angelis Achard de Saint-Victor De Trinitate raquo dans Bibliothegraveque de lrsquoEcole des Chartes t 112 1954 p 249-250

118

meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Chacirctillon utilise les fragments

publieacutes par Andreacute Combes sous le nom de saint Anselme en les attribuant agrave Achard de Saint-Victor

(Chacirctillon a eacuteteacute au courant de la deacutecouverte de Mlle drsquoAlverny mais il nrsquoa pas encore eu le texte

complet du De unitate) Bien que son livre soit consacreacute principalement agrave des recherches

historiques et doctrinales sur les Sermons il y inclut un chapitre laquo La meacutetaphysique achardienne et

ses sources raquo ougrave il eacutetudie le De discretione et le De unitate (pris sous le nom du De Trinitate)

Chacirctillon trouve chez Achard des traces du platonisme provenant drsquoAugustin drsquoErigegravene et

de lrsquoeacutecole de Chartres Plus preacuteciseacutement il croit que la meacutetaphysique drsquoAchard laquo srsquoinspire de cette

vision platonicienne des choses selon laquelle lrsquounivers creacuteeacute nrsquoest qursquoun reflet un vestige ou une

image de lrsquounivers intelligible et trouve son explication dans les raisons ou les formes qui

constituent le monde archeacutetype 343 raquo Il cherche des parallegraveles entre lrsquoopposition de nunc (le monde

du temps) et tunc (lrsquoeacuteterniteacute) dans les Sermons et celle de hic et ibi du De unitate La doctrine des

ideacutees exposeacutee dans les chapitres II 12-14 du De unitate lui permet de souligner les points communs

entre Achard Bernard de Chartres et Guillaume de Conches (par exemple la deacutefinition de lrsquoideacutee

comme forme ou du monde archeacutetype comme Sagesse de Dieu)344

Chacirctillon considegravere eacutegalement que la doctrine drsquoAchard prend du neacuteoplatonisme la

conception laquo selon laquelle le Verbe creacuteateur est agrave la fois le principe des choses visibles et celui

des formes exemplaires ou des ideacutees qui constituent le monde archeacutetype et sur le modegravele desquelles

les choses visibles ont eacuteteacute faites345 raquo Notamment Chacirctillon repegravere de nombreuses similitudes entre

la penseacutee drsquoAchard et celle de Jean Scot Erigegravene Ainsi Achard dit que les formes exemplaires sont

en Dieu per propriam creationem et Erigegravene affirme la mecircme chose agrave propos des ideacutees divines

Achard distingue trois types de formes et Erigegravene divise la nature en quatre types De plus il

remarque la similitude entre les maniegraveres propres agrave ces deux auteurs drsquoeacutetablir la causaliteacute au sein de

la Triniteacute346

Chacirctillon compare aussi la doctrine des trois sortes de causes introduite dans les Sermons

drsquoAchard (les causes judiciaires qui manifeste la justice divine les causes formelles qui manifestent

sa sagesse et les causes finales sa bonteacute) avec la doctrine aristoteacutelicienne des quatre causes

(efficiente finale formelle et mateacuterielle) attribueacutee agrave Platon par lrsquoeacutecole de Chartres347

En outre Chacirctillon est le premier agrave voir le De unitate en tant qursquoune œuvre homogegravene A

savoir il deacuteclare que la theacuteorie de la multiplication des formes proposeacutee dans la deuxiegraveme partie du

343J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 278 344Ibid р 279-284 345Ibid р 293 346Ibid р 311-2 347Ibid р 287-288

119

traiteacute est une des reacuteponses possibles agrave la question concernant la possibiliteacute de la pluraliteacute en

Dieu poseacutee dans la premiegravere partie du traiteacute348

La comparaison du De unitate avec les Sermons agrave laquelle procegravede Chacirctillon lui permet de

se faire une image entiegravere de la philosophie drsquoAchard Il inscrit eacutegalement Achard dans le cadre du

platonisme et du neacuteoplatonisme en eacutevoquant la ressemblance de sa penseacutee avec celles drsquoAugustin et

de Jean Scot Erigegravene

IV4 Emmanuel Martineau

En achevant les efforts de ces preacutedeacutecesseurs (Andreacute Combes Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny et

Jean Chacirctillon) Martineau porte le titre de premier eacutediteur et traducteur du De unitate Mecircme srsquoil

nrsquoa pas reacuteussi (comme il lrsquoavoue dans son introduction agrave lrsquoeacutedition du De unitate) agrave accomplir son

projet initial (donner laquo une interpreacutetation doctrinale qui pour provisoire qursquoelle fucirct demeureacutee se fucirct

au moins appliqueacutee agrave affronter reacutesolument lrsquoessentiel des enseignements meacutetaphysiques du traiteacute et

en particulier agrave expliquer la totaliteacute des aperccedilus ou si lrsquoon preacutefegravere des preacutesupposeacutes sur lesquels

srsquoappuie son eacutedition princeps349 raquo) dans son eacutedition il propose aussi une preacuteface (laquo La redeacutecouverte

du De unitate raquo) une introduction (laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo) et vingt

eacuteclaircissements concernant la lecture du manuscrit et des sources de la philosophie drsquoAchard (pour

les chapitres qui lui paraissent obscurs)

Lrsquoadmiration de Martineau pour la meacutetaphysique drsquoAchard transparaicirct dans cette eacutedition

Apregraves avoir compareacute les raisonnements de Jean de Ripa avec les thegraveses principales de la

pheacutenomeacutenologie (tireacutees des doctrines de Brentano Husserl et Heidegger ndash dont il a traduit en

franccedilais Sein und Zeit) Martineau deacutefinit laquo la voie royale de la penseacutee meacutedieacutevaleraquo en tant que celle

de la laquo lsquopheacutenomeacutenologiersquo achardo-ripienne raquo350 Pourtant Martineau se retient de manifester cette

interpreacutetation radicale du De unitate de maniegravere trop insistante Il ne lrsquoutilise que deux fois dans ces

notes en choisissant les termes laquo ontique raquo et laquo ontologique raquo afin drsquoexpliquer la penseacutee

drsquoAchard351 Bien que Martineau critique lrsquointerpreacutetation de Combes qui rapproche le De unitate de

la meacutetaphysique du XIVe siegravecle en y retrouvant le fondement aristoteacutelicien et lrsquoinflexion

gnoseacuteologique352 il appreacutecie le fait que Combes ait eacuteteacute le premier agrave voir la grandeur meacutetaphysique

348Ibid p 304 349E MARTINEAU laquo La redeacutecouverte du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 11 350Ibid p 24 351ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 45 p 117 note 2 I 48 p 129 notes 16 18 et 19 352E MARTINEAU laquo La redeacutecouverte du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 38

120

drsquoAchard de Saint-Victor Finalement Martineau considegravere que si lrsquoon en eacutevacuait le reacutealisme (dans

le sens empirique de Combes) la philosophie du De unitate pourrait ecirctre restreinte au rapport

laquo entre la penseacutee de lrsquoecirctre comme forme uni-plurale crsquoest-agrave-dire comme speacutecificiteacute drsquoune part et

drsquoautre part une probleacutematique de lrsquoecirctre-chose de la chose353 raquo Ainsi pour Martineau lrsquoontologie

constitue une partie significative de lrsquoheacuteritage drsquoAchard

Dans sa preacuteface agrave lrsquoeacutedition du De unitate Martineau demande pourquoi cette œuvre

drsquoAchard a eacuteteacute si vite oublieacutee agrave lrsquoeacutepoque A son avis Achard eacutetait trop laquo intellectualiste raquo Il essaie

drsquoeacutetablir la meacutetaphysique comme laquo science de lrsquoecirctre raquo ce qui nrsquoeacutetait pas demandeacute avant lrsquoarriveacutee de

la haute scolastique du XIIIe siegravecle354 Une autre explication est qursquoun autre victorin qui a eacutecrit un

traiteacute trinitaire Richard eacutetait plutocirct lrsquoadversaire drsquoAchard Selon Martineau dans son De Trinitate

Richard deacuteveloppe une sorte du naturalisme theacuteologique (ce qui veut dire que le point du deacutepart

pour lui est son expeacuterience) opposeacute agrave lrsquointellectualisme du De unitate

Un autre aspect paraicirct significatif agrave Martineau la preacutesence chez Achard des deux chemins

de la penseacutee laquo la meacutetaphysique et la spiritualiteacute 355 raquo Il deacuteveloppe cette ideacutee en preacutecisant que dans

le De unitate Achard oppose laquo la theacuteologie speacuteculative raquo et laquo la spiritualiteacute raquo Finalement

Martineau suppose qursquoAchard nrsquoa pas acheveacute le De unitate car il nrsquoa pas pu concilier ces deux

tendances356

Martineau se penche eacutegalement sur la doctrine des trois sortes de raisons drsquoAchard de Saint-

Victor Les trois sortes de raisons eacuteternelles sont traiteacutees par Martineau du point de vue de leur

correspondance au plan tripartite du De unitate Il note lrsquoorigine aristoteacutelicienne de la division

tripartite de la raison mais il propose eacutegalement une comparaison de la doctrine des trois sortes de

raisons du De unitate et celle des Sermons Il montre que ces deux doctrines sont proches mais non

identiques (les raisons des Sermons sont formelles judiciaires finales) Il conclut que les deux

doctrines ne se reacuteduisent pas agrave la Triniteacute agrave savoir que les trois sortes de raisons ne deacutecrivent pas les

personnes357

Martineau semble inteacuteresseacute en particulier par les raisons deacuteployantes Il les comprend

comme laquo la version achardienne de cause efficiente raquo358 Il consacre un laquo eacuteclaircissement raquo agrave

lrsquoexplication de lrsquoorigine de cette cause chez Augustin et agrave la raison pour laquelle Achard lrsquoappelle

353Ibid p 44 354Ibid p 29 355Ibid p 17 356 E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 56 357 Ibid p 56-61 358 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 39 p 109 note 2

121

νοῦς Dans cet eacuteclaircissement il integravegre aussi lrsquoexplication pheacutenomeacutenologique Ainsi pour

Martineau les raisons deacuteployantes deacutesignent un mode du pro-duire du porter-au- preacutesent359

En ce qui concerne les sources potentielles drsquoAchard Martineau avoue qursquoavant mecircme de

lire le De unitate il eacutetait meacutefiant envers lrsquointerpreacutetation eacuterigeacutenienne de cette œuvre soutenue par

Jean Chacirctillon et Andreacute Combes360

Il est vrai que Martineau preacutesente Achard plutocirct comme le disciple drsquoAugustin Le nombre

drsquoallusion aux œuvres drsquoAugustin qursquoil a trouveacutees dans le De unitate impressionne en effet La plus

grande partie de ses laquo Eacuteclaircissements raquo est consacreacutee agrave la deacutemonstration des parallegraveles textuels

entre Augustin et Achard

Martineau fait aussi reacutefeacuterence agrave drsquoautres auteurs tels que Boegravece Thierry de Chartres

Richard de Saint-Victor Il parle briegravevement le platonisme drsquoAchard lequel agrave son avis est un

laquo platonisme assez authentique [hellip] pour faire voler en eacuteclats le cadre usuel des lsquoplatonismes du

XIIe siegraveclersquo raquo361 Finalement Martineau suppose qursquoAchard a senti que les thegraveses platoniciennes

transmises au le XIIe siegravecle constituaient un eacutecart du vrai platonisme et qursquoil a fait ses propres

deacuteveloppements platoniciens362

La recherche de Martineau nous semble assez originale Il reste agrave imaginer quel reacutesultat il

aurait obtenu srsquoil avait accompli lrsquointerpreacutetation pheacutenomeacutenologique de la penseacutee drsquoAchard

Pourtant crsquoest sa contribution en tant qursquoeacutediteur et historien de la philosophie qui nous importe et

surtout le fait qursquoil ait montreacute les deacutependances drsquoAchard envers Augustin et Boegravece

IV5 Mohammad Ilkhani

Le but de lrsquoouvrage La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor est de laquo faire

une geacuteneacutealogie de la penseacutee achardienne raquo agrave savoir de laquo mettre en eacutevidence lrsquoarriegravere-fond boeacutecien

et preacute-neacuteoplatonicien (notamment la preacutesence du platonisme moyen agrave son eacutepoque) de la penseacutee

drsquoAchard363 raquo Sa meacutethode consiste agrave diviser du De unitate (qui est lrsquoobjet principal de ses

recherches) en parties indeacutependantes et agrave comparer les doctrines qursquoon y trouve avec des œuvres

drsquoautres auteurs (Augustin Boegravece Seacutenegraveque Erigegravene Thierry de Chartres Gilbert de Poitiers etc)

359 E MARTINEAU laquo Eclaircissement III raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 213 360E MARTINEAU laquo Avant-propos raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 9 361Ibid p 7 362E MARTINEAU laquo Eclaircissements XVIIraquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 244 363M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 14

122

La doctrine des trois sortes de raisons a speacutecialement eacuteteacute choisie comme sujet par

Mohammad Ilkhani qui comprend les raisons comme les instruments de la creacuteation du monde selon

Achard de Saint-Victor

Ilkhani deacutecrit de maniegravere deacutetailleacutee la doctrine de la forme premiegravere ou Verbe et les trois

niveaux des formes Il deacutecrit aussi tout ce qui relegraveve des formes agrave savoir les jugements (les

eacutenonceacutes) vrais agrave propos de Dieu et des creacuteatures les intellections les universaux les nombres

Ilkhani estime qursquoAchard est un ultra-reacutealiste364 Il ne voit pas drsquoincoheacuterence dans sa doctrine des

universaux Il propose aussi une classification des distinctions principales des formes selon Achard

de Saint-Victor Il les divise selon les distinctions ontologiques et ontiques365 Les premiegraveres sont

tireacutees du chapitre II 13 Il srsquoagit de la forma prima secunda et tertia Les deuxiegravemes sont celles du

chapitre I 45 ndash la forme substantielle accidentelle geacuteneacuterique et speacutecifique366

Les raisons causales sont les laquo pourquoi raquo de la creacuteation Elles montrent que toutes les

œuvres ont Dieu comme premiegravere cause et que les jugements agrave propos de lrsquoutiliteacute des creacuteatures sont

faits agrave partir de leurs causes eacuteternelles et non agrave partir des œuvres temporelles367

En ce qui concerne les raisons deacuteployantes elles servent agrave laquo reacutesoudre le problegraveme de la

creacuteation simultaneacutee de toutes choses et de la creacuteation progressive des choses dans le temps raquo368

Pour Ilkhani ces raisons sont proches des raisons seacuteminales drsquoAugustin369 laquo Les choses se reacutealisent

par les raisons deacuteployantes au moment voulu dans lrsquohistoire du monde370 raquo

Ilkhani voit la contribution principale drsquoAugustin dans lrsquoorientation de la philosophie

drsquoAchard de Saint-Victor

laquo Si on considegravere la philosophie de lrsquoecirctre selon Augustin comme une philosophie de

lrsquoessence la philosophie de lrsquoAchard de Saint-Victor nrsquoest pas seulement une philosophie de

lrsquoessence mais elle est aussi une philosophie de la substance ou si lrsquoon preacutefegravere elle est drsquoun

autre point de vue une philosophie de la triade de lrsquoessence de la forme et de la

substance371 raquo

Les notions principales de la philosophie drsquoAchard de Saint-Victor sont selon Ilkhani celles

de lrsquoessence et de la substance Elles deacutesignent respectivement lrsquoecirctre de la chose et son existence en 364 Ibid p 274 365 Il est fort probable qursquoIlkhani a suivi Emmanuel Martineau qui a introduit les termes laquo ontique raquo et laquo ontologique raquo pour deacutecrire la diffeacuterence entre les identiteacutes numeacuteriques des choses ici et lagrave-bas Voir ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 48 p 129 note 16 366 M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 169 367Ibid p 228-239 368 Ibid p 290 369 Ibid p 298 370 Ibid p 195 Voir aussi p 366 371Ibid p 181

123

tant que telle (lrsquoeacutequivalent de quod est de Seacutenegraveque et de Boegravece)372 Ilkhani va jusqursquoagrave

lrsquoidentification de la triade essence forme substance avec les trois sortes de raisons (finales

formelles deacuteployantes) et trois personnes de la Triniteacute (le Pegravere le Fils le Saint-Esprit) et mecircme agrave

son rapprochement avec la theacuteorie de la providence et du destin qursquoil trouve dans le Commentaire

du Timeacutee de Calcidius et dans le De consolatione philosophia de Boegravece373

Il est vrai qursquoIlkhani accorde beaucoup drsquoattention aux sources de la philosophie drsquoAchard

de Saint-Victor Sa theacuteorie sur ce point est qursquoAchard laquo a entrepris un syncreacutetisme audacieux ougrave on

peut trouver des notions boeacuteciennes augustiniennes des thegraveses de Calcidius et de JS Erigegravene des

donneacutees provenant de penseurs majeurs de lrsquoeacutecole de Chartres voir mecircme de penseurs paiumlens

comme Platon et Seacutenegraveque et bien drsquoautres374raquo

En ce qui concerne Boegravece Ilkhani trouve les traces de sa philosophie dans le De unitate

Notamment il croit que dans les chapitres I 7-11 Achard utilise la cateacutegorie du lieu et la notion de

diffeacuterence en tant qursquoalteacuteriteacute Drsquoapregraves lui ces deux notions ont eacuteteacute emprunteacutees agrave lrsquoIsagoge de

Boegravece bien qursquoelles aient pu ecirctre revues et corrigeacutees par rapport aux fameux commentateurs de

Boegravece Thierry de Chartres et Gilbert de Poitiers 375

Un autre acteur de la construction historique de la penseacutee drsquoAchard est le platonisme

Ilkhani soutient lrsquoideacutee de la preacutesence chez Achard du meacutedioplatonisme En particulier selon Ilkhani

la doctrine achardienne de pluraliteacute des raisons eacuteternelles vient de la doctrine platonicienne du

Logos376 De plus les autres traits caracteacuteristiques du meacutedioplatonisme sont repeacuterables agrave savoir la

preacutesence des ideacutees increacuteeacutees (au sens mateacuteriel) en Dieu mecircme et la premiegravere creacuteation des choses qui

se fait dans ces ideacutees consubstantielles agrave Dieu377

Une autre contribution importante drsquoIlkhani aux eacutetudes sur Achard est la description de sa

doctrine de la creacuteation Celle-ci se caracteacuterise notamment par lrsquoexistence de deux niveaux de

creacuteation

laquo Cette creacuteation profuse se fait sur deux niveaux la creacuteation eacuteternelle et la reacutealisation

temporelle La creacuteation eacuteternelle est faite en Dieu mecircme mais dans une autre substance

crsquoest-agrave-dire dans la substance creacuteeacutee [] Le deuxiegraveme niveau de la creacuteation est la reacutealisation

temporelle de la creacuteation eacuteternelle crsquoest le deacuteploiement (explicatio) des creacuteatures dans le

temps378 raquo

372Ibid p 365 373Ibid p 371 374Ibid p 357 375Ibid p 72-73 et 358 376Ibid p 362-3 377Ibid p 342 378Ibid p 195

124

Il existe donc une creacuteation intellectuelle eacuteternelle des formes dans lrsquoIntellect de Dieu et leur

reacutealisation temporelle dans le monde

Dans ce contexte Ilkhani compare la doctrine de la creacuteation drsquoAchard agrave celle drsquoErigegravene La

diffeacuterence consiste dans le fait que les ideacutees divines drsquoErigegravene eacutetant creacuteeacutees dans le Verbe ont une

essence supeacuterieure agrave celle des creacuteatures tandis que les formes eacuteternelles drsquoAchard ont la mecircme

substance creacuteeacutee379

Le travail drsquoIlkhani est lrsquoenquecircte la plus complegravete sur le De unitate jusqursquoagrave aujourdrsquohui Il

suit le chemin de ses preacutedeacutecesseurs en traccedilant les parallegraveles entre Achard de Saint-Victor et ses

contemporains (Thierry de Chartres Gilbert de de Poitiers etc) Il deacutemontre eacutegalement la

continuiteacute du meacutedioplatonisme dans le De unitate Pourtant son sujet de recherche est la doctrine

de la creacuteation drsquoAchard et il accomplit sa tacircche en repeacuterant dans le De unitate la seacutequence de la

double creacuteation Il aborde eacutegalement la doctrine trinitaire drsquoAchard de Saint-Victor en eacutevoquant les

distinctions les plus profondes de la philosophie drsquoAchard la triade de lrsquoessence de la forme et de

la substance

IV6 Dominique Poirel

Lrsquoarticle de Dominique Poirel aide agrave faire une mise au point essentielle sur la figure

drsquoAchard Dans son exposeacute lrsquoauteur preacutecise les deacutetails de la vie des œuvres et de la penseacutee

drsquoAchard de Saint-Victor Il eacutetablit aussi la liste des questions auxquelles il est difficile de reacutepondre

agrave partir du manuscrit de Padoue

laquoQuel est le titre veacuteritable de lrsquoouvrage Qui est lrsquoauteur de sa division actuelle en chapitres

Quel rocircle Jean de Ripa a-t-il joueacute dans sa tradition directe Quel creacutedit peut-on accorder

au teacutemoin unique tardif et souvent fautif qui nous lrsquoa transmis Jusqursquoagrave quel point est-il

loisible drsquoen restaurer le texte et de quelle faccedilon 380 raquo

Poirel rejoint lrsquohypothegravese de Martineau concernant lrsquoinachegravevement initial du De unitate

Selon lui Achard eacutetait laquo tirailleacute entre deux fins lrsquoune theacuteologique lrsquoautre meacutetaphysique raquo dont la

premiegravere eacutetait exprimeacutee en sujet trinitaire et la deuxiegraveme en probleacutematique de lrsquouniteacute et la pluraliteacute

introduisant le dessin neacuteoplatonicien Ce problegraveme neacuteoplatonicien touche les deux œuvres

drsquoAchard le De unitate et le De discretione

379Ibid p 346 380 D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p 510

125

En ce qui concerne les origines de la penseacutee drsquoAchard Poirel le traite en tant que penseur

victorin Il retrouve dans le De unitate les sujets abordeacutes par Hugues de Saint-Victor comme ceux

de lrsquoun et du multiple de la theacuteologie trinitaire et de la doctrine des causes primordiales En outre il

parle eacutegalement de lrsquoopposition hicibi et laquo un prolongement de la theacuteorie hugonienne des

appropriations trinitaires ailleurs bien preacutesente chez Achard selon laquelle la puissance convient

davantage au Pegravere (raisons deacuteployantes) la sagesse au Fils (raisons formelles) et la bonteacute ou la

volonteacute divine (raisons finales) au Saint-Esprit381 raquo

En mecircme temps Poirel remarque que lrsquoinfluence du pseudo-Denys lAreacuteopagite est plus

faible chez Achard que chez ses confregraveres victorins et que les traces de lrsquoenseignement de Thierry

de Chartres et de Gilbert de Poitiers sont plus preacutesentes Il explique cela par le fait qursquoAchard nrsquoa

probablement pas eacuteteacute lrsquoeacutelegraveve direct drsquoHugues de Saint-Victor mais a eu des contacts avec drsquoautres

maicirctres de lrsquoeacutepoque

IV7 David Albertson

David Albertson deacutefinit la place de la doctrine trinitaire drsquoAchard de Saint-Victor parmi ses

contemporains Il pense que crsquoest Thierry de Chartres qui a modifieacute le premier la formule Unitas-

Aequalitas-Concodia drsquoAugustin en Unitas-Aequalitas-Connexio Cela lui a permis drsquoexpliquer

chaque personne de la Triniteacute seacutepareacutement et la Triniteacute ensemble Albertson appelle cette

interpreacutetation la laquo lecture forte raquo contrairement agrave la lecture faible quand les trois proprieacuteteacutes

deacutefinissent une substance divine Lrsquoautre interpreacutetation forte de la Triniteacute en tant que puissance

sagesse et bonteacute a deacutejagrave eacuteteacute condamneacutee dans le cas drsquoAbeacutelard Ainsi Thierry et ses eacutetudiants ont

proposeacute la lecture forte de la Triniteacute Albertson pense qursquoAchard deacuteveloppe la doctrine proposeacutee par

Thierry382

IV8 Colloque agrave Caen

Gilles Olivo professeur agrave lrsquouniversiteacute de Caen et Pasquale Porro professeur agrave lrsquouniversiteacute

de Paris IV ndash Sorbonne ont organiseacute un colloque agrave lrsquooccasion de la reacuteeacutedition du De unitate ltDeigt et

pluralitate creaturarum drsquoAchard de Saint-Victor Le colloque a eu lieu les 9 et 10 avril 2015 agrave

Avranches et agrave Caen Le 9 avril les participants ont visiteacute le Fonds ancien de la

Bibliothegraveque municipale drsquoAvranches et lrsquoabbaye de la Lucerne (lrsquoancien siegravege eacutepiscopal

drsquoAchard) Ce jour-mecircme Veacuteronique Gazeau (UCBN-CRAHAM) a donneacute la confeacuterence 381 Ibid 382 D ALBERTSON laquo Achard of St Victor (d 1171) and the Eclipse of the Arithmetic Model of the Trinity raquo Traditio t 67 2012 p 101-144

126

inaugurale agrave la Mairie drsquoAvranches laquo Autour drsquoAchard de Saint-Victor Culture et socieacuteteacute dans

lrsquoOuest de la Normandie raquo Emmanuel Martineau a fait la premiegravere intervention du colloque laquo Un

cas de platonisme authentique au XIIe siegravecle le De unitate Dei drsquoAchard de Saint-Victor raquo dans la

salle du reacutefectoire de lrsquoabbaye de la Lucerne

Le 10 avril le colloque a continueacute agrave lrsquouniversiteacute de Caen Les interventions suivantes ont eu

lieu

- Dominique POIREL (CNRS) laquo Achard de Saint-Victor eacutecrivain ou le De unitate est-il

acheveacute raquo

- Nicole REIBE (Boston College) laquo The Homo Assumptus position revisited Achard of St

Victorrsquos Christology in light of De Unitate raquo

- Hugh FEISS (Idaho EU) laquo Achard of St Victor Toward a Triune Metaphysics raquo

- Franccedilois MEDRIANE (Professeur de Premiegravere supeacuterieure Douai) laquo Augustin et Achard

Lrsquouni-triniteacute eacutecarts deacuteplacements effets de sens raquo

- Luisa VALENTE (La Sapienza Roma I) laquo Essentia et formes des choses creacuteeacutees chez Achard

de Saint-Victor et Gilbert de Poitiers raquo

- Caterina TARLAZZI (Universiteacute de Cambridge) laquo Genres et espegraveces dans le De unitate

drsquoAchard de Saint-Victor raquo

- Jean-Louis POIRIER (Paris) laquo Lrsquoadverbe Ibi dans le De unitate drsquoAchard de Saint-Victorraquo

- Iryna LYSTOPAD (EPHE et NaUKMA) laquoLe De unitate drsquoAchard de Saint-Victor et

lrsquoheacuteritage de lrsquoAntiquiteacute tardive raquo

- Francesco SIRI (CNRS) laquo La Bible comme source de la philosophie drsquoAchard raquo

De cette faccedilon plusieurs speacutecialistes meacutedieacutevistes ainsi que modernistes se sont reacuteunis pour

contribuer agrave lrsquoeacutetude du De unitate Ce colloque a permis drsquoeacutevaluer la signification de cette œuvre

pour la philosophie du XIIe siegravecle

Pendant ce colloque nous avons eu la possibiliteacute drsquoeacutecouter les participants drsquoeacutechanger avec

eux et de preacutesenter les reacutesultats de notre travail Cet eacutechange nous a guideacute lors drsquoune analyse des

certains points difficiles du De unitate Nous allons eacuteventuellement nous reacutefeacuterer aux thegraveses que jrsquoai

retenues de ce colloque

Nous tenons compte dans notre recherche de tous les travaux preacutesenteacutes bien que comme

Hugh Feiss lrsquoa remarqueacute toutes les tentations drsquoanalyse du De unitate avant que son eacutedition critique

ait eacuteteacute faite soient plutocirct obsolegravetes383 Les sujets principaux du De unitate ont eacuteteacute abondamment

383 H FEISS laquo Introduction raquo dans Achard of Saint Victor Works trans H FEISS Kalamazoo 2001 p 55

127

abordeacutes par les chercheurs Il srsquoagit notamment de la doctrine trinitaire (drsquoAlverny Ilkhani Poirel

et Albertson) de la doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles (Chacirctillon Martineau Ilkhani et

Poirel) et la doctrine de la creacuteation (Ilkhani) Il est eacutegalement possible de repeacuterer quelques

tendances geacuteneacuterales Presque tous les chercheurs remarquent la direction platonicienne de la penseacutee

drsquoAchard de Saint-Victor Son platonisme provient des sources communes du XIIe siegravecle (Seacutenegraveque

Augustin Boegravece) La hieacuterarchie de la forme premiegravere et de la forme creacuteeacutee a eacuteteacute deacutecrite comme

lrsquoheacuteritiegravere de la doctrine platonicienne du Logos incarneacute

DrsquoAlverny Martineau Ilkhani et Albertson comparent Achard avec ses contemporains

(eacutecole de Chartres Gilbert de de Poitiers etc) La ressemblance de la penseacutee drsquoAchard avec celle

de son eacutecole par contre a fait lrsquoobjet de peu de recherches (crsquoest Jean Ribaillier ndash speacutecialiste de

Richard de Saint-Victor ndash qui srsquoest pencheacute sur les points communs entre le De Trinitate de

Richard384 et le De unitate drsquoAchard et Dominique Poirel qui compare Achard avec Hugues)

Tous les sujets deacutecrits seront abordeacutes dans notre recherche En particulier nous trouvons

neacutecessaire drsquoapprofondir les sujets qui nrsquoeacutetaient pas assez bien eacutetudieacutes la doctrine trinitaire et la

question de lrsquoidentiteacute des ecirctres intelligibles et sensibles Bien que les racines de la penseacutee drsquoAchard

soient assez bien eacutetudieacutees nous trouvons neacutecessaire de remplir la lacune en faisant plus drsquoattention

au berceau intellectuel drsquoAchard ndash lrsquoeacutecole de Saint-Victor

384J RIBAILLIER laquo Introduction raquo dans RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate eacuted J RIBAILLIER Paris 1958 p 14-15

128

Conclusion

Lrsquoeacutetude de la vie drsquoAchard montre que sa carriegravere drsquo laquo homme drsquoeacuteglise raquo a pris le pas sur

celle de maicirctre Cela explique partiellement pourquoi son œuvre meacutetaphysique est resteacutee dans

lrsquooubli pendant longtemps Deux hypothegraveses ont eacuteteacute faites pour expliquer lrsquoeacutetat preacutesent du texte du

De unitate

- lrsquoœuvre est un brouillon incomplet

- le texte eacutetait partiellement perdu meacutelangeacute et alteacutereacute lors de sa transmission

Les incoheacuterences suivantes peuvent teacutemoigner en faveur de chacune de ces deux hypothegraveses

- le texte nrsquoa pas drsquointroduction ni de conclusion

- le plan qui correspond agrave une partie de lrsquoœuvre (I 1-36) se trouve au milieu de cette partie (en

I 12)

- le sujet drsquoenquecircte change brusquement au milieu du traiteacute I

- le deacuteveloppement annonceacute en I 42 nrsquoest pas termineacute

- lrsquoauteur a fait la tentative de redeacutefinir la doctrine centrale (celle des raisons eacuteternelles) vers la

fin de lrsquoœuvre (II 19-20)

- il finit par eacutecarter le sujet de recherche dans le dernier chapitre

- le deacutecoupage en chapitres peut ecirctre ameacutelioreacute pour donner plus de clarteacute au texte

Malgreacute la mauvaise qualiteacute du texte fourni par Padova 89 (nous avons eacutetabli que le copiste

ne fait pas la diffeacuterence dans lrsquoabreacuteviation des notions centrales de lrsquoœuvre telles que par exemple

la veritas et lrsquounitas) la qualiteacute de lrsquoeacutedition de Martineau est satisfaisante Nous nrsquoavons repeacutereacute que

quelques cas ougrave des lectures alternatives soient possibles Neacuteanmoins la traduction franccedilaise peut

ecirctre ameacutelioreacutee pour rendre le texte plus clair Nous allons y faire attention

Il a eacuteteacute facile drsquoeacutetablir le scheacutema platonicien du De unitate Lrsquouniteacute est preacutesente en Dieu et

dans les creacuteatures les personnes proviennent lrsquoune agrave partir de lrsquoautre comme des eacutemanations de

lrsquouniteacute premiegravere les raisons se multiplient dans le Verbe il existe une hieacuterarchie des formes Les

chercheurs qui ont deacutejagrave eacutetudieacute le De unitate sont drsquoaccord que cette œuvre a un arriegravere-plan

platonicien En mecircme temps certains croient que le De unitate deacutepasse le platonisme classique la

pluraliteacute est preacutesente dans le principe premier les choses permettent drsquoapprendre agrave propos des

formes Cela nous megravene agrave eacutetudier de faccedilon plus preacutecise lrsquoheacuteritage platonicien qui eacutetait agrave la

disposition de lrsquoeacutecole de Saint-Victor afin de deacutecrire les principales doctrines de lrsquoeacutepoque inspireacutees

par des philosophes platoniciens

129

Deuxiegraveme partie

Les voies de la multiplication en Dieu

130

Introduction

Le discours chreacutetien agrave propos de Dieu se lie facilement agrave la question de multiplication

Le Dieu chreacutetien est la Triniteacute il est un selon la substance et en mecircme temps multiple selon

les personnes La question de savoir comment cela est possible a eacuteteacute discuteacutee par des penseurs

diffeacuterents depuis les premiers siegravecles du christianisme Achard y reacutepond en deacutefinissant la Triniteacute en

tant qursquoUniteacute Ce qui lui est Egal et Egaliteacute De cette faccedilon il propose le moyen tregraves preacutecis de

deacutecrire la pluraliteacute en Dieu Cette approche est unique et en mecircme temps il incorpore plusieurs

eacuteleacutements de doctrines qui ont eacuteteacute exposeacutees auparavant Nous allons les eacutetudier dans le chapitre V

En outre la doctrine trinitaire drsquoAchard diffegravere des autres car non seulement il deacutemontre que

Dieu peut avoir trois personnes mais il explique pourquoi elles ne sont que trois Cette question est

lieacutee au sujet de la procession ad intra (quand lrsquoune personne provient agrave partir de lrsquoautre) et ad extra

(le fait que le monde provient agrave partir de Dieu) de la Triniteacute Elle va ecirctre eacutetudieacutee dans le chapitre VI

Et enfin le Dieu chreacutetien est lieacute au monde agrave travers son Fils ndash le Verbe qui srsquoest incarneacute Le

Dieu chreacutetien ne peut pas srsquoeacutepancher directement dans le monde Par contre son Verbe contient les

prototypes eacuteternels des creacuteatures Par conseacutequent le Dieu unique contient dans son Verbe les

formes multiples Lrsquoorigine et le deacuteveloppement de cette doctrine seront le sujet du chapitre VII

Dans lrsquointroduction de la thegravese nous avons montreacute comment ces questions chreacutetiennes sont

lieacutees au platonisme Dans cette partie nous allons eacutetudier comment ces sujets platoniciens ont pu

arriver jusqursquoau XIIe siegravecle

131

CHAPITRE V

Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu

Dans la conclusion du chapitre III nous avons deacutefini une seacuterie de questions qui peuvent ecirctre

poseacutees au sujet du De unitate Les questions pertinentes pour cette partie de notre recherche sont

- Est-ce que la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute qui se multiplie en descendant du haut vers le bas

comme dans les systegravemes neacuteoplatoniciens 385

- Est-ce qursquoAchard affirme lrsquoexistence de niveaux meacutetaphysiques qualitativement diffeacuterents

(le haut et le bas) dont le plus haut est le meilleur

- Comment la multipliciteacute est-elle possible en Dieu (dans la Triniteacute)

Nous allons eacutetudier les penseurs tardo-antiques et victorins dans la mesure ougrave ils fournissent les

eacuteleacutements qui aideront Achard agrave reacutepondre agrave ces questions

V1 Les sources de la doctrine trinitaire du De unitate

Achard deacutefinit la Triniteacute en tant qursquoUniteacute Egal et lrsquoEgaliteacute Dans ce chapitre nous allons

eacutetudier lrsquoorigine de cette deacutefinition

La principale question trinitaire est comment ces trois personnes peuvent-elles ecirctre une

substance divine Pour reacutepondre agrave cette question Achard emploie les notions drsquouniteacute de

participation et drsquoexistence Ces notions ont eacuteteacute largement utiliseacutees dans la philosophie

neacuteoplatonicienne grecque Dans ce chapitre nous allons rechercher lrsquoorigine latine de ces notions

chez Augustin Boegravece et Erigegravene

V11 Augustin en tant que source du discours trinitaire du XIIe siegravecle

Lrsquoinfluence drsquoAugustin sur les penseurs du XIIe siegravecle est particuliegraverement visible dans le

domaine de la theacuteologie trinitaire Ses œuvres sont agrave lrsquoorigine des explications suivantes de la

Triniteacute

- analogie psychologique (Augustin De Trinitate) ndash les vestiges et les images de la Triniteacute

sont dans le monde (amans amatus amor VIII X 14 res visio intentio XI II 2 etc) et surtout

385 Voir P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 7

132

dans la personne humaine (mens notitia amor IX IV 4 memoria scientia voluntas XII XV

25)386

- matheacutematique (Augustin De doctrina christiana I V) ndash laquo Dans le Pegravere est lrsquouniteacute dans le

Fils lrsquoEgaliteacute dans le Saint-Esprit lrsquoharmonie entre lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute Et ces trois sont tous un agrave

cause du Pegravere tous eacutegaux agrave cause du Fils tous eacutetroitement lieacutes agrave cause du Saint-Esprit387 raquo Thierry

de Chartres le partisan principal de cette solution lrsquoappelle laquo matheacutematique raquo (Lectiones in Boethii

librum De Trinitate VII 5 Glosa super Boecii librum De Trinitate V 17 388 Commentum super

Arithmeticam Boethii I XXXII389)

- logique (Augustin De Trinitate V IV 5-V 6 et VIII 9) ndash il est possible drsquoaffirmer la

pluraliteacute des trois personnes gracircce agrave lrsquoapplication de la cateacutegorie de la relation (ad aliud ou

relativum) agrave Dieu Dans son analyse de la praedicatio in divinis chez Augustin Alain de Libera

conclut qursquoil existe deux sortes de preacutedication chez Augustin ad se et ad aliud La cateacutegorie de

relation est la seule cateacutegorie qui est preacutediqueacutee ad aliud ndash drsquoun autre objet390 Le Fils est dit laquo Fils raquo

par rapport au Pegravere et vice versa391 et le Saint-Esprit est dit laquo Saint-Esprit raquo relativement au Fils et

au Pegravere392 Ces trois personnes partagent pourtant la mecircme substance Ainsi la relation existe entre

les personnes comme entre trois objets distincts mais elle concerne Dieu unique Le deacutefaut de cette

solution est qursquoelle explique comment les personnes sont unes et multiples en mecircme temps mais

elle nrsquoexplique pas pourquoi elles sont trois

386 Cf P AGAEumlSSE J MOINGT laquo Notes compleacutementaires 13 Les images de la Triniteacute raquo dans AUGUSTIN La Triniteacute (livre VIII-XV) t II Les images trad et notes P AGAEumlSSE et J MOINGT Paris 1955 (BA t 16) p 586-588 Voir eacutegalement dans CHR TROTTMANN laquo La triniteacute et la sagesse contemplation philosophique et gueacuterison mystique raquo dans Quaestio t 6 Augustin et la tradition augustinienne 2006 p 39-41 387laquo In Patre unitas in Filio aequalitas in Spiritu sancto unitatis aequalitatis que concordia et tria haec unum omnia propter Patrem aequalia omnia propter Filium conexa omnia propter Spiritum sanctum raquo AUGUSTIN De doctrina christiana I V 5 eacuted J MARTIN introd et trad drsquoI BOCHET et G MADEC Paris 1997 p 82-83 (BA t 112) Cette doctrine resseble agrave celle de Plotin qui distingue laquo celui qui pense raquo et laquo celui qui est penseacute raquo agrave lrsquointeacuterieur du principe premiegravere (En V 617-9) E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 112 David Albertson signale que cette triade peut provenir de la doctrine drsquoun penseur pythagoricien Moderatus de Gadegraves Elle est transmise par Porphyre dans la Vita Pythagorae 49 Voir D ALBERTSON laquo Achard of St Victor (d 1171) and the Eclipse of the Arithmetic Model of the Trinity raquo Traditio t 67 2012 p 101 388 Voir lrsquoeacutedition THIERRY DE CHARTRES The Commentaries on Boethius by Thierry of Chartres and his school ed N M HAumlRING Toronto 1971 (Studies and Texts 20) p 224 et 297 389 THIERRY DE CHARTRES The Commentaries on the De Arithmetica of Boethius ed I CAIAZZO Toronto 2015 (Studies and Texts 191) p 146-147 lignes 1220-1241 Cf I CAIAZZO laquo Introduction Unitas and Aequalitas raquo ibid p 50-57 390 A DE LIBERA laquo Lrsquoonto-theacuteo-logique de Boegravece Doctrine des cateacutegories et theacuteorie de la preacutedication dans le De Trinitate raquo dans Les Cateacutegories et leur histoire Paris 2005 p 194 391 laquo Sed quia et pater non dicitur pater nisi ex eo quod est ei filius et filius non dicitur nisi ex eo quod habet patrem non secundum substantiam haec dicuntur quia non quisque eorum ad se ipsum sed ad inuicem atque ad alterutrum ista dicuntur neque secundum accidens quia et quod dicitur pater et quod dicitur filius aeternum atque incommutabile est eis Quamobrem quamuis diuersum sit patrem esse et filium esse non est tamen diuersa substantia quia hoc non secundum substantiam dicuntur sed secundum relatiuum quod tamen relatiuum non est accidens quia non est mutabile raquo AUGUSTIN De Trinitate V V 6 eacuted MOUNTAIN GLORIE Turnhout 1968 (CCSL L-LA) p 210-211 392 laquo Sed tamen ille spiritus sanctus qui non trinitas sed in trinitate intellegitur in eo quod proprie dicitur spiritus sanctus relatiue dicitur cum et ad patrem et ad filium refertur quia spiritus sanctus et patris et filii spiritus est raquo AUGUSTIN De Trinitate V XI 12 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 219 Cf P THOM The Logic of the Trinity Augustine to Ockham New York 2012 p 38-39

133

Au XIIe siegravecle une partie de la doctrine de lrsquoanalogie lrsquoexplication des personnes en tant

qursquoamans amatus amor a eacuteteacute reprise par Richard de Saint-Victor393 Bien que cette doctrine soit

centrale pour Augustin les autres solutions qursquoil deacutecrit briegravevement ont eacutegalement eacuteteacute utiliseacutees

En outre la doctrine de lrsquoanalogie drsquoAugustin inspire la doctrine appeleacutee laquo appropriations

trinitaires raquo Cette doctrine a eacuteteacute deacuteveloppeacutee par Hugues de Saint-Victor et par Abeacutelard La triade

potentia sapientia et benignitas deacutesigne chez Abeacutelard les trois personnes Chacun de ces noms se

rapporte agrave la Triniteacute entiegravere et en mecircme temps elles expriment une personne concregravete394 Chez

Hugues la triade sort du cadre de la theacuteologie trinitaire Elle explique eacutegalement la structure de

lrsquoacircme humaine et de la creacuteature entiegravere395

Lrsquoexplication arithmeacutetique domine dans les commentaires sur les Traiteacutes theacuteologiques de

Boegravece attribueacutees agrave Thierry de Chartres396 En suivant Augustin il nomme les trois personnes

lrsquoUniteacute lrsquoEgaliteacute et la Connexion et explique leur procession en utilisant les termes du De

arithmetica de Boegravece Cette formule dans le contexte matheacutematique a eacuteteacute employeacutee aussi par

lrsquoeacutetudiant de Thierry Clarembaud drsquoArras397 puis par Alain de Lille398

Lrsquoexplication logique a eacuteteacute reprise par Boegravece (De Trinitate V) De cette maniegravere elle est

conserveacutee au XIIe siegravecle dans les nombreux commentaires sur les Traiteacutes theacuteologiques de Boegravece

parmi lesquels ceux de Thierry de Chartres et de Gilbert de Poitiers Mecircme si lrsquoexplication logique

nrsquoeacutetait pas le plus utiliseacutee agrave lrsquoeacutepoque elle eacutetait connue

393 P GEMEINHARDT laquo Logic Tradition and Eucumenics Latin Developments of Trinitarian Theology between c 1075 and c 1160 raquo dans Trinitarian theology in the Medieval West ed P KAumlRKKAumlINEN Helsink 2007 p 49-51 394Cf D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 283-314 G ALLEGRO laquo Lrsquoanalogia nei trattati trinitari di Pietro Abelardo raquo dans Knowledge and the Sciences in Medieval Philosophy ed S KNUUTTILA R TYOumlRINOJA S EBBESEN t III Helsinki 1990 p 317-324 M PERKAMS laquo The Trinity and the Human Mind Analogies in Augustine and Peter Abelard raquo dans Intellect et imagination dans la philosophie meacutedieacutevale actes du XIe Congregraves international de philosophie meacutedieacutevale de la Socieacuteteacute internationale pour lrsquoeacutetude de la philosophie meacutedieacutevale SIEPM Porto du 26 au 31 aoucirct 2002 eacuted J MEIRINHOS et M C PACHECO Turnhout 2006 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale XI) 907-911 395 Cf D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 215-343 396 ED JEAUNEAU laquo Matheacutematique et Triniteacute chez Thierry de Chartresraquo dans laquo Lectio philosophorum raquo Recherches sur lrsquoEcole de Chartres Amsterdam 1973 p 93-99 397 CLAREMBAUD DrsquoARRAS Tractatus super librum Boetii De Trinitate eacuted N M HARING Life and works of Clarembald of Arras a twelfth-century master of the School of Chartres Toronto 1965 (Studies and Texts 10) p 120-2 398 CHR TROTTMANN laquo Unitas Aequalitas Connexio Alain de Lille dans la tradition des analogies trinitaires arithmeacutetiques raquo dans Alain de Lille le docteur universel philosophie theacuteologie et litteacuterature au XIIe siegravecle actes du XIIe Colloque international de la Socieacuteteacute internationale pour lrsquoeacutetude de la philosophie meacutedieacutevale Paris 23-25 octobre 2003 eacuted J-L SOLERE A VASILU et AGALONNIER Turnhout 2005 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale XII) p 401-427

134

V12 Lrsquouniteacute et la participation chez Augustin

Dans le neacuteoplatonisme le principe premier lrsquoUn permet agrave tout ce qui existe drsquoecirctre uni399

De cette maniegravere ce principe premier soutient lrsquounivers Ensuite les heacutenades causent directement le

changement dans le monde

Pour Augustin lrsquouniteacute deacutesigne drsquoabord lrsquouniteacute de la substance divine et jamais le principe

supeacuterieur ni la personne seule Augustin deacutecrit la relation entre lrsquouniteacute infeacuterieure (dans le monde) et

supeacuterieure (en Dieu) Voyons le De vera religione (XXXVI 66)400

laquo Les corps nous trompent dans la mesure ougrave ils ne reacutealisent pas pleinement lrsquouniteacute qui on

lrsquoa vu est leur modegravele le principe par quoi tout ecirctre est un Srsquoil nous est naturel de trouver

bien tout ce qui tend agrave lui ressembler crsquoest qursquoil nous est naturel de trouver mal tout ce qui

srsquoeacutecarte de lrsquouniteacute et tend agrave ne plus lui ressembler Degraves lors on comprendra qursquoil existe une

reacutealiteacute tellement semblable agrave cette uniteacute unique principe drsquouniteacute pour tout ce qui est tant soit

peu un qursquoelle lrsquoaccomplit parfaitement tout comme si elle lui eacutetait identique et crsquoest la

Veacuteriteacute le Verbe qui est au commencement le Verbe-Dieu en Dieu [] Tous les autres ecirctres

peuvent ecirctre dit semblables agrave cette uniteacute dans la mesure ougrave ils sont car dans cette mecircme

mesure ils sont vrais401 raquo

Les deux uniteacutes deacutecrites dans ce passage sont lieacutees en tant que modegravele et copie Lrsquouniteacute en

Dieu ressemble parfaitement agrave son Verbe et agrave sa Veacuteriteacute et elle est le prototype de lrsquouniteacute dans les

corps Lrsquouniteacute est comprise en tant que qualiteacute Lrsquouniteacute dans le monde est imparfaite elle imite

lrsquouniteacute parfaite en Dieu agrave travers le principe de similitude La similitude et la dissimilitude existent

399 Chez Plotin E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 132 Proclus ne parle pas de lrsquoUn transcendental mais des heacutenades unis C STEEL laquo Neoplatonic versus Stoic causality the case of the sustaining cause (laquosunektikonraquo) raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 90400 Le passage eacutevoqueacute en tant qursquoune source possible par Martineau (ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 71 note 2 au ch I 1 etc) mais aussi par Stephen Gersh en tant qursquoun lien entre les neacuteoplatonismes grecque et latin (S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 124-125) 400 Le passage eacutevoqueacute en tant qursquoune source possible par Martineau (ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 71 note 2 au ch I 1 etc) mais aussi par Stephen Gersh en tant qursquoun lien entre les neacuteoplatonismes grecque et latin (S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 124-125) 401 laquo At si corpora in tantum fallunt in quantum non implent illud unum quod conuincuntur imitari a quo principio unum est quidquid est ad cuius similitudinem quidquid nititur naturaliter approbamus - quia naturaliter improbamus quidquid ab unitate discedit atque in eius dissimilitudinem tendit - datur intellegi esse aliquid quod illius unius solius a quo principio unum est quidquid aliquo modo unum est ita simile sit ut hoc omnino impleat ac sit id ipsum et haec est ueritas et uerbum in principio et uerbum deus apud deum [] Cetera illius unius similia dici possunt in quantum sunt in tantum enim et uera sunt haec autem ipsa eius similitudo et ideo ueritas raquo AUGUSTIN De vera religione XXXVI 66 eacuted KD DAUR Turnhout 1962 (CCSL 32) p 230-231 trad AUGUSTIN La vraie religion dans AUGUSTIN Opuscules trad et notes J PEGON Paris 1951 (BA t 8) p 121

135

entre les corps qui sont bons agrave cause de la premiegravere et mauvais agrave cause de la deuxiegraveme En Dieu

seulement la similitude parfaite existe

Ce passage confirme que chez Augustin lrsquouniteacute est en Dieu et dans le monde agrave travers la

similitude Augustin nrsquoaccepte pas la procession directe de lrsquouniteacute dans le monde agrave partir de

Dieu402 Il situe Dieu au-delagrave des creacuteatures ndash Dieu est immuable et eacuteternel tandis que les creacuteatures

ne le sont pas (De doctrina christiana I VII 7-VIII 8) De cette faccedilon Augustin distingue deux

niveaux dans les ecirctres en Dieu et au-dehors de Dieu

Par conseacutequent Augustin reacutepegravete le postulat du neacuteoplatonisme grec agrave savoir que lrsquoUn est

important pour lrsquoexistence des uniteacutes dans le monde LrsquoUn pour lui est la qualiteacute qui est parfaite et

pleine en Dieu imparfaite et partielle dans les creacuteatures Il est une sorte de cause exemplaire En

eacutetant la qualiteacute lrsquouniteacute soutient les objets uns dans le monde

V13 La preacutedication logique selon Aristote et Boegravece

La preacutedication est une doctrine exposeacutee par Aristote dans les Cateacutegories 1a 20ndash1b8 Le

nom laquo preacutedication raquo est donneacute agrave cette doctrine plus tard par Boegravece Au cours du deacuteveloppement de

la penseacutee logique platonicienne la doctrine de la preacutedication est exposeacutee dans les termes de la

participation En reacutealiteacute ces notions deacutesignent la deacutependance mutuelle des deux entiteacutes La

participation dans le platonisme est la relation ontologique entre deux ecirctres La preacutedication dans

lrsquoaristoteacutelisme est une relation logique entre deux concepts Dans lrsquohistoire de la philosophie

meacutedieacutevale qui contient des eacuteleacutements de lrsquoaristoteacutelisme et du platonisme les deux doctrines se

superposent souvent

La doctrine de preacutedication provient du Commentaire de Boegravece aux Cateacutegories Rappelons la

division exposeacutee dans les Cateacutegories 1a 20ndash1b8

ne pas etre dit drsquoun sujet etre dit drsquoun sujet

ne pas etre dans le sujet substance particuliere

(un homme)

substance universelle

(lrsquohomme)

etre dans le sujet accident particulier

(un blanc)

accident universel

(la blancheur) 403

402 Une telle provenance signifierait lrsquouniteacute ontologique entre le monde et Dieu et megravenerait au pantheacuteisme 403laquo Quocirca tot erunt etiam sermones qui ista significent et haec est maxima diuisio cui ultra nihil possit adiungi paruissima uero est quae fit in quattuor in substantiam et accidens et uniuersale et particulare Omnis enim res aut substantia est aut accidens aut uniuersalis aut particularis raquo BOECE In Categorias Aristotelis Commentaria PL 64 169CD Cf J MARENBON The philosophy of Peter Abelard Cambridge 1997 p 101-103

136

Les substances particuliegraveres (individuelles) sont la base de la meacutetaphysique drsquoAristote Les

autres eacuteleacutements existent en elles (Cateacutegories 2b5-7) La preacutedication est la relation entre le sujet et

le preacutedicat Pour Aristote le sujet a toujours moins drsquoextension que le preacutedicat (soit le sujet est

particulier et le preacutedicat est universel espegravece ou genre soit le sujet est une espegravece et le preacutedicat un

genre)

La preacutedication deacutesigne les deux types de relation intra- et extra-cateacutegorielle La relation

intra-cateacutegorielle ou intrinsegraveque a lieu quand le sujet et le preacutedicat appartiennent agrave la mecircme

cateacutegorie par exemple laquo un certain homme est un homme raquo ou laquo un certain blanc est une

blancheur raquo La relation extra-cateacutegorielle ou extrinsegraveque a lieu quand le sujet et le preacutedicat

appartiennent agrave des cateacutegories diffeacuterentes par exemple laquo un certain homme est blanc raquo ou

laquo lrsquohomme est blanc raquo

Une autre modification apporteacutee par les neacuteoplatoniciens est la possibiliteacute drsquoutiliser lrsquoaccident

universel en tant que sujet404 Cela permet drsquohypostasier le preacutedicat (affirmer que lrsquoaccident

universel est une substance par exemple la blancheur)

V14 La preacutedication logique en Dieu chez Augustin

Voyons drsquoabord comment Augustin utilise la doctrine de la preacutedication (qursquoil srsquoappelle la

participation) Prenons comme exemple des notions qui seront utiliseacutees plus tard par Achard ndash la

blancheur et la sagesse

laquo Crsquoest une absurditeacute de preacutetendre que la blancheur nrsquoest pas blanche Il est aussi absurde de

preacutetendre que la sagesse nrsquoest pas sage La blancheur est blanche de faccedilon absolue

pareillement la sagesse est-elle sage de faccedilon absolue (1) Seulement la blancheur mateacuterielle

nrsquoest pas une essence Crsquoest le corps qui est lrsquoessence tandis que la blancheur en est la

qualiteacute Aussi bien est-ce agrave la blancheur que le corps doit sa qualification de blanc car pour

lui ecirctre ce nrsquoest pas ecirctre blanc [hellip] (2) La sagesse au contraire est sage mais sage par elle-

mecircme et comme toute acircme nrsquoest sage que par participation agrave la sagesse si elle revient agrave ses

folies la sagesse nrsquoen demeure pas moins en soi et lorsque lrsquoacircme change dans le sens de la

sottise la sagesse ne change pas Il nrsquoen va pas pour celui qursquoelle fait sage comme de la

blancheur dans le corps qursquoelle fait blanc Lorsque le corps passe drsquoune couleur agrave une autre

la premiegravere couleur ne demeure pas mais disparaicirct complegravetement405 raquo De Trinitate (VII I

2)

404 A CH LLOYD The anatomy of neoplatonism Oxford 1990 chapitre 3 surtout p 93-95 405 laquo Sicut autem absurdum est dicere candidum non esse candorem sic absurdum est dicere sapientem non esse sapientiam et sicut candor ad se ipsum candidus dicitur ita et sapientia ad se ipsam dicitur sapiens sed candor corporis

137

Dans ce passage Augustin deacutecrit deux cas diffeacuterents de la preacutedication Dans le premier cas

il srsquoagit drsquoune preacutedication extra-cateacutegorielle (laquo le corps est blanc raquo ou laquo le corps est la blancheur raquo)

dans le deuxiegraveme drsquoune preacutedication intra-cateacutegorielle (laquo la blancheur est blanche raquo et laquo la sagesse

est sage raquo)406 Augustin appelle cette sorte de preacutedication laquo participation raquo

Dans le passage suivant Augustin compare la preacutedication des qualiteacutes des choses et des

qualiteacutes de Dieu (De Trinitate V X 11)

laquo Nous ne disons donc pas lsquotrois essencesrsquo De mecircme ne disons-nous pas trois grandeurs

ni lsquotrois grandsrsquo Dans les choses qui sont grandes par participation agrave la grandeur et pour

lesquelles ecirctre grandes nrsquoest pas la mecircme chose par exemple une grande maison une

grande montagne un grand esprit dans ces choses-lagrave la grandeur est une chose et ce que la

grandeur rend grande est une autre chose Une grande maison nrsquoest eacutevidemment pas la

grandeur Mais celle-lagrave est la vraie grandeur qui non seulement rend grande une maison qui

est grande grande une montagne qui et grande mais aussi qui donne de la grandeur agrave tout ce

qui est grand en sorte que la grandeur soit une chose et autre chose ce qui lui doit le

qualificatif de grande Cette grandeur-lagrave est grande ordinairement et supeacuterieure de loin agrave ce

qui nrsquoest grand que participativement agrave elle

Dieu nrsquoest pas grand drsquoune grandeur qui soit autre chose que lui-mecircme comme si Dieu y

participait pour ecirctre grand Autrement cette grandeur serait plus grande que Dieu Or il nrsquoy a

rien de plus grand que Dieu Par conseacutequent Dieu est grand drsquoune grandeur qui fait de lui la

grandeur mecircme Ainsi comme nous ne disons pas lsquotrois essencesrsquo non plus lsquotrois

grandeursrsquo car pour Dieu ecirctre crsquoest ecirctre grand Pour la mecircme raison nous ne parlons pas de

lsquotrois grandsrsquo mais lsquodrsquoun seul grandrsquo puisque Dieu nrsquoest pas grand par participation agrave la

grandeur mais il est grand en eacutetant lui-mecircme grand eacutetant lui-mecircme la grandeur407 raquo

non est essentia quoniam ipsum corpus essentia est et illa eius qualitas unde et ab ea dicitur candidum corpus cui non hoc est esse quod candidum esse [hellip] sapientia uero et sapiens est et se ipsa sapiens est et quoniam quaecumque anima participatione sapientiae fit sapiens si rursus desipiat manet tamen in se sapientia nec cum fuerit anima in stultitiam commutata illa mutatur non ita est in eo qui ex ea fit sapiens quemadmodum candor in corpore quod ex illo candidum est cum enim corpus in alium colorem fuerit commutatum non manebit candor ille atque omnino esse desinetraquo AUGUSTIN De Trinitate VII I 2 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 248 trad AUGUSTIN La Triniteacute (livre I-VII) t I Le mystegravere trad et notes M MELLET TH CAMELOT Paris 1955 (BA t 15) p 513 406 Une analyse des types de preacutedication dans le De Trinitate drsquoAugustin a eacuteteacute deacutejagrave faite par Peter King Il distingue la preacutedication substantielle (laquo Socrate est homme raquo ce que nous appelons la preacutedication intra-cateacutegorielle agrave lrsquointeacuterieur de la cateacutegorie de la substance) et accidentelle (laquo Socrate est sage raquo la preacutedication extra-cateacutegorielle entre la substance et lrsquoaccident particulier) Il remarque eacutegalement que dans les propositions attributives agrave propos de Dieu (laquo Dieu est bon raquo) la qualiteacute exprimeacutee agrave travers le preacutedicat (bon ndash bonteacute) nrsquoest pas quelque chose meacutetaphysiquement diffegraverent de Dieu Cependant le sujet principal de sa recherche est les propositions relatives agrave propos de Dieu (laquo Pegravere est Fils raquo) Voir P KING laquo The semantics of Augustinersquos Trinitarian Analysis in De Trinitate 5-7raquo dans Le De Trinitate de Saint Augustin Exeacutegegravese logique noeacutetique eacuted E BERMON et G OrsquoDALY Paris 2012 p 126-134 407 laquo Sicut ergo non dicimus tres essentias ita non dicimus tres magnitudines neque tres magnos In rebus enim quae participatione magnitudinis magnae sunt quibus aliud est esse aliud magnas esse sicut magna domus et magnus mons et

138

La grandeur (magnitudo) est un accident universel auxquelles les creacuteatures (maison

montagne esprit) participent aux agrave travers la preacutedication extra-cateacutegorielle Dans ce cas le sujet

(maison montagne esprit) et le preacutedicat sont deux objets diffeacuterents Dans le cas de la preacutedication

laquo Dieu est grand raquo Dieu est la grandeur et il srsquoagit ainsi drsquoune preacutedication intra-cateacutegorielle laquo la

grandeur est grande raquo Par conseacutequent la preacutedication de Dieu est diffeacuterente de celle de choses La

conseacutequence suppleacutementaire de cet argument est le fait que les deux grandeurs ne peuvent coexister

au sein de Dieu car lrsquoexistence de deux accidents universaux identiques nrsquoest pas compatible avec

la deacutefinition mecircme de lrsquoaccident universel (qualiteacute unique qui deacutecrit les qualiteacutes de plusieurs

objets)

Plus tard Augustin deacuteveloppe ce sujet (De Trinitate XV V 8)

laquo Si donc nous disons que Dieu est eacuteternel immortel incorruptible immuable vivant sage

puissant beau juste bon heureux esprit on pourrait croire que de tous ces termes le

dernier seul deacutesigne la substance les autres ne deacutesignant que des qualiteacutes de la substance

mais il nrsquoen est pas ainsi dans cette nature ineffable et simple Tout ce qui y semble affirmeacute

agrave titre de qualiteacute doit ecirctre compris de la substance ou de lrsquoessence408 raquo

De cette maniegravere Augustin accepte que les qualiteacutes soient en Dieu en tant que substance

unique de Dieu Dieu est la grandeur la sagesse la bonteacute etc Ainsi la preacutedication laquo Dieu est

sage raquo est formellement extra-cateacutegorielle mais ontologiquement intra-cateacutegorielle parce que la

Sagesse et Dieu sont de la mecircme substance409 Pour la mecircme raison la preacutedication laquo la sagesse est

magnus animus in his ergo rebus aliud est magnitudo aliud quod ab ea magnitudine magnum est et prorsus non hoc est magnitudo quod est magna domus Sed illa est uera magnitudo qua non solum magna est domus quae magna est et qua magnus est mons quisquis magnus est sed etiam qua magnum est quidquid aliud magnum dicitur ut aliud sit ipsa magnitudo aliud ea quae ab illa magna dicuntur Quae magnitudo utique primitus magna est multoque excellentius quam ea quae participatione eius magna sunt Deus autem quia non ea magnitudine magnus est quae non est quod ipse ut quasi particeps eius sit deus cum magnus est (alioquin illa erit maior magnitudo quam deus deo autem non est aliquid maius) ea igitur magnitudine magnus est qua ipse est eadem magnitudo Et ideo sicut non dicimus tres essentias sic nec tres magnitudines hoc est enim deo esse quod est magnum esse Eadem causa nec magnos tres dicimus sed unum magnum quia non participatione magnitudinis deus magnus est sed se ipso magno magnus est quia ipse sua est magnitudo raquo AUGUSTIN De Trinitate V X 11 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 217-216 trad M MELLET TH CAMELOT p 449-451 408 laquo Proinde si dicamus aeternus immortalis incorruptibilis immutabilis uiuus sapiens potens speciosus iustus bonus beatus spiritus horum omnium nouissimum quod posui quasi tantummodo uidetur significare substantiam cetera uero huius substantiae qualitates sed non ita est in illa ineffabili simplici que natura quidquid enim secundum qualitates illic dici uidetur secundum substantiam uel essentiam est intellegendum raquo AUGUSTIN De Trinitate XV V 8 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 470 trad P AGAEumlSSE et J MOINGT p 439 409 Voir agrave ce propos Louisa Valente laquo Dans les choses creacuteeacutees la qualiteacute et la quantiteacute expriment des attributs qui ne coiumlncident pas avec lrsquoecirctre des choses mecircmes en elles lrsquoecirctre grand et lrsquoecirctre bon nrsquoest pas identique avec leur ecirctre tout court mais deacuterivent de leur participation agrave la grandeur et agrave la bonteacute qui est telle par le fait mecircme drsquoecirctre agrave savoir Dieu Chez Dieu au contraire ecirctre grand et ecirctre bon sont une uniteacute inseacuteparable Dieu nrsquoest pas bon par participation mais il est la bonteacute par participation agrave laquelle les choses creacuteeacutees sont bonnes et la grandeur par participation agrave laquelle les

139

la grandeur raquo serait ontologiquement intra-cateacutegorielle en Dieu410 Paul Tom appelle ces techniques

lrsquointeacutegration verticale (laquo Dieu est sage raquo) et horizontale (laquo la sagesse de Dieu est la grandeur de

Dieu raquo)411

Augustin utilise ces arguments pour deacutemontrer la simpliciteacute de Dieu412 mais non la pluraliteacute

des personnes Drsquoapregraves Augustin la creacuteation (creatura) est plurielle et nrsquoest pas simple (les choses

et les acircmes consistent en composants qui changent) tandis que Dieu est agrave la fois pluriel et simple

(De Trinitate VI VI 8)413

V15 La participation chez Erigegravene

Nous avons deacutejagrave dit que la notion de participation figure dans la logique platonicienne Elle

est employeacutee eacutegalement en un sens plus large dans sa meacutetaphysique Dans la vision du monde

neacuteoplatonicienne Dieu et les creacuteatures sont des entiteacutes dont les secondes participent aux premiers

Dans la theacuteologie chreacutetienne cette thegravese se manifeste dans la doctrine de la ressemblance et de la

dissemblance entre Dieu et les creacuteatures414 Voyons deacutesormais comment la notion de participation

est employeacutee par un auteur qui adopte explicitement la vision hieacuterarchique du monde

La participation apparaicirct dans le Periphyseon drsquoErigegravene (II) Drsquoapregraves lui tout ce qui existe

participe aux causes primordiales

laquo Crsquoest drsquoapregraves ces causes primordiales qursquoa eacuteteacute confectionneacute lrsquoordre seacuteriel de toutes les

creacuteatures du haut en bas de lrsquoeacutechelle crsquoest-agrave-dire depuis la creacuteature intellectuelle qui venant

aussitocirct apregraves Dieu correspond agrave la creacuteature la plus proche de Dieu jusqursquoagrave la derniegravere

classe de toutes les creacuteatures qui correspondent agrave la classe des corps Car toutes les

creacuteatures bonnes sont bonnes par leur participation au Bien en soi toutes les creacuteatures qui

subsistent en tant qursquoessences et que substances subsistent par leur participation agrave lrsquoessence

en soi [hellip] Car on ne saurait trouver dans la nature des creacuteatures aucune proprieacuteteacute geacuteneacuterale

choses creacuteeacutees sont grandes raquo L VALENTE Logique et theacuteologie Les eacutecoles parisiennes entre 1150 et 1220 Paris 2008 p 99 410Cf laquo Deus uero multipliciter quidem dicitur magnus bonus sapiens beatus uerus et quidquid aliud non indigne dici uidetur sed eadem magnitudo eius est quae sapientia (non enim mole magnus est sed uirtute) et eadem bonitas quae sapientia et magnitudo et eadem ueritas quae illa omnia et non est ibi aliud beatum esse et aliud magnum aut sapientem aut uerum aut bonum esse aut omnino ipsum esse raquo AUGUSTIN De Trinitate VI VII 8 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 237 411 P THOM The Logic of the Trinity Augustine to Ockham New York 2012 p 28 412 Ibid p 27-28 413 laquo Si autem quaeritur quomodo simplex et multiplex sit illa substantia animaduertenda est primo creatura quare sit multiplex nullo autem modo uere simplex et prius corpus uniuersum utique partibus constat ita ut sit ibi alia pars maior alia minor et maius sit uniuersum quam pars quaelibet aut quantalibet raquo AUGUSTIN De Trinitate VI VI 8 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 236 414 R JAVELET Image et ressemblance au douziegraveme siegravecle de Saint Anselme agrave Alain de Lille vol 1 Paris 1967 p 142-143

140

ou particuliegravere qui ne procegravede des causes primordiales par une participation ineffable agrave ces

causes primordiales415raquo

Ainsi les ecirctres sont organiseacutes selon un ordre vertical Les proprieacuteteacutes des ecirctres qui sont en

bas procegravedent agrave partir des causes primordiales qui sont en haut de lrsquoeacutechelle Dans ce passage

Erigegravene ne fait pas de distinction entre les substances et les accidents au sens aristoteacutelico-boeacutecien

les substances participent agrave lrsquoEssence en soi de la mecircme maniegravere que les creacuteatures sages participent

agrave la Sagesse en soi De cette faccedilon il utilise la notion platonicienne de participation

Dans le livre IV du Periphyseon Erigegravene parle de la preacutedication en Dieu Il dit que certaines

qualiteacutes (bonteacute eacuteterniteacute puissance) sont preacutediqueacutees de Dieu et des creacuteatures de maniegraveres

diffeacuterentes

laquo Mais toutes les autres proprieacuteteacutes que lrsquoon preacutedique de Dieu peuvent eacutegalement ecirctre

preacutediqueacutees de son image mais elles sont preacutediqueacutees de Dieu par essence alors qursquoelles sont

preacutediqueacutees de lrsquoimage par participation Car crsquoest par sa participation au souverain Bien et agrave

la souveraine Bonteacute dont elle constitue lrsquoimage que lrsquoimage de Dieu est agrave la fois bonteacute en

soi et lrsquoimage bonne416 raquo

Dieu est le modegravele et les creacuteatures sont son image Dieu a par nature ce que lrsquoimage a par

gracircce Les qualiteacutes sont preacutediqueacutees de Dieu de maniegravere essentielle (essentialitate) ce qui veut dire

qursquoelles sont identiques agrave Dieu Ces qualiteacutes sont des causes primordiales qui participent agrave la cause

premiegravere la Triniteacute Elles sont proches de Dieu car aucune creacuteature ne srsquointerpose entre ces causes

et le creacuteateur417 Elles ont plus en commun avec la nature de Dieu Ces mecircmes qualiteacutes sont

preacutediqueacutees des creacuteatures agrave travers la participation (participatione) Les creacuteatures participent aux

causes primordiales

415 laquo Sunt igitur primordiales causae [hellip] secundum quas ordo omnium rerum a summo usque deorsum texitur hoc est ab intellectuali creatura quae deo post deum proxima est usque ad extremum rerum omnium ordinem quo corpora continentur Quaecunque enim bona sunt participatione per se boni bona sunt et quaecunque essentialiter et substantialiter subsistunt participatione ipsius per se ipsam essentiae subsistunt [hellip] Nulla siquidem uirtus siue generalis siue specialis in natura rerum inuenitur quae a primordialibus causis ineffabili participatione non procedatraquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted E JEAUNEAU Turnhout 1997 (CCCM 162) p 125 = PL 122 616C-617A trad JEAN SCOT ERIGENE De la division de la nature (Periphyseon) t I trad F BERTIN Paris 1995 p 419 trad modifieacutee par I Lystopad 416 laquo Caetera quoque omnia quae de deo praedicantur de imagine eius praedicari posse sed de deo essentialitate de imagine uero participatione Nam et bonitas est et bona imago participatione summi boni summae que bonitatis cuius imago est raquo Ibid IV eacuted JEAUNEAU p 54 = PL 122 778AB trad F BERTIN t IV p 110 417 laquo Ipsa uero unius uniuersorum causae summae uidelicet ac sanctae trinitatis participationes sunt atque ideo per se dicuntur esse quia nulla creatura inter ipsa et unam omnium causam interposita est raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 124 = PL 122 616B

141

Ainsi Erigegravene oppose lrsquoidentiteacute en Dieu et la preacutedication dans les creacuteatures Sa doctrine est

baseacutee sur le postulat que toutes les creacuteatures participent aux causes primordiales

Nous avons eacutetudieacute les doctrines qui pouvaient ecirctre les sources directes de la doctrine

trinitaire du De unitate Les aspects diffeacuterents de la doctrine trinitaire drsquoAugustin servaient comme

source drsquoinspiration pour les penseurs du XIIe siegravecle Dans notre eacutetude nous allons montrer quelle

partie de son heacuteritage a eacuteteacute reprise par Achard de Saint-Victor

Nous avons montreacute que la doctrine de la participation des qualiteacutes peut ecirctre expliqueacutee agrave

travers la doctrine aristoteacutelico-boeacutecienne de la preacutedication Cela aide agrave comprendre les meacutecanismes

drsquoapparition des plusieurs qualiteacutes dans la Triniteacute et par conseacutequent explique la geacuteneacuteration de la

multipliciteacute en elle Augustin montre que la preacutedication des qualiteacutes en Dieu nrsquoest pas la mecircme que

dans le monde La mecircme explication est valable eacutegalement dans le cas drsquoErigegravene Selon Augustin

la preacutediction en Dieu est extra-cateacutegorielle car Dieu est identique agrave ses proprieacuteteacutes Erigegravene appelle

ce pheacutenomegravene laquo la preacutedication selon lrsquoessence raquo contrairement agrave la preacutedication selon la

participation qui a lieu dans les creacuteatures En deacutefinitive ces deux auteurs montrent que la doctrine

de la participation peut ecirctre utiliseacutee pour expliquer de maniegraveres diffeacuterentes les relations entre le

creacuteateur et des creacuteatures

V2 Lrsquouniteacute et la pluraliteacute chez Hugues et Richard de Saint-Victor

Dans ce chapitre nous allons eacutetudier la faccedilon dont Hugues et Richard traitent la question de

lrsquouniteacute et de la pluraliteacute

Dans ces eacutecrits Hugues emploie le terme unitas mais quasi jamais pluralitas Il deacutecrit les

sortes drsquouniteacutes qui existent en Dieu et dans les creacuteatures Dans le De tribus diebus XIX Hugues

pose la question comment Dieu est un et immuable Il deacutecrit les diffeacuterentes sortes drsquouniteacute418

418 laquo Sed quia unum diuersis modis accipitur considerandum est quomodo Creator rerum unus esse dicatur Nam et unum est collectione et unum compositione et unum similitudine et unum essentia et unum identitate Vnum collectione est quemadmodum cum gregem unum dicimus in quo multa sunt animalia unum compositione est quemadmodum cum corpus unum dicimus in quo multa sunt membra unum similitudine quemadmodum cum uocem unam dicimus quae a multis est prolata Sed horum omnium nihil uere unum est Secundum aliquem tamen respectum unum dicta sunt quia quodammodo ad unitatem accedunt Fas ergo non est ut existimemus creatorem rerum aut collectione diuersorum aut compositione partium aut similitudine plurium unum esse cum illud eciam quod in nobis rationale est horum omnium in semetipso nihil possit inuenire Illud enim nostrum quod partium multitudine compositum cernitur non rationale sed rationali conjunctum esse ipsa nostra ratione comprobatur Si ergo nostrum rationale uere unum est quanto magis creator eius uere unus esse credendus est Vere autem unum est quod essentialiter unum est cui totum est unum esse et simplex esse quod est Quidquid igitur uere unum est simplex est et in partes omnino aliquas separari non potest et ideo sectionem partium non admittit quia partium compositionem non recipit Creatori igitur rerum ideo uerum est esse quod est quia totum unum et simplex est esse quod est Sed adhuc considerare nos oportet quod quaedam res inueniuntur quae uere unum sunt et tamen summe unum non sunt sicut animae quae unum sunt essentialiter sed unum non sunt inuariabiliter Quod autem uere et summe unum est essentialiter et inuariabiliter unum est Restat ergo ut si Deum uere unum esse credimus utrumne eciam summe unus dici possit inquiramus Quod tunc ueraciter ostendimus si eum omnino inuariabilem esse comprobamus Sed quia scire

142

- collection ndash comme le troupeau des animaux

- composition ndash comme le corps qui a plusieurs membres

- similitude ndash comme un mot prononceacute par plusieurs personnes

- essence ndash comme les acircmes et Dieu

- identiteacute

Les trois premiegraveres sortes drsquouniteacute (collection composition et similitude) ne sont pas

preacutesentes en Dieu car elles ne sont pas propres agrave la nature rationnelle Les acircmes sont unes

essentiellement mais elles varient Dieu a une essence et il est invariable Ensuite Hugues explique

les modes des variations et pourquoi Dieu ne les subit pas Il ne parle plus de lrsquouniteacute de lrsquoidentiteacute

Dans les Sententiae de divinitate qui ont eacuteteacute eacutecrites apregraves le De tribus diebus Hugues reacutepegravete

les mecircmes sortes de lrsquouniteacute sauf lrsquoidentiteacute419

Il reprend le mecircme sujet dans le De sacramentis christianae fidei (I III XII)

laquo La raison y a donneacute son approbation et son consentement et elle a dit qursquoil est un ni par

un rassemblement drsquoeacuteleacutements diffeacuterents sinon il ferait une foule ni par une composition de

partie sinon il formerait une masse ni par une ressemblance entre des reacutealiteacutes nombreuses

sinon il apparaicirctrait une pluraliteacute superflue ou une singulariteacute incomplegravete En effet toute

uniteacute qui consiste en la seule ressemblance entre de tregraves nombreux eacuteleacutements montre ou bien

une incompleacutetude dans la partie si les eacuteleacutements pris un par un sont en deacutefaut ou bien un

redoublement superflu dans le tout si tous ensemble ils sont parfaits Et en tous ces

eacuteleacutements il nrsquoy a pas drsquouniteacute vraie mais ils imitent seulement lrsquouniteacute car drsquoune certaine

maniegravere ils srsquoen approchent mais ils ne lrsquoatteignent pas parce qursquoils ne sont pas un et que

ce qursquoils sont nrsquoest pas vraiment un mais ils srsquounissent seulement et srsquoapprochent les uns

des autres Et pour eux ecirctre ensemble et se rassembler en un point cela devient ecirctre un et

cependant ils ne sont pas vraiment un parce qursquoils ne sont pas essentiellement un et que ce

qursquoils sont nrsquoest pas un tout unique Quant agrave Dieu il est neacutecessaire qursquoil soit un et qursquoil soit

essentiellement un et qursquoil soit immuablement un et qursquoil soit suprecircmement un En effet ce

non possumus quomodo Deus inuariabilis sit nisi prius agnoscamus quot modis res quaelibet uariari possit primum nos oportet omnes mutabilitatis modos describere ac deinde per singula qualiter a Deo remoueantur ostendere raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Opera t II De tribus diebus XIX eacuted D POIREL Turhnout 2002 (CCCM 177) p 41-43 = PL 176 827AD 419 laquo Sed quia unum diuersis modis dicitur uideamus quis eorum Deo conueniat Dicitur enim unum ex collectione ut grex in quo plura sunt animalia uel unum compositione ut corpus in quo plura sunt membra uel unum similitudine ut uox istius et uox illius quia expresse similes sunt uel unum essentia ut anima que partibus caret uel unum in deitate quod scilicet non uariatur per formas raquo HUGUES DE SAINT-UICTOR Sententiae de divinitate Pars 3 eacuted PIAZZONI Studi Medievali 3e seacuterie 1982 t 232 p 951 119-125

143

qui est essentiellement un est vraiment un ce qui est immuablement un est suprecircmement

un420 raquo

Voici une reacutecapitulation de ce passage

Deus

illa unitas unus vere essentialiter immutabiliter summe

mundus

collectio diversorum

turbam faceret

compositio partium massam formaret

similitudo multorum

pluralitas superflua vel singularitas imperfecta

appareret

Dieu est un veacuteritablement essentiellement immuablement et suprecircmement Les uniteacutes dans

le monde sont en partie les mecircmes que celles qui ont eacuteteacute eacutenumeacutereacutees dans le De tribus diebus

collection composition et similitude Hugues souligne que lrsquouniteacute des creacuteatures nrsquoaccegravede pas agrave

lrsquouniteacute de Dieu Il deacutemarque clairement la frontiegravere entre Dieu et le monde

Hugues ne parle pas de pluraliteacute mais de la multitude et de la multipliciteacute des creacuteatures Il

oppose lrsquouniteacute de Dieu et la multitude des creacuteatures qui ont eacuteteacute faites par Dieu tout-puissant (De

tribus diebus II) Il distingue les choses semblables diverses et mixtes Les choses

semblables appartiennent au mecircme genre comme les genres des hommes des lions des aigles etc

Elles sont opposeacutees aux choses diverses homme lion aigle pris dans la mecircme multitude Les

choses semblables et diverses prises ensemble sont mixtes421 Ce ne sont pas trois sortes de choses

mais trois maniegraveres de ranger les choses selon les genres comme groupe des natures diffeacuterentes et

ensemble des genres diffeacuterents La similitude est le principe qui sert agrave unir les choses dans un genre

420 laquo Approbavit haec ratio et acquievit et dixit quod unus nec collectione diversorum ne turbam faceret nec compositione partium ne massam formaret nec similitudine multorum ne pluralitas superflua vel singularitas imperfecta appareret Omnis enim unitas in similitudine sola consistens plurimorum aut imperfectionem ostendit in parte si minus habent singula aut superfluam geminationem in toto si perfecta sunt universa Et non est in his omnibus unitas vera sed aemulantur solum haec unitatem quia quodammodo appropinquant ei sed non contingunt ad illam quoniam unum non est et quod sunt vere unum non sunt sed uniuntur tantum et accedunt ad se Et fit illis simul esse et convenire in unum unum esse Nec tamen unum vere sunt quoniam essentialiter non sunt nec est unum totum quod sunt Deum autem unum oportet esse et essentialiter unum esse et immutabiliter unum esse et summe unum esse Quod enim essentialiter unum est vere unum est quood immutabiliter unum est summe unum est raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis Christianae fidei I III XII eacuted PL t 176 220C trad D POIREL 421 laquo Quae sunt similia Quae sub eodem genere continentur ut homo unus et alter leo unus et alter aquila una et altera honoruscopa una et altera Haec singula et caetera talia in suis generibus similia sunt Quae sunt diuersa Quae dissimilibus differentiis informantur ut homo et leo leo et aquila aquila et honoruscopa Haec inuicem diuersa sunt Quae sunt permixta Omnia simul considerataraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus II eacuted POIREL p 7 = PL 176 813BС

144

De cette faccedilon Hugues deacutecrit de maniegravere deacutetailleacutee lrsquouniteacute et la pluraliteacute dans les creacuteatures Il

souligne que lrsquouniteacute de Dieu est diffeacuterente de lrsquouniteacute des creacuteatures Lrsquoune ne provient pas de lrsquoautre

La multitude et la multipliciteacute des creacuteatures nrsquoaffectent pas la nature de Dieu

Dans le De tribus personis appropriatis Richard reprend la formule augustinienne Unitas

Aequalitas et Concordia Il explique pourquoi chaque personne correspond agrave une de ces

appropriations Il dit que le Pegravere est lrsquouniteacute car il est agrave lrsquoorigine des autres personnes Voici ce qursquoil

dit agrave propos de la deuxiegraveme personne

laquo De cette faccedilon voici lrsquouniteacute dans le Pegravere Cherchons comment lrsquoeacutegaliteacute est dans le Fils Il

est sucircr que lagrave ougrave il nrsquoexiste pas de pluraliteacute lrsquoeacutegaliteacute ne peut ecirctre dite ou intelligeacutee

correctement Rien ne peut ecirctre correctement dit semblable agrave soi-mecircme aussi bien que non

eacutegal Par conseacutequent lagrave ougrave il apparaicirct la premiegravere pluraliteacute il faut chercher et lrsquoeacutegaliteacute422 raquo

Ainsi la pluraliteacute apparaicirct dans la Triniteacute avec la deuxiegraveme personne Et la troisiegraveme

personne apparaicirct car le sens de la Triniteacute est la concorde entre les deux personnes423 Pour finir il

reacutesume

Ingenitus Unitas

Unigenitus Aequalitas

Spiritum Sanctum Connexio

Richard utilise les deux nominations ndash concordia et connexio pour deacutesigner le Saint-Esprit

Les chercheurs qui ont eacutetudieacute ce passage montrent ses liens avec les autres textes de lrsquoeacutepoque Jean

Ribaillier pense que ce passage se reacutefegravere au De unitate drsquoAchard et au texte de Patrologia Latina t

95 attribueacute agrave Begravede qui explique la formule Unitas Aequalitas Connexio du point de vue de

lrsquoarithmeacutetique424 Dans son eacutedition des œuvres de Thierry de Chartres Nikolaus Haumlring suppose

422 laquo Ecce quomodo in Patre unitas queramus modo quomodo in Filio equalitas Certe ubi nulla pluralitas est nec equalitas recte vel dici vel intelligi potest Sicut enim nichil recte dicitur sibi simile sic nec equale Itaque ubi primo pluralitas occurit ibi et equalitatem primum querere oportebit raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De tribus personis approppriatis in Trinitate eacuted RIBAILLIER dans RICHARD DE SAINT-VICTOR Opuscules theacuteologiques Texte critique avec introduction notes et tables Paris 1967 (Textes philosophiques du Moyen Age 15) p 183 = PL 196 991D trad I Lystopad 423 laquo Nec quid tertium ponitur concordia duorum sine consistentium Trinitate raquo Ibid p 183= PL 196 992C 424 RICHARD DE SAINT-VICTOR Opuscules theacuteologiques Texte critique avec introduction notes et tables par J RIBAILLIER Paris 1967 (Textes philosophiques du Moyen Age 15) p 183 note 5 Ribaillier renvoie au texte du PL XCV 395d-396a qui se trouve dans lrsquoappendice aux œuvres de Begravede le Veacuteneacuterable

145

que le dernier texte a eacuteteacute eacutecrit entre 1148 et 1154 par un auteur appartenant agrave lrsquoeacutecole de Chartres425

Nico den Bok montre une autre source la lettre de Roscelin agrave Abeacutelard426 Roscelin agrave son tour se

reacutefegravere au De fide libri V ad Gratianum Augustum drsquoAmbroise qui dit par rapport agrave la relation du

Pegravere et du Fils dans la Triniteacute que lrsquoeacutegaliteacute nrsquoexiste qursquoentre plusieurs427

De cette faccedilon la formule Unitas Aequalitas Connexio (Concordia) a eacuteteacute reacutepandue agrave

lrsquoeacutepoque comme une version des appropriations trinitaires Et crsquoest de cette maniegravere que Richard

lrsquoemploie

Hugues et Richard emploient le mot participatio dans leurs eacutecrits mais non par rapport agrave la

doctrine de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute de Dieu

V3 Unitas-Pluralitas-Aequalitas et la deacutefinition logique de la Triniteacute

Achard deacutecrit la Triniteacute agrave partir de la doctrine catholique suivante laquo le Fils procegravede du Pegravere

et le Saint-Esprit du Pegravere et du Fils raquo Pourtant le passage de ce principe agrave la formule laquo lrsquoUniteacute Ce

qui lui est eacutegal et lrsquoEgaliteacute raquo implique la preacutesence de preacutemisses meacutetaphysiques et logiques

permettant drsquoeacutetablir une telle formule Nous nous posons pour but de deacutechiffrer ces preacutemisses afin

de commencer la reconstruction de la doctrine meacutetaphysique drsquoAchard de Saint-Victor

Drsquoabord la meacutetaphysique drsquoAchard sera exposeacutee agrave travers lrsquoanalyse des notions drsquouniteacute et

de pluraliteacute Vu que ces notions sont centrales dans le neacuteoplatonisme crsquoest en les eacutetudiant que nous

allons reacutepondre aux questions poseacutees au deacutebut A savoir si la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute qui se

multiplie en descendant du haut vers le bas srsquoil existe deux niveaux meacutetaphysiques qualitativement

diffeacuterents dans la doctrine drsquoAchard

Ainsi dans la premiegravere partie de ce chapitre nous allons deacutecouvrir dans quelle mesure la

meacutetaphysique trinitaire du De unitate est heacuteritiegravere de systegravemes platoniciens Nous appellerons cette

partie du chapitre laquo meacutetaphysique raquo car la nature de Dieu et de la creacuteature sera expliqueacutee agrave partir

des proprieacuteteacutes des deux eacuteleacutements initiaux lrsquouniteacute et la pluraliteacute 425 N M HAumlRING laquo Introduction VIII The Commentarius Victorinus raquo dans THIERRY DE CHARTRES The Commentaries on Boethius by Thierry of Chartres and his school ed N M HAumlRING Toronto 1971 (Studies and Texts 20) p 38-45 426 laquo Aequalitas autem semper inter plura est nihil enim sibi aequale est beato Ambrosio dicente laquoNemo ipse sibi solus aequalis estraquo Dum igitur in substantia sanctae Trinitatis aequalitatem et coaeternitatem ponit in ea utique separationem pluralitatis relinquit Sed prioritatis et posterioritatis per coaeternum minoritatis et maioritatis gradus dicendo coaequales exstinguit Quod autem unam non singulariter substantiam sed per similitudinem et aequalitatem dicat manifeste demonstrat cum dicit laquoUna divinitas aequalis gloria coaeterna maiestasraquo ROSCELIN Epistola ad Abaelardum eacuted PL 178 367B Cf N W DEN BOK Communicating the most high a systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St Victor Paris-Turnhout 1996 p 208 note 19 427 laquo Quibus aptissime respondit dei filius ut et dei se filium et aequalem probaret Quaecumque inquit pater fecerit eadem et filius facit similiter Filius igitur patri et dicitur et probatur aequalis Bona aequalitas quae et differentiam diuinitatis excludit et cum filio patrem signat cui filius sit aequalis Non est enim diuersa nec singularis aequalitas quia nemo aequalis ipse sibi solus est Ergo euangelista interpraetatus est quid sit proprium filium dei se dicere hoc est aequalem se facere deoraquo AMBROISE DE MILAN De Fide ad Gratianum Augustum II 69 eacuted O Faller Vienne 1962 (Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum 78) p 80-81

146

Ensuite nous allons passer agrave la partie laquo logique raquo de notre enquecircte afin de reacutepondre agrave la

question (3) quelles qualiteacutes des personnes permettent drsquoeacutetablir la formule trinitaire Pour

reacutepondre agrave cette question des notions comme lrsquoeacutegaliteacute la similitude et la participation seront

eacutetudieacutees

Nous avons montreacute que les doctrines de la similitude et de la participation font partie de la

logique platonicienne Elles correspondent agrave la doctrine de la preacutedication de la logique aristoteacutelico-

boeacutecienne expliqueacutee par John Marenbon Voilagrave pourquoi nous allons utiliser la doctrine de la

preacutedication ainsi que quelques theacuteories contemporaines (la logique classique la theacuteorie des

ensembles) pour expliquer la penseacutee drsquoAchard

V31 La meacutetaphysique de lrsquouniteacute

V311 Comment la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute

Achard exprime le paradoxe de la Triniteacute dans le chapitre I 1

laquoLagrave-bas [en Dieu] doit reacutesider et la pluraliteacute vraie et lrsquouniteacute vraie mais non pas du mecircme

point de vue428 raquo

Degraves le deacutebut de son enquecircte Achard reacuteunit les deux notions lrsquouniteacute et la pluraliteacute

laquo La pluraliteacute en effet nrsquoest rien drsquoautre que lrsquouniteacute multiplieacutee ou lrsquouniteacute reacutepeacuteteacutee autant de

fois que la pluraliteacute elle-mecircme est grande429 raquo (I 1)

De cette faccedilon la pluraliteacute est deacutefinie agrave partir de lrsquouniteacute Pourtant ces deux notions

possegravedent des qualiteacutes opposeacutees

laquo La pluraliteacute des creacuteatures drsquoautre part est si eacuteloigneacutee de lrsquouniteacute suprecircme qursquoelle ne peut y

adheacuterer immeacutediatement Elle en est distante en effet non seulement parce que celle-ci est

pluraliteacute (haec) celle-lagrave uniteacute (illa) mais encore parce que celle-ci est temporelle tandis que

celle-lagrave est eacuteternelle celle-ci est dans la mesure tandis que celle-lagrave est immense celle-ci est

muable et corruptible tandis que celle-lagrave est immuable et incorruptible celle-ci est creacuteeacutee

tandis que celle-lagrave est increacuteeacutee Crsquoest pourquoi la raison exige qursquoau-dessus de cette pluraliteacute-

428 laquo Ibi ergo et veram consistere oportet et pluralitatem et unitatem sed non secundum idemraquo De unitate I 1 eacuted MARTINEAU p 70-71 429 laquo Non enim aliud est pluralitas nisi multiplicata unitas vel totiens unitas quota ipsa pluralitas raquo De unitate I 1 eacuted MARTINEAU p 70-71

147

ci qui est eacuteloigneacutee de Dieu il srsquoen trouve une autre plus eacuteleveacutee qui adhegravere immeacutediatement

agrave cette uniteacute suprecircme et qui soit pour ainsi dire intermeacutediaire entre cette uniteacute-lagrave et cette

pluraliteacute-ci430 raquo

Voici une reacutecapitulation

unitas illa aeterna immensa immutabilis incorruptibilis increata

pluralitas haec temporalis in mensura mutabilis corruptibilis creata

Pour unir ces deux eacuteleacutements (lrsquouniteacute et la pluraliteacute) Achard introduit le troisiegraveme ndash la

pluraliteacute vraie (vera pluralitas)

laquo Il faut que cette pluraliteacute (quae) provienne de cette uniteacute-lagrave (illa) et soit cause de cette

pluraliteacute-ci (ista) et aussi qursquoelle ait quelque chose de commun par la ressemblance agrave savoir

de commun avec lrsquoune et lrsquoautre avec celle-ci (ista) puisqursquoelle est pluraliteacute avec celle-lagrave

(illa) puisqursquoelle est increacuteeacutee immuable etc Or comme ces ltproprieacuteteacutesgt sont dites de la

nature de lrsquouniteacute mecircme cette pluraliteacute-ci (ista) gracircce agrave ce qursquoelle a de commun avec cette

ltpluraliteacutegt-lagrave (illa) peut en quelque faccedilon y adheacuterer et ltainsigt par lrsquointermeacutediaire de la

pluraliteacute adheacuterer eacutegalement а lrsquouniteacute431 raquo

Ainsi le scheacutema suivant apparaicirct

Unitas illa aeterna immensa immutabilis

incorruptibilis increata

in Deo

vera pluralitas

media

causa atque imagine

illa

pluralitas creaturarum haec

ista

temporalis in mensura mutabilis

corruptibilis creata

a Deo remota

430 laquo Creaturarum quoque pluralitas tam longe est ab unitate summa ut ei inhaerere immediate non possit Non solum enim ab ea distat quia haec pluralitas illa unitas est sed quia haec temporalis est cum illa sit aeterna haec in mensura cum illa sit immensa haec mutabilis atque corruptibilis cum illa sit immutabilis atque incorruptibilis haec creata illa increata Exigit itaque ratio super hanc pluralitatem a Deo remotam constitui aliquam superiorem quae illi summae unitati cohaereat immediate et quasi mediata sit inter illam unitatem et hanc pluralitatem raquo De unitate I 2 eacuted MARTINEAU p 70-71 431 laquo Quae sit ex illa et qua sit ista similitudine etiam commune scilicet aliquid habens cum utraque cum ista quia pluralitas est cum illa quia increata est quia immutabilis etc Quae de unitatis natura sunt dicta ut sic pluralitas ista per hoc quod habet cum illa commune ei posset aliquatenus inhaerere et unitati etiam mediante pluralitate raquo De unitate I 1 eacuted MARTINEAU p 70-71

148

De cette maniegravere Achard nous propose la seacutequence suivante unitas ndash pluralitas vera

(unitas multiplicata) ndash pluralitas creaturarum Dans ce chapitre la pluraliteacute est comprise drsquoabord

comme un terme opposeacute qui existe agrave un autre niveau (en dehors de Dieu) et qui est relieacutee agrave lrsquouniteacute agrave

travers le terme intermeacutediaire (la pluraliteacute vraie)

Lrsquouniteacute en Dieu est plurielle (pluralis I 9 crsquoest la seule fois qursquoAchard utilise cet adjectif)

Achard distingue deux niveaux drsquo laquo existence raquo de ces termes ndash en Dieu et au-dehors de

Dieu Pourtant dans le passage analyseacute plus haut il utilise les trois pronoms deacutemonstratifs haec

ista illa Ille deacutesigne lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu La pluraliteacute dans les creacuteatures est deacutesigneacutee par

haec quand elle est opposeacutee agrave lrsquouniteacute vraie (dans la premiegravere partie du chapitre) Quand la pluraliteacute

dans les creacuteatures est opposeacutee agrave la pluraliteacute vraie elle est deacutesigneacutee par ista Ainsi les deux pronoms

ndash ista et haec ndash deacutesignent un niveau ndash ecirctre dans les creacuteatures

En deacutefinitive Achard propose la seacutequence des trois termes (lrsquouniteacute ndash la pluraliteacute vraie ndash la

pluraliteacute des creacuteatures) qui se deacuteveloppe dans deux niveaux en Dieu et dans les creacuteatures (au-

dehors de Dieu) Au niveau de Dieu les termes se deacuteveloppent de la maniegravere suivante

Unitas dualitas (prima pluralitas) pluralitas vera

Trinitas Id quod unitati est Aequale

Aequalitas

Le terme dualitas apparaicirct plus loin dans le De unitate (I 23 26 31 et 33) Lrsquouniteacute et ce qui

lui est eacutegal (la deuxiegraveme personne) creacuteent la dualiteacute qui est la pluraliteacute premiegravere Et le troisiegraveme

eacuteleacutement (lrsquoeacutegaliteacute) qui provient agrave partir des deux premiers creacutee la triniteacute ougrave reacuteside la pluraliteacute vraie

des trois personnes

La premiegravere pluraliteacute qui apparaicirct est la dualiteacute (deux premiegraveres personnes de la Triniteacute I

26 31) La pluraliteacute de la Triniteacute procegravede de lrsquouniteacute et de la dualiteacute (I 31) Elle est la cause de

lrsquoeacutegaliteacute (la troisiegraveme personne I 32) En I 23 et I 26 Achard affirme que les trois dans la Triniteacute

ne peuvent exister sans deux et en I 26 que la dualiteacute apparaicirct dans la deuxiegraveme personne

Voici ce que dit Achard agrave propos de la dualiteacute en I 31

laquo Dans le Fils se rencontre aussi la pluraliteacute premiegravere crsquoest-agrave-dire la dualiteacute non pas parce

que lui-mecircme est deux mais parce que le fait qursquoil est lui-mecircme par le Pegravere est la cause pour

laquelle le Pegravere et lui peuvent deacutesormais ecirctre dits deux432 raquo

432 laquo Ut autem in Patre unitas sit et in Filio prima occurrit pluralitas id est dualitas non quia ipse sit duo sed quia quod ipse a Patre est causa est quare jam ipse et Pater dici possunt duo raquo De unitate I 31 eacuted MARTINEAU p 102-103

149

De cette maniegravere ce qui compte pour Achard ce nrsquoest pas simplement la preacutesence de deux

personnes mais le fait qursquoelles soient lieacutees de telle maniegravere que la premiegravere (le Pegravere) est preacutesente

dans la deuxiegraveme (le Fils) en tant que sa cause

Achard a deacutejagrave deacutemontreacute en I 1-4 que la pluraliteacute existe en Dieu En I 23 il propose une

autre faccedilon drsquoexpliquer la Triniteacute ndash agrave travers la dualiteacute Nous croyons que crsquoest sa maniegravere de rendre

hommage agrave la tradition pythagoricienne de la deacutefinition de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute433

Ainsi en reacutepondant agrave la premiegravere question agrave propos de la doctrine meacutetaphysique nous

pouvons dire que lrsquouniteacute se multiplie pour creacuteer la pluraliteacute Mais elle ne descend pas elle se

multiplie en restant dans le mecircme niveau Lrsquouniteacute en Dieu est plurielle ce qui creacutee la pluraliteacute

supeacuterieure en Dieu Cette conclusion megravene agrave une autre question comment la pluraliteacute apparaicirct-elle

parmi les creacuteatures sinon agrave travers la multiplication de lrsquouniteacute suprecircme

Achard accepte deux niveaux meacutetaphysiques ibi (en Dieu) et hic (au-dehors de Dieu) En

deacuteveloppant le sujet de lrsquoexistence des ecirctres dans les deux niveaux en I 47 il preacutecise que le verbe

laquo ecirctre raquo deacutecrit plutocirct lrsquoexistence ici que lagrave-bas434 Il ne srsquoagit pas alors de deux niveaux des ecirctres

mais de la distinction entre laquo ecirctre raquo et laquo ecirctre intelligeacute raquo

V312 Unitas-Pluralitas-Multitudo et la pluraliteacute dans les creacuteatures

En I 5 Achard deacutecrit les diffeacuterents degreacutes de lrsquouniteacute Dans le chapitre I 1-2 il a deacutejagrave deacutecrit

lrsquouniteacute vraie qui est increacuteeacutee

laquo Lrsquouniteacute qui est dans les choses selon une certaine eacutegaliteacute qui existe entre elles contient

avec une pluraliteacute une si grande similitude avec cette beauteacute qui reacutesulte de la convenance et

de la conformiteacute de plusieurs ltecirctresgt mdash soit de plusieurs corps soit de plusieurs esprits soit

des corps et des esprits entre eux mdash qursquoil est absolument exclu de la supprimer lagrave ougrave est la

beauteacute suprecircme De plus la beauteacute de cette uniteacute commune agrave plusieurs est une cause si

grande qursquoil ne peut y avoir drsquouniteacute singuliegravere mdash crsquoest-agrave-dire preacutesente en chacun drsquoeux mdash

qui soit plus belle au contraire la beauteacute de cet lteacutetant singuliergt apparaicirct toujours

infeacuterieure agrave moins que la creacuteature ne srsquounisse а son creacuteateur et adheacuterant agrave lui ne devienne

un seul esprit ltavec luigt neacuteanmoins lrsquouniteacute par laquelle ils sont alors fondus en un seul

esprit mecircme si elle est bien plus eacuteminente et plus belle que celle qui se trouve dans le seul

433 A propos de lrsquoinfluence du pythagorisme sur Platon voir DILLON J M The Middle Platonists 80 BC to AD 220 London 1977 p 3-5 Voir dans le mecircme livre agrave propos de lrsquoinfluence du pythagorisme sur le meacutedioplatonisme ibid passim 434 laquo Ipsum quoque lsquoestrsquo propter hoc notandum videtur institutum ut hic significet quid ltpergt se illud vero nonnisi ex determinatione aliqua et per adjunctum notitia vel verbo sive intellectu Dei vel aliquid hujusmodi raquo De unitate I 47 eacuted MARTINEAU p 122

150

esprit creacuteeacute ne peut eacutegaler la beauteacute qui est dans lrsquoesprit supeacuterieur crsquoest-agrave-dire increacuteeacute ce qui

provient du fait que lrsquouniteacute creacuteeacutee peut correspondre en partie mais non pas en tous points agrave

lrsquouniteacute increacuteeacutee 435 raquo

De cette faccedilon Achard oppose deux sortes drsquouniteacute creacuteeacutee et increacuteeacutee en prenant la beauteacute

comme critegravere pour hieacuterarchiser lrsquouniteacute

Unitas

quae rebus inest (in convenientia et congruentia plurium sive

corporum sive spirituum sive ad invicem amborum) ndash unitas

singularis - unitas communis pluribus ndash unitas in solo spiritu

creato

unitas creata

qua in unum conglutinantur spiritum (creatura suo unitur

creatori et ei adhaerens unus efficitur spiritus)

in spiritu consistit increato unitas increata

Ainsi selon Achard lrsquouniteacute preacutesente dans les choses creacuteeacutees est la moins belle Parmi les

uniteacutes creacuteeacutees il y a lrsquouniteacute singuliegravere lrsquouniteacute commune des plusieurs et lrsquouniteacute qui est dans lrsquoesprit

creacuteeacute Ensuite une plus belle uniteacute est celle qui apparaicirct quand la creacuteature srsquounit agrave son creacuteateur bien

que cette uniteacute soit toujours creacuteeacutee436 Tous ces genres drsquouniteacute sont creacuteeacutees tandis qursquoil y a une autre

uniteacute qui leur est supeacuterieure ndash lrsquouniteacute qui est dans lrsquoesprit supeacuterieur Elle est donc la plus belle

En effet Achard oppose immeacutediatement lrsquouniteacute creacuteeacutee et lrsquoincreacuteeacutee en affirmant que les

constituants de lrsquouniteacute increacuteeacutee non seulement sont eacutegaux entre eux par leur beauteacute mais sont eacutegaux

aussi agrave cette uniteacute increacuteeacutee

Achard reacutepegravete et preacutecise la typologie de lrsquouniteacute dans le chapitre I 7 Cette fois il se pose une

autre question agrave savoir quel type drsquouniteacute est le plus parfait (de telle maniegravere que laquo selon elle ltles

partiesgt soient absolument une raquo laquosecundum eam prorsus unum sint raquo)

435 laquo Unitas etiam quae rebus inest secundum quandam ipsarum aequalitatem pluralitatem et similitudinem tantam obtinet cum pulchritudine in convenientia et congruentia plurium sive corporum sive spirituum sive ad invicem amborum ut nullo inde tollenda sit modo ubi est summa pulchritudo Tanta etiam causa dignoscitur esse pulchritudo hujus unitatis pluribus communis ut pulchrior esse nequeat unitas singularis id est eorum quae inest singulis sed inferior ubique istius occurrit pulchritudo nisi cum creatura suo unitur creatorI et ei adhaerens unus efficitur spiritus ubi tamen multo praestantior et gratior est unitas qua in unum conglutinantur spiritum quam ea quae in solo spiritu creato quamvis illius quae in superiore id est in spiritu consistit increato pulchritudinem aequare non possit quod inde utique evenit quia unitas creata unitati increatae licet ad aliquid ad omnia tamen respondere non valet raquo De unitate I 5 eacuted MARTINEAU p 72-75 436 Il srsquoagit de Jeacutesus Christ qui consiste en deux natures creacuteeacutee et increacuteeacutee De plus Achard cite 1 Corinthiens VI 17 pour deacutemontrer cela Voir ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted EMARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 5 p 73 note 3

151

laquo Dans les creacuteatures en effet lrsquouniteacute citeacutee ne peut ecirctre si parfaite qursquoelle fasse drsquoelles

absolument un seul ecirctre car deux corps agrave quelque degreacute qursquoils srsquoaccordent nrsquooccupent

pourtant pas le mecircme lieu Et mecircme un quelconque esprit creacuteeacute si pregraves qursquoil approche un

autre esprit creacuteeacute ne pourra ecirctre essentiellement en lui Ce semble donc ecirctre le propre du seul

Esprit increacuteeacute et incirconscrit de peacuteneacutetrer les esprits creacuteeacutes et circonscrits et de pouvoir leur

ecirctre essentiellement infuseacute Bien que lrsquoesprit ait eacuteteacute creacuteeacute anteacuterieurement dans le corps

neacuteanmoins le corps nrsquoest pas semblablement en lui et bien qursquoils soient lieacutes en une

personne leur nature est fort opposeacutee Crsquoest pourquoi aussi la Veacuteriteacute afin de mettre en relief

lrsquouniteacute suprecircme qui est entre elle et le Pegravere uniteacute telle qursquoon ne la peut trouver ailleurs dit

lsquoJe suis dans le Pegravere et le Pegravere est en moirsquo Cela en effet ne peut se rencontrer en aucunes

creacuteatures que ce soient mecircme si elles sont de mecircme nature437 raquo

Il traite les types suivants de lrsquouniteacute

Unitas

duo corpora convenire in creaturis

spiritus creatus ad alium creatum spiritum accedere

corpus + spiritus cohaerere personaliter

spiritus increatus + spiritus creati penetrare

unitas summa (ex Pater et Filius) increata

Ainsi Achard parle de lrsquounification de deux corps de deux esprits creacuteeacutes de lrsquoesprit et du

corps et de lrsquoesprit creacuteeacute et lrsquoesprit increacuteeacute Tous ces composants ne sont absolument pas un car soit

ils ne possegravedent pas le mecircme lieu (les corps) soit ils ne sont pas la mecircme chose essentiellement (les

esprits) Lrsquounion du Pegravere et du Fils (la Veacuteriteacute il srsquoagit ici bien sucircr des personnes de la Triniteacute qui

sont dans lrsquouniteacute increacuteeacutee) est parfaite agrave tous les eacutegards Dans les cas deacutecrits il srsquoagit de lrsquouniteacute

consistant en plusieurs composants creacuteeacutes ou increacuteeacutes Ces composants peuvent avoir la mecircme nature

(comme deux corps ou deux esprits) ou diffeacuterentes natures (par exemple le corps et lrsquoesprit)

Pourtant lrsquouniteacute la plus haute reacuteside laquo en dehors et au-dessus des creacuteatures agrave savoir en lrsquoimage

437 laquo In creaturis namque assignata unitas tam perfecta esse non potest ut secundum eam prorsus unum sint Quantumlibet enim duo conveniant corpora eundem tamen non occupant locum Sed nec spiritus quilibet creatus quantumcumque ad alium creatum accesserit spiritum in eo essentialiter esse poterit Solius siquidem increati et incircumscripti id videtur esse Spiritus spiritus videlicet creatos et circumscriptos penetrare et eis infundi essentialiter posse quamvis in corpore ante spiritus sit creatus non tamen in ipso similiter est corpus et longe eorum licet personaliter etiam cohaerentium natura dissidet Unde et Veritas ut summam sui et Patris qualis reperiri nequeat alibI commendaret unitatem Ego inquit in Patre et Pater in me est Hoc enim in creaturis quibuslibet naturae etiam ejusdem inveniri non potest raquo De unitate I 7 eacuted MARTINEAU p 74-77

152

increacuteeacutee des choses elles-mecircmes438 raquo Les autres uniteacutes proviennent drsquoelle et lrsquoimitent agrave travers

lrsquoeacutemulation (aemulatio) des unes vers les autres ou vers le Creacuteateur

Dans la deuxiegraveme partie du De unitate Achard parle de lrsquouniteacute du corps qursquoil garde tout au

long de son existence439 Il srsquoagit de lrsquoidentiteacute du corps opposeacutee agrave la multipliciteacute des formes qui

changent Les uniteacutes intelligibles qui sont lagrave-bas (les formes et les nombres) sont dans leur uniteacute

vraie tandis que leurs copies ici varient Comme cela sera montreacute dans lrsquoarticle laquo Intellectus raquo les

formes des ecirctres individuels possegravedent tous leurs changements possibles simultaneacutement440 et les

nombres sont laquo purs raquo crsquoest-agrave-dire ne se mecirclent pas aux accidents441 Dans ce cas il srsquoagit de lrsquoecirctre

individuel vu comme lrsquouniteacute intelligible opposeacutee agrave la multipliciteacute du mecircme ecirctre pris dans son

changement

Par conseacutequent lrsquouniteacute dans les creacuteatures est comprise comme un assemblage drsquoeacuteleacutements

drsquoune mecircme ou de diffeacuterentes natures Lrsquouniteacute creacuteeacutee est moins belle et moins parfaite que lrsquouniteacute

increacuteeacutee Lrsquouniteacute de lrsquo laquo ecirctre increacuteeacute raquo dans la deuxiegraveme partie du De unitate signifie un eacutetat parfait

par rapport agrave lrsquoecirctre creacuteeacute Lrsquouniteacute est toujours plurielle agrave savoir elle est possible sous la condition de

la preacutesence de plusieurs eacuteleacutements

Achard distingue les types suivants de la pluraliteacute en I 13 (laquo la pluraliteacute des pluraliteacutes raquo)

substantielle accidentelle personnelle des proprieacuteteacutes et des raisons (substantialis accidentalis

personalis proprietatum rationum) Les deux premiers types se trouvent dans les creacuteatures (en

Dieu il nrsquoy a pas drsquoaccident et il nrsquoy qursquoune seule substance) Les deux derniegraveres sortes selon

Achard sont trouveacutees laquo aussi en chacune des personnes prises seacutepareacutement ou en une ltseulegt

personne442 raquo La pluraliteacute personnelle se trouve dans les trois personnes de Dieu et la pluraliteacute

substantielle443 dans le Christ

A partir du chapitre I 37 Achard nrsquoemploie plus la notion de pluralitas Au lieu drsquoelle il

utilise celle de la multitude (multitudo) La multitude des formes est opposeacutee agrave lrsquouniteacute du corps (I

48) Achard parle des parties de lrsquouniteacute distincte multiplement (I 48) des composants relevant lagrave-

bas de lrsquouniteacute et qui sont ici varieacutes et multiples (II 3) des veacuteriteacutes distinctes multiplement dans une

seule veacuteriteacute (II 11) des distinctions des raisons causales qui sont multiples ici par rapport agrave une 438laquo Unde extra et supra creaturas in ipsa videlicet imagine rerum increata raquo De unitate I 7 eacuted MARTINEAU p 76-77 439 laquo Ibi enim corpus illud quod hic manens numero unum per successionem tamen formas varians individuales efficitur aliqua numero multa ibI inquam simul videtur et in sua quadam corporis unitate et in omni illa qua ipsum numero manens corpus variatur vel et adeo variari potest formarum multiplicitate vel potius infinitate raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 144 440 laquo Ut quod ibi in seipso sine termino in istis quoque sit et sine numero ibique nihil sit in sua unitate quod non hic totum sit in varia et multiplici imo infinita distinctione raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 152 441 laquoNumeri autem posteriores vestigia quaedam sunt primorum variis admixti accidentibus in quibus tamen vera unitas non sit nec ipsi adeo dici possint veri esse numerI quam verorumr imagines quaedam in mentibus similitudines in spiritibus umbrae in corporibus raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152 442 laquo Eo quod utralibet vel una in singulis etiam reperitur personis vel persona personalis vero pluralitas nunquam nisi in multis atque diversis raquo De unitate I 13 eacuted MARTINEAU p 82-83 443 La substance deacutesigne dans ce cas la nature divine ou humaine

153

cause premiegravere et geacuteneacuterale lagrave-bas Ainsi la multipliciteacute est une varieacuteteacute qui peut ecirctre unie dans un

seul eacuteleacutement (uniteacute intelligible premiegravere)

En deacutefinitive lrsquouniteacute creacuteeacutee deacutesigne un assemblage drsquoeacuteleacutements Elle est moins parfaite que

lrsquouniteacute increacuteeacutee La pluraliteacute deacutesigne la seacuterie des eacuteleacutements de mecircme nature Et la multipliciteacute deacutesigne

une diversiteacute drsquoeacuteleacutements de nature diffeacuterente Dans la premiegravere partie du De unitate la pluraliteacute

provient de lrsquouniteacute agrave travers la multiplication dans le deuxiegraveme la multipliciteacute des diffeacuterents

eacuteleacutements sont unis dans leur uniteacute premiegravere

En introduisant lrsquouniteacute et la pluraliteacute dans le monde creacuteeacute Achard souligne non seulement le

fait que ces eacuteleacutements proviennent agrave partir de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute en Dieu mais aussi des

principes permettant de les retrouver (lrsquoassemblage la similitude etc)

A premiegravere vue la meacutetaphysique drsquoAchard a lrsquoair drsquoecirctre neacuteoplatonicienne il accepte lrsquouniteacute

suprecircme et les deux niveaux des laquo ecirctres raquo Pourtant cette uniteacute accepte la pluraliteacute en elle-mecircme au

niveau supeacuterieur (en Dieu) elle se multiplie en Dieu Et selon ce modegravele les uniteacutes dans le monde

consistent eacutegalement en de multiples eacuteleacutements Ainsi dans le cas de lrsquouniteacute il ne srsquoagit pas

seulement de lrsquoimitation de sa forme mais aussi du principe de la multiplication qui lui est propre

V32 Lrsquoapplication de la logique agrave la Triniteacute dans le De unitate

V321 Aequalitas exprimeacutee agrave travers la seacutemantique de la logique moderne

En I 9 Achard remarque qursquoil a deacutejagrave deacutecouvert la pluraliteacute et lrsquoeacutegaliteacute au sein de lrsquouniteacute

suprecircme et il lui reste agrave deacutemontrer comment lrsquouniteacute est eacutegale agrave plusieurs eacutegaux En reacutealiteacute Achard

nrsquoa mentionneacute lrsquoeacutegaliteacute (ou plutocirct lrsquoeacutegal) que quelques fois pour dire que la similitude pleine nrsquoest

possible qursquoentre des eacutegaux ou que lrsquouniteacute suprecircme participe aux choses agrave travers lrsquoeacutegaliteacute La

deacutemonstration de la neacutecessiteacute de lrsquoeacutegaliteacute reacuteside dans les chapitres I 10-11

Cette deacutemonstration commence par lrsquointroduction drsquoune regravegle geacuteneacuterale

laquo Si le fait drsquoecirctre eacutegal agrave lrsquoun a pour conseacutequence drsquoecirctre eacutegal agrave lrsquoautre il est impossible que

lrsquoun et lrsquoautre ne soient pas eacutegaux444 raquo

Elle peut ecirctre exprimeacutee de maniegravere suivante

444laquo Duobus quibuslibet propositis si quid sequitur esse aequale eorum uni quia est aequale alteri et illa duo aequalia non esse est impossibile raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79

154

(a=c rArr b=c) rArr a=b

Voici le premier argument

laquo (1) Mais si quelque chose est eacutegal а lrsquouniteacute suprecircme (2) il ne peut pas non plus ecirctre ineacutegal

а lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme sinon leur eacutegaliteacute nrsquoest pas si grande que le sont ces eacutegaux eux-

mecircmes et crsquoest une eacutegaliteacute imparfaite ou nulle Donc (3) lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale а lrsquouniteacute445 raquo

Il peut ecirctre preacutesenteacute de maniegravere suivante

1) Si c (quelque chose) = a (lrsquouniteacute suprecircme)

2) Donc c = b (lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme)

Cette conseacutequence est tireacutee du fait que c est relieacute agrave a et en mecircme temps c est relieacute agrave la

relation mecircme qui lrsquounit agrave a Ainsi la formule 1 transforme de maniegravere suivante

= (eacutegaliteacute)

a c

Selon Achard la relation de lrsquoeacutegaliteacute devient un membre indeacutependant de la formule ndash b Cela

est possible car il srsquoagit de lrsquouniteacute divine au sein de laquelle lrsquoeacutegaliteacute est parfaite (lrsquoeacutegaliteacute est

lrsquoidentiteacute absolue) Lrsquoeacutegaliteacute est tellement parfaite qursquoelle ne peut se contenter de designer

seulement la relation entre les membres de lrsquoeacutequation elle devient elle-mecircme un membre

indeacutependant446 Voilagrave pourquoi c (quelque chose) = b (lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme)

3) Donc b (lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme) = a (lrsquouniteacute suprecircme)

Voici lrsquoargument suivant construit sur la base drsquoune premiegravere regravegle

laquo Suivant cette regravegle en outre (1) ce nrsquoest pas parce que quelque chose est Dieu qursquoil nrsquoest

pas lrsquoeacutegaliteacute Donc Dieu est lrsquoeacutegaliteacute ou (2) lrsquoeacutegaliteacute peut ecirctre Dieu sans quoi il reacutesulterait

que lrsquoeacutegaliteacute ne serait pas quelque chose qui se rapporte а Dieu mecircme (3) Mais Dieu ne peut

pas ecirctre quelque chose ou plutocirct quelque chose ecirctre Dieu qui ne soit pas Dieu (4) Crsquoest

pourquoi lrsquoeacutegaliteacute elle aussi est Dieu447 raquo

445 laquo Si autem aliquid unitati summae est aequale ipsum etiam aequalitati ipsi non potest esse inaequale alioquin enim non tanta est eorum aequalitas quanta ipsa sunt aequalia et est aequalitas imperfecta vel nulla Aequalitas igitur unitati est aequalis Item si aequalitas primae et summae unitati aequalis est ipsa dicendum est raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 446 laquo Aequalitas igitur unitati est aequalis raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 447 laquoJuxta quam regulam etiam nec si quid est Deus ipsum non est aequalitas Deus igitur aequalitas est sive aequalitas Deus esse potest alioquin namque sequitur illud aequalitatem scilicet non quid esse ad ipsum Deum esse Deus autem

155

1) Du fait que c (quelque chose) = d (Dieu) ne suit pas cneb (lrsquoeacutegaliteacute) soit

not(c=drArrcneb)

De cette formule Achard tire la conclusion d=b (Dieu est lrsquoeacutegaliteacute) Crsquoest possible si lrsquoon fait

les transformations suivantes

not(c=drArrcneb)

c=dandnot(cneb)

c=dandnotnot(c=b)

c=dand(c=b)

d=b

2) La proposition suivante peut ecirctre exprimeacutee dans les termes de la logique modale

not (b=d) rArr not(b=d)

Cela semble eacutevident du point de vue des raisonnements Pourtant Achard dit que Dieu peut

se rapporter agrave lrsquoeacutegaliteacute (ecirctre eacutegal) seulement srsquoil est lrsquoeacutegaliteacute Cette affirmation nrsquoest qursquoune

paraphrase de ce qui a eacuteteacute dit agrave propos de lrsquoeacutegaliteacute dans le passage preacuteceacutedent

3) Du fait que d (Dieu) = c (quelque chose) et c = d ne suit pas cned soit

Vu que dans la logique classique cned = not (c = d)

Selon le principe de non contradiction not (c=dandnot(c = d))

Crsquoest une autre regravegle logique eacutetablie par Achard

4) Maintenant on peut mettre b (lrsquoeacutegaliteacute) au lieu de c (quelque chose) ce qui donne

b=d soit not (b=dandnot(b = d))

Ainsi lrsquoeacutegaliteacute pour Achard est la qualiteacute drsquoecirctre eacutegal (=) mais aussi lrsquoeacuteleacutement mecircme de

lrsquoeacutequation (b ndash lrsquoeacutegaliteacute) Il est remarquable que les regravegles qursquoAchard applique pour deacutemontrer que

lrsquoeacutegaliteacute est Dieu sont les mecircmes que celles qui sont appliqueacutees aux creacuteatures Elles sont connues

aujourdrsquohui comme les regravegles de la logique classique Crsquoest la matiegravere agrave laquelle elles sont

appliqueacutees agrave Dieu qui implique qursquoelles megravenent agrave des conseacutequences extraordinaires (lrsquouniteacute est

eacutegale agrave lrsquoeacutegaliteacute et elle est cette eacutegaliteacute)

En II 11 Achard reprend la question laquo est-ce que lrsquoEgalite est Dieu raquo

laquo Si elle eacutetait ltautrementgt eacutegale agrave cette uniteacute il srsquoensuivrait certes qursquoelle-mecircme serait

modalement Dieu et qursquoelle ne demeurerait nullement ce qursquoelle est elle-mecircme ltcargt du

aliquid esse non potest nec aliquid Deus quod Deus non sit Quare et aequalitas Deus est raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79

156

fait mecircme qursquoelle serait Dieu elle serait neacutecessairement eacutetant modalement autre chose

ltqursquoelle-mecircmegt agrave moins qursquoelle ne fucirct elle-mecircme aussi modalement Dieu comme

lrsquohomme ltest lui-mecircme modalement animal en effetgt si lrsquohomme eacutetait lui-mecircme pierre il

ne serait pas ce qursquoil est et crsquoest pourquoi lrsquohomme nrsquoest pas modalement pierre mais si

lrsquohomme est animal il ne srsquoensuit pas qursquoil soit autre chose et crsquoest pourquoi il lrsquoest

modalement drsquoougrave lrsquoon peut conclure qursquoil est lui-mecircme modalement animal Or partout ougrave

il y a eacutegaliteacute il y a aussi qualiteacute en effet lrsquoeacutegaliteacute ne peut exister ni ecirctre dite entre plusieurs

qursquoen vertu drsquoune certaine modaliteacute448 raquo

Dans ce passage Achard veut deacutemontrer que lrsquoeacutegaliteacute reste elle-mecircme entre plusieurs

personnes eacutetant modalement Dieu (modo aliquo) Pour expliquer le sens de cette modaliteacute Achard

compare la relation laquo homme-animal raquo agrave la relation laquo eacutegaliteacute-Dieu raquo

Achard affirme que la relation entre Dieu et lrsquoeacutegaliteacute soit diffeacuterente de sa relation avec les

autres personnes laquo Or partout ougrave il y a eacutegaliteacute il y a aussi qualiteacute raquo lrsquoeacutegaliteacute est la qualiteacute ou le

preacutedicat des autres personnes Elle est Dieu (lrsquoune des personnes) modalement mais elle reste elle-

mecircme ndash le preacutedicat

Ainsi la formule trinitaire laquo lrsquoUniteacute Ce qui lui est eacutegal et lrsquoEgaliteacute raquo peut ecirctre exprimeacutee de

maniegravere suivante

A(u1 u2) ougrave A est lrsquoEgaliteacute (Aequalitas) u1 ndash lrsquouniteacute u2 ndash ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute

La conclusion probable de ce raisonnement serait laquo lrsquoeacutegaliteacute est en mecircme rapport agrave Dieu que

lrsquoespegravece (lrsquohomme) au genre (lrsquoanimal) raquo Mais il semble qursquoAchard ne deacuteveloppe pas cette

thegravese449

Une autre theacuteorie moderne qui aide agrave exprimer les ideacutees drsquoAchard est la theacuteorie

matheacutematique des ensembles Un cas auquel elle peut ecirctre appliqueacutee se trouve en I 3-4 la

similitude nrsquoexiste de maniegravere pleine qursquoentre les eacuteleacutements eacutegaux Cette ideacutee peut ecirctre exprimeacutee

dans les termes des ensembles toutes les choses qui possegravedent la qualiteacute drsquolaquo ecirctre eacutegal raquo

appartiennent agrave lrsquoensemble S (la similitude) Autrement dit a1 a2hellipan isin S ougrave S est lrsquoensemble des

choses a1 a2hellipan qui sont eacutegales

448 laquo Alioquin enim si unitati illi esset aequalis sequeretur quidem modo ipsam Deum esse et nequaquam id quod ipsa est manere sed ex hoc ipso quod Deus esset et ipsa aliud quia modo est necessario esset nisi vel et ipsa modo Deus esset quemadmodum est homo si ipse lapis esset non id esset quod est quare homo modo lapis non est si autem homo animal est non inde sequitur ipsum aliud esse quare ipse modo est unde et inferri potest quia ipse modo animal est Ubicumque autem et qualitas est et aequalitas est Non enim nisi modo aliquo plurium esse potest vel dici aequalitas raquo De unitate I 11 eacuted MARTINEAU p 80-81 449 En effet cette position appartient aux Pegraveres grecs Augustin la critique (De Trinitate VII VI 11) A savoir il nrsquoaccepte pas lrsquoexplication de la relation entre les personnes et la Triniteacute dans les termes du genre et de lrsquoespegravece

157

En II 5 Achard remarque que les qualiteacutes de lrsquouniteacute sont lrsquoeacutegaliteacute la pluraliteacute et la

similitude Elles lui permettent drsquoecirctre dans les choses Pour deacutecrire cette thegravese dans les termes des

ensembles il faut prendre un ensemble qui contient plus drsquoun eacuteleacutement

Ainsi lrsquoensemble U (lrsquoUniteacute) peut exister entre les choses eacutegales

a1 a2hellip an isin U

Cette uniteacute est la pluraliteacute par conseacutequent elle possegravede plus drsquoun eacuteleacutement agrave savoir

Pour tout ai aj 1 lt i j lt n ai est eacutegal agrave aj

Il est possible drsquoexprimer de la mecircme maniegravere lrsquouniteacute agrave travers la similitude

Ou entre les choses semblables

s1 s2hellip snisin U

Pour tout si sj 1 lt i j lt n si est semblable agrave sj

Ensuite en II 9 Achard se pose pour but de trouver laquo lrsquouniteacute de plusieurs et de plusieurs

assureacutement eacutegaux et elle-mecircme comme il apparaicirctra dans la suite ne peut pas ne pas ecirctre tout aussi

eacutegale agrave ces eacutegaux450 raquo Autrement dit Achard cherche agrave deacutecrire lrsquoensemble des eacuteleacutements de telle

sorte que cet ensemble mecircme doit aussi ecirctre un eacuteleacutement crsquoest-agrave-dire faire partie de lui-mecircme

U= (U a1 a2hellip an)

Pour tout ai aj 1 lt i j lt n ai est eacutegal agrave aj

U ndash lrsquouniteacute soit lrsquoensemble de plusieurs eacuteleacutements les a1 a2hellip an ndash des eacuteleacutements eacutegaux aux

autres

De cette maniegravere lrsquoapplication de la theacuteorie des ensembles permet de voir la diffeacuterence entre

lrsquouniteacute dans le monde et celle de Dieu Lrsquouniteacute de Dieu est un ensemble qui comprend lui-mecircme en

tant qursquoeacuteleacutement

La doctrine de lrsquoeacutegaliteacute drsquoAchard de Saint-Victor est originale et difficile agrave comprendre

Jusqursquoici nous lrsquoavons interpreacuteteacutee agrave lrsquoaide de la seacutemantique des theacuteories modernes (celle de la

logique classique et celle des ensembles) En effet nous pouvons observer ici un pheacutenomegravene

inteacuteressant en utilisant les doctrines de son eacutepoque (celle de lrsquouniteacute et la similitude) et en scrutant

un problegraveme actuel pour lui (lrsquoexplication de la Triniteacute) Achard trouve une solution proche de celle

qursquoon utilise aujourdrsquohui pour penser la mise en ordre du reacuteel Gracircce agrave lui la doctrine des

ensembles peut compter comme outillage de la meacutetaphysique platonicienne du XIIe siegravecle

Afin de repeacuterer le deacuteveloppement de la doctrine drsquoAchard il nous faut expliquer les notions

de similitude et de participation

Cette eacutetude preacuteliminaire de lrsquoEgaliteacute permet de deacutesigner les qualiteacutes qui ouvrent la voie agrave

lrsquoexplication de la Triniteacute en tant qursquoUniteacute Ce qui lui est eacutegal et lrsquoEgaliteacute LrsquoAequalitas drsquoAchard 450 laquo Unitas [] nequit utique esse non plurium nec eorum certe nisi aequalium nec nisi eisdem aequalibus ipsa quoque ut ex sequentibus elucebit non minus aequalis raquo De unitate I 9 eacuted MARTINEAU p 76-78

158

est en mecircme temps un membre de la formule si c=a et c=b donc a=b et la relation = qui existe entre

les membres de cette formule Cette conclusion correspond agrave lrsquoargument proposeacute en I 11 lrsquoeacutegaliteacute

est elle-mecircme (la relation et le preacutedicat qui unit les autres personnes) et elle est modalement Dieu en

tant que personne En mecircme temps lrsquoUniteacute deacutesigne un ensemble des eacuteleacutements qui est en Dieu et un

de ces eacuteleacutements Nous croyons que lrsquoeacutetude de la similitude et de la participation mettra encore plus

de lumiegravere sur cette particulariteacute de la meacutetaphysique drsquoAchard

V322 Similitudo

Le terme similitudo est employeacute pour la premiegravere fois en I 2 pour deacutesigner la maniegravere dont

la pluraliteacute premiegravere est en Dieu En tant que notion indeacutependante la similitude est deacuteveloppeacutee en

II 3

laquo Il nrsquoy a ndash il ne peut y avoir ndash aucune chose mecircme simplement creacuteeacutee qui ne soit en

quelque faccedilon agrave lrsquoimage de cette uniteacute vraie et suprecircme dont on a parleacute Cependant la

similitude de toute creacuteature agrave cette uniteacute est relative donc partielle et imparfaite Or lrsquoon ne

peut parler drsquoun imparfait que par rapport agrave un parfait agrave la perfection duquel il participe de

maniegravere deacuteficiente par conseacutequent il subsiste aussi quelque part mdash donc il y a dans quelque

chose mdash une similitude pleine et parfaite de cette uniteacute Mais comme cette ltsimilitudegt

ainsi qursquoon vient de le dire ne peut ecirctre dans la creacuteature elle reacuteside neacutecessairement au-

dessus de la creacuteature dans la diviniteacute mecircme Or il nrsquoy a de similitude qursquoentre plusieurs et

elle nrsquoest pleine et totale qursquoentre des eacutegaux451 raquo

similitudo unitatas vera et summa ndash res creata similitudo - unitas illa

ex parte et imperfecta est plena atque perfecta

plura aequalia

Achard retient deux cas drsquoapplication de la similitude 1) entre lrsquouniteacute et la chose creacuteeacutee ndash la

similitude imparfaite 2) entre la similitude et lrsquouniteacute ndash la similitude parfaite Lrsquoargument est baseacute

451 laquo Nulla enim est res etiam creata sed nec esse potest quae non in aliquo illam imitetur unitatem veram et summam Similitudo autem omnis creaturae ad illam secundum aliquid est et ideo ex parte et imperfecta est Imperfectum vero non dicitur quid nisi respectu perfecti a cujus perfectione deficit et ita subsistit alicubI ergo in aliquo similitudo est et plena atque perfecta Quae ltcumgt tamen in creatura ut dictum est esse non possit super creaturam necessario in ipsa divinitate consistit Similitudo autem nulla nisi inter plura nec plena et secundum totum nisi inter aequalia raquo De unitate I 3 eacuted MARTINEAU p 72

159

sur le fait que si une chose existe ici de maniegravere imparfaite lagrave-bas elle doit ecirctre de maniegravere pleine

et parfaite

La prochaine occurrence de la similitude est dans I 4

laquo La similitude elle-mecircme eacutetant une chose une ne peut pas ne pas ecirctre semblable agrave quelque

eacutegard а lrsquouniteacute susdite (1) Or comme toutes les autres choses sont semblables agrave celle-ci par

quelque participation de la similitude (2) et lui sont semblables partiellement et non pas en

pleacutenitude la similitude ne peut se participer elle-mecircme (3) mais elle est toute semblable mdash

donc par une similitude parfaite et pleine mdash agrave cette ltuniteacutegt et crsquoest pourquoi elle lui est en

tous points eacutegale (4)452 raquo

Dans ce passage Achard introduit trois preacutemisses (1 2 et 3) et une conclusion (4) Voici une

reacutecapitulation

unitas ndash res aliqua una unitas ndash similitudo

similitudo secundum partem secundum plenitudinem tota et

perfecta

participatio ex aliqua participatione per omnia aequales

En effet Achard reacutepegravete lrsquoargument du chapitre preacuteceacutedent mais cette fois il emploie le nom

similitudo qui deacutesigne la qualiteacute mais aussi lrsquoadjectif similis qui deacutesigne lrsquoobjet auquel cette qualiteacute

appartient Cet emploi permet drsquoexprimer la doctrine drsquoAchard dans les termes de la doctrine de la

preacutedication drsquoAristote qui a eacuteteacute exposeacute avant

La similitude est plutocirct lrsquoaccident universel qui produit la preacutesence de lrsquoaccident particulier

(similis ndash semblable) Pourtant la similitude est une chose (une substance particuliegravere) qui peut

ressembler agrave lrsquouniteacute (lrsquoaccident universel) De cette maniegravere la premiegravere preacutemisse (la similitude

ressemble agrave lrsquouniteacute) est possible gracircce au jeu des significations de la similitude qui est prise tantocirct

comme un accident universel (la similitude elle-mecircme) tantocirct comme une substance particuliegravere

(qui contient un certain semblable) Soit dans les termes de la preacutedication tantocirct comme le preacutedicat

tantocirct comme le sujet

452 laquo Inde praeterea illam quam quaerimus pluralitatem astruit quia similitudo ipsa cum sit res aliqua una non potest non esse similis unitati propositae in aliquo Cum autem ei ex aliqua participatione similitudinis sint similia caetera et ideo secundum partem non secundum plenitudinem similitudo se ipsaltmgt participare nequit sed [se] tota et sic perfecta et plena similitudine illi est similis quare et per omnia aequalis raquo De unitate I 4 eacuted MARTINEAU p 72-73

160

En formulant la deuxiegraveme preacutemisse (les choses sont semblables agrave lrsquouniteacute par participation agrave

la similitude) Achard introduit la notion de participation Elle deacutesigne la relation entre lrsquouniteacute

(lrsquoaccident universel) et les choses unes (les substances particuliegraveres) Pourtant un autre accident

srsquointroduit La preacutedication laquo une chose une est lrsquouniteacute raquo est possible car cette mecircme substance

particuliegravere (chose) est semblable et possegravede donc lrsquoaccident universel la similitude

Participation

Unitas Similitudo

Unus similis

Dans cette illustration les grands cercles sont lrsquouniteacute et la similitude (les accidents

universaux) le carreacute est le sujet (la substance particuliegravere) et les petits cercles noirs sont la

similitude et lrsquouniteacute qui sont dans le sujet (les accidents particuliers) Il srsquoagit ainsi de la preacutedication

extra-cateacutegorielle (quand une cateacutegorie drsquoun certain type est preacutediqueacutee de lrsquoautre agrave savoir la qualiteacute

est preacutediqueacutee de la substance premiegravere) En outre Achard accepte la preacutesence de deux sujets (un

certain un et un certain semblable) dans un seul objet (une certaine chose)

La troisiegraveme preacutemisse (la similitude ne peut participer agrave elle-mecircme) est la conseacutequence du

fait que la similitude eacutetant la relation imparfaite ne peut ecirctre le sujet et le preacutedicat en mecircme temps

Autrement la fonction S (u1 u2hellipun U) ougrave S ndash la similitude u1 ndash une certaine chose une U ndash

lrsquouniteacute est possible et la fonction S(S) non

Cela permet agrave Achard de tirer une conclusion qui srsquoexprime de maniegravere suivante A (S U)

ougrave A ndash lrsquoeacutegaliteacute (Aequalitas) 453 (la similitude ressemble agrave lrsquouniteacute de maniegravere pleine et parfaite et

crsquoest pourquoi elle lui est en tous points eacutegale454) Voici une repreacutesentation graphique

453 Nous proposons lrsquoexplication suivante de la phrase laquo similitudo se ipsaltmgt participare nequit raquo La similitude en tant qursquoaccident universel est identique agrave elle-mecircme crsquoest-agrave-dire elle est eacutegale agrave elle-mecircme Comme cela a eacuteteacute eacutetabli plus haut participer dans le cas de la similitude veut dire laquo ecirctre semblable agrave quelque chose raquo pourtant la relation laquo ecirctre eacutegale agrave soi-mecircme raquo est plus preacutecise que laquo ecirctre semblable agrave quelque chose raquo et elle exprime plutocirct la qualiteacute de lrsquouniteacute Voilagrave pourquoi du fait que la similitude ne participe pas en elle-mecircme suit qursquoelle est eacutegale agrave lrsquouniteacute suprecircme 454 Il faut noter que la relation de lrsquoeacutegaliteacute nrsquoest pas reacuteciproque dans ce cas car lrsquouniteacute nrsquoest pas eacutegale en tous points agrave la similitude

161

Aequalitas

Unitas

Similitudo

Achard preacutesente la similitude en tant qursquouniteacute incomplegravete Cela rend possible la preacutedication

intra-cateacutegorielle laquo la similitude est (semblable agrave) lrsquouniteacute raquo dans laquelle la similitude est prise en

tant qursquoespegravece et lrsquouniteacute en tant que genre

Par conseacutequent la participation est une preacutedication extra-cateacutegorielle et lrsquoeacutegaliteacute est une

preacutedication intra-cateacutegorielle

La diffeacuterence entre les systegravemes meacutetaphysiques drsquoAristote et drsquoAchard consiste dans le fait

que pour Aristote les substances premiegraveres sont les sujets individuels qui possegravedent la primauteacute

ontologique Crsquoest pour cette raison que la preacutedication acceptable pour lui est soit la preacutedication

intra-cateacutegorielle de type laquo cet homme est lrsquohomme raquo soit la preacutedication extra-cateacutegorielle de type

laquo lrsquohomme est sage raquo La preacutedication laquo la similitude est (semblable agrave) lrsquouniteacute raquo est possible sous ces

conditions

(1) la similitude est lrsquoespegravece du genre laquo lrsquouniteacute raquo

(2) le sujet auquel la similitude et lrsquouniteacute sont attribueacutees existe

Il srsquoagit dans le cas drsquoAchard de Dieu au niveau duquel lrsquouniteacute et la similitude existent

Lrsquooriginaliteacute drsquoAchard consiste dans le fait qursquoil prend la similitude tantocirct comme sujet (une

substance particuliegravere) tantocirct comme preacutedicat (un accident universel) Pourtant elle reste toujours

en Dieu comme dans son objet Aussi il suppose que la preacutedication dans le cas des creacuteatures est

imparfaite (la preacutedication) et dans le cas de Dieu est parfaite (lrsquoeacutegaliteacute)

Dans le reste du De unitate la similitude est employeacutee quelques fois Les rares exemples de

son emploi sont

- laquo lrsquouniteacute son semblable et leur similitude raquo pour deacutesigner la Triniteacute (in unitate et ejus

simili et eorum similitudine I 37)

- la similitude (similitudo I 46) qui est le modegravele ou la forme de quelque chose

162

- laquo des images dans les acircmes des similitudes dans les laquo esprits raquo les ombres dans les

corps raquo (laquo imagines quaedam in mentibus similitudines in spiritibus umbrae in

corporibus raquo II 5 10 14) Cette expression rappelle le verset de la Genegravese (I 26) qui

dit que laquo Dieu creacutea lrsquohomme agrave son image et agrave sa ressemblance raquo

Ainsi le sens logique (comme sujet ou comme preacutedicat) de la notion de similitudo nrsquoest plus

employeacute dans le De unitate agrave partir du chapitre I 12

Lrsquoeacutetude de la notion de similitude permet drsquoeacutelucider une particulariteacute de la meacutetaphysique

drsquoAchard comme le double emploi des accidents universels (notamment la similitude) en tant que

sujet et en tant que preacutedicat dans la preacutedication

V323 Participatio

Achard reacuteintroduit la notion de participatio en I 10 afin de justifier la preacutesence de lrsquoeacutegaliteacute

en Dieu Nous allons continuer agrave expliquer sa doctrine en termes de preacutedication En I 10 la notion

de participation est employeacutee dans trois cas diffeacuterents

1) Une illustration pour sa thegravese (lrsquoeacutegaliteacute et lrsquouniteacute sont distinctes en Dieu)

laquo Mais qursquoelle lui [lrsquoeacutegaliteacute agrave lrsquouniteacute] soit eacutegale cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre lrsquoeacutegaliteacute elle-

mecircme de mecircme que si le blanc est ltbiengt de la couleur ce blanc ltcependantgt nrsquoest pas la

blancheur mecircme du fait que le blanc nrsquoest la substance mecircme de la blancheur que par

participation455 raquo

Ainsi la relation entre la blancheur et le blanc est une participation La blancheur est un

accident universel et le blanc est un accident particulier Pourtant vu qursquoAchard suppose qursquoils ne

sont pas de la mecircme substance le blanc doit repreacutesenter une certaine chose blanche (une substance

particuliegravere) Dans ce cas le blanc quitte la substance de blancheur et rejoint celle du sujet

particulier et par conseacutequent la preacutedication extra-cateacutegorielle a lieu Voici la preacutesentation

graphique

455 laquo Non autem si ipsa est aequalis illi non est aequalitas ipsa veluti non si color est album album ipsa non est albedo eo quod ipsa substantia albedinis est album modo participatione raquo De unitate I10 eacuted MARTINEAU p 78-79

163

Participation

blancheur

blanc

Dans cette illustration Achard compare la relation de lrsquoeacutegaliteacute et de lrsquouniteacute reacutesidant en Dieu

avec celle du blanc et de la blancheur (la participation)

2) Un argument

laquo En effet comme nous lrsquoavons montreacute que lrsquoeacutegaliteacute soit eacutegale agrave lrsquouniteacute suprecircme ce nrsquoest

pas une raison pour qursquoelle perde la substance mecircme de lrsquoeacutegaliteacute ce qui certes serait

absolument neacutecessaire si la substance de lrsquoeacutegaliteacute eacutetait infeacuterieure agrave la substance de lrsquouniteacute

suprecircme (1) Tout au contraire non seulement du fait que lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave cette uniteacute il

ne srsquoensuit pas qursquoelle perde la substance de lrsquoeacutegaliteacute mais encore il srsquoensuit neacutecessairement

qursquoelle la garde (2)456 raquo

Ainsi Achard preacutesente deux cas (1) quand une substance est infeacuterieure agrave lrsquoautre et (2)

quand elles se trouvent au mecircme niveau

Le premier cas ressemble plutocirct agrave la participation soit la preacutedication extra-cateacutegorielle

comme elle est deacutecrite plus haut Pour Achard une telle preacutedication implique que lrsquoeacutegaliteacute est

instancieacutee dans une substance particuliegravere et par conseacutequent elle nrsquoest plus un accident universel

Ce sont des accidents universaux (lrsquouniteacute lrsquoeacutegaliteacute etc) qursquoAchard appelle ici les substances

Dans le deuxiegraveme cas (la substance de lrsquoeacutegaliteacute garde la substance de lrsquouniteacute) la preacutedication

sera laquo lrsquouniteacute est eacutegale agrave lrsquoeacutegaliteacute raquo ou laquo lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave lrsquouniteacute raquo (soit A (A U) voir

lrsquoillustration)

456 laquo Non enim ut ostendimus si aequalitas unitati summae est aequalis ipsam amittat substantiam aequalitatis Quod utique prorsus necessarium esset si substantia aequalitatis summae unitatis substantia inferior esset Quod autem si non solum non sequitur aequalitatem si illi est aequalis unitati aequalitatis substantiam amittere sed et retinere raquo De unitate I10 eacuted MARTINEAU p 78-79 Nous avons modifieacute leacutegegraverement la traduction de Martineau afin drsquoameacuteliorer la compreacutehension au lieu de traduire la phrase laquo non sequitur aequalitatem si illi est aequalis unitati raquo par laquo de lrsquoeacutegaliteacute de lrsquoeacutegaliteacute agrave cette uniteacute il ne srsquoensuit pas raquo mais par laquo du fait que lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave cette uniteacute il ne srsquoensuit pas raquo

164

Egaliteacute

Aequalitas= unitas

Contrairement au cas de la similitude lrsquoeacutegaliteacute est complegravetement identique agrave lrsquouniteacute Au

niveau de la preacutedication cela implique qursquoelles se preacutediquent mutuellement lrsquoune de lrsquoautre

(laquo lrsquouniteacute est eacutegale raquo et laquo lrsquoeacutegaliteacute est une raquo) et chacune drsquoelle-mecircme (laquo lrsquouniteacute est une raquo et

laquo lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale raquo)

3) Et voici le troisiegraveme cas de lrsquoemploi de la participatio

laquo De la mecircme faccedilon (1) ni lrsquouniteacute mecircme ne serait une ni la sagesse ne serait sage si lrsquoune et

lrsquoautre perdaient leur substance Car ce nrsquoest point en participant mais en existant ce

qursquoelles sont elles-mecircmes qursquoelles ndash crsquoest-agrave-dire lrsquouniteacute et la sagesse ndash sont lrsquoune une

lrsquoautre sage (2) Selon cette modaliteacute si lrsquoeacutegaliteacute elle aussi est eacutegale agrave quelque chose par

elle-mecircme et non pas par lrsquoeacutegaliteacute alors une autre lteacutegaliteacutegt lui est eacutegale Mais cela est

impossible agrave moins que ne demeure lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme Crsquoest pourquoi si lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale

agrave lrsquouniteacute susdite alors elle aussi conserve la substance de lrsquoeacutegaliteacute qui puisse lui ecirctre eacutegale

en effet ce nrsquoest pas par participation de lrsquoeacutegaliteacute que lrsquoeacutegaliteacute peut ecirctre eacutegale agrave quelque

chose comme les autres choses qui sont dites eacutegales mais en existant ltcommegt lrsquoeacutegaliteacute

mecircme Mais lrsquoinverse nrsquoest pas moins vrai si lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave lrsquouniteacute citeacutee alors elle est

avec elle de la mecircme substance Donc crsquoest la substance de cette uniteacute qui constitue aussi

celle de lrsquoeacutegaliteacute457 raquo

Prenons drsquoabord la sagesse et lrsquouniteacute (1) Dans les deux cas il srsquoagit de la preacutedication intra-

cateacutegorielle qursquoAchard appelle lrsquoexistence

457 laquo Sic enim nec ipsa unitas una nec sapiens esset sapientia nisi utraque suam servaret substantiam Non enim participando sed existendo ea quae ipsae sunt id est unitas et sapientia haec est una illa sapiens Juxta quem modum et aequalitas si cui aequalis est se ipsa utique non aequalitate alia ei aequalis est Hoc autem impossibile nisi ipsa remaneat aequalitas Quare si aequalitas praedictae aequalis est unitati et ipsa retinet substantiam aequalitatis quae ei possit esse aequalis non enim participatione aequalitatis potest esse aequalitas alicui aequalis ut caetera quae dicuntur aequalia sed existendo aequalitas ipsa Rursus autem si aequalitas unitati est aequalis propositae et ipsa ejusdem est cum illa substantiae Eadem ergo unitatis illius aequalitatis substantia est raquo De unitate I10 eacuted MARTINEAU p 78-79 Voir aussi laquo Inde praeterea illam quam quaerimus pluralitatem astruit quia similitudo ipsa cum sit res aliqua una non potest non esse similis unitati propositae in aliquo Cum autem ei ex aliqua participatione similitudinis sint similia caetera et ideo secundum partem non secundum plenitudinem similitudo se ipsaltmgt participare nequit sed [se] tota et sic perfecta et plena similitudine illi est similis quare et per omnia aequalis raquo ibid I 4 eacuted MARTINEAU p 72-73

165

Sagesse Uniteacute

Sage une

La sagesse est sage lrsquouniteacute est une

Ainsi lrsquoexistence a lieu quand un accident universel est preacutediqueacute de lui-mecircme S(S) pour la

sagesse et U(U) pour lrsquouniteacute Achard appelle ce pheacutenomegravene laquo garder sa substance raquo (suam servare

substantiam)

Dans son commentaire au chapitre I 10 Martineau explique la diffeacuterence entre la

participation et lrsquoexistence comme la participation ordinaire et la metexis purement ideacuteale458 Afin

drsquoexpliquer comment la substance en I 10 peut deacutesigner les uniteacutes geacuteneacuterales et ecirctre dans le Dieu

unique il la deacutecrit comme laquo cette speacutecificiteacute drsquoecirctre ou cette laquo ipseacuteiteacute raquo que tout eacutetant reccediloit de lrsquoecirctre

penseacute comme ideacutealiteacute pure raquo Crsquoest de cette maniegravere que la substance eacutetant unique comprend

plusieurs ecirctres Martineau appelle cette proprieacuteteacute de la substance laquo la redundantia ontologique raquo et

il suggegravere qursquolaquo un platonisme authentique permet agrave Achard de Saint-Victor de satisfaire en mecircme

temps aux exigences les plus secregravetes de lrsquoaristoteacutelisme bien compris raquo 459

Ensuite Achard passe agrave lrsquoeacutegaliteacute qui est eacutegale agrave lrsquouniteacute (2) Il srsquoagit cette fois de la relation

entre deux substances (deux sujets) Il distingue deux cas laquo ecirctre eacutegale par lrsquoeacutegaliteacute raquo et laquo ecirctre eacutegale

par elle-mecircme raquo laquo Etre eacutegale par lrsquoeacutegaliteacute raquo se reacutefegravere agrave la participation tandis que laquo ecirctre eacutegale par

elle-mecircme raquo agrave lrsquoexistence Finalement il deacutecouvre que ces deux substances-qualiteacutes sont une Cela

peut ecirctre deacutecrit par la formule A (A U) et par lrsquoillustration proposeacutee plus haut

Aequalitas = unitas

En effet mecircme si Achard parle de deux substances seacutepareacutees en reacutealiteacute crsquoest la mecircme

substance de Dieu Ainsi dans les termes de la preacutedication la substance dans ce contexte veut dire

laquo un accident universel raquo (un preacutedicat)

458 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 10 note 4 p 79 459 Ibid I 10 note 5 p 79

166

Voici la description des deux types de preacutedication

participando existendo

amittere substantiam servare retinere substantiam

aequalitas est aequalis aequalitate aequalitas aequalis est se ipsa

aequalitas ndash (res) aequalis

albedo ndash album

sapientia ndash sapiens unitas ndash una

aequalitas ndash unitas

Ces deux types correspondent aux preacutedications extra- (par participation) et intra-cateacutegorielles

(par existence) Mecircme si en reacutealiteacute Achard ne parle pas de preacutedication nous avons choisi cette

notion afin de deacutemontrer que la distinction qursquoAchard fait entre les personnes de la Triniteacute a un

caractegravere logique Drsquoapregraves son ontologie lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute ont la mecircme substance ce qui implique

qursquoelles sont un mecircme objet de penseacutee (une seule uniteacute intelligible) Pourtant Achard distingue

deux sujets logiques de preacutedication (lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute) agrave lrsquointeacuterieur de cet objet Cela permet

drsquointroduire la distinction entre les personnes de la Triniteacute Le fait que ces deux sujets sont

preacutediqueacutes lrsquoun de lrsquoautre permet drsquoexpliquer comment ils sont unis logiquement

Le but du chapitre I 10 est de montrer que lrsquoeacutegaliteacute est de la mecircme substance que lrsquouniteacute

mais qursquoen mecircme temps lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute sont distinctes Achard le fait en introduisant les notions

de participation et drsquoexistence La premiegravere deacutesigne la relation entre le preacutedicat et le sujet qui

indiquent des objets diffeacuterents (la blancheur et quelque chose de blanc) et la deuxiegraveme la relation

entre le preacutedicat et le sujet qui deacutesignent le mecircme objet (laquo la sagesse est sage raquo ou laquo lrsquouniteacute est

eacutegaliteacute raquo) Ainsi Achard utilise la notion de participation afin drsquoexpliquer pourquoi lrsquoeacutegaliteacute et

lrsquouniteacute sont distinctes et la notion drsquoexistence afin de montrer pourquoi elles sont de la mecircme

substance

Achard emploie le terme de participatio dans le reste du De unitate En particulier il la deacutecrit

de maniegravere deacutetailleacutee en II 3

laquo Crsquoest pourquoi srsquoil nrsquoy a rien dans les vertus ou la beacuteatitude de Dieu que lui-mecircme ne

puisse faire descendre dans la participation de la creacuteature rationnelle alors lui-mecircme pour

ainsi dire tout entier a proceacutedeacute dans une infiniteacute de participations de ce genre non certes par

lrsquoacte creacuteateur mais cependant en intellect de telle sorte que lrsquoinfiniteacute de ces vertus et de ces

beacuteatitudes correspond en quelque maniegravere agrave son immensiteacute et que ce qui lagrave-bas est en soi-

167

mecircme sans limite est aussi en celles-ci sans nombre et qursquoil nrsquoy a rien lagrave-bas dans lrsquouniteacute de

Dieu qui ne soit ici tout entier dans une distinction varieacutee et multiple et mecircme infinie460 raquo

Ainsi la participation est la relation entre Dieu et les ecirctres in intellectu ainsi qursquoentre les ecirctres

in intellectu et les ecirctres in actu

Par rapport agrave la doctrine des formes Achard dit que sans distinction dans la forme premiegravere

rien ne pourrait venir agrave la participation461 Pour le reste laquo les vertus des creacuteatures que les saints

reccediloivent par gracircce sont des participations de ces vertus premiegraveres et suprecircmes qui sont toutes en

Dieu462 raquo les gracircces et les dons qui se reacutefegraverent au Saint-Esprit sont les participations463 la deacuteiteacute a

proceacutedeacute de maniegravere pleine dans le Verbe (geacuteneacuteration) est par participation dans les hommes (lors de

la creacuteation)464

Le thegraveme de la participation apparaicirct quand il srsquoagit des universaux (II 8) Est-ce que les

universaux sont des formes infuseacutees dans les choses par participation se demande Achard Les

corps carreacutes participent agrave la forme de tous les corps carreacutes La chose universelle peut avoir lrsquoinfiniteacute

des participations Et finalement les universaux portent les noms qursquoils obtiennent dans la

participation des choses et non ceux qursquoils ont en eux-mecircmes

Les autres cas drsquoemploi du mot participatio

- les esprits creacuteeacutes muables sont eacuteternels en raison de la participation agrave lrsquoeacuteterniteacute de Dieu (II

6)

- les biens qui sont bons agrave travers la participation au bien suprecircme (II 10)

- la justice est en elle-mecircme par pleacutenitude et dans la creacuteature par participation (II 17)

- les esprits (mentes) deviennent rationnels et veacuteridiques par participation agrave la Lumiegravere (II

18)

460 laquo Quare si nihil est in virtutibus vel beatitudine Dei quod ab ipso in creaturae rationalis participationem deduci possit tunc et ipse quasi totus ut sic dixerim in participationes hujusmodi infinitas faciendi non actu intellectu tamen processit ut istarum infinitas illius virtutum et beatitudinis quodammodo respondeat immensitatI ltetgt ut quod ibi in seipso sine termino in istis quoque sit et sine numero ibique nihil sit in sua unitate quod non hic totum sit in varia et multiplici imo infinita distinctione raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-145 461 laquo Quod quidem si esset nec si quis in Dei contemplatione rei alicujus veritatem videre posset quin pariter et eo ipso cujuslibet etiam rei alterius veritatem agnosceret nec veritatem rei unius sciret quin simul et veritatem sciret omnium nec intelligeret alter ibi aliquid de rerum veritate quod non alter sed nec id quod penitus sine omni distinctione esset et in participationem aliquam venire posset nec pateret quomodo quis id per se ipsum et in se ipso videret quin tantum videret vel quomodo etiam Deus ltnecgt ipse aliquid circa veritatem sive in veritate rerum videret [184 rdeg] quod non quilibet quoltadgt aliquid ibi videret raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 143 462 laquo Virtutes autem creaturarum quas per gratiam accipiunt ltsanctigt quaedam sunt illarum quae in Deo omnes et totae et simul et semper sunt virtutum primarum et summarui participationes raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144 463 laquoQuod et ad Spiritus sancti si tamen ita se habet intelligendam proprietatem valere poterit Ipse siquidem Patris et Filii est connexio ex eis aeternaliter procedens et ad ipsum in Scripturis distributiones gratiarum atque donorum dona quoque ipsa vel gratiae referri solent quae aliud non sunt nisi praedictae participationes rerum praedictarum raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-146 464 laquo Ibi si non in alios per participationes infinitas in ipsum tamen ltsecundumgt plenialdinem omnimodam ab aeterno processit deitas tota ut ibi ex tunc in eo habitet processione aeterna omnis plenitudo divinitatis intellectualiter quae postmodum in temporis plenitudine in eo coepit processione temporali habitare corporaliter raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 146-147

168

Ainsi dans le reste du De unitate la notion de participation implique le fait que des objets

lagrave-bas (in intellectu) sont agrave lrsquoorigine des ecirctres ici (in actu) Dans ce contexte la participation

ressemble plutocirct agrave une doctrine de type platonicien quand les choses sensibles participent aux ideacutees

intelligibles par imitation465

Lrsquoeacutetude de la notion de participation permet drsquoapprendre qursquoAchard accepte la preacutedication

intra-cateacutegorielle au sein drsquoune substance pour expliquer la Triniteacute

Dans les chapitres I 1-11 du De unitate Achard expose les bases de sa doctrine trinitaire

Lrsquouniteacute et la pluraliteacute existent en Dieu car elles sont dans le monde La similitude et la participation

sont des relations logiques (de type laquo preacutedication raquo) qui rendent possible une telle existence

La meacutetaphysique trinitaire drsquoAchard est proche du platonisme Achard accepte les deux

niveaux ndash ici et lagrave-bas ndash qui sont qualitativement diffeacuterents De plus les qualiteacutes qui sont lagrave-bas (en

Dieu) ndash lrsquounitas et lrsquoexistence ndash sont plus parfaites que leurs analogues la similitudo et la

participatio ici (parmi les creacuteatures) Ainsi les deux niveaux sont diffeacuterents qualitativement

Pourtant Achard nrsquoaccepte pas un tel caractegravere distinctif du neacuteoplatonisme comme la

primauteacute absolue de lrsquouniteacute Lrsquouniteacute est preacutesente en Dieu avec la pluraliteacute primaire ce qui donne la

Triniteacute Cela devient possible suite au deacuteveloppement de la doctrine platonicienne de la

participation

Augustin a deacuteveloppeacute la doctrine de participation en disant qursquoelle-mecircme est imparfaite dans

les creacuteatures et en Dieu crsquoest lrsquoidentiteacute (ecirctre essence De Trinitate XV V 8) parfaite qui lui

correspond Erigegravene appelle cette identiteacute parfaite la preacutedication par essence Cela leur a permis de

deacutemontrer la simpliciteacute de Dieu (ses qualiteacutes sont identiques car elles sont la substance elle-mecircme)

En reacutealiteacute ils ont pris lrsquoideacutee que les ecirctres en Dieu sont parfaits et dans les creacuteatures non et ils lrsquoont

appliqueacutee agrave la notion mecircme de la participation Cela implique que la participation imparfaite dans

les creacuteatures a son analogue parfait (lrsquoidentiteacute ou la preacutedication par essence) en Dieu Cette

distinction entre la participation des ecirctres du monde aux qualiteacutes de Dieu et lrsquoidentiteacute parfaite de ces

qualiteacutes en Dieu se manifeste chez Achard de Saint-Victor dans la distinction de la participation

entre les qualiteacutes en Dieu et les ecirctres dans le monde et lrsquoexistence en tant que relation des qualiteacutes

en Dieu (De unitate I 10) De cette faccedilon Augustin et Erigegravene transmettent agrave Achard et les

doctrines suivantes

- les ecirctres sont parfaits en Dieu et imparfaits dans les creacuteatures 465 Voir par exemple la participation chez Plotin JF PRADEAU Lrsquoimitation de principe Plotin et participation Paris 2003 p 89-96

169

- les ecirctres imparfaits participent agrave leur prototype parfait en Dieu

- la relation mecircme de la participation est imparfaite et a son prototype parfait en Dieu

La derniegravere thegravese est particuliegravere au platonisme drsquoAugustin et drsquoErigegravene

Achard choisit de deacutecrire les uniteacutes qui apparaissent dans le monde (De unitate I 7 corpora

conveniunt corpus et spiritus cohaerent spiritus increatus penetrat spiritum creatum) Hugues

adopte la mecircme strateacutegie (De sacramentis Christianae fidei I III XII compositio collectio

similitudio) Les deux auteurs analysent les moyens de creacuteer lrsquouniteacute dans le monde autrement qursquoen

postulant qursquoelle deacutepend de Dieu De cette faccedilon ils ne comptent pas uniquement sur lrsquooutillage

platonicien

Achard accepte notamment la formule trinitaire drsquoAugustin Unitas Aequalitas Connexio

(ou Concordia) qursquoil transforme en Unitas eo quod ei est Aequale Aequalitas Les deux

contemporains drsquoAchard ndash Thierry des Chartres et Richard de Saint-Victor ndash prennent cette mecircme

formule dans son eacutetat originel Richard le fait dans sa lettre De tribus personis appropriatis qui est

eacutecrite entre 1162 et 1173466 (Jean Ribaillier pense que crsquoest le De unitate qui a inspireacute Richard467)

Et Thierry le fait dans plusieurs œuvres (voir plus haut) reacutedigeacutees entre 1130 et 1150 De cette faccedilon

Achard accepte cette formule probablement en mecircme temps que Thierry Pourtant il la modifie De

plus Achard le fait dans un traiteacute trinitaire indeacutependant et Thierry dans ses commentaires sur le De

Trinitate de Boegravece Les contextes de lrsquoemploi de cette formule sont leacutegegraverement diffeacuterents chez les

deux auteurs Il est ainsi difficile de deacutefinir srsquoil a eu de lrsquoinfluence drsquoun cocircteacute ou srsquoils se sont inspireacutes

tous les deux drsquoAugustin

Achard comprend les membres de cette formule ndash lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute ndash surtout comme les

laquo substances raquo (les accidents universaux selon la terminologie aristoteacutelico-boeacutecienne) La

preacutedication extra-cateacutegorielle laquo lrsquouniteacute est eacutegale raquo et laquo lrsquoeacutegaliteacute est une raquo est possible parce que ces

qualiteacutes sont lieacutees (lrsquoeacutegaliteacute parfaite est lrsquouniteacute) Du fait que lrsquoeacutegaliteacute et lrsquouniteacute soient lieacutees elles ont

la mecircme substance mais sont aussi des personnes diffeacuterentes

En deacutefinitive la solution du problegraveme trinitaire drsquoAchard de Saint-Victor peut ecirctre appeleacutee

laquo logique raquo car il srsquoagit de la preacutedication de lrsquouniteacute et de lrsquoeacutegaliteacute mais elle est diffeacuterente de la

solution logique drsquoAugustin (le Pegravere et le Fils se preacutediquent selon la cateacutegorie de la relation) Elle

est plus proche agrave notre avis de la solution que Thierry de Chartres appelle matheacutematique De cette

faccedilon lrsquoeacutetude de la doctrine drsquoAchard permet de montrer une autre application de lrsquoheacuteritage

drsquoAugustin dans la doctrine trinitaire

Lrsquoexplication de la doctrine drsquoAchard dans les termes des theacuteories contemporaines aide agrave

voir la particulariteacute de lrsquouniteacute et de lrsquoeacutegaliteacute en Dieu Exprimeacutee en des termes drsquoensemble lrsquouniteacute

466J RIBAILLE laquo Etude litteacuteraire raquo dans RICHARD DE SAINT-VICTOR Opuscules theacuteologiques Texte critique avec introduction notes et tables eacuted RIBAILLIER Paris 1967 (Textes philosophiques du Moyen Age 15) p 172-174 467 Ibid p 177-178

170

est un ensemble de personnes et un membre de cet ensemble en tant que personne (U= (U a1 a2hellip

an) pour tout ai aj 1 lt i j lt n ai est eacutegal agrave aj) Exprimeacutee en des termes de fonction lrsquoeacutegaliteacute est la

fonction des deux premiegraveres personnes de la Triniteacute (A(u1 u2)) Cela souligne le fait que lrsquoeacutegaliteacute

est diffeacuterente des autres personnes

Lrsquoavantage de lrsquointerpreacutetation de lrsquouniteacute et de lrsquoeacutegaliteacute en terme de preacutedication est que cela

permet de comprendre comment ces notions peuvent deacutesigner la mecircme substance (la substance

unique de Dieu) ecirctre distinctes (quand elles sont preacutediqueacutees lrsquoune de lrsquoautre comme les accidents

particuliers) et ecirctre les prototypes des qualiteacutes dans le monde (comme les accidents universaux) en

mecircme temps De cette maniegravere la premiegravere voie pour introduire la distinction en Dieu est

drsquoexpliquer les personnes en termes de preacutedication

171

CHAPITRE VI

Les personnes de la Triniteacute

Parmi les questions qui ont eacuteteacute poseacutees par Achard agrave propos de la Triniteacute (voir chapitre III)

nous voudrions souligner les deux qui sont susceptibles drsquoecirctre influenceacutees par la philosophie

platonicienne

1) Pourquoi faut-il distinguer trois personnes

2) Pourquoi la procession des personnes srsquoarrecircte-t-elle agrave trois A savoir pourquoi Dieu ne

descend-il pas directement dans le monde

La premiegravere question comprend la deacutefinition du rocircle des personnes dans la meacutetaphysique du

De unitate drsquoAchard Une autre question qui a eacuteteacute poseacutee ndash les noms des personnes ndash sort du cadre

geacuteneacuteral de notre recherche mais elle va ecirctre eacutetudieacutee quand mecircme dans le cas drsquoAchard seulement

VI1 La fonction des personnes de la Triniteacute selon la penseacutee tardo-antique

La notion de personne joue un rocircle important dans la doctrine chreacutetienne Crsquoest gracircce agrave la

preacutesence des personnes que Dieu est conccedilu comme Triniteacute et qursquoil a un mouvement interne

(procession) La doctrine de la procession permet drsquoeacutelaborer une explication philosophique de la

Triniteacute

Nous avons deacutejagrave dit que la doctrine des trois personnes a eacuteteacute deacuteveloppeacutee sur la base des

teacutemoignages du Nouveau Testament Les Pegraveres de lrsquoEglise proposent des explications theacuteologiques

de cette doctrine avec un outillage intellectuel largement emprunteacute agrave la philosophie468 Le scheacutema

neacuteoplatonicien de la procession de tout ce qui existe agrave partir de lrsquoUn influence la formation de la

doctrine trinitaire Pourtant le Dieu chreacutetien est de nature diffeacuterente de celle du monde469 Par

conseacutequent la procession comprend deacutesormais les doctrines (1) de la relation interne des personnes

et (2) de la relation entre Dieu et le monde

468 Nous allons eacutetudier une de ces doctrines ndash le Fils en tant que Verbe de Dieu ndash dans les chapitres suivants 469 Ce qui rappelle la doctrine neacuteoplatonicienne selon laquelle le principe premier qui est la raison de lrsquoexistence des ecirctres est au-delagrave de ces ecirctres A ce propos voir E BERTI laquo Le problegraveme de la substantialiteacute de lrsquoecirctre et lrsquoun raquo dans Etudes sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Actes du VIe symposium aristotelicum eacuted P AUBENQUE Paris 1979 p 90

172

De cette faccedilon la doctrine de la relation interne (1) concerne les questions du nombre des

personnes et de leurs relations mutuelles La doctrine de la relation entre Dieu et le monde (2)

explique le paradoxe comment le monde peut-il ecirctre diffegraverent de Dieu srsquoil provient de lui

VI11 Le rocircle des personnes dans la Triniteacute

Pour deacutefinir le rocircle des personnes agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute nous allons poser les questions

suivantes

- Comment les personnes sont-elles distingueacutees

- Quelle est la relation entre les personnes

1 La premiegravere question touche le problegraveme du monotheacuteisme chreacutetien La distinction entre les

trois personnes ne doit pas ecirctre substantielle sinon il faudrait accepter lrsquoexistence de trois dieux

Drsquoapregraves Augustin la distinction interne entre les personnes apparaicirct quand chaque personne

est prise dans sa relation aux autres (Augustin De Trinitate V)470 En mecircme temps elles agissent

dans le monde comme un seul Dieu471

Boegravece propose la deacutefinition de la personne qui devient la plus connue au Moyen Age La

personne est laquo une substance indivisible de nature rationnelles raquo (laquo rationabilis naturae individua

substantia raquo Contra Eutychen III) Drsquoapregraves Boegravece les personnes se sont dites de Dieu et lrsquoune de

lrsquoautre relativement (Utrum Pater De Trinitate V) De cette faccedilon elles se distinguent entre elles

mais cette distinction nrsquoest pas substantielle

La deacutefinition de la diffeacuterence des personnes drsquoapregraves Boegravece ne deacutepend pas de leur

mouvement agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute En mecircme temps il distingue les personnes comme trois

entiteacutes diverses mais il ne preacutecise pas en quoi chaque personne est diffeacuterente des deux autres

Erigegravene dit que chaque personne est une Cause et que les trois causes sont une (Periphyseon

II)

laquo Le Pegravere le Fils et le Saint-Esprit constituent agrave la fois trois Causes et une Cause unique car

les Trois sont Un Le Pegravere est la Cause geacuteneacuteratrice de son Fils monogegravene neacute de Lui lequel

est la Cause de toutes les causes primordiales qui ont eacuteteacute creacuteeacutees en Lui par le Pegravere mais le

Pegravere est aussi la Cause du Saint-Esprit qui procegravede de Lui par le Fils et le Saint-Esprit est la

Cause de la division de la multiplication et de la distribution de toutes les causes qui ont eacuteteacute

470 Voir le chapitre IV11 laquo Augustin en tant que source du discours trinitaire du XIIe siegravecle raquo 471J TURMEL Histoire des dogmes t II La Triniteacute LrsquoIncarnation La Vierge Marie Paris 1931 p 196

173

creacuteeacutees dans le Fils par le Pegravere que lrsquoEsprit divise multiplie et distribue dans leurs effets

geacuteneacuteriques speacutecifiques et individuels472 raquo

Werner Beierwaltes remarque que la doctrine trinitaire drsquoErigegravene comprend la causaliteacute

interne et en cela elle est diffeacuterente des doctrines drsquoAugustin et de Boegravece Les personnes de la

Triniteacute sont des causes lrsquoune pour lrsquoautre Mais cette causaliteacute est diffeacuterente de la causaliteacute qui a lieu

dans le monde Tandis que cette derniegravere preacutevoit la subordination la deacutependance et lrsquoineacutegaliteacute entre

la cause et lrsquoeffet la causaliteacute divine a des caracteacuteristiques diffeacuterentes Les personnes sont eacutegales et

aucune drsquoentre elles nrsquoest subordonneacutee aux autres ou ne les preacutecegravede dans le temps473

Ainsi selon Erigegravene les personnes sont semblables car elles sont des causes Mais elles sont

diffeacuterentes car chaque personne en tant que cause produit des effets diffeacuterents

En deacutefinitive Augustin Boegravece et Erigegravene expliquent de maniegraveres diffeacuterentes la distinction

des trois personnes de la Triniteacute

- selon leur relation mutuelle

- selon la preacutedication

- car elles sont des causes diffeacuterentes

2 Le scheacutema trinitaire est diffeacuterent entre lrsquoOrient et lrsquoOccident Les Pegraveres grecs disent que le

Saint-Esprit procegravede du Pegravere seul Les Pegraveres latins enseignent que le Fils est engendreacute par le Pegravere et

le Saint-Esprit procegravede du Pegravere et du Fils La communion du Saint-Esprit est une doctrine qui

apparaicirct au sein de la theacuteologie occidentale chez Marius Victorinus et Augustin474 La diffeacuterence

consiste dans le fait que les occidentaux considegraverent le Fils en tant que principe eacutegal au Pegravere

Boegravece quant agrave lui ne touche pas la question de la procession dans quatre de ses traiteacutes

trinitaires Dans le De fide catholica il explique seulement que le Fils procegravede du Pegravere Le Saint-

Esprit procegravede du Pegravere et du Fils et le mode de cette procession nrsquoest pas connu475

472 laquo Patrem et Filium et Spiritum sanctum tres causas et unam causam (tres enim unum sunt) patrem autem causam gignentem nascentis de se filii sui unigeniti qui causa est omnium primordialium causarum in se ipso a patre conditarum eundem uero patrem causam procedentis a se sancti spiritus Qui spiritus causa est diuisionis et multiplicationis distributionis que causarum omnium quae in filio a patre factae sunt in effectus suos et generales et speciales et proprios raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 115 = PL 122 609BC trad BERTIN t I-II p 407-408 473 W BEIERWALTES laquo Unity and Trinity in East and West raquo dans Eriugena East and West papers of the eighth international Colloquium of the Society for the promotion of Eriugenian studies Chicago and Notre Dame 18-20 October 1991 eacuted B MCGINN et W OTTEN Notre Dame (Ind) 1994 p 222 (Notre Dame conferences in medieval studies 5) 474 A propos drsquoAugustin voir CJ MEWS laquo The world as text the Bible and the book of nature in twelfth-century theology raquo dans Scripture and pluralism reading the Bible in the religously plural worlds of the Middle Ages and Renaissance ed TH J HEFFERNAN and TH E BURMAN Leiden p 102 475 Lrsquoinfluence de ce teacutemoignage est douteuse vu que les grands commentateurs du XIIe siegravecle nrsquoincluent pas le De fide catholica dans le corpus drsquoOpucula Sacra A GALONNIER laquo Introduction Traiteacute IV ltDe fide catholicagt raquo dans BOEgraveCE Opuscula Sacra eacuted A GALONNIER t I Louvain-Paris 2007 p 380

174

Erigegravene dit que chacune des trois personnes de la Triniteacute consiste dans les autres dans son

inteacutegraliteacute (in toto476) Il se demande srsquoil est possible que le Fils soit neacute du Pegravere par le Saint-Esprit

de la mecircme faccedilon que le Saint-Esprit procegravede du Pegravere par le Fils Il deacutemontre que cela nrsquoest pas

possible agrave travers les analogies trinitaires (feu rayon clarteacute esprit raison sens inteacuterieur) Mais

lrsquoargument principal est ce que drsquoapregraves le Symbole de foi le Fils est engendreacute et le Saint-Esprit

procegravede477 Les teacutemoignages du Nouveau Testament (Lc 1 35 Mt 1 20) convainquent Erigegravene

drsquoaccepter la version catholique de la procession

De cette faccedilon les penseurs occidentaux deacuteveloppent le scheacutema de la procession du Saint-

Esprit agrave partir du Pegravere agrave travers le Fils

VI12 Le rocircle des personnes dans le monde

Le Dieu chreacutetien creacutee le monde En mecircme temps il est incompreacutehensible pour des raisons

humaines Ces deux postulats trouvent leur reflet dans la doctrine trinitaire Voilagrave pourquoi dans

cette partie nous allons poser les questions suivantes

- quel est le rocircle de la Triniteacute dans le processus de la creacuteation

- comment la Triniteacute et le monde permettent-ils de se comprendre mutuellement

1 Selon Augustin la creacuteation a lieu en deux eacutetapes

- la creacuteation ex nihilo

- lrsquoinformation478

Lrsquoinformation est le moment ougrave une creacuteature reccediloit sa forme Cette forme correspond agrave une

raison eacuteternelle qui est dans le Verbe de Dieu (De ideis De diversis quaestionibus 83 qu 46)

Selon Augustin Dieu continue toujours drsquoinformer les ecirctres (De civ Dei XXII XXIV 2) Par

conseacutequent Dieu agit sur le monde mais pas de maniegravere directe Il contient dans son Verbe les

ideacutees qui sont les prototypes des ecirctres dans le monde Il est une cause exemplaire du monde

Voici comment Erigegravene deacutecrit la creacuteation

476 laquo Ita et spiritum sanctum a patre per filium procedere catholica fides praedicat quoniam ipse pater qui principalis causa est et sola processionis sancti spiritus totus in toto filio est sicut et totus filius in toto patre ex quo patre per filium sanctus spiritus procedit raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 115-6 = PL 122 609C 477 laquo Inquisitor siquidem sollicitus sanctae theologiae spiritum sanctum a patre per filium audiens procedere mox diuino studio admonitus quaerit et dicit Si ergo spiritus sanctus a patre per filium procedit cur non similiter filius a patre per spiritum nascitur Si autem filius a patre per spiritum non nascitur cur spiritus sanctus a patre per filium procedere diceretur Nam quod de spiritu sancto catholice creditur cur non etiam de filio similiter crederetur Ac per hoc quod in sancto symbolo secundum graecos canitur hac quaestione liberum omnino est atque absolutum Dicit enim filium ΕΚ ΤΟΥ ΠΑΤΡΟΣ ΓΕΝΕΘΕΝΤΑ (hoc est ex patre genitum) spiritum uero ΕΚ ΤΟΥ ΠΑΤΡΟΣ ΠΟΡΕΥΟΜΕΝΟΝ (id est ex patre procedentem) raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 119 = PL 122 611D-612B 478 F-J THONNARD laquo Notes complementaires Creacuteation et conformation raquo dans AUGUSTIN De civitate Dei eacuted B DOMBART et A KALB trad G COMBEgraveS F-J THONNARD et M A DEVYNCK Paris 1960 p849 (BA 37)

175

laquo Le Pegravere est donc la Cause agrave la fois du Fils et du Saint-Esprit alors que le Fils est la Cause

de la creacuteation des causes primordiales agrave lrsquoeacutetat principiel et que le Saint-Esprit devient la

Cause de la distribution des causes primordiales dans leurs effets479 raquo

Werner Beierwaltes souligne que la doctrine trinitaire drsquoErigegravene est causale et qursquoelle est

inspireacutee par le neacuteoplatonisme de pseudo-Denys480 Erigegravene montre comment lrsquouniteacute se multiplie agrave

travers la relation causale et deacutecoule ensuite dans le monde Les causes qui ont eacuteteacute conccedilues dans le

Fils ont une nature leacutegegraverement diffeacuterente de lui481

Ainsi selon Augustin lrsquoinformation ndash lrsquoadjonction des formes agrave la matiegravere ndash a lieu

constamment dans le monde Dieu a preacutecreacuteeacute le monde une fois dans le Verbe et deacutesormais il le

reacutealise Selon Erigegravene Dieu a creacuteeacute les causes dans le Fils et il a ordonneacute leur distribution au Saint-

Esprit Ce processus se deacuteroule dans le monde

Ces deux doctrines drsquoAugustin et drsquoErigegravene correspondent agrave la doctrine chreacutetienne ougrave la

creacuteation srsquoeffectue par le Pegravere agrave travers le Fils (le Verbe) et le Saint-Esprit qui distribue sa Bonteacute

aux œuvres

Augustin et Erigegravene eacutetablissent des doctrines drsquoapregraves lesquelles Dieu eacutemane dans le monde agrave

travers son Verbe Dans le cas drsquoAugustin les formes srsquoimpriment dans le monde Dans le cas

drsquoErigegravene les causes proviennent du Verbe Dans les deux cas lrsquointeraction entre la procession des

personnes et la creacuteation du monde est preacutesente

2 Dans cette partie nous allons montrer une autre maniegravere de lier la Triniteacute et le monde

Comme les neacuteoplatoniciens Augustin dit que Dieu est diffeacuterent du monde Mais il se

concentre sur un aspect eacutepisteacutemologique de cette diffeacuterence la Triniteacute nrsquoest pas concevable mais

le monde lrsquoest Pour surpasser cette diffeacuterence Augustin propose la doctrine des analogies

trinitaires

479 laquo Causa itaque filii pater est et spiritus sancti filius uero causa est conditionis principaliter causarum earundem autem causarum distributionis spiritus sanctus causa est raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 104 = PL 122 601B trad BERTIN t I-II p 395 (mod I Lystopad) 480 W BEIERWALTES laquo Unity and Trinity in East and West raquo dans Eriugena East and West papers of the eighth international Colloquium of the Society for the promotion of Eriugenian studies Chicago and Notre Dame 18-20 October 1991 eacuted B MCGINN et W OTTEN Notre Dame (Ind) 1994 p 223-4 (Notre Dame conferences in medieval studies 5) 481 laquo Hinc conficitur quod ideo primordiales rerum causas deo coaeternas esse dicimus quia semper in deo sine ullo temporali principio subsistunt non omnino tamen deo esse coaeternas quia non a se ipsis sed a suo creatore incipiunt esse Ipse uero creator nullo modo incipit esse raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 48 = PL 122 561C-562A

176

Pour comprendre Augustin cherche drsquoabord les traces de la Triniteacute dans le monde et

ensuite ses images dans lrsquoacircme humaine (qui est la moins imparfaite des creacuteatures)482 Il part de

lrsquoideacutee que les objets creacuteeacutes par Dieu portent en eux des traces de la Triniteacute

La doctrine des analogies trinitaires est aujourdrsquohui largement eacutetudieacutee483 Nous nous

permettons de distinguer les analogies drsquoAugustin selon les triades suivantes

- les objets exteacuterieurs agrave lrsquoacircme (amans amatus amor De Trin VIII X 14 physica

ethica logica De civ Dei XI XXV aeternitas ueritas caritas De Trin XI 28)

- les eacutetapes de la perception (res imago congruentia De Trin VI X 11 unitas species

ordo VI X 12 res visa (corpus) visio exterior intentio XI II 2 memoria visio

interior volitio XI III 6-9)

- les faculteacutes de lrsquoacircme (mens notitia amor De Trin IX III 3 memoria intelligentia

voluntas XI XI 7 scientia cogitatio amor XIII XX 26 etc)

Erigegravene quant agrave lui trouve aussi des analogies pour exprimer la Triniteacute484

Pegravere Fils Saint-Esprit

567A ousia dynamis energeia

568D intellectus ratio virtus sensus operatio

569B nous logos dianoia

608B ignis radius splendor

Erigegravene part des explications possibles des opeacuterations de la Triniteacute (ousia dynamis

energeia) Ensuite il dit que les mouvements de lrsquoacircme ressemblent agrave ceux de la Triniteacute (intellectus

ratio sensus) Plus tard Erigegravene ajoute les meacutetaphores du feu du rayon et de la clarteacute pour

expliquer comment les personnes sont trois et une en mecircme temps485

482 D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 270 483 Cf Chapitre V11 laquo Augustin en tant que source du discours trinitaire du XIIe siegravecle raquo 484 R ROQUES laquo Remarques sur la signification de Jean Scot Eacuterigegravene raquo dans Miscellanea A Combes Rome 1967 p 312-4 485 laquo Num nobis uisum est nullam naturam esse quae non in his tribus terminis intelligatur subsistere qui a graecis ut saepe diximus ΟΥΣΙΑ ΔΥΝΑΜΙΣ ΕΝΕΡΓΕΙΑ appellantur (hoc est essentia uirtus operatio) raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 55 = PL 122 567A laquo Sed uide quid tibi uidetur de famosissima nostrae naturae trinitate quae in intellectu et ratione et sensu intelligitur raquo Ibid p 58= PL 122 568D laquo In ea enim ΝΟΥΣ intellectus dicitur ΛΟΓΟΣ ratio ΔΙΑΝΟΙΑ sensus non ille exterior sed interior et in his tribus essentialis trinitas animae ad imaginem dei constitutae subsistit raquo Ibid p 59= PL 122 569B laquoVt enim propterea splendorem ex igne per radium procedere dicimus quoniam ignis ipse totus in toto radio subsistit ex quo per radium splendor emittitur ita et spiritum sanctum a patre per filium procedere catholica fides praedicat quoniam ipse pater qui principalis causa est et sola processionis sancti spiritus totus in toto filio est sicut et totus filius in toto patre ex quo patre per filium sanctus spiritus procedit raquo Ibid p 115= PL 122 609C

177

Augustin et Erigegravene trouvent que lrsquoacircme humaine ressemblant agrave Dieu est un des exemples

les plus eacutevidents de lrsquoinfluence de la Triniteacute Leur theacuteologie trinitaire signale que mecircme si le monde

est diffeacuterent de Dieu Dieu a laisseacute ses traces dans le monde

Augustin Boegravece et Erigegravene distinguent les trois personnes Dans le cas drsquoAugustin et

drsquoErigegravene chaque personne a son rocircle dans la Triniteacute Les points de deacutepart de leurs doctrines sont

les teacutemoignages de la Bible et la doctrine de lrsquoEglise chreacutetienne Boegravece explique simplement

pourquoi il faut distinguer les personnes La question laquopourquoi il y a trois personnes raquo nrsquoest pas

poseacutee

Dans les doctrines des penseurs chreacutetiens tardo-antiques Dieu creacutee le monde agrave travers son

Fils En mecircme temps ils acceptent le postulat que la nature de Dieu est diffeacuterente de celle du

monde Augustin souligne le rocircle du Verbe en tant que cause exemplaire Erigegravene remarque que les

causes qui proviennent du Verbe ont une nature diffeacuterente de celle du Verbe Les deux tracent la

frontiegravere entre Dieu est le monde Et les deux acceptent la doctrine des analogies trinitaires qui est

baseacutee sur le postulat que Dieu donne des cleacutes pour comprendre son mystegravere dans le monde

VI2 La procession et la Triniteacute chez les victorins

Nous avons deacutejagrave deacutefini les deux les types de procession qui concernent la Triniteacute

- celle qui a lieu agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute

- celle qui a lieu entre la Triniteacute et le monde

Nous avons vu que diffeacuterentes doctrines ont eacuteteacute employeacutees pour expliquer ces processions

La distinction entre les opeacuterations qui sont orienteacutees ad intra (entre les personnes elle-mecircme) et ad

extra (entre les personnes et la creacuteature) devient un sujet majeur du discours trinitaire du XIIe

siegravecle486

Dans ce chapitre nous allons eacutetudier les doctrines drsquoHugues et de Richard de Saint-Victor

concernant les proprieacuteteacutes et les opeacuterations de la Triniteacute

486 D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siegravecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 275

178

VI21 Le mouvement inteacuterieur de la Triniteacute

VI211 Hugues de Saint-Victor

Hugues de Saint-Victor explique la doctrine de la Triniteacute agrave lrsquoaide de ce qui devient la theacuteorie

des appropriations Dans le De tribus diebus il dit

laquo La puissance se rapporte au Pegravere la sagesse au Fils la bonteacute au Saint-Esprit487 raquo

Les trois proprieacuteteacutes de Dieu ndash puissance sagesse et bonteacute ndash ne sont pas des personnes de la

Triniteacute mais les appropriations qui deacutesignent en premier lieu la substance divine488

Nous avons fait une reacutecapitulation des proprieacuteteacutes qui manifestent selon Hugues lrsquouniteacute et la

Triniteacute en Dieu (De sacramentis I III XXXI)

Unitas

unitas aequalitas aeternitas

aeternitas et immensitas simplicitas incommutabilitas

sine quantitate sine tempore

Trinitas

communio immensitas coaevitas

sine divisione sine diminutione sine ordine vel successione

tota singulis in unitate plena in immensitate perfecta in aeternitate489

487 laquo Potentia ad Patrem sapientia ad Filium benignitas pertinet ad Spiritum sanctum raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XXVI eacuted POIREL p 64 = PL 176 836B Trad D POREL Le lsquoDe tribus diebusrsquo de Hugues de Saint-Victor Edition critique et commentaire historique et doctrinal Paris 1999 Thegravese de doctorat p 607 488 laquo Potentia Patris erat et Filii erat et Spiritus sancti erat et substantialiter erat et aequaliter erat Et sapientia Patris erat et Filii erat et Spiritus sancti erat et substantialiter erat et aequaliter erat Et bonitas Patris erat et Filii erat et Spiritus sancti erat et substantialiter erat et aequaliter erat raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis Christianae fidei I II VII PL 176 209A 489 laquo Quod Deus trinus et unus et quid in unitate et quid in trinitate Ita ergo ab initio proditus est Deus conscientiae humanae et adjuta fides indiciis veritatis confessa est Deum esse et ipsum unum Deinde etiam trinum esse Et in unitate quidem confessa est aeternitatem et immensitatem in aeternitate autem incommutabilitatem in immensitate autem simplicitatem hoc est aeternitatem sine tempore et immensitatem sine quantitate In Trinitate vero confessa est communionem unitatis aequalitatem immensitatis coaevitatem aeternitatis Et communionem quidem unitatis sine divisione aequalitatem immensitatis sine diminutione coaevitatem aeternitatis sine ordine vel successione Hoc est singulis in unitate totum in immensitate plenum in aeternitate perfectumraquo Ibid I III IV PL 176 228BC laquo Si ergo Deum confitemur ibi essentia unum et in personis trinum et in unitate quidem agnoscimus aeternitatem et immensitatem In aeternitate autem incommutabilitatem in immensitate vero simplicitatem hoc est aeternitatem sine tempore immensitatem sine quantitate In Trinitate confitemur communionem unitatis aequalitatem immensitatis coaevitatem aeternitatis Et communionem quidem unitatis sine divisione aequalitatem immensitatis sine diminutione coaevitatem aeternitatis sine ordine vel successione Et hoc est singulis unitate totum immensitate plenum aeternitate perfectum raquo Ibid I III XXXI PL 176 232D-233A

179

Le fait que Dieu est un lui donne telles proprieacuteteacutes comme lrsquoeacuteterniteacute la simpliciteacute et

lrsquoimmuabiliteacute Le fait que Dieu est trois personnes lui donne la communion lrsquoimmensiteacute et la

contemporaneacuteiteacute (coaevitas) Hugues montre que le fait que Dieu a plusieurs personnes permet

drsquoexpliquer certaines de ces qualiteacutes

Ensemble avec la theacuteologie positive pour deacutecrire ce qui est Dieu le maicirctre emploie

eacutegalement la theacuteologie neacutegative pour deacutecrire comment il est diffeacuterent de la creacuteature Dieu nrsquoa pas de

qualiteacute ni de temps ni de division ni de diminution ni drsquoordre ni de succession

Dominique Poirel dit que dans le De sacramentis Hugues preacutesente les appropriations

comme des appellations alternatives des personnes destineacutees agrave eacuteviter lrsquoanthropomorphisme des

noms de laquo Pegravere raquo et de laquo Fils raquo Les appellations laquo puissance raquo laquo sagesse raquo et laquo bonteacute raquo signifient

les proprieacuteteacutes de la substance de Dieu490

En mecircme temps ces proprieacuteteacutes ont eacuteteacute eacutegalement tireacutees de notre compreacutehension de la Triniteacute

comme elle se montre dans la creacuteature Par exemple la Triniteacute se manifeste dans la creacuteature

rationnelle (lrsquoacircme humaine) comme la mens la sapientia et lrsquoamor (De sacramentis I III XXI) ou

comme la potentia la sapientia et lrsquoamor (I III XXVII) Hugues explique que la relation de la

procession entre ces manifestations de la Triniteacute reflegravete la procession mecircme des personnes de la

Triniteacute 491

Potentia Sapientia

Amor

De cette faccedilon il montre le mouvement inteacuterieur des personnes agrave travers ces manifestations

dans la creacuteature rationnelle

490 D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siegravecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 330-2 491 laquo Procedit amor ex ipsa et sapientia sua quo amat eam genitam de se et in se manentem non dividit a se Et apparent tria quaedam in uno mens sapientia et amor et est mens et sapientia de mente et de mente et sapientia amor et surgit Trinitas quaedam et unitas non recedit et sunt simul Trinitas et unitas secundum potestatem et imaginis virtutem raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XXI PL 176 225D laquo Et non erat potentia de aliquo et de ipsa sapientia erat amor autem de potentia et sapientia praecesserat Et non erat potentia sapientia quia potentia ante sapientiam erat et de ipsa sapientia exierat Neque rursum amor potentia vel sapientia dici poterat quia processerat tantum ab ipsis et ipsa aliquando sine ipso exstiterant Et erant tria haec discreta in anima et in his tribus Trinitas animae inventa est Et ascendit anima ab his ad summam Trinitatem et invenit ibi Patrem qui a nullo erat sicut in se potentia et filium qui a Patre erat sicut in se sapientia et Spiritum sanctum qui a Patre et Filio erat sicut in se dilectio a potentia et sapientia processerat Et ideo potentiam Patri tribuit quia in se similitudo fuerat illius et sapientiam Filio quoniam haec in se imago illius erat quae a potentia orta erat et dilectionem Spiritui sancto attribuit quoniam in se a potentia et sapientia processit sicut Spiritus sanctus a Patre et Filio quae dilectio est Patris et Filii raquo Ibid I III XXVII PL 176 229BC

180

VI212 Richard de Saint-Victor

VI2121 La pluraliteacute des personnes

Dans le livre III du De Trinitate Richard eacutetudie la pluraliteacute en Dieu

La procession en Dieu est neacutecessaire car Dieu est tellement parfait qursquoil doit partager ses

perfections492 Notamment la chariteacute de Dieu est lrsquoamour mutuel qui est entre les deux personnes

(III II) Ces deux personnes doivent ecirctre eacutegales (III VII) et pleines de perfection (III VIII)

Ensuite (III IX-X) Richard compare les natures divine et humaine493

natura divina humana

unitas substantiae personae

pluralitas personarum substantiarum

plena similitudo et summa

aequalitas

multa dissimilitudo et magna

inaequalitas

Lrsquohomme a deux substances (le corps et lrsquoacircme) et une personne Dieu a une substance et

trois personnes Dans le deux cas il y a uniteacute et pluraliteacute mais en Dieu la similitude pleine et

lrsquoeacutegaliteacute suprecircme sont preacutesentes

Ensuite Richard deacutemontre la neacutecessiteacute de la troisiegraveme personne Il la deacuteduit de la chariteacute des

deux premiegraveres Elles ont lrsquoamour tellement parfait qursquoil faut le communiquer crsquoest-agrave-dire trouver

un condilectum (III XI) Voici comment Richard lrsquoexplique

laquo Il y a condilection agrave proprement parler lorsque deux amis aiment un troisiegraveme dans une

concorde de la dilection dans une communauteacute de lrsquoamour et que les affections des deux

premiers srsquounifient dans lrsquoincendie de ce troisiegraveme amour494 raquo

Richard consacre le livre IV du De Trinitate agrave lrsquoexplication du fait que Dieu a plusieurs

personnes En IV IX il distingue la diversiteacute des substances et lrsquoalteacuteriteacute des personnes En Dieu il

492 Nico den Bok trouve lrsquoorigine neacuteoplatonicienne de cette thegravese Richard lrsquoemprunte agrave Abeacutelard lui agrave Augustin qui agrave son tour eacutetait inspireacute par des Enneacuteades de Plotin N W DEN BOK Communicating the most high a systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St Victor Paris Turnhout 1996 p 287 Il explique aussi le rocircle de lrsquoamour suprecircme (summa caritas) dans la Triniteacute ibid p 309-319 493 laquoAddamus quia in illa personarum pluralitate est plena similitudo et summa aqualitas in hac autem pluralitate multa dissimilitudo et magna inequalitas raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate III X eacuted RIBAILLIER p 144 =PL 196 921B 494 laquo Condilectio autem jure dicitur ubi a duobus tertius concorditer diligitur socialiter amatur et duorum affectus tertii amoris incendio in unum conflatur raquo Ibid III XIX eacuted RIBAILLIER p 154 =PL 196 927B trad SALET p 209-211

181

nrsquoy a pas de place pour la premiegravere mais il y a la deuxiegraveme Pour expliquer lrsquoalteacuteriteacute des personnes

Richard introduit la notion drsquoexistentia (IV XII) Elle comprend deux aspects

- la qualiteacute drsquoune chose ndash avoir lrsquoecirctre

- lrsquoorigine drsquoune chose ndash avoir lrsquoecirctre de quelqursquoun495

Nico den Bok explique que ces aspects sont deux sortes de proprieacuteteacutes individuelles non-

accidentelles Chaque qualiteacute de ces sortes fait que la substance soit incommunicable (unique)496

Ensuite Richard eacutetudie comment ces aspects se reacutealisent dans les natures humaine

angeacutelique et divine (IV XIV-XV) Voici le tableau comparatif qui montre la preacutesence de lrsquouniteacute de

la qualiteacute et de lrsquoorigine dans ces natures497

Natura Unitas qualitatis Unitas originis

humana - -

angelica - +

divina + -

Toutes ces trois natures ont une pluraliteacute drsquoexistences la nature humaine par la qualiteacute et

par lrsquoorigine (il existe plusieurs ecirctres qui proviennent des plusieurs ecirctres) la nature angeacutelique par la

qualiteacute (plusieurs ecirctres qui nrsquoont pas drsquoorigine car ils ont eacuteteacute creacuteeacute) et la nature divine par lrsquoorigine

(la substance unique dont les personnes proviennent lrsquoune de lrsquoautre)

Ainsi pour deacutecrire la nature de Dieu Richard distingue les deux aspects de lrsquoexistence la

qualiteacute et lrsquoorigine

En IV XVI-XVIII Richard distingue en Dieu lrsquoexistence commune (propre agrave plusieurs) et

incommunicable (propre agrave une seule personne) Les trois personnes ont lrsquoexistence commune ndash la

substance unique de Dieu Leurs existences incommunicables ndash les proprieacuteteacutes et les origines

incommunicables de chaque personne

495 laquoQuod igitur dicitur sistere tam se habet ad rationem create quam increate essentie Quod autem dicitur existere subintelligitur non solum quod habeat esse sed etiam aliunde hoc est ex aliquo habeat esse Hoc enim intelligi datur in verbo composito lsquoexrsquo adjuncta sibi praepositione Quid est enim existere nisi ex aliquo sistere hoc est substantialiter ex aliquo esse In uno itaque hoc verbo existere vel sub uno nomine existentie datur subintelligi posse et illam considerationem que pertinet ad rei qualitatem et illam que pertinet ad rei originem raquo Ibid IV XII eacuted RIBAILLIER p 174-5 =PL 938A 496 N W DEN BOK Communicating the most high a systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St Victor Paris-Turnhout 1996 p 219-220 497 laquo Videmus itaque ut dictum est in humanis personis existentiarum proprietatem variari quidem tam secundum singulorum qualitatem quam secundum ipsorum originem In angelica autem natura nulla est propagatio sed sola simplexque creatio Est ergo singulorum simul et omnium unum solum indifferensque principium Unum siquidem principium habent omnes solum Creatorem et singuli et simul omnes secundum solam creationem Sunt autem in angelica natura tot substantie quot persone et iccirco oportet eas qualitate differre Nam si nulla qualitate differrent procul dubio plures substantie non essent Variatur existentiarum differentia in angelica natura secundum solam qualitatem in humana vero uti jam dictum est tam secundum qualitatem quam secundum originem raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate IV XIV eacuted RIBAILLIER p 176-7 =PL 196 939AB

182

Ainsi chaque personne en Dieu a sa propre existence Cela permet agrave Richard drsquoexpliquer la

Triniteacute comme laquo une pluraliteacute selon lrsquoexistence et une uniteacute selon lrsquoessence498 raquo Lrsquoexistence drsquoune

personne divine est diffeacuterente de lrsquoexistence de Dieu

A la fin du livre IV Richard critique la deacutefinition de la personne proposeacutee par Boegravece (laquo une

substance individuelle de nature rationnelle raquo) car elle ne convient pas aux personnes divines Il

propose de deacutefinir la personne divine comme laquo une existence incommunicable de nature divine499 raquo

En deacutefinitive pour expliquer la pluraliteacute de Dieu Richard introduit la notion drsquoexistence

Drsquoabord il deacutecrit les deux aspects de cette notion la qualiteacute et lrsquoorigine Les personnes divines sont

uniques car chacune a une origine diffeacuterente de celle des autres

VI2122 La procession et les noms des personnes

Le livre V du De Trinitate est consacreacute agrave la procession Pour eacutetablir lrsquoordre de la procession

Richard attribue agrave chaque personne des proprieacuteteacutes incommunicables

- Innascibilis ndash la premiegravere personne ndash nrsquoa pas drsquoorigine mais elle est agrave lrsquoorigine des autres

car elle a la pleacutenitude de puissance et de lrsquoecirctre (V IV-V)

- Nascibilis ndash la deuxiegraveme personne ndash procegravede de la premiegravere personne immeacutediatement La

premiegravere personne est tellement parfaite que la pleacutenitude de sa chariteacute exige drsquoecirctre partageacutee (V

VII) La premiegravere personne communique agrave la deuxiegraveme tous ses attributs (la bonteacute la toute-

puissance la chariteacute) sauf la proprieacuteteacute drsquoecirctre agrave sa propre origine (car la deuxiegraveme personne a deacutejagrave la

proprieacuteteacute de proceacuteder agrave partir de la premiegravere personne) La deuxiegraveme personne est aussi tellement

parfaite qursquoelle produit la troisiegraveme (V VIII)

- Nascibilis ndash la troisiegraveme personne ndash procegravede de la premiegravere personne immeacutediatement et

de maniegravere meacutediate via la deuxiegraveme (V VIII)

Pour expliquer pourquoi les personnes ont ces proprieacuteteacutes en particulier lrsquoordre de la

procession et le fait drsquoecirctre incommunicables Richard procegravede par lrsquoabsurde et imagine agrave quoi la

Triniteacute rassemblerait srsquoil en eacutetait autrement

498 laquo Unitas itaque ibi est juxta modum essendi pluralitas juxta modum existendi raquo Ibid IV XIX eacuted RIBAILLIER p 183=PL 196 943A 499 laquoQuod persona divina sit divine nature incommunicabilis existentia raquo Ibid IV XXII eacuted RIBAILLIER p 187=PL 196 945C

183

1 Srsquoil existait plus drsquoune procession seulement meacutediate (V IX)

Innascibilis Nascibilis

Nascibilis Nascibilis

Nascibilis

Richard pense que cette procession est impossible car la personne qui procegravederait de

maniegravere meacutediate ne verrait pas immeacutediatement la premiegravere personne et nrsquoaurait pas la

contemplation inteacutegrale de la veacuteriteacute500

2 Srsquoil nrsquoexistait en Dieu une personne qui nrsquoen produise pas une autre (V X)

Innascibilis Nascibilis

Nascibilis Nascibilis

Nascibilis

hellip

La procession se prolongerait agrave lrsquoinfinie Il y aurait une quatriegraveme personne ensuite une

cinquiegraveme etc Par conseacutequent la troisiegraveme personne nrsquoen produirait pas drsquoautres501 Mais elle

procegravederait agrave partir des autres sinon elle serait isoleacutee

500 laquo Quoniam igitur omnes divine personae invicem se et immediate conspiciunt radium summae lucis in alterutrum effundunt aut excipiunt Et quia immediate vident immediate adhaerent Impossibile itaque est in natura divina esse aliquam personam mediata tantummodo alicui alteri germanitate conjunctam raquo Ibid V IX eacuted RIBAILLIER p 206=PL 196 956C 501 laquo Ex his pro certo quae jam diximus veraciter et indubitanter colligere possumus quoniam si quarta in divinitate persona esse potuisset procul dubio ex caeteris tribus eam originem trahere immediate oporteret Alioquin alicui earum nonnisi mediata germanitate cohaereret nec eam nisi mediate videret Et si quinta persona ibi esse potuisset simili ratione de caeteris quatuor immediate procederet Juxta hunc ratiocinationis modum similis in consequentibus consequentia invenietur quantumcunque hujusmodi progressionis series intellectualiter protrahatur raquo Ibid V X eacuted RIBAILLIER p 207=PL 196 956D-957A

184

3 Srsquoil existait en Dieu plus drsquoune personne qui nrsquoen produise pas une autre (V XII)

Innascibilis Nascibilis

Nascibilis

Les deux personnes neacutees ne communiqueraient pas entre elles502

4 Srsquoil existait en Dieu plus drsquoune personne qui proceacutederait drsquoune autre et qui produirait une

autre (V XIII-XIV)

Innascibilis Nascibilis

Nascibilis Nascibilis

Dans ce cas certaines personnes donnent lrsquoecirctre et les autres le reccediloivent

Persona Dare Accipere

Prima + -

Secunda + +

Tertia + +

Quarta - +

Richard nrsquoaccepte pas la situation ougrave la deuxiegraveme et la troisiegraveme personne ont plus en commun

que les deux autres car lrsquoharmonie arithmeacutetique de la Triniteacute serait rompue503

502 laquo Sed si due persone essent quae hoc commune haberent procul dubio neutra illarum ab alia procederet Si neutra ab alia procederet nec una quaelibet alteri immediate adhaereret Si vero neutra alteri adhaereret immediate forent utique adinvicem sola mediata germanitate conjunctae Quod quidem quam impossibile sit superior demonstratio evidentissima ratione convincit raquo Ibid V XI eacuted RIBAILLIER p 210=PL 196 958CD 503 laquo Sed modo videamus quomodo geometrice medietatis speciem quam ut superius patet personarum Trinitas pretendit quaternitatis ista dispositio juxta aliam considerationem confundit Certe primae personae causaliter prime proprium erit plenitudinem solummodo dare duarum mediarum tam dare quam accipere quarte vero tantummodo accipere non etiam dare Ecce ex his prima in solo uno concordat cum altera altera vero illa non in uno tantum sed in duobus concordat cum tertia tertia autem non in duobus quidem sed in solum uno concordat cum quarta Vides certe quomodo unius proprietatis geminatio atque communio proportionabilitatis rationem non tam praetendit quam confundit ordinis pulchritudinem non tam auget quam minuit raquo Ibid V XIV eacuted RIBAILLIER p 212-3=PL 196 960BC Dans ce cas Richard emploie une terminologie relevant de lrsquoArithmetica de Boegravece G SALET laquo Medietas arithmetica geometrica harmonica raquo dans RICHARD DE SAINT-VICTOR La Triniteacute introd traduction et notes G SALET Paris 1999 p 492-3

185

Apregraves avoir eacutetabli lrsquoordre de la procession Richard deacutefinit les personnes en fonction de leurs

rocircles dans la circulation de lrsquoamour (dilexio) agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute (V XVI)

- premiegravere personne ndash amor gratuitus

- troisiegraveme personne ndash amor debitus

- deuxiegraveme personne ndash amor permixtus (debitus et gratuitus)

Chaque personne a un trait en commun avec une autre (la premiegravere et la deuxiegraveme personne

ont en commun drsquoavoir seulement un type drsquoamour) De cette faccedilon la Triniteacute a lrsquoharmonie des

proportions (V XXV)

Chaque personne possegravede son type drsquoamour en pleacutenitude Par conseacutequent une harmonie des

processions est eacutetablie entre les trois personnes et lrsquoapparition drsquoune quatriegraveme personne est

impossible pas (V XX)

Richard consacre le livre VI du De Trinitate agrave lrsquoeacutetude des noms des personnes

- la troisiegraveme personne peut-elle ecirctre appeleacutee laquo Fils raquo vu qursquoelle procegravede agrave partir du Pegravere (VI

VI) Richard reacutepond que non car la procession nrsquoest pas la mecircme entre le Pegravere et le Fils et les deux

premiegraveres personnes et le Saint-Esprit La premiegravere procession est principale et la parenteacute de la

premiegravere personne envers la seconde est aussi principale (VI VII)

- la troisiegraveme personne srsquoappelle laquo Saint-Esprit raquo ou laquo souffle de Dieu raquo car elle est

consubstantielle aux deux premiegraveres personnes et procegravede des deux premiegraveres personnes (VI IX-

X)

- le Pegravere est appeleacute ingenitus le fils genitus et le Saint-Esprit ne porte aucun de ces noms

(VI XVI-XVII)

Richard attribue eacutegalement la puissance au Pegravere la sagesse au Fils et la bonteacute au Saint-Esprit

(VI XV) Mais il ne deacuteveloppe pas ce sujet

VI22 Le mouvement exteacuterieur de la Triniteacute

La contemplation des vestiges de Dieu dans la creacuteature permet drsquoexpliquer la structure mecircme

de cette creacuteature Voici comment Hugues de Saint-Victor voit cette structure (De sacramentis I III

XXVIII)504

504 laquo Ecce demonstravimus vestigium aliquod Trinitatis summae quantum valet ratio humana de modico quod suum est et datum est illi et est in illa et modicum est ad perfectum totum Tria enim invenit in se et ex his Trinitatem deprehendit quae erat supra se Et contestata est illi natura foris sicut de unitate deitatis Et apparuerunt tria foris signa Trinitatis sed non imago ut illa quae intus erant et haec ipsa imperfecta similitudine erant Erat enim potentia intus et sapientia et amor Et tria haec imago erant potentiae Creatoris et sapientiae et amoris quia hic erant et ibi erant Sed hic in imagine erant ibi in veritate tamen utrobique erant et idem erant quia hoc hic erat quod ibi erat Sed quod hic erat imago erat quod ibi erat veritas erat Foris autem potentia non erat sed signum tantum neque sapientia sed signum tantum neque amor vel bonitas sed signum tantum nec et ipsa signa neque potentia erant neque sapientia neque amor sicut intus sed signa tantum potentiae sapientiae et amoris Potentiae enim signum fuit rerum immensitas sapientiae pulchritudo bonitatis utilitas Et non erant ipsa signa potentia vel sapientia vel bonitas sed tantum signa eorum

186

ibi veritas creator Deus potentia sapientia benignitas

hic imago creatura

rationalis

homo mens sapientia amor

anima mens intellectus gaudium

potentia scientia voluntas

signum creatura

corporea

immensitas

rerum

pulchritudo utilitas

corpus figura forma pulchritudo

Hugues preacutesente les trois niveaux ougrave la Triniteacute se manifeste

- Dieu

- La creacuteature rationnelle (lrsquoacircme de lrsquohomme)

- La creacuteature corporelle

A chaque niveau le maicirctre trouve des triades qui ont eacuteteacute analogues agrave la triade de la

Puissance de la Sagesse et de la Bonteacute505

Richard quant agrave lui se demande si la Triniteacute peut produire par eacutemanation le monde creacuteeacute En

deacutefinissant la Triniteacute agrave travers lrsquoamour il preacutecise que la troisiegraveme personne possegravede lrsquoamour ducirc

mais non gracieux (De Trinitate V XVIII) Cette personne reccediloit lrsquoamour mais elle ne le donne

pas Elle ne le donne pas agrave une autre personne car il nrsquoy a pas de personne qui procegravede drsquoelle Mais

elle ne le donne pas non plus aux creacuteatures

laquo Elle ne peut avoir agrave lrsquoeacutegard drsquoune creacuteature lrsquoamour gracieux en pleacutenitude car son amour

ne peut ecirctre deacutereacutegleacute et il y aurait amour deacutereacutegleacute agrave aimer drsquoun amour souverain qui ne serait

pas digne drsquoun amour souverain Celui-lagrave nrsquoest aucunement digne drsquoun amour souverain qui

attestantia his quae intus erant propria Et probata est Trinitas vera in operibus suis nec potuit ratio his adjicere quidquam quae perfecta erant neque tollere aliquid quae constabant discreta Sunt enim tria haec quae omne rationale perficiunt nec sine his perfectum est aliquid Similiter ad omnem effectum concurrunt tria haec quorum siquid defuerit nihil absolvitur et si adsint pariter omnia consummantur Haec sunt potentia scientia et voluntas ex quibus si tollas unum aliquod perfectionem imminuis si cuncta pariter constituas nihil deesse confiteris His ergo et ipse rerum conditor opera sua perfecit et constat ipse perfectus quoniam in ipso perfecta sunt quae neque in parte augeri possunt quia plena sunt neque in toto consummari quia perfecta sunt neque in unitate dividi quia unum sunt raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XXVIII PL 176 230B-231A laquo Quemadmodum in una anima mens et intellectus et gaudium et mens quidem a se est intellectus vero de sola mente est de mente autem et intellectu gaudium et haec tria ad substantiam quidem una sunt anima Ita in corpore uno et figura est et forma et pulchritudo tria haec Et videtur figura prima esse ad substantiam deinde forma et ex utroque pulchritudo et haec tria in uno corpore et unum corpus ut in utraque natura imago Creatoris eluceat raquo Ibid I III XXXI PL 176 232D 505 Dominique Poirel eacutetudie ces triades dans le De tribus diebus drsquoHugues voir D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siegravecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 323

187

nrsquoest pas souverainement bonne or une personne qui nrsquoest pas Dieu ne peut ecirctre

souverainement bonne ne pouvant ecirctre eacutegale agrave Dieu506 raquo

Dans ce passage Richard sous-entend les suivants

- Il existe la hieacuterarchie premiegravere personne deuxiegraveme troisiegraveme les creacuteatures

- Dieu nrsquoest pas eacutegal aux creacuteatures il possegravede la pleacutenitude de lrsquoamour et les creacuteatures

non

Dans le livre II du De Trinitate Richard souligne que ni la puissance ni la sagesse de Dieu

ne sont communicables aux substances infeacuterieures (ni aux anges ni aux causes primordiales ni aux

hommes II XIII) La diffeacuterence entre la geacuteneacuteration agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute et la creacuteation est que

la premiegravere srsquoeffectue par nature et par volonteacute et la deuxiegraveme par gracircce Ce qui est produit par

gracircce peut exister ou non tandis que ce qui est produit par nature doit exister neacutecessairement

De cette faccedilon Richard arrecircte la procession agrave la troisiegraveme personne et distingue les

personnes de la Triniteacute et les creacuteatures

En deacutefinitive les doctrines trinitaires drsquoHugues et de Richard de Saint-Victor sont tregraves

diffeacuterentes Hugues deacuteveloppe la doctrine des attributs de Dieu Selon lui Dieu a refleacuteteacute sa structure

dans le monde en le creacuteant et lrsquohomme peut apprendre dans une certaine mesure la nature de Dieu

en lrsquoeacutetudiant Crsquoest sa maniegravere principale de distinguer les personnes Cette doctrine nrsquoexisterait pas

sans lrsquoheacuteritage drsquoAugustin notamment sa doctrine des analogies

Richard deacuteveloppe une doctrine trinitaire tregraves deacutetailleacutee Il deacutefinit la personne divine de

maniegravere originale comme une existence incommunicable Il rejette la deacutefinition de la personne

proposeacutee par Boegravece mais il reprend lrsquoideacutee qursquoil faut deacutefinir une personne divine pour comprendre la

Triniteacute Richard explique aussi pourquoi il existe plusieurs personnes (car Dieu est trop parfait et le

mouvement agrave la fois naturel et libre de son ecirctre le conduit agrave partager sa perfection) et pourquoi il

nrsquoexiste pas plus de trois personnes en Dieu (les qualiteacutes des personnes rendent une autre procession

impossible) La premiegravere ideacutee est clairement platonicienne En ce qui concerne le mouvement

exteacuterieur de la Triniteacute il est important pour lui de souligner que la procession srsquoarrecircte agrave trois

personnes et que Dieu ne produit pas le monde par eacutemanation

506 laquo Sed gratuiti amoris plenitudinem erga creaturam habere non potest que inordinatum amorem habere non potest Inordinatus enim amor esset si summo amore diligeret qui summe diligendus non esset Summo siquidem amore omnino dignus non est qui summe bonus non est Persona vero que Deus non est summe bona esse non potest quoniam Deo aquari non potest raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate III XIX eacuted RIBAILLIER p 216 =PL 196 962CD trad SALET p 349 (modifieacutee I Lystopad)

188

VI3 Les personnes de la Triniteacute dans le De unitate

Achard expose la partie de la doctrine trinitaire que nous eacutetudions ici dans les chapitres I

17-36 La Triniteacute est le sujet principal de la premiegravere partie du De unitate (I 1-36) mais les

personnes sont aussi mentionneacutees seacutepareacutement dans la deuxiegraveme partie de lrsquoœuvre

Dans la premiegravere partie Achard explique comment la pluraliteacute personnelle est possible dans

la Triniteacute (I 13-16) pourquoi il existe trois personnes (I 17-20) et pas avantage (I 21-22 25-29

31-34) et comment les personnes srsquoappellent proprement (I 23 28 29 35 et 36)

VI31 La distinction des personnes

Dans les chapitres I 13-15 Achard reacutepond agrave la question poseacutee en I 12 laquo quel est le mode

de la nature de Dieu et peut-elle ecirctre deacutemontreacutee personnelle raquo

En I 13 Achard preacutecise sa question Il analyse les diffeacuterents cas de pluraliteacute en rejetant tous

ceux qui ne correspondent pas aux critegraveres suivants

- ecirctre en Dieu

- ecirctre en des termes (personnes) multiples ou diffeacuterents

Ainsi sa vraie question est laquo quels sont les critegraveres de la pluraliteacute personnelle en Dieu raquo

En I 14 Achard part de la notion de personne deacutefinie par Boegravece (laquo rationabilis naturae

individua substantia raquo) Mecircme si cette deacutefinition correspond agrave la personne humaine le critegravere

qursquoelle fournit (laquo ecirctre de nature rationnelle raquo) nrsquoest pas suffisant pour trouver la pluraliteacute

rechercheacutee Les deux pluraliteacutes qursquoelles deacutecrivent (celle des parties de lrsquoacircme et celle qui est entre le

corps et lrsquoacircme) nrsquoest pas la pluraliteacute en Dieu Par conseacutequent il introduit le nouveau critegravere de la

pluraliteacute personnelle en Dieu il faut que chaque personne puisse ecirctre dite par elle-mecircme personne

prise isoleacutement

Ensuite dans le mecircme chapitre Achard analyse les pluraliteacutes dans le Christ en Dieu et dans

les raisons eacuteternelles Drsquoapregraves lui la pluraliteacute en Dieu est diffeacuterente des autres agrave cause de la

procession entre les personnes de la Triniteacute Il souligne eacutegalement que les personnes doivent

proceacuteder lrsquoune de lrsquoautre et il nrsquoy aura jamais une personne proceacutedant drsquoelle-mecircme En I 15 de ce

postulat provient la formule suivante laquo de lrsquoun drsquoentre eux existe ou procegravede le second et des deux

le troisiegraveme raquo (I 15)

Achard ajoute les deux autres critegraveres par lesquels la Triniteacute diffegravere des autres pluraliteacutes en

Dieu

- recevoir seacutepareacutement le nom de personne

189

- laquo de lrsquoun drsquoentre eux existe ou procegravede le second et des deux le troisiegraveme raquo

(I 15)

De cette maniegravere Achard eacutetablit les critegraveres de la personnaliteacute en Dieu Il deacutefinit qursquoen Dieu

il existe trois types de pluraliteacute les personnes les proprieacuteteacutes et les raisons Ces types sont visualiseacutes

dans le tableau suivant

Les personnes de la Triniteacute Les proprieacuteteacutes Les raisons

Pegravere - ne provenir drsquoaucun autre (I

25)

-

- ecirctre agrave lrsquoorigine drsquoun Fils

- ecirctre agrave lrsquoorigine du Saint-

Esprit

Fils - proceacuteder de lrsquoun drsquoentre eux

(soit du Pegravere soit du Saint-

Esprit I 26-29)

les raisons eacuteternelles

Saint-Esprit - proceacuteder de lrsquoun et de lrsquoautre

(du Fils et du Pegravere I 31-34)

-

De cette maniegravere Achard deacutemontre que plusieurs types de pluraliteacute existent en Dieu Le

sujet des proprieacuteteacutes et de la procession en Dieu sera deacuteveloppeacute en I 17-36 Celui des raisons

eacuteternelles agrave partir du chapitre I 37

En parlant de la pluraliteacute des personnes en Dieu Achard nrsquoapporte pas de nouveaux

eacuteleacutements meacutetaphysiques dans sa doctrine La division de la pluraliteacute en Dieu qursquoil propose (celle qui

est deacutecrite dans le tableau ci-dessus) est plutocirct un instrument drsquoanalyse qursquoun eacuteleacutement doctrinal

important

VI32 Les justifications du nombre des personnes

Achard consacre les chapitres I 18 -20 agrave lrsquoexplication de la Triniteacute que nous appelons

laquo arithmeacutetique raquo car il srsquoappuie sur le De arithmetica de Boegravece507 En mecircme temps Achard

nrsquoemprunte pas seulement les reacuteflexions de Boegravece mais y ajoute ses propres conclusions

En I 18-20 Achard reprend de Boegravece les postulats suivants

- il y a deux espegraveces des nombres le pair et lrsquoimpair

507 Voir E MARTINEAU laquo Eclaircissement IIraquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 211

190

- le nombre pair peut ecirctre diviseacute en parties paires et impaires

- le nombre impair peut ecirctre diviseacute (par deux) en parties ineacutegales ce qui le

rapproche de la nature de lrsquouniteacute

- le triangle est une premiegravere figure geacuteomeacutetrique agrave partir de laquelle plusieurs autres

figures peuvent ecirctre formeacutees

- toute ineacutegaliteacute provient de lrsquoeacutegaliteacute qui forme agrave son tour lrsquoineacutegaliteacute

A partir de cela Achard conclut que lrsquoimpariteacute est neacutecessairement relieacutee agrave lrsquouniteacute et qursquoelle

est dans lrsquouniteacute suprecircme (I 18) mais aussi que ce nombre premier est trois (I 19) et que lrsquoeacutegaliteacute

existe dans la Triniteacute et forme lagrave un trois (lrsquoineacutegaliteacute) (voir lrsquoannexe 1)

Lrsquoargument du chapitre I 19 est renforceacute par Heacutebreux I 3508 qui dit que le Fils est

laquo resplendissement de la gloire effigie de la substance raquo509 du Pegravere (laquo cum sit splendor gloriae et

figura substantiae eius raquo) Achard joue avec lrsquohomonymie du mot figura qui deacutesigne le triangle et le

Fils en mecircme temps

En I 20 la procession de lrsquoeacutegaliteacute (Aequalitas) agrave partir des deux premiegraveres personnes est

expliqueacutee agrave lrsquoaide de la procession du nombre pair et impair (lrsquoeacutegaliteacute procegravede toujours de

lrsquoineacutegaliteacute comme le pair de lrsquoimpair) Achard utilise la mecircme maniegravere drsquoargumenter qursquoen 18-20

Ainsi pour justifier le nombre des personnes dans la Triniteacute Achard donne un nouveau sens

aux postulats de Boegravece Sa conclusion est que le nombre de personnes est trois Cette conclusion

deacutecoule de lrsquoapplication des regravegles du De arithmetica de Boegravece agrave la Triniteacute Ainsi ces regravegles

sortent du cadre purement arithmeacutetique et deviennent une partie de la meacutetaphysique trinitaire

VI33 Lrsquoimpossibiliteacute drsquoune quatriegraveme personne

Nous avons deacutejagrave analyseacute les arguments drsquoAchard concernant lrsquoimpossibiliteacute de la procession

drsquoune quatriegraveme personne dans la Triniteacute Quelques scheacutemas permettent de visualiser ces

arguments

I 21

Le scheacutema de la procession drsquoune quatriegraveme personne

508 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 93 note 1 au ch I 19 509 La Bible de Jeacuterusalem Traduite en franccedilais sous la direction de lrsquoeacutecole biblique de Jeacuterusalem Paris 2000 p 2059

191

1 La premiegravere version de la procession si une quatriegraveme personne proceacutedait des trois

premiegraveres

Unitas Aequale1

Aequalitas

Aequale2

Reacutefutation cette quatriegraveme personne serait eacutegale aux trois premiegraveres et par conseacutequent sa

preacutesence aurait pour effet lrsquoexistence drsquoune seconde Egaliteacute

Ce cas est absurde eacutegalement car Achard nrsquoaccepte pas la procession suivante

Aequalitas1 Aequalitas2

Aequale1

I 22

2 La seconde version de la procession

Srsquoil y avait une deuxiegraveme eacutegaliteacute crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutegaliteacute produite par une quatriegraveme personne

diffeacuterente de celle qui est la troisiegraveme personne

Unitas Aequale1

Aequalitas1 Aequalitas2

Aequale2

Premiegravere reacutefutation cela nrsquoest pas possible car Dieu ne peut pas avoir deux eacutegaliteacutes tout

comme il ne peut pas avoir deux grandeurs (magnitudines) Martineau remarque qursquoAchard se

reacutefegravere au passage drsquoAugustin (De Trinitate V X 11)510 Nous avons deacutejagrave eacutetudieacute ce passage et la

question relieacutee dans le chapitre laquo Les sources de la doctrine trinitaire du De unitate raquo et eacutetabli que

510ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 95 note 1 au ch I 22

192

les preacutedicats laquo sagesse raquo et laquo grandeur raquo sont uniques en Dieu Achard dit que lrsquoeacutegaliteacute est aussi le

preacutedicat

Deuxiegraveme reacutefutation la Triniteacute consisterait en 5 personnes ce qui est absurde pour Achard

Ensuite (toujours en I 22 la partie 2) Achard imagine une quatriegraveme personne qui ne

procegravederait pas des trois premiegraveres ensemble Cela donnerait les trois cas suivants511

2a LrsquoEgal2 procegravede agrave partir de la deuxiegraveme et de la troisiegraveme personnes

Unitas Aequale1

Aequalitas Aequale2

Ce cas est eacutelimineacute par le postulat que toutes les personnes doivent proceacuteder de la premiegravere

2b LrsquoEgal2 procegravede agrave partir de la premiegravere et la troisiegraveme personne

Unitas Aequale1

Aequale2 Aequalitas

Ce cas est eacutelimineacute par le postulat du chapitre I 21 lrsquoEgal ne peut provenir de lrsquoEgaliteacute

2c LrsquoEgal2 procegravede agrave partir de deux premiegraveres personnes

Unitas Aequale1

Aequalitas Aequale2

Selon Achard lrsquoEgaliteacute en Dieu a besoin de deux et seulement deux eacutegaux pour ecirctre Egaliteacute

De plus lrsquoUniteacute ne peut produire qursquoun seul Egal car la procession qui est entre les deux (lrsquoUniteacute et

lrsquoEgal) ne cessent jamais (voir I 28) Par conseacutequent il ne reste que le cas suivant

511 Nous avons dessineacute les versions 2a-2c de la procession agrave partir des arguments drsquoAchard qui nient ces versions Contrairement aux versions 1-2 Achard ne les articulent pas clairement

193

2crsquo LrsquoEgaliteacute procegravede agrave partir des deux premiegraveres personnes

Unitas Aequale

Aequalitas1 Aequalitas2

Mais lrsquoimpossibiliteacute drsquoavoir deux Egaliteacutes a eacuteteacute deacutejagrave deacutemontreacutee

Lrsquoargumentation drsquoAchard dans ces deux chapitres aboutit au fait qursquoil nrsquoexiste qursquoun seul

ordre de procession

Unitas1 Aequale1

Aequalitas

Cela implique que lrsquoEgaliteacute est diffeacuterente des deux autres personnes Elle est la qualiteacute des

deux premiegraveres personnes (= elle procegravede agrave partir drsquoelles) mais elle ne peut pas produire une autre

personne Cette conclusion confirme la formule trinitaire A(u1 u2) proposeacutee dans le chapitre I

laquo Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu raquo ougrave A lrsquoEgaliteacute est une fonction dont les deux premiegraveres

personnes (LrsquoUniteacute et lrsquoEgal) sont des constantes

Dans les chapitres I 25-29 Achard explique la procession entre personnes distinctes Il

deacuteduit quelques conditions neacutecessaires pour la procession qui a lieu au sein de la Triniteacute

- lrsquoUniteacute procegravede drsquoelle-mecircme (I 25)

- ce qui est Egal agrave lrsquoUniteacute procegravede agrave partir drsquoelle et de sa substance et cette procession ne

cesse jamais De cette maniegravere ces deux personnes sont identiques et diffeacuterentes (ce qui

permet de creacuteer la pluraliteacute I 26-29)

- lrsquoEgaliteacute a besoin de la pluraliteacute pour exister cette pluraliteacute est seulement la dualiteacute premiegravere

entre le Pegravere et le Fils (I 31-34)

En deacutefinitive pour justifier qursquoil nrsquoy a que trois personnes dans la Triniteacute Achard examine

le sujet de la procession au sein de la Triniteacute Les regravegles de la procession sont celles de

lrsquoarithmeacutetique (la provenance de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute) de la logique (lrsquoeacutegaliteacute prise en tant

qursquoaccident universel) et de la meacutetaphysique (la provenance agrave partir de la substance unique)

194

VI34 Les noms de la Triniteacute et des personnes

En I 23 le nom laquo Triniteacute raquo est pris car il deacutesigne en mecircme temps lrsquouniteacute des trois et la

pluraliteacute

Nombres Noms deacutesigne lrsquouniteacute des trois deacutesigne la pluraliteacute

Trinus Trinitas + +

Ternarius minus +

Triplex Triplicitas minus +

En I 28 les trois meacutetaphores (analogies) des personnes sont proposeacutees

Unitas Ignis

Id quod ei est Aequale Calor

Aequalitas Splendor

En I 29 Achard justifie les noms de laquo Pegravere raquo et de laquo Fils raquo contre laquo engendrant raquo et

laquo engendreacute raquo

unitas Pater gignens

Id quod ei est aequale Filius genitus

proprietas alterum de alterius substantia nec in alteram procedit substantiam

vocabulum spiritualis generatio

natura vivens et sentiens rationalis vivens et sentiens res

insensatae hoc est inanimatae

Lrsquoargument principal est que lrsquolaquo engendrant raquo et lrsquolaquo engendreacute raquo ne sont pas vivants sentants

et rationnels contrairement au Pegravere et au Fils

Et finalement en I 35-36 Achard demande srsquoil est possible drsquoappeler la troisiegraveme personne

ndash Fils (car il procegravede agrave partir du Pegravere) ou Dieu (car il deacutesigne la communion entre le Pegravere et le Fils)

Mais il conclut que crsquoest seulement le nom laquo Saint-Espritraquo qui contient la singulariteacute drsquoune

personne et la qualiteacute drsquoecirctre commun au Pegravere et au Fils

De cette maniegravere Achard justifie que la Triniteacute srsquoappelle Trinitas Les personnes srsquoappellent

le Pegravere et le Fils au lieu de laquo engendrant raquo et laquo engendreacute raquo et le Saint-Esprit au lieu de Fils ou Dieu

Ces noms correspondent mieux aux qualiteacutes de la Triniteacute et des personnes

195

Emmanuel Martineau a eacutetudieacute lrsquoorigine des noms des personnes dans le De unitate drsquoAchard

de Saint-Victor Dans les notes aux chapitres I 23 (concernant les noms triplex et ternarius) 28

(feu chaleur et rayonnement) 33 (la vision) 36 (pourquoi la troisiegraveme personne ne srsquoappelle pas le

Fils) de son eacutedition du De unitate il a deacutemontreacute que lrsquoexposeacute drsquoAchard srsquoest majoritairement

inspireacute du De Trinitate et du De libero arbitrio drsquoAugustin

VI35 La Triniteacute dans la deuxiegraveme partie du De unitate

La Triniteacute nrsquoest pas le sujet principal de la deuxiegraveme partie (I 37-II 16) du De unitate

Cependant Achard parle des personnes seacutepareacutees

En II 3 il preacutesente le Saint-Esprit en tant que laquo la connexion du Pegravere et du Fils proceacutedant

drsquoeux eacuteternellement et crsquoest agrave lui que sont drsquoordinaire rapporteacutees dans lrsquoEacutecriture les distributions

des gracircces et des dons et aussi les dons eux-mecircmes ou les gracircces qui ne sont rien drsquoautre que

lesdites participations desdites choses et des connexions spirituelles dans les raisons eacuteternelles du

Creacuteateur et de son image creacuteeacutee512 raquo Par conseacutequent le Saint-Esprit est la connexion entre Dieu et le

monde

Dans le mecircme chapitre (II 3) Achard deacuteveloppe eacutegalement la thegravese que les connexions

entre le monde et la Triniteacute creacuteatrice ont leur prototype dans la Triniteacute mecircme

laquo Or cela pourra ecirctre eacutegalement preacutecieux si toutefois il en est bien ainsi pour intelliger la

proprieacuteteacute de lrsquoEsprit-Saint Il est en effet la connexion du Pegravere et du Fils proceacutedant drsquoeux

eacuteternellement et crsquoest agrave lui que sont drsquoordinaire rapporteacutees dans lrsquoEacutecriture les distributions

des gracircces et des dons et aussi les dons eux-mecircmes ou les gracircces qui ne sont rien drsquoautre

que lesdites participations desdites choses et des connexions spirituelles dans les raisons

eacuteternelles du Creacuteateur et de son image creacuteeacutee proceacutedant en quelque sorte eacuteternellement

drsquoapregraves et de ces raisons mais infuseacutees dans les creacuteatures dans lrsquoacte mecircme agrave la suite du

temps ou avec le temps selon qursquoelles sont offertes de toute eacuteterniteacute par ces raisons513 raquo

Voici une reacutecapitulation

512 laquo Ipse siquidem Patris et Filii est connexio ex eis aeternaliter procedens et ad ipsum in Scripturis distributiones gratiarum atque donorum dona quoque ipsa vel gratiae referri solent quae aliud non sunt nisi praedictae participationes rerum praedictarum et Creatoris et ejus imaginis creatae spirituales quaedam connexiones in rationibus aeternis raquo De unitate II 3 eacuted EMARTINEAU p 146-147 513 laquo Quod et ad Spiritus sancti si tamen ita se habet intelligendam proprietatem valere poterit Ipse siquidem Patris et Filii est connexio ex eis aeternaliter procedens et ad ipsum in Scripturis distributiones gratiarum atque donorum dona quoque ipsa vel gratiae referri solent quae aliud non sunt nisi praedictae participationes rerum praedictarum et Creatoris et ejus imaginis creatae spirituales quaedam connexiones in rationibus aeternis et quodammodo secundum eas et ex eis aeternaliter procedentes in creaturis vero ex tempore vel cum tempore actu ipso transfusae prout rationibus illis ab aeterno sunt propositae raquo De unitate II 3 eacuted EMARTINEAU p 146-7

196

Pater ibi

Filius creatoris et ejus imaginis

creatae spirituales quaedam

connexiones in rationibus

aeternis

rationibus illis ab aeterno sunt

propositae

Spiritus Sanctus ndash

connexio Patris et

Filii

dona vel gratiae ndash

participationes rerum

secundum eas et ex eis aeternaliter

procedentes

hic Res in creaturis vero ex tempore vel

cum tempore actu ipso transfusae

Ainsi selon Achard il existe deux niveaux meacutetaphysiques hic et ibi Dieu et les creacuteatures

Le processus drsquoimitation commence deacutejagrave lagrave-bas Au sein de la Triniteacute on trouve la premiegravere

connexion celle du Pegravere et du Fils (le Saint-Esprit) qui sert en tant que modegravele des connexions

entre les deux niveaux deacutecrits au-dessus Ces connexions sont preacutevues dans les raisons eacuteternelles

elles srsquoeffectuent au niveau du Saint-Esprit et elles sont infuseacutees dans le monde en tant que gracircces

et dons

En II 4 Achard deacutecrit lrsquointellection (intellectus) drsquoune chose qui est laquo en quelque sorte une

connexion de celui qui intellige et de la chose intelligeacutee514 raquo Ensuite il introduit la Triniteacute

laquo Drsquoapregraves quoi comme on lrsquoindiquera plus tard de mecircme que les raisons des choses et les

veacuteriteacutes ltpourraient ecirctre rapporteacuteesgt au Fils de mecircme leurs intellections pourraient lrsquoecirctre а la

consideacuteration de lrsquoEsprit-Saint car de mecircme que la distinction concernerait le Fils de

mecircme la connexion mdash qui a eacuteteacute montreacutee et reste encore а montrer mdash concernerait lrsquoEsprit-

Saint515 raquo

Filius Spiritus Sanctus

rationes rerum et veritates intellectus earum

distinctiones connexiones

514 laquoIntellectus autem rei cujuslibet quasi connexio quaedam est intelligentis et rei intellectae raquo De unitate II 4 eacuted EMARTINEAU p 148-149 515 laquo Juxta quod ut postmodum assignabitur ltutgti rationes rerum ltetgt veritates ad Filium sic et [ad] intellectus earum referri poterint ad considerationem Spiritultsgt sanctltigt ut nam ad Filium distinctio sic ad Spiritum sanctum si monstrata est et adhuc monstranda est pertinerelttgt connexio raquo De unitate II 4 eacuted EMARTINEAU p 148-149

197

Ainsi les raisons et les distinctions sont dans le Fils et les intellections et les connexions

dans lrsquoEsprit En effet en rapportant les intellections au Saint-Esprit Achard installe une double

optique Drsquoun cocircteacute le Saint-Esprit est une connexion de Dieu au monde qursquoil intellige Drsquoun autre

cocircteacute les raisons des choses existent en Dieu elles y sont intelligeacutees Par conseacutequent le Saint-Esprit

contient des connexions agrave lrsquointeacuterieur de Dieu qui intellige et les raisons qui sont intelligeacutees516

Une autre formule trinitaire est proposeacutee en II 10 ougrave Achard deacutecrit les veacuteriteacutes (vera laquo les

jugements vrais agrave propos des creacuteatures raquo selon Martineau)

laquo Quant aux connexions en lesquelles consistent ici les ltjugementsgt vrais elles existent

gracircce agrave lrsquoecirctre simple qui ou bien se connecte agrave quelque chose ou bien connecte par soi

quelque chose Or lrsquoessence simple [hellip] peut ecirctre drsquoun certain point de vue rapporteacutee agrave la

proprieacuteteacute du Pegravere de mecircme que les veacuteriteacutes connecteacutees agrave la proprieacuteteacute du Fils et les

connexions elles-mecircmes ou les ltjugementsgt vrais agrave la proprieacuteteacute de lrsquoEsprit Saint517 raquo

Soit

Trinitas Pater Filius Spiritus Sanctus

essentia simplex veritates quae

connectuntur

connexiones res simplex esse se

ipsum connectit

alicui vel per se aliud

vera

Ainsi les connexions qui existent entre les veacuteriteacutes et lrsquoessence en Dieu sont les mecircmes que

celles qui existent entre lrsquoecirctre simple des choses et lrsquoeacutenonceacute vrai agrave propos des choses Le Saint-

Esprit porte donc les connexions qui servent en Dieu et dans le monde

En deacutefinitive il nrsquoy a que quatre cas ougrave les personnes de la Triniteacute sont employeacutees dans la

deuxiegraveme partie du De unitate Le Saint-Esprit est toujours deacutecrit en tant que connexion qui unit les 516 Crsquoest notre intepretation de II 4 laquo Juxta quod ut postmodum assignabitur ltutgti rationes rerum ltetgt veritates ad Filium sic et [ad] intellectus earum referri poterint ad considerationem Spiritultsgt sanctltigt ut nam ad Filium distinctio sic ad Spiritum sanctum si monstrata est et adhuc monstranda est pertinerelttgt connexio Cum vero intellectus rem intellectam quodammodo connectit intelligenti nunquam pauciores ibi esse possunt hujusmodi connexiones quam sunt ibi rationum vel veritatum quae intelliguntur distinctiones secundum quas et ex quibus ipsi quoque ut dictum sit intellectus ibi sunt distincti ut eorum distinctiones ad solas respiciant quae distincte ibi intelliguntur rerum rationes atque veritates raquo De unitate eacuted EMARTINEAU p 148 517 laquo Connexiones vero in quibus hic constant vera per simplex esse ltsuntgt quod vel se ipsum connectit alicui vel per se aliud ut cum intelligitur quid esse vel esse aliquid essentia autem simplex [hellip] juxta considerationem aliquam ad proprietatem Patris referri potest ut veritates quae connectuntur ad proprietatem Filii connexiones ipsae vel vera ad proprietatem Spiritus sancti raquo De unitate II 10 eacuted EMARTINEAU p 166-167

198

personnes de la Triniteacute (II 3) Dieu et le monde (II 3) les eacuteleacutements en Dieu et les eacuteleacutements dans le

monde (II 4 et 10) Cela correspond agrave la proprieacuteteacute qui a eacuteteacute attribueacutee agrave lrsquoEsprit Saint dans la

premiegravere partie du De unitate

Achard deacutecrit la Triniteacute selon le plan suivant

1) expliquer les critegraveres de la pluraliteacute en Dieu

2) donner des arguments en faveur du nombre trois (nombre des personnes)

3) deacutemontrer pourquoi une quatriegraveme personne nrsquoest pas possible

4) deacuteduire les qualiteacutes et les noms des personnes

Achard ne propose pas une deacutefinition de la personne divine qui conviendrait agrave chaque

personne Il remarque que le critegravere donneacute par Boegravece (ecirctre rationnel) nrsquoest pas suffisant La

personne divine selon Achard est en Dieu a une qualiteacute qui la distingue des deux autres et

participe agrave la procession Il existe trois personnes car le nombre trois convient parfaitement selon les

lois du De arithmetica mais aussi parce que cela rend possible une procession correcte agrave lrsquointeacuterieur

de la Triniteacute La procession correcte a lieu quand la deuxiegraveme personne procegravede de la premiegravere et la

troisiegraveme de deux premiegraveres Les qualiteacutes individuelles des personnes deacutependent eacutegalement de la

procession De cette faccedilon la doctrine des personnes drsquoAchard est une doctrine des processions

Une quatriegraveme personne nrsquoest pas possible car la troisiegraveme personne (lrsquoEgaliteacute) peut

seulement proceacuteder agrave partir de deux premiegraveres mais elle ne peut pas causer la procession drsquoautres

personnes De cette maniegravere Achard deacutemontre que Dieu ne procegravede pas directement dans le monde

Il lui laisse aussi la possibiliteacute drsquoavoir une nature diffeacuterente de celle du monde

Les eacuteleacutements de la doctrine selon laquelle Dieu est lieacute au monde comme son modegravele sont

dans la deuxiegraveme partie du De unitate Achard srsquoadresse quelques fois aux doctrines des personnes

de la Triniteacute en deacutecrivant notamment en deacutetail le Saint-Esprit en tant que connexion entre le Pegravere et

le Fils Dieu et le monde Les raisons eacuteternelles les veacuteriteacutes les distinctions sont dans le Fils Et dans

le Saint-Esprit il y a les gracircces les dons les intellections et les connexions Et ces mecircmes uniteacutes

intelligibles sont transfuseacutees dans les choses in actu De cette maniegravere Dieu est la cause intelligible

du monde mais les objets et les notions qui sont dans le monde ne proviennent pas de lui

directement Cependant le scheacutema de la procession agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute srsquoaccomplit eacutegalement

agrave lrsquoexteacuterieur agrave travers le Saint-Esprit Par conseacutequent Dieu joue plutocirct le rocircle drsquoune cause

exemplaire non seulement pour les ecirctres creacuteeacutes mais aussi pour le processus de la creacuteation

199

La deacutefinition de la personne divine drsquoAchard ne suit ni celle drsquoAugustin ni celle de Boegravece

ni celle drsquoHugues (qui agrave son tour suit Augustin) Il remarque lrsquoinsuffisance de la doctrine de Boegravece

et il propose son propre deacuteveloppement Lrsquooriginaliteacute de ce deacuteveloppement fait penser agrave la doctrine

trinitaire de Richard Jean Ribaillier a deacutejagrave compareacute le De Trinitate de Richard et le De unitate

drsquoAchard Il a releveacute les points communs suivants

- les choses visibles sont les images de la nature invisible de Dieu

- lrsquouniteacute premiegravere qui neacutecessite la pluraliteacute chez Achard et les ecirctres ab aeterno et ab semetipso

chez Richard

- la doctrine de lrsquoorigine des personnes de Richard est proche de la doctrine de la procession

(proceacuteder drsquoune personne) drsquoAchard

- une quatriegraveme personne en Dieu est impossible518

Nous pouvons ajouter les similitudes suivantes

- pour deacutemontrer lrsquoimpossibiliteacute de quatriegraveme personne dans la Triniteacute les deux penseurs

procegravedent par lrsquoabsurde

- Richard (De Trinitate III IX-X) et Achard (De unitate I 13-14) traitent ensemble les

natures divine et humaine comme des cas de pluraliteacute

- les noms de personnes genitus (De Trinitate VI XVI-XVII de Richard et De unitate I 29

drsquoAchard) la question si la troisiegraveme personne peut ecirctre appeleacutee laquo Fils raquo (VI VI et I 36) et

lrsquoargument qursquoelle srsquoappelle le Saint-Esprit agrave cause de la communion qursquoelle a avec les deux

premiegraveres personnes (VI VIII-X et I 36) La plupart de thegraveses concernant les noms des

personnes ont deacutejagrave eacuteteacute formuleacutees par Augustin

En deacutefinitive nous croyons que mecircme si Achard et Richard partagent plusieurs thegraveses

communes chacun creacutee une doctrine originale

En ce qui concerne lrsquoaction exteacuterieure de la Triniteacute la doctrine drsquoAchard (II 3-4) rappelle

celle drsquoErigegravene La vie inteacuterieure de la Triniteacute est le modegravele de sa procession exteacuterieure les causes

exemplaires sont dans le Fils et le Saint-Esprit dirige les distributions de ces causes dans le monde

Pour conclure la doctrine des personnes drsquoAchard est proche agrave la doctrine de Richard et non

drsquoHugues Elle emprunte au platonisme le postulat que lrsquoabsolu se fait proceacuteder et au christianisme

le postulat que Dieu ne produit pas le monde par eacutemanation

518 Cela a deacutejagrave eacuteteacute remarqueacute par Jean Ribaillier J RIBAILLIER laquo Introduction raquo dans RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate eacuted J RIBAILLIER Paris 1958 p 29-32

200

CHAPITRE VII

La pluraliteacute des raisons dans le Verbe

Nous avons deacutejagrave poseacute deux sortes de questions agrave propos des raisons et du Verbe dans le De

unitate La premiegravere concerne le Verbe incarneacute et la deuxiegraveme la multipliciteacute des raisons

Les questions les plus utiles pour tracer les origines platoniciennes de la doctrine drsquoAchard

sont

- Comment le Verbe est-il le prototype des ecirctres sensibles

- Comment le Verbe contient-il les raisons

- Qursquoest-ce qursquoune raison

- Quelle est lrsquoorigine de la doctrine des trois sortes de raisons et de chaque sorte de raisons

prise isolement

Nous nrsquoallons pas eacutetudier lrsquoorigine de la doctrine de lrsquoincarnation drsquoAchard de Saint-Victor car

elle sort du cadre de notre preacutesente recherche

VII1 Lrsquohistoire de la notion de ratio

Comme son heacuteritier franccedilais laquo raison raquo le mot latin ratio latine a deux significations

principales

- laquo moyen ou forme de la connaissance raquo (soit selon la deacutefinition du vocabulaire de la

philosophie de Lalande laquo la faculteacute de raisonner discursivement de combiner des

concepts et des propositions raquo)

- lrsquo laquo objet de la connaissance raquo (soit laquo principe drsquoexplication raquo qui fait comprendre ou

justifier)519

Cette multivociteacute a joueacute un rocircle important dans lrsquohistoire de la philosophie

Le fait que Dieu est devenu lrsquohomme srsquoappelle lrsquoincarnation Selon lrsquoEvangile de saint Jean

(I 1-14) crsquoest le Verbe de Dieu son Fils qui est devenu chair Le fait qursquoen grec le Verbe est dit

Logos permet de faire un parallegravele avec la doctrine platonicienne du Logos Cela ouvre la porte aux

speacuteculations philosophiques autour de la question de lrsquoincarnation de Dieu Dieu non seulement 519 Cette division a eacuteteacute retenue des dictionnaires suivants J-LSOLERE laquoRaison raquo dans Dictionnaire du Moyen Age eacuted C GAUVARD A DE LIBERA M ZINK Paris 2002 p 1171 A LALANDE Vocabulaire technique et critique de la philosophie Paris 1951 p 877-882 P FOULQUIE R SAINT-JEAN Dictionnaire de la langue philosophique Paris 1962 p 604-605

201

srsquoest incarneacute mais il a creacuteeacute le monde agrave travers son Fils le Verbe Lrsquoune des traductions de logos en

latin est ratio Le Logos selon les meacutedioplatoniciens contient des logoi ndash les rationes en latin

Achard enseigne que la deuxiegraveme personne contient les raisons eacuteternelles des choses et crsquoest

une des pluraliteacutes en Dieu A preacutesent nous voulons trouver lrsquoorigine de cette doctrine achardienne

et eacutetudier comment la pluraliteacute des raisons apparaicirct dans la diviniteacute et les rationes dans le ratio

VII11 Le Verbe heacuteritier du Logos

VII111 Les sources du prologue agrave lrsquoEvangile selon saint Jean

Le Logos est un mot qui deacutesigne le Verbe dans le texte grec de lrsquoEvangile selon saint Jean

Drsquoapregraves le laquo Prologue raquo agrave lrsquoEvangile selon saint Jean (I 1-14) le Logos ou en latin le Verbum est

le Fils de Dieu qui est venu en ce monde et est devenu chair Tout a eacuteteacute fait par lui

La doctrine johannique du Logos a une source biblique lrsquoAncien Testament Le Logos

correspond agrave la Sagesse (les Proverbes VIII) qui est la loi et la raison agrave travers laquelle Dieu creacutee

le monde520 Le Logos peut aussi ecirctre la parole creacuteatrice de Dieu (par exemple Genegravese I 1 laquo et

Dieu dit raquo mais aussi lrsquoEcclesiastique XLII 15 la Sagesse IX 1 XVIII 14)521

Chez les stoiumlciens qui perccediloivent le monde en tant qursquoorganisme vivant le logos est une loi

qui reacutegit cet organisme Il est le feu originel la semence qui contient le futur processus du

deacuteveloppement des choses la raison humaine et lrsquoeacutemanation de la raison divine Les stoiumlciens

creacuteent la notion drsquoun logos spermatikos qui contient des logoi les germes particuliers contenus dans

chaque objet dans le monde Ils sont les causes efficientes de la matiegravere individuelle522

Drsquoapregraves Seacutenegraveque Dieu contient les exemplaires (exemplaria) des toutes les choses et laquo son

intelligence embrasse dans leurs rapports numeacuteriques et leurs diffeacuterents modes la totaliteacute des

choses agrave creacuteer Il est plein de ces figures que Platon nomme les ideacutees immortelles immuables

infatigables523 raquo De cette maniegravere Seacutenegraveque donne une nouvelle interpreacutetation de la doctrine

platonicienne des ideacutees Elles sont les prototypes des choses dans le monde contenues dans lrsquoesprit

de Dieu (par analogie avec le logos et les logoi)

520 J LEBRETON Les Origines du dogme de la Triniteacute Paris 1910 (Bibliothegraveque de theacuteologie historique) p 110-119 Voir eacutegalement R HOLTE laquo Logos Spermatikos Christianity and Ancient philosophy according to St Justinrsquos Apologies raquo dans Studia theologica t 12 1958 p 122-3 521 J LEBRETON Les Origines du dogme de la Triniteacute Paris 1910 (Bibliothegraveque de theacuteologie historique) p119-120 522 Ibid p 49-50 R HOLTE laquo Logos Spermatikos Christianity and Ancient philosophy according to St Justinrsquos Apologies raquo dans Studia theologica t 12 1958 p 120 523 laquo Haec exemplaria rerum omnium deus intra se habet numerosque uniuersorum quae agenda sunt et modos mente conplexus est plenus his figuris est quas Plato ideas appellat inmortales inmutabiles infatigabiles raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LXV eacuted F PRECHAC trad H NOBLOT t II Livres V-II Paris p 108

202

Les stoiumlciens et Seacutenegraveque en particulier influencent le meacutedioplatonisme524 Drsquoapregraves lrsquoun de

ses repreacutesentants Philon drsquoAlexandrie le Logos est

- le Fils de Dieu

- le chef des anges (il existe une eacutequivalence entre les anges comme ecirctres meacutetaphysiques

et les logoi qui sont dans le Logos)

- lrsquoempreinte de Dieu (lrsquoacircme et le monde sont les empreintes du Logos)

- lrsquoinstrument de Dieu pour creacuteer le monde (le Logos est un archeacutetype des creacuteatures)525

Le Logos de Philon drsquoAlexandrie est lrsquoeacutequivalent de lrsquointellect de Dieu et du monde

intelligible526 Etant contemporain de lrsquoEvangile selon saint Jean le meacutedioplatonisme a sucircrement pu

avoir une influence sur lui

Tout cela megravene agrave la creacuteation de lrsquoEvangile spirituel qui contient une doctrine philosophique

selon laquelle Dieu creacutee le monde agrave travers son Verbe De plus le Verbe lui-mecircme srsquoest incarneacute

dans ce monde creacuteeacute Le fait que cette doctrine soit exprimeacutee agrave lrsquoaide du terme logos utiliseacute par des

eacutecoles philosophiques diffeacuterentes527 laisse un vaste champ drsquoactions aux interpregravetes de lrsquoEvangile

Justin le Martyr et Origegravene notamment se sont approprieacute la doctrine du Christ en tant que

Logos528 Les neacuteoplatoniciens emploient la notion de logos au sens de laquo puissance cosmique qui

mettait en valeur partout la loi de la raison et de lrsquointellectualiteacute529 raquo Cette doctrine se deacuteveloppe

deux siegravecles apregraves lrsquoapparition de lrsquoEvangile selon saint Jean Et elle a pu eacutegalement influencer les

penseurs latins comme Augustin

En deacutefinitive la doctrine du Logos en tant qursquouniteacute divine qui contient plusieurs prototypes

des ecirctres creacuteeacutees existe dans la philosophie antique

524 JM DILLON The Middle platonists A study of platonism 80 B C to A D 220 London 1977 p 46 et 136-9 525 J LEBRETON Les Origines du dogme de la Triniteacute Paris 1910 (Bibliothegraveque de theacuteologie historique) p 496-501 En effet Lebreton traire Philon en tant que repreacutesentant du judaiumlsme alexandrin (voir p 153-205) et il trouve que le logos de Philon est plus proche agrave lrsquoeacutepitre aux Heacutebreux de Saint Paul que agrave lrsquoEvangile selon Saint Jean (voir p 495-506 et 515-523) 526 LM DE RIJK laquo Quaestio De ideis Some Notes on an Important Chapter of Platonismraquo Kephalaion Studies in greek philosophy and its continuation offered to Professor C J De Vogel ed by J MANSFELD and L M DE RIJK Assen 1975 p 206 527 Cf B CASSIN C AUVRAY-ASSAYAS F ILDEFONSE etc laquo LOGOS raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 711-725 528 E OSBORN laquo Justin Martyr and the Logos Spermaticos raquo dans Studia Missionalia t 42 1993 p 151 L HODSON The doctrine of the Trinity London 1946 p 117-122 529 H DOumlRRIE laquo Une exeacutegegravese neacuteoplatonicienne du Prologue de lrsquoEvangile de saint Jean (Ameacutelius chez Eusegravebe Preacutep eacutev II 19 1-4 raquo dans Epektasis meacutelanges patristiques offerts au cardinal Jean Danieacutelou eacuted J FONTAINE et CH KANNENGIESER Paris 1971 p 86

203

VII112 Le Verbe incarneacute chez Augustin et Erigegravene

Observons deacutesormais les auteurs latins Nous sommes inteacuteresseacutee de savoir comment la

doctrine du Verbe de saint Jean a eacuteteacute interpreacuteteacutee et si la doctrine des meacutedioplatoniciens et des

neacuteoplatoniciens agrave propos du logos a eacuteteacute accepteacutee

Augustin cite plusieurs fois le prologue (Jean I 1-4) de lrsquoEvangile selon saint Jean afin

drsquoillustrer la doctrine de lrsquoincarnation530 Cependant crsquoest seulement quelques fois qursquoAugustin

appelle le Verbe la ratio (ce qui est un eacutequivalent latin du logos et exprime sa fonction en tant que

cause) Dans le De Verbo (De diversis quaestionibus 83 qu 48) le Verbe est expliqueacute en tant que

raison ou que puissance opeacuterationnelle (operativa potentia)531 Dans lrsquoIn Iohannis euangelium

tractatus I 16 Augustin dit que la raison de tout ce qui a eacuteteacute creacuteeacute est dans la Sagesse532

Une autre illustration de la preacutesence des raisons dans le Verbe incarneacute chez Augustin se

trouve dans le De Genesi ad litteram ougrave lrsquoauteur deacutecrit les niveaux drsquoexistence des raisons (V XII

28)

laquo Autres sont donc les raisons immuables de toutes les creacuteatures dans le Verbe de Dieu

autres les œuvres dont il se reposa le septiegraveme jour autres celle que agrave partir de cette

premiegravere creacuteation il continue de faire jusqursquoagrave maintenant De ces trois modes drsquoecirctre le

dernier nous est quelque peu connu agrave lrsquoaide des sens corporels et de notre expeacuterience

coutumiegravere533 raquo

Ainsi les raisons causales sont dans le Verbe de Dieu qui est le Christ Dieu agit par ces

laquo raisons eacuteternelles immuable et stables de son Verbe qui lui est coeacuteternel534 raquo

530 De genesi ad litteram V XIII 29-30 De Trinitate VI II 3 - le Fils seul est le Verbe de Dieu drsquoapregraves Jean I 1 voir eacutegalement le Fils comme le Verbe De genesi ad litteram I IV 9 eacutetc 531 laquo quod graece logos dicitur latine et rationem et uerbum significat sed hoc loco melius uerbum interpretamur ut significetur non solum ad patrem respectus sed ad illa etiam quae per uerbum facta sunt operatiua potentia ratio autem et si nihil per illam fiat recte ratio dicitur raquo AUGUSTIN De diversis quaestionibus octoginta tribus eacuted A MUTZENBECHER Turnhout 1975 (CCSL 44A) p 136 532 laquo Quid est hoc facta est terra sed ipsa terra quae facta est non est uita est autem in ipsa sapientia spiritaliter ratio quaedam qua terra facta est haec uita est raquo AUGUSTIN Tractatus in Iohannis evangelium I-XVI eacuted R Willems Turnhout 1954 (CCSL 36) p 9-10 533 laquo Cum ergo aliter se habeant omnium creaturarum rationes incommutabiles in uerbo dei aliter eius illa opera a quibus in die septimo requieuit aliter ista quae ex illis usque nunc operatur horum trium hoc quod extremum posui nobis utcumque notum est per corporis sensus et huius consuetudinem uitae raquo AUGUSTIN De Genesi ad litteram libri duodecim eacuted J ZYCHA trad introd et notes PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC Paris 2000 (BA 48) p 412-414 Cf laquo Sed haec aliter in uerbo dei ubi ista non facta sed aeterna sunt aliter in elementis mundi ubi omnia simul facta futura sunt aliter in rebus quae secundum causas simul creatas non iam simul sed suo quaeque tempore creantur in quibus adam iam formatus ex limo et dei flatu animatus sicut fenum exortum aliter in seminibus in quibus rursus quasi primordiales causae repetuntur de rebus ductae quae secundum causas quas primum condidit extiterunt uelut herba ex terra semen ex herba raquo ibid VI X 17 p 468 534 laquo Sed aeternis atque incommutabilibus et stabilibus rationibus coaeterni sibi uerbi sui raquo ibid p 130-133

204

Gerard OrsquoDaly deacutemontre qursquoAugustin a eacuteteacute influenceacute par la doctrine du meacutedioplatonisme

qui pose une intermeacutediaire entre le principe supeacuterieur (Dieu) et lrsquounivers (par exemple le Logos

dans les eacutecrits de Philon et de Plutarque la Raison cosmique dans les eacutecrits drsquoAlbinus etc)535

Jean Scot Erigegravene dans son Homeacutelie sur le prologue de Jean deacuteveloppe la doctrine du Fils

en tant que Verbe

laquo Trois choses srsquoimposent donc agrave notre foi et agrave notre intelligence le Pegravere qui parle le Verbe

qui est prononceacute les choses qui sont produites par le Verbe Le Pegravere parle le Verbe est

engendreacute toutes choses sont produites536 raquo

Dans le passage suivant Erigegravene explique la creacuteation du monde selon saint Jean I 3-4

laquo Toutes les choses qui ont eacuteteacute faites par lui en lui sont vie et en lui sont un Car elles eacutetaient

ndash crsquoest-agrave-dire subsistent ndash en lui en tant que causes avant drsquoexister en elles-mecircmes en tant

qursquoeffets537 raquo

Pour deacutemontrer comment tout ce qui a eacuteteacute creacuteeacute existe dans le Verbe Erigegravene propose

lrsquoexemple des pheacutenomegravenes naturels le soleil qui produit des couleurs et des formes les semences

des plantes la science qui est unique dans la penseacutee (in arte) etc (X 288D-289B)

Cette doctrine est eacutegalement deacuteveloppeacutee dans le Periphyseon III Le Fils de Dieu est le

Verbe la raison et la cause Le verbe contient en lui toutes les choses (rerum omnium

universitas)538

535 G OrsquoDALY laquo Hierarchies in Augustinersquos thought raquo dans From Augustine to Eriugena essays on neoplatonism and Christianity in honor of John OrsquoMeara ed by FX MARTIN JA RICHMOND Washington 1991 p 150 536 laquo Tria itaque credere et intelligere debemus loquentem patrem pronuntiatum uerbum ea quae efficiuntur per uerbum Pater loquitur uerbum gignitur omnia efficiunturraquo JEAN SCOT ERIGENE Homilia super lsquoIn principio erat Verbumrsquo eacuted E JEAUNEAU Turnhout 2008 (CCCM 168) p 15 = PL 122 287C trad JEAN SCOT ERIGENE Homeacutelie sur le prologue de Jean introd texte critique trad et notes E JEAUNEAU Paris 1969 p 237-239 537 laquo Omnia quae per ipsum facta sunt in ipso uita sunt et unum sunt Erant enim (hoc est subsistunt) in ipso causaliter priusquam sint in semet ipsis effectiue raquo Ibid IX eacuted JEAUNEAU p 18 = PL 122 288C trad E JEAUNEAU p 245 538 laquo Rationes omnium rerum dum in ipsa natura uerbi quae superessentialis est intelliguntur aeternas esse arbitror Quicquid enim in deo uerbo substantialiter est quoniam non aliud praeter ipsum uerbum est aeternum esse necesse est Ac per hoc conficitur et ipsum uerbum et multiplicem totius uniuersitatis conditae principalissimam que rationem id ipsum esse Possumus etiam sic dicere Simplex et multiplex rerum omnium principalissima ratio deus uerbum est Nam a graecis ΛΟΓΟΣ uocatur hoc est uerbum uel ratio uel causa Inde quod in graeco euangelio scribitur ΕΝ ΑΡΧΗ ΗΝ Ο ΛΟΓΟΣ potest interpretari In principio erat uerbum Vel In principio erat ratio Vel In principio erat causa Quodcunque enim horum quis dixerit ex ueritate non deuiabit Nam unigenitus dei filius et uerbum est et ratio et causa Verbum quidem quia per ipsum deus pater dixit fieri omnia immo etiam ipse est patris dicere et dictio et sermo sicut ipse ait in euangelio Et sermo quem locutus sum uobis non est meus sed ipsius qui misit me Tanquam diceret aperte Ego qui sum sermo patris qui locutus sum uobis non sum meus sed loquentis me patris et ex secretis substantiae suae sinibus me gignentis et omnia per me (hoc est gignendo me) facientis Ratio uero quoniam ipse est omnium uisibilium et inuisibilium principale exemplar ideo que a graecis ΙΔΕΑ (id est species uel forma) dicitur In ipso enim pater omnia quae uoluit fieri priusquam fierent uidit facienda Causa quoque est quoniam occasiones

205

Dans la mecircme œuvre Erigegravene appelle Dieu laquo la Cause des causes raquo

laquo Mais les causes primordiales constituent agrave leur tour des participations de lrsquounique Cause de

toutes les causes crsquoest-agrave-dire de la souveraine et sainte Triniteacute et on affirme que les causes

primordiales subsistent par elles-mecircmes car aucune creacuteature ne srsquointerpose entre ces causes

et lrsquounique Cause de toutes les causes [hellip]

Ces causes primordiales [sont celleshellip] que le Pegravere a creacuteeacutees sous un mode synchronique et

syntheacutetique dans le Fils crsquoest drsquoapregraves ces causes primordiales qursquoa eacuteteacute confectionneacute lrsquoordre

seacuteriel de toutes les creacuteatures du haut en bas de lrsquoeacutechelle539 raquo

Erigegravene dit eacutegalement que lrsquoessence veacuteritable et eacuteternelle de tous les existants (omnia) a eacuteteacute

dans la Sagesse creacuteatrice avant mecircme que ces existants fussent creacuteeacutes Cette essence existe car elle

est vue par la Sagesse (Periphyseon IV)540

Ainsi Augustin et Erigegravene srsquoinspirent de la doctrine meacutetaphysique de Jean I 1-14

Lrsquoinfluence du meacutedioplatonisme est visible chez ces deux penseurs Les deux deacuteveloppent une

doctrine selon laquelle Dieu ou le Fils contient les uniteacutes intelligibles (les raisons dans le cas

drsquoAugustin ou les causes dans le cas drsquoErigegravene) qui causent lrsquoexistence des ecirctres dans le monde

Lambert Maria de Rijk trouve que cette doctrine correspond agrave la doctrine meacutedioplatonicienne des

ideacutees qui sont les penseacutees dans lrsquointellect de Dieu (en particulier chez Philon drsquoAlexandrie et

Augustin)541

Robert Javelet montre que la doctrine du Verbe-archeacutetype qui contient les ideacutees ou les

causes des choses a eacuteteacute largement accepteacutee au XIIe siegravecle Cependant cette doctrine nrsquoest pas facile

agrave tracer vu que dans la theacuteologie elle eacutetait souvent unie agrave la doctrine du Verbe-personne agrave travers

lequel le monde a eacuteteacute fait542

omnium aeternaliter et incommutabiliter in ipso subsistunt raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon III eacuted JEAUNEAU p 35-6 = PL 122 642AC Cf J MOREAU laquo Le Verbe et la creation selon saint Augustin et Jean Scot Erigene raquo dans Jean Scot Erigegravene et lrsquohistoire de la philosophie Paris 1977 p 204-209 539 laquo Ipsa uero unius uniuersorum causae summae uidelicet ac sanctae trinitatis participationes sunt atque ideo per se dicuntur esse quia nulla creatura inter ipsa et unam omnium causam interposita est [hellip] Sunt igitur primordiales causae [hellip] quas semel et simul pater fecit in filio et secundum quas ordo omnium rerum a summo usque deorsum texitur raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 124-5 = PL 122 616BC tradBERTIN t I-II p 418-419 Voir eacutegalement laquo Primitiuas causas quas sanctus Dionysius principia rerum omnium uocat simpliciter generaliter que significatas esse his uerbis intellige In principio fecit deus caelum et terram hoc est deus in uerbo suo intelligibilium essentiarum sensibilium que uniuersaliter causas condidit raquo Ibid p 39 = PL 122 554CD 540 laquo Vt enim sapientia creatrix (quod est uerbum dei) omnia quae in ea facta sunt priusquam fierent uidit ipsa que uisio eorum quae priusquam fierent uisa sunt uera et incommutabilis aeterna que essentia est ita creata sapientia (quae est humana natura) omnia quae in se facta sunt priusquam fierent cognouit ipsa que cognitio eorum quae priusquam fierent cognita sunt uera essentia et inconcussa est raquo Ibid IV eacuted JEAUNEAU p 55 = PL 122 778D 541 LM DE RIJK laquo Quaestio De ideis Some Notes on an Important Chapter of Platonismraquo Kephalaion Studies in greek philosophy and its continuation offered to Professor C J De Vogel ed by J MANSFELD and L M DE RIJK Assen 1975 p 206-208 542 R JAVELET Image et ressemblance au douziegraveme siegravecle de Saint Anselme agrave Alain de Lille vol 1 Paris 1967 p 106

206

VII12 Les raisons

Deacutesormais nous essayerons de deacutefinir les origines potentielles de la doctrine des raisons

eacuteternelles drsquoAchard de Saint-Victor Nous allons partir du fait que les raisons sont des uniteacutes

intelligibles qui causent lrsquoexistence des choses Achard expose trois sortes de raisons finales

formelle et deacuteployantes

VII121 La raison en tant que cause

La difficulteacute drsquoeacutetudier lrsquohistoire de cette notion vient du fait que sa signification nrsquoest pas

univoque En effet la raison peut deacutesigner une intelligence divine ou humaine une preacutemisse du

syllogisme la cause de lrsquoecirctre etc (voir lrsquoannexe 2) Mecircme une seule signification de cette notion ndash

la cause drsquoune chose ndash renvoie aux doctrines des ideacutees de Platon aux causes drsquoAristote aux logoi

des stoiumlciens et agrave leurs interpreacutetations dans la penseacutee tardo-antique

Nous allons drsquoabord poser une question comment la ratio au sens de cause immateacuterielle

est-elle entreacutee dans le discours de lrsquoOccident latin Une reacuteponse rapide et simple gracircce agrave Augustin

drsquoapregraves lui la ratio rend le sens des ideacutees de Platon (De diversis quaestionibus 83 qu 46 2)

laquo Nous pouvons appeler les laquo ideacutees raquo en latin formae ou species pour paraicirctre traduire mot agrave

mot Toutefois si nous les appelons rationes nous nous eacutecartons assureacutement de la

traduction litteacuterale car les rationes srsquoappellent en grec logoi et non laquo ideacutees raquo mais

quiconque aura voulu utiliser ce vocable ne deacutetestera pas pour autant la reacutealiteacute mecircme Car

les laquo ideacutees raquo sont de certaines formes principales ou de raisons de reacutealiteacutes stables et

immuables qui ne sont pas elles-mecircmes formeacutees et qui partant sont eacuteternelles et se

comportent toujours de la mecircme maniegravere elles sont contenues dans lrsquointelligence divine Et

bien qursquoelles-mecircmes ne naissent ni ne peacuterissent on dit pourtant que crsquoest selon elles qursquoest

formeacute tout ce qui peut naicirctre et peacuterir et tout ce qui naicirct et peacuterit

Quant agrave lrsquoacircme on nie qursquoelle puisse si elle nrsquoest pas rationnelle les regarder par la partie qui fait

son excellence crsquoest-agrave-dire par son esprit mecircme et sa raison comme par sa face ou son œil

inteacuterieur et intelligible543 raquo

543 laquo Ideas igitur latine possumus uel formas uel species dicere ut uerbum e uerbo transferre uideamur si autem rationes eas uocemus ab interpretandi quidem proprietate discedimus - rationes enim graece λόγοι appellantur non ideae - sed tamen quisquis hoc uocabulo uti uoluerit a re ipsa non abhorrebit sunt namque ideae principales quaedam formae uel rationes rerum stabiles atque incommutabiles quae ipsae formatae non sunt ac per hoc aeternae ac semper eodem modo sese habentes quae diuina intellegentia continentur et cum ipsae neque oriantur neque intereant secundum eas tamen formari dicitur omne quod oriri et interire potest et omne quod oritur et interit anima uero negatur eas intueri posse nisi rationalis ea sui parte qua excellit id est ipsa mente atque ratione quasi quadam facie uel oculo suo interiore atque intellegibili raquo AUGUSTIN De diversis quaestionibus octoginta tribus qu 46 eacuted MUTZENBECHER Tunhout 1975

207

Ainsi la notion de raison correspond agrave la notion drsquoideacutee544 Les raisons sont dans

lrsquointelligence divine (diuina intellegentia) Augustin caracteacuterise les raisons en tant qursquoimmuables et

intelligibles La ratio deacutesigne eacutegalement lrsquoesprit humain (mens) qui perccediloit les raisons Comme

nous lrsquoavons deacutejagrave deacutemontreacute Augustin deacutecrit les raisons qui sont dans le Verbe de Dieu Dans le De

Trinitate il parle eacutegalement des raisons eacuteternelles des choses (rationes sempiternae) qui permettent

agrave la raison humaine de juger correctement ces choses (IX VI 9 XII II 2) Tout cela permet de

dire qursquoil accepte une doctrine de la raison comme cause intelligible des creacuteatures sensibles

Un autre terme deacutesignant ce qui a la proprieacuteteacute drsquoecirctre agrave lrsquoorigine de lrsquoexistence des choses

est causa lui-mecircme Ce terme a eacuteteacute employeacute par des penseurs diffeacuterents

Drsquoabord il faut deacutecrire la doctrine de la causaliteacute de Seacutenegraveque Il choisit la causa en tant que

notion principale (mecircme si causa et ratio sont pour lui des synonymes545) Drsquoapregraves lui ce terme

englobe les deux causes stoiumlciennes les quatre causes drsquoAristote auxquelles il ajoute lrsquoideacutee de

Platon en tant que cinquiegraveme cause546 (Lettre LXV) Mais la premiegravere cause geacuteneacuterale est la raison

creacuteatrice (ratio faciens) ndash Dieu lui-mecircme547 Ainsi la fonction principale des causes est de faire que

la chose existe Les causes drsquoapregraves Seacutenegraveque ont des natures diffeacuterentes (mateacuterielle et intelligible)

Cependant il nrsquoinsiste pas sur le dualisme platonicien selon lequel la nature du principe causant

(lrsquoideacutee) est diffeacuterente de la nature de ce qui est causeacute (la chose) Il suit plutocirct le principe

drsquoassemblage aristoteacutelicien en reacuteunissant tout ce qui fait que la chose existe sous le nom de cause

Iregravene Caiazzo souligne qursquoen effet eacutetant stoiumlcien Seacutenegraveque critique les deux ndash Platon et Aristote

Pour lui la cause principale ndash Dieu ndash est la cause efficiente548

Puis les termes causa et ratio apparaissent dans la traduction du Timeacutee de Platon faite par

Calcidius

p71(CCSL 44A) trad G MADEC dans Revue Thomiste t 533 2003 p 358-359 544 Jean Peacutepin deacutemontre que dans le De libero arbitrio et De Genesi as litteram les rationes sont des ideacutees PEacutePIN J laquo La doctrine augustinienne des lsquoRationes aeternaersquo affiniteacutes origines raquo dans Ratio VII Colloquio internazionale del Lessico Intellettuale Europeo Roma 9-11 gennaio 1992 eacuted  M FATTORI et ML BIANCHI Fierenze 1994 p 48-49 545 laquo Causa autem id est ratio raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LXV eacuted PRECHAC p 106 546 laquo Dicunt ut scis Stoici nostri duo esse in rerum natura ex quibus omnia fiant causam et materiam Materia iacet iners res ad omnia parata cessatura si nemo moueat causa autem id est ratio materiam format et quocumque uult uersat ex illa uaria opera producit [hellip] Stoicis placet unam causam esse id quod facit Aristoteles putat causam tribus modis dici lsquoprima inquit causa est ipsa materia sine qua nihil potest effici secunda opifex tertia est forma quae unicuique operi imponitur tamquam statuaersquo nam hanc Aristoteles idos uocat lsquoQuarta quoque inquit his accedit propositum totius operisrsquo [hellip] His quintam Plato adicit exemplar quam ipse idean uocat hoc est enim ad quod respiciens artifex id quod destinabat effecit Nihil autem ad rem pertinet utrum foris habeat exemplar ad quod referat oculos an intus quod ibi ipse concepit et posuit raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LXV eacuted PRECHAC p 106-108 547 laquo Sed nos nunc primam et generalem quaerimus causam Haec simplex esse debet nam et materia simplex est Quaerimus quid sit causa Ratio scilicet faciens id est deus ista enim quaecumque rettulistis non sunt multae et singulae causae sed ex una pendent ex ea quae facit raquo Ibid p 110 548 I CAIAZZO laquo Sur la distinction seacuteneacutechienne ideaidos au XIIe siegravecle raquo dans Chora t 34 2006 p 101

208

laquo En revanche tout ce qui est engendreacute est neacutecessairement engendreacute par lrsquoaction drsquoune

cause car rien ne se produit dont la naissance ne soit preacuteceacutedeacutee par lrsquointervention drsquoune

cause et drsquoune raison leacutegitimes Or lrsquoorigine de toute chose deacutepend de celui qui lrsquoa

fabriqueacutee549 raquo

Ce passage apporte lrsquoideacutee que tout ce qui se produit a neacutecessairement une cause ou une

raison (encore une fois ces termes sont des synonymes)550

Avec drsquoautres sources platoniciennes telles que le Commentaire au songe de Scipion de

Macrobe les Noces de Mercure et de la Philologie de Martianus Capelle la Consolation de la

philosophie de Boegravece le Timeacutee constitue la source principale des doctrines de la creacuteation du monde

et de la Providence des XIe et XIIe siegravecles551 Ainsi il faut prendre en consideacuteration le fait que la

doctrine des causes de Platon a eacuteteacute transmise en tant que partie des doctrines deacutefinies

De plus Platon distingue la cause et ce qui suit la cause (la cause principale et la cause

accessoire selon la traduction de Beacuteatrice Bakhouche)

laquo Celui qui aime la raison et le savoir doit rechercher la cause premiegravere de ce qui ressortit agrave

une nature pleine de sagesse et non les causes qui sont les auxiliaires de la cause premiegravere

Il faut consideacuterer comme secondes les causes qui mues par drsquoautres ecirctres transmettent ce

mouvement agrave drsquoautres ecirctres Crsquoest bien ainsi qursquoil nous faut proceacuteder nous aussi et parler de

deux sortes de causes en distinguant entre les meilleures qui doueacutees drsquointelligence et de

sagesse produisent des effets beaux et bons et celles qui priveacutees drsquointelligence et de raison

laissent dans la confusion et le deacutesordre au hasard et nrsquoimporte comment tout ce qursquoelles

reacutealisent552 raquo

De cette maniegravere le Timeacutee contient lrsquoideacutee que les causes ont un certain ordre Dans son

Commentaire Calcidius ajoute que les causes sont eacuteternelles elles existaient avant le temps avec

549 laquo Omne autem quod gignitur ex causa aliqua necessario gignitur nihil enim fit cuius ortum non legitima causa et ratio praecedat Operi porro fortunam dat opifex suus raquo CALCIDIUS Platonis Timaeus dans Commentaire au laquo Timeacutee raquo de Platon eacuted B BAKHOUCHE t I Paris 2011 p 154-5= eacuted Estienne 28A 550 Raymon Klibansky appelle cette deacutefinition laquo classical formulation of the principe of causality raquo R KLIBANSKY laquo The School of Chartres raquo dans Twelfth-century Europe and the Foundations of Modern Society London 1966 p 6 551B BAKHOUCHE laquo Introduction geacuteneacuterale raquo dans CALCIDIUS Commentaire au laquo Timeacutee raquo de Platon eacuted B BAKHOUCHE t I Paris 2011 p 58 552 laquo Oportet autem intellectus disciplinae amatorem prudentissimae naturae principalem causam non adminicula causae principalis inquirere illas uero quae ab aliis motae mouent alias secundas existimandum Nobis quoque igitur in eundem modum faciendum est et de utroque causarum genere disserendum sed separatim quidem de optimis quae cum intellectu prudentiaque cuncta honesta et bona moliuntur seorsum uero de his quae mente prudentiaque cassae temere et ut libet confusa et inordinata quae faciunt relinquuntraquo CALCIDIUS Platonis Timaeus eacuted B BAKHOUCHE p 188-189= eacuted Estienne 46DE

209

Dieu (Commentarius in Platonis Timaeum I 23553) Il deacutesigne ces deux sortes de causes comme

eacutetant lrsquoune la cause principale et neacutecessaire et lrsquoautre la cause accidentelle (Commentarius in

Platonis Timaeum II 158)

Augustin utilise eacutegalement la notion de cause en parallegravele avec celle de raison554

Jean Scot Erigegravene est parmi les philosophes qui acceptent la doctrine des causes Il explique

la creacuteation du monde avec les trois sortes de cause (1) la causa essentialis et prinicipialis qui est

aussi la cause finale (2) la causa primordialis et (3) la causa constitutionis ou lrsquoousia555 La cause

essentielle correspond agrave Dieu lui-mecircme soit agrave la premiegravere forme de la Nature (qui creacutee et qui nrsquoest

pas creacuteeacutee) Elle est le principe et la fin de toutes les choses556 Les causes primordiales

correspondent aux prototypes ou ideacutees

laquo [Les causes primordiales] sont aussi communeacutement appeleacutees ΙΔΕΑ crsquoest-agrave-dire espegraveces

ou formes car crsquoest en elles qursquoont eacuteteacute creacuteeacutees les raisons normatives immuables de tous les

existants qui doivent ecirctre creacuteeacutes avant mecircme que tous les existants ne procegravedent dans

lrsquoexistence 557 raquo

La cause constitutive deacutesigne en mecircme temps lrsquoousia geacuteneacuterale et les ousiai particuliegraveres

Drsquoapregraves Christophe Erismann Erigegravene perccediloit le monde sensible comme un laquo arbre de Porphyre

553 laquo Ita naturae opera quia ortum habent ex eo quo esse coeperunt tempore finem quoque et occasum intra seriem continuationemque eius sortita sunt at uero dei operum origo et initium incomprehensibile nulla est enim certa nota nullum indicium temporis ex quo esse coeperunt sola si forte causa ndash et haec ipsa uix intellegitur ndash cur eorum quid quam ue ob causam existat certum est siquidem nihil a deo factum esse sine causa Vt igitur illis quae lege naturae procreantur fundamenta sunt semina ita eorum quae deus instituit fundamenta sunt causae quae sunt perspicuae diuinae prouidentiae Deus autem ante institutionem temporis et per aeuum ndash lsquosimulacrumrsquo est enim lsquotempus aeuirsquo ndash causae igitur operum omnium dei tempore antiquiores et sicut deus per aeuum sic etiam causae per aeuum raquo CALCIDIUS Commentaire au laquo Timeacutee raquo de Platon I 23 eacuted B BAKHOUCHE t I Paris 2011 p 230 554 BOULNOIS O laquo Liberteacute causaliteacute modaliteacute Y a-t-il une preacutehistoire du principe de raison raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 313-314 555 CHR ERISMANN laquo Causa essentialis De la cause comme principe dans la meacutetaphysique de Jean Scot Erigegravene raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 193 556 laquo Prima nanque et quarta unum sunt quoniam de deo solummodo intelliguntur Est enim principium omnium quae a se condita sunt et finis omnium quae eum appetunt ut in eo aeternaliter immutabiliter que quiescant Causa siquidem omnium propterea dicitur creare quoniam ab ea uniuersitas eorum quae post eam ab ea creata sunt in genera et species et numeros differentias quoque caetera que quae in natura condita considerantur mirabili quadam diuina que multiplicatione procedit Quoniam uero ad eandem causam omnia quae ab ea procedunt dum ad finem peruenient reuersura sunt propterea finis omnium dicitur et neque creare neque creari perhibetur raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 5 = PL 122 526C-527A 557 laquo ΙΔΕΑ quoque (id est species uel forma in qua omnium rerum faciendarum priusquam essent incommutabiles rationes conditae sunt) solet uocari raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 8-9 = PL 122 529B trad FBERTIN T I-II p 289Franccedilois Bertin remarque lrsquoinfluence de la doctrine du De ideis drsquoAugustin sur la formation de la notion de cause primordiale chez Erigegravene Voir ibid p 424-5 note 5 Erismann suppose que le terme causa primordialis provient probablement du De Genesi ad litteram VI X 17 drsquoAugustin CHR ERISMANN laquo Causa essentialis De la cause comme principe dans la meacutetaphysique de Jean Scot Erigegravene raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 199

210

reacutealiseacute558 raquo Lrsquoousia geacuteneacuterale est preacutesente dans toutes les subdivisions de ses arbres et en mecircme

temps elle est la cause formelle intrinsegraveque drsquoun individu De plus il considegravere la doctrine

drsquoErigegravene en tant qursquolaquo une reacuteflexion sur la causaliteacute alternative agrave la solution aristoteacutelicienne dans

une meacutetaphysique eacutemanatiste de type neacuteoplatonicienne559 raquo

Ainsi la thegravese que la raison en tant qursquoideacutee serait la cause exemplaire des choses a eacuteteacute

introduite dans la philosophie occidentale latine par Augustin Drsquoapregraves lui tout ce qui existe existe

agrave travers la participation aux ideacutees (les raisons) En mecircme temps les ideacutees (raisons) sont des formes

principales elles deacuteterminent ce que la chose est

Seacutenegraveque et Platon (traduit par Calcidius) quant agrave eux apportent une notion plus geacuteneacuterale de

la cause ou de la raison Selon eux ces derniegraveres sont agrave lrsquoorigine de lrsquoexistence drsquoune œuvre En

mecircme temps cette notion geacuteneacuterale de cause a eacuteteacute preacuteciseacutee suite agrave lrsquointroduction de la doctrine

polyvalente de cause elle deacutetermine plusieurs aspects de lrsquoexistence des ecirctres telles que leurs

matiegravere forme but destin creacuteateur etc Ce sont les quatre sortes de causes de Seacutenegraveque les causes

primaires et secondaires de Platon et les trois sortes de causes de Jean Scot Erigegravene

Il faut noter que tous ces auteurs trouvent que les causes sont un instrument utiliseacute par Dieu

afin de creacuteer et gouverner le monde

VII122 Les trois sortes de raisons

Lrsquoun des principaux aspects des doctrines des raisons eacuteternelles selon Achard est le fait

qursquoon les distingue drsquoapregraves leur foncions finales formelles et deacuteployantes Cette division des

raisons fait penser drsquoabord aux quatre causes drsquoAristote Elles sont connues au XIIe siegravecle agrave travers

les Lettres de Seacutenegraveque mais aussi agrave travers le De topicis differentiis de Boegravece

Aristote

Physique II 3

194b23-195a 2

II 7 198a14-22560

fin forme

modegravele

essence

commen-

cement

moteur

prochain

matiegravere - -

Seacutenegraveque Epistolae

LXV 4-5

propositum

forma

idos

opifex

artifex

materia

exemplar

idea

-

558 CHR ERISMANN laquo laquo Causa essentialis raquo De la cause comme principe dans la meacutetaphysique de Jean Scot Erigegravene raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 204 559 Ibid p 196 560 Voir la traduction suivante Physique eacuted H CARTERON t 2 Paris France Les Belles Lettres 1969 p 65 et 74

211

Boegravece De topicis

differentiis III561

finis forma efficiens materia - -

Achard De unitate

I 39

finalis formalis - - - explicatrix

Achard De unitate

II 17

ratio

causalis

causa

rationabilis

Achard Sermons

XIV 21

finalis formalis - - - judicialis

Les causes finales formelles efficientes et mateacuterielles se trouvent chez Aristote La cause

exemplaire (idea) a eacuteteacute introduite par Seacutenegraveque afin de compleacuteter la doctrine aristoteacutelicienne des

causes par un eacuteleacutement platonicien Seacutenegraveque associe eacutegalement la forme drsquoAristote avec lrsquoidos de

Platon Philon drsquoAlexandrie ajoute la cause instrumentale dans ses œuvres De cherubim (124-27)

Quaestiones in Genesim (158) et De Providentia (123)562 Cette cause deacutesigne le Fils de Dieu

(logos) ou sa Sagesse

Ainsi crsquoest seulement la nomination des raisons finales et formelles qursquoAchard a repris de la

tradition aristoteacutelicienne En effet il reacuteunit sous le nom de laquo cause formelle raquo les causes formelle et

exemplaire (idea et idos) distingueacutees par Seacutenegraveque Dans le De unitate il ajoute la cause deacuteployante

(explicatrix) et dans les Sermons la judiciaire Les causes mateacuterielle et efficiente nrsquoapparaissent

pas chez Achard

Les causes dans le De unitate sont exprimeacutees aussi agrave lrsquoaide de preacutepositions Gregory

Sterling563 en se reacutefeacuterant agrave ses collegravegues allemands appelle ce pheacutenomegravene la laquo meacutetaphysique

preacutepositionnelle raquo Antonio Orbe repegravere les principales causes employeacute dans lrsquoAntiquiteacute greacuteco-

latine564 Nous allons comparer ces causes avec celles des sources connues drsquoAchard

561 BOECE laquo De topicis differentiis raquo dans Boethius De topicis differentiis und die byzantinische Rezeption dieses Werke eacuted Z NIKITAS Athens-Paris-Bruxelles 1990 p 60 = PL 64 1201A 562 GE STERLING laquo Prepositional Metaphysics in Jewish wisdom speculation and early christological hymns raquo dans The studia philonica annual t9 Wisdom and logos studies in Jewish thought in honor of David Winston 1997 p 227 563 Ibid p 220 note 9 564 A ORBE Estudios valentinianos Ioh I3 Romae 1955 p 191-193

212

Seacutenegraveque Epistolae

LXV 8-10

propter

quod

in quo a quo ex quo ad quod

Augustin De civ

Dei VII XXVIII

cite Varron Ant

Rer Div XV 4565

a quo fiat de qua fiat secundum

quod fiat

Boegravece De top dif

(II 7 3 )

propter

quod fit

qua fit quae

movet

atque

operatur

ex qua fit

aliquid vel

in qua fit

Erigegravene Periph

II 553a-b

in qua ex qua ad quam per quam

De unitate I 39 propter quas secundum

quas

per quas

De cette faccedilon les preacutepositions choisies par Achard pour deacutesigner les causes ne

correspondent complegravetement agrave celles de Seacutenegraveque Seulement la cause propter a eacuteteacute gardeacutee par

Achard Cette deacutenomination se trouve aussi chez Boegravece

Lrsquoexpression secundum quod qui deacutesigne la cause exemplaire est rare Elle est employeacutee

dans Genegravese I 26 (laquo faciamus hominem secundum imaginem et secundum

similitudinem nostramraquo) Augustin lrsquoutilise en citant Varron Elle apparaicirct aussi dans sa Quaestio de

ideis566

Lrsquoexpression per quod correspond probablement agrave la cause instrumentale de Philon De

plus dans le De unitate la cause deacuteployante deacutesigne lrsquoart ou le nous qui est proche du Logos de

Philon La version grecque de cette appellation dia est utiliseacutee dans le Nouveau testament (Rom 11

36 Heb 2 10 Jean I 3 10 1 Cor 8 6b etc567) et se traduit en latin comme per

565 laquo Dicit enim se ibi multis indiciis collegisse in simulacris aliud significare caelum aliud terram aliud exempla rerum quas Plato appellat ideas caelum Iouem terram Iunonem ideas Minervam vult intellegi caelum a quo fiat aliquid terram de qua fiat exemplum secundum quod fiat raquo AUGUSTIN De civitate Dei eacuted B DOMBART et A KALB trad G COMBEgraveS F-J THONNARD et M A DEVYNCK Paris 1959 p 204 (BA 34) Cf A ORBE Estudios valentinianos Ioh I3 Romae 1955 p 192 566 laquo Secundum eas tamen formari dicitur omne quod oriri et interire potest et omne quod oritur et interit raquo AUGUSTIN De diversis quaestionibus octoginta tribus De octo Dulcitii quaestionibus qu 46 eacuted A MUTZENBECHER p 71 Cf J PEacutePIN laquo Le maniement des prepositions dans la theorie augustinienne de la creacuteation raquo dans Revue des eacutetudes augustiniennes t 35 1989 p 271-272 567 GE STERLING laquo Prepositional Metaphysics in Jewish wisdom speculation and early christological hymns raquo dans The studia philonica annual t9 Wisdom and logos studies in Jewish thought in honor of David Winston 1997 p 232

213

Lrsquoexpression per quod ne se trouve pas pourtant dans les sources philosophiques drsquoAchard

Augustin lrsquoutilise en expliquant la fonction instrumentale de lrsquoart de Dieu (selon Jean 1 3)568

Erigegravene emploie aussi la preacuteposition per ensemble avec la notion drsquoart de Dieu569 Employeacutee de

cette faccedilon la preacuteposition per heacuterite la fonction de la cause efficiente drsquoAristote Cela permet de

rapprocher la cause efficiente drsquoAristote de la cause explicatrix drsquoAchard

Achard nrsquoest pas le seul auteur du XIIe siegravecle agrave employer la doctrine aristoteacutelicienne des

causes Ilkhani cite des repreacutesentants de lrsquoeacutecole de Chartres ndash Thierry Guillaume de Conches et

Jean de Salisbury ndash qui parlent des quatre causes570 Thierry de Chartres lrsquoutilise dans son Tractatus

de sex dierum operibus et dans son Commentum super Arithmeticam Boethii571

En ce qui concerne les origines de chaque sorte de raisons nous allons les eacutetudier une par

une

La raison formelle sera deacutecrite de maniegravere deacutetaille dans le chapitre consacreacute agrave la forma

Achard renomme les raisons finales en II 17-18 en causes rationnelles ou raisons causales

La notion de raison causale apparaicirct dans le De Genesi ad litteram drsquoAugustin La notion qui

preacutecegravede est celle de raison seacuteminale introduite par le stoiumlcien Zeacutenon reprise par Plotin comme

raisons des ecirctres vivants dans lrsquoacircme du monde572 Augustin mecircme emploie quelques fois les mots

semina et seminaliter573

Selon Augustin les raisons causales expliquent comment Dieu peut tout creacuteer

simultaneacutement (Sir XVIII 1) et pendant les six jours (Gen I-II) mais aussi pourquoi les ecirctres

continuent drsquoapparaicirctre dans le monde Augustin introduit la doctrine drsquoune double creacuteation du

monde Il deacutecrit trois modes drsquoexistence ante saecula (Dieu mecircme) a saeculo ndash la premiegravere

creacuteation et in saeculo ndash la deuxiegraveme creacuteation Drsquoabord les raisons eacutetaient dans le Verbe de Dieu

Ensuite lors de la premiegravere creacuteation ndash prima conditio (tunc) ndash elles ont eacuteteacute dans les œuvres Et

enfin lors de lrsquoadministratio (tunc) les choses contenant leurs raisons seacuteminales se produisent dans

568 laquo Et si ars ipsa per quam facta sunt omnia hoc est summa et incommutabilis sapientia dei uere summe que est sicuti est respice quo tendat quidquid ab illa discedit raquo AUGUSTIN De libero arbitrio III XV 42 eacuted WM GREEN Turnhout 1970 (CCSL 29) p 300 569 laquo Vt enim intellectus artificis artis intellectum praecedit intellectus autem artis praecedit intellectum eorum quae in ea et per eam fiunt ita intellectus patris artificis intellectum suae artis (hoc est suae sapientiae) in qua condidit omnia antecedit deinde intellectum ipsius artis omnium quae in ea et per eam facta sunt sequitur cognitio Omne siquidem quod uera ratio quoquo modo praecessionis praecedere inuenit iuxta naturalem consequentiam praecedere necesse est Ac per hoc artifex omnium deus pater secundum causam artem suam praecedit raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon III eacuted JEAUNEAU p 26 = PL 122 635CD tradBERTIN t I-II p 418-419 570 M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 213-7 571Cf I CAIAZZO laquo Introduction The Trinity and the four causes raquo dans THIERRY DE CHARTRES The Commentaries on the De Arithmetica of Boethius ed I CAIAZZO Toronto 2015 (Studies and Texts 191) p 48-49 572R CAPDET laquo Les raisons causales drsquoapregraves Saint-Augustin raquo dans Bulletin de la litteacuterature eccleacutesiastique t 50 (69) 1949 p 208-9 et 228 Voir eacutegalement P AGAEumlSSE A SOLIGNAC laquo Notes compleacutementaires 21 Le double moment de la creacuteation et les lsquoraisons causalesrsquo raquo dans AUGUSTIN De Genesi ad litteram libri duodecim eacuted J ZYCHA trad intod et notes PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC p 654 573 Cf J PEacutePIN laquo La doctrine augustinienne des lsquoRationes aeternaersquo affiniteacutes origines raquo dans Ratio VII Colloquio internazionale del Lessico Intellettuale Europeo Roma 9-11 gennaio 1992 eacuted  M FATTORI et ML BIANCHI Fierenze 1994 p 50-52

214

le monde temporel574 Les raisons seacuteminales font que de nouvelles choses apparaissent Ces raisons

sont une laquo intermeacutediaire entre les formes acheveacutees et la matiegravere pure575 raquo laquo elles sont causes de la

forme et de tous les caractegraveres qui se deacuteveloppent successivement seacutepareacutement dans chaque

individu576 raquo En tant que causes elles contiennent laquo le dynamisme du deacuteveloppement des ecirctres raquo et

en tant que raisons laquo les lois de ce deacuteveloppement577 raquo

En deacutefinitive nous avons eacutetabli les sources possibles de la doctrine des trois sortes de

raisons eacuteternelles drsquoAchard de Saint-Victor (Seacutenegraveque Erigegravene Augustin)

VII2 Le Verbe et les causes dans lrsquoeacutecole de Saint-Victor

Dans ce chapitre nous allons examiner la doctrine des causes primordiales drsquoHugues et de

Richard de Saint-Victor Hugues lrsquoexprime dans ses œuvres le De sacramentis christianae fidei et

les Sententiae de divinitate

Pour parler de la causaliteacute Hugues emploie le terme causa La ratio dans son vocabulaire

deacutesigne principalement la faculteacute de lrsquoesprit Chez Hugues la nature spirituelle de lrsquohomme et

surtout sa capaciteacute de connaicirctre est un terme moyen qui entreprend la liaison entre Dieu et la

creacuteature corporelle Thierry Lesieur remarque que laquo le centre de graviteacute de la hieacuterarchie raquo est

deacuteplaceacute de cette faccedilon du sommet vers le centre578

Ainsi les notions de ratio et de causa ont des significations diffeacuterentes chez Hugues de

Saint-Victor La ratio est employeacutee plutocirct dans un contexte eacutepisteacutemologique la causa dans des

contextes ontologique et meacutetaphysique

VII21 Le Verbe de Dieu

Le terme Verbum apparaicirct chez Hugues dans des contextes diffeacuterents Dans son œuvre De

Verbo Dei il commente un verset de Psaume (61 12) et un extrait de lrsquoEpitre aux Heacutebreux (4 12)

574 P AGAEumlSSE A SOLIGNAC laquo Notes compleacutementaires 21 Le double moment de la creacuteation et les lsquoraisons causalesrsquo raquo dans AUGUSTIN De Genesi ad litteram libri duodecim eacuted J ZYCHA trad intod et notes PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC p 662-663 575 F-J THONNARD laquo Les raisons seacuteminales selon Saint Augustin raquo dans Actes du XIe congregraves international de philosophie Bruxelles 20-26 aoucirct 1953 t XII Amsterdam-Louvain p 146 576 R CAPDET laquo Les raisons causales drsquoapregraves Saint-Augustin raquo dans Bulletin de la litteacuterature eccleacutesiastique t 50 (69) 1949 p 221 577 P AGAEumlSSE A SOLIGNAC laquo Notes compleacutementaires 21 Le double moment de la creacuteation et les lsquoraisons causalesrsquo raquo dans AUGUSTIN De Genesi ad litteram libri duodecim eacuted J ZYCHA trad intod et notes PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC p664 578 Th LESIEUR laquo Raison et rationaliteacute chez Hugues de Saint-Victor raquo dans Lrsquoeacutecole de Saint-Victor de Paris Influence et rayonnement du Moyen Acircge agrave lrsquoEpoque moderne eacuted D POIREL Turnhout 2010 (Biblioteca Victorina 22) p 392

215

pour expliquer comment la Parole (Verbum) de Dieu se manifeste dans la vie de lrsquohomme Le mot

Verbum a dans ce cas un sens moral

Le mot Verbum deacutesigne eacutegalement le Fils de Dieu qui srsquoest incarneacute579 Hugues divise

lrsquohistoire spirituelle du monde agrave travers les deux grands eacuteveacutenements

- Fondation (conditio)

- Restauration (restauratio)580

La fondation est la creacuteation du monde pendant les six jours Et la restauration est

lrsquoincarnation du Verbe Le Verbe deacutesigne dans ce cas le Fils de Dieu Ce contexte du mot Verbum

est plus proche de celui qui nous inteacuteresse

La restauration a eacuteteacute formeacutee degraves le deacutebut dans la creacuteation581 Elle a eacuteteacute preacuteconccedilue avant

drsquoecirctre faite

Hugues adopte la doctrine de la creacuteation intellectuelle des ecirctres Tout ce qui devait ecirctre fait

a eacuteteacute drsquoabord dans lrsquoesprit de Dieu La creacuteature se trouvait lagrave-bas avant drsquoecirctre faite selon un ordre

deacutefini Voici cet ordre

- Les causes primordiales invisibles et increacuteeacutees de tout ce qui doit ecirctre creacuteeacute

- La nature invisible creacuteeacutee des anges

- La nature humaine visible et creacuteeacutee

- La creacuteature corporelle visible en entier (in toto) et temporelle en entier582

Dieu a fait le monde selon cet ordre mais lrsquoesprit humain le conccediloit selon un ordre inverse

du visible agrave lrsquoinvisible583

Dans le De Trinitate Richard reprend la thegravese que le fils de Dieu est le Verbe qui est la

Sagesse principale de Dieu (VI XII)

579 A propos du rocircle du Verbe dans la formule cristologique (homo assumptus) voir F T HARKINS laquo Homo assumptus at St Victor Reconsidering the Relationship between Victorine Christology and Peter Lombardrsquos First Opinion raquo The Thomist t 72 2008 p 603ndash605 580 laquo Duo enim sunt opera in quibus universa continentur quae facta sunt Primum est opus conditionis Secundum est opus restaurationis Opus conditionis est quo factum est ut essent quae non erant Opus restaurationis est quo factum est ut melius essent quae perierant raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis Prologue II PL 176 183A 581laquo Nos siquidem propositum habemus de sacramento redemptionis humanae (quod a principio in operibus restaurationis formatum est) quantum Dominus dederit in hoc opere tractare Sed quia opera conditionis tempore priora fuerunt ab his exordium sermonis sumpsimus ut inde ad reliqua quae sequuntur suo ordine viam faceremus Dicimus namque opera conditionis creationem universorum quando facta sunt ut essent quae non erant opera vero restaurationis quibus impletum est vel figuratum est sacramentum redemptionis quo reparata sunt quae perierant Ergo opera conditionis sunt quae in principio mundi sex diebus facta sunt opera vero restaurationis quae a principio mundi propter reparationem hominis sex aetatibus fiunt quae ut brevi definitione stringamus opera restaurationis esse dicimus incarnationem Verbi et quae in carne et per carnem gessit Verbum cum omnibus sacramentis suis raquo ibid Prologue XXVIII PL 176 204AB 582 laquo Ponuntur ergo primo loco causae primordiales et invisibiles et increatae creandorum omnium in mente divina Secundo loco angelica natura invisibilis quidem sed creata Tertio loco humana visibilis et creata secundum aliquid invisibilis et secundum aliquid visibilis Quarto loco creatura corporea in toto visibilis et in toto temporalis raquo ibid I IV XXVI PL 176 246BC 583 laquoNam de visibilibus quidem quae postrema sunt idcirco primam propositionem fecimus ut de his quae patent ad latentium cognitionem humanam mentem commodius duceremus raquo ibid I IV XXVI PL 176 246C

216

VII22 Les causes primordiales

La creacuteation a eacuteteacute faite agrave travers les causes primordiales La cause est ce qui fait proceacuteder

quelque chose et lrsquoeffet est ce qui procegravede Hugues enseigne que tout ce qui existe est soit une

cause soit un effet soit les deux en mecircme temps De cette faccedilon le monde est vu comme une

hieacuterarchie ougrave les causes suprecircmes sont en haut et les effets derniers en bas

causalissima causae que generant et non

generantur

media causae et effectus que et generantur et

generant

ultima effectus que generantur et non

generant584

Les causes qui ne sont pas des effets sont les causes premiegraveres Les causes premiegraveres

peuvent ecirctre premiegraveres dans leur genre (comme Adam dans le genre humain) ou premiegraveres

universellement (les causes primordiales increacuteeacutees)585

584 laquo Causa est ex quo aliquid procedit effectus quod inde procedit et secundum hoc potest dici quia quicquid est uel est causa uel effectus Sed eorum alia sunt cause tantum alia et effectus et cause sed ad aliud et aliud cause scilicet subsequentium effectus uero precedentium Cause tantum sunt que generant et non generantur Effectus tantum que generantur et non generant Cause et effectus que et generantur et generant Illa uero que tantum cause sunt prima dicuntur a scripturis et causalissima que effectus tantum ultima appellantur que utrumque media que media quanto magis accedunt ad prima tanto causaliora dicuntur id est cause plurium effectuum et ita ea que primo loco sunt post prima primi effectus sunt que uero ultimo loco ante ultima ultime cause sunt Et nota quod in tanta uniuersitate in tanta multiplicitate rerum sic omnia sibi firmissimo nexu coherent ut nulla ibi fit dissolutio nulla omnino discordia quia quicquid ibi est uel causa alterius est uel effectus eiusdem raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 936 9-22 laquo Rerum omnium ordo dispositioque a summo usque ad imum in universitatis hujus compage ita sese causis quibusdam rationumque genituris prosequitur ut omnium quae sunt nihil inconnexum aut separabile natura externumque inveniatur Quaecunque enim sunt rerum omnium aut causae inveniuntur subsequentium effectuum esse aut effectus praecedentium causarum Et rerum quidem aliae causae tantum sunt non etiam effectus sicut prima omnium causa Aliae effectus tantum non etiam causae sicut ultima et postrema universorum Aliae autem et causae sunt ad posteriora quae generant et ad priora a quibus generantur effectus et sicut his quae ultima sunt et effectus tantum priorum nihil posterius cernitur sic quidem iis quae prima sunt et causae tantum subsequentium nihil prius invenitur De mediis autem quaecunque priora sunt magis causae nominantur et minus effectus Quaecunque vero posteriora sunt magis sunt effectus et minus causae et prima causalissima Et quae prima sunt post prima primi sunt effectus et quae ultima sunt ante ultima causae ultimae et ultima generata et prima generantia raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I II II PL 176 206C-207B 585 laquo His communiter de causis et effectibus positis a modo separatim de causis agamus dicentes que causarum alie sunt prime alie non prime primarum uero alie in suo genere prime alie uniuersaliter prime Illa in suo genere prima causa est quam in eodem genere nulla causa precessit ut Adam humani generis prima causa fuit quem in eodem genere nulla causa precessit tamen uniuersaliter prima causa non fuit quia ipsemet etiam aliam causam sue conditionis habuit precedentem ipsum Itaque lsquocausas uniuersaliter primasrsquo appello eas ex quibus omnia alia ortum habuerunt raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 936 23-30 laquo Primae autem causae aliae creatae sunt et quae sunt in suo genere primae aliae increatae et quae universaliter primae sunt Quae enim in suo genere primae sunt ad aliquid primae sunt sed universaliter primae non sunt quoniam etsi praecedunt quae subsequuntur omnia habent tamen et ipsae aliquid quo posteriores inveniantur quoniam non praecedunt omnia In hac enim universitate rerum omnium ita cunctis causaliter cohaerentibus aliquid primum invenitur ut ex his omnibus nihil prius esse possit quoniam ipsum ex omnibus primum est omnium et tamen ipso aliquid prius esse necesse est quoniam ex

217

Dieu lui-mecircme a institueacute la premiegravere cause des choses (la fondation de la creacuteature

rationnelle) car il a voulu partager sa bonteacute avec la creacuteature586 Cette cause est la sagesse de Dieu

qui est Dieu lui-mecircme Les causes primordiales sont multiples en elles Hugues souligne que mecircme

si les causes sont dans lrsquoesprit de Dieu (in mente Dei) elles lui sont infeacuterieures En mecircme temps

elles sont supeacuterieures agrave la creacuteature587 Les premiegraveres causes primordiales sont trois puissance

sagesse et volonteacute Elles ont leur origine en Dieu588 Dans le De tribus diebus Hugues souligne que

les changements dans les creacuteatures nrsquoinfluencent pas Dieu Notamment Dieu ne change pas ses

deacutecisions par conseacutequent sa volonteacute est immuable La sagesse de Dieu nrsquoest pas non plus

influenceacutee par les changements des choses

De cette faccedilon Hugues explique comment la creacuteature est formeacutee gracircce aux causes

primordiales Les causes ont eacutegalement leur hieacuterarchie premiegraveres causes et causes qui proviennent

agrave partir drsquoelles Dieu est supeacuterieur aux causes Elles nrsquoont pas la mecircme nature que lui Hugues

souligne que Dieu est au-dessus de la creacuteature

Richard nrsquointroduit pas la doctrine des causes explicitement Dans le chapitre XIII du livre

IV du De Trinitate il parle des substances quasi-divines auxquelles la puissance divine nrsquoest pas

communiqueacutee Le traducteur franccedilais de ce livre Gaston Salet pense qursquoil srsquoagit dans ce passage des

causes primordiales589

VII23 Les attributs de Dieu

La creacuteature est formeacutee agrave travers les causes primordiales premiegraveres Dans les Sententiae de

divinitate Hugues explique comment les causes agissent

omnibus est quibus universaliter aliquid prius est His vero causis quae universaliter primae sunt nihil prius est quoniam ipsae primae sunt omnium nec habent alias causas ipsae priores quoniam omnium causae ipsae sunt raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I II II PL 176 207BC 586 laquo Hinc ergo primam causam sumpsit creaturae rationalis conditio quod voluit Deus aeterna bonitate suae beatitudinis participes fieri quam vidit et communicari posse et minui omnino non posse Illud itaque bonum quod ipse erat et quo ipse beatus erat bonitate sola non necessitate trahebatur ad communicandum Quoniam et optimi erat prodesse velle et potentissimi noceri non posse raquo ibid I II IV PL 176 208A 587 laquo Ad quod dicimus quod primordiales cause quod super omnem creaturam sunt nec sunt alique creature et hoc quod omni modo uerum est quia ab eterno in sapientia Dei sunt et sunt idem cum ipsa que est primordialis causa omnium rerum id est ipse Deus Sed qualiter infra Deum sunt uideamus primordialis causa omnium rerum ut diximus est ipsa Dei sapientia que omnia prouidet et dispensat Que sapientia quando humiliat se ab eminentia diuinitatis declinat ut inferiora terrena scilicet disponat et gubernet uidetur quasi se ipsa inferior et infra diuinam naturam subsistere et ita licet forme ille que in mente Dei primordiales cause dicuntur non sint aliud ab ipso Deo tamen infra Deum dicuntur subsistere raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 937 56-66 588 laquo Diximus iam que sint illa tria in quibus subsistunt primordiales cause omnium rerum scilicet sapientia Dei et potestas et uoluntates eiusdem et de unoquoque eorum diuisim tractauimus Nunc autem uidendum est quod sicut in his tribus omnia constant ita hec tria in uno habent esse principio quod summum et primum principium est omnium rerum hoc autem principium est Deus in quo omnia et a quo omnia esse accipiunt ipse autem a nullo raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 3 eacuted PIAZZONI p 948 3-9 589 G SALET laquo Substantiis quasi divinis raquo dans RICHARD DE SAINT-VICTOR La Triniteacute introd traduction et notes G SALET Paris 1999 p 473-4

218

Deus voluntas sapientia potestas

a qua omnia

proficiscuntur

eadem diriguntur in opere explicantur

Homo uult disponit perficit590

Dans ce cas il deacutecrit comment Dieu meut la creacuteature rationnelle (lrsquohomme) Les trois causes

existent en Dieu volonteacute sagesse et puissance Toutes les choses proviennent agrave partir de la

volonteacute sont dirigeacutees par la sagesse et sont deacuteployeacutees dans lrsquoœuvre par la puissance Ces trois

causes font que lrsquoacircme humaine veut faire quelque chose la dispose comme elle veut et complegravete

une œuvre qursquoelle a voulue et disposeacutee Tandis que dans lrsquohomme ces opeacuterations sont successives

en Dieu elles sont simultaneacutees

Le mecircme sujet est abordeacute de maniegravere plus deacutetailleacutee dans le De sacramentis (I II VI XII-

XIII XXII)

Pater Filius Spiritus Sanctus

potentia

operatio

sapientia

dispositio

bonitas

voluntas

operatur disponit movet

immensitas pulchritudo utilitas

primordiales causae

3 per potentiam producuntur 2 per sapientiam diriguntur 1 a voluntate divina

proficiscuntur

explicat disponit movet

Dans le chapitre I II VI Hugues eacutenumegravere drsquoabord la volonteacute la puissance et la sagesse qui

produisent leurs effets et ensuite la puissance la sagesse et la bonteacute comme les attributs qui sont

dits de Dieu La volonteacute meut la sagesse dispose et la puissance opegravere La puissance la sagesse et

la bonteacute correspondent aux trois personnes divines591 Dans le chapitre I II XIII Hugues preacutecise

590 laquo Voluntas Dei enim prima causa est omnium rerum a qua omnia proficiscuntur per sapientiam eadem diriguntur per potestatem uero in opere explicantur et hec eadem tria in homine etiam quodlibet reperiuntur qui primo animum ad hoc applicat ut aliquid uelit facere dum disponit qualiter id faciat quod iam uoluit ad ultimum per potestatem opus complet quod iam uoluit et disposuit Sed tamen hec aliter in homine aliter in Deo suntIn homine enim hec successiue sibi proueniunt ita quod uoluntas prior sit deinde sapientia postea potestas primo enim homo aliquid uult facere deinde disponit ad ultimum perficit In Deo uero hec simul sunt ita quod nichil ibi prius ibi nichil preterius quia quam cito uult tam cito disponit tam cito potest nec sunt hec in Deo diuersa sed sapientia Dei que scilicet ipse Deus est diuersis de causis his diuersis nominibus appellatur raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 938 77-89 591 laquo Et haec tria erant potentia sapientia voluntas et ad omnem effectum concurrunt tria haec nec aliquid absolvitur nisi ista adfuerint Voluntas movet scientia disponit potestas operatur Et si horum discretionem proponas non est posse illud quod scire neque scire illud quod velle et tamen Deo unum sunt posse scire et velle Et discernit illa ratio

219

qursquoil attribue la volonteacute agrave la bonteacute la disposition agrave la sagesse et lrsquoopeacuteration agrave la puissance592 De

cette faccedilon dans la doctrine drsquoHugues les opeacuterations exteacuterieures de Dieu (volonteacute sagesse

puissance) ne suivent pas le mecircme ordre que les inteacuterieures (puissance sagesse et bonteacute)

Les proprieacuteteacutes visibles de la creacuteature qui correspondent agrave la puissance agrave la sagesse et agrave la

bonteacute sont lrsquoimmensiteacute la beauteacute et lrsquoutiliteacute593

Et dans une reacutecapitulation (I II XXII) Hugues revient aux trois opeacuterations de Dieu qui

influencent les causes primordiales la volonteacute fait provenir la sagesse dirige et la puissance

deacuteploie594

Dans son petit opuscule De potestate et voluntate Dei utra major sit (PL 176 839-842)

Hugues montre que la puissance et la sagesse de Dieu sont eacutequilibreacutees Pour deacutevelopper cette

question il emploie la notion drsquoaffectus drsquoeffectus et de respectus mais aussi de prescience et de

preacutedestination divines

En deacutefinitive les trois attributs de Dieu (volonteacute sagesse et puissance) sont les causes

primordiales Dieu creacutee le monde agrave travers ces causes Les attributs de Dieu se manifestent dans la

creacuteation (comme immensiteacute beauteacute et utiliteacute) et il est possible drsquoapprendre davantage sur eux en

lrsquoeacutetudiant

Richard de Saint-Victor deacutecrit les attributs divins Dans le Liber exceptionum il reacutepegravete les

invisibilia choisis par Hugues potentia sapentia et benignitas Ces attributs se manifestent

eacutegalement agrave travers lrsquoimmensitas le decor et lrsquoutilitas (I II II) Il reprend les mecircmes attributs dans

ses lettres le De spiritu blasphemie595 et lrsquoAd me clamat ex Seir596 Dans une autre lettre le De

tribus personis appropriatis la puissance correspond au Pegravere la sagesse au Fils et la bonteacute au Saint-

et natura non dividit et venit nobis Trinitas indivisa quae totum continet et sine ipsa totum est nihil Quidquid de Deo vere dicitur aut pie credi potest in Deo haec tria continent-potestas sapientia et bonitashellip Nec propterea tria non esse quia unum erant Neque unum non esse propterea quod tria erant et tribus admonita dixit tres personas tria quia naturaliter Deus erant et una substantia et ideo unus Deus et assignavit potestatem Patri sapientiam Filio bonitatem Spiritui sancto et confessa est Trinitatem Patrem et Filium et Spiritum sanctum raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I II VI PL 176 208B-D 592 laquo Et tamen haec tria aeterna erant et causa omnium erant et per haec facta sunt omnia et ipsa non sunt facta et assignavimus bonitati voluntatem et sapientiae dispositionem et potestati operationem raquo Ibid I II XIII PL 176 211C 593laquo Et inventa est in tribus in Trinitas ineffabilis quae in Creatore quidem unum sunt sed per creaturae speciem divisium se ad cognitionem effundunt Suscepit enim formam potestatis rerum immensitas sapientiae pulchritudo bonitatis utilitas Et videbantur haec foris et concurrebant cum alio simulacro quod intus perfectius erat raquo ibid I II XII PL 176 211A 594laquo Cum sint ergo tria in Deo sapientia potentia voluntas primordiales causae a voluntate quidem divina quasi proficiscuntur per sapientiam diriguntur per potentiam producuntur Voluntas enim movet sapientia disponit potentia explicat Haec sunt aeterna fundamenta causarum omnium et principium primum quae ineffabilia et incomprehensibilia sunt omni creaturae raquo ibid I II XXII PL 176 216C 595laquo Juxtra id ltautemgt quod in in Scripturis sanctis specialiter attributur potentia Patri sapientia Filio bonitas vero Spiritui sancto raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De spiritu blasphemie dans RICHARD DE SAINT-VICTOR Opuscules theacuteologiques Texte critique avec introduction notes et tables eacuted RIBAILLIER Paris 1967 (Textes philosophiques du Moyen Age 15) p 122 = PL 196 1187C 596 laquo Scis nichilominus quod mos est divine Scripture potentiam Patrim sapientiam Filio bonitatem Spiritui sancto quasi specialiter attribuereraquo RICHARD DE SAINT-VICTOR Ad me clamat ex seir dans RICHARD DE SAINT-VICTOR Opuscules theacuteologiques Texte critique avec introduction notes et tables eacuted RIBAILLIER Paris 1967 (Textes philosophiques du Moyen Age 15) p 262-3 = PL 196 999D

220

Esprit Il souligne que les appropriations ont le mecircme ordre de provenance la puissance nrsquoest de

personne la sagesse provient de la puissance et la bonteacute de deux premiegraveres597

A la fin du De Trinitate (V XV) Richard demande si ces trois attributs sont les personnes

Il reacutepond que non La puissance exprime la qualiteacute du Pegravere la sagesse celle du Fils et la bonteacute celle

du Saint-Esprit Leur relation reflegravete la procession des personnes (la sagesse est possible lagrave ougrave la

puissance est preacutesente la bonteacute ougrave il y a la puissance et la sagesse)598

Richard soulegraveve notamment la question de lrsquoeacutequilibre de la sagesse et de la puissance Dans

le chapitre I XXI du De Trinitate il affirme que Dieu ne sait pas plus qursquoil ne peut Sa sagesse et sa

puissance sont le mecircme ecirctre Si Dieu savait plus qursquoil ne pouvait il y aurait plus dans son ecirctre-sage

que dans son ecirctre-puissant ce qui est impossible599

En deacutefinitive la doctrine de causes primordiales est bien deacuteveloppeacutee chez Hugues de Saint-

Victor tandis que Richard en parle briegravevement Hugues voit le monde comme une hieacuterarchie de

causes Les causes descendent de la cause premiegravere (Sagesse de Dieu) vers les effets derniers Elles

agissent lors de la creacuteation du monde Le Verbe nrsquoest pas un eacuteleacutement principal dans la doctrine de la

creacuteation drsquoHugues Les trois attributs de Dieu (puissance sagesse et bonteacute) interviennent lors du

processus de la creacuteation La doctrine causale drsquoHugues a des thegraveses communes avec celle

drsquoErigegravene les causes secondaires descendent des causes primordiales qui sont dans la Triniteacute Mais

Erigegravene nrsquointroduit pas les attributs de Dieu

VII3 Le Verbe et les raisons dans le De unitate

En I 37 Achard introduit le nouveau sens du terme ratio qursquoil nrsquoa presque pas employeacute

dans les chapitres preacuteceacutedents

laquo Quant agrave ce mode-ci bien que ltseacutejournantgt aussi dans les ltecirctresgt qui ont eacuteteacute faits crsquoest

pourtant agrave ceux qui nrsquoont pas eacuteteacute faits qursquoil aura eacutegard puisque attentif agrave leurs raisons et agrave

597 laquo In hac itaque rerum trinitate sola potentia non est de reliquarum aliqua sapientia autem est de potentia sola bonitas vero de potentia simul et sapientia raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De tribus personis approppriatis in Trinitate eacuted RIBAILLIER p 187 = PL 196 994C 598 Voir N W DEN BOK Communicating the most high a systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St Victor Paris-Turnhout 1996 p 372-3 599 laquo Et hoc quidem quod homini ad intelligendum perfacile est divinam sapientiam latere non potest Deus itaque si aliquid de potentie plenitudine intelligit quod habere non possit erit majus aliquid in ejus nosse quam in ejus posse quorum neutrum nil aliud est quam ipsius esse Erit ergo juxta superiorem disputationem unum idemque esse et seipso majus et seipso minus quo nichil est impossibilius raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate I XXI eacuted RIBAILLIER p 103 =PL 196 900BC

221

leurs origines il les ltconsidegravereragt non pas tant dans lrsquoecirctre qursquoils ont par eux-mecircmes que lagrave

ougrave ils subsistent bien plus veacuteritablement agrave savoir dans leurs causes eacuteternelles600 raquo

Le mot ratio signifie dans ce cas la cause et lrsquoorigine ou plus preacuteciseacutement la raison

eacuteternelle Ce sens du terme ratio dans le De unitate sera deacutesormais lrsquoobjet de notre recherche Nous

allons eacutetudier la doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles (I 37-42) le Verbe de Dieu (I 15

II1 et 14) et la doctrine alternative des causes (II 17-20) Dans ces derniers chapitres Achard

emploie les termes causae rationabiles et rationes causales qui nrsquoont pas le mecircme sens que rationes

finales (I 39-41) En II 20-21 il parle aussi des causes originales

En tenant compte du fait que dans les chapitres II 2-12 Achard emploie le terme ratio au

sens de raisons formelles nous allons reporter lrsquoanalyse de cet aspect au chapitre laquo Forma raquo

Lrsquoemploi du mot ratio dans les citations drsquoAugustin (II 2 et 6) ne sera pas non plus lrsquoobjet de notre

recherche

VII31 Le Verbe incarneacute

VII311 Les raisons multiples dans le Verbe

Pour la premiegravere fois le terme ratio (au sens de la cause) se trouve en I 13-15

I 13 rationes etiam rerum sunt ibi omnes ut beatus sentit Augustinus et communis

philosophorum assertio

pluralitas rationum

I 14 in rerum rationibus aeternis superius ndash 2 fois rationum una ab alia non est

I 15 in rationibus vero aeternis

Dans ces chapitres Achard traite les raisons eacuteternelles en tant qursquoune des pluraliteacutes existant

en Dieu Il eacutevoque lrsquoorigine de la doctrine des raisons eacuteternelles dans les textes drsquoAugustin (et de

cette maniegravere il devient eacutevident qursquoil srsquoagit des raisons-causes) La pluraliteacute des raisons est une des

pluraliteacutes qui sont en Dieu agrave propos desquelles Achard demande si elles peuvent ecirctre la pluraliteacute de

personnes Car le but qursquoil poursuit dans ce chapitre est de trouver les critegraveres de la pluraliteacute

personnelle Cela nrsquoest pas le cas parce que les raisons sont dans une seule personne donc il nrsquoy a 600 laquo Modus etenim superior invisibilia Dei non adeo per ea quae facta sunt quam ex ipsa invisibili uniltcagt sine eorum respectu [eorum] quae facta sunt invenit natura modus autem hic et sicuti in hiis quae facta sunt respiciet tamen ad ea quae ltnongt facta sunt siquidem rationes eorum et origines attendens ea non in esse a ltsegtmetipsis sed ubi multo verius subsistunt in aeternis ipsorum causis raquo De unitate I 37 eacuted MARTINEAU p 106-7

222

pas de pluraliteacute personnelle601 En I 14 Achard confirme qursquoaucune raison ne srsquoappelle

laquo personne raquo par elle-mecircme et ne provient drsquoune autre raison (ce qui est la proprieacuteteacute des personnes

en Dieu) Et en I 15 Achard reacutepegravete que si le critegravere de la procession eacutetait applicable agrave la pluraliteacute

des raisons il y aurait en elle soit plusieurs personnes soit plusieurs natures

Ainsi de ces chapitres on apprend que les raisons sont une des pluraliteacutes en Dieu qursquoelles

sont dans une seule personne et ont une nature unique et qursquoelles ne proviennent pas lrsquoune de

lrsquoautre

En I 38 Achard souligne que les raisons sont une Raison laquo selon la substance et la

personne raquo 602 de Dieu En I 40 il preacutecise que laquo ces trois mecircmes genres de raisons se trouvent dans

la Sagesse de Dieu603 raquo Drsquoapregraves lui la Sagesse opegravere par ces trois sortes de raisons Et vu que selon

lrsquointerpreacutetation philosophique du Prologue de lrsquoEvangile selon saint Jean le Verbe signifie la

Sagesse de Dieu et donc le Fils604 les trois sortes de raisons eacuteternelles se trouvent en lui

De cette maniegravere le Verbe contient les raisons multiples

La doctrine de la forme fait partie de la doctrine des raisons eacuteternelles La forme est une des

sortes de raisons eacuteternelles des choses En effet au sein de la doctrine des formes Achard cherche

eacutegalement agrave comprendre comment lrsquouniteacute est possible dans la multipliciteacute des choses et des formes

La doctrine de la forme premiegravere donne la reacuteponse agrave cette question

Andreacute Combes fut le premier agrave noter le rocircle important de lrsquoexeacutegegravese de Jean I 3-4 dans le De

unitate605 Il montre que en II 1 le verset laquo ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie raquo parle de la forme

premiegravere le Verbe de Dieu qui contient les formes creacuteeacutees

Pour la premiegravere fois le Fils est appeleacute laquo la forme increacuteeacutee de la substance du Pegravere606 raquo en I

19 bien qursquoil ne srsquoagisse pas dans ce cas de la doctrine des formes

Dans la deuxiegraveme partie du De unitate en expliquant sa doctrine des formes Achard dit que

les choses sont deacutejagrave faites dans le Verbe comme les formes avant drsquoecirctre faites dans le monde (I 46)

601 En reacutealiteacute Achard lrsquoeacutevoque de maniegravere tregraves indirecte laquo Unde et haec rationum pluralitas ab illa proprietatum diversa est Neutra tamen ut ostensum est personalis esse potest eo quod utralibet vel una in singulis etiam reperitur personis vel persona personalis vero pluralitas nunquam nisi in multis atque diversis raquo De unitate I 13 eacuted MARTINEAU p 82-83 602 laquo Quia et ipsae eorum rationes ratio sunt secundum substantiam et personam ut ostendemus una raquo De unitate I 38 eacuted MARTINEAU p 108-109 603 laquo ltQuodgt autem in Dei sapientia haec eadem sunt tria rationum genera negare insaniae est raquo De unitate I 40 eacuted MARTINEAU p 110-111 604 Voir le texte entier du prologue de lrsquoEvangile selon saint Jean (I 1-14) Crsquoest deacutejagrave Augustin qui a associeacute la Sagesse de Dieu avec le Fils dans son De doctrina christiana I VIII-XIII Il se reacutefegravere aussi agrave lrsquoEvangile selon Jean afin drsquoeacutetablir la connexion entre la Sagesse et le Verbe qui laquo se fait chair raquo (Jean I 14) AUGUSTIN De doctrina christiana eacuted J MARTIN introd et trad drsquoI BOCHET et G MADEC p 86-93 605 A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p 81-4 et 130-1 606 laquo Patris figura et forma increata raquo De unitate I 19 eacuted MARTINEAU p 92 Le fait qursquoil srsquoagit de la deuxiegraveme personne peut ecirctre deacuteduit du verset du Heacutebreux I 3 inteacutegreacute dans le texte drsquoAchard Crsquoest le Fils qui est nomme laquo figura substantiae raquo dans ce verset

223

Mais il faut ajouter que dans cet eacutetat elles sont laquo dans la connaissance raquo ou laquo dans le Verbe raquo ou laquo

dans lrsquointellect de Dieu raquo607 ce qui est diffeacuterent de leur existence dans le monde creacuteeacute

Crsquoest seulement en II 1 qursquoAchard deacutesigne le Fils comme la Forme premiegravere Ce chapitre

semble consister en citations du prologue de lrsquoEvangile selon saint Jean (Jean I 1-14) Ce qui est

important car la compreacutehension du Fils en tant que Verbe de Dieu provient de ces versets Voyons

Vulgata trad Martineau

1 ndash in principio erat Verbum et Verbum erat

apud Deum et Deus erat Verbum

2 ndash hoc erat in principio apud Deum

3 ndash omnia per ipsum facta sunt et sine ipso

factum est nihil

4 ndash quod factum est in ipso vita erat608 et vita

erat lux hominum

5 ndash et lux in tenebris lucet et tenebrae eam non

conprehenderunt

9 ndash erat lux vera quae inluminat omnem

hominem venientem in hunc mundum

10 ndash in mundo erat et mundus per ipsum factus

est et mundus eum non cognovit

14 ndash et Verbum caro factum est et habitavit in

nobis et vidimus gloriam eius gloriam quasi

unigeniti a Patre plenum gratiae et veritatis

1 1 ndash Au commencement eacutetait le Verbe et le

Verbe eacutetait aupregraves de Dieu et le Verbe eacutetait

Dieu

1 2 ndash celui-ci eacutetait au commencement aupregraves de

Dieu

1 3 ndash par lui-mecircme toutes choses ont eacuteteacute faites

et rien nrsquoa eacuteteacute fait sans lui

1 4 ndash ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie vie eacutetait la

lumiegravere des hommes

1 5 ndash elle luit dans les teacutenegravebres et les teacutenegravebres

ne lrsquoont pas comprise

1 9 ndash ltelle eacutetait lagt lumiegravere veacuteritable qui

illumine tout homme venant en ce monde

1 10 ndash il eacutetait dans le monde et le monde a eacuteteacute

fait par lui et le monde ne lrsquoa pas reconnu

1 14 ndash Et le Verbe srsquoest fait chair et il a habiteacute

parmi nous et nous avons contempleacute sa gloire

gloire qursquoil tient de son Pegravere comme Fils unique

plein de gracircce et de veacuteriteacute

607 laquo Unde et secundum istud prima a nobis facta est impositio nominum quibus cum de illo agimus esse non tam proprie utimur quam translative Ipsum quoque lsquoestrsquo propter hoc notandum videtur institutum ut hic significet quid ltpergt se illud vero nonnisi ex determinatione aliqua et per adjunctum notitia vel verbo sive intellectu Dei vel aliquid hujusmodi raquo De unitate I 47 eacuted MARTINEAU p 122-123 608Cette phrase est lue selon la ponctuation ancienne abandonneacutee aujourdrsquohui qui eacutetait cependant introduite au Moyen Age par Augustin laquo Non ergo ita pronuntiari oportet quod factum est in illo uita est ut subdistinguamus quod factum est in illo et deinde inferamus uita est Quid enim non in illo factum est cum commemoratis multis etiam terrenis creaturis dicatur in psalmo omnia in sapientia fecisti dicat et apostolus quoniam in ipso condita sunt omnia in caelo et in terra uisibilia et inuisibilia Consequens ergo erit si ita distinxerimus ut et ipsa terra et quaecumque in ea sunt uita sint quae cum absurde dicantur omnia uiuere quanto absurdius ut etiam uita sint praesertim quia distinguit de quali uita loquatur cum addit et uita erat lux hominum sic ergo distinguendum est ut cum dixerimus quod factum est deinde inferamus in illo uita est non in se scilicet hoc est in sua natura qua factum est ut conditio creatura que sit sed in illo uita est quia omnia quae per ipsum facta sunt nouerat antequam fierent ac per hoc in illo erant non sicut creatura quam fecit sed sicut uita et lux hominum quod est ipsa sapientia et ipsum uerbum unigenitus filius dei raquo AUGUSTIN De genesi ad litteram V XIV 31 eacuted J ZYCHA p 416 Cf A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p 82

224

En analysant ces versets Achard preacutecise que saint Jean fait reacutefeacuterence laquo non pas au vocable

mecircme de lumiegravere ou de verbe mais agrave lrsquointellect du Fils qui est Verbe et lumiegravere609 raquo Pour lui les

versets laquo elle luit dans les teacutenegravebres et les teacutenegravebres ne lrsquoont pas comprise raquo et laquo elle eacutetait la lumiegravere

veacuteritable qui illumine tout homme venant en ce monde raquo (Jean I 5 et 9) servent agrave prouver que la

lumiegravere deacutesigne plutocirct la lumiegravere gracircce agrave laquelle nous intelligeons les choses610 agrave savoir lrsquointellect

mecircme du Fils

En mecircme temps Achard relie cette doctrine agrave la probleacutematique du De unitate Il se demande

comment les formes qui sont en reacutealiteacute drsquoune substance infeacuterieure agrave celle du Verbe peuvent ecirctre

intelligeacutees dans le Verbe Et sa reacuteponse est laquo ce qui a eacuteteacute fait nrsquoest point dit ecirctre dans le Verbe

sinon drsquoapregraves quelque forme de lui raquo Ainsi il srsquoengage agrave chercher laquo une forme supeacuterieure aux

formes eacutevoqueacutees jusqursquoici qui non seulement soit lagrave-bas immuablement mais par sa substance

propre soit reacuteellement immuable donc qui ne soit point lagrave-bas parce qursquoelle est intelligeacutee lagrave-bas

mais au contraire soit intelligeacutee lagrave-bas parce qursquoelle est lagrave-bas de sorte que crsquoest agrave cause drsquoelle qursquoil

a eacuteteacute dit ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie611 raquo

Voici donc comment Achard comprend des eacuteleacutements du prologue de Jean

quod factum est intellectuales sive exemplares formae rerum

Verbum vita lux intellectus Filii Forma superiora

Les formes des choses sont laquo ce qui a eacuteteacute fait raquo Le Verbe est le Fils de Dieu et la forme

premiegravere dans laquelle les formes ont eacuteteacute faites

Ainsi en II 1 Achard associe lrsquointellect du Fils agrave la Forme supeacuterieure aux autres formes De

cette maniegravere il explique comment lrsquouniteacute des formes multiples est possible De plus cette forme

premiegravere est en Dieu comme lrsquoIntellect du Fils Cela sert agrave expliquer comment les formes ont la

nature intelligible en Dieu

609 laquo Non ad ipsum lucis vel verbi vocabulum sed ad intellectum Filii qui et Verbum et lux est raquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136-137 610 laquo Itltemgt ne quis ipsum hoc aliter exponeret lucem vocans in Verbo Dei quod hic factum est eo solum quod illuminamur per rerum intelligentiam praecipue cum eas intelligimus prout ibi sunt ideo de luce ista diligentius prosequitur dicens eam lucere in tenebris nec tamen a tenebris comprehendi nominans eam lucem veram quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum raquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136 611 laquo Oportet ergo formam rei cuilibet reperire ibi praedictis superiorem formis quae non modo sit ibi immutabiliter sed secundum sui substantiam prorsus immutabilis ltnecgt ideo ibi sit quia ibi intelligitur sed potius ideo intelligatur ibi quia est ibi propter quam dictum sit quod factum est in ipso vita erat raquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136-137

225

VII312 Lrsquoincarnation et la doctrine des formes

Achard revient agrave la doctrine de la forme premiegravere en II 13 Drsquoabord il explique Genegravese I

3 en reliant les parties de cette phrase au Verbe de Dieu laquo Dieu dit que la lumiegravere soit et la

lumiegravere a eacuteteacute faite raquo

Deus dixit laquo La raison et lrsquoideacutee mecircme de cette lumiegravere qui est dans le Verbe de

Dieu et qui est le Verbe de Dieu raquo

Idea lux laquo la forme de la lumiegravere mecircme qui fut lagrave-bas intellectuellement et qui

a eacuteteacute faite de toute eacuteterniteacute lorsque Dieu a dit par son Verbe coeacuteternel а

lui donc a dit de toute eacuteterniteacute raquo

Idos et facta est lux laquo cette forme de la lumiegravere qui a eacuteteacute creacuteeacutee en son acte mecircme dans le

temps ou plutocirct avec le temps et imprimeacutee agrave la matiegravere612 raquo

Ainsi laquo Dieu dit raquo signifie le Verbe mecircme de Dieu laquo que la lumiegravere soit raquo la forme qui est

dans le Verbe de Dieu et laquo la lumiegravere a eacuteteacute faite raquo la forme imprimeacutee dans la matiegravere

Ensuite Achard deacutecrit la relation entre les trois sortes de formes dans le Verbe

forma prima laquo non seulement dans le Verbe de Dieu mais le Verbe de Dieu lui-

mecircme raquo

Idea forma seconda laquo Elle nrsquoest point le Verbe lui-mecircme mais elle est agrave partir du Verbe

quoique non encore en acte raquo

Idos forma tertia laquo elle nrsquoest absolument pas dans le Verbe613raquo

De cette maniegravere le Verbe est Dieu lui-mecircme et la forme premiegravere et il contient toutes les

formes creacuteeacutees Une fois qursquoil srsquoincarne il contient toujours des formes creacuteeacutees

Les formes premiegravere seconde et troisiegraveme sont la mecircme forme bien que la forme seconde

consiste en la multitude de formes des choses creacuteeacutees et que la forme troisiegraveme soit dans les choses

creacuteeacutees En II 14 Achard compare la forme avec le Christ

612 laquo Nam per dixit quod verbum notat rationem et ideam lucis ipsam quae in verbo Dei et verbum Dei est expressisse intelligi potest nomine vero lucis ipsius lucis formam quae ibi intellectualiter fuit et facta est ab aeterno cum dixit Deus verbo sibi coaeterno et ideo ab aeterno fiat lux per facta est lux formam lucis actu ipso in tempore vel cum tempore creatam et materiae impressam raquo De unitate II 13 eacuted MARTINEAU p 172-173 613 laquo Et est prima vere prorsus coaeterna non mutabilis et ut dictum est non modo in Dei Verbo sed et ipsum Dei Verbum Secunda autem si nominatur aeterna et immutabilis ut supra ostendimus non tamen propter substantiam sed solum propter ibi existendi id est intelligendi modum nec est Verbum ipsum sed ex Verbo quamvis nondum ltin actugt Tertia vero omnino est ltnongt in Verbo et est temporalis et variabilis id est secundum substantiam quemadmodum non prima et secundum existendi modum quod nec prima nec secunda raquo De unitate II 13 eacuted MARTINEAU p 172-173

226

laquo En effet quand la forme a commenceacute drsquoecirctre ici elle ne cesse pas pour autant drsquoecirctre lagrave-bas

mdash mais crsquoest en restant lagrave-bas lagrave ougrave elle eacutetait et ce qursquoelle eacutetait qursquoelle a eacuteteacute faite ici ce

qursquoelle nrsquoeacutetait pas de telle sorte que suivant ce qui a eacuteteacute dit plus haut elle est drsquoune

substance autre mdash et veacuteritablement autre mdash ici sans laisser drsquoecirctre ici et lagrave-bas une forme

unique en une substance non unique et crsquoest en cela je pense ltque consistegt dans la

personne unique du Christ et ses deux natures ou substances la profondeur du mystegravere de

lrsquoIncarnation614 raquo

Voici la reacutecapitulation

Christus forma prima

persona forma

duae naturae duae substantiae

Puisque le Christ est une personne qui possegravede deux natures (substances) il peut ecirctre

compareacute agrave la forme qui elle aussi garde le mecircme nom dans deux substances diffeacuterentes (la

substance divine et la substance du monde) Dans le cas du Christ les deux natures sont divine et

humaine Le fait que la forme premiegravere soit relieacutee aux formes creacuteeacutees et aux choses permet agrave Achard

de deacuteduire que la forme est dans les deux substances dans la substance divine en tant que forme

premiegravere et dans la substance du monde en tant que formes secondes et formes troisiegravemes Ainsi les

deux natures du Christ sont compareacutees aux deux substances de la forme premiegravere La profondeur du

mystegravere de lrsquoIncarnation consiste drsquoapregraves Achard dans le fait que la forme est ici et lagrave-bas laquo une

forme unique en une substance non unique raquo

Par conseacutequent la doctrine des formes drsquoAchard contribue au deacuteveloppement de sa doctrine

christologique Les formes sont dans le Verbe qui est lrsquointellect de Dieu car elles sont intelligeacutees par

Dieu Le Verbe est la forme premiegravere qui contient les formes intelligeacutees par Dieu et creacuteeacutees dans la

matiegravere Ce mecircme Verbe est le Fils de Dieu Lrsquoimpression mateacuterielle des formes est ainsi

compareacutee agrave lrsquoincarnation du Christ

Il existe un autre teacutemoignage de la multipliciteacute en Dieu Dans le chapitre ІІ 3 Achard

expose la doctrine de la procession du Christ en Dieu avant le deacutebut du monde615 Bien eacutevidemment

614 laquo Quando enim incepit esse hic tamen non desinit esse ibi sed ibi manens ubi erat et quod erat hic facta est quod non erat ut secundum praemissa alterius sit substantiae et vere alterius hic una tamen et hic et ibi forma in substantia non una quod in una Christi persona et duabus ejus naturis sive substantiis profundum Incarnationis ltmysteriumgt arbitror raquo De unitate II 14 eacuted MARTINEAU p 176-177 615 laquo Ibi si non in alios per participationes infinitas in ipsum tamen ltsecundumgt plenialdinem omnimodam ab aeterno processit deitas tota ut ibi ex tunc in eo habitet processione aeterna omnis plenitudo divinitatis intellectualiter quae

227

cela est lieacute agrave sa doctrine de la premiegravere creacuteation intellectuelle du monde Dans ce contexte le Christ

joue un rocircle dans cette premiegravere creacuteation

Les gracircces et les dons sont preacutevus avant la creacuteation du monde Drsquoapregraves Achard laquo elles ont

deacutejagrave eacuteteacute distribueacutees intellectuellement aux creacuteatures elles-mecircmes et confeacutereacutees aux saints par la

providence ou la preacutedestination616 raquo Et les saints ont eacuteteacute eacutelus dans le Saint des saints ndash le Christ

(Daniel IX 24)

Ainsi il existe deux eacutetapes de la preacutehistoire spirituelle

1) eacutelection du Saint des saints (le Christ)

2) eacutelection des saints dans le Saint des saints et collation des gracircces et des dons agrave ces saints

De cette maniegravere Achard applique la mecircme doctrine agrave lrsquohistoire spirituelle drsquoabord lrsquouniteacute

(le Christ ndash le Saint des Saints) a eacuteteacute creacuteeacutee ensuite la pluraliteacute (les saints) est apparu agrave lrsquointeacuterieurs de

lrsquouniteacute et finalement les saints ont reccedilu les gracircces et les dons Ces gracircces et dons ont eacuteteacute deacutejagrave

destineacutes agrave ecirctre incarneacutes

Ainsi la doctrine de lrsquoincarnation prend sa place dans la doctrine philosophique du De

unitate Les deux natures du Christ sont un modegravele pour expliquer les diffeacuterentes natures des

formes

De cette maniegravere la doctrine christologique du De unitate comprend la doctrine de

lrsquoincarnation et la doctrine qui deacutecrit le Verbe en tant qursquoIntellect de Dieu qui contient les raisons

eacuteternelles des choses

VII32 La multipliciteacute des raisons

Achard commence agrave deacutecrire les raisons eacuteternelles en I 37 mais crsquoest agrave partir du chapitre I

39 qursquoil le reconnaicirct En I 37-38 il deacutecrit certains ecirctres qui nrsquoont pas eacuteteacute faits et qui sont venus ici

car ils existent lagrave-bas de maniegravere speacutecifique Quand ils viennent ici ils ne cessent pas drsquoecirctre lagrave-bas

Ici ils sont faits et temporels et lagrave-bas non-faits et eacuteternels Comme nous lrsquoavons deacutejagrave dit les raisons

eacuteternelles sont plusieurs et diffeacuterentes en Dieu ou plus preacuteciseacutement dans le Verbe (I 38) postmodum in temporis plenitudine in eo coepit processione temporali habitare corporaliter raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 146 616 laquo Quod et ad Spiritus sancti si tamen ita se habet intelligendam proprietatem valere poterit Ipse siquidem Patris et Filii est connexio ex eis aeternaliter procedens et ad ipsum in Scripturis distributiones gratiarum atque donorum dona quoque ipsa vel gratiae referri solent quae aliud non sunt nisi praedictae participationes rerum praedictarum et Creatoris et ejus imaginis creatae spirituales quaedam connexiones in rationibus aeternis et quodammodo secundum eas et ex eis aeternaliter procedentes in creaturis vero ex tempore vel cum tempore actu ipso transfusae prout rationibus illis ab aeterno sunt propositae et ibi jam intellectualiter creaturis ipsis distributae atque per providentiam sive praedestinationem sanctis collatae secundum quod et ipsi in Christo elesti sunt et ante mundi constitutionem Ibi enim sine initio novit Deus qui sunt ejus et suos aut quis Dei sit Ibi eis regnum paratum est non solum a mundi origine sed et ante mundi originefrm raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-147

228

VII321 Les trois sortes de raisons eacuteternelles

En I 39 Achard preacutesente sa doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles de choses617

Voici une reacutecapitulation

preacutepositions propter quas secundum quas

qualis

per quas

qualiter

appellations

generales

finales

causae operum

formales

formae rerum

explicatrices

noin618 operationum artes

operandi

traduction

franccedilaise

finales formelles deacuteployantes619

exemple du livre

eacutecrit

ltproptergt quod

scribitur - fructum

secundum quod - forma

libri

per quod scribitur ndash ars

Ainsi le dernier exemple montre qursquoil srsquoagit des trois sortes de raisons pour une seule chose

Lrsquoune est la cause qui est jugeacutee drsquoapregraves le reacutesultat (fructus) lrsquoautre est la forme et la troisiegraveme lrsquoart agrave

faire Cette distinction est expliqueacutee par Dominique Poirel

laquo Les raison lsquoformellesrsquo offrent le modegravele archeacutetypal de toute chose temporelle les raisons

lsquofinalesrsquo renferment la cause de sa venue agrave lrsquoecirctre dans le temps enfin les raisons

lsquodeacuteployantesrsquo contiennent le processus mecircme de sa creacuteation620 raquo

617 Les tables proposeacutees dessous est une preacutecision de celle faite par Martineau E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 59 618 Martineau reacutedige un eacuteclaircissement suppleacutementaire afin drsquoexpliquer lrsquoorigine de ces termes Selon lui lrsquoappellation laquo explicatrices raquo remonte agrave Augustin qui utilise le verbe explicare dans le cadre de la theacuteorie stoiumlcienne des laquo raisons seacuteminales raquo En ce qui concerne le laquo noin raquo crsquoest la transcription de lrsquoaccusatif du mot grec νους (raison) Martineau suppose que lrsquoorigine de ce terme grec se trouve dans lrsquoEpicirctre aux Romains (XI 34) de lrsquoapocirctre Paule (laquo Qui en effet a jamais connu la penseacutee (νουν) du Seigneur raquo) qui comporte dans la version grecque le mot νους Il voit la preuve de sa theacuteorie dans le fait que dans les Sermons XV 30 p 234 en expliquant Romains (XI 34) Achard emploie les termes rationes operum et operationum modi E MARTINEAU laquo Eclaircissement IIIraquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacutedE MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 213-214 voir aussi M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 292-3 619 La traduction de la troisiegraveme sorte des raisons laquo deacuteployante raquo est introduite par Martineau et agrave notre avis reflegravete lrsquoune des interpreacutetations possibles de la raison explicatrix ce qui est admissible vu le manque de la description de cette raison dans le texte drsquoAchard (en effet crsquoest elle qui a eacuteteacute laquo abreacutegeacutee raquo) Dans le commentaire au texte Martineau appelle eacutegalement cette raison laquo la cause efficiente raquo E MARTINEAU laquo Eclaircissement IIIraquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacutedE MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 212-214

229

En I 40 Achard ajoute la justification scripturaire de la distinction des trois sortes de

raisons Nous proposons une preacutesentation analytique de sa doctrine

Preacutepositions per aliquam ob aliquam secundum aliquam

Jean I 3-4 omnia per ipsum

facta sunt

sine ipso factum est

nihil

quod factum est

in ipso vita erat

Explication du

Jean I 3-4

ratio generalis et ars

aeterna faciendi

omnia

causa rationabilis

omnium

forma ejus quod factum est

intellectualis et prima

autem ratio ejus formalis

Genegravese I 2-3 6 dixit Deus vidit Deus quod

esset bona

fiat lux

fiat firmamentum

Explication du

Genegravese I 2-3 6

modus scilicet

faciendi

causa forma rei faciendae

De plus Achard suggegravere eacutegalement que le mot laquo Verbe raquo reacutepeacuteteacute trois fois dans le verset

laquo Au commencement eacutetait le Verbe et le Verbe eacutetait aupregraves de Dieu et le Verbe eacutetait Dieu raquo (Jean

I 1) deacutesigne chacune des trois sortes de raisons mais il ne preacutecise pas de quelle sorte il srsquoagit en

particulier

Entre autres Achard deacutecrit eacutegalement la distinction entre les raisons prises seacutepareacutement agrave

savoir entre les formes et les modes et les formes et les causes

Entre les raisons formelles et deacuteployantes (modes) en I 39

laquo Ces derniegraveres [les raisons deacuteployantes] pouvant ecirctre elles-mecircmes nommeacutees aussi

formelles srsquoil est vrai que la chose nrsquoest pas formeacutee seulement par elles mais aussi drsquoune

certaine faccedilon selon elles en effet celui qui voit comment une chose doit ecirctre faite voit

aussi quelle elle doit ecirctre faite mais lrsquoinverse nrsquoest pas vrai621 raquo

De cette maniegravere il lie les formes et les modes Il continue agrave ce propos en I 41 en

expliquant laquo que ces trois aspects des ouvrages de Dieu ne se preacutesentent pas seulement comme trois

620 D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p 516 621laquo Tertiae explicatrices quae et ipsae formales nominari valent eo quod non per eas solum sed juxta eas quodammodo res formetur Qui enim videt qualiter res facienda sit videt et qualis sit facienda sed non convertitur raquo De unitate I 39 eacuted MARTINEAU p 108-109

230

agrave notre intellect mais encore soient distincts en Dieu622 raquo Voici comment il explique la diffeacuterence

des formes et des modes (I 41)

laquo Ce qui neacuteanmoins diffeacuterencie les modes des formes crsquoest qursquoil nrsquoy a de modes que des

opeacuterations tandis qursquoil y a des formes pour toutes les choses et crsquoest que les modes

intellectuels et premiers qui sont lagrave-bas sont aussi comme il sera montreacute les formes des

modes infeacuterieurs de telle sorte que tout mode est lui aussi une forme mdash ce qui nrsquoempecircche

que le mode on lrsquoa dit est mode drsquoopeacuterer donc que ce sont les formes infeacuterieures qui sont

modes En effet srsquoil nrsquoy avait pas lagrave-bas de distinction entre mode et forme les anges ne

pourraient voir dans le Verbe de Dieu quels ils ont eacuteteacute faits qursquoils ne voient tout autant

comment ils ont eacuteteacute faits et en geacuteneacuteral ils ne verraient absolument pas lagrave-bas la forme drsquoune

chose quelconque qursquoils ne voient par le fait mecircme aussi le mode de sa production et pas

davantage nrsquointelligeraient-ils quel le Fils a eacuteteacute engendreacute qursquoils nrsquointelligent en mecircme temps

comment il lrsquoa eacuteteacute623 raquo

Formae Modi

illae sunt quarumlibet rerum hii non nisi operationum

formae sunt modorum inferiorum modi intellectuales et primi

omnis modus quaedam forma

formae vero inferiores modi modus operandi

quales sint facti qualiter sint facti

forma cujuslibet rei modus illam faciendi

qualis Filius est genitus qualiter est genitus

Selon lui les modes sont des formes ou plutocirct ils constituent une partie des formes crsquoest-agrave-

dire que certaines formes sont les modes infeacuterieurs Mais les modes deacutesignent uniquement les

opeacuterations tandis que les formes deacutesignent toutes les choses La diffeacuterence entre ces deux est

neacutecessaire selon Achard pour les anges qui peuvent ainsi discerner qualis (formes) et qualiter

(modes) des choses Il propose deux exemples les anges discernent le qualis et le qualiter de leur

propre creacuteation avec celle du Fils Tandis que les hommes mecircme si gracircce agrave la reacuteveacutelation ils peuvent 622 laquoQuod autem haec tria circa opera Dei non solum intellectui nostro occurrant ut tria sed et apud Deum sint distinctaraquo De unitate I 41 eacuted MARTINEAU p 110-111 623 laquo Modos nihilominus a formis hoc discernit quia hii non nisi operationum illae autem quarumlibet sunt rerum et quia modi intellectuales et primi qui ibi sunt inferiorum quoque ut ostendetur formae sunt modorum ut sit et omnis modus quaedam forma sed modus ut dictum est operandi formae vero inferiores modi Nisi enim aliqua ibi esset modi a forma distinctio videre non possent angeli in verbo Dei quales sint facti quin non pariter viderent et qualiter sint facti nec penitus ibi viderent formam cujuslibet rei quin eo ipso videant et modum illam faciendi nec etiam intelligerent qualis Filius est genitus quin simul intelligerent et qualiter est genitus raquo De unitate I 42 eacuted MARTINEAU p 112-113

231

voir quae qualia et quare laquo que raquo laquo quelles raquo et laquo pourquoi raquo ndash les raisons formelles et causales

des choses agrave faire ils ne pourraient jamais voir qualiter laquo comment raquo ndash les raisons deacuteployantes

Enfin dans le chapitre I 42 Achard promet de deacutecrire les modes en tant que formes des choses624

Les distinctions entre les formes et les causes seront discuteacutees ulteacuterieurement

En deacutefinitive les raisons eacuteternelles sont des laquo ecirctres625 raquo eacuteternels qui causent lrsquoexistence des

ecirctres temporels Chaque creacuteature possegravede les trois sortes de raisons ndash finale formelle et deacuteployante

ndash qui correspondent au but de son existence agrave sa forme et agrave la maniegravere dont elle eacutetait creacuteeacutee La

troisiegraveme sorte de raisons nrsquoest pas deacutecrite dans le De unitate Pourtant Achard laisse entendre que

les raisons deacuteployantes sont une partie des raisons formelles

Dans le De unitate la doctrine des raisons eacuteternelles est unie aux doctrines de la creacuteation du

monde et de la preacuteexistence des causes des choses avant cette creacuteation

VII322 Les raisons et les attributs de Dieu

Lrsquoun des thegravemes les plus deacuteveloppeacutes chez Hugues de Saint-Victor est la doctrine des

attributs de Dieu puissance sagesse et bonteacute Chacun de ces attributs deacutesigne une des personnes de

la Triniteacute plus que les deux autres et pourtant ces attributs appartiennent agrave toutes les personnes

Dans cette doctrine il ne srsquoagit pas simplement des noms de Dieu mais aussi de ce que Dieu peut

sait et veut faire On peut trouver aussi ce sujet dans le De unitate

En I 41 Achard explique la diffeacuterence entre les causes les formes et les modes

laquo En effet pour [1] les causes des choses а faire elles ne sont rien drsquoautre lagrave-bas que les

causes des choses que Dieu a eacutetabli de faire car srsquoil y avait aupregraves de Dieu une raison que

drsquoautres choses fussent aussi faites il ferait assureacutement drsquoautres choses et il eucirct eacutetabli de les

faire [2] Quant aux formes des choses non seulement qursquoil fait mais encore qursquoil peut faire

quelles qursquoelles soient ainsi que [3] les modes de leur production singuliegravere qui oserait nier

qursquoils existent dans son esprit Sinon en effet comme il apparaicirctra ensuite il pourrait plus

qursquoil ne saurait626 raquo

624 laquo Ideo et hunc ipsum ordinem de eis disputando sequemur ut primo de formis secundo de causis demum agamus de modis et de formis quidem rerum raquo De unitate I 42 eacuted MARTINEAU p 112-113 La valeur de ce temoignage est pourtant mise en doute par Martineau lui-mecircme qui hesitent agrave propos de la signification de quidem dans cette phrase Voir la note 3 ch 42 p 113 de la mecircme eacutedition 625 Les raisons ne sont pas dans le mecircme sens que les choses voir le De unitate I 47 626 laquo Causae siquidem faciendorum ibi non sunt nisi eorum quae facere Deus disposuit Si enim ut alia quoque fierent ratio apud Deum esset et alia utique faceret et ea facere disposuisset Formas autem rerum non solum quas facit sed quascumque etiam facere potest modos quoque singulas faciendi in mente ipsius consistere negare quis audeat

232

Nous proposons lrsquointerpreacutetation suivante

causae faciendorum formas rerum modi faciendi

facere Deus disposuit formas autem rerum non solum

quas facit sed quascumque etiam

facere potest

sciret posset

Ainsi selon Achard les causes existent pour ce que Dieu a disposeacute de faire Les raisons

formelles existent non seulement pour ce que Dieu a deacutejagrave fait mais aussi pour ce qursquoil aurait pu

faire Ce que Dieu a fait et ce qursquoil aurait pu faire ont les modes de leur production singuliegravere

Selon Achard Dieu ne peut pas plus qursquoil ne sait Les verbes laquo pouvoir raquo et laquo savoir raquo

deacutesignent respectivement la puissance et la sagesse divine La puissance correspond aux modes et la

sagesse aux formes Quant aux causes Achard dit que Dieu les a disposeacutees de faire Cela comprend

les causes des ecirctres qursquoil a deacutejagrave faits et ceux qursquoil va sucircrement faire

Achard parle des attributs dans la suite Par exemple en I 43

laquo Car il nrsquoy a rien ici que Dieu nrsquoait fait et Dieu nrsquoa rien fait qursquoil nrsquoait su ni nrsquoa jamais rien

su ni ne pourra rien savoir qursquoil nrsquoait su de toute eacuteterniteacute et ne doive savoir pour toute

lrsquoeacuteterniteacute sinon quelque variation pourrait tomber en lui Il a donc intelligeacute de toute eacuteterniteacute

absolument tout ce qursquoil ferait avec le temps ou dans le temps non seulement quels ltecirctresgt

il ferait mais encore leur quantiteacute leur qualiteacute le comment de leur relation agrave lui ou entre

eux en quoi aussi ils seraient actifs ou passifs ougrave et quand ils seraient comment ils

devraient ecirctre placeacutes dans leurs lieux propres ce qursquoils possegravederaient et absolument tout ce

qui est ou peut ecirctre conccedilu avec veacuteriteacute dans les choses Mais les choses mecircmes nrsquoeacutetaient pas

encore ougrave ces ltpreacutedicamentsgt fussent et pussent ecirctre vus et mecircme si elles avaient alors eacuteteacute

Dieu nrsquoaurait nullement eu besoin drsquoelles pour y voir ce qui eacutetait en elles Car loin que la

geacuteneacuterositeacute (indulgentia) de Dieu puisse naicirctre de lrsquoexistence des choses il faut au contraire

que lrsquoexistence des choses ait la geacuteneacuterositeacute de Dieu pour sa cause627 raquo

Alioquin enim ut post apparebit plus posset quam sciret raquo De unitate I 41 eacuted MARTINEAU p 110-111 Trad modifieacutee 627 laquo Non enim hic est aliquid quod Deus non fecerit nec Deus nesciens aliquid fecit nec aliquid unquam scivit vel scire poterit quod non ab aeterno scierit et in aeternum sciturus sit alioquin enim variatio aliqua in eum cadere posset Intellexit igitur ab aeterno omnia quaecumque cum tempore vel in tempore facturus erat non solum [ante] quae sed et quanta et qualia et qualiter ad ipsum vel ad invicem referenda quid etiam activa quidque passiva ubi et quando futura qualiter in suis ponenda locis et quid habitura et omnino si quid aliud in rebus est vel vere excogitari potest Nondum autem res ipsae erant in quibus illa essent ut in eis videri possent nec etiam si tunc fuissent Deus eis indigeret ut quae

233

De ce passage il est possible de tirer les conclusions suivantes

- la variation en Dieu nrsquoexiste pas donc il a su de toute eacuteterniteacute tout ce qursquoil ferait dans le

temps Mais non seulement laquo tout ce qui est raquo mais aussi laquo tout ce qui peut ecirctre conccedilu avec veacuteriteacute

dans les choses raquo Il ne srsquoagit pas de choses elles-mecircmes mais de leurs eacuteleacutements agrave savoir des

cateacutegories drsquoAristote Dieu conccediloit les cateacutegories qui servent agrave construire les choses vere (laquo avec

veacuteriteacute raquo)

- les choses elles-mecircmes nrsquoexistaient pas depuis lrsquoeacuteterniteacute mais elles sont neacutees agrave un certain

moment du temps gracircce agrave lrsquoindulgence (indulgentia) de Dieu

Ainsi dans ce passage Achard parle de deux attributs ndash la sagesse (ce que Dieu sait de

lrsquoeacuteterniteacute) et la bonteacute (lrsquoindulgence de Dieu) 628 La sagesse correspond aux formes et lrsquoindulgence eacute

aux causes

De cette faccedilon Achard cite au moins deux des trois attributs de Dieu la puissance et la

sagesse (potentia et sapientia) Soit directement soit en les deacutesignant par les verbes posse et scire

Drsquoapregraves le chapitre I 41 le premier signifie les modes (tout ce que Dieu peut faire) le deuxiegraveme les

formes (tout ce que Dieu sait faire) En I 43 Achard parle aussi de lrsquoindulgence (indulgentia) de

Dieu qui est la cause qui fait que les choses surgissent Ce qui peut correspondre agrave la bonteacute divine

Pourtant ces trois attributs ne deacutesignent pas dans le contexte des raisons eacuteternelles les trois

personnes de Dieu

Voyons deacutesormais pourquoi Achard parle des attributs

En I 45 Achard ne parle plus des raisons en geacuteneacuteral mais des formes en particulier Il y

emploie les notions de puissance et de sagesse de Dieu Voici sa classification des formes qui se

trouvent en Dieu

laquo Parmi toutes les formes substantielles non seulement celles qui sont mais aussi toutes

celles qui peuvent ecirctre en quelque mode que ce soit crsquoest-agrave-dire non seulement celles qui

sont ou peuvent ecirctre dans la nature des choses bien qursquoelles nrsquoy soient jamais en acte mais

encore toutes les formes nouvelles que le Creacuteateur peut eacutetablir soit contre la nature eacutetablie

des creacuteatures soit au-dessus drsquoelle629 raquo

in eis essent videret Non enim Dei indulgentia a rerum surgere potest existentia sed magis rerum existentiam causam habere oportet Dei indulgentiam raquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 114-115 628 Sur lrsquoidentification de la bonteacute et la geacuteneacuterositeacute qui sont approprieacutees agrave lrsquoEsprit-Saint voir P AGAEumlSSE A SOLIGNAC laquo Notes compleacutementaires 3 La bonteacute creacuteatrice et le rocircle de lrsquoEsprit dans la creacuteation raquo dans AUGUSTIN De Genesi ad litteram libri duodecim eacuted J ZYCHA trad intod et notes PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC p 584-6 629 laquo In substantialibus quoque non solum communes sed et singulares et in hiis omnibus non tantum quae sunt sed quaecumque quoquo modo esse possunt id est non solum quae in rerum sunt natura ltagtut esse possunt quamvis nunquam in eis actu sint sed quascumque vel contra institutam creaturarum naturam vel super lteamgt creator ipse potest instituere novas raquo De unitate I 45 eacuted MARTINEAU p 116-117

234

quae sunt quaecumque quoquo modo esse possunt

quae in rerum sunt natura quae in rerum natura esse

possunt quamvis nunquam

in eis actu sint

quascumque vel contra

institutam creaturarum naturam

vel super lteamgt creator ipse

potest instituere novas

Nous croyons que les formes laquo qui sont ou peuvent ecirctre dans la nature des choses bien

qursquoelles nrsquoy soient jamais en acte raquo sont celles que Dieu peut faire vere (conformeacutement aux regravegles

eacutetablies de la creacuteation) Ainsi les laquo formes nouvelles que le Creacuteateur peut eacutetablir soit contre la

nature eacutetablie des creacuteatures soit au-dessus drsquoelle raquo ne sont pas faites vere

Achard continue ces explications

laquoComme la puissance de Dieu est sans limites et que sa sagesse nrsquoest assureacutement pas

infeacuterieure agrave sa puissance il faut que soit contenue lagrave-bas une infiniteacute non seulement

drsquoindividus mais encore drsquoespegraveces et non seulement drsquoespegraveces mais encore de genres qui

ne peuvent ecirctre trouveacutes dans la nature des choses [] Qursquoon les considegravere ici et lagrave-bas ou

bien lagrave-bas mais non pas ici les espegraveces apparaissent et existent intellectuellement lagrave-bas en

nombre infini et encore sont-elles elles-mecircmes deacutepasseacutees prises une agrave une par lrsquoinfiniteacute des

individus 630 raquo

Ce passage est important car Achard y introduit deux attributs de Dieu sa sagesse et sa

puissance La puissance correspond aux espegraveces et aux genres Ces sont des eacuteleacutements employeacutes

pour construire des formes individuelles des choses Achard a deacutejagrave parleacute drsquoelles en I 43

Nous pouvons y trouver eacutegalement la confirmation qursquoAchard accepte lrsquoexistence des

eacuteleacutements laquo qui sont ou peuvent ecirctre dans la nature des choses bien qursquoelles nrsquoy soient jamais en

acte raquo Est-ce que ce passage prouve qursquoil accepte aussi lrsquoexistence aupregraves de Dieu des eacuteleacutements qui

contredisent la nature des choses Lrsquoexistence de ces eacuteleacutements deacutepend de la puissance de Dieu

Achard soulegraveve le problegraveme des raisons faites contre nature en II 2

laquo Mais est-ce que tous les ltecirctresgt que Dieu peut faire bien qursquoils ne doivent jamais ecirctre

faits peuvent cependant ecirctre dit faits aupregraves de Dieu selon ce mode ou seulement ceux qursquoil

avait lrsquointention de faire Voilagrave qui nrsquoest pas eacutevident et ne peut ecirctre affirmeacute agrave la leacutegegravere Il

630 laquo Cum igitur interminabilis sit Dei potentia nec sit utique minor ejus sapientia infinita ibi contineri oportet non solum individua sed et species nec solum species sed et genera quae in rerum non possint reperiri natura [] Sive hic [sive] et ibi sive ibi sed non hic infinitae ibi videntur et intellectualiter consistunt species quae et ipsae etiam singulae per infinita ibi exceduntur individua raquo De unitate I 45 eacuted MARTINEAU p 116-119

235

nrsquoy a pas drsquoexemple en effet que lrsquoEacutecriture assigne ce mode de faire agrave drsquoautres ltecirctresgt qursquoagrave

ceux qui ont eacuteteacute faits ou doivent ecirctre faits par Dieu Mais que ceux-ci aupregraves de Dieu soient

non seulement faits mais aussi creacuteeacutes et formeacutes cela est clairement attesteacute comme on lrsquoa

partiellement montreacute en de nombreux passages631 raquo

Ici Achard pose la question de savoir si Dieu peut faire les creacuteatures qui contredisent la

laquo nature eacutetablie raquo des choses agrave savoir si sa puissance est illimiteacutee Et il avoue qursquoil nrsquoa pas

suffisamment de ressources pour reacutepondre agrave cette question

En deacutefinitive Achard dit que la sagesse de Dieu gegravere les formes singuliegraveres des choses et la

puissance opegravere par les eacuteleacutements dont les choses sont faites De cette faccedilon Dieu connaicirct tous les

modes et par conseacutequent sa sagesse est aussi grande que sa puissance Par contre la question de

savoir si la puissance de Dieu est illimiteacutee reste ouverte Dieu a aussi lrsquoindulgence qui cause

lrsquoexistence des choses

VII323 Les raisons causales

Dans les chapitres II 17-21 ougrave Achard est censeacute de parler des raisons finales (rationes

finales) ou causes (causes) il deacutecrit les causes rationnelles (causes rationabiles) et les raisons

causales (rationes causales)

Pour la premiegravere fois la ratio causalis apparaicirct en II 3

laquo Mais personne ne peut ecirctre dit eacutelu ou preacutedestineacute de toute eacuteterniteacute par la seule raison

formelle pour ainsi dire de lrsquoeacutelection srsquoil nrsquoa pas aussi lagrave-bas sa raison causale [hellip]

autrement dit cela seul qui eut lagrave-bas non seulement la forme selon laquelle ou le mode par

lequel mais encore la cause pour laquelle il serait fait632 raquo

Dans ce passage la raison causale correspond agrave laquo la cause pour laquelle quelque chose serait

fait raquo

Au deacutebut du chapitre II 17 Achard introduit la theacuteorie des causes rationnelles des œuvres

Dans ce chapitre Achard joue avec les diffeacuterents sens du mot ratio la Raison (ratio) qui est Dieu

631 laquo Utrum autem omnia quae Deus potest facere licet et nunquam sint facienda tamen juxta hunc modum possint dici apud Deum facta an ea solum quae facturus erat non satis patet nec temere est asserendum Non enim occurrit quod aliis nisi solum a Deo factis vel faciendis Scriptura hunc faciendi assignet modum Haec autem siltngtt apud Deum non modo facta sed et creata et formata in locis non paucis ut ostensum est ex parte testatur manifeste raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140-141 632 laquo Non autem electus vel praedestinatus dici quis potest ab aeterno propter solam electionis formalem ut ita dictum sit rationem nisi habuerit ibi et causalem [hellip] id est illud solum quod ibi habuit non modo formam secundum quam vel modum per quem sed et causam propter quam fieret raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 146-147

236

lui-mecircme rend ses œuvres rationnelles (rationabile) Les œuvres par conseacutequent ont leurs causes

rationnelles (causae rationabiles) et eacuteternelles Et pour ce que lrsquohomme veut et fait rationnellement

il existe une raison eacuteternelle De cette faccedilon il introduit la capaciteacute particuliegravere des causes

rationnelles ndash leur aptitude agrave deacutecrire la finaliteacute des choses agrave savoir laquo pourquoi raquo elles ont eacuteteacute faites

Crsquoest gracircce agrave cette capaciteacute que lrsquohomme peut juger de la rationaliteacute des œuvres (si elles sont

rationnelles) Ainsi Achard propose une double perspective les œuvres ont leurs causes

rationnelles donneacutees par Dieu qui est la raison supeacuterieure et un homme peut juger correctement agrave

propos de lrsquoutiliteacute drsquoune œuvre conformeacutement agrave ces causes

Lrsquoadjectif rationabilis provient du nom ratio (voir II 17 laquo Opus vero rationabile non est

quod non ex aliqua ratione processltergtit raquo) il nrsquoa pourtant pas exactement le mecircme sens que

rationalis633

Selon Achard lrsquoœuvre (opus) de la raison (ratio) est rationabile et elle ne peut pas laquo avoir

aucune irrationaliteacute raquo (irrationabilitas) Lrsquoœuvre rationnelle a sa cause rationnelle qui remonte agrave la

premiegravere cause ndash la raison de Dieu Dieu nrsquoopegravere jamais irrationabiliter (lrsquoadverbe qui provient de

lrsquoadjectif irrationabilis) car il est la raison mecircme634 Crsquoest la raison qui rend les esprits (mentes)

rationabile Ainsi Achard repreacutesente la qualiteacute drsquoecirctre rationabilis en tant que proprieacuteteacute drsquoune œuvre

qui est le produit de la raison

Achard consacre la deuxiegraveme partie du chapitre II 18 agrave la question du jugement agrave propos

des œuvres Les œuvres changent mais il faut toujours les juger drsquoapregraves la raison eacuteternelle et

immuable Achard explique que les raisons existent alors (tunc) mais qursquoelles apparaissent dans le

monde agrave certain moment (modo) et qursquoil faut bien juger les œuvres selon ces raisons

Achard y dit eacutegalement que le fait drsquoecirctre rationabilis pour une œuvre change dans le temps

et crsquoest pour cela qursquoon peut se tromper quand on deacutefinit une œuvre comme rationabilis Mais la

raison drsquoapregraves laquelle on juge ne change pas En employant un adverbe rationabiliter Achard

preacutecise que le fait drsquoecirctre rationabilis correspond agrave la maniegravere dont une œuvre a eacuteteacute faite Voilagrave

pourquoi le fait drsquoecirctre rationabilis ne deacutepend pas de lrsquoœuvre mais de sa raison qui peut ecirctre

633 Dans les chapitres I 14 et 29 lrsquoadjectif rationalis srsquoemploie avec le nom natura Ensemble ces deux eacutevoquent la deacutefinition de la personne de Boegravece (laquo persona est naturae rationalis individua substantia raquo) qursquoAchard critique de maniegravere implicite Achard substitue le mot rationabilis agrave rationalis dans cette deacutefinition Dans le cas de cette deacutefinition lrsquoadjectif rationalis deacutesigne la diffeacuterence speacutecifique de la nature humaine par rapport agrave lrsquoanimal Ensuite dans le chapitre II 3 Achard emploie 2 fois le terme natura rationalis et en II 13 vitae rationales A notre avis dans ce contexte lrsquoadjectif rationalis a le sens laquo doueacute de raison raquo (ce qui est le mecircme que rationabilis de Boegravece) Ainsi lrsquoadjectif rationalis provient du nom ratio pris au sens de faculteacute intellectuelle 634 Voir laquo Deus qui ratio ipsa summa infinita et immensa ltestgt operari nihil lsquoirrationabiliterrsquo vel irrationabile potest Opus siquidem rationis ipsius esse non posset si quid in se irrationabilitatis haberet lsquooperirsquo etenim suo lsquoformamrsquo ut ait philosophus lsquodat opifex suusrsquo Quare opus rationis consummatae rationabile et consummatum esse oportet Opus vero rationabile non est quod non ex aliqua ratione processltergtit id est quod aliquam rationabilem sui causam non habuerit nec Deus certe aliam nisi suam cur faciat omnia quae facit attendit rationem nec se inclinat infra se ut ltcausamgt rationabilem operum suorum quaerat sub se raquo De unitate II 17 eacuted MARTINEAU p 182

237

preacutesente ou absente en diffeacuterents moments635 En mecircme temps crsquoest une qualiteacute qui sert agrave juger les

choses afin de voir si la connexion avec sa raison eacuteternelle est preacutesente

Ainsi lrsquoadjectif rationabilis deacutesigne lrsquoutiliteacute rationnelle drsquoune œuvre ou la preacutesence de sa

cause rationnelle Et il se reacutefegravere donc agrave la doctrine des causes eacuteternelles Pour mieux comprendre les

causes rationnelles en II 18 Achard deacutecrit leur hieacuterarchie

una sit generalis et suprema et omnium causa = ratio Dei

voluntas divina = justum

causarum rationabilium distinctiones

- propter aliud facere domum ndash ut ibi inhabitet

- propter aliud vestimentum ndash ut illud induat

- propter aliud librum - ad legendumhellip

causam domum aedificandi vestimentum librum hellip

rationabiles causas

- alia assignetur cur in domo fiat fundaltmentumgt

- alia cur tectum

- alia cur parietes

- alia cur postes

- alia cur ostia

- alia cur fenestrae

Ainsi lrsquoauteur explique qursquoil y a laquo une cause geacuteneacuterale et suprecircme raquo pour tout qui est la

Raison mecircme de Dieu Puis tout ce qui est juste se reacutefegravere agrave la Volonteacute divine en tant que sa

cause636 En pratique la maison est faite pour y vivre le vecirctement pour le porter le livre pour le lire

etc Ensuite ces causes se subdivisent en causes rationnelles pour qursquoon puisse assigner des raisons

singuliegraveres agrave chaque partie de lrsquoœuvre Achard propose lrsquoexemple de la maison qui a des causes

pour sa fondation son toit ses murs etc Voici sa conclusion

635 Voir laquoSi enim una cum opere et operis variatione transiret utriusque ratio post illaltmgt quidem non esset unde de illis quae rationabiliter facta sunt judicari posset quemadmodum et antequam fierent utrum rationabile esset ea fieri nequaquam videri potuisset Non enim nisi in rationibus suis hic de ipsis videri potuit in quibus et quando sint videri potest quia rationabilia sunt [hellip] Opera quidem ipsa quae uno tempore sunt rationabilia alio saepe sunt non rationabilia quia quae modo rationem habent modo ratione carent sed in eodem tempore quod ab alio fieri est ratio ab alio fieri non est ratio ut sit opus idem tempore etiam eodem apud alium rationabile apud alium irrationabile ut autem quod semel est ratio aliquando fiat non ratio vel e contrario de non ratione ratio ut etiam quae apud alium est ratio apud alium sit non ratio penitus est impossibile si rationabiliter intelligit utrumque raquo De unitate II 18 eacuted MARTINEAU p 188-190 636 Olivier Boulnois propose un exemple de ce genre de discours chez Pierre Abelard voir O BOULNOIS laquoLiberteacute causaliteacute modaliteacute Y a-t-il une preacutehistoire du principe de raison raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 322

238

laquo De mecircme aussi la raison eacuteternelle bien qursquoen soi elle soit une seule raison selon laquelle

toutes choses sont formeacutees nrsquoen est pas moins distingueacutee ainsi qursquoon lrsquoa montreacute plus haut

par lrsquoinfiniteacute des raisons formelles des choses qui adviennent ou peuvent advenir agrave cause

drsquoelle Quoi drsquoeacutetonnant alors si cette mecircme ltcausegt bien qursquoelle soit la cause geacuteneacuterale de

tout est pourtant distribueacutee par lrsquoinfiniteacute des raisons causales ou des causes rationnelles des

choses qui adviennent agrave cause drsquoelle637 raquo

Nous apprenons ainsi que les raisons causales et les causes rationnelles sont des synonymes

En deacutefinitive il existe la Cause geacuteneacuterale et les raisons causales Il est possible de trouver une cause

immeacutediate pour une œuvre ou pour sa partie

Achard repose la question de la relation des trois sortes de raisons eacuteternelles entre elles en II

19

laquo Bien que notre examen actuel srsquoattache aux raisons causales ce qui a eacuteteacute dit est pourtant

vrai non seulement des raisons causales mais aussi des autres En fait on comprend que nos

expressions elles-mecircmes embrassent aussi les autres raisons lorsque en effet agrave propos

drsquoune chose quelconque on dit qursquoil y a une raison qursquoelle advienne le nom de raison doit

ecirctre rapporteacute agrave parts eacutegales agrave toutes Car ce nrsquoest pas seulement la cause de faire mais aussi

la forme du fait lui-mecircme et le mode de son deacuteploiement qui est signifieacute par le nom de cause

rationnelle lorsque lrsquoon eacutenonce qursquoil existe une raison que quelque chose advienne Si en

effet lrsquoune quelconque de ces trois ltdeacuteterminationsgt nrsquoest pas rationnelle il nrsquoy aura plus

de raison que lrsquoœuvre elle-mecircme advienne Or la forme est dite et est rationnelle selon ce

genre dont nous avons largement traiteacute preacuteceacutedemment et le mode selon ce genre dont nous

traiterons par la suite En effet la forme est viseacutee comme rationnelle drsquoapregraves les raisons

formelles la cause drsquoapregraves les raisons causales le mode drsquoapregraves les raisons deacuteployantes ou

si lrsquoon peut dire modales Mais on ne dit pas de quelque chose qursquoil y a une raison qursquoelle

advienne parce que cela mecircme agrave savoir lrsquoadvenir de la chose mecircme serait la raison elle-

mecircme (cela en effet est temporel alors que la raison est eacuteternelle) mais parce qursquoil y a une

raison suivant laquelle et agrave cause de laquelle la chose peut et doit advenir638 raquo

637 laquo Similiter quoque et ratio aeterna cum ipsa in se sit una secundum quam formantur omnia per infinitas tamen ut superius monstratum est eorum quae propter ipsam fiunt vel fieri possunt formales distinguitur rationes Quid igitur mirum si ipsa eadem cum sit generalis omnium causa per infinitas tamen eorum quae propter ipsam fiunt causales distribuitur rationes sive causas rationabiles raquo De unitate II 18 eacuted MARTINEAU p 186-187 638 laquo Quamvis autem hoc loco circa causales intentio consistat rationes quae tamen dicta sunt non solum de causalibus sed de aliis quoque vera sunt rationibus Sed et ipsae locutiones alias etiam complecti intelliguntur rationes Cum enim de re qualibet dicitur quod ipsam fieri ratio est nomen rationis ad omnes pariter referendum est Non enim tantum causa faciendi sed et forma ipsius facti et modus facti explicandi ltnominegt rationaltbigtlis causae significatur cum ut quid fiat ratio esse pronuntiatur Si namque quodlibet de hiis tribus rationabile non fuerit nec ipsum opus jam fieri ratio erit Forma autem rationabilis dicitur esse et est ex eo genere rationum de quo supra satis egimus modus ex eo de quo post

239

Dans ce passage Achard confirme ce qursquoil a dit en I 39 il existe trois sortes de raisons

pour chaque chose De plus ces trois sortes de raisons sont toutes des causes rationnelles

En II 20 Achard preacutecise laquo bien que de telles raisons soient eacuteternelles nous consideacuterons

cependant aussi certaines drsquoentre elles drsquoapregraves ce qui nrsquoest pas eacuteternel639 raquo Crsquoest-agrave-dire il y a des

raisons causales qui deacutesignent des causes temporelles Ensuite il nous propose sa classification

Rationes causales

juxta ea quae tantum

facta

juxta ea quae modo aliquo praecedunt facienda

in solo est Deo id quod in alio

id quod est naturae aliae secundum id

quod est liberi

arbitrii id est

voluntatis bonae

sive malae

natura rerum juxta merita

voluntatum sive

etiam operum

causae finales originales naturales judiciales

De cette faccedilon Achard dit qursquoil existe quatre types de causes finales originelles naturelles

et judiciaires Et crsquoest seulement les causes finales qui laquo sont deacutesigneacutees drsquoapregraves ce qui est fait raquo et

les trois autres sortes de causes sont deacutesigneacutees laquo drsquoapregraves ce qui preacutecegravede en quelque faccedilon les choses

agrave faire raquo Les trois derniegraveres sortes de raisons ne sont pas eacuteternelles elles agissent pour chaque

chose concregravete mais cela ne les rend pas moins vraies

Les expressions ratio causalis et causa rationabilis ont eacuteteacute introduites en II 17-18 Achard y

promet de parler de la deuxiegraveme sorte de raisons les raisons finales De cette faccedilon ces notions

(ratio causalis et causa rationabilis) sont eacutegales agrave celle de raisons finales introduites en I 39 En II

20 Achard explique que les raisons causales englobent quatre sortes des raisons Il est probable

qursquoen II 20 Achard eacutelargit sa doctrine des causes

agemus Forma siquidem rationabilis esse secundum rationes attenditur formales causa secundum causales modus secundum explicatrices sive ut ita dictum sit modales Non autem ideo dicitur de re aliqua quod ipsam fieri est ratio quia idipsum id est ipsam rem fieri sit ratio ipsa id enim temporale est ratio autem aeterna sed quia ratio est secundum quam et propter quam fieri queat aut esse debeat raquo De unitate II 19 eacuted MARTINEAU p 190-193 639 laquoRationes vero hujusmodi licet aeternas attendimus tamen nonnulas secundum ea etiam quae non sunt aeterna raquo De unitate II 20 eacuted MARTINEAU p 192-193

240

Lrsquoexposeacute des raisons causales termine pratiquement le De unitate (il reste encore le chapitre

II 21) Comme on vient de le remarquer Achard a probablement modifieacute son projet initial et a

changeacute la doctrine des raisons finales Il a ajouteacute les raisons permettant de juger les œuvres de

diffeacuterents points de vue (causes originales naturelles et judiciaires)

Les raisons causales (ou les causes rationnelles) sont deacutetermineacutees par lrsquoutiliteacute rationnelle

drsquoune œuvre Chaque œuvre agrave sa cause rationnelle immeacutediate mais toutes se reacutefegraverent agrave Dieu en tant

que leur premiegravere Cause et Raison Les œuvres qui changent sont jugeacutees agrave un certain moment du

temps (modo) ce qui nrsquoest pas toujours correct par rapport agrave leur utiliteacute nunc (dans lrsquoeacuteterniteacute) La

raison causale est une notion plus large que la raison finale elle englobe aussi les autres causes qui

ne sont pas eacuteternelles (original naturelle et judicaire) Achard choisit eacutegalement un autre terme pour

juger des causes rationnelles la volonteacute divine Elle est toujours conforme agrave la justice

La doctrine du Verbe-logos fait une partie de la meacutetaphysique du De unitate Notamment

elle permet de deacutevelopper la doctrine des formes eacuteternelles et drsquoexpliquer comment elles sont en

Dieu Le Verbe est lrsquointellect de Dieu et la forme premiegravere Il contient les formes creacuteeacutees En ayant

deux natures creacuteeacutee et increacuteeacutee le Christ est la meacutetaphore parfaite pour expliquer les formes qui

existent in intellectu (la forme premiegravere et les formes creacuteeacutees ont la substance divine) et in actu (les

formeacutes imprimeacutees ont la substance sensible) En outre la doctrine du Verbe incarneacute est importante

pour lrsquoexplication du processus de la creacuteation Drsquoun cocircteacute les formes existaient avant la creacuteation

mateacuterielle et contenaient les prototypes des choses creacuteeacutees Drsquoun autre cocircteacute le Christ fait partie des

eacuteveacutenements de la preacutehistoire spirituelle

La ratio au sens de raison eacuteternelle est introduite pour la premiegravere fois dans le chapitre I 14

du De unitate comme une des pluraliteacutes existantes en Dieu Cette pluraliteacute est dans une personne

le Verbe qui est lrsquointellect de Dieu Cette doctrine sera deacuteveloppeacutee dans la partie consacreacutee aux

formes qui sont les prototypes intelligibles des choses

La raison eacuteternelle est deacutefinie par rapport agrave sa fonction elle cause lrsquoexistence drsquoune chose

temporelle Achard distingue trois sortes de raisons pour une chose causa forma et modus (finalis

formalis et explicatrix) La premiegravere explique pourquoi une chose (une œuvre) existe (le but de sa

creacuteation agrave un moment donneacute) La deuxiegraveme explique ce qursquoest une chose (ses caracteacuteristiques

perceptibles par lrsquointellect) Et la troisiegraveme explique comment la chose se deacuteveloppe avec le temps

La troisiegraveme sorte des raisons nrsquoest pas exposeacutee dans le De unitate Cependant Achard compte les

modes parmi les formes (I 43)

241

En posant les questions de la distinction et du nombre des raisons Achard introduit la

doctrine des attributs de Dieu A savoir la puissance qui correspond aux raisons deacuteployantes la

sagesse qui correspond aux raisons formelles et lrsquoindulgence (indulgentia) qui correspond aux

raisons finales En II 18 Achard introduit un autre attribut qui deacutefinit la distribution des causes ndash la

Volonteacute divines

Voici les attributs de Dieu par rapport aux sortes de raisons

Causa Forma Modi

Indulgentia Voluntas Sapientia Potentia

Pourtant ces attributs ne correspondent pas aux personnes de la Triniteacute Comme il a deacutejagrave eacuteteacute

dit les trois sortes de raisons se trouvent dans une personne divine ndash le Fils

Finalement en II 17 Achard deacutecrit les raisons causales (les causes rationnelles) Les causes

sont ordonneacutees selon cet ordre hieacuterarchique la Cause les causes des choses et les causes de leurs

parties La signification de cette sorte de raison est plus pratique crsquoest drsquoapregraves elles que les œuvres

sont jugeacutees rationnelles soit utiles

En II 20 Achard ajoute agrave la doctrine des trois sortes de raisons la doctrine des raisons

causales ou causes rationnelles Les causes rationnelles se divisent en causes finales (eacuteternelles)

originelles naturelles et judicaires (temporelles)

Ainsi la troisiegraveme faccedilon pour Dieu de se multiplier est de creacuteer la pluraliteacute des raisons dans

le Verbe Drsquoapregraves la tradition meacutedioplatonicienne le Verbe est lrsquointellect de Dieu qui contenait le

monde avant la creacuteation De cette maniegravere Dieu contient en lui la multipliciteacute ndash les choses qui

seront creacuteeacutees ndash et il provient dans le monde sans se changer Cette doctrine a eacuteteacute bien transmise par

Augustin et Erigegravene dans leurs commentaires sur lrsquoEvangile selon saint Jean Elle a sucircrement

inspireacute Achard en sorte qursquoil dise qursquoil existe une pluraliteacute des raisons dans une seule personne

Achard reprend de cette tradition eacutegalement les eacuteleacutements suivants

- le monde multiple eacutetait drsquoabord contenu dans le Fils

- il existe une hieacuterarchie des raisons

La maniegravere de diviser les raisons drsquoapregraves leurs fonctions provient apparemment drsquoAristote

Elle a eacuteteacute transmise agrave travers les textes de Seacutenegraveque et de Boegravece mais aussi dans sa forme

preacutepositionnelle chez Augustin et Erigegravene Thierry de Chartres le contemporain drsquoAchard liste les

quatre causes de la creacuteation du mode (efficiens formalis finalis materialis) dans son traiteacute De sex

242

dierum operibus640 Son confregravere Guillaume de Conches unit les trois attributs (Puissance Sagesse

et Bonteacute) avec les trois causes (efficiente formelle et finale) La quatriegraveme cause est la matiegravere ou

la substance641

La liste des raisons proposeacutee par Achard (finales formales explicatrices) ne se reacutepegravete pas

ailleurs Crsquoest la preacutesence de la raison explicatrix qui la rend unique Les preacutepositions des raisons

(propter secundum et per) apparaissent respectivement chez Seacutenegraveque Augustin et Erigegravene mais

jamais ensemble

Nous allons eacutetudier les raisons formelles dans le chapitre suivant

Lrsquoexpression ratio causalis a eacuteteacute deacutejagrave utiliseacutee par Augustin En II 3 et II 18 Achard reprend

cette expression mais sa deacutefinition des raisons causales ou des causes rationnelles (la cause pour

laquelle quelque chose est fait) ne correspond pas agrave celle drsquoAugustin (la cause qui fait que les

choses se deacuteveloppent successivement) Nous croyons qursquoAchard a eacuteteacute plutocirct influenceacute par la

doctrine geacuteneacuterale de causaliteacute du Timeacutee Martineau note qursquoen II 17 Achard cite le Timeacutee (28a)

traduit par Calcidius642 Lrsquoinfluence de cette œuvre est vue agrave notre avis aussi en II 19 quand

Achard dit que toutes les causes sont rationnelles

Les raisons deacuteployantes (explicatrices) ne sont mecircme pas exposeacutees et il nrsquoest pas possible

pour lrsquoinstant drsquoeacutetablir lrsquoorigine du nom de cette sorte de raisons Emmanuel Martineau trouve que

le concept de raison deacuteployante provient des raisons seacuteminales drsquoAugustin et que le terme nous a

eacuteteacute emprunteacute au texte grec de lrsquoEpitre aux Romain X 34643 Il rejette la version drsquoorigine

calcidienne (Commentarium 176 et 152) Calcidius quant agrave lui utilise le terme nous (laquo quem noyn

Graeci uocant raquo) pour expliquer le deuxiegraveme Dieu qui provient agrave partir du premier et qui est son

intellect ou la providence644 Il nous semble probable qursquoAchard a utiliseacute la transcription noin du

mot calcidien noyn

640 laquo Mundane igitur substantie causae sint quator efficiens ut deus formalis ut dei sapientia finalis ut eiusdem benignitas materialis quatuor elementa raquo Thierry de Chartres De sex dierum operibus ed HAumlRING p 555 641 laquo Notantur autem quatuor in principio principales causae efficiens id est creator formalis ipsius sapientia finalis eiusdem bonitas materialis quatuor elementa raquo GUILLAUME DE CONCHES In Consolationem metrum 9 dans Opera omnia t II Glosae super Boetium eacuted L NAUTA Turnhout 1999 (CCCM 158) p 145 laquo Ostendit Philosophia hucusque diuinam potentiam quae est efficiens causa mundi et ipsius sapientiam quae est formalis eiusdem que bonitatem quae est finalis raquo ibid p 169 laquo Et ut eum perpetuitati propaget quatuor illius causas scilicet efficientem formalem finalem materialem ostendit ut ex talibus causis quiddam perpetuum posse creari manifestet Et est efficiens causa diuina essentia formalis diuina sapientia finalis diuina bonitas materialis quatuor elementa raquo GUILLAUME DE CONCHES Opera omnia t III Glosae super Platonem XXXII ed E JEAUNEAU Turnhout 2006 (CCCM 203) p 60-61 642 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted EMARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 183 II 17 note 2 643 E MARTINEAU laquo Eclarissment III Les causes efficientes et leur deacutenominations latine et grecque raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 212-214 644 P DRONKE The spell of Calcidius platonic concepts and images in the medieval West Firenze 2008 p 24

243

Cette raison srsquoappelle aussi lrsquoart de Dieu Lrsquoart de Dieu est sa Sagesse drsquoapregraves Augustin (In

Iohannis Evangelium tr I 17) et Erigegravene (Periphyseon III) Erigegravene mecircme dit qursquoil est une cause

per hoc

Achard est le seul penseur qui unit la doctrine des trois sortes de raisons avec la doctrine des

attributs de Dieu Les attributs qursquoil deacutecrit ressemblent agrave ceux drsquoHugues de Saint-Victor Le sujet de

lrsquoeacutequilibre des attributs a eacuteteacute introduit briegravevement par Hugues et Richard En effet la raison

explicatrix drsquoAchard fait penser au fait que chez Hugues de Saint-Victor la puissance de Dieu

deacuteploie (explicat) les causes primordiales (Sententiae de divinitate Pars 2 77-89 De

sacramentis (I II XXII) Ces aspects de la doctrine des raisons sont communs pour Achard

Hugues et Richard

La question de savoir si Dieu peut faire ce qui contredit aux lois qursquoil a eacutetablies a eacuteteacute reposeacutee

plus tard par Hugues de Saint-Cher Thomas drsquoAquin Henri de Gand etc Il srsquoagit drsquoune discussion

agrave propos de la puissance absolue et conditionneacutee (Hugues de Saint-Cher) ou absolue et ordonneacutee

(Duns Scot)645

La deuxiegraveme doctrine de la causaliteacute drsquoAchard (celle du chapitre II 20) semble ne pas avoir

de modegraveles directs Mecircme si chaque cause ou raison prise seacutepareacutement peut trouver son analogue

dans les eacutecrits qui preacuteceacutedent Achard646 les deacutefinitions exactes de ces causes donneacutees dans le De

unitate et mecircme cette liste des causes nrsquoont pas de correspondances directes

645O BOULNOIS laquo Introduction Ce que Dieu ne peut pas raquo dans La puissance et son ombre De Pierre Lombard agrave Luther eacuted O BOULNOIS Paris 1994 p 53-57 646 La cause originelle chez Augustin De Trinitate III 8 13 dont lrsquooccurrence a eacuteteacute repeacutereacutee par Emmanuel Martineau voir ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 193 I 20 note 3 la cause naturelle chez Ciceacuteron De fato et Seacutenegraveque Naturales quaestiones etc la cause judiciare dans le vocabulaire de la rheacutetorique judiciare ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted J CHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age XVII) Sermo XIV p 192 note 14 et la cause finale comme nous lrsquoavons deacutejagrave deacutemontreacute chez Aristote et Seacutenegraveque

244

Conclusion

Nous avons eacutetudieacute les voies de lrsquoapparition de la multipliciteacute en Dieu selon Achard de Saint-

Victor Sa formule trinitaire (lrsquoUniteacute Ce qui lui est eacutegal et lrsquoEgaliteacute) apparaicirct suite agrave lrsquoemploi du

principe de la participation agrave Dieu Ce principe provient de lrsquoassociation de deux eacuteleacutements

- la doctrine aristoteacutelicienne de la preacutedication intra- et extra-cateacutegorielle

- la doctrine platonicienne selon laquelle les creacuteatures ont leurs prototypes en Dieu Ces

prototypes sont leurs exemplaires et les sources de lrsquoexistence des creacuteatures

Par conseacutequent Achard enseigne que les ecirctres uns dans le monde participent agrave lrsquouniteacute en

Dieu (crsquoest la preacutedication extra-cateacutegorielle) et que les personnes divines (lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute) sont

identiques (dans ce cas la participation que nous expliquons comme preacutedication intra-cateacutegorielle

devient lrsquoidentiteacute) De cette faccedilon la premiegravere multipliciteacute en Dieu est logique et non ontologique

Les deux attributs de Dieu ndash lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute ndash sont drsquoapregraves Achard les personnes Cela nous

permet drsquoappeler cette pluraliteacute les pluraliteacutes des attributs

La procession des deux personnes agrave partir de la premiegravere fait penser agrave la procession qui a

lieu dans le neacuteoplatonisme entre la source et les deacuteriveacutes La perfection de la source fait proceacuteder les

hypostases Achard nrsquoadopte pas cette doctrine La deuxiegraveme personne apparaicirct en Dieu car la

pluraliteacute existe neacutecessairement dans lrsquouniteacute premiegravere (I 1 et 25) Achard accepte la procession des

personnes dans la Triniteacute mais il souligne que la procession srsquoarrecircte agrave la troisiegraveme personne Le fait

que les personnes sont diffeacuterentes gracircce agrave leurs qualiteacutes distinctives creacutee une autre pluraliteacute en Dieu

ndash la pluraliteacute des proprieacuteteacutes Les relations entre les personnes de la Triniteacute sont des exemplaires ndash

des prototypes ndash des relations dans le monde creacuteeacute mais les personnes ne sont pas les sources des

ecirctres Dieu est distinct drsquoune creacuteature il est sa cause exemplaire

La troisiegraveme pluraliteacute en Dieu est la pluraliteacute des raisons dans une seule personne ndash le Verbe

Ces raisons sont distingueacutees non seulement quantitativement (selon les ecirctres creacuteeacutes) mais aussi

qualitativement (trois sortes de raisons pour chaque ecirctre finales formelles et deacuteployantes) Cette

doctrine est lieacutee agrave celle de la creacuteation du monde Dieu a eu les raisons dans son Verbe avant de creacuteer

les ecirctres dans le monde selon ces raisons Cette doctrine incorpore aussi celle de la hieacuterarchie

platonicienne il existe la premiegravere raison (Forme ou Cause) et les raisons qui proviennent agrave partir

drsquoelle Les raisons sont distingueacutees aussi gracircce aux trois attributs de Dieu ce qui est une doctrine

theacuteologique majeure de lrsquoeacutepoque Dans le cas drsquoAchard ces attributs sont la Puissance (les raisons

deacuteployantes) la Sagesse (formelles) et la Volonteacute (ou lrsquoindulgence finales)

Les eacuteleacutements de la doctrine drsquoAchard pouvaient ecirctre inspireacutes par les doctrines des penseurs

tardo-antiques et contemporains Dans le cas des doctrines de la participation et des raisons dans le

Verbe lrsquoinspiration tardo-antique est plus preacutesente dans les cas des doctrines de la procession

245

(notamment lrsquoimpossibiliteacute de la procession de quatriegraveme personne) ou des attributs de Dieu

lrsquoinfluence de Saint-Victor est plus claire

Nous avons montreacute que les doctrines platoniciennes de la participation et de la multipliciteacute

des raisons dans le Verbe ont eacuteteacute transmises par Augustin et Erigegravene La doctrine des causes des

ecirctres a eacuteteacute transmise par plusieurs penseurs diffeacuterents dont notamment Seacutenegraveque Calcidius

Augustin Erigegravene et Hugues de Saint-Victor

246

Troisiegraveme partie

La pluraliteacute dans les creacuteatures

247

Introduction

Dans la troisiegraveme partie nous allons continuer agrave eacutetudier le platonisme du XIIe siegravecle mais

notre attention se portera vers un niveau plus bas dans la hieacuterarchie des ecirctres Le sujet de cette partie

est la relation entre les uniteacutes intelligibles et les ecirctres sensibles Selon la doctrine platonicienne

Dieu connaicirct le monde Les uniteacutes intelligibles sont les moyens de cette connaissance et les ecirctres

sensibles les objets Nous allons nous demander quelles sont les doctrines et les questions qui

srsquoappliquent agrave ce niveau de la hieacuterarchie

Nous poursuivrons lrsquoeacutetude de cette question comment lrsquouniteacute et la pluraliteacute coexistent-

elles La deacutefinition de lrsquouniteacute dans ce cas srsquoappuie sur la question de lrsquoidentiteacute ou de la similitude

entre les objets et la pluraliteacute sur la multiplication des prototypes Nous verrons comment Achard

deacutefinit ces principes en deacuteveloppant les scheacutemas platoniciens de procession des ecirctres agrave partir de

Dieu

Le fil rouge de notre reacutecit est le problegraveme de lrsquoidentiteacute Il srsquoagit drsquoeacutetablir la similitude entre

lrsquouniteacute-prototype et lrsquouniteacute-copie mais aussi de deacutefinir ce qui rend chaque objet unique

Achard consacre la plus grande partie du De unitate agrave lrsquoeacutetude des formes Voilagrave pourquoi le

chapitre VIII sera consacreacute agrave la doctrine des formes chez Achard et ses preacutedeacutecesseurs Nous allons

eacutetablir quelles notions (ideacutees formes espegraveces etc) ont eacuteteacute consideacutereacutees comme les uniteacutes

intelligibles par les platoniciens tardo-antiques et alto-meacutedieacutevaux et quels traits distinctifs de ces

notions Achard incorpore dans sa doctrine des formes Achard utilise la notion de la forme

premiegravere Cela permet de supposer qursquoil deacuteveloppe la doctrine de la hieacuterarchie des uniteacutes

intelligibles Nous allons eacutetudier les diffeacuterentes versions de cette doctrine qui ont eacuteteacute eacutetablies avant

Achard pour comprendre quelle est la particulariteacute de sa doctrine et drsquoougrave il pouvait tirer son

inspiration La derniegravere question que nous allons eacutetudier dans le chapitre VIII est la varieacuteteacute des

formes chez Achard Aristote deacutecrit une chose individuelle agrave travers des notions geacuteneacuterales Voilagrave

pourquoi notre premier pas vers la deacutefinition de lrsquoidentiteacute des choses est drsquoeacutetablir srsquoil existe des

formes individuelles et geacuteneacuterales dans la doctrine drsquoAchard

Apregraves avoir eacutetabli la preacutesence de la hieacuterarchie des formes chez Achard nous allons eacutetudier la

relation entre les diffeacuterents niveaux de cette hieacuterarchie dans le chapitre IX Pour expliquer cette

relation Achard introduit le couple in intellectuin actu qui deacutesigne deux niveaux des ecirctres Nous

allons examiner lrsquoorigine possible du nom de ce couple (intellectus et actus) et de son sens (la

distinction de deux niveaux chez les auteurs tardo-antiques) Cela megravenera agrave deacutefinir la modaliteacute de

cette distinction chez Achard agrave savoir eacutetablir srsquoil srsquoagit de la doctrine de la connaissance ou de

lrsquoecirctre Ensuite la relation entre les diffeacuterents niveaux de la hieacuterarchie sera analyseacutee Nous allons

nous demander quelles sont les similitudes et les distinctions entre les uniteacutes agrave ces niveaux et

248

comment le couple terminologique in intellectuin actu sert agrave les expliquer Lrsquoidentiteacute en question

dans ce chapitre est celle qui apparaicirct entre les modegraveles et les copies dans les systegravemes platoniciens

Les formules drsquoidentiteacute deacuteveloppeacutees par les philosophes anciens seront compareacutees avec celle

drsquoAchard de Saint-Victor

Le chapitre X est consacreacute au monde sensible Il nrsquoeacutetait jamais prioritaire pour les penseurs

chreacutetiens Dieu ndash un ecirctre par excellence ndash a un caractegravere non sensible Tous les savoirs agrave propos du

monde sont aussi intelligibles En mecircme temps les philosophes antiques ont parleacute de Dieu et de la

matiegravere comme de deux principes distincts Platon deacutecrit le monde du devenir qui consiste en la

matiegravere et en des ideacutees Dans la philosophie chreacutetienne le monde creacuteeacute a une nature diffeacuterente de

Dieu Les penseurs chreacutetiens ont par conseacutequent un deacutefi expliquer comment Dieu pouvait creacuteer le

monde qui a une nature qui lui est diffeacuterente Ainsi apregraves avoir exposeacute dans les chapitre VIII et IX

la maniegravere dont le monde est vu par Dieu et par lrsquohomme dans le chapitre X nous examinerons la

question quels sont les ecirctres dans le monde Une eacutetude de la doctrine de la forme peut creacuteer

lrsquoimpression qursquoil nrsquoy a rien dans le monde sauf des formes et que les choses sont eacutegales aux idos

(des formes dans la matiegravere) Dans le chapitre X cette conclusion sera mise en question Nous

allons eacutetudier les notions qui ont eacuteteacute utiliseacutees pour deacutecrire le monde sensible par les penseurs

anteacuterieurs au XIIe siegravecle et par les victorins essence substance corps matiegravere etc La difficulteacute de

notre travail consiste dans le fait que la vision du monde sensible chez les platoniciens est un sujet

assez mal eacutetudieacute Pourtant nous croyons que cette eacutetude est indispensable pour comprendre

comment Achard de Saint-Victor accepte lrsquoheacuteritage des platoniciens et notamment pour eacutetablir sa

reacuteponse agrave la question de lrsquoidentiteacute Lrsquoeacutetude du monde sensible nous permettra de poser enfin la

question de lrsquoidentiteacute des ecirctres dans les changements et de comprendre quels eacuteleacutements de lrsquoecirctre

changent et lesquels restent identiques

249

CHAPITRE VIII

La forma

Voici les questions qui ont eacuteteacute poseacutees par rapport agrave la doctrine de la forme du De unitate

- Qursquoest-ce que la forme (dans le cadre de quelle doctrine Achard la deacutefinit-elle )

- Est-ce qursquoil existe une hieacuterarchie des formes

- Quelles uniteacutes intelligibles y-t-il parmi les formes

Comme nous allons le montrer la forma est une notion qui croise le champ seacutemantique de

plusieurs autres notions Par conseacutequent ce chapitre va porter majoritairement sur lrsquoeacutetude de cas

drsquoemploi du mot forma et sur des notions qui lui ressemblent chez des penseurs tardo-antiques et

meacutedieacutevaux La question de la hieacuterarchie a eacuteteacute deacutejagrave partiellement eacutetudieacutee dans le chapitre V

laquo Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu raquo Nous avons montreacute comment la distinction de deux niveaux des

ecirctres arrive jusqursquoau XIIe siegravecle Nous avons aussi eacutetudieacute la doctrine du Verbe qui est la premiegravere

uniteacute intelligible dans le chapitre VII laquo La pluraliteacute des raisons dans le Verbe raquo Deacutesormais le

centre de notre inteacuterecirct va se deacuteplacer vers les niveaux moyens de la hieacuterarchie meacutetaphysique Dans

ce chapitre nous allons eacutetudier les uniteacutes intelligibles qui unissent la premiegravere uniteacute et les ecirctres

sensibles pour voir quelles elles sont et comment elles deacutecrivent la reacutealiteacute

VIII1 La notion de forma dans la philosophie tardo-antique latine

Le terme forma est apparu dans lrsquoancienne philosophie latine pour traduire les termes grecs

eidos idea et morphe qui se trouvaient chez deux philosophes majeurs Platon et Aristote647

Platon propose la theacuteorie des ideacutees en tant que prototypes et raisons des choses qui existent

dans le monde (livre VII de La Reacutepublique) Les ideacutees sont imposeacutees dans le reacuteceptacle (la matiegravere

pure) pour creacuteer des choses Les ideacutees dans les choses sont les idos

Aristote deacuteveloppe une doctrine selon laquelle chaque chose a quatre causes (Physique II 3

194b23-195a 2 II 7 198a14-22) Lrsquoune de ces causes est la forme (morphe livre V de La

Meacutetaphysique)

Une autre doctrine qui a influenceacute le deacuteveloppement de la notion de forme au Moyen Age

est la doctrine des deux substances drsquoAristote (Cateacutegories 1a 20ndash1b8) La substance premiegravere est

647 laquo Forme raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 451

250

la reacutealiteacute concregravete drsquoune chose et la substance seconde est son concept Aristote deacutecrit eacutegalement

neuf accidents La substance premiegravere (la chose concregravete) est expliqueacutee comme lrsquounion de la

substance seconde et des accidents La chose change quand la substance seconde change648 Les

substances et les accidents seront compris aussi comme des formes

Voyons comment la notion de forme a acquis tous ces sens agrave travers lrsquohistoire de la penseacutee

VIII11 La deacutefinition de la forme

Lrsquoun des premiers teacutemoignages de lrsquoemploi du terme forma se trouve chez Ciceacuteron (Orator

III 9-10)

laquo De mecircme donc que dans les formes et les figures il y a quelque chose de parfait et

drsquoexcellent que nous ne voyons qursquoen imagination et agrave quoi nous nous reacutefeacuterons pour imiter

ce dont le propre est drsquoeacutechapper agrave notre regard de mecircme il y a une image de lrsquoeacuteloquence

parfaite que nous voyons en esprit et dont nos oreilles attendent le reflet Ce sont ces

modegraveles des choses qursquoappelle laquo ideacutees raquo le garant et le maicirctre le plus profond non seulement

de la speacuteculation intellectuelle mais aussi de lrsquoexpression Platon il dit qursquoelles ne sont pas

engendreacutees mais eacuteternelles et qursquoelles reacutesident dans notre raison et notre intelligence les

autres choses naissent meurent srsquoeacutecoulent et passent et ne restent pas longtemps dans un

seul et mecircme eacutetat649 raquo

Les formes de Ciceacuteron correspondent aux ideacutees de Platon Ciceacuteron oppose les formes qui

sont eacuteternelles au reste qui naicirct et peacuterit De cette maniegravere Ciceacuteron transmet le dualisme de Platon

En mecircme temps les formes sont des notions accessibles agrave notre connaissance650

Seacutenegraveque emploie la notion de forme dans ses Lettres Il traduit le mot aristoteacutelicien morphe

par le mot forma et il reprend les notions platoniciennes idea et idos Dans la Lettre LVIII il deacutefinit

lrsquoidos en tant que laquo la forme prise au modegravele et passeacutee dans lrsquoœuvre651 raquo Dans la Lettre LXV (4-5)

648 Cf SPADE PV laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p 19-22 649 laquoVt igitur in formis et figuris est aliquid perfectum et excellens cuius ad cogitatam speciem imitando referuntur ea quae sub oculos ipsa non cadunt sic perfectae eloquentiae speciem animo videmus effigiem auribus quaerimus Has rerum formas appellat lsquoιδέας ille non intellegendi solum sed etiam dicendi gravissimus auctor et magister Plato easque gigni negat et ait semper esse ac ratione et intellegentia contineri cetera nasci occidere fluere labi nec diutius esse uno et eodem statu raquo CICERON De oratore eacuted et trad A YON Paris 1964 p 4 650 A propos de la doctrine de forma chez Ciceacuteron voir S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol I Notre Dame 1986 p 145-154 651 laquo forma ab exemplari sumpta et operi inposita raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LVIII eacuted PRECHAC trad NOBLOT p 77

251

Seacutenegraveque expose deux doctrines celle de Platon et celle drsquoAristote Il eacutenumegravere les quatre causes

drsquoAristote (matiegravere ouvrier forme et fin) La forme pour lui est un idos652

Une fois Seacutenegraveque emploie aussi le terme forma au sens de lrsquoideacutee (LVIII 27)

laquo Admirons planant au plus haut de lrsquoespace les formes ideacuteales de toutes choses un Dieu

seacutejournant au milieu de ces ecirctres653 raquo

De cette faccedilon la forme a une double signification dans les Lettres de Seacutenegraveque lrsquoideacutee et

lrsquoidos Il transmit aussi la vision drsquoAristote drsquoune forme en tant que cause

Ainsi deux auteurs latinsndash Ciceacuteron et Seacutenegraveque ndash reprennent la doctrine de Platon Ils disent

qursquoil existe deux niveaux ndash les ideacutees et les ecirctres muables (agrave ces derniers correspondent les idos) Les

uniteacutes seacutejournant aux deux niveaux ont des qualiteacutes diffeacuterentes et cependant les ideacutees sont les

prototypes des idos Selon Ciceacuteron la forme correspond agrave lrsquoideacutee et selon Seacutenegraveque la forme

correspond plutocirct agrave lrsquoidos

Un autre parallegravele entre la doctrine platonicienne et la notion de forme se trouve chez un

repreacutesentant du meacutedioplatonisme Apuleacutee (Platon et sa doctrine VI 192-3)

laquo Quant aux laquo ideacutees raquo crsquoest-agrave-dire aux formes de toutes choses elles sont simples et

eacuteternelles sans drsquoailleurs ecirctre corporelles crsquoest dans leur nombre que Dieu a choisi les

modegraveles des choses preacutesentes et futures on ne peut trouver dans ces archeacutetypes plus drsquoune

seule image de chaque espegravece et tout ce qui naicirct a comme la cire sa forme et sa figure

marqueacutees par cette empreinte des modegraveles654 raquo

Ainsi les formes sont les ideacutees et les modegraveles (exempla) des choses Dieu opegravere par ces

ideacutees Il existe seulement une forme archeacutetype pour chaque espegravece De cette maniegravere Apuleacutee pose

la question du nombre des prototypes par rapport aux choses

652 laquo lsquoTertia est forma quae unicuique operi inponitur tamquam statuaersquo nam hanc Aristoteles idos uocat raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LXV eacuted PRECHAC p 107 653 laquo Miremur in sublimi uolitantes rerum omnium formas deumque inter illa uersantem raquo Ibid LVIII eacuted PRECHAC trad NOBLOT p 79 654 laquo Ἰδέας vero id est formas omnium simplices et aeternas esse nec corporales tamen esse autem ex his quae deus sumpserit exempla rerum quae sunt eruntve nec posse amplius quam singularum specierum singulas imagines in exemplaribus inveniri gignentium que omnium ad instar cerae formas et figurationes ex illa exemplorum impressione signari raquo APULEUS De philosophia libri eacuted C MORESCHINI Stuttgart- Leipzig 1991 (Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana) p 93 trad APULEE Platon et sa doctrine dans APULEE Opuscules philosophiques eacuted trad et notes J BEAUJEU Paris France 1973 p 65

252

La notion de forma a aussi eacuteteacute accepteacutee par Augustin Dans son De ideis il dit que la

traduction litteacuteraire du mot idea serait forma bien qursquoil preacutefegravere le terme ratio Les ideacutees drsquoapregraves lui

sont les laquo formes principales raquo des choses655

Augustin explique aussi pourquoi les choses sont formeacutees (De libero arbitrio II XVII 45)

laquo En effet tout ecirctre muable est aussi neacutecessairement formable car de mecircme que nous

disons muable ce qui est susceptible drsquoune mutation de mecircme jrsquoappellerais formable tout ce

qui est susceptible drsquoune formation Or rien ne peut se former soi-mecircme parce que rien ne

peut donner ce qursquoil nrsquoa pas et assureacutement crsquoest pour avoir une forme qursquoun ecirctre est

formeacute656 raquo

Augustin explique le changement dans le monde gracircce agrave la formation Changer pour une

chose consiste agrave recevoir une nouvelle forme La chose ne peut pas se former elle-mecircme car elle ne

peut se donner la forme qursquoelle nrsquoa pas Elle reccediloit donc sa nouvelle forme agrave partir drsquoune forme

eacuteternelle Les formes eacuteternelles se superposent sur des reacuteceptacles qui existent dans le monde creacuteeacute

Dans le cas du changement deacutecrit par Augustin le reacuteceptacle a deacutejagrave une forme agrave laquelle se

superpose une autre

Dans les autres œuvres drsquoAugustin la forme est employeacutee dans le cadre de doctrines

theacuteologiques diffeacuterentes (par exemple lrsquoincarnation dans le De Trinitate I VII 14 la forme de

Dieu et la forme drsquoun esclave en reprenant le vocabulaire de saint Paul dans ses traductions latines

Philip 26)

Dans le livre XV du De Trinitate (VIII 14) Augustin parle de la transformation de la nature

(forme) humaine gracircce agrave Dieu

laquo Nous passerons drsquoune forme agrave une autre de la forme obscure agrave la forme lumineuse Car la

forme obscure est deacutejagrave image de Dieu et par lagrave mecircme sa gloire forme dans laquelle nous

avons eacuteteacute creacuteeacutes hommes supeacuterieurs aux autres animaux Crsquoest de la nature humaine que ces

paroles sont dites lsquoLrsquohomme ne doit pas se voiler la face eacutetant donneacute qursquoil est lrsquoimage de

la gloire de Dieursquo Cette nature la plus noble parmi les choses creacuteeacutees une fois purifieacutee de

655 laquo Ideas igitur Latine possumus vel formas vel species dicere ut verbum e verbo transferre videamur Si autem rationes eas vocemus ab interpretandi quidem proprietate discedimus ndash rationes enim Graece logoi appellantur non ideae ndash sed tamen quisquis hoc vocabulo uti voluerit a re ipsa non abhorrebit Sunt namque ideae principales quaedam formae vel rationes rerum stabiles atque incommutabiles quae ipsae formatae non sunt ac per hoc aeternae ac semper eodem modo sese habentes quae divina intellegentia continentur raquo AUGUSTIN De diversis quaestionibus octoginta tribus qu 46 eacuted MUTZENBECHER p71 656 laquo Omnis enim res mutabilis etiam formabilis sit necesse est Sicut autem mutabile dicimus quod mutari potest ita formabile quod formari potest appellauerim Nulla autem res formare se ipsam potest quia nulla res potest dare quod non habet et utique ut habeat formam formatur aliquid raquo AUGUSTIN De libero arbitrio II XVII 45 eacuted GREEN p 257 trad AUGUSTIN Dialogues philosophiques III introd trad et notes par G MADEC Paris 1976 (BA 6) p 359

253

son impieacuteteacute par son Creacuteateur quitte sa forme deacuteformeacutee (deformis forma) pour devenir une

forme belle en quelque sorte fidegravele agrave elle-mecircme (forma formosa)657 raquo

Par la forme Augustin comprend une nature en lrsquooccurrence humaine qui est susceptible

drsquoecirctre purifieacutee Cette nature passe de lrsquoeacutetat difforme agrave lrsquoeacutetat formeacute voir mecircme laquo beau raquo (formosa)

en srsquoapprochant de Dieu Elle se forme selon la forme qui est le Verbe

Ainsi dans cette doctrine Augustin utilise deux applications de la notion forma la nature

humaine et le Verbe de Dieu La derniegravere forme est plus haute et parfaite et elle sert en tant

qursquoexemple agrave la premiegravere

Augustin propose aussi la doctrine de la conversion ndash le retour spirituel de lrsquohomme vers

Dieu gracircce agrave la formation (De Gen ad litt I IV 9) Cette formation est possible car la creacuteature

imite la forme du Verbe (Fils de Dieu) Selon Aimeacute Solignac cette doctrine doit son origine agrave la

doctrine de lrsquoascension de Plotin 658

Dans le De ideis Augustin accepte la doctrine platonicienne Dans ces autres œuvres il

emploie la forme au sens aristoteacutelicien une forme peut remplacer une autre forme ce qui implique

le changement drsquoune chose Augustin introduit dans ses textes les deux aspects de la signification de

la forme ndash la forme supeacuterieure (le Verbe) et les formes qui influencent les choses

La notion de forma a eacutegalement eacuteteacute employeacute par Boegravece Voir le De Trinitate II

laquo Et de fait tout ecirctre est agrave partir drsquoune forme La statue en effet est dite effigie de lrsquoanimal

non pas selon lrsquoairain parce qursquo (il est sa) matiegravere mais selon la forme qui en est

distinctive et lrsquoairain lui-mecircme nrsquoest pas dit selon la terre parce qursquo (elle est) sa matiegravere

mais selon la figure de lrsquoairain La terre elle-mecircme non plus nrsquoest pas dit kata ten hylen

mais selon la sicciteacute et la graviteacute qui sont des formes Rien par conseacutequent nrsquoest dit selon

la matiegravere mais (tout est dit) selon la forme propre659 raquo

657 laquo De forma in formam mutamur atque transimus de forma obscura in formam lucidam quia et ipsa obscura imago dei est et si imago profecto etiam et gloria in qua homines creati sumus praestantes ceteris animalibus De ipsa quippe natura humana dictum est Vir quidem non debet uelare caput cum sit imago et gloria dei Quae natura in rebus creatis excellentissima cum a suo creatore ab impietate iustificatur a deformi forma formosam transformatur in formam raquo AUGUSTIN De Trinitate XV VIII 14 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 478 trad P AGAEumlSSE et J MOINGT p 459 (trad modifieacutee I LYSTOPAD) 658A SOULIGNAC laquo Conversion et formation raquo dans AUGUSTIN Confessions eacuted M SKUTELLA introd et notes A SOULIGNAC trad E TREacuteHOREL et G BOUISSOU Paris 1962 (BA 14) p 614-615 659laquo Omne namque esse ex forma est Statua enim non secundum aes quod est materia sed secundum formam qua in eo insignita est effigies animalis dicitur ipsumque aes non secundum terram quod est eius materia sed dicitur secundum aeris figuram Terra quoque ipsa non lsquo kata ten hylenrsquo dicitur sed secundum siccitatem gravitatemque quae sunt formae Nihil igitur secundum materiam esse dicitur sed secundum propriam formam raquo BOECE De Trinitate 2 dans De consolatione philosophiae Opuclusa theologica eacuted C MORESCHINI Munich-Leipzig 2005 (Biblioteca teubneriana) p 169-170 trad BOECE Opuscula Sacra trad A GALONNIER tII Louvain-Paris 2013 p 138-141

254

Boegravece considegravere les ecirctres comme eacutetant constitueacutes de matiegravere et de forme La forme est un

eacuteleacutement principal elle deacutefinit ce qursquoest la chose La connaissance est possible gracircce aux formes et

non agrave la matiegravere Plus loin il ajoute

laquo Seulement la substance divine est une forme sans matiegravere et pour cela elle est aussi

quelque chose drsquoun et est ce qursquoil est [hellip] Il ne peut effectivement pas ecirctre rendu sous-

jacent en effet il est forme et les formes ne peuvent ecirctre sous-jacentes Crsquoest un fait que

drsquoautres formes sont sous-jacentes agrave des accidents comme lrsquohumaniteacute qui ne reccediloit pas

vraiment drsquoaccidents en ce qursquoelle est elle-mecircme mais en ce que la matiegravere lui est sous-

jacente en effet au moment ougrave la matiegravere sous-jacente agrave lrsquohumaniteacute reccediloit un accident

quelconque lrsquohumaniteacute elle-mecircme paraicirct le recevoir Tandis que la forme qui est sans

matiegravere ne pourra ecirctre quelque chose de sous-jacent ni mecircme inheacuterer agrave la matiegravere sans

quoi en effet elle ne serait plus forme mais image Crsquoest effectivement de ces formes-ci qui

sont exemptes de matiegravere que proviennent ces formes-lagrave qui sont dans la matiegravere et

produisent le corps Car nous abusons en appelant formes celles qui sont dans les corps

alors qursquoelles sont des images660 raquo

Les formes pour Boegravece sont la forme qui est Dieu et les formes seacutepareacutees de la matiegravere

(lrsquohumaniteacute la graviteacute etc) Les formes dans la matiegravere sont des images et non de vraies formes

Le fait que Dieu est la forme implique qursquoil soit un car la forme seacutepareacutee de la matiegravere

nrsquoaccepte pas drsquoaccidents et Boegravece adopte la doctrine de lrsquoindividuation des ecirctres agrave travers les

accidents Dans le De Trinitate Boegravece dit que la matiegravere reccediloit des formes De cette faccedilon il suit la

doctrine de Platon661

Dans le De hebdomadibus Boegravece associe la forme avec lrsquoecirctre (esse) en le distinguant de ce

qui est (id quod est)662 De cette maniegravere la forme est comprise comme une source veacuteritable de

lrsquoecirctre de la chose

Voici lrsquoemploi de la notion de forma dans le De diuisione

660 laquo Sed divina substantia sine materia forma est atque ideo unum est et est id quod est [hellip] Neque enim subiectum fieri potest forma enim est formae vero subiectae esse non possunt Nam quod ceterae formae subiectae accidentibus sunt ut humanitas non ita accidentia suscipit eo quod ipsa est sed eo quod materia ei subiecta est dum enim materia subiecta humanitati suscipit quodlibet accidens ipsa hoc suscipere videtur humanitas Forma vero quae est sine materia non poterit esse subiectum nec vero inesse materiae neque enim esset forma sed imago Ex his enim formis quae praeter materiam sunt istae formae venerunt quae sunt in materia et corpus efficiunt Nam caeteras quae in corporibus sunt abutimur formas vocantes dum imagines sint raquo Ibid eacuted MORESCHINI p 170-1 trad GALONNIER p 140-143 661 Cf PV SPADE laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p 11-12 662 laquo Diversum est esse et id quod est ipsum vero esse nondum est at vero quod est accepta essendi forma est atque consistit raquo BOECE De hebdomadibus eacuted MORESCHINI p 187

255

laquo La multitude des parties est la matiegravere et la forme est la composition de ces mecircmes

parties663 raquo

laquo La matiegravere est le genre et la forme est la diffeacuterence664 raquo

La forme est comprise comme un eacuteleacutement qui se superpose au reacuteceptacle (la matiegravere) La

forme et la matiegravere dans ce contexte sont des principes meacutetaphysiques employeacutes dans un sens

technique pour deacutesigner les pheacutenomegravenes de lrsquoindividu composeacute de parties dans le premier cas de

lrsquoespegravece et de la diffeacuterence dans le deuxiegraveme Dans cette œuvre Boegravece prend la relation matiegravere-

forme pour expliquer la reacuteception drsquoune nouvelle forme par un objet existant

De cette maniegravere Boegravece suppose que la forme peut avoir des applications diffeacuterentes la

forme qui est Dieu les formes seacutepareacutees de la matiegravere et les images des formes dans la matiegravere La

forme se superpose au reacuteceptacle (la matiegravere) En mecircme temps la forme est un composant drsquoune

chose dont elle deacutefinit ce qursquoelle est

En deacutefinitive dans la philosophie tardo-antique la deacutefinition de la forme absorbe des

eacuteleacutements du platonisme et de lrsquoaristoteacutelisme En un sens platonicien elle deacutesigne une raison de la

chose qui est seacutepareacutee drsquoelle-mecircme Ce mode drsquoemploi se retrouve chez tous les auteurs eacutetudieacutes

Ciceacuteron Seacutenegraveque Apuleacutee Augustin et Boegravece Dans le sens aristoteacutelicien elle deacutesigne une partie

drsquoune chose qui rend cette chose connaissable Ce qui a eacuteteacute introduit par Aristote comme la

substance ndash une partie essentielle drsquoune chose ndash est interpreacuteteacutee par Augustin et Boegravece comme la

forme Elle provient de Dieu Et cela rapproche ses doctrines du platonisme Et en mecircme temps elle

influence les ecirctres muables Et crsquoest cette tendance agrave poser la structure du monde sensible

notamment drsquoune chose comme le sujet indeacutependant de lrsquoenquecircte qui teacutemoigne de lrsquoinfluence de

lrsquoaristoteacutelisme sur Augustin et Boegravece

VIII12 La hieacuterarchie des formes

Dans le De unitate Achard propose une hieacuterarchie des formes la forme premiegravere la forme

deuxiegraveme et la forme troisiegraveme Par hieacuterarchie nous comprenons une seacuterie des ecirctres telle que

chacun de ses eacuteleacutements se trouve subordonneacute agrave celui qursquoil suit

663 laquo Totius vero partium multitudo materia est forma vero earumdem partium compositio raquo BOECE De divisione eacuted J MAGEE Leiden New York Koumlln 1998 p14 =PL 64 879D trad I LYSTOPAD 664 laquo Unde fit ut quaedam materia genus sit forma differentia raquo BOECE De divisione eacuted J MAGEE p16 =PL 64 880B trad I LYSTOPAD Cf lrsquoIsagoge laquo Et genus quidem consimile est materiae formae vero differentia raquo PORPHYRE De Isagoge a Boethio translata eacuted L Minio-Paluello Aristoteles latinus t 1 (6-7) Categoriarum supplementa Bruges Paris 1966 p 23

256

Le deacuteveloppement du platonisme megravene agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune sorte de hieacuterarchie des

principes qui expliquent la diversiteacute des ecirctres dans le monde par leur relation agrave la source de leur

existence

Le meacutedioplatonisme apporte la doctrine que les ideacutees sont les penseacutees de Dieu Les origines

de cette doctrine se trouvent chez Platon et Aristote665 Les deux niveaux ndash Dieu et les ideacutees ndash sont

distingueacutes Cette doctrine se transforme dans une doctrine du Logos-Fils de Dieu qui contient des

logoi

Les formes se trouvent aux diffeacuterents niveaux de cette hieacuterarchie Pour Seacutenegraveque la forme est

plutocirct lrsquoidos (en bas) pour Ciceacuteron la forme est lrsquoideacutee (en haut) Seacutenegraveque Ciceacuteron et Apuleacutee lient

Dieu et les formes mais ils disent toujours que ce sont deux principes seacutepareacutes

Augustin et Boegravece voient le monde diviseacute en trois parties Dieu les formes et les choses

Augustin distingue les formes-natures et la Forme-Verbe divine qui leur sert de modegravele Boegravece

distingue les formeacutees seacutepareacutees de la matiegravere et la Forme-Dieu

Deacutesormais nous allons observer les autres doctrines de lrsquoAntiquiteacute tardive concernant les

uniteacutes sensibles qui contiennent des eacuteleacutements hieacuterarchiques

Certains eacuteleacutements de la doctrine de Platon sont connus agrave travers la traduction latine du Timeacutee

faite par Calcidius

laquo Il existe une premiegravere espegravece que ne perccediloivent pas les sens et qui reste en elle-mecircme agrave

lrsquoabri de la naissance et de la mort une espegravece qui nrsquoadmet en elle aucun eacuteleacutement venu

drsquoailleurs et qui nrsquoapparaicirct en rien drsquoautre une espegravece qui eacutechappe agrave la vue et agrave la sensation

et qui nrsquoest perceptible qursquoagrave la contemplation attentive de lrsquointellect Il y a ensuite une

seconde espegravece qui est soumise agrave la naissance et aux sens cette espegravece doit avoir un

substrat elle srsquoeacutetablit en un endroit qursquoelle quitte lorsqursquoelle change ou est deacutetruite On peut

la connaicirctre par lrsquoopinion qui accompagne la sensation La troisiegraveme espegravece est celle du lieu

qui nrsquoest pas lui non plus concerneacute par la destruction Il fournit un emplacement agrave ce qui

naicirct mais il est perccedilu sans que celui qui le perccediloit nrsquoen ait une expeacuterience sensible et on ne

peut srsquoen faire une ideacutee que par le moyen drsquoun raisonnement bacirctard666 raquo

665 R M JONES laquo The Ideas as the Thoughts of God raquo in Classical Philology t 21 1926 p 324-326 666 laquo Esse eius modi speciem semotam a sensibus in semet locatam sine ortu sine occasu quae neque in se recipit quicquam aliunde neque ipsa procedit ad aliud quicquam inuisibilem insensilem soli mentis intentioni animaduersionique perspicuam porro quod ab hoc secundum est natiuum sensile sustentabile consistens aliquo in loco et rursum cum immutatione et interitu recedens sensibus et opinione noscendum Tertium genus est loci quod ne ad interitum quidem pertinet sedem porro praebet his quae generantur sed ipsum sine sensu tangentis tangitur adulterina quadam ratione opinabile raquo CALCIDIUS Platonis Timaeus eacuted B BAKHOUCHE p 198-199= eacuted Estienne 51E-52B

257

Dans ce passage Platon parle de trois espegraveces imperceptible perceptible et le lieu Ces

trois espegraveces correspondent aux ideacutees (formes) aux idos (formes composeacutees avec la matiegravere) et agrave la

matiegravere667 En parlant de la cause Platon parle de lrsquoopifex le deacutemiurge de lrsquounivers Cet artisan

creacutee lrsquounivers drsquoapregraves un modegravele (28AB) La premiegravere espegravece (les ideacutees) est ce modegravele (48E) Ainsi

dans le Timeacutee Platon deacutecrit quatre eacuteleacutements Dieu les ideacutees les idos et la matiegravere Parme eux la

relation causale existe seulement entre les ideacutees et les idos les deux autres eacuteleacutements participent

chacun indeacutependamment de trois autres agrave la production du monde

Un exemple de la hieacuterarchie meacutedioplatonicienne est connu agrave travers Apuleacutee (Platon et sa

doctrine V 190)

laquo Platon estime qursquoil y a trois principes des choses Dieu la matiegravere ndash inacheveacutee non

faccedilonneacutee et que ne distingue ni forme ni marque de qualiteacute ndash et les formes des choses qursquoil

appelle encore des lsquoideacuteesrsquo668 raquo

Ces trois principes ont des caracteacuteristiques diffeacuterentes et sont subordonneacutes Dieu opegravere par

les ideacutees et les ideacutees sont imprimeacutees dans la matiegravere

Calcidius reprend la doctrine de Platon dans son Commentaire sur le Timeacutee Tullio Gregory

deacutecrit trois principes qui ont eacuteteacute pris par Calcidius de la philosophie meacutedioplatonicienne Dieu

suprecircme lrsquointellect de Dieu et lrsquoacircme du monde669 Nous allons deacutefinir la place des uniteacutes

intelligibles dans ce scheacutema

Voici sa description de lrsquoespegravece principale (principalis species II 339)

laquo Disons que lrsquoespegravece principale crsquoest pour nous du moins qui sommes doueacutes drsquointellect le

premier objet intelligible crsquoest du point de vue de dieu la penseacutee parfaite de dieu par

rapport agrave la matiegravere la limite et la mesure des choses corporelles et mateacuterielles crsquoest par

rapport agrave elle-mecircme une substance incorporelle et la cause de tout ce qui lui emprunte sa

ressemblance crsquoest en ce qui concerne le monde le modegravele eacuteternel de tout ce qui a

engendreacute la nature et pour le dire en peu de mots lrsquoespegravece principale qui est lrsquoIdeacutee doit

ecirctre deacutefinie comme une substance incorporelle sans couleur ni forme (figura) qui ne peut

667 PV SPADE laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p 6 668 laquo Initia rerum tria esse arbitratur Plato deum et materiam inabsolutam informem nulla specie nec qualitatis significatione distinctam rerum que formas quas ἰδέας idem vocat raquo APULEUS Platon et sa doctrine V 190 eacuted MORESCHINI p 92 trad BEAUJEU p 63 669 T GREGORY laquo The Platonic Inheritanceraquo dans A History of Twelfth-Century Western Philosophy eacuted P DRONKE Cambridge-New York 1988 p 55

258

ecirctre toucheacutee et qui doit cependant ecirctre saisie rationnellement par lrsquointellect et de plus

comme la cause de tout ce qui lui emprunte sa ressemblance670 raquo

Drsquoapregraves Calcidius Il existe une espegravece primaire qui doit laquo ecirctre saisie rationnellement par

lrsquointellect raquo Elle est ainsi accessible pour nous agrave travers ces effets

Lrsquoespegravece principale est formeacutee (formata) et non formeacutee en mecircme temps Elle nrsquoest pas

formeacutee car elle nrsquoest pas composeacutee Elle est formeacutee car crsquoest agrave travers elle que les choses sont

formeacutees de lrsquoespegravece et de la matiegravere671

Calcidius deacutecrit eacutegalement la seconde espegravece (secunda species II 344)

laquo La seconde espegravece celle qui vient agrave lrsquoecirctre (nativa) doit son existence agrave lrsquoespegravece

principale qui est eacuteternelle et ne vient pas agrave lrsquoecirctre et qui est deacutesigneacutee sous le nom

drsquolsquoideacuteersquo raquo672 raquo

Voici comment Calcidius introduit la distinction entre les espegraveces premiegravere et deuxiegraveme (II

337)

laquo Il faut faire une distinction en ce qui concerne le modegravele des choses entre deux espegraveces

il y a celle qui sert agrave ordonner la matiegravere et il y en a une autre agrave lrsquoimage de laquelle a eacuteteacute

produite lrsquoespegravece attribueacutee agrave la matiegravere De fait lrsquoespegravece assigneacutee agrave la matiegravere est seconde

tandis que la premiegravere est celle agrave lrsquoimage de laquelle a eacuteteacute produite la seconde [hellip] de

mecircme aussi lrsquoespegravece qui a ordonneacute la matiegravere est de second rang tandis que lrsquoautre celle

selon laquelle lrsquoespegravece seconde a eacuteteacute acheveacutee est lrsquoespegravece principale sur laquelle porte

notre propos agrave preacutesent673 raquo

670 laquo Est igitur principalis species ut cum aliqua dicatur effigie iuxta nos quidem qui intellectus compotes sumus primum intellegibile iuxta deum uero perfectus intellectus dei iuxta siluam modus mensura que rerum corporearum atque siluestrium iuxta ipsam uero speciem incorporea substantia causaque eorum omnium quae ex ea similitudinem mutuantur iuxta mundum uero exemplum sempiternum omnium quae natura progenuit atque ut conceptim dicatur primaria species quae idea est substantia definitur carens corpore colore figura sine tactu intellectu tamen cum ratione comprehendenda causaque omnium quae ex se similitudinem mutuantur raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 339 eacuted B BAKHOUCHE p 564-567 Ici et ensuite la traduction est modifieacutee par I LYSTOPAD 671 laquo Rursum silua dicebatur informis lt dicetur etiam principalis species non formatagt sed nec informis formatum enim quidque compositum sit necesse est ex participante et ex participabili ut statua in qua participat quidem aes participatur uero impressa forma sed species est simplex et incomposita Propterea igitur species negatur esse formata nec uero minime est formata nam propter hanc alia quoque omnia quae sunt formata in possessione uultus sunt raquo Ibid II 338 p 564 672 laquo Quippe secunda species id est natiua mutuatur substantiam de specie principali quae sine ortu est et aeterna censita ideae nomine silua demum ex natiua specie sumit substantiam raquo Ibid II 344 p 570-571 673 laquo Eodem igitur modo etiam in exemplo rerum gemina species consideratur illa qua exornata silua est nihiloque minus alia species ad cuius similitudinem illa species facta est quae siluae tributa est Et est imposita quidem siluae species secunda prima uero illa ad cuius haec secunda similitudinem facta est [hellip] sic etiam species quae siluam exornauit secundae dignitatis est illa uero alia iuxta quam secunda species absoluta est principalis est species de qua sermo habetur ad praesens raquo Ibid II 337 p 562-565

259

De cette faccedilon la distinction entre la premiegravere et la seconde espegravece correspond agrave la

distinction platonicienne entre idea et idos

Calcidius parle aussi du troisiegraveme genre qui selon son interpreacutetation des textes platoniciens

serait la matiegravere (silua) La matiegravere est le laquo lieu raquo des espegraveces incorporelles ou le reacuteceptacle des

espegraveces corporelles674 Lrsquoespegravece principale (species principalis ou primaria) lrsquoespegravece seconde

(species natiua) et la matiegravere constituent les trois laquo rayons raquo constitutifs du monde drsquoapregraves

Calcidius

Ainsi bien que Calcidius utilise une terminologie diffeacuterente des autres auteurs tardo-

antiques il propose une hieacuterarchie consistant en trois eacuteleacutements lrsquoespegravece principale les espegraveces

nativae et la matiegravere

Calcidius donne aussi une autre version de cette doctrine (II 272)

laquo Assureacutement le premier eacuteleacutement de lrsquounivers est la matiegravere deacutepourvue de forme et de

qualiteacute et que modegravele la forme intelligible pour que le monde soit crsquoest drsquoelles ndash la matiegravere

et lrsquoespegravece ndash que viennent le feu pur et intelligible et les autres substances pures qui au

nombre de quatre sont agrave leur tour agrave lrsquoorigine des matiegraveres sensibles ndash igneacutees aquatiques

terrestres ou aeacuteriennes Le feu pur et les autres espegraveces de substance pures et intelligibles

qui sont les modegraveles des corps sont appeleacutes Ideacutees675 raquo

Dans ce passage Calcidius deacutecrit les eacuteleacutements suivants de lrsquounivers

- lrsquoespegravece (intellegibilis species)

- les quatre premiegraveres substances (elles-mecircmes ideacutees ou espegraveces)

- les matiegraveres sensibles qui proviennent de ces ideacutees

- la matiegravere (silua) laquo deacutepourvue de forme et de qualiteacute

Plus loin il ajoute que les ideacutees sont les modegraveles des choses naturelles676

Par conseacutequent il distingue la matiegravere premiegravere et les matiegraveres formeacutees par les espegraveces Les

quatre premiegraveres substances (igneacutees aquatiques terrestres et aeacuteriennes) sont parmi les espegraveces

secondes 674 laquoPuto eum dignitatis respectu tertium genus dixisse siluam [hellip] At uero locum uocat eam uelut regionem quandam suscipientem specierum incorporearum intellegibilium que simulacra semper eandem uel quia sine generatione est et interitu uel quia necesse est eam locum stationem que esse et uelut receptaculum corporearum specierum quae sunt membra mundi raquo Ibid II 344 p 570 675 laquo Quippe primum elementum uniuersae rei silua est informis ac sine qualitate quam ut sit mundus format intellegibilis species ex quibus silua uidelicet et specie ignis purus et intellegibilis ceteraeque sincerae substantiae quattuor e quibus demum hae materiae sensiles igneae aquatiles terrenae et aereae Ignis porro purus et ceterae sincerae intellegibiles que substantiae species sunt exemplaria corporum ideae cognominatae raquo Ibid II 272 p 500-501 Voir agrave propos de ce passage S GERSH laquoCalcidiusrsquo Theory of First Principles raquo dans Studia Patristica 182 Papers of 1983 Oxford Patristic Conference 1989 p 86-7 676 laquo Ideae sunt exempla naturalium rerum raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 304 eacuted B BAKHOUCHE p 532

260

En deacutefinitive Calcidius deacutecrit les deux hieacuterarchies des ecirctres intelligibles tripartite (espegravece

premiegravere espegraveces secondes et la matiegravere) pour deacutecrire les formes qui se multiplient et quadripartite

(espegravece premiegravere substances premiegraveres les matiegraveres sensibles et la matiegravere) pour montrer comment

la matiegravere sert agrave multiplier la forme sensible Ces hieacuterarchies apparaissent suite au mouvement du

deuxiegraveme principe ndash lrsquointellect de Dieu ndash qui par sa nature opegravere par des ecirctres intelligibles Nous

continuerons lrsquoeacutetude de ce principe dans un chapitre laquo Intellectus raquo en posant la question

laquo comment et agrave quel moment les espegraveces se multiplient-elles raquo

Ajoutons quelques eacuteleacutements de la doctrine drsquoAugustin

laquo Pour que ces ecirctres muables ne srsquoarrecirctent pas mais continuent par leurs mouvements

calculeacutes et la varieacuteteacute distincte de leurs formes agrave parcourir pour ainsi dire le cours des

temps il doit exister une forme eacuteternelle et immuable telle qursquoelle nrsquoest ni contenue et

comme reacutepandue dans lrsquoespace ni eacutetendue et diversifieacutee dans le temps677 raquo

Ainsi Augustin discerne la forme unique des formes et les formes qui proviennent agrave partir

de cette forme unique Plus loin il ajoute qursquoune forme eacuteternelle et immuable existe pour que les

corps et les esprits soient formeacutes678 De cette faccedilon il propose un systegraveme hieacuterarchique qui

comprend non seulement des entiteacutes immuables en haut et muables en bas mais aussi lrsquouniteacute (une

forme) en haut et la multitude des choses en bas

Un autre exemple fameux de hieacuterarchisation se trouve dans le Periphyseon drsquoErigegravene

laquo La premiegravere division de la Nature correspond agrave cette forme ou agrave cette espegravece qui creacutee et

qui nrsquoest pas creacuteeacutee [hellip] la deuxiegraveme division de la nature correspond agrave la forme qui agrave la

fois est creacuteeacutee et qui creacutee la troisiegraveme division de la Nature correspond agrave la forme qui est

creacuteeacutee et qui ne creacutee pas enfin la quatriegraveme division de la Nature correspond agrave la forme qui

ne creacutee pas et qui nrsquoest pas creacuteeacutee679 raquo

677 laquo Ut ista mutabilia non intercipiantur sed dimensis motibus et distincta uarietate formarum quasi quosdam uersus temporum peragant esse aliquam formam aeternam et incommutabilem quae neque contineatur et quasi diffundatur locis neque protendatur atque uarietur temporibus raquo AUGUSTIN De libero arbitrio II XVI 44 eacuted GREEN p 257 trad AUGUSTIN Dialogues philosophiques III introd trad et notes par G MADEC Paris 1976 (BA 6) p 359 678 laquo Quid autem amplius de mutabilitate corporis et animi dicamus superius enim satis dictum est conficitur itaque ut corpus et animus forma quadam incommutabili et semper manente formentur cui formae dictum est mutabis ea et mutabuntur tu autem idem es et anni tui non deficient annos sine defectu pro aeternitate posuit prophetica locutio de hac item forma dictum est quod in se ipsa manens innouet omniaraquo Ibid II XVII 45 eacuted GREEN p 267 679 laquo Si rite forma uel species dicenda est prima omnium causa [hellip] quae creat et non creatur secunda in eam quae et creatur et creat sequitur tertia quae creatur et non creat dehinc quarta quae nec creat nec creatur raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 3 = PL 122 525AB tradBERTIN t I-II p 282

261

Edouard Jeauneau explique cette division de la maniegravere suivante

1) laquo nature qui creacutee et nrsquoest pas creacuteeacutee (Dieu en tant que cause suprecircme de toutes choses)

2) nature qui est creacuteeacutee et qui creacutee (les ideacutees-archeacutetypes causes primordiales de toutes choses)

3) nature qui est creacuteeacutee et qui ne creacutee pas (les ecirctres soumis agrave la geacuteneacuteration dans le temps et dans

le lieu)

4) nature qui ne creacutee pas et qui nrsquoest pas creacuteeacutee (Dieu en tant que fin ultime de toutes

choses)680raquo

En effet la premiegravere et la quatriegraveme natures deacutesignent Dieu dans ces diffeacuterentes fonctions

en tant que source et en tant que but De cette faccedilon la division drsquoErigegravene peut ecirctre reacuteduite aux trois

niveaux Dieu les ideacutees et les ecirctres changeants du monde (bien que cette explication exclue du

systegraveme eacuterigeacutenien le mouvement de retour)

Erigegravene est le premier agrave utiliser lrsquoexpression laquo forma prima raquo qui apparaicirct plus tard chez

Achard Drsquoapregraves Erigegravene cette premiegravere forme de la nature est la Cause premiegravere laquo le principe sans

forme de toutes les formes et de toutes les espegraveces681 raquo

En outre Erigegravene propose aussi la doctrine de laquo la Forme unique de toutes les formes raquo qui

est le Verbe du Pegravere Les causes primordiales sont formeacutees gracircce agrave la conversion perpeacutetuelle vers

cette forme682 Les causes sont agrave la fois eacuteternelles (car elles participent agrave la forme eacuteternelle) et

creacuteeacutees (car elles se seacuteparent agrave un moment donneacute du Verbe pour creacuteer de choses)683 Il deacutecrit la

hieacuterarchie qui contient la forme premiegravere les causes primordiales les choses et la matiegravere

En deacutefinitive la hieacuterarchie cognitive tripartite est souvent preacutesente dans la philosophie

tardo-antique Dans le cas de Platon (le Timeacutee) et de Calcidius cette hieacuterarchie consiste en lrsquoespegravece

premiegravere (lrsquoideacutee) les espegraveces secondes (les eidei) et la matiegravere Dieu est le principe seacutepareacute des

680 E JEAUNEAU laquo Lrsquohomme et lrsquoœuvre raquo dans JEAN SCOT Homeacutelie sur le Prologue de Jean introd texte critique trad et notes E JEAUNEAU Paris 1969 (Sources chreacutetiennes 151) p 44 681laquo Prima omnium causa [hellip] dum sit formarum et specierum omnium informe principium raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 3 = PL 122 525A trad trad FBERTIN t I-II p 282 682 laquo Semper enim ad unam rerum omnium formam quam omnia appetunt uerbum patris dico conuersae formantur et formationem suam nusquam nunquam deserunt Quae uero sub ipsis sunt in inferioribus rerum ordinibus ita ab eis creantur ut ad se ipsas ea attrahant omnium que rerum unum principium appetant et nullo modo ad ea quae sub eis sunt respiciunt sed suam formam superiorem se semper intuentur ut semper ab ea formari non desinant Nam per se ipsas informes sunt et in ea uniuersali sua forma in uerbo dico semet ipsas perfecte conditas cognoscunt Quis autem recte intelligentium haec quae de primordialibus causis dici possunt de informitate rerum dicere audebit Praesertim cum et informis rerum materia non aliunde credatur manare nisi ex primordialibus causis Si enim primordiales causae ideo primordiales appellantur quia primitus ab una creatrice omnium causa creantur et ea quae sub ipsis sunt creant - nam primordiales causas et creari et creare praediximus - quid mirum si quemadmodum in numero eorum quae post et per primordiales causas condita sunt informem materiem esse credimus certis que rationibus firmamus eam quoque a primordialibus causis creari fateamur raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 30 = PL 122 547B-548A 683 Cf R ROQUES laquo Remarques sur la signification de Jean Scot Eacuterigegravene raquo dans Miscellanea A Combes Rome 1967 p 282

262

ideacutees Apuleacutee deacutesigne trois principes Dieu ideacutees et matiegravere Dans le cas drsquoAugustin de Boegravece et

drsquoErigegravene la hieacuterarchie consiste en Dieu (le Verbe la forme premiegravere) les formes qui sont dans la

forme premiegravere (les ideacutees) et les formes dans les choses (eidei) La matiegravere est aussi preacutesente dans

la doctrine de ces derniers mais sa position est obscure (nous allons eacutetudier cette question dans le

chapitre laquo La structure des ecirctres et le problegraveme de lrsquoidentiteacute dans le monde sensible chez les

penseurs tardo-antiques et meacutedieacutevauxraquo)

VIII13 La varieacuteteacute des formes

Il a eacuteteacute eacutetabli que les formes sont des uniteacutes intelligibles Elles fournissent des images aux

ecirctres de ce monde De cette faccedilon les formes sont agrave lrsquoorigine de lrsquoexistence des choses en tant que

leurs prototypes et causes intelligibles Descendons maintenant au deuxiegraveme eacutechelon de la

hieacuterarchie et posons-nous la question comment la multipliciteacute des formes increacuteeacutees apparaicirct-elle

VIII131 Les uniteacutes intelligibles eacuteternelles chez Augustin

Pour discuter de la probleacutematique des uniteacutes intelligibles Augustin utilise des notions

diffeacuterentes ratio forma idea Lrsquoune des notions qui croise le champ seacutemantique de la forme est

species Dans le De Trinitate Augustin emploie la notion drsquoespegravece corporelle Dieu invisible

gouverne toutes les espegraveces visibles agrave travers sa volonteacute (III IV 9) Dans le De Genesi ad litteram

les ecirctres qui eacutetaient enfermeacutes dans les causes primordiales naissent sous lrsquoespegravece visible

(manifestam) propre agrave leur genre684

Dans le De civitate Dei il distingue deux sortes de species les espegraveces agrave lrsquoaide desquelles

Dieu a creacuteeacute le monde et les espegraveces agrave lrsquoaide desquelles des artisans humains transforment la matiegravere

corporelle (XII XXVI)685 Dans le De Trinitate (XI IX 16) Augustin distingue quatre types

drsquoespegraveces

- lrsquoespegravece du corps perccedilu

- celle produite dans le sens du sujet percevant

- celle produite dans la meacutemoire

684 laquo Sed etiam ista secum gerunt tamquam iterum se ipsa inuisibiliter in occulta quadam ui generandi quam extraxerunt de illis primordiis causarum suarum in quibus creato mundo cum factus est dies antequam in manifestam speciem sui generis exorerentur inserta sunt raquo AUGUSTIN De genesi ad litteram VI X 17 eacuted J ZYCHA p 470-471 685 laquo Cum enim alia sit species quae adhibetur extrinsecus cuicumque materiae corporali sicut operantur homines figuli et fabri atque id genus opifices qui etiam pingunt et effingunt formas similes corporibus animalium alia uero quae intrinsecus efficientes causas habet de secreto et occulto naturae uiuentis atque intellegentis arbitrio quae non solum naturales corporum species uerum etiam ipsas animantium animas dum non fit facit supra dicta illa species artificibus quibusque tribuatur haec autem altera non nisi uni artifici creatori et conditori deo qui mundum ipsum et angelos sine ullo mundo et sine ullis angelis fecit raquo AUGUSTIN De civitate Dei eacuted B DOMBART et A KALB trad G COMBEgraveS F-J THONNARD et M A DEVYNCK Paris 1959 p 236 (BA 35)

263

- celle produite dans le regard inteacuterieur de celui qui repreacutesente cet objet

Ainsi drsquoapregraves le De Trinitate les espegraveces sont des uniteacutes intelligibles formeacutees dans lrsquoesprit

de lrsquohomme gracircce agrave sa sensation Ces espegraveces sont des empreintes des espegraveces eacuteternelles agrave lrsquoaide

desquelles Dieu a creacuteeacute le monde

Les autres sortes drsquouniteacutes intelligibles sont des vera Dans le De libero arbitrio Augustin

dit que la sagesse en tant que Veacuteriteacute contient tout cela qui est immuablement vrai (vera II XII

33) Il srsquoagit drsquoune laquo reacutealiteacute qui se preacutesente en commun agrave tous ceux qui font usage de leur raison et

de leur intelligence686 raquo Augustin explique cette reacutealiteacute comme laquo objective raquo (quand deux

personnes voient un objet il nrsquoappartient pas aux esprits de ces personnes) Dans les Confessions

Augustin deacutecrit les vera comme les postulats que les philosophes prononcent agrave propos du monde et

de la creacuteation687 Il utilise eacutegalement lrsquoantonyme ndash les falsa (fausseteacutes) Dans le De doctrina

christiana les vera sont les laquo ideacutees vraies raquo (drsquoapregraves la traduction de Goulven Madec) qui sont dans

lrsquoacircme Elles sont formeacutees gracircce agrave la Veacuteriteacute immuable qui est au-dessus drsquoelles688 De cette faccedilon les

vera sont des reacutealiteacutes objectives qui sont dans le monde Elles sont exprimeacutees en tant que penseacutees

vraies et postulats vrais

Augustin propose donc les uniteacutes intelligibles suivantes les espegraveces corporelles les

espegraveces dans lrsquoesprit de lrsquohomme les espegraveces agrave lrsquoaide desquelles Dieu a creacuteeacute le monde et les vera

Dans le chapitre VII laquo La pluraliteacute des raisons dans le Verbe raquo nous avons deacutecrit lrsquoautre sorte

drsquouniteacutes intelligibles preacutesentes dans les œuvres drsquoAugustin les causes primordiales

VIII132 Les nombres dans la philosophie tardo-antique

Platon pose entre les ideacutees et les choses sensibles une classe drsquoentiteacutes qui sont les objets

matheacutematiques Les nombres font partie de ces objets689

686 laquoOmne autem quod communiter omnibus ratiocinantibus atque intellegentibus praesto est raquo AUGUSTIN De libero arbitrio II XII 33 eacuted GREEN p 257 trad AUGUSTIN Dialogues philosophiques III introd trad et notes par G MADEC Paris 1976 (BA 6) p 337 Cf De libero arbitrio II XIII 36 687 laquo Et multa uera de creatura dicunt et ueritatem creaturae artificem non pie quaerunt raquo AUGUSTIN Confessiones V III 5 eacuted L VERHEIJEN Turnhout 1981 (CCSL 27) p 59 688 laquo Quae tamen omnia quisquis ita dilexerit ut iactare se inter imperitos uelit et non potius quaerere unde sint uera quae tantummodo uera esse persenserit et unde quaedam non solum uera sed etiam incommutabilia quae incommutabilia esse comprehenderit ac sic ab specie corporum usque ad humanam mentem perueniens cum et ipsam mutabilem inuenerit quod nunc docta nunc indocta sit constituta tamen inter incommutabilem supra se ueritatem et mutabilia infra se cetera ad unius dei laudem atque dilectionem cuncta conuertere a quo cuncta esse cognoscit doctus uideri potest esse autem sapiens nullo modo raquo AUGUSTIN De doctrina christiana II XXXVIII 57 eacuted J MARTIN p 222 689 Voir A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 21

264

Augustin dit que tous les ecirctres sont des formes car ils ont des nombres (De libero arbitrio

II XVI 42690) Des nombres sont imprimeacutes en notre acircme en vertu drsquoune proprieacuteteacute de leur nature

(laquo ex aliqua sua natura raquo II VIII 21) 691 dans une lumiegravere infeacuterieure (II VIII 23)692 Les nombres

et leurs lois sont inchangeables et eacuteternels Ils se trouvent dans une Sagesse unique qui est la Veacuteriteacute

(II XVI 42)693

Boegravece deacuteveloppe aussi la doctrine des nombres Dans son De arithmetica il dit

laquo Tout ce qui a eacuteteacute eacutedifieacute par la nature en son premier acircge apparaicirct formeacute selon le systegraveme

des nombres Car tel a eacuteteacute le premier modegravele dans lrsquoesprit du creacuteateur Crsquoest ce systegraveme qui

est agrave lrsquoorigine de la pluraliteacute des quatre eacuteleacutements lrsquoorigine de la succession des temps du

mouvement des astres et des reacutevolutions du ciel694 raquo

De cette faccedilon Augustin et Boegravece considegraverent les nombres en tant qursquouniteacutes intelligibles qui

se trouvent dans la Sagesse ou dans lrsquoesprit du Creacuteateur

Augustin propose aussi une hieacuterarchisation des nombres Dans les Confessions (X XII 19)

il distingue les nombres que nous nombrons (quos numeramus) et ceux par lesquels nous nombrons

(quibus numeramus)695 Les premiers sont des images des deuxiegravemes

Boegravece quant agrave lui dans le De Trinitate (III) distingue les nombres quo numeramus et les

choses numerabiles Les premiegraveres se composent des ideacutees incorporelles de nombres les deuxiegravemes

des choses nombrables696

690 laquo Intuere caelum et terram et mare et quaecumque in eis uel desuper fulgent uel deorsum repunt uel uolant uel natant formas habent quia numeros habent adime illis haec nihil erunt a quo ergo sunt nisi a quo numerus quandoquidem in tantum illis est esse in quantum numerosa esse raquo AUGUSTIN De libero arbitrio II XVI 42 eacuted GREEN p 265-6 691 laquo Tamen si tibi aliquis diceret numeros istos non ex aliqua sua natura sed ex his rebus quas corporis sensu attingimus inpressos esse animo nostro quasi quasdam imagines quorumque uisibilium quid responderes an tu quoque id putas (euodius) nullo modo id putauerim non enim si sensu corporis percepi numeros idcirco etiam rationem partitionis numerorum uel copulationis sensu corporis percipere potui raquo Ibid II VIII 21 eacuted GREEN p 250 692 laquo Unde ergo nouimus per omnes hoc esse aut qua fantasia uel fantasmate tam certa ueritas numeri per innumerabilia tam fidenter nisi in luce interiore conspicitur quam corporalis sensus ignorat raquo Ibid II VIII 23 eacuted GREEN p 252 693 laquo Transcende ergo et animum artificis ut numerum sempiternum uideas iam tibi sapientia de ipsa interiore sede fulgebit et de ipso secretario ueritatis raquo Ibid II XVI 42 eacuted GREEN p 266 Voir la doctrine drsquoAugustin sur le nombre dans le De libero arbitrio O DU ROY Lrsquointelligence de la foi en la Triniteacute selon saint Augustin Genegravese de sa theacuteologie trinitaire jusqursquoen 391 Paris 1966 p 246-248 694 laquo Omnia quaecumque a primaeua rerum natura constructa sunt numerorum uidentur ratione formata Hoc enim fuit principale in animo conditoris exemplar Hinc enim quattuor elementorum multitudo mutuata est hinc temporum uices hinc motus astrorum caelique conuersio raquo BOECE De arithmetica I II eacuted J SCHILLING et H OOSTHOUT Brepolis 1999 p 14 trad Institution arithmeacutetique eacuted et trad J-Y GUILLAUMIN Paris 1995 p 11 695 laquo Sensi etiam numeros omnibus corporis sensibus quos numeramus sed illi alii sunt quibus numeramus nec imagines istorum sunt et ideo ualde sunt raquo AUGUSTIN Confessiones X XII 19 eacuted VERHEIJEN p 165 696laquo Numerus enim duplex est unus quidem quo numeramus alter vero qui in rebus numerabilibus constat Etenim unum res est unitas quo unum dicimus Duo rursus in rebus sunt ut homines vel lapides dualitas nihil sed tantum dualitas qua duo homines vel duo lapides fiunt Et in ceteris eodem modo Ergo in numero quo numeramus repetitio unitatum facit pluralitatem in rerum vero numero non facit pluralitatem unitatum repetitio vel si de eodem dicam lsquogladius unus mucro unus ensis unusrsquo raquo BOECE De trinitate 3 eacuted MORESCHINI P 171-2 Les deux derniegraveres liens ont eacuteteacute signaleacutes par Martineau voir E MARTINEAU laquo Numeri numerabiles raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde

265

En deacutefinitive les nombres sont expliqueacutes par Augustin et Boegravece comme uniteacutes intelligibles

qui ont leur propre hieacuterarchie nombres-exemplaires et nombres dans les corps Ils se trouvent dans

une premiegravere uniteacute intelligible ndash lrsquoesprit du creacuteateur

VIII133 Les universaux

Nous avons montreacute que la notion platonicienne drsquoideacutee et la notion aristoteacutelicienne de forme

sont agrave lrsquoorigine de la notion meacutedieacutevale de forme Le croisement de ces notions creacutee le problegraveme des

universaux exprimeacute dans le Commentaire aux Cateacutegories de Porphyre

laquo Pour lrsquoinstant je mrsquoabstiens de deacutecider concernant les genres et les espegraveces srsquoils

subsistent ou srsquoils sont situeacutes dans les intellects seuls et nus et srsquoils subsistent srsquoils sont

corporels ou incorporels et srsquoils sont seacutepareacutes des sensibles ou situeacutes en eux et sont constants

par rapport agrave eux car ce travail est tregraves ardu et suppose une longue recherche697 raquo

Les universaux par leur deacutefinition mecircme sont des notions communes opposeacutees aux objets

individuels La question principale relevant du problegraveme des universaux est comment ces notions

communes existent-elles Alain de Libera deacutemontre que les neacuteoplatoniciens ont formuleacute la theacuteorie

des trois eacutetats de lrsquouniversel pour reacutepondre agrave cette question698 Ce sont le reacutealisme le

conceptualisme et le nominalisme

Drsquoapregraves Christophe Erismann le reacutealisme correspond au questionnement theacuteologique

quand les universaux sont traiteacutes comme les ideacutees dans lrsquointellect divin (ante rem) Le

conceptualisme repreacutesente lrsquoapproche logique et eacutepisteacutemologique selon laquelle les universaux

existent dans lrsquoesprit humain comme produit de lrsquoabstraction (post rem) Enfin le nominalisme qui

dit que les universaux sont immanents et existent dans les individus (in re) correspond agrave lrsquoapproche

ontologique699

Le questionnement concernant les universaux commence en Occident avec Boegravece Il

propose sa reacuteponse dans le Commentaire agrave lrsquoIsagoge de Porphyre

Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 228-229 697 laquo Mox de generibus et speciebus illud quidem siue subsistunt siue in solis nudis purisque intellectibus posita sunt siue subsistentia corporalia sunt an incorporalia et utrum separata an in sensibilibus et circa ea constantia dicere recusabo Altissimum enim est huiusmodi negotium et maioris egens inquisitionis raquo PORPHYRE De Isagoge a Boethio translata eacuted L Minio-Paluello p 5 trad A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 128 698 Cf A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 699 CHR ERISMANN laquo Immanent realism A reconstruction of an early medieval solution to the problem of universals raquo dans Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale t 18 2007 p 211-212

266

laquo Lrsquoespegravece est un reacutesultat de la cogitation assembleacute (cogitatio collecta) agrave partir de la

ressemblance substantielle drsquoindividus diffeacuterents le genre est un reacutesultat de la cogitation

assembleacute agrave partie de la ressemblance des espegraveces700 raquo

Boegravece emploie eacutegalement lrsquoexpression res universalis Il lrsquointroduit en transmettant la

division principale des Cateacutegories drsquoAristote (1a 20ndash1b9)

laquo Chaque chose est soit la substance soit lrsquoaccident soit universelle soit particuliegravere701 raquo

Comme nous lrsquoavons montreacute dans le chapitre V laquo Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu raquo ce sont

les deux sortes de deacutefinitions qui se croisent pour deacutecrire les quatre notions principales substance

universelle substance particuliegravere accident universel et accident particulier La chose universelle

deacutesigne de cette faccedilon soit la substance universelle (lrsquohomme) soit lrsquoaccident universel (la

blancheur) La derniegravere notion est reacuteelle (existe en tant que substance) seulement dans une

meacutetaphysique neacuteoplatonicienne Notamment comme dans le cas drsquoAugustin qui dit que les qualiteacutes

des choses existent agrave travers la participation aux substances supeacuterieures comme une chose blanche

est telle agrave travers la participation agrave la blancheur

Boegravece transmet agrave lrsquoOccident les cateacutegories drsquoAristote non seulement en traduisant lrsquoœuvre

correspondante mais en citant aussi la liste des cateacutegories dans le De Trinitate et dans le De

arithmetica (1 1 1-2) Cette derniegravere œuvre est particuliegraverement inteacuteressante pour notre propos

laquo Nous disons que sont les choses qui ne connaissent ni accroissement par extension ni

diminution par reacuteduction ni changement par variation mais qui toujours se maintiennent

dans le caractegravere de leur nature en srsquoappuyant sur leurs propres ressources Ce sont les

qualiteacutes les quantiteacutes les configurations les grandeurs les petitesses les eacutegaliteacutes les

relations les actes les dispositions les lieux les temps et tout ce que lrsquoon trouve uni de

quelque faccedilon aux corps ces ecirctres sont eux-mecircmes incorporels par nature tirant leur

particulariteacute du caractegravere immuable de leur substance mais en participant aux corps ils

connaissent le changement et par le contact drsquoun ecirctre changeant sont affecteacutes par la

mutation et le changement De ces ecirctres donc puisque comme on lrsquoa dit ils ont une

substance et un caractegravere immuables par nature on dit en toute veacuteriteacute et proprieacuteteacute du terme

700 laquo Nihilque aliud species esse putanda est nisi cogitatio collecta ex indiuiduorum dissimilium numero substantiali similitudine genus uero cogitatio collecta ex specierum similitudine raquo BOECE In Isagogen Porphyrii commenta eacuted S Brandt Vienne Leipzig 1906 (Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum 48) p 166 traduit par nos soins agrave lrsquoaide de la traduction drsquoAlain de Libera Voir A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 130-1 701 laquo Omnis enim res aut substantia est aut accidens aut universalis aut particularis raquo BOETHIUS In Categorias Aristotelis Commentaria eacuted PL 64 169D trad I Lystopad

267

qursquoils sont Crsquoest donc de ces ecirctres qui sont au sens propre et que lrsquoon appelle du terme qui

leur convient des essences que la sagesse propose la science702 raquo

Les onze laquo cateacutegories raquo citeacutees dans ce passage sont prises en tant qursquoessences tandis

qursquoAristote preacutesente seulement la premiegravere cateacutegorie comme substance (ousia) Nous consideacuterons

cela comme un teacutemoignage drsquoune influence de la meacutetaphysique neacuteoplatonicienne dont nous avons

parleacute plus haut Les neuf cateacutegories qui eacutetaient consideacutereacutees comme des accidents deviennent elles-

mecircmes des substances

Cette liste des onze laquo deacuteterminations raquo a eacuteteacute emprunteacutee agrave lrsquoArithmeacutetique de Nicomaque de

Geacuterase703 Etant neacuteopythagoricien ce philosophe a eacutecrit un livre qui est devenu un veacuteritable manuel

pour les eacutecoles neacuteoplatoniciennes Ces laquocateacutegories raquo existent en tant qursquoinchangeables ante rem et

elles srsquoadaptent aux choses auxquelles elles participent De cette faccedilon elles existent eacutegalement in

re

Ainsi Boegravece montre dans ces œuvres diffeacuterentes des solutions conceptualiste (cogitatio

collecta) et reacutealiste du problegraveme des universaux

Erigegravene introduit aussi les diffeacuterences les proprieacuteteacutes les accidents et les dix cateacutegories

drsquoAristote en preacutecisant que leurs notions sont leur substance elle-mecircme dans lrsquoesprit divine704 Cette

thegravese deacutemontre que lrsquoexistence intelligible est vraie contrairement agrave lrsquoexistence sensible Erigegravene

cite aussi le passage du De arithmetica de Boegravece analyseacute plus haut agrave propos des cateacutegories705

En deacutecrivant la deuxiegraveme forme de la nature Erigegravene introduit les causes primordiales (voir

le chapitre laquo La pluraliteacute des raisons dans le Verbe raquo) La cause de toutes causes est la Triniteacute Elle

contient les causes primordiales qui agrave son tour se multiplient jusqursquoagrave lrsquoinfini Voici ces causes

702 laquo Esse autem illa dicimus quae nec intentione crescunt nec retractione minuuntur nec uariationibus permutantur sed in propria semper vi suae se naturae subsidiis nixa custodiunt Haec autem sunt qualitates quantitates formae magnitudines paruitates aequalitates habitudines actus dispositiones loca tempora et quidquid adunatum quodammodo corporibus inuenitur quae ipsa quidem natura incorporea sunt et immutabili substantiae ratione uigentia participatione uero corporis permutantur et tactu uariabilis rei in uertibilem inconstantiam transeunt Haec igitur quoniam ut dictum est natura immutabilem substantiam uimque sortita sunt uere proprieque esse dicuntur Horum igitur id est quae sunt proprie quaeque suo nomine essentiae nominantur scientiam sapientia profitetur raquo BOECE De arithmetica I I eacuted J SCHILLING et H OOSTHOUT p 9 trad J-Y GUILLAUMIN p 6 703 J-Y GUILLAUMIN laquo Notes Complementaire raquo dans BOECE Institution arithmeacutetique eacuted et trad J-Y GUILLAUMIN Paris 1995 p 182 note 11 704 laquo N Quid ergo mirum si rerum notio quam mens humana possidet dum in ea creata est ipsarum rerum quarum notio est substantia intelligatur ad similitudinem uidelicet mentis diuinae in qua notio uniuersitatis conditae ipsius uniuersitatis incommutabilis substantia est Et quemadmodum notionem omnium quae in uniuersitate et intelliguntur et corporeo sensu percipiuntur substantiam dicimus eorum quae intellectui uel sensui succumbunt ita etiam notionem differentiarum ac proprietatum naturalium que accidentium ipsas differentias et proprietates et accidentia esse dicamus A Non mirum N Creata est igitur in eo irrationabilitas et omnes species omnis que differentia et proprietas ipsius irrationabilitatis et omnia quae circa eam naturaliter cognoscuntur quoniam horum omnium et similium notitia in ipso condita est Similium autem dixi propter illa quae extra animalia natura rerum continet ut sunt mundi elementa herbarum quoque lignorum que genera et species quantitates et qualitates caetera que per innumerabiles differentias multiplicata raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon IV eacuted JEAUNEAU p 41 = PL 122 769AB 705 Ibid IV eacuted JEAUNEAU p 42= PL 122 769CD

268

laquoCes causes primordiales [hellip] sont donc la Bonteacute en soi lrsquoEssence en soi la Vie en soi la

Sagesse en soi la Veacuteriteacute en soi lrsquoIntellect en soi la Raison en soi le Pouvoir en soi la

Justice en soi le Salut en soi la Grandeur en soi la Toute-Puissance en soi lrsquoEterniteacute en soi

la Paix en soi et toutes les autres puissances et toutes les autres causes primordiales que le

Pegravere a creacuteeacutees sous un mode synchronique et syntheacutetique dans le Fils706 raquo

Tout ce qui est bon existe agrave travers la participation au Bien en soi les essences et les

substances agrave travers lrsquoEtre en soi etc Toutes les proprieacuteteacutes (virtus) des choses existent agrave travers la

participation agrave ces causes primordiales707 Selon Erismann les causes primordiales sont les

universaux ante rem ou anteacuterieurs au multiple708

Le problegraveme des universaux est au cœur du deacutebat meacutetaphysique de la premiegravere moitieacute du

XIIe siegravecle tel qursquoil est vu par les chercheurs modernes Le deacuteveloppement du problegraveme des

universaux au XIIe siegravecle est souvent deacutecrit comme lrsquoopposition du laquo reacutealisme raquo et du

laquo nominalisme raquo Les doctrines des reacutealistes ont eacuteteacute reconstruites drsquoabord agrave partir des œuvres

drsquoAbeacutelard (la Logica Ingredientibus et lrsquoHistoria calamitatum) et identifieacutees gracircce notamment au

Metalogicon de Jean de Salisbury

Alain de Libera preacutecise la classification des eacutecoles du XIIe siegravecle agrave la lumiegravere des recherches

contemporaines Plusieurs sectes ont fait leur laquo profession de foi raquo des listes de postulats De

Libera prend comme point du deacutepart le Fons philosophiae de Godefroid de Saint-Victor qui divise

les sectes en cinq quatre sortes de Reales et les Nominales709 Les doctrines des universaux des

sectes nominalistes sont reacutesumeacutees par Alain de Libera en deux postulats laquo les universaux comme

les genres et les espegraveces sont des noms raquo et laquo rien nrsquoest en dehors du particulier raquo710 Les reacutealistes

706 laquo Sunt igitur primordiales causae [hellip] per se ipsam bonitas per se ipsam essentia per se ipsam uita per se ipsam sapientia per se ipsam ueritas per se ipsum intellectus per se ipsam ratio per se ipsam uirtus per se ipsam iustitia per se ipsam salus per se ipsam magnitudo per se ipsam omnipotentia per se ipsam aeternitas per se ipsam pax et omnes uirtutes et rationes quas semel et simul pater fecit in filio raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 125 = PL 122 616 C trad BERTIN t I-II p 419 ( trad modifieacutee I LYSTOPAD) 707 laquo Quaecunque enim bona sunt participatione per se boni bona sunt et quaecunque essentialiter et substantialiter subsistunt participatione ipsius per se ipsam essentiae subsistunt quaecunque uiuunt participatione per se ipsam uitae uitam possident Similiter quaecunque sapiunt et intelligunt et rationalia sunt participatione per se ipsam sapientiae et per se ipsam intelligentiae et per se ipsam rationis participatione sapiunt et intelligunt et ratiocinantur Eodem modo de caeteris dicendum Nulla siquidem uirtus siue generalis siue specialis in natura rerum inuenitur quae a primordialibus causis ineffabili participatione non procedat raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 125 = PL 122 616 C-617A 708 CHR ERISMANNlaquo Dialectique universaux et intellect chez Jean Scot Erigegravene raquo dans Intellect et imagination dans la philosophie meacutedieacutevale actes du XIe Congregraves international de philosophie meacutedieacutevale de la Socieacuteteacute internationale pour lrsquoeacutetude de la philosophie meacutedieacutevale (SIEPM) Porto du 26 au 31 aoucirct 2002 eacuted J MEIRINHOS et M C PACHECO Turnhout 2006 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale XI) p 832 709 Voir A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 132-3 Les doctrines de ces sectes ne sont pas restreintes par le problegraveme des universaux Voir agrave ces propos Y IWAKUMA laquo Twelfth-Century Nominales The Posthumous School of Peter Abelard raquo dans Vivarium t 30 1992 p 97-109 710 A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris p 138-9

269

soutiennent les postulats opposeacutes et la thegravese de Porphyre (Isagoge 6 laquo par participation agrave lrsquoespegravece

plusieurs hommes font un homme711 raquo)

Il est important de noter que la notion drsquouniversel est courante agrave lrsquoeacutepoque et que lrsquoexposeacute du

problegraveme des universaux srsquoappuie sur les Cateacutegories drsquoAristote (les notions de substance

drsquoaccident de quantiteacute de qualiteacute etc)

Nous avons vu comment la forma est deacutefinie dans les œuvres tardo-antiques et meacutedieacutevales

qui sont les sources directes drsquoAchard de Saint-Victor Drsquoabord elle integravegre diffeacuterents aspects des

doctrines de Platon et Aristote Ensuite dans la penseacutee platonicienne elle srsquoinscrit dans les

doctrines drsquoune source premiegravere intelligible et drsquoune hieacuterarchie des ecirctres

Nous avons aussi eacutetudieacute les notions qui sont proches de forma Augustin deacutecrit les espegraveces

qui sont dans les corps les espegraveces qui sont dans lrsquoesprit les penseacutees et les postulats vraies (vera)

Augustin et Boegravece placent les nombres parmi les principes de lrsquounivers Drsquoapregraves eux les nombres

sont relieacutes aux formes La discussion concernant le problegraveme des universaux est trop eacutelaboreacutee pour

ecirctre exposeacutee ici Pour notre eacutetude drsquoAchard il est important de noter que cette discussion se porte

sur les cateacutegories et qursquoelle comprend lrsquoexpression res universalis

VIII2 La forme chez Hugues de Saint-Victor

VIII21 Deacutefinition de la forme

Boyd Coolman a deacutejagrave effectueacute une eacutetude concernant la notion de forme chez Hugues de

Saint-Victor712 Il affirme que Hugues accepte la notion de forma en meacutelangeant deux doctrines

- la doctrine neacuteoplatonicienne des ideacutees dans lrsquoesprit divin

- la doctrine du laquo moule raquo qui se superpose sur un reacuteceptacle713

Dans ce chapitre nous allons veacuterifier cette deacutefinition et preacuteciser le contexte de lrsquoemploi de la

forma chez Hugues de Saint-Victor

Hugues utilise la notion de forma le plus souvent dans le contexte theacuteologique Par exemple

les deux eacutetapes de lrsquohistoire spirituelle selon Hugues ndash la creacuteation et la reacutedemption714 ndash sont

interpreacuteteacutees comme formation et reformation du monde et de lrsquohomme

711 Ibid p 150 712 Cf B T COOLMAN The theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 speacutecialement la partie I laquo Formation in Wisdom raquo p 31-78 713 Ibid p 16-17 714Lrsquoopus conditionis et lrsquoopus restaurationis Cf HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis Prologus II PL 176 183A Cf P SICARD Hugues de Saint-Victor et son eacutecole Turnhout 1991 p 92-6

270

Dans les Sententiae de divinitate Hugues parle de la forme dans le contexte de la creacuteation

Dans le Prologue il dit

laquo Lrsquoœuvre de la creacuteation est de faire ce qui nrsquoeacutetait pas ou de former ce qui eacutetait informe715 raquo

Dans la premiegravere partie Hugues dit que Dieu nrsquoa pas creacuteeacute le monde drsquoun coup mais

successivement pendant les six jours Drsquoabord il a fait exister ce qui nrsquoexistait pas et ensuite il a

perfectionneacute la creacuteature pour qursquoelle soit belle716 La deuxiegraveme eacutetape correspond agrave la formation de

la creacuteature De cette faccedilon la forme est ce qui rend la creacuteature belle Elle finalise la creacuteature717

Hugues appelle les ecirctres qui ont eacuteteacute creacuteeacutes au deacutebut informia et lrsquoeacutetat geacuteneacuteral du monde

lrsquoinformitatem rerum718 Hugues nrsquointerpregravete pas informitatem comme la privation totale de forme

mais comme un eacutetat drsquoimperfection de lrsquoecirctre par rapport agrave la beauteacute qursquoil aura apregraves lrsquoobtention de

cette forme Au deacutebut Dieu creacutea la matiegravere qui consistait en quatre eacuteleacutements719 De cette faccedilon la

matiegravere a deacutejagrave eu certaines formes Les autres formes sont ajouteacutees agrave cette matiegravere pour finaliser la

creacuteation Ainsi la forme est comprise comme superposeacutee agrave un reacuteceptacle

Dans la deuxiegraveme partie des Sententiae consacreacutee aux causes primordiales Hugues reprend

le terme forma La forme est ce qursquoun artisan a dans son esprit (animus) avant qursquoil creacutee une chose

Dieu conccediloit les formes des choses dans son esprit avant de creacuteer les choses dans le temps Dans

lrsquoesprit de Dieu (in mente divina) les formes sont les ideacutees les notions ou les causes primordiales

des choses Elles sont dans sa Sagesse et elles lui sont coeacuteternelles Elles sont les causes parce

qursquoelles font que les effets existent et elles sont primordiales car elles ne proviennent de rien720

715 laquo Opus conditionis est facere id quod non erat uel formare quod informe erat raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Prologus eacuted PIAZZONI p 920 233-234 trad I LYSTOPAD 716 laquo Noluit igitur Deus simul facere mundum sed successiue Noluit statim formatum facere sed primo produxit de non esse ad esse postea ad pulchrum esse raquo Ibid Pars 1 eacuted PIAZZONI p 928 24-26 717 Cf B T COOLMAN The theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 p 38-9 718 laquo Ut igitur timorem omni homini incuteret hoc modo Deus machinam suam construxit ut primo cuncta in statu bono sed non summo fabricaret ea scilicet informia creando de nichilo deinde ad summum produceret informitatem rerum ad formas et ordinem redigendo raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 1 eacuted PIAZZONI p 929 32-36 719 laquo Melius est ergo dicere materiam appellari informem non quia omni caruerit forma sed in cooperatione illius pulchritudinis quam modo habent Sed nunc uideamus cuiusmodi fuerit informitas illa que in materia mundi precessit pro quo modo qua ratione quo ordine ab illa informitate ad hanc pulchritudinem diuina operatio illam produxerit Sciendum quod primo Deus quatuor elementa creauit de nichilo tante quantitatis tante capacitatis ut nunc sunt licet non ad hunc ordinem redacta immo confusa sic tamen ut terra proprium locum obtineret quem modo habet id est medium et imum habens iam alueos quosdam in se id est futura receptacula id est aquarum raquo Ibid Pars 1 eacuted PIAZZONI p 930-1 100-110 720laquo Vt si quis uel arcam uel domum fabricare intendat antequam ad opus accedat omnem formam rei quam facturus est in animo suo depingit Eodem quoque modo in diuinis actibus contingit Deus enim antequam temporaliter operari inciperet more periti artificis ab eterno in sapientia sua que sibi coeterna est formas omnium creaturarum conceperat que quidem forme coeterne sunt ipsi sapientie et dicuntur rationes rerum in mente diuina uel idee uel notiones et he forme primordiales omnium rerum sunt que sic possunt describi primordiales cause sunt rationes rerum ab eterno in mente diuina constitute que quidem lsquocausersquo ideo dicuntur quia ab eis alia procedunt lsquoprimordialesrsquo uero quia prime sunt et uniuersaliter prime id est ita sunt cause quod ipse nullas habuere causas quia eterne sunt raquo Ibid Pars 2 eacuted PIAZZONI p 937 41-52 Cf laquo Que sapientia quando humiliat se ab eminentia diuinitatis declinat ut inferiora terrena scilicet disponat et gubernet uidetur quasi se ipsa inferior et infra diuinam naturam subsistere et ita licet forme ille

271

Les formes sont ainsi les prototypes des choses De cette faccedilon Hugues accepte lrsquoexemplarisme

drsquoAugustin

Dans le De sacramentis Hugues deacuteveloppe eacutegalement la doctrine de la creacuteation La matiegravere

des choses visibles et corporelles avait juste apregraves la creacuteation la forme de la confusion Ensuite

elle a eacuteteacute formeacutee pour avoir la disposition721 Le mot forma deacutesigne ici de maniegravere geacuteneacuterale les deux

eacutetats des ecirctres confusion (par rapport agrave son eacutetat final) et disposition Le chemin entre ces deux

formes a dureacute les six jours les trois premiers jours Dieu a ordonneacute les creacuteatures et les trois jours

suivants il les a orneacutes722

Hugues se sert de la notion de forme pour deacutevelopper la doctrine de la reacutedemption Dans le

Sententiae il explique que une fois creacuteeacute le monde contient en lui un exemple du chemin de

lrsquoinformiteacute vers la beauteacute suprecircme Un homme peut utiliser cet exemple afin de former sa vertu

Ainsi lrsquoeacutetat de lrsquohomme au deacutebut de son chemin spirituel est lrsquoinformitas uitiorum et il doit arriver

agrave la conformitas uirtutum723 Lrsquoinformitas dans ce contexte nrsquoimplique pas la privation totale de

forme mais la forme donneacutee lors de la creacuteation puis deacuteteacuterioreacutee par la chute Le but de lrsquohomme est

de restaurer sa forme et mecircme de faire en sorte que cette forme devienne meilleure qursquoavant la

chute (reformatio in melius)724 Drsquoapregraves Boyd Coolman la forma est une notion importante de

lrsquoanthropologie de Hugues Depuis sa creacuteation lrsquohomme possegravede une forme qui est sa laquo structure

divine raquo et son laquo essence raquo mais qui est susceptible de changer725

En outre Hugues utilise la notion de forma pour expliquer le changement des corps Il la

deacutefinit comme laquo la disposition des parties dans la totaliteacute raquo Le changement de la disposition des

parties change la forme drsquoune chose726

que in mente Dei primordiales cause dicuntur non sint aliud ab ipso Deo tamen infra Deum dicuntur subsistere raquo Ibid 63-66 721laquo Omnia quippe simul condita sunt quoniam uno et eodem tempore pariter coepisse credimus et visibilium omnium materiam et invisibilium naturam utramque informem secundum aliquid et utramque secundum aliquid formatam Sicut enim visibilium et corporalium omnium materia in exordio illo conditionis primariae et formam confusionis habuit et non habuit formam dispositionis donec postea formaretur et ordinem concederet ac dispositionem raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I V V PL 176 249B 722 B T COOLMAN The theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 p 39 723laquo Item quia Deus hominem uidit peccaturum et per peccatum cassurum ne tunc homo eum statum solum esse crederet et se ad ulteriorem gradum meliorem posse proficisci desperaret proposita est ei mundi machina quasi exemplar ut sicut diuina dispositio ab informitate prima ad summam redegit pulchritudinem sic diuina cooperante gratia ab informitate uitiorum homo posset reduci ad conformitatem uirtutum et his de causis neque simul neque statim formatus factus est mundus raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 1 eacuted PIAZZONI p 929 44-51 724 B T COOLMANThe theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 p 28 et 49 725 Ibid p 229-230 726 laquo Et non est forma aliquid omnino nisi dispositio partium in toto et cum haec mutatur (quia partes locum mutant) mutatur forma in toto quia dispositio partium mutatur quae est forma totius raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XV PL 176 221DE

272

VIII22 La sagesse de Dieu

Hugues emploie la notion de Sagesse dans des doctrines diffeacuterentes Dans le Didascalicon

la Sagesse deacutesigne une source qui permet agrave un homme drsquoecirctre illumineacute (connaicirctre la veacuteriteacute) Dans le

De sacramentis la Sagesse est un des trois attributs de Dieu qui est associeacute avec le Fils Elle

participe eacutegalement agrave la creacuteation du monde (le De tribus diebus) Nous allons deacutesormais examiner

srsquoil existe une connexion entre les formes et la Sagesse et si la Sagesse comprend plusieurs niveaux

Hugues reprend la doctrine que la Sagesse deacutesigne le Verbe de Dieu Elle est identique agrave

Dieu727 Les causes sont multiples dans la Sagesse Hugues ne dit pas explicitement que la Sagesse

contient des formes mais il donne des indications en faveur de cette doctrine Dans le Didascalicon

il deacuteclare que la forme du bien parfait est dans la Sagesse728 et que les choses sont formeacutees pour

ressembler agrave la Sagesse729 La philosophie est lrsquoamour de cette sagesse qui est lrsquoesprit vivant et la

seule raison des choses730

La Sagesse participe agrave la creacuteation du monde Dans le De tribus diebus Hugues eacutetablit

lrsquoordre suivant de la creacuteation (ordo conditionis) 731

Sapientia Dei Veritas

creatura rationalis imago veritatis

creatura corporea umbra imaginis

727 laquoQuod verbum Dei quod et Deus est verbum enim hominis non est homo sed verbum Dei Deus est Sicut verbum cordis cor est et de corde verbum exit et non est aliud verbum cordis quam ipsum cor sic verbum Dei aliud esse non potest quam Deus Sapientia est verbum cordis quae de corde nascitur et a corde non separatur Ipsum cor sapientia est et de corde ipso sapientia est et una sapientia cor et sapientia sua Sic Deus sapientia est et de ipso Deo sapientia est et est una sapientia Deus et sapientia sua Sapientia Dei verbum Dei est raquo HUGO DE SANCTO-VICTORE De Verbo incarnato coll II eacuted PL 176 318D Voir B T COOLMAN The theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 p 83-85 728 laquoOmnium expetendorum prima est sapientia in qua perfecti boni forma consistit raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Didascalicon I I ed BUTTIMER p 4 = PL 176 741B 729 laquo Diuina sapientia significatur que propterea nullius indigere dicitur quia nihil minus continet sed semel et simul omnia intuetur preterita presentia et futura Viuax mens idcirco appellatur quia quod semel in diuina fuerit ratione nulla umquam obliuione aboletur Primeua ratio rerum est quia ad eius similitudinem cuncta formata sunt raquo Ibid II I ed BUTTIMER p 23 = PL 176 751A 730 laquo Est autem philosophia amor et studium et amicitia quodammodo sapientie sapientie uero non huius que in ferramentis quibusdam et in aliqua fabrili scientia notitiaque uersatur sed illius sapientie que nullius indigens uiuax mens et sola rerum primaeua ratio est raquo Ibid I II ed BUTTIMER p 6-7 = PL 176 743A 731 laquo Ille ordo est cognitionis iste conditionis quia primum corporea creatura quae uisibilis est in cognitione occurrit deinde a corporea creatura ad incorpoream cognitio transit postremo uia inuestigationis aperta usque ad conditorem utriusque peruenit In conditione uero primo gradu ad imaginem Dei rationalis creatura facta est deinde creatura corporea ut creatura rationalis in ea foris agnosceret quid a creatore intus accepisset In sapientia Dei est ueritas in rationali creatura imago ueritatis in corporea creatura umbra imaginis Rationalis creatura facta est ad Dei sapientiam corporea creatura facta est ad rationalem creaturam Propter quod omnis motus et conuersio corporeae creaturae est ad rationalem creaturam et omnis motus et conuersio rationalis creaturae esse debet ad Dei sapientiam ut dum quodque suo semper superiori adheret per conuersionem nec primae conditionis ordinem nec primi exemplaris in se perturbet similitudinem Quisquis ergo uia inuestigationis de uisibilibus ad inuisibilia transit primum a corporea creatura ad rationalem creaturam deinde a rationali creatura ad considerationem sui creatoris mentis intuitum ducere debetraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XXV eacuted POIREL p 61 = PL 176 835A-C Cf Th LESIEUR laquo Raison et rationaliteacute chez Hugues de Saint-Victor raquo dans Lrsquoeacutecole de Saint-Victor de Paris Influence et rayonnement du Moyen Acircge agrave lrsquoEpoque moderne eacuted D POIREL Turnhout 2010 (Biblioteca Victorina XXII) p 393-4

273

La creacuteation a deux eacutetapes la creacuteation rationnelle et la creacuteation corporelle La sagesse de

Dieu est un acteur de la creacuteation la creacuteature rationnelle est faite selon elle Mais la Sagesse est

identique agrave Dieu elle nrsquoest pas creacuteeacutee Le retour des creacuteatures agrave son creacuteateur (conversio) va suivre

lrsquoordre inverse pour que chaque creacuteature (corporelle et rationnelle) rejoigne son prototype

(exemplar) La veacuteriteacute se deacutegrade en descendant du haut vers le bas Comme les ecirctres humains se

situent en bas lrsquoordre de la connaissance est lrsquoinverse de lrsquoordre de la creacuteation Des traces de Dieu

dans la creacuteature corporelle megravenent vers son image dans la creacuteature rationnelle et agrave la fin vers Dieu

lui-mecircme

Nous avons ainsi eacutetabli que la forme est relieacutee agrave la Sagesse La Sagesse est le prototype du

bien dans la creacuteature car elle contient la forme de tout ce qui est bon Elle contient aussi la veacuteriteacute qui

est le prototype des vera De cette faccedilon elle est le modegravele de la creacuteature Elle est increacuteeacutee et elle est

en haut dans la hieacuterarchie de la creacuteation Cependant Hugues ne deacuteveloppe pas vraiment la doctrine

de la multitude des formes Vu que la sagesse est identique agrave Dieu elle est homogegravene Elle ne se

multiplie pas

En deacutefinitive la notion de forma nrsquoest pas centrale chez Hugues de Saint-Victor Richard ne

lrsquoutilise quasiment jamais La deacutefinition hugonienne de forma a eacuteteacute prise des doctrines

aristoteacutelicienne (la structure qui se superpose sur un reacuteceptacle en le changeant) et platonicienne

(lrsquoideacutee le prototype intellectuel drsquoune chose mateacuterielle) Il semble qursquoHugues a aussi eacuteteacute influenceacute

par Augustin notamment par sa doctrine de la transformation de la nature humaine gracircce agrave Dieu et

par la doctrine de la conversion

La Sagesse de Dieu est la forme exemplaire La hieacuterarchie des ecirctres est preacutesente chez

Hugues mais ce nrsquoest pas la hieacuterarchie des formes

VIII3 Forma dans le De unitate drsquoAchard de Saint-Victor

La forme est lrsquoune des notions les plus freacutequemment utiliseacutees dans le De unitate La plus

grande partie de cette œuvre (I 43-II 15) est consacreacutee agrave lrsquoune des sortes de raisons premiegraveres

appeleacutees ici laquo raisons formelles raquo ou simplement laquo formes raquo

Cette doctrine a eacuteteacute deacutejagrave partiellement analyseacutee dans le chapitre VII laquo La pluraliteacute des

raisons dans le Verbe raquo Nous avons eacutetudieacute la raison formelle en tant que sorte des raisons

eacuteternelles et la forme premiegravere en tant que Verbe Certains problegravemes relatifs agrave la doctrine des

formes comme ceux des deux niveaux drsquoexistence des formes in intellectuin actu et la

correspondance entre les formes et le monde sensible seront traiteacutes dans les chapitres suivants

274

Examinons les cas drsquoemploi du mot forma et de ces deacuteriveacutes (formare ndash formatus ndash formatio

ndash formalis ndash formaliter) dans le De unitate

Selon les questions qui ont eacuteteacute poseacutees au deacutebut de ce chapitre nous allons eacutetudier (1) les

diffeacuterents aspects de la notion de forma (2) la hieacuterarchie des formes et (3) leur varieacuteteacute Nous allons

traiter eacutegalement (4) lrsquoemploi de forma dans le chapitre II 21 qui est diffeacuterent du reste du texte Il

est inteacuteressant de voir dans quelle mesure cette acception correspond agrave la doctrine de forma qui

ressortira des chapitres I 37 ndash II 16

VIII31Qursquoest-ce que la forme

La reacuteponse la plus courte agrave la question laquo qursquoest-ce que la forme raquo est laquo la raison formelle

drsquoune chose raquo (I 39 puis II 3) Lrsquoideacutee de la primauteacute de la forme par rapport agrave la chose est preacutesente

dans cette reacuteponse (mecircme srsquoil nrsquoest pas eacutevident tout de suite si cette primauteacute est ontologique ou

eacutepisteacutemologique732) Par conseacutequent cette deacutefinition semble ecirctre inscrite dans un cadre platonicien

la forme est un prototype drsquoune chose Pourtant les aspects du sens de forma peuvent varier agrave

lrsquointeacuterieur de cette deacutefinition Dans cette sous-partie les diffeacuterents sens de la notion de forma seront

eacutetudieacutes

Pour la premiegravere fois Achard parle de lrsquoexistence des raisons formelles aux deux niveaux

hic et ibi en I 39

laquo Autre est ce selon quoi agrave savoir la forme du livre que lrsquoesprit perccediloit soit qursquoelle ait eacuteteacute

conccedilue du dedans par une communication propre ou quelque reacuteveacutelation soit qursquoelle ltygt ait

eacuteteacute introduite du dehors par lrsquointermeacutediaire des sens corporels et agrave nouveau traduite agrave

lrsquoexteacuterieur dans la matiegravere corporelle par les instruments du corps afin qursquoelle soit lagrave aussi

corporellement ce qursquoelle est aupregraves de ltlrsquoespritgt et que ltcelui-cigt mecircme lorsqursquoil lrsquoa

eacutepancheacutee la retienne corporellement 733raquo

Ainsi Achard distingue les formes conccedilues par quelqursquoun et les formes dans la matiegravere

corporelle La perception a lieu quand les formes mateacuterielles sont conccedilues agrave travers les sens

corporels

732 La question si les formes sont premiegraveres dans la reacutealiteacute (ontologiquement) ou dans la connaissance (logiquement) sera poseacutee dans le chapitre IX laquo Intellectus raquo 733 laquo Aliud secundum quod id est forma libri quam intuetur animus vel ab intus propria ex communicatione sive aliqua revelatione conceptam vel a foris per corporis sensus introductam quam iterum per corporis instrumenta forinsecus in corporalem trajicit materiam ut et ibi sit corporaliter quod apud se et in se etiam cum effuderit eam retineat corporaliterraquo De unitate I 39 eacuted MARTINEAU p 108-109

275

En I 40 Achard traite de Jean I 3-4 Genegravese I 3 I 6 et I 10 de maniegravere agrave deacutevelopper la

doctrine des trois sortes de raisons Agrave propos du verset laquo ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie raquo (Jean I

3-4) il preacutecise qursquoil srsquoagit de laquo la forme intellectuelle de ce qui a eacuteteacute fait raquo ou de laquo la premiegravere

raison formelle de ce qui a eacuteteacute fait raquo Il nous semble qursquoil parle ici plutocirct de la forme unique de tout

ce qui a eacuteteacute creacuteeacute (comme la forme premiegravere qui est Verbe) Mais agrave la fin de ce chapitre il traite un

autre exemple de la Genegravese ougrave il interpregravete le verset laquo Que la lumiegravere soit raquo ou laquo Que le firmament

soit raquo (Gen I 3) en tant que laquo la forme de la chose agrave faire raquo (Gen I 6) Ici il srsquoagit de la creacuteation de

la chose particuliegravere (la lumiegravere) qui a une forme Les deux exemples preacutesenteacutes dans ce chapitre

servent agrave illustrer les diffeacuterents types de formes (la forme premiegravere unique de tout ce qui a eacuteteacute creacuteeacute

et les formes qui sont les prototypes des choses)

Un autre exemple de lrsquoemploi de la notion de forme (ou plutocirct les pronoms ipsa et quae qui

deacutesignent la forme) dans deux sens diffeacuterents est en II 2

laquo Elle est donc elle-mecircme le modegravele premier de tout et la forme premiegravere en laquelle

srsquoaccomplit la formation intellectuelle eacuteternelle des choses Quant agrave ltla formegt qui

provient drsquoelle ltelle se trouvegt actuellement dans ces choses mecircmes faites dans le

temps et par conseacutequent elle est aussi elle-mecircme faite temporelle ici-bas734 raquo

A la fin de ce mecircme chapitre drsquoautres arguments en faveur de lrsquoexistence de la forme

premiegravere sont preacutesents Rappelons

- selon lrsquoEcriture les creacuteatures ont eacuteteacute formeacutees drsquoabord in intellectu par Dieu comme les

formes eacutetant donneacute qursquoelles sont formeacutees il doit exister un prototype qui soit supeacuterieur

agrave elles crsquoest-agrave-dire forme premiegravere735

- tout a eacuteteacute formeacute par Dieu selon sa Sagesse qui est donc une forme premiegravere

Le premier argument renvoie au fameux argument du laquo troisiegraveme homme raquo si chaque

forme avait eacuteteacute formeacutee selon son propre modegravele ce modegravele aurait eu son propre modegravele et cela

aurait continueacute jusqursquoagrave lrsquoinfini736 Le deuxiegraveme permet de deacutecouvrir que la forme premiegravere en tant

734 laquo Ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna quae ex ipsa est actualiter in rebus ipsis temporaliter factis et ideo ipsa quoque hic facta temporalis raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140-141 Combes ainsi que Martineau (p 141 note 23) ont reacutemarqueacute cette acception A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p p 95 note 1 735 Rappelons notre explication proposeacutee auparavant laquo la forme premiegravere possegravede la nature plus haute que les formes si non elle ne pourrait pas ecirctre le modegravele premier (exemplar primum) et il y aurait dont lrsquoinfiniteacute des modegraveles pour chaque forme raquo voir II 2 laquo Oportet ergo ut et ibi secundum formam et exemplar aliquod facta sint et formata quod et superius eis sit et natura prius non solum ut hic sunt sed etiam ut ibi ltsicutgt suadet ratio alioquin et ipsum ibi formatum esset ipsumque jam exemplar habere aliud necesse esset nec exemplar primum esse posset sed nec aliquid vel hic vel ibi a Deo formari potuit quod non secundum rationem formaretur nec secundum aliam nisi secundum aeternam atque divinam id est secundum ipsam Dei sapientiam in qua et ipse fecit omnia antequam in se ipsis fierent per illam raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 140 736 Une source possible de lrsquoargument du troisiegraveme homme dans le De unitate est le Timeacutee de Platon trad par Calcidius

276

que Sagesse est en mecircme temps le modegravele premier et le milieu ougrave les formes ont eacuteteacute creacuteeacutees (laquo Tu as

tout fait dans la sagesse raquo Psaume CIII 24737)

Ainsi Achard utilise le mot laquo forma raquo en deux emplois la forme premiegravere et les formes des

choses Ces deux types de formes preacutecegravedent les choses et la forme premiegravere preacutecegravede les formes

creacuteeacutees

Les nuances de la signification de la notion de forma peuvent ecirctre distingueacutees agrave travers

lrsquoanalyse de lrsquoemploi du verbe formare Il signifie laquo mettre en forme raquo laquo former raquo laquo faccedilonner raquo

Envisageons comment Achard comprend le processus de laquo mettre en forme raquo Il existe deux sortes

drsquoobjets de ce processus des choses (I 19 39) ou des formes elles-mecircmes (II 2)

Les choses sont formeacutees par les raisons formelles et drsquoune certaine faccedilon selon les raisons

deacuteployantes (I 39) Elles sont formeacutees drsquoabord en Dieu intellectuellement et ensuite ici-bas en

acte Achard dit que en dehors des formes les choses possegravedent aussi une certaine matiegravere (les

essences simples informes I 43) et donc nous pouvons deacutecrire le processus de formare des

choses comme lrsquoimposition de forme au reacuteceptacle738

Une autre notion qui deacutecrit la relation des choses et des formes est la formatio En I 43

Achard dit que la formation active (formatio activa) de lrsquoessence est opposeacutee agrave sa simpliciteacute

naturelle qui est comprise comme la privation de toutes les formes Cela nous fait penser qursquoil

srsquoagit de la formation au sens de processus quand le composeacute de la forme et de lrsquoessence est creacuteeacute

Dans le chapitre II 2 Achard dit que la formation intellectuelle eacuteternelle des choses srsquoaccomplit

dans la forme premiegravere et il le redit dans le chapitre II 13

Un fragment du chapitre II 10 peut nous donner une cleacute pour comprendre la notion de

formatio

laquo Ainsi une bague neuve si lrsquoor en est ancien ne devient pas pour autant purement et

simplement ancienne dans une telle expression la veacutetusteacute est attribueacutee agrave la seule matiegravere

entrant dans ce compos lrsquoacte de la formation739 raquo

laquo Nunc utrum recte mundum unum dixerimus an plures dici oportuerit uel innumerabiles etiam considerandum Vnum plane quoniam iuxta exemplum formatus est id enim quod uniuersa continet intellegibilia cum alio secundum esse non poterat utrum enim ex duobus contineret omnia non opinor liqueret nec esset unum et simplex initium cuncta continens sed coniugatio copulata Vt igitur exemplari cuius aemulationem mutuabatur etiam in numero similis esset idcirco neque duo nec innumerabiles mundi sed unicus a deo factus est raquo CALCIDIUS Platonis Timaeus dans Commentaire au laquo Timeacutee raquo de Platon eacuted B BAKHOUCHE p 158-160= eacuted Estienne 31AB Cependant Achard fait la diffeacuterence au niveau de la terminologie entre lrsquoexemplum (copie) et lrsquoexemplar (modegravele) (voir I 43 du De unitate) tandis que pour Calcidius ces deux termes sont les synonymes (voir par exemple le passage citeacute) 737 De unitate II 2 eacuted MARTINEAU et la suite laquo ipsa autem facta non est vel formata ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna raquo p 140 738 Nous croyons que la description de lrsquoimpression des formes dans la matiegravere donneacutee par Paul Vincent Spade peut ecirctre reprise comme lrsquoeacutequivalent de la formation PV SPADE laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p 6 739 laquo Sic enim anulus novus si aurum est vetus non tamen simpliciter vetus in hac siquidem locutione vetustas soli attribuitur materiae in illa formatione raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 168-169 trad Modifieacutee par I LYSTOPAD

277

La formation des formes (toujours deacutesigneacutee par le verbe formare) srsquoaccomplit dans la forme

premiegravere et drsquoapregraves elle Crsquoest la Sagesse qui est sa raison eacuteternelle et divine le Verbe de Dieu et

son intellect (II 2) La creacuteation des formes se passe de la maniegravere suivante elles sont faites de rien

(ex nihilo) creacuteeacutees dans elles-mecircmes et formeacutees intellectuellement (II 2) Ce processus est compareacute

agrave la geacuteneacuteration du Fils740 Les formes ne sont faites de rien (ex nihilo) Dans ce cas il srsquoagit plutocirct

de la creacuteation pure et non de lrsquoimposition de forme au reacuteceptacle

En conseacutequence mecircme avant drsquoexposer sa doctrine de la hieacuterarchie des formes Achard se

rend compte que le mot forma peut avoir des emplois diffeacuterents la forme premiegravere la forme creacuteeacutee

la forme dans la matiegravere La forme premiegravere preacutecegravede les formes creacuteeacutees selon lrsquoexistence mais les

formes dans la matiegravere preacutecegravedent les formes creacuteeacutees selon lrsquoordre de la connaissance de lrsquohomme

La forme prise dans un contexte hieacuterarchique (forme premiegravere formes creacuteeacutees etc) deacutesigne

la cause drsquoune existence de lrsquoecirctre qui provient agrave partir drsquoelle La forme nrsquoest creacuteeacutee de rien comme

lrsquoideacutee dans lrsquointellect de Dieu mais ensuite elle est imposeacutee comme idos au reacuteceptacle dans le

monde sensible

VIII32 La hieacuterarchie des formes

Dans cette partie la doctrine drsquoAchard sur lrsquoordre des formes sera eacutetudieacutee Nous allons

montrer qursquoelle est deacuteveloppeacutee de maniegravere explicite mais aussi implicite

Dans le chapitre II 13 Achard eacutenumegravere les trois types de formes la forme premiegravere (qui est

le Verbe mecircme) les formes (qui sont formeacutees dans la forme premiegravere) et les formes qui sont dans

les choses (II 13) Il identifie les deux derniegraveres avec les ideae et les idos (cette distinction est

emprunteacutee agrave Seacutenegraveque ainsi que la maniegravere drsquoeacutecrire idos pour eidos)741 Lrsquoideacutee ou la forme du

deuxiegraveme type est selon Achard laquo la forme de la chose agrave faire raquo (forma faciendae rei) crsquoest-agrave-dire

la forme qui sert de modegravele de la chose tandis que lrsquoidos ougrave la forme du troisiegraveme type est laquo la

forme de chaque chose raquo (forma quidem cujusque rei) crsquoest-agrave-dire la forme reacutealiseacutee dans la

chose742 Crsquoest ainsi qursquoAchard attribue aux ideacutees lrsquoexistence comme intelligeacutees par lrsquoacircme (mens743)

ou par lrsquoesprit et aux idos lrsquoexistence mateacuterielle dans les œuvres

740 laquo Si quis autem quaerat utrum ibi sint per creationem numquid hoc verius per solam Filii generationem per quam et hic quoque sunt ibi sunt per ipsam creationem ltnedumgt tamen ibi facta sunt sed et dici possunt ibi antequam in seipsis creata et de nihilo facta et intellectualiter prorsus formatahellip raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140 741laquo Stoicis placet unam causam esse id quod facit Aristoteles putat causam tribus modis dici lsquoprima inquit causa est ipsa materia sine qua nihil potest effici secunda opifex tertia est forma quae unicuique operi imponitur tamquam statuaersquo nam hanc Aristoteles idos uocat lsquoQuarta quoque inquit his accedit propositum totius operisrsquoraquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LXV eacuted PRECHAC p 107 A ce propos voir I CAIAZZO laquo Sur la distinction seacuteneacutechienne ideaidos au XIIe siegravecle raquo dans Chora t 34 2006 p 99-100 et 104 742 laquo hellipin arte rem faciendi videtur et forma faciendae rei et forma quidem cujusque rei raquo De unitate II 13 eacuted MARTINEAU p 172-173

278

laquo Or la forme premiegravere est veacuteritablement et absolument coeacuteternelle immuable et comme on

lrsquoa dit elle est non seulement dans le Verbe de Dieu mais le Verbe de Dieu lui-mecircme Pour

la forme seconde en revanche si elle est qualifieacutee drsquoeacuteternelle et drsquoimmuable comme on lrsquoa

montreacute plus haut ce nrsquoest pourtant pas agrave cause de sa substance mais uniquement agrave cause de

son mode drsquoexister crsquoest-agrave-dire drsquoecirctre intelligeacutee lagrave-bas ltdegraves lorsgt elle nrsquoest point le Verbe

lui-mecircme mais elle est agrave partir du Verbe quoique non encore en acte Quant agrave la forme

troisiegraveme elle nrsquoest absolument pas dans le Verbe et elle est temporelle et variable elle est

telle selon sa substance ce que nrsquoest pas la premiegravere et selon son mode drsquoexistence ce que

ne sont ni la premiegravere ni la seconde La premiegravere cependant convient avec la seconde dans

un certain mode drsquoexistence mais elle diffegravere de la troisiegraveme et dans la substance et dans le

mode de subsistance La seconde quant agrave elle convient avec la premiegravere comme on lrsquoa dit

dans le mode mais elle en diffegravere dans la substance tandis qursquoelle convient avec la

troisiegraveme dans la substance mais en diffegravere dans le mode La seconde en effet nrsquoest rien

drsquoautre que la forme telle dans lrsquointellect qursquoelle est en acte mais non pas dans le mecircme

eacutetat744 raquo

Agrave partir de cela les statuts de chacun des trois types de formes sont plus ou moins clairs La

forme premiegravere et la forme seconde ont le mecircme mode drsquoexistence qui est diffeacuterent de celui de la

troisiegraveme Nous croyons qursquoil srsquoagit des modes drsquoexistence in intellectu (la forme premiegravere et

seconde) et in actu (la forme troisiegraveme) La substance de la forme premiegravere nrsquoest pas la mecircme que

la seconde et la troisiegraveme Achard ne preacutecise pas de quelle substance il srsquoagit Pourtant nous

supposons que la substance de la forme premiegravere est divine car elle est le Verbe de Dieu De ce fait

la substance des formes seconde et troisiegraveme est diffeacuterente de celle-lagrave (voir agrave ce propos le chapitre

VII313 laquo Lrsquoincarnation et la doctrine des formes raquo de notre recherche)

De cette maniegravere Achard utilise la Bible pour eacutetablir la doctrine selon laquelle la forme

premiegravere est la deuxiegraveme personne de la Triniteacute crsquoest-agrave-dire le Fils ou la Sagesse de Dieu ou son

Verbe Les formes creacuteeacutees sont dans cette premiegravere forme in intellectu et dans le monde in actu

743 La mens dans le De unitate peut deacutesigner lrsquoacircme humaine mais aussi lrsquointelligence divine voir le chapitre IXlaquo Intellectus raquo 744 laquo Et est prima vere prorsus coaeterna non mutabilis et ut dictum est non modo in Dei verbo sed et ipsum Dei verbum Secunda autem si nominatur aeterna et immutabilis ut supra ostendimus non tamen propter substantiam sed solum propter ibi existendi id est intelligendi modum nec est verbum ipsum sed ex verbo quamvis nondum ltin actugt Tertia vero omnino est ltnongt in verbo et est temporalis et variabilis id est secundum substantiam quemadmodum non prima et secundum existendi modum quod nec prima nec secunda Tamen ltcongtvenit prima cum secunda in quodam existendi modo a tertia autem differt et in substantia et in modo subsistendi Secunda vero cum prima convenit ut dictum est dans Modo sed differt in substantia e converso autem cum tertia convenit in substantia sed in modo differt Secunda namque non est aliud nisi forma talis in intellectu qualis in actu sed non taliter raquo De unitate II 13 eacuted MARTINEAU p 172-173

279

Lrsquoorigine philosophique de cette doctrine est eacutegalement eacutevoqueacutee par Achard elle provient des

textes de Platon agrave travers Seacutenegraveque et Augustin745

En deacutecrivant la forme premiegravere dans le chapitre II 14 Achard dit qursquoelle est laquo non ltcertesgt

informe mais suprecircmement formelle (belle) quoique non formeacutee746 raquo Donc par rapport agrave la forme

et son reacuteceptacle il existe trois eacutetats possibles ecirctre formeacutee (formata) informe (informis) et

suprecircmement formelle (summe formosa)

Lrsquoadjectif informis apparaicirct dans le De unitate trois fois 1) dans les choses il y a des

essences simples informes (I 43) 2) la forme premiegravere nrsquoest pas informe (II 14) 3) la nature

nrsquoavait pas de forme avant la gracircce de la creacuteation (II 21 ad naturam informem formandam)

laquo Informe raquo deacutesigne ainsi quelque chose qui nrsquoa pas sa propre forme

Lrsquoadjectif formata est le participe passeacute du verbe formare et en tant que tel il est employeacute

souvent dans le De unitate Il qualifie le reacuteceptacle qui a deacutejagrave reccedilu sa forme ou la forme qui a eacuteteacute

creacuteeacutee intellectuellement Il y a eacutegalement drsquoautres participes passeacutes qui servent agrave deacutecrire les formes

facta et creata

Apregraves avoir eacutetabli lrsquoordre des formes en II 13-15 Achard applique lrsquoexpression laquo ce qui a

eacuteteacute fait en lui eacutetait vie raquo (Jean 1 4) afin de preacuteciser le statut des formes La forme premiegravere nrsquoest ni

facta ni formata en elle-mecircme (II 13) mais elle est summe formosa (suprecircmement formelle belle)

(II 14) Par ailleurs cette premiegravere forme peut ecirctre conccedilue comme faite et formeacutee en acte crsquoest-agrave-

dire dans les choses (II 13)

Par rapport aux formes qui sont de la forme premiegravere Achard affirme en II 2

laquo Ils747 sont lagrave-bas par la creacuteation mecircme mais loin drsquoavoir eacuteteacute faits lten actegt lagrave-bas on

peut dire que lagrave-bas avant drsquoecirctre en eux-mecircmes ils ont eacuteteacute lsquocreacuteeacutesrsquo ltau sens degt faits de

rien crsquoest-agrave-dire bel et bien formeacutes intellectuellement748 raquo

Dans le chapitre II 5 il dit que les formes des choses sont non creacuteeacutees (increatae) en elles-

mecircmes et creacuteeacutees dans les choses sujettes (II 5) En ce qui concerne les idos Achard nrsquoexamine pas

srsquoils sont faits ou creacuteeacutes

En deacutefinitive formata facta et creata srsquoapplique aux formes ainsi qursquoaux choses Pourtant

il faut toujours preacuteciser la modaliteacute de ces notions (dans lrsquointellect ou en acte) qui est deacutependante

745 Voir le chapitre II 12 du De unitate eacuted MARTINEAU p 170-171 Martineau preacutecise qursquoil srsquoagit des Lettres LVIII et LXV de Seacutenegraveque et de De diversis quaestionibus 83 qu 46 drsquoAugustin 746 laquo Hic formata quae ibi non informis sed summe formosa non tamen formata raquo De unitate II 14 eacuted MARTINEAU p 174-175 747 En deacutecrivant les raisons eacuteternelles des choses ou des formes Achard parle souvent au neutre (facta creata formata) ce qui est traduit en franccedilais au masculin 748 laquo Ibi sunt per ipsam creationem ltnedumgt tamen ibi facta sunt sed et dici possunt ibi antequam in seipsis creata et de nihilo facta et intellectualiter prorsus formata raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140-41

280

drsquoun sujet auquel elle srsquoapplique La forme premiegravere en elle-mecircme nrsquoest ni faite ni creacuteeacutee ni formeacutee

mais dans les choses sujettes elle est conccedilue comme telle Les formes sont formeacutees creacuteeacutees et faites

de rien dans le Verbe de Dieu qui est la forme premiegravere intellectuellement mais elles sont formeacutees

creacuteeacutees et faites dans les choses (dans la matiegravere) en acte Les choses sont formeacutees faites et creacuteeacutees in

actu ici-bas mais elles sont conccedilues comme les formes dans lrsquointellect

Lrsquoadjectif formosa est utiliseacute une seule fois dans lrsquoexpression forma formosa (II 14) Cet

adjectif provient originellement du mot forma et signifie proprement laquo fait au moule raquo par suite

laquo bien fait beau raquo Dans le De unitate Achard emploie une fois lrsquoexpression Forma summe

formosa (II 14) que Martineau traduit comme laquo suprecircmement formelle raquo laquo belle raquo et Feiss comme

ldquosupreme formal beautyrdquo Normalement nous devons traduire laquo formosa raquo par laquo belle raquo en gardant

lrsquoideacutee de forme De plus les trois adjectifs employeacutes dans cette phrase (informis formata formosa)

eacutevoquent un ordre de lrsquoeacutetat de la forme et que formosa correspond agrave lrsquoeacutetat le plus haut qui deacutepasse

formata

En outre Achard introduit la doctrine de la hieacuterarchie des formes lors de la description des

sortes diffeacuterentes des formes Voici sa description des vertus et des beacuteatitudes qui sont eacutegalement

parmi les formes des choses

laquo Or les vertus des creacuteatures que les saints reccediloivent par gracircce sont des participations de ces

vertus premiegraveres et suprecircmes qui sont toutes en Dieu et tout entiegraveres et en mecircme temps et

toujours et toutes ne sont substantiellement lagrave-bas qursquoune seule vertu et elle-mecircme nrsquoest

rien drsquoautre que Dieu mecircme de mecircme les beacuteatitudes des creacuteatures ne sont rien sinon des

deacuterivations de la beacuteatitude suprecircme qui est en Dieu et qui est Dieu et les unes et les autres

ne sont rien drsquoautre que des connexions de la creacuteature rationnelle au Creacuteateur comme de

lrsquoimage а lrsquoUniteacute qui elles-mecircmes paraissent ecirctre des images de cette connexion suprecircme

qui est entre les personnes de la Triniteacute749raquo

Voici une interpreacutetation de sa doctrine des vertus et des beacuteatitudes dans la lumiegravere de la

doctrine de la hieacuterarchie des formes eacuteternelles

749 laquo Virtutes autem creaturarum quas per gratiam accipiunt ltsanctigt quaedam sunt illarum quae in Deo omnes et totae et simul et semper sunt virtutum primarum et summarui participationes quae omnes substantialiter ibi una sunt virtus nec ipsa aliud nisi ipse Deus Item creaturarum beatitudines nonnisi beatitudinis summae quae in Deo et Deus est quaedam sunt derivationes et utraeque non aliud sunt nisi creaturae rationalis ad creatorem suum tanquam imaginis ad unitatem connexiones raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144

281

Les vertus

una virtus ipse Deus

virtutes primae et summae omnes substantialiter ibi una

sunt virtus

virtutes autem creaturarum quas per gratiam accipiunt

ltsanctigt

participationes virtutum

primarum et summarum

Les beacuteatitudes

beatitudo summa in Deo et Deus est

creaturarum beatitudines derivationes beatitudinis summae

Ainsi les vertus ont le mecircme ordre hieacuterarchique que les formes (la Vertu ndash la forme

premiegravere les formes creacuteeacutees ndash les vertus premiegraveres et suprecircmes les vertus accepteacutees des creacuteatures ndash

les formes dans les choses) Les vertus des saints participent aux vertus premiegraveres et les vertus

premiegraveres sont substantiellement une Vertu Les beacuteatitudes par contre nrsquoont que deux

niveaux exprimeacutes la beacuteatitude suprecircme et les beacuteatitudes des creacuteatures Les derniegraveres deacuterivent

directement de la premiegravere

Les nombres sont aussi parmi les formes Ils sont donc de deux sortes intelligibles et

nombrables (posteacuterieurs) ndash ce qui correspond agrave deux niveaux meacutetaphysiques lagrave-bas et ici Achard

compare les nombres aux formes

laquo Mais peut-ecirctre bien que lrsquoon peut intelliger agrave propos des nombres tout comme agrave propos

des formes des choses qursquoils sont les mecircmes dans les raisons ou en eux-mecircmes crsquoest-agrave-dire

invariables increacuteeacutes eacuteternels veacuteritables et premiers ou plutocirct la veacuteriteacute mecircme un principe et

une cause des nombres posteacuterieurs mais que dans les creacuteatures et les choses sujettes

conformeacutement agrave la qualiteacute et agrave la nature de celles-ci ils sont variables creacuteeacutes et temporels

nrsquoeacutetant alors que des simulacres et des traces de la veacuteriteacute et des effets de la cause

principale750 raquo

750 laquoForsitan vero ut de rerum formis sic intelligi potest et de numeris quia ipsi idem in rationibus sive in se ipsis ltingtvariabiles sunt increati aeterni veri et primi vel potius veritas ipsa atque principium quoddam causaque posteriorum in creaturis vero et rebus subjectis pro rerum earundem qualitate atque natura variabiles creati temporales simulacra et vestigia veritatis effectusque causae principalis raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152-3

282

Par conseacutequent les nombres existent aussi aux deux niveaux ndash celui de raisons et celui des

choses Achard ajoute que parmi les nombres intelligibles il y a eacutegalement les proportions des

nombres qui sont les connexions des nombres Voici le scheacutema de la hieacuterarchie des nombres

numeri intellectuales primi proportiones numerorum =

connexiones numerorum

in Dei sapientia

numeri numerabiles proportiones rerum inferiores

Ainsi il srsquoagit de lrsquoordre hieacuterarchique la Sagesse de Dieu les nombres intellectuels (y

compris leurs proportions) et les nombres nombrables

Il est finalement eacutetabli que les sortes diffeacuterentes de raisons formelles ont leur hieacuterarchie qui

est dans la plupart des cas celle des trois niveaux la forme premiegravere (la Sagesse ou le Verbe) les

formes creacuteeacutees et les formes imprimeacutees dans la matiegravere La forme premiegravere (le Verbe) est

suprecircmement formelle donc elle nrsquoest pas creacuteeacutee comme les autres formes Les formes sont creacuteeacutees

ex nihilo dans lrsquointellect de Dieu (elles sont formeacutees in intellectu) et elles sont formeacutees in actu en

tant qursquoidos agrave travers lrsquoimpression agrave la matiegravere

Le mecircme scheacutema tripartite srsquoapplique aux vertus et aux nombres (ceux-ci sont eacutegalement

dans la Sagesse de Dieu ensuite il y a les nombres premiers et les nombres nombrables dans les

choses) Les beacuteatitudes des creacuteatures sont les deacuteriveacutees de la beacuteatitude suprecircme qui est en Dieu De

cette faccedilon elles sont eacutegalement distinctes selon les niveaux et pourtant leur hieacuterarchie consiste en

deux termes exprimeacutes et non trois

VIII33 La varieacuteteacute des formes

La premiegravere preacutesentation de la doctrine des formes en I 39 creacutee une impression qursquoil existe

une seule forme pour une seule chose ou qursquoil srsquoagit drsquoune certaine forme individuelle Mais Achard

ne le dit pas Au contraire il deacutecrit plusieurs uniteacutes intelligibles qui sont formes ou qui existent

parmi les raisons mais qui sont susceptibles de se multiplier et drsquoecirctre dans les plusieurs choses

Deacutesormais nous allons les eacutetudier

1) Comme nous venons de le dire les nombres font partie des raisons eacuteternelles

2) Une autre sorte de formes est deacutefinie en II 5 Cependant Achard en parle avant En I 45

il dit

283

laquo Lagrave-bas cependant sont distinctes les formes non seulement substantielles mais aussi

accidentelles non seulement geacuteneacuteriques mais speacutecifiques eacutetant eacutegalement telles dans les

accidents Parmi les formes substantielles en outre ltil y agt non seulement les formes

communes mais aussi les formes singuliegraveres751 raquo

Les formes substantielles (geacuteneacuteriques speacutecifiques et singuliegraveres) et accidentelles sont

deacutecrites En II 3 Achard parle de la distinction des raisons eacuteternelles

laquo Et en effet lagrave-bas sont neacutecessairement sous leurs raisons propres non pas seulement les

genres des choses et tous leurs espaces mais aussi les individus et non seulement les touts

mais les parties bien qursquoelles soient infinies dans une chose mecircme unique et tout ce qui est

substantiel et accidentel et dans les accidents tant les quantiteacutes que les qualiteacutes etc 752 raquo

Nous proposons le classement suivant

- Les substances

bull les individus les ecirctres singuliers et leurs parties

bull les genres et les espegraveces

- les accidents quantiteacutes qualiteacutes etc

- les vertus et les beacuteatitudes753

De cette faccedilon Achard reprend les divisions principales de lrsquoontologie

aristoteacutelicienne (Cateacutegories 1a 20ndash1b9) celle de la substance et des accidents et celles de la

substance particuliegravere et universelle A ces sortes de raisons il ajoute les vertus et les beacuteatitudes qui

sont dans les creacuteatures

En II 5 Achard preacutesente des formes qui servent agrave concevoir les choses sensibles

laquo Et aux raisons formelles et eacuteternelles des choses se rapportent eacutegalement semble-t-il

toutes celles dans lesquelles les choses sont vues ou peuvent ecirctre vues agrave savoir les espegraveces

des choses ou leurs quantiteacutes ou leurs natures ou leurs figures ou leurs relations ou leurs

mouvements ou quoi que ce soit qui est dans les choses et peut ecirctre veacuteritablement compris

751 laquoDistinctae autem sunt ibi formae non solum substantiales sed accidentales non modo generales sed speciales in accidentibus quoque tales In substantialibus quoque non solum communes sed et singularesraquo eacuted MARTINEAU De unitate I 45 p 116-117 752 laquo Etenim ibi sunt necessario sub rationibus suis non modo rerum genera et species universae sed et individua nec modo tota sed et partes licet sint infinitae in re et una et ea quae ltsuntgt substantialia et accidentalia et in accidentibus tam quantitates quam qualitates et ltcaeteragt universaliter omnia raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-145 753 laquoNec tantum certe creaturarum et naturarum ltsed etgt virtutum et beatitudinum distinctae sunt ratione raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144

284

en elles or assureacutement tout cela ne peut lrsquoecirctre que dans leurs raisons et leurs veacuteriteacutes

lesquelles doivent ecirctre immuables pour qursquoagrave partir drsquoelles mecircme des choses muables soit

eacutegalement prise une connaissance ineacutebranlable754raquo

Ainsi en II 5 Achard reacutepegravete certaines formes qui ont eacuteteacute deacutejagrave mentionneacutee avant (les

espegraveces les quantiteacutes les natures755) Le fait qursquoil parle des quantiteacutes et des relations fait penser aux

dix cateacutegories drsquoAristote Il appelle ces raisons formelles laquo celles dans lesquelles les choses sont

vues raquo

3) Et puis dans le chapitre II 7 Achard distingue deux classes de formes des choses

laquo Mais aux raisons formelles des choses il faut enseigner que se rapportent non seulement

celles dans lesquelles les choses sont connues mais aussi celles agrave partir desquelles elles sont

connues crsquoest-agrave-dire agrave partir desquelles il est deacutemontreacute que relativement agrave la deacutemonstration

drsquoune chose mecircme unique et pour prouver agrave son sujet mecircme une seule veacuteriteacute peuvent

converger des raisons innombrables Ainsi pour montrer par exemple drsquoune ligne qursquoelle

nrsquoest pas constitueacutee de points drsquoune surface qursquoelle nrsquoest pas constitueacutee de lignes ou drsquoun

volume (corpus) qursquoil nrsquoest pas constitueacute de surfaces nous intelligeons alors des points

des lignes des surfaces incorporels tels que les conccediloit ou les deacutefinit la raison qui ne

peuvent jamais tomber sous le sens ou lrsquoimagination mais subsistent dans la seule

compreacutehensibiliteacute de la raison ou de lrsquointellect Or peut-ecirctre bien qursquoils ne sont rien drsquoautre

que certaines mesures et formes intelligibles des longueurs et des largeurs qui sont dans les

corps de mecircme que ces corps mecircmes qursquoon appelle matheacutematiques et qui sont deacutetermineacutes

drsquoapregraves la puissance et les raisons des nombres semblent nrsquoecirctre rien drsquoautre que certaines

formes intelligibles des corps sensibles qui sont ou peuvent ecirctre en acte ou certaines raisons

des nombres gracircce auxquels se constitue une science concernant ltces corpsgt ltEtgt bien que

ce soit lagrave-bas dans les nombres intellectuels et premiers que nous deacutecouvrons de

nombreuses ltproprieacuteteacutesgt de ce genre qui ltse trouventgt dans les nombres infeacuterieurs la

matiegravere des corps pour ainsi dire infimes ne paraicirct pas elle non plus moins capable de les

recevoir756 raquo

754 laquo Ad formales quoque rerum rationes aeternas spectare videntur omnes illae in quibus videntur et videri possunt sive rerum species sive rerum quantitates sive naturae sive figurae sive relationes sive motus sive alia quaelibet quae in rebus sunt et vere comprehendi possunt quod utique non possunt etiam nisi in rationibus et veritatibus suis quas incommutabiles esse oportet ut ita ex eis et irrefragibilis capiatur mutabilium etiam rerum cognitio raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152-153 755 Les substances 756 laquo Ad formales autem rerum rationes non solum pertinere tradendae sunt illae in quibus res agnoscuntur sed et illae ex quibus agnoscuntur id est ex quibus demonstratur quod circa unius quoque ltreigt demonstrationem ad unam et de re

285

Ce sont des formes (1) laquo dans lesquelles les choses sont connues raquo et (2) laquo agrave partir

desquelles elles sont connues raquo La premiegravere sorte de formes a eacuteteacute deacutejagrave exposeacutee en II 5 La

deuxiegraveme sorte aide lrsquointellect et la raison agrave comprendre les choses corporelles Crsquoest gracircce agrave eux

que la raison ou lrsquointellect voit certaines choses comme unies (les lignes les surfaces les corps

matheacutematiques) Voici la description de ces formes vues par lrsquointellect par rapport agrave leur

laquo porteurs raquo perccedilus par le sens ou lrsquoimagination

illae ex quibus

agnoscuntur

formae intelligibiles puncti lineae superficies corpora

longitudo latitudo corpora mathematica

ratio intellectus

corpora sensibilia sensus

imaginatio

Ainsi il y a les formes des points des lignes des surfaces incorporelles des volumes des

longueurs des largeurs et des corps matheacutematiques qui sont parmi les nombres intellectuels et

premiers et qui peuvent ecirctre conccedilus par la raison ou lrsquointellect

4) Achard consacre le chapitre II 8 aux universaux Voici la question qursquoil pose

laquo Mais comment les choses universelles sont-elles dans les raisons eacuteternelles des choses

Ont-elles elles-mecircmes lagrave-bas leurs raisons et leurs formes supeacuterieures drsquoapregraves lesquelles

elles seraient formeacutees lagrave-bas intellectuellement et ici en acte de mecircme que sont formeacutees

drsquoapregraves elles les choses sujettes Ou bien est-ce que les formes premiegraveres des choses sont

elles-mecircmes immuables et eacuteternelles en soi et infuseacutees temporellement et par participation

aux choses formeacutees drsquoapregraves elles La question nrsquoest pas mince ni facile agrave trancher pour

nous actuellement757 raquo

illa veritatem comprobandam confluere possunt innumerabiles Ut circa lineam gratia exempli ltquiagt punctis non constat vel superficiem quia ipsa nec ex lineis vel corpus quia nec ipsum ex superficiebus ltpunctosgt autem ltvelgt lineas vel superficies intelligimus incorporales quales eas concipit vel definit ratio quae ad sensum vel imaginationem nunquam venire possunt sed in sola rationis vel intellectus comprehensibilitate subsistunt quae forsitan aliud non sunt nisi mensurae quaedam et formae intelligibiles earum quae in corporibus sunt longitudinum atque latitudinum veluti et corpora ipsa quae appellantur mathematica quae determinantur secundum vim et rationes numerorum aliud esse non videntur nisi formae quaedam intelligibiles eorum quae actu sunt vel esse possunt corporum sensibilium vel rationes quaedam numerorum per quas de illis doctrina constituitur Quamvis ibi in numeris intellectualibus et primis multa reperiantur circa hujusmodi quae in numeris inferioribus materiacutea ipsa corporum quasi infir[r]morum et minus capax non videtur posse suscipere raquo De unitate II 7 Eacuted MARTINEAU p 158-159 757 laquo Res vero universales qualiter sint in aeternis rerum rationibus utrumne scilicet ipsae suas habeant ibi rationes et formas superiores secundum quas et ipsae ibi sint intellectualiter formatae et hic actu ipso quemadmodum et secundum eas res formantur subjectae an et ipsae formae sint rerum primae incommutabiles in se et aeternae sed rebus secundum eas formatis ex tempore per participationem infusae quaestio est non modica nec a nobis nunc facile definienda raquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 160-161

286

Achard propose deux hypothegraveses Voici la premiegravere

rationes et formas superiores formatio ibi

res universales formatio hic

res subjectae

Il existe trois termes les formes supeacuterieures les choses universelles et les choses sujettes

Les choses universelles sont formeacutees drsquoapregraves les formes supeacuterieures et les choses sujettes sont

formeacutees drsquoapregraves les choses universelles La formation des choses sujettes agrave partir des choses

universelles imite la formation des choses universelles agrave partir des formes supeacuterieures

La deuxiegraveme hypothegravese

ipsae formae rerum primae

incommutabiles

ibi

infusae rebus per participationem hic

res formatae

Il existe deux termes les choses universelles (qui elles-mecircmes sont les formes) et les choses

sujettes Dans ce cas il nrsquoy a qursquoune seule formation les formes ndash les choses

Afin de reacutepondre Achard donne plusieurs citations drsquoAugustin et de Seacutenegraveque Rappelons

ces exemples

- lrsquoacircme juste drsquoapregraves laquelle les acircmes sont formeacutees

- la raison drsquoun corps carreacute drsquoapregraves laquelle les corps sont jugeacutes ndash la forme geacuteneacuterique des

corps carreacutes

- lrsquohomme commun

Voici sa conclusion

laquo Il est donc raisonnable qursquoil existe aussi et invariablement mecircme par rapport aux choses

sujettes certaines choses universelles agrave quelque degreacute que les choses elles-mecircmes varient

sous cette chose ltuniversellegt758 raquo

758 laquo Res etiam quaslibet et universales circa res quoque subjectas consistere invariabiles videtur ratio quantumcumque res ipsae varientur sub re raquo De unitate II 8 Ed MARTINEAU p 160-161

287

Or cette phrase ne reacutepond pas agrave la question initiale car Achard affirme que les choses

universelles existent mais il ne dit pas comment elles existent Dans les exemples proposeacutes les

uniteacutes existent agrave deux niveaux

1) dans les formes eacuteternelles lrsquoacircme la forme geacuteneacuterique drsquoun corps carreacute lrsquohomme

2) dans les choses creacuteeacutees les acircmes les corps carreacutes les hommes

Cette division correspond agrave la deuxiegraveme hypothegravese proposeacutee au deacutebut par Achard

Achard discerne aussi deux types drsquouniversaux 1) ceux qui peuvent srsquoadapter agrave la taille de

chaque chose (comme le carreacute est la forme geacuteneacuterique de tous les carreacutes) et 2) ceux qui subsistent

identiques en acte (laquo nature raquo laquo chose raquo etc)

Achard souligne que les noms que nous donnons aux universaux deacutesignent les universaux

pris dans leurs participations ici et non dans leur existence lagrave-bas De cette faccedilon Achard signale

qursquoil soutient la doctrine des platoniciens chreacutetiens concernant lrsquoimpossibiliteacute de parler proprement

de Dieu et du monde supeacuterieur759

5) Les eacutenonceacutes vrais (vera) agrave propos de Dieu et des creacuteatures sont lagrave-bas intellectuellement

comme les formes et ici conccedilus par nous Les justifications de ces deux types drsquoeacutenonceacutes (agrave propos

de Dieu et agrave propos des creacuteatures) sont diffeacuterentes La veacuteriteacute des premiegraveres se justifie par rapport au

fait que Dieu est bon Voici comment Achard justifie la veacuteriteacute des deuxiegravemes

laquo Or de mecircme qursquoici ltces jugements vraisgt reacutesident dans des connexions de choses de

mecircme lagrave-bas ils reacutesident dans certaines connexions de raisons ou de veacuteriteacutes des mecircmes

choses lesquelles connexions de raisons ou de veacuteriteacutes sont elles-mecircmes des formes et des

veacuteriteacutes de ces connexions qui sont dans les choses Cest pourquoi les ltjugementsgt qui

ailleurs sont seulement vrais lagrave-bas sont non seulement tels mais encore les veacuteriteacutes elles-

mecircmes et cest agrave ce titre quils sont dits vrais760 raquo

Voici la reacutecapitulation

ibi connexiones rationum sive veritatum =

formae et veritates connexionum earum quae

in rebus

veritas

hic in connexionibus rerum verum

759 Concernant lrsquoimpossibiliteacute de parler de Dieu voir L VALENTE Logique et theacuteologie Les eacutecoles parisiennes entre 1150 et 1220 Paris 2008 448 p 47-58 760 laquo Ut autem hic sunt in connexionibus rerum ita et ibi in connexionibus quibusdam rationum sive veritatum earundem rerum quae et ipsae connexiones rationum sive veritatum formae quaedam sunt et veritates earum quae in rebus sunt connexionum Et ideo quae alibi sunt solum vera ibi non solum sunt ita sed et veritates ipsae raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166

288

Les eacutenonceacutes vrais (vera) sont prononceacutes ici agrave propos des connexions des choses et lagrave-bas

elles sont comme les veacuteriteacutes et les formes mecircmes des connexions des choses Ainsi les connexions

des raisons lagrave-bas sont elles-mecircmes aussi des formes dont la valeur seacutemantique consiste en le fait

drsquoecirctre vraie (la veacuteriteacute)

En deacutefinitive les nombres les individus les substances et les accidents les vertus les

beacuteatitudes celles dans lesquelles les choses sont vues (les cateacutegories) celles agrave partir desquelles les

choses sont vues (les objets matheacutematiques) les universaux les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu et agrave

propos des creacuteatures sont parmi les formes des choses

Cette varieacuteteacute des formes montre qursquoAchard reprend aussi lrsquoaspect conceptuel de la forme La

forme pour lui est ce qursquoil est possible de connaicirctre agrave propos drsquoune chose En mecircme temps il ne dit

pas qursquoil existe une seule forme qui est agrave lrsquoorigine drsquoune seule chose Il deacutecrit la forme singuliegravere et

un individu qui est parmi les formes Pourtant il parle eacutegalement de beaucoup des formes qui

servent agrave former une chose Ces formes (genres espegraveces corps matheacutematiques etc) sont nommeacutees

et peuvent ecirctre deacutefinies Elles sont universelles contrairement agrave une forme singuliegravere Achard

nrsquoexplique pas clairement ce qursquoest une forme singuliegravere ni quel est son rapport aux formes

universelles

VIII34 Forma dans le chapitre II 21

En II 21 Achard introduit la notion de forma dans un contexte diffeacuterent Il quitte la

recherche meacutetaphysique pour srsquoimmerger dans des meacuteditations theacuteologiques proches de celles des

Sermons Il faut remarquer que le chapitre II 21 ne ressemble pas stylistiquement aux chapitres

preacuteceacutedents (bien qursquoici certains aspects des causes originelles soient expliqueacutees donc

theacutematiquement II 21 est relieacute aux II 16-20) nous le classifierions plutocirct comme une digression

spirituelle par rapport au plan du traiteacute Deacutesormais nous allons eacutetudier la notion de forma seulement

dans le cadre de ce chapitre

Lagrave Achard parle des trois laquo riviegraveres de gracircces raquo celle de la creacuteation de la reacutedemption et de

la justification des anges761 auxquelles il ajoute une quatriegraveme ndash laquo la collation de ces bienfaits

temporels que Dieu manifeste mecircme aux meacutechants raquo762 Dans la suite il ne se reacutefegravere plus agrave la

761 Dans les Sermons Achard deacutecrit la maniegravere triple dont la creacuteature spirituelle participe agrave son creacuteateur selon la creacuteation selon la justification et selon la beacuteatification qui correspondent aux trois reacutegions de la ressemblance selon la nature selon la gracircce et selon la gloire (Sermon IX 4-6) La premiegravere reacutegion deacutenote les biens donneacutes agrave lrsquohomme avant la chute la deuxiegraveme pendant la reacutedemption et la troisiegraveme ceux qui seront donneacutes apregraves la reacutesurrection 762 laquo Cujus bonitas cum in se sit una ex ea tamen sola sed distributionibus variis et quasi derivationibus multifluis omnia profluunt et proveniunt in creaturis gratuita bona et dona tanquam a fonte uno rivuli innumerabiles qui tamen magna ex parte in principales duos atque generales colliguntur et confluunt fluvios quorum alter in mundi creatione alter ltin hominumgt fluxit redemptioneraquo laquo Praeter haec autem duo quasi gratiarum fluenta duo quoque videntur esse

289

quatriegraveme laquo gracircce raquo mais aux trois premiegraveres et il emploie la notion de forme dans le contexte de

la reacutedemption

laquo Mais la seconde crsquoest-а-dire la gracircce de la reacutedemption et de la justification humaine non

seulement est anteacuterieure au bon meacuterite mais encore posteacuterieure au mauvais meacuterite ltElle

est destineacuteegt non seulement agrave confeacuterer le bon meacuterite mais encore agrave supprimer et deacutetruire le

mauvais meacuterite et non seulement agrave former la nature informe mais encore agrave reacuteformer la

nature difforme et elle fut propre non seulement agrave reconduire les hommes de la terre au ciel

mais encore agrave conduire Dieu du ciel sur la terre ltcelagt non seulement pour que lrsquoesclave

reccedilucirct la forme de Dieu mais encore pour que Dieu pricirct la forme drsquoun esclave (Philippiens

II 6-7)763 raquo

La reacutedemption est le reacutesultat du sacrifice de Jeacutesus qui donne agrave lrsquohomme la possibiliteacute drsquoecirctre

sauveacute Cette gracircce change la nature humaine voilagrave pourquoi elle srsquoappelle aussi laquo la justification

humaine raquo

Dans cet extrait il srsquoagit de deux meacuterites le bon et le mauvais Le bon meacuterite est ce que

lrsquohomme a meacuteriteacute par ces bonnes actions appuyeacutees sur la gracircce le mauvais meacuterite ce que lrsquohomme

a fait de mauvais apregraves la chute La reacutedemption donne la gracircce agrave lrsquohomme ce qui lui permet de

laquo cumuler raquo son bon meacuterite Elle deacutetruit eacutegalement le mauvais meacuterite

La notion de nature informe et difforme a eacuteteacute eacutegalement utiliseacutee dans le Sermon XIII Selon

la version de lrsquohistoire spirituelle proposeacutee par Achard la laquo nature informe raquo (lrsquoeacutetat humain naturel)

a eacuteteacute formeacutee pendant la creacuteation quand elle a reccedilu la gracircce puis elle a eacuteteacute deacuteformeacutee agrave cause du

peacutecheacute originel mais la reacutedemption du Christ lui a permis drsquoecirctre laquo reacuteformeacutee raquo Donc il srsquoagit lagrave de la

formation de la nature humaine pendant la creacuteation et de sa reacuteformation pendant la reacutedemption764

Ainsi la nature informe a eacuteteacute formeacutee pendant la creacuteation apregraves elle a eacuteteacute deacuteformeacutee par le

peacutecheacute et deacutesormais elle va ecirctre reacuteformeacutee

Pour comprendre la deuxiegraveme partie du passage drsquoAchard il faut se reacutefeacuterer au texte de

Philippiens II 6-7 et faire attention au fait que dans la phrase laquo Dieu pricirct la forme drsquoun esclave raquo

il srsquoagit du Christ La ligne citeacutee deacutecrit lrsquoIncarnation laquo La forme de Dieu raquo et laquo la forme drsquoun alia quacuteamvis fortasse minora alterum videlicet superius in angelorum justificatione alterum inferius in temporalium quae malis etiam exhibet beneficiorum Dei collationeraquo De unitate II 21 eacuted E MARTINEAU p 194-195 763 laquo Illa vero id est gratia redemptionis et justificationis humanae non modo fuit ante meritum bonum sed et post meritum malum non modo ad bonum meritum conferendum sed ad malum meritum tollendum atque delendum nec modo ad naturam informem formandam sed et ad deformem reformandam nec modo ad id valuit ut homines in caelum a terra perduceret sed et ad id ut ltDeumgt in terram a caelo adduceret non modo ad id ut servus formam Dei reciperet sed ad id ut Deus servi formam acciperet raquo De unitate II 21 eacuted E MARTINEAU p 196-197 764 La formation et la reacuteformation de lrsquohomme au cours de la creacuteation et ensuite par lrsquoarriveacutee de Jesus Christ a eacuteteacute deacutecrit dans le Sermon XIII drsquoAchard Voir notamment lrsquoexposeacute de ce sermon fait par Jean Chacirctillon dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted JCHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age XVII) p 133

290

esclave raquo correspondent selon la doctrine chreacutetienne aux deux natures du Christ divine et

humaine Selon les Sermons il existe deux types de formes celles qui ont eacuteteacute reccedilues gracircce agrave la

creacuteation et celles qui ont eacuteteacute reccedilues gracircce agrave la reacutedemption Lrsquoexpression laquo lrsquoesclave reccedilut la forme

de Dieu raquo deacutesigne la reacuteception de la forme de Dieu qui a eacuteteacute donneacutee agrave lrsquohomme lors de la

reacutedemption

La signification de laquo Dieu pricirct la forme drsquoun esclave raquo est montreacutee plus bas dans la suite du

De unitate

laquo Non seulement pour que lrsquohomme devicircnt juste gracircce agrave Dieu mais encore pour que Dieu

justifiant lui-mecircme devicircnt homme et non seulement pour que Dieu justifiant et la justice

elle-mecircme devicircnt un homme juste mais aussi pour que lt1rsquohommegt fucirct justifieacute crsquoest-agrave-dire

rendu juste mais non pas de non juste qursquoil eacutetait ltrendugt non pas juste par soi-mecircme mais

agrave partir de Dieu lrsquoassumant crsquoest-agrave-dire juste non pas agrave partir de la nature de lrsquohomme mais

par la seule gracircce de Dieu ltfaitgt non seulement un homme non juste par soi mais encore

un homme en soi infirme crsquoest-agrave-dire un homme passible et mortel et mecircme mourant et

mourant non seulement de la mort la plus amegravere mais encore de la mort la plus

honteuse765 raquo

Ainsi il srsquoagit de lrsquoaction de la nature divine de se former Le Christ assume la deuxiegraveme

nature ndash humaine ndash et il la rend juste De cette faccedilon il forme sa nature divine et il reacuteforme la nature

de lrsquohomme Ainsi laquo Dieu pricirct la forme drsquoun esclave raquo nrsquoest pas la mecircme chose que laquo lrsquoesclave

reccedilut la forme de Dieu raquo puisque Dieu srsquoest formeacute et lrsquohomme a eacuteteacute reacuteformeacute

Par conseacutequent dans cette ligne biblique citeacutee par Achard il srsquoagit de la gracircce de

reacutedemption qui permet aux hommes de reacuteformer leur nature corrompue par le peacutecheacute originel gracircce agrave

Dieu qui descend du ciel sur la terre en prenant la forme drsquoun esclave Par rapport agrave la doctrine de la

forme cela nous donne lrsquoimage de la forme donneacutee chaque fois par la gracircce soit pour former la

nature humaine informe soit pour reacuteformer la nature deacuteformeacutee Les expressions laquo la forme de

Dieu raquo et laquo la forme drsquoun esclave raquo y eacutevoquent les deux natures du Christ qui srsquounirent de telle

maniegravere que la premiegravere domine

Dans ce mecircme chapitre Achard deacutecrit aussi la forme de la nature (donneacutee ici gratuitement)

et la forme de la justice (faite lagrave-bas gratuitement) qui sont plus excellentes et qui correspondent aux

gracircces de la creacuteation du monde et de la justification des anges (celle de la reacutedemption)

765 laquo Non modo ad id ut homo fieret ex Deo justus sed et ad id ut homo fieret et ipse justificans Deus nec modo ad id ut Deus justificans et ipsa justitia homo fieret justus sed et ut justificatus id est factus justus non de non justo [sed] non justus a seipso sed et ex assumente Deo id est justus non ex ipsa hominis natura sed justus ex sola gratia Dei nec modo homo non a se justus sed et homo in se infirmus id est homo passibilis atque mortalis sed et moriens nec morte amarissima sed morte turpissima raquo De unitate II 21 eacuted MARTINEAU p 196-197

291

Bien que ces textes ne nous permettent pas drsquoexpliquer en deacutetail la notion de forma dans ce

contexte il est possible de remarquer qursquoelle est prise comme pouvant ecirctre imposeacutee agrave un certain

reacuteceptacle Il srsquoagit de lrsquoobtention de la nouvelle forme avec chaque gracircce creacuteatrice reacutedemptrice

justificatrice766 qui srsquoimpose sur le substrat preacutesent ndash la nature humaine dans lrsquoeacutetat correspondant

aux gracircces preacuteceacutedentes

La notion de forma comme elle est introduite dans le chapitre II 21 nrsquoest pas la mecircme que

celle des chapitres preacuteceacutedents Lagrave il srsquoagit plutocirct des reacutealiteacutes spirituelles communes agrave toute

lrsquohumaniteacute mais qui ont eacuteteacute eacutetablies au moment de la creacuteation et qui changent avec la reacutesurrection

du Christ Comme les formes des chapitres I 37 ndash II 20 la forme de II 21 descend du haut (le Ciel)

vers le bas (la Terre) Contrairement agrave la notion de forma deacutecrite preacuteceacutedemment le fait drsquoecirctre

imposeacutee agrave un reacuteceptacle est essentiel pour la notion de forma du chapitre II 21

Pour conclure nous proposons la visualisation de la doctrine de forme dans le De unitate

Forma prima ibi

Formae secundae

Formae tertiae (idos) hic

La pluraliteacute des formes creacuteeacutees est dans la forme premiegravere Les formes creacuteeacutees sont dans le

monde sensible

Il est possible de remarquer la preacutesence de deux maniegraveres de deacutefinir la forme dans le De

unitate La premiegravere est la deacutefinition de la forme en tant que raison eacuteternelle (une cause) drsquoune

chose qui preacutecegravede cette chose Cela correspond agrave la doctrine de la hieacuterarchie des formes deacutecrite plus

haut Cette deacutefinition suit la tradition platonicienne dans laquelle forma est comprise comme la

cause de lrsquoexistence drsquoune chose

La deuxiegraveme deacutefinition de la forme est lrsquouniteacute intelligible qui srsquoimpose au reacuteceptacle en lui

donnant ces qualiteacutes (II 21 voir aussi la formatio) La forme srsquoimprime soit dans la matiegravere (II 13)

soit dans une autre forme (II 21) La forme est comprise ici comme la partie drsquoun composeacute ce qui

766 Selon lrsquointerpreacutetation des Sermons donneacutee par Chacirctillon Achard y opegravere par les deux notions la matiegravere et la forme La premiegravere srsquoapplique agrave la gracircce (qui dans ce cas caracteacuterise lrsquoeacutetat naturel de lrsquohomme apregraves la Creacuteation et la Reacutedemption) et la deuxiegraveme agrave la justification Voir J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Eacutetudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 218-219

292

correspond agrave la tradition aristoteacutelicienne La doctrine de la forme du chapitre II 21 semble ecirctre un

deacuteveloppement de la doctrine drsquoAugustin (De Trinitate XV VIII 14)

De plus comme la cause formelle drsquoAristote la forme drsquoAchard reacuteunit tout ce qursquoil est

possible de savoir agrave propos de ce qursquoest la chose Achard parle briegravevement de la relation entre la

perception humaine et la forme (I 39) La forme est une reacutealiteacute objective qui peut ecirctre perccedilue par

lrsquohomme et imprimeacutee dans la matiegravere Augustin a deacutejagrave enseigneacute cela agrave propos des espegraveces (De

Trinitate XI IX 16)

La fusion de la doctrine platonicienne des ideacutees et la doctrine aristoteacutelicienne des cateacutegories

se manifeste dans la notion de forma des auteurs tardo-antiques en particulier chez Seacutenegraveque et

Augustin Hugues de Saint-Victor accepte cette deacutefinition de forma et pourtant il ne la met pas

comme Achard au centre de sa doctrine

La hieacuterarchie des formes est preacutesente dans le De unitate La theacuteorie principale de la forma

selon Achard consiste en une division en trois types (la forme premiegravere les formes creacuteeacutees et les

idos) Achard souligne les connexions entre les diffeacuterents types de forme (les idos proviennent des

formes creacuteeacutees la forme premiegravere contient les formes creacuteeacutees et les idos de maniegravere agrave leur ecirctre eacutegale)

mais il construit aussi la doctrine de la forme premiegravere en tant que Verbe de Dieu

Les eacuteleacutements principaux du scheacutema neacuteoplatonicien tels que la source unique (la forme

premiegravere) les degreacutes de procession (les trois types de formes) et la pluraliteacute en bas (les choses) sont

preacutesents Rappelons que la structure des raisons causales767 ressemble agrave celle des raisons

formelles768 sauf le troisiegraveme niveau (les idos)

La hieacuterarchie proposeacutee par Achard rappelle celle eacutetablie par des auteurs tardo-antiques

chreacutetiens Augustin Boegravece et Erigegravene Comme eux Achard unit le principe premier (la forme) et

Dieu et il ne prend pas non plus la matiegravere en tant qursquoun niveau de la hieacuterarchie Contrairement agrave

eux Hugues de Saint-Victor ne deacuteveloppe pas la doctrine expresse du Verbe de Dieu qui contient

les causes multiples

Nous avons deacutecouvert les uniteacutes intelligibles qursquoAchard met au niveau des formes qui sont

- les nombres

- les individus et leurs parties

- les substances et les accidents

- les vertus et les beacuteatitudes

- ce en quoi les choses sont vues (les cateacutegories)

- ce agrave partir de quoi les choses sont vues (les objets matheacutematiques)

- les universaux

- les eacutenonceacutes vrais (vera) agrave propos de Dieu et agrave propos des creacuteatures 767 La raison de Dieu et les causes rationnelles 768 La premiegravere forme les formeacutes creacuteeacutees les idos

293

En ce qui concerne le problegraveme des universaux Achard est sucircrement reacutealiste Cependant il

ne srsquoagit pas pour lui de deacutefendre la thegravese reacutealiste mais plutocirct drsquoillustrer que les universaux sont des

formes qui sont agrave lrsquoorigine des choses

Par contre Achard ne deacutefinit pas clairement ce qursquoest une forme singuliegravere Srsquoil nrsquoemployait

pas cette notion une fois (en I 45) on pourrait dire que les formes singuliegraveres nrsquoexistent pas dans sa

doctrine Les individus sont au niveau des formes mais ils ne sont pas forceacutement des formes Nous

allons revenir sur cette question dans les chapitres suivants

Nous avons deacutejagrave deacutemontreacute que les uniteacutes intelligibles qursquoAchard range parmi les formes ont

leur origine chez Augustin (vera) et Boegravece (les concepts des Cateacutegories la res universalis) Lrsquoideacutee

que les universaux srsquoadaptent agrave des objets diffeacuterents a son origine dans le De arithmetica de Boegravece

(1 1 1-2)

En deacutefinitive Achard a pris plusieurs eacuteleacutements des doctrines tardo-antiques pour creacuteer sa

doctrine de la forme Lrsquoanalyse de cette doctrine chez Hugues a montreacute qursquoil a eacuteteacute inspireacute par les

mecircmes doctrines qursquoAchard mais Achard est alleacute plus loin dans la construction drsquoune doctrine

propre inspireacutee par platonisme

294

CHAPITRE IX

Intellectus (in intellectuin actu)

Le couple in intellectuin actu deacutesigne chez Achard les deux niveaux des entiteacutes creacuteeacutees

dans lrsquointellect de Dieu et dans le monde Ce couple in intellectuin actu deacutesigne eacutegalement les

relations entre les diffeacuterents niveaux des ecirctres la forme premiegravere et les formes creacuteeacutees les formes

creacuteeacutees et les choses

Voici les questions qui seront poseacutees concernant le couple terminologique in intellectuin

actu

1) Quelle est la nature de cette distinction est-elle eacutepisteacutemologique ou ontologique

2) Comment la multitude des formes et des choses peut-elle provenir drsquoune forme

premiegravere

3) Est-ce que les ecirctres in intellectu et in actu sont identiques

IX 1 Lrsquoorigine de la doctrine du De unitate

IX11 Lrsquoorigine de la distinction in intellectuin actu

Nous allons eacutetudier lrsquoorigine des termes intellectus et actus surtout dans les cas ougrave ils

apparaissent ensemble mais aussi les autres couples terminologiques destineacutees agrave expliquer la

diffeacuterence entre les ecirctres sensibles et leurs prototypes intelligibles

Voyons deacutesormais lrsquoorigine de la deacutesignation intellectus Ce terme deacutesigne en premier lieu

la faculteacute cognitive Il sert en tant que variante de la traduction du nous grec769 Voici quelques

exemples de la structure des faculteacutes cognitives chez les penseurs tardo-antiques

La structure de lrsquoacircme selon Augustin770

mens spiritus sensus

ratio intelligere imaginatio percipere

769 A DE LIBERA laquo Intellectus raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 587 770 Le tableau est tireacute du C NADEAU Le vocabulaire de saint Augustin Paris 2001 p 47-48 et construit agrave partir du De diversis quaestionibus 83 qu7 de lrsquoEpist 145 du De Ordine II 11 30 et du Serm 43 II drsquoAugustin

295

Les faculteacutes mentales chez Calcidius Erigegravene et Boegravece771

Calcidius

Commentarium 231

335

mens intellectus sensus

Boegravece De consolatione

V 12-18

ratio imaginatio sensus

Erigegravene Periphyseon I

eacuted Jeauneau p 71 = PL

122 578A-D

intellectus ratio sensus

Ainsi pour Calcidius et Erigegravene lrsquointellectus deacutesigne un des aspects de la faculteacute mentale

La deuxiegraveme signification du mot lrsquointellectus est celui de concept772 La notion drsquointellectus

dans le contexte meacutedieacuteval est lieacutee agrave la doctrine seacutemiotique aristoteacutelico-boeacutecienne773 Lrsquoorigine de

cette doctrine se trouve dans le De interpretatione 16a drsquoAristote Dans son commentaire In De

interpretatione I Boegravece discerne les eacuteleacutements suivants (1) les sons et les lettres (2) les

intellections ou les passions de lrsquoacircme (intellectus quos animae passiones vocat) et (3) les choses774

Les intellections drsquoapregraves Boegravece sont les passions de lrsquoacircme une eacutetape intermeacutediaire entre les choses

et les sons775 Ces passions sont similaires aux choses qui influencent lrsquoacircme776 De cette faccedilon la

notion drsquointellectus dans les commentaires de Boegravece deacutesigne lrsquouniteacute intelligible ndash les empreintes des

choses dans lrsquoacircme

771 B BAKHOUCHE laquo Boegravece et le Timeacutee raquo dans Boegravece Ou la Chaicircne Des Savoirs Actes Du Colloque International de la Fondation Singer-Polignac Paris 8-12 Juin 1999 eacuted A GALONNIER Louvain 2003 p 17 Beacuteatrice Bakhouche pense que Boegravece connaissait les œuvres du Calcidius ibid p 21 772 C PANACCIO laquo Conceptus raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 248-249 773 Cf A DE LIBERA I ROSIER laquo La penseacutee linguistique meacutedieacuteval raquo dans Histoire des ideacutees linguistiques eacuted S AUROUX t II Liegravege 1992 p 122 LVALENTE Logique et theacuteologie Les eacutecoles parisiennes entre 1150 et 1220 Paris 2008 448 p 36-45 774 laquo Nec vero in hoc constitit ut de solis vocibus atque intellectibus loqueretur sed quoniam voces atque litteras non esse naturaliter constitutas per id significavit quod eas non apud omnes easdem esse proposuit rursus intellectus quos animae passiones vocat per hoc esse naturales ostendit quod apud omnes idem sint a quibus id est intellectibus ad res transitum fecit raquo BOETHIUS In librum Aristotelis Peri hermeneias commentarii (editio secunda) eacuted C Meiser Leipzig 1880 p 39 = PL 64 412B 775 Voir agrave propos du triangle seacutemantique boeacutecien T SUTO Boethious on Mind Grammar and Logic A study of Boethiusrsquo Commentaries on Peri Hermeneias Leiden-Boston 2012 p 31-34 L VALENTE Logique et theacuteologie Les eacutecoles parisiennes entre 1150 et 1220 Paris 2008 p 42-45 776 laquo Intellectus uero animae quaedam passio est Nisi enim quandam similitudinem rei quam quis intellegit in animae ratione patiatur nullus est intellectus Cum enim uideo orbem uel quadratum figuram eius mente concipio et eius mihi similitudo in animae ratione formatur patiturque anima rei intellectae similitudinem unde fit ut intellectu et similitudo sit rei et animae passio raquo BOETHIUS In librum Aristotelis Peri hermeneias commentarii prima editio eacuted C Meiser Leipzig 1877 p 37 = PL 64 297BC

296

Boegravece transmet eacutegalement les dichotomies qui comprennent la notion drsquoactus actus et

intellectus (In Categorias Aristotelis) actus et potestas (In Porphyrii Isagogen commentorum editio

secunda) Dans le De arithmetica Boegravece oppose les eacutetats potentia et actu vel opere Lrsquouniteacute est

potentia par rapport aux nombres et figures qui sont actu vel opere (I XXI II VIII etc) Cet

emploi correspond sucircrement agrave la dichotomie en ergocircen dunami drsquoAristote (Physique II 193b)

Dans le chapitre laquo Le Verbe et les raisons raquo nous avons deacutecrit lrsquoorigine de la doctrine du

Verbe de Dieu en tant que sa Sagesse Le Verbe contient les raisons eacuteternelles avant mecircme qursquoelles

soient creacuteeacutees dans le monde sensible Lrsquoune des conseacutequences de cette relation est que les raisons

sont dans le Verbe de Dieu car elles sont connues par lui

Lrsquoideacutee que Dieu connaicirct la creacuteature avant sa creacuteation et aussi que les creacuteatures existent car

Dieu les connaicirct apparaicirct dans la penseacutee latine drsquoabord chez Augustin (De Trinitate XV XIII 22

De Genesi ad litteram V XIII 29)777 et ensuite dans le Peripsyseon de Jean Scot Erigegravene

laquo Dieu ne connaicirct pas les existants parce que les existants subsistent mais au contraire les

existants subsistent parce que Dieu les connaicirct Car la connaissance divine constitue la cause

de lrsquoecirctre mecircme des existants778 raquo Les ecirctres en Dieu sont diffeacuterents de ceux dans le monde Cette diffeacuterence apparaicirct dans le

couple terminologique drsquoAugustin in artein opere (In Iohannis Evangelium tr I 17)

laquo Il y a et ce coffre qui a eacuteteacute fabriqueacute dans lrsquoœuvre (in opere) et ce coffre qui demeure et

existe dans lrsquoart (in arte) car le premier peut pourrir mais agrave partir du celui qui existe dans

lrsquoart un autre peut encore ecirctre fabriqueacute Distinguez donc le coffre dans lrsquoart et le coffre dans

lrsquoœuvre Le coffre dans lrsquoœuvre nrsquoest pas vie le coffre dans lrsquoart est vie car lrsquoacircme de

lrsquoouvrier est vivante qui renferme tout cela dans son ideacutee avant de le produire au-dehors De

mecircme donc fregraveres tregraves chers parce que la Sagesse de Dieu par qui tout a eacuteteacute fait contient

selon lrsquoart tous les ecirctres avant de les creacuteer il srsquoensuit que tout ce qui est reacutealiseacute par le moyen

de cet art nrsquoest pas vie du fait mecircme mais que tout ce qui a eacuteteacute fait est vie en lui Tu vois la

terre il y a aussi une terre dans lrsquoart tu vois le ciel il y a aussi un ciel dans lrsquoart tu vois le

777 J-C BARDOUT O BOULNOIS laquo Introduction lrsquoinvention du monde raquo dans Sur la science divine textes preacutesenteacutes et traduits sous la direction de J-C BARDOUT et O BOULNOIS Paris 2002 p 25 note 1 778 laquo Non enim ideo deus scit ea quae sunt quia subsistunt sed ideo subsistunt quia ea deus scit Eorum enim essentiae causa est diuina scientia raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 97 = PL 122 596B trad BERTIN t I-II p 386

297

soleil et la lune ils existent aussi dans lrsquoart mais dans leur reacutealiteacute exteacuterieure (foris) ce sont

des corps dans lrsquoart ils sont vie779 raquo

Drsquoapregraves le traducteur drsquoAugustin Goulven Madec le Verbe est la forme premiegravere et lrsquoart de

Dieu780 Ainsi in arte deacutesigne lrsquoecirctre dans la Sagesse ou dans la forme premiegravere Les qualiteacutes de cet

eacutetat (in arte) sont lrsquoeacuteterniteacute et lrsquoimmutabiliteacute Les entiteacutes in arte sont les modegraveles des choses

corruptibles

Erigegravene deacuteveloppe eacutegalement la doctrine que les ecirctres ont drsquoabord eacuteteacute creacuteeacutes dans le Verbe de

Dieu (Periphyseon II)

laquo Je juge que ces deux opeacuterations sont coeacuteternelles lrsquoune agrave lrsquoautre je veux dire la geacuteneacuteration

du Verbe et la creacuteation de tous les existants dans le Verbe Car on considegravere agrave juste titre

qursquoaucun accident impliquant un mouvement temporel ou un procegraves temporel nrsquoexiste en

Dieu781 raquo

Ainsi Erigegravene croit non seulement que les existants ont eacuteteacute creacuteeacutes dans le Verbe mais aussi

qursquoils lui sont coeacuteternels Pour deacutesigner le lieu de la preacuteexistence des ecirctres Erigegravene emploie

lrsquoexpression in Verbo Dans les autres endroits il parle de lrsquointellection de tout qui est la substance

dans la Sagesse divine782 Il deacutecrit aussi la diffeacuterence entre lrsquoexistence des ecirctres dans le Verbe de

Dieu et leur intellection dans la connaissance humaine La premiegravere est causaliter la deuxiegraveme

effectualiter783

779 laquo Et illa in opere facta est et illa manet quae in arte est nam potest illa arca putrescere et iterum ex illa quae in arte est alia fabricari Attendite ergo arcam in arte et arcam in opere Arca in opere non est vita arca in arte vita est quia vivit anima artificis ubi sunt ista omnia antequam proferantur Sic ergo fratres carissimi quia sapientia Dei per quam facta sunt omnia secundum artem continet omnia antequam fabricet omnia hinc quae fiunt per ipsam artem non continuo vita sunt sed quidquid factum est vita in illo est Terram vides est in arte terra Caelum vides est in arte caelum Solem et lunam vides sunt et ista in arte sed foris corpora sunt in arte vita sunt raquo AUGUSTIN Tractatus in Iohannis evangelium I-XVI eacuted R WILLEMS Turnhout 1954 (CCSL 36) p 10 trad Augustin Homeacutelies sur lrsquoEvangile de saint Jean I-XVI trad intod et notes M-F BERROUARD Paris 1993 (BA 71) p 162-165 traduction modifieacutee par I LYSTOPAD 780 G MADEC laquo La Sagesse art de Dieu raquo dans AUGUSTIN Dialogues philosophiques III introd trad et notes par G MADEC Paris 1976 p 567-570 781 laquo Sed haec coaeterna sibi esse arbitror generationem dico uerbi et creationem omnium in uerbo Nullum enim in deo accidens aut temporalis motus aut temporalis praecessio recte quis intelligit raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 42 = PL 122 556CD trad BERTIN t I-II p 327 782 laquo Siquidem intellectus omnium in diuina sapientia substantia est omnium immo omnia cognitio uero qua se ipsam in se ipsa intelligit intellectualis et rationalis creatura ueluti secunda quaedam substantia eius est qua se nouit solummodo se nosse et esse raquo Ibid IV eacuted JEAUNEAU p 43 = PL 122 770C 783laquo Et quemadmodum diuinus intellectus praecedit omnia et omnia est ita cognitio intellectualis animae praecedit omnia quae cognoscit et omnia quae praecognoscit est ut in diuino intellectu omnia causaliter in humana uero cognitione effectualiter subsistant raquo Ibid IV eacuted JEAUNEAU p 55 = PL 122 779BC Cf R ROQUES Libres sentiers vers lrsquoeacuterigeacutenisme Rome 1975 p 70 note 62

298

De cette faccedilon les deux penseurs chreacutetiens ndash Augustin et Erigegravene ndash enseignent que les ecirctres

eacutetaient dans le Verbe de Dieu avant la creacuteation du monde Augustin emploie aussi le couple

terminologique in artein opere pour designer ces deux modes drsquoexistence

Pour conclure les mots intellectus et intelligere deacutesignent chez les diffeacuterents penseurs des

niveaux diffeacuterents de faculteacute cognitive Boegravece introduit dans ce scheacutema les motifs aristoteacuteliciens

Pour Boegravece lrsquointellectus est le concept la similitude drsquoune chose Il transmet eacutegalement

lrsquoopposition potentiaactus qui deacutesigne un eacutetat avant et apregraves la reacutealisation de lrsquoecirctre

En outre la deacutesignation de deux niveaux drsquoecirctres est preacutesente chez des auteurs qui acceptent

la doctrine selon laquelle les ecirctres intelligibles existaient avant qursquoils ne soient creacuteeacutes dans le monde

sensible Augustin appelle ces niveaux in artein opere Erigegravene introduit la doctrine de lrsquoexistence

de tout in Verbo avant la creacuteation dans le monde

IX 12 La multiplication des ecirctres agrave partir drsquoune source unique

Dans la philosophie platonicienne la multiplication apparaicirct quand lrsquouniteacute premiegravere se

divise en uniteacutes deacuteriveacutees

Martineau pense que lrsquoideacutee de la multipliciteacute a eacuteteacute transmise au XIIe siegravecle agrave travers

Calcidius (Commentaire au Timeacutee II 272)

laquo Platon nrsquoaborde pas la question pour lrsquoinstant et ne cherche pas agrave savoir srsquoil y a une seule

espegravece lsquoarcheacutetypalersquo commune agrave tout ce qui est ou si elles sont innombrables et fonction du

nombre drsquoobjets existants dont la reacuteunion et lrsquoassemblage constituerait la masse de

lrsquounivers Mais peut-ecirctre la mecircme forme est-elle une et multiple comme Platon lrsquoenseigne

dans le Parmeacutenide784 raquo

De cette faccedilon Calcidius laisse la question ouverte785 Martineau pense qursquoAchard a repris

la deuxiegraveme supposition de Calcidius agrave savoir que la forme premiegravere est une et multiple

Dans le chapitre laquo Histoire de la notion de forma raquo nous avons exposeacute une hieacuterarchie tireacutee

du Commentaire de Calcidius (lrsquoespegravece premiegravere lrsquoespegravece seconde et la matiegravere) Lrsquoespegravece 784 laquo Quarum ad praesens differt examinationem nec quaerit unane sit archetypa species eorum quae sunt communis omnium an innumerabiles et pro rerum existentium numero quarum coetu et congregatione concreuerit uniuersa moles an uero idem unum pariter et multa sint ut docet in Parmenide raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 272 eacuted B BAKHOUCHE p 500-501 voir E MARTINEAU laquo Calcidius meacutediateur de la probleacutematique de lrsquouni-pluraliteacute raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 215-217 785 Cf S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol II Notre Dame 1986 p 466 note 203

299

premiegravere et lrsquoespegravece deuxiegraveme sont des uniteacutes intelligibles Lrsquoespegravece deuxiegraveme est une forme dans

la matiegravere - lrsquoidos Elle est multiple Il existe plusieurs espegraveces secondes qui sont dans les corps

Lrsquoespegravece premiegravere est-elle multiple Quelle est sa relation avec Dieu

Stephen Gersh pose la question de la relation entre Dieu et les espegraveces dans son article

laquo Calcidiusrsquo Theory of First Principles raquo786 Il observe que Calcidius fusionne deux paradigmes

- Dieu est lrsquoesprit et les espegraveces sont dans cet esprit (Dieu est immanent aux espegraveces)

- Dieu est la providence et les espegraveces sont ses creacuteatures (Dieu est supeacuterieur aux espegraveces)

En tout cas les espegraveces et Dieu ne sont pas deux principes indeacutependants Les espegraveces

proviennent de Dieu

Calcidius deacutecrit lrsquoespegravece principale en tant qursquoideacutee et intellect de Dieu elle est le modegravele de

toutes les choses engendreacutees (II 339) En mecircme temps elle nrsquoest ni priveacutee ni doueacutee de qualiteacute

(338)787 Elle nrsquoa pas de qualiteacutes elle-mecircme mais elle les donne aux espegraveces qui proviennent drsquoelle

Et pourtant auparavant Calcidius dit que les ideacutees qui sont les produits de lrsquointellect de Dieu sont

lrsquoorigine des choses (II 304)788 De cette faccedilon cette espegravece primordiale est une et multiple Elle a

une nature supeacuterieure aux ideacutees et elle est ces ideacutees La raison possible de cette ambiguiumlteacute est dans

le fait que Platon dans le Timeacutee 29AB preacutesente le monde sensible en tant qursquoimage des formes

prises ensemble789

En deacutefinitive Calcidius deacuteveloppe une notion de lrsquoespegravece premiegravere qui est une et multiple

Elle a un caractegravere intelligible semblable aux espegraveces secondes et en mecircme temps elle leur est

supeacuterieure et diffeacuterente De cette faccedilon la multiplication apparaicirct chez Calcidius quand des espegraveces

secondes apparaissent dans une espegravece premiegravere En mecircme temps elle est transcendante agrave ces

espegraveces ce qui peut ecirctre lieacute au fait qursquoelle est lrsquointellect parfait de Die

Un autre penseur qui parle de la multipliciteacute des uniteacutes dans le premier principe est

Augustin Nous avons deacutejagrave deacutecrit sa doctrine des raisons eacuteternelles Les raisons multiples sont dans

le Verbe de Dieu (De Genesi ad litteram V XII 28) elles sont aussi les ideacutees dans lrsquointellection de

Dieu (De diversis quaestionibus 83 qu 46 2) Augustin enseigne qursquoil existe un Verbe (Sagesse

art de Dieu son intellection) qui contient de multiples raisons Voici son teacutemoignage (De civitate

Dei XI X 3)

786 S GERSH laquo Calcidiusrsquo Theory of First Principles raquo dans Studia Patristica 182 Papers of 1983 Oxford Patristic Conference 1989 p 85-92 Cf S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol II Notre Dame 1986 p 460 787 Voir les notes du chapitre VIII12 laquo La hieacuterarchie des formes raquo 788 laquo Operatur porro opifex et exornat omnia iuxta uim rationabilem maiestatemque operum suorum opera uero eius intellectus eius sunt qui a Graecis ideae uocantur porro ideae sunt exempla naturalium rerum Quo pacto inuenitur tertia exemplaris origo rerumraquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 304 eacuted B BAKHOUCHE p 532 789 E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 62

300

laquo La Sagesse nrsquoest pas multiple mais une et en elle sont des treacutesors infinis ndash finis pour elle ndash

des choses intelligibles contenant toutes les raisons invisibles et immuables des ecirctres mecircme

visibles et changeants qui par elle ont eacuteteacute faits Car Dieu nrsquoa rien creacuteeacute sans connaissance ce

qursquoon ne peut vraiment dire drsquoaucun artisan humain Or srsquoil a tout fait par connaissance il

nrsquoa eacutevidemment fait que ce qursquoil avait drsquoabord connu [hellip] pour nous ce monde ne pourrait

ecirctre connu srsquoil nrsquoexistait pour Dieu srsquoil nrsquoeacutetait connu il ne pourrait exister790 raquo

Le Verbe ou la Sagesse de Dieu est lrsquointellect qui connaicirct (novit) les choses La

multiplication apparaicirct quand Dieu conccediloit le monde dans sa Sagesse

Erigegravene propose aussi une doctrine selon laquelle tout ce qui existe provient drsquoune source

unique (Periphyseon II)

laquo La cause si elle est veacuteritablement cause preacutecontient en elle-mecircme sous un mode de

perfection absolue tous les effets dont elle est cause et elle parfait en elle-mecircme tous ses

effets avant qursquoils ne deviennent manifestes dans une concreacutetisation quelconque mais

mecircme lorsque les effets jaillissent par voie de geacuteneacuteration dans leurs genres et dans leurs

espegraveces visibles ces effets nrsquoabandonnent pas pour autant la perfection qursquoils ont dans leur

cause mais tous les effets continuent agrave demeurer dans leur cause sous un mode pleacutenier et

immuable et ces effets nrsquoont besoin drsquoaucune autre perfection que celle de leur cause dans

laquelle tous les effets subsistent eacuteternellement sous un mode synchronique et

syntheacutetique791 raquo

Erigegravene souligne que les ecirctres proviennent non seulement de sa cause mais continuent de

demeurer en elle De plus ils perdent la perfection et la pleacutenitude lors de leur reacutealisation dans le

monde Ainsi il existe une cause qui est multiple car elle contient en elle ces effets Plus loin

Erigegravene explique cette cause comme le Verbe de Dieu

790 laquo Neque enim multae sed una sapientia est in qua sunt infiniti quidam eique finiti thensauri rerum intellegibilium in quibus sunt omnes invisibiles atque incommutabiles rationes rerum etiam visibilium et mutabilium quae per ipsam factae sunt Quoniam Deus non aliquid nesciens fecit quod nec de quolibet homine artifice recte dici potest porro si sciens fecit omnia ea utique fecit quae noverat [hellip] quod iste mundus nobis notus esse non posset nisi esset Deo autem nisi notus esset esse non posset raquo AUGUSTIN De civitate Dei eacuted B DOMBART et A KALB trad G COMBEgraveS F-J THONNARD et M A DEVYNCK Paris 1959 p 68-69 (BA 35) 791 laquo Causa siquidem si uere causa est omnia perfectissime quorum causa est in se ipsa praeambit effectus que suos priusquam in aliquo appareant in se ipsa perficitEt dum in genera formas que uisibiles per generationem erumpunt perfectionem suam in ea non deserunt sed plene et immutabiliter permanent nullius que alterius perfectionis indigent nisi ipsius in qua semel et simul et semper subsistunt raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 29 = PL 122 547A trad BERTIN t I-II p 313

301

laquo Le Fils de Dieu est Raison parce que crsquoest Lui qui est Prototype principiel de tous les

existants sensibles ou intelligibles [hellip] Car crsquoest en Lui que le Pegravere a contempleacute tous les

existants qursquoil voulait creacuteer avant mecircme que ceux-ci fussent creacuteeacutes Enfin le Fils de Dieu est

Cause parce que crsquoest en Lui que les causes primordiales de tous les existants subsistent

sous un mode eacuteternel et immuable

[hellip] Le Verbe de Dieu qui est agrave la fois absolument simple et infiniment multiple en soi est

la Raison et la Cause creacuteatrice de lrsquounivers creacuteeacute Le Verbe de Dieu est simple car la totaliteacute

des existants forme en Lui une uniteacute indivisible et indissociable ou plutocirct le Verbe de Dieu

est Lui-mecircme lrsquouniteacute indivisible et indissociable de tous les existants car il est Lui-mecircme

tous les existants Mais crsquoest agrave juste titre que nous pouvons consideacuterer le Verbe de Dieu

comme multiple parce que le Verbe de Dieu se diffuse agrave lrsquoinfini agrave travers tous les existants

et parce que crsquoest cette diffusion mecircme qui fait subsister tous les existants792 raquo

Le Fils de Dieu est la cause qui contient une image intelligible du monde Le Fils de Dieu

est le Verbe qui est simple et multiple agrave la fois Les ecirctres existent dans le Verbe eacutetant eacuteternels et

immuables Ils sont ensemble dans le Verbe et le Verbe est tous les ecirctres Crsquoest une veacuteritable uniteacute

ougrave la diversiteacute future des ecirctres est conccedilue793

Nous avons eacutetudieacute trois doctrines (Calcidius Augustin et Erigegravene) qui parlent de la

multiplication du premier principe Ce premier principe est Dieu dans le cas de penseurs chreacutetiens

ou lieacutee agrave Dieu dans le cas de Calcidius Il contient dans son Intellect (sa Sagesse) les prototypes des

ecirctres qui procegravedent agrave partir de lui et par conseacutequent il est multiple Dans le cas de Calcidius

lrsquoespegravece premiegravere est multiple Dans le cas drsquoAugustin Dieu conccediloit le monde avant qursquoil soit creacuteeacute

Dans le cas drsquoErigegravene Dieu conccediloit les ecirctres comme parfaits et ils se deacutegradent lors de leur creacuteation

dans le monde

IX 13 Est-ce que les ecirctres intelligibles et sensibles sont identiques

Nous avons montreacute que la philosophie tardo-antique accepte lrsquoideacutee de lrsquoexistence de deux

niveaux drsquouniteacutes intelligibles et sensibles Les uniteacutes intelligibles preacutecegravedent les uniteacutes sensibles en 792 laquo Ratio uero quoniam ipse est omnium uisibilium et inuisibilium principale exemplar [hellip] In ipso enim pater omnia quae uoluit fieri priusquam fierent uidit facienda Causa quoque est quoniam occasiones omnium aeternaliter et incommutabiliter in ipso subsistunt [hellip] Dei uerbum est simplex et in se infinite multiplex creatrix uniuersitatis conditae ratio et causa Simplex quidem quia rerum omnium uniuersitas in ipso unum indiuiduum et inseparabile est uel certe indiuidua et inseparabilis unitas omnium dei uerbum est quoniam ipsum omnia est Multiplex uero non immerito intelligitur esse quoniam per omnia in infinitum diffunditur et ipsa diffusio subsistentia omnium est raquo Ibid III eacuted JEAUNEAU p 36 = PL 122 642BD trad BERTIN t III p 104 793 J MOREAU laquo Le Verbe et la creation selon saint Augustin et Jean Scot Erigene raquo dans Jean Scot Erigegravene et lrsquohistoire de la philosophie Paris 1977 p 204-209

302

eacutetant leurs causes Les uniteacutes intelligibles existent en tant que perccedilues par les intellects humains

mais lrsquointellect humaine nrsquoest pas la seule source de leur existence Les uniteacutes intelligibles existent

en tant que reacutealiteacutes avant la creacuteation du monde Dans la philosophie de Platon les ideacutees sont les

origines eacuteternelles des choses Dans la philosophie meacutedioplatonicienne Dieu contient les ideacutees en

tant que penseacutees dans son intellect (voir par exemple De ideis drsquoAugustin) Le problegraveme qui

provient de la philosophie de Platon est comment les uniteacutes intelligibles peuvent-elles ecirctre agrave

lrsquoorigine des uniteacutes sensibles

Dans le De unitate (I 48) Achard demande si les choses sont eaedem numero hic et ibi

Etudions lrsquoorigine de cette expression Dans le De Trinitate I Boegravece parle de ce qui est idem in

numero

laquo Et de fait la diversiteacute de trois choses ndash ou aussi nombreuses qursquoon voudra ndash reacuteside soit

dans un genre soit dans une espegravece soit dans un nombre en effet toutes les fois que lrsquoon

dit rsquoidentiquesrsquo on preacutedique drsquoautant aussi lsquodiversrsquo De fait lsquoidentiquersquo se dit selon trois

modes ou bien selon le genre par exemple lsquohomme (est) identique agrave chevalrsquo parce que le

genre leur (est) identique agrave savoir lsquoanimalrsquo ou bien selon lrsquoespegravece par exemple rsquoCaton

(est) identique agrave Ciceacuteronrsquo parce que lrsquoespegravece (leur est) identique agrave savoir lsquohommersquo ou bien

selon le nombre par exemple lsquoTullius et Ciceacuteronrsquo parce qursquoil est un selon le nombre794 raquo

Drsquoapregraves Boegravece les choses sont diffeacuterentes quand elles ont des accidents diffeacuterents surtout

celui de lieu (De Trinitate I) Jorge Gracia souligne que selon Boegravece la diffeacuterence numeacuterique

apparaicirct dans les choses qui peuvent ecirctre compteacutees comme diffeacuterentes795 A la lumiegravere de cette

deacutefinition nous pouvons interpreacuteter la question drsquoAchard de la maniegravere suivante laquo est-ce que les

uniteacutes ici et lagrave-bas sont identiques dans tous leurs accidents raquo Cette question comprend deux

aspects quantitatif et qualitatif

Le premier aspect induit la question laquo est-ce qursquoil existe le mecircme nombre drsquoecirctres ici et lagrave-

bas raquo ou plutocirct laquo est-ce que chaque uniteacute lagrave-bas correspond agrave une uniteacute ici raquo Dans le cas drsquoune

reacuteponse positive il faut eacutetablir la doctrine de lrsquoidentiteacute des deux objets Dans le cas de la reacuteponse

neacutegative il faut eacutetablir la doctrine qui expliquerait autrement les relations entre les ecirctres en haut et

ceux en bas La doctrine neacuteoplatonicienne de la multiplication des uniteacutes qui descendent du haut

(monde intelligible) vers le bas (monde sensible) sert bien ce propos

794 laquo Trium namque rerum vel quotlibet tum genere tum specie tum numero diversitas constat quotiens enim idem dicitur totiens diversum etiam praedicatur Idem vero dicitur tribus modis aut genere ut idem homo quod equus quia his idem genus ut animal vel specie ut idem Cato quod Cicero quia eadem species ut homo vel numero ut Tullius et Cicero quia unus est numero raquo BOECE Trinitate 1 eacuted MORESCHINI p 167-8 trad GALONNIER t II p 134-137 795 J J E GRACIA Introduction to the Problem of Individuation in the Early Middle Ages Munchen 1988 p 99

303

Le deuxiegraveme aspect (qualitatif) induit la question laquo est-ce que une uniteacute-prototype est

compleacutetement identique agrave une uniteacute-copie raquo Dans la philosophie platonicienne les ideacutees sont plus

parfaites que les choses La question se transforme deacutesormais de la maniegravere suivante laquo comment

les ecirctres qui sont eacuteternels inchangeables et immuables peuvent-ils ecirctre agrave lrsquoorigine des ecirctres

temporels qui naissent peacuterissent et changent raquo

IX 131 Lrsquoidentiteacute quantitative

Nous voyons deux reacuteponses possibles agrave cette question eacutetablies dans la philosophie tardo-

antique et meacutedieacutevale

IX 1311 La multiplication

Dans la philosophie de Platon les ideacutees sont agrave lrsquoorigine des choses Une ideacutee sert modegravele agrave

plusieurs choses Les choses sont des ecirctres complexes qui participent agrave plusieurs ideacutees Ainsi la

multiplication dans lrsquounivers platonicien correspond au scheacutema suivant

ideacutee1 ideacutee2hellip

chose1 chose2 chose3hellip

Platon dit qursquoil est possible drsquoavoir la connaissance preacutecise du monde des ideacutees mais non du

monde en devenir (Timeacutee 52a) Appliquons cette thegravese au problegraveme des nombres des choses et des

ideacutees Le nombre des ideacutees est fixe le nombre des choses est variable et peut deacutepasser le nombre

des ideacutees

Lrsquoinfluence drsquoAristote sur le meacutedioplatonisme et le neacuteoplatonisme ne change pas

radicalement ce scheacutema796 Les ideacutees srsquoappellent deacutesormais les substances et les accidents

universels Mais leur nombre reste fixe

Le scheacutema proposeacute est parfaitement compatible avec le scheacutema neacuteoplatonicien du

deacuteploiement ontologique des entiteacutes reacuteelles agrave partir drsquoune source unique797 La multiplication des

ecirctres apparaicirct comme la deacutegradation ontologique drsquoune source primaire

796 Alain de Libera montre que les doctrines drsquoAristote et de Platon sont deux formes du reacutealisme A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 63-65 797Cf CHR ERISMANN laquo Processio id est multiplicatio Lrsquoinfluence latine de lrsquoontologie de Porphyre le cas de Jean Scot Erigegravene raquo dans Revue des Sciences Philosophiques et Theacuteologiques t 88 2004 p 416

304

Lrsquointellect de Dieu

substance1 accident1hellip

chose1 chose2 chose3hellip

La veacuteritable identiteacute numeacuterique entre les ecirctres intelligibles et sensibles nrsquoest pas preacutevue au

sein de cette approche Par conseacutequent le problegraveme de lrsquoindividuation drsquoune chose (comment la

chose peut-elle se deacutefinir comme unique agrave lrsquoaide des ideacutees geacuteneacuterales) se pose Calcidius

(Commentaire 272) et Erigegravene (Periphyseon II) acceptent cette approche

IX 1312 Lrsquoexemplarisme radical

Lrsquoexemplarisme est une doctrine qui enseigne que Dieu est cause (exemplar) de tout ce qui

existe car tout ce qui existe a son modegravele en lui798 La thegravese que Dieu contient en lui les causes

exemplaires des creacuteatures (des ideacutees) a eacuteteacute exprimeacutee par Ciceacuteron Seacutenegraveque et Apuleacutee799 Elle eacutetait

deacuteveloppeacutee dans le contexte chreacutetien par Augustin et le pseudo-Denys800

Nous allons eacutetudier ici la version la plus radicale de cette doctrine chaque chose a son

modegravele en Dieu Augustin dit que les choses existent drsquoabord in arte divina avant drsquoecirctre reacutealiseacutee

dans le monde (In Iohannis Evangelium tr I 17 voir notre analyse plus haut) Un autre exemple de

cette doctrine chez Augustin se trouve dans le De Genesi ad litteram VI XII 19

laquo Dieu a acheveacute ces œuvres lorsqursquoil a tout creacuteeacute agrave la fois si parfaitement qursquoil ne lui restait

deacutesormais plus rien agrave creacuteer dans lrsquoordre des temps qui nrsquoait deacutejagrave eacuteteacute creacuteeacute par lui dans lrsquoordre

des causes mais il les a commenceacutees en ce sens que ce qursquoil avait alors preacutedeacutetermineacute dans

les causes il devait ensuite le produire en fait801 raquo

798 L J BOWMAN laquo The Cosmic Exemplarism of Bonaventure raquo dans The Journal of Religion t 55 1975 p 184 799J HAMESSE laquo Idea chez les auteurs philosophiques des 12e et 13e siegravecles raquo dans Idea VI Colloquio Internazionale del Lessico Intellettuale Europeo Roma 5ndash7 gennaio 1989 eacuted M FATTORI et M BIANCHI Roma 1990 (Lessico Intellettuale Europeo 51) p 109 800 K-S ONG-VAN-CUNG laquo Malebranche et lrsquoexemplarisme meacutedieacuteval raquo dans Revue de Meacutetaphysique et de Morale t 3 Philosophies franccedilaises 1997 p 343 801 laquo Consummasse quippe ista intellegimus Deum cum creauit omnia simul ita perfecte ut nihil ei adhuc in ordine temporum creandum esset quod non hic ab eo iam in ordine causarum creatum esset inchoasse autem ut quod hic praefixerat causis post inpleret effectis raquo AUGUSTIN De genesi ad litteram VI XII 19 eacuted J ZYCHA trad PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC p 472-473

305

Ainsi Dieu a creacuteeacute drsquoabord tous les ecirctres simultaneacutement comme raisons eacuteternelles et ensuite

les a placeacutes dans le temps

Cette doctrine correspond agrave un scheacutema ougrave chaque chose sensible a comme modegravele une seule

uniteacute intelligible

Lrsquointellect de Dieu

ideacutee1 ideacutee2 ideacutee3hellip

chose1 chose2 chose3hellip

Ainsi le nombre des ideacutees correspond au nombre des choses Leur quantiteacute est fixe

Lrsquoexemplarisme peut incorporer la doctrine de la multiplication Par exemple selon la

doctrine de Bonaventure Dieu connaicirct les choses individuelles mais aussi les universaux dans son

Verbe802

Drsquoapregraves la doctrine de lrsquoexemplarisme Dieu connaicirct parfaitement la creacuteature qui est

contenue en lui telle qursquoelle sera creacuteeacutee dans le monde sensible Cela permet drsquoeacuteviter le problegraveme de

lrsquoindividuation car les choses individuelles sont en Dieu avant leur creacuteation mateacuterielle En

revanche elle implique le problegraveme des changements des choses tout au long de son existence dans

le monde Comment Dieu peut-il contenir le changement si lui-mecircme est immuable Le problegraveme

de lrsquoidentiteacute se pose autrement au sein de cette doctrine Il faut eacutetablir ce qui fait qursquoune chose soit

unique tout au long de son existence

IX 132 Lrsquoidentiteacute qualitative

La question est de savoir comment les ecirctres eacuteternels causent lrsquoexistence des ecirctres temporels

La reacuteponse a eacuteteacute donneacutee dans le cadre de la doctrine de la connaissance de Dieu Le

meacutedioplatonisme et le neacuteoplatonisme chreacutetiens acceptent la doctrine aristoteacutelicienne que Dieu ne

connaicirct que lui-mecircme et le postulat biblique que Dieu connaicirct parfaitement le monde Ces thegraveses

sont deacuteveloppeacutees dans la doctrine selon laquelle Dieu connaicirct le monde car le monde existe en

lui803 Cristina drsquoAncona Costa deacutemontre que dans le platonisme tardif le premier principe (Dieu)

802 L J BOWMAN laquo The Cosmic Exemplarism of Bonaventure raquo dans The Journal of Religion t 55 1975 p 182 803 Cf J-C BARDOUT O BOULNOIS laquo Introduction lrsquoinvention du monde raquo dans Sur la science divine texte preacutesenteacutes et traduits sous la direction de J-C BARDOUT et O BOULNOIS Paris 2002 p 9-26 C DrsquoANCONA COSTA

306

nrsquoest pas connu par les intellects creacuteeacutes car il leur est supeacuterieur En mecircme temps Dieu connaicirct les

ecirctres qui proviennent de lui Le premier principe qui est indivisible immuable et eacuteternel connaicirct

les ecirctres deacuteriveacutes comme divisibles muables et temporels DrsquoAncona Costa trouve cette doctrine

chez Proclus et ensuite chez le pseudo-Denys804

Dans la philosophie platonicienne latine cette doctrine a eacuteteacute transmise agrave travers le De ideis

drsquoAugustin805 Rappelons

laquo Et bien qursquoelles-mecircmes [les ideacutees] ne naissent ni ne peacuterissent on dit pourtant que crsquoest

selon elles qursquoest formeacute tout ce qui peut naicirctre et peacuterir et tout ce qui naicirct et peacuterit806 raquo

Plus haut nous avons aussi deacutecrit sa doctrine de lrsquoexistence des objets selon ces deux

modes in arte et in opere Il srsquoagit dans ce cas des ecirctres qui ont des qualiteacutes diffeacuterentes aux deux

niveaux et qui sont relieacutes car les premiers causent lrsquoexistence des deuxiegravemes

Erigegravene deacuteveloppe eacutegalement cette doctrine Voici comment il deacutecrit lrsquoexistence de la

substance de lrsquohomme (Periphyseon IV)

laquo Car on peut envisager la substance humaine sous un premier mode comme creacuteeacutee dans les

causes intelligibles on peut envisager la substance humaine sous un seconde mode comme

engendreacutee dans les effets sensibles En tant que la substance humaine subsiste dans les

causes elle srsquoavegravere exempte de toute mutabiliteacute en tant que la substance humaine subsiste

dans les effets elle srsquoavegravere soumise agrave la mutabiliteacute en tant que la substance humaine

subsiste dans les causes la substance humaine qui srsquoavegravere simple et exempte de tous les

accidents eacutechappe agrave tout entendement creacuteeacute mais en tant que la substance humaine

comporte une composition de proprieacuteteacutes quantitatives et qualitatives et de tous les autres

accidents affeacuterents agrave sa substance mecircme elle devient accessible agrave lrsquoentendement807 raquo

laquo Proclus Denys le Liber de Causis et la science divine raquo dans Le contemplateur et les ideacutees modegraveles de la science divine du neacuteoplatonisme au XVIIIe siegravecle eacuted O BOULNOIS J SCHMUTZ et J-L SOLERE Paris 2002 (Bibliothegraveque drsquohistoire de la philosophie nouvelle seacuterie) p 19-44 804 Ibid p 32-37 805 LM DE RIJK laquo Quaestio De ideis Some Notes on an Important Chapter of Platonismraquo Kephalaion Studies in greek philosophy and its continuation offered to Professor C J De Vogel ed by J MANSFELD and L M DE RIJK Assen 1975 p 208 806 laquo Et cum ipsae neque oriantur neque intereant secundum eas tamen formari dicitur omne quod oriri et interire potest et omne quod oritur et interit raquo AUGUSTIN De diversis quaestionibus octoginta tribus qu 46 eacuted MUTZENBECHER p71 trad G MADEC dans Revue Thomiste t 533 2003 p 358 807 laquo Aliter enim humana substantia per conditionem in intellectualibus perspicitur causis aliter per generationem in effectibus Ibi quidem omni mutabilitate libera hic mutabilitati obnoxia ibi simplex omnibus que accidentibus absoluta omnem effugit conditum intellectum hic compositionem quandam ex quantitatibus et qualitatibus caeteris que quae circa eam intelliguntur patiens mentis recipit intuitum raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon IV eacuted JEAUNEAU p 115 = PL 122 771A trad BERTIN t IV p 98

307

Erigegravene deacutecrit les deux modes drsquoexistence de la substance humaine ibi (dans les causes

intelligibles) et hic (dans les effets sensibles) Ibi elle est simple et immutable et hic mutable et

composeacutee des accidents

Christophe Erismann propose lrsquointerpreacutetation suivante de cette doctrine

laquo La mecircme et unique nature des existants subsiste sous un double mode dans lrsquoeacuteterniteacute du

Verbe de Dieu et dans la temporaliteacute du monde Crsquoest le mode drsquoecirctre et non lrsquoessence qui

varie808 raquo

De cette faccedilon deux penseurs chreacutetiens latins Augustin et Erigegravene acceptent que Dieu qui

est eacuteternel et inchangeable contienne en lui les modegraveles des ecirctres temporels et muables

Lrsquoeacutetude de lrsquoorigine du couple achardien in intellectuin actu et des problegravemes qursquoil soulegraveve

montre que ce couple reflegravete les doctrines meacutetaphysiques importantes de lrsquoAntiquiteacute tardive telles

que lrsquoorigine de la connaissance humaine la connaissance du monde par Dieu la multiplication du

premier principe et lrsquoidentiteacute des ecirctres temporels et eacuteternels Nous avons montreacute comment

Calcidius Augustin Boegravece et Erigegravene ont contribueacute au deacuteveloppement de ces doctrines

Lrsquoopposition in intellectuin actu est le fruit de la transmission du dualisme platonicien des

mondes intelligible et sensible (chez Augustin et Erigegravene) et des doctrines aristoteacuteliciennes de

lrsquoacte et de la puissance (chez Boegravece) Le mot intellectus deacutesigne la faculteacute de connaicirctre Dans la

penseacutee platonicienne il srsquoagit eacutegalement des connaissances divines Crsquoest le fait drsquoecirctre intelligeacute par

Dieu qui donnent aux uniteacutes intelligibles le statut prioritaire par rapport aux ecirctres sensibles Les

uniteacutes intelligibles deviennent les ecirctres par excellence et leur primauteacute est par conseacutequent

ontologique

La multipliciteacute premiegravere apparaicirct dans lrsquointellect de Dieu qui conccediloit les ecirctres en tant

qursquointelligibles Les penseurs chreacutetiens preacutecisent que crsquoest le Verbe de Dieu qui contient les

prototypes des choses

La doctrine des uniteacutes intelligibles qui sont dans lrsquointellect de Dieu comprend deux aspects

- la multiplication du principe premier (Calcidius et Erigegravene) en plusieurs uniteacutes

- lrsquoidentiteacute (quantitative et qualitative) entre les uniteacutes intelligibles et leurs copies sensibles

808 CHR ERISMANN laquo Dialectique universaux et intellect chez Jean Scot Erigegravene raquo dans Intellect et imagination dans la philosophie meacutedieacutevale actes du XIe Congregraves international de philosophie meacutedieacutevale de la Socieacuteteacute internationale pour lrsquoeacutetude de la philosophie meacutedieacutevale (SIEPM) Porto du 26 au 31 aoucirct 2002 eacuted J MEIRINHOS et M C PACHECO Turnhout 2006 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale XI) p 838

308

IX 2 Les niveaux des ecirctres chez les victorins

Dans ce chapitre nous allons reacutepondre agrave la question srsquoil existe chez Hugues la doctrine de

deux niveaux des ecirctres et quelle est la diffeacuterence entre ces niveaux

IX21 Les eacutetats des ecirctres

Hugues utilise souvent lrsquoopposition visible-invisible809 Dans le De tribus diebus il explique

que sa meacutethode preacutevoit lrsquoeacutetude de lrsquoinvisible agrave partir du visible Pour se justifier il cite le Romains

I 20

laquo Ce qursquoil a drsquoinvisible depuis la creacuteation du monde se laisse voir agrave lrsquointelligence agrave travers

ses œuvres [de Dieu]810 raquo

Ensuite Hugues montre la correacutelation entre lrsquoinvisible et le visible811

invisibile visibile

exemplar simulacrum

Lrsquoinvisible contient le modegravele (exemplar) et le visible le reflet (simulacrum) Dans le De

tribus diebus Hugues deacutecrit en particulier les proprieacuteteacutes de Dieu (les perfections invisibles

puissance sagesse bonteacute) et la maniegravere dont elles sont refleacuteteacutees dans le monde (les perfections

visibles immensiteacute beauteacute et utiliteacute)812 Apregraves la chute la personne humaine nrsquoest plus capable de

saisir directement lrsquoinvisible voilagrave pourquoi elle doit eacutetudier le visible qui teacutemoigne de la nature de

809 Voir I vanrsquot SPIJKER laquo Image of Thought Hugh of Saint-Victor and Richard of Saint-Victor on Thinking raquo dans Speaking to the Eye Sight and Insight through Text and Image (1150-1650) ed T DE HEMPTINNE V FRAETERS and M E GOacuteNGORA Turnhout 2013 p 28-34 810 La Bible de Jeacuterusalem Traduite en franccedilais sous la direction de lrsquoeacutecole biblique de Jeacuterusalem Paris 2000 p 1939 811 Cf POIREL D laquo Voir lrsquoinvisible la spiritualiteacute visionnaire de Hugues de Saint-Victor raquo dans Spiritualitaumlt in Europa des Mittelalters LrsquoEurope spirituelle au Moyen Age 900 Jahre Hildegard von Bingen 900 ans lrsquoabbaye de Cicircteaux dir Jean FERRARI et Stephan GRAumlTZEL (Hgg) St Augustin 1998 (Philosophie im Kontext Interdisziplinaumlre Studien 4) p 3 812 laquo Querendum ergo est quod horum prius contemplantibus in agnitione occurrat Et credo quod illud inuisibile prius in contemplatione comprehenditur quod in suo uisibili simulacro expressius et manifestius declaratur Simulacra autem inuisibilium ipsa uisibilia dicuntur utpote inuisibilis potentiae simulacrum est creaturarum inmensitas inuisibilis sapientiae simulacrum est creaturarum decor inuisibilis benignitatis simulacrum est creaturarum utilitas Omnis autem creatura quanto uicinius similitudini creatoris appropinquat tanto uicinius creatorem suum declarat Illud ergo uisibile simulacrum inuisibile exemplar prius ostendere debet quod diuinae similitudinis imaginem perfectius in se expressam retinet raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XVI eacuted POIREL p 34 = PL 176 823D-824A Cf laquo Haec est distantia theologiae huius mundi ab illa quae diuina nominatur theologia Impossibile enim est inuisibilia nisi per uisibilia demonstrari et propterea omnis theologia necesse habet uisibilibus demonstrationibus uti in inuisibilium declarationem raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Super Ierarchiam Dionisii I ndash Prol eacuted D POIREL Turnhout 2015 (CCCM 178) p 403 = PL 175 926D

309

Dieu813 Cette doctrine correspond agrave lrsquoideacutee principale du De tribus diebus traiter le monde comme

un livre inspireacute par Dieu814 Ce livre montre agrave son lecteur attentif le chemin vers Dieu

Dans le Super Ierarchiam la diffeacuterence visible-invisible est exprimeacutee aussi agrave travers les

adverbes hic et ibi815 Lrsquoinvisible est ibi et le visible hic Les ecirctres visibles ici (ista) ont une

similitude avec les ecirctres invisibles lagrave-bas (illa) car ils proviennent du mecircme bien suprecircme816 Dans

ce contexte les adverbes hic et ibi deacutesignent les deux niveaux drsquoexistence des ecirctres et les adjectifs

illa et ista les ecirctres qui sont agrave ces deux niveaux

Dans le De sacramentis Hugues introduit la distinction hicibi dans le contexte de la

doctrine de la connaissance divine Les futures choses creacuteeacutees lagrave-bas (ibi) sont les causes des ecirctres

creacuteeacutes ici (hic) Les choses futures sont eacuteternelles increacuteeacutees et connues par Dieu Les choses creacuteeacutees

sont temporelles817 De cette faccedilon les adverbes hicibi deacutesignent chez Hugues les deux niveaux ougrave

les ecirctres existent dans la connaissance divine et dans le monde creacuteeacute

Dans les Sententiae de divinitate Hugues parle des deux modes drsquoecirctre drsquoune chose in actu

et in ratione Voici la comparaison de ces deux modes

in actu in ratione

dispositio temporalis in opere artifex aliquis preuidet in mente sua

in opere compleat in animo deposuerat

in sapientia Dei in mente diuina818

813 B T COOLMANThe theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 p 169 I vanrsquot SPIJKER laquo Image of Thought Hugh of Saint-Victor and Richard of Saint-Victor on Thinking raquo dans Speaking to the Eye Sight and Insight through Text and Image (1150-1650) ed T DE HEMPTINNE V FRAETERS and M E GOacuteNGORA Turnhout 2013 p 36 814 D POIREL laquo Lire lrsquounivers visible le sens drsquoune meacutetaphore chez Hugues de Saint-Victor raquo dans Revue des Sciences Philosophiques et Theacuteologiques t 95 2011 p 363-4 815 laquoModo quibusdam exemplis propositis probat quoniam ea quae de uisibilium natura ad inuisibilia referuntur aliter hic atque aliter ibi subsistunt raquo Super Ierarchiam Dionisii III ndash II eacuted POIREL p 480 = PL 175 980C 816 laquoNon solum uidelicet quia ea quae dicuntur aliter hic et aliter ibi subsistere intelliguntur sed ideo etiam quia quaecunque hic sunt secundum aliud similitudinem habent ad ea quae ibi subsistunt quoniam et haec et illa ab uno bono sunt quod sunt et secundum imaginem quam ad illud possident ista illorum quoque figuram et similitudinem praetendunt raquo ibid III-II eacuted POIREL p 486 = PL 175 484C 817 laquo CAP XV Quomodo omnia in Deo ab aeterno erant priusquam in semetipsis subsisterent et eorum illic non praescientia sed scientia erat An dicemus quod omnia in Creatore ab aeterno increata fuerunt quae ab ipso temporaliter creata sunt et illic sciebantur ubi habebantur et eo modo sciebantur quomodo habebantur et non cognovit aliquid extra se Deus qui omnia habebat in se Nec ideo ibi fuerunt quia hic futura fuerunt nec causa illorum fuisse credatur ex istis neque ideo huc venerunt quia ibi fuerunt quasi esse non potuissent illa sine istis Nam et illa fuissent etiam si ista ex illis futura non fuissent tantum istorum causa non fuissent si ista futura non fuissent CAP XVI Si res futurae non fuissent sapientia Dei scientia esset sed praescientia non diceretur Et fuisset quidem scientia eorum quae essent praescientia autem non fuisset eorum quae futura non essentraquo De sacramentis I II XV-XVI PL 176 212BC 818 laquo Notandum omnis res habent unum esse in actu aliud in ratione Esse in actu est quando aliqua res in opere et temporali dispositione completur Esse in ratione est quando artifex aliquis antequam manus ad operandum admoueat ne inconsiderate accedat ad opus preuidet in mente sua quid facturus sit et quale et quantum et omnino cuiusmodi rem facturus sit deinde ad operandum uenit ut sicut in animo deposuerat sic in opere compleat et ita esse quod est in ratione precedit illud quod est in opere quod satis perspicuum est Vt si quis uel arcam uel domum fabricare intendat antequam ad opus accedat omnem formam rei quam facturus est in animo suo depingitEodem quoque modo in diuinis actibus contingit Deus enim antequam temporaliter operari inciperet more periti artificis ab eterno in sapientia sua que sibi coeterna est formas omnium creaturarum conceperat que quidem forme coeterne sunt ipsi sapientie et dicuntur

310

Ainsi Hugues distingue les choses

- in ratione ndash conccedilues dans lrsquoesprit drsquoun artisan

- in opere ndash compleacuteteacutees et disposeacutees dans lrsquoœuvre

Cette distinction sert agrave expliquer comment les ecirctres ont eacuteteacute conccedilus comme eacuteternels dans

lrsquoesprit et la Sagesse de Dieu et ensuite faits dans le temps Le passage ougrave il explique cela

(Sententiae de divinitate Pars 2 34-52) renvoie aux deux passages drsquoAugustin

- Celui de lrsquoIn Iohannis Evangelium tr I 17 ougrave Augustin fait la distinction entre les eacutetats in

opere et in arte Il prend comme exemple un coffre (arca) fait par un artisan et conccedilu par

Dieu et met les ecirctres in arte dans la Sagesse de Dieu

- Celui de la lsquoDe ideisrsquo ougrave Augustin dit que les ideacutees sont des formes ou des raisons dans

lrsquointelligence divine

En effet Hugues dans les Sententiae et Augustin dans lrsquoIn Iohannis Evangelium tr I 17

prennent lrsquoimage drsquoune chose dans lrsquoacircme drsquoun artisan (artifex) pour expliquer comment les choses

ont eacuteteacute conccedilues dans lrsquointellect de Dieu Les deux auteurs se rendent compte qursquoil srsquoagit de trois

niveaux distincts les choses lrsquoacircme de lrsquoartisan et la Sagesse de Dieu Mais les deux derniers

niveaux sont deacutesigneacutes par lrsquoexpression in arte dans le cas drsquoAugustin et par in ratione dans le cas

drsquoHugues

Dans un appendice du Didascalicon (le De tribus rerum subsistentiis) Hugues deacutecrit les

trois subsistances des choses

laquo Les choses peuvent subsister de trois faccedilons en acte dans lrsquointellect dans lrsquoesprit divin

crsquoest-agrave-dire dans la raison divine dans la raison humaine en elles-mecircmes En elles-mecircmes

elles passent sans subsister Dans lrsquointellect humain elles subsistent certes mais ne sont pas

immuables Dans lrsquoesprit divin elles subsistent sans ecirctre du tout soumises au changement

Ce qui est en acte est lrsquoimage de ce qui est dans lrsquoesprit humain et ce qui est dans lrsquoesprit

humain est lrsquoimage de ce qui est dans lrsquoesprit divin819 raquo

Dans ce cas les trois niveaux des ecirctres sont clairement distingueacutes

Cette distinction se manifeste aussi au niveau de lrsquooutillage de la connaissance Hugues

preacutesente la meacutetaphore des trois yeux capables de saisir les diffeacuterents objets

rationes rerum in mente diuina uel idee uel notiones raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 937 34-47 819 laquo Tribus modis res subsistere habent in actu in intellectu in mente divina hoc est in ratione divina in ratione hominis in seipsis in seipsis sine subsistentia transeunt in intellectu hominis subsistunt quidem sed tamen immutabiles non sunt in mente divina sine omni mutabilitate subsistunt item quod est in actu imago est eius quod est in mente hominis et quod est in mente hominis imago est eius quod est in mente divina raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Didascalicon appendix ed BUTTIMER p 134 trad HUGUES DE SAINT-VICTOR Lrsquoart de lire trad M LEMOINE Paris 1991 p 237

311

- oculus carnis oculus rationis oculus contemplationis ndash De sacramentis (I X 2) et Super

Ierarchiam (III-II) ndash les deux derniegraveres sortes de visions fonctionnaient bien avant la chute et ne le

font plus apregraves820

- oculus carnis oculus cordis oculus Dei ndash De vanitate mundi (704B)

En deacutefinitive en distinguant entre le visible et lrsquoinvisible le modegravele et le reflet in opere et

in ratione Hugues adopte la division bipartite du monde propre au platonisme et en mecircme temps

la structure meacutetaphysique des ecirctres a trois niveaux (choses esprit humain et esprit divin) Elle se

manifeste dans la distinction in actu in intellectu in mente divina du Didascalicon

Richard de Saint-Victor distingue clairement les modes des ecirctres dans le De Trinitate (I

VI)

- ecirctre eacuteternel et de soi-mecircme

- ecirctre eacuteternel et non de soi-mecircme

- nrsquoecirctre ni eacuteternel ni de soi-mecircme821

Il srsquoagit (1) de Dieu le Pegravere qui est agrave lrsquoorigine de tout (2) du Fils et du Saint-Esprit et (3)

des ecirctres creacuteeacutes

Ainsi Richard diffeacuterencie le Pegravere et les deux autres personnes comme les modes drsquoecirctre

diffeacuterents

IX22 La creacuteation du monde

La doctrine de la creacuteation est relieacutee agrave la doctrine des deux eacutetats des ecirctres chez Augustin et

Erigegravene Les ecirctres intelligibles sont toujours creacuteeacutes avant les sensibles Hugues de Saint-Victor

deacuteveloppe eacutegalement ce sujet

Nous avons deacutejagrave eacutetudieacute lrsquoaspect mateacuteriel de la creacuteation en six jours dans le chapitre

preacuteceacutedent La doctrine hugonienne de la creacuteation a aussi un aspect causal Lrsquoordre temporel de la

creacuteation ne correspond pas agrave lrsquoordre spirituel

Dans le De sacramentis (I V III) Hugues deacutemontre que la creacuteature rationnelle a eacuteteacute faite en

premier drsquoun point de vue causal Voici lrsquoordre eacutetabli par Hugues

820 HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I X II PL 176 329C Super Ierarchiam Dionisii II ndash I eacuted POIREL p 472-3 = PL 175 976A I vanrsquot SPIJKER laquo Image of Thought Hugh of Saint-Victor and Richard of Saint-Victor on Thinking raquo dans Speaking to the Eye Sight and Insight through Text and Image (1150-1650) ed T DE HEMPTINNE V FRAETERS and M E GOacuteNGORA Turnhout 2013 p 19 821 laquo Erit enim esse cuilibet existenti aut ab aeterno et a semetipso aut e contrario nec ab aeterno nec a semetipso aut mediate inter hec duo ab aeterno quidem nec tamen a semetipso raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate I VI eacuted RIBAILLIER p 91-2 =PL 196 893D

312

Prima Creator ndash natura increata

Secunda Creatura rationalis

Tertia Creatura corporea

La premiegravere est la nature increacuteeacutee ndash Dieu Ensuite la creacuteature rationnelle qui a eacuteteacute faite agrave la

ressemblance de Dieu et en rapport avec Dieu Et finalement la creacuteature corporelle faite drsquoapregraves la

creacuteature rationnelle822 La creacuteature rationnelle comprend les anges et la nature spirituelle Drsquoapregraves

Hugues elle a probablement eacuteteacute faite simultaneacutement avec la matiegravere au deacutebut de la creacuteation823

Voici comment il la deacutecrit dans le Didascalicon

laquo La creacuteature rationnelle fut faite en premier lieu agrave la ressemblance de la raison divine sans

meacutediation Mais la creacuteature corporelle avec la meacutediation de la creacuteature rationnelle a eacuteteacute

faite agrave la ressemblance de la raison divine824 raquo

En deacutefinitive la creacuteature rationnelle preacutecegravede la creacuteature corporelle dans lrsquoordre causal

IX23 Lrsquoimmutabiliteacute de la connaissance divine

Les philosophes neacuteoplatoniciens chreacutetiens posent la question suivante comment Dieu qui

est immuable peut-il connaicirctre le monde muable

Drsquoapregraves Hugues la creacuteature est un objet digne drsquoecirctre connu car elle reflegravete Dieu Dans le

Super Ierarchiam Dionisii Hugues dit que la beauteacute des formes visibles teacutemoigne de la beauteacute des

ecirctres invisibles825 Dans le De tribus diebus il souligne qursquoil faut admirer la beauteacute de la creacuteature

822 laquo Dicimus quod creatura rationalis prior facta est et post eam facta est corporea creatura non tamen tempore sed causa solum et respectu et dignitate Nam ipsius creaturae corporeae conditio ad ipsam refertur creaturam rationalem et secundum ipsam perfecta est sicut ipsius conditio ad solum creatorem refertur quoniam secundum ipsum facta est sola Sola quippe rationalis creatura ad similitudinem Dei facta legitur et non dicitur quod creatura aliqua praeter solam rationalem ad similitudinem Dei facta sit licet omnis creatura in ratione divina et in providentia aeterna ipsius causam et similitudinem habuerit ex qua et secundum quam perfecta sit in sua subsistentia [hellip] Secundum hujusmodi rationem et considerationem corporea creatura post secundam tertio loco est creaturam rationalem quoniam ad eam est facta sicut rationalis ipsa ad primam facta est increatam naturam raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I V III PL 176 247CD 248C 823 laquo Quantum vero pertinet ad momenta temporum et intervalla et spatia hoc interim commodius et veritati vicinius profitemur quod simul in tempore uno et in principio temporis quando tempora ipsa coeperunt facta est sive creata pariter rerum omnium visibilium materia et invisibilium in creatura angelica et spirituali natura Nec fuisse in tempore nec coepisse alteram sine altera nec prius unam quam alteram sed utramque simul in tempore et cum tempore et tamen priorem fuisse ad quam facta est altera in qua fuerunt exemplaria sapientiae quorum effectus sunt et expressiones quae visibilia condita sunt ex hoc modo primo omnium creata est sapientia raquo ibid I V IV PL 176 248CD 824 laquo Rationalis ergo creatura ad similitudinem divinae rationis nullo mediante primo loco facta est creatura vero corporea mediante rationali creatura facta est ad similitudinem divinae rationisraquo HUGONIS DE SANCTO-VICTORE Didascalicon appendix ed BUTTIMER p 134 trad LEMOINE Paris p 238 825 laquo Ideo per uisibilia inuisibilium ueritas demonstrata est quia non potest noster animus ad ipsorum inuisibilium ueritatem ascendere nisi per uisibilium considerationem eruditus ita uidelicet ut arbitretur lsquouisibiles formasrsquo esse lsquoimaginationes inuisibilis pulchritudinisrsquo Quia enim in formis rerum uisibilium pulchritudo earumdem consistit

313

laquo Vient ensuite ce qui est admirable pour sa beauteacute Nous admirons la configuration de

certaines choses parce qursquoelles sont particuliegraverement gracieuses et arrangeacutees de faccedilon

harmonieuse en sorte que la disposition de lrsquoouvrage paraicirct elle-mecircme indiquer un soin

particulier de la part du creacuteateur [hellip]

Le premier et principal reflet de la sagesse increacuteeacutee est donc la sagesse creacuteeacutee crsquoest-agrave-dire la

creacuteature rationnelle et puisqursquoelle est visible sous un rapport invisible sous un autre elle srsquoest

faite agrave la fois la porte et le chemin de la contemplation826 raquo

De cette faccedilon Dieu connaicirct la creacuteature car il lrsquoa creacuteeacutee et lrsquohomme lrsquoeacutetudie pour connaicirctre

Dieu Le Verbe de Dieu est manifesteacute dans sa creacuteature827

Dans le De tribus diebus Hugues compare les connaissances humaine et divine pour

montrer que la connaissance divine nrsquoest pas soumise aux imperfections humaines

laquo Mais la connaissance divine nrsquoadmet aucun de ces changements Elle nrsquoaugmente pas car

elle est pleine En effet celui qui creacutee tout gouverne tout peacutenegravetre tout et soutient tout ne

peut tout ignorer et celui qui est preacutesent agrave toutes choses par sa diviniteacute ne peut en ecirctre

absent par la vision Il ne peut diminuer lui qui ne tient pas drsquoun autre tout ce qursquoil est mais

qui tient de lui-mecircme tout ce qursquoil est qui tient de lui seul lrsquouniteacute et la totaliteacute de ce qursquoil est

Que dire de la variation Comment pourrait varier la sagesse qui comprend tout ensemble

et en une fois sous un unique rayon de sa vision Ensemble parce qursquoelle comprend toute

essence toute forme tous les lieux et tous les temps en une fois parce qursquoelle ne reprend

pas sa vision apregraves lrsquoavoir interrompue ni ne lrsquointerrompt apregraves lrsquoavoir suivie mais ce qursquoil

est une fois il lrsquoest toujours et ce qursquoil est toujours il lrsquoest tout entier Il voit tout voit tout

de tout voit toujours et voit partout Rien de neuf rien drsquoeacutetranger ne vient srsquoajouter agrave lui

rien de ce qursquoil a ne se deacutetache de lui Quand une chose est future il la preacutevoit preacutesente il la

congrue ex formis uisibilibus inuisibilem pulchritudinem demonstrari dicit quoniam uisibilis pulchritudo inuisibilis pulchritudinis imago est raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Super Ierarchiam Dionisii II ndash I eacuted POIREL p 435 = PL 175 949AB Sur la perception du monde sensible par Hugues voir G A ZINN laquo Minding Matter Materia and the World in the Spirituality and Theology of Hugh of St Victor raquo dans Mind Matters Studies of Medieval and Early Modern Intellectual History in Honour of Marcia Colish Turnhout 2010 p 47-67 826 laquo Sequitur de his quae mirabilia sunt propter pulcritudinemQuarumdam rerum figurationem miramur quia speciali quodam modo decorae sunt et conuenienter coaptatae ita ut ipsa dispositio operis quodammodo innuere uideatur specialem sibi adhibitam diligentiam conditorisraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XI eacuted POIREL p 23 = PL 176 820A laquo Primum ergo ac principale increatae sapientiae simulacrum est sapientia creata id est rationalis creatura quae quia secundum aliquid uisibilis est secundum aliquid inuisibilis ianua contemplationis facta est pariter et uia raquo Ibid XVII eacuted POIREL p 36 = PL 176 824D trad D POIREL Le lsquoDe tribus diebusrsquo de Hugues de Saint-Victor Edition critique et commentaire historique et doctrinal Paris 1999 Thegravese de doctorat p 594 et 598 827 laquo Sic et in Deo verbum intrinsecum et occultum et invisibile verbum fuit cordis ejus et sapientia erat hoc verbum et invisibile donec manifestatum est per verbum extrinsecum quod visibile factum est quod erat opus ejus Sicut per verbum oris manifestatum est verbum cordis sic loquitur omnis natura ad auctorem suum et indicat quod factum est opificem intelligendi sensum habentibus raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XX PL 176 225B

314

voit passeacutee il la conserve en meacutemoire et il nrsquoy a pas de diffeacuterence en lui entre preacutevoir voir

et conserver en meacutemoire mais ce qui arrive dans le temps eacutetait dans sa vision et ce qui passe

dans le temps demeure dans sa vision [hellip]

Or Dieu pour qui crsquoest une mecircme chose drsquoecirctre de vivre et de comprendre nrsquoeacutetant pas partiel

par son essence ne pourra pas non plus ecirctre partiel par sa sagesse mais comme il est

immuable en son essence de mecircme est-il immuable aussi en sa sagesse828 raquo

Ainsi la sagesse de Dieu ne change pas Dieu connaicirct tout en totaliteacute En ce qui concerne le

changement dans le temps il connaicirct les choses passeacutees preacutesentes et futures

Le fait que Dieu a preacutevu ce qui allait se passer nrsquoimplique pas qursquoil ait imposeacute la neacutecessiteacute

aux choses Hugues distingue les actions de Dieu qursquoil a preacutedestineacutees et le deacuteveloppement des ecirctres

creacuteeacutes qursquoil a preacuteconnus mais non preacutedestineacutes829 De cette maniegravere Hugues deacutefend la liberteacute

humaine

Comment les raisons eacuteternelles reflegravetent la connaissance de Dieu

Dans les Sententiae Hugues souligne que les choses in ratione peuvent avoir des statuts

(status) diffeacuterents ecirctre preacutesentes ou futures Certaines choses peuvent ecirctre dites in ratione selon

des statuts diffeacuterents Mecircme si Dieu les connaicirct toutes comme preacutesentes elles sont dites preacutesentes

ou futures par rapport agrave leur apparition dans le monde Voilagrave pourquoi Dieu a la science des choses

preacutesentes et la prescience des choses futures830

828 laquo Sed has omnes mutabilitates cognitio diuina non recipit Non augetur quia plena est Neque enim nescire potest omnia qui creat qui gubernat qui penetrat qui portat omnia et qui omnibus presens est deitate absens esse non potest uisione Minui non potest qui aliunde non est quicquid est sed idem ipsum quicquid est ab ipso est ab uno et unum totum quod est Quid de uicissitudine dicam Quomodo uicissitudinem recipere possit sapientia quae omnia simul et semel sub uno uisionis radio comprehendit Simul quia omnem essentiam omnem formam omnia loca omnia tempora semel quia uisionem nec intermissam recipit nec habitam intermittit sed quod semel est semper est et quod semper est totum est Omnia uidet et de omnibus omnia uidet et semper uidet et ubique uidet Nichil ei nouum nichil alienum aduenit nichil suum recedit Quando futurum est preuidet quando presens est uidet quando preteritum est retinet Nec aliud in ipso est preuidet uidet et retinet sed quod aduenit in tempore fuit in uisione et quod preterit in tempore permanet in uisione [hellip]Deus autem cui idem est esse uiuere et intelligere cum per essentiam ex parte non sit nec per sapientiam ex parte esse poterit sed sicut immutabilis est essentia ita quoque immutabilis est sapientia raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XX eacuted POIREL p 49-50 = PL 176 830AD trad D POIREL Le lsquoDe tribus diebusrsquo de Hugues de Saint-Victor Edition critique et commentaire historique et doctrinal Paris 1999 Thegravese de doctorat p 602-3 829 laquo Non igitur mutari uel cassari potest prescientia que ab eterno ita res precurrit ut eas sic fieri prouideret quo ordine fieri deberent licet tamen illa prescientia rebus nullam ingerat necessitatem raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 939 119-121 laquo Quod enim facturus fuit hoc predestinauit Quod autem facturus non fuit non predestinauit sed tantum presciuit raquo Ibid 143-144 830 laquo Sed rememorandum est quod diximus superius quod queque res habent unum esse in actu aliud in ratione Secundum esse in ratione fuerunt omnia ab eterno in mente Dei et secundum hoc ab eterno presentia Deo et ita in re dicitur scientia presentium secundum illum statum que secundum alium statum adhuc futura erant Itaque cetere res et presentes dicuntur et future secundum diuersos status Eadem animi comprehensio et scientia dicitur et prescientia sed secundum quod res presentes sunt dicitur in Deo esse scientia secundum quod res future sunt dicitur in eo fuisse prescientia raquo Ibid p 938 101-108 Cf D Poirel laquo Sagesse divine et la creation du monde raquo dans Sur la science divine textes preacutesenteacutes et traduits sous la direction de J-C BARDOUT et O BOULNOIS Paris 2002 p 83-88

315

En deacutefinitive Dieu immuable connaicirct les ecirctres qui naissent et disparaissent dans le temps Il

les connaicirct en totaliteacute comme preacutesentes Mais Dieu connaicirct aussi les ecirctres tels qursquoils seront Il

attribue aux ecirctres in ratione le statut du passeacute du preacutesent ou du futur

IX 24 Lrsquouniteacute de Dieu et la distinction des creacuteatures

Une autre question qui apparaicirct dans le cadre du neacuteoplatonisme chreacutetien est comment Dieu

qui est un peut connaicirctre le monde multiple

En De sacramentis I V III Hugues soulegraveve un problegraveme concernant la nature des objets

intelligibles preacuteexistant en Dieu Sont-ils parfaits Ils doivent ecirctre parfaits car ils sont en Dieu qui

est lui-mecircme parfait En mecircme temps Dieu les connaicirct tels qursquoils seront creacuteeacutes donc imparfaits831

Hugues reacutesout ce problegraveme en disant que les ecirctres creacuteeacutes ont leur similitude en Dieu

(similitudinem in Deo habent) Dieu voit les choses en totaliteacute et les choses particuliegraveres (singula)

dans cette totaliteacute Pour lui la partie et la totaliteacute font un Cependant Dieu sait que les choses creacuteeacutees

seront imparfaites et il a cette connaissance dans sa raison et dans sa providence832 Par conseacutequent

Dieu les connaicirct de deux faccedilons parfaite et imparfaite

Cela est possible gracircce agrave la creacuteature rationnelle qui provient en premier de Dieu Elle est

spirituelle et elle a Dieu lui-mecircme comme ressemblance (ipsum Deum similitudinem habet) Elle ne

contient pas en elle un seul objet qui est exemplaire pour les creacuteatures mais elle est lrsquoimage de

Dieu Elle est esprit une totaliteacute (totum) capable de la prescience et de la providence Elle est la

raison et lrsquointelligence de la creacuteature Elle ressemble agrave Dieu et en mecircme temps elle lui est

diffeacuterente833

Nous voyons deacutesormais que la multitude chez Hugues nrsquoapparaicirct pas suite agrave la

multiplication des ecirctres Elle reacutesulte de la distinction de la totaliteacute primordiale des creacuteatures et des

choses singuliegraveres Voici comment elle a eacuteteacute faite

831 laquoNam in Deo quidem omnia erant antequam essent in se secundum rationem et causam et providentiam ex qua futura erant sed quasi minus erant singula perfecto et unumquodque hoc aliquid et non totum secundum rationem et discretionem uniuscujusque quae ratio omnia continebat et major erat in toto et quasi superabundabat singulis raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I V III PL 176 247D-248A 832 laquoEt ideo non erant singula hoc totum sed in toto erant singula quoniam totum ad totum et singula ad singula Et tamen Deo in parte nihil minus erat quam in toto quia pars et totum unum erat sed ratione et providentia una discreta sunt quae futura erant in parte et toto et minus futura erant in parte quam in toto Ideo et ipsa in ratione minus habueruut quoniam ex ratione minus futura fuerunt Tamen Deus minus non habuit qui in toto totus fuit et perfectus et unus raquo ibid I V III PL 176 248A 833 laquo Propter hoc ergo rationali creaturae non unum aliquid aut hoc aut illud in ratione divina pro exemplari sufficere potuit ad cujus similitudinem formaretur sed quasi totum assumpsit Deum ut ejus ipsius imago fieret et expressa est ad totum aemulans perfectionem Ut sicut Deus spiritus erat et unus erat et in ipso totum erat secundum rationem et providentiam et praescientiam et causam sic ipsa spiritualis esset capax in uno praescientiae et providentiae et rationis et providentiae omnium Et eluxit perfecta imago imitans auctorem suum et apparuit quasi ipsum in altero et idem unum raquo ibid I V III PL 176 248AB

316

Creator ndash natura increata Deus

creatura rationalis ipsum Deum similitudinem

habet

imago aemulans perfectionem

in toto erant singula

creatura corporea similitudinem in Deo habent omnia singula et unumquodque

hoc aliquid

La creacuteature rationnelle est constitueacutee des ecirctres rationnels pris singuliegraverement en totaliteacute La

creacuteature corporelle est constitueacutee des ecirctres imparfaits singuliers Les ecirctres creacuteeacutes dans les corps sont

distincts entre eux La premiegravere multipliciteacute apparaicirct dans la connaissance de Dieu (au niveau de la

creacuteature rationnelle) qui a la prescience des ecirctres creacuteeacutes Cette multipliciteacute se manifeste dans le

monde

En somme Hugues adopte une distinction ontologique bipartite et tripartite Dieu a une

nature indivisible qui se reflegravete dans ses creacuteatures visibles Il existe ainsi deux niveaux invisible et

visible ibi et hic Ces deux niveaux correspondent aux eacutetats des ecirctres in ratione et in actu Dans le

Didascalicon les creacuteatures in ratione se divisent en celles qui existent dans lrsquointellect humain (in

intellectu) et en celles qui sont dans lrsquoesprit divin (in mente Dei) De cette faccedilon trois niveaux

apparaissent choses raisons et Dieu deacutesigneacutes par les expressions in actu in intellectu et in mente

Dei

Dieu connaicirct de maniegravere immuable les ecirctres muables et les ecirctres distincts dans leur totaliteacute

Il a aussi les images des choses telles qursquoelles seront creacuteeacutees muables et distinctes Lrsquoapparition de

la multipliciteacute dans le principe premier chez Hugues a lieu non pas agrave travers la multiplication ou

lrsquoengendrement mais agrave travers la distinction des uniteacutes intelligibles dans lrsquouniteacute premiegravere Hugues

deacuteveloppe deux doctrines pour expliquer lrsquoapparition de la pluraliteacute celle de la connaissance divine

(Dieu connaicirct les ecirctres en totaliteacute) et celle de la creacuteature rationnelle (elle a sa similitude en Dieu

donc elle est moins parfaite et moins une que lui)

En deacutefinitive Hugues emprunte le cadre doctrinal des platoniciens chreacutetiens en particulier

drsquoAugustin et drsquoErigegravene les uniteacutes intelligibles preacutecegravedent les uniteacutes sensibles et elles sont

contenues dans lrsquoesprit de Dieu Sauf qursquoHugues ne met pas lrsquoaccent sur la notion de lrsquointellect de

Dieu mais sur les ecirctres qui y sont Il pose la question de lrsquoidentiteacute des ecirctres intelligibles et sensibles

et il cherche la reacuteponse dans la doctrine de connaissance de Dieu Sa reacuteponse sort du cadre

neacuteoplatonicien deacutecrit plus haut Hugues deacutecrit la premiegravere uniteacute intelligible comme inseacuteparable et

contenant tous les ecirctres dans le monde dans leurs eacutetats parfaits et ayant la connaissance du passeacute du

preacutesent et du futur Du point de vue quantitatif Dieu connaicirct plus drsquoecirctres que ceux qui existent

actuellement dans le monde Et pourtant cette comparaison nrsquoest pas correcte car elles sont dans la

317

premiegravere uniteacute inseacuteparable Du point de vue qualitatif Dieu immuable connaicirct les ecirctres muables

dans la totaliteacute de leurs changements Etre parfait dans la Sagesse de Dieu implique avoir toute son

laquo histoire de vie raquo inscrite dans la totaliteacute de sa connaissance

IX3 Intellectus (in intellectuin actu) dans le De unitate

La notion drsquointellectus apparaicirct pour la premiegravere fois en I 41 Elle deacutesigne la faculteacute

intellectuelle et le concept (en II 4) Depuis I 43 lrsquointellectus fait eacutegalement partie de lrsquoopposition

in intellectuin actu dans le cadre de la doctrine des formes

Nous allons eacutetudier en premier lieu cette opposition En particulier la diffeacuterence entre in

intellectu et in actu lrsquoapplication de ce couple terminologique agrave la doctrine de la forme premiegravere et

enfin son application pour deacutemontrer la relation entre les formes et les choses Ensuite nous allons

eacutetudier les deux aspects de la notion mecircme drsquointellectus la faculteacute intellectuelle et sa mise en œuvre

dans lrsquointellection de la chose

IX31 Les deux niveaux (in intellectuin actu)

En I 43 Achard dit qursquoil y a des ecirctres qui eacutetaient et qui sont toujours in intellectu et des

ecirctres in actu qui en procegravedent Crsquoest la premiegravere fois qursquoil emploie ce couple terminologique Mais

la thegravese qursquoil existe deux niveaux drsquoexistence des entiteacutes a eacuteteacute preacutesenteacutee avant

Dans les chapitres I 1-11 Achard utilise les adjectifs deacutemonstratifs haec ista et illa afin de

souligner la diffeacuterence entre lrsquoexistence de lrsquouniteacute ici dans le monde et lagrave-bas dans la Triniteacute (voir

article laquo Unitas-Pluralitas raquo) A partir du chapitre I 14 Achard emploie eacutegalement lrsquoadverbe hic

(ici) par opposition agrave ibi (lagrave-bas) Les mots illa en I 1-14 et ibi en I 1-36 sont plus freacutequents que

haec et hic Cela srsquoexplique probablement par le fait que dans la premiegravere partie Achard selon sa

propre expression a deacutecouvert laquo les ltecirctresgt invisibles de Dieu [] agrave partir de lrsquounique nature

invisible elle-mecircme sans eacutegard pour les ltecirctresgt qui ont eacuteteacute faits834 raquo Par conseacutequent dans la

premiegravere partie du De unitate il parle de Dieu dans les termes qui lui conviennent (illa et ibi)

Dans la deuxiegraveme partie du De unitate Achard preacutevoit de parler de la relation entre les ecirctres

faits en non faits (eacuteternels) Et crsquoest agrave partir du chapitre I 38 qui ouvre la deuxiegraveme partie que hic

et ibi sont employeacutes comme un couple terminologique

Voici une introduction de la distinction hicibi (I 38) dans le De unitate

834 laquo Invisibilia Dei [] quam ex ipsa invisibili uniltcagt sine eorum respectu [eorum] quae facta sunt invenit natura raquo De unitate I 37 eacuted MARTINEAU p 106-107

318

laquo lsquoIlsrsquo sont venus ici en effet de lagrave ougrave ils nrsquoeussent en aucun cas afflueacute si lagrave-bas aussi ils

nrsquoavaient eacuteteacute selon quelque mode Mais ils ne sont pas venus en cessant drsquoecirctre lagrave-bas

lorsqursquoils sont venus ici et ils ne furent ni ne sont point lagrave-bas parce qursquoils sont venus ici au

contraire srsquoils ont eacuteteacute faits ici temporellement crsquoest parce qursquoils furent et qursquoils sont non

faits lagrave-bas eacuteternellement Lagrave-bas cependant ils ne sont pas comme des choses en elles-

mecircmes mais comme dans leurs raisons eacuteternelles en lesquelles assureacutement lsquotous les ltecirctresgt

sont unrsquo835 raquo

Lagrave-bas (ibi) les ecirctres invisibles sont laquo dans leurs raisons eacuteternelles raquo alors qursquoici (hic) ils

sont comme des choses en elles-mecircmes Par conseacutequent il existe deux niveaux diffeacuterents ici et lagrave-

bas ndash les choses et leurs raisons eacuteternelles

Apregraves avoir eacutetabli qursquoil y a trois sortes de raisons eacuteternelles (II 39) Achard se concentre sur

seulement une sorte de ces raisons ndash les raisons formelles (ou formes) Crsquoest dans le chapitre I 43

qursquoil commence agrave srsquointerroger sur les formes836 et qursquoil introduit la distinction in intellectuin actu

Cette distinction preacutecise la distinction des mondes creacuteeacute et non creacuteeacute introduite par les couples hicibi

et haecilla

Voyons agrave preacutesent pourquoi Achard nomme cette distinction in intellectuin actu Voici une

explication theacuteologique Selon le De unitate lrsquoexpression in intellectu signifie que crsquoest Dieu qui a

intelligeacute de toute eacuteterniteacute absolument tout ce qursquoil ferait dans le temps car il est omniscient837

Ainsi les formes existent comme intelligeacutees par Dieu eacuteternellement in intellectu Et degraves leur

creacuteation elles existent in actu Drsquoun point de vue cognitif les formes in intellectu sont conccedilues par

Dieu tandis que les formes in actu sont creacuteeacutees par lui Drsquoun point de vue temporel les formes in

intellectu existent depuis toujours tandis qursquoelles nrsquoexistent in actu qursquoagrave partir du moment ougrave elles

ont eacuteteacute faites dans le monde creacuteeacute

835 laquo Inde enim huc venerunt unde nullatenus profluxissent nisi et ibi juxta aliquem fuissent modum Non autem ita inde venerunt ut ibi esse desierint quando huc venerunt nec ideo ibi fuerunt vel sunt quia huc venerunt sed magis ideo hic temporaliter facta sunt quia ibi aeternaliter infecta fuerunt et sunt Sunt autem ibi non ut res in semetipsis sed ut in aeternis rationibus suis in quibus quidem laquounum sunt omniaraquo quia et ipsae eorum rationes ratio sunt secundum substantiam et personam ut ostendemus una raquo De unitate I 38 eacuted MARTINEAU p 108-109 836 Voir lrsquoanalyse de MARTINEAU du plan de recherche proposeacute par Achard eacuted MARTINEAU I 42 p 112-113 notes 4-8 837 laquoltQuodgt enim omnia quae hic sunt et ibi ab aeterno fuerunt quoquo ibi intelligantur fuisse modo contradici non potest Non enim hic est aliquid quod Deus non fecerit nec Deus nesciens aliquid fecit nec aliquid unquam scivit vel scire poterit quod non ab aeterno scierit et in aeternum sciturus sit alioquin enim variatio aliqua in eum cadere posset Intellexit igitur ab aeterno omnia quaecumque cum tempore vel in tempore facturus eratraquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 112-115 Comme nous avons deacutejagrave eacutetabli dans le chapitre VII il y a les traces de theacuteorie de trois attributs de Dieu dans le texte drsquoAchard (puissance sagesse bonteacute) Et crsquoest aux raisons formelles que la Sagesse de Dieu se rapporte Et en I 41Achard dit que la pluraliteacute des formes est plus grande que celle des choses creacuteeacutees et la Sagesse de Dieu est donc plus grande que sa puissance Voilagrave pourquoi cela semble logique pour lui de construire son argumentation en I 43 agrave partir du fait que Dieu sait toutes les choses avent de les creacuteer

319

Pour souligner la diffeacuterence entre les ecirctres in intellectu et in actu Achard introduit une seacuterie

de termes opposeacutes (I 43)

laquo Par conseacutequent il ne faut pas dire que comme ils ont eacuteteacute faits ici ils ont eacuteteacute intelligeacutes lagrave-

bas mais plutocirct que comme ils ont eacuteteacute lagrave-bas intelligeacutes de toute eacuteterniteacute ils ont eacuteteacute aussi faits

temporellement ici ou que tels ils ont eacuteteacute lagrave-bas disposeacutes tels ils ont eacuteteacute exeacutecuteacutes ici Crsquoest

donc selon qursquoils existent en tant qursquointelligeacutes lagrave-bas qursquoils sont faits ici et crsquoest pourquoi

les ltecirctresgt intelligeacutes lagrave-bas peuvent а bon droit ecirctre appeleacutes des modegraveles ou des formes des

ltecirctresgt faits ici ici au contraire sont des simulacres ou des copies de ceux-lagrave838 raquo

Les voici

ibi hic

in intellectu in actu

intellecta facta

aeternaliter temporaliter

disposita composita

exemplaria exempla

formae simulacra

De cette maniegravere Achard caracteacuterise les ecirctres in intellectuin actu Les premiers sont

disposeacutes (preacutevus depuis lrsquoeacuteterniteacute) et les deuxiegravemes sont composeacutes (creacuteeacutes dans la matiegravere) Ils sont

les modegraveles et les copies Les uns sont faits intellectuellement les autres corporellement En II 10

Achard deacutecrit la distinction entre les veacuteriteacutes lagrave-bas et les vrais ici (voir lrsquoarticle laquo Forma raquo) qui part

du mecircme principe

Muhammad Ilkhani reacutesume que la creacuteation du monde drsquoapregraves Achard de Saint-Victor

comprend deux eacutetapes la creacuteation eacuteternelle en Dieu et la reacutealisation dans le temps839 Achard

expose cette doctrine en II 2 Drsquoabord il deacutecrit comment les ecirctres sont in intellectu et in actu

laquo Quant aux ltecirctresgt qui sont ici et sont dits ecirctre lagrave-bas parce qursquoils sont intelligeacutes ils ont

eacuteteacute eux aussi de toute eacuteterniteacute lagrave-bas tels qursquoils sont maintenant en soi tels en effet ils

eacutetaient vus lagrave-bas de toute eacuteterniteacute ainsi qursquoon lrsquoa montreacute quoique non pas dans le mecircme

838 laquo Non ergo est dicendum quia ut hic sunt facta ibi sunt intellecta sed ut magis ibi aeternaliter sunt intellecta et hic temporaliter sunt facta vel ut ibi sunt disposita et hic composita Secundum igitur quod ibi intellecta consistunt hic facta unde et ibi intellecta factorum hic non immerito exemplaria vel formae quaedam vocari possunt hic autem illorum simulacra quaedam sive exempla raquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 114-115 839 M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 195

320

eacutetat а cause de lrsquoeacuteterniteacute mecircme de leur intellection Lagrave-bas donc crsquoest de toute eacuteterniteacute

qursquoils ont eacuteteacute faits intellectuellement avant drsquoadvenir en eux-mecircmes selon ce que dit lui

aussi le prophegravete parlant de Dieu les ltecirctresgt qui devaient ecirctre voici qursquoil les a faits Ainsi

il a fait de toute eacuteterniteacute selon la penseacutee du prophegravete ce qursquoil allait faire posteacuterieurement ltagrave

savoirgt dans le temps mdash mais alors en intellect et ensuite en acte840 raquo

Voici la seacuterie des oppositions introduites par Achard dans le passage citeacute

in intellectu in actu

ab aeterno in se ndash in semetipsis

futura sunt facienda facta

ab aeterno in tempore

De ce passage on peut tirer la conclusion que les ecirctres existaient depuis toujours in

intellectu tant que Dieu avait preacutevu de les creacuteer in actu Et puis ils ont eacuteteacute creacuteeacutes in actu sans cesser

drsquoexister in intellectu Drsquoune certaine faccedilon tous les ecirctres (ceux in intellectu et ceux in actu) sont

creacuteeacutes car il existe deux modes de creacuteation modus faciendi ad actum et modus faciendi ad

intellectum841 Voici comment Achard deacutecrit ces deux modes

laquo Toutefois lrsquoon ne doit pas affirmer de faccedilon absolue que Dieu a fait une chose de toute

eacuteterniteacute on se repreacutesenterait en effet le mode de faire qui est actuel non pas celui qui est

intellectuel Mais si lrsquoon prend soin de deacuteterminer le mode on peut dire que Dieu non pas

litteacuteralement mais absolument a fait les cieux en intellect crsquoest-а-dires qursquoil a fait aupregraves de

soi de toute eacuteterniteacute tous les ltecirctresgt soit qui allaient ecirctre faits soit qursquoil allait faire Ainsi est-

il suggeacutereacute en effet qursquoil nrsquoest pas intelligeacute ltcommegt les ayant faits alors sur le mecircme mode

que par apregraves crsquoest-agrave-dire que sur celui en lequel les choses sont dites advenir selon lrsquoacte

mecircme Car si ces ltecirctresgt eacutetaient ltalorsgt deacutejagrave faits pourraient-ils ecirctre appeleacutes allant ecirctre faits

ensuite ou devant ecirctre faits Bien plutocirct ces deux modes du faire peuvent-ils ecirctre nommeacutes

ainsi qursquoon lrsquoa dit agrave propos de toute chose dont il est rappeleacute qursquoelle a eacuteteacute faite lagrave-bas ltcar il

est ditgt Dieu dit que cela soit et il est ajouteacute ensuite et cela a eacuteteacute fait ainsi ou quelque

chose de semblable On le voit lrsquoEacutecriture en disant Dieu dit que cela soit a voulu 840 laquo Et ea utique quae sunt hic et ideo dicuntur ibi esse quia intelliguntur qualia nunc sint in se talia ibi fuerunt ab aeterno lttgtalia namque ab aeterno videbantur ibi ut monstratum est licet non taliter propter ipsam intelligendi aeternitatem Ibi ergo ab aeterno sunt intellectualiter facta antequam in semetipsis fierent secundum quod et propheta ait de Deo quiatecit quae futura sunt Fecit igitur ab aeterno juxta prophetae sententiam quae facturus erat postmodum in tempore sed tunc in intellectu post in actu raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 138-139 841 laquo Intelligeretur enim modus ille faciendi qui est ad actum non ille qui est ad intellectum raquo De unitate II 2 MARTINEAU p 138

321

deacutesigner cet advenir des choses qui est non seulement depuis le Verbe mais encore dans le

Verbe Crsquoest aupregraves de soi en effet qursquoil a dit cela non pas dans le temps mais de toute

eacuteterniteacute Et il nrsquoa pas dit cela avant qursquoen son Verbe ce dont il a dit qursquoil advicircnt fucirct deacutejagrave

fait842 raquo

Les termes utiliseacutes sont les suivants

modus faciendi ad intellectum ad actum

per se ut quid

factura vel facienda facta

in Verbo ex Verbo

ab eterno ex tempore

citations de la Genegravese fiat factum est ita

Achard y voit un problegraveme seacutemantique sans preacutecision (absolute pronuntiandum) on parle

de la creacuteation in actu comme de la seule creacuteation possible Si laquo on prend soin de deacuteterminer le

mode raquo (cum determinatione autem modi) on pourra eacutegalement parler de la creacuteation absolue dans

le Verbe (per se) qui a eu lieu avant la creacuteation in actu Ainsi les ecirctres qui eacutetaient toujours aupregraves

de Dieu sont creacuteeacutes par lui de maniegravere intelligible

En deacutefinitive les ecirctres sont creacuteeacutes deux fois drsquoabord in intellectu (dans lrsquointellect de Dieu) et

puis in actu

Lrsquoadverbe intellectualiter deacutesigne lrsquoexistence des ecirctres in intellectu (I 43 45 II 1-3 8 13)

Les autres adverbes qui deacutesignent cet eacutetat sont aeternaliter et immutabiliter (I 46) Les adverbes

qursquoon trouve agrave propos des ecirctres in actu sont actualiter (I 49 II 2) et corporaliter (II 3)

En II 13 Achard remplace lrsquoexpression drsquoin intellectu par in mente et in actu par in materia

En II 15 ces couples se transforment en in mentein opere Une seacuterie drsquooppositions semblables agrave

celles drsquoin intellectuin actu se trouve dans le chapitre II 17 ougrave la raison causale est deacutecrite

842 laquo Non autem absolute pronuntiandum est quod Deus ab aeterno aliquam rem fecerit Intelligeretur enim modus ille faciendi qui est ad actum non ille qui est ad intellectum Cum determinatione autem modi dici potest quod per se non ut quid fecit caelos Deus in intellectu vel omnia apud se ab aeterno vel fecit quae factura erant vel quae facturus erat Siltcgt enim innuitur quod non eodem modo intelligitur ea fecisse tunc quo post et quo res actu ipso fieri dicuntur Si ea namque essent facta modo tunc possent dici post factura vel facienda Hii autem modi duo faciendi nominari possunt ut dictum est de re qualibet quae facta ibi commemoratur Dixit Deus Fiat et post annectitur Et factum est ita ut vel tale aliquid Per hoc enim quod ait Scriptura Dixit Deus Fiat significavit illum fieri rerum quod non solum est ex verbo sed et in verbo Apud se enim hoc dixit nec ex tempore sed ab aeterno Nec prius hoc dixit quam in verbo ipsius id quod dixit ut fieret jam factum est raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 138-139

322

ratio

in se843 ipsa in creatura

substantialiter actualiter

per naturam propter gratiam

per plenitudinem per participationem

perseverare desinere

Les raisons existent en elles-mecircmes substantiellement par leur nature de maniegravere pleine

en existant toujours Dans la creacuteature elles sont actuellement (in actu) par la gracircce et par

participation aux ecirctres qui cessent drsquoexister De cette faccedilon la distinction des deux niveaux nrsquoest

preacutesente pas seulement dans les chapitres qui parlent de formes

Le couple in intellectuin actu deacutesigne les deux modes drsquoexistence des ecirctres dans lrsquointellect

de Dieu et dans le monde creacuteeacute Il correspond aux adverbes hic et ibi qui deacutesignent deux niveaux de

reacutealiteacute Dieu et la creacuteature Lrsquoorigine de cette expression se trouve dans la doctrine de Dieu qui

conccediloit le monde In intellectu deacutesigne en premier lieu les ecirctres dans lrsquointellect de Dieu Achard

deacuteveloppe eacutegalement la doctrine de la double creacuteation du monde drsquoabord intelligible in intellectu

et puis sensible in actu

Dans la doctrine drsquoAchard le monde intelligible a la prioriteacute sur le monde sensible Etre in

intellectu Dei est une existence veacuteritable La reacutealiteacute intelligible preacutecegravede la reacutealiteacute sensible Les

uniteacutes intelligibles ndash les ecirctres in intellectu ndash sont des concepts dans la connaissance divine et en

mecircme temps des objets primaires dans la reacutealiteacute Dans ce cadre la doctrine de la connaissance de

Dieu deacutecrit la reacutealiteacute entiegravere De cette faccedilon elle devient ontologique Ainsi la distinction in

intellectuin actu est une distinction eacutepisteacutemologique au sens propre car elle deacutecrit la diffeacuterence

entre la connaissance (de Dieu) et la creacuteature Cette distinction est ontologique au sens large car elle

deacutecrit la diffeacuterence entre la reacutealiteacute primaire et la reacutealiteacute secondaire

IX32 In intellectuin actu et la forme premiegravere

Il a eacuteteacute deacutejagrave eacutetabli qursquoil existe trois types de formes la premiegravere forme les formes creacuteeacutees et

les idos Les formes creacuteeacutees sont les prototypes des idos (formes dans les choses) et elles sont toutes

843 Le terme in se (in seipso in semetipsis etc) srsquoajoute parfois au couple in intellectuin actu Lrsquoeacutetude de ce terme dans le De unitate montre qursquoil ne deacutesigne pas toujours le mecircme mode (in intellectu ou in actu) mais sa signification deacutepende du contexte Par exemple la chose in se = in actu (5 fois ndash I 46 2 fois ndash I 47) une opposition reacutepeacuteteacutee in seibi (I 48) etc une chose universelle en elle-mecircme = in intellectu (II 8) les formes sont intelligeacutees lagrave-bas in se = in intellectu (2 fois ndash II 14) Mecircme au sein du mecircme chapitre in se eacutevoque parfois une œuvre creacuteeacutee (opera in se) parfois la raison (in seipsa II 17)

323

intelligeacutees dans la forme premiegravere Pourtant cette description est insuffisante Notamment en ce qui

concerne la description de lrsquointeraction entre ces trois types de formes qui sont les trois niveaux de

la hieacuterarchie verticale des uniteacutes intelligibles Nous allons eacutetudier drsquoabord la relation de la forme

premiegravere aux formes creacuteeacutees et aux idos Cela implique aussi la question comment la pluraliteacute des

formes provient-elle agrave partir drsquoune forme unique

Voyons agrave preacutesent quelle est la position de la forme premiegravere par rapport aux formes creacuteeacutees et

aux idos dans le De unitate (II 2)

laquo Or celle-ci [la Sagesse] nrsquoa eacuteteacute ni faite ni formeacutee elle est donc elle-mecircme le modegravele

premier de tout et la forme premiegravere en laquelle srsquoaccomplit la formation intellectuelle

eacuteternelle des choses Quant agrave ltla formegt qui est drsquoelle ltelle se trouvegt actuellement dans

ces choses mecircmes faites dans le temps et par conseacutequent elle est aussi elle-mecircme faite

temporelle ici-bas844 raquo

Achard insiste sur le fait que laquo la formation intellectuelle eacuteternelle des choses raquo srsquoaccomplit

dans la forme premiegravere Il eacutevite de dire que les formes proviennent de la forme premiegravere Les

formes secondes sont appeleacutees formeacutees faites et creacuteeacutees (facta et creata 845) dans la forme premiegravere

qui est le modegravele premier (exemplar primum) Mais crsquoest in actu qursquoelles sont faites dans la matiegravere

Achard traite davantage de la relation entre la forme premiegravere et les formes En II 14 il

demande si le fait qursquoil y ait agrave la fois la forme premiegravere et les formes creacuteeacutees signifie qursquoil y ait pour

chaque chose deux prototypes

laquo Il ne faut pas croire en effet que Dieu a eu aupregraves de soi deux formes et modegraveles de

chaque chose agrave former ltmodegravelesgt drsquoapregraves lesquels il formerait une seule chose en acte

selon un mode unique et pas davantage qursquoeacutetait ou eacutetait intelligeacutee lagrave-bas dans une autre

forme une forme diffeacuterente drsquoelle numeacuteriquement mdash non mais que crsquoest celle-lagrave mecircme qui

eacutetait lagrave-bas veacuteritablement et essentiellement qui eacutetait elle-mecircme intelligeacutee lagrave-bas en elle-

mecircme et non pas une autre en elle De mecircme ce sont absolument les mecircmes ltecirctresgt que 844 laquo Ipsa autem facta non est vel formata ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna quae ex ipsa est actualiter in rebus ipsis temporaliter factis et ideo ipsa quoque hic facta temporalis raquo De unitate II 2 MARTINEAU p 140-141 traduction modifieacutee par I Lystopad Nous avons eacutelimineacute le mot laquo provient raquo qui eacutetait ajouteacute par Martineau Nous croyons qursquoAchard reacuteserve les termes processio et procedere agrave ce qui correspond agrave la diviniteacute (cela est surtout visible dans les chapitres I 1-36 ougrave il utilise ces mots assez souvent ndash 45 fois pour procedere ndash afin de deacutesigner les relations des personnes de la Triniteacute) et aux relations entre des formes creacutees et des choses (voir plus haut) Dans le deuxiegraveme traiteacute on ne trouve pas souvent ces mots mais il est remarquable qursquoAchard lrsquoemploie pour deacutesigner les processus relieacutes aux aspects theacuteologiques (la provenance de quelque chose de Dieu voir II 3) de sa doctrine ou agrave drsquoautres aspects Ces mots nrsquoapparaissent cependant jamais lorsqursquoAchard fait reacutefeacuterence agrave la forme premiegravere 845 Bien que dans ce chapitre Achard parle en neutre crsquoest plutocirct le moyen stylistique pour eacutevoquer les ecirctres intellectuels qui sont lagrave-bas cela-veut-dire les formes laquo Haec autem siltngtt apud Deum non modo facta sed et creata et formata in locis non paucis ut ostensum est ex parte testatur manifesteraquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140

324

Dieu a vus a intelligeacutes a posseacutedeacutes aupregraves de lui-mecircme et qursquoil a eacutepancheacutes dans la chose agrave

former afin qursquoadvicircnt dans la matiegravere la forme qui eacutetait jusqursquoalors aupregraves de lui sans

aucune matiegravere en sorte que conduite jusqursquoagrave la matiegravere agrave laquelle elle est imprimeacutee et en

laquelle elle est temporellement exprimeacutee ltcette formegt a eacuteteacute faite temporelle qui en elle-

mecircme eacutetait et est eacuteternelle ici ltfaitegt variable et corruptible elle qui lagrave-bas lteacutetait et estgt

veacuteritablement immortelle ici creacuteeacutee elle qui lagrave-bas lteacutetait et estgt increacuteeacutee ici formeacutee elle

qui lagrave-bas lteacutetait et estgt non ltcertesgt informe mais suprecircmement formelle (belle) quoique

non pas formeacutee ici faite elle qui lagrave-bas lteacutetait et estgt engendreacutee ici ltfaitegt œuvre de la

raison elle qui lagrave-bas lteacutetait et estgt la raison mecircme ici ltcreacuteeacuteegt une sorte de son exprimant

le Verbe elle qui lagrave-bas lteacutetait et estgt Verbe exprime sans son846 raquo

Ainsi pour Achard il est eacutevident qursquoil nrsquoexiste pas deux prototypes pour une mecircme chose

Il est important de distinguer deux ideacutees principales de ce passage

1) laquo Les ltecirctresgt que Dieu a intelligeacutes aupregraves de lui-mecircme raquo sont les mecircmes que ceux laquo qursquoil

a eacutepancheacutes dans la chose agrave former raquo (les idos) Nous supposons que ce passage donne accegraves agrave la

signification du couple in intellectuin actu Les formes intelligeacutees par Dieu in intellectu sont les

idos dans les choses in actu De mecircme les choses sont in intellectu comme les formes creacuteeacutees qui

correspondent aux idos

2) La forme premiegravere nrsquoest pas diffeacuterente numeacuteriquement des formes creacuteeacutees Les formes

creacuteeacutees sont quant agrave elles dans les choses en tant qursquoidos Cependant la premiegravere forme se trouve

dans les choses et peut ecirctre conccedilue comme faite temporelle variable et corruptible

En deacutefinitive les mecircmes formes sont intelligeacutees dans la forme premiegravere mais elles existent

dans les choses in actu La relation entre la forme premiegravere et les formes creacuteeacutees est deacutecrite par

Achard sans recours agrave des termes de provenance tels que provenire ou procedere En outre la

forme premiegravere peut ecirctre conccedilue en tant que

- non faite (en elle-mecircme) et faite (dans les formes creacuteeacutees et dans les choses)

- eacuteternelle (en elle-mecircme ou dans les formes creacuteeacutees) et temporelle (dans les choses)

- non formeacutee et formeacutee

- etc

846 laquo Non enim Deum rei cujusque formandae duas apud se credendum est habuisse formas et exemplaria duo secundum quae rem unam in actu uno formaret modo nec in forma alia ibi erat vel intelligebatur forma numero differens ab illa sed quae ibi erat vere et essentialiter ipsa ibi intelligebatur in se ipsa nec altera in illa Item prorsus numero illa eademque apud se vidit intellexit et habuit in rem formandam effudit ut hic esset in materia ltformagt quae apud illum usque erat absque omni materia et exacta etiam materiae cui est impressa et in qua temporaliter est expressa hic facta est temporalis quae in seipsa erat et est aeterna hic variabilis et corruptibilis ltquae ibi eratgt et ltestgt vere immortalis hic creata quae ibi increata hic formata quae ibi non informis sed summe formosa non tamen formata hic facta quae ibi genita hic opus rationis quae ibi ratio ipsa hic quasi sonum Verbum exprimens quae ibi Verbum absque sono expressum raquo De unitate II 14 MARTINEAU p 174-75

325

Ainsi crsquoest gracircce agrave la relation in intellectuin actu que la forme premiegravere est identique aux

formes creacuteeacutees et aux choses

En II 3 Achard insiste sur le fait que les formes sont distinctes agrave lrsquointeacuterieur de la forme

premiegravere Pourtant il ne lrsquoexplique pas Il dit mecircme en II 4 qursquoil est impossible de deacutefinir quelles

sont les laquo proprieacuteteacutes selon lesquelles elle [distinction entre les raisons] existe raquo et laquo comment la

distinction des raisons procegravede de son origine 847raquo En deacutefinitive il ne donne pas de reacuteponse

satisfaisante agrave la question de savoir comment la pluraliteacute des formes provient drsquoune forme premiegravere

Pour conclure la forme premiegravere contient la pluraliteacute des formes in intellectu Elle est

reacutealiseacutee dans ces formes in actu Elle peut posseacuteder des qualiteacutes opposeacutees (ecirctre une et multiple

creacuteeacutee et increacuteeacutee eacuteternelle et temporelle) dans deux modes drsquoexistence Achard explique comment la

forme premiegravere est relieacutee agrave la pluraliteacute des formes mais non comment la pluraliteacute des formes

apparaicirct au sein de la forme premiegravere

IX33 Lrsquoidentiteacute des ecirctres in intellectu et in actu

Le deuxiegraveme sujet qui apparaicirct au sein de la hieacuterarchie des formes est la relation entre les

formes creacuteeacutees (ideacutees) et les formes dans les choses (idos) On a deacutejagrave deacutecouvert que ce sont les

formes qui preacuteexistent in intellectu et les copies qui sont creacuteeacutees in actu Achard pose les questions

suivantes par rapport agrave leur relation

- Quelle est la distinction entre les ecirctres ici et lagrave-bas

- Est-ce qursquoil existe le mecircme nombre de choses in intellectu et in actu

- En quoi consiste la diffeacuterence qualitative entre les formes et les choses

1 La question de la distinction est poseacutee en I 43-45 Dans le chapitre I 43 Achard introduit

les termes disposita et composita exemplaris et simulacrum forma et exemplum Ils deacutesignent

lrsquoexistence des formes in intellectuin actu Quelle est la signification de ces termes

laquo Il ltDieugt a donc intelligeacute de toute eacuteterniteacute absolument tout ce qursquoil ferait avec le temps ou

dans le temps non seulement quels ltecirctresgt il ferait mais encore leur quantiteacute leur qualiteacute

le comment de leur relation agrave lui ou entre eux en quoi aussi ils seraient actifs ou passifs ougrave

et quand ils seraient comment ils devraient ecirctre placeacutes dans leurs lieux propres ce qursquoils

847 laquo Quodnam vero ipsa sit id est quae proprietates secundum quas consistit non ltcorregtlationes quas rationes rerum habent ad res ipsas tantum earum rationes dicuntur vel qualiter distinctio rationum a sua procedit origine hoc ut opus ostendet[ur] non modo difficile sed videtur indicibile raquo De unitate II 4 eacuted MARTINEAU p 148-149

326

possegravederaient et absolument tout ce qui est ou peut ecirctre conccedilu avec veacuteriteacute dans les choses

[hellip] Crsquoest donc de toute eacuteterniteacute qursquoil eut preacutesentes aupregraves de soi avant que rien ne fucirct non

seulement les substances de tout ce qursquoil ferait mais encore leurs quantiteacutes et leurs nombres

leurs lieux et leurs temps etc848 raquo

En I 45 Achard explique comment cela est possible

laquo Car bien qursquoil nrsquoy ait ici qursquoun seul soleil qursquoun seul monde lagrave-bas il y en a une infiniteacute

Et de mecircme encore pour les individus ils sont distingueacutes lagrave-bas par une infiniteacute de formes

et par lrsquoinfiniteacute des degreacutes de la mecircme forme En effet le ciel qui ici nrsquoest que rond lagrave-bas

est triangulaire lagrave-bas est carreacute et figureacute agrave lrsquoinfini de toutes les maniegraveres849 raquo

Il srsquoagit ainsi de la variation des eacuteleacutements (qui correspondent aux dix cateacutegories drsquoAristote)

sous une chose Par une chose Achard comprend ce qui a eacuteteacute fait in actu Les choses in intellectu

sont disposeacutees et preacutevues par Dieu avec toutes leurs variations possibles et elles sont faites in actu

composeacutees de la collection deacutefinie drsquoeacuteleacutements

Substance1 quantiteacute1 qualiteacute1 hellip

Substance2 quantite2 qualiteacute2 hellip

Chose

Achard choisit une chose creacuteeacutee comme le point de deacutepart de sa doctrine meacutetaphysique La

creacuteation intelligible preacutevoit la creacuteation des choses sensibles

Au deacutebut du chapitre I 46 Achard demande comment il est possible que les ecirctres changent

ici (apparaissent et disparaissent) tandis qursquoils restent immutables en Dieu Voici sa reacuteponse

laquo [Ces choses] qui sont ici ne sont pas identiquement dans lrsquointellect de Dieu En cela

consiste en effet cet ecirctre des choses dans lrsquoesprit de Dieu dont nous traitons preacutesentement 848 laquo Intellexit igitur ab aeterno omnia quaecumque cum tempore vel in tempore facturus erat non solum [ante] quae sed et quanta et qualia et qualiter ad ipsum vel ad invicem referenda quid etiam activa quidque passiva ubi et quando futura qualiter in suis ponenda locis et quid habitura et omnino si quid aliud in rebus est vel vere excogitari potest [hellip] Ab aeterno igitur antequam quicquam esset apud se praesentes habuit omnium quae facturus erat non solum substantias sed et quantitates et numeros loca et tempora etc raquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 114-115 849 laquo Cum enim unus hic sit sol nec mundus nisi unus ibi sunt infinita Singula quoque individua per infinitas ibi distincta sunt formas et per ejusdem formae gradus infinitos Caelum enim quod hic est non nisi rotundum ibi est triangulum ibi est quadratum et usque in infinitum modis omnibus figuratum raquo De unitate I 45 eacuted MARTINEAU p 118-119

327

agrave ecirctre lagrave-bas par la connaissance et lrsquointelligence crsquoest-agrave-dire agrave ecirctre lagrave-bas connu et intelligeacute

par Dieu (car Dieu connaicirct et intellige en soi-mecircme tout ce qursquoil connaicirct et intellige)850 raquo

Il srsquoagit donc de lrsquoexistence des ecirctres dans lrsquointellect (intellectus) ou esprit (mens) de Dieu

qui est diffeacuterente de leur existence in actu Cette diffeacuterence consiste dans le fait que les uniteacutes in

intellectu contiennent toutes les variations possibles des ecirctres in actu

2 Achard pose en I 46 et en I 48 la question du nombre des choses lagrave-bas par rapport au

nombre des choses ici Apregraves avoir eacutetabli que les ecirctres ici et lagrave-bas ne sont pas identiques Achard se

demande srsquoils sont les mecircmes dans le nombre Comme nous lrsquoavons deacutejagrave eacutetabli cette question

demande srsquoil existe un prototype intelligible pour chaque chose creacuteeacutee Il srsquoagit du problegraveme de

lrsquoidentiteacute numeacuterique

Achard reacutepond que oui Lrsquoargument principal en faveur de cette thegravese est que Dieu a tout fait

comme il lrsquoa preacutevu car il est omnipuissant et omniscient (I 46)

laquo Mais si ce nrsquoest pas la mecircme chose numeacuteriquement qui est en acte et dans lrsquointellect de

Dieu dans son œuvre et dans sa connaissance si ce nrsquoest pas la mecircme chose par le nombre

qursquoil a disposeacute de toute eacuteterniteacute et faite dans son œuvre si au contraire il nrsquoa pas vu qursquoil

ferait une chose autre parle nombre et a ltpourtantgt fait cette chose autre et si celle qursquoil a

faite il nrsquoa pas vu qursquoil la ferait mecircme par le nombre si enfin comme ce qursquoil voit qursquoil

fera il a dit aussi par son Verbe coeacuteternel qursquoil le ferait il nrsquoa pas fait cela mecircme et donc

manque drsquoaccomplir ce qursquoil avait preacutedit mdash alors jusque dans son Verbe qui pourtant est la

Veacuteriteacute mecircme il y aura eu quelque fausseteacute851 raquo

Voici les termes utiliseacutes par Achard pour deacutesigner les deux niveaux ougrave lrsquoon compte le

nombre des choses

numerus

in Dei intellectu in actu

in ipsius cognitione in opere

ab aeterno disposuit in opere fecit

850 laquoSi autem eaedem non sunt nec eaedem quae hic sunt in intellectu Dei sunt Hoc namque est esse rerum in mente Dei de quo agimus esse ibi per notitiam atque intelligentiam id est ibi a Deo nosci atque intelligi (in se ipso notuit et intelligit quaecumque novit et intelligit) raquo De unitate I 46 eacuted MARTINEAU p 118-119 851 laquo Sed si non eadem numero res est in actu et in Dei intellectu in opere et in ipsius cognitione nec rem numero eandem ab aeterno disposuit et in opere fecit sed alteram numero se facturum non vidit et alteram fecit et quam fecit eandem numero se facturum non vidit et quia quod facturum se videt se etiam verbo sibi coaeterno facturum dixit non autem ipsum id fecit nec adimplevit quod praedixit et in verbo ejus quod ipsa veritas est falsitas fuerit raquo De unitate I 46 eacuted MARTINEAU p 120-121

328

Par conseacutequent Dieu a creacuteeacute la mecircme quantiteacute de choses que ce qursquoil avait preacutevu In

intellectu est eacutegal ici agrave laquo ce que Dieu a preacutevu agrave faire raquo et in actu agrave ce qursquoil a fait Achard insiste sur

le fait que ce sont les choses qui sont in intellectu et in actu Voici les termes qursquoil utilise pour

deacutecrire les deux modes drsquoexistence des choses en I 46 et 47

res

in mente vel intellectu Dei in ipso quem in se habent actu

subsistendi

in mente Dei in se ipsa

intellectualiter aeternaliter quia

immutabiliter

corporaliter quia variabiliter

intelligi esse

La diffeacuterence entre les choses in intellectu et in actu est semblable agrave la diffeacuterence entre ces

deux modes drsquoexistence que nous avons deacutecrits plus haut En I 47 Achard ajoute que lrsquoexistence

des ecirctres in actu est proprement deacutesigneacutee par le verbe esse tandis qursquoin intellectu leur existence est

plutocirct intelligeacutee (intelligi)

Il semble que la solution du problegraveme de lrsquoidentiteacute numeacuterique est qursquoil existe le mecircme

nombre de choses in intellectu et in actu Mais dans ce cas comment les ecirctres qui sont immuables

lagrave-bas sont-ils les modegraveles des ecirctres qui changent ici avec le temps Achard pose cette question en

I 48852 Sa reacuteponse est la suivante

laquo Mais ce qui quelque part est en acte cela mecircme est advenu aussi en intellect en effet tout

ce qui est ici est aussi lagrave-bas mais tout ce qui est lagrave-bas nrsquoest pas ici et tous les ecirctres qui se

succegravedent aussi ici sont simultaneacutement lagrave-bas en raison de leur vitaliteacute et de leur externaliteacute

naturelles drsquointellection853 raquo

En effet les choses ici et lagrave-bas nrsquoexistent pas de la mecircme maniegravere Tandis qursquoici les choses

changent dans le temps elles possegravedent lagrave-bas tous ces changements simultaneacutement Les uniteacutes lagrave-

bas sont plus remplies par des eacuteleacutements que les choses ici Par conseacutequent la question du nombre

des choses reccediloit sa reacuteponse de la mecircme faccedilon que la question des distinctions des formes agrave travers

852 laquo Cum autem res eaedem ut ostensum est sint et hic et ibi investigandum est utrumne illae quae eaedem [numero] sunt hic et ibi sint hic et ibi eaedem numero an alter hic alter ibi an etiam respectibus diversis et eaedem et alterae et quae eaedem et alterae raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 118 853 laquo Quod autem alicubi sit actu idipsum contigit et intellectu quicquid enim hic est et ibi sed non omne quod ibi est et hic et quaecumque et hic sibi succedunt ibi ex naturali vivacitate et aeternalitate intelligendi simul sunt raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-125

329

la diffeacuterence in intellectuin actu Il existe le mecircme nombre de choses ici et lagrave-bas mais les

prototypes ne sont pas identiques aux copies Les prototypes sont remplis par tous les eacuteleacutements

possibles et cela permet aux choses ici de varier (changer les eacuteleacutements) dans le temps Il faut

souligner que la question de lrsquoidentiteacute quantitative est poseacutee par rapport aux choses

3 En I 49-50 Achard pose la question comment les choses ici peuvent-elles ecirctre les

copies des choses lagrave-bas eacutetant donneacute que leurs proprieacuteteacutes sont diffeacuterentes Il srsquoagit dans ce cas du

problegraveme identifieacute avant comme identiteacute qualitative Achard deacutecrit les choses in intellectu et in actu

de maniegravere suivante

laquo Disons donc afin que soit bien deacutetermineacute autant qursquoelle peut lrsquoecirctre la distinction modale

entre les formes des choses en intellect et les formes de ces mecircmes choses en acte que les

premiegraveres sont intellectuelles les secondes actuelles les premiegraveres immuables et eacuteternelles

les secondes muables et temporelles ce qui nrsquoempecircche que les unes et les autres ne soient mdash

ou mieux qursquoelles ne soient de part et drsquoautre mdash de mecircme substance854 raquo

Dans ce passage Achard change de sujet Il passe des choses aux formes Voici comment il

caracteacuterise la distinction des formes ici et lagrave-bas (I 50)

formae rerum in intellectu formae earundem in actu

invariabiliter variabiliter

ibi hic

illae istae

intellectuales actuales

immutabiles mutabiles

aeternae temporales

et ejusdem tamen substantiae sunt utraeque vel potius utrobique

Bien que les choses ici et les formes lagrave-bas aient des proprieacuteteacutes opposeacutees (muables-

immuables temporelles-eacuteternelles) Achard ne les perccediloit pas comme deux termes indeacutependants Il

souligne qursquoelles sont de la mecircme substance laquo les deux raquo (utraeque) ou plutocirct laquo de part et drsquoautreraquo

(laquo des deux cocircteacutes raquo utrobique)

Les preacutemisses de cette conclusion ont eacuteteacute proposeacutees en I 49

854 laquo Ut ergo secundum modos inter formas rerum in intellectu et formas earundem in actu qualis potest notetur distinctio illae sunt intellectuales istae actuales illae immutabiles et aeternae istae mutabiles et temporales ejusdem tamen substantiae sunt utraeque vel potius utrobique raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135

330

laquo Conclusion crsquoest de faccedilon immuable que sont lagrave-bas toutes choses Leur mode drsquoexister

lagrave-bas en effet est le mode mecircme de les intelliger lagrave-bas de sorte que leur existence lagrave-bas

est leur intelligence lagrave-bas [hellip] Et crsquoest ce mode assureacutement qui distingue les choses en tant

qursquoelles sont dans lrsquointellect de ces mecircmes choses en tant qursquoelles sont en acte Et ce mode

est lagrave-bas non seulement intellectuellement mais encore essentiellement tout comme

lrsquointellect lui-mecircme tout comme Dieu lui-mecircme Mais le mode drsquoexister que les creacuteatures

possegravedent en soi bien qursquoil soit dit ecirctre lagrave-bas parce qursquoil est intellige comme les creacuteatures

elles-mecircmes nrsquoest pas lagrave-bas cependant en acte mecircme pas davantage que ces ltcreacuteaturesgt

crsquoest pourquoi on pense qursquoil faut croire que les choses sont lagrave-bas plutocirct immuables ou

eacuteternelles agrave cause du premier mode qui lagrave-bas ne fait absolument pas deacutefaut que muables

ou temporelles agrave cause de leur substance ou de leur qualiteacute ou de leur mode ou autres

quelconques ltproprieacuteteacutesgt qui ne peuvent ecirctre dites ecirctre lagrave-bas sinon seulement parce

qursquoelles sont intelligeacutees lagrave-bas855 raquo

Lrsquointention principale de ce chapitre est de montrer comment les choses sont muables et

immuables simultaneacutement Toutefois outre cela Achard explique lrsquoexistence des choses in

intellectu et in actu Il appelle in intellectu et in actu des modes drsquoexistence Le mode in intellectu

est essentiel et il inclut le mode in actu Les proprieacuteteacutes des choses qui se reacutevegravelent in actu (ecirctre

muables et temporelles) sont intelligeacutees in intellectu Mais les choses in intellectu ne possegravedent pas

ces qualiteacutes de la mecircme maniegravere qursquoin actu

En deacutefinitive les choses lagrave-bas et ici ne sont pas les mecircmes qualitativement Les premiegraveres

sont in intellectu et les deuxiegravemes in actu Il est essentiel que le mode drsquoexistence in intellectu

comprenne les proprieacuteteacutes du mode drsquoexistence in actu de sorte que ces proprieacuteteacutes soient intelligeacutees

lagrave-bas Vu qursquoAchard ne seacutepare pas deacutefinitivement les choses des formes les deux modes

drsquoexistence in intellectu et in actu sont adapteacutes agrave la fois aux choses et aux formes Les choses

peuvent ecirctre conccedilues lagrave-bas comme immuables incorruptibles et eacuteternelles et faites ici comme

muables corruptibles et temporelles Les formes peuvent ecirctre prises en tant que prototypes des

choses et les choses en tant que formes qui ont eacuteteacute faites

855 laquo Immutabiliter igitur ibi sunt omnia Modus enim illorum ibi existendi modus est ipsa ibi intelligendi ut ipsorum ibi existentia ipsa est eorum ibi intelligentia [hellip] et ille quidem modus discernit res prout sunt in intellectu ab eis ipsis prout sunt in actu Qui modus ibi est non solum intellectualiter sed et essentialiter veluti et ipse intellectus veluti et ipse Deus modus vero subsistendi quem habent creaturae in se etsi dicatur ibi esse quia intelligitur ut ipsae creaturae non tamen ibi est ipso actu quemadmodum nec illae et ideo magis credendum esse putatur quod res ibi immutabiles vel aeternae sunt propter modum priorem qui omnino ltnongt deest ibi quem mutabiles sive temporales propter earum substantiam vel qualitatem vel modum sive quaelibet alia quae non possunt dici esse ibi nisi quia solum intelliguntur ibi raquo De unitate I 49 eacuted MARTINEAU p 132-135

331

Les vertus et les beacuteatitudes sont aussi in intellectu et in actu de maniegravere diffeacuterente In

intellectu elles sont de telle sorte que laquo lrsquoinfiniteacute de ces vertus et de ces beacuteatitudes correspond en

quelque maniegravere agrave son immensiteacute et que ce qui lagrave-bas est en soi-mecircme sans limite est aussi en

celles-ci sans nombre raquo tandis qursquoin actu elles sont laquo dans une distinction varieacutee et multiple et

mecircme infinie856 raquo

En deacutefinitive le couple terminologique in intellectuin actu explique la diffeacuterence entre les

ecirctres ici et lagrave-bas (les uniteacutes in intellectu contiennent toutes les variations des choses in actu) En

introduisant le couple in intellectuin actu Achard eacutetablit lrsquoidentiteacute quantitative des choses Les

choses in actu sont totalement eacutegales aux choses in intellectu Mais cette relation nrsquoest pas

reacuteciproque Les choses in intellectu ont plus des eacuteleacutements et des qualiteacutes que les choses in actu

IX34 Intellectus comme notion indeacutependante

IX341 Intellectus en tant que faculteacute de lrsquoesprit

Lrsquointellect deacutesigne lrsquoune des faculteacutes cognitives de lrsquohomme (avec le sensus lrsquoimaginatio et

la ratio857) La raison et lrsquointellect sont des faculteacutes mentales supeacuterieures Tandis que la raison

permet de juger correctement lrsquointellect est plutocirct destineacute agrave observer et agrave discerner les objets (I 43

ndash lrsquointellect qui voit les trois sortes de raisons I 44 ndash lrsquointellect qui voit la diffeacuterence entre

lrsquohomme et lrsquoacircne I 46 ndash lrsquointellect ndash une sorte drsquoœil laquo inteacuterieur raquo858 )

Il a eacuteteacute deacutejagrave deacutemontreacute que lrsquoexpression in intellectu deacutesigne lrsquoexistence des formes des

choses dans lrsquointellect de Dieu agrave savoir leur preacuteexistence par rapport aux choses creacuteeacutees (I 43 47)

Lrsquointellect qui est Dieu lui-mecircme son Fils (le Verbe) et la forme premiegravere a une substance

supeacuterieure aux choses et aux formes Les distinctions des choses sont dans lrsquoIntellect de Dieu (II 4)

qui est lui-mecircme distinct en tant que forme premiegravere (II 3)

Lrsquoadjectif intellectualis est employeacute pour qualifier les noms forma (I 43 50 II 1) modus

(I 43 48 II 2) res universalis (II 8) formatio (II 2 13) mais aussi une partie du terme numerus

856 laquo Intellectu tamen processit ut istarum infinitas illius virtutum et beatitudinis quodammodo respondeat immensitati ltetgt ut quod ibi in seipso sine termino in istis quoque sit et sine numero ibique nihil sit in sua unitate quod non hic totum sit in varia et multiplici imo infinita distinctione raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-145 857 Voir laquoquales eas concipit vel definit ratio quae ad sensum vel imaginationem nunquam venire possunt sed in sola rationis vel intellectus comprehensibilitate subsistunt raquo De unitate II 7 MARTINEAU p 158-159 laquoIbi solum intelligibilia hic sensibilia vel imaginabilia id est sensu vel imaginatione perceptibilia quamvis non omnia illa namque ad solum veniunt intellectum quae de creaturis sunt incorporeis raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166-167 858 Crsquoest Martineau qui installe le parallegravele entre lrsquo laquo oculus scilicet intellectus raquo drsquoAchard et lrsquo laquo oculus interioris raquo drsquoAugustin voir ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted MARTINEAU E Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 46 note 5 p 121

332

intellectualis (II 5 ndash 2 fois II 7) Le contexte de lrsquoemploi de cette notion montre qursquoil srsquoagit de

lrsquoexistence des ecirctres (formes nombres modes) au niveau de lrsquointellect de Dieu La substance des

raisons est elle-mecircme intellectuelle (II 9) Les essences et les choses sont aussi formeacutees

intellectuellement (formatio intellectualis) Ainsi lrsquoadjectif intellectualis deacutesigne plutocirct un ecirctre qui

existe dans lrsquointellect de Dieu Pour deacutesigner les ecirctres conccedilus par lrsquohomme Achard emploie

lrsquoadjectif intelligibilis (I 43 II 7 et 10)

Ainsi en tant que faculteacute de lrsquoesprit intellectus peut appartenir agrave lrsquohomme ou agrave Dieu

Achard utilise quelques notions relieacutees drsquointellectus intelligentia et mens

Le plus souvent intelligentia (laquo intelligence raquo trad Martineau) deacutesigne le processus de

lrsquointellection (I 46 II 15 18) Quelques fois Achard utilise la meacutetaphore de la vision pour

illustrer ce concept lrsquoœil de lrsquointelligence (oculus corporis vs oculus intelligentiae I 46 II 16) qui

est lrsquointellect lui-mecircme un regard de lrsquointelligence que Dieu seulement est capable de faire

(intuitus intelligentiae I 48) lrsquointelligence comme lumiegravere de lrsquohomme (II 1 14)

Parfois la mens deacutesigne lrsquoesprit en tant que faculteacute humaine responsable de la reacuteflexion (I

5 II 5 16 et 18) Achard emploie notamment cette notion dans les exemples suivantes

- le vers drsquoun poegraveme est le mecircme dans lrsquoesprit dans la voix et dans le livre (I 46 ndash 3 fois et

II 15)

- lrsquoesprit de lrsquoartisan ne fonctionne pas de la mecircme maniegravere que celui de Dieu (II 2)

- lrsquoimage de la veacuteriteacute est dans lrsquoesprit creacuteeacute (II 5 et 14)

En outre la mens deacutesigne lrsquoesprit de Dieu (les trois sortes de raisons sont distinctes dans

lrsquoesprit de Dieu I 41 42 I 46 47) Ce mot est aussi synonyme drsquointellectus (in mente vel

intellectu Dei I 46 les choses sont dans lrsquoesprit de Dieu de maniegravere agrave ecirctre intelligeacutees I 46 48)

Lrsquoesprit de Dieu est plus haut que celui de lrsquohomme (I 46) Ainsi la mens est un terme neutre

(puisqursquoelle nrsquoest impliqueacutee dans aucune hieacuterarchie du De unitate) qui deacutesigne la faculteacute

intellectuelle de lrsquohomme ou de Dieu

IX322 Intellectus en tant que chose conccedilue

Lrsquointellectus signifie parfois quelque chose de conccedilu (I 43 50) En I 43 les diffeacuterences des

substances se reflegravetent dans les intellections859 Ce nrsquoest pas aux choses mais agrave leurs intellections

859 laquo Substantiae vero rerum consistunt et intelliguntur in connexione essentiarum pariter atque formarum quarum tamen ab invicem discretio secundum solas attenditur formas et ltingt omnes illarum redundat intellectus siquidem et essentiae non discernuntur a se nisi ex formarum quae eis adjacent varietate raquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 114-115

333

que lrsquoeacuteterniteacute et lrsquoimmutabiliteacute sont attribueacutees860 Une forme nrsquoest que lrsquointellection drsquoune chose861

Il semble que dans ces cas un intellectus deacutesigne une chose en tant que conccedilue

En II 4 Achard deacuteveloppe la doctrine des intellections Elle sert agrave expliquer comment Dieu

peut voir les choses directement et non pas agrave travers quelque chose laquo Lrsquointellection drsquoune chose

quelconque est en quelque sorte une connexion de celui qui intellige et de la chose intelligeacutee862 raquo

(intelligens-intellectus-res) Celui qui intellige est Dieu la chose intelligeacutee est le monde creacuteeacute De

cette maniegravere la notion drsquointellectus sert agrave unir les choses intelligeacutees et Dieu qui les intellige

Les raisons des choses se trouvent dans le Fils dans lrsquointellect de Dieu et les intellections se

trouvent dans le Saint-Esprit (voir le chapitre V laquo Les personnes de la Triniteacute raquo) Achard forme le

triangle seacutemantique ratio-intellectus-res

En deacutefinitive la notion drsquointellectus fait partie de la doctrine des raisons La notion

drsquointellectus repreacutesente lrsquoaspect cognitif de la raison crsquoest-agrave-dire le fait qursquoelle soit conccedilue et

toutes les proprieacuteteacutes qursquoelle possegravede gracircce agrave cela (ecirctre immuable eacuteternelle etc) Mais elle ne reflegravete

pas le contenu de la raison

Le couple in intellectuin actu est employeacute dans la deuxiegraveme partie du De unitate afin

drsquoexpliquer la relation entre les uniteacutes intelligibles et leurs copies sensibles Tandis que hic et ibi

(ici et lagrave-bas) deacutesignent les deux niveaux drsquoexistence des ecirctres les expressions in intellectuin actu

deacutesignent leurs modes drsquoexistence Drsquoun cocircteacute lrsquoemploi du couple in intellectuin actu megravene agrave une

polarisation dans la doctrine drsquoAchard (les deux niveaux des ecirctres sont opposeacutes) Drsquoun autre cocircteacute

ce mecircme couple sert agrave relier les idos les formes et la forme premiegravere

La distinction de deux modes drsquoexistence des ecirctres provient de la doctrine platonicienne de

la premiegravere production intelligible du monde dans lrsquoesprit de Dieu Le monde a eacuteteacute conccedilu en

premier lieu intellectuellement dans lrsquoesprit du creacuteateur Cette doctrine a eacuteteacute deacuteveloppeacutee par

Augustin et Erigegravene Augustin dit surtout que les ecirctres sensibles ont eacuteteacute creacuteeacutes drsquoabord dans lrsquoesprit

de Dieu (in arte) puis dans le monde (in opere In Iohannis Evangelium tr I 17) Cette distinction

a eacuteteacute reprise par Hugues (in actu et in ratione Sententiae de divinitate pars 2) Hugues propose

eacutegalement la distinction tripartite in actu in intellectu et in mente divina (Didascalicon

appendix) Nous croyons qursquoAchard appartient agrave la mecircme tradition In actu deacutesigne chez lui le

860 laquo Non enim eis sed earum intellectui attribuitur aeternitas vel immutabilitas cum dicuntur ibi aeternae vel immutabiles esse raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135 861 laquo Si enim investigetur quidnam ibi sunt res vel earum formae secundum quod dicuntur ibi esse solum quia de eis ibi habetur intellectus negari nequit ut in prioribus ostensum est quin ibi sint prorsus quod hic quia ibi prorsus intelliguntur quod sunt hic sive substantia sive numero raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135 862 laquo Intellectus autem rei cujuslibet quasi connexio quaedam est intelligentis et rei intellectae raquo De unitate II 4 eacuted MARTINEAU p 148-149

334

mode drsquoexistence des creacuteatures dans le monde sensible in intellectu le mode drsquoexistence des uniteacutes

intelligibles

Lrsquoexpression in intellectu dans le Didascalicon nrsquoa pas la mecircme signification que dans le

De unitate Chez Hugues in intellectu veut dire laquo ecirctre conccedilue par lrsquohomme raquo et chez Achard laquo ecirctre

une uniteacute intelligible dans lrsquoesprit de Dieu raquo En outre comme Hugues Achard emploie les termes

laquo visible raquo et laquo invisible raquo en I 37

A notre avis les noms intellectus et actus proviennent de la philosophie aristoteacutelicienne agrave

travers les pegraveres latins et Boegravece Lrsquointellectus deacutesigne le concept du De interpretatione et actus

provient de lrsquoopposition potentiaactus de la Physique Achard reprend la doctrine du triangle

seacutemantique (ratio-intellectus-res) du De interpretatione Contrairement agrave la doctrine seacutemantique

aristoteacutelico-boeacutecienne lrsquoacteur de ce triangle nrsquoest pas lrsquohomme mais Dieu Crsquoest lui qui conccediloit

les choses et qui a leurs intellectus dans son esprit (De unitate II 4)

Les uniteacutes in intellectu existent en tant que conccedilues par Dieu et les ecirctres in actu en tant

qursquoimprimeacutes dans la matiegravere La vision des uniteacutes intelligibles comme produits de la connaissance

est plutocirct eacutepisteacutemologique En mecircme temps dans le platonisme chreacutetien ecirctre dans lrsquointellect de

Dieu est une reacutealiteacute supeacuterieure et primaire Le couple in intellectuin actu deacutesigne ainsi la diffeacuterence

entre les deux modes drsquoexistence primaire et secondaire Cette distinction est ontologique

Selon Achard la premiegravere multipliciteacute apparaicirct dans la forme premiegravere Les raisons des

choses sont distinctes dans la forme premiegravere mais Achard nrsquoexplique pas pourquoi cette

distinction apparaicirct Les choses ne quittent pas deacutefinitivement la forme premiegravere Elles y restent in

intellectu La forme premiegravere peut ecirctre conccedilue agrave travers les formes creacuteeacutees et agrave travers les choses

Dans ce cas elle est conccedilue comme multiple La forme premiegravere est relieacutee aux choses non pas agrave

travers la provenance mais via les modes in intellectuin actu Elle est une en elle-mecircme in

intellectu et elle est multiple dans les choses in actu

Les partisans de la doctrine de lrsquoesprit de Dieu qui contient les uniteacutes intelligibles disent

aussi que cet esprit est la premiegravere uniteacute intelligible Augustin et Erigegravene preacutecisent qursquoil srsquoagit de

lrsquointellect qui est le Fils de Dieu Selon Augustin Dieu conccediloit (creacutee de maniegravere intelligible) les

choses dans le Verbe Erigegravene croit que le Verbe est une cause si parfaite qursquoelle jaillit dans le

monde

Calcidius croit que la premiegravere uniteacute intelligible est une espegravece Il donne les indications pour

les deux doctrines

- Dieu creacutee les espegraveces secondes dans lrsquoespegravece premiegravere

- lrsquoespegravece premiegravere se multiplie en espegraveces secondes

De cette faccedilon ils enseignent tous qursquoil existe une uniteacute premiegravere qui est lrsquointellect de Dieu

En mecircme temps cette uniteacute a une nature semblable aux uniteacutes intelligibles secondaires qui

335

apparaissent agrave lrsquointeacuterieur drsquoelle-mecircme Lrsquouniteacute premiegravere est une creacuteature paradoxale qui reacuteunit les

traits du creacuteateur et de la creacuteature

Achard suit Augustin les formes ont eacuteteacute conccedilues comme distinctes par Dieu dans la forme

premiegravere Elle est lrsquointellect de Dieu et son Verbe Elle est une et multiple en mecircme temps

Dans le De unitate les ecirctres in intellectu et in actu sont identiques comme les modegraveles et les

copies Nous avons eacutetabli les deux principes de leur identiteacute quantitatif et qualitatif Les deux

doctrines anciennes qui expliquent lrsquoidentiteacute quantitative sont la multiplication et lrsquoexemplarisme

radical

Hugues deacuteveloppe la doctrine de Dieu qui connaicirct les creacuteatures futures de maniegravere parfaite et

inseacuteparable Il eacutetablit lrsquoidentiteacute qualitative des ecirctres dans la connaissance de Dieu et dans la creacuteature

car Dieu connaicirct des futurs ecirctres tels qursquoils seront Quant agrave lrsquoidentiteacute quantitative Hugues deacutecrit la

totaliteacute des ecirctres dans la connaissance de Dieu qui se diviseront en ecirctres singuliers De cette faccedilon

la pluraliteacute apparaicirct agrave travers la division de la totaliteacute premiegravere et non agrave travers la multiplication des

universaux

Achard enseigne qursquoil existe le mecircme nombre de choses ici et lagrave-bas et que chaque chose ici

a son modegravele lagrave-bas En pratique cela veut dire que la pluraliteacute des choses est preacutesente ici et lagrave-bas

mais de maniegraveres diffeacuterentes Achard suit lrsquoexemplarisme drsquoAugustin Il soulegraveve un problegraveme qui

apparaicirct au sein de cette approche comment un prototype intelligible contient-il le changement

qursquoune copie subit lors de son existence En effet une chose in intellectu contient les eacuteleacutements

(rangeacutes selon les dix cateacutegories) qui permettent agrave une chose de changer lors de son existence

Il est inteacuteressant de poser une question concernant lrsquoidentiteacute des choses in intellectu Car si

chaque chose individuelle contient toutes les variations selon toutes les cateacutegories alors les choses

lagrave-bas sont-elles vraiment diffeacuterentes Nous allons eacutetudier cette question dans le chapitre suivant

Nous avons eacutetabli qursquoil existe une uniteacute quantitative des choses ici et lagrave-bas et qursquoAchard

adopte la doctrine de lrsquoexemplarisme radical pour lrsquoexpliquer Une autre question qui apparaicirct est

celle de lrsquoidentiteacute quantitative des formes Est-ce qursquoil existe la mecircme quantiteacute de formes ici et lagrave-

bas Achard en parle peu Du fait que les formes in intellectu et in actu sont les mecircmes (II 14) il

est possible de deacuteduire qursquoil existe une identiteacute des formes Neacuteanmoins il faut preacuteciser que cette

identiteacute est eacutetablie gracircce agrave la deacutefinition Ces sont les mecircmes formes ici et lagrave-bas et en mecircme temps

une forme lagrave-bas peut ecirctre reacutealiseacutee dans plusieurs choses ici Mecircme lagrave-bas une chose contient la

varieacuteteacute des formes

Ainsi dans le cas des choses Achard adopte lrsquoexemplarisme radical une chose lagrave-bas

correspond agrave une chose ici Dans le cas des formes Achard adopte la doctrine de la multiplication

une forme existe lagrave-bas et ici dans plusieurs choses De cette faccedilon Achard combine

lrsquoexemplarisme radical et la multiplication dans sa doctrine

336

Lrsquoidentiteacute qualitative consiste dans le fait que les choses et les formes lagrave-bas possegravedent des

qualiteacutes des ecirctres intelligibles (ecirctre eacuteternelles et immuables) mais aussi des qualiteacutes des ecirctres

sensibles futurs (ecirctre temporelles et corruptibles) Les choses sensibles sont intelligeacutees dans les

formes intelligibles avec les qualiteacutes qui sont propres agrave leur mode drsquoexistence De cette faccedilon

Achard propose la mecircme solution qursquoAugustin et Hugues Dieu immuable et eacuteternel connaicirct les

choses muables et temporelles En deacutefinitive les qualiteacutes des choses sensibles sont complegravetement

eacutegales agrave celles des choses intelligibles mais les qualiteacutes des choses intelligibles sont eacutegales

seulement en partie agrave celles des choses sensibles Cela implique que les formes lagrave-bas contiennent

toutes les qualiteacutes possibles des choses y compris celles qui ne sont pas propres agrave Dieu Dans ce

cas une chose lagrave-bas contient plus de qualiteacutes qursquoune chose ici

337

Chapitre X

Le monde sensible

Dans le cadre de la philosophie platonicienne chreacutetienne le monde intelligible a la prioriteacute

dans lrsquoordre causal sur le monde sensible Dieu creacutee drsquoabord les objets intelligibles qui sont les

prototypes des ecirctres sensibles Cependant nous avons vu que dans la doctrine drsquoAchard les ecirctres

sensibles ne sont pas deacutepourvus de valeur Dieu a des images des choses sensibles dans son

intellect

Est-ce que les formes contiennent tous les aspects drsquoexistence des choses Y a-t-il dans la

chose des eacuteleacutements qui ne sont pas dans la forme Voici le sujet que nous allons traiter Pour mieux

comprendre nous allons poser la question suivante

1) De quoi est composeacute un ecirctre sensible

Nous avons eacutetabli que la position drsquoAchard par rapport agrave la question de lrsquoidentiteacute

quantitative des choses in intellectu et in actu est celle de lrsquoexemplarisme radical La question de la

deacutefinition des eacuteleacutements stables drsquoune chose qui change apparaicirct dans ce cas Voilagrave pourquoi nous

allons poser la question suivante

2) Quel est le principe drsquoidentiteacute de la chose dans le changement

Pour reacutepondre agrave ces questions nous allons eacutetudier les notions destineacutees agrave deacutecrire les ecirctres

sensibles essentia substantia corpus et materia chez des auteurs qui ont pu influencer Achard

Lrsquohistoire de la notion de res est trop vaste pour qursquoon lrsquoexamine dans le cadre de notre travail

Nous allons lrsquoeacutetudier uniquement par rapport agrave Achard

X1 La structure des ecirctres et le problegraveme de lrsquoidentiteacute dans le monde

sensible chez les penseurs tardo-antiques et meacutedieacutevaux

La dichotomie des mondes sensible et intelligible a pour contrepartie lrsquoexistence drsquouniteacutes qui

se correspondent dans les deux mondes Des modegraveles drsquointeraction entre ces deux types drsquouniteacutes ont

eacuteteacute proposeacutes par deux grands penseurs antiques Platon et Aristote Paul Vincent Spade863 deacutecrit les

deux paradigmes ontologiques que ces penseurs ont laisseacutes au Moyen Age

Dans la tradition platonicienne le monde sensible se trouve au croisement de la matiegravere et

des formes Chaque chose sensible qui existe est une union de forme et de matiegravere Les choses sont

connaissables agrave travers leurs formes La relation entre le sujet et le preacutedicat qui a eacuteteacute introduite par 863 PV SPADE laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p1-30

338

Aristote a eacuteteacute employeacutee par des platoniciens pour expliquer la relation entre la matiegravere et la forme

La forme se preacutedique de la matiegravere La matiegravere est elle-mecircme laquo vide raquo (laquo bare particular raquo drsquoapregraves

Spade) sans forme Plusieurs formes peuvent se preacutediquer de la mecircme matiegravere La matiegravere est

unique pour tous les objets sensibles Tout ce qui est accessible agrave la connaissance provient des

formes

Dans la tradition aristoteacutelicienne les objets du monde sont eacutegalement constitueacutes de matiegravere

et de forme Dans les Cateacutegories Aristote souligne que chaque objet sensible peut ecirctre deacutecrit agrave

lrsquoaide de plusieurs formes (substance seconde et accidents) Cependant la forme principale de la

chose est sa forme substantielle864 Elle deacutefinit ce qursquoest cette chose Les autres formes sont

accidentelles elles se preacutediquent de cette forme substantielle

La matiegravere est individuelle pour chaque objet Dans le systegraveme drsquoAristote lrsquoaccent est mis

sur la description drsquoune chose concregravete (substance premiegravere) La matiegravere qursquoon peut connaicirctre fait

partie de cette chose865

Le questionnement concernant la nature des universaux au Moyen Age est baseacute sur la

doctrine des Cateacutegories drsquoAristote Cette œuvre inspire eacutegalement une autre question quelle est la

nature des individus Ou plutocirct comment les objets individuels existent-ils et peuvent-ils ecirctre

deacutecrits agrave lrsquoaide de notions geacuteneacuterales

Jorge Gracia eacutetudie cette question dans son livre Introduction to the Problem of

Individuation in the Early Middle Ages Il remarque que Boegravece introduit la doctrine de

lrsquoindividuation agrave travers les accidents qui srsquoest reacutepandue en Occident Elle est exprimeacutee dans son

De Trinitate I

laquo Mais crsquoest la varieacuteteacute des accidents qui fait la diffeacuterence selon le nombre [hellip] deux corps

en effet nrsquooccuperont pas un seul lieu qui est un accident Et pour cela ils sont plusieurs

selon le nombre puisqursquoils sont faits plusieurs selon les accidents866 raquo

Jorge Gracia analyse ce passage ainsi que les autres textes de Boegravece Il le reacutesume en disant

que Boegravece propose deux deacutefinitions de lrsquoindividu

1) lrsquoindividu est une substance avec une varieacuteteacute unique drsquoaccidents

2) lrsquoindividu ne se preacutedique pas des autres entiteacutes867

864 Paul Vincent Spade emprunte les termes forme substantielle et accidentelle de Thomas drsquoAquin Ibid p 17 865 Voir aussi E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 76-77 866 laquo Sed numero differentiam accidentium varietas facit [hellip] duo enim corpora unum locum non obtinebunt qui est accidens Atque ideo sunt numero plures quoniam accidentibus plures fiunt raquo BOECE De Trinitate 1 eacuted MORESCHINI p 168 trad GALONNIER t II p 136-137 867 J J E GRACIA Introduction to the Problem of Individuation in the Early Middle Ages Munchen 1988 p 109

339

Nous sommes plutocirct inteacuteresseacutee par la premiegravere deacutefinition une chose individuelle est une

substance avec une varieacuteteacute unique drsquoaccidents Les accidents ou les formes (dans la terminologie

neacuteoplatonicienne) rendent une substance individuelle Cette deacutefinition a eacuteteacute deacuteveloppeacutee par Boegravece

dans le deuxiegraveme commentaire sur lrsquoIsagoge de Porphyre868

Nous avons observeacute comment Platon et Aristote deacutecrivent des objets sensibles Drsquoapregraves Paul

Vincent Spade la doctrine aristoteacutelicienne est mieux adapteacutee pour deacutecrire le monde qui change

Aristote fait la diffeacuterence entre les changements accidentels (les formes accidentelles changent

mais la forme substantielle se maintient) et substantiels (la forme substantielle change) Les

changements substantiels sont la geacuteneacuteration et la corruption869 Ainsi la maniegravere aristoteacutelicienne de

deacutefinir le principe drsquoidentiteacute drsquoune chose consiste agrave indiquer des eacuteleacutements qui restent stables lors

drsquoun changement accidentel

Dans la philosophie meacutedio et neacuteoplatonicienne les ecirctres sensibles reacutesultent de la

multiplication drsquoun principe premier Le problegraveme de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre sensible correspond dans ce

cas au problegraveme de lrsquoindividuation tel qursquoil eacutetait formuleacute par Aristote Un ecirctre est deacutefini comme une

forme geacuteneacuterale individualiseacutee gracircce agrave ces nombreux accidents

Les penseurs chreacutetiens acceptent lrsquoun de ces paradigmes (stabiliteacute dans le changement ou

individuation) ou les meacutelangent Ils proposent plusieurs notions ndash substance essence corps matiegravere

ndash pour deacutecrire les objets dans le monde sensible Ils ajoutent agrave ces doctrines Dieu qui est le creacuteateur

des choses et qui a les formes comme penseacutees dans son intellect

Voyons deacutesormais comment les penseurs tardo-antiques et meacutedieacutevaux deacutecrivent le monde

sensible et comment ils expliquent le changement et lrsquoidentiteacute

Les notions drsquoessentia et de substantia ont eacuteteacute introduites dans lrsquoAntiquiteacute latine pour

traduire la notion grecque drsquoousia870 Seacutenegraveque emploie les notions drsquoessence et de substance dans

ses Lettres (essentia en LVIII 5 substantia en LVIII 5 LXXXVII 40 CXIII 2)871 Mais dans la

philosophie de lrsquoeacutepoque en latin elles nrsquoeacutetaient pas des termes freacutequents

868 BRUMBERG J laquo Logico-grammatical Reflections about Individuality in Late Antiquity raquo dans Individuality in late antiquity eacuted A TORRANCE et J ZACHHUBER Farnham 2014 p 86-7 P KING laquo The Problem of Individuation in the Middle Ages raquo dans Theoria t 66 2000 p 163 Sur lrsquohistoire de cette deacutefinition voir CHR ERISMANN laquo Lrsquoindividualiteacute expliqueacutee par les accidents remarques sur la destineacutee ldquochreacutetiennerdquo de Porphyre raquo dans Compleacutements de substance Etudes sur les proprieacuteteacutes accidentelles offertes agrave Alain de Liberan eacuted CHR ERISMANN A SCHNIEWIND Paris Vrin 2008 p 51-66 869 PV SPADE laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p 22-23 870 J-F COURTINE laquo Essentia raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 388-404 871 Seacutenegraveque est effectivement le premier qui a traduit lrsquoousia en tant qursquoessentia Pourtant il attribue cette traduction agrave Ciceron (ce qui est faux) laquo Non id ago nunc hac diligentia ut ostendam quantum tempus apud grammaticum perdiderim sed ut ex hoc intellegas quantum apud Ennium et Accium uerborum situs occupauerit cum apud hunc quoque qui cotidie excutitur aliqua nobis subducta sint lsquoQuid sibi inquis ista praeparatio uult quo spectatrsquo Non celabo te cupio si fieri potest propitiis auribus tuis lsquoessentiamrsquo dicere si minus dicam et iratis Ciceronem auctorem huius uerbi habeo puto locupletem si recentiorem quaeris Fabianum disertum et elegantem orationis etiam ad

340

La notion aristoteacutelicienne drsquohyle est traduite par materia ou par exemple chez Calcidius

par sylva

X11 Apuleacutee

Apuleacutee transmet la penseacutee platonicienne dans son œuvre Platon et sa doctrine Nous avons

deacutejagrave deacutecrit les trois principes des choses selon Apuleacutee Dieu la matiegravere et les formes Voici

comment il explique la notion platonicienne de materia (V 191)

laquo Pour la matiegravere il signale qursquoelle ne peut ecirctre ni creacuteeacutee ni deacutetruite qursquoelle nrsquoest ni feu ni

eau ni aucun autre des principes ou des eacuteleacutements simples mais la premiegravere de toutes les

reacutealiteacutes capable de recevoir des formes et se precirctant agrave ecirctre faccedilonneacutee encore brute et

deacutepourvue de toute speacutecification de forme crsquoest le Dieu artisan qui lui donne sa

configuration drsquoensemble872 raquo

La matiegravere nrsquoest ni corporelle ni incorporelle (car elle constitue les corps) La matiegravere est agrave

lrsquoorigine des corps Elle srsquounit avec des formes pour creacuteer les quatre premiers eacuteleacutements (le feu

lrsquoeau la terre et lrsquoair VII 194) Ils geacutenegraverent les corps animeacutes et inanimeacutes (VIII 196)

Voici comment les diffeacuterentes uniteacutes sont perccedilues selon Apuleacutee (V 192)

laquo En effet les corps se reconnaissent en vertu de leur eacutevidence distinctive par un jugement

drsquoune nature semblable agrave la leur tandis que ce qui nrsquoa pas une substance corporelle nrsquoest

perccedilu que par la penseacutee Aussi faisant lrsquoobjet drsquoune conjecture bacirctarde la nature de cette

matiegravere se conccediloit selon lui comme ambigueuml873 raquo

Voici ses maniegraveres de concevoir les diffeacuterentes structures du monde

nostrum fastidium nitidae Quid enim fiet mi Lucili quomodo dicetur ousia res necessaria natura continens fundamentum omnium Rogo itaque permittas mihi hoc uerbo uti raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LVIII eacuted PRECHAC p 71-2 drsquoapregraves Jean-Franccedilois Courtine la substantia de Seacutenegraveque ne rend pas encore lrsquoousia mais hupostasis Il eacutevoque Quentilien comme celui qui a traduit lrsquoousia comme la substantia J-F COURTINE laquo Essentia raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 402-3 872 laquo Materiam vero improcreabilem incorruptamque commemorat non ignem neque aquam nec aliud de principiis et absolutis elementis esse sed ex omnibus primam figurarum capacem fictioni que subiectam adhuc rudem et figurationis qualitate viduatam deus artifex conformat universaltmgt raquo APULEUS Platon et sa doctrine V 191 eacuted MORESCHINI p 92-3 trad BEAUJEU p64 873laquo Namque corpora propter insignem evidentiam sui simili iudicio cognosci sed quae substantiam non habent corporum ea cogitationibus videri unde adulterata opinione ambiguam materiae huius intellegi qualitatemraquo APULEUS Platon et sa doctrine V 192 eacuted MORESCHINI p 93 trad BEAUJEU p 64-5

341

corpora cognoscere

substantiam non habent cogitatio

materia opinio

Ainsi la matiegravere nrsquoest pas vraiment connue par lrsquoesprit humain

Apuleacutee emploie eacutegalement les notions drsquoessentia et de substantia (VI 193-4)

laquo Drsquoapregraves lui [Platon] il y a deux ousiai ndash que nous appelons essences ndash qui engendrent

toutes choses et le monde lui-mecircme lrsquoune nrsquoest conccedilue que par la penseacutee lrsquoautre peut

tomber sous les sens [hellip]

La premiegravere substance ou essence est celle du premier Dieu et aussi de lrsquoesprit et des

lsquoformesrsquo des choses de lrsquoacircme de la deuxiegraveme est fait tout ce qui reccediloit une forme qui naicirct

et qui tire son origine drsquoun modegravele de la premiegravere substance tout ce qui peut changer et se

transformer glissant et fuyant comme lrsquoeau courante De plus cette substance intelligente

dont jrsquoai parleacute eacutetant lrsquoarmeacutee drsquoune soliditeacute constante les raisonnements qui la concernent

sont eacutegalement pleins de raison ineacutebranlable et de sucircreteacute au contraire pour celle qui est

comme lrsquoombre et lrsquoimage de la preacuteceacutedente les arguments et les mots composant les

raisonnements qui la concernent ne permettant drsquoeacutetablir qursquoune doctrine deacutepourvue elle

aussi de constance874 raquo

Essentia et substantia sont des synonymes pour Apuleacutee Il discerne deux types de

substances (ou essences)

- celle de Dieu et des formes (intelligibles)

- celle des ecirctres changeants (sensibles)

La substance du monde est une sorte de substrat geacuteneacuteral platonicien Apuleacutee emploie le

terme essentia une seule fois (VI 193) Dans le reste de son traiteacute il utilise le terme substantia pour

deacutesigner par exemple les trois substances du corps (XVII 215) Jean-Franccedilois Courtine trouve que

la raison drsquoun tel emploi est que substantia rend mieux laquo ce qui est corporel ou sensible875 raquo

874 laquo Οὐσίας quas essentias dicimus duas esse ait per quas cuncta gignantur mundus que ipse quarum una cogitatione sola concipitur altera sensibus subici potest [hellip] Et primae quidem substantiae vel essentiae primum deum esse et mentem formas que rerum et animam secundae substantiae omnia quae informantur quae que gignuntur et quae ab substantiae superioris exemplo originem ducunt quae mutari et converti possunt labentia et ad instar fluminum profuga Adhuc illa quam dixi intellegendi substantia quoniam constanti nititur robore etiam quae de ea disputantur ratione stabili et fide plena sunt at eius quae veluti umbra et imago est superioris rationes quoque et verba quae de ea disputantur inconstanti sunt disciplina raquo APULEUS Platon et sa doctrine VI 193-4 eacuted MORESCHINI p 94 trad BEAUJEU p 65 875 J-F COURTINE laquo Essentia raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 401

342

Pour conclure les ecirctres sensibles (les corps) sont composeacutes de matiegravere et de forme Ces deux

composants forment les quatre premiers eacuteleacutements La matiegravere ne peut pas ecirctre conccedilue toute seule

mais ensemble avec la forme Le monde en geacuteneacuteral est diviseacute en deux substances intelligible et

sensible ce qui correspond agrave la forme et agrave la matiegravere La matiegravere nrsquoest pas connue par lrsquointellect

mais elle peut ecirctre perccedilue ensemble avec la forme comme le corps

X12 Calcidius

Dans son Commentarius Calcidius consacre plusieurs sections agrave la description de la matiegravere

(De silva II 268-354) Il expose drsquoabord les opinions des philosophes antiques (II 275-302) et

ensuite son point de vue (II 302-320) A la fin il applique sa doctrine de la matiegravere au Timeacutee (II

321-354)

Calcidius transmet les doctrines suivantes

- des Heacutebreux la matiegravere est creacuteeacutee

- drsquoAristote la matiegravere est increacuteeacutee et apte agrave recevoir la forme elle nrsquoexiste que par les

accidents

- des stoiumlciens il existe des matiegraveres corporelles (corporeae materiae) qui sont faites de la

matiegravere (silva) unique increacuteeacutee plus ancienne et commune agrave tous

- des pythagoriciens de Platon et de Numenius il existe deux principes Bien et Mal Dieu

et la matiegravere Dieu gouverne lrsquounivers la matiegravere est agrave lrsquoorigine des malheurs

Drsquoapregraves Calcidius la matiegravere (silva) est laquo un mateacuteriau primordial et le premier substrat du

corps raquo Elle nrsquoest pas une des substances primaires (feu terre etc) Elle est priveacutee de qualiteacute

passive et indivisible Elle nrsquoest pas corporelle (corporea) mais elle constitue le corps du monde

qui est le fondement des autres corps876 Elle nrsquoest donc pas compleacutetement incorporelle non plus877

La matiegravere est le reacuteceptacle et le substrat des formes Les ecirctres dans la matiegravere sont les

simulacres et les images (simulacra et imagines) des ecirctres vrais Calcidius nous encourage agrave

chercher laquo la matiegravere pure (sinceram silvam) qui se cache sous lrsquoassemblage des corps varieacutes raquo 878

La matiegravere est immortelle Elle est le reacuteceptacle des espegraveces corporelles (corporearum specierum

876 laquo Recta est igitur nostra opinio neque ignem neque terram nec aquam nec spiritum esse siluam sed materiam principalem et corporis primam subiectionem in qua non qualitas non forma non quantitas non figura sit ex natura propria sed uirtute opificis haec ei cuncta conexa sint ut ex his uniuerso corpori et singillatim perfectio et communiter uarietas comparetur raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 316 eacuted B BAKHOUCHE p 540-541 877 laquo Recte igitur eam simpliciter et ex natura sua neque corpoream neque incorpoream cognominamus sed possibilitate corpus et item possibilitate non corpus raquo Ibid II 319 p 544 voir agrave ce propos S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol II Notre Dame 1986 p 445-451 878 laquo Nec uero putandum est agere nunc Platonem de nominum proprietate quin potius dare operam ut assuescamus sinceram siluam quae concursu uariorum corporum tegitur ab eorundem corporum permixtione sollertia mentis distinguere raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 327 eacuted B BAKHOUCHE p 552-3

343

II 344) 879 mais aussi des corps des qualiteacutes et des autres caracteacuteristiques du monde sensible (II

350) 880

Calcidius transmet la doctrine drsquoAristote qursquoun ecirctre peut devenir un autre ecirctre par accident

en acqueacuterant une nouvelle forme (II 284) 881 Il insiste sur le fait que ni la matiegravere ni lrsquoessence ne

sont affecteacutees par des changements

laquo Le changement se produit dans la matiegravere sans que la matiegravere elle-mecircme ne subisse de

mutation or ce qui change ce sont les qualiteacutes qui sont en elle et contenues par elle882 raquo

laquo Le changement et la transformation qui se produisent affectent non pas lrsquoessence mais la

qualiteacute ougrave lrsquoon trouve diversiteacute et opposition883 raquo

La matiegravere ne change pas mais elle accepte des espegraveces secondes Apregraves avoir reccedilu les

qualiteacutes la matiegravere obtient la capaciteacute de se mouvoir et de changer (II 352)884

Stephen Gersh montre aussi un autre rocircle de la matiegravere chez Calcidius Dans le chapitre 257

Calcidius introduit deux principes initiaux lrsquoespegravece et la matiegravere885 La multiplication apparaicirct

suite au meacutelange de la matiegravere et de lrsquoespegravece La matiegravere srsquoajoute drsquoabord agrave lrsquoespegravece premiegravere pour

creacuteer les espegraveces secondes et ensuite elle srsquoajoute aux espegraveces secondes pour creacuteer les corps886 De

cette faccedilon le principe de multiplication est la matiegravere

Dans le chapitre 347 Calcidius preacutecise comment lrsquohomme perccediloit les uniteacutes du monde

laquo Lrsquoideacutee est lrsquoespegravece intelligible car saisie par le pur intellect lrsquoespegravece qui se trouve dans le

devenir (nativa) est connaissable par lrsquoopinion et pour cela se trouve du cocircteacute de la 879 laquoAt uero locum uocat eam uelut regionem quandam suscipientem specierum incorporearum intellegibiliumque simulacra semper eandem uel quia sine generatione est et interitu uel quia necesse est eam locum stationemque esse et uelut receptaculum corporearum specierum quae sunt membra mundiraquo Ibid II 344 p 570 880 laquo lsquoLocumrsquo uero propterea quod silua receptaculum est corporum et qualitatum ceterorumque sensilium raquo Ibid II 350 p 576 881 laquo Consequenter igitur etiam corrumpetur aliquid et dissoluetur existens in aliud existens sed non principaliter uerum ex accidenti ut si ex simulacro Liberi patris formam quis transferat in simulacrum Apollinis uidetur enim hoc quoque pacto forma in aliam speciem demigrare sed non proprie uerum ex accidenti raquo Ibid II 284 p 514 882 laquo Fit porro conuersio iuxta siluam non ipsa silua perpetiente mutationem sed earum quae sunt in eadem et continentur ab ea qualitatumraquo Ibid II 309 p 536-7 883 laquo Itaque conuersio commutatioque fit non essentiae sed qualitatis in qua et diuersitas et contrarietas inuenitur raquo Ibid II 325 p 550-1 884 laquo Et ante consortium quidem qualitatum neque stabat opinor neque mouebatur erat tamen quaedam in ea naturalis opportunitas ad motus stationis que perceptionem post qualitatum porro consortium exornata et perfectum corpus a deo facta motus stationis que sumpsit officia quibus diuersis temporibus uteretur raquo Ibid II 325 p 578 885 laquo Quippe primum elementum uniuersae rei silua est informis ac sine qualitate quam ut sit mundus format intellegibilis species ex quibus silua uidelicet et specie ignis purus et intellegibilis ceterae que sincerae substantiae quattuor e quibus demum hae materiae sensiles igneae aquatiles terrenae et aereae Ignis porro purus et ceterae sincerae intellegibiles que substantiae species sunt exemplaria corporum ideae cognominatae raquo Ibid II 257 p 500-501 886 S GERSH laquoCalcidiusrsquo Theory of First Principles raquo dans Studia Patristica 182 Papers of 1983 Oxford Patristic Conference 1989 p 86

344

conjecture la matiegravere elle nrsquoa rien drsquointelligible ni de conjectural parce qursquoelle ne saurait

ecirctre saisie ni par lrsquointellect ni par les sens mais elle est lrsquoobjet drsquoune supposition ndash la

supposition est une sorte de raisonnement illeacutegitime et bacirctard887 raquo

Il soutient la thegravese platonicienne que la matiegravere nrsquoest perceptible ni par le sens ni par

lrsquoesprit

Calcidius emploie eacutegalement les notions drsquoessence et de substance (Commentarius I 27)

laquo Il nous montre que la substance ou comme dit Ciceacuteron lrsquoessence est double lrsquoune est

indivisible lrsquoautre se divise dans les corps Et lrsquoindivisible est de la mecircme espegravece que toutes

les reacutealiteacutes eacuteternelles et incorporelles que lrsquoon appelle intelligibles tandis que la divisible est

celle qui est agrave lrsquoorigine de lrsquoexistence des corps Chaque corps en effet existe assureacutement or

ce qui existe possegravede une essence les corps sont nombreux mais unique est lrsquoessence

divisible que lrsquoon trouve dans tous les corps et cette essence unique qui se retrouve dans de

nombreux corps agrave la fois passe agrave bon droit pour se partager et ecirctre divisible Ainsi donc agrave

partir de ces deux substances le dieu artisan explique Platon a formeacute par meacutelange une

troisiegraveme espegravece drsquoessence qursquoil a placeacutee au milieu entre les deux autres888 raquo

En deacutefinitive il existe trois espegraveces drsquoessence intelligible (mecircme) corporelle (autre) et le

meacutelange de deux (ecirctre)889

Calcidius transmet aussi la doctrine des cateacutegories drsquoAristote Il appelle la premiegravere

cateacutegorie lrsquoessentia (II 226)

887 laquo Est idea quidem intellegibilis species utpote quae puro intellectu comprehendatur species uero natiua opinione percipibilis proptereaque opinabilis silua porro neque intellegibile quid neque opinabile quia neque intellectu neque sensu comprehendatur uerum est suspicabilis suspicio autem spuria quaedam ratio est atque adulterina raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 347 eacuted B BAKHOUCHE p 574-5 trad modifieacutee par ILystopad 888 laquo Quid est quod ait Docet nos substantiam siue ut Cicero dicit essentiam duplicem esse unam indiuiduam alteram per corpora diuiduam Et indiuiduam quidem esse eam cuius generis sunt omnia aeterna et sine corpore quae intellegibilia dicuntur diuiduam uero quae corporibus existendi causa est unumquodque enim corpus est certe quod uero est habet essentiam et corpora multa sunt una uero diuidua essentia quae in cunctis corporibus inuenitur quae igitur una in multis simul inuenitur recte scindere se putatur recte que diuidua Igitur ex his duabus ait opificem deum tertium genus essentiae miscuisse id que medium locasse inter essentiam utramque raquo Ibid II 27 p 234-235 889 laquo Similiter docet naturam quoque non esse simplicem sed bimembrem et ex his duabus facit opificis iussu tertium naturae genus extitisse quod aeque medium positum esset inter utramque essentiam indiuiduam uidelicet atque diuiduam Quatenus ergo bimembris est natura lsquoOmniarsquo inquit lsquonaturalia uel eadem sibi uel diuersa suntrsquo eadem genere diuersa specie ut puta homo et item equus idem sunt (nam et hoc et illud animal est) at uero specie diuersa sunt (alterum enim eorum rationabile animal est alterum inrationabile et mutum et alterum bipes alterum quadrupes) lsquoHaecrsquo igitur lsquoomnia existentiarsquo idem et essentiam et diuersum lsquoin unam inquit speciem commiscuitrsquo deus lsquoet effecit ex tribus unumrsquo idem diuersum diuiduum lsquodiuersa illa natura difficile se commodante concretioni atque adunationi generumrsquo raquo Ibid I 28 p 234-235

345

laquo Le propre de lrsquoessence est de recevoir les affections contraires lrsquoessence est la premiegravere

des cateacutegories et elle est connue avant toutes les autres890 raquo

Le corps est une essence corporelle (II 226) et lrsquoacircme une essence incorporelle (II 227) La

providence ou nous est une essentia intelligibilis (176) Calcidius transmet la doctrine platonicienne

des mouvements Il distingue les mouvements selon

- le corps ndash translation et rotation

- la qualiteacute ndash agreacutegation deacutesagreacutegation

- la quantiteacute ndash croissance et deacutecroissance

- lrsquoessence ndash geacuteneacuteration et corruption891

Substantia dans plusieurs cas est le synonyme drsquoessentia892 La substance deacutesigne

davantage les quatre premiers eacuteleacutements (la terre le feu lrsquoeau lrsquoair I 22) et ce qui explique les

pheacutenomegravenes naturels (substance vitale I 99)

Le corps drsquoapregraves Calcidius est constitueacute de matiegravere et de qualiteacute (forme) Il est borneacute et

limiteacute perccedilu par les sens893 Les corps peuvent ecirctre mateacuteriels ou immateacuteriels (objets

matheacutematiques) simples (eacuteleacutements) ou complexes (II 222)894

En deacutefinitive drsquoapregraves Calcidius les ecirctres sensibles sont des corps constitueacutes de matiegravere et

drsquoespegraveces secondes Les corps ont une essence (substance)

Les essences et les substances peuvent deacutesigner la premiegravere cateacutegorie drsquoAristote et dans ce

cas il srsquoagit drsquoindividus Elles peuvent deacutesigner aussi les deux principales cateacutegories de substances

du monde sensible et intelligible Les uniteacutes peuvent ecirctre constitueacutees drsquoune essence intelligible (les

ideacutees) ou de deux essences intelligible et sensible (les acircmes)

890 laquo Inter omnes ex omnibus categoriis proprium essentiae fore suscipere contrarias passiones uicissim et esse antiquissimam praenoscique generibus ceteris raquo Ibid II 226 p 456 trad modifieacutee 891 laquo Cuius quidem motus aliquot diuersitates sunt quas demonstrauit in Legibus octo corporis animae duas corporeum motum locularem uocans cuius duae sint species ndash translatio et circumlatio item alium quem appellat qualitatem aeque in duplici specie ndash concretione et discretione tertium quem positum esse dicit in quantitate habentem item duas species ndash incrementum et diminutionem quartum iuxta essentiam cuius aeque duae species intelleguntur ndash una generatio altera interitus raquo Ibid II 262 p 490 892 laquo Docet nos substantiam siue ut Cicero dicit essentiam duplicem esse unam indiuiduam alteram per corpora diuiduam raquo Ibid I 27 p 234 laquo Ex quo perspicuum est cum sint antiquissima initia rerum essentia siue substantia et haec duplex altera indiuidua diuidua altera raquo Ibid I 53 p 266 laquo Plerique etiam hoc pacto siluam et substantiam separant quod asseuerant essentiam quidem operis esse fundamentum ut mundi fore merito dicatur atque existimetur essentia siluam uero contemplatione opificis dictam quod eam fingat ac formet raquo Ibid II 291 p 520 893 laquo Quippe quod proprie dicitur corpus ex silua constat et qualitate silua autem nequaquam ex silua constat et qualitate minime ergo corpus est Deinde nullum corpus sine qualitate silua autem per se sine qualitate non igitur corpus est Quid quod Omne corpus habet figuram et siluae iuxta naturam suam nulla figura est Non ergo corpus Deinde omne corpus finitum ac determinatum est silua autem infinita et minime determinata non ergo corpus [hellip] Quae cum ita sint corpus sentitur silua sensibilis non est silua igitur non erit corpus raquo Ibid II 319 p 544 894 laquo Quodque corpora partim dicuntur mathematica ut sphaera et cubus partim artificiosa ut nauis et statua pleraque naturalia quae motus originem intra se habent uita uidelicet utentia naturalis anima corporis entelechia sit necesse est Competit alia etiam diuisio nam corporum quaedam simplicia ut elementa quaedam composita ut quae ex simplicibus coagmentantur raquo Ibid II 222 p 450

346

La matiegravere premiegravere est deacutepourvue de qualiteacute et de mouvement Mais elle peut acqueacuterir ces

proprieacuteteacutes en recevant des formes

Lrsquoessence et la matiegravere sont immuables et inchangeables Calcidius reacutepegravete la thegravese

aristoteacutelicienne que la geacuteneacuteration et la corruption sont les reacutesultats drsquoun changement de forme

essentielle Neacuteanmoins il ne se pose pas la question de lrsquoidentiteacute drsquoune chose

La philosophie chreacutetienne comprend la doctrine du Dieu creacuteateur Les penseurs chreacutetiens se

posent la question en quoi la nature de Dieu est-elle diffeacuterente de celle de la creacuteature

X13 Augustin

Augustin emploie la notion de materia pour deacutecrire la creacuteation du monde Voici comment il

explique son dessein (Confessions XII VI 6)

laquo Je fixai mon attention sur les corps eux-mecircmes en analysant plus agrave fond cette mutabiliteacute qui

les fait cesser drsquoecirctre ce qursquoils eacutetaient et commencer drsquoecirctre ce qursquoils nrsquoeacutetaient pas Je soupccedilonnai

que ce passage drsquoune forme agrave une autre se faisait par je ne sais quoi drsquoinforme et non par un

neacuteant absolu895 raquo

De cette faccedilon Augustin reconnaicirct qursquoil existe un substrat qui se maintient quand les choses

disparaissent Il explique que Dieu a creacuteeacute quelque chose agrave partir de rien (aliquid de nihilo

Confessions XII VII 7) Mais la premiegravere eacutetape de la creacuteation est de creacuteer un ciel et la terre La

terre eacutetait faite comme une matiegravere informe (materia informis Gen 12 Confessions XII VIII 8)

Et les choses ont eacuteteacute faites agrave partir de cette matiegravere informe Elle est invisible et inorganiseacutee

presque neacuteant Et crsquoest elle qui permet toute mutabiliteacute

Cette matiegravere nrsquoest pas sujette au temps mais elle rend possible lrsquoexistence du temps Le

temps est constitueacute de la mutation des choses (XII VIII 8)896

Augustin emploie concurremment les deux notions lrsquoessence et la substance Dans les

quatre premiers livres du De Trinitate il souligne qursquoils sont synonymes897 Dans le chapitre V II 895 laquo Et intendi in ipsa corpora eorum que mutabilitatem altius inspexi qua desinunt esse quod fuerant et incipiunt esse quod non erant eundem que transitum de forma in formam per informe quiddam fieri suspicatus sum non per omnino nihil raquo AUGUSTIN Confessiones XII VI 6 eacuted VERHEIJEN p 219 trad trad de P CAMBRONNE Saint Augustin Œuvres t I Paris p1060 896 laquo Terra autem ipsa quam feceras informis materies erat quia inuisibilis erat et incomposita et tenebrae super abyssum de qua terra inuisibili et incomposita de qua informitate de quo paene nihilo faceres haec omnia quibus iste mutabilis mundus constat et non constat in quo ipsa mutabilitas apparet in qua sentiri et dinumerari possunt tempora quia rerum mutationibus fiunt tempora dum uariantur et uertuntur species quarum materies praedicta est terra inuisibilis raquo AUGUSTIN Confessiones XII VIII 8 eacuted VERHEIJEN p 220

347

3 il dit qursquoessentia est une traduction de la notion grecque drsquoousia car essentia provient du verbe

esse comme ousia drsquoeinai Il ajoute que la nature de Dieu nrsquoest pas sujette aux accidents qui

produisent des changements Cette caracteacuteristique appartient plutocirct agrave lrsquoessentia ou substantia srsquoest-

agrave-dire la substance aristoteacutelicienne898

Augustin explique la diffeacuterence entre ces deux notions dans le livre VII V 10

laquo Mais est-il de mise de dire de Dieu qursquoil subsiste Subsister srsquoentend exactement de

reacutealiteacutes sujettes drsquoattributs qui affectent un sujet la couleur par exemple ou la forme dans un

corps Le corps subsiste donc crsquoest une substance mais les attributs ont dans le corps leur

sujet subsistant ils ne sont pas des substances ils sont dans une substance [hellip] Ce sont

donc les reacutealiteacutes mobiles deacutepourvues de simpliciteacute qursquoon appelle substances

[hellip] Il est interdit de dire de Dieu qursquoil subsiste et soit le sujet de sa bonteacute interdit de nier

que cette bonteacute soit substance ndash ou essence si lrsquoon veut ndash et que Dieu soit lui-mecircme sa bonteacute

comme si au contraire il en eacutetait le sujet

Par conseacutequent il est eacutevident qursquoappeler Dieu substance est une improprieacuteteacute et lrsquoon voit

pour nous servir drsquoun mot plus courant qursquoil est essence terme juste et propre au point

drsquoailleurs que peut-ecirctre le terme drsquoessence appartient agrave Dieu seul899 raquo

Ainsi selon Augustin la substantia est tout ce qui subsiste soit les choses dans le monde

qui changent en subissant des accidents Dieu nrsquoa pas drsquoaccidents par conseacutequent on ne peut

lrsquoappeler proprement substance Il est donc plus correct de lrsquoappeler essentia

897 Cf laquo quam recte pater et filius et spiritus sanctus unius eiusdemque substantia uel essentiae dicatur raquo AUGUSTIN De Trinitate I II 4 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 31 I VIII 15 laquo in ipsam substantiam uel essentiam Creatoris raquo ibid p 47 Augustin emploie aussi comme synonymes les trois termes essentia substantia et natura voir II XVIII 35 laquo ipsa enim natura uel substantia uel essentia uel quolibet alio nomine appellandum est idipsum quod deus est quidquid illud est corporaliter uideri non potest raquo ibid p 126 898 laquo Est tamen sine dubitatione substantia uel si melius hoc appellatur essentia quam graeci ousian uocant Sicut enim ab eo quod est sapere dicta est sapientia et ab eo quod est scire dicta est scientia ita ab eo quod est esse dicta est essentia Et quis magis est quam ille qui dixit famulo suo Ego sum qui sum et Dices filiis Israhel Qui est misit me ad uos Sed aliae quae dicuntur essentiae siue substantiae capiunt accidentias quibus in eis fiat uel magna uel quantacumque mutatio deo autem aliquid eiusmodi accidere non potest Et ideo sola est incommutabilis substantia uel essentia quae deus est cui profecto ipsum esse unde essentia nominata est maxime ac uerissime competit Quod enim mutatur non seruat ipsum esse et quod mutari potest etiamsi non mutetur potest quod fuerat non esse ac per hoc illud solum quod non tantum non mutatur uerum etiam mutari omnino non potest sine scrupulo occurrit quod uerissime dicatur esse raquo AUGUSTIN De Trinitate V II 3 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 207-8 Cf P KING laquo The semantics of Augustinersquos Trinitarian Analysis in De Trinitate 5-7 raquo dans Le De Trinitate de Saint Augustin Exeacutegegravese logique noeacutetique eacuted E BERMON et G OrsquoDALY Paris 2012 p 125 899laquo Si tamen dignum est ut Deus dicatur subsistere De his enim rebus recte intellegitur in quibus subiectis sunt ea quae in aliquo subiecto esse dicuntur sicut color aut forma in corpore Corpus enim subsistit et ideo substantia est illa uero in subsistente atque in subiecto corpore quae non substantiae sunt sed in substantia [hellip] Res ergo mutabiles neque simplices proprie dicuntur substantiae [hellip] Nefas est autem dicere ut subsistat et subsit deus bonitati suae atque illa bonitas non substantia sit uel potius essentia neque ipse deus sit bonitas sua sed in illo sit tamquam in subiecto Vnde manifestum est deum abusiue substantiam uocari ut nomine usitatiore intellegatur essentia quod uere ac proprie dicitur ita ut fortasse solum deum dici oporteat essentiam raquo AUGUSTIN De Trinitate VII V 10 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 260-261 trad M MELLET TH CAMELOT p 537-539

348

En deacutefinitive Augustin contribue agrave transmettre agrave la philosophie chreacutetienne les notions de

materia essentia et substantia La matiegravere est le substrat geacuteneacuteral de toutes les creacuteatures Elle est

informe et primaire Elle permet la mutabiliteacute Lrsquoessence en un certain sens appartient proprement

agrave Dieu en ce que lui seul est (esse) veacuteritablement par ailleurs le terme de substantia ne lui convient

pas agrave parler strictement lui qui nrsquoest pas sujet aux accidents La substance correspond en effet agrave un

corps individuel qui change en subissant des accidents

Un ecirctre sensible selon Augustin est un corps constitueacute de matiegravere et de forme Augustin

enseigne que le corps a une essence et des qualiteacutes (De Trinitate VII I 2)900 Le fait de mettre agrave

part lrsquoessence (ou la substance) comme cateacutegorie principale a eacuteteacute fait par Aristote Augustin

incorpore aussi la doctrine des ideacutees de Platon (De ideis) Il ne se pose pas la question de lrsquoidentiteacute

drsquoune chose

X14 Boegravece

Boegravece est lrsquoun des auteurs les plus lus au XIIe siegravecle Il est connu en tant que traducteur

drsquoAristote et il contribue beaucoup au deacuteveloppement de la terminologie philosophique scolastique

notamment dans les domaines de la logique et de la theacuteologie

Dans le Contra Eutychen et Nestorium Boegravece soulegraveve le problegraveme de la traduction des

notions theacuteologiques du grec en latin Voici les traductions qursquoil propose

οὐσία essentia

οὐσίωσις subsistentia

ὑπόστασις substantia

πρόσωπον persona

Ainsi lrsquoousia correspond agrave lrsquoessentia Boegravece dit que la traduction litteacuterale de la terminologie

grecque pousse agrave dire que Dieu a une seule essence et trois substances901

Boegravece introduit aussi la distinction entre la substance et la subsistance

laquo lsquoSubsistersquo en effet cela mecircme qui pour pouvoir ecirctre nrsquoa pas besoin drsquoaccidents Mais

lsquosubstantialisersquo ce qui subvient par un sujet quelconque aux autres accidents afin qursquoils 900 laquo Sed candor corporis non est essentia quoniam ipsum corpus essentia est et illa eius qualitas raquo Ibid VII I 2 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 248 901 laquo Deus quoque et οὐσία est et essentia est enim et maxime ipse est a quo omnium esse proficiscitur Est οὐσίωσις id est subsistentia (subsistit enim nullo indigens) et ὑφίστασθαι substat enim Unde etiam dicimus unam esse οὐσίαν vel οὐσίωσιν id est essentiam vel subsistentiam deitatis sed tres ὑποστάσεις id est tres substantias Et quidem secundum hunc modum dixere unam trinitatis essentiam tres substantias tresque personas raquo BOECE Contra Eutychen 3 eacuted MORESCHINI p 218

349

soient capables drsquoecirctre Il se tient en effet sous ces accidents tant qursquoil est sujet Crsquoest

pourquoi genres ou espegraveces subsistent seulement ce nrsquoest pas en effet aux genres et aux

espegraveces qursquoeacutechoient les accidents Les individus en revanche ne subsistent pas seulement

mais substantialisent eux aussi car ils nrsquoont eux non plus pas besoin des accidents pour

ecirctre ils sont deacutejagrave informeacutes par leurs diffeacuterences propres et speacutecifiques et ils servent aux

accidents agrave pouvoir ecirctre bien entendu tant qursquoils sont sujets902raquo

Ainsi les genres les espegraveces et les individus sont des subsistances Mais les individus sont

en plus des substances

Dans ces autres œuvres Boegravece nrsquoemploie pas tous ces termes Dans le De Trinitate Boegravece

appelle la premiegravere cateacutegorie drsquoAristote la substantia Il parle aussi de la substance de Dieu qui est

priveacutee de matiegravere et de mouvement La substance de Dieu est absolument simple Boegravece finit par

dire que Dieu est mecircme au-delagrave de la substance (ultra substantiam)

Boegravece traduit eacutegalement la terminologie logique drsquoAristote Dans sa traduction des

Cateacutegories il introduit la notion de substantia comme la traduction drsquoousia De cette faccedilon la

distinction entre la substance premiegravere (lrsquoindividu) et la substance seconde (genre et espegravece Cat

2a11-19) est entreacutee dans la philosophie latine

En deacutefinitive la substantia drsquoapregraves Boegravece deacutesigne lrsquoindividu (Contra Eutychen) Dieu (De

Trinitate) et les substances premiegraveres et secondes dans la logique Lrsquoessence chez Boegravece est un

terme rare qui deacutesigne en premier lieu la nature de Dieu

Boegravece traduit lrsquoIsagoge (III 10) ougrave Porphyre transmet la doctrine drsquoAristote agrave savoir

qursquoune chose est constitueacutee de matiegravere et de forme903 Boegravece lui-mecircme reprend cette doctrine

Selon lui crsquoest un corps qui a ces deux constituants (In Categorias Aristotelis libri IV De

divisione) La forme et la matiegravere sont parmi les causes des ecirctres (De topicis differenciis) En De

Trinitate II Boegravece deacutecrit la matiegravere comme concregravete par exemple lrsquoairain et la terre Dieu est la

forme sans matiegravere Crsquoest la matiegravere qui permet agrave la forme de recevoir des accidents

En Contra Eutychen I Boegravece preacutecise que la matiegravere ne peut pas ecirctre intelligeacutee par elle-

mecircme mais seulement par privation des autres choses

Voici ce que dit Boegravece agrave propos du changement dans Contra Eutychen VI

902 laquo Subsistit enim quod ipsum accidentibus ut possit esse non indiget Substat autem id quod aliis accidentibus subiectum quoddam ut esse valeant subministrat sub illis enim stat dum subiectum est accidentibus Itaque genera vel species subsistunt tantum neque enim accidentia generibus speciebusve contingunt Individua vero non modo subsistunt verum etiam substant nam neque ipsa indigent accidentibus ut sint informata enim sunt iam propriis et specificis differentiis et accidentibus ut esse possint ministrant dum sunt scilicet subiecta raquo Ibid 3 eacuted MORESCHINI p 216-7 trad A GALONNIER t II p 308-311 903 laquo Rebus enim ex materia et forma constantibus raquo PORPHYRE De Isagoge a Boethio translata eacuted L Minio-Paluello p 18

350

laquo Ce nrsquoest pas toute chose en effet qui peut ecirctre convertie et transmuteacutee en (une) tout

(autre) chose Car bien que parmi les substances les unes soient corporelles les autres

incorporelles ni la corporelle ne peut ecirctre changeacutee en incorporelle ni lrsquoincorporelle (ne peut

ecirctre changeacutee) en celle qui est corps par plus que les incorporelles nrsquoeacutechangent

reacuteciproquement lrsquoune dans lrsquoautre leurs formes propres seules en effet peuvent ecirctre

changeacutees et transformeacutees lrsquoune dans lrsquoautre (les choses) qui ont en commun le sujet drsquoune

matiegravere unique et encore non pas toutes celles-ci mais celle qui peut faire et pacirctir lrsquoune dans

lrsquoautre904 raquo

Les choses drsquoapregraves Boegravece peuvent ecirctre corporelles et incorporelles Elles ne peuvent pas

ecirctre transformeacutees les unes dans les autres Seules les choses corporelles ont la matiegravere La matiegravere

dont Boegravece parle est concregravete Dans la phrase suivante il propose lrsquoexemple de lrsquoairain qui ne peut

pas ecirctre meacutetamorphoseacute en pierre Plus loin Boegravece ajoute que les choses incorporelles ne peuvent

pas ecirctre meacutetamorphoseacutees lrsquoune en lrsquoautre Par conseacutequent crsquoest la matiegravere concregravete qui permet aux

choses de changer lrsquoune en lrsquoautre

Nous avons deacutejagrave dit plus haut que Boegravece a deacuteveloppeacute la doctrine de lrsquoindividuation agrave travers

les accidents Dans son deuxiegraveme Commentaire agrave lrsquoIsagoge il propose une autre doctrine

lrsquoindividuation agrave travers la qualiteacute incommunicable Les noms communs ont des qualiteacutes qui sont

communicables laquo humaniteacute raquo est commun agrave tous les hommes La qualiteacute drsquoindividu est propre agrave lui

seul Boegravece propose de creacuteer le mot laquo platonitas raquo pour deacutesigner la qualiteacute incommunicable drsquoecirctre

cet homme concret qui srsquoappelle Platon905

En deacutefinitive la matiegravere selon Boegravece est lrsquoun des principes dont se composent les choses

corporelles Les choses peuvent recevoir des accidents gracircce agrave la matiegravere La plupart du temps

904 laquo Non enim omnis res in rem omnem verti ac transmutari potest Nam cum substantiarum aliae sint corporeae aliae incorporeae neque corporea in incorpoream neque incorporea in eam quae corpus est mutari potest nec vero incorporea in se invicem formas proprias mutant sola enim mutari transformarique in se possunt quae habent unius materiae commune subiectum nec haec omnia sed ea quae in se et facere et pati possunt raquo BOECE Contra Eutychen 6 eacuted MORESCHINI p 228-9 trad GALONNIER t II p 332-335 905 laquoAlia est enim qualitas singularis ut Platonis uel Socratis alia est quae communicata cum pluribus totam se singulis et omnibus praebet ut est ipsa humanitas Est enim quaedam huiusmodi qualitas quae et in singulis tota sit et in omnibus tota quotienscumque enim aliquid tale animo speculamur non in unam quamcumque personam per nomen hoc mentis cogitatione deducimur sed in omnes eos quicumque humanitatis definitione participant Unde fit ut haec quidem sit communis omnibus illa uero prior incommunicabilis quidem cunctis uni tamen propria Nam si nomen fingere liceret illam singularem quandam qualitatem et incommunicabilem alicui alii subsistentiae suo ficto nomine nuncuparem ut clarior fieret forma propositi Age enim incommunicabilis Platonis illa proprietas Platonitas appelletur Eo enim modo qualitatem hanc Platonitatem ficto uocabulo nuncupare possimus quomodo hominis qualitatem dicimus humanitatem Haec ergo Platonitas solius unius est hominis et hoc non cuiuslibet sed solius Platonis humanitas uero et Platonis et caeterorum quicumque hoc uocabulo continenturraquo BOETHIUS In librum Aristotelis Peri hermeneias commentarii (editio secunda) eacuted C Meiser Leipzig 1880 p 136-7 = PL 64 462D-463A cf BRUMBERG J laquo Logico-grammatical Reflections about Individuality in Late Antiquity raquo dans Individuality in late antiquity eacuted A TORRANCE et J ZACHHUBER Farnham 2014 p 88-9

351

Boegravece la deacutecrit comme concregravete Les choses corporelles se transforment gracircce au fait qursquoelles ont de

la matiegravere Boegravece emploie une fois la notion de laquo matiegravere premiegravere raquo (Contra Eutychen I)

Boegravece introduit la distinction entre la substance et la subsistance La substance est lrsquoindividu

car il laquo subit raquo des accidents Nous avons souligneacute plus haut que lrsquoindividuation selon Boegravece a lieu

agrave travers une unique varieacuteteacute drsquoaccidents Sa deuxiegraveme faccedilon drsquoexpliquer lrsquoindividuation est de

deacutecrire la qualiteacute incommunicable Lrsquoindividu est la substance premiegravere drsquoAristote La substance

dans les œuvres de Boegravece deacutesigne eacutegalement la substance seconde drsquoAristote et Dieu La

subsistance est une uniteacute intelligible qui nrsquoa pas besoin drsquoaccidents pour exister les genres et les

espegraveces

X15 Erigegravene

Erigegravene emploie la notion drsquoessentia Cette notion correspond agrave la notion grecque drsquoousia

(Periphyseon V) Erismann souligne deux aspects principaux de la notion drsquoessentia dans les

œuvres drsquoErigegravene lrsquoessentia universalis et lrsquoessentia individualis (substantia)906

laquo Dieu est lrsquoessence de tous les existants907 raquo Lrsquoessentia deacutesigne eacutegalement lrsquoessence des

creacuteatures qui nrsquoest pas connaissable en ce qursquoelle est (quod est) Mais lrsquoessence est connaissable

parce qursquoelle est (quia est) agrave travers les accidents908 Erismann insiste sur le fait qursquoErigegravene est un

reacutealiste radical Lrsquoousia est une premiegravere cateacutegorie essence ou substance Elle soutient les autres

Lrsquoousia est lrsquoessence geacuteneacuterale de tout Elle donne la subsistance aux corps mais elle nrsquoa pas besoin

des corps pour subsister909

Marenbon remarque qursquoErigegravene met le geacuteneacuteral avant lrsquoindividuel le genre avant lrsquoindividu

Le nombre des individus nrsquoest pas important vu qursquoils sont un dans le genre geacuteneacuteral910

En mecircme temps Erigegravene parle drsquoune essence pour chacune des creacuteatures911 Il explique sa

position en parlant des cateacutegories

906 CHR ERISMANN laquo Generalis essentia La theacuteorie eacuterigeacutenienne de lrsquoousia et le problegraveme des universaux raquo dans Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge t 69 2002 p 13 907 laquo Ipse nanque omnium essentia est raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 5 = PL 122 443B tradBERTIN t I-II p 67 908 laquoΟΥΣΙΑ itaque nullo modo diffinitur quid est sed diffinitur quia est Ex loco nanque ut diximus et tempore accidentibus que aliis quae siue in ipsa seu extra intelliguntur esse tantummodo datur non quid sit sed quia estraquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 63 = PL 122 487AB 909 laquo Siquidem omne subiectum per se subsistens accidentium non indiget ut sit sicut ipsa ΟΥΣΙΑ siue enim accidant ei siue non accidant siue in ea sint quae sine ea esse non possunt siue ab ea recedant quae ab ea segregari possunt seu sola cogitatione seu actu et opere suis naturalibus subsidiis semper immutabiliter que subsistit Corpus autem subtractis accidentibus nullo modo per se subsistere potest quoniam nulla sui substantia fulcitur raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 84-5 = PL 122 503AB CHR ERISMANN laquo Eacuterigegravene et la subsistance du corps raquo dans Studia Philosophica t 62 2003 p 99-100 910 J MARENBON Early medieval philosophy (480-1150) an introduction London Boston Melbourne 1983 p 66-67 911 laquo Quicquid autem in omni creatura uelhellip unicuique essentiae raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 5 = PL 122 443BC

352

laquo Quoiqursquoil y ait dix cateacutegories ne donne-t-on pas agrave une seule drsquoentre elles le nom drsquoessence ou

de substance alors que les neuf autres cateacutegories sont des accidents et subsistent dans la

substance Car ces cateacutegories ne peuvent pas subsister par elles-mecircmes Lrsquoessence semble

inheacuterente agrave toutes les cateacutegories car aucune cateacutegorie ne peut subsister sans elle et pourtant

lrsquoessence occupe sa place propre par elle-mecircme Car ce qui appartient agrave toutes les cateacutegories

nrsquoappartient en propre agrave aucune cateacutegorie mais est commun agrave toutes les cateacutegories et quoique

lrsquoessence subsiste dans toutes les cateacutegories elle ne cesse toutefois pas de subsister en elle-

mecircme selon sa raison propre912 raquo

Le deuxiegraveme aspect de la notion drsquoessentia est la substance premiegravere des Cateacutegories

drsquoAristote Les essences individuelles ou comme Erigegravene les appelle les substances propres

eacutemanent de lrsquoessence universelle913

En passant du genre geacuteneacuteral agrave lrsquoindividu lrsquoessence peut deacutesigner eacutegalement une

eacutetape intermeacutediaire lrsquoessence geacuteneacuterique Erismann remarque qursquoErigegravene deacutecrit une essence

commune pour tous les hommes914 Ainsi lrsquoessence deacutesigne eacutegalement la substance seconde des

Cateacutegories drsquoAristote

Le fait que lrsquoessentia a des applications diffeacuterentes dans le Periphyseon est deacutetermineacute par la

meacutetaphysique drsquoErigegravene Voyons comment cela est possible Erigegravene propose la hieacuterarchie

meacutetaphysique suivante (Periphyseon IV)

laquo Toutes les espegraveces sont preacutecontenues dans leur genre commun et ne font qursquoun en lui puis

le genre se subdivise dans les espegraveces et achegraveve de se multiplier agrave travers les formes

geacuteneacuterales et les espegraveces individuelles915 raquo

Cette hieacuterarchie correspond agrave un arbre de Porphyre La subdivision des genres et des espegraveces

commence agrave partir de lrsquoessence unique916 Elle subsiste dans toutes ces subdivisions

912 laquo Nunquid cum decem kategoriae sint una earum essentia seu substantia dicitur nouem uero accidentia sunt et in substantia subsistunt Per se enim subsistere non possunt Essentia in omnibus esse uidetur sine qua esse non possunt et tamen per se locum suum obtinet Quod enim omnium est nullius proprie est sed omnium commune et dum in omnibus subsistat per se ipsum propria sua ratione esse non desinit raquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 38 = PL 122 467D tradBERTIN t I-II p 105 913 laquo Non enim ueritati obstrepat ut aestimo si dicamus ex ipsa essentia quae una et uniuersalis in omnibus creata est omnibus que communis atque ideo quia omnium se participantium est nullius propria dicitur esse singulorum se participantium quandam propriam substantiam quae nullius alicuius est nisi ipsius solummodo cuius est naturali progressione manare Cui etiam substantiae propria possibilitas inest quae aliunde non assumitur nisi ex ipsa uniuersali uirtute ipsius praedictae uniuersalis essentiae raquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 89 = PL 122 506BC 914 CHR ERISMANN laquo Eacuterigegravene et la subsistance du corps raquo dans Studia Philosophica t 62 2003 p 96 915 laquo Primo genus posuit quoniam in ipso omnes species et continentur et unum sunt et in eas diuiditur et multiplicatur per generales formas specialissimasque species raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon IV eacuted JEAUNEAU p 12 = PL 122 748D tradBERTIN t I-II p 61 916 Cf CHR ERISMANN laquo The Logic of Being Eriugenarsquos Dialectical Ontology raquo dans Vivarium t 45 2007 p 207

353

Les substances individuelles sont en bas de cette hieacuterarchie

laquo Le sujet et ce qui est preacutediqueacute drsquoun sujet coiumlncident et ne diffegraverent en rien Car si [hellip]

Ciceacuteron est un sujet et une substance premiegravere alors qursquohomme se preacutedique du sujet et est

une substance seconde quelle diffeacuterence interviendra donc selon la nature sinon que lrsquoun

consiste dans lrsquoindividu et que lrsquoautre consiste dans lrsquoespegravece puisque lrsquoespegravece nrsquoest rien

drsquoautre que lrsquouniteacute qui subsume les individus et que lrsquoindividu nrsquoest rien drsquoautre qursquoune

plurification (pluralitas) de lrsquoespegravece Si donc lrsquoespegravece subsiste tout entiegravere en tant

qursquoespegravece une et indivisible dans les individus et si les individus constituent une uniteacute

indivisible dans leur espegravece je ne vois pas quelle diffeacuterence peut intervenir quant agrave la nature

entre le sujet et ce qui est preacutediqueacute du sujet917 raquo

Dans les Cateacutegories drsquoAristote laquo le sujet raquo est une substance premiegravere soit un individu

laquo Ce qui est preacutediqueacute du sujetraquo est une substance seconde soit un genre ou une espegravece Erigegravene dit

que les substances individuelles et les substances secondes sont identiques Il affirme eacutegalement que

les accidents universels et particuliers sont identiques918 Ainsi une essence individuelle est une

essence geacuteneacuterique

Erigegravene emploie les deux termes essentia et substantia Parfois ils sont synonymes

Erismann remarque qursquoessentia deacutesigne plus souvent lrsquoousia geacuteneacuterale ou le genre (la substance

seconde selon Aristote) tandis que substantia deacutesigne lrsquoindividu (la substance premiegravere)919

Pour deacutefinir la matiegravere Erigegravene srsquoappuie sur les doctrines drsquoAugustin et du pseudo-Denys

Drsquoapregraves le premier la matiegravere est une laquo mutabiliteacute capable de recevoir des formes raquo Drsquoapregraves le

dernier la matiegravere informe est une laquo certain absence de forme priveacutee de participation agrave lrsquoordre agrave la

forme et agrave la beauteacute raquo Elle est perccedilue par le seul intellect (intellectus)920 Il emploie eacutegalement la

917 laquo Vera tamen ratio consulta respondet subiectum et de subiecto unum esse et in nullo distare Nam si [hellip] Cicero subjectum est et prima substantia homo uero de subjecta secundaque substantia quae differentia est iuxta naturam nisi quia unum in numero alterum in specie cum nil aliud sit species nisi numerorum unitas et nil aliud numerus nisi speciei pluralitas Si ergo species tota et una est indiuidua que in numeris et numeri unum indiuiduum sunt in specie quae quantum ad naturam distantia est inter subiectum et de subiecto non uideo raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 42 = PL 122 470D-471A trad BERTIN t I-II p 110 918 laquo Similiter de accidentibus primae substantiae intelligendum Non aliud est enim quod in subiecto dicitur et aliud quod in subiecto simul et de subiecto raquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 42 = PL 122 471A 919 CHR ERISMANN laquoGeneralis essentia La theacuteorie eacuterigeacutenienne de lrsquoousia et le problegraveme des universaux raquo dans Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge t 69 2002 p 13-14 920 laquo Siue itaque informis materia mutabilitas sit formarum capax secundum Augustinum atque Platonem siue informitas quaedam speciei formae ornatus que participatione carens secundum Dionysium non negabis ut arbitror si quodam modo intelligi potest non nisi solo intellectu percipi raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 81 = PL 122 476AB trad BERTIN t I-II p 156

354

notion de matiegravere des corps (materia corporum) qui reacutesulte du meacutelange des quatre eacuteleacutements et agrave

laquelle la forme srsquoajoute921

Les corps sont des ecirctres individuels qui existent au bas de lrsquoeacutechelle meacutetaphysique Ils

reacutesultent de lrsquoindividuation de lrsquoousia et ils sont produits par un concours drsquoaccidents922 Voici

comment Erigegravene deacutecrit leur formation

laquo Les quantiteacutes et les qualiteacutes sont incorporelles en elles-mecircmes mais une fois combineacutees

les unes avec les autres dans un composeacute homogegravene ces quantiteacutes et ces qualiteacutes produisent

la matiegravere informe laquelle apregraves ajout des formes et des couleurs incorporelles se module

ensuite en des corps varieacutes923 raquo

De cette faccedilon les corps sensibles sont produits agrave partir des qualiteacutes intelligibles Les corps

ne peuvent pas exister sans leurs accidents924 Un individu (corps) drsquoapregraves Erigegravene est un faisceau

drsquouniversaux Lrsquoindividuation a lieu agrave travers des accidents comme chez Boegravece925 Erigegravene integravegre

la doctrine de la forme substantielle La forme substantielle relegraveve de lrsquoousia Elle deacutesigne une

espegravece et elle forme le corps avec la matiegravere926

Erigegravene propose sa solution au problegraveme du mouvement

laquo Seuls les accidents sont en mouvement lequel nrsquoaffecte pas lrsquoessence agrave dire vrai les

accidents eux-mecircmes ne sont pas non plus soumis agrave un mouvement [hellip] mais seul leur

participation par lrsquoessence pacirctit de tels changements La vraie raison ne permet pas qursquoil en

aille autrement car toute nature est immuable tant la nature des essences que la nature de

leurs accidents mais comme nous lrsquoavons deacutejagrave dit la participation des essences par les

921 laquo Non enim aliud te suadere aestimo quam ut cognoscamus quattuor mundi huius elementorum in se inuicem concursu contemperantia que materiam corporum fieri cui adiecta qualicunque ex qualitate forma perfectum corpus efficiturraquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 30 = PL 122 548A 922 laquoEx forma enim omnium unigenito uidelicet patris uerbo omnis forma siue substantialis siue quae ex qualitate assumitur materiae que adiuncta corpus generat creata est Ab ipsa quoque omnis informitas [hellip] Quid igitur Num iam tibi clare lucet non sine ratione a nobis dictum esse ex accidentium concursu corpora fieri auctoritatem sancti Gregorii Nysaei sequentes cum uideas alios siue graecos siue latinos auctores ex incorporalibus asserere corpora fieri raquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 83 = PL 122 502A 923 laquo Quantitates siquidem et qualitates col II dum per se sint incorporeae sunt in unum uero coeuntes informem efficiunt materiam quae adiectis formis coloribus que incorporeis in diuersa corpora mouetur raquo Ibid III eacuted JEAUNEAU p 63 = PL 122 663A trad BERTIN t III p 140 924 laquo Corpora ergo non de nihilo sed de aliquo fiunt Non enim quis dixerit praedictas eorum occasiones nihil esse hoc est quantitates et qualitates formas uel species colores interualla longitudinis latitudinis altitudinis et cum his loca et tempora Quae si abstraxeris corpora non erunt raquo Ibid III eacuted JEAUNEAU p 64= PL 122 663B 925 CHR ERISMANN laquo Generalis essentia La theacuteorie eacuterigeacutenienne de lrsquoousia et le problegraveme des universaux raquo dans Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge t 69 2002 p 23-24 926 laquo Ex praedicta formarum differentia usiadum scilicet qualitatiuarum que uideris mihi non aliud suadere nisi eam formam quae species qualitatis est materiae superadditam corpus cui ΟΥΣΙΑ subsistit perficere raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 74 = PL 122 495B

355

accidents ou la participation des accidents par les essences est soumise agrave un mouvement

perpeacutetuel927 raquo

Selon lui les accidents et les essences naturelles des choses sont sujets aux changements

quand ils sont intriqueacutes Erigegravene propose un scheacutema de la descente neacuteoplatonicienne lrsquoessence

geacuteneacuterale se deacutecompose en essences geacuteneacuteriques et en accidents Ces deux eacuteleacutements srsquounissent dans

les corps et impliquent leurs changements Le but des ecirctres individuels est de revenir (monter) agrave

lrsquoessence geacuteneacuterale

Pour conclure dans les œuvres drsquoErigegravene lrsquoessence deacutesigne lrsquoousia geacuteneacuterale et lrsquoessence

geacuteneacuterique Les substances et les corps deacutesignent des ecirctres individuels Les substances sont des

essences individuelles La distinction entre geacuteneacuteral et individuel est plutocirct eacutepisteacutemologique

Lrsquoessence vraie est unique pour tous individus

Les corps sont constitueacutes de matiegravere et de forme Ils ont eacutegalement une essence et des

accidents La matiegravere premiegravere se subdivise en quatre eacuteleacutements et devient la matiegravere des corps

Lrsquoessence geacuteneacuterale descend et srsquoindividualise agrave travers les accidents Un individu a une forme

substantielle et un faisceau drsquoaccidents Des accidents le rendent unique et font que le mouvement

du corps soit possible Une forme substantielle permet agrave une chose de rester elle-mecircme De cette

faccedilon Erigegravene combine les deux maniegraveres de deacutefinir un individu 1) agrave travers un assemblage

drsquoaccidents 2) agrave travers sa forme substantielle

X16 Abeacutelard

La question de comprendre quel est le substrat mateacuteriel du monde est au cœur du problegraveme

des universaux dans les œuvres drsquoAbeacutelard Dans la Logica ingredientibus Abeacutelard expose deux

doctrines des universaux

1) laquo Certains conccediloivent ainsi une chose universelle dans des choses qui diffegraverent entre

elles par des formes ils mettent une substance essentiellement la mecircme essence

mateacuterielle des ecirctres singuliegraveres en qui elle est une en elle-mecircme et diverse seulement par

les formes des ecirctres rangeacutes sous elle Si lrsquoon ocirctait ces formes il nrsquoy aurait plus aucune

927 laquo Accidentia enim in motu sunt non essentiae nec etiam ipsa accidentia in motu sunt [hellip] sed participatio eorum ab essentia tales patitur mutabilitates Aliter enim uera ratio non sinit esse Omnis siquidem natura seu essentiarum seu eis accidentium immutabilis est participatio uero ut diximus essentiarum ab accidentibus seu accidentium ab essentiis semper in motu est raquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 49 = PL 122 476AB trad BERTIN t I-II p 118

356

diffeacuterence entre les choses qui ne se distinguent les unes des autres que par la diversiteacute

de leurs formes leur matiegravere eacutetant par essence absolument la mecircme928 raquo

Abeacutelard propose comme exemples la substance de lrsquohomme qui est la mecircme dans tous les

hommes et la substance de lrsquoanimal qui est la mecircme dans tous les animaux Cette doctrine a eacuteteacute

adopteacutee par Guillaume de Champeaux Drsquoapregraves Erismann elle est influenceacutee par la doctrine de

lrsquoousia drsquoErigegravene929

Jorge Gracia voit deux interpreacutetations possibles de cette doctrine

- plusieurs essences mateacuterielles qui correspondent aux diffeacuterents genres (homme animal

etc) existent

- une essence mateacuterielle est commune agrave toutes les choses

En tout cas Abeacutelard reprend la doctrine boeacutecienne de lrsquoindividuation agrave travers des

accidents930

2) Voici la deuxiegraveme doctrine

laquo Les choses singuliegraveres ne se distinguent pas les unes des autres par leurs seules formes

mais elles sont aussi personnellement distinctes dans leurs essences propres ce qui

matiegravere ou forme est dans lrsquoune nrsquoest aucunement dans lrsquoautre si lrsquoon supprimait leurs

formes ces choses nrsquoen pourraient pas moins subsister dans leurs essences propres parce

que leur distinction personnelle qui fait que celle-ci nrsquoest pas celle-lagrave ne vient pas des

formes mais de la diversiteacute essentielle mecircme931 raquo

928 laquo Quidam enim ita rem universalem accipiunt ut in rebus diversis ab invicem per formas eandem essentialiter substantiam collocent quae singularium in quibus est materialis sit essentia et in se ipsa una tantum per formas inferiorum sit diversa Quas quidem formas si separari contingeret nulla penitus differentia rerum esset quae formarum tantum diversitate ab invicem distant cum sit penitus eadem essentialiter materia raquo PIERRE ABELARD Die Logica lsquoIngredientibusrsquo ed B GEYER Munster 1919 (Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters Texte und Untersuchungen 211) p 10 trad fr J JOLIVET Abeacutelard ou la Philosophie dans le langage Paris 1994 p 126 929 CHR ERISMANN laquo Alain de Lille la meacutetaphysique eacuterigeacutenienne et la pluraliteacute des formes raquo dans Alain de Lille le docteur universel philosophie theacuteologie et litteacuterature au XIIe siegravecle actes du XIe Colloque international de la Socieacuteteacute internationale pour lrsquoeacutetude de la philosophie meacutedieacutevale Paris 23-25 octobre 2003 eacuted J-L SOLERE A VASILU et AGALONNIER Turnhout 2005 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale XII) p 27 930 J J E GRACIA Introduction to the Problem of Individuation in the Early Middle Ages Munchen 1988 p 199-200 A propos de la theacuteorie de lrsquoessence mateacuterielle voir BRUMBERG J laquo Les universaux dans le commentaire du Pseudo-Raban agrave lrsquoIsagoge (P3) entre Boegravece et la theacuteorie de lrsquoessence mateacuterielle raquo dans Arts du langage et theacuteologie aux confins des XIe-XIIe siegravecles textes maicirctres deacutebats eacuted I ROSIER-CATACH Turnhout 2011 p 417-451 931 laquo Res singulas non solum formis ab invicem esse diversas verum personaliter in suis essentiis esse discretas nec ullo modo id quod in una est esse in alia sive illud materia sit sive forma nec eas formis quoque remotis minus in essentiis suis discretas posse subsistere quia earum discretio personalis secundum quam scilicet haec non est illa non per formas fit sed est per ipsam essentiae diversitatem raquo PIERRE ABELARD Die Logica lsquoIngredientibusrsquo eacuted GEYER p 13 trad fr J JOLIVET p 130-131

357

Drsquoapregraves cette doctrine les choses sont individuelles gracircce agrave leurs essences Elles nrsquoont pas

besoin drsquoaccidents pour srsquoindividualiser (les formes dans la terminologie drsquoAbeacutelard) Une essence

deacutesigne ici un ecirctre individuel

Les deux doctrines ont eacuteteacute deacuteveloppeacutees en deacutetail et reacutefuteacutees par Abeacutelard Elles repreacutesentent

deux points de vue diffeacuterents Drsquoapregraves la premiegravere doctrine la chose srsquoindividualise gracircce agrave la

forme et drsquoapregraves la deuxiegraveme gracircce agrave lrsquoessence Dans le premier cas lrsquoessentia deacutesigne lrsquoessence

geacuteneacuterale de toutes les choses dans le deuxiegraveme une essence individuelle

Nous avons eacutetudieacute lrsquoemploi de plusieurs notions lieacutees au monde sensible chez les auteurs

tardo-antiques et meacutedieacutevaux Les mots essentia et substantia ont eacuteteacute employeacutes pour rendre le mot

grec ousia Il nrsquoest pas eacutetonnant que ces deux notions soient proches seacutemantiquement Parfois elles

ont la mecircme signification Voici les acceptions principales de lrsquoessentia et de la substantia dans

lrsquoAntiquiteacute tardive

1) les deux natures du monde intelligible et sensible (chez Apuleacutee et Calcidius)

2) La substance premiegravere et la substance seconde drsquoAristote Les acceptions et les sens de

lrsquoune ou des deux notions deacutependent de la doctrine drsquoun auteur particulier Par exemple

chez Calcidius Augustin Boegravece et Erigegravene la substantia deacutesigne plutocirct la substance

premiegravere Chez Boegravece elle deacutesigne aussi la seconde substance

3) lrsquoessence unique de toutes les creacuteatures (chez Erigegravene et Guillaume de Champeaux)

4) la nature exceptionnelle de Dieu (Augustin Boegravece)

La notion de matiegravere premiegravere est transmise par Apuleacutee Calcidius Augustin et Erigegravene

Selon Apuleacutee Calcidius et Erigegravene la matiegravere srsquounit aux formes pour creacuteer les quatre eacuteleacutements

dont se composent les choses Dans la tradition paiumlenne la matiegravere est increacuteeacutee dans la tradition

chreacutetienne elle est creacuteeacutee

Ces diffeacuterents philosophes transmettent la doctrine que lrsquohomme ne conccediloit pas la matiegravere

premiegravere Il nrsquoa qursquoune opinion non fiable agrave propos drsquoelle Les objets sensibles (les corps dans le cas

drsquoApuleacutee) sont perceptibles par le sens les objets intelligibles (les ideacutees les formes) par une

faculteacute intellectuelle (cogitatio chez Apuleacutee intellectus chez Calcidius)

Drsquoapregraves Apuleacutee Calcidius Augustin Boegravece et Erigegravene les corps sont des uniteacutes creacuteeacutees qui

sont constitueacutees de matiegravere et de forme Augustin et Boegravece enseignent que la matiegravere est un substrat

qui rend possible le changement des choses et leur transformation

358

Calcidius Augustin et Erigegravene incorporent la doctrine drsquoAristote selon laquelle le

changement est le reacutesultat drsquoune variation des accidents Augustin et Erigegravene incluent eacutegalement la

doctrine de la forme substantielle qui deacutefinit ce qursquoest un corps

Il est deacutesormais possible de deacutefinir une structure de lrsquouniteacute sensible deacuteveloppeacutee par les

philosophes tardo-antiques Lrsquouniteacute minimale du monde creacuteeacute sensible est le corps Tous les corps

ont eacuteteacute creacuteeacutes de la mecircme matiegravere informe agrave propos de laquelle lrsquohomme nrsquoa qursquoune opinion

incertaine Drsquoapregraves certains penseurs les corps peuvent aussi avoir de la matiegravere concregravete qui est un

meacutelange de la matiegravere premiegravere et des formes La forme drsquoun corps correspond agrave une substance

(essence) individuelle En pratique elle est souvent deacutecrite comme consistant en une forme

substantielle (genre ou substance seconde) et des accidents (pluraliteacutes des formes)

La question de lrsquoidentiteacute apparaicirct chez Calcidius Boegravece et Erigegravene Ils meacutelangent les

questionnements aristoteacutelicien (lrsquoidentiteacute dans les changements) et platonicien (lrsquoindividuation des

ideacutees) Le corps est deacutefini agrave travers sa forme substantielle (genre) Il possegravede plusieurs accidents qui

le rendent unique Une variation drsquoaccidents permet drsquoeffectuer un changement qui ne touche pas agrave

la forme substantielle du corps Mecircme avant Boegravece Calcidius et Augustin enseignaient que la

matiegravere premiegravere est le substrat qui permet aux corps de se mouvoir et de se deacutevelopper dans le

monde sensible Erigegravene voit lrsquoessence comme ce substrat Lrsquoessence geacuteneacuterale srsquoindividualise selon

lui gracircce aux accidents

X2 Le monde sensible dans lrsquoeacutecole de Saint-Victor

Dans ce chapitre nous allons eacutetudier la structure du monde sensible et la faccedilon de deacutefinir les

ecirctres individuels propres agrave Hugues et Richard de Saint-Victor Nous nous rendons compte que la

question de la description du monde sensible dans lrsquoheacuteritage philosophique lrsquoeacutecole de Saint-Victor

peut faire lrsquoobjet de plusieurs recherches speacutecialiseacutees Voilagrave pourquoi nous nous limitons aux

questions poseacutees au deacutebut de ce chapitre (celles de la structure drsquoun ecirctre sensible et de lrsquoidentiteacute des

ecirctres)

X21 Les eacuteleacutements du monde selon Hugues de Saint-Victor

La division du visible et de lrsquoinvisible est au cœur de la philosophie drsquoHugues932 Dans le

Super Ierarchiam Dionisii I ndash Prol il explique que pour connaicirctre la veacuteriteacute il faut passer du visible

932 Voir D POIREL laquo Lire lrsquounivers visible le sens drsquoune meacutetaphore chez Hugues de Saint-Victor raquo dans Revue des Sciences Philosophiques et Theacuteologiques t 952 2011 p 363-371

359

agrave lrsquoinvisible933 Dans le chapitre preacuteceacutedent nous avons eacutetabli que la nature invisible eacutetait creacuteeacutee

avant la nature visible selon lrsquoordre causal Nous allons deacutesormais eacutetablir quels eacuteleacutements ont eacuteteacute

introduits dans ces natures lors de la creacuteation

Voici comment la creacuteation du monde est deacutecrite dans le De sacramentis I I VI934

creatio

(cum ipso principio temporis)

dispositio

natura incorporea essentia invisibilium in angelica natura se per conversionem amoris

impressa

natura corporea materia rerum visibilium omnium disposita et ordinata

La creacuteation des ecirctres est faite en deux eacutetapes la creacuteation elle-mecircme et la disposition

Drsquoabord la matiegravere et lrsquoessence ndash les fondements des ecirctres corporels et incorporels ndash ont eacuteteacute creacuteeacutees

simultaneacutement Elles ont eu leurs premiegraveres formes qui vont ecirctre reacuteformeacutees pendant la

disposition935 Ainsi Hugues distingue les creacuteatures corporelles et spirituelles

Natura corporea = materia + forma

Natura spiritualis = essentia + forma

933 laquo Et est in his quasi progressio quaedam et profectus mentis ad cognoscendum uerum conscendentis Per uisibiles enim uisibilium formas peruenitur ad inuisibiles uisibilium causas et per inuisibiles uisibilium causas ascenditur ad inuisibiles substantias et earum cognoscendas naturas raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Super Ierarchiam Dionisii I ndash Prol eacuted POIREL p 404 = PL 175 928A 934 laquo Et ut breviter quidquid mihi inde sentiendum videtur absolvam ego arbitror in primo principio temporis vel potius cum ipso principio temporis hoc est quando ipsum tempus coepit simul coepisse et rerum visibilium omnium materiam eodemque prorsus momento invisibilium in angelica natura essentiam utramque quodammodo in forma et utramque quodammodo sine forma Nam quemadmodum illa formandorum corporum materia quando primum creata est et quamdam formam habuit in qua subsistere coepit et tamen informis erat quia necdum disposita et ordinata fuit ita prorsus illa rationalis natura quando primum in spiritibus angelicis creata est mox quidem per sapientiam et discretionem formata est sed quia illi summo et vero bono (in quo beatificanda erat) nondum se per conversionem amoris impresserat quodammodo adhuc informis permanebat Utraque ergo natura et corporea scilicet per materiam et incorporea per essentiam simul ad esse prodiit quia et in illa unde facta et in ista quae facta est uno eodemque momento temporis in tempore pariter et cum tempore esse coepit Nam spiritualis natura (cum simplex sit eique idem sit omnino esse quod est) materialiter prius quam personaliter fieri non habet sicut corporea natura et propterea illa dum crearetur prius quidem per materiam ex qua facta est ad esse prodiit haec vero statim in ipsa qua subsistit vita simplici et essentia immortali indissolubilique primum accepit Utraque tamen simul facta est altera id est corporea in eo ex quo ipsa est altera vero id est incorporea in eo quod ipsa est Utraque formata et utraque informis sicut dictum est raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I I VI PL 176 192BD 935 Cf laquo Sequitur item alia questio cum materiam illam in prima creatione constet fuisse informem utrum omnino absque omni forma fuerit an dicatur informis in respectu illius pulchritudinis que postea erat habitura raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 1 eacuted PIAZZONI p 930 72-74

360

Nous avons deacutejagrave eacutetudieacute la notion de forme chez Hugues dans le chapitre VIII2 Elle peut

designer soir un modegravele (exemplar) soit une partie drsquoune chose qui srsquoimpose sur un reacuteceptacle

(matiegravere) En tant que partie drsquoune chose la forme deacutesigne son aspect visible936

Il nous reste agrave eacutetudier les notions drsquoessence et de matiegravere

X211 Essentia

Nous venons de deacutecouvrir que lrsquoessentia est preacutesente dans la nature spirituelle937 Nous

allons deacutesormais voir si la notion drsquoessentia a drsquoautres applications dans les textes drsquoHugues de

Saint-Victor

La notion drsquoessence chez Hugues deacutesigne le plus souvent la nature unique de Dieu938

Dans le Super Ierarchiam Dionisii II-I Hugues distingue les natures invisibles dont les

formes et les essences sont identiques et les natures visibles dont les formes et les essences sont

seacuteparables Cela permet aux ecirctres visibles de changer939 Par conseacutequent les formes des choses

changent tandis que les essences restent stables

Les nombreuses essences ceacutelestes et spirituelles sont proches de Dieu940 Dans ce cas le mot

essentia est le synonyme de natura et deacutesigne un ecirctre indeacutependant par exemple un ange

En De sacramentis I I VI Hugues dit que les ecirctres qui sont drsquoabord creacuteeacutes par essence (per

essentiam) dans la matiegravere sont ensuite paracheveacutes (in forma)941 En I III XXXI Il preacutecise que

tout ce qui a eacuteteacute en Dieu par la providence sera creacuteeacute dans le temps par lrsquoessence942 Les ecirctres creacuteeacutes

936 Cf laquo Prima enim id est mathematica speculatur uisibiles rerum uisibilium formas raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Super Ierarchiam Dionisii I ndash Prol eacuted POIREL p 404 = PL 175 927B 937 laquo Sed sicut iam dictum est quod spiritalem habet essentiam non potest originem habere corpoream quia quicquid ex materia preiacente traducitur corporeum esse comprobaturraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XVII eacuted POIREL p 37 = PL 176 825BC 938 Cf laquo Sic et essentia et in deitate Deus unus est Quod autem essentia unum est uere unum est quod uero in deitate unum est summe unum est raquo Sententiae de divinitate Pars 3 eacuted PIAZZONI p 952 136-7 939laquo Quia tamen in rebus uisibilibus aliud forma est et aliud est essentia iccirco quaecunque uisibilia sunt mutabiliter pulchra sunt quoniam quaecunque numero diuersa sunt et natura mutabilia inseparabiliter simul non consistunt Inuisibilia autem quibus aliud non est forma et aliud essentia quia omne quod est unum est et simplex et idem esse pulchra sunt ex eo quod sunt et non est pulchritudo illorum compacta ex multis concurrentibus in unum sicut uisibilis natura uidetur cuius forma secundum spatia locorum explicatur et per figuras ex multis coaptatas disponitur raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Super Ierarchiam Dionisii II-I eacuted POIREL p 435 = PL 175 949BC 940 laquo lsquoCirca eamrsquo uidelicet diuinam naturam id est propinquae et uicinae illi lsquosuntrsquo et immediate coniunctae lsquoillae essentiarumrsquo hoc est illae essentiae siue naturae quaecunque post ipsum esse datum lsquoinnumerabiliterrsquo uel multipliciter lsquoab earsquo dona uirtutum lsquoacceperuntrsquo In quibus primo loco censentur caelestes illae et spirituales naturae angelorum quae non solum per subtilitatem sapientiae rationalia sunt quia intellectu discernunt sed per subtilitatem quoque spiritualis naturae intellectualia quia solo intellectu in sua natura percipiuntur et sensum corporis non contingunt raquo Ibid V ndash IV eacuted POIREL p 519-520 941 laquo Per coelum namque et terram materiam illam omnium coelestium terrestriumque hoc loco significari puto de qua postea succedenter in forma facta sunt quae in ipsa prius per essentiam simul creata fuerunt raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I I VI PL 176 190D 942 laquoAnte omnem creaturam Creator erat solus quidem sed tamen non solitarius quia cum ipso erat sapientia sua in qua omnia ab aeterno per providentiam fuerunt quae ab ipso in tempore per essentiam facta sunt Solus fuit quando nihil praeter ipsum fuit et tamen solitarius non fuit quia aliena societate non eguit qui sibi sufficiens fuit cui nihil defuit quia sicut dictum est totum in ipso per providentiam fuit quod ab ipso per essentiam faciendum fuit raquo Ibid I III

361

existent ainsi per essentiam Dans le commentaire In Ecclesiasten Hugues dit que Dieu a instaureacute

lrsquoessence la forme et lrsquoordre des choses Ces trois sont stables et notamment les essences ont eacuteteacute

creacuteeacutees de rien et elles ne cessent jamais drsquoexister943 Ici et dans ces autres œuvres Hugues parle

tantocirct drsquoune essence des choses au singulier tantocirct des essences au pluriel944 De cette faccedilon

lrsquoessentia est creacuteeacutee en mecircme temps que la matiegravere et comme la matiegravere elle est faite de rien

Dans le De tribus diebus Hugues relie lrsquoessence et la forme aux manifestations des attributs

de Dieu Voici la reacutecapitulation945

essentia immensitas potentia

forma decor sapientia

Lrsquoessence est relieacutee indirectement agrave la puissance et la forme agrave la sagesse

Ensuite Hugues dit

laquo Consideacutereacutee sans forme lessence est chose informe Sans doute une reacutealiteacute informe est

bien semblable agrave Dieu en tant qursquoelle est mais elle diffegravere de Dieu en tant qursquoelle est sans

forme Ce qui est formeacute est donc plus semblable agrave Dieu que ce qui nrsquoest pas Il est donc clair

XXXI PL 176 232BC Cf laquo Discernamus ergo si possumus si forte causam invenire valeamus quare potius sub tempore quam vel cum tempore vel in tempore facta dixit vana esse opera hominum Omnia quae facta sunt vel cum tempore facta sunt vel in tempore Cum tempore enim facta sunt quorum ortum tempus non praecessit qualis est angelica natura et illa informis materia rerum visibilium quam in principio creavit Deus In tempore facta sunt quorum ortum tempus praecessit sicut illa sex dierum opera in quibus Deus perfecit atque complevit hujus sensibilis mundi fabricam sed et illa quae postmodum formaliter sive essentialiter facta sunt omnia in tempore facta sunt raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR In Ecclesiasten eacuted PL 175 128D-129A 943 laquo Opus Dei est essentiam rerum de nihilo creare materiam rerum in formam disponere motum autem rerum sub certo ordine temperare Propterea tria haec ad opus Dei pertinent id est essentia rerum forma et ordo Haec autem tria sicut postea auctor ipse attestatur de operibus Dei stabilia sunt nec temporis capiunt mutabilitatem quia et rerum essentiae hoc quod sunt nunquam esse desinunt raquo Ibid PL 175 215D 944Pour lrsquoemploi au singulier voir les notes preacuteceacutedentes Voici des cas de lrsquoemploi drsquoessentia au pluriel laquo Duo reliqua id est de aliquo aliqua non in majus sicut cum totum in partes dividitur vel de aliquibus aliquid non in minus quemadmodum cum partes in toto uniuntur creatura facere potest Cujus opus recte propterea nihil esse dicitur quia per ejus opus essentiis rerum sive in conjungendo divisa sive in dividendo conjuncta nihil tollitur vel confertur raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis VI XXXVII PL 176 285B laquo Qui enim de rerum creatione quasi vera sentiunt de subsistentia rerum plurima mentiuntur et non est finis disputationum et adinventionum hominum Fingunt essentias et formas et atomos et ideas principalium constitutionum et elementa plurima et nascentias infinitas et motus invisibiles et efficientias procreatrices raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR In Ecclesiasten eacuted PL 175 238C 945 laquo Tria diximus inuisibilia potentiam sapientiam benignitatem Querendum ergo est quod horum prius contemplantibus in agnitione occurrat Et credo quod illud inuisibile prius in contemplatione comprehenditur quod in suo uisibili simulacro expressius et manifestius declaratur Simulacra autem inuisibilium ipsa uisibilia dicuntur utpote inuisibilis potentiae simulacrum est creaturarum inmensitas inuisibilis sapientiae simulacrum est creaturarum decor inuisibilis benignitatis simulacrum est creaturarum utilitas Omnis autem creatura quanto uicinius similitudini creatoris appropinquat tanto uicinius creatorem suum declarat Illud ergo uisibile simulacrum inuisibile exemplar prius ostendere debet quod diuinae similitudinis imaginem perfectius in se expressam retinet Inmensitas autem creaturarum magis ad essentiam decor uero creaturarum magis pertinet ad formam raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XVI eacuted POIREL p 34 = PL 176 823D-824A

362

que la beauteacute des creacuteatures qui se rapporte agrave leur forme est un reflet plus eacutevident que

lrsquoimmensiteacute des creacuteatures qui ne concerne que leur essence946 raquo

Dans ce passage Hugues deacutecrit lrsquoessence et la forme comme deux constituants de lrsquoecirctre qui

peuvent ecirctre perccedilus Les formes teacutemoignent de la beauteacute des creacuteatures de maniegravere plus eacutevidente que

les essences de son immensiteacute La forme et lrsquoessence sont preacutesenteacutees comme les aspects visible et

invisible drsquoun ecirctre

Dans lrsquoIn Ecclesiasten le processus de la perception est deacutecrit de faccedilon suivante

- lrsquoespegravece (forme propre) des choses affecte la vision

- la forme des choses entre dans la vision

- lrsquoessence des choses arrive agrave lrsquoacircme agrave travers la vision

Ainsi la forme est un intermeacutediaire qui sert agrave transmettre lrsquoessence de la chose jusqursquoagrave

lrsquoacircme de lrsquohomme qui la perccediloit Lrsquoessence dans ce cas est compareacutee agrave la signification du mot (vox)

et la forme agrave la meacutelodie947

Dans le De tribus diebus Hugues dit

laquo La connaissance humaine subit un changement selon lrsquoessence lorsque nous pensons tantocirct

agrave ceci tantocirct agrave cela car nous ne pouvons pas tout enfermer dans notre penseacutee selon la

forme comme lorsque nous precirctons attention agrave une mecircme chose tantocirct sous un aspect

tantocirct sous un autre car nous ne pouvons faire les deux agrave la fois948 raquo

Lrsquoessence et la forme sont opposeacutees dans ce passage comme un contenu et une apparence

les aspects inteacuterieur et exteacuterieur

946 laquo Essentia uero absque forma considerata informitas est Quod autem informe est in hoc quidem quod est Deo simile est sed in hoc quod forma caret a Deo dissidet Quod ergo formatum est magis Deo simile est quam id quod formam non habet Vnde constat quod plus euidens simulacrum est decor creaturarum qui pertinet ad formam quam inmensitas creaturarum quae ad solam spectat essentiamraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XVI eacuted POIREL p 34 = PL 176 824A trad Poirel p 597 947 laquo Ergo essentia rerum per visum ad animam ingrediens et vocum significatio per auditum scientiam pariunt Forma vero rerum per visum intrans et melodia vocum per auditum ad jucunditatem animum accendunt Quoties enim foris sive rerum specie visus afficitur sive auditus vocum dulcedine demulcetur evigilat animus intus miris affectibus illi quo exterius tactum se sentit respondens HUGUES DE SAINT-VICTOR In Ecclesiasten eacuted PL 175 141CD 948 laquoIn essentia uicissitudinem patitur humana cognitio quando nunc hoc nunc illud cogitamus quia simul omnia nostro sensu comprehendere non possumus in forma ut quando idipsum nunc tale nunc uero tale attendimus quia utrumque simul non ualemus raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XIX eacuted Poirel p 48 = PL 176 830A

363

De plus dans le De tribus diebus Hugues dit que le changement selon le lieu crsquoest-agrave-dire le

deacuteplacement ne change pas lrsquoessence drsquoune chose949 Dans deux derniers cas lrsquoessence est preacutesente

comme une uniteacute intelligible qui procure une connaissance intelligible drsquoune chose

Ainsi toutes les creacuteatures visibles et invisibles ont des essences Les creacuteatures invisibles

sont homogegravenes leurs formes et essences sont inseacuteparables Cela fait que ces creacuteatures ne changent

pas avec le temps Dans les ecirctres visibles corporels les essences sont unies agrave des formes mais elles

sont seacuteparables Les formes sont perceptibles par les sens et les essences sont connues par les acircmes

La perception de la forme de chose fait capter son essence A notre avis lrsquoessence deacutesigne la partie

invisible drsquoune chose Crsquoest un aspect principal qui deacutefinit ce qui est une chose La forme est une

partie visible Elle donne des indications pour comprendre la partie invisible drsquoune chose

Lrsquoanalyse de la notion drsquoessence conduit Hugues agrave reacutefleacutechir sur lrsquoimmensiteacute des creacuteatures et

la puissance de Dieu De cette faccedilon lrsquoessence est lieacutee aux relations entre une chose et son creacuteateur

Les essences ont un trait commun avec la matiegravere elles sont creacuteeacutees de rien au deacutebut Pourtant les

essences chez Hugues sont des entiteacutes intelligibles Quand Hugues parle de la creacuteation de lrsquoessence

et par lrsquoessence il emploie ce mot au singulier Quand il deacutecrit une essence drsquoune chose concregravete il

dit essentiae au pluriel En effet Hugues peut sous-entendre lrsquoexistence drsquoune essence unique des

ecirctres qui se multiplient en plusieurs essences individuelles Il suivrait de cette faccedilon la doctrine de

Guillaume de Champeaux qursquoon peut rapprocher agrave certains eacutegards de la penseacutee eacuterigeacutenienne Mais

pour affirmer cela avec certitude il faudrait une eacutetude plus eacutelaboreacutee de la doctrine de lrsquoessence chez

Hugues de Saint-Victor

X212 Materia

Hugues deacutecrit la creacuteation de la matiegravere de maniegravere deacutetailleacutee dans la premiegravere partie du

premier livre du De sacramentis Dieu a creacuteeacute la matiegravere agrave partir du neacuteant950 et avant de la former (I

I II-III) Drsquoabord Dieu a creacuteeacute la matiegravere informe et ensuite elle a eacuteteacute formeacutee par la conversion

vers le creacuteateur951 La matiegravere nrsquoeacutetait pas absolument mais relativement informe Elle eacutetait formeacutee

949 laquo Et est extrinseca haec mutatio nichil que uariat de ipsius rei essentia quia si esse desinit ubi fuit non tamen quod fuit esse desinit et si esse incipit ubi non fuit non tamen quod non fuit esse incipitraquo Ibid XIX eacuted POIREL p 43 = PL 176 827D 950 laquo Omnia ergo quae facta sunt Deus non solum ex materia fecit sed materiam omnium ipse de nihilo creavit raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I I I PL 176 187B 951 laquo Nam et ipsa rationalis creatura quodam suo modo prius informis facta est postmodum per conversionem ad Creatorem suum formanda et idcirco foris prius ei demonstrata est informis materia postea formata ut quanta foret inter esse et pulchrum esse distantia discerneret raquo ibid I I III PL 176 189A

364

degraves le deacutebut de faccedilon rudimentaire ce que Hugues appelle laquo une forme de confusion raquo et ensuite

lors des six jours de la creacuteation elle a reccedilu une forme plus eacutelaboreacutee laquo la forme de disposition raquo952

En outre Hugues parle aussi des quatre eacuteleacutements En De sacramentis I I XXIX il preacutecise

que le monde sensible avec tous ces eacuteleacutements a eacuteteacute fait dans la matiegravere au deacutebut de la creacuteation Les

quatre eacuteleacutements du monde ont eacuteteacute distingueacutes et mis agrave leur place lors des trois premiers jours de la

creacuteation953

Dans les Sententiae Hugues explique de maniegravere plus deacutetailleacutee le rocircle des eacuteleacutements dans la

creacuteation du monde Ce sont les quatre eacuteleacutements qui ont eacuteteacute creacuteeacutes agrave partir de rien La terre a eacuteteacute

seacutepareacutee tandis que les trois autres (le feu lrsquoeau et lrsquoair) restaient meacutelangeacutes954 Et ensuite pendant

les trois premiers jours de la creacuteation ils ont eacuteteacute distingueacutes lrsquoun de lrsquoautre et mis en place le

premier jour le feu puis la terre et le troisiegraveme lrsquoeau et lrsquoair

En deacutefinitive Hugues comprend la matiegravere comme le reacuteceptacle drsquoune forme La matiegravere

premiegravere a eacuteteacute formeacutee au deacutebut pour assurer la disposition de quatre eacuteleacutements Contrairement agrave la

matiegravere informe quatre eacuteleacutements sont perceptibles

X22 Les ecirctres individuels dans la penseacutee des victorins

X221 Hoc aliquid

Pour deacutesigner un eacuteleacutement du monde sensible dans le De sacramentis Hugues emploie

quelquefois lrsquoexpression hoc aliquid Cette expression a eacuteteacute introduite par Boegravece pour traduire

lrsquoexpression aristoteacutelicienne tode ti (ce quelque chose) Le hoc aliquid deacutesigne la substance

premiegravere ndash une chose individuelle concregravete (Catg 3b10-14)

952 laquo Ergo ante formam facta est materia tamen in forma In forma confusionis ante formam dispositionis In prima forma confusionis prius materialiter omnia corporalia simul et semel creata sunt in secunda forma dispositionis postmodum per sex dierum intervalla ordinata raquo ibid I I IV PL 176 189D 953 laquoOpera ergo conditionis id est mundus iste sensibilis cum omnibus elementis suis in materia quidem ante omnem diem in tempore pariter et cum tempore facta sunt Postea sex diebus in formam disposita tribus primis diebus ordinata et sequentibus tribus ornata raquo ibid I I XXIX PL 176 204C Cf D POIREL laquo Physique et theacuteologie une querelle entre Guillaume de Conches et Hugues de Saint-Victor agrave propos du chaos originel raquo dans Guillaume de Conches philosophie et science au XIIe siegravecle eacuted B OBRIST et I CAIAZZO Florence 2011 p 302 954 laquo Sciendum quod primo Deus quatuor elementa creauit de nichilo tante quantitatis tante capacitatis ut nunc sunt licet non ad hunc ordinem redacta immo confusa sic tamen ut terra proprium locum obtineret quem modo habet id est medium et imum habens iam alueos quosdam in se id est futura receptacula id est aquarum Alia uero tria elementa id est aqua aer ignis confusa et in simul permixta nec proprium locum nec propriam formam habentia erant super faciem terre circum aque ita ut confusio illa duraret a terra usque ad extremitatem corporee substantie et hec erat in prima creatione mundane materie informitas que postea sub formis redacta est hoc modoraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 1 eacuted PIAZZONI p 931 106-115

365

Hugues emploie la notion de hoc aliquid en parlant du changement des esprits (I III XVI)

Un hoc aliquid est concret (definitum) Un corps et un esprit sont des haec aliqua Seul lrsquoesprit

creacuteateur nrsquoest pas un hoc aliquid car il nrsquoest pas concret955

Ensuite Hugues deacutecrit lrsquoexistence des formes dans lrsquoesprit (I III XXV) Les formes et les

affections qui sont dans lrsquoesprit ne sont pas hoc aliquid qui est dans la reacutealiteacute Mais ces formes

existent dans une relation au hoc aliquid956

Dans I V III Hugues emploie le hoc aliquid pour la derniegravere fois dans le De sacramentis Il

affirme que Dieu connaicirct eacutegalement les ecirctres dans leur totaliteacute et chaque ecirctre particulier (hoc

aliquid)957

En deacutefinitive hoc aliquid deacutesigne chez Hugues un ecirctre particulier

X221 Substance et substantialiteacute

Dans le De Trinitate II XII Richard de Saint-Victor deacutemontre lrsquoincommunicabiliteacute de

Dieu Pour faire cela il introduit la notion de substantialiteacute (substantialitas)

laquo Nous appelons en effet substantialiteacute cette proprieacuteteacute de la subsistance qui lui donne drsquoecirctre

appeleacutee et drsquoecirctre substance958 raquo

Richard distingue trois sortes de la substantialiteacute959

955 laquoSpiritum autem creatorem nec in loco esse nec loco mutari quoniam corpus non est nec tempore mutari quoniam invariabilis omnino est Propterea soli corpori recte assignari et hoc aliquid esse quoniam definitum est et hic alicubi esse quoniam circumscriptum est et nunc aliquando esse quoniam variabile est Spiritui vero creato convenire et hoc aliquid esse quoniam definitus est et nunc aliquando esse quoniam variabilis est sed non hic alicubi esse quoniam circumscriptus non est qui dimensionis capax non est Creatorem vero spiritum nec hoc aliquid esse quod definitus non est nec hic alicubi esse quod circumscriptus non est nec nunc aliquando esse quoniam invariabilis est praesentem tamen veraciter et essentialiter omni quod hoc aliquid est et omni quod hic alicubi est et omni quod nunc aliquando est quoniam in omnibus est et ubique est et semper est raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XVI PL 176 222D-0223A 956 laquo Videt enim quoniam quae in mente sunt non vere idem sunt quod est ipsa mens Separantur enim a mente haec aliquando et cum adfuerint recedunt et redeunt iterum cum abierint et variantur circa ipsam nec vere sunt idem cum ipsa sed quasi affectiones quaedam et formae ipsius quibus non sit hoc aliquid esse sed ad esse tantum ei quod est hoc aliquid raquo Ibid I III XXV PL 176 227B 957 laquo Nam in Deo quidem omnia erant antequam essent in se secundum rationem et causam et providentiam ex qua futura erant sed quasi minus erant singula perfecto et unumquodque hoc aliquid et non totum secundum rationem et discretionem uniuscujusque quae ratio omnia continebat et major erat in toto et quasi superabundabat singulis raquo Ibid I V III PL 176 247D-248A 958 laquo Substantialitatem namque dicimus illam proprietatem substantie ex qua habet substantia dici et esse raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate II XII eacuted RIBAILLIER p 118 =PL 196 907CD trad SALET 129-131 959 laquoSubstantialitas vero alia generalis alia specialis alia individualis Substantialitas autem illa est generalis que est aliquibus speciebus communis ut corporalitas que inest omnibus corporibus tam animatis quam inanimatis Illa vero est specialis que competit unius tantum speciei omnibus individuis ut humanitas que est omnibus hominibus communis Individualis autem est illa que uni soli quidem individuo inest et pluribus substantiis omnino communis esse non potest raquo Ibid II XII eacuted RIBAILLIER p 118-9 =PL 196 907D

366

Sortes de

substantialiteacute

Deacutefinition Exemple

generalis aliquibus speciebus communis corporalitas

specialis quae competit unius tantum speciei omnibus

individuis

humanitas

individualis illa quae uni soli quidem individuo inest et pluribus

substantiis omnino communis esse non potest

possumus a proprio

nomine trahere danielitas

Les sortes de substantialiteacute sont deacutefinies selon les sortes de substances geacuteneacuterique

speacutecifique individuelle En effet par la substantialiteacute Richard entend la qualiteacute qui deacutefinit un genre

ou une espegravece A notre avis le sens de la substantialiteacute chez Richard de Saint-Victor est proche de

la notion de qualiteacute incommunicable de Boegravece La substantialiteacute du genre laquo corps raquo est la corporeacuteiteacute

de lrsquoespegravece laquo homme raquo est lrsquohumaniteacute Ces substantialiteacutes sont communes agrave plusieurs individus La

substantialiteacute drsquoun individu est incommunicable Pour la nommer Richard propose de creacuteer un mot

agrave partir drsquoun nom propre par exemple la danieacuteliteacute Nico den Bok souligne que cette proprieacuteteacute est

non accidentelle960

Richard explique que la substance drsquoun individu est sa substantialiteacute La substance de Daniel

est la danieacuteliteacute La substance de Dieu est la diviniteacute Et crsquoest pour cette raison qursquoil est

incommunicable Il nrsquoy a que Dieu qui a la substance de Dieu

Lrsquoindividu selon Richard est celui qui ne partage pas sa substance (ces qualiteacutes principales)

avec drsquoautres961 Ainsi il explique lrsquoincommunicabiliteacute de Dieu en le comparant agrave un individu Dieu

est un individu qui ne partage pas sa substantialiteacute avec drsquoautres ecirctres

X23 Lrsquoidentiteacute drsquoune chose

Nous avons montreacute qursquoune chose peut se deacutefinir agrave travers une forme geacuteneacuterale et la

multipliciteacute des eacuteleacutements qui lrsquoindividualisent ou agrave travers des eacuteleacutements qursquoelle garde dans les

changements

Selon Boegravece les choses srsquoindividualisent gracircces aux accidents Il nous semble qursquoHugues

fait des allusions agrave cette doctrine

laquo Lrsquoecirctre dans la raison (in ratione) est quand un artisan [hellip] preacutevoit dans son esprit ce qursquoil

fera sa qualiteacute sa quantiteacute et plus geacuteneacuteralement de quelle sorte sera la chose qursquoil fera962 raquo

960N W DEN BOK Communicating the most high a systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St Victor Paris-Turnhout 1996 p 217-218 961 Ibid p 220

367

Ainsi une chose est deacutefinie in ratione selon les cateacutegories quod (substance) quale

(qualiteacute) quantum (quantiteacute) etc

Hugues soulegraveve la question des changements dans le De sacramentis I III Nous en avons

fait une reacutecapitulation963

mutationes

intrinsecus extrinsecus

forma locus tempus

augmentum diminutio alteratio totum locum

mutat

consistentibus

partibus in toto

sequitur mutationem

loci et formae et non

est unquam sine ipsis in

corpore

apparet tantum forma alia

in toto propter partes quae

locum mutaverunt

La diffeacuterence entre le changement inteacuterieur et exteacuterieur est dans le fait que le premier change

une chose et le second change les circonstances autour drsquoune chose964 Le temps pour Hugues est

une succession de changements

Dans ce passage Hugues deacutefinit la forme drsquoune chose agrave travers ses parties Il est ainsi

important pour lui de distinguer le changement selon la forme (lrsquoalteacuteration) et celui selon le lieu Le

premier a lieu quand les parties de la forme changent de place agrave lrsquointeacuterieur de la totaliteacute drsquoune chose

en composant une autre chose La deuxiegraveme est quand une chose entiegravere change sa position dans

lrsquoespace De cette faccedilon une chose reste elle-mecircme car elle garde la mecircme disposition des parties 962 laquo Esse in ratione est quando artifex aliquis [hellip] preuidet in mente sua quid facturus sit et quale et quantum et omnino cuiusmodi rem facturus sit raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 937 36-38 trad D POIREL 963 laquo Omne enim corpus aut loco mutatur aut forma aut tempore Et quae forma mutantur aut augmentum suscipiunt aut diminutionem aut alterationem Et quae alterationem quidem suscipiunt non illis accedere quidquam videtur quod non erat aut quod erat recedere probatur sed quod erat tantum alteratur et aliter habetur Et non fit sine loco hoc quoniam partes locum transmutant in eodem consistente toto et non fit tamen nisi secundum locum nec tamen dicitur secundum locum propter totum quod locum mutat sed apparet tantum forma alia in toto propter partes quae locum mutaverunt Et ideo haec mutatio secundum formam dicitur quoniam haec in toto manifeste videtur Et non dicitur secundum locum (cum tamen in partibus secundum locum sit) quoniam haec manifeste non videtur Et non est forma aliquid omnino nisi dispositio partium in toto et cum haec mutatur (quia partes locum mutant) mutatur forma in toto quia dispositio partium mutatur quae est forma totius Et ita mutatio formae in toto fieri non potest sine mutatione loci in partibus Sed non dicitur mutatio loci nisi cum totum locum mutat consistentibus partibus in toto Sic mutatio temporis sequitur mutationem loci et formae et non est unquam sine ipsis in corpore Quoniam secundum has solum ordo inest et successio quae tempus vocatur raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XV PL 176 221C-222A 964 laquo Item considerandum est quoniam ex his tribus mutationibus duae extrinsecus fiunt quoniam non mutant esse rei sed circa rem aliquid hoc est mutatio loci et temporis Iterum prima mutatio secundam et tertiam infert quoniam causa illarum est Secunda autem tertiam quoniam causa illius est Tertia vero tantum infertur et non infert quoniam effectus solum est Sola autem mutatio formae intrinseca vocatur quoniam non circa rem sed in ipsa re mutat aliquid et ipsa tamen non fit sine mutatione loci et temporis raquo ibid I III XV PL 176 222A

368

Lrsquoesprit peut ecirctre changeacute par lrsquoaffection et la connaissance dans le temps965

En deacutefinitive nous avons trouveacute chez Hugues deux maniegraveres de deacutefinir une chose 1) agrave

travers les accidents 2) agrave travers la disposition de ses parties

Pour conclure Hugues dit qursquoune chose est constitueacutee de ces composants matiegravere essence

et forme La matiegravere a eacuteteacute creacuteeacutee au deacutebut par Dieu Elle est toujours unie agrave la forme Lrsquoessence est

une partie principale drsquoune chose Elle est invisible et elle est relieacutee agrave lrsquoimmensiteacute des creacuteatures qui

agrave son tour est le reflet de la puissance de Dieu La forme est un aspect visible drsquoune chose

Hugues deacutecrit eacutegalement un ecirctre particulier un hoc aliquid Crsquoest une notion

aristoteacutelicienne qui deacutesigne une chose concregravete Dans drsquoautres endroits Hugues explique qursquoune

chose est preacuteconccedilue avec ses accidents et qursquoelle reste elle-mecircme tant qursquoelle garde la bonne

disposition de ses parties

Pour expliquer lrsquoindividualiteacute de Dieu Richard introduit la notion de substantialiteacute Elle

deacutesigne la particulariteacute de lrsquouniteacute (du genre de lrsquoespegravece ou de lrsquoindividu) Lrsquoindividu dans le monde

a sa substantialiteacute eacutegalement

X3 Monde sensible dans le De unitate

Nous avons vu que les auteurs tardo-antiques ont introduit des notions geacuteneacuterales qui servent

agrave deacutecrire lrsquouniteacute sensible essentia substantia materia et corpus Ces notions ont eacuteteacute reprises par

les auteurs meacutedieacutevaux y compris les victorins Il existe aussi un faisceau de doctrines qui ont eacuteteacute

transmises avec ces notions la primauteacute de la matiegravere lors de la creacuteation du monde son

inconnaissabiliteacute lrsquoexplication de lrsquoessentia et de la substantia comme uniteacutes sensibles et

intelligibles (la premiegravere et la deuxiegraveme substance drsquoAristote) la deacutefinition de lrsquouniteacute sensible gracircce

agrave la forme substantielle (dans les changements) ou gracircce aux accidents (lrsquoindividuation) Dans cette

partie nous allons voir quelles notions et doctrines ont eacuteteacute reprises dans le De unitate Pour faire

cela nous allons revenir agrave deux questions qui ont eacuteteacute poseacutees au deacutebut de ce chapitre

1) De quoi est composeacute un ecirctre sensible

2) Quel est le principe drsquoidentiteacute drsquoune uniteacute creacuteeacutee

965laquo Et videmus quod spiritus omnino nec augmento partium crescere potest quoniam corpus non est nec decrescere diminutione quoniam simplex natura est et tamen affectu et cognitione mutatur spiritus Et transit de hoc in illud et variatur et vicissitudinem suscipit gaudii doloris et poenitudinis et voluntatis et crescit scientia et oblivio in eum cadit et variat cogitationes et succedenter intelligit et est quasi formae mutatio ista in eo mutatio scientiae et affectus Et sequitur istam temporalis mutatio et subjacet tempori propter ista quae variantur in eo raquo ibid I III XVI PL 176 222B

369

Pour reacutepondre agrave la premiegravere question nous allons rassembler plusieurs notions telles que la

materia lrsquoessentia la substantia la res et le corpus Le point du deacutepart sera un passage des

chapitres I 43-44 dans lesquels Achard deacutecrit la structure des uniteacutes dans le monde sensible

La reacuteponse agrave la deuxiegraveme question peut ecirctre trouveacutee en I 48 Achard pose cette question de

la maniegravere suivante est-ce que les ecirctres sont les mecircmes en nombre ici et lagrave-bas A savoir est-ce

que chaque uniteacute qui existe ici existe eacutegalement lagrave-bas et vice versa

X31 De quoi est composeacute un ecirctre sensible

X311 I 43-44

Dans le texte entier du De unitate il ne se trouve qursquoun seul passage ougrave Achard parle

explicitement des eacuteleacutements qui constituent les choses dans le monde creacuteeacute

laquo I 43

Chez nous aussi ltil est vraigt on a parfois coutume drsquoappeler des laquo formes raquo tout ce qui

existe dans les choses en dehors de leurs essences simples et si je puis dire informes

essences dont aucune connaissance nrsquoest prise drsquoailleurs sinon par lrsquointermeacutediaire des formes

des choses puisque crsquoest sur les formes des choses que porte toute science les concernant

Dieu au contraire sait et intellige toutes choses agrave partir de soi-mecircme crsquoest donc aupregraves de

lui et en lui que sont intellectuellement toutes les formes de toutes les choses mais en plus

on ne peut nier que nrsquoexistent eacutegalement lagrave-bas et sur le mecircme mode les essences mecircmes ou

se trouvent ces formes lagrave-bas en effet elles aussi sont intelligeacutees et elles ne le sont pas

seulement dans leur formation active mais aussi dans la simpliciteacute naturelle qui leur est

propre et par laquelle elles se distinguent de toutes les formes par la privation mecircme de toutes

formes Quant aux substances des choses elles existent et sont intelligeacutees agrave part eacutegale dans la

connexion des essences et des formes toutefois leur diffeacuterence reacuteciproque nrsquoest consideacutereacutee

que selon les seules formes et elle srsquoeacutetend agrave toutes leurs intellections srsquoil est vrai que mecircme

les essences ne sont pas ltalorsgt discerneacutees entre elles sinon par la varieacuteteacute des formes qui

srsquoadjoignent agrave elles

I 44

Si ces formes des choses nrsquoeacutetaient eacutegalement distinctes aupregraves de Dieu il serait eacutegalement

impossible qursquoun ltintellectgt quelconque voie aucune distinction des choses qursquoelle soit

essentielle formelle ou substantielle et que son intellect agrave lui discerne entre lrsquohomme et lrsquoacircne

Mais de mecircme qursquoil en serait ainsi lagrave-bas de mecircme il nrsquoy aurait pas non plus ici de distinction

370

entre elles si ltles formesgt ne les avaient lagrave-bas preacuteceacutedeacutees Par conseacutequent lagrave-bas sont

distinctes les formes de toutes les choses et dans les formes et selon les formes tant les

essences sur lesquelles srsquoappuient les formes que les substances des choses qui sont un

assemblage drsquoessences et de formes966raquo

Dans ce passage Achard expose la doctrine des composants des uniteacutes du monde des

formes des substances des essences et des choses Il est possible de discerner ces deux scheacutemas

Essentia simplex + forma(e) = res

Essentia + forma(e) = substantia

Achard ne distingue pas clairement les choses et les substances Les deux sont constitueacutees

drsquoessences et de formes Les substances font partie des choses (voir lrsquoexpression substantiae

rerum) Ainsi les choses sont constitueacutees drsquoessences de substances et de formes Achard ne preacutecise

pas si la chose ou la substance a une seule forme ou plusieurs

La formule laquo Essentia + forma = substantia raquo rappelle une formule transmise par la

philosophie antique laquo materia + forma = substantia raquo La substance et lrsquoessence peuvent deacutesigner

De unitate Substantia Essentia

hypothegravese 1 un mateacuteriau (le bois lrsquoair la terre etc) qui est

fait sur la base drsquoune matiegravere premiegravere speacutecifieacutee

par la forme

la matiegravere premiegravere

hypothegravese 2 une substance individuelle (la premiegravere cateacutegorie

drsquoAristote) qui est constitueacutee drsquoune essence

(geacuteneacuterale ou individuelle) et drsquoune forme

lrsquoessence geacuteneacuterale ou

individuelle

966 laquo I 43 Formae etiam et apud nos aliquotiens nominari solent omnia quae in rebus sunt praeter simplices earum et informes ut sic dixerim essentias de quibus etiam nulla nisi per rerum formas capitur notitia circa rerum namque formas omnis earum consistit scientia Deus autem scit omnia et ex se ipso intelligit apud ipsum ergo et in ipso sunt intellectualiter omnes rerum omnium formae Negari etiam nequit et ibi ipsas quibus insunt formae modo eodem consistere essentias ibi enim et illae intelliguntur nec solum ltingt activa formatione sed et in naturali sua simplicitate qua ab omnibus discernuntur formis per ipsam omnium privationem formarum Substantiae vero rerum consistunt et intelliguntur in connexione essentiarum pariter atque formarum quarum tamen ab invicem discretio secundum solas attenditur formas et ltingt omnes illarum redundat intellectus siquidem et essentiae non discernuntur a se nisi ex formarum quae eis adjacent varietate I 44 Quae quidem rerum formae nisi essent et apud Deum distinctae nec omnis videret aliquam rerum distinctionem sive scilicet essentialem sive formalem sive substantialem nec inter hominem et asinum ejus discerneret intellectus Sed quemadmodum ibi sic nec hic aliqua earum foret distinctio nisi et ibi praecessissent distinctae igitur ibi sunt omnium formae rerum et in formis et secundum formas tam essentiae quibus formae quam rerum substantiae quae ex essentiis et formis sunt compactae raquo De unitate I 43-44 eacuted MARTINEAU p 114-117

371

Lrsquoexpression laquo essentia simplex raquo va dans le sens de la premiegravere hypothegravese Le fait que le

mot laquo essentia raquo soit employeacute au pluriel va dans le sens de la deuxiegraveme

Voici comment ces composants sont vus par Dieu

formae rerum scientia

substantiae intelliguntur in connexione essentiarum

pariter atque formarum

distinctae in

formis et

secundum formas

intellectus

essentiae naturali sua simplicitate notitia

Dieu connaicirct les formes des choses mais il a aussi des intellections des substances et de

certaines notions des essences agrave travers les formes des choses Ce scheacutema rappelle un postulat

platonicien selon lequel la matiegravere nrsquoest pas perccedilue par lrsquointellect et nous nrsquoavons qursquoune notion

incertaine agrave propos drsquoelle

Essayons de mettre de la lumiegravere sur toutes les notions choisies

X312 Essentia et essentialiter

Lrsquoessentia est une notion rare dans le De unitate Elle se trouve pour la premiegravere fois dans le

passage qui a eacuteteacute citeacute plus haut Achard utilise la notion drsquoessentia une deuxiegraveme fois dans II 10

Mais il dit seulement que laquo lrsquoessence simple comme il faudra le montrer peut ecirctre drsquoun certain

point de vue rapporteacutee agrave la proprieacuteteacute du Pegravere967raquo Dans ce passage il rapporte lrsquoessence au Pegravere les

veacuteriteacutes au Fils et les connections au Saint-Esprit De cette faccedilon il reacutetablit la structure trinitaire

(voir le chapitre VI laquo Les personnes de la Triniteacute raquo)

Il emploie cette notion encore une fois dans le mecircme chapitre laquo Il en va ainsi comme drsquoun

unique vers ou drsquoune unique proposition a chaque fois qursquoon les eacutenonce bien que les profeacuterations

soient multiples ou des essences numeacuteriquement diverses [hellip]968raquo

Dans le premier cas lrsquoessence se reacutefegravere au Pegravere Cela rappelle la formule drsquoHugues deacutecrite

plus haut Dans le deuxiegraveme les eacutenonceacutes diffeacuterents ont des essences diffeacuterentes

Etudions lrsquoemploi de lrsquoadverbe essentialiter En I 7 Achard dit que lrsquoesprit creacuteeacute ne peut pas

peacuteneacutetrer essentiellement un autre esprit creacuteeacute mais lrsquoesprit increacuteeacute le peut En I 49 le mode

drsquoexistence in intellectu est lagrave-bas essentiellement laquo tout comme lrsquointellect lui-mecircme tout comme 967 laquo Essentia autem simplex ut post monstrandum est juxta considerationem aliquam ad proprietatem Patris referri potest raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166-167 En plus Martineau fait attention sur lrsquoobscuriteacute de lecture drsquoessentie Note 9 968 laquo Quemadmodum versus unus vel propositio una quotienscumque proferatur etltsigt sint prolationes multae vel essentiae numero diversae raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166-169

372

Dieu lui-mecircme969 raquo En II 9 Achard parle de deux maniegraveres drsquoecirctre essentiellement lagrave-bas comme

laquo le ciel la terre et les autres choses creacuteeacutees raquo et comme les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu En II

10 il dit

laquo Lesquels [eacutenonceacutes] vrais parce qursquoils sont et sont dits vrais ici et lagrave-bas agrave partir des mecircmes

veacuteriteacutes peuvent par conseacutequent aussi ecirctre dits des lteacutenonceacutesgt vrais les mecircmes

numeacuteriquement et ici et lagrave-bas et ltecirctregt de part et drsquoautre essentiellement quand bien

mecircme sans doute ils ne sont point ici et lagrave-bas de la mecircme substance lagrave-bas en effet ils

sont eacuteternels ici selon lrsquoaffirmation de beaucoup ils ne le sont pas970 raquo

En II 13 Achard compare les ideacutees et les idos

in intellectu idea naturaliter

in actu idos essentialiter

En II 14 il est marqueacute que la forme premiegravere est lagrave-bas essentiellement

Ainsi en I 49 et II 14 Achard dit que les ecirctres qui existent in intellectu sont lagrave-bas

essentiellement Etre lagrave-bas pour les ideacutees et les eacutenonceacutes vrais (II 9) qui sont les ecirctres intelligibles

est leur maniegravere drsquoecirctre naturelle Les autres ecirctres sont lagrave-bas essentiellement en tant qursquoecirctres

intelligeacutes (II 9)

Les ecirctres qui existent ici ont leur maniegravere drsquoecirctre essentiellement qui les empecircche de se

peacuteneacutetrer lrsquoun lrsquoautre (I 7) Ils sont essentiellement comme les veacuteriteacutes qui sont prononceacutees (II 10) ou

comme les idos (II 13)

On peut conclure que dans le De unitate lrsquoadverbe essentialiter deacutesigne le fait

1) drsquoappartenir par sa nature au monde creacuteeacute in intellectu ou in actu

2) drsquoecirctre une uniteacute mateacuterielle qui ne peut pas peacuteneacutetrer une autre uniteacute mateacuterielle

Le dernier emploi correspond agrave la notion drsquoessence individuelle exposeacutee dans une des

doctrines des universaux citeacutees par Abeacutelard Cela correspond eacutegalement agrave un emploi de la notion

drsquoessentia dans le deuxiegraveme cas de II 10

En deacutefinitive lrsquoessentia dans le De unitate deacutesigne lrsquoessence individuelle indivisible qui fait

qursquoune chose soit une Elle correspond ainsi agrave lrsquohypothegravese 2 969 laquo Veluti et ipse intellectus veluti et ipse Deus raquo De unitate I 49 eacuted MARTINEAU p 132-133 970 laquo Quae vera quia et hic et ibi a veritatibus eisdem sunt et dicuntur vera ideo eadem etiam numero et hic et ibi possunt dici vera esse et utrobique essentialiter fortasse non ejusdem et hic et ibi substantiae Ibi enim sunt aeterna hic juxta multorum assertionem non aeterna raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166-167

373

X313 Substantia

Nous avons retenu quatre applications diffeacuterentes de la notion de substantia dans le De

unitate

1) Pour la premiegravere fois le mot substantia apparaicirct en I 10-11 pour introduire les substances

de blancheur drsquoeacutegaliteacute et de sagesse (voir le chapitre V laquo Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu raquo) Comme

nous lrsquoavons eacutetabli la substantia dans ce contexte deacutesigne lrsquoaccident universel et joue le rocircle tantocirct

du sujet tantocirct du preacutedicat dans la preacutedication Elle correspond ainsi agrave lrsquoaccident universel dans la

logique drsquoAristote Il a eacuteteacute eacutegalement eacutetabli que crsquoest le fait drsquoappartenir agrave la substance unique de

Dieu qui permet agrave ces laquo substances raquo drsquoexercer de telles fonctions

2) En I 14-15 il srsquoagit de la substance de Dieu qui est une et indivisible En I 16 21 22

24 Achard deacutecrit la Triniteacute en tant qursquoUniteacute ce qui lui est Egal et Egaliteacute Dans son argumentation

il affirme souvent que ces trois personnes ont la mecircme substance Dans ces chapitres la substantia

est synonyme de la natura

En geacuteneacuteral dans les chapitres I 13-36 Achard sous-entend par la substantia la substance de

Dieu qui est celle de la Triniteacute Il est important que la pluraliteacute des personnes soit substantielle en

Dieu (I 14) que les proprieacuteteacutes des personnes (ecirctre uniteacute ce qui lui est eacutegal lrsquoeacutegaliteacute) proviennent

de sa substance (I 21-22) que la procession en Dieu soit de sa substance selon sa substance et

selon sa volonteacute (I 28-29 34) et que les noms des personnes soient aussi donneacutes selon les qualiteacutes

substantielles (I 30)

En outre en I 15 Achard dit que la substance des raisons eacuteternelles est eacutegalement une En I

38 Achard dit que les raisons sont une Raison selon la substance (de Dieu) et selon la personne (le

Christ) De cette faccedilon les raisons eacuteternelles sont en Dieu et la substance des raisons eacuteternelles est

celle de Dieu

Ainsi dans les chapitres I 14-36 la substance signifie la substance unique de Dieu

3) La nouvelle application de la notion de substantia est introduite en I 43 Achard y

emploie les cateacutegories drsquoAristote

laquo Crsquoest donc de toute eacuteterniteacute qursquoil [Dieu] eut preacutesentes aupregraves de soi avant que rien ne fucirct

non seulement les substances de tout ce qursquoil ferait mais encore leurs quantiteacutes et leurs

nombres leurs lieux et leurs temps etc971 raquo

971 laquo Ab aeterno igitur antequam quicquam esset apud se praesentes habuit omnium quae facturus erat non solum substantias sed et quantitates et numeros loca et tempora etc raquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 114-115

374

Les distinctions semblables agrave celles drsquoAristote ont aussi eacuteteacute employeacutees dans les chapitres I

45 46 et II 3 Achard y introduit les dix cateacutegories drsquoAristote mais aussi les anteacutepreacutedicaments972

Nous allons faire une liste des cateacutegories employeacutees par Achard ayant pour exemple celle de

lrsquoeditio composita

PREDICAMENTA

De

predicamentis

4 translatio

Boethii973

I 43

I 43 I 45 I 46 Ii 3

substantia quae substantia formae

substantiales

substantia ea quae

substantialia

accidentales accidentalia

quantitas quanta quantitates

numeri

quantitas quantitates

qualitas qualia qualitas qualitates

ad aliquid qualiter ad ipsum

vel ad invicem

referenda

ubi

quando

situs

habere

facere

pati

activa

passiva

ubi

quando

qualiter in suis

ponenda locis

habitura

tempora

loca

972 Les termes exposeacutes dans la premiegravere partie des Cateacutegories drsquoAristote A propos de la division des Cateacutegories voir R BODEUumlS laquo Intoduction raquo dans ARISTOTE Cateacutegories eacuted R BODEUumlS Paris 2001 (Collection des universiteacutes de France 415) p XLI-XLVII 973 Aristoteles latinus eacuted L MINIO-PALUELLO t I 1-5 Categoriae vel Praedicamenta Bruges-Paris 1961 (Corpus philosophorum medii aevi) p 48 Lrsquoeacutedition composita ou vulgata qui a circuleacute agrave lrsquoeacutepoque est le paraphrase de Boegravece et des certains commentaires faits probablement au deacutebut du Xe siegravecle Cf MINIO-PALUELLO L laquo The Text of the Categoriae The Latin Tradition raquo The Classical Quarterly t 39 1945 p 71

375

ANTIPREDICAMENTA

De predicamentis 3

translatio Boethii

I 45 II3

genus generales genera genera

species speciales species species

differentia

individua individua

Dans sa preacutesentation des cateacutegories Achard modifie les noms et lrsquoordre des cateacutegories974 Il

distingue aussi la substance et les accidents

Achard ne reprend pas les anteacutepreacutedicaments drsquoAristote (genre espegravece diffeacuterence) Son

choix des eacuteleacutements ndash genre espegravece et individu ndash va dans le sens de la structure hieacuterarchique de la

reacutealiteacute telle qursquoelle eacutetait vue dans le neacuteoplatonisme En I 45 Achard fait eacutegalement la distinction

suivante

formae

substantiales accidentales

communes generales

singulares speciales

Cette distinction rappelle celle du chapitre V des Cateacutegories drsquoAristote la substance

premiegravere et seconde dont la deuxiegraveme contient les genres et les espegraveces

Tenant compte de cette preacutesentation il est logique de supposer que en I 43 et 44 par les

substances Achard entend les substances premiegraveres et deuxiegravemes drsquoAristote

4) En I 48 Achard deacutecrit les choses qui sont intelligeacutees de la mecircme substance qursquoelles ont

ici Et crsquoest gracircce agrave cela qursquoelles sont intelligeacutees comme muables et temporelles (I 49) En I 50 il

souligne que les choses ici et lagrave-bas nrsquoont pas la mecircme substance de mecircme que les eacutenonceacutes agrave

propos des choses creacuteeacutees (II 10) Quant aux eacutenonceacutes qui parlent de Dieu ils ont la substance des

974 Josef Loumlssl remarque que pour eacutetablir le chemin de la transmission indirecte des Cateacutegories il faut eacutetudier lrsquoordre dans laquelle elles sont exposeacutees Lrsquoune des sources possibles de cette doctrine chez Achard pouvait ecirctre le De categoriis decem de Pseudo Augustin cependant son ordre de preacutesentation (usia quantitas qualitas ad aliquid iacere facere pati ubi quando habere raquo) ne correspond pas totalement agrave celui drsquoAchard non plus Voir J LOSSL laquo Augustinersquos use of Aristotlersquos categories in De Trinitate raquo dans Le De Trinitate de Saint Augustin Exeacutegegravese logique noeacutetique eacuted E BERMON et G OrsquoDALY Paris 2012 p 120-121

376

ecirctres eacuteternels (II 9) Les vertus et les veacuteriteacutes sont une Vertu et une Veacuteriteacute selon leur substance (II 3

et 11)

Dans le chapitre II 1 Achard distingue clairement deux substances infeacuterieure (celle des

formes creacuteeacutees) et supeacuterieure (celle de la forme premiegravere) La substance des ecirctres lagrave-bas est

laquo intellectuelle eacuteternelle vivante et intelligente plus encore la vie mecircme lrsquointelligence et la

lumiegravere975 raquo En mecircme temps Achard preacutecise que crsquoest seulement la forme premiegravere qui est lagrave-bas

cette substance eacuteternelle Les formes deuxiegravemes (formes creacuteeacutees ou ideacutees) et les formes troisiegravemes

ont la substance du monde et sont seulement intelligeacutees lagrave-bas (II 13-15 voir eacutegalement les

chapitres laquo Forma raquo laquo Intellectus raquo et laquo Le Verbe et les raisons raquo)

En ce qui concerne les raisons causales Achard dit que la raison est en elle-mecircme (lagrave-bas)

substantiellement et dans la creacuteature par la gracircce (II 17) Et mecircme si le jugement de la raison est

faux la substance de la raison reste immuable Il paraicirct qursquoecirctre substantialiter pour les raisons

causales est le mode principal drsquoexister comme pour les formes drsquoecirctre in intellectu

Ainsi Achard introduit une nouvelle application pour substantia la substance du monde

qui est opposeacutee agrave celle de Dieu976

Les significations de lrsquoadjectif substantialis et lrsquoadverbe substantialiter correspondent aux

significations respectives du mot substantia Les expressions pluralitas substantialis (I 12-13 et 15)

et personalitas substantialis (I 14) deacutesignent la pluraliteacute des substances et la personnaliteacute

laquo implanteacutee raquo dans la substance Lrsquoemploi de lrsquoadjectif substantialis dans les chapitres I 44-45 et

II 3 a eacuteteacute deacutejagrave analyseacute comme celui qui deacutemontre lrsquoapplication des dix cateacutegories drsquoAristote

(formes substantielles accidentelles etc) Lrsquoadverbe substantialiter en II 3 deacutesigne le fait que les

vertus sont une Vertu dans la substance de Dieu

En deacutefinitive la notion de substantia a les applications suivantes

- la substance de Dieu

- la substance du monde

- la substance-accident universel (uniteacute sagesse)

- la substance individuelle (la substance premiegravere drsquoAristote) et geacuteneacuterales (deuxiegravemes)

Ainsi Achard reprend la doctrine meacutedioplatonicienne de deux substances supeacuterieure et

infeacuterieure Il incorpore eacutegalement les eacuteleacutements du systegraveme aristoteacutelicien les substances premiegraveres

(individuelles) et les accidents universels

975 laquo Nulla earum est quae substantia non sit intellectualis aeterna vivens et intelligens sed et ipsa vita intelligentia et lux unde omnes illuminamur et intelligimus raquo De unitate II 11 eacuted MARTINEAU p 170-171 976 La mecircme distinction sur la substance creacuteeacutee et increacuteeacutee a eacuteteacute deacutecrite par Ilkhani sauf quil lrsquoexplique du point de vue ontologique ndash comme celle qui deacutesigne les degreacutes diffeacuterents de lrsquoecirctre M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 164

377

X314 Res

Le mot res a plus de 200 occurrences dans le De unitate Pourtant Achard ne le deacutefinit pas

Lrsquoemploi des expressions res universalis et res subjecta montre que la notion de res peut deacutesigner

des objets diffeacuterents intelligibles et sensibles Essayons de deacutefinir les principales applications de la

res dans le De unitate

Dans la premiegravere partie du De unitate (I 1-36) le mot res est rare (ce qui est probablement

ducirc au fait que dans cette partie il est question de la reacutealiteacute increacuteeacutee et que res srsquoemploie surtout pour

parler des reacutealiteacutes creacuteeacutees) Neacuteanmoins des expressions comme res creata (I 3) et res insensata (I

29) sont preacutesentes Ces expressions sont destineacutees agrave souligner le statut creacuteeacute de la res par rapport agrave la

reacutealiteacute increacuteeacutee Dans le premier cas ndash par rapport agrave lrsquouniteacute dans le deuxiegraveme par rapport aux

personnes de la Triniteacute

Lrsquoexpression rationes rerum se trouve dans les deux parties du De unitate ndash (I 13 14 38 et

39 II 3-6 8 10-11) Une autre acception tregraves freacutequente est formae rerum977 (I 41-44 ndash 9 fois et I

50 ndash 2 fois II 1 5 8 18) mais aussi forma cujuslibet rei (I 41 II 1 3) La notion de forma

apparaicirct dans le texte drsquoAchard comme relieacutee et opposeacutee agrave celle de res Une forme et une chose

peuvent avoir le mecircme contenu quand une est le prototype (exemplar) drsquoune autre mais des qualiteacutes

opposeacutees car une forme semble ecirctre in intellectu et une chose in actu

Il serait possible de conclure qursquoAchard deacuteveloppe la doctrine de deux niveaux drsquoexistence

les formes et les choses Pourtant agrave partir du chapitre I 46 il deacutecrit les choses qui sont ici et lagrave-bas

et en I 50 il dit en reacutesumeacute que leur diffeacuterence mutuelle correspond agrave deux modes drsquoexistence ndash in

intellectu et in actu (voir aussi le chapitre IX laquo Intellectus raquo) Les deux modes drsquoexistences sont

applicables aux formes et aux choses

Dans le traiteacute II Achard explique comment les choses sont in intellectu La forme premiegravere

possegravede en elle-mecircme les choses avant qursquoelles aient eacuteteacute formeacutees in intellectu et creacuteeacutees in actu En

deacutecrivant la formation des choses Achard preacutecise qursquoelles ont eacuteteacute creacuteeacutees non seulement de Verbo

mais aussi in Verbo (II 2) Donc les choses eacutetaient conccedilues in Verbo (dans la forme premiegravere)

avant leur creacuteation mateacuterielle978 Il srsquoagit dans ce cas des choses in intellectu ou les dormes

individuelles (voir le chapitre laquo Intellectus raquo) Ces choses in intellectu restent dans leur forme

premiegravere mecircme apregraves avoir eacuteteacute accomplies in actu

Les choses in actu sont eacutegalement preacutesenteacutees dans le De unitate Pour souligner que les

choses sont diffeacuterentes des formes Achard emploie lrsquoexpression res subjectae Ces choses sujettes

977 Cette expression a eacuteteacute remarqueacutee par Andreacute Combes dans A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p 157 978 Voir eacutegalement laquo ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140

378

sont opposeacutees aux nombres (II 5) aux universaux (res universales II 8) aux eacutenonceacutes vrais agrave

propos des choses (II 10) aux formes troisiegravemes ou idos (II 14) et aux raisons eacuteternelles (II 16)

Ces uniteacutes intelligibles se reacutealisent dans des choses sensibles

Lrsquoexpression res corporea (I 48) deacutesigne eacutegalement une chose du monde sensible Elle peut

apparaicirctre cesser drsquoexister et changer

Les choses eacuteternelles (les eacutenonceacutes agrave propos de Dieu qui ont une nature purement intelligible

II 9) existent in intellectu et in actu

Dans les chapitres II 16-21 la res ne joue plus de rocircle important Achard traite la deuxiegraveme

sorte des raisons crsquoest-agrave-dire les raisons causales Dans leur cas lrsquoattention se porte non seur les

formes des choses mais sur les causes des œuvres (causae operum)

En deacutefinitive la res a les applications suivantes

- un objet creacuteeacute

- une instanciation sensible drsquoune uniteacute intelligible

- une uniteacute intelligible

X315 Materia

La matiegravere nrsquoest pas une notion freacutequente dans le De unitate (18 occurrences) Achard utilise

cette notion dans le contexte de la question du changement des ecirctres creacuteeacutes avec le temps (I 48) et

du statut des idos (II 13-14)

La matiegravere a ses qualiteacutes propres (sa nature) qui influencent les ecirctres ayant la matiegravere parmi

ces composants Crsquoest la matiegravere qui permet aux corps drsquoavoir des formes diffeacuterentes tout au long

de leur existence979 Pourtant Achard remarque que ce sont plutocirct les qualiteacutes drsquoune forme qui

caracteacuterisent une chose concregravete et les qualiteacutes drsquoune matiegravere sont dites agrave propos de cette chose

laquo par adjonction raquo (cum adjuncto)980

Cependant il semble que la matiegravere donne quelques qualiteacutes geacuteneacuterales aux choses Les idos

sont dans la matiegravere (II 13) Les formes sont de cette maniegravere imprimeacutees dans la matiegravere et

exprimeacutees en elle corporellement Dans cet eacutetat elles sont temporelles corruptibles variables

etc981 Par conseacutequent les formes ont toutes ces qualiteacutes gracircce agrave la matiegravere

979 laquo Sed et in naturalibus contingere potest et contingit forsitan ut corpus idem numero manens nunc tamen sit haec arbor nunc illa vel nunc haec herba nunc illa quod utique in corporibus ex natura evenerit materiae raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-125 980 Achard utilise lrsquoexemple drsquoune bague ougrave la qualiteacute drsquoecirctre vieille srsquoapplique agrave la matiegravere et pas agrave la chose laquo Hoc autem et in multis reperitur similibus ut quid scilicet de quo dicatur cum adjuncto quod idem de eodem per se non vere dicitur eo quod in aliud redundat cujusvis et significatio quando cum alio profertur in aliud vero quando per se ponitur Sic enim anulus novus si aurum est vetus non tamen simpliciter vetus in hac siquidem locutione vetustas soli attribuitur materiae in illa formatione raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 168-169 981 laquo Nec in forma alia ibi erat vel intelligebatur forma numero differens ab illa sed quae ibi erat vere et essentialiter ipsa ibi intelligebatur in se ipsa nec altera in illa Item prorsus numero illa eademque apud se vidit intellexit et habuit

379

Achard utilise les notions de matiegravere premiegravere des choses (materia prima rerum I 48) et de

matiegravere corporelle (materia corporalis I 39)

Ainsi la matiegravere est un composant des choses qui nrsquoest pas eacutevoqueacutee en I 43-44 Elle peut

ecirctre premiegravere ou corporelle Les corps sont constitueacutes de la matiegravere et de formes (I 39 et 48)

X316 Corpus

Dans la premiegravere partie du De unitate la notion de corpus est utiliseacutee dans deux questions

lrsquouniteacute des creacuteatures et la deacutefinition de la personne Achard deacutecrit deux eacuteleacutements qui sont lieacutes dans

une personne humaine lrsquoesprit et le corps982 La convenance des deux rend possible lrsquouniteacute

imparfaite des creacuteatures En I 14 Achard dit que la personne humaine est constitueacutee du corps et de

lrsquoacircme mais lrsquoacircme porte le nom de la personne per se (I 14)

Voici la reacutecapitulation de ces chapitres

I 7 I 14

personaliter personalitas humana

corpus corpus

spiritus anima

En I 39 en parlant des formes des choses Achard distingue de nouveau lrsquoesprit et le corps

Lrsquoesprit perccediloit une forme quelconque gracircce aux sens du corps et le corps a le pouvoir de

reproduire cette forme dans une matiegravere corporelle983 La forme introduite dans une matiegravere

correspond agrave lrsquoidos (II 13)

in rem formandam effudit ut hic esset in materia ltformagt quae apud illum usque erat absque omni materia et exacta etiam materiae cui est impressa et in qua temporaliter est expressa hic facta est temporalis quae in seipsa erat et est aeterna hic variabilis et corruptibilis ltquae ibi eratgt et ltestgt vere immortalis hic creata quae ibi increata raquo De unitate II 14 eacuted MARTINEAU p 174-176 982 laquo Unitas etiam quae rebus inest secundum quandam ipsarum aequalitatem pluralitatem et similitudinem tantam obtinet cum pulchritudine in convenientia et congruentia plurium sive corporum sive spirituum sive ad invicem amborum ut nullo inde tollenda sit modo ubi est summa pulchritudo raquo De unitate I 5 eacuted MARTINEAU p 72 laquo Quantumlibet enim duo conveniant corpora eundem tamen non occupant locum Sed nec spiritus quilibet creatus quantumcumque ad alium creatum accesserit spiritum in eo essentialiter esse poterit Solius siquidem increati et incircumscripti id videtur esse Spiritus spiritus videlicet creatos et circumscriptos penetrare et eis infundi essentialiter posse quamvis in corpore ante spiritus sit creatus non tamen in ipso similiter est corpus et longe eorum licet personaliter etiam cohaerentium natura dissidet raquo De unitate I 7 eacuted MARTINEAU p 74-76 983 laquo Aliud secundum quod id est forma libri quam intuetur animus vel ab intus propria ex communicatione sive aliqua revelatione conceptam vel a foris per corporis sensus introductam quam iterum per corporis instrumenta forinsecus in corporalem trajicit materiam ut et ibi sit corporaliter quod apud se et in se etiam cum effuderit eam retineat corporaliter raquo De unitate I 39 eacuted MARTINEAU p 108

380

Le sens est une faculteacute cognitive infeacuterieure de lrsquohomme Il appartient au corps984 En I 46

Achard dit que lrsquoœil du corps (oculo corporis) peut voir des ecirctres sensibles mais non des ecirctres

intelligibles Par contre lrsquoœil de lrsquointelligence (oculo intelligentiae) peut voir les ecirctres sensibles et

les ecirctres intelligibles mais de maniegraveres diffeacuterentes (I 46)

Dans le traiteacute II Achard deacutecrit trois eacuteleacutements creacuteeacutes toucheacutes par la veacuteriteacute le corpus (contient

lrsquoombre de la veacuteriteacute) le spiritus (contient la similitude) et la mens (contient lrsquoimage)985

Lrsquoadverbe corporaliter caracteacuterise les ecirctres in actu qui sont muables et variables Achard les

oppose aux ecirctres qui sont dans lrsquoesprit (in mente) en tant qursquointelligibles mais muables Et il les

oppose aux ecirctres qui sont dans lrsquoesprit de Dieu (in mente Dei) en tant qursquointelligibles eacuteternels et

immuables (I 46)986

En I 48 Achard deacutecrit les choses corporelles (res corporeae) qui sont constitueacutees de

matiegravere et de forme

Dans le traiteacute II du De unitate le corps est preacutesenteacute en tant que lieu ougrave les formes sont

instancieacutees Par exemple les nombres posteacuterieurs sont dans les corps987 ainsi que les universaux988

Il srsquoagit dans ce cas des corps mateacuteriels La doctrine drsquoAchard comprend aussi lrsquoexistence de corps

immateacuteriels comme les corps matheacutematiques (points lignes et surfaces)989

984 Voir eacutegalement laquo Longe autem hoc a sensu corporis et ideo minimam pulchritudinis rerum attingit partem Ratio autem nostra plus accedit et interius penetrat raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 132 985 laquo Numeri autem posteriores vestigia quaedam sunt primorum variis admixti accidentibus in quibus tamen vera unitas non sit nec ipsi adeo dici possint veri esse numeri quam verorum imagines quaedam in mentibus similitudines in spiritibus umbrae in corporibus raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152 laquo Hic imago veritatis in mente creata vel similitudo veritatis in spiritu vel umbra veritatis in corpore quae ibi veritas sola et mens increata raquo De unitate II 14 eacuted MARTINEAU p 174 986 A comparer II 3 laquo Ibi si non in alios per participationes infinitas in ipsum tamen ltsecundumgt plenialdinem omnimodam ab aeterno processit deitas tota ut ibi ex tunc in eo habitet processione aeterna omnis plenitudo divinitatis intellectualiter quae postmodum in temporis plenitudine in eo coepit processione temporali habitare corporaliter raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 146 et II 15 laquoQuemadmodum idem versus cum intus id est juxta modum existendi quem in sola habet mente per intelligentiam sive memoriam sit incorporalis inaudibilis invisibilis extra autem in prolatione [quia] audibilis in scriptura visibilis et sic in utraque corporalis non tamen absolute quia versus sic corporalis idem et incorporalis audibilis et inaudibilis visibilis et invisibilis raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 176 987 laquo Numeris autem hujusmodi qui intellectuales sunt et primi omnes eos qui in spiritibus sive in corporibus sive in rebus quibuslibet sunt quos Augustinus numerabiles vocat numeros numeramus Numeri autem posteriores vestigia quaedam sunt primorum variis admixti accidentibus in quibus tamen vera unitas non sit nec ipsi adeo dici possint veri esse numeri quam verorum imagines quaedam in mentibus similitudines in spiritibus umbrae in corporibus raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 150-2 988 laquo Omnium quadratorum corporum forma cujus participatione et ipsa fiunt quadrata corpora Haec autem forma quae quadrati corporis vocabulo significatur aliud non est nisi generis quadratorum omnium corporum raquo De unitate eacuted MARTINEAU II 8 p 160 989 laquo Ut circa lineam gratia exempli ltquiagt punctis non constat vel superficiem quia ipsa nec ex lineis vel corpus quia nec ipsum ex superficiebus ltpunctosgt autem ltvelgt lineas vel superficies intelligimus incorporales quales eas concipit vel definit ratio quae ad sensum vel imaginationem nunquam venire possunt sed in sola rationis vel intellectus comprehensibilitate subsistunt quae forsitan aliud non sunt nisi mensurae quaedam et formae intelligibiles earum quae in corporibus sunt longitudinum atque latitudinum veluti et corpora ipsa quae appellantur mathematica quae determinantur secundum vim et rationes numerorum aliud esse non videntur nisi formae quaedam intelligibiles eorum quae actu sunt vel esse possunt corporum sensibilium vel rationes quaedam numerorum per quas de illis doctrina constituitur raquo De unitate eacuted MARTINEAU II 7 p 158

381

Ainsi le corps est un objet existant dans le monde sensible Dans la premiegravere partie du De

unitate il fait la partie de la persona (ensemble avec spiritus) Dans la deuxiegraveme partie le corps

deacutesigne lrsquouniteacute individuelle sensible qui est constitueacutee de matiegravere et de formes

X317 Reacutecapitulation

En I 48 Achard eacutenumegravere les uniteacutes qui sont dans le monde

laquo Et crsquoest pourquoi lrsquoon ne conccediloit point que rien de semblable puisse advenir dans le

domaine des esprits qui nrsquoont pas de matiegravere non plus que dans celui des formes quelles

qursquoelles soient non plus que dans la matiegravere seule mais seulement dans ce qui consiste en

matiegravere et en formae990 raquo

laquo Mais si Dieu peut ce qui vient drsquoecirctre dit agrave propos de tous les ltecirctresgt comment cependant

le peut-il agrave propos des esprits ou encore de ces ltecirctresgt qui sont des assemblages drsquoesprits et

de corps ou encore de la matiegravere premiegravere des choses ou de toute forme ou encore de bien

des ecirctres qui consistent en matiegravere et en forme 991 raquo

Voici la liste des uniteacutes

- les esprits (spiritus)

- celles qui sont composeacutees des esprits et des corps (laquo quae ex spiritibus corporibusque

compacta sunt raquo)

- la matiegravere premiegravere des choses (materia rerum prima)

- une forme (qualibet forma)

- celles qui sont constitueacutees de matiegravere et de forme (laquo quae constant de materia et forma raquo)

Cette liste avec les notions que nous avons eacutetudieacutees avant permet drsquoeacutetablir lrsquoimage du

monde selon Achard de Saint-Victor

990 laquo Unde et simile aliquid non putatur in spiritibus qui materiam non habent fieri posse sed nec in formis quibuslibet nec etiam in materia sola sed in eo solum quod constat ex materia et forma raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124 991 laquo Si autem Deus id quod praedictum est de omnibus potest quomodo tamen id de spiritibus potest vel etiam de illis quae ex spiritibus corporibusque compacta sunt vel de materia rerum prima vel de qualibet forma vel de multis etiam quae constant de materia et forma raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 126

382

forma prima ibi substantia

Dei formae res universalis

numeri etc

res subjectae

hic

substantia

substantia =

forma

+

essentia

res =

forma

+

essentia simplex

res corporea

(corpus) =

forma

+

materia

res (persona

humana) =

spiritus (ou

anima)

+ corpus

materia rerum prima

Ce tableau ne reflegravete pas tous les eacuteleacutements eacutetudieacutes ci-dessus Par exemple essentia peut

deacutesigner lrsquoessence individuelle ou aussi lrsquoessence de tout comme chez Erigegravene Achard parle aussi

une fois de la matiegravere corporelle (I 39) La notion de res est ambivalente car elle peut ecirctre in

intellectu ainsi qursquoin actu (res corporea)

X32 Quel est le principe drsquoidentiteacute de lrsquouniteacute creacuteeacutee

En I 48 Achard traite le problegraveme de changement des choses dans le temps

laquo Dans les choses corporelles en effet une chose numeacuteriquement la mecircme demeure en un

temps deacutetermineacute une certaine chose la mecircme numeacuteriquement qursquoelle eacutetait et puis ltdans un

deuxiegraveme tempsgt elle cesse drsquoecirctre une certaine chose qursquoelle eacutetait et elle devient une

certaine chose numeacuteriquement autre qursquoelle nrsquoeacutetait de telle sorte que en des temps

diffeacuterents elle est tantocirct une certaine chose numeacuteriquement une tantocirct une certaine chose

numeacuteriquement autre tout en demeurant ensuite une chose numeacuteriquement une et qursquoelle

peut selon divers aspects ecirctre dite aussi bien la mecircme chose numeacuteriquement qursquoelle fut agrave

savoir un corps numeacuteriquement le mecircme qursquoune chose numeacuteriquement autre qursquoelle ne fut

au sens ougrave par exemple une statue une coupe ou tout autre ouvrage de lrsquoart ltsi on le

deacutemolit et qursquoon en reforme un autre semblable devientgt autre par le nombre tout en

demeurant ltce qursquoil est statue coupegt mdashet tout lten restantgt aussi un mecircme ouvrage de la

nature ltun mecircme meacutetalgt Du reste dans le domaine des ltecirctresgt naturels aussi il peut

arriver et il arrive sans doute qursquoun corps qui demeure le mecircme par le nombre soit

383

neacuteanmoins tantocirct cet arbre-ci tantocirct celui-lagrave ou bien tantocirct cette herbe-ci tantocirct celle-lagrave ce

qui dans les corps se produit assureacutement agrave cause de la nature de la matiegravere992 raquo

Nous croyons que dans ce passage il faut distinguer laquo une certaine chose raquo et laquo une chose

corporelle raquo laquo Une certaine chose raquo est une uniteacute intelligible laquo Une chose corporelle raquo ou un corps

repreacutesente lrsquouniteacute mateacuterielle

Achard parle drsquolaquo une chose numeacuteriquement la mecircme raquo Supposons que cette expression

renvoie agrave la deacutefinition de la diffeacuterence numeacuterique (numero differentia) de Boegravece Etre laquo

numeacuteriquement la mecircme raquo selon Boegravece deacutesigne lrsquoidentiteacute absolue de deux objets Etre laquo une

certaine chose numeacuteriquement autre raquo implique lrsquoapparition drsquoune chose2 agrave partir drsquoune chose1 de

sorte que la chose2 nrsquoest plus identique agrave une chose1 Il srsquoagit bien dans ce cas drsquoune chose qui est

une uniteacute intelligible Quand elle change elle perd son identiteacute Srsquoagit-il dans ce cas drsquoun

changement accidentel ou substantiel Lrsquoexemple proposeacute (deux statues faites de la mecircme matiegravere)

fait penser qursquoun changement de forme substantielle a lieu

En mecircme temps une chose corporelle reste la mecircme Il srsquoagit bien de la mecircme matiegravere Et

crsquoest dans ce sens qursquoune chose reste laquo selon divers aspects la mecircme chose numeacuteriquement qursquoelle

fut raquo

Ainsi Achard entend que dans le monde sensible tandis que la partie intelligible drsquoune

chose change la partie sensible (corps) peut rester la mecircme

Ensuite Achard preacutecise le rocircle de la matiegravere et des formes

laquo Mais seulement dans ce qui consiste en matiegravere et en forme ougrave une matiegravere mecircme

identique reccediloit et deacutepose suivant sa qualiteacute des formes diverses de sorte qursquoagrave cause de

lrsquouniteacute numeacuterique de la matiegravere la chose demeure numeacuteriquement une mais qursquoagrave cause de la

variation des formes elle cesse drsquoecirctre mecircme et devient autre993 raquo

Drsquoapregraves Achard les changements sont possibles seulement dans les ecirctres qui sont constitueacutes

de matiegravere et de formes Les formes changent tandis que la matiegravere reste numeacuteriquement une Dans

ce passage Achard distingue encore une fois une chose corporelle qui reste la mecircme et une chose 992 laquo In rebus namque corporeis tempore eodem res eadem numero remanenlt quaedam numero eadem quae erat et desinit esse quaedam quae erat et efficitur res quaedam numero altera quam erat ut sit temporibus diversis modo res quaedam numero una modo quaedam numero altera manens tamen et post res numero una et possit secundum diversa dici et res eadem numero quae fuit utpote corpus numero idem et res numero altera quam fuit quemadmodum statua altera vel scyphus alter vel quodlibet hujusmodi opus artificiale numero alter ltgt manens quamvis etiam ipse idem opus naturale Sed et in naturalibus contingere potest et contingit forsitan ut corpus idem numero manens nunc tamen sit haec arbor nunc illa vel nunc haec herba nunc illa quod utique in corporibus ex natura evenerit materiae raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-5 993 laquo Sed in eo solum quod constat ex materia et forma in quo et materia eadem pro sua qualitate varias suscipit et deponit formas ut propter materiam numero unam maneat res numero una propter formarum variationem desinat esse lteadem et fiatgt altera raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124

384

intelligible qui change En deacutefinitive le corps reste un gracircce agrave sa matiegravere et les formes qui lui

correspondent varient

Voici comment le mecircme corps existe lagrave-bas

laquo Lagrave-bas dis-je ce corps est vu simultaneacutement et dans une certaine uniteacute corporelle agrave lui

propre et dans toute cette multipliciteacute ou plutocirct cette infiniteacute de formes par laquelle tout en

demeurant lui-mecircme numeacuteriquement il varie ou peut agrave ce point varier994 raquo

Rappelons la notion drsquoune chose in intellectu et in actu proposeacutee en I 43 et 46 Une chose in

intellectu contient toutes les variations possibles drsquoune chose in actu selon les dix cateacutegories Une

chose in intellectu est un faisceau de formes Ces formes varient in actu Ainsi plusieurs formes qui

varient ici dans le mecircme corps existent lagrave-bas simultaneacutement Achard propose lrsquoimage du monde

intelligible qui est statique lagrave-bas Le monde sensible ici est au contraire dynamique Les corps

changent dans le temps La matiegravere permet agrave un corps de rester un

Auparavant nous avons poseacute la question est-ce qursquoune chose in intellectu est individuelle

laquo En effet tout ce qui est ici est aussi lagrave-bas mais tout ce qui est lagrave-bas nrsquoest pas ici et tous

les ecirctres qui se succegravedent aussi ici sont simultaneacutement lagrave-bas en raison de leur vitaliteacute et de

leur eacuteternaliteacute naturelles drsquointellection Simultaneacutement donc ce qui ne peut arriver dans les

creacuteatures la mecircme chose est lagrave-bas une certaine chose numeacuteriquement une et une certaine

chose numeacuteriquement autre plus encore ltelle estgt autant de choses que Dieu peut

veacuteritablement en faire crsquoest-agrave-dire en nombre infini et en toutes pourtant elle-mecircme est lagrave-

bas une certaine chose mecircme et numeacuteriquement une995 raquo

Nous avons eacutetabli qursquolaquo ecirctre numeacuteriquement autre raquo peut impliquer le changement de la

forme substantielle Ainsi la chose peut varier indeacutefiniment in intellectu Il semble alors qursquoelle

nrsquoest pas individuelle Si une chose intelligible change de forme substantielle elle peut ecirctre

nrsquoimporte quelle chose corporelle dans le monde A la fin du chapitre I 48 Achard dit qursquoil est

digne de Dieu de voir les choses du monde et qursquoil les voit en totaliteacute (tota)

994 laquo Ibi inquam simul videtur et in sua quadam corporis unitate et in omni illa qua ipsum numero manens corpus variatur vel et adeo variari potest formarum multiplicitate vel potius infinitate raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-127 995 laquo Quicquid enim hic est et ibi sed non omne quod ibi est et hic et quaecumque et hic sibi succedunt ibi ex naturali vivacitate et aeternalitate intelligendi simul sunt Simul ergo quod in creaturis fieri nequit res eadem ibi est res quaedam numero una et res quaedam numero altera imo res numero tot quot vere ealtsgt Deus facere potest id est numero infinitae et in omnibus tamen ipsa eadem ibi est res quaedam numero una raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-5

385

Achard souhaite preacuteciser sa reacuteponse

laquo Lagrave-bas dis-je ce corps est vu simultaneacutement et dans une certaine uniteacute corporelle agrave lui

propre et dans toute cette multipliciteacute ou plutocirct cette infiniteacute de formes par laquelle tout en

demeurant lui-mecircme numeacuteriquement il varie ou peut agrave ce point varier996 raquo

Une chose intelligeacutee lagrave-bas est une chose corporelle faite ici Cela implique la conclusion

suivante

laquo Si donc ici et lagrave-bas les choses sont dites non seulement ecirctre les mecircmes par le nombre

mais encore ecirctre les mecircmes par le nombre parce que comme on lrsquoa dit non seulement ce

sont les mecircmes par le nombre qui sont ici et sont intelligeacutees lagrave-bas mais encore elles sont

intelligeacutees lagrave-bas comme les mecircmes numeacuteriquement qursquoelles sont ici il srsquoensuit que par la

mecircme raison et pour la mecircme cause elles seront dites de la mecircme substance de la mecircme

quantiteacute et de la mecircme qualiteacute qursquoelles sont ici Lagrave-bas en effet est intelligeacutee et la

substance et la quantiteacute et la qualiteacute qursquoelles ont ici et encore absolument toutes les autres

proprieacuteteacutes997 raquo

Dans le passage citeacute il srsquoagit drsquoune chose corporelle Elle est conccedilue lagrave-bas avec lrsquoensemble

des changements qursquoelle subirait tout au long de son existence Le fait mecircme qursquoune chose

corporelle in intellectu puisse avoir des qualiteacutes diffeacuterentes selon les dix cateacutegories sert agrave

deacutevelopper cette chose in actu Il semble qursquoune chose intelligible a quand mecircme une certaine

identiteacute et par conseacutequent les choses intelligibles sont diffeacuterentes entre elles car elles sont des

prototypes des diffeacuterentes choses corporelles in actu

Dans les chapitres I 49-50 Achard insiste sur le fait que le mode in intellectu comprend les

ecirctres in actu Nous avons dit que cela implique lrsquoidentiteacute qualitative des choses in intellectu et in

actu agrave savoir les choses in intellectu comprennent les qualiteacutes des ecirctres in actu Il est possible que

le mecircme principe srsquoapplique agrave lrsquoidentiteacute quantitative Les choses in intellectu ont toutes les formes

possibles et en cela elles ne sont pas diffeacuterentes les unes des autres En mecircme temps chaque chose

996 laquo Ibi inquam simul videtur et in sua quadam corporis unitate et in omni illa qua ipsum numero manens corpus variatur vel et adeo variari potest formarum multiplicitate vel potius infinitate raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-7 997 laquo Si ergo hic et ibi dicuntur res non solum eaedem numero esse sed et esse eaedem numero quia ut dictum est non solum eaedem numero hic sunt et intelliguntur ibi sed et ibl intelliguntur ut eaedem numero quod hic sunt consequens est ut ratione et causa eadem dicantur ibi esse ealtegtdem ipsaltegt secundum substantiam quae hic sunt et quamae hic sunt et quales hic sunt Ibi enim intelligitur earum quam hic habent et substantia et quantita et qualitas sed et caetera prorsus omnia raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 128-9

386

comporte son laquo histoire raquo ndash le faisceau des qualiteacutes successives qursquoelle aura eues lors de son

existence in actu998

Quel est le principe drsquoidentiteacute drsquoune chose in actu Les passages eacutetudieacutes nous poussent agrave

dire qursquoil srsquoagit de lrsquouniteacute corporelle de la matiegravere et non de la forme substantielle Achard insiste

sur le fait que laquo lrsquohistoire drsquoune chose raquo (tous les changements de cateacutegories qursquoelle peut avoir subis

lors de son existence) est concentreacutee autour de la matiegravere qursquoelle occupe en tant que corps Une

chose in intellectu est unique car elle contient le modegravele preacutecis drsquoune chose future in actu

Contrairement agrave Hugues de Saint-Victor Achard ne se demande pas si une chose reste la

mecircme quand elle augmente ou diminue Lrsquoexemple drsquoune statue (ecirctre inanimeacute) montre qursquoelle reste

la mecircme chose quand elle garde la mecircme quantiteacute de matiegravere Mais lrsquoexemple drsquoun arbre montre

qursquoil imagine un ecirctre naturel (naturalis) comme un corps qui est une certaine uniteacute mateacuterielle

(materiam numero unam) Quand une herbe se transforme en un arbre sa quantiteacute de matiegravere

change Et pourtant Achard les deacutecrit comme une chose corporelle

En deacutefinitive en I 48 par la res Achard comprend une chose intelligible qui consiste en des

formes substantielles et accidentelles De plus il formule le problegraveme de lrsquoidentiteacute comme identiteacute

drsquoune chose dans les changements et non comme multiplication De cette faccedilon sa maniegravere de

poser la question est plutocirct aristoteacutelicienne Crsquoest lrsquouniteacute mateacuterielle du corps qui reste identique

dans les changements Sa reacuteponse est platonicienne une chose corporelle in actu est unique car elle

garde la mecircme matiegravere lors de ses changements Et une chose in intellectu est diffeacuterente des autres

car elle est le prototype drsquoune chose concregravete corporelle Une chose in actu est identique agrave une

chose in intellectu mais une chose in intellectu contient plus drsquoeacuteleacutements qursquoune chose in actu

Les ecirctres sensibles selon Achard de Saint-Victor ont eacutegalement drsquoautres eacuteleacutements que les

formes Il existe les essences (ou lrsquoessence) et la matiegravere Achard parle eacutegalement des ecirctres animeacutes

(les corps qui contiennent lrsquoacircme ou lrsquoesprit) mais il ne deacuteveloppe pas ce sujet dans le De unitate

Achard emploie la notion de substance Elle peut ecirctre celle de Dieu (y compris la forme

premiegravere) et celle du monde Cette dichotomie se reacutefegravere sucircrement agrave la maniegravere de diviser le monde

en deux propre au meacutedioplatonisme Dans la premiegravere partie du De unitate les substances

deacutesignent les genres (les accidents universaux selon Boegravece) ce qui se reacutefegravere agrave la tradition de la

logique platonicienne Dans la deuxiegraveme partie Achard utilise la notion de forme substantielle Vu

que les autres cateacutegories drsquoAristote sont preacutesentes il srsquoagit probablement de la substance en tant que

premiegravere cateacutegorie qui peut deacutesigner lrsquoindividu concret ou le genre Les substances inteacuteressent 998 Ilkhani arrive agrave la mecircme conclusion M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 175-6

387

Achard car elles sont connues par Dieu Il ne parle jamais du fait qursquoelles subsistent ou reccediloivent les

formes De cette faccedilon Achard reprend partiellement la doctrine de la substance des penseurs tardo-

antiques (Calcidius et Boegravece)

En effet le potentiel de la notion de forme substantielle reste non utiliseacute par Achard

Aristote introduit cette notion pour deacutefinir une chose La substance premiegravere chez Aristote est la

chose concregravete elle-mecircme lrsquouniteacute minimale de son systegraveme meacutetaphysique La substance seconde

geacuteneacuterique ou speacutecifique reccediloit chez les successeurs drsquoAristote le nom de la forme substantielle

Crsquoest un eacuteleacutement qui reste stable dans les changements et de cette faccedilon il deacutefinit la chose Dans le

De unitate crsquoest lrsquouniteacute corporelle (I 48) qui fait qursquoune chose sensible reste elle-mecircme dans les

changements

Lrsquoessentia dans le De unitate deacutesigne lrsquoessence drsquoun ecirctre particulier Elle nrsquoest pas

perceptible ni connaissable (I 43) et elle se reacutefegravere au Pegravere (II 4) Lrsquoexpression essentia simplex

(II 10) employeacutee dans les doctrines drsquoErigegravene et de Guillaume de Champeaux et indique lagrave

lrsquoessence unique de tous les ecirctres999 Mais le fait que chez Achard lrsquoessence reacutefegravere au Pegravere

rapproche sa doctrine de celle drsquoHugues qui dit que lrsquoessence est la manifestation du Pegravere dans le

monde (De tribus diebus XVI) Cela fait de lrsquoessence un eacuteleacutement principal qui fait qursquoune chose est

ce qursquoelle est A notre avis il est ainsi fort possible qursquoAchard suive la mecircme doctrine qursquoHugues

Les choses existent de deux faccedilons selon Achard intelligible et sensible Les choses

sensibles sont dans le monde creacuteeacute elles sont sujettes aux universaux et aux autres notions

communes Elles sont corporelles et donc elles restent elles-mecircmes le temps qursquoelles gardent

lrsquouniteacute mateacuterielle du corps Les choses intelligibles sont dans lrsquointellect de Dieu Chaque chose

intelligible contient lrsquohistoire de la vie drsquoune chose corporelle mais aussi tous les eacuteleacutements qui

peuvent constituer une chose Il existe aussi les choses universelles Elles sont constitueacutees drsquoun seul

eacuteleacutement lrsquouniversel

Une chose intelligible consiste en plusieurs formes y compris en des formes substantielles

et accidentelles Cette deacutefinition a eacuteteacute sucircrement influenceacutee par la doctrine des Cateacutegories drsquoAristote

qui deacutecrit un ecirctre concret comme lrsquounion de la substance (forme substantielle) et des accidents

(formes accidentelles) Cependant Achard nrsquoinsiste pas sur lrsquoimportance de la forme substantielle

dans la deacutefinition drsquoune chose La mecircme approche a eacuteteacute choisie par Gilbert de Poitiers qui deacutefinit un

subsistant (un ecirctre concret) comme faisceau drsquoune pluraliteacute de formes Les formes sont classeacutees

selon lrsquoordre du plus geacuteneacuterique au moins geacuteneacuterique de sorte que chaque forme est accrocheacutee agrave la

forme preacuteceacutedente comme agrave sa subsistance Chaque chose a un grand nombre de formes mais ce

999 Ilkhani pense aussi que lrsquoessence est unique de toutes les choses Il ne parle pas de la doctrine de lrsquoessence geacuteneacuterale mais seulement le fait que lrsquoessentia deacutesigne lrsquoesse des choses M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 185

388

nombre est limiteacute par la forme principale Par exemple lrsquohomme a toutes les formes qui peuvent

appartenir agrave lrsquohomme sagesse capaciteacute de rire corporeacuteiteacute etc1000

La notion de corps utiliseacutee par Achard est assez standardiseacutee Le corps consiste en matiegravere et

en formes comme plusieurs penseurs tardo-antiques et meacutedieacutevaux le disent Achard utilise

eacutegalement la notion de corps matheacutematiques lesquels qui ne sont pas mateacuteriels

Achard reprend la notion de matiegravere premiegravere mais aussi de matiegravere concregravete comme

plusieurs de ses preacutedeacutecesseurs Il ne parle pas des quatre eacuteleacutements

En deacutefinitive une chose dans la De unitate nrsquoest pas identique agrave une forme Elle est dans la

matiegravere elle srsquoappuie sur une essence et elle contient plusieurs formes substantielles et

accidentelles

Il nous reste agrave deacutefinir une forme singuliegravere Il est logique de supposer qursquoil srsquoagit drsquoune

forme individuelle Le problegraveme est qursquoAchard nrsquoutilise pratiquement pas cette notion En I 48 il

emploie la notion de chose corporelle Cette chose possegravede le faisceau de formes qui changent tout

au long de son existence On peut supposer qursquoune forme individuelle comprend drsquoune certaine

faccedilon ce faisceau limiteacute des formes Et pourtant il est difficile de trouver une confirmation directe

de cette hypothegravese dans le De unitate

En conseacutequence le principe drsquoidentiteacute des choses corporelles dans les changements est le

corps (lrsquouniteacute mateacuterielle) qui reste la mecircme Les choses intelligibles sont individuelles car elles sont

les prototypes de diffeacuterentes choses corporelles et ont des images de ces choses en elles

Pour eacutetablir lrsquoidentiteacute drsquoune chose Achard prend le mecircme paradigme qursquoErigegravene et Hugues

lrsquoidentiteacute dans les changements Tandis que les deux premiegraveres choisissent la reacuteponse

traditionnelle ndash lrsquoidentiteacute est deacutefinie agrave travers une forme principale ndash Achard eacutecarte ce paradigme

Une chose corporelle est identique gracircce agrave une certaine uniteacute mateacuterielle qui lui est propre

1000 laquo Cuiuslibet enim subsistentis tota forma substancie non simplex est Atque illorum que toti ipsi uel singulis eius partibus adsunt accidencium multo numerosior est multitudo Que tamen omnia de subsistente dicuntur ut de aliquo homine tota forma substancie qua ipse est perfectus homo et omne genus omnisque differentia ex quibus est ipsa composita ut corporalitas et animatio et huiusmodi alie et denique omnia que uel toti illi forme adsunt - ut humanitati risibilitas ndash uel aliquibus partibus eius ndash ut color qui corporalitati et scientia que adest rationalitati - et huiusmodi alia infinita raquo GILBERT DE POITIERS Expositio in Boethii librum primum de Trinitate dans The Commentaries on Boethius by Gilbert of Poitiers ed N M HAumlRING Toronto 1966 (Studies and Texts 19) p 90

389

Conclusion

Nous avons eacutetudieacute la doctrine de la multipliciteacute des ecirctres dans le mondeacute creacuteeacute du De unitate

Drsquoapregraves Achard le monde a eacuteteacute creacuteeacute en deux eacutetapes intelligibles et sensibles Drsquoabord Dieu avait

fait aupregraves de lui les prototypes intelligibles et ensuite il a creacuteeacute les ecirctres sensibles selon ces

prototypes En mecircme temps Achard voit les prototypes et les copies exister simultaneacutement les

premiers sont in intellectu et les deuxiegravemes in actu De cette faccedilon lrsquouniteacute du monde creacuteeacute est due agrave

lrsquoidentiteacute des contenus des uniteacutes in intellectu et in actu et la multipliciteacute se reacuteduit agrave la question du

nombre des objets intelligibles et sensibles

Les penseurs platoniciens enseignent que les ecirctres intelligibles (ideacutees espegraveces causes) ont

eacuteteacute creacuteeacutes dans lrsquoesprit de Dieu avant que le monde mateacuteriel ait eacuteteacute fait Les ecirctres intelligibles ont une

nature et une structure diffeacuterentes de celles des ecirctres sensibles De plus ces ecirctres intelligibles sont

homogegravenes les ideacutees de Platon reprises par Apuleacutee Augustin et Erigegravene les espegraveces de Calcidius

les cateacutegories de Boegravece etc Contrairement agrave ces penseurs Achard met deux sortes drsquouniteacutes in

intellectu et in actu les formes et les choses

Apregraves avoir eacutetudieacute la doctrine des formes du De unitate nous pouvons conclure que les

formes in intellectu sont simples car elles consistent en une seule forme (par exemple carreacute homme

acircme etc) Elles restent simples eacutegalement in actu une fois imprimeacutees dans les diffeacuterentes choses

sujettes

Les choses consistent en plusieurs formes in intellectu et in actu Tandis qursquoin intellectu ces

formes coexistent in actu elles sont successivement Le nombre des choses in intellectu et in actu

est le mecircme Les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu et des creacuteatures sont les eacuteleacutements qui consistent en

plusieurs formes unies Ils sont composeacutes in intellectu et in actu

Voici notre reconstruction de la vision meacutetaphysique du monde du De unitate

Forma prima

Forma1 Forma2 Forma3 hellip ibi

res1 res2 hellip

res1 res2 hellip hic

390

Les formes in intellectu se multiplient Drsquoabord les formes se distinguent agrave lrsquointeacuterieur de la

forme premiegravere Ensuite chaque chose intelligible contient en elle la pluraliteacute des formes En mecircme

temps Achard adopte lrsquoexemplarisme radical concernant la relation des choses in intellectu et in

actu il existe le mecircme nombre de choses ici et lagrave-bas Il faut preacuteciser que mecircme si sur notre

scheacutema les formes preacutecegravedent les choses nous nrsquoavons pas de raisons de dire que cela soit le cas

dans le De unitate Les formes sont in intellectu ainsi que les choses

Dans ce contexte Achard pose le problegraveme de lrsquoidentiteacute des choses dans les changements

qursquoest-ce qui fait qursquoune chose reste elle-mecircme La reacuteponse est lrsquouniteacute mateacuterielle drsquoun corps in

actu Toutes les formes qui appartiennent aux corps le temps qursquoil soit un sont intelligeacutees comme

lrsquoimage drsquoune chose in intellectu

Nous avons eacutetudieacute trois principaux sujets du De unitate les formes la division in intellectu

et in actu et le monde sensible La notion de la forme comme une des sortes de raisons eacuteternelles

nrsquoapparaicirct pas chez les victorins sauf Achard Contrairement agrave Achard Hugues ne deacuteveloppe pas la

doctrine de la hieacuterarchie des formes Apparemment Achard a eacuteteacute plus inspireacute par Augustin Boegravece

et Erigegravene que par Hugues et les autres victorins Hugues ne met pas non plus au premier plan de

son travail la doctrine du Verbe-intellect de Dieu Comme nous lrsquoavons deacutemontreacute Hugues utilise la

notion de forma mais sa signification est plus proche drsquoune ideacutee de Platon ou de cause drsquoErigegravene

Crsquoest un prototype drsquoune chose individuelle qui la forme Achard garde cette signification mais il

preacutecise eacutegalement le contenu seacutemantique de la forme Il approche la doctrine des formes avec celles

des universaux nombres et drsquoautres uniteacutes intelligibles

En mecircme temps Hugues reprend plusieurs autres eacuteleacutements des doctrines platoniciennes Par

exemple il distingue les ecirctres in actu et in ratione (Sententiae de divinitate) et la creacuteation

rationnelle et corporelle Ainsi Augustin Hugues et puis Achard disent que les uniteacutes sont

intelligibles et sensibles selon diffeacuterents modes (in artein opere in rationein actu in intellectuin

actu) Hugues dit que le Pegravere se manifeste agrave travers lrsquoessence Les indications pour cette doctrine se

trouvent aussi chez Achard (II 4)

Hugues et Achard reprennent quelques doctrines concernant le monde sensible qui ont eacuteteacute

reacutepandues au Moyen Age

- un ecirctre sensible consiste en matiegravere et en formes

- la notion intelligible drsquoune chose consiste en un faisceau des formes (cateacutegories)

- la matiegravere premiegravere nrsquoest pas perceptible par les sens

Hugues emploie la doctrine des quatre eacuteleacutements et Achard non

Hugues deacutecrit les ecirctres qui sont connus par Dieu avec toutes les qualiteacutes qursquoils auront une

fois creacuteeacutes Achard deacutecrit de la mecircme maniegravere les choses in intellectu Chez Hugues les ecirctres sont

391

discerneacutes dans la totaliteacute de la connaissance de Dieu chez Achard les formes sont distingueacutees dans

la Forme premiegravere

Hugues introduit le hoc aliquid ndash un ecirctre concret ndash heacuteriteacute drsquoAristote Il pose la question des

changements des corps dans le temps et il dit que crsquoest une forme qui deacutefinit lrsquoidentiteacute drsquoun corps

Achard prend une chose corporelle comme eacuteleacutement principal du monde sensible Lrsquoidentiteacute de cette

chose dans les changements est assureacutee par lrsquouniteacute mateacuterielle drsquoun corps sensible De cette faccedilon

Hugues et Achard ont voulu deacutecrire le monde sensible et aborder le problegraveme des changements

mais chacun lrsquoa fait agrave sa maniegravere

Tous ces exemples montrent qursquoHugues et Achard ont eacuteteacute inspireacutes par les mecircmes doctrines

mais chacun reste original dans ses deacuteveloppements

392

CONCLUSIONS GENERALES

Au cours de cette thegravese nous avons eacutetudieacute la coexistence de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute en Dieu

et dans le monde creacuteeacute dans le De unitate drsquoAchard de Saint-Victor Achard explique de maniegravere

deacutetailleacutee comment lrsquouniteacute devient la Triniteacute et comment la pluraliteacute des ecirctres intelligibles a eacuteteacute

conccedilue par Dieu dans le Verbe Il suggegravere que le monde sensible a eacuteteacute creacuteeacute selon cette image dans

lrsquoesprit de Dieu Dans lensemble Achard suit le scheacutema eacutelaboreacute par les Pegraveres de lrsquoEglise et

transmis par Augustin

Pourtant si ce scheacutema deacutecrit dans les grandes lignes la doctrine chreacutetienne Achard surprend

aussi son lecteur Au lieu de proposer un traiteacute strictement theacuteologique comme nous lrsquoattendrions

drsquoun victorin il introduit des eacuteleacutements meacutetaphysiques en employant lrsquooutillage de la Logica vetus

Drsquoabord dans les chapitres I 9-11 ougrave il explique lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute comme des substances

diffeacuterentes (accidents universaux selon la terminologie boeacutecienne) qui sont en reacutealiteacute la substance

unique de Dieu Et ensuite dans les chapitres I 37-II 16 ougrave les doctrines des trois sortes de raisons

et du Verbe de Dieu cocirctoient un questionnement concernant les statuts des diffeacuterents objets

intelligibles (choses nombres universaux eacutenonceacutes etc) Le nom du traiteacute De unitate et pluralitate

creaturarum bien qursquoil ne soit pas certain qursquoAchard en soit lrsquoauteur permet de supposer que

lrsquoauteur eacutetait principalement preacuteoccupeacute de savoir comment la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute Pourtant

Achard traite aussi les problegravemes de lrsquoidentiteacute et de la deacutefinition de la chose

Gracircce au rapprochement entre lrsquooutillage aristoteacutelicien et la doctrine de la preacutedication nous

avons pu voir dans la formule trinitaire drsquoAchard ndash lrsquoUniteacute lrsquoEgal et lrsquoEgaliteacute ndash une application de

la doctrine contemporaine de la fonction logique qui est un eacutequivalent de la preacutedication extra-

cateacutegorielle ndash A(u1 u2) Une autre interpreacutetation contemporaine se fait agrave travers la theacuteorie des

ensembles ndash U= (U a1 a2hellip an) ndash ougrave lrsquouniteacute est un ensemble qui comprend ce qui lui est eacutegal

lrsquoeacutegaliteacute et lrsquouniteacute elle-mecircme Nous voyons qursquoAchard cherchait des moyens novateurs pour

expliquer la Triniteacute Son outillage logique se rapproche de celui que les logiciens contemporains

utilisent pour exprimer la relation entre les ecirctres dans le monde Cela montre que les acquis de la

philosophie meacutedieacutevale peuvent ecirctre expliqueacutes avec les termes de la penseacutee moderne

Dans la premiegravere partie de notre recherche nous avons eacutetabli que le De unitate drsquoAchard de

Saint-Victor est soit inacheveacute soit alteacutereacute soit les deux Il se divise facilement en deux parties

theacutematiques

- la Triniteacute (I 1-36)

- les raisons eacuteternelles (I 37-II 20)

Le De unitate contient plusieurs indications de son inachegravevement que lrsquoon considegravere

lrsquoabsence drsquointroduction et de conclusion ou le deacutecoupage imparfait des chapitres De plus il nrsquoest

393

pas logiquement termineacute Achard promet de parler de trois sortes de raisons eacuteternelles (formelles

finales et deacuteployantes) mais il nrsquoen deacutecrit finalement que deux En II 21 Achard deacutecrit les quatre

gracircces Cette deacutemarche peut ecirctre perccedilue soit comme une digression spirituelle du projet

meacutetaphysique du traiteacute soit comme un retour vers la question initiale agrave propos de la Triniteacute

Lrsquoeacutetude du seul manuscrit De unitate Padova 89 a montreacute que lrsquoeacutedition de Martineau est

satisfaisante Lors de lrsquoanalyse posteacuterieure nous avons tenu compte drsquoune lecture alternative des

quelques abreacuteviations douteuses (comme la veritas et lrsquounitas et le hic et hoc)

Dans le chapitre III nous avons deacutegageacute les thegraveses eacuteleacutementaires du De unitate eacutetabli le plan

du traiteacute et montreacute son arriegravere-plan platonicien Nous avons eacutegalement eacutetabli les sujets qui vont

servir agrave deacutevelopper les principaux thegravemes du De unitate agrave savoir

- lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu le rapport entre lrsquouniteacute et la pluraliteacute aux diffeacuterents

niveaux lrsquoapparition et la procession des personnes de la Triniteacute la creacuteation de la

pluraliteacute des raisons dans le Verbe de Dieu

- lrsquouniteacute et la pluraliteacute dans les creacuteatures les formes en tant qursquoexemplaires des choses la

relation entre les ecirctres intelligibles et sensibles les eacuteleacutements du monde sensible

Dans la deuxiegraveme partie de notre thegravese nous avons analyseacute la relation de lrsquouniteacute et de la

pluraliteacute en Dieu dans le De unitate Pour Achard il existe trois pluraliteacutes en Dieu

- les proprieacuteteacutes

- les personnes divines

- les raisons dans le Verbe

Dans le De unitate les personnes sont expliqueacutees comme lrsquoUniteacute lrsquoEgal et lrsquoEgaliteacute Nous

eacutetudions cette formule dans le chapitre V Crsquoest une modification de la formule augustinienne

lrsquoUniteacute lrsquoEgaliteacute et la Connexion La triade achardienne permet de dire que laquo lrsquouniteacute est eacutegale agrave

lrsquoeacutegaliteacute raquo Dans la creacuteature lrsquouniteacute est imparfaite elle est la ressemblance Lrsquoeacutegaliteacute imparfaite des

creacuteatures est la participation Prises comme deux personnes lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute participent lrsquoune agrave

lrsquoautre Prises comme la substance unique de Dieu elles sont eacutegales Cette doctrine drsquoAchard

provient de la doctrine de lrsquouniteacute drsquoAugustin Augustin dit que les creacuteatures sont unes car elles

ressemblent agrave lrsquouniteacute premiegravere de Dieu et les proprieacuteteacutes de Dieu sont unes car elles sont la

substance unique Sous lrsquoinfluence de la doctrine aristoteacutelico-boeacutetienne de la preacutedication Erigegravene

introduit la distinction entre la preacutedication par participation des creacuteatures aux proprieacuteteacutes de Dieu et

la preacutedication par essence de ces proprieacuteteacutes mecircmes en Dieu

Nous avons eacutetudieacute les personnes divines dans le chapitre VI Nous avons traiteacute en particulier

la procession trinitaire ad intra et ad extra Dans les chapitres I 13-16 du De unitate Achard eacutetablit

les critegraveres de la pluraliteacute des personnes

394

- il faut que chaque personne puisse ecirctre dite par elle-mecircme laquo personne raquo prise

isoleacutement

- il faut que chacune reccediloive seacutepareacutement le nom de laquo personne raquo

- de lrsquoune drsquoentre elles procegravede la seconde et des deux la troisiegraveme

Dans les chapitres I 18-36 Achard deacutemontre pourquoi les personnes ne sont que trois et

explique les noms des personnes Il traite dans quelques cas de lrsquohypothegravese drsquoune quatriegraveme

personne mais crsquoest seulement pour deacutemontrer qursquoune telle hypothegravese est fausseacutee

Dans le reste du De unitate Achard introduit briegravevement les personnes seacutepareacutees pour

montrer que la vie inteacuterieure de la Triniteacute est le modegravele de la procession de la Triniteacute vers

lrsquoexteacuterieur Les causes exemplaires sont dans le Fils et le Saint-Esprit dirige les distributions de ces

causes dans le monde

Nous avons eacutegalement montreacute que la doctrine des personnes drsquoAchard est proche de celle de

son confregravere Richard

La troisiegraveme pluraliteacute en Dieu est la pluraliteacute des raisons dans le Verbe Achard reprend la

doctrine meacutedioplatonicienne transmise par Augustin qui envisage les ideacutees comme penseacutees dans

lrsquointellect de Dieu Il existe trois sortes de raisons pour une chose creacuteeacutee finalis formalis et

explicatrix (causa forma et modus) Les raisons ont eacuteteacute drsquoabord creacuteeacutees de maniegravere intelligible dans

le Verbe et ensuite infuseacutees dans la creacuteation sensible Les raisons formelles correspondent agrave ce que

Dieu sait faire et les raisons deacuteployantes (explicatrix) agrave ce qursquoil peut faire

La troisiegraveme partie de notre thegravese est consacreacutee agrave lrsquoexplication de lrsquoentrelacement de lrsquouniteacute

et de la pluraliteacute dans le monde creacuteeacute La partie intelligible de la creacuteature est deacutecrite agrave lrsquoaide de la

notion de forma Nous lrsquoavons eacutetudieacutee dans le chapitre VIII Achard comprend la forme comme la

raison drsquoune chose Elle heacuterite ainsi de la notion drsquoideacutee de Platon la proprieacuteteacute drsquoecirctre la cause drsquoune

chose En mecircme temps une forme se superpose agrave un reacuteceptacle la matiegravere ou les autres formes En

cela la forme chez Achard heacuterite aussi de la notion de forme drsquoAristote

Les formes sont des uniteacutes intelligibles eacuteleacutementaires Elles peuvent ecirctre substantielles

accidentelles mais aussi ecirctre des nombres des universaux des eacutenonceacutes etc Les choses peuvent

ecirctre deacutecrites agrave lrsquoaide des formes Il existe une hieacuterarchie des formes la forme premiegravere qui est le

Verbe les formes creacuteeacutees dans le Verbe et les formes sensibles dans les choses En mecircme temps

elles sont toutes identiques la forme dans le Verbe est la mecircme que dans une chose La forme

premiegravere est les formes creacuteeacutees

Achard commence lrsquoexplication de son systegraveme meacutetaphysique en partant du niveau le plus

haut (ibi) ougrave Dieu et les ecirctres intelligibles existent Et il descend vers le bas (hic) ougrave les choses

sensibles existent Les modes drsquoexistence des uniteacutes agrave ces deux niveaux sont deacutesigneacutes par le couple

terminologique in intellectuin actu Dans le chapitre IX nous avons eacutetabli que cette distinction en

395

deux niveaux des ecirctres (conccedilus dans lrsquointellect de Dieu et faits dans la matiegravere) est commune agrave

Augustin Erigegravene et Hugues de Saint-Victor Cette distinction fait partie de la doctrine chreacutetienne

selon laquelle Dieu a drsquoabord creacuteeacute le monde de maniegravere intelligible dans son Verbe et ensuite de

maniegravere sensible (Jean I 1-12) En effet agrave partir du chapitre I 37 Achard propose son explication

de la structure meacutetaphysique du monde creacuteeacute La pluraliteacute du monde selon Achard apparaicirct drsquoabord

dans une premiegravere uniteacute intelligible ndash le Verbe Les exemplaires des choses sont creacuteeacutes in intellectu

puis in actu La principale question de cette partie est comment comprendre et ordonner ce

monde Achard la pose de la maniegravere suivante est-ce qursquoil existe le mecircme nombre drsquoeacuteleacutements ici

(hic) et lagrave-bas (ibi) Cette question remonte agrave lrsquoalternative proposeacutee par des penseurs anciens

- deacutecrire les uniteacutes intelligibles eacuteleacutementaires (les ideacutees comme la beauteacute la bonteacute etc)

Introduite par Platon cette approche a eacuteteacute enrichie par Aristote Les uniteacutes intelligibles eacuteleacutementaires

sont deacutesormais des cateacutegories qui deacutecrivent les choses La multiplication a lieu lors du passage des

ideacutees du haut aux choses en bas

- prendre comme point de deacutepart lrsquouniteacute sensible eacuteleacutementaire la chose Aristote la deacutefinit

comme substance premiegravere Les stoiumlciens et Augustin deacutecrivent les ecirctres intelligibles comme

prototypes des ecirctres concrets sensibles Il existe le mecircme nombre drsquoecirctres intelligibles et sensibles

Achard combine ces deux approches Dans sa doctrine il introduit deux sortes drsquoeacuteleacutements

les formes et les choses Les deux existent in intellectu et in actu Les formes se multiplient dans les

choses in intellectu Les choses in intellectu sont des exemplaires des choses in actu

En effet les choses in intellectu contiennent toute la varieacuteteacute des formes possibles Cela pose

une autre question comment une chose est-elle diffeacuterente drsquoune autre Nous y avons reacutepondu dans

le chapitre X ougrave nous eacutetablissons qursquoAchard deacutecrit de maniegravere diffeacuterente la chose in intellectu et in

actu La premiegravere est statique et la deuxiegraveme est dynamique Elle change lors de son existence La

chose in actu reste elle-mecircme tant qursquoelle garde le corps mateacuteriel unique Une chose in intellectu

est diffeacuterente des autres parce qursquoelle contient lrsquohistoire de la future chose in actu Crsquoest-agrave-dire la

seacutequence des formes qursquoune chose in actu adoptera lors de son existence en tant que corps unique

Dans ce mecircme chapitre nous avons eacutegalement eacutetudieacute les eacuteleacutements du monde sensible Une

chose consiste en une essence individuelle et en des formes Les essences ne sont pas connues par

lrsquohomme mais elles sont intelligeacutees par Dieu dans leur simpliciteacute propre Lrsquoessence simple se reacutefegravere

au Pegravere Une chose consiste eacutegalement en des formes et en la matiegravere Achard emploie les notions

de matiegravere premiegravere de choses et de matiegravere corporelle Un autre eacuteleacutement de la structure

meacutetaphysique achardienne est la substance Dans la premiegravere partie du De unitate elle deacutesigne les

attributs de Dieu (sagesse bonteacute etc) dans la deuxiegraveme une sorte de forme (forme individuelle et

geacuteneacuterale) Dans les deux parties les substances eacutevoquent parfois les substrats intelligibles (ibi) et

sensibles (hic)

396

Une interpreacutetation de la doctrine drsquoAchard a eacuteteacute deacutejagrave proposeacutee par Ilkhani en 1999 Mecircme si

en geacuteneacuteral cette interpreacutetation nous paraicirct correcte nous avons plusieurs eacuteleacutements agrave lui reprocher

Ilkhani trace les parallegraveles entre le Pegravere le Fils et lrsquoEsprit-Saint les trois sortes de raisons et

lrsquoessence la forme et la substance Pourtant la pluraliteacute des raisons est dans le Verbe qui est le Fils

Et il nrsquoy a aucune reacutefeacuterence entre la substance et lrsquoEsprit-Saint dans le De unitate

En deacutefinitive Achard adopte une vision du monde meacutedioplatonicienne selon laquelle Dieu a

les exemplaires des choses comme prototypes des ecirctres dans son Verbe-intellect En mecircme temps il

enrichit cette doctrine par lrsquoajout de plusieurs eacuteleacutements seacutemantiques Lorsqursquoil deacutecrit les formes il

soulegraveve notamment des questions concernant le statut des nombres des universaux des eacutenonceacutes

vrais et des objets matheacutematiques

En deacutefinitive Achard reacutepond agrave une des principales questions meacutetaphysiques comment le

monde sensible peut-il ecirctre deacutecrit agrave lrsquoaide des uniteacutes intelligibles Il accepte les doctrines des

universaux deacuteveloppeacutees par ses preacutedeacutecesseurs les uniteacutes eacuteleacutementaires intelligibles se multiplient

Et en mecircme temps il se pose des questions concernant le statut des uniteacutes eacuteleacutementaires sensibles

Crsquoest en cela que lrsquoavanceacutee meacutetaphysique drsquoAchard de Saint-Victor se manifeste

Achard le platonicien

Dans la premiegravere partie de notre recherche nous avons trouveacute dans le De unitate plusieurs

eacuteleacutements provenant des systegravemes platoniciens Deacutesormais il est possible drsquoinclure drsquoautres sources

qui auraient pu inspirer Achard pour creacuteer sa doctrine

- la dualiteacute est une eacutetape entre lrsquouniteacute et la Triniteacute ndash Augustin ou Boegravece

- Achard deacutecrit trois niveaux drsquoecirctre Dieu les ecirctres intelligibles dans lrsquointellect de Dieu et

le monde sensible ndash Augustin Apuleacutee Boegravece et Erigegravene

- la distinction entre deux modes drsquoecirctre intelligible (in intellectu) et sensible (in actu) ndash

Augustin et Erigegravene

- la doctrine du Logos qui est lrsquointellect et qui contient les prototypes des choses creacuteeacutees ndash

Augustin et Erigegravene

- les uniteacutes intelligibles sont les prototypes des ecirctres sensibles leur formation (la forme

premiegravere les formes creacuteeacutees les idos) correspond agrave trois niveaux de la hieacuterarchie

meacutedioplatonicienne (Dieu ideacutees matiegravere) ndash Augustin et Calcidius

- la notion de cause du Timeacutee (28a)

- la notion de raisons deacuteployantes (des modes qui expliquent les modifications que la chose

subit lors de son existence dans le monde) Ce concept est proche de celui des raisons seacuteminales

397

drsquoAugustin et des logoi des stoiumlciens Pour les expliquer Achard emploie le mot nous qui deacutesigne le

deuxiegraveme Dieu chez Calcidius

Achard reprend aussi certains eacuteleacutements du neacuteoplatonisme Par exemple il utilise le concept

de la premiegravere uniteacute multiple pour construire sa doctrine des formes et des causes La Forme

premiegravere contient les formes et la Cause unique les causes De cette faccedilon les raisons proviennent

de lrsquouniteacute premiegravere jusqursquoau monde sensible La notion drsquouniteacute premiegravere qui est en tecircte de chaque

subdivision a peut-ecirctre eacuteteacute penseacutee sous lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme

Le monde intelligible a la prioriteacute sur le monde sensible car les ecirctres in intellectu existent

dans lrsquoesprit de Dieu De cette faccedilon leur nature est proche de celle de Dieu La thegravese selon laquelle

Dieu attribue une partie de sa nature aux objets intelligibles srsquoinscrit bien dans les systegravemes

neacuteoplatoniciens

La nature des objets intelligibles est plus parfaite que celle des ecirctres sensibles Les formes

exemplaires contiennent non seulement des caracteacuteristiques qui leur sont propres (ecirctres eacuteternels et

immuables) mais aussi des caracteacuteristiques drsquoecirctres sensibles (ecirctres temporels et muables) Par

conseacutequent les ecirctres intelligibles ont plus drsquoeacuteleacutements que les ecirctres sensibles Les choses

intelligibles par contre perdent certaines caracteacuteristiques quand elles deviennent sensibles et la

notion de deacutegradation est donc aussi preacutesente dans la doctrine drsquoAchard Cela ne deacutevalorise pas

pour autant les ecirctres sensibles Au contraire la fin de lrsquoexistence de certains objets intelligibles (des

choses et des formes) est la creacuteation drsquoecirctres sensibles Les objets intelligibles contiennent en eux les

laquo histoires raquo du deacuteveloppement des choses dans le monde sensible

Il est temps pour nous de voir en quoi la doctrine drsquoAchard deacutepasse la penseacutee

neacuteoplatonicienne ou du moins srsquoen eacutecarte Les neacuteoplatoniciens enseignent que tout provient drsquoune

source unique Mais selon Achard Dieu est pluriel Il est lrsquouniteacute multiplieacutee La pluraliteacute de Dieu est

la cause de la pluraliteacute du monde Lrsquouniteacute ici nrsquoest pas le premier principe mais un aspect de ce

principe Lrsquouniteacute apparaicirct dans chaque niveau de la hieacuterarchie ontologique drsquoAchard en Dieu dans

son intellect (la forme premiegravere) et dans le monde creacuteeacute (lrsquouniteacute de chaque chose est assureacutee par son

exemplaire intelligible)

Dans le neacuteoplatonisme la source est simple et ses deacuteriveacutes complexes Achard dit que Dieu

est plus parfait que les creacuteatures car il a une image des creacuteatures en lui Il imagine non seulement ce

qui existe mais aussi ce qui peut exister Potentiellement il contient dans son intellect plus

drsquoeacuteleacutements que la creacuteation sensible entiegravere De cette faccedilon Achard enseigne que Dieu nrsquoest pas une

source simple

Les neacuteoplatoniciens insistent sur la procession des hypostases agrave partir de lrsquouniteacute premiegravere

Les ecirctres des niveaux plus bas participent aux ecirctres des niveaux plus eacuteleveacutes Cette thegravese est deacutejagrave

contesteacutee par les chreacutetiens qui disent que Dieu ne procegravede pas directement dans le monde car il a

398

une nature diffeacuterente de celle du monde Pour eux Dieu ne peut pas prolifeacuterer directement dans le

monde Pourtant le christianisme accepte la pluraliteacute des personnes en Dieu et leur procession lrsquoune

de lrsquoautre Pour expliquer cela Augustin introduit lrsquoideacutee que les relations entre les personnes et

Dieu et celle entre Dieu et les ecirctres du monde creacuteeacute sont diffeacuterentes Pour lui il srsquoagit dans le

premier cas de lrsquoidentiteacute de la substance et dans le deuxiegraveme de la participation Lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute

sont vues comme deux substances qui existent comme une seule substance en Dieu Elles sont

identiques comme une substance et lieacutees par la relation logique de participation ce qui leur permet

drsquoecirctre deux personnes seacutepareacutees de Dieu Nous avons deacutemontreacute que cette distinction a eacuteteacute inspireacutee

par les preacutedications intra-cateacutegorielle (la sagesse est sage) et extra-cateacutegorielle (quelqursquoun est sage)

introduites par Aristote De cette faccedilon Augustin modifie le scheacutema meacutetaphysique neacuteoplatonicien

de la descente directe des ecirctres agrave partir de la source premiegravere

Achard reprend lrsquoapproche drsquoAugustin et lrsquoapplique pour reacutesoudre le paradoxe trinitaire

(expliquer trois personnes en une seule substance) La relation entre les personnes est celle de la

participation Lrsquouniteacute de Dieu est assureacutee par le pheacutenomegravene de lrsquoexistence (que les personnes soient

une) La premiegravere relation est analogue agrave la preacutedication extra-cateacutegorielle (lrsquouniteacute participe agrave

lrsquoeacutegaliteacute) la deuxiegraveme agrave lrsquointra-cateacutegorielle (lrsquouniteacute est lrsquoeacutegaliteacute) Ainsi Achard trouve le moyen

drsquoexpliquer la procession des personnes comme une action logique De cette faccedilon il eacutecarte le

scheacutema neacuteoplatonicien de la procession des hypostases

Dans lrsquointroduction nous avons deacutecrit les principaux traits du meacutedio et du neacuteoplatonisme

Nous avons vu que le meacutedioplatonisme est plutocirct deacutefini comme une uniteacute chronologique et le

neacuteoplatonisme comme une uniteacute doctrinale Le neacuteoplatonisme est la philosophie qui accepte la

primauteacute drsquoune source unique et la procession de tous les eacuteleacutements agrave partir de cette source

Nous avons trouveacute plusieurs eacuteleacutements du meacutedioplatonisme chez Achard Mais vu que ce

courant nrsquoa pas drsquouniteacute doctrinale que la plupart de ces thegraveses correspondent aux doctrines

chreacutetiennes et qursquoAchard nrsquoappartient pas agrave la peacuteriode chronologique deacutefinissant le

meacutedioplatonisme il est impossible de dire qursquoAchard eacutetait meacutedioplatonicien Nous pouvons

seulement affirmer qursquoil en a accepteacute certaines thegraveses Contrairement aux eacuteleacutements neacuteoplatoniciens

les sources latines des eacuteleacutements meacutedioplatoniciens sont faciles agrave eacutetablir Ce sont les doctrines de

Seacutenegraveque de Calcidius et drsquoAugustin

Nous avons montreacute qursquoAchard nrsquoeacutetait pas neacuteoplatonicien Il propose le scheacutema

meacutetaphysique suivant les personnes sont multiples en Dieu et cette pluraliteacute cause la pluraliteacute dans

les creacuteatures Achard incorpore des eacuteleacutements des doctrines neacuteoplatoniciennes mais non lrsquoessence du

neacuteoplatonisme Il en accepte les eacuteleacutements les plus geacuteneacuteraux

- la procession des ecirctres agrave partir de la source

- la prioriteacute des ecirctres sensibles

399

- la nature imparfaite des ecirctres sensibles

Ces eacuteleacutements apparaissent chez plusieurs autres penseurs chreacutetiens et il est par conseacutequent

difficile drsquoeacutetablir une unique source neacuteoplatonicienne de la doctrine drsquoAchard

Le caractegravere platonicien de la doctrine drsquoAchard a eacuteteacute deacutejagrave affirmeacute par Chacirctillon Martineau

et Ilkhani Chacirctillon a remarqueacute la ressemblance entre Achard et Erigegravene Apregraves avoir eacutetudieacute la

continuiteacute des principales doctrines platoniciennes nous pouvons dire que les doctrines qursquoErigegravene

partage avec Achard ont deacutejagrave eacuteteacute eacutetablies par Augustin En mecircme temps plusieurs eacuteleacutements de la

doctrine drsquoErigegravene (comme par exemple le traitement des personnes de la Triniteacute comme causes

premiegraveres) nrsquoont pas eacuteteacute emprunteacutes par Achard La similitude entre Erigegravene et Achard nous semble

donc plutocirct due agrave lrsquoinfluence drsquoAugustin

Plusieurs eacuteleacutements de lrsquoheacuteritage platonicien repris par Achard apparaissent eacutegalement chez

ses contemporains

- la deacutefinition de la Triniteacute agrave partir de la formule augustinienne Unitas Aequalitas

Connexio que lrsquoon trouve chez Richard de Saint-Victor Thierry de Chartres Clarembaud drsquoArras et

Alain de Lille Cette formule provient des sources pythagoriciennes du meacutedioplatonisme

- la distinction aristoteacutelicienne des raisons (finale formelle efficiente mateacuterielle) chez

Thierry de Chartres Guillaume de Conches et Jean de Salisbury

- les variations de la triade puissance sagesse bonteacute sont un thegraveme tardo-antique drsquoorigine

platonicienne qui trouve une seconde jeunesse chez Abeacutelard Hugues et Richard de Saint-Victor

Guillaume de Conches etc

- la doctrine des ideacutees-archeacutetypes dans lrsquoesprit de Dieu exposeacutee par Augustin (Quaestio lsquoDe

ideisrsquo) chez Hugues de Saint-Victor Bernard de Chartres et Guillaume de Conches

Cela prouve que plusieurs penseurs du XIIe siegravecle ont eacuteteacute influenceacutes par les mecircmes doctrines

platoniciennes En mecircme temps il ne faut pas exclure les influences mutuelles qui ont eu lieu agrave

lrsquoeacutepoque

Achard le victorin

Nous avons eacutetudieacute les scheacutemas meacutetaphysiques et seacutemantiques utiliseacutes par Achard dans sa

doctrine Le contenu des chapitres I 9-11 et I 37-II 16 suggegravere qursquoil peut ecirctre rattacheacute agrave la penseacutee

preacutescolastique enseigneacutee dans les eacutecoles du XIIe siegravecle En mecircme temps certaines de ses thegraveses

centrales sont semblables agrave celles de ses confregraveres victorins Il srsquoagit notamment des strateacutegies pour

expliquer la Triniteacute qui sont similaires agrave Richard et agrave Achard

- la formule Unitas Aequalitas Connexio a eacuteteacute exposeacutee par Richard dans sa lettre De tribus

personis appropriatis

400

- pour eacutetablir la deacutefinition des personnes Achard compare les pluraliteacutes en Dieu (Triniteacute) et

dans lrsquohomme (lrsquoacircme et le corps) Richard les compare de la mecircme faccedilon pour comprendre la

pluraliteacute de Dieu

- les personnes sont multiples car elles se diffeacuterencient par leurs relations drsquoorigine (Richard

appelle cette capaciteacute laquo avoir des origines diffeacuterentes raquo)

- Achard et Richard procegravedent par lrsquoabsurde pour deacutemonter lrsquoimpossibiliteacute drsquoune quatriegraveme

personne dans la Triniteacute

- les deux auteurs proposent des deacuteveloppements concernant les noms des personnes

notamment genitus agrave la base de la doctrine drsquoAugustin

- ils posent la question concernant lrsquoeacutequilibre de la sagesse et de la puissance de Dieu agrave

savoir si Dieu sait plus qursquoil peut

Voici les similitudes entre Hugues et Achard

- Chez les deux la pluraliteacute des causes est dans la Sagesse divine

- La doctrine des appropriations chez Hugues permet drsquoexpliquer le nom des causes

explicatrices chez Achard Selon Hugues la puissance deacuteploie (explicat) les causes dans les œuvres

- Le creacuteateur se manifeste dans la creacuteature Chez Achard les uniteacutes dans le monde

participent agrave lrsquouniteacute de Dieu et la similitude dans le monde participe agrave lrsquoeacutegaliteacute parfaite en Dieu

Chez Hugues les ecirctres participent eacutegalement agrave Dieu mais les personnes se manifestent aussi dans le

monde agrave travers les appropriations trinitaires (la puissance la sagesse et la bonteacute refleacuteteacutees dans

lrsquoimmensiteacute la beauteacute et lrsquoutiliteacute des creacuteatures)

- Hugues fait une distinction binaire visible-invisible exprimeacutee par les adverbes hic et ibi

et les adjectifs illa et ista Achard distingue de mecircme des objets ibi et des choses hic

- Hugues reprend la doctrine augustinienne de la creacuteation intellectuelle premiegravere des ecirctres

dans lrsquoesprit de Dieu qui preacutecegravede leur creacuteation mateacuterielle Il parle du fait qursquoil existe ibi des choses

futures qui vont ecirctre creacuteeacutees hic Dans les Sententiae de divinitate Hugues distingue deux modes

drsquoexistence des choses in actu et in ratione Et dans le De tribus rerum subsistentiis il en distingue

trois in actu in intellectu et in ratione Ces trois modes deacutesignent les choses leurs notions dans

lrsquointellect humain et dans la connaissance de Dieu Dieu connaicirct les ecirctres singuliers dans la totaliteacute

mais aussi le destin de chaque chose qui va eacutemerger de cette totaliteacute premiegravere Il connaicirct les choses

imparfaites et temporelles de maniegravere parfaite et eacuteternelle Achard reprend eacutegalement cette doctrine

Il distingue deux modes drsquoexistence in actu et in intellectu Le mode in intellectu deacutesigne les

notions dans la connaissance divine Le mode in actu deacutesigne les ecirctres dans le monde sensible

Achard se pose des questions concernant lrsquoexistence de chaque chose et de leur identiteacute hic et ibi

Les choses in intellectu ont deux types de caracteacuteristiques ecirctre immuables et eacuteternelles (celles de

401

Dieu) et ecirctre muables et temporelles (celles du monde) Elles ont aussi toutes les formes possibles

et en mecircme temps le faisceau des formes que chaque chose aura lors de son existence mateacuterielle

Hugues et Achard adoptent la doctrine drsquoune creacuteation en deux temps de deux niveaux drsquoexistence

des choses et drsquoun mode parfait drsquoexistence des choses in intellectu

- Hugues et Achard adoptent la deacutefinition de la chose comme varieacuteteacute drsquoaccidents

- Ils mettent en valeur le monde sensible Dans le De tribus diebus Hugues enseigne que le

monde est un livre qui permet drsquoinstruire agrave propos de Dieu Dans le De unitate la distinction des

choses in intellectu est faite drsquoapregraves les formes qursquoelles auront in actu Le monde intelligible est

destineacute agrave creacuteer le monde sensible Cela correspond agrave une tendance agrave revaloriser la nature lors de la

renaissance du XIIe siegravecle qui a eacuteteacute deacutecrite par Chenu en 1957

- La notion drsquoune uniteacute eacuteleacutementaire Dans le De sacramentis Hugues emploie la notion de

hoc aliquid qui est la chose concregravete Selon Achard lrsquouniteacute du monde sensible est la chose qui reste

elle-mecircme tant qursquoelle garde lrsquouniteacute corporelle

Ainsi les thegraveses meacutetaphysiques centrales du De unitate correspondent pour partie agrave

lrsquoenseignement drsquoHugues Les deux auteurs acceptent que la pluraliteacute apparaisse dans la Sagesse de

Dieu et que des ecirctres sensibles aient leurs prototypes intelligibles En effet il est possible drsquoeacutetablir

la continuiteacute de cette doctrine meacutedioplatonicienne agrave partir drsquoAugustin agrave travers Erigegravene jusqursquoagrave

lrsquoeacutecole de Saint-Victor Contrairement agrave ces preacutedeacutecesseurs Hugues et Achard mettent lrsquoaccent sur

les choses Ils veulent comprendre comment une chose individuelle peut ecirctre inclue dans lrsquouniteacute

premiegravere de Dieu Crsquoest leur faccedilon de deacutevelopper le questionnement neacuteoplatonicien concernant

lrsquouniteacute premiegravere

Les thegraveses que nous avons citeacutees sont au cœur du De unitate Elles prouvent la continuiteacute de

la penseacutee victorine drsquoHugues agrave Achard En mecircme temps elles se trouvent en marge des œuvres

drsquoHugues Les problegravemes qui sont au premier plan du De unitate ndash la deacutefinition et lrsquoidentiteacute des

ecirctres sensibles ndash sont secondaires et mecircme sporadiques chez Hugues La solution de ces problegravemes

relegraveve du domaine de la logique et de la seacutemantique appliqueacutees agrave la meacutetaphysique ndash domaine qui

nrsquointeacuteresse pas principalement Hugues

En mecircme temps le dernier chapitre du De unitate ramegravene le lecteur vers les questions des

gracircces de Dieu et de la formation de lrsquohomme Ces doctrines sont dues probablement agrave

lrsquoanthropologie philosophique drsquoHugues et avant lui drsquoAugustin

La doctrine trinitaire drsquoAchard (notamment sa partie ougrave il deacutecrit les personnes et leur

procession) a plusieurs points en commun avec la doctrine de Richard

402

Nous avons eacutetabli que le De unitate et certaines œuvres drsquoHugues partagent lrsquoensemble des

thegraveses qui correspond au meacutedioplatonisme transmis par Augustin Cela permet de conclure

qursquoHugues eacutetait entre autres influenceacute par ce courant de penseacutee

Il est deacutesormais clair que les victorins laissent la meacutetaphysique ancienne peacuteneacutetrer leurs

doctrines agrave un point tel qursquoils integravegrent sa question eacuteternelle quelle est lrsquouniteacute eacuteleacutementaire de lrsquoecirctre

et de la penseacutee La reacuteponse agrave cette question exige pour eux drsquoeacutetudier les ecirctres sensibles Lrsquoeacutetude de

ces objets mecircme srsquoils sont pris dans la perspective platonicienne comme des prototypes

intelligibles fait une partie essentielle de lrsquoheacuteritage du courant scolaire et surtout elle deviendra

importante au XIIIe siegravecle Par conseacutequent la preacutesence de la meacutetaphysique deacuteveloppeacutee agrave lrsquoaide des

outils logico-seacutemantiques dans les œuvres drsquoHugues et drsquoAchard permet de les valoriser davantage

dans le contexte de la philosophie du XIIe siegravecle

Aujourdrsquohui la meilleure tentative pour eacutevaluer le De unitate dans le contexte de son

eacutepoque a eacuteteacute faite par Ilkhani Mecircme si nous ne sommes pas entiegraverement drsquoaccord avec sa vision de

lrsquoinfluence de Boegravece sur Achard les parallegraveles avec lrsquoeacutecole de Chartres nous semblent avoir eacuteteacute

traceacutes correctement Mais crsquoest lrsquoeacutetude de lrsquoeacutecole de Saint-Victor qui nous a permis de comprendre

comment le traiteacute trinitaire devient une œuvre meacutetaphysique Achard srsquoinspire drsquoabord de son

berceau intellectuel ndash lrsquoeacutecole de Saint-Victor ndash pour commencer le traiteacute trinitaire et ensuite il

construit le projet meacutetaphysique du Verbe incarneacute Ce projet contient des eacuteleacutements partageacutes par des

penseurs diffeacuterents de lrsquoeacutepoque (comme les trois sortes de raisons) mais aussi des eacuteleacutements propres

agrave Hugues (comme la distinction hicibi)

Ainsi lrsquoeacutetude de la doctrine du De unitate permet de montrer la signification dans la

meacutetaphysique du XIIe siegravecle de sujets tels que la distinction aristoteacutelicienne des raisons la doctrine

du Verbe-intellect ou encore le statut des uniteacutes intelligibles Chacun de ces thegravemes meacuteriterait une

eacutetude comparative et historique qui puisse mettre au premier plan leur eacutemergence au XIIe siegravecle et

leur influence sur les courants de penseacutee ulteacuterieurs

403

BIBLIOGRAPHIE

A ndash SOURCES

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TABLES DES MATIERES

Remerciements 2

Abreacuteviations 3

Introduction geacuteneacuterale 4 Lrsquoeacutecole de Saint-Victor et la philosophie 5

A la recherche du platonisme 9

Le meacutedioplatonisme 11

Le neacuteoplatonisme 12

Les platonismes de la premiegravere moitieacute du XIIe siegravecle 17

La meacutethodologie et le plan 19

PARTIE 1 ACHARD DE SAINT-VICTOR ET SON DE UNITATE

Introduction 22

I Achard et ses œuvres 23 I1 Biographie drsquoAchard et lrsquoabbaye de Saint-Victor 23

I2 Les œuvres drsquoAchard de Saint-Victor 26

I21 Le De discretione animae spiritus et mentis 26

I22 Les Sermons 30

II Le manuscrit de Padoue 34 II1 Description du manuscrit 34

II11 I 19-20 le deacutecoupage en chapitres 36

II2 Lrsquoeacutedition de Martineau une eacutevaluation 37

II21 La veritas et lrsquounitas 38

II22 Hochaechic en II 2-3 45

II23 Le deacutecoupage des phrases en I 30 48

418

III Examen deacutetailleacute du De unitate 50 III1 A la recherche du De unitate 50

III11 Lrsquohistoire de la redeacutecouverte 50

III12 Le titre 51

III13 Le plan 52

III2 Analyse stylistique lexicale et doctrinale du De unitate 55

III21 Partie 1 La doctrine trinitaire drsquoAchard (I 1-36) 56

III211 I 2-11 ndash ce qui rend possible la pluraliteacute en Dieu 56

III212 I 13-16 ndash justification de la pluraliteacute en Dieu 62

III213 I 17-22 ndash justification du nombre des personnes 68

III214 I 23-36 ndash justification des noms de la Triniteacute et des personnes 70

III22 Partie 2 Doctrine des raisons eacuteternelles (I 37-II 21) 78

III221 I 37-42 ndash doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles 78

III222 I 43-I 50 ndash formes eacuteternelles et les choses creacuteeacutees 81

III223 II 1-4 ndash forme premiegravere 88

III224 II 5-11 ndash varieacuteteacute des formes 95

III225 II 12-15 ndash formes en tant qursquoideacutees 99

III226 II 16-18 ndash doctrine des raisons causales 102

III227 II 19-21 ndash derniers chapitres 105

Conclusion 108

Le plan du De unitate 108

Le scheacutema platonicien et les grands sujets du De unitate 111

IV Historique des recherches sur le De unitate 114

IV1 Andreacute Combes 115

IV2 Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny 117

IV3 Jean Chacirctillon 117

IV4 Emmanuel Martineau 119

IV5 Mohammad Ilkhani 121

IV6 Dominique Poirel 124

IV7 David Albertson 125

IV8 Colloque agrave Caen 125

Conclusion 128

419

PARTIE 2 LES VOIES DE LA MULTIPLICATION EN DIEU

Introduction 130

V Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu 131

V1 Les sources de la doctrine de lrsquouniteacute du De unitate 131

V11 Augustin en tant que source du discours trinitaire du XIIe siegravecle 131

V12 Lrsquouniteacute et la participation chez Augustin 134

V13 La preacutedication logique selon Aristote et Boegravece 135

V14 La preacutedication logique en Dieu chez Augustin 136

V15 La participation chez Erigegravene 139

V2 Lrsquouniteacute et la pluraliteacute chez Hugues et Richard de Saint-Victor 141

V3 Unitas-Pluralitas-Aequalitas et la deacutefinition logique de la Triniteacute drsquoAchard 145

V31 La meacutetaphysique de lrsquouniteacute 146

V311 Comment la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute 146

V312 Unitas-Pluralitas-Multitudo et la pluraliteacute dans les creacuteatures 149

V32 Lrsquoapplication de la logique agrave la Triniteacute dans le De unitate 153

V321 Aequalitas exprimeacutee agrave travers la seacutemantique de la logique

moderne 153

V322 Similitudo 158

V323 Participatio 162

VI Les personnes de la Triniteacute 171

VI1 La fonction des personnes de la Triniteacute selon la penseacutee tardo-antique 171

VI11 Le rocircle des personnes dans la Triniteacute 172

VI12 Le rocircle des personnes dans le monde 174

VI2 La procession et la Triniteacute chez les victorins 177

VI21 Le mouvement inteacuterieur de la Triniteacute 178

VI211 Hugues de Saint-Victor 178

VI212 Richard de Saint-Victor 180

VI2121 La pluraliteacute des personnes 180

420

VI2122 La procession et les noms des personnes 182

VI22 Le mouvement exteacuterieur de la Triniteacute 185

VI3 La Triniteacute et les personnes dans le De unitate 188

VI31 La distinction des personnes 188

VI32 Les justifications du nombre des personnes 189

VI33 Lrsquoimpossibiliteacute de la quatriegraveme personne 190

VI34 Les noms de la Triniteacute et des personnes 194

VI35 La Triniteacute dans la deuxiegraveme partie du De unitate 195

VII La pluraliteacute des raisons dans le Verbe 200

VII1 Lrsquohistoire de la notion de ratio 200

VII11 Le Verbe heacuteritier du Logos 201

VII111 Les sources du prologue agrave lrsquoEvangile selon saint Jean 201

VII112 Le Verbe incarneacute chez Augustin et Erigegravene 203

VII12 Les raisons 206

VII121 La raison en tant que cause 206

VII122 Les trois sortes de raisons 210

VII2 Le Verbe et les causes dans lrsquoeacutecole de Saint-Victor 214

VII21 Le Verbe de Dieu 214

VII22 Les causes primordiales 216

VII23 Les attributs de Dieu 217

VII3 Le Verbe et les raisons dans le De unitate 220

VII31 Le Verbe incarneacute 221

VII311 Les raisons multiples dans le Verbe 221

VII312 Lrsquoincarnation et la doctrine des formes 225

VII32 La multipliciteacute des raisons 227

VII321 Les trois sortes de raisons eacuteternelles 228

VII322 Les raisons et les attributs de Dieu 231

VII323 Les raisons causales 235

Conclusion 244

421

PARTIE 3 LA MULTIPLICATION DANS LES CREacuteATURES

Introduction 247

VIII La forme 249

VIII1 La notion de forma dans la philosophie tardo-antique latine 249

VIII11 La deacutefinition de la forme 250

VIII12 La hieacuterarchie des formes 255

VIII13 La varieacuteteacute des formes 262

VIII131 Les uniteacutes intelligibles eacuteternelles chez Augustin 262

VIII132 Les nombres dans la philosophie tardo-antique 263

VIII133 Les universaux 265

VIII2 La forme chez Hugues de Saint-Victor 269

VIII21 Deacutefinition de la forme 269

VIII22 La sagesse de Dieu 272

VIII3 Forma dans le De unitate 273

VIII31 Qursquoest-ce que la forme 274

VIII32 La hieacuterarchie des formes 277

VIII33 La varieacuteteacute des formes 282

VIII34 Forma dans le chapitre II 21 288

IX Intellectus (in intellectuin actu) 294

IX1 Lrsquoorigine de la doctrine du De unitate 294

IX11 Lrsquoorigine de la distinction in intellectuin actu 294

IX12 La multiplication des ecirctres agrave partir drsquoune source unique 298

IX13 Est-ce que les ecirctres intelligibles et sensibles sont identiques 301

IX131 Lrsquoidentiteacute quantitative 303

IX1311 La multiplication 303

IX1312 Lrsquoexemplarisme radical 304

IX132 Lrsquoidentiteacute qualitative 305

IX2 Les niveaux des ecirctres chez les victorins 308

422

IX21 Les eacutetats des ecirctres 308

IX22 La creacuteation du monde 311

IX23 Lrsquoimmutabiliteacute de la connaissance divine 312

IX24 Lrsquouniteacute des Dieu et la distinction des creacuteatures 315

IX3 Intellectus (in intellectuin actu) dans le De unitate 317

IX31 Le deux niveau (in intellectuin actu) 317

IX32 In intellectuin actu et la forme premiegravere 322

IX33 Lrsquoidentiteacute des ecirctres in intellectu et in actu 325

IX34 Intellectus comme notion indeacutependante 331

IX341 Intellectus en tant que la faculteacute de lrsquoesprit 331

IX342 Intellectus en tant que la chose conccedilue 332

X Le monde sensible 337

X1 La structure des ecirctres et le problegraveme de lrsquoidentiteacute dans le monde sensible chez les

penseurs tardo-antiques et meacutedieacutevaux 337

X11 Apuleacutee 340

X12 Calcidius 342

X13 Augustin 346

X14 Boegravece 348

X15 Erigegravene 351

X16 Abeacutelard 355

X2 Le monde sensible dans lrsquoeacutecole de Saint-Victore 358

X21 Les eacuteleacutements du monde selon Hugues 358

X211 Essentia 360

X212 Materia 363

X22 Les ecirctres individuels dans la penseacutee des victorins 364

X221 Hoc aliquid 364

X221 Substance et substantialiteacute 365

X23 Lrsquoidentiteacute drsquoune chose 366

X3 Monde sensible dans le De unitate 368

X31 De quoi est composeacute un ecirctre sensible 369

423

X311 I 43-44 369

X312 Essentia et essentialiter 371

X313 Substantia 373

X314 Res 377

X315 Materia 378

X316 Corpus 379

X317 Reacutecapitulation 381

X32 Quel est le principe drsquoidentiteacute de lrsquouniteacute creacuteeacutee 382

Conclusion 389

Conclusions geacuteneacuterales 392

Achard le platonicien 396

Achard le victorin 399

Bibliographie 403

Tables des matieres 417

424

Reacutesumeacute [en franccedilais 1700 caractegraveres maximum espaces compris]

La thegravese porte sur la faccedilon dont le De unitate et pluralitate creaturarum drsquoAchard de Saint-

Victor recourt aux doctrines meacutedio et neacuteoplatoniciennes pour reacutesoudre la question drsquoune

coexistence de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute en Dieu et dans les creacuteatures Lrsquoenjeu est ainsi de mieux

comprendre la place de la meacutetaphysique platonicienne dans lrsquoeacutecole de Saint-Victor et ce malgreacute la

rareteacute des sources au XIIe siegravecle œuvres de Platon ou de ses disciples grecs

La premiegravere partie introduit drsquoabord agrave la philosophie drsquoAchard et aux problegravemes

paleacuteographiques et philologiques que soulegraveve le manuscrit unique du De unitate puis elle

deacuteconstruit cet ouvrage en ceux de ses eacuteleacutements (questions doctrines notions) qursquoil emprunte au

meacutedio et au neacuteoplatonisme

Les deux autres parties examinent comment pour Achard une pluraliteacute est possible en Dieu

(pluraliteacute de personnes de raisons dans le Verbe) et dans le monde (en tant qursquoil est connu par Dieu

par les formes-prototypes) Chaque partie examine comment les principaux penseurs tardo-antiques

et alto-meacutedieacutevaux (Apuleacutee Augustin Calcidius Boegravece Erigegravene) et les auteurs victorins Hugues et

Richard de Saint-Victor ont repris les eacuteleacutements platoniciens eacutetudieacutes dans la premiegravere partie Ensuite

est proposeacutee une reconstruction de la reacuteponse drsquoAchard

La thegravese contribue agrave reacutesoudre deux problegravemes de lrsquohistoire de la philosophie quels

eacuteleacutements et sources platoniciens ont eacuteteacute reccedilus au XIIe siegravecle et quelle place la penseacutee victorine fait-

elle agrave lrsquoheacuteritage platonicien Les problegravemes philosophiques souleveacutes sont la multiplication des

objets intelligibles et sensibles la deacutefinition de la chose et lrsquoidentiteacute des ecirctres

Mots-cleacutes [en franccedilais]

Achard de Saint-Victor Hugues de Saint-Victor et Richard de Saint-Victor meacutedioplatonisme

neacuteoplatonisme forme raison Verbe ideacutee idos in intellectu in actu chose identiteacute Triniteacute

personne uniteacute pluraliteacute meacutetaphysique theacuteologie trinitaire

Page 2: Un platonisme original au XIIe siècle: métaphysique

Mention laquo Religions et systegravemes de penseacutee raquo

Eacutecole doctorale de lrsquoEacutecole Pratique des Hautes Eacutetudes

Institut de recherche et dhistoire des textes (CNRS) UPR 841

et

Ecole doctorale de lrsquoUniversiteacute Nationale laquo Acadeacutemie Mohyla de Kyiumlv raquo

Un platonisme original au XIIe siegravecle

Meacutetaphysique pluraliste et theacuteologie trinitaire dans le De unitate

drsquoAchard de Saint-Victor

Par Iryna Lystopad

Thegravese de doctorat de Philosophie

Sous la direction de M Dominique Poirel directeur drsquoeacutetudes EPHE et de M Andriy Vasylchenko chargeacute de recherches agrave lrsquoIP ANSU

Soutenue le 17 deacutecembre 2016

Devant un jury composeacute de Julie Brumberg-Chaumont chargeacutee de recherche au LEM CNRS Irene Caiazzo directrice de recherche au LEM CNRS Ceacutedric Giraud maicirctre de confeacuterences agrave lrsquoUniversiteacute de Lorraine Christophe Grellard directeur deacutetude agrave lEPHE Dominique Poirel directeur de recherches au CNRS (IRHT) Andriy Vasylchenko directeur de recherches agrave lrsquoInstitut de Philosophie de lrsquoAcademie Nationale des Sciences drsquoUkraine

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A ma famille

2

REMERCIEMENTS

Cette thegravese correspond agrave sept ans de travail pendant lesquels jrsquoai grandi jrsquoai subi plusieurs

eacutepreuves et surmonteacute plusieurs deacutefis le deacutemeacutenagement en France (les deacutemarches administratives

la barriegravere de la langue et la solitude) les eacuteveacutenements en Ukraine (la reacutevolution et la guerre) Tout

cela na pas pour autant affaibli mon envie de minvestir dans la recherche

Je deacutesire remercier avant tout mes directeurs de thegraveses M ANDRIY VASYLCHENKO et M

DOMINIQUE POIREL Je connais M VASYLCHENKO depuis treize ans Crsquoest lui qui mrsquoa soutenue il y

a dix ans dans mon envie drsquoeacutetudier la logique meacutedieacutevale Surtout il mrsquoa montreacute un exemple de

deacutevotion pour la recherche M POIREL a joueacute un rocircle deacutecisif dans la naissance de cette thegravese

Connaissant mon niveau modeste en langue franccedilaise il a pourtant accepteacute drsquoecirctre mon directeur de

thegravese Il a guideacute mon travail degraves la premiegravere lecture commune du De unitate jusqursquoagrave la reacutedaction

finale Et surtout il fut preacutesent et sut faire preuve de patience durant mes travaux preacuteliminaires ma

remise agrave niveau linguistique et la finalisation de mon projet de thegravese

Je tiens agrave remercier eacutegalement JULIE BRUMBERG qui a toujours eacuteteacute attentive agrave la qualiteacute de

ma thegravese et qui ma prodigueacute de nombreux conseils mais aussi agrave IREgraveNE CAIAZZO qui mrsquoa aiguilleacutee

au moment crucial du choix des sources et qui eacutetait en tecircte du comiteacute de suivi de thegravese Mes

remerciements vont eacutegalement agrave M CEacuteDRIC GIRAUD et M CHRISTOPHE GRELLARD pour avoir

accepteacute de participer agrave ce jury de thegravese et pour leurs travaux marquants sur la penseacutee du XIIe siegravecle

Ce travail nrsquoaurait pas eacuteteacute possible sans le soutien financier et administratif du CROUS et du

JOHN TEMPLETON FOUNDATION La bibliothegraveque de lrsquoENS la bibliothegraveque du SAULCHOIR et la

Bibliothegraveque interuniversitaire de la SORBONNE ont eacuteteacute les lieux ougrave jrsquoai pu travailler en paix

Je profite de cette occasion pour remercier mes parents ndash NATALIIA et VOLODYMYR

LYSTOPAD ndash qui eacutetant eux-mecircmes enseignants-chercheurs en matheacutematiques ont accepteacute mon

choix et mrsquoont soutenue tant financiegraverement que moralement dans mon parcours et ma grand-megravere

GALYNA KUTSENTKO qui a toujours eu une grande confiance en moi Je ne veux pas oublier mes

amis qui mrsquoont encourageacutee et qui ont contribueacute agrave la relecture de cette thegravese en particulier SIMON

ERTEL qui en a relu la plus grande partie Je veux remercier eacutegalement mes amis de lrsquoassociation

STUDIUM qui ont creacuteeacute une ambiance amicale dans la communauteacute des meacutedieacutevistes franccedilais et mes

amis de lrsquoassociation UKRAINE ACTION qui mrsquoont permis de me sentir utile agrave mon pays dans cette

peacuteriode difficile

3

ABREVIATIONS

BA Bibliothegraveque Augustinienne

CCCM Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis

CCSL Corpus Christianorum Series Latina

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INTRODUCTION GENERALE

Vous chercheriez en vain la figure drsquoAchard de Saint-Victor parmi les philosophes les plus

connus de lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale Ses œuvres speacuteculatives ont eacuteteacute eacutediteacutees tardivement et nrsquoont pas

encore eacuteteacute tregraves eacutetudieacutees par les philosophes Pour les chercheurs anteacuterieurs au milieu du XXe siegravecle

Achard nrsquoeacutetait qursquoun eacutevecircque et un preacutedicateur ndash auteur reconnu des Sermons et auteur probable du

De discretione animae spiritus et mentis En fait crsquoest gracircce agrave Jean Chacirctillon que sa doctrine

meacutetaphysique est sortie de lrsquoombre Neacuteanmoins nous ne voulons pas traiter Achard comme un

philosophe de second ordre car nous trouvons que le classement des doctrines surtout quand il

srsquoagit de la philosophie meacutedieacutevale reste souvent assez conventionnel et deacutependant du hasard Au

contraire ce que nous voulons faire crsquoest reacutetablir les thegraveses principales exposeacutees par Achard dans

son livre De unitate et pluralitate creaturarum pour montrer que les capaciteacutes meacutetaphysiques de ce

penseur ne le cegravedent pas aux philosophes plus connus de son eacutepoque comme Abeacutelard ou Gilbert de

Poitiers

Le but de cette thegravese est de revenir sur le De unitate drsquoAchard pour en comprendre la

signification Le sujet du De unitate (lrsquouniteacute et la pluraliteacute) creacutee une image drsquoAchard comme rejeton

drsquoune tradition platonicienne A la fois successivement chanoine de Saint-Victor maicirctre de Saint-

Victor et abbeacute de Saint-Victor Achard appartient de toute eacutevidence agrave la mecircme eacutecole que ses

confregraveres plus connus les victorins Hugues Richard Andreacute Godefroid et Gautier Jusqursquoici cette

donneacutee historique manifeste a eacuteteacute quelque peu neacutegligeacutee dans les eacutetudes De cette faccedilon Achard est

un meacutetaphysicien souvent qualifieacute de platonicien qui appartient agrave lrsquoeacutecole de Saint-Victor

Lrsquoeacutecole de Saint-Victor et la philosophie

Pour comprendre la maniegravere dont se pose agrave Saint-Victor la question drsquoune philosophie et en

particulier drsquoune philosophie (neacuteo)platonicienne il faut commencer par remonter aux origines de la

penseacutee chreacutetienne

La doctrine chreacutetienne entre dans un champ intellectuel formeacute par la philosophie paiumlenne Le

christianisme commence agrave dominer et les penseurs transforment la philosophie pour qursquoelle

corresponde agrave leurs besoins Pourtant certaines doctrines du christianisme contredisent des thegraveses

des philosophes antiques (comme par exemple la creacuteation du monde ex nihilo vs lrsquoeacuteterniteacute du

monde) Les penseurs chreacutetiens critiquent ces thegraveses et les auteurs paiumlens mais ils ne rejettent pas la

philosophie comme discipline Par exemple Augustin accepte une vision platonicienne de la

philosophie comme vie contemplative et discipline de lrsquoesprit mais il place Dieu au centre de cette

5

vie1 Il deacuteveloppe la philosophie chreacutetienne mais il critique les philosophes paiumlens (De ordine I II

32)

La discipline de lrsquoesprit exige une eacuteducation conforme agrave ce qui megravene au deacuteveloppement du

trivium et du quadrivium comme sciences destineacutees agrave preacuteparer le sage chreacutetien agrave la compreacutehension

de lrsquoEcriture sainte En mecircme temps les philosophes demandent si les outils logiques peuvent ecirctre

utiliseacutes pour parler de Dieu Augustin Boegravece Erigegravene et Anselme deacuteveloppent la doctrine de

lrsquoapplication de la logique pour deacutecrire la reacutealiteacute divine et en particulier la Triniteacute Avec le temps

la logique et la discipline du trivium qui lui correspond ndash la dialectique ndash commencent agrave ecirctre vues

dans le milieu intellectuel comme les outils de la raison naturelle qui sont le moyen de comprendre

Dieu Lrsquoune des questions principales de la philosophie chreacutetienne du XIe siegravecle est de deacutefinir le

rocircle de ces outils face agrave lrsquoautoriteacute de lrsquoEcriture sainte Lrsquoactiviteacute intellectuelle des penseurs chreacutetiens

produit deux maniegraveres de raisonner qui srsquoopposent deacutejagrave au XIe siegravecle

- celle fondeacutee sur lrsquoautoriteacute

- celle fondeacutee sur lrsquoexamen naturel2

La notion de theacuteologie existait dans lrsquoAntiquiteacute Chez Platon le mot theologia deacutesigne la

mythologie chez Aristote la science divine chez Varron le discours rationnel sur le divin Mais

cette notion nrsquoa pas eacuteteacute reprise par Augustin qui influence en grande partie les penseurs du haut

Moyen Age La notion de partie theacuteologique de la philosophie apparaicirct chez Boegravece (De Trinitate)3

Agrave partir du Xe siegravecle les moines deacutesignent souvent leur activiteacute comme laquo vraie

philosophie raquo4 Il srsquoagit drsquoune vie consacreacutee agrave apprendre la doctrine chreacutetienne De maniegravere plus

geacuteneacuterale avant le XIIe siegravecle le mot theologia nrsquoeacutetait pas reacutepandu dans le milieu monastique

Lrsquoeacutetude de Dieu eacutetait le plus souvent deacutesigneacutee par le sacrum studium la sacra eruditio ou la sacra

doctrina5 Les rares lecteurs du pseudo-Denys entendaient par theologia le discours de Dieu ndash la

Bible elle-mecircme6

La renaissance du XIIe siegravecle se caracteacuterise eacutegalement par la reacuteception de lrsquoheacuteritage de la

philosophie ancienne7 Le problegraveme drsquoune conciliation entre les doctrines chreacutetienne et paiumlenne

1 Voir agrave ce propos SOLERE J-L laquo La philosophie des theacuteologiens raquo La servante et la consolatrice la philosophie dans ces rapports avec la theacuteologie au Moyen Age eacuted J-L SOLERE et Z KALUZA Paris p 21-22 O BOULNOIS laquo Introduction au volume II lrsquoentretien infini raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 13-14 2 Voir B GOEBEL laquo Autoriteacutes sacreacutees ou raisons dialectiques La querelle sur la meacutethode dans la theacuteologie du XIe siegravecle raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 105-113 3O BOULNOIS laquo Introduction au volume II lrsquoentretien infini raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 10-11 4 LECLERCQ J Etudes sur le vocabulaire monastique du moyen acircge Rome 1961 p 54-58 5 EVANS G R Old arts and new theology the beginnings of theology as an academic discipline Oxford 1980 p 29 6 POIREL D laquo Pierre Abeacutelard Hugues de Saint-Victor et la naissance de la theacuteologie raquo dans Perspectives meacutedieacutevales 31 2007 p 47-48 7Cf M-D CHENU La Theacuteologie au Douziegraveme Siegravecle ch V laquo Les platonismes du XII siegravecle raquo Paris 1957 p 108-141 S GERSH laquo Platonism-Neoplatonism- Aristotelianism A twelfth Century Metaphysical System and its Sources raquo dans Renaissance and Renewal in the twelfth Century Oxford 1982 p 512-534 M LEMOINE Theacuteologie et Platonisme au

6

revient agrave travers le conflit entre la theacuteologie monastique8 (eacutelaboreacutee dans les eacutecoles monastiques

dans le prolongement de la penseacutee des Pegraveres sapientielle non speacuteculative narrative alleacutegorique) et

scolastique (eacutelaboreacutee dans les eacutecoles urbaines systeacutematique speacuteculative dialectique)9 Un exemple

marquant de la relation entre ces deux courants est le conflit entre Bernard de Clairvaux le spirituel

et Abeacutelard le dialecticien10

La theacuteologie monastique se forme au sein des eacutecoles monastiques Elle est drsquoapregraves Jean

Leclercq laquo lrsquoauthentique continuation de la theacuteologie des Pegraveres elle est porteuse de toute la

tradition anteacuterieure et de toute la segraveve de la penseacutee patristique11 raquo Cette theacuteologie eacutetait destineacutee agrave

stimuler lrsquoexpeacuterience de la foi12 Jean Leclercq insiste sur la reconnaissance de la theacuteologie

monastique comme un courant important de penseacutee du XIIe siegravecle13 Il admet eacutegalement que les

repreacutesentants de ce courant se sont appeleacutes souvent laquo vrais philosophes raquo Ils suivaient la tradition

augustinienne de consideacuterer la vie asceacutetique et monastique comme veacuteritable laquo philosophie

chreacutetienne raquo14 Le mot theologia eacutetait plus rare dans leur usage Elle deacutesignait laquo la contemplation et

lrsquoexpression admirative enthousiaste que celle-ci reccediloit dans la priegravere15 raquo

La theacuteologie scolaire ou preacutescolastique se deacuteveloppe dans les eacutecoles urbaines16 comme

celles drsquoAbeacutelard ou drsquoAnselme de Laon destineacutees agrave former des laquo clercs raquo au double sens de ce

mot eccleacutesiastiques et savants Dans le prolongement des Opuscules theacuteologiques de Boegravece les

repreacutesentants de ces eacutecoles ont entrepris lrsquointerpreacutetation rationnelle de la foi par le moyen de la

dialectique et de la systeacutematisation de la theacuteologie17 Ils nrsquoheacutesitaient pas non plus agrave incorporer les

XIIe siegravecle Paris 1998 J MARENBON laquo Twelfth-Century Platonism Old Paths and New Directionsraquo dans Aristotelian Logic Platonism and the Context of Early Medieval Philosophy in the West Burlington 2000 XV p 1-21 8 Le terme a eacuteteacute introduit par Jean Leclercq en 1953 dans son article laquo Saint Bernard et la theacuteologie monastique Du XIIe siegravecleraquo dans Saint Bernard theacuteologien actes du Congregraves de Dijon 15-19 septembre 1953 Rome 1953 p 7-23 et deacuteveloppeacute dans son livre Lamour des lettres et le deacutesir de Dieu initiation aux auteurs monastiques du Moyen acircge Paris 1957 Ambrogio Piazzoni dit que ce terme sert plutocirct agrave valoriser lrsquoheacuteritage de la laquo peacuteriode obscure raquo entre Boegravece et Thomas drsquoAquin quand la theacuteologie speacuteculative nrsquoeacutetait pas encore deacuteveloppeacutee Il a eacuteteacute creacuteeacute suite agrave la sureacutevaluation de lrsquoheacuteritage scolastique du Moyen Age tardive A M PIAZZONI laquo Monaci teologi raquo dans Storia della Teologia nel Medioevo ed J drsquoONOFRIO t II La grande fioritura Casale Monferrato 1996 p121 9 Voir J LECLERCQ F VANDENBROUCKE L BOUYER La spiritualiteacute du Moyen Age Paris 1961 partie 2 chapitre 1 laquo Les milieux scolaires du XIIe siegravecle raquo p 275-282 CH LOHR laquo Theacuteologie meacutedieacutevale raquo dans Nouveau dictionnaire de theacuteologie eacuted P EICHER Paris 1996 p 974-978 A M PIAZZONI laquo Monaci teologi raquo dans Storia della Teologia nel Medioevo ed J drsquoONOFRIO t II La grande fioritura Casale Monferrato 1996 p 119-123 10Cf Jacques VERGER et Jean JOLIVET Bernard-Abeacutelard ou le cloicirctre et lrsquoeacutecole Paris 1982 P ZEBRI laquo lsquoTeologia monasticarsquo et lsquoteologia scolasticarsquo Letture riletture riflessioni sul contrasto tra san Bernardo di Chiaravalle e Abelardo raquo dans Medioevo e latinitagrave in memoria di Ezio Franceschini Milano 1993 p 479-494 11 J LECLERCQ Chances de la spiritualiteacute occidentale Paris 1966 p 200 12 A M PIAZZONI laquo Monaci teologi raquo dans Storia della Teologia nel Medioevo ed J drsquoONOFRIO t II La grande fioritura Casale Monferrato 1996 p 122 13 Voir J LECLERCQ Lamour des lettres et le deacutesir de Dieu initiation aux auteurs monastiques du Moyen acircge Paris 1957 chapitre IX laquo La theacuteologie monastique raquo 14 O BOULNOIS laquo Introduction au volume II lrsquoentretien infini raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 14 P NOUZILLE laquo Theacuteologie monastique contre dialectique raquo ibid p 151 LECLERCQ J Etudes sur le vocabulaire monastique du moyen acircge Rome 1961 p 58-65 15 LECLERCQ J Etudes sur le vocabulaire monastique du moyen acircge Rome 1961 p 72 16 J LECLERCQ Teacutemoins de la spiritualiteacute occidentale Paris 1965 p 289-290 17 J LECLERCQ laquo The Renewal of Theology raquo dans Renaissance and Renewal in the twelfth Century ed RL BENSON

7

doctrines des penseurs preacutechreacutetiens et surtout platoniciens dans leurs œuvres Vers la fin du XIIe ndash

deacutebut du XIIIe siegravecle ces eacutecoles se sont reacuteunies en une corporation qui est devenue lrsquouniversiteacute

parisienne Abeacutelard est aussi consideacutereacute comme responsable de la creacuteation de la notion

contemporaine de la theacuteologie comme la laquo science raquo de Dieu18

Au XIIe siegravecle tel qursquoil se preacutesente dans les recherches contemporaines il srsquoagit de

lrsquoopposition des penseurs claustraux et laquo seacuteculiers raquo Leurs deacutesaccords sont tant sur la meacutethode

(lrsquoexpeacuterience personnelle de la foi contre lrsquoeacutetude scientifique) que sur lrsquoobjectif (laquo enflammer le

cœur raquo et laquo nous faire participer agrave leur propre expeacuterience raquo19 contre construire la foi en tant que

systegraveme agrave partir des donneacutees incontestables) Crsquoest lagrave le conflit des laquo philosophes chreacutetiens raquo et de

la future theacuteologie systeacutematique Il est plus proche de lrsquoopposition entre lrsquoautoriteacute (car les vraies

philosophes eacutetaient le Christ Moiumlse et David20) et la raison (la dialectique) que de lrsquoopposition

contemporaine de la theacuteologie et de la philosophie

Il existe eacutegalement une troisiegraveme figure dans le paysage du XIIe siegravecle les chanoines

reacuteguliers Drsquoapregraves Jean Leclercq ils megravenent la vie des moines et srsquooccupent davantage de la cura

animarum21 Il constate aussi que la diffeacuterence entre les moines et les chanoines reacuteguliers nrsquoest pas

si frappante ndash leur but commun est lrsquoamour de Dieu ils megravenent la vie claustrale En mecircme temps

les chanoines reacuteguliers cherchent agrave retourner aux ideacuteaux de lrsquoeacuteglise primitive pour cultiver une vie

commune pauvre et apostolique avec un accent sur la preacutedication22 Caroline Bynum souligne que

les chanoines reacuteguliers se distinguent des moines en ce qursquoils pratiquent agrave la fois la contemplation et

lrsquoaction apostolique (preacutedication sacrements) et que pour eux la vie en communauteacute nrsquoest pas

seulement une neacutecessiteacute pratique mais aussi lrsquooccasion de vivre la chariteacute selon la Regravegle de saint

Augustin23

Saint-Victor est une abbaye de chanoines reacuteguliers suivant la regravegle de saint Augustin ce qui

permet de dire qursquoelle emprunte une laquo voie moyenne raquo entre les moines et les clercs24

G CONSTABLE CD LANHAM Oxford 1982 p 68-87 F DEL PUNTA C LUNA laquo La teologia scolastica raquo dans Lo spazio letterario del Medioevo Il medioevo latino vol I La produzione del testo t II dir G CAVALLO E MENESTO Romo 1993 p 330-332 La formation de la theacuteologie en tant que science ont eacuteteacute deacutecrite Gillian Evans dans Old arts and new theology the beginnings of theology as an academic discipline Oxford 1980 18 O BOULNOIS laquo Introduction au volume II lrsquoentretien infini raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 15 G DAHAN laquo Exeacutegegravese et theacuteologie raquo ibid p 76 19 J LECLERCQ laquo Saint Bernard et la theacuteologie monastique Du XIIe siegravecle raquo dans Saint Bernard theacuteologien actes du Congregraves de Dijon 15-19 septembre 1953 Rome 1953 p 15 20 LECLERCQ J Etudes sur le vocabulaire monastique du moyen acircge Rome 1961 p 59-60 21 J LECLERCQ Teacutemoins de la spiritualiteacute occidentale Paris 1965 p 216-217 Sur la diffeacuterence entre les eacutecoles urbaines voir eacutegalement F DEL PUNTA C LUNA laquo La teologia scolastica raquo dans Lo spazio letterario del Medioevo Il medioevo latino vol I La produzione del testo t II dir G CAVALLO E MENESTO Romo 1993 p 329-331 22 CHATILLON J Le mouvement canonial au Moyen acircge reacuteforme de lrsquoEacuteglise spiritualiteacute et culture eacutetudes reunies par P SICARD Paris-Turnhout 1992 (Bibliotheca victorina 3) p 44-45 et 66 23 Cf BYNUM CW Jesus as mother studies in the spirituality of the High Middle Ages Berkeley-Los Angeles-London 1982 24 J CHATILLON laquo Lrsquoeacutecole de Saint-Victor raquo dans Communio t 6 n 5 1981 p 63 M LEMOINE laquo Les notion de ldquophilosopherdquo et ldquophilosophierdquo dans lrsquoeacutecole de Saint-Victor raquo dans Langage sciences philosophie au XIIe siegravecle eacuted J

8

Lrsquoenseignement au sein de son eacutecole combine la dispute et la meacuteditation lrsquoardeur et lrsquohumiliteacute25

Crsquoest probablement la raison pour laquelle certains chercheurs opposent la penseacutee des victorins au

reste de la scolastique naissante26 mais certains la mettent agrave son avant-garde27

Hugues de Saint-Victor est connu notamment comme un maicirctre qui a ordonneacute et

systeacutematiseacute les savoirs pour des besoins peacutedagogiques (le Didascalicon) et qui a inspireacute une pleacuteiade

drsquoautres penseurs victorins28 Drsquoapregraves Patrick Healy29 cette systeacutematisation servait agrave preacuteparer le

disciple agrave la contemplation et agrave exprimer lrsquoexpeacuterience spirituelle Dans le Didascalicon I IV-V la

philosophie est expliqueacutee comme un recueil des savoirs humains et divins30 Dominique Poirel

caracteacuterise le rocircle de la theacuteologie chez Hugues comme laquo la partie de la philosophie son sommet et

son deacutepassement31 raquo Hugues reconnaicirct la valeur de la theacuteologie ancienne et de la sagesse

mondaine (sagesse naturelle des Anciens) mais il met au sommet des savoirs la sagesse divine

expliqueacutee agrave travers laquo une penseacutee christocentrique et biblique raquo32

Il existe ainsi une tendance agrave preacutesenter les victorins en tant que maicirctres de la scolastique

naissante qui se concentraient neacuteanmoins sur les moyens de se preacuteparer agrave la contemplation de la

diviniteacute Il semble que la philosophie soit toujours auxiliaire dans leur doctrine Pourtant avec

Achard de Saint-Victor on a affaire agrave un penseur original et drsquoenvergure comparable agrave Thierry de

Chartres et agrave Gilbert de Poitiers qui fut fascineacute par la question de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute au point

que sa reacuteflexion sur ce sujet finit par prendre son indeacutependance par rapport agrave la question

BIARD Paris 1999 p 19 D POIREL laquo Scholastic Reasons Monastic Mediations and Victorine Conciliations The Question of the Unity and Plurality of God in the 12th Century raquo dans The Oxford Handbook of Trinity eacuted G EMERY OP M LEVERING Oxford 2011 p 168 D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p461 25 POIREL D laquo lsquoApprends toutrsquo Saint-Victor et le milieu des victorins agrave Paris 1108-1330 raquo dans Lieux de savoir 1 Espaces et communauteacutes eacuted C JACOB Paris 2007 p 318 26 Par exemple Franccedilois Vandenbrouck oppose les conceptions christologiques eccleacutesiales et sacramentaires drsquoHugues agrave la meacutetaphysique agrave lrsquoanthropologie agrave la psychologie et agrave la morale des eacutecoles et des universiteacutes dans J LECLERCQ F VANDENBROUCKE L BOUYER La spiritualiteacute du Moyen Age Paris 1961 p 285 Dom Guy Oury valorise aussi lrsquoheacuteritage spirituel des victorins Cf lrsquoarticle laquo Spiritualiteacute et mystique raquo dans Dictionnaire des lettres franccedilaises t1 Le Moyen Age eacuted R BOSSUAT L PICHARD et G R DE LAGE Paris 1964 p 1409 Voir aussi le chapitre laquo The Victorine Ordering of Mysticism raquo dans B MCGINN The growth of mysticism New York 1999 p 363-418 27 Charles Lohr trouve que laquo Par son Didascalicon Hugues de Saint-Victor a permis non seulement de transfeacuterer agrave la theacuteologie la terminologie philosophique mais aussi drsquoeacutelaborer une veacuteritable doctrine scientifique raquo LOHR CH laquo Theacuteologie meacutedieacutevale raquo dans Nouveau dictionnaire de theacuteologie eacuted P EICHER Paris 1996 p 977 Marie-Dominique Chenu trouve que laquo la raison theacuteologique demeure communicable comme telle raquo mecircme chez Richar de Saint-Victor M-D CHENU La Theacuteologie au Douziegraveme Siegravecle Paris 1957 p 345 28 Voir D POIREL Hugues de Saint-Victor Paris 1998 p 134 29 P J HEALY laquo The Mysticism of the School of Saint Victor raquo dans Church History Vol 1 N 4 1932 p 213-214 30 laquo Philosophia est disciplina omnium rerum humanarun atque divinarum rationes plene investigans raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Didascalicon de Studio legendi a critical text I IV ed CH H BUTTIMER Washington 1939 p 11 = PL176 744C 31 D POIREL laquo De la lsquofides querens intellectumrsquo agrave la theacuteologie scolastique Hugues de Saint-Victor et Gilbert de la Porreacute raquo dans Philosophie et theacuteologie Anthologie t 2 Philosophie et theacuteologie au Moyen Age eacuted O BOULNOIS et P CAPELLE-DUMONT Paris 2009 p 166 32 POIREL D laquo Pierre Abeacutelard Hugues de Saint-Victor et la naissance de la theacuteologie raquo dans Perspectives meacutedieacutevales 31 2007 p 83

9

theacuteologique de deacutepart qui portait sur la Triniteacute Comment donc lrsquoeacutecole de Saint-Victor a-t-elle pu

produire une œuvre aussi profondeacutement meacutetaphysicienne que le De unitate

Le but de notre thegravese est ainsi de confirmer que lrsquoheacuteritage de lrsquoeacutecole de Saint-Victor et

notamment celui drsquoHugues et de Richard incorpore des eacuteleacutements de la meacutetaphysique platonicienne

Et crsquoest le De unitate drsquoAchard ndash une œuvre qui nrsquoa pas eacuteteacute suffisamment consideacutereacutee dans son cadre

victorin ndash dont lrsquoeacutetude permettra de valoriser la partie meacutetaphysique et platonicienne de lrsquoheacuteritage

de lrsquoeacutecole de Saint-Victor

A la recherche du platonisme

Le nom mecircme de lrsquoœuvre drsquoAchard (le De unitate et pluralitate creaturarum) eacutevoque son

problegraveme principal ndash la conciliation de lrsquoun et du multiple Ce problegraveme est ainsi au cœur de notre

questionnement Il engendre beaucoup drsquointerrogations En reacutealiteacute crsquoest une source ineacutepuisable de

conflits meacutetaphysiques depuis le deacutebut de la penseacutee

Le recours agrave des principes matheacutematiques pythagoriciens de base fait remarquer une relation

de deacutependance entre lrsquoun et le multiple Le postulat pythagoricien mettant lrsquoun agrave lrsquoorigine de tous

les nombres deacutetermine la destineacutee philosophique de ce couple drsquooppositions

Mais quand on srsquoappuie sur lrsquoun et le multiple afin drsquoexpliquer la structure du monde

beaucoup de problegravemes srsquoimposent immeacutediatement La pluraliteacute apparaicirct-elle plus tard que lrsquouniteacute

Et si oui pourquoi doit-elle apparaicirctre Et sinon comment est-il possible que la source de la

pluraliteacute soit deacutejagrave dans lrsquouniteacute Lrsquouniteacute est-elle par conseacutequent exclue de notre vision du monde

Et dans quelle mesure ces deux principes (lrsquouniteacute et la pluraliteacute) sont-ils instancieacutes dans les ecirctres qui

en proviennent Ces questions ont eacuteteacute transmises au XIIe siegravecle avec lrsquoheacuteritage platonicien

En parlant de lrsquoinfluence de Platon au Moyen Age Raymond Klibansky33 distingue la

tradition directe et indirecte de la transmission de ses textes Le seul texte de Platon connu jusqursquoau

milieu du XIIe siegravecle une partie du Timeacutee (17A-53C) traduite par Calcidius repreacutesente la tradition

directe En ce qui concerne la tradition indirecte de la transmission de la doctrine platonicienne les

chercheurs contemporains estiment que la plus grande contribution a eacuteteacute apporteacutee par les penseurs

qui vivaient entre le IIe siegravecle avant J-C et le VIe apregraves J-C La penseacutee de cette eacutepoque est parfois

diviseacutee en deux peacuteriodes meacutedioplatonisme et neacuteoplatonisme34

33 R KLIBANSKY The Continuity of the Platonic Tradition during the Middle Ages Platorsquos Parmenides in the Middle Ages and the Renaissance London 1982 34 Pour observer les points de vue principaux voir S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol I Notre Dame 1986 p 26-50 M ZAMBON Porphyre et le moyen-platonisme Paris 2002 (Histoire des doctrines de lrsquoAntiquiteacute classique 27) p 23-28

10

Il existe un certain scepticisme concernant la deacutefinition du meacutedioplatonisme comme un

courant laquo indeacutependant raquo de penseacutee vu qursquoil est difficile de trouver des caracteacuteristiques qui le

rendraient diffeacuterent du neacuteoplatonisme35 Les doctrines des meacutedioplatoniciens sont assez variables

et pourtant la plupart de leurs eacuteleacutements doctrinaux seront repris plus tard par les neacuteoplatoniciens Il

est difficile drsquoeacutevoquer leurs doctrines comme constituant un courant de penseacutee unique Par exemple

Marco Zambon deacutefinit le meacutedioplatonisme comme laquo lrsquointense travail drsquoune systeacutematisation

dogmatique de la penseacutee platonicienne qui srsquoest opeacutereacute par le biais drsquoune seacuterieuse confrontation non

seulement entre les eacutecoles mais aussi entre les diffeacuterentes images de Platon qui circulaient agrave

lrsquoeacutepoque36 raquo Drsquoapregraves lui ce pluralisme termine avec lrsquoarriveacutee de Plotin

James Dillon dans son livre The Middle Platonists37 eacutetudie ce courant de la penseacutee

platonicienne agrave part Mecircme srsquoil traite chaque auteur seacutepareacutement il trouve que les platoniciens de

cette peacuteriode ont eu des caracteacuteristiques communes le dogmatisme lrsquoacceptation des doctrines

aristoteacuteliciennes et stoiumlciennes lrsquoinfluence du pythagorisme Dillon propose eacutegalement une bregraveve

introduction ougrave sont eacutenumeacutereacutes les eacuteleacutements doctrinaux communs aux meacutedioplatoniciens heacuteriteacutes des

systegravemes philosophiques anteacuterieurs

Stephen Gersh deacutefinit le neacuteoplatonisme comme une philosophie systeacutematique deacuteveloppeacutee agrave

partir de la triade de lrsquoUn de lrsquoIntellect et de lrsquoAme ordonneacutee hieacuterarchiquement38 Des tenants de

lrsquoideacutee que le neacuteoplatonisme est un courant original de la penseacutee diffeacuterent du platonisme en geacuteneacuteral

proposent eacutegalement leurs propres deacutefinitions du neacuteoplatonisme en eacutevoquant ses caracteacuteristiques

principales39

Ainsi comme le dit Stephen Gersh il est toujours discutable de savoir si ces deux courants

ont une veacuteritable distinction doctrinale ou srsquoil srsquoagit simplement de deux peacuteriodes de

deacuteveloppement du platonisme dont la deuxiegraveme commence avec Plotin

Mecircme si Stephen Gersh considegravere la distinction entre le neacuteoplatonisme et le

meacutedioplatonisme comme purement chronologique et non doctrinale dans son livre Middle

Platonism and Neoplatonism il distingue neacuteanmoins le meacutedioplatonisme (du Ier siegravecle avant J-C

jusqursquoau IIIe siegravecle apregraves J-C) du neacuteoplatonisme (agrave partir du IIe siegravecle apregraves J-C) Pour structurer

sa recherche sur la penseacutee platonicienne latine Gersh fait la diffeacuterence entre (i) le meacutedioplatonisme 35 Par exemple Pauliina Remes deacutecrit les points communs du moyen-platonisme et neacuteoplatonisme heacuteriteacutes de la doctrine de Platon P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 3 voir aussi E IVAacuteNKA Plato christianus La reacuteception critique du platonisme chez les Pegraveres de lrsquoEacuteglise Paris 1990 (Theacuteologiques 5) p 85 en eacutetudiant le platonisme de lrsquoeacutecole de Chartres Michel Lemoine classifie toute la tradition indirecte comme le neacuteoplatonisme Voir M LEMOINE Theacuteologie et Platonisme au XIIe siegravecle Paris 1998 p 50-63 36 M ZAMBON Porphyre et le moyen-platonisme Paris 2002 (Histoire des doctrines de lrsquoAntiquiteacute classique 27) p 28 Pour ecirctre plus preacutecis il faut ajouter que Marco Zambon preacutefegravere traiter tous les platoniciens drsquoavant et apregraves Plotin du point de vue de leur originaliteacute et non comme repreacutesentants de tel ou tel courant de penseacutee ibid p 339-340 37 JM DILLON The Middle Platonists 80 DC to AD 220 London 1977 38 Voir S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 114 39 La bibliographie agrave propos de la question si le neacuteoplatonisme est diffegraverent du platonisme cf P MERLAN From Platonism to Neoplatonism The Hague 1953 p 6

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chreacutetien (Tertullien Lactance et Arnobe) (ii) le meacutedioplatonisme paiumlen (Ciceacuteron Seacutenegraveque Gellius

Apuleacutee) (iii) le neacuteoplatonisme chreacutetien (Marius Victorinus Ambroise Augustin) (iv) le

neacuteoplatonisme paiumlen (Macrobe et Martianus Capella)40 Boegravece et Jean Scot Erigegravene peuvent

eacutegalement ecirctre ajouteacutes agrave la liste des auteurs latins influenceacutes par des neacuteoplatoniciens41

Voyons les traits principaux du meacutedioplatonisme et du neacuteoplatonisme dans les œuvres des

penseurs paiumlens et chreacutetiens surtout chez les penseurs connus au XIIe siegravecle Nous pouvons nous

appuyer sur lrsquoideacutee de Stephen Gersh de la transmission des eacuteleacutements doctrinaux de la philosophie

ancienne (grecque) dans la philosophie latine en en tant que philosophegravemes42

Le meacutedioplatonisme

James Dillon deacutecrit les questions principales et les principes du meacutedioplatonisme qui nous

inteacuteressent dans le cadre de cette recherche43

1) La monade et la dyade en tant que premiers principes ont eacuteteacute deacutecrites par Eudore

drsquoAlexandrie et par Plutarque Augustin parle briegravevement de la dualitas (il demande si Dieu peut

ecirctre dualiteacute44)

2) La hieacuterarchie des trois niveaux est deacutejagrave preacutesente chez des meacutedioplatoniciens45

Lrsquointellect suprecircme (nous) est le premier principe46 les ideacutees qui sont dans lrsquointellect deviennent

imprimeacutees dans la matiegravere La triple structure de la reacutealiteacute ndash le deacutemiurge les ideacutees et la matiegravere ndash est

exposeacutee dans le Timeacutee (27c-29d) et reacutepeacuteteacutee par Apuleacutee (Platon et sa doctrine V 190)47 Un

exemple classique drsquoun tel systegraveme (les ideacutees-raisons qui sont dans lrsquointellect de Dieu) est preacutesenteacute

dans la Quaestio de ideis (De diversis quaestionibus 83 qu 46) 40 S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol I Notre Dame 1986 p 25 41 R B HARRIS laquo A brief Description of Neoplatonisme raquo dans The Significance of neoplatonism eacuted R HARRIS Norfolk 1976 (Studies in neoplatonism 1) p 15-16 42 S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 116-117 43 JM DILLON The Middle platonists A study of platonism 80 B C to A D 220 London 1977 p 45-49 Cf S LILLA Introduzione al medio platonismo Roma 1992 (Sussidi patristici 6) p 5-8 44 laquo Sed quid agimus quia cum duo mitterentur ad Sodomam apparentes fratri Abrahae Loth et ipse agnoscit in eis diuinitatem et cum duos uideat dominum appellat Et ille in tribus dominum et ille in duobus dominum Ne separemus ergo trinitatem et faciamus in Sodoma dualitatem puto quia melius intellegimus quia patres nostri dominum in angelis agnoscebant habitantem in habitatione intellegebant non portantibus sed insidenti gloriam dabant raquo AUGUSTIN Sermo VII 6 eacuted C LAMBOT Turnhout 1961 (CCSL 41) p 74 45 D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 10-11 46 Pauliina Remes et Salvatore Lilla tracent lrsquoorigine de ce principe agrave partir des doctrines de la reacutealiteacute intelligible de Platon et de lrsquointellect parfait seacutepareacute drsquohumains drsquoAristote P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 5 S LILLA Introduzione al medio platonismo Roma 1992 (Sussidi patristici 6) p 6 47 Voir M ZAMBON Porphyre et le moyen-platonisme Paris 2002 (Histoire des doctrines de lrsquoAntiquiteacute classique 27) p 30 D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 31

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Les ideacutees sont parfois conccedilues comme les penseacutees de Dieu48 et dans ce cas elles sont sur le

mecircme niveau ontologique que lui Et parfois elles lui sont infeacuterieures dans lrsquoordre causal49

3) En mecircme temps que Dieu il existe souvent un autre principe premier ndash une sorte du

creacuteateur immanent ndash lrsquoAme du monde (Timeacutee) ou le Logos (Philon drsquoAlexandrie) Lrsquoacircme du monde

est preacutesente dans le commentaire de Calcidius (Commentarius 26) le Logos a eacuteteacute transmis dans la

philosophie chreacutetienne latine en tant que Verbe de Dieu ou sa Sagesse50

4) Lrsquoopposition entre deux niveaux ndash intelligible et sensible ndash srsquoexprime dans le

dualisme ideacutees-objets sensibles Ces derniers sont des laquo demi-reacutealiteacutes raquo des imitations imparfaites

des ideacutees51 Le monde mateacuteriel est constitueacute de quatre ou cinq eacuteleacutements (par exemple Calcidius

Commentarius 272) La matiegravere informe est un principe qui existe agrave part La creacuteation est effectueacutee

agrave partir de la matiegravere

Pour conclure des principes du meacutedioplatonisme ont eacuteteacute retenus dans la philosophie latine

tardo-antique tels ceux qui viennent drsquoecirctre deacutecrites Mecircme si agrave partir IVe siegravecle apregraves J-C il est

difficile de classer les auteurs latins en tant que meacutedioplatoniciens laquo purs raquo52 nous pouvons

retrouver les eacuteleacutements du meacutedioplatonisme dans leurs doctrines

Le neacuteoplatonisme

Lrsquoimage du neacuteoplatonisme que nous prenons en compte en eacutetudiant le De unitate srsquoest

formeacutee dans les travaux de Stephen Gersh Alain de Libera Christophe Erismann Marco Zambon

Pauliina Remes etc Voici les principaux eacuteleacutements doctrinaux du neacuteoplatonisme

48 Voir A RICH laquo The Platonic Ideas as the Thoughts of God raquo dans Mnemosyne Fourth Series Vol 7 Fasc 2 1954 p 123-133 49 D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 28 50 Voir agrave ce propos notre exposeacute sur lrsquohistoire de la doctrine du Verbe de Dieu dans le chapitre VII laquo La pluraliteacute des raisons dans le Verbe raquo 51 D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 20 52 Par exemple James Dillon trouve que le penseur tardo-antique Calcidius ne sort pas du cadre du moyen-platonisme (Cf The Middle platonists A study of platonism 80 B C to A D 220 London 1977 p 401-408) tandis que Stephen Gersh insiste sur la structure neacuteoplatonicienne de la doctrine de ce dernier (S GERSH laquoCalcidiusrsquo Theory of First Principles raquo dans Studia Patristica 182 Papers of 1983 Oxford Patristic Conference 1989 p 85ndash92) Dans son livre Middle Platonism and Neoplatonism Gersh met Augustin parmi les neacuteoplatoniciens latins agrave lrsquoexception de son œuvre Quaestio ldquoDe Ideisrdquo qui srsquoappuie plus sur Ciceacuteron voir S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol I Notre Dame 1986 p 411-413 Jean Peacutepin trouve que la preacutesence des eacuteleacutements des traiteacutes I 6 et V 1 du Sur le Beau de Plotin est plus importante dans cette œuvre J PEacutePIN laquo Augustin Quaestio ldquoDe Ideisrdquo Les affiniteacutes plotiniennes raquo dans From Athens to Chartres Neoplatonism and Medieval thought Studies in honour of Edouard Jeauneau H J WESTRA amp BP STOCK Leiden New York Koumlln 1992 (Studien und Texte zur Geistesgeschichte des Mittelalters 35) p 117-134

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1) Il existe une source ou un principe unique qui se multiplie afin de creacuteer le monde La

source ou le premier principe creacutee ou srsquoeacutepanche agrave travers ces effets La source est trop parfaite

elle a besoin de prolifeacuterer Par suite les effets partagent la nature de la cause mais de maniegravere

deacuteficiente Tout ce qui provient du premier principe est plus faible sous certains aspects (en beauteacute

bonteacute perfection etc)53 Les relations entre le premier principe et ses effets sont causales et non

neacutecessairement temporelles54

Le principe est manifesteacute dans les ecirctres Selon Plotin tous les ecirctres teacutemoignent de lrsquouniteacute

primordiale Lrsquouniteacute est aussi la source de la beauteacute des choses55 Le principe est ainsi relieacute

directement aux choses

LrsquoUn dans le neacuteoplatonisme se deacuteveloppe agrave travers des hypostases lrsquoUn lrsquoIntellect et

lrsquoAme pour Plotin lrsquoEtre lrsquoIntellect et la Vie pour Porphyre Dieu (summus deus) lrsquoEsprit (mens

nous) et lrsquoAme (anima) pour Macrobe56 Les parallegraveles entre cette approche et la deacutefinition des

personnes de la Triniteacute dans le De vera religione drsquoAugustin ont eacuteteacute remarqueacutes par Stephen Gersh

Augustin met lrsquoaccent sur le fait que les personnes de la Triniteacute sont des principes qui opegraverent afin

que les choses soient creacuteeacutees Par exemple la premiegravere personne assure lrsquoecirctre de la chose la

deuxiegraveme sa forme et la troisiegraveme sa bonteacute En outre la relation entre les choses et leur creacuteateur

srsquoexplique agrave travers la relation de la premiegravere et de la deuxiegraveme personne de la Triniteacute agrave savoir de

lrsquoecirctre agrave la similitude57

Ainsi lrsquoideacutee neacuteoplatonicienne de la procession de tout agrave partir de sa source se traduit dans la

procession interne des personnes de la Triniteacute mais aussi dans la procession externe des creacuteatures agrave

partir de la Triniteacute58

2) Diffeacuterents niveaux meacutetaphysiques portent les entiteacutes ontologiquement diffeacuterentes de

la source59 Cela forme la hieacuterarchie verticale La source est tellement puissante et parfaite qursquoelle

laquo srsquoeacutepanche raquo laquo prolifegravere raquo ce qui megravene agrave la creacuteation des niveaux infeacuterieurs60

53 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 7 critegravere i p 42-43 principe I M ZAMBON Porphyre et le moyen-platonisme Paris 2002 (Histoire des doctrines de lrsquoAntiquiteacute classique 27) p 23 54 Ce principe a eacuteteacute deacutecrit en particulier par J Dillon et L Gerson Voir laquo Introduction raquo dans Neoplatonic philosophy introductory readings ed J DILLON et P L GERSON Indianapolis 2004 p XX 55 Notamment chez Plotin voir E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 132-137 56 S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 114 125-126 57 Ibid p 114 124-125 58 Le dogme chreacutetien de lrsquoalteacuteriteacute de la nature divine par rapport agrave la nature du monde srsquoimpose que la procession des choses ne peut pas ecirctre directe Nous allons aborder ce problegraveme dans la deuxiegraveme partie de notre recherche 59 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 7 critegravere ii 60 Ibid p 43 principe II

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Dans le neacuteoplatonisme de Plotin et de ses premiers disciples il y a toujours lrsquoUn qui est en

haut et drsquoougrave le reste provient (laquo eacutemane raquo) LrsquoUn reste au-delagrave de lrsquoecirctre Crsquoest un principe

transcendant61

Les entiteacutes deacuteriveacutees sont concevables tandis que le premier principe est ineffable62 Le

scheacutema de lrsquoeacutemanation selon Plotin est lrsquoUn lrsquoIntellect lrsquoAme le domaine du sensible la

matiegravere63 Le terme preacuteceacutedant est agrave lrsquoorigine du terme suivant il le cause Chaque terme suivant

deacutepend du terme preacuteceacutedent64

Dans le poegraveme 9 du livre III du De consolatione philosophiae Boegravece deacuteveloppe une

doctrine cosmologique de provenance neacuteoplatonicienne qursquoil attribue explicitement agrave Platon65 Il

parle du Pegravere creacuteateur immuable atemporel qui donne le mouvement et creacutee le temps du modegravele

ceacuteleste (la beauteacute parfaite le souverain bien) de lrsquoacircme du monde et des acircmes Ce scheacutema est

reacuteversible Les uniteacutes produites deacutesirent rentrer dans leur source lrsquoun

Dans la philosophie chreacutetienne Dieu et le monde sont seacutepareacutes Dieu ne srsquoeacutepanche pas

directement dans le monde Il contient en lui son prototype intelligible

En mecircme temps dans le scheacutema neacuteoplatonicien la geacuteneacuteration des niveaux est atemporelle

Elle sert en tant que meacutetaphore afin drsquoexpliquer la structure du monde ougrave nous existons Cette

particulariteacute permet de rapprocher la hieacuterarchie ontologique du monde de lrsquooutillage

eacutepisteacutemologique qursquoAristote utilise pour deacutecrire la reacutealiteacute sensible Un exemple de cette approche se

trouve dans lrsquoIsagoge de Porphyre Dans son article laquo Processio id est multiplicatio raquo Christophe

Erismann montre comment Porphyre interpregravete les Cateacutegories drsquoAristote dans le cadre de

lrsquoontologie neacuteoplatonicienne66 Cela implique une sorte de laquo renversement raquo de la doctrine

eacutepisteacutemologique drsquoAristote Pour Porphyre les substances secondes (les genres et les espegraveces) ont

la primauteacute ontologique sur les substances premiegraveres les dix cateacutegories sont les genres suprecircmes de

lrsquoecirctre et les principes de la reacutealiteacute

Lrsquoun des aspects de la doctrine de la procession est la participation Les ecirctres proviennent les

uns des autres (les infeacuterieurs des supeacuterieurs) les ecirctres infeacuterieurs peuvent participer aux ecirctres

supeacuterieurs Le terme de participation apparaicirct chez Alexandre drsquoAphrodise comme le reacutesultat de

61 E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 119 62 Ici nous preacutepons aussi quelques critegraveres pour diffeacuterencier neacuteoplatonismes des autres doctrines proposeacutes par Pauliina Remes P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 7 Voir le critegravere i 63 Ibid 2008 p 58 Drsquoapregraves Marco Zambon il nrsquoexiste pas de meacutediation entre lrsquointelligible et sensible dans le systegraveme de Plotin Lrsquoecirctre est au-delagrave du monde de devenir Contrairement agrave lui Porphyre fonde laquo une conception graduelle et hieacuterarchique de lrsquoecirctre raquo M ZAMBON Porphyre et le moyen-platonisme Paris 2002 (Histoire des doctrines de lrsquoAntiquiteacute classique 27) p 341-2 64 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 43-45 principes III et IV Cf D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 13-15 65 S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 117 66 CHR ERISMANN laquo Processio id est multiplicatio Lrsquoinfluence latine de lrsquoontologie de Porphyre le cas de Jean Scot Erigegravene raquo dans Revue des Sciences Philosophiques et Theacuteologiques t 88 2004 p 401-460

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laquo la hieacuterarchisation des ecirctres par rapport agrave un premier raquo afin de reacutesoudre le problegraveme du rapport

entre laquo les ecirctres ordonneacutes suivant lrsquoanteacuterieur et le posteacuterieur agrave partir drsquoun premier67raquo

Des doctrines de la participation ont eacuteteacute deacuteveloppeacutees par Augustin (De Trinitate VII I 2) et

Erigegravene (Periphyseon II)68

3) La conjonction de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute apparaicirct au cours de la descente du haut

vers le bas Lrsquouniteacute est plus intense en haut et la varieacuteteacute apparaicirct au fur et mesure de la descente vers

le bas69 En mecircme temps ce qui est en haut est constant ce qui est en bas changeant

Selon Endre von Ivaacutenka lrsquoeacutepisteacutemologie du neacuteoplatonisme se caracteacuterise par

laquo lrsquolsquoentrelacementrsquo universel du monde des Ideacutees le principe selon lequel les reacutealiteacutes se

particularisent et se divisent quand on descend lrsquoeacutechelle des ecirctres alors qursquoelles se geacuteneacuteralisent et

lsquosrsquounifientrsquo quand on la remonte70 raquo

En outre ce qui est en haut de la hieacuterarchie est toujours plus puissant et simple ce qui est en

bas moins puissant et plus complexe Ce principe selon Pauliina Reims provient de Platon (la

doctrine qursquoil existe un ecirctre qui serait agrave lrsquoorigine de tous ceux qui sont contraires dans le monde

Parm 127e2ndash8) et drsquoAristote (la doctrine que les ecirctres muables ne donnent pas la base agrave la penseacutee

Metaph Α 6 987a30)71 Ces deux doctrines incitent les neacuteoplatoniciens agrave accepter une prolifeacuteration

de niveaux ce qui permet drsquoaffirmer la simpliciteacute du premier principe par rapport agrave la complexiteacute

des ecirctres dans le monde

Selon Plotin le premier principe est simple et en mecircme temps il contient toutes les choses

sans distinction72

Lrsquoun des aspects de la multiplication des entiteacutes est lrsquoexistence des formes en tant que

prototypes des choses La question a eacuteteacute poseacutee par Platon dans son Parmeacutenide (130endash131e) La

doctrine de la participation (metexis) a eacuteteacute proposeacutee comme solution

La deacutependance des creacuteatures vis-agrave-vis de lrsquouniteacute supeacuterieure en Dieu a eacuteteacute discuteacutee par

Augustin (De vera religione XXXIV 66) Christophe Erismann voit le monde drsquoAugustin comme

laquo un vaste chaicircne causale ougrave des entiteacutes plus lsquopuissantesrsquo donnent lrsquoecirctre agrave des entiteacutes moindres73 raquo

67 J LONFAT laquo Archeacuteologie de la uniteacute drsquoanalogie drsquoAristote agrave Saint Thomas drsquoAquin raquo dans Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Age t 71 2004 p 56 68Voir le chapitreV15 laquo La participation chez Erigegravene raquo 69 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 7-8 Voir le critegravere iii 70 E IVAacuteNKA Plato christianus La reacuteception critique duplatonisme chez les Pegraveres de lrsquoEacuteglise Paris 1990 (Theacuteologiques 5) p 15-6 71 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 40-41 72 E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 126 73 CHR ERISMANN laquo La divisibiliteacute de lrsquoespeacutece selon Augustin De Trinitate VII raquo dans Le De Trinitate de Saint Augustin Exeacutegegravese logique noeacutetique eacuted E BERMON et G OrsquoDALY Paris 2012 p 149 Voir eacutegalement la suite p 150-151

16

4) Il existe une connexion tregraves forte entre la reacutealiteacute intelligible contenue dans lrsquoesprit ou

lrsquoacircme humaine et la reacutealiteacute exteacuterieure Cela est possible gracircce agrave la connexion speacuteciale que lrsquoacircme

humaine a avec des niveaux supeacuterieurs de la reacutealiteacute (lrsquoUn)74 Un exemple de cette connexion est la

doctrine de la connaissance intuitive drsquoAugustin Cristina drsquoAncona Costa trace le deacuteveloppement

de la doctrine de la connaissance divine agrave partir du Dieu drsquoAristote qui ne connaicirct que lui-mecircme

mais qui est neacuteanmoins le premier principe jusqursquoagrave la deuxiegraveme hypostase de Plotin Cette

hypostase est en mecircme temps lrsquointellect divin et les formes intelligibles connues par cet intellect75

Plotin va jusqursquoagrave identifier lrsquoecirctre et la penseacutee (lrsquointellect)76 Proclus ajoute que Dieu connaicirct des

ecirctres sensibles de maniegravere intelligible (indivisible atemporelle et neacutecessaire) sans que cela entraicircne

le moindre changement en lui77 Cette doctrine a eacuteteacute reprise par le pseudo-Denys et a influenceacute le

Livre des causes78

5) Tous les ecirctres qui ne sont pas de nature intelligible sont imparfaits Ils souffrent en

souhaitant revenir agrave lrsquouniteacute intelligible primordiale Le monde sensible est compris gracircce agrave son

composant intelligible Etant en bas de la hieacuterarchie ontologique il est complexe dans son contenu

La maniegravere dont il est expliqueacute (souvent agrave travers la similitude) est elle-mecircme complexe79

Lrsquointelligible est la source totale des diffeacuterents aspects des sensibles Et pourtant il nrsquoest pas

impliqueacute dans lrsquoaspect infeacuterieur du monde sensible80

La doctrine de la production du monde sensible agrave travers le monde intelligible a eacuteteacute

deacuteveloppeacutee notamment par Calcidius (Commentarius in Platonis Timaeum I 23-25)

Le niveau meacutetaphysique le plus bas est la matiegravere Le neacuteoplatonisme heacuterite la conception

aristoteacutelicienne drsquoune matiegravere premiegravere imperceptible En mecircme temps Plotin traite la matiegravere

comme une privation de la forme81 Il existe aussi une autre sorte de matiegravere ndash celle qui fusionne

avec la forme Cette matiegravere est perceptible agrave travers les formes et drsquoapregraves certains platoniciens

elle est une source drsquoindividuation82

74 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 8 le critegravere iv 75С DrsquoANCONA COSTA laquo Proclus Denys le Liber de Causis et la science divine raquo dans Le contemplateur et les ideacutees modegraveles de la science divine du neacuteoplatonisme au XVIIIe siegravecle eacuted O BOULNOIS J SCHMUTZ et J-L SOLERE Paris 2002 (Bibliothegraveque drsquohistoire de la philosophie nouvelle seacuterie) p 27 76 D J OrsquoMEARA Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 37-38 77 С DrsquoANCONA COSTA laquo Proclus Denys le Liber de Causis et la science divine raquo dans Le contemplateur et les ideacutees modegraveles de la science divine du neacuteoplatonisme au XVIIIe siegravecle eacuted O BOULNOIS J SCHMUTZ et J-L SOLERE Paris 2002 (Bibliothegraveque drsquohistoire de la philosophie nouvelle seacuterie) p 31 78Ibid p 37 79 Cf laquo Introduction raquo dans Neoplatonic philosophy introductory readings ed JDillon et P L Gerson Indianapolis 2004 p XXI 80 OrsquoMEARA D J Structures hieacuterarchiques dans la penseacutee de Plotin eacutetude historique et interpreacutetative Leiden 1975 p 77 et 97 81 P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 83 82 Ibid p 128

17

Les platonismes de la premiegravere moitieacute du XIIe siegravecle

Lrsquoune des raisons de notre inteacuterecirct pour la tradition platonicienne consiste dans le fait que le

De unitate appartient au premier acircge83 de la meacutetaphysique meacutedieacutevale avant lrsquointroduction des

nouvelles traductions des œuvres drsquoAristote Ainsi toutes les questions logiques et seacutemantiques qui

y sont preacutesentes proviennent de la tradition platonicienne qui a adopteacute plusieurs eacuteleacutements

aristoteacuteliciens au cours de son deacuteveloppement

En donnant lrsquohistoriographie des eacutetudes du platonisme au XIIe siegravecle John Marenbon

remarque que ce dernier a des aspects poeacutetiques humanistes litteacuteraires et scientifiques Mais il ne

le considegravere pas vraiment comme une position ou une meacutethode philosophique 84 Pour lui le

platonisme ne peut ecirctre laquo le principe organisationnel et identifiant raquo de la philosophie du XIIe siegravecle

vu que les penseurs de cette eacutepoque ne voulaient pas eacutetudier reacutetablir ou inventer un certain systegraveme

platonicien Ces penseurs ne cherchent qursquoagrave reacutepondre aux questions de la theacuteologie chreacutetienne agrave

travers les sources disponibles85

Certains chercheurs ont eacutetudieacute le platonisme en le consideacuterant comme une source importante

de la penseacutee philosophique du XIIe siegravecle La premiegravere eacutetude des sources des platonismes dans la

theacuteologie du XIIe siegravecle a eacuteteacute effectueacutee par Marie-Dominique Chenu86 Il distingue les sources

suivantes les œuvres drsquoAugustin le Timeacutee avec le commentaire de Calcidius les œuvres de Boegravece

celles du pseudo-Denys et de son traducteur Erigegravene et celles du neacuteoplatonisme arabe87 Dans ses

eacutetudes sur les eacutecrits attribueacutes agrave Thierry de Chartres Stephen Gersh distingue trois sources du

platonisme du XIIe siegravecle le meacutedioplatonisme agrave travers Asclepius et Calcidius le neacuteoplatonisme de

Plotin et Porphyre agrave travers Calcidius et Augustin et le neacuteoplatonisme alexandrin agrave travers Boegravece88

Lrsquoeacutetude de la transmission du platonisme a eacuteteacute faite seacutepareacutement pour des eacutecoles et des

penseurs de lrsquoeacutepoque en question Edouard Jeauneau eacutetudie le platonisme de Thierry de Chartres89

Drsquoapregraves Jeauneau certains eacuteleacutements doctrinaux (lrsquoimposition de lrsquouniteacute en tant que source qui se

multiplie agrave travers la dualiteacute lrsquoexplication de lrsquoAme du monde en tant que Saint-Esprit le dualisme

83 La distinction de la philosophie meacutedieacutevale sur deux peacuteriodes a eacuteteacute introduite dans lrsquohistoriographie depuis un siegravecle Elle est reacutecemment mise en valeur par Alain de Libera et Christophe Erismann CHR ERISMANN Lrsquohomme commun La genegravese du reacutealisme ontologique durant le haut Moyen Age Paris 2011 p 3-5 84 J MARENBON laquo Twelfth-Century Platonism Old Paths and New Directionsraquo dans Aristotelian Logic Platonism and the Context of Early Medieval Philosophy in the West Burlington 2000 XV p 6 lrsquohistoriographe des eacutetudes du platonisme du XIIe siegravecle Cf ibid p 1-8 85 Ibid p 21 86 M-D CHENU La Theacuteologie au Douziegraveme Siegravecle ch V laquo Les platonismes du XIIe siegravecle raquo Paris 1957 p 108-141 87 Celles derniegraveres ont eacuteteacute introduites vers la fin du XIIe siegravecle et eacutevidemment elles nrsquoont pas pu influencer le De unitate 88 S GERSH laquo Platonism-Neoplatonism-Aristotelianism A twelfth Century Metaphysical System and its Sources raquo dans Renaissance and Renewal in the twelfth Century eacuted RL BENSON G CONSTABLE CD LANHAM Oxford 1982 p 512-534 89 ED JEAUNEAU laquo Un repreacutesentant du platonisme au XIIe siegravecle maitre Thierry de Chartresraquo dans dans laquo Lectio philosophorum raquo Recherches sur lrsquoEcole de Chartres Amsterdam 1973 p 75-86

18

de Dieu et de la matiegravere ainsi que plusieurs citations du Timeacutee) eacutevoquent le caractegravere platonicien de

la philosophie de Thierry de Chartres Michel Lemoine prend les œuvres des Chartrains comme

modegravele du platonisme du XIIe siegravecle90 Il eacutenumegravere les sources principales du neacuteoplatonisme des

Chartrains Apuleacutee Macrobe Martianus Capella Calcidius Boegravece et Augustin Tullio Gregory

eacutetudie lrsquoinfluence du Timeacutee et du Commentaire de Calcidius sur les œuvres des Chartrains91 Iregravene

Caiazzo eacutetudie eacutegalement certaines doctrines platoniciennes comme celle des quatre eacuteleacutements et

celle de lrsquoAme du monde chez les philosophes Chartrains 92

Tullio Gregory examine le rocircle de Platon dans les œuvres drsquoAbeacutelard93 Tullio Gregory et

John Marenbon94 soulignent deux doctrines platoniciennes chez Abeacutelard lrsquoAme du monde (qui

deacutesigne le Saint-Esprit) et quelques ideacutees politiques (le laquo communisme raquo de la Reacutepublique connue agrave

travers le Timeacutee 18BD) La question de savoir si Abeacutelard eacutetait reacutealiste voire mecircme platonicien en

ce qui concerne le problegraveme des universaux est discuteacutee par Martin Tweedale95 Jean Jolivet96

Alain de Libera97 et John Marenbon98 Marenbon distingue trois types de neacuteoplatonisme chez Pierre

Abeacutelard le platonisme logique de la Logica ingredientibus et de la Dialectica (il srsquoagit de la

position de Platon rejeteacutee par Abeacutelard) la doctrine du Timeacutee et de la Reacutepublique dans les

Theacuteologies99

Le platonisme de lrsquoeacutecole de Saint-Victor reste tregraves peu eacutetudieacute aujourdrsquohui Constant Mews

remarque que le traitement de la nature qui aide agrave comprendre Dieu dans les œuvres drsquoHugues est

inspireacute par le platonisme100 Il croit qursquoHugues eacutetait familier avec le Timeacutee de Calcidius et qursquoil

reacutealisait que certains principes du platonisme (ideacutee archeacutetype matiegravere premiegravere) contredisent agrave la

doctrine chreacutetienne101 Mews suppose que dans ces œuvres Hugues reacutepond aux tentations de

90M LEMOINE Theacuteologie et Platonisme au XIIe siegravecle Paris 1998 91 T GREGORY laquo The Platonic Inheritanceraquo dans A History of Twelfth-Century Western Philosophy eacuted P DRONKE Cambridge-New York 1988 p 54-80 92 I CAIAZZO laquo Lrsquoacircme du monde un thegraveme privileacutegieacute des auteurs chartrains au XIIe siegravecle raquo dans Le temps de Fulbert enseigner le Moyen Age agrave partir dun monument la catheacutedrale de Chartres actes de lrsquouniversiteacute drsquoeacuteteacute du 8 au 10 juillet 1996 Chartres 1996 p 79-89 I CAIAZZO laquo The Four Elements in the Work of William of Conches raquo dans Guillaume de Conches Philosophie et science au XIIe siegravecle 2011 Firenze p 3-66 93 T GREGORY laquo Abelard et Platon raquo dans Peter Abelard proceedings of the international conference Louvain May 10-12 1971 eacuted E M BUYTAERT Leuven The Hague 1974 p 38-64 94 J MARENBON laquo Twelfth-Century Platonism Old Paths and New Directions raquo dans Aristotelian Logic Platonism and the Context of Early Medieval Philosophy in the West Burlington 2000 XV p 9-12 95 MM TWEEDALE Abailard on Universals New York p 185-188 96 J JOLIVET laquo Non-reacutealisme et platonisme chez Abeacutelard Essai drsquointerpreacutetation raquo dans Abeacutelard et son temps Actes du Colloque international Paris 1981 p 175-195 97 A de LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 148-158 98 J MARENBON laquo The Platonisms of Peter Abelard raquo dans Neacuteoplatonisme et philosophie meacutedieacutevale Actes du colloque international de Corfou 6-8 octobre 1995 organiseacute pat la Socieacuteteacute Internationale pour lrsquoEtude de la Philosophie Meacutedieacutevale eacuted L G BENAKIS Turnhout 1997 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale VI) p 112-118 99 Ibid p 109-129 100C J MEWS laquo The world as text the Bible and the book of nature in twelfth-century theology raquo dans Scripture and pluralism reading the Bible in the religously plural worlds of the Middle Ages and Renaissance ed TH J HEFFERNAN and TH E BURMAN Leiden p 107 101 MEWS CJ laquo William of Champeaux Abelard and Hugues of Saint-Victor Platonism Theology and Scripture in Early Twelfth-Century France raquo dans Bibel und Exegese in der Abtei Saint-Victor zu Paris Formund Funktion eines Grundtextes im europaumlischen Rahmen eacuted B RAINER Muumlnster 2009 p 150-151

19

Thierry de Chartres et Guillaume de Conches drsquoincorporer les thegraveses platoniciennes laquo dangereuses raquo

au christianisme102 Dominique Poirel voit plusieurs courants platoniciens qui ont influenceacute

Hugues Augustin pseudo-Denys Boegravece Calcidius Macrobe la patristique grecque Erigegravene

Mecircme si lrsquoinspiration platonicienne de ces penseurs est eacutevidente ils ont eacuteteacute influenceacutes eacutegalement

par lrsquoaristoteacutelisme le stoiumlcisme le pythagorisme et lrsquohermeacutetisme Voilagrave pourquoi Poirel qualifie la

penseacutee drsquoHugues non pas comme un platonisme mais comme une synthegravese originale et eacuteclectique

de diffeacuterentes doctrines103 De cette faccedilon Hugues Saint-Victor nrsquoest pas consideacutereacute comme

platonicien contrairement agrave plusieurs autres penseurs de la mecircme eacutepoque

La meacutethodologie et le plan

Plus haut nous avons accepteacute sans preuves la supposition qursquoAchard est platonicien

Maintenant en ayant la description du platonisme il sera possible de montrer en quoi preacuteciseacutement

consiste le platonisme du De unitate De cette faccedilon notre premier pas va consister agrave distinguer les

doctrines platoniciennes du De unitate Ensuite nous allons eacutetudier drsquoabord les deacuteveloppements de

ces doctrines dans les textes qui eacutetaient les sources directes du platonisme du XIIe siegravecle puis dans

lrsquoheacuteritage de lrsquoeacutecole de Saint-Victor (chez Hugues Richard et Achard)

Nous comprenons la doctrine comme la totaliteacute des thegraveses et des notions qui reacutepondent agrave une

question Si la question et les moyens de reacutepondre ne changent pas au cours du temps nous

consideacuterons qursquoil srsquoagit de la mecircme doctrine Par exemple Augustin et Boegravece expliquent la pluraliteacute

des personnes au sein de la Triniteacute agrave travers la preacutedication de la cateacutegorie de relation Il srsquoagit de la

mecircme doctrine (ce qui nrsquoempecircche que ces auteurs ont utiliseacute eacutegalement drsquoautres doctrines pour

expliquer la Triniteacute)

Par conseacutequent nous nous imposons les eacutetapes suivantes

- discerner quelques doctrines platoniciennes au sein du De unitate

- deacutesigner lrsquoorigine de ces doctrines dans les textes platoniciens qui ont eacuteteacute connus au XIIe

siegravecle

- veacuterifier si elles ont eacuteteacute accepteacutees par Hugues et Richard de Saint-Victor

- eacutetudier le deacuteveloppement de ces doctrines par Achard en tenant compte de lrsquoheacuteritage

qursquoil avait agrave sa disposition

Ainsi nous nous posons les buts suivants

- preacuteciser le contenu doctrinal de lrsquoheacuteritage platonicien du XII siegravecle

- valoriser le constituant meacutetaphysique et surtout platonicien de la penseacutee victorine

102 Ibid p 163 103 D POIREL laquo Thomas dAquin lecteur dHugues de Saint-Victor agrave propos de la nature humaine raquo dans Archives dHistoire Doctrinale et Litteacuteraire du Moyen Acircge 78 2011 p 196-7 et 224

20

- montrer la relation entre Achard et ses collegravegues victorins

Pour les atteindre nous adopterons la deacutemarche suivante Une premiegravere partie sera

consacreacutee agrave replacer le De unitate drsquoAchard dans son contexte agrave la fois historique par la

preacutesentation de son auteur codicologique par la description du manuscrit unique qui le transmet

litteacuteraire par lrsquoeacutetude de son plan et de son lexique philosophique et historiographique par le

reacutesumeacute des recherches anteacuterieures agrave son sujet Dans les deux parties suivantes le problegraveme de

lrsquouniteacute et de la pluraliteacute chez Achard sera eacutetudieacute dans lrsquoordre que lui-mecircme propose au chapitre 37

du premier traiteacute du De unitate drsquoabord en Dieu lui-mecircme ensuite dans les creacuteatures Pour les

deuxiegraveme et troisiegraveme parties nous avons choisi six sujets qui ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes par Achard (nous

justifions notre choix dans la premiegravere partie)

- lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu la procession dans la Triniteacute et la pluraliteacute des raisons dans

le Verbe sont les sujets de la deuxiegraveme partie

- la doctrine de formes les deux niveaux drsquoexistence drsquouniteacutes intelligibles et le problegraveme

de lrsquoidentiteacute dans le monde sensible sont les sujets de la deuxiegraveme partie

Nous allons tracer lrsquohistoire de chacun de ces sujets degraves son apparition chez les premiers

platoniciens tardo-antiques et alto-meacutedieacutevaux agrave travers lrsquoeacutecole de Saint-Victor jusqursquoau De unitate

21

Premiegravere partie

Achard de Saint-Victor et son De unitate

22

Introduction Le De unitate drsquoAchard de Saint-Victor nrsquooccupe pas dans lrsquohistoire de la philosophie

meacutedieacutevale la place qursquoil meacuterite Il srsquoagit drsquoun texte dont un seul manuscrit est conserveacute et lui-mecircme

est eacutediteacute dans une collection confidentielle agrave faible tirage104 Il existe pour lrsquoinstant deux grandes

eacutetudes consacreacutees agrave cette œuvre dont lrsquoune a eacuteteacute reacutedigeacutee sur la base drsquoune source incomplegravete105

Les problegravemes qui compliquent lrsquoeacutetude du De unitate sont selon Dominique Poirel laquo lrsquoeacutetat

fragmentaire du texte sa transmission par un manuscrit tardif et corrompu enfin plusieurs

difficulteacutes dans lrsquoordre le style et la penseacutee106 raquo

Dans notre recherche nous voudrions veacuterifier lrsquohypothegravese que le De unitate est une œuvre

drsquoinspiration platonicienne Pour faire cela il nous faut une mise au point concise sur la place

drsquoAchard dans lrsquohistoire de la penseacutee la creacutedibiliteacute de lrsquoeacutedition du De unitate la structure interne et

les thegraveses principales de cette œuvre et le reacutesumeacute des eacutetudes qui ont eacuteteacute deacutejagrave effectueacutees Crsquoest pour

cette raison que nous croyons neacutecessaire de consacrer la premiegravere partie de notre thegravese agrave

lrsquoeacuteclaircissement du destin et de la doctrine du De unitate drsquoAchard de Saint-Victor

Nous allons partir de la question la plus geacuteneacuterale qui est Achard et quel heacuteritage

intellectuel a-t-il laisseacute

Lrsquoeacutetude de De unitate va ecirctre commenceacutee par lrsquoanalyse de son manuscrit unique Padova 89

Nous allons eacutevaluer la qualiteacute de lrsquounique eacutedition du De unitate et voir si une interpreacutetation

alternative de cette œuvre est possible

Apregraves avoir eacutetabli la rigueur du texte existant nous allons lire et analyser de maniegravere tregraves

deacutetailleacutee le De unitate afin de comprendre quelles thegraveses de cette œuvre appartiennent agrave Achard et

quelles sont les thegraveses qursquoil met en question Le but de cette partie est drsquoeacutetablir le plan deacutetailleacute du

De unitate de repeacuterer des notions principales et des problegravemes correspondants En mecircme temps

nous verrons si le De unitate contient vraiment les traces des doctrines platoniciennes qui ont eacuteteacute

deacutecrites dans lrsquointroduction Cette eacutetude permettra eacutegalement de mettre agrave part les grands sujets

abordeacutes par Achard dont nous souhaitons eacutetablir lrsquoorigine

Nous allons enfin observer ce qui a eacuteteacute deacutejagrave eacutecrit sur Achard pour voir ce qursquoil reste agrave

eacutetudier

Vers la fin de cette partie nous saurons si Achard eacutetait platonicien au sens large de ce terme

et quels sujets il faudrait eacutetudier davantage pour deacutefinir le constituant platonicien de la philosophie

victorine 104 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 105A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 106 D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p510

23

CHAPITRE I

I Achard et ses œuvres

I1 Biographie drsquoAchard et lrsquoabbaye de Saint-Victor

Mecircme apregraves lrsquoenquecircte meacutethodique de Jean Chacirctillon107 la question de lrsquoorigine drsquoAchard

de Saint-Victor (dagger1171) reste partiellement en suspens comme celles de la date et de lrsquoanneacutee de sa

naissance Lrsquoeacutepitaphe victorine du deacutebut du XIIIe siegravecle teacutemoigne qursquoil eacutetait anglais

Huius oliua domus Anglorum gloria cleri

Iam dignus pridem celesti luce foveri

Felix Achardus florens etate senili

Presul Abricensis ex hoc signatur ovili

Olivier de cette maison gloire du clergeacute anglais

Digne depuis longtemps de jouir de la lumiegravere

ceacuteleste

Le bienheureux Achard vieillard florissant

Sort de notre bercail et srsquoillustre comme preacutelat

drsquoAvranches108

En se basant sur ce poegraveme Chacirctillon estime eacutegalement qursquoAchard est probablement neacute agrave la

fin du XIe ou au deacutebut du XIIe siegravecle (puisque au moment de sa mort il eacutetait un vieillard

florissant) En reacutesumant les recherches preacuteceacutedentes Chacirctillon nrsquoarrive pas agrave deacutefinir lrsquoendroit exact

ougrave Achard eacutetait neacute (deux groupes de teacutemoignages proposent la ville de Domfront au sud-ouest de

la Normandie et Bridlingon dans le Yorkshire) Chacirctillon remarque agrave ce propos laquo Crsquoest une chose

tregraves frappante en effet que de voir agrave quel point les premiers Victorins dans ce monastegravere

cosmopolite se sont refuseacute agrave parler des origines des plus ceacutelegravebres drsquoentre eux [] ltCe quigt est

lrsquoexpression silencieuse drsquoune ascegravese spirituelle et intellectuelle dont Hugues de Saint-Victor avait

traceacute le programmeraquo109

Lrsquoabbaye de Saint-Victor ndash le berceau intellectuel drsquoAchard ndash a eacuteteacute fondeacutee par Guillaume de

Champeaux (1070 - 1121) En eacutetablissant le nouveau monastegravere agrave Paris pregraves du cloicirctre de Notre-

Dame et de la montagne Saint-Geneviegraveve Guillaume a suivi une tendance de son eacutepoque agrave se 107 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 11-52 108 Ibid p 13 (drsquoapregraves le ms Paris Bibl Mazarine 778 f 146r PL 196 1374) trad D Poirel 109 Ibid р 50

24

deacutepouiller des avantages des postes eccleacutesiastiques (en 1108 il eacutetait archidiacre de Paris et eacutecolacirctre

de Notre-Dame) laquo pour aller mener dans la solitude une vie de pauvreteacute inspireacutee de lrsquoideacuteal des

pegraveres du deacutesert et de la tradition primitive de lrsquoEacuteglise raquo110 Bien qursquoil ait bientocirct quitteacute ce monastegravere

(en 1113 Guillaume de Champeaux a eacuteteacute deacutesigneacute lrsquoeacutevecircque de Chacirclons) il a reacuteussi agrave y creacuteer une

ambiance intellectuelle agreacuteable qui a attireacute des penseurs reconnus comme Hugues de Saint-Victor

De cette faccedilon Guillaume de Champeaux a beaucoup contribueacute agrave la fondation du monastegravere ougrave la

vie religieuse et les eacutetudes intellectuelles des clercs ont eacuteteacute relieacutees harmonieusement

La deuxiegraveme personne qui a beaucoup contribueacute agrave lrsquoeacutetablissement du monastegravere eacutetait son

nouvel abbeacute Gilduin (dagger 1155) qui a occupeacute ce poste pendant quarante-deux ans Il est connu

principalement gracircce au Liber Ordinis ndash le coutumier de Saint-Victor ougrave les activiteacutes scolaires et la

production de nouvelles œuvres spirituelles (crsquoest-agrave-dire la composition de leurs reacuteflexions sous la

forme de sermons ou de meacuteditations) eacutetaient favoriseacutees111 Et finalement lrsquoimage intellectuelle de

lrsquoeacutecole de Saint-Victor a eacuteteacute creacuteeacutee par le maicirctre illustre qui a consacreacute toute sa vie agrave lrsquoenseignement

fondateur drsquoune tradition drsquohumanisme agrave Saint-Victor Hugues de Saint-Victor (dagger 1141)

D Poirel compte quatre peacuteriodes dans lrsquohistoire de lrsquoeacutecole de Saint-Victor112 1) la

fondation (1108-1141) qui comprend le travail de Guillaume de Champeaux Gilduin (abbeacute de

Saint-Victor) Hugues de Saint-Victor et Adam de Saint-Victor 2) lrsquoessor (1150-1180) Andreacute

Achard Richard Simon Gautier et Godefroy de Saint-Victor 3) le recentrement sur lrsquoactiviteacute

cleacutericale (1190 ndash 1220) Pierre de Poitiers Robert de Flamborough et Thomas Gallus113 4)

lrsquoassimilation graduelle (1230-1237) de lrsquoeacutecole theacuteologique de Saint-Victor au sein de lrsquouniversiteacute

parisienne comme un collegravege reacutegulier ce qui assimile les victorins aux autres eacutetudiants114

La vie drsquoAchard ressemble agrave la vie typique drsquoun clerc meacutedieacuteval qui a reacuteussi il a commenceacute

comme chanoine ensuite il est devenu maicirctre puis il a eacuteteacute eacutelu abbeacute (1155) et finalement en 1161 il

a occupeacute le siegravege eacutepiscopal drsquoAvranches qursquoil a posseacutedeacute jusqursquoagrave sa mort en 1170 ou 1171 110 Ibid p55 111 A propos de Guilduin voir JOCQUEacute L POIREL D laquo De Donat agrave Saint-Victor un De accentibus ineacutedit raquo dans La tradition vive Meacutelanges drsquohistoire des textes en lrsquohonneur de Louis Holtz eacuted P LARDET Turnhout 2003 (Bibliologia 20) p 165-8 112POIREL D laquoDominicains et victorins agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecleraquo dans laquoLector et compilatorraquo Vincent de Beauvais fregravere precirccheur Un intellectuel et son milieu au XIIIe siegravecle eacuted S LUSIGNAN et M PAULMIER-FOUCART Gracircne 1997 (Rencontres agrave Royaumont) p 170-3 Avant lui ce sujet a eacuteteacute eacutetudieacute par Jean Chacirctillon voir J CHATILLON laquo De Guillaume de Champeaux agrave Thomas Gallus Chronique drsquohistoire litteacuteraire et doctrinale de lrsquoeacutecole de Saint-Victor raquo dans Revue du Moyen Age latin t 8 1952 p 139-162 247-272 113 Tandis que Chacirctillon appelle la troisiegraveme peacuteriode de lrsquohistoire de lrsquoabbaye ldquole deacuteclinrdquo (Ibid р 264) Dominique Poirel preacutecise que ce mot peut ecirctre utiliseacute seulement en comparaison de lrsquoessor de Saint-Victor quand le clergeacute concentrait sur la production intellectuelle Par ailleurs le traitement de la vocation cleacutericale comme lrsquoactiviteacute initialement principale agrave laquelle les entraicircnements intellectuels servent nous aide agrave voir la troisiegraveme peacuteriode de Saint-Victor comme la suite logique de son deacuteveloppement D POIREL laquo Aux sources drsquoune influence les raisons du rayonnement victorine raquo dans Lrsquoeacutecole de Saint-Victor de Paris Influence et rayonnement du Moyen Acircge agrave lrsquoEpoque moderne Turnhout 2010 (Biblioteca Victorina XXII) p 16 POIREL D laquo lsquoApprends toutrsquo Saint-Victor et le milieu des victorins agrave Paris 1108-1330 raquo dans Lieux de savoir t 1 Espaces et communauteacutes eacuted C JACOB Paris 2007 p 305 114 Plus preacuteciseacutement voir J VERGER laquo Saint-Victor et lrsquouniversiteacute raquo dans Lrsquoeacutecole de Saint-Victor de Paris Influence et rayonnement du Moyen Acircge agrave lrsquoEpoque moderne Turnhout 2010 (Biblioteca Victorina XXII) p 139-152

25

La peacuteriode claustrale de la vie drsquoAchard se deacuteroule agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoessor de Saint-Victor ndash la

deuxiegraveme peacuteriode du deacuteveloppement de lrsquoabbaye et de lrsquoeacutecole philosophique quand agrave son fondateur

spirituel Hugues de Saint-Victor ont succeacutedeacute ses eacutelegraveves Andreacute lrsquoexeacutegegravete Achard le

meacutetaphysicien Richard le spirituel Simon le poegravete Gautier le pourfendeur drsquoheacutereacutesies et Godefroy

lrsquohumaniste qui semblaient se reacutepartir les activiteacutes intellectuelles de leur maicirctre115

Nous nrsquoavons pas beaucoup de teacutemoignages de cette peacuteriode sur la vie drsquoAchard On sait

qursquoavant 1160 Achard et Robert de Melun ont assisteacute agrave une dispute publique entre le theacuteologien

anglais Robert de Crickelade et les disciples de Pierre de Lombard concernant les doctrines

christologiques de ce dernier116 Au contraire il y a beaucoup de traces de la carriegravere abbatiale

drsquoAchard Sa correspondance avec des chanoines des eacutevecircques des cardinaux et mecircme avec le roi

drsquoAngleterre et le Pape prouvent son ardeur agrave augmenter les biens spirituels et mateacuteriels de lrsquoabbaye

de Saint-Victor117 Quant agrave lrsquoeacutepiscopat drsquoAchard crsquoeacutetait plutocirct le reacutesultat de ses relations politiques

Il a eacuteteacute deacutesigneacute eacutevecircque drsquoAvranches sur le territoire franccedilais dont le roi drsquoAngleterre Henri II eacutetait

duc Comme eacutevecircque Achard a assisteacute agrave plusieurs eacuteveacutenements officiels et srsquoest occupeacute

soigneusement de lrsquoabbaye des Preacutemontreacutes de la Lucerne voisine de sa ville eacutepiscopale Achard est

mort le 29 mars 1170 ou 1171 (il existe deux teacutemoignages eacutegaux agrave ce propos) Il a eacuteteacute enseveli dans

lrsquoeacuteglise de la Lucerne dont il eacutetait un des principaux fondateurs118

115 J CHATILLON laquo De Guillaume de Champeaux agrave Thomas Gallus Chronique drsquohistoire litteacuteraire et doctrinale de lrsquoeacutecole de Saint-Victor raquo dans Revue du Moyen Age latin t 8 1952 р 247 D POIREL Hugues de Saint-Victor Paris 1998 р 134 116 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 74 J CHATILLON laquo Achard de Saint-Victor et les controverses christologiques du XIIe siegravecle raquo dans Meacutelanges F Cavallera Toulouse 1948 p 322-323 117 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 80-85 118 Sur le tombeau drsquoAchard on trouve une autre eacutepitaphe (PL 196 1379) Praesul Abrincensis famosus doctor Achardus

Hic jacet ut terrae restituatur humus Gratia coelestis dedit illi dona sophiae

Et praefecit eum digniter Ecclesiae Plurima nunc sileo bona facta suae pietatis

Quae satis audita visa fuere satis Abbas ipse fuit Sancti Victoris in aede

Et complevit opus moribus ore pede Exuviis ejus domus est haec nobilitata

Desuper est nobis gratia tanta data Ergo pater tantus fidei jurisque patronus

Pastoralis erat cujuis in ore sonus Gaudia divinae contempletur faciei

Pontificisque boni mansio detur ei

26

I2 Les œuvres drsquoAchard de Saint-Victor

Aujourdrsquohui nous connaissons trois œuvres principales drsquoAchard Ce sont les Sermons

le De discretione animae spiritus et mentis et le De unitate et pluralitate Les dates drsquoapparition de

ces œuvres ne sont pas connues Vu que le contenu et la structure du De unitate et du De discretione

ressemblent plutocirct aux fruits du travail de maicirctre de lrsquoeacutecole119 nous croyons qursquoils ont eacuteteacute eacutecrit

quand Achard eacutetait toujours le maicirctre au Saint-Victor (avant 1155) En ce qui concerne les Sermons

en consideacuterant leur structure leur contenu et les allusions aux controverses de son temps qursquoils

renferment J Chacirctillon date les douze premiers de la peacuteriode de lrsquoenseignement drsquoAchard (avant

1155) et les trois derniers de la peacuteriode abbatiale (entre 1155 et 1161) puisque laquo lrsquoorateur [hellip] ne

parle plus ici en professeur mais en maicirctre spirituel raquo120

En exerccedilant ses obligations drsquoabbeacute et drsquoeacutevecircque Achard a eacutecrit des lettres121 Quelques

morceaux conserveacutes actuellement agrave Dijon sont attribueacutees laquo magistro Achardo abbati sancti

Victoris raquo Ce sont des quaestiones qui selon Jean Chacirctillon contiennent un certain nombre de

piegraveces provenant probablement de lrsquoenseignement drsquoAchard mais qursquoon ne peut pas lui attribuer

directement122

I21 Le De discretione animae spiritus et mentis

Le De discretione animae spiritus et mentis est une œuvre dont lrsquoorigine a donneacute lieu agrave des

discussions Nous avons aujourdrsquohui cinq manuscrits de cette œuvre deux se trouvent agrave Paris deux

agrave Cambridge et un agrave Oxford123 Un de ces manuscrits indique la premiegravere lettre du nom de lrsquoauteur

A et lrsquoautre est intituleacute Tractatus magistri Achardi de divisione anime et spiritus

119 La structure et les formes litteacuteraires du De unitate seront speacutecialement analyseacutes plus loin 120 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 142 121Epistula ad Henricum regem Angliae dans A DU CHESNE Historiae Francorum scriptores t IV p 762 et aussi dans E MARTENE Amplissima collectio t VI p 230 PL 196 1381-1382 Epistula ad Arnulfum Lexoviensem dans E MARTENE Amplissima collectio t VI p 231 PL 196 1382 Epistula ad Alexandrum Papam III (signeacutee drsquoAchard et de Guillaume de Passavant eacutevecircque du Mans) dans R-N SAUVAGE laquo Fragments drsquoun cartulaire de Saint-Pierre de Lisieux raquo dans Etudes lexoviennes Paris 1928 p 341-342 122 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) p 116-7 123 N M HAumlRING laquo Gilbert of Poitiers author of the De discretione animae spiritus et mentis commonly attributed to Achard of Saint-Victor raquo dans Medieval Studies t 22 1960 p 173 TARLAZZI C laquo An Unidentified Version of Achard of Saint-Victorrsquos De discretione animae spiritus et mentis in Oxford Exeter College Library Ms 23 raquo dans Bulletin de Philosophie Meacutedieacutevale t 56 2014 p 31-59

27

Par la faute du bibliotheacutecaire victorin du XVIe siegravecle Claude de Grandrue le traiteacute dont le

manuscrit fournit lrsquoinscription A a eacuteteacute attribueacute drsquoabord agrave Adam de Saint-Victor124 Cette

attribution a eacuteteacute corrigeacutee par un eacuterudit du XVIIe siegravecle Casimir Oudin qui a trouveacute un autre

manuscrit contenant le traiteacute intituleacute Tractatus magistri Achardi de divisione anime et spiritus agrave

Cambridge125 La quecircte a eacuteteacute continueacutee agrave la fin du XIXe siegravecle par Germain Morin126 et puis au

milieu du XXe siegravecle par Nicolas Haumlring127 Chaque chercheur propose une eacutedition du De

discretione Tandis que le premier deacutefend lrsquoautoriteacute drsquoAchard128 le second admet Gilbert de

Poitiers comme lrsquoauteur en consideacuterant le contenu du traiteacute qui lui semble assez proche de

lrsquoenseignement de ce dernier129 Le point deacutefinitif sur cette question a eacuteteacute fait en 1965 par Jean

Chacirctillon qui a prouveacute lrsquoauthenticiteacute achardienne du De discretione en le comparant avec le De

unitate et pluralitate creaturarum et les Sermons deacutejagrave deacutecouverts130 Catarina Tarlazzi a reacutecemment

deacutecouvert agrave Oxford le texte qui peut ecirctre une autre version du De discretione131 Le texte est plus

court que celui eacutediteacute par Haumlring et lrsquoordre des phrases est alteacutereacute

En 1987 Emmanuel Martineau a fait la traduction franccedilaise du De discretione132 sur la base

de lrsquoeacutedition de Haumlring en 2001 Hugh Feiss a fait la traduction anglaise133

Crsquoest un traiteacute court qui contient 74 paragraphes (selon le deacutecoupage de Haumlring) destineacutes agrave

deacutevelopper une theacuteorie distinguant trois substances inteacuterieures dans lrsquohomme anima spiritus et

mens Achard soulegraveve le problegraveme anthropologique (la relation de la personne humaine agrave Dieu) qui

donne lieu agrave une analyse speacuteculative

Le De discretione animae spiritus et mens est un œuvre qui selon Hugh Feiss fait partie de

la doctrine meacutetaphysique drsquoAchard Ce petit traiteacute est facilement divisible en quatre parties (qui

deacutecrivent respectivement lrsquoacircme le spiritus et la mens et la maniegravere dont ils fonctionnent ensemble) 124 OUY G Les manuscrits de lrsquoabbaye de Saint-Victor Catalogue eacutetabli sur la base du reacutepertoire de Claude de Grandrue (1514) t II Paris 1999 (Biblioteca Victorina 10) p 258 ms HH3 88 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) p 129 125 Ibid p 130 126 G MORIN laquo Un traiteacute ineacutedit drsquoAchard de Saint-Victor raquo dans Aus der Geisteswelt des Mittelalters t 1 Muumlnster 1935 (Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters Supplementband 31-2) p 251-262 127 N M HAumlRING laquo Gilbert of Poitiers author of the De discretione animae spiritus et mentis commonly attributed to Achard of Saint-Victor raquo dans Medieval Studies t 22 1960 p 148-191 128 G MORIN laquo Un traiteacute faussement attribueacute agrave Adam de Saint-Victor raquo dans Revue beacuteneacutedictine t 16 1899 p 218-219 129 N M HAumlRING laquo Gilbert of Poitiers author of the De discretione animae spiritus et mentis commonly attributed to Achard of Saint-Victor raquo dans Medieval Studies t 22 1960 p 152-157 130 J CHATILLON laquo Achard de Saint-Victor et le De discretione animae spiritus et mentis raquo dans Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Age t 31 1964 p 7-35 131TARLAZZI C laquo An Unidentified Version of Achard of Saint-Victorrsquos De discretione animae spiritus et mentis in Oxford Exeter College Library Ms 23 raquo dans Bulletin de Philosophie Meacutedieacutevale t 56 2014 p 31-59 132ACHARD DE SAINT-VICTOR laquo Du discernement entre Ame spiritus et mens raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) Saint-Lambert-des-Bois 1987 p199-208 133ACHARD OF SAINT VICTOR laquo On the Distinction of Soul Spiritus and Mind raquo dans Achard of Saint Victor Works trans H FEISS Kalamazoo 2001 p 353-374

28

Mais avant de passer agrave lrsquoenquecircte de la diffeacuterence entre ces trois Achard propose une sorte

drsquointroduction

Il commence par deacutecrire la substance inteacuterieure jointe aux corps de lrsquohomme Cette

substance constitue secundum se et in se une puissance essentiellement une et indivise Achard

utilise deux arguments afin de le deacutemontrer

1) thegravese 2 dans cette chose faite agrave lrsquoimage de Dieu la puissance est une essence identique de

mecircme qursquoen Dieu

2) thegraveses 3-6 la puissance est la substance elle-mecircme et non la forme de celle-ci car la forme

entre en assemblage avec un sujet (une substance) ce qui est selon Achard impossible pour

une puissance

Thegravese 7 laquo cette puissance est simple en son essence mais multiple en ces fonctions [hellip]

elle est dite et puissance une en plusieurs et plusieurs puissances en une ou plutocirct une-multiple ou

multiple-une134 raquo est deacutemontreacute pour Dieu

- en lui il y a une puissance et une volonteacute simple multiplieacutees drsquoapregraves leurs objets (les

deacutemonstrations sont faites agrave partir de lrsquoEcriture les thegraveses 8-9)

La remarque (11-13) la multipliciteacute numeacuterique existe en Dieu et mecircme plus que dans les

creacuteatures mais vu qursquoil est immobile on ne trouve pas en lui aucune pluraliteacute (au contraire des

creacuteatures)

Finalement Achard eacutevoque que la substance infeacuterieure (celle de lrsquohomme) nrsquoa pas de

multipliciteacute selon lrsquoessence mais selon les choses qui sont dans son essence (14) agrave savoir diverses

affections gracircce auxquelles elle est pluraliseacutee formellement en diverses puissances (16) Ces

puissances (la volonteacute la raison le sens lrsquoimagination lrsquointelligence la meacutemoire 17) sont

distingueacutees selon les qualiteacutes (19)

Le principe de distinction de lrsquoacircme le spiritus et la mens dans la substance unique de

lrsquohomme est le mecircme que celui des trois personnes de la Triniteacute dans la substance unique de Dieu

(21) Ensuite Achard eacutevoque les distinctions entre ces trois termes donneacutees par lrsquoEcriture (22-29)

Puis il deacutecrit une par une toutes les puissances de la substance de lrsquohomme

Mens (30-33)

laquo Seule la mens en effet assume par soi immeacutediatement lrsquoamour de Dieu et lrsquoayant

assumeacute elle le transfuse autant que possible selon certaines affections et effets au spiritus et

par lrsquointermeacutediaire de celui-ci agrave lrsquoacircme mouvant affectant et disposant agrave partir drsquoelle et

134 laquo Potentia autem haec [hellip] in essentia est simplex in officiis multiplex ut [hellip] potentia una in multis dicatur et multae in una vel potius una multae et multae una raquo eacuted HAumlRING dans Medieval Studies t 22 1960 p 175 trad eacuted MARTINEAU p 200

29

selon elle les pouvoirs infeacuterieurs135 raquo (30) laquo La mens est en haut lrsquoacircme en bas le spiritus au

milieu136 raquo (31)

En outre la mens est la puissance supeacuterieure capable drsquointelliger et drsquoaimer et crsquoest pour

cela qursquoelle est agrave lrsquoimage de Dieu (33)

Ame (34-40)

laquo Crsquoest lrsquoacircme au contraire qui autant qursquoil est en elle peut se reacutepandre pour ainsi dire

infeacuterieurement et exteacuterieurement par lrsquointermeacutediaire des instruments du corps jusqursquoaux

espegraveces derniegraveres des choses crsquoest-agrave-dire jusqursquoaux formes et aux proprieacuteteacutes corporelles

pour les percevoir par le sens et les deacutesirer par la sensualiteacute137 raquo (34)

Lrsquoacircme est unie au corps elle opegravere par son intermeacutediaire (35) pourtant ce nrsquoest que lrsquoacircme

qui peut se reacutejouir de la perception (36) En effet lrsquoacircme aime le bien et hait le mal par la volonteacute

(38) Et crsquoest agrave cause drsquoun vice animal qursquoelle reccediloit un plaisir de la sensualiteacute mais cela lui permet

de passer agrave la deacutelectation supeacuterieure ndash celle de la mens (39)

Spiritus (41-54)

Drsquoabord Achard compare le spiritus et lrsquoacircme Le premier opegravere par lrsquoimagination afin

de percevoir les images de choses agrave partir des donneacutees de lrsquoacircme la deuxiegraveme par le sens pour

percevoir les choses agrave partir du corps laquo Mais lrsquoimage bien qursquoelle puisse ecirctre nommeacutee une certaine

forme de la chose corporelle nrsquoest pas elle-mecircme corporelle138 raquo (44) Le spiritus reccediloit les images

agrave partir de lrsquoacircme mais cela nrsquoest pas reacuteciproque (46) Il peut percevoir lrsquoimage des choses absentes

comme il le fait dans les songes tandis que lrsquoacircme non (47-49)

Ensuite lrsquoauteur compare la mens et le spiritus Crsquoest la mens qui porte le sens de

reacuteveacutelations de Dieu comme celles de prophegravetes ou des extases des saints (50-51) mais crsquoest le

spiritus qui reccediloit les images (52)

Achard explique aussi que le spiritus est lrsquointermeacutediaire entre la mens et lrsquoacircme Il ressemble

agrave lrsquoEsprit Saint car ce dernier est la connexion du Pegravere et du Fils (53-54)

135 laquo Sola namque mens dilectionem Dei secundum se et immediate suscipit susceptam vero secundum quosdam affectus et effectus ad spiritum et spiritu mediante ad animam prout potest transfundit inferiores videlicet vires ex illa et secundam illam movendo afficiendo atque disponendo raquo eacuted HAumlRING p 180 trad eacuted MARTINEAU p 203 136 laquo Est enim mens in summo anima in imo spiritus in medioraquo eacuted HAumlRING p 181 trad eacuted MARTINEAU p 203 137laquo Anima vero est quae per instrumenta corporis ad ultimas rerum species ad corporalis scilicet formas et proprietates sensu percipiendas et sensualitate concupiscendas quasi inferius et exterius quantum in ipsa est se potest effundere raquo eacuted HAumlRING p 181 trad eacuted MARTINEAU p 203 138 laquo Imago autem licet rei corporalis forma quaedam nominari possit ipsa tamen corporalis non est raquo eacuted HAumlRING p 184 trad eacuted MARTINEAU p 204

30

Pour conclure Achard eacutetablit aussi une liste des ecirctres qui possegravedent soit lrsquoacircme soit le

spiritus soir la mens soit certains entre eux (54-58)

bruti animalia quae memoria carent anima

animalia quae memoriam habent anima+spiritus

homo anima+spiritus+ mens

angelus spiritus+ mens

Deus mens

Tandis que la mens ou lrsquoacircme peuvent exister seules le spiritus ne le peut jamais car sa

fonction est celle de la meacutediation de lrsquoune de ces deux (59-60) Bien que lrsquoacircme soit unie agrave la chair

elle ressemble plus au spiritus et agrave la mens (60-62)

Achard finit en preacutecisant lrsquousage de ces trois termes dans lrsquoEcriture et en expliquant

pourquoi on les confond parfois (63-74)

De cette maniegravere Achard nous preacutesente un traiteacute assez technique destineacute agrave discerner les trois

termes anima spiritus et mens

I22 Les Sermons

Les Sermons ont eacuteteacute deacutecouverts par Bartheacutelemy Haureacuteau parmi les manuscrits de la

Bibliothegraveque nationale en 1892139 Ils ont eacuteteacute conserveacutes dans plusieurs manuscrits surtout dans des

collections drsquohomeacutelies destineacutees agrave la lecture publique ou priveacutee souvent mecircleacutes agrave drsquoautres piegraveces140

La publication a eacuteteacute faite par Jean Chacirctillon en 1970 La traduction franccedilaise du texte inteacutegral des

Sermons pour lrsquoinstant nrsquoexiste pas (seul le sermon XV Les sept deacuteserts a eacuteteacute traduit au XVIIIe

siegravecle par le victorin Simon Gourdan [dagger 1729]) mais la traduction complegravete anglaise a eacuteteacute faite par

le savant beacuteneacutedictin Hugh Feiss

Les Sermons contiennent quinze textes de longueurs diffeacuterentes composeacutes agrave lrsquooccasion de

diverses fecirctes de lrsquoanneacutee Voici la liste des Sermons dresseacutee selon le calendrier liturgique Avent

(III) Noeumll (I) Rameaux (V et XI) Septuageacutesime (VII et X) Pacircques (IV et VI) Transfiguration

(XII) fecircte de saint Augustin (IX) Nativiteacute de la Vierge (VIII) Deacutedicace (II et XIII) Toussaint

139 Bartheacutelemy Haureacuteau donne la description du manuscrit 14590 qui est un recueil des sermons des victorins parmi lesquels certains appartiennent agrave Achard B HAUREAU Notices et extraites de quelques manuscrits latins de la Bibliothegraveque nationale t III Paris 1891 p 18-67 140 Voir la liste et la classification des manuscrits dans J CHATILLON laquo Introduction raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted JCHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age XVII) p 8-17

31

(XIV) et premier dimanche de Carecircme (XV) Les douze premiers sermons sont de simples homeacutelies

et les trois derniers plus longs ont un contenu meacutetaphysique beaucoup plus riche

Ces Sermons ont eacuteteacute destineacutes principalement agrave la lecture publique et priveacutee qui occupait une

large partie du temps des victorins Achard associe les diffeacuterentes eacutetapes de lrsquohistoire spirituelle de

lrsquohomme aux fecirctes chreacutetiennes Hormis les deacuteveloppements theacuteologiques les Sermons contiennent

des explications philosophiques concernant le statut de lrsquohomme dans lrsquounivers creacuteeacute Comme les

autres victorins141 Achard a heacuteriteacute de la tradition augustinienne la vision de la nature humaine

comme deacutechue et deacuteformeacutee et qui donc a besoin de la restauration pour ecirctre reacuteunie agrave Dieu Ainsi

lrsquohistoire spirituelle de lrsquohomme est le sujet principal des Sermons laquo Le propos de lrsquoorateur est en

effet de preacutesenter agrave ses auditeurs une sorte de cateacutechegravese savante qui srsquoattache avant tout agrave lrsquohistoire

spirituelle de lrsquohomme sa creacuteation agrave lrsquoimage et agrave la ressemblance de Dieu sa chute et son exil dans

la reacutegion de la dissemblance lrsquoIncarnation reacutedemptrice ensuite qui lui apporte le salut et enfin

lrsquoitineacuteraire que chacun doit parcourir ici-bas sous lrsquoaction vivifiante de la gracircce pour redevenir

semblable agrave Dieu participer agrave sa vie et parvenir agrave lrsquoeacutepanouissement deacutefinitif de la gloire 142 raquo

A son eacutepoque la diffusion des douze premiers sermons fut assez limiteacutee (agrave quelques rares

exceptions il srsquoagit de manuscrits parisiens et victorins) relativement aux trois derniers dont on peut

trouver les traces agrave Saint-Geneviegraveve Clairvaux et mecircme en Angleterre143 En ce qui concerne la

tradition indirecte des Sermons drsquoAchard les deux textes les plus remarquables sont celui de

Frowin drsquoEngelberg (abbeacute beacuteneacutedictin du monastegravere drsquoEngelberg qui se trouve dans le territoire de

la Suisse contemporaine) qui reproduit une grande partie du sermon XIII dans son De laude liberi

arbitrii144 et celui du victorin Simon Gourdan qui a traduit le sermon XV en franccedilais sous le titre

Les sept deacuteserts (sermon sur les premiers mots de lrsquoeacutevangile de la messe du premier dimanche de

Carecircme)145 Ce dernier sermon est vraiment le plus remarquable comme contenant laquo la plupart des

enseignements anthropologiques meacutetaphysiques et theacuteologiques qursquoil avait preacutesenteacutes ailleurs raquo146

Deux des manuscrits agrave partir desquels Chacirctillon a fait lrsquoeacutedition critique des Sermons

drsquoAchard (Saint-Omer 195 et Troyes 259) contiennent aussi quelques fragments drsquoauthenticiteacute

douteuse qui laquo ont tous pour objet drsquoexposer la signification alleacutegorique drsquoun certain nombre de

141 J CHATILLON laquo La culture du lrsquoeacutecole de Saint-Victor au 12e siegravecle raquo dans Le mouvement canonial au Moyen acircge reacuteforme de lrsquoEacuteglise spiritualiteacute et culture eacutetudes reunies par P SICARD Paris-Turnhout 1992 (Bibliotheca victorina 3) p 339 142 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 153 143Ibid p 148 144 Ibid p 148 145 Ibid p 149 146 ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted J CHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age XVII) p 196

32

textes bibliques rapprocheacutes les uns aux autres par le jeu drsquoassociations verbales plus ou moins

ingeacutenieuses147 raquo Chacirctillon ne trouve pas ces fragments inteacuteressants

La seule eacutetude sur les Sermons drsquoAchard est celle de Jean Chacirctillon parue en 1969148 ougrave il a

fait non seulement une enquecircte sur la vie et les œuvres drsquoAchard ce qui nous a permis de discerner

la figure drsquoAchard parmi les autres Victorins mais aussi a donneacute une premiegravere esquisse de sa

penseacutee

Mecircme si le propos principal des Sermons est de parler des fecirctes chreacutetiennes susmentionneacutees

sur le plan spirituel (IV V VIII X XI XII XIV) la plupart drsquoentre eux touchent aussi le sujet de

lrsquohistoire spirituelle de lrsquohomme (II VI VII IX XIV) et le rocircle qursquoy joue le Christ dans sa

reacuteparation spirituelle (I III IV XI XII XIII XV)

J Chacirctillon et H Feiss agrave sa suite proposent de diviser la penseacutee drsquoAchard preacutesenteacutee dans les

Sermons en une theacuteologie (qui comprend une anthropologie et une christologie) et une spiritualiteacute

(qui comprend la description de la vie active et contemplative) En ce qui concerne lrsquoanthropologie

Achard part de la Genegravese I 26-27 (laquo Dieu fit lrsquohomme agrave son image et agrave sa ressemblance raquo) Il

affirme que comme la creacuteature spirituelle participe agrave son creacuteateur de maniegravere triple selon la

creacuteation selon la justification et selon la beacuteatification il y a trois reacutegions de la ressemblance selon

la nature selon la gracircce et selon la gloire La personne a naturellement lrsquoaptitude agrave connaicirctre Dieu agrave

lrsquoaimer et agrave jouir de lui mais elle a besoin de la gracircce de Dieu qui perfectionne sa nature jusqursquoagrave ce

que cette aptitude atteigne son eacutepanouissement deacutefinitif dans la gloire La derniegravere de ces trois

reacutegions est la plus proche de Dieu et la premiegravere en est la plus eacuteloigneacutee Cette doctrine srsquoappuyant

sur la deacutefinition des modes de participation et des reacutegions de ressemblance se deacuteveloppe dans le

cadre de lrsquohistoire spirituelle La personne humaine avant le peacutecheacute originel a eu la gracircce de Dieu

qui lui permettait drsquoacceacuteder agrave la similitude selon la gloire Pourtant apregraves elle a perdu cette gracircce et

srsquoest retrouveacutee dans les reacutegions de dissemblance qursquoAchard eacutevoquait selon la nature selon la peine

et selon la faute (dont la derniegravere est la plus eacuteloigneacutee de Dieu) La diffeacuterence essentielle entre ces

deux eacutetats pour lrsquohomme reacuteside dans le fait qursquoapregraves le peacutecheacute son sens sa volonteacute et sa raison sont

en contradiction ce qui creacutee le conflit inteacuterieur Neacuteanmoins avec lrsquoarriveacutee du Reacutedempteur

lrsquohomme a reccedilu la chance de reacuteparer sa faute Cependant lrsquoanthropologie achardienne tend vers

une christologie

En ce qui concerne le Christ Achard reacutepegravete les dogmes principaux de la doctrine chreacutetienne

Particuliegraverement (1) le Christ est consubstantiel agrave Marie (la substance humaine) et agrave Dieu

147ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted J CHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age XVII) p 246 Lrsquoeacutedition de ces fragments p 245 148 J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII)

33

(substance divine) (2) lrsquoincarnation est une action commune des trois personnes constitueacutees dans un

terme unique ndash le Fils (3) le Christ srsquoest incarneacute de telle sorte que lrsquohomme est devenu Dieu et Dieu

est devenu homme sans perdre ses proprieacuteteacutes principales (4) le Verbe (le Christ) qui assume

possegravede par nature tout ce que lrsquohomme qui a eacuteteacute assumeacute (homo assumptus) possegravede par gracircce (5)

le Christ possegravede une humaniteacute qui nrsquoest pas rien (6) les deux natures sont reacuteunies dans la

personne du Verbe Le but de cette quecircte est neacutecessaire puisque la vie spirituelle est consideacutereacutee

comme laquo une participation de plus en plus eacutetroite agrave la gracircce du Christ raquo149 Achard traite la nature

humaine comme la matiegravere qui est formeacutee par la gracircce agrave partir de la participation au corps du Christ

(par la communion) et qui est reacuteformeacutee par la justification (qui consiste drsquoune part en la justice

originelle restitueacutee par le sacrement de baptecircme et drsquoautre part en la justice actuelle qui provient

de la coopeacuteration avec notre libre arbitre) Le corps du Christ qui est multiple (naturel sacramentel

virtuel intellectuel et spirituel) est formeacute aussi par lrsquoEglise Achard eacutevoque aussi les trois attributs

du Christ qui correspondent aux trois demeures qursquoon doit construire agrave lrsquointeacuterieur de soi la vertu

(lrsquoattribut de la puissance) lrsquoamour (lrsquoonction spirituelle) et la sagesse (la contemplation) 150 En

passant par toutes ces eacutetapes la personne peut se restaurer de telle sorte que la participation au corps

du Christ (lrsquoEglise) devient possible

La spiritualiteacute deacuteveloppe de maniegravere pratique le thegraveme de la restauration de la nature

humaine La premiegravere partie du deacuteveloppement spirituel est la vie active qui exige lrsquointeacuteriorisation

la purification et la pacification La personne doit passer par les cinq deacuteserts crsquoest-agrave-dire deacuteserter

successivement le peacutecheacute le monde la chair sa volonteacute propre et mecircme sa raison Crsquoest la deacutevotion

qui aide agrave passer de lrsquoaction agrave la contemplation La derniegravere est orienteacutee vers la connaissance du

mystegravere de Dieu Elle passe de la connaissance du creacuteateur dans le miroir de la creacuteature corporelle

jusqursquoagrave la vision de la Triniteacute Parmi les trois hieacuterarchies supeacuterieures qui seront ouvertes au

contemplatif il y a les raisons judicielles (les Trocircnes) formelles (les Cheacuterubins) et finales (les

Seacuteraphins) Les deux derniers deacuteserts couronnent la vie contemplative le sixiegraveme deacutesert lrsquounion

mystique avec le Christ dans lrsquoesprit du contemplatif ce qui est symboliseacute par la geacuteneacuteration

spirituelle du Fils de Dieu par la Vierge (en passant par cette eacutetape le contemplatif sort de lui-mecircme

ce qui signifie la mort de lrsquohomme cela veut dire le remplacement de la raison et de la volonteacute

humaine par celles de Dieu) le septiegraveme est lrsquoidentification au Christ ce qui signifie que le

contemplatif doit venir aider ses fregraveres comme le Christ qui est venu pour sauver les hommes

Ainsi les Sermons sont une œuvre homileacutetique mais qui est en mecircme temps riche par ses

doctrines theacuteologiques ndash un veacuteritable fruit des reacuteflexions drsquoun maicirctre et guide spirituel

149 Ibid p 232 150 Ibid p 224 Chacirctillon rapporte cette doctrine agrave la doctrine de lrsquoappropriation trinitaire laquo selon laquelle les opeacuterations ad extra communes aux trois personnes peuvent ecirctre plus speacutecialement attribueacutees agrave lrsquoune ou agrave lrsquoautre drsquoentre elles raquo (p 224)

34

CHAPITRE II

Le manuscrit de Padoue

Le manuscrit Padova 89 est le seul manuscrit du De unitate connu aujourdrsquohui Tandis que

ce manuscrit unique a eacuteteacute fait agrave Padoue au XIVe siegravecle le De unitate avait eacuteteacute eacutecrit au XIIe siegravecle agrave

Paris Lrsquohistoire se complique par le fait que des passages du De unitate ont eacuteteacute citeacutes par le

philosophe du XIVe siegravecle Jean de Ripa Il les cite sous le nom de De Trinitate et il les attribue agrave

Anselme Il est ainsi eacutevident que le manuscrit de Padoue nrsquoest pas un teacutemoignage direct et qursquoil est

possible que le texte ait eacuteteacute alteacutereacute lors de sa transcription par un copiste des copistes

Le fait que le texte du De unitate ait pu ecirctre alteacutereacute donne une raison pour corriger la

transcription du manuscrit unique Dans son eacutedition du De unitate Martineau a bien fait cela

Dans ce chapitre nous allons eacutetudier les lectures du De unitate (tireacutees du Padova 89) afin de

voir si une interpreacutetation alternative de cette œuvre est possible

II 1 Description du manuscrit

Lrsquoeacutedition du De unitate a eacuteteacute faite sur la base du manuscrit unique qui se trouve

actuellement agrave la bibliothegraveque du couvent de Saint-Antoine agrave Padoue151 Le manuscrit a 200 pages

Il contient les œuvres de Jean Damascegravene (De fide ortodoxa) Boegravece (De Trinitate De duabus

naturis in una persona Christi152) et Anselme (Monologion Prosologion avec les reacuteponses de

Gaunilon etc) Le codex a eacuteteacute copieacute par deux copistes diffeacuterents Les œuvres jusqursquoagrave la page 176

sont eacutecrites en eacutecriture gothique calligraphique franccedilaise et agrave partir de la page 177 par une main

moins soigneuse et eacuteleacutegante non franccedilaise La pagination nrsquoest pas non plus unifieacutee dans tout le

manuscrit La deacutecoration des majuscules par contre lrsquoest153 Le manuscrit est dateacute du XIVe siegravecle

(la datation preacutecise peut ecirctre tireacutee de lrsquoexplicit de lrsquoœuvre drsquoAchard laquo Sub anno incarnationis

ejusdem Domini 1352 Amen raquo 188v)

Le De unitate se trouve entre les pages 177r et 188v en un seul cahier Lrsquoordre des folios a

eacuteteacute bouleverseacute lrsquoœuvre se lit donc selon la seacutequence suivante 177 180 179 182 181 178 187

151 Padova Bibliotheca Antoniana Scaff V 89 152 Celui qui est connu aujourdrsquohui sous le nom Contra Eutychen et Nestorium 153 ABATE G LUISETTO G Codici e manoscritti della Biblioteca Antoniana col catalogo delle miniature eacuted F AVRIL F DARCAIS et G MARIANI CANOVA t 1 Vicenza 1975 p 106-107 Cassandro C Giovegrave Marchioli N Massalin P e Zamponi S I manoscritti datati della provincia di Vicenza e della Biblioteca Antoniana di Padova Tavarnuzze 2000 p 65

35

184 183 186 185 188154 Le manuscrit ne porte pas de nom drsquoauteur et le texte se trouve entre les

œuvres drsquoAnselme (entre le De Casu Diaboli Dialogus et le Liber Orationum) La page 176v

contient une reacuteclame indiquant que la page suivante devrait commencer par les mots laquo voluntas

tripliciter raquo mais ce nrsquoest plus le cas

Toutes les œuvres preacutesentes dans le codex sauf le De unitate comportent des tables des

chapitres et parfois un prologue Le deacutebut du De unitate ne donne pas de titre Cela et la reacuteclame

du 176v permettent de supposer que le deacutebut a eacuteteacute perdu155

Le titre est introduit agrave la fin laquo De unitate et pluralitate creaturarum raquo

Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny remarque que le fragment du manuscrit de Padoue nrsquoest pas la

seule œuvre drsquoAchard trouveacutee en compagnie des œuvres drsquoAnselme Lrsquoun des manuscrits de Saint-

Victor qui se trouve actuellement agrave la Bibliothegraveque Nationale de France contient un autre traiteacute

drsquoAchard qui a pour thegraveme le verset Ductus est Ihesus in deserto156 transcrit avec le Prosologion et

des extraits du Monologion157

En ce qui concerne la qualiteacute du manuscrit de Padoue Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny remarque

laquo En plusieurs passages on soupccedilonne des homoioteleuton des mots omis ou mal

interpreacuteteacutes et la confrontation des citations abondantes drsquoAugustin avec une eacutedition

correcte donne de graves inquieacutetudes quant au reste de la transcription158 raquo

Dominique Poirel dit que laquo le manuscrit de Padoue offre un texte visiblement alteacutereacute raquo159

Vu que le Padova 89 a eacuteteacute copieacute deux siegravecles apregraves la reacutedaction du De unitate et que des

doutes concernant son exactitude ont eacuteteacute exprimeacutes nous nous permettons de supposer que des

fautes pouvaient apparaicirctre lors de la transmission de texte Notamment nous avons trouveacute un

endroit ougrave les chapitres pouvaient ecirctre deacutecoupeacutes autrement

154ABATE G LUISETTO G Codici e manoscritti della Biblioteca Antoniana col catalogo delle miniature eacuted F AVRIL F DARCAIS et G MARIANI CANOVA t 1 Vicenza 1975 p 110 155 ABATE G LUISETTO G Codici e manoscritti della Biblioteca Antoniana col catalogo delle miniature eacuted F AVRIL F DARCAIS et G MARIANI CANOVA t 1 Vicenza 1975 p 110-111 156 Crsquoest le Sermon XV 157 M-T DrsquoALVERNY laquo Notes sur deux œuvres theacuteologiques du XIIe siegravecle Alain de Lille Expositio prosae de Angelis Achard de Saint-Victor De Trinitate raquo dans Bibliothegraveque de lrsquoEacutecole des Chartes t 112 1954 p 249 158M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 301 159 D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p 509

36

II11 I 19-20 le deacutecoupage en chapitres

Voyons la fin du chapitre I 19 et le deacutebut du chapitre I 20

Texte latin Traduction franccedilaise (Martineau)

Quis ergo ibi magis concedendus

fuerit numerus ubi est et origo et finis

omnium ubi est et illa principalis et

prima substantiae scilicet Patris figura et

forma increata a qua et juxta quam

figurantur et formantur omnia

Quel nombre en effet admettra-t-on de

preacutefeacuterence lagrave ougrave se trouve lrsquoorigine et la fin de

toutes choses lagrave ougrave est aussi cette figure

principale et premiegravere de la substance ndash crsquoest-agrave-

dire du Pegraveremdash et cette forme increacuteeacutee agrave partir de

laquelle et drsquoapregraves laquelle toutes choses sont

figureacutees et formeacutees

Numerus quoque penes quem vis

et forma consistit omnium rerum ab

unitate aequalitas ab aequalitate species

omnes docetur procedere inaequalitatis

Aequalitas illa in tribus constituitur et tria

sunt praecepta secundum quae omnis illa

inaequalitas derivatur

En outre le nombre au pouvoir duquel se

trouve la vertu et la forme de toutes choses crsquoest

lrsquoeacutegaliteacute qui provient de lrsquouniteacute crsquoest de

lrsquoeacutegaliteacute est-il enseigneacute que procegravedent toutes les

espegraveces drsquoineacutegaliteacute Cette eacutegaliteacute est poseacutee entre

trois termes et il y a trois regravegles selon lesquelles

toute cette ineacutegaliteacute en deacuterive160

Le corpus des chapitres I 19-20 peut ecirctre modifieacute de telle sorte que la premiegravere phase du

chapitre I 20 srsquoajoute agrave la fin du chapitre I 19 Cette phrase peut servir en tant que suite de la

question poseacutee agrave la fin du chapitre I 19 Voici ce que cela donne

Texte latin corrigeacute Traduction corrigeacutee

Quis ergo ibi magis concedendus

fuerit numerus ubi est et origo et finis

omnium ubi est et illa principalis et

prima substantiae scilicet Patris figura et

forma increata a qua et juxta quam

figurantur et formantur omnia numerus

quoque penes quem vis et forma consistit

omnium rerum

Quel nombre en effet admettra-t-on de

preacutefeacuterence lagrave ougrave se trouve lrsquoorigine et la fin de

toutes choses lagrave ougrave est aussi cette figure

principale et premiegravere de la substance ndash crsquoest-agrave-

dire du Pegraveremdash et cette forme increacuteeacutee agrave partir de

laquelle et drsquoapregraves laquelle toutes choses sont

figureacutees et formeacutees mais aussi le nombre au

pouvoir duquel se trouvent la vertu et la forme

160ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 19-20 p 92-93

37

de toutes choses

Ab unitate aequalitas ab

aequalitate species omnes docetur

procedere inaequalitatis

Lrsquoeacutegaliteacute provient de lrsquouniteacute de lrsquoeacutegaliteacute

est-il enseigneacute procegravedent toutes les espegraveces

drsquoineacutegaliteacute

De cette faccedilon le chapitre I 19 reccediloit un autre argument en faveur du nombre trois161 et le

chapitre I 20 commence le nouvel argument baseacute sur le De arithmetica de Boegravece

Ainsi nous proposons de changer le deacutecoupage original des chapitres I 19-20 du manuscrit

de Padoue

II 2 Lrsquoeacutedition de Martineau une eacutevaluation

Il est difficile drsquoomettre le fait que lrsquoeacutedition princeps du De unitate a eacuteteacute faite drsquoun point de

vue assez original Lrsquoeacutediteur de cette œuvre se considegravere laquo un simple apprenti pheacutenomeacutenologique

non pas un meacutedieacuteviste162 raquo

Contrairement agrave Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny Martineau a beaucoup de confiance dans le

manuscrit de Padoue Il accuse mecircme Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny de lancer laquo une campagne de

deacutenigrement et mecircme de diffamation de lrsquounique teacutemoin du De unitate163 raquo dont il a voulu

deacutebloquer la publication Martineau tente de reacutefuter lrsquoargument principal de Marie-Theacuteregravese

drsquoAlverny en faveur de mauvaise qualiteacute du manuscrit ndash la confrontation des citations drsquoAugustin

avec une eacutedition correcte A son avis la diffeacuterence nrsquoest pas si grave et donc elle ne peut servir en

tant que teacutemoignage drsquoune faiblesse de ce manuscrit164 En effet Martineau se concentre

uniquement sur le manuscrit de Padoue Il ne soutient pas lrsquohypothegravese de Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny

que ce manuscrit pouvait servir en tant que source de Jean de Ripa Ainsi les extraits ripiens nrsquoont

aucune autoriteacute pour Martineau165

En mecircme temps Martineau prend le copiste du manuscrit pour un laquo imbeacutecile raquo qui ne

comprend pas ce qursquoil copie166 Cela lui permet de proposer plusieurs ajouts qui constituent parfois

de veacuteritables hypothegraveses eacuteclaircissant le sens des phrases Par conseacutequent Martineau a introduit

quelques corrections facilitant la compreacutehension du texte Les pluparts de ces corrections

161 Crsquoest laquo le nombre au pouvoir duquel se trouvent la vertu et la forme de toutes choses raquo 162 E MARTINEAU laquo Note sur le manuscrit de Padoue et la preacutesente eacutedition raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 67 163 Ibid p 63 164 Ibid p 65-66 165 Ibid p 64 166 Ibid p 64

38

concernent des formes grammaticales167 La preacutesence de ces corrections montre que lrsquoeacutedition de

Martineau deacutepasse la simple transcription du texte mais elle comprend aussi lrsquoaspect critique

destineacute agrave reacutetablir le sens du De unitate

La lecture du manuscrit montre quelques endroits qui lus autrement peuvent avoir un autre

sens Nous allons eacutetudier ces cas pour eacutevaluer lrsquoefficaciteacute de la strateacutegie choisie par lrsquoeacutediteur

II21 La veritas et lrsquounitas

La notion drsquounitas est une des notions centrales de la doctrine drsquoAchard La maniegravere de

lrsquoeacutecrire dans le manuscrit ressemble agrave celle de la veritas

Voici le mot unitas

bull Parfois le mot est eacutecrit clairement

177r colonne gauche ligne 2

Les cas semblables

177r colonne gauche lignes 3 7 10 11 14 21 22 36 40 colonne droite lignes 1 6 11

12 19 (2) 22 26 32 37 177v colonne gauche lignes 3 13 25 34 38 39 41 colonne droite

lignes 3 17 24 27 32

bull Parfois il est abreacutegeacute agrave la fin

177v colonne droite ligne 38

Les cas semblables

180r colonne droite ligne 44 180v colonne droite ligne 3 8 12 22 24 34 (2) etc

186v colonne droite ligne 13

bull Parfois il est abreacutegeacute au milieu ( ui )

177r colonne droite ligne 41 167 Voir les notes agrave lrsquoeacutedition drsquoACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 ch I 5 p 74 note c consideratur agrave considerato I 7 p 76 note b quidem agrave quod etc

39

Les cas semblables

177v colonne gauche ligne 32 colonne droite ligne 19 180v colonne droite ligne 43

179r colonne gauche ligne 12 179v colonne gauche ligne 15

Voici le mot Veritas

bull Le mot Veritas est toujours abreacutegeacute u ou plutocirct u pour deacutesigner ver

184v colonne gauche ligne 6

Les cas semblables

184v colonne droite ligne 24 186r colonne droite ligne 22

bull Parfois lrsquoeacutecriture drsquoun trait dans lrsquoabreacuteviation de veritas nrsquoest pas claire mais il

ressemble toujours agrave un trait courbe et le mot se lit donc comme veritas

181r colonne gauche ligne 10

Les cas semblables

181 v colonne droite ligne 12-13 187v colonne droite ligne 19 35 38 184r colonne

gauche ligne 45 184v colonne gauche ligne 3 colonne droite ligne 1 186r colonne droite

ligne 24 25 187v colonne droite lignes 19 35 38 39 40 (2) 184r colonne gauche ligne 45

etc

bull Le trait nrsquoest pas clair quand le mot se trouve agrave la fin de la ligne

187v colonne droite ligne 38

Le cas semblable 186r colonne gauche ligne 32

bull Sauf ce cas unique verite deacutesigne veritate

185v colonne droite ligne 5

Dans tous les cas que nous avons eacutetudieacutes la transcription de Martineau est correcte du point

de vue de la paleacuteographie Pourtant dans plusieurs cas ougrave lrsquoabreacuteviation se lit unitas Martineau

transcrit veritas Et vice versa

40

Les deux groupes de fautes semblables existent dans les chapitres I 1-10 et II 3-18 Nous

allons drsquoabord observer les corrections faites par Martineau lors de sa transcription et ensuite nous

allons estimer la neacutecessiteacute de ces corrections

I 1-10

Voici des cas ougrave nous voyons clairement le trait vertical courbe qui correspond agrave veritas

Pourtant Martineau transcrit unitas

177r colonne gauche ligne 10

Les cas semblables

177r colonne gauche lignes 16 177v colonne gauche ligne 27 colonne droite lignes 6 7

20 21 31

177r colonne droite ligne 16

Les cas semblables

177r colonne droite lignes 21 177v colonne gauche lignes 35 36 180v colonne gauche

ligne 14

Quelle eacutetait la motivation de Martineau Voyons le texte

I 1

laquo Impossibile namque est pluralitatem vel esse vel dici proprie nisi quia est ipsa pluralitatis

unitas id est vera pluralitas vel quia imitatur eam Imitari autem eam nequit quin ipsa sit

Ipsa igitur est esse autem non potest nisi ubi et unitas vera nec unitas vera nisi in Deo Ibi

ergo et veram consistere oportet et pluralitatem et unitatem sed non secundum idem raquo

Si lrsquoabreacuteviation en question (en gras) eacutetait transcrite comme veritas cela donnerait

lrsquoexpression tautologique veritas vera

I 2

laquo Creaturarum quoque pluralitas tam longe est ab unitate summa ut ei inhaerere immediate

non possit Non solum enim ab ea distat quia haec pluralitas illa unitas est sed quia haec

temporalis est cum illa sit aeternahellip raquo

41

Lrsquoopposition unitas-pluralitas est preacutesente ici Il nrsquoy a pas de raisons de la changer pour

lrsquoopposition veritas-pluralitas

I 5

laquo Tanta etiam causa dignoscitur esse pulchritudo hujus unitatis pluribus communis ut

pulchrior esse nequeat unitas singularis id est eorum quae inest singulis sed inferior ubique

istius occurrit pulchritudo nisi cum creatura suo unitur creatori et ei adhaerens unus

efficitur spiritus ubi tamen multo praestantior et gratior est unitas qua in unum

conglutinantur spiritum quam ea quae in solo spiritu creatohellip raquo

Ici les degreacutes de lrsquouniteacute sont compareacutes

Ces exemples sont similaires aux autres cas dans les chapitres I 6-10 Le sujet de ces

chapitres est la relation entre lrsquouniteacute et la pluraliteacute Dans ce cas le choix de la correction est justifieacute

par le contexte

Voici un cas ougrave Martineau lit lrsquoabreacuteviation drsquounitas (trait horizontal) comme veritas

177v colonne gauche ligne 12

I 7

laquo Unde et veritas ut summam sui et Patris qualis reperiri nequeat alibi commendaret

unitatem laquo Ego inquit in Patre et Pater in me est raquo raquo

Achard introduit une citation de la Bible (Jean XIV 11) qui parle du Fils de Dieu qui est la

Veacuteriteacute (laquo ego sum via et veritas raquo Jean XIV 6) De plus il y a deacutejagrave le mot unitas dans cette

phrase Voilagrave pourquoi la correction veritas est justifieacutee

En somme la majoriteacute des cas douteux ougrave le mot abreacutegeacute comme veritas se lit par Martineau

comme unitas se trouvent dans les chapitres I 1-10 Ces lectures sont deacutefinies par le contexte (la

doctrine de lrsquouniteacute de Dieu) et par plusieurs cas clairs de lrsquoabreacuteviation du mot unitas

II 3-18

Dans les chapitres II 3-18 Martineau lit souvent lrsquoabreacuteviation drsquounitas comme veritas

187v colonne droite ligne 40

42

Les cas semblables

184r colonne droite lignes 34 37 184v colonne droite ligne 18 183v colonne gauche

lignes 17 22 186r colonne gauche ligne 40 186 v colonne droite ligne 31 etc

187v colonne droite ligne 22

Les cas semblables

187v colonne droite lignes 36 41 45(2) 184r colonne droite ligne 41 43 184v colonne

droite lignes 3 30 183r colonne gauche ligne 18 183v colonne gauche ligne 18 183v

colonne gauche lignes 22 26 etc

Parfois le copiste met un petit trait au-dessus drsquoui qui sur notre reproduction ressemble agrave un

point Il peut ecirctre interpreacuteteacute soit comme un tilde soit comme un trait courbe Par conseacutequent ce

signe est ambigu il peut signifier soit unitas soit veritas

187v colonne droite ligne 40

Les cas semblables

184r colonne droite ligne 38 183r colonne gauche ligne 18 183r colonne droite ligne

37 186r colonne gauche ligne 23 25 colonne droite ligne 3 etc

Voyons le texte

II 3

laquoIn veritate igitur illa aeterna ex qua tempora omnia facta sunt formam secundum quam

sumus et secundum quam vel in nobis vel in corporibus vera et recta ratione aliquid

operamur visu mentis aspicimus quae certe alia non potest esse nisi veritas ipsa in qua

formam rei cujuscumque ab altenus forma distinctam evidenter raquo

Dans ce passage la lecture veritas est susciteacutee par la citation drsquoAugustin (De Trinitate IX

VII) agrave laquelle Achard reacutefegravere Lrsquoabreacuteviation du mot veritate qui appartient au texte drsquoAugustin

(187V colonne droite ligne 19) est plus claire

laquo Cum etiam hujusmodi forma id est ratio formalis rei cujuslibet ipsius sit veritas si rerum

omnium forma haec sine distinctione esset una et veritas omnium eodem modo esset una

et nulla consideratione aliquatenus distincta Quod quidem si esset nec si quis in Dei

43

contemplatione rei alicujus veritatem videre posset quin pariter et eo ipso cujuslibet etiam

rei alterius veritatem agnosceret nec veritatem rei unius sciret quin simul et veritatem

sciret omnium nec intelligeret alter ibi aliquid de rerum veritate quod non alter sed nec id

quod penitus sine omni distinctione esset et in participationem aliquam venire posset nec

pateret quomodo quis id per se ipsum et in se ipso videret quin tantum videret vel quomodo

etiam Deus ltnecgt ipse aliquid circa veritatem sive in veritate rerum videret raquo

Tous ces cas du deacutechiffrement de veritas sont impliqueacutes par la premiegravere occurrence de

veritas dans ce passage qui se lit clairement (187v colonne droite ligne 35)

II 4

laquo Deus autem intelligit rerum omnium rationes et veritates aeternas propter quas ltetgt in

quibus vere dicitur intelligere et vere res intelligit omnes utpote qui eas non per speculum et

in aenigmate non in imaginibus vel umbris ltsedgt in ipsis earum contemplatur veritatibus

vel magis ipsas earum veritates quae utique aliud non sunt quam intelligens ipse Et ideo

ipse res videt non solum vere sed et immediate nec per aliud quam per se nec in alio quam

in se quae quidem Dei visio quasi quaedam est ipsius Dei videntis et veritatis rei visae ut

dictum est connexio Juxta quod ut postmodum assignabitur ltutgt rationes rerum ltetgt

veritates ad Filium sic et [ad] intellectus earum referri poterint ad considerationem

Spiritultsgt sanctltigt ut nam ad Filium distinctio sic ad Spiritum sanctum si monstrata est et

adhuc monstranda est pertinerelttgtm connexio raquo

Les cas de la lecture de veritas sont deacutetermineacutes ici par le contexte

- selon la Bible le Fils est la veacuteriteacute (Jean XIV 6) De cette faccedilon il paraicirct

logique de dire que les veacuteriteacutes sont dans le Fils

- lrsquoopposition veacuteriteacute-image correspond agrave la doctrine platonicienne que les

choses qui existent dans le monde sont les imitations des ideacutees eacuteternelles et agrave la doctrine

chreacutetienne que lrsquohomme a eacuteteacute creacuteeacute selon image de Dieu168

De plus les raisons sont clairement appeleacutees des veacuteriteacutes plus loin dans le texte (II 4 184v

colonne gauche lignes 3 et 6)

Dans les autres cas des chapitres II 3-18 quand les abreacuteviations avec un tilde ou avec un

point ont eacuteteacute interpreacuteteacutees comme veritas Martineau a fait ce choix pour les mecircmes raisons

168 Un exemple de lrsquoassemblage de ces deux doctrines est dans le De officiis drsquoAmbroise de Milan laquo Hic umbra hic imago illic ueritas umbra in Lege imago in Euangelio ueritas in caelestibus raquo I XLVIII eacuted TESTARD Turnhout 2000 (CCSL 15) p 88

44

Quelques cas de lrsquoemploi du mot unitas se trouvent aussi dans ces chapitres

- 184r colonne gauche linge 30 184v gauche 41 186v colonne droite ligne 13 ndash la lecture

claire du mot unitas

- 184r colonne gauche 45 ndash le mot unitatem abreacutegeacute avec le tilde Il srsquoagit de lrsquouniteacute de

personne du Verbe incarneacute de Dieu (laquo Ibi et ipse homo a Dei verbo et veritate summa in

unitatem personae susceptus raquo) La lecture est ainsi impliqueacutee par le contexte

Il y a un cas ougrave lrsquointerpreacutetation de Martineau peut ecirctre changeacutee

184r colonne gauche ligne 18

Martineau lit cette abreacuteviation comme unitatem Voyons le contexte

II 3

laquo item creaturarum beatitudines nonnisi beatitudinis summae quae in Deo et Deus est

quaedam sunt derivationes et utraeque non aliud sunt nisi creaturae rationalis ad creatorem

suum tanquam imaginis ad unitatem connexiones quae et ipsae connexionis summae quae

inter personas Trinitatis est videntur esse quaedam imagines raquo

Ici il est possible de lire veritatem pour la mecircme raison qursquoen II 4 pour eacutetablir lrsquoopposition

entre lrsquoimage et la veacuteriteacute

En somme il est eacutevident que Martineau a choisi la strateacutegie drsquointerpreacuteter les lectures selon le

contexte au lieu de transcrire purement et simplement En I 1-10 il lit toujours les abreacuteviations

avec un trait courbe comme unitas et une fois lrsquoabreacuteviation avec un tilde comme unitas En II 3-18

les abreacuteviations avec un trait courbe ou avec un point sont lues plutocirct comme veritas

Apparemment Martineau a choisi ces lectures car en I 1-10 il srsquoagit de la doctrine de lrsquouniteacute de

Dieu et en II 3-18 des raisons eacuteternelles qui sont les veacuteriteacutes dans la Veacuteriteacute

Nous avons pu repeacuterer seulement une fois ougrave la lecture de Martineau peut ecirctre contesteacutee Il

srsquoagit du mot unitatem qui serait lu plutocirct comme veritatem en II 3 (184r colonne gauche ligne

18)

45

II22 hochaechic en II 2-3

Sur la reproduction du Padova 89 nous ne voyons pas clairement de diffeacuterence entre hoc et

haec mais la diffeacuterence est assez claire entre hoc et hic

Parfois le copiste eacutecrit clairement hoc

177v colonne gauche ligne 14

Les cas semblables

177 v colonne droite ligne 26 187v colonne gauche ligne 44 etc

Dans la plupart de cas il utilise cette abreacuteviation

- h avec un point (souvent prolongeacute drsquoun trait de fuite) qui peut ecirctre eacutegalement lu

comme un trait (lui aussi souvent prolongeacute drsquoun trait de fuite)

Martineau lrsquointerpregravete en tant que haec (avec un trait) ou hoc (avec un point) Les deux

tendent agrave se deacuteformer et agrave se confondre agrave cause de la cursiviteacute

Dans le traiteacute I

Haec 177r colonne gauche lignes 15 16 (2) 17 18 177 v colonne gauche lignes 17 et

45 colonne droite ligne 24 180r colonne gauche ligne 39 colonne droite ligne 40 etc

Hoc 177r colonne gauche ligne 27 177 v colonne droite ligne 39 etc

La diffeacuterence graphique nrsquoest pas clairement perceptible entre les deux cas Etudions un

exemple pour comprendre la logique de lrsquointerpreacutetation de Martineau

I 2

laquo Creaturarum quoque pluralitas tam longe est ab unitate summa ut ei inhaerere immediate

non possit Non solum enim ab ea distat quia haec pluralitas illa unitas est sed quia haec

temporalis est cum illa sit aeterna haec in mensura cum illa sit immensa haec mutabilis

atque corruptibilis cum illa sit immutabilis atque incorruptibilis haec creata illa increata

Exigit itaque ratio super hanc pluralitatem a Deo remotam constitui aliquam superiorem quae

illi summae unitati cohaereat immediate et quasi mediata sit inter illam unitatem et hanc

pluralitatem Media autem intelligatur non loco aut dignitate sed causa atque imagine id est

46

quae sit ex illa et qua sit ista similitudine etiam commune scilicet aliquid habens cum

utraque cum ista quia pluralitas est cum illa quia increata est quia immutabilis etc Quae de

unitatis natura sunt dicta ut sic pluralitas ista per hoc quod habet cum illa commune ei

posset aliquatenus inhaerere et unitati etiam mediante pluralitate raquo

Dans ce passage les premiegraveres abreacuteviations sont lues comme haec dans lrsquoopposition avec

illa De plus il est clairement marqueacute hanc pluralitatem agrave lrsquoaccusatif La derniegravere abreacuteviation est

interpreacuteteacutee comme hoc car il est preacuteceacutedeacute per qui demande lrsquoaccusatif et suivi par quod habet qui

demande un neutre singulier

Dans les autres cas Martineau interpregravete h comme haec soit dans le cas drsquoopposition

haecilla (I 810) soit quand cela est grammaticalement justifieacute (haec unitas I 8)

Dans le traiteacute II la mecircme abreacuteviation (h) est eacutegalement preacutesente

Hoc 187r colonne droite lignes 11 et 23 187v colonne gauche lignes 2 4 (2) 19 et 29

colonne droite ligne 26 etc

Haec 187v colonne gauche ligne 40 184r colonne droite ligne 7 etc

Dans ces chapitres Martineau lit h comme hoc sauf srsquoil deacutesigne le mot au feacuteminin (forma

prima II 2 et 3)

Une fois Martineau lit mecircme lrsquoabreacuteviation comme haec (187v colonne droite ligne

36) car elle deacutesigne la forme Dans un autre endroit il lit une abreacuteviation semblable comme licet

(184r colonne droite ligne 5)

En somme nous avons vu que les abreacuteviations drsquohoc et drsquohaec sont en pratique tregraves proches

et crsquoest le sens du contexte (opposition haecilla) qui preacutecise lrsquointerpreacutetation

Voici comment le copiste deacutesigne hic

h avec une ligne verticale

Dans le traiteacute I 180r colonne droite ligne 42 180v colonne gauche ligne 1 colonne

droite ligne 1 etc 179v colonne gauche ligne 34 colonne droite ligne 29 182v colonne

droite lignes 17 25 etc

Dans le traiteacute II 187r colonne droite ligne 29 187v colonne gauche ligne 30 colonne

droite ligne 2 11 et 28 etc

47

Parfois Martineau lit hic mecircme si lrsquoabreacuteviation ressemble plutocirct agrave hochaec

II 1

laquo Itltemgt ne quis ipsum hoc aliter exponeret lucem vocans in verbo Dei quod hic factum

est eo solum quod illuminamur per rerum intelligentiam praecipue cum eas intelligimus

prout ibi sunt raquo - 187r colonne droite ligne 12

Dans ce cas nous pourrions lire hoc Mais hic est justifieacute par lrsquoopposition avec ibi

II 2

laquo Omnia fecisti in sapientia nec secundum aliam utique nisi ltsecundumgt eandem ipsam

ipsa autem facta non est vel formata ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque

prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna quae ex ipsa est actualiter in rebus

ipsis temporaliter factis et ideo ipsa quoque hic facta temporalis raquo - 187v colonne droite

ligne 9

Ici ni hoc ni haec nrsquoont sens Il y a aussi la tendance agrave mettre ensemble facta et hic pour

souligner la creacuteation temporelle ici

II 3

laquo ut quod ibi in seipso sine termino in istis quoque sit et sine numero ibique nihil sit in sua

unitate quod non hic totum sit in varia et multiplici imo infinita distinctione raquo - 184r

colonne gauche ligne 30

Hoc au lieu de hic ici changerait le sens de cette phase et donnerait une nouvelle

interpreacutetation agrave la doctrine drsquoAchard169 La seule raison de mettre hic est de garder lrsquoopposition

hicibi qui est renforceacutee par lrsquoopposition ibiin istis

De cette faccedilon il existe des interpreacutetations des abreacuteviations hic et hoc alternatives agrave celles

proposeacutee par Martineau Nous croyons que le seul cas signifiant est celui du chapitre II 3

169 Cela donnerait la traduction suivante laquo et qursquoil nrsquoy a rien lagrave-bas dans lrsquouniteacute de Dieu qursquoil ne soit tout entier dans une distinction varieacutee et multiple et mecircme infinie raquo La distinction serait de cette faccedilon dans lrsquouniteacute de Dieu et non dans le monde

48

II23 Le deacutecoupage des phrases en I 30

Nous voudrions eacutegalement modifier leacutegegraverement la traduction de Martineau de la

phrase suivante

Rationes igitur quae Filium a Patre ostenderunt

procedere idipsum probant et de amborum

aequalitate quod autem a Filio procedat cum

ab ipsa non possit Filius procedere siquidem

ltquodgt nihil a sua ut astruximus procedit

aequalitate arguit ratio illa de unitate superius

proposita

Les raisons donc qui ont montreacute que le Fils

procegravede du Pegravere prouvent aussi la mecircme chose

agrave propos de lrsquoeacutegaliteacute des deux agrave savoir qursquoelle

procegravede du Fils quand bien mecircme le Fils ne

peut proceacuteder drsquoelle-mecircme de fait que rien

comme on lrsquoa eacutetabli ne procegravede de sa propre

eacutegaliteacute crsquoest ce qursquoa deacutemontreacute notre

raisonnement anteacuterieur au sujet de lrsquouniteacute170

Martineau interpregravete cette phrase de telle faccedilon que le fait que le Fils provient du

Pegravere signifie que lrsquoeacutegaliteacute provient du Fils Nous croyons que cette phrase peut contenir

deux arguments

1) laquo Rationes igitur quae Filium a Patre ostenderunt procedere idipsum probant

et de amborum aequalitate raquo ndash laquo Les raisons donc qui ont montreacute que le Fils procegravede du

Pegravere prouvent aussi la mecircme chose agrave propos de lrsquoeacutegaliteacute des deux raquo a savoir que lrsquoeacutegaliteacute

provient du Pegravere

Nous croyons que le mot rationes peut indiquer dans ce cas les arguments proposeacutes

dans les chapitre I 26-28 ougrave Achard deacutemontre la provenance du Fils (lrsquoeacutegal) agrave partir du

Pegravere (lrsquouniteacute) vu que le Pegravere (lrsquouniteacute) provient de lui-mecircme

2) laquo Quod autem a Filio procedat cum ab ipsa non possit Filius procedere

siquidem ltquodgt nihil a sua ut astruximus procedit Aequalitate arguit ratio illa de unitate

superius proposita raquo ndash laquo Ce que lrsquoeacutegaliteacute procegravede du Fils puisque le Fils ne peut proceacuteder

drsquoelle-mecircme du fait que rien comme on lrsquoa eacutetabli ne procegravede de sa propre eacutegaliteacute crsquoest ce

qursquoa deacutemontreacute notre raisonnement anteacuterieur au sujet de lrsquouniteacuteraquo

Cela veut dire que lrsquoeacutegaliteacute provient du Fils car le Fils ne provient drsquoelle La

deuxiegraveme partie de la phrase (laquo arguit ratio illa de unitate superius proposita raquo) peut deacutesigner

lrsquoargument du chapitre I 22 ougrave Achard explique que rien ne procegravede de son eacutegaliteacute car laquo il

170 De unitate I 30 eacuted MARTINEAU p 100-101 une rare faute causeacutee probablement par le manque drsquoattention Martineau traduit laquo eacutegaliteacute raquo au lieu de lrsquouniteacute

49

convient de consideacuterer chaque chose en soi avant de la consideacuterer dans lrsquoeacutegaliteacute drsquoune autre171 raquo

De cette faccedilon la phrase eacutetudieacutee dit que lrsquoeacutegaliteacute provient du Pegravere (1) et du Fils (2)

Ainsi nous proposons de modifier la traduction du chapitre I 30 faite par Martineau

Nous avons eacutetudieacute le manuscrit unique du De unitate et son interpreacutetation par Emmanuel

Martineau

Nous avons trouveacute un problegraveme possible de transmission

- le deacutecoupage des chapitres I 19-20

Nous avons eacutegalement trouveacute des points faibles dans lrsquointerpreacutetation de Martineau

1) le deacutechiffrage des certains mots

- unitasveritas

- haechic et hic

2) le deacutecoupage des phrases en I 30

En somme nous croyons que lrsquoeacutedition de Martineau rend le texte de Padova 89 de maniegravere

assez claire mais qursquoil faut rendre compte du fait que les autres interpreacutetations sont possibles

171 laquo Et prius est quamque rem considerare in se quam in alterius aequalitate raquo De unitate I 22 eacuted MARTINEAU p 94

50

CHAPITRE III

Examen deacutetailleacute du De unitate

III1 A la recherche du De unitate

III11 Lrsquohistoire de la redeacutecouverte

Il semble que le De unitate soit reacuteapparu dans le champ intellectuel franccedilais gracircce au

hasard172 Les premiegraveres traces du De unitate ont eacuteteacute retrouveacutees par Andreacute Combes dans le

Commentaire de Jean de Ripa sur le premier livre des Sentences et ont eacuteteacute publieacutees en 1944173

Combes a mis en doute lrsquoattribution des extraits agrave saint Anselme donneacutee par Jean de Ripa mais il

nrsquoa rien proposeacute en remplacement En 1948 Jean Chacirctillon a publieacute son article consacreacute agrave la

christologie drsquoAchard de Saint-Victor174 ougrave il a citeacute les autres extraits du De unitate apparus dans

la lettre de Jean de Cornouailles Eulogium ad Alexandrum papam tertium (1176 ou 1177)175

Finalement le puzzle a eacuteteacute mis en ordre par Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny qui au deacutebut de lrsquoanneacutee

cinquante a retrouveacute le manuscrit de 1352 du De unitate dans la bibliothegraveque de Padoue176 Elle a

identifieacute ce texte gracircce aux citations de Jean de Cornouailles et de Jean de Ripa et lrsquoa attribueacute agrave

Achard de Saint-Victor Et pourtant lrsquoeacutedition critique et la traduction franccedilaise du De unitate ont

eacuteteacute publieacutees en 1987 par Emmanuel Martineau La traduction anglaise a eacuteteacute accomplie en 2001 par

Hugh Feiss La traduction allemande des fragments du De unitate (I 1-12) a eacuteteacute faite en 2002 par

Hideki Nakamura177 et jrsquoai preacutepareacute la traduction ukrainienne (I 1-11 14) en 2010178

172 Lrsquohistoire deacutetailleacutee et engageacutee de la reacuteapparition du De unitate dans le champ intellectuel de France est deacutecrite par E MARTINEAU laquo La redeacutecouverte du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 11-18 173 A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 174 J CHATILLON laquo Achard de Saint-Victor et les controverses christologiques du XIIe siegravecle raquo dans Meacutelanges F Cavallera Toulouse 1948 p 317-337 175 Cf JOHANNIS CORNUBIENSIS (JOHN OF CORNWALL) laquo Elogium Ad Alexandrum Papam Tertium raquo ed N M HAumlRING dans Medieval Studies t 13 1951 p 267 176 M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 299-306 177 ACHARD VON SAINT-VICTOR De unitate (Dei) et pluralitate creaturarum Uumlber die Einheit Gottes und die Vielheit der Geschoumlpfe (Auszug) in Vom Einen zum Vielen der neue Aufbruch der Metaphysik im 12 Jahrhundert eine Auswahl zeitgenoumlssischer Texte des Neoplatonismus hrsg eingeleitet uumlbersetzt und kommentiert von A FIDORA und A NIEDERBERGER Frankfurt am Main 2002 p 34-49 178 ACHARD DE SAINT-VICTOR De unitate Dei et pluralitate creaturarum trad IV Lystopad dans Penseacutee philosophique 3 2010 p 67-79

51

Pourtant vu que le livre de Martineau a eacuteteacute malheureusement publieacute dans une collection

confidentielle agrave faible tirage cette eacutedition eacutetait peu accessible jusquagrave reacutecemment Crsquoest en partie agrave

cause de cela que nous nrsquoavons que la monographie drsquoIlkhani et quelques articles consacreacutes au De

unitate drsquoAchard En 2003 le facsimileacute de lrsquoeacutedition de Martineau a eacuteteacute publieacute agrave Caen par Gilles

Olivo

II12 Le titre

Il est neacutecessaire de garder en meacutemoire le fait que le titre De unitate ltDeigt et de pluralitate

creaturarum est artificiel et que cette œuvre a porteacute un autre nom ou plutocirct drsquoautres noms agrave

lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale

Le teacutemoignage le plus ancien ndash celui de Jean de Cornouailles ndash mentionne lrsquoœuvre drsquoAchard

sous le nom de De Trinitate Cela permet de la lier theacutematiquement agrave la tradition des œuvres

trinitaires agrave laquelle se rattachent des victorins comme Richard mais aussi des commentateurs

chartrains de Boegravece (comme Thierry) et qui remonte agrave Augustin et Boegravece Elle a aussi eacuteteacute connue

comme De Trinitate agrave lrsquoeacutepoque de la Renaissance179

Lrsquoapparition suivante du texte drsquoAchard a eacuteteacute effectueacutee par Jean de Ripa sous le nom de De

unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum et sous lrsquoautoriteacute drsquoAnselme de Cantorbeacutery180

Le manuscrit retrouveacute par Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny agrave Padoue donne le titre De unitate et pluralitate

creaturarum dans lrsquoexplicit181 Les hypothegraveses destineacutees agrave expliquer cette pluraliteacute de titres ont eacuteteacute

deacutejagrave preacutesenteacutees par Emmanuel Martineau dans sa preacuteface agrave lrsquoeacutedition critique du texte Il admet que

le nom De Trinitate ne vaut que pour la premiegravere partie de lrsquoœuvre drsquoAchard qui a eacuteteacute traiteacutee par

Jean de Cornouailles182 Finalement il rejette la variante ripienne et celle de Jean de Cornouailles

pour valoriser le titre fourni par le manuscrit de Padoue neacuteanmoins leacutegegraverement modifieacute (il ajoute

ltdeigt pour eacutecrire De unitate ltdeigt et pluralitate creaturarum)

Apregraves avoir eacutetudieacute attentivement la doctrine ci-preacutesente nous croyons que le titre De unitate

et pluralitate creaturarum correspond bien agrave la totaliteacute de lrsquoœuvre En effet la pointe de lrsquoouvrage

nrsquoest de distribuer lrsquouniteacute (agrave Dieu) et la pluraliteacute (aux creacuteatures) mais bien au contraire de montrer

que lrsquouniteacute et la pluraliteacute preacutesentes dans les creacuteatures ont en Dieu toutes deux leur origine

179 Notamment dans Index Britanniae scriptorum de Jonh Bale De rebus britanicis Collaectanea de Jonh Leland Voir J MURANO laquo Le opere di Acardo di San Vittore raquo Revue drsquohistoire de textes t 5 2010 p 165-166 E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 46 180A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 р 21-24 181 Padova 89 188v 182 E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 47-52

52

III13 Le plan du De unitate

La division formelle que nous allons utiliser dans ce travail est tireacutee du texte du manuscrit

retrouveacute par Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny dans la bibliothegraveque de Padoue183 Le De unitate y consiste

en deux traiteacutes (qui sont deacutesigneacutes ici respectivement I et II) dont le premier contient 50 chapitres et

le deuxiegraveme 21 La division theacutematique ne correspond pas agrave la division formelle

La premiegravere esquisse de la division du De unitate a eacuteteacute donneacutee par Andreacute Combes dans son

eacutedition critique des extraits du De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum retenus du

texte de Jean de Ripa En reacutealiteacute Combes avait agrave sa disposition seulement les morceaux de trois

chapitres du premier traiteacute (I 4345 et 50) et de onze du deuxiegraveme (II 1-6 10-13 17) il nrsquoavait pas

donc les premiers trente-cinq chapitres consacreacutes aux questions trinitaires Ainsi pour lui la

division du De unitate eacutetait laquo fort simple raquo il y avait les deux traiteacutes laquo consacreacutes au sujet bien

deacutelimiteacute [] (1) des formes creacuteeacutees en les consideacuterant selon leur double mode drsquoexistence dans

lrsquointellect divin et reacutealiseacutees dans les creacuteatures [] (2) des formes premiegraveres et principales [] en

lesquelles il convient de situer le principe des creacuteatures et il [Achard] montrait comment elles se

distinguent entre elles184 raquo Pour Combes la premiegravere partie du De unitate consistait en les

chapitres 43 46 et 50 du traiteacute I et la deuxiegraveme en les chapitres 1-5 10-13 et 17 du traiteacute II

Tandis que le contenu des extraits publieacutes par Andreacute Combes eacutetait assez homogegravene Marie-

Theacuteregravese drsquoAlverny a remarqueacute qursquoil y avait beaucoup de diffeacuterences entre les deux traiteacutes du De

unitate185

La premiegravere critique interne du texte drsquoAchard a eacuteteacute faite par Emmanuel Martineau Il a

remarqueacute que le plan du texte proposeacute dans le chapitre I 12 ne correspondait qursquoagrave une partie du

texte mais il a aussi noteacute la preacutesence du nouveau deacutebut du De unitate dans le chapitre I 37 et de

lrsquoincoheacuterence entre la division bipartite du texte (en deux traiteacutes) et la division tripartite (les trois

causes formelles finales et deacuteployantes tireacutees du chapitre I 42186)

Nous acceptons cette derniegravere division et voudrions ajouter les fragments du De unitate qui

la prouvent Lrsquoindication la plus importante se trouve dans le chapitre I 37

laquo Par toutes les raisons preacuteceacutedentes a donc eacuteteacute deacutemontreacutee semble-t-il la distinction de la

Triniteacute dans le Pegravere le Fils et le Saint-Esprit et les causes de leurs proprieacuteteacutes et de leurs 183 M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 р 300 184 A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 р 67 185 M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954р 302-305 186 E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 52-56

53

noms ont eacuteteacute trouveacutees [hellip] ltMaisgt afin que tout cela ressorte mieux [hellip] essayons une autre

voie conduisant agrave ces buts et adoptons un autre mode de recherche mdash le mode mecircme qursquoont

suivi je crois tous ceux agrave qui il a eacuteteacute accordeacute ou plutocirct donneacute par Dieu de rechercher et de

deacutecouvrir ce point par la raison187 raquo

En outre les chapitres I 1-36 et I 37-II 21 diffegraverent theacutematiquement Dans les chapitres I

1-36 il srsquoagit de la Triniteacute et dans chapitres I 37 agrave II 21 des raisons eacuteternelles des choses creacuteeacutees Au

premier regard il semble que le passage du chapitre I 37 citeacute plus haut nous fournisse la seule

connexion logique entre les deux parties du texte

A partir de maintenant la division du De unitate faite dans le chapitre I 37 sera plus

importante pour nous que celle en deux traiteacutes Ainsi nous appelons les chapitres I 1-36 la

premiegravere partie et les chapitres I 37-II 21 ndash la deuxiegraveme partie

La deuxiegraveme partie elle-mecircme peut ecirctre subdiviseacutee En expliquant ce qursquoil voulait dire par

les laquo causes eacuteternelles raquo dans le chapitre I 39 Achard expose la doctrine des trois sortes de raisons

eacuteternelles laquo Les choses en effet ont trois ltsortes degt raisons celles agrave cause desquelles celles

selon lesquelles et celles par lesquelles elles adviennent [hellip] Toutefois les premiegraveres meacuteritent

drsquoecirctre appeleacutees la plupart du temps finales les secondes formelles ou exemplaires et les troisiegravemes

deacuteployantes ces derniegraveres pouvant ecirctre elles-mecircmes nommeacutees aussi formelles raquo188 En fait le reste

du texte consiste en exposeacute de lrsquoordre geacuteneacuteral des raisons et de chaque type de raisons en

particulier

Ainsi nous acceptons le plan du texte tel qursquoil a eacuteteacute indiqueacute par Martineau

1) I 1-36 ndash la doctrine trinitaire

2) I 37-II 20 ndash la doctrine des trois sortes de raisons

(a) I 37-42 ndash les trois sortes de raisons

(b) I 43-50 et II 1-15 - la premiegravere sorte de raisons formelles

(c) II 16-21 - la deuxiegraveme sorte finales

Les raisons deacuteployantes nrsquoont eacuteteacute jamais exposeacutees De cette faccedilon il est eacutevident que le texte

nrsquoest pas compleacuteteacute

187 laquo Rationibus omnibus praetermissis Trinitatis ostensa videtur distinctio in Patre et Filio et Spiritu sancto quorum proprietatum et nominum causae [hellip] Quae omnia ut magis eluceant manifestiorque [hellip] ad haec eadem aliam ambigemus vialtmgt aliumque investigationis assumemus modum quem reor potius assecutos omnes quibus ratione hoc investigare et invenire concessum imo divinitus datum est raquo De unitate I 37 eacuted EMARTINEAU p 106-107 188 laquo Tres etenim sunt rerum rationes propter quas fiunt secundum quas et per quas [hellip] Sed et primae maxima ex parte finales secundae formales sive exemplares tertiae explicatrices quae et ipsae formales nominari valent eo quod non per eas solum sed juxta eas quodammodo res formetur raquo De unitate I 39 eacuted MARTINEAU p 108-109

54

Il a eacuteteacute deacutejagrave dit que le texte du Padova 89 nrsquoa pas de table de matiegravere ni drsquointroduction

Toutefois Achard annonce le plan de son œuvre dans le chapitre I 12189

Il commence de maniegravere suivante

laquo Maintenant donc il nous reste agrave chercher si avec le secours de la gracircce il est possible de

saisir eacutegalement par la raison ce que nous tenons mdash et qursquoil faut tenir fermement mdash par la

foi mecircme si nulle raison ne comprend qursquoil en est ainsi agrave savoir qursquoil existe en Dieu une

pluraliteacute personnelle En effet depuis le deacutebut de notre exposeacute nous nous sommes proposeacute

lrsquoordre suivant 190 raquo

Ainsi lrsquoauteur se rend compte que le plan est mis au milieu de la narration et non pas au

deacutebut et qursquoil faut y inscrire le morceau qui a eacuteteacute deacutejagrave fait

Le plan est diviseacute en trois parties Observons-les

1) Ce qursquoil a deacutejagrave deacutecouvert

11 laquo In primis raquo ndash laquo la raison tout drsquoabord recherche et deacutecouvre autant qursquoelle

en a le pouvoir que Dieu est qursquoil est un ce que crsquoest que cet un et combien grand il est et toutes

les autres ltquestions qui icigt comme agrave propos de toute autre chose ont coutume de se preacutesenter

suivant un ordre naturel Crsquoest pourquoi nous avons tireacute en consideacuteration conformeacutement agrave sa

succession propre la seacuterie complegravete des preacutedicaments precirctant attention agrave propos de chacun agrave la

question de savoir comment ils peuvent ecirctre dits de Dieu selon eux-mecircmes bien que non pas

veacuteritablement selon eux-mecircmes ni par eux-mecircmes raquo

12 laquo Quibus exsecutis processit ratio raquo ndash laquo si la deacuteiteacute consistait seulement dans

lrsquouniteacute ou bien aussi et agrave part eacutegale dans quelque pluraliteacute quoique non substantielle raquo

2) Ce qursquoil est en train de deacutemontrer (laquo sequitur quod nunc propositum est raquo)

- laquo quel est le mode de cette nature elle-mecircme et peut-elle ecirctre deacutemontreacutee

personnelle raquo

189 laquo Nunc igitur investigandum restat utrumne adjuvante gratia ratione etiam deprehendi queat quod fide tenemus et indubitanter tenendum est etiam si ita esse nulla comprehendat ratio pluralitatem videlicet in Deo consistere personalem Hunc namque ab exordio disputationis nostrae proposuimus ordinem ut in primis ratio quaereret et pro facultate sua inveniret Deum esse et unum esse et quid unum et quantum et caetera ltquaegt tanquam circa rem quamlibet ordine naturali inquirenda occurrere solent Unde et ad considerationem prout ipsa sibi succedit adduximus seriem omnium praedicamentorum attendentes in singulis unde secundum ipsa licet non vere secundum ipsa neque ex ipsis de Deo quidem dici possunt quibus exsecutis processit ratio investigans an in sola consisteret deitas [in] unitate an pariter et in aliqua quamvis non substantiali qualicumque tamen pluralitate Hac igitur ibi variis jam et necessariis inventa assertionibus sequitur quod nunc propositum est cujusmodi natura scilicet ipsa sit et an personalis esse monstrari possit quod cum obtinuerimus deinceps insistendum erit ostendere quota sit et quot ibi sint personae post qualiter distinguendum et juxta singularum proprietates ratio nominum assignanda Tandem vero de personis suis agendum erit nominibus sive conjunctim sive divisim sive secundum communia sive secundum propriaraquo De unitate I 12 eacuted MARTINEAU p 80-83 190 Ici et jusqursquoau la fin du chapitre la traduction du chapitre I 12 est celle de Martineau Voir la note preacuteceacutedente

55

3) Ce qursquoil lui reste agrave voir (laquo quod cum obtinuerimus deinceps insistendum erit

ostendere raquo)

31 laquo quelle est la quotiteacute de cette pluraliteacute ltcrsquoest-agrave-diregt combien il y a lagrave-bas

de personnes raquo

32 laquo post raquo ndash laquo comment il faut faire leur distinction et comment la raison de

leurs noms doit ecirctre fixeacutee drsquoapregraves leurs proprieacuteteacutes respectives raquo

33 laquo Tandem raquo ndash laquo agrave propos des personnes il faudra traiter de leurs noms soit

conjointement soit seacutepareacutement soit suivant ce qursquoelles ont en commun soit suivant ce qursquoelles ont

en particulier raquo

En deacutefinitive dans le chapitre I 12 Achard propose le plan drsquoun traiteacute trinitaire Il est

eacutevident que ce plan ne correspond pas totalement agrave celui qui a eacuteteacute repeacutereacute par Martineau

Lrsquoeacutetablissement du plan deacutetailleacute du De unitate permettra de comprendre dans quelle mesure les

deux plans correspondent au texte

III2 Analyse stylistique lexicale et doctrinale du de unitate

Le De unitate tel qursquoil nous est parvenu nrsquoest pas un texte facile agrave comprendre Nous avons

deacutejagrave remarqueacute qursquoil ne contient ni introduction ni table de matiegravere qursquoil consiste en deux parties

consacreacutees agrave des sujets diffeacuterents qursquoil est probablement incomplet et que le plan proposeacute par

lrsquoauteur ne correspond pas au plan repeacutereacute par les chercheurs

La thegravese que le De unitate est inacheveacute et mecircme que parfois il ressemble agrave un brouillon

appartient originellement agrave Emmanuel Martineau191 et a eacuteteacute soutenue par Dominique Poirel192 Il

nous semble important de confirmer ou rejeter cette thegravese avant de passer agrave lrsquoanalyse de la doctrine

de lrsquoœuvre Nous voyons deux moyens de deacutemontrer cette thegravese

- eacutetude de la forme litteacuteraire du De unitate

- eacutetude du plan

Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny trouve que la forme litteacuteraire du De unitate ressemble agrave celle du

Monologion de Saint-Anselme laquo division en capitula qui srsquoenchaicircnent en une seacuterie continue

191 E MARTINEAU laquo Note sur le manuscrit de Padoue et la preacutesente eacutedition raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 56 192 Dans son intervention pendant la journeacutee drsquoeacutetudes consacreacutee agrave Achard de Saint-Victor qui a eu lieu le 10 avril 2015 agrave Caen

56

drsquoaffirmations et drsquoargumentations193 raquo Une premiegravere lecture superficielle permet de remarquer que

le De unitate nrsquoa pas de forme litteacuteraire unique Lrsquoeacutetude de ces eacuteleacutements formels permettra de

valoriser le De unitate en tant qursquoune œuvre du deacutebut de la scolastique mais aussi de mieux

comprendre le contexte de lrsquoapparition de certaines thegraveses drsquoAchard

Voilagrave pourquoi nous croyons neacutecessaire drsquoanalyser le De unitate en deacutegageant ses thegraveses

principales et pour ainsi dire eacuteleacutementaires Nous allons eacutegalement repeacuterer le plan deacutetailleacute qui va

montrer la relation entre ces thegraveses et qui va permettre de deacutefinir les doctrines principales de

lrsquoœuvre

Parallegravelement agrave ce travail nous allons deacutemontrer que le De unitate contient des thegraveses qui

ressemblent agrave celles des doctrines platoniciennes Nous allons mettre agrave part les notions principales

relieacutees agrave ces thegraveses Les notions relieacutees aux doctrines platoniciennes vont constituer le squelette de

notre travail posteacuterieur

Ainsi lrsquoanalyse du De unitate permettra drsquoatteindre les buts suivants

- surmonter les difficulteacutes des lectures poseacutees par le texte initial

- justifier la possibiliteacute de lrsquoeacutetude du platonisme du De unitate

- mettre en avance les sujets les doctrines et les notions qui vont ecirctre eacutetudieacutes

III21 Partie 1 La doctrine trinitaire drsquoAchard (I 1-36)

Achard commence tout simplement en affirmant laquo Dans les creacuteatures il nrsquoy a pas de

pluraliteacute vraie parce qursquoil nrsquoy a pas drsquouniteacute vraie raquo194

En reacutealiteacute le premier chapitre contient la formule exprimant le sens de sa doctrine de

lrsquouniteacute et de la pluraliteacute laquo elle [la pluraliteacute] ne peut exister que lagrave ougrave existe lrsquouniteacute vraie et il nrsquoy a

drsquouniteacute vraie qursquoen Dieu Crsquoest lagrave-bas donc que doit reacutesider et la pluraliteacute vraie et lrsquouniteacute vraie

mais non pas du mecircme point de vue raquo195 Le deacuteveloppement et la justification de cette formule sont

proposeacutes dans les chapitres suivants

III211 I 2-11 ndash Ce qui rend possible la pluraliteacute en Dieu

Afin de comprendre la division du De unitate il paraicirct neacutecessaire drsquoavancer un peu plus loin

dans le texte pour deacutetecter les instructions donneacutees par Achard lui-mecircme Elles se trouvent dans le

chapitre I 9 193 M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 302 194 laquo In creaturis non est vera pluralitas quia nec vera unitas raquo De unitate I 1 eacuted MARTINEAU p 70-71 195 laquoIpsa igitur est esse autem non potest nisi ubi et unitas vera nec unitas vera nisi in Deo Ibi ergo et veram consistere oportet et pluralitatem et unitatem sed non secundum idem raquo De unitate I 1 eacuted MARTINEAU p 70-71

57

laquo Nous avons donc trouveacute jointe agrave lrsquouniteacute suprecircme ou mecircme au sein de lrsquouniteacute

suprecircme la pluraliteacute qui eacutetait chercheacutee plus haut et en mecircme temps nous avons aussi

deacutemontreacute lrsquoeacutegaliteacute de cette pluraliteacute En effet cette uniteacute commune ou pour ainsi dire

plurielle en quelque faccedilon que la raison a confirmeacutee ecirctre en Dieu ou bien la beauteacute parfaite

(dont il a eacuteteacute question) qui srsquoattache agrave cette uniteacute ou encore cette pleine similitude que lrsquoon a

anteacuterieurement deacutemontreacutee ne peut pas ne pas ecirctre lrsquouniteacute de plusieurs et de plusieurs

assureacutement eacutegaux et elle-mecircme comme il apparaicirctra dans la suite ne peut pas ne pas ecirctre

tout aussi eacutegale agrave ces eacutegaux196 raquo

Dans ce chapitre Ach ard eacutevoque les trois termes qursquoil a deacutejagrave trouveacutes lrsquouniteacute la pluraliteacute et

lrsquoeacutegaliteacute Il emploie eacutegalement les deux termes relieacutes la beauteacute et la similitude Voyons deacutesormais

comment ces sujets ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes dans les chapitres I 2-8

Les deacutebuts et les fins des chapitres I 2-4 eacutevoquent qursquoil srsquoagit lagrave de la pluraliteacute197 par

conseacutequent ces chapitres forment le premier groupe theacutematique (relieacute par le mecircme sujet) Voyons

deacutesormais le contenu de ce groupe

Dans le chapitre I 2 Achard dit que entre la pluraliteacute des creacuteatures et lrsquouniteacute suprecircme il

existe une autre pluraliteacute laquo plus eacuteleveacutee qui adhegravere immeacutediatement agrave cette uniteacute suprecircme et qui soit

pour ainsi dire intermeacutediaire entre cette uniteacute-lagrave et cette pluraliteacute-ci raquo donc laquoil faut que cette

pluraliteacute provienne de cette uniteacute-lagrave et soit cause de cette pluraliteacute-ci et qursquoelle ait quelque chose de

commun par la similitude agrave savoir de commun avec lrsquoune et lrsquoautre raquo198 Dans le chapitre I 3

toutes les creacuteatures sont traiteacutees en tant que semblables agrave lrsquouniteacute suprecircme mais dont la similitude

est imparfaite Il en ressort qursquoil existe une similitude pleine qui ne peut reacutesider que dans la diviniteacute

mecircme (crsquoest-agrave-dire au mecircme niveau que lrsquouniteacute) Par conseacutequent la pluraliteacute est preacutesenteacutee dans la

diviniteacute Enfin en I 4 la similitude parfaite entre lrsquouniteacute et la similitude provient de la nature mecircme

de la similitude qui ressemble agrave lrsquouniteacute premiegravere Ainsi il existe au moins deux termes dans lrsquouniteacute

premiegravere cette uniteacute elle-mecircme et la similitude

196 laquo Inventa est itaque cum summa unitate vel etiam in summa unitate quae quaerebatur pluralitas superius quoque pluralitatis simul ostensa est aequalitas Unitas enim ista communis sive ut ita dicam quodammodo pluralis qualem in Deo comprobavit ratio sive hujusmodi unitatis perfecta illa de qua praefati sumus pulchritudo sive etiam plena illa quam praemonstravimus unitatis similitudo nequit utique esse non plurium nec eorum certe nisi aequalium nec nisi eisdem aequalibus ipsa quoque ut ex sequentibus elucebit non minus aequalis raquo De unitate I 9 eacuted MARTINEAU p 76-79 197 Voir I 2 laquo Creaturarum quoque pluralitas tam longe est ab unitate summa raquo I 3 laquo Sed aliud est quod pluralitatem ibi consistere aliqua arguere videntur raquo et la fin laquoIbi ergo non sola unitas sed et pluralitas raquo I 4 laquo Inde praeterea illam quam quaerimus pluralitatem astruitraquo De unitate I 2 eacuted MARTINEAU p 70 et 72 198 laquoExigit itaque ratio super hanc pluralitatem a Deo remotam constitui aliquam superiorem quae illi summae unitati cohaereat immediate et quasi mediata sit inter illam unitatem et hanc pluralitatem Media autem intelligatur non loco aut dignitate sed causa atque imagine id est quae sit ex illa et qua sit ista similitudine etiam commune scilicet aliquid habens cum utraque raquo De unitate I 2 eacuted MARTINEAU p 70-71

58

De cette maniegravere les chapitres I 2-4 preacutesentent les arguments en faveurs de la pluraliteacute en

Dieu Le premier argument (en I 2) provient de la neacutecessiteacute drsquoun intermeacutediaire entre lrsquouniteacute

suprecircme et la pluraliteacute en bas et les deux autres arguments (en I 3 et 4) de la nature de la similitude

Voyons agrave preacutesent les chapitres I 5-8 Soit leurs deacutebuts parlent de la pluraliteacute (I 5 et 7)199

soit ils promettent de continuer les sujets du chapitre preacuteceacutedent (I 6 et 8)200 Observons le contenu

et la sous-division de ces chapitres

Le chapitre I 5 est diviseacute en trois parties Dans la premiegravere partie Achard deacutecrit les sortes

diffeacuterentes de lrsquouniteacute et il les range selon les deacutegreacutees de sa beauteacute Ensuite Achard enchaicircne

quelques phrases (commenccedilant respectivement par Si quid ndash Unde ndash Sic namque) pour parler de

lrsquouniteacute increacuteeacutee agrave savoir du fait que des eacutegaux qui la constituent possegravedent le mecircme degreacute de beauteacute

que lrsquouniteacute Et finalement il passe agrave la conclusion que lrsquouniteacute suprecircme consiste en quelques

constituants eacutegalement beaux dont la beauteacute est eacutegale agrave cette mecircme uniteacute mais que cela nrsquoest

possible que dans lrsquouniteacute suprecircme qui est Dieu

Achard consacre le chapitre I 6 agrave la deacutemonstration de lrsquoexistence de lrsquouniteacute suprecircme Vu

que cette uniteacute est une beauteacute suprecircme laquo par qui est beau tout ce qui est beau et sans qui rien de

beau ne peut ecirctre raquo201 elle ne peut exister qursquoen Dieu et elle est Dieu mecircme Ce chapitre introduit

un autre argument afin de soutenir la conclusion du chapitre preacuteceacutedent

En I 7 Achard examine les cas diffeacuterents de lrsquouniteacute pour retrouver lrsquouniteacute parfaite Il passe

des uniteacutes creacuteeacutees (dans les corps creacuteeacutes dans les esprits creacuteeacutes) agrave lrsquouniteacute increacuteeacutee pour deacutemontrer que

cette uniteacute parfaite est en Dieu Et dans le chapitre I 8 Achard renforce cette conclusion en

argumentant que quelque chose drsquoimparfait dans le monde nrsquoexiste que si Dieu creacutee cette chose

parfaite en lui et donc les uniteacutes imparfaites dans le monde correspondent agrave lrsquouniteacute parfaite en Dieu

Ainsi dans le chapitre I 5 Achard parle de la beauteacute des uniteacutes et en I 6 il montre

pourquoi lrsquouniteacute en Dieu est la plus belle dans le chapitre I 7 il examine les cas drsquouniteacute et en I 8

il montre pourquoi lrsquouniteacute parfaite existe en Dieu

Nous avons trouveacute de cette faccedilon tous les eacuteleacutements qursquoAchard eacutevoque dans le chapitre I 9

la deacutemonstration de la pluraliteacute en Dieu (I 2-4) et de lrsquouniteacute de Dieu (I 5-8) par moyen de la

similitude (I 3-4) et de la beauteacute (I 5-6) Il nous reste agrave observer comment il est possible que cette

uniteacute suprecircme soit lrsquouniteacute des eacutegaux auxquelles cette uniteacute elle-mecircme est eacutegale

199 I 5 laquo Unitas etiam quae rebus inest raquo I 8 laquo In creaturis namque assignata unitas raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 72 et 74 200 I 6 laquo Manifestum quoque ex praemissis est raquo I 8 laquo Absurdum est dicere etiam raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 74 et 76 201 laquo Quare etsi non determinata pulchritudine impossibile est quid pulchrum esse ipsa igitur est aut nihil pulchrum sed nec alibi quidem nisi in Deo videlicet nec aliud nisi Deus ipsa potest esse a quo pulchrum est quidquid pulchrum est et sine quo nihil pulchrum esse potest raquo De unitate I 6 eacuted MARTINEAU p 74-75

59

Au deacutebut du chapitre I 10 Achard eacutevoque le changement de sujet de son enquecircte laquo Mais

poursuivons cette mecircme recherche sur lrsquouniteacute en empruntant une autre voie celle de la nature de

lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme et en lrsquoeacutetayant par de nouvelles raisons raquo 202 Le chapitre I 11 part de ce qui a

eacuteteacute trouveacute preacuteceacutedemment (laquo Etenim ostensum est raquo) Le thegraveme de ces deux chapitres est lrsquoeacutegaliteacute

Le chapitre I 10 a une structure interne Achard deacutemontre une thegravese et il rejette une autre

thegravese Pour faire cela il reacuteunit quelques arguments en structurant son discours par des conjonctions

Voici cette structure

I Deacutemonstration203

1 laquo si raquo ndash drsquoabord Achard introduit une regravegle logique geacuteneacuterale laquo Si le fait drsquoecirctre

eacutegal agrave lrsquoun a pour conseacutequence drsquoecirctre eacutegal agrave lrsquoautre il est impossible que lrsquoun et lrsquoautre ne soient

pas eacutegaux204 raquo Ensuite (laquo si autem raquo) il applique cette regravegle agrave lrsquouniteacute et agrave lrsquoeacutegaliteacute (laquo si quelque

chose est eacutegal agrave lrsquouniteacute suprecircme il ne peut pas non plus ecirctre ineacutegal agrave lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme raquo) en

tirant deux conseacutequences suivantes

11 laquo igitur raquo ndash la premiegravere conseacutequence lrsquouniteacute est eacutegale agrave lrsquoeacutegaliteacute

12 laquo Item raquo ndash la deuxiegraveme conseacutequence lrsquoeacutegaliteacute est lrsquouniteacute suprecircme

2 laquo Non autem raquo ndash Achard propose ensuite une preacutecision (laquo le fait que lrsquoeacutegaliteacute

soit eacutegale agrave lrsquouniteacute cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme raquo) en la deacutemontrant agrave partir

de lrsquoexemple de la couleur blanche qui nrsquoest pas la blancheur

21 laquo non ergo raquo ndash la premiegravere conseacutequence laquo ce nrsquoest pas parce que

lrsquoeacutegaliteacute est Dieu donc qursquoelle nrsquoest pas lrsquoeacutegaliteacute mecircme raquo

22 laquo juxtra quam regulam etiam nec siraquo ndash la deuxiegraveme conseacutequence du

contre-argument laquo ce nrsquoest pas parce que quelque chose est Dieu qursquoil nrsquoest pas

lrsquoeacutegaliteacute raquo

laquo Igitur raquo ndash la conclusion laquo Dieu est lrsquoeacutegaliteacute ou lrsquoeacutegaliteacute peut ecirctre Dieu raquo

De cette faccedilon Achard a deacutemontreacute que Dieu peut ecirctre eacutegaliteacute mais non qursquoil lrsquoest

neacutecessairement

202 laquo Amplius autem et per ipsius aequalitatis naturam haec ipsa alia investigentur via aliisque instruentur rationibus raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 203 laquoDuobus quibuslibet propositis si quid sequitur esse aequale eorum uni quia est aequale alteri et illa duo aequalia non esse est impossibile Si autem aliquid unitati summae est aequale ipsum etiam aequalitati ipsi non potest esse inaequale alioquin enim non tanta est eorum aequalitas quanta ipsa sunt aequalia et est aequalitas imperfecta vel nulla Aequalitas igitur unitati est aequalis Item si aequalitas primae et summae unitati aequalis est ipsa dicendum est Non autem si ipsa est aequalis illi non est aequalitas ipsa veluti non si color est album album ipsa non est albedo eo quod ipsa substantia albedinis est album modo participatione Non ergo si aequalitas est Deus ipsa non est aequalitas quod enim non sequitur ad antecedens nec ad consequens Juxta quam regulam etiam nec si quid est Deus ipsum non est aequalitas Deus igitur aequalitas est sive aequalitas Deus esse potest raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 204 Ici et jusqursquoau la fin du chapitre la traduction du I 10 est celle de Martineau Voir la note preacuteceacutedente

60

II Neacutegation205

laquo Alioquin namque sequitur illud raquo ndash la thegravese qursquoil faut rejeter laquo sans quoi il reacutesulterait que

lrsquoeacutegaliteacute ne serait pas quelque chose qui se rapporte agrave Dieu mecircme raquo

1 laquo autem ndash quare raquo ndash le premier argument contra laquo Dieu ne peut pas ecirctre quelque

chose ou plutocirct quelque chose ne peut pas ecirctre Dieu qui ne soit pas Dieu Crsquoest pourquoi lrsquoeacutegaliteacute

elle aussi est Dieu raquo

2 Le deuxiegraveme argument contra qui est plus eacutelaboreacute

21 laquo non enim ndash quod utique ndash quod autem raquo ndash lrsquoeacutegaliteacute ne perd pas sa substance

mais elle la garde

22 laquo Sic enim ndash non enim ndash juxta quem modum raquo ndash lrsquoexemple de la sagesse de

lrsquouniteacute montre qursquoelles sont respectivement sages et unes par leur substance et non par la

participation La mecircme chose est valable pour lrsquoeacutegaliteacute

laquo Quare raquo ndash la premiegravere conclusion laquo si lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave lrsquouniteacute susdite alors elle aussi

conserve la substance de lrsquoeacutegaliteacute qui puisse lui ecirctre eacutegale raquo

laquo Rursus autem raquo ndash la deuxiegraveme conclusion laquo si lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave lrsquouniteacute citeacutee alors elle

est avec elle de la mecircme substance raquo

La conclusion geacuteneacuterale laquo La substance de cette uniteacute et de lrsquoeacutegaliteacute est la mecircme206 raquo

En I 11 apregraves avoir reacutepeacuteteacute la conclusion preacuteceacutedente (laquo Etenim ostensum est raquo) Achard

introduit la thegravese suivante (1) (laquo underaquo) laquo il est neacutecessaire qursquoelle [lrsquoeacutegaliteacute] soit aussi elle-mecircme

Dieu raquo Vu que lrsquouniteacute est Dieu lrsquoeacutegaliteacute est aussi Dieu Crsquoest une conseacutequence de la derniegravere thegravese

du chapitre I 10

III En I 11 Une autre neacutegation207

205 laquo Alioquin namque sequitur illud aequalitatem scilicet non quid esse ad ipsum Deum esse Deus autem aliquid esse non potest nec aliquid Deus quod Deus non sit Quare et aequalitas Deus est Non enim ut ostendimus si aequalitas unitati summae est aequalis ipsam amittat substantiam aequalitatis Quod utique prorsus necessarium esset si substantia aequalitatis summae unitatis substantia inferior esset Quod autem si non solum non sequitur aequalitatem si illi est aequalis unitati aequalitatis substantiam amittere sed et retinere Sic enim nec ipsa unitas una nec sapiens esset sapientia nisi utraque suam servaret substantiam Non enim participando sed existendo ea quae ipsae sunt id est unitas et sapientia haec est una illa sapiens Juxta quem modum et aequalitas si cui aequalis est se ipsa utique non aequalitate alia ei aequalis est Hoc autem impossibile nisi ipsa remaneat aequalitas Quare si aequalitas praedictae aequalis est unitati et ipsa retinet substantiam aequalitatis quae ei possit esse aequalis non enim participatione aequalitatis potest esse aequalitas alicui aequalis ut caetera quae dicuntur aequalia sed existendo aequalitas ipsa Rursus autem si aequalitas unitati est aequalis propositae et ipsa ejusdem est cum illa substantiae Eadem ergo unitatis illius aequalitatis substantia est raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 206 Nous modifions leacutegeacuterment la traduction de Martineu pour la rendre plus lisible Le text latin laquo Eadem ergo unitatis illius aequalitatis substantia est raquo la traduction de MARTINEAU laquo Donc crsquoest la substance de cette uniteacute qui constitue aussi celle de lrsquoeacutegaliteacute raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 207laquo Etenim ostensum est si aequalitas illi ltunitatigt est aequalis manens utique aequalitatis substantia est illi aequalis si autem aequalis est ei manens id quod ipsa est et ipsa manens quod ipsa est et tamen ipsa Deus est unde et ipsam Deum esse necesse est Alioquin enim si unitati illi esset aequalis sequeretur quidem modo ipsam Deum esse et nequaquam id quod ipsa est manere sed ex hoc ipso quod Deus esset et ipsa aliud quia modo est necessario esset nisi vel et ipsa modo Deus esset quemadmodum est homo si ipse lapis esset non id esset quod est quare homo modo lapis non est si autem homo animal est non inde sequitur ipsum aliud esse quare ipse modo est unde et inferri potest quia

61

Toute suite apregraves la thegravese que nous venons drsquoexpliquer Achard ajoute son opposition

(2) (laquo alioquin enim raquo) laquo sans quoi si elle eacutetait ltautrementgt eacutegale agrave cette uniteacute il srsquoensuivrait

certes qursquoelle-mecircme serait modalement Dieu et qursquoelle ne demeurerait nullement ce qursquoelle est elle-

mecircme raquo A partir de cette thegravese opposeacutee Achard explicite lrsquoaffirmation probleacutematique (3) (laquo sed

ex raquo) laquo du fait mecircme qursquoelle [lrsquoeacutegaliteacute] serait Dieu elle serait neacutecessairement lrsquoeacutetant modalement

autre chose ltqursquoelle-mecircmegt raquo Voilagrave la thegravese qursquoil cherche agrave nier

Il le fait agrave partir (laquo nisi vel raquo) de deux exemples

1 laquo si raquo ndash si lrsquohomme eacutetait une pierre il ne serait pas lui-mecircme mecircme modalement

2 laquo si autem raquo ndash si lrsquohomme est un animal il reste lui-mecircme et il est modalement un animal

De cette maniegravere il deacutemontre que lrsquoeacutegaliteacute peut ecirctre modalement Dieu et en mecircme temps

rester lrsquoeacutegaliteacute Ainsi il nie la thegravese (3) laquo quand lrsquoeacutegaliteacute est autre chose modalement elle ne peut

ecirctre lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme raquo et il corrige la premiegravere thegravese lrsquoeacutegaliteacute est Dieu mais modalement et

elle reste elle-mecircme

Dans lrsquoeacuteclaircissement 1 du De unitate Emmanuel Martineau explique lrsquoemploi du terme

modo en I 11 Martineau suppose qursquo laquo ecirctre modalement raquo signifie la relation entre la substance et

lrsquoaccident Cette relation est neacutecessaire afin de faire la distinction entre lrsquoidentiteacute parfaite (chaque

chose et chaque concept sont identiques agrave eux-mecircmes) et lrsquoidentiteacute avec un autre objet (dans ce cas

Dieu) Martineau appelle cette sorte de participation laquo horizontale raquo et il pense que la source

drsquoAchard ne se trouve pas dans la philosophie de Plotin ni drsquoAugustin208

De cette maniegravere dans les chapitres I 10-11 Achard deacutemontre comment lrsquoeacutegaliteacute est

possible en Dieu

Les chapitres I 10 et 11 se lisent ensemble Drsquoabord Achard arrive agrave une conclusion que

Dieu peut ecirctre lrsquoeacutegaliteacute et ensuite il deacutemontre pourquoi il nrsquoest pas possible que Dieu ne lrsquoest pas

Pour faire cela il reacutefute deux thegraveses qui sont opposeacutees agrave la premiegravere conclusion

- lrsquoeacutegaliteacute nrsquoest pas Dieu

- Elle est Dieu mais elle nrsquoest pas elle-mecircme

La deacutemonstration agrave partir des preacutemisses est une forme du raisonnement logique deacutecrit par

Boegravece dans lrsquoIn Topica Ciceronis I (PL 64 1048D) Elle va ecirctre largement utiliseacutee dans les

quaestiones de lrsquoeacutepoque de lrsquoessor de la scolastique209 Une autre particulariteacute des quaestiones qui

apparaicirct dans ces chapitres est la reacutefutation de thegraveses opposeacutees210 De cette faccedilon la maniegravere dont

ipse modo animal est Ubicumque autem et qualitas est et aequalitas est Non enim nisi modo aliquo plurium esse potest vel dici aequalitas raquo De unitate I 11 eacuted MARTINEAU p 80-81 208 E MARTINEAU laquo Eclaircissements I Sur le chapitre I 11 et le terme laquo modo raquo raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 209-211 209 LM deRIJK laquo Specific tools concerning logical education raquo dans Meacutethodes et instruments du travail intellectuel au moyen acircge eacuted O WEIJERS Brepols 1990 p 65-67 210 Selon Raymon Martin les quaestiones comportent les parties suivantes

62

Achard structure son discours fait penser agrave une forme litteacuteraire scolastique ndash la quaestio Il ne pose

pas encore la question qui a deux solutions mais il deacutemontre sa thegravese et il reacutefute les thegraveses

opposeacutees

En deacutefinitive en I 2-11 Achard deacutemontre qursquoil existe en Dieu lrsquouniteacute la pluraliteacute et

lrsquoeacutegaliteacute Les grands sujets neacuteoplatoniciens tels que la procession de la pluraliteacute agrave partir de lrsquouniteacute

lrsquoexistence de deux niveaux des notions (en Dieu et au-dehors de Dieu) la procession des notions

(la similitude la beauteacute la sagesse) agrave lrsquoexteacuterieur de Dieu agrave partir de celles qui lui sont identiques

(lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute) sont abordeacutes dans les chapitres I 1-11 Les notions qui correspondent aux

doctrines deacutecrites sont lrsquounitas la pluralitas (avec tous les adjectifs et les pronoms qui les

caracteacuterisent plena perfecta ista illa etc) et lrsquoaequalitas qui deacutesignent les eacuteleacutements preacutesents en

Dieu mais aussi la similitudo la participatio et lrsquoexistendo qui deacutesignent la maniegravere drsquoecirctre preacutesent

drsquoun eacuteleacutement dans la substance

III212 I 13-16 ndash justification de la pluraliteacute en Dieu

Les chapitres I 13-15 parlent de la pluraliteacute de personnes en Dieu211

En I 13 Achard pose la question comment est-il possible que la pluraliteacute personnelle soit

en Dieu Afin de reacutepondre il examine la pluraliteacute de pluraliteacutes (pluralitas pluralitatum) agrave savoir les

types diffeacuterents de pluraliteacutes A chaque type de pluraliteacute Achard applique les critegraveres qui ont eacuteteacute

exprimeacutes dans sa premiegravere question

- ecirctre en Dieu (ce qui sert agrave eacuteliminer les pluraliteacutes substantielle et accidentelle)

- ecirctre en des termes (personnes) multiples ou diffeacuterents (ce qui sert agrave eacuteliminer les

pluraliteacutes des proprieacuteteacutes et des raisons)

Voyons quels types de pluraliteacutes il distingue

- laquo Est enim raquo ndash les pluraliteacutes substantielle (1) et accidentelle (2) (qui ne sont pas en

Dieu)

- laquo sola ibi relinqueretur raquo ndash la pluraliteacute personnelle (3) (celle qui est en question)

1) position du problegraveme 1) arguments pour et contre 2) solution 3) reacutefutation des arguments de la partie advers Voir RM MARTIN laquo Introductionraquo dans Œuvres de Robert de Melun t I Quaestiones de divina pagina Louvan 1932 p XL 211 Ce que les premiegraveres phrases de ces chapitres deacutemontrent I 13 laquo Investigationem vero praesentem de pluralitate utrumne in Deo personalis sit raquo I 14 laquo Est enim aliud quod impedit hanc nostram de personis inquisitionem raquo I 15 laquo Quid ergo amplius restat Nunc adhuc superest quod dici possit quid illud An non est in pluribus inventis pluralitas personalis an forte ibi est Sed quod ibi sit ostendere non potest ltratiogt an ostendi potest sed ratione alia raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 82 84 et 86

63

- laquo Videntur aliiraquo - la pluraliteacute des proprieacuteteacutes (4) Pour cette pluraliteacute Achard donne des

exemples des proprieacuteteacutes comme laquo de ne provenir drsquoaucun autre raquo ou laquo drsquoavoir un Fils ou

un Esprit raquo et il ajoute que cette pluraliteacute des proprieacuteteacutes se trouve eacutegalement dans une

seule personne

- laquo Si rationes etiam rerumraquo - la pluraliteacute des raisons (5) (elle est dans le Dieu mais elle

peut se trouver eacutegalement dans une seule personne) Achard eacutevoque la liste des

questions concernant ce type de pluraliteacute

a) si les raisons sont dans une seule personne

b) si chacune des raisons peut laquo ecirctre dite ou ecirctre personne raquo

c) si en tant que personnes elles reccediloivent laquo les proprieacuteteacutes susdites raquo (la proprieacuteteacute drsquoune

personne de la Triniteacute comme celles qui ont eacuteteacute citeacutees plus haut)

Pour finir Achard deacutemontre que les deux derniegraveres pluraliteacutes ne sont pas personnelles La

pluraliteacute des proprieacuteteacutes nrsquoest pas personnelle car chaque proprieacuteteacute en Dieu nrsquoest pas une personne

particuliegravere mais elle est dans une ou plusieurs personnes prises seacutepareacutement Et la pluraliteacute des

raisons nrsquoest pas personnelle non plus car elle est dans une seule personne Finalement Achard

propose un nouveau critegravere pour la recherche de la pluraliteacute personnelle elle doit ecirctre laquo en des

termes multiples ou diffeacuterents raquo

Ainsi dans le chapitre I 13 Achard eacutenumegravere les cinq types de pluraliteacute substantielle

accidentelle personnelle celle des proprieacuteteacutes et celle des raisons En cherchant la pluraliteacute

personnelle il a deacutemontreacute que quatre types de pluraliteacute (substantielle accidentelle celle des

proprieacuteteacutes et celle des raisons) ne correspondent pas agrave ces critegraveres

Dans I 14 Achard propose une sorte de contre-exemples pour deacutemontrer pourquoi les

critegraveres existants de la pluraliteacute ne sont pas suffisants Drsquoabord il reacutepegravete le critegravere de la personnaliteacute

en Dieu qursquoil a deacutejagrave eacutetabli la pluraliteacute ((1) laquo ecirctre en des personnes multiples ou diffeacuterentes raquo voir

ch I 14) Et il propose un autre critegravere (2) laquo ecirctre de nature rationnelle212 raquo Ensuite il traite les cas

ougrave ils apparaissent ensemble

1) laquo sed obviant raquo ndash il y a plusieurs parties dans lrsquoacircme qui ont la mecircme personnaliteacute et

aucune ne reccediloit le nom de personne par elle-mecircme213

2) laquo Resistit namque raquo ndash la personnaliteacute humaine consiste en un corps et en une acircme mais

ce nrsquoest que lrsquoacircme qui reccediloit le nom de personne par elle-mecircme

212 laquo Cum enim plura sint ut ostendimus in deitate una rationalis quidem naturae sunt omnia Unde et in eis personalitas negari non potest sine qua rationalis natura nunquam est Hinc ergo inferri forsitan posset plures ibi personas raquo De unitate I 14 eacuted MARTINEAU p 84 Martineau explique cet argument comme tel qui se reacutefegravere agrave la deacutefinition de personne proposeacutee par Boegravece (laquo rationabilis naturae individua substantia raquo) p 85 I 14 note 1 213 Pour expliquer cette thegravese on peut se reacutefeacuterer agrave un autre traiteacute drsquoAchard De discretione animae spiritus et mentis ougrave il parle de la puissance inteacuterieure qui srsquoappelle souvent lrsquoacircme mais qui comprend anima spiritus et mens

64

3) laquo Non tamen ita se habet raquo ndash tout cela nrsquoest pas possible en Dieu En lui la substance est

unique et indivise mais aussi chaque personne est pleine parfaite et eacutegale aux autres

(laquo rien ne peut ecirctre dit de lrsquoun drsquoentre eux selon la substance qui ne puisse agrave titre eacutegal

ecirctre assigneacute dans lrsquoun quelconque de tous les autres214 raquo)

Ces trois cas correspondent aux critegraveres proposeacutes et neacuteanmoins dans les deux premiers il

nrsquoy a pas la pluraliteacute rechercheacutee Cela veut dire que ces critegraveres ne sont pas satisfaisants Voilagrave

pourquoi Achard preacutecise que mecircme si la nature rationnelle doit ecirctre unique et indivise un autre

critegravere est neacutecessaire (3) il faut que chaque personne laquo puisse ecirctre par soi dite personne en tant que

prise isoleacutement215 raquo

Puis il demande si ce critegravere est suffisant Achard veacuterifie les cas suivants de la pluraliteacute en

Dieu

4) laquo Sed venit ex adverso raquo ndash le Christ selon la doctrine chreacutetienne a deux natures qui

sont rationnelles Les deux premiers critegraveres sont donc satisfaits Neacuteanmoins bien que

lrsquoune et lrsquoautre natures puissent ecirctre dites laquo personnes raquo par elles-mecircmes il nrsquoy a qursquoune

personne216

5) laquo Quid igitur amplius occurrit raquo ndash il y a aussi la pluraliteacute des raisons mais aucune

raison ne srsquoappelle personne par elle-mecircme

Ces deux pluraliteacutes sont diffeacuterentes de celle rechercheacutee car la pluraliteacute de natures du Christ

est gratuite (donneacutee par la gracircce de Dieu) et la pluraliteacute de raisons nrsquoa pas de procession agrave lrsquointeacuterieur

drsquoelle (les raisons ne proviennent pas lrsquoune agrave partir de lrsquoautre)

6) Ensuite Achard procegravede agrave la comparaison de la pluraliteacute des raisons avec une autre

pluraliteacute qui selon lui laquo a deacutejagrave eacuteteacute deacutecouverte plus haut raquo

laquo Cette pluraliteacute ltdes raisonsgt diffegravere de celle qui a eacuteteacute deacutejagrave deacutecouverte plus haut je veux

dire dans lrsquouniteacute dans ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute et dans lrsquoeacutegaliteacute mecircme srsquoil est vrai qursquoici

lrsquoune des raisons nrsquoest pas drsquoune autre tandis que lagrave comme on le montrera ensuite ce qui

est eacutegal agrave lrsquouniteacute vient de lrsquouniteacute mecircme ou doit en proceacuteder et lrsquoeacutegaliteacute ltproceacutedergt des

deux217 raquo

214 laquo Ut de uno quolibet eorum dici nihil possit secundum substantiam quod non aeque in reliquorum singulis assignari queat raquo De unitate I 14 eacuted MARTINEAU p 84-85 215 laquo Oportet itaque unumquodque eorum personam posse dici per se ut sigillatim quamvis ipsorum substantia pronuntiari potest rationalis naturae raquo De unitate I 14 eacuted MARTINEAU p 84-85 216 A propos de la christologie drsquoAchard voir J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 190-216 et J CHATILLON laquo Achard de Saint-Victor et les controverses christologiques du XIIe siegravecle raquo dans Meacutelanges F Cavallera Toulouse 1948 p 317-337 217 laquo Differt tamen pluralitas haec ab ea quae superius jam inventa est in unitate scilicet et eo quod aequale est unitati et ipsa aequalitate eo quod hic rationum una ab alia non est ibi vero ut post ostendetur id quod unitati est aequale ab ipsa est vel procedere oportet ltabgt unitate aequalitatem ab utroque raquo De unitate I 14 eacuted MARTINEAU p 86-87

65

La diffeacuterence consiste donc en ce que les personnes proviennent lrsquoune de lrsquoautre dans la

Triniteacute Il est eacutetonnant qursquoAchard donne ici sa deacutefinition de la Triniteacute mais comme quelque chose

deacutejagrave deacutemontreacute avant Crsquoest pour cela que Martineau considegravere cet extrait comme le laquo comble du

brouillon218 raquo

7) laquo Sic itaque raquo ndash Et enfin la derniegravere deacutecouverte de ce chapitre est la thegravese drsquoAchard

concernant lrsquoimpossibiliteacute de la procession drsquoune personne drsquoelle-mecircme Si telle

provenance eacutetait possible selon Achard cela induirait (laquo Ista autem si irrefragabilis

foret ratio raquo)

- lrsquoexistence de deux personnes de deux natures diffeacuterentes dans le Christ

- lrsquoexistence de trois natures diffeacuterentes dans la Triniteacute

Ainsi en examinant les contre-exemples de la pluraliteacute personnelle Achard deacutecrit les types

suivants de la pluraliteacute les parties de lrsquoacircme la personnaliteacute humaine (le corps et lrsquoacircme) les natures

du Christ et les raisons eacuteternelles Il explicite eacutegalement la pluraliteacute de la Triniteacute qui consiste en

lrsquouniteacute ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute mecircme

Dans le chapitre I 15 Achard continue agrave explorer la pluraliteacute en Dieu mais il change sa

maniegravere drsquointerroger afin de recueillir plusieurs arguments Drsquoabord (laquo Conveniant itaque raquo) il

eacutenumegravere les critegraveres de la pluraliteacute rechercheacutee

- laquo chacun drsquoeux qui sont tous de mecircme nature et substance reccediloit seacutepareacutement le

preacutedicat de personne raquo

- laquo de lrsquoun drsquoentre eux existe ou procegravede le second et des deux le troisiegraveme219 raquo

En eacutevoquant le dernier critegravere Achard avoue qursquoil connaicirct deacutejagrave la reacuteponse La pluraliteacute qursquoil

cherche est celle des personnes de la Triniteacute Maintenant il lui reste agrave deacutemontrer pourquoi dans les

autres types de pluraliteacute il y a lagrave-bas plusieurs personnes laquoou [hellip] si elles nrsquoeacutetaient plusieures il

srsquoensuivrait qursquoune personne existe ou procegravede de soi-mecircme ce qui est impossible220 raquo Il examine

donc les pluraliteacutes suivantes

218 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 87 I 15 note 2 219 laquo Conveniant itaque in unum id quod postremo nunc de processione est adducendum et caetera quae de eisdem pluribus prius sunt assignata quia videlicet in eis personalitas consistit et quia unumquodque eorum personae praedicationem seorsum recipit quae omnia sunt ejusdem naturae atque substantiae et quia ab uno illorum existit vel procedit alterum et ex ambobus tertium raquo De unitate I 15 eacuted MARTINEAU p 86-87 220 laquo Ne plures ibi esse personas inferri valeat vel nisi plures fuerint personam a se ipsa sequeretur existere atque procedere quod est impossibile raquo De unitate I 15 eacuted MARTINEAU p 88-89

66

1 laquo Quamvis autem in Verbo raquo ndash Verbe incarneacute (le Christ) qui a deux natures et une

personne Dans cette pluraliteacute il y a la procession (lrsquohomme est Verbe) mais il y a la

pluraliteacute de natures la pluraliteacute de personnes nrsquoest donc plus requise

2 laquo In rationibus vero aeternis ideo raquo ndash les raisons eacuteternelles qui doivent avoir soit

plusieurs natures soit plusieurs personnes (srsquoil y avait la procession parmi elles)

3 laquo Cum igitur in supra dictis tribusraquo ndash la Triniteacute

laquo Le second procegravede de lrsquoun drsquoentre eux et de lrsquoun et lrsquoautre le troisiegraveme et que tous sont de

mecircme nature ou substance ils ne peuvent aucunement appartenir agrave la mecircme personne mais

il est neacutecessaire qursquoil y ait lagrave-bas plusieurs personnes221raquo

Ainsi Achard compare trois types de pluraliteacute celle du Verbe incarneacute celle des raisons

eacuteternelles et celle de la Triniteacute Bien que les deux premiegraveres pluraliteacutes correspondent agrave certains

critegraveres crsquoest seulement pluraliteacute de la Triniteacute qui satisfait tous les critegraveres En effet dans ce

chapitre Achard parle beaucoup de la procession surtout de la procession de la personne et de

lrsquoimpossibiliteacute pour elle de proceacuteder drsquoelle-mecircme Ses reacuteflexions agrave ce sujet sans doute extrecircmement

subtiles ne nous semblent pas tregraves claires222

Il est inteacuteressant que deux passages des chapitres I 14 et 15 aient eacuteteacute citeacutes par Jean de

Cornouailles pour exprimer la position drsquoAchard concernant la question sur la maniegravere dont la

nature humaine est assumeacutee dans le Christ223 Neacuteanmoins selon le texte du De unitate qursquoon a

aujourdrsquohui il semble qursquoAchard nrsquoait pas eu lrsquointention de reacutepondre agrave cette question

En I 13 Achard a poseacute les questions concernant la pluraliteacute des raisons eacuteternelles

premiegraverement si elles sont dans une seule personne deuxiegravemement si chacune des raisons peut

laquo ecirctre dite ou ecirctre personne raquo et troisiegravemement si le fait drsquoecirctre personne laquo peut ecirctre reccedilu des

proprieacuteteacutes susdites raquo En I 13 il a donneacute une reacuteponse neacutegative agrave la premiegravere question (elles ne sont

221 laquo Ab uno illorum procedat alterum et ab eorum utroque tertium et omnia sunt ejusdem naturae atque substantiae nullatenus ejusdem esse possunt personae sed plures ibi necessarium est personas esse aut personam procedere a se raquo De unitate I 15 eacuted MARTINEAU p 88-89 222 Martineau semble ecirctre drsquoaccord avec nous Voir le De unitate I 14 eacuted MARTINEAU note 10 p 87 I 15 note 8 p 89 223I 14 laquo Ibi namque duae sunt naturae quarum utraque persona dici potest per se nec tamen duae sunt ibi personae sed una in naturis duabus in Deo hominem assumente id est in Verbo ex ipsius natura in homine autem assumpto ex assumentis Verbi beneficio et gratia raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 84 Et I 15 laquo Quamvis autem in Verbo assumente et homine assumpto alterum sit ex altero homo scilicet a Verbo non tamen ibi duas esse personas vel unam a se ipsa consequens est eo quod homo alterius est naturae a Verbo secundum quam potest esse ab eo et ideo propter pluralitatem naturarum jam ibi non exigitur pluralitas personarum Etsi non sit alterum ab altero secundum personam alteram potest tamen ab eo esse secundum eam quae ltibigt est naturam alteram Si vero altera non esset ibi natura necessario cum personalitatem ibi esse constet et utrumque personam dici per se persona ibi esset altera aut neutrum esset ab altero aut persona una prorsus a se ipsa raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 88 JOHANNIS CORNUBIENSIS (JOHN OF CORNWALL) laquo Elogium Ad Alexandrum Papam Tertium raquo ed N M HAumlRING dans Medieval Studies t 13 1951 p267) Crsquoest gracircce agrave ces citations que le De unitate a eacuteteacute identifieacute comme lrsquoœuvre drsquoAchard par Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny

67

pas dans une seule personne) en I 14 pour la deuxiegraveme (aucune raison ne peut ecirctre personne) La

troisiegraveme question est par conseacutequent eacutelimineacutee

Ainsi dans les chapitres I 13-15 Achard deacutemontre comment la pluraliteacute personnelle peut

ecirctre en Dieu Drsquoabord il examine les types de pluraliteacute (substantielle accidentelle des proprieacuteteacutes

des raisons et enfin personnelle I 13) afin de deacutemontrer que la pluraliteacute personnelle diffegravere du

reste Puis il cherche la pluraliteacute personnelle parmi les choses qui consistent en plusieurs parties

(les puissances diffeacuterentes de lrsquoacircme lrsquoecirctre humain qui est constitueacute de lrsquoacircme et du corps le Christ

de la nature humaine et de la nature divine la pluraliteacute des raisons I 14) et il a trouveacute dans la

Triniteacute ougrave il y a lrsquouniteacute ce qui lui est eacutegaleacute et lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme Dans le chapitre I 15 Achard

eacutenumegravere tous les critegraveres de lrsquoadmissibiliteacute de la pluraliteacute personnelle ecirctre plusieurs avoir la

procession recevoir seacutepareacutement le preacutedicat de personne laquo de lrsquoun drsquoentre eux existe ou procegravede le

second et des deux le troisiegraveme raquo

A ces trois chapitres (I 13-15) nous pouvons ajouter le chapitre I 16 ougrave Achard parle aussi

des trois personnes Il commence le chapitre I 16 par lrsquoassertion que lrsquouniteacute et ce qui est eacutegal agrave

lrsquouniteacute nrsquoest pas une seule personne Selon lui cela deacutemontre que la cause de cette diffeacuterence entre

les personnes est la mecircme pour toutes les personnes agrave savoir le fait drsquoavoir sa propre

personnaliteacute224 Puis il demande (Numquid) si cette cause est la substance ou une proprieacuteteacute

commune des trois personnes et il reacutepond que non crsquoest plutocirct une proprieacuteteacute singuliegravere (propre agrave

chaque personne) Ainsi Achard attribue la personnaliteacute propre aux trois personnes divines en vertu

de leurs diffeacuterences mutuelles crsquoest-agrave-dire agrave lrsquo laquo uniteacute raquo car elle est agrave partir drsquoelle-mecircme agrave laquo ce qui

est eacutegal agrave lrsquouniteacute raquo car elle est de lrsquouniteacute et agrave lrsquo laquo eacutegaliteacute raquo car elle est des deux premiegraveres Et il

conclut en disant qursquoen effet si lrsquoune de ce trois nrsquoavait pas de personnaliteacute propre elles seraient

ineacutegales

Nous avons donc observeacute la maniegravere dont Achard reacutepond agrave la question de la pluraliteacute divine

dans les chapitres I 13-16225

En effet dans ces chapitres Achard fait une eacutenumeacuteration des pluraliteacutes En mecircme temps il

les analyse une par une afin de donner plusieurs critegraveres qui caracteacuterisent la pluraliteacute personnelle en

Dieu mais non les autres types de pluraliteacute Une telle organisation du discours complique la lecture 224 laquo Non enim unitas et id quod aequale est unitati persona est una cum ut diximus ab unitate prorsus sit quod ei est aequale Unitas vero a se ipsa id est non ab alio unitas utique illa est persona a se Quod autem ei est aequale non a se sed ab ipsa unitate a qua ipsum est quicquid quoquo modo est Hujusmodi igitur differentiae in personalitatem habendo ea[n]demque erit causa raquo De unitate I 16 eacuted MARTINEAU p 90 Martineau traduit la derniegravere phrase de maniegravere suivante laquo ltLa causegt drsquoune telle diffeacuterence donc ltseragt dans le fait drsquoavoir une personnaliteacute ltpropregt et ce sera la mecircme cause raquo et il avoue qursquoil ne comprend pas de quoi srsquoagit-il dans cette phrase (voir p 91 note 1 agrave ch I 16) Mais nous croyons que cette phrase peut ecirctre comprise de maniegravere plus simple qursquoon a proposeacutee plus haut 225 Pour comprendre mieux ces chapitres voir les tableaux que nous avons faits dans le chapitre VI3 laquo La Triniteacute et les personnes dans le De unitate raquo

68

du texte et cache le fait qursquoAchard y introduit des autres importantes questions theacuteologiques telles

que lrsquouniteacute de la personne et la pluraliteacute des natures dans le Christ la preacutesence des raisons eacuteternelles

dans une personne divine Dieu la deacutefinition dynamique (agrave travers la procession) de la Triniteacute Cela

cantonne avec lrsquoideacutee neacuteoplatonicienne de la premiegravere uniteacute intelligible qui contient plusieurs uniteacutes

intelligibles et qui se prolifegravere dans le monde Ainsi parmi les notions principales il y a non

seulement la pluralitas mais aussi Verbum ratio Unitas Id quod aequale unitati et Aequalitas

III212 I 17-22 ndash justification du nombre des personnes

Le chapitre I 17 est un autre chapitre de transition (comme I 9 ou 12) qui sert agrave eacutevoquer la

direction de la recherche Achard y observe ce qursquoil a deacutejagrave deacutemontreacute (la pluraliteacute personnelle) et ce

qui lui reste agrave deacutemontrer agrave savoir

laquo Ce que sont lagrave-bas les personnes Sont-elles plus nombreuses que celles qui ont deacutejagrave eacuteteacute

deacutemontreacutees crsquoest-agrave-dire trois agrave savoir dans lrsquouniteacute dans ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute et dans

lrsquoeacutegaliteacute mecircme des deux 226 raquo

Dans les chapitres suivants Achard donnent la reacuteponse En I 18-20 il propose la reacuteponse en

srsquoappuyant sur le De arithmetica de Boegravece227 Cette reacuteponse est baseacutee sur les proprieacuteteacutes des

nombres pairs et impairs (vu que lrsquoimpariteacute est relieacutee agrave lrsquouniteacute trois est preacutesent dans lrsquouniteacute suprecircme

en tant que premier nombre impair I 18) du triangle (laquo figure drsquoougrave naissent tous les nombres raquo I

19) et de lrsquoeacutegaliteacute (qui est agrave lrsquoorigine de toute ineacutegaliteacute et qui est donc en Dieu car il est agrave lrsquoorigine

de toutes les creacuteatures qui sont ineacutegales entre elles I 20) A lrsquoargument du chapitre I 20 Achard

ajoute (laquo sed ratio monstrat raquo) que lrsquoeacutegaliteacute nrsquoexiste qursquoentre deux en tant que troisiegraveme eacuteleacutement et

il y a donc trois eacuteleacutements en Dieu Ainsi dans les chapitres I 18-20 Achard montre qursquoil y a trois

personnes en Dieu

Les deacutebuts des chapitres I 21-22 et la fin du chapitre I 22228 eacutevoquent le thegraveme de ces

chapitres lrsquoimpossibiliteacute drsquoune quatriegraveme personne dans la Triniteacute

226 laquoId est quid ibi sint personae utrumne plures esse possint quam jam demonstratae sunt id est tres in unitate videlicet et eo quod unitati est aequale ltetgt in ipsa amborum aequalitate raquo De unitate I 17 eacuted MARTINEAU p 90-91 227 Martineau eacutevoque lrsquoArithmetique de Boegravece en tant que la source de ces chapitres (I 18 du De unitate I 359 et 13 de lrsquo Arithmetique I 19 II 6 23 I 20 I 32) voir E MARTINEAU laquo Eclaircissement IIraquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 211- 212 228 I 21 laquo Si autem post haec tria sibi penitus aequalia quarta in Deo introducatur persona raquo I 22 laquo Si dicet quis alteram esse aequalitatem a qua illa procedit persona alteram quae procedit ab illa raquo et laquo Non igitur quartum potest esse

69

En I 21 Achard propose

- laquo si autem raquo ndash une supposition srsquoil y avait une quatriegraveme personne qui procegravede des

trois premiegraveres

- laquo iterum autem raquo ndash une reacutefutation cette personne serait eacutegale aux trois premiegraveres et par

conseacutequent elle ferait proceacuteder une autre eacutegaliteacute et cette conseacutequence est absurde

(laquo quod est impossibile raquo) il y aurait lrsquoeacutegaliteacute qui produit une personne laquelle agrave son

tour produit lrsquoeacutegaliteacute

Dans le chapitre I 22 Achard continue agrave reacutefleacutechir sur le mecircme sujet Il traite des

modifications possibles de la supposition faite en I 21

1) laquo Si dicet raquo ndash Et srsquoil y aura une deuxiegraveme eacutegaliteacute crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutegaliteacute produite par

une quatriegraveme personne serait-elle diffeacuterente de celle qui est la troisiegraveme personne

11 Reacutefutation1 Dieu ne peut pas avoir deux eacutegaliteacutes comme il nrsquoa ni deux

grandeurs ni deux sagesses ni deux puissances Il existe lagrave une eacutegaliteacute qui correspond agrave

lrsquounique substance de Dieu

Conclusion (laquo Sic et raquo) laquo Pour les grandeurs et les eacutegaliteacutes suprecircmes il est impossible

qursquoelles soient deux229 raquo

12 Reacutefutation2 (laquo Si etiam raquo) srsquoil y avait deux eacutegaliteacutes il y aurait cinq

personnes

2) laquoObjiciitur etiam raquo ndash Et si une quatriegraveme personne ne provient pas des trois

premiegraveres Cela nrsquoest pas possible car

a) laquo ltcette personnegt ne peut ecirctre lagrave-bas que si elle procegravede de lrsquouniteacute elle-mecircme raquo

b) laquo cette eacutegaliteacute exige neacutecessairement qursquoexiste quelque chose drsquoeacutegal agrave lrsquouniteacute de telle

sorte que existant elle-mecircme entre lui et lrsquouniteacute mecircme elle ne requiert plus rien drsquoautre

pour ltatteindregt son ecirctre propre srsquoil est vrai qursquoelle existe en pleacutenitude entre ces deux

termes raquo

c) laquo il faudra que tout ce qui pourra ecirctre proposeacute de surcroicirct de mecircme qursquoil provient de

lrsquouniteacute et de ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute provienne aussi de leur eacutegaliteacute mecircme230 raquo

quod tribus praemissis sit aequale Unde et tres solum ibi personas fateri est necesseraquo De unitate I 17 eacuted MARTINEAU p 92 et 94 229 laquo Et magnitudines et aequalitates summas impossibile est esse duas raquo De unitate I 22 eacuted MARTINEAU p 94-95 230 laquo Quamvis ibi esse non possit nisi ab ipsa procedat unitate [] hoc vero inde evenit quia aequalitas illa ut sit aliquid unitati aequale necessario exigit inter quod et ipsam unitatem cum ipsa fuerit ad esse suum jam amplius nihil requirit utpote quae inter duo illa plena consistit Unde quicquid reliquum deinceps fuerit propositum quemadmodum ab unitate et eo quod unitati est aequale sic et ab ipsa eorum aequalitate oportebit esse raquo De unitate I 22 eacuted MARTINEAU p 94-95

70

De cette maniegravere Achard deacutemontre que mecircme srsquoil y avait une quatriegraveme personne dans la

Triniteacute elle proviendrait neacutecessairement des trois premiegraveres Il y aurait donc un autre eacutegal (lrsquoEgal1)

provenant de lrsquoeacutegaliteacute ce qui nrsquoest pas possible selon Achard car

laquo Rien ne tient ni ne peut tenir son ecirctre de sa propre eacutegaliteacute [hellip] il est neacutecessaire que

lrsquoeacutegaliteacute procegravede des lttermesgt dont elle est lrsquoeacutegaliteacute raquo ndash les eacutegaux preacutecegravedent toujours

lrsquoeacutegaliteacute231

Ainsi les chapitres I 21-22 srsquounissent pour justifier lrsquoimpossibiliteacute drsquoune quatriegraveme

personne en Dieu Dans ces deux chapitres Achard observe les trois cas diffeacuterents de la preacutesence

drsquoune quatriegraveme personne en deacutemontrant leur impossibiliteacute De cette maniegravere il arrive agrave la

conclusion qursquoune quatriegraveme personne nrsquoest pas possible dans la Triniteacute

La justification des trois personnes qui est exposeacutee dans ces chapitres reacutesout un autre grand

problegraveme de theacuteologie trinitaire ndash pourquoi la provenance ne srsquoarrecircte pas aux trois personnes crsquoest-

agrave-dire pourquoi Dieu nrsquoeacutemane-t-il pas directement dans le monde Ce problegraveme est au cœur de la

meacutetaphysique platonicienne chreacutetienne La notion de nombre (numerus) devient alors importante

dans le contexte de la justification arithmeacutetique de la Triniteacute Afin de reacutefuter une quatriegraveme

personne Achard utilise les notions de lrsquounitas de lrsquoaequalitas et de la substantia

III214 I 23-36 ndash justification des noms de la Triniteacute et des personnes

I 23-29 ndash le Pegravere et le Fils

Le chapitre I 23 commence par le reacutesumeacute de ce qui a eacuteteacute deacutejagrave deacutemontreacute (qursquoil nrsquoy a que trois

personnes dans la Triniteacute) Ensuite Achard interroge la maniegravere dont il convient drsquoappeler la

Triniteacute Il examine trois variantes Triniteacute (Trinitas) ternaire (ternarius) ou triple (triplex) Crsquoest le

nom laquo Triniteacute raquo qui convient le mieux aux trois personnes mais laquo ternaire raquo nrsquoest pas loin non plus

car il signifie eacutegalement trois fois une personne ce qui est proche de la deacutefinition arithmeacutetique

Achard ajoute qursquoil y a aussi une dualiteacute dans ces deux personnes (une personne multiplieacutee par

231 Notre conclusion est tireacute du passage suivant drsquoAchard laquo Quicquid autem ab aequalitate illa est jam ipsa ejus ad aliquid aequalitas esse non potest nihil enim a sua esse habet vel habere potest aequalitate Ipsum esse siquidem oportet ut sit alicui aequale et prius est quamque rem considerare in se quam in alterius aequalitate ut ostensum est et postmodum ostendetur abundantius semper aequalitatem ab eis quorum est aequalitas necesse est procedere raquo De unitate eacuted MARTINEAU I 22 p 94-95

71

deux) mais cela ne veut pas dire qursquoil nrsquoy ait pas plus que deux personnes A la fin de ce chapitre

Achard pose la question

laquo Toutefois on ne peut prononcer purement et simplement que dans les personnes de la

diviniteacute existe la dualiteacute drsquoautant plus que ce que nous cherchons crsquoest ce que sont lagrave-bas

les personnes afin que lrsquoon ne pense pas que nous voulions dire qursquoil nrsquoen existe pas lagrave-bas

plus de deux Quel est donc leur nombre La raison dans la suite srsquoacheminera peut-ecirctre

jusqursquoagrave ce point232 raquo

Il nrsquoest pas clair pourquoi Achard pose cette question vu qursquoil a deacutejagrave deacutemontreacute (en I 18-22)

que le nombre des personnes est trois

En I 24 Achard fait une autre transition entre les chapitres

laquo Maintenant en effet le moment est venu de discerner les personnes par des proprieacuteteacutes et

selon leurs proprieacuteteacutes de les distinguer par des noms [hellip] Aussi devons-nous consideacuterer les

trois lttermesgt citeacutes dans lesquels a eacuteteacute trouveacutee la pluraliteacute de la Triniteacute crsquoest-agrave-dire lrsquouniteacute

ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme et comme la substance en est unique

examiner la diffeacuterence entre tous ces lttermesgt aussi soigneusement qursquoil se pourra233 raquo

En examinant le deacutebut des chapitres suivants on peut remarquer que le chapitre I 25

commencent par laquo En premier lieu raquo (laquo In primis raquo) et il srsquoagit lagrave de lrsquouniteacute le chapitre I 30 par

laquo de la troisiegraveme donc raquo (laquo Tertiae igitur raquo) et il srsquoagit de lrsquoeacutegaliteacute Dans les premiegraveres phrases des

chapitres I 26-29 laquo ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute raquo (la deuxiegraveme personne) est mentionneacute Drsquoougrave nous

tirons la conclusion que les chapitres I 25-30 sont lieacutes (25 puis 26-29 et enfin 30) afin de parler de

chacune des trois personnes Plus tard nous deacutecouvrirons que les chapitres I 30-36 sont tous

consacreacutes agrave la troisiegraveme personne

En I 25 Achard traite lrsquouniteacute Selon lui lrsquouniteacute nrsquoa ni distinction ni pluraliteacute et laquo rien ne

peut ecirctre son origine et sa cause raquo Afin de deacutemontrer cela Achard fait une supposition (laquo si

enim raquo) lrsquouniteacute provient drsquoautre chose Les deux conseacutequences sont ainsi possibles

232 laquo Non tamen simpliciter pronuntiandum in personis divinitatis consistere dualitatem praecipue cum quaeritur quid sint ibi personae ne significare putemur quod non plures quam duae ibi consistant personae De numero autem personarum quidnam sit in sequentibus fortasse procedet ratio raquo De unitate I 23 eacuted MARTINEAU p 96-7 233laquo Nunc enim personae discernendae sunt proprietatibus et secundum proprietates distinguendae nominibus [hellip] Consideranda sunt itaque tria proposita in quibus Trinitatis pluralitas est inventa id est unitas et quod unitati aequale est et aequalitas ipsa et cum una sit substantia omnium eorum differentia diligentius prout fieri potest est attendenda raquo De unitate I 24 eacuted MARTINEAU p 96-7

72

1) laquo Vel raquo il nrsquoy a que lrsquouniteacute donc lrsquouniteacute provient drsquoelle-mecircme

2) laquo Aut raquo il y a de la pluraliteacute mais dans ce cas crsquoest toujours la pluraliteacute qui provient

de lrsquouniteacute et non lrsquoinverse

Ainsi la proprieacuteteacute de lrsquouniteacute est laquo de ne pouvoir absolument pas ecirctre drsquoun autre que

drsquoelle-mecircme234 raquo

Dans les chapitres I 26-29 Achard deacutecrit les proprieacuteteacutes de la deuxiegraveme personne ndash ce qui

est eacutegal agrave lrsquouniteacute ndash agrave savoir la proprieacuteteacute de provenir de lrsquouniteacute235 La provenance de la deuxiegraveme

personne implique qursquoil y a une distinction et une pluraliteacute premiegravere (la dualiteacute) dans lrsquouniteacute

Ensuite en I 26 Achard eacutevoque les deux obstacles qui apparaissent si la deuxiegraveme personne (ce

qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute) ne provient pas de cette uniteacute (mais par conseacutequent elle proviendrait drsquoelle-

mecircme)

a) laquo Sine qua raquo ndash ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute ne serait pas diffeacuterent de lrsquouniteacute

b) laquo nec raquo ndash les deux personnes ne pourraient pas ecirctre eacutegales si elles nrsquoeacutetaient pas distinctes

en quelque mode

Dans le chapitre I 27 Achard continue les reacuteflexions prises dans le chapitre preacuteceacutedent

- laquo Si enim raquo ndash laquo En effet si ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute eacutetait de soi-mecircme comme lrsquouniteacute il

nrsquoy aurait plus rien par quoi il pucirct ecirctre distingueacute drsquoelle 236 raquo

- laquo Siquidem raquo ndash par conseacutequent il nrsquoy aurait pas pluraliteacute car ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute

serait identique agrave lrsquouniteacute mecircme

Formellement dans ce chapitre Achard reacutepegravete le cas eacutevoqueacute en I 26 (voir lrsquoobstacle a) De

plus Achard utilise la mecircme conjonction laquo si enim raquo qursquoil a utiliseacutee en I 25 pour introduire la

supposition Le chapitre I 27 ressemble ainsi au deacuteveloppement logique du chapitre I 26

En I 28 Achard fait une autre supposition

1 laquo Si raquo ndash ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute provient de lui-mecircme seacutepareacutement (seorsum) bien qursquoil ait la

mecircme nature et les mecircmes opeacuterations que lrsquouniteacute premiegravere

- laquo eo tamen raquo ndash lrsquoobjection lrsquouniteacute de ces deux personnes est moindre car (laquo non tamen raquo)

laquo aucune drsquoelles nrsquoest ou ne fait rien en deacutependance de lrsquoautre ou dans lrsquoautre raquo 234laquo Unde nihil ipsius unitatis potest esse origo et causa ut prorsus aliunde esse nequeat nisi a se ipsa raquo De unitate I 25 eacuted MARTINEAU p 96 235 Voir les deacutebut de ces chapitres ougrave Achard pose la question de la procession laquo Quae etiam ratio id quod unitati est aequale ab unitate ipsa convincit esse raquo I 26 laquo Si enim quod unitati est aequale a se ipso esset ut unitas raquo I 27 laquo Si fieri quoque aliqua permitteret ratio ut id quod unitati est aequale seorsum a se ipso quemadmodum unitas suam haberet existentiam raquo I 28 laquo Quamvis autem ab unitate esset quod ei est aequale non tamen ab illa procedere adeo proprie diceretur nisi ita esset ab illa quod ab ipsa illius proflueret substantia raquo I 29 236 laquo Si enim quod unitati est aequale a se ipso esset ut unitas jam nihil esset unde ab illa distingui posset raquo De unitate I 27 eacuted MARTINEAU p 98-99

73

2 laquo quemadmodum raquo ndash lrsquoexemple le feu la chaleur et le rayonnement Ils possegravedent la

caracteacuteristique suivante

21 laquo le feu opegravere donc lui aussi en lrsquoune et en lrsquoautre et crsquoest pourquoi tout ce que fait la

chaleur et le rayonnement le feu ltle faitgt aussi raquo

22 Pourtant Achard eacutevoque que dans les deux cas suivants une telle coopeacuteration de ces

trois eacuteleacutements ne serait pas possible

221 laquo si raquo ndash laquo la chaleur ou le rayonnement sortait drsquoailleurs que du feu raquo

222 laquo vel si raquo ndash laquo la chaleur ou le rayonnement provenait du feu de telle maniegravere qursquoil pucirct

cependant exister mecircme sans plus sortir de lui237 raquo

3 laquo Quae quidem similitudo raquo ndash cette comparaison peut servir afin de laquo mettre en relief lrsquouniteacute mecircme

de la Triniteacute raquo

31 laquo il est requis assureacutement que tout ce qui est dit de lrsquoune quelconque des personnes mdash

exception faite pour la proprieacuteteacute mdash que cela mecircme et par le fait mecircme puisse ecirctre dit

eacutegalement de nrsquoimporte laquelle des autres autrement dit que ceci et cela puisse ecirctre dit

tant selon la substance que selon la volonteacute et lrsquoopeacuteration238 raquo

32 Et les deux cas ougrave lrsquouniteacute substantielle est impossible

321 laquo si raquo ndash lrsquouniteacute et ce qui lui est eacutegal procegravedent de lrsquoautre

322 laquo vel si raquo ndash soit ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute procegravede drsquoelle de maniegravere ponctuelle crsquoest-agrave-

dire que la procession cesse

33 laquo Ut igitur [hellip] relinquitur quod raquo ndash la conclusion les conditions de la preacutesence de lrsquouniteacute

substantielle dans la Triniteacute doivent ecirctre les suivantes laquo que ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute

procegravede drsquoelle-mecircme et que cette procession ne cesse jamais239 raquo

De cette maniegravere la correspondance entre lrsquoexemple du feu de la chaleur et du rayonnement

et la Triniteacute devient eacutevidente Le thegraveme geacuteneacuteral de ce chapitre est lrsquoimpossibiliteacute de la procession de

la deuxiegraveme personne drsquoelle-mecircme de telle maniegravere qursquoelle soit eacutegale agrave la premiegravere personne Les

conseacutequences absurdes de cette provenance sont donneacutees (321 et 322) et la solution est proposeacutee

(33)

237 laquo Quemadmodum quia calor et splendor non operatur quid nisi ab igne et ignis operatur in utroque ideo quicquid calor et splendor efficit et ignis et eo etiam ipso quod nequaquam contingeret si aliunde quam ab igne calor vel splendor exiret vel si etiam ita ab igne esset quod jam non ab igne exeundo existere tamen posset raquo De unitate I 28 eacuted MARTINEAU p 98-99 238 laquo Quae quidem similitudo ad illam quae in Trinitate est processionem intelligendam et ad ipsam Trinitatis unitatem commendendam non parum valere poterit ibi enim ut sit trium unitas summa exigitur profecto ut quicquid de una qualibet proprietate excepta dicitur persona idipsum et eo ipso de aliarum quoque utralibet vel utrumque tam secundum substantiam quam secundum voluntatem et operationem dici aeque possit raquo De unitate I 28 eacuted MARTINEAU p 98-99 239 laquo Relinquitur quod ei est aequale ab ipsa procedere et processionem illam nunquam cessare raquo De unitate I 28 eacuted MARTINEAU p 98-99

74

Formellement en I 28 Achard deacuteveloppe la supposition faite en I 26 b (si la deuxiegraveme

personne provient drsquoelle-mecircme de telle sorte qursquoelle soit diffeacuterente de la premiegravere personne) Il

propose une conseacutequence absurde il nrsquoy aurait pas drsquouniteacute entre ces deux personnes Pourtant

lrsquoexemple proposeacute dans ce chapitre permet de relever la proprieacuteteacute de la deuxiegraveme personne (de

proceacuteder de lrsquouniteacute et que cette procession ne cesse jamais) Cela implique la preacutesence de deux

personnes parfaitement eacutegales (en tous sens) mais pas identiques dans la Triniteacute

En I 29 Achard fait la deacutemarche suivante

1 laquo quamvis [hellip] nisi raquo ndash impose une autre condition ce qui est eacutegal doit proceacuteder de la

mecircme substance que lrsquouniteacute

2 laquo si etiam si autem raquo ndash la deacutemonstration par lrsquoabsurde Si ce qui est eacutegal ne proceacutedait pas

de lrsquouniteacute elle proceacutederait donc de rien (de nullo) et elle serait donc la creacuteature et non

Dieu elle serait corruptible et elle ne pourrait pas ecirctre eacutegale agrave lrsquouniteacute premiegravere

3 laquo igitur raquo ndash ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute procegravede de la mecircme substance que lrsquouniteacute et garde

cette substance

La deuxiegraveme partie du chapitre diffegravere de la premiegravere Achard y propose des noms pour deux

premiegraveres personnes de la Triniteacute agrave partir de la proprieacuteteacute qursquoil a trouveacutee preacuteceacutedemment Achard

eacutevoque deux types de noms qui correspondent agrave cette condition laquo Pegravere raquo et laquo Fils raquo et

laquo engendrant raquo et laquo engendreacuteraquo Ensuite Achard demande agrave quels ecirctres ces noms peuvent-ils ecirctre

appliqueacutes Lrsquolaquo engendrant raquo et lrsquolaquo engendreacute raquo srsquoappliquent aux ecirctres de la nature vivante et

sentante ainsi qursquoaux choses insensibles et inanimeacutees Le laquo Pegravere raquo et le laquo Fils raquo srsquoappliquent non

seulement aux ecirctres de la nature vivante et sentante mais aussi agrave ceux de nature rationnelle Voilagrave

pourquoi les noms laquo Pegravere raquo et laquo Fils raquo vont mieux agrave Dieu qui est de nature rationnelle

Ainsi les chapitres I 26-29 sont relieacutes de maniegravere agrave creacuteer un groupe dont la structure est la

suivante

I 26 ndash Le problegraveme comment ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute provient-il de lrsquouniteacute mecircme Deux

objections sont proposeacutees

1) I 27 ndash La premiegravere objection la deuxiegraveme personne peut provenir drsquoelle-

mecircme (de soi) la reacuteponse dans ce cas elle serait identique agrave lrsquouniteacute et il nrsquoy aurait

aucune pluraliteacute

2) I 28 ndash La seconde objection la deuxiegraveme personne peut provenir drsquoelle-

mecircme (de soi) et ne pas ecirctre identique agrave la premiegravere personne de maniegravere agrave ce qursquoil y ait

deux personnes indeacutependantes en Dieu la reacuteponse dans ce cas il nrsquoy aurait pas drsquouniteacute

entre ces deux personnes

75

I 28 ndash La solution du problegraveme ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute (la deuxiegraveme personne) provient

drsquoelle-mecircme (la premiegravere personne) et cette procession ne cesse jamais

I 29 ndash La preacutecision de la solution la deuxiegraveme personne provient de la substance de la

premiegravere

I 29 ndash La nomination des deux premiegraveres personnes agrave partir de leurs proprieacuteteacutes (la proprieacuteteacute

de la seconde personne de proceacuteder de la substance de la premiegravere de telle sorte que la procession

ne cesse jamais) laquo Pegravere raquo et laquo Fils raquo signifient la geacuteneacuteration dans les natures sentantes vivantes et

rationnelles

Ainsi dans ces chapitres les deacutefinitions des personnes qursquoAchard a eacutetablies auparavant

(Unitas Id quod unitati est aequale) sont probleacutematiseacutees par rapport aux proprieacuteteacutes de chaque

personne Achard eacutetablit lrsquoordre correct de la procession des personnes agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute

Les eacutetapes de la procession des personnes (lrsquouniteacute la dualiteacute) font reacutefeacuterence agrave des tels principes

meacutedioplatoniciens comme la monade et la dyade

I 30-36 ndash Saint-Esprit

Le chapitre I 30 est aussi une transition Au deacutebut Achard se donne un but

laquo Il nous faut donc chercher pour la troisiegraveme personne le nom mdash celui drsquoeacutegaliteacute ou tout

autre mdash qui soit le mieux adapteacute si lrsquoon considegravere sa proprieacuteteacute par rapport agrave lrsquoun et lrsquoautre

lttermesgt preacuteciteacutes puisque crsquoest drsquoapregraves elle que devra se faire eacutegalement lrsquoimposition du

nom240 raquo

Ainsi Achard cherche le nom pour la troisiegraveme personne qui va lui correspondre et sa

proprieacuteteacute agrave partir de laquelle le nom va ecirctre imposeacute De cette maniegravere il suit son plan proposeacute en I

24

Ensuite il preacutecise que la proprieacuteteacute en question de la troisiegraveme personne est de proceacuteder du

Pegravere et du Fils et que crsquoest cela qursquoil veut monter agrave partir de ce qui est deacutejagrave deacutecouvert Voilagrave

pourquoi il eacutenumegravere ce qursquoil a deacutejagrave eacutetabli agrave propos des proprieacuteteacutes des deux premiegraveres personnes

240laquo Tertiae igitur [autem] ipsius aequalitatis personae sive quodcumque quaerendum est nomen quod aptius fuerit ejus ad utrumque praenominatum proprietate considerata secundum namque eam et nominis facienda erit impositioraquo De unitate I 30 eacuted MARTINEAU p 100-101

76

1) laquo Les raisons donc qui ont montreacute que le Fils procegravede du Pegravere prouvent aussi la

mecircme chose agrave propos de lrsquoeacutegaliteacute des deux raquo agrave savoir que lrsquoeacutegaliteacute provient du Pegravere241 ndash I

26-28

2) laquo lrsquoeacutegaliteacute procegravede du Fils quand bien mecircme le Fils ne peut proceacuteder drsquoelle-

mecircme de fait que rien comme on lrsquoa eacutetabli ne procegravede de sa propre eacutegaliteacute crsquoest ce qui a

deacutemontreacute notre raisonnement anteacuterieur au sujet de lrsquoeacutegaliteacuteraquo ndash I 21

3) laquo en effet en aucun cas ne pourrait exister entre eux cette perfection drsquouniteacute qursquoon a

indiqueacutee lagrave-bas lten Dieugt si lrsquoun ne proceacutedait pas de la substance de lrsquoautre et de mecircme

que cela a eacuteteacute affirmeacute lagrave-bas universellement agrave propos de tous les lttermesgt eacutegaux raquo ndash I 29

(la provenance de la substance) et I 28 (lrsquoaffirmation agrave propos de tous les eacutegaux)

Et il ajoute ce qui lui reste agrave deacutecouvrir

4) laquo Il faut que soit trouveacutee tant dans la substance du Fils que dans celle du Pegravere ltune

raisongt pour laquelle soit assigneacutee une eacutegaliteacute de chacun des deux agrave lrsquoautre raquo242

Dans les chapitres I 31-36 Achard examine la troisiegraveme personne Etant donneacute que les

chapitres I 31-34 sont relativement courts leurs deacutebuts ne nous donnent pas drsquoindication

concernant leurs contenus Ils montrent plutocirct que ce sont les parties du mecircme reacutecit (laquo Sed cum ndash

Quemadmodum quoque ndash Item veluti ndash Amplius raquo) Les thegravemes des chapitres I 31-34 est la

proprieacuteteacute de la troisiegraveme personne et des chapitres I 35-36 le nom qui la convient

I 31

- laquo Sed cum raquo ndash Est-ce que lrsquoeacutegaliteacute comme la grandeur peut ecirctre en plusieurs (voir I 22)

Non

- laquo Igitur raquo ndash laquo Lrsquoeacutegaliteacute provient de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute raquo agrave savoir de la premiegravere

pluraliteacute qui est la dualiteacute du Pegravere et du Fils

I 32

- laquo Quemadmodum raquo ndash il ajoute une autre raison de lrsquoeacutegaliteacute les eacutegaux existent seulement

entre plusieurs la pluraliteacute est donc la condition de lrsquoeacutegaliteacute

I 33

- laquo Item veluti raquo ndash laquo srsquoil est neacutecessaire qursquoil y ait ainsi un entre deux pour que soit trois la

dualiteacute est donc requise pour qursquoil y ait eacutegaliteacute laquelle ne peut ecirctre sans nombre ternaire raquo

241 Voir lrsquoexplication de ce deacutecoupage des phrases dans le chapitre II laquo Le manuscrit de Padoue raquo 242 Voici le texte des points 1-4 donneacute plus haute dans la traduction de Martineau laquo Rationes igitur quae Filium a Patre ostenderunt procedere idipsum probant et de amborum aequalitate quod autem a Filio procedat cum ab ipsa non possit Filius procedere siquidem ltquodgt nihil a sua ut astruximus procedit aequalitate arguit ratio illa de unitate superius proposita Nullatenus enim consisteret inter eos illa quae ibi notata est unitatis perfectio nisi alterum ab alterius procederet substantia et quemadmodum ibi de omnibus generaliter assertum est aequalibus oportet tam in Filii quam in Patris reperiri substantia unde utriusque ad alterum assignetur aequalitasraquo De unitate I 30 eacuted MARTINEAU p 100-101

77

- laquo Praeterea raquo ndash laquo Lrsquoeacutegaliteacute du Pegravere et du Fils est une suprecircme et omniforme coheacutesion raquo Une

certaine disposition est neacutecessaire pour lrsquoexistence drsquoune telle coheacutesion Achard propose

deux exemples

a) lrsquoacircme et le corps

b) laquo le rayon visuel qui srsquoeacutecoule par lrsquoœil et le rayon solaire que lrsquoœil trouve dans

lrsquoair raquo 243

I 34

- laquo Amplius raquo ndash Achard fait ici une supposition et si lrsquoeacutegaliteacute ne provient qursquoagrave partir du Pegravere

et non pas agrave partir du Fils Mais lrsquoimpossibiliteacute de la provenance de la troisiegraveme personne agrave

partir du Pegravere seul a eacuteteacute deacutejagrave deacutemontreacutee en I 21 Par conseacutequent lrsquoeacutegaliteacute provient de deux

Ainsi dans les chapitres I 31-34 Achard a deacutemontreacute pourquoi lrsquoeacutegaliteacute provient de deux

premiegraveres personnes Ensuite il passe agrave lrsquoimposition du nom de la troisiegraveme personne Il propose

quelques options

1) laquo Fils raquo Les raisons pour lesquelles ce nom ne correspond pas

- laquo Cur ergo raquo ndash ce nom est deacutejagrave occupeacute (I 35)

- laquo Apertior autem ratio est raquo ndash ce nom deacutenote les relations agrave lrsquointeacuterieur de la famille

qui ne sont pas possibles quand lrsquoeacutegaliteacute provient du Pegravere et du Fils car laquo si elle (la

troisiegraveme personne) eacutetait leur fils elle serait ltfils de lrsquoun etgt de lrsquoautre donc elle

aurait deux pegraveres ce que la nature ne peut toleacuterer plus encore mdash chose qui serait

horrible dans le monde creacuteeacute mdash le mecircme serait fils et petit-fils du mecircme et le mecircme

derechef fils et fregravere du mecircme et inversement244 raquo (I 36)

2) laquo Si autemraquo - laquo Dieu raquo La reacutefutation de cette maniegravere elle deacutesignerait la communion

entre le Pegravere et le Fils Pourtant il faut que ce nom deacutesigne eacutegalement laquo une personne en

soi singuliegravere raquo Mais aussi cela impliquerait que crsquoest la troisiegraveme personne dont

proviennent le Fils et le Pegravere et non lrsquoinverse (ce qursquoon a dans le cas de Dieu)

3) laquo Vero - Sedraquo - laquo Saint-Esprit raquo ougrave laquo esprit raquo deacutesigne lrsquouniteacute de la nature et laquo Saint raquo

lrsquouniteacute de la volonteacute propre agrave la troisiegraveme personne

243 laquo Item veluti necesse est unum esse sic inter duo ut sint tria exigitur ergo dualitas ut sit quae sine ternario esse non potest aequalitas Aequalitas praeterea Patris et Filii quaedam eorum est summa et omnimoda cohaesio Cohaesio autem omnis ex cohaerentibus nunquam enim res altera cohaeret alteri nisi in ambabus aptitudo sit et causa cohaerendi Cur enim anima magis cohaeret carni quam lapidi nisi quia majorem ibi reperit competentiam cohaerendi Sed nec caro magis sic animae cohaeret quam non animae nisi ex ea quae in anima est cohaerendi aptitudine Similiter et radius qui per oculum perfluit visualis et radius quem in aere reperit solaris nequaquam sic ibi concurrerent ut communi cursu suo visum ex ipsis procedentem formarent nisi uterque in altero idoneitatem inveniret ita inter se et permiscere posset raquo De unitate I 33 eacuted MARTINEAU p 102-103 244laquo Unde si eorum Filius esset et alterius et sic duos quod rerum non sustinet natura haberet patres sed et quod in creaturis horrendum foret idem ejusdem filius esset et nepos et item idem ad eundem filius et frater e contrario idem pater et avus idem quoque ejusdem pater et frater raquo De unitate I 36 eacuted MARTINEAU p 104-105

78

Dans les chapitres I 30-36 les noms des personnes (Pater Filius et Spiritus Sanctus) sont

expliqueacutes agrave partir de leurs proprieacuteteacutes respectives Ces chapitres renforcent eacutegalement ce qui a eacuteteacute dit

dans les chapitres I 20-22 agrave propos de lrsquoimpossibiliteacute drsquoune quatriegraveme personne en mettant lrsquoaccent

sur la vie interne de la Triniteacute La probleacutematique correspond aux sujets du platonisme chreacutetien

III22 Partie 2 Doctrine des raisons eacuteternelles (I 37-II 21)

III221 I 37-42 ndash doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave remarqueacute plus haut le chapitre I 37 sert agrave seacuteparer les deux parties

du De unitate Achard y change son mode drsquoenquecircte tandis que dans la premiegravere partie il a parleacute

de Dieu agrave partir de sa nature invisible agrave partir du chapitre I 38 il explique les creacuteatures agrave partir de

leurs raisons eacuteternelles invisibles

Dans le chapitre I 38 Achard continue drsquoexposer la doctrine des raisons eacuteternelles des

choses (crsquoest surtout le deacutebut du chapitre laquo Inde enim raquo qui fait penser agrave la continuiteacute de son

discours) Les premiegraveres phrases des chapitres suivants contiennent les adverbes laquo etenim raquo (I 39)

laquo autem raquo (I 40 mais aussi 41) et laquo igitur raquo (I 42) Les mecircmes phrases suggegraverent qursquoil srsquoagit des

raisons eacuteternelles Cela permet de supposer que dans les chapitres I 39-42 la doctrine des trois

sortes de raisons eacuteternelles est introduite dans lrsquoensemble de la description (ce que lrsquoadverbe

laquo igitur raquo nous eacutevoque)

Dans les chapitres I 37 et 38 Achard adopte une maniegravere de parler indirecte ce qui lui

permet de ne pas expliciter le sujet des phrases Soit il utilise des pronoms en citant Rom 1 20245

soit il emploie le verbe sans sujet246 De cette faccedilon Achard introduit la division sur ce qui sont ici

et lagrave-bas (hic et ibi) ou comme il explique plus tard en I 38 sur les choses en elles-mecircmes (res in

semetipsis hic) et les choses dans leurs raisons eacuteternelles (in aeternis rationibus suis ibi) Dans le

mecircme chapitre Achard promet aussi de montrer que toutes les raisons sont une Raison selon la

substance et la personne bien qursquoil existe entre elles une distinction

En I 39 Achard preacutesente la doctrine des raisons des choses (finales formelles et

deacuteployantes ou les formes les causes et les modes) En I 40 il admet que ces trois sortes de raisons

245laquo Modus autem hic et sicuti in hiis quae facta sunt respiciet tamen ad ea quae ltnongt facta sunt siquidem rationes eorum et origines attendens ea non in esse a ltsegtmetipsis sed ubi multo verius subsistunt in aeternis ipsorum causis raquo De unitate I 37 eacuted MARTINEAU p 106 246laquo Inde enim huc venerunt unde nullatenus profluxissent nisi et ibi juxta aliquem fuissent modum Non autem ita inde venerunt ut ibi esse desierint quando huc venerunt nec ideo ibi fuerunt vel sunt quia huc venerunt sed magis ideo hic temporaliter facta sunt quia ibi aeternaliter infecta fuerunt et sunt raquo De unitate I 38 eacuted MARTINEAU p 108

79

se trouvent dans la Sagesse divine qui est la personne du Fils et qursquoelles y sont distinctes Puis il

dit qursquoelles sont distinctes non seulement dans notre intellect mais aussi en Dieu (I 41)

Tandis que dans le chapitre I 39 Achard deacutecrit trois sortes de raisons en expliquant

briegravevement chacune drsquoelle dans les deux chapitres suivants il eacuteclaircit pourquoi elles sont

distinctes Pour deacutemontrer cela il choisit deux maniegraveres drsquoargumenter

1) I 40 ndash laquo habere auctoritates praedictae raquo ndash en srsquoappuyant sur les autoriteacutes

(lrsquoexeacutegegravese des versets bibliques Jean 1 3-4 et Genegravese 1 1 23 6)

2) I 41 ndash laquo habere rationes necessariae raquo ndash en srsquoappuyant sur les raisons neacutecessaires

Les maniegraveres drsquoexpliquer utiliseacutees dans ces deux chapitres sont complegravetement diffeacuterentes

En I 40 Achard cherche agrave deacutemontrer sa doctrine des trois sortes de raisons agrave travers les

versets de la Bible Jean I 3-4 et Genegravese I 2-3 6 En glosant ces versets Achard reacuteexpose sa

doctrine de trois sortes de raisons247

En I 41 il fait deux deacutemonstrations en montrant les conseacutequents absurdes drsquoune thegravese

opposeacutee

1) laquo Quod autemhellip Causae siquidem faciendorum raquo ndash les causes des choses sont telles que

Dieu les a eacutetablies agrave faire car sinon (laquo Si enim raquo) il aurait fait drsquoautres choses et aurait

eacutetabli drsquoautres causes pour elles

2) laquo Formas autem raquo ndash il y a non seulement les formes pour tout ce que Dieu a fait et ce

qursquoil peut faire (facit et facere potest) mais des modes (modi faciendi) dans lrsquoesprit de

Dieu Les conseacutequences absurdes du contraire

22 laquo Alioquin enim raquo ndash Dieu pourrait plus qursquoil ne saurait

33 laquo Nisi enim raquo ndash laquo Les anges ne pourraient voir dans le Verbe de Dieu quels ils ont

eacuteteacute faits qursquoils ne voient tout autant comment ils ont eacuteteacute faits et en geacuteneacuteral ils ne

verraient absolument pas lagrave-bas la forme drsquoune chose quelconque qursquoils ne voient par le

fait mecircme aussi le mode de sa production et pas davantage nrsquointelligeraient-ils quel le

Fils a eacuteteacute engendreacute qursquoils nrsquointelligent en mecircme temps comment il lrsquoa eacuteteacute248 raquo

Dans le chapitre I 42 Achard preacutesume que la distinction des trois sortes de raisons est

suffisamment deacutemontreacutee et qursquoil est possible ainsi de passer agrave la question suivante agrave savoir les

247 Reiner Berndt explique que la liberteacute drsquointerpreacutetation est caractegravere pour les gloses du XII siegravecle R BERNDT laquo La theacuteologie comme systegraveme du monde Sur lrsquoeacutevolution des sommes theacuteologiques de Hughes de Saint-Victor agrave Saint Thomas drsquoAquin raquo dans Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques t 784 1994 p 558-9 248 laquo Videre non possent angeli in Verbo Dei quales sint facti quin non pariter viderent et qualiter sint facti nec penitus ibi viderent formam cujuslibet rei quin eo ipso videant et modum illam faciendi nec etiam intelligerent qualis Filius est genitus quin simul intelligerent et qualiter est genitus raquo De unitate I 41 eacuted MARTINEAU p 112-113

80

distinctions de chaque sorte de raison par elles-mecircme Voilagrave ce qursquoil propose comme plan de

recherche

laquoLes formes des choses se preacutesentent agrave notre connaissance avant les causes de lrsquoopeacuteration

ou les modes et les causes avant les modes [hellip] Crsquoest pourquoi dans notre discussion agrave

leur sujet nous suivrons nous aussi ce mecircme ordre traitant premiegraverement des formes

deuxiegravemement des causes enfin des modes ainsi que bien entendu des formes des choses

Que nous faudra-t-il donc montrer (1) Tout drsquoabord qursquoelles sont de toute eacuteterniteacute dans

lrsquoesprit de Dieu (2) ensuite que lagrave-bas aussi elles sont distinctes (3) apregraves quoi ces

distinctions elles-mecircmes devront ecirctre en quelque mesure assigneacutees et (4) enfin ltnous

aurons agrave nous demandergt si ce sont ces ltecirctresgt mecircmes qui sont ici qui sont eacutegalement lagrave-

bas ou bien si ceux qui sont lagrave-bas sont autres que ceux qui sont ici bien que ceux qui sont

ici soient dits ecirctre lagrave-bas agrave cause drsquoeux Mais ce nrsquoest sans doute pas tout et bien drsquoautres

questions nous occuperont249 raquo

De cette faccedilon Achard expose le plan geacuteneacuteral qursquoil a deacutesormais lrsquointention de suivre

deacutecrire chaque sorte de raisons formes causes modes Il faut remarquer qursquoAchard ne deacutecrit que

les raisons formelles (I 43-II 15) et finales (II 16-21) La partie du texte ougrave il parle de la troisiegraveme

sorte de raisons (les modes) est absente

De plus Achard propose le plan partiel qursquoil a lrsquointention de suivre afin de deacutecrire chaque

sorte de raisons (voir les points 1-4 du dernier passage citeacute) Emmanuel Martineau remarque la

correspondance entre ce plan et la description des raisons formelles dans les chapitres suivants

1 ndash I 43

2 ndash I 44

3 ndash I 45

4 ndash I 46 - 48250

Les chapitres I 38-42 ont pour le sujet principal les trois sortes de raisons eacuteternelles et leurs

diffeacuterences mutuelles Pour expliquer cela Achard demande ce que Dieu peut et sait faire Cette

probleacutematique correspond agrave la question de lrsquoeacutequilibre entre la puissance et la sagesse de Dieu

Drsquoautres problegravemes sont eacutegalement preacutesents Par exemple en I 39 Achard rappelle que les raisons

249 laquo Quia autem primo cognitioni nostrae occurrunt formae rerum quam causae operandi vel modi ltet causae primo quam modi [hellip]gt Ideo et hunc ipsum ordinem de eis disputando sequemur ut primo de formis secundo de causis demum agamus de modis et de formis quidem rerum Inprimis ostendendum quia in mente Dei ab aeterno sunt post quia ibi quoque distinctae sunt deinde distinctiones ipsae aliquatenus assignandae postmodum utrumne eadem ipsa quae hic sunt sint et ibi an ibi alia quam hic propter quae tamen quae hic sunt ibi esse dicantur Sed et alia pluraque inquirenda fortasse erunt raquo De unitate I 42 eacuted MARTINEAU p 112-113 250 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) De unitate eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 113 les notes 4-7

81

sont dans une seule personne ndash le Verbe de Dieu Verbum est un terme proche du mot grec logos

Achard touche eacutegalement le problegraveme de lrsquouniteacute de la source et de la pluraliteacute des deacuteriveacutes En I

38 Achard deacutecrit deux niveaux des ecirctres hic et ibi ce qui reacutefegravere au dualisme platonicien Les

notions principales de ces doctrines sont rationes finales formales et explictrices causae formae et

modi

III222 I 43-I 50 ndash Les formes eacuteternelles et les choses creacuteeacutees

Nous avons regroupeacute les chapitres I 43-50 car les chapitres I 43-48 suivent selon Martineau

le plan eacutetabli par Achard en I 42251 et les chapitres I 49-50 parlent aussi des ecirctres ici et lagrave-bas

En I 43 Achard explique comment les formes sont laquo de toute eacuteterniteacute dans lrsquoesprit de

Dieu raquo Au cours de son deacuteveloppement il propose deux arguments en faveur de sa thegravese

1) Dieu a toujours su ce qursquoil ferait

2) Lrsquoindulgence (indulgentia) de Dieu cause lrsquoexistence des choses et non vice versa (les

choses ne causent pas lrsquoindulgence de Dieu)

La conclusion qui suit Dieu a intelligeacute les ecirctres qursquoil ferait depuis lrsquoeacuteterniteacute mais aussi leur

quantiteacute qualiteacute etc La diffeacuterence entre les ecirctres ici et lagrave-bas reacuteside dans le fait que les premiers

existent in actu et les deuxiegravemes in intellectu Afin de deacutesigner ces deux modes drsquoecirctres Achard

adopte de nouveau une maniegravere drsquoeacutecrire indirecte (il deacutesigne ces ecirctres par lrsquoadjectif neutre omnia)

Les objets in intellectu sont les formes ou les prototypes et in actu les copies ou les simulacres

Dans la deuxiegraveme partie du chapitre Achard deacutefinit les formes agrave lrsquoaide de notions comme

les choses les essences et les substances

En I 44 Achard remarque que la distinction des formes (essentialis formalis substantialis

ou entre lrsquoacircne et lrsquohomme) par lrsquointellect est possible car les formes sont distinctes aupregraves de Dieu

Ce chapitre est lieacute agrave la fin du chapitre preacuteceacutedent gracircce agrave son vocabulaire (lrsquoessence la substance la

forme) Crsquoest seulement dans ces deux chapitres que ces notions sont ainsi lieacutees

251 Cela se voit des premiegraveres phrases (1) laquo ltQuodgt enim omnia quae hic sunt et ibi ab aeterno fuerunt quoquo ibi intelligantur fuisse modo contradici non potest raquo I 43 ibi ndash dans lrsquoesprit de Dieu (2) laquo Quae quidem rerum formae nisi essent et apud Deum distinctae raquo I44 (3) laquo Distinctae autem sunt ibi formae non solum substantiales sed accidentales raquo I45 (4) laquo Cum autem infinita sint ibi ut ostendimus quae vero sunt hic nihil vero est hic id est in creaturis quod non possit dici esse et ibi quaerendum non immerito videtur utrum res numero eaedem ltessegt possunt utrobique raquo I46 laquo Cum autem res eaedem ut ostensum est sint et hic et ibi investigandum est utrumne illae quae eaedem [numero] sunt hic et ibi raquo I48 sauf I 47 qui commence laquo Movere autem aliquem fortasse poterit si in intellectu divino verius sunt res quam in seipsis raquo

82

En I 45 Achard deacutecrit la variation des formes eacuteternelles agrave savoir les formes substantielles

accidentelles celles drsquoindividus drsquoespegraveces et de genres Il explique aussi que la variation des

formes lagrave-bas deacutepasse leur varieacuteteacute ici

laquo Et de mecircme encore pour les individus ils sont distingueacutes lagrave-bas par une infiniteacute de

formes et par lrsquoinfiniteacute des degreacutes de la mecircme forme En effet le ciel qui ici nrsquoest que

rond lagrave-bas est triangulaire lagrave-bas est carreacute et figureacute agrave lrsquoinfini de toutes les maniegraveres252 raquo

Mecircme les formes dont lrsquoexistence ici contredit agrave la nature eacutetablie des choses sont lagrave-bas

Ainsi la question du nombre des formes eacuteternelles par rapport aux choses creacuteeacutees surgit

Le chapitre I 46 a une structure interne bien deacuteveloppeacutee Au deacutebut Achard pose une

question

Les choses sont-elles les mecircmes numeacuteriquement (numero eaedem) dans les deux niveaux

drsquoexistence (utrobique)

Et il examine les reacuteponses possibles

1) laquo Si enim eadem raquo ndash srsquoil y a reacuteponse positive la premiegravere question est

comment les formes-exemplaires lagrave-bas sont les mecircmes qursquoici

11) laquo Numquid enimraquo ndash Soit laquo quelque chose sera modegravele ou

forme de soi-mecircme raquo

12) laquo Nonne enim raquo ndash soit laquo ce qui est fait agrave la ressemblance de

quelque chose est autre qursquoelle et mecircme posteacuterieur agrave elle raquo ce qui peut entraicircner

(laquo Numquid vero quid raquo) que laquo quelque chose peut ecirctre autre que soi-mecircme ou

se preacuteceacuteder soi-mecircme raquo

2) laquo Item si eadem raquo - la reacuteponse positive ouvre eacutegalement une deuxiegraveme

question agrave savoir comment les formes des choses qui existeront agrave lrsquoavenir ou qui ont

deacutejagrave cesseacute drsquoexister existent lagrave-bas

3) laquo Si autem eadem non sunt raquo ndash srsquoil y a reacuteponse neacutegative253

Voyons deacutesormais le scheacutema de son argumentation

252 laquo Singula quoque individua per infinitas ibi distincta sunt formas et per ejusdem formae gradus infinitos Caelum enim quod hic est non nisi rotundum ibi est triangulum ibi est quadratum et usque in infinitum modis omnibus figuratum raquo De unitate I 45 eacuted MARTINEAU p 118-119 253 laquo Cum autem infinita sint ibi ut ostendimus quae vero sunt hic nihil vero est hic id est in creaturis quod non possit dici esse et ibi quaerendum non immerito videtur utrum res numero eaedem ltessegt possunt utrobique Si enim eaedem quomodo illae quae ibi sunt formae vel exemplaria sunt eaedem quae hic sunt Numquid enim aliquid sui ipsius exemplar erit vel forma Nonne enim quod ad alicujus fit similitudinem alterum ab eo esse oportet sed et posterius Numquid vero quid a se ipso potest esse alterum vel praecedere se ipsum Item si eaedem sunt omnino res quae hic sunt et quae ibi quomodo hiis nondum existentibus fuerunt illae et hiis etiam pereuntibus permanent illae Si autem eaedem non sunt nec eaedem quae hic sunt in intellectu Dei sunt raquo De unitate I 46 eacuted MARTINEAU p 118-119

83

Achard commence par la reacuteponse neacutegative (3) en donnant deux arguments avec lesquels il

nrsquoest pas drsquoaccord

- laquo Si enim alia sunt raquo ndash Dieu ne voit pas les choses directement mais par

lrsquointermeacutediaire des formes qui sont numeacuteriquement diffeacuterentes des choses

- laquo Et sententia utique nonnulorum fuit raquo ndash certains philosophes disent que

Dieu ne voit pas les choses directement car en eacutetant lrsquoecirctre intellectuel il ne peut pas voir

des ecirctres corporels

Il nrsquoest pas drsquoaccord avec ces arguments donc la reacuteponse neacutegative est refuseacutee

Ensuite il donne un argument en faveur de la reacuteponse positive (1)

- laquo Consideremus quoquehellip raquo ndash le verset est le mecircme laquo dans lrsquointellect de

Dieu dans son œuvre et dans sa connaissance raquo Le verset ressemble ainsi aux choses

qui avaient eacuteteacute disposeacutees par Dieu drsquoabord et qui ont eacuteteacute faites par lui ensuite Il a fait

tout ce qursquoil avait preacutevu donc il y a le mecircme nombre de choses qursquoil avait preacutevu agrave faire

(qui sont in intellectu) et qursquoil a fait (in actu)

Apregraves avoir deacutemontreacute que la premiegravere proposition (les ecirctres ici et lagrave-bas sont les mecircmes

numeacuteriquement) est vraie Achard nie la premiegravere sous-proposition laquo quelque chose sera modegravele ou

forme de soi-mecircme raquo (11)

- laquoNon autem inde sequitur raquo ndash la chose nrsquoest pas son modegravele mais plutocirct la forme est

le modegravele de la chose en tant qursquoelle (la forme) est en elle-mecircme (lagrave-bas)

De cette faccedilon Achard arrive agrave 12 Il nrsquoarticule pas clairement la reacuteponse agrave cette question

mais il donne trois exemples

- laquo si quis raquo ndash celui du vieillard qui est diffeacuterent de lui-mecircme enfant

- laquo vel si quis raquo ndash celui de la personne qui peut avoir bonne ou mauvaise opinion drsquoelle-

mecircme

- laquo vel juxtra exemplum raquo ndash celui du verset profeacutereacute ou eacutecrit et intelligeacute dans lrsquoesprit

Tous ces exemples deacutemontrent qursquoune chose garde son identiteacute gracircce agrave la forme mecircme si

cette chose change Par conseacutequent une chose est posteacuterieure agrave une forme et elle peut ecirctre diffeacuterente

drsquoelle-mecircme

La reacuteponse agrave 12 megravene agrave reposer la question 2 agrave savoir laquo Comment les formes des choses

qui existeront dans le futur ou les formes des choses qui ont deacutejagrave cesseacute drsquoexister existent lagrave-bas raquo

A ce propos Achard dit que ce nrsquoest pas comme si les formes ont cesseacute drsquoecirctre quand les choses ont

commenceacute ou qursquoelles existent en mecircme temps (les formes et les choses) mais que les ecirctres qui

sont ici et lagrave-bas ne sont pas de la mecircme maniegravere (taliter) car les seconds sont intelligeacutes

Ainsi Achard soutient lrsquohypothegravese que les choses ici et lagrave-bas sont les mecircmes

numeacuteriquement (les reacuteponses positives aux questions 1 et 2) En examinant la proposition 1 il

84

rejette 11 et accepte 12 La question 2 reccediloit une reacuteponse preacuteliminaire Lrsquoexamen plus preacutecis de

cette derniegravere reacuteponse pose mecircme plus de questions agrave propos de ce qursquoest ecirctre ici et lagrave-bas De cette

maniegravere dans le chapitre I 46 Achard deacutemontre que les formes sont les mecircmes numeacuteriquement

que les choses et qursquoelles sont les modegraveles qui preacutecegravedent les choses selon leur nature

Nous croyons que la forme litteacuteraire de ce chapitre ressemble encore plus agrave la quaestio que

celle du chapitre I 10 il y a une question au deacutebut qui peut avoir deux reacuteponses laquo oui raquo ou laquo non raquo

et des arguments en faveur de ces deux reacuteponses254

Dans le chapitre I 47 Achard pose la question suivante comment est-il possible de

deacutesigner lrsquoexistence des formes lagrave-bas par le verbe laquoecirctreraquo (esse) qursquoon utilise pour nommer les

choses ici Il deacuteclare que quand on parle de lrsquoecirctre des formes on le dit en un sens transfeacutereacute

(translative) Tandis que au sens propre il faut dire laquo ecirctre dans le Verbe raquo ou laquo ecirctre dans lrsquointellect

de Dieu raquo Rappelons qursquoen I 46 Achard interroge pourquoi nous appliquons le mecircme nom aux

ecirctres ici et lagrave-bas (les formes et les choses) alors qursquoils sont de maniegraveres diffeacuterentes Le chapitre I

47 ressemble plutocirct agrave lrsquoexplication de la derniegravere thegravese du chapitre I 46 et donc il peut ecirctre

consideacutereacute comme un corollaire de la quaestio I 46

En I 48 Achard revient agrave la question comment les choses sont les mecircmes numeacuteriquement

ici et lagrave-bas Selon Martineau Achard le fait afin drsquoeacutetablir laquo la modaliteacute preacutecise raquo de lrsquoidentiteacute entre

les formes et les choses Crsquoest de cette maniegravere qursquoil explique la preacutecision laquo an etiam respectibus

diversis raquo255 Voyons deacutesormais la structure de ce chapitre qui est le plus long de tout le traiteacute

Achard examine

1) laquo In rebus namque corporeis raquo ndash les choses corporelles Il observe deux points de vue

diffeacuterents

11 Drsquoabord Achard traite la maniegravere drsquoecirctre ici Notamment il dit que les choses

sont soumises aux changements gracircce agrave la reacuteception de la nouvelle forme par la matiegravere

Cela le megravene agrave la conclusion qursquo laquo une chose quelconque ne peut en mecircme temps ecirctre une

chose mecircme et autre numeacuteriquement raquo256 ce que nous comprenons comme laquo la chose ne

peut avoir les deux formes en mecircme temps raquo vu que la chose selon Achard est composeacutee

de la forme et de la matiegravere et que crsquoest la forme qui cause le changement de la chose voir I

48 Il explique aussi que cela est diffeacuterent pour les esprits qui nrsquoont pas de corps

254 Cf RM MARTIN laquo Introductionraquo dans Œuvres de Robert de Melun t I Quaestiones de divina pagina Louvan 1932 p XL M TEEUWEN The Vocabulary of Intellectual life in the Middle Ages Turnhout 2003 p 322-323 255ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) De unitate eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 48 p 125 note 1 256 laquo Nunquam tamen in hujusmodi res aliqua simul esse res numero una et altera potest raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-125

85

12 laquo Quod autem alicubi sit actu idipsum contingit et intellectu raquo ndash ensuite il

traite les mecircmes choses du point de vue des modes drsquoexistence in actu et in intellectu

Achard affirme que laquo tout ce qui est lagrave-bas nrsquoest pas ici raquo car les choses ici se succegravedent

(changent dans le temps) et lagrave-bas elles sont simultaneacutees Cela implique que la chose ici

(composeacutee de la matiegravere et de la forme) ne peut pas ecirctre une et autre en mecircme temps tandis

que la chose lagrave-bas le peut

Ainsi Achard voit un obstacle agrave lrsquoexistence de lrsquoidentiteacute numeacuterique des choses ici et lagrave-bas

les choses changent ici car elles existent dans la matiegravere et les choses lagrave-bas ne changent pas mais

la forme drsquoune chose comporte toutes les variations possibles de cette chose

2) Achard demande (laquo utrum autem raquo) si Dieu peut faire que nrsquoimporte quelle chose

soit une numeacuteriquement en un temps et autre en un autre temps (si nrsquoimporte quelle chose peut

ecirctre changeacutee) Il propose deux reacuteponses possibles

21 laquo Si autem Deus id quod praedictum est de omnibus potest raquo ndash Dieu le peut

pour toutes les choses si sa puissance est infinie257 Mais Achard objecte qursquoil existe des

ecirctres qui ne sont pas soumis aux changements selon leur nature des esprits des

assemblages drsquoesprits et de corps la matiegravere premiegravere des choses la forme certains ecirctres

qui consistent en matiegravere et en forme

22 laquo Si autem non de omnibus id potest raquo ndash Dieu ne le peut que pour certains

ecirctres qui existent ici et lagrave-bas et qui sont soumis aux changements Sa puissance est donc

limiteacutee par la maniegravere dont il a eacutetabli sa creacuteature

3) Achard dit que les choses sont les mecircmes par le nombre ici et lagrave-bas Cela exige de

rejeter lrsquoobstacle eacutevoqueacute dans la premiegravere partie Afin de le faire Achard fait deux assertions

cruciales

- laquo Videntur enim ibi illae quae sunt hic raquo ndash laquo Les choses qui sont ici en effet

sont vues lagrave-bas en tant que numeacuteriquement mecircmes qursquoelles-mecircmes sont ici [hellip] parce

qursquoelles sont intelligeacutees les mecircmes par le nombre258 raquo ndash il veut dire que lrsquoidentiteacute

numeacuterique des choses ici et lagrave-bas srsquoeacutetablit agrave partir du fait qursquoelles existent ici in se et

ensuite elles sont intelligeacutees lagrave-bas ibi

- laquo Quae utique ibi nihilominus essentraquo ndash laquo elles seraient assureacutement lagrave-bas

mecircme si elles-mecircmes ne subsistaient point par soi au sens ou lrsquoanimal par exemple

avant de naicirctre est dit couramment avoir eacuteteacute dans lrsquoœuf mais selon la seule cause

originelle non pas selon la substance mecircme de lrsquoanimal ni selon la propre subsistance

257 Crsquoest Emmanuel Martineau qui a bien remarqueacute qursquoil srsquoagit ici de la puissance illimiteacutee et limiteacutee ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) De unitate eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 48 p 127 notes 11 et 12 258 laquo Videntur enim ibi illae quae sunt hic ut eaedem numero quae ipsae sunt hic [hellip] quia eaedem numero intelliguntur raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 128-129

86

qursquoil a deacutesormais en soi259 raquo ndash cela reflegravete le sens de lrsquoexistence in intellectu et in actu

lagrave-bas comme dans un œuf et ici en soi Les choses sont les mecircmes par les nombres dans

ces deux eacutetats mais le nombre correct de choses est eacutetabli agrave partir de leur eacutetat in actu et

non agrave partir de leur eacutetat in intellectu

Par conseacutequent les choses in intellectu selon Achard sont plus remplies de possibiliteacutes

qursquoin actu mais leur compreacutehension deacutepend de leur existence in actu De lagrave il est possible de tirer

la conclusion que les choses in intellectu comprennent tous les variations possibles des choses in

actu mais en mecircme temps les choses in intellectu existent lagrave-bas afin de deacuteterminer lrsquoexistence des

choses in actu Voilagrave pourquoi leur nombre est le mecircme

4) laquo Nemo autem aestimet raquo ndash Achard reacutefute lrsquoopinion que pour Dieu voir les choses

telles qursquoelles sont ici est meacutediocre et indigne Il soutient son point de vue par une seacuterie

drsquoarguments

- Dieu laquo voit tout cela en totaliteacute drsquoun regard unique et selon un mode toujours

le mecircme et [il] les voit sans commencement ni fin raquo

- Dieu aperccediloit les choses par la raison eacuteternelle invariable et immense et

laquo dans sa vision et son regard les choses sont telles et aussi grandes qursquoelles sont raquo ce

qui veut dire qursquoil voit la vraie beauteacute et grandeur des choses lesquelles sont beaucoup

plus grandes que ce que nous pouvons apercevoir par les sens corporels ou par la raison

humaine260

Ainsi dans le chapitre I 48 Achard traite la question de lrsquoidentiteacute numeacuterique des choses agrave

savoir si elles sont les mecircmes par le nombre in intellectu et in actu Nous venons de distinguer

quatre parties de ce chapitre Dans la partie 1 il pose le problegraveme de la diffeacuterence entre les choses

mateacuterielles qui changent et leurs formes intelligibles qui ne changent jamais Dans la partie 3 il

reacutepond que la chose in intellectu comprend toutes les variations possibles des choses in actu et que

le nombre des choses et des formes est donc le mecircme Achard ajoute eacutegalement deux questions

suppleacutementaires Notamment dans la partie 2 si Dieu peut faire que nrsquoimporte quelle chose soit une

numeacuteriquement en un temps et autre en un autre temps En reacutepondant il preacutecise la question poseacutee

dans la partie 1 les choses changent et Dieu peut intervenir dans la mesure que Dieu a preacutevue Et

Achard reacutepond que Dieu peut changer la chose numeacuteriquement mais seulement si la possibiliteacute

drsquoecirctre changeacute a eacuteteacute preacutevue par la nature de cette chose Ensuite vu que dans la partie 3 Achard dit 259 laquo Quae utique ibi nihilominus essent etsi ipsae in se non subsisterent quemadmodum et animal antequam esse[n]t in ovo fuisse dici solet sed secundum solam originalem causam non secundum ipsam animalis substantiam nec secundum propriam quam in se nunc habet subsistentiam raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 128-129 260 laquo Nemo autem aestimet parum hoc idem esse et indignum Deo ea scilicet quae hic sunt quamvis ad eum quasi nihil sunt videre ut hic sunt ea qui omnia videt et tota et intuitu uno et modo semper eodem et ea sine principio et fine nec ea quae hic sunt sola sed ut dictum est simul et similiter infinita alia nec ut res percipit sensus vel imaginatio sed ut intelligentia vel ratio aeterna invariabilis et immensa Quae utique non solum in universis sed in singulis nec solum in maximis et in magis pulchris sed etiam in minimis et in minime pulchris inaestimabilem videt tam magnitudinem quam pulchritudinem raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 130-1

87

que le nombre des choses in intellectu se deacutefinit par rapport au nombre des choses ici in actu dans

la partie 4 il se demande si voir les choses mateacuterielles est digne de Dieu Et sa reacuteponse est positive

car dans les choses il y a des beauteacutes et des grandeurs que nous ne voyons pas mais Dieu les voit

Le chapitre I 49 commence par une hypothegravese laquo si les choses sont lagrave-bas telles qursquoelles

sont en soi alors elles semblent ecirctre lagrave-bas muables 261 raquo Puis Achard la reacutefute les choses sont

immuables lagrave-bas car elles existent lagrave-bas de maniegravere agrave ecirctre intelligeacutees Cependant il tire aussi une

conclusion suppleacutementaire de ce raisonnement laquo Mais ces mecircmes ltecirctresgt sont dits lagrave-bas ecirctre

simultaneacutement muables et immuables temporels et eacuteternels agrave part eacutegale262 raquo Achard explique qursquoil

y a deux modes drsquoexister ici et lagrave-bas in intellectu et in actu Et le mode in intellectu comprend les

proprieacuteteacutes des choses in actu (ecirctre muables temporelles etc) mais non selon la substance ou la

qualiteacute mais comme des proprieacuteteacutes qui peuvent ecirctre reacutealiseacutees

En I 50 Achard deacuteveloppe lrsquoideacutee suivante laquo Il faut remarquer que comme les choses

creacuteeacutees sont lagrave-bas immuables et eacuteternelles non pas en vertu drsquoune qualiteacute agrave elle propre mais agrave cause

de leur seul mode drsquointellection il nrsquoy a point agrave chercher quels ltecirctresgt eacuteternels ou quels ltecirctresgt

immuables elles sont elles-mecircmes lagrave-bas263 raquo Il y a deux points importants agrave retenir

- laquo Si quis raquo ndash les choses in intellectu srsquoappellent lsquomodegravelesrsquo agrave cause de leur mode

drsquoexistence et crsquoest agrave ce mode drsquoexister in intellectu que lrsquoeacuteterniteacute des choses se

rapporte

- laquo Si enim raquo ndash les relations entre les choses ici et lagrave-bas sont celles du modegravele-copie lagrave-

bas les choses sont intelligeacutees telles qursquoelles sont ici laquo La seule diffeacuterence est modale et

elle consiste en ce qursquoelles sont ici variablement et qursquoelles sont ndash crsquoest-agrave-dire sont

intelligeacuteesmdash lagrave-bas invariablement264 raquo Ce nrsquoest pas neacutecessaire drsquoeacutetudier seacutepareacutement les

choses ici et lagrave-bas elles sont les mecircmes hormis qursquoelles existent selon deux modes

Ainsi apregraves avoir eacuteclairci la modaliteacute drsquoexistence des choses in intellectu Achard trouve

qursquoil a deacutejagrave suffisamment parleacute agrave propos des formes des choses laquo Mais pour eacuteviter une prolixiteacute

excessive au sujet de ces formes des choses tenons-nous en lagrave ltetgt pour consacrer un autre

261 laquo Si autem res ibi sunt quales sunt in se tunc ibi mutabiles videntur esseraquo De unitate I 49 eacuted MARTINEAU p 132-133 262 laquo Quae autem simul eadem ipsa et mutabilia ibi esse dicuntur et immutabilia temporalia pariter et aeterna raquo De unitate I 49 eacuted MARTINEAU p 132-133 263 laquo Notandum est quia cum res creatae ibi [esse] immutabiles vel aeternae non sint propter qualitatem sui sed propter modum solum intelligendi quaerendum non est quaenam aeterna vel quae ltimgtmutabilia ipsae sunt ibi raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135 264 laquo Hoc enim in modo interest solum quod hic variabiliter sunt ibi sunt id est intelliguntur invariabiliter raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135

88

exposeacute ltaux autres formes intellectuellesgt ouvrons une deuxiegraveme partie265 raquo Ainsi le chapitre I

50 finit le premier traiteacute du De unitate

Le thegraveme principal des chapitres I 43-50 est la relation entre les choses et les formes

Achard commence en postulant que les formes sont les modegraveles des choses (I 43) ensuite il

explique les distinctions des formes par rapport aux choses (I 44-45) et il pose la question

concernant le nombre des formes par rapport aux choses (I 46-48) Il conclut en expliquant que les

formes sont intelligeacutees drsquoapregraves les choses (I 49-50) ce qui reacutesout les problegravemes eacutevoqueacutes

preacuteceacutedemment Cet exposeacute contient plusieurs questions meacutetaphysiques La distinction in

intellectuin actu et la doctrine des formes qui sont les modegraveles sont clairement drsquoorigine

platonicienne En mecircme temps les questions des nombres des choses par rapport aux formes

contiennent le problegraveme de lrsquoidentiteacute des ecirctres Achard se demande si les modegraveles et les copies sont

vraiment identiques et comment les choses muables et corruptibles peuvent correspondre aux

formes immuables et incorruptibles Cela megravene agrave poser la question laquo qursquoest-ce qursquoune chose raquo et

laquo comment garde-t-elle son identiteacute lors drsquoun changement raquo Cette probleacutematique reacutefegravere agrave la

question du statut du monde sensible poseacutee par des neacuteoplatoniciens Nous croyons qursquoAchard

probleacutematise la relation entre les mondes intelligibles et sensibles et que sa solution peut sortir du

cadre platonicien En outre lrsquoeacutetat in intellectu reacutefegravere aux ecirctres dans lrsquointellect divin ce qui fait

penser agrave la doctrine meacutedioplatonicienne des ideacutees comme penseacutees dans lrsquointellect divin Achard

continue eacutegalement de deacutevelopper le sujet de lrsquoeacutequilibre entre la sagesse et la puissance de Dieu (I

43 et I 46) Dans ces chapitres Achard utilise le vocabulaire commun (forma essentia

substantialis accidentalis generalis res etc) mais aussi speacutecifique agrave lui (in intellectuin actu)

III223 II 1-4 ndash forme premiegravere

Les chapitres II 1 et II 2 sont construits de telle faccedilon qursquoils commencent par ce qursquoAchard

a deacutejagrave dit auparavant (sa doctrine des formes comme les choses in intellectu) Et ils finissent par la

deacutemonstration de lrsquoexistence de la forme premiegravere des choses De cette maniegravere Achard introduit

le nouvel eacuteleacutement de sa doctrine ndash la forme premiegravere Un autre chapitre consacreacute agrave la forme

265 laquo Ne autem sit immoderata prolixitas de praefatis rerum formis hucusque processerit ltut de aliis formis intellectualibusgt disputatio alia lthabeaturgt alius[que] formetur liber raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135

89

premiegravere est II 3266 Le chapitre II 4 est lieacute theacutematiquement avec II 3 (son thegraveme est aussi la

distinction267 mais lagrave il ne srsquoagit plus de la forme premiegravere

En outre les chapitres II 1-3 sont riches en citations bibliques surtout en II 1 Achard

utilise le prologue de lrsquoEvangile selon saint Jean (I 1-14) afin de deacutemontrer lrsquoexistence de la

premiegravere forme et en II 2 les versets drsquoIsaiumle XLV-XLV pour illustrer lrsquoexistence des formes in

intellectu268

Dans la premiegravere phrase du second traiteacute Achard annonce

laquo Les formes des choses [hellip] qui sont en Dieu par le seul intellect sont drsquoune substance tout

autre et bien infeacuterieure agrave celle de lrsquointellect par lequel elles sont dites ecirctre269 raquo

Il suppose donc qursquoil y a une autre substance un certain intellect qui est laquo Dieu lui-mecircme raquo

Afin de deacutemontrer cela il introduit lrsquoexeacutegegravese du prologue de saint Jean (I 1-14) Selon lui ces

versets servent agrave prouver qursquoil y a laquo lrsquointellect du Fils qui est et Verbe et lumiegravere raquo Il se pose donc

un but

laquo Trouver lagrave-bas pour toute chose une forme supeacuterieure aux formes eacutevoqueacutees jusqursquoici

[hellip] donc qui ne soit point lagrave-bas parce qursquoelle est intelligeacutee lagrave-bas mais au contraire soit

intelligeacutee lagrave-bas parce qursquoelle est lagrave-bas raquo270

Ainsi dans le chapitre II 1 il montre que la neacutecessiteacute drsquointroduire le nouvel eacuteleacutement de sa

doctrine ndash la forme premiegravere ndash provient de la doctrine exposeacutee dans la Bible Lagrave encore comme en

I 40 Achard preacutetend faire lrsquoexeacutegegravese de la Bible pour deacutemontrer sa propre doctrine

En II 2 Achard reacutefleacutechit agrave partir de ce qursquoil a deacutejagrave deacutecouvrent en I 48 laquo les ltecirctresgt qui

sont ici [hellip] ils ont eacuteteacute eux aussi de toute eacuteterniteacute lagrave-bas tels qursquoils sont maintenant en soi [hellip]

quoique non pas dans le mecircme eacutetat agrave cause de lrsquoeacuteterniteacute mecircme de leur intellection271 raquo

266 Voir son deacutebut laquo Intellectuales sive exemplares quae praedictae sunt rerum formae quae in Deo per solum dicuntur esse et sunt intellectum longe alterius et inferioris sunt substantiae quam intellectus quo dicuntur esse raquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136 267 Voir le deacutebut laquo Et ea utique quae sunt hic et ideo dicuntur ibi esse quia intelliguntur qualia nunc sint in se talia ibi fuerunt ab aeterno lttgtalia namque ab aeterno videbantur ibi ut monstratum est licet non taliter propter ipsam intelligendi aeternitatem raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 138 268 Ibid I 48 p 138 note 2 et laquo Eclarissement VI raquo p 219 p 139 note 12 p 141 notes 13 et 15 269 laquorerum formae quae in Deo per solum [hellip] sunt intellectum longe alterius et inferioris sunt substantiae quam intellectus quo dicuntur esseraquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136-137 270 laquo Oportet ergo formam rei cuilibet reperire ibi praedictis superiorem formis [hellip] ltnecgt ideo ibi sit quia ibi intelligitur sed potius ideo intelligatur ibi quia est ibi propter quam dictum sit quod factum est in ipso vita eratraquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136-137 271 laquo Et ea utique quae sunt hic [hellip] qualia nunc sint in se talia ibi fuerunt ab aeterno [hellip] licet non taliter propter ipsam intelligendi aeternitatem raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 138-139

90

Ensuite il reacutefegravere de nouveau agrave la Bible pour dire que ces deux laquo modes de faire raquo (in

intellectu et in actu) sont preacutesenteacutes par les versets laquo Dieu dit que cela soit raquo et laquo et cela a eacuteteacute fait

ainsi raquo (Genegravese I 1) La premiegravere phrase eacutevoque selon Achard lrsquoadvenir (fieri) des choses depuis

le Verbe et dans le Verbe (ex et in Verbo) Il propose les deux citations de saint Jean (laquo Le Verbe

eacutetait aupregraves de Dieu raquo Jean I 1 laquo ce qui a eacuteteacute fait raquo Jean I 3) pour deacutemontrer que les choses ont eacuteteacute

faites toujours aupregraves de Dieu in intellectu et qursquoelles eacutetaient lagrave-bas eacuteternellement

Puis Achard distingue la signification de lrsquoexpression laquo faite raquo par rapport aux ecirctres ici et lagrave-

bas Les premiers peuvent ecirctre faits par un artisan en acte selon sa volonteacute les deuxiegravemes ne sont

faits de rien en Dieu preacutealablement crsquoest-agrave-dire creacuteeacutees ou formeacutees intellectuellement La conclusion

drsquoAchard est ce qursquoil ne faut pas appliquer notre compreacutehension du mode de faire (modus faciendi)

agrave ce qui a eacuteteacute fait par Dieu

A la fin Achard se demande (laquo Utrum raquo) si crsquoest seulement les ecirctres qui ont eacuteteacute faits (facta)

et qursquoil avait donc eu lrsquointention de faire (facienda ou futura) existent aupregraves de Dieu in intellectu

ougrave eacutegalement tous les ecirctres mecircme ceux qui ne doivent jamais ecirctre faits (nunquam sint facienda) Il

avoue qursquoil ne connaicirct pas la reacuteponse Pourtant le fait qursquoil y a lagrave-bas des formes des ecirctres dont la

creacuteation est preacutevue est eacutevident pour Achard Drsquoougrave provient qursquoil existe une forme premiegravere qui est

la Sagesse de Dieu (laquo Oportet ergo raquo) Achard en propose deux deacutemonstrations

- laquo alioquinraquo ndash la forme premiegravere possegravede une nature plus haute que les formes sinon

elle ne pourrait pas ecirctre le modegravele premier (exemplar primum) et il y aurait donc une infiniteacute de

modegraveles pour chaque forme

- laquo sed nec hellip quod nonhellip nec secundum hellip nisihellipraquo ndash tout a eacuteteacute formeacute par Dieu selon

sa Sagesse elle est donc la forme premiegravere

La conclusion (laquo ergo raquo)

laquo Elle est donc elle-mecircme le modegravele premier de tout et la forme premiegravere en laquelle

srsquoaccomplit la formation intellectuelle eacuteternelle des choses Quant agrave ltla formegt qui provient

drsquoelle ltelle se trouvegt actuellement dans ces choses mecircmes faites dans le temps et par

conseacutequent elle est aussi elle-mecircme faite temporelle ici-bas272 raquo

De cette maniegravere Achard affirme que si les formes lagrave-bas ont eacuteteacute creacuteeacutees (ce qursquoil deacutemontre

dans la premiegravere partie du chapitre II 2) il doit exister une forme premiegravere qui les preacutecegravede en tant

que leur modegravele

272 laquo Ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna quae ex ipsa est actualiter in rebus ipsis temporaliter factis et ideo ipsa quoque hic facta temporalis raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140-141

91

Le chapitre II 3 est commenceacute par une hypothegravese laquo srsquoil nrsquoy avait dans cette forme premiegravere

et suprecircme des choses absolument aucune distinction raquo Ensuite Achard donne des conseacutequences

absurdes

laquo Elles non plus ne seraient mecircme pas formellement distinctes ougrave que ce soit ici ou lagrave-bas

mais de mecircme que toutes seraient diffeacuterentes quoique ltformeacuteesgt drsquoapregraves une forme

absolument la mecircme de mecircme il correspondrait neacutecessairement deux formes agrave une ltformegt

mecircme et unique Qui en effet produirait lrsquoimage du cheval et de lrsquoacircne drsquoapregraves la mecircme forme

Qui fixerait ses regards sur un mecircme exemplaire inteacuterieur ou exteacuterieur lorsqursquoil veut

former une maison ou un plat une tunique et une chape273 raquo

Ensuite il propose deux citations drsquoAugustin

- De Trinitate IX VII 12 ndash pour montrer qursquoil y a une forme unique qui sert en tant que

modegravele de tout

- De diversis quaestionibus 83 qu 46 ndash pour dire que les raisons des choses sont distinctes

entre elles

Et il conclut que les choses sont distinctes lagrave-bas car leurs formes sont eacutegalement distinctes

lagrave-bas

Puis Achard revient agrave sa premiegravere thegravese qui est opposeacutee agrave ce qursquoil vient drsquoobtenir

laquo De plus comme une telle forme crsquoest-agrave-dire la raison formelle drsquoune chose quelconque

est sa veacuteriteacute si cette forme de toutes choses eacutetait une sans distinction la veacuteriteacute de toutes

choses de la mecircme maniegravere serait tout aussi une et agrave aucun eacutegard distincte en quoi que ce

soit274 raquo

Et il deacutemontre son absurditeacute

1) en voyant une chose dans la contemplation de Dieu on en verrait une autre275

273 laquo Nec ipsae quidem ullatenus vel hic vel ibi formaliter essent distinctae ltsedgt ut secundum eandem penitus formam omnes essent ltdifgtferentes sic duae unius et ejusdem necessario consisterent formae Quis enim secundum formam eandem imaginem fecerit equi et asini Quis penitus idem vel intus vel foris attendat exemplar cum formare voluerit domum et discum tunicam et cappam raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 142-143 274 laquo Cum etiam hujusmodi forma id est ratio formalis rei cujuslibet ipsius sit veritas si rerum omnium forma haec sine distinctione esset una et veritas omnium eodem modo esset una et nulla consideratione aliquatenus distincta raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 142-143 275 Combes propose drsquoignorer le deuxiegraveme si dans la phrase laquo Quod quidem si esset nec si quis in Dei contemplatione rei alicujus veritatem videre possethellipraquo Ainsi la supposition introduite apregraves le deuxiegraveme si devient la premiegravere conseacutequence A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p 36 et 103 note 1 Martineau nrsquoest pas drsquoaccord Pour lui cette phase fait la partie de la thegravese citeacutee plus haute E MARTINEAU laquo Eclarissement IX raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois

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2) en sachant la veacuteriteacute drsquoune chose on saurait la veacuteriteacute de toutes

3) ce que lrsquoun intelligerait lrsquoautre lrsquointelligerait aussi

4) ce qui serait indistinct ne pourrait pas ecirctre participeacute

5) ce qursquoun homme verrait il le verrait comme Dieu (dans la mecircme mesure et de la mecircme

maniegravere)

6) si Dieu voyait quelque chose un homme le verrait aussi lagrave-bas de la mecircme faccedilon276

Ensuite Achard ajoute qursquoil faut chercher non seulement les distinctions des choses mais

aussi les raisons en lesquelles les choses sont comprises comme distinctes277 Et il les eacutenumegravere

laquo Et en effet lagrave-bas sont neacutecessairement sous leurs raisons propres non pas seulement les

genres des choses et toutes leurs espegraveces mais aussi les individus et non seulement les

touts mais les parties bien qursquoelles soient infinies dans une chose mecircme unique et tout ce

qui est substantiel et accidentel et dans les accidents tant les quantiteacutes que les qualiteacutes etc

mdash et tout cela non seulement dans les choses qui sont mais encore et de la mecircme faccedilon

dans toutes les choses quelles qursquoelles soient qui peuvent ecirctre faites par Dieu Et non

seulement certes sont distinctes les raisons des creacuteatures et des natures mais aussi celles

des vertus et des beacuteatitudes et dans ce nombre non seulement de celles qursquoil confegravere aux

creacuteatures mais aussi de toutes celles mdash et autant qursquoelles sont mdash qursquoil peut confeacuterer soit agrave

celles qursquoil a deacutejagrave faites soit aux nouvelles qursquoil nrsquoa pas encore faites et qursquoil peut encore

creacuteer278 raquo

Vers la fin du chapitre (laquo Nec tantum certe raquo) Achard commence agrave eacutecarter le sujet principal

(les distinctions dans la forme premiegravere) Il expose sa doctrine des vertus et des beacuteatitudes Il existe

donc une seule Vertu qui est Dieu les vertus premiegraveres et suprecircmes qui sont en Dieu et les vertus

que les saints reccediloivent par participation agrave ces vertus suprecircmes Il existe eacutegalement des beacuteatitudes

suprecircmes qui sont Dieu et des beacuteatitudes de creacuteatures qui en deacuterivent Le nombre des vertus et des

1987 p 225-226 Nous ne pensons que ce si change beaucoup la signification La phrase 1 nrsquoest pas neacutecessaire comme preacutemisse et elle peut ecirctre parmi les conclusions 276 Martineau ajoute un nec au deacutebut de cette phrase pour souligner qursquoelle est une conseacutequence comme les cinq phrases preacuteceacutedentes E MARTINEAU laquo Eclarissement IX raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 225-226 277 Nous comprenons de cette maniegravere la phrase suivante laquo Et ut supra rerum quae ibi intelliguntur prosecuti sumus distinctiones sic et ipsarum in quibus ibi intelliguntur distingui oportet rationes ltet ipsas inter segt esse distinctas raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 145 278 laquo Etenim ibi sunt necessario sub rationibus suis non modo rerum genera et species universae sed et individua nec modo tota sed et partes licet sint infinitae in re et una et ea quae ltsuntgt substantialia et accidentalia et in accidentibus tam quantitates quam qualitates et ltcaeteragt universaliter omnia et hltaecgt universa non solum in rebus quae sunt ltsedgt et eodem modo in omnibus quaecumque a Deo fieri possunt Nec tantum certe creaturarum et naturarum ltsed etgt virtutum et beatitudinum distinctae sunt rationes et in hiis non modo earum quas confert creaturis sed et omnium quas et quot conferre potest sive eis quas jam fecit sive eis quas ipse nondum factas adhuc potest creare novasraquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-145

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beacuteatitudes est plus grand lagrave-bas qursquoici car il en existe lagrave-bas certaines qui ne srsquoappliquent qursquoagrave Dieu

ou aux autres vertus et beacuteatitudes De cette maniegravere les vertus et les beacuteatitudes sont les

participations de la creacuteation au creacuteateur et les connexions entre ces deux

Ensuite Achard ajoute qursquoil existe deux relations de connexion celle entre le Pegravere le Fils

et le Saint-Esprit et celle entre le Saint-Esprit et les dons et gracircces qursquoil distribue La premiegravere

relation est le prototype de la deuxiegraveme Il preacutecise eacutegalement que les distributions des gracircces et des

dons ont eacuteteacute preacutedestineacutees crsquoest-agrave-dire avaient eacuteteacute distribueacutees intellectuellement aux creacuteatures avant

que le monde soit creacuteeacute

Achard propose eacutegalement un petit tour de lrsquohistoire spirituelle de la creacuteation richement

illustreacute par des citations de la Bible afin de souligner qursquoil y avait des eacuteveacutenements (lrsquoeacutetablissement

du royaume de Dieu lrsquoeacutelection du Saint des Saints ndash le Christ etc) qui ont eacuteteacute preacutevus avant la

creacuteation du monde Finalement il preacutecise que la preacutedestination est possible gracircce agrave la raison

causale ce qui illustre lrsquoexistence de trois sortes de raisons lagrave-bas la forme la cause et le mode et

le fait que Dieu a fait les choses laquo qui eacutetaient destineacutees agrave ecirctre279 raquo (futura erant) et non pas laquo tout ce

qursquoil pouvait faire raquo (facere poterat)

En II 4 Achard parle de distinction des raisons Il commence en disant que les distinctions

des choses proviennent (profluunt) des distinctions des raisons laquo et crsquoest pourquoi il faut qursquoelles

soient aussi distinctes et contiennent en elles-mecircmes de quoi ecirctre distinctes raquo Ensuite il se pose

une seacuterie de questions

laquo Mais drsquoougrave cette distinction mecircme tient-elle son origine Il nous faudra le dire dans la

suite Et puis qursquoest-elle donc Crsquoest-agrave-dire quelles proprieacuteteacutes selon lesquelles elle existe

ndash et non pas simplement les correacutelations que les raisons des choses ont avec les choses elles-

mecircmes ndash sont-elles dites les raisons de ces ltchosesgt ou comment la distinction des raisons

procegravede-t-elle de son origine Voilagrave qui semble comme cet ouvrage le montrera non

seulement difficile mais mecircme indicible280 raquo

A partir de ce moment et jusqursquoagrave la fin de ce chapitre relativement court Achard introduit la

nouvelle doctrine des intellections qui sont relieacutees aux connexions Il dit agrave propos des intellections

qursquoelles proviennent des raisons et concernent des choses et que laquo lrsquointellection drsquoune chose

279 Nous corrigeons ici lrsquoeacutedition de Martineau le texte adopteacute laquo factura erant raquo (qui eacutetaient destineacutees agrave faire) est manifestement absurde sauf agrave supposer une erreur grossiegravere de grammaire de la part drsquoAchard prenant agrave la voix passive un participe futur actif 280 laquo Unde autem originem habeat et illa distinctio in sequentibus dicendum erit Quodnam vero ipsa sit id est quae proprietates secundum quas consistit non ltcorregtlationes quas rationes rerum habent ad res ipsas tantum earum rationes dicuntur vel qualiter distinctio rationum a sua procedit origine hoc ut opus ostendet[ur] non modo difficile sed videtur indicibile raquo De unitate II 4 eacuted MARTINEAU p 148-149

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quelconque est en quelque sorte une connexion de celui qui intellige et de la chose intelligeacutee raquo281

Les intellections sont les connexions qui permettent agrave Dieu de voir les choses directement Comme

les raisons sont dans une raison de Dieu les intellections sont dans un intellect de Dieu Les raisons

et la distinction concernent le Fils et les intellections et la connexion le Saint-Esprit Il y a le mecircme

nombre de distinctions que des connexions

De cette faccedilon en II 4 Achard montre pourquoi les distinctions des raisons peuvent ecirctre

imposeacutees agrave partir des distinctions des choses

La notion principale de ces chapitres est la forma prima En II 1-4 Achard deacutemontre qursquoil

existe une forme premiegravere qui contient les formes creacuteeacutees Cette forme est distincte en soi De plus

ce nrsquoest pas seulement les formes qui ont cet ordre laquo la forme premiegravere ndash les formes creacuteeacutees ndash les

choses raquo mais aussi les vertus et les beacuteatitudes Les distinctions entre les formes qui sont dans les

formes creacuteeacutees peuvent ecirctre deacutecouvertes agrave partir des choses qui elles-mecircmes proviennent des formes

Ces hieacuterarchies sont lieacutees agrave la distinction in intellectuin actu deacuteveloppeacutee plus haut Notamment

Achard explique la distinction in intellectuin actu du point de vue du processus de la creacuteation (II

2) Il srsquoagit dans ce cas de la hieacuterarchie et de la multiplication qui sont des eacuteleacutements de systegravemes

platoniciens De plus selon Achard les formes (les ecirctres intelligibles) sont en haut de la hieacuterarchie

et les choses (dont aussi les ecirctres sensibles) en bas

En II 3 Achard parle de nouveau des cateacutegories (substances qualiteacutes accidents etc) et

drsquoautres moyens de distinguer les formes (les touts les parties etc) De cette faccedilon il essaie de

deacutefinir quels sont les eacuteleacutements indivisibles qui constituent des ecirctres intelligibles et sensibles Cela

touche la question de lrsquoidentiteacute des choses

Une autre notion importante est lrsquointellectus Au sens actif ce mot deacutesigne le Verbe de Dieu

(II 1-2) Au sens passif il deacutesigne lrsquoimage mentale drsquoune chose (II 4) La doctrine de lrsquoIntellect en

tant que forme premiegravere la Sagesse et le Verbe contribue agrave la christologie drsquoAchard Elle explique

notamment comment le Christ est la forme premiegravere des choses Elle ressemble agrave la doctrine

meacutedioplatonicienne du logos incarneacute mais aussi agrave la doctrine neacuteoplatonicienne selon laquelle le

monde sensible provient agrave partir du premier principe intelligible ou encore le premier principe

eacutemane dans son hypostase

281 laquo Intellectus autem rei cujuslibet quasi connexio quaedam est intelligentis et rei intellectae raquo De unitate II 4 eacuted MARTINEAU p 148-149

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III224 II 5-11 ndash varieacuteteacute des formes

Le deacutebut du chapitre II 5282 teacutemoigne qursquoil srsquoagit des nombres en tant que formes Drsquoabord

Achard divise les nombres en intellectuels et premiers (intellectuales et primi) et en nombres

nombrables (numerabiles) qui sont dans des esprits des corps ou des choses et qui sont infeacuterieurs

Ensuite (laquo Item nihilominus raquo) en srsquoappuyant sur de nombreuses citations drsquoAugustin

Achard affirme que les nombres sont dans la Sagesse qui est une et distincte Les nombres sont

donc laquo les mecircmes dans les raisons ou en eux-mecircmes crsquoest-agrave-dire invariables increacuteeacutes eacuteternels

veacuteritables et premiers ou plutocirct la veacuteriteacute mecircme raquo et laquo ils sont variables creacuteeacutes et temporels nrsquoeacutetant

alors que des simulacres et des traces raquo dans les creacuteatures283

Puis Achard ajoute (laquo ubi autem raquo) qursquoil existe des proportions des nombres qui ont

eacutegalement leurs raisons formelles Ces proportions intellectuelles des nombres sont agrave lrsquoorigine des

propositions des choses Les raisons des propositions se trouvent dans la Sagesse de Dieu

Vers la fin Achard revient agrave la theacuteorie des formes en preacutecisant qursquoil y a drsquoautres eacuteleacutements

qui se trouvent parmi les formes et laquo dans lesquelles les choses sont vues ou peuvent ecirctre vues raquo agrave

savoir laquo les espegraveces des choses ou leurs quantiteacutes ou leurs natures ou leurs figures ou leurs

relations ou leurs mouvements raquo 284

En finissant le chapitre II 5 Achard promet de rappeler ce qursquoAugustin a dit agrave propos des

raisons formelles des choses Et il le fait dans le chapitre II 6 Achard cite donc Augustin (De

Trinitate IX VI XII II XII XIVhellip) Ces citations servent agrave deacutemontrer les points suivants

1) il existe des choses eacuteternelles (raisons) qui sont contrairement aux choses temporelles

incorporelles intelligibles et inchangeables

2) il y deux maniegraveres de les concevoir par le sens corporel (lrsquoœil qui voit les objets dans la

lumiegravere) et par lrsquointuition (lrsquoacircme intellectuelle qui voit les choses intelligibles dans une

certaine lumiegravere speacutecifique)

282 laquo Quaea utique ltrationesgt cum sint prorsus infinitae in eis necessario omnes reperiuntur numeri raquo II 5 eacuted MARTINEAU De unitate p 150 283 laquo Forsitan vero ut de rerum formis sic intelligi potest et de numeris quia ipsi idem in rationibus sive in se ipsis ltingtvariabiles sunt increati aeterni veri et primi vel potius veritas ipsa atque principium quoddam causaque posteriorum in creaturis vero et rebus subjectis pro rerum earundem qualitate atque natura variabiles creati temporales simulacra et vestigia veritatis effectusque causae principalis raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152-153 284 laquo Ad formales quoque rerum rationes aeternas spectare videntur omnes illae in quibus videntur et videri possunt sive rerum species sive rerum quantitates sive naturae sive figurae sive relationes sive motus raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152-153

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Degraves les deacutebuts de chapitres II 7 et II 8285 nous apprenons que leur sujet commun est les

eacuteleacutements qui sont parmi les raisons eacuteternelles

En II 7 Achard distingue les deux groupes drsquoeacuteleacutements qui sont parmi les raisons formelles

- laquo celles dans lesquelles les choses sont connues raquo (laquo illae in quibus res agnoscuntur raquo)

- laquo celles agrave partir desquelles elles sont connues raquo (laquo illae ex quibus agnoscuntur raquo)286

Il donne agrave titre drsquoexemple (laquo Ut gratia exempli) que dans le deuxiegraveme cas il srsquoagit des

objets comme des points des lignes des surfaces incorporelles des longueurs et des largeurs des

corps matheacutematiques En outre ils laquo ne peuvent jamais tomber sous le sens ou lrsquoimagination mais

ils subsistent dans la seule compreacutehensibiliteacute de la raison ou de lrsquointellect raquo287 Finalement Achard

ajoute (laquo quamvis raquo) que ces objets sont parmi les nombres premiers et intellectuels

Le chapitre II 8 est consacreacute au problegraveme des universaux Drsquoabord Achard envisage deux

possibiliteacutes

1) Les choses universelles ont laquo lagrave-bas leurs raisons et leurs formes supeacuterieures drsquoapregraves

lesquelles elles seraient formeacutees lagrave-bas intellectuellement et ici en acte de mecircme que

sont formeacutees drsquoapregraves elles les choses sujettes raquo

2) Les choses universelles laquo sont les formes premiegraveres des choses elles-mecircmes immuables

et eacuteternelles en soi et infuseacutees temporellement et par participation aux choses formeacutees

drsquoapregraves elles raquo288

Ensuite Achard propose quelques exemples qui agrave son avis parlent des universaux

- la citation drsquoAugustin (De Trinitate VIII V-VI) agrave propos drsquoune acircme juste drsquoapregraves

laquelle toutes les acircmes doivent ecirctre formeacutees

- lrsquoexemple du corps carreacute qui est la forme geacuteneacuterique de tous les carreacutes (cet exemple prend

son origine eacutegalement chez Augustin De Trinitate XII XIV)

- la citation de Seacutenegraveque (Lettre LXV) agrave propos de lrsquohumaniteacute drsquoapregraves laquelle chaque

homme est formeacute

285 laquo Ad formales autem rerum rationes non solum pertinere tradendae sunt illae in quibus res agnoscuntur sed et illae ex quibus agnoscuntur raquo De unitate II 7 eacuted MARTINEAU p 158 laquo Res vero universales qualiter sint in aeternis rerum rationibusraquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 160 286 laquoAd formales autem rerum rationes non solum pertinere tradendae sunt illae in quibus res agnoscuntur sed et illae ex quibus agnoscuntur id est ex quibus demonstratur quod circa unius quoque ltreigt demonstrationem ad unam et de re illa veritatem comprobandam confluere possunt innumerabiles raquo De unitate II 7 eacuted MARTINEAU p 158-159 287 laquoUt circa lineam gratia exempli ltquiagt punctis non constat vel superficiem quia ipsa nec ex lineis vel corpus quia nec ipsum ex superficiebus ltpunctosgt autem ltvelgt lineas vel superficies intelligimus incorporales quales eas concipit vel definit ratio quae ad sensum vel imaginationem nunquam venire possunt sed in sola rationis vel intellectus comprehensibilitate subsistunt raquo De unitate II 7 eacuted MARTINEAU p 158-159 288 laquo Res vero universales qualiter sint in aeternis rerum rationibus utrumne scilicet ipsae suas habeant ibi rationes et formas superiores secundum quas et ipsae ibi sint intellectualiter formatae et hic actu ipso quemadmodum et secundum eas res formantur subjectae an et ipsae formae sint rerum primae incommutabiles in se et aeternae sed rebus secundum eas formatis ex tempore per participationem infusae raquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 160-161

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Ces trois exemples lui permettent de dire qursquoil existe certaines choses universelles qui

existent par rapport aux choses sujettes Ensuite il discerne deux sortes de choses universelles

- celles qui peuvent srsquoadapter agrave la taille de chaque chose laquo en eux de surcroicirct elle est

tout entiegravere en chacun et unique en tous et elle nrsquoest point singuliegravere en chacun ni

davantage universelle en tous289 raquo

- celles laquo qui subsistent identiques mecircme en acte dans des choses en nombre absolument

infini290 raquo la substance le corps le genre lrsquoaccident lrsquoeacutetant (ens) la chose

Et pour finir il fait une remarque concernant les noms de choses universelles qursquoils deacutesignent

ces choses laquo pour autant qursquoelles sont consideacutereacutees dans la participation elle-mecircme raquo crsquoest-agrave-dire

drsquoapregraves les choses sujettes291

Dans les chapitres II 9-11 Achard deacutecrivent les eacutenonceacutes vrais (vera laquo jugements vrais raquo

selon la traduction de Martineau) En particulier dans le chapitre II 9 Achard deacutecrit les veacuteriteacutes agrave

propos de Dieu en II 10 les veacuteriteacutes agrave propos de creacuteatures et en II 11 il tire la conclusion

laquo Ces veacuteriteacutes (veritates) bien qursquoelles soient eacutegalement distinctes entre elles de multiples

faccedilons convergent cependant toutes dans une veacuteriteacute unique et selon leur substance elles

sont une seule veacuteriteacute une seule raison en quelque sorte une seule forme une seule sagesse

et un seul Verbe de Dieu292 raquo

Les exposeacutes concernant ces deux types drsquoeacutenonceacutes vrais sont radicalement diffeacuterents En II

9 Achard examine les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu (les faits ou les affirmations de type laquo Dieu

est raquo laquo Dieu est Dieu raquo laquo Dieu est trine raquo etc ou la neacutegation laquo Dieu nrsquoest pas le ciel raquo laquo Dieu

nrsquoest pas la terre raquo etc) Il eacutetablit qursquoils sont essentiellement lagrave-bas et ils ne proviennent pas de

nous bien qursquoils puissent ecirctre intelligeacutes par nous Ils sont donc immuables et eacuteternels

Ensuite il demande que sont-ils ces eacutenonceacutes vrais (vera) agrave propos de Dieu Et il

nrsquoexamine que des propositions affirmatives (laquo Dieu est raquo laquo Dieu est Dieu raquo laquo Dieu trine raquo293) du

289 laquo In quibus etiam et tota est in singulis et una in universis nec in singulis singularis nec in universis magis universalis raquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 160-161 290 laquo Et sunt quaedam earum quae eaedem actu quoque in rebus subsistunt prorsus infinitis raquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 160-161 291 laquo Nomina autem res significantia hujusmodi non eas notant prout sunt vel intelliguntur in se et a rebus subjectis discretae sed prout attenduntur in ipsa participatione secundum quod sunt in illis in illarum actuali esse non secundum quod sunt in suo naturali et vero esse intellectuali ubi et ipsae in simplicitate sua subsistunt singulae singulariter quae se participando aliis distribuunt communiter raquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 162-163 292 laquo Quae veritates licet inter se multipliciter sint et distinctae omnes tamen in unam conveniunt veritatem et sunt secundum substantiam veritas una et ratio una et forma quodammodo una et sapientia una et Verbum Dei unum raquo De unitate II 11 eacuted MARTINEAU p 168-169 293 Nous croyons que cette traduction est meilleure que celle de Martineau laquo Or ces ltveacuteriteacutesgt semblent ecirctre en nombre infini ainsi par exemple Dieu ecirctre Dieu ecirctre Dieu Dieu ecirctre trine le Pegravere ecirctre le Pegravere ecirctre Pegravere le Pegravere ne pas ecirctre le Fils le Pegravere ne pas ecirctre lrsquoEsprit-Saint raquo laquo Haec autem infinita videntur esse ut Deum esse Deum esse Deum Deum

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point de vue de leur bonteacute Achard distingue donc la laquo chose elle-mecircme raquo (laquo res ipsa raquo) et le fait

qursquoelle est (laquo esse rem raquo) La premiegravere peut ecirctre mesureacutee drsquoapregraves ce qursquoelle est laquo en elle-mecircme-

mecircme raquo (laquo in ipsa raquo) et le seconde drsquoapregraves laquo ce qui provient drsquoelle raquo (laquo ex ipsa raquo) laquo Le fait qursquoune

choses est raquo (laquo rem esse raquo) ne peut ecirctre moins bon que la chose elle-mecircme (laquo res ipsa raquo) car lrsquoecirctre

drsquoune chose est toujours bon pour la totaliteacute des choses mecircme si elle est mauvaise en soi Pourtant

Dieu est diffeacuterent du reste des choses creacuteeacutees car il est le bien suprecircme et tout ce qui est bien

provient de lui Par conseacutequent le fait que Dieu est (lrsquoaffirmation laquo Dieu est raquo) nrsquoest pas mieux ni

pire que Dieu lui-mecircme Et les faits laquo Dieu est Dieu raquo ou laquo Dieu est juste raquo ne sont moins bons que

sa deacuteiteacute ou sa justice Une addition importante le fait que lrsquoune des raisons eacuteternelles est nrsquoest pas

moins bon que cette raison elle-mecircme (laquo ratio ipsa raquo)

En II 10 les veacuteriteacutes dites agrave propos des creacuteatures sont traiteacutees Voici le plan de ce chapitre

1) laquo Vera autem raquo ndash les eacutenonceacutes vrais sont muables et temporels dans les creacuteatures et

immuables et eacuteternels en Dieu de la mecircme faccedilon que les creacuteatures ont une nature diffeacuterente en

elles-mecircmes et dans leurs raisons eacuteternelles Cela suit des preacutemisses suivantes

11laquo Ibi vero ndash Ut autem ndash Et ideo raquo ndash Ce qui est vrai ici (vera laquo les eacutenonceacutes vrais raquo) est la

veacuteriteacute (veritates) lagrave-bas car ce qui reacuteside ici dans la connexion des choses lagrave-bas est dans

les connexions des raisons

12laquo Connexiones vero raquo ndash les connexions laquo existent gracircce agrave lrsquoecirctre simple qui ou bien se

connecte agrave quelque chose ou bien connecte par soi quelque chose294 raquo En Dieu lrsquoessence

se rapporte au Pegravere les veacuteriteacutes au Fils et les connexions au Saint-Esprit

2) laquo Quae vera raquo ndash ces eacutenonceacutes vrais sont les mecircmes numeacuteriquement ici et lagrave-bas bien qursquoils

soient des substances diffeacuterentes lagrave-bas ndash eacuteternelle et intelligible les veacuteriteacutes mecircmes ici ndash

temporelle et perceptible les images et les similitudes des veacuteriteacutes Voici les conseacutequences

11 laquo Cum enim dicitur raquo ndash laquo Car lorsqursquoon parle de ltjugementgt vrai en lrsquooccurrence

eacuteternel lrsquoeacuteterniteacute peut bien ecirctre intelligeacutee comme srsquoeacutetendant agrave lrsquolsquoecirctrersquo de la veacuteriteacute mecircme

mais non pas agrave lrsquoecirctre que la chose sujette a en soi et non pas dans la veacuteriteacute au-dessus

drsquoelle295 raquo Ensuite Achard passe agrave lrsquoexplication de lrsquoimposition du nom laquo eacuteternel raquo en

prenant comme exemple le cas ougrave quelque chose est dit par adjonction

- la bague qui est dite neuve mecircme si lrsquoor soit ancien

- lrsquoeacutenonciation est reacutecente mecircme si le vers est ancien

esse trinum Patrem esse Patrem Deum esse Patrem Patrem esse Patrem non esse Filium Patrem non esse Spiritum sanctumraquo De unitate II 9 eacuted MARTINEAU p 162-163 294 laquo Connexiones [hellip] per simplex esse ltsuntgt quod vel se ipsum connectit alicui vel per se aliud raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166-167 295 laquo Cum enim dicitur verum videlicet aeternum in esse ipsius veritatis non in esse rei subjectae quod habet in se non in ipsa veritate supra se intelligi potest redundare aeternitas raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 168-169

99

- ou un homme est bon au moment donneacute en tant que citharegravede mais non pas cependant

bon absolument

Dans le chapitre II 11 Achard affirme que toutes les veacuteriteacutes ne sont qursquoune seule Veacuteriteacute

forme sagesse de Dieu et ensuite il dit la mecircme chose agrave propos des raisons eacuteternelles (il y la raison

qui intellige les raisons eacuteternelles) Pour conclure il dit que pour Dieu il nrsquoy a pas de diffeacuterence

entre la raison par laquelle il intellige et les raisons qursquoil intellige (les raisons eacuteternelles des choses)

Les raisons par conseacutequent ne sont que la distinction dans une seule raison

Ainsi dans les chapitres II 5 7-11 Achard examine tout ce que peut ecirctre consideacutereacute comme

formes agrave savoir les nombres les objets agrave partir desquels les choses sont connues (les lignes les

surfaces les corps matheacutematiques) les universaux les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu et les

creacuteatures Les notions centrales dans ces chapitres sont bien sucircr la forma et la ratio Cependant

Achard y introduit beaucoup drsquoautres notions qui servent agrave preacuteciser le contenu de formae (numeri

res universales res subjecta res aeterna etc) et agrave introduire des doctrines qui encadrent la doctrine

des formes (Ratio Verbum Dei Pater essentia connexio etc)

De cette faccedilon Achard souligne le fait qursquoil y a une pluraliteacute au niveau supeacuterieur de la

hieacuterarchie En mecircme temps les uniteacutes des ecirctres intelligibles correspondent aux ecirctres sensibles

(choses) qui sont en bas de la hieacuterarchie ce qui valorise le monde sensible par rapport au monde

intelligible

III225 II 12-15 ndash formes en tant qursquoideacutees

Le chapitre II 12 ouvre la nouvelle seacutequence Les chapitres II 12 et II 13 font partie de la

doctrine platonicienne des ideacutees et le chapitre II 14 reacuteunit les deux doctrines celle des ideacutees et

celle des formes En II 15 Achard pose une question concernant la forme premiegravere

La doctrine des ideacutees est introduite au chapitre II 12 Achard reconnaicirct qursquoil emprunte la

doctrine de Platon qui a eacuteteacute transmise par Seacutenegraveque (Lettres agrave Lucilius LVIII LXV) compleacuteteacutee par

Augustin et par Boegravece Selon Achard Augustin ajoute que les ideacutees sont laquo les modegraveles de ce qui

advient par art296 raquo et non seulement de ce qui advient par la nature (De diversis quaestionibus 83

qu 46) et Boegravece aperccediloit les ideacutees en tant que constituants du laquo monde archeacutetype raquo (De

consolatione philosophiae III metr 9 v 7-8) Ainsi le chapitre II 12 est en reacutealiteacute un recueil des

opinions drsquoAugustin de Boegravece et des laquo philosophes paiumlens raquo (Platon transmis par Seacutenegraveque) agrave

propos des ideacutees 296 laquo Has Plato definit lsquoaeterna exemplaria eorum quae natura fiuntrsquo Augustinus vero vult eas et exemplaria esse eorum quae artificialiter fiunt raquo De unitate II 12 eacuted MARTINEAU p 170-171

100

En II 13 Achard continue lrsquoexposeacute sur les ideacutees Il part de la distinction de Seacutenegraveque sur

lrsquoideacutee et lrsquoidos (Lettre LVIII) en lrsquointroduisant en tant qursquoeacutegale agrave sa distinction in intellectuin actu

Ensuite il revient de nouveau au deacutebut de la Genegravese laquo Dieu dit que la lumiegravere soit et la lumiegravere a

eacuteteacute faite raquo (I 3) pour dire qursquoil srsquoagit dans ce verset du Verbe de Dieu Il preacutecise aussi que cette

explication ne contredit pas son explication preacuteceacutedente (II 2) agrave savoir qursquoil srsquoagit lagrave de lrsquoexistence

in intellectu et in actu

La suite du chapitre II 13 fait comprendre que le deacuteveloppement preacuteceacutedent servait agrave eacutetablir

la doctrine des trois formes la forme premiegravere (qui est Verbe et Dieu lui-mecircme) la forme seconde

(agrave partir de la premiegravere mais in intellectu) la forme troisiegraveme (qui nrsquoest pas dans le Verbe) Achard

finit ce chapitre en rappelant lrsquoEvangile de saint Jean (I 3-4) laquo Ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie la

vie eacutetait la lumiegravere des hommes raquo qui parle agrave son avis de la forme premiegravere qui descend dans le

monde

En II 14 Achard compare drsquoabord les deux distinctions celle de lrsquoidea et lrsquoidos et celle des

trois types de formes Il croit qursquoil faut les examiner du point de vue de laquo divers eacutetats drsquoexistence et

modes drsquoecirctre intelligeacutees agrave elles propres raquo et drsquolaquo une multipliciteacute numeacuterique (numerositas formarum)

des formes mecircmes raquo297 Achard preacutecise eacutegalement qursquoil va expliquer cela agrave partir du verset de

lrsquoEvangile selon saint Jean (I 3-4) Ainsi les questions suivantes apparaissent

1) Est-ce qursquoil y a une diffeacuterence numeacuterique entre les formes seconde et troisiegraveme Achard

affirme qursquoil y a identiteacute entre ces deux types de formes (comme cela a eacuteteacute indiqueacute

auparavant en II 13)

2) Comment la forme premiegravere est-elle intelligeacutee en tant que mecircme numeacuteriquement (in

numero) avec les autres types de formes (seconde et troisiegraveme)

21 laquo Non enim raquo ndash parce qursquoil nrsquoy a pas deux formes qui preacutecegravedent la chose ni selon

lrsquoordre de la formation ni selon lrsquoordre de lrsquointellection il existe donc une seule Forme

22 laquo Item prorsus raquo ndash car ce sont les mecircmes ecirctres ici et lagrave-bas

Afin de deacutevelopper la seconde reacuteponse Achard enchaicircne la seacutequence des oppositions entre

ici et lagrave-bas qui se termine par la citation de saint Jean (I 3-4 5 9 14) Cela le megravene agrave expliquer

que lrsquoeacutevangeacuteliste utilise le passeacute laquo eacutetait raquo (laquo erat raquo) au lieu du preacutesent laquo est raquo298 afin de preacuteciser que

le Verbe eacutetait toujours aupregraves de Dieu avant de venir dans le monde mais qursquoil ne cesse pas drsquoecirctre

297 laquo Considerandum est an forte bipertita illa quae praemissa est formarum divisio in ideas videlicet et idos vel illa etiam tripertita in formas prout sunt in rebus subjectis et formas prout intelliguntur quae sunt ipsae rerum rationes aeternae secundum varios earum status existendi ltetgt intelligendi modos magis quam secundum ipsarum numerositatem formarum ltintelligendagt intelligendo sic ut omnino sit verum si et expresse et proprie dictum quia quod factum est in Verbo erat vita raquo De unitate II 14 eacuted MARTINEAU p 174-175 298 Dans la ligne laquo in principio erat Verbum et Verbum erat apud Deum et Deus erat Verbumraquo (Jean I1)

101

lagrave-bas mecircme apregraves Par conseacutequent le Verbe reste ici et lagrave-bas Etant donneacute que par le Verbe

Achard deacutesigne la forme premiegravere de cette maniegravere il montre que cette forme reste ici et lagrave-bas

identique

Pour finir ce chapitre il compare la forme premiegravere avec le Christ qui a deux substances

(divine et humaine) et une seule personne

Au deacutebut du chapitre II 15 Achard formule un autre problegraveme

laquo Mais bien que ce soit la mecircme forme qui est ici faite lagrave-bas non faite ici temporelle lagrave-

bas eacuteternelle cependant il nrsquoest pas vrai purement et simplement qursquoelle soit faite et non

faite temporelle ou eacuteternelle ou que la forme faite et temporelle soit la forme non faite et

eacuteternelle299 raquo

Vu que dans le chapitre preacuteceacutedent Achard a deacutemontreacute qursquoil y a une identiteacute entre la forme ici

et lagrave-bas ou entre la forme premiegravere et les ideacutees et les idos (les formes seconde et troisiegraveme) il se

demande comment cette forme premiegravere peut avoir la proprieacuteteacute drsquoecirctre faite tout en eacutetant non faite

Pour expliquer cela Achard propose trois exemples

1) le vers qui est dans lrsquoesprit prononceacute ou eacutecrit nrsquoest pas absolument le mecircme

2) le son (vox) qui tantocirct peut avoir signification (comme le verbe latin do laquo je donne raquo)

tantocirct non (comme la syllabe do dans le mot donas laquo tu donnes raquo ou domus laquo la maison raquo)

3) le modegravele (comme le vers dans lrsquoesprit) et la copie (le vers prononceacute) qui ne sont pas la

mecircme chose

Ensuite Achard propose une solution drsquoappeler ce qui est ici idos et ce qui est lagrave-bas idea

pour nommer la diffeacuterence entre les formes ici et lagrave-bas A partir de cela Achard tire une

conclusion suppleacutementaire

- il existe une raison pour laquelle lrsquoeacutevangeacuteliste a dit laquo ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie raquo

(Jean I 3-4) cette expression signifie lrsquoidea et lrsquoidos

- on ne sait pas comment nommer lrsquoidea et lrsquoidos pour chaque forme preacutecise

Dans les chapitres II 12-15 Achard expose la doctrine des ideacutees emprunteacutee agrave Seacutenegraveque Il

introduit eacutegalement la doctrine des trois sortes de formes (premiegravere deuxiegraveme troisiegraveme) en

expliquant que lrsquoidea et lrsquoidos correspondent aux formes deuxiegraveme et troisiegraveme Ses reacuteflexions

srsquoappuient souvent sur lrsquoexeacutegegravese de lrsquoEvangile selon saint Jean Les notions principales de cette

299 laquo Quamvis autem eadem forma sit hic facta ibi infecta hic temporalis ibi aeterna non tamen simpliciter verum est ltquod sitgt facta et infecta temporalis vel aeterna vel quod forma facta et temporalis forma sit infecta et aeterna raquo De unitate II 15 eacuted MARTINEAU p 176-177

102

partie sont lrsquoidea et lrsquoidos qui ont le rapport avec la notion de forma diviseacutee en prima secunda

tertia Cette division des formes complegravete la doctrine de leur hieacuterarchie qursquoAchard a deacutejagrave

commenceacute agrave exposer en II 1-2 Une autre question importante qui apparaicirct ici est laquo comment la

multipliciteacute des formes et des choses peut-elle provenir de la forme premiegravere raquo Achard discute

cela en II 14 et 15 en srsquoappuyant sur les expressions in actuin intellectu

En deacutefinitive Achard continue drsquoeacutetudier les sujets de la hieacuterarchie et de la multiplication

des ecirctres Les ecirctres qui se trouvent aux niveaux diffeacuterents de la hieacuterarchie (les trois sortes de

formes) ont des proprieacuteteacutes meacutetaphysiques diffeacuterentes ce qui est aussi un trait distinctif du

neacuteoplatonisme

III226 II 16-18 ndash doctrine des raisons causales

Le chapitre II 16 est une transition Au deacutebut Achard deacuteclare que les raisons eacuteternelles

eacutetaient jusque lagrave lrsquoobjet de sa recherche et qursquoil en a deacutejagrave deacutecouvert assez agrave ce propos300

Ensuite il expose ses reacuteflexions concernant la difficulteacute pour lrsquohomme de voir la veacuteriteacute des

choses Il srsquoappuie sur des notions comme laquo lrsquoœil de la seule intelligence raquo laquo la vivaciteacute du regard

de lrsquoacircme raquo laquo lrsquohomme inteacuterieur raquo etc Parmi les sources de ces reacuteflexions Martineau eacutevoque le De

Trinitate (VIII II-II) et le De ideis (De diversis quaestionibus 83 qu 46) drsquoAugustin

En mecircme temps dans ce chapitre Achard change le style de son exposition Ici il ne

propose pas de deacutemonstrations mais il veut plutocirct convaincre le lecteur de la neacutecessiteacute de

laquo lrsquoexercice freacutequent et zeacuteleacute de la raison dans une meacuteditation assidue de semblables choses [hellip] la

pureteacute du cœur et le silence inteacuterieur loin du fracas des actions et du tumulte des penseacutees301 raquo

A la fin Achard annonce qursquoil passe deacutesormais aux raisons agrave cause desquelles les choses

adviennent (raisons finales ou causes des œuvres) et qursquoil va les traiter plus briegravevement que les

raisons formelles

Il commence le chapitre II 17 par lrsquoargument

laquo Dieu qui est la raison elle-mecircme suprecircme infinie et immense ne peut rien opeacuterer

lsquoirrationnellementrsquo ni rien drsquoirrationnel302 raquo

300 laquo De rationibus igitur aeternis secundum quas res fiunt id est de intelligibilibus et primis earum formis hactenus prosecuti sumus raquo De unitate II 16 eacuted MARTINEAU p 180 301 laquo Mentis industria et in rerum hujusmodi meditatione assidua rationis frequens et diligens exercitatio [hellip] et a strepitu occupationum cogitationumque tumultu quies interna raquo De unitate II 16 eacuted MARTINEAU p 182-3 302 laquo Deus qui ratio ipsa summa infinita et immensa ltestgt operari nihil lsquoirrationabiliterrsquo vel irrationabile potest raquo De unitate II 17 eacuted MARTINEAU p 182-183

103

Cette thegravese ressemble agrave celle du Timeacutee 28a ougrave Platon dit qursquoune œuvre de la raison

rationnelle doit ecirctre aussi rationnelle Voici les conseacutequences

laquo (1) Dieu ne considegravere assureacutement aucune raison que la sienne propre pour ltdeacuteterminergt

pourquoi il fait tout ce qursquoil fait (2) ni ne srsquoincline au-dessous de lui-mecircme pour chercher

sous lui une cause rationnelle de ses ouvrages (3) et il nrsquoa absolument pas pu constituer

cette lsquocause premiegravere et geacuteneacuteralersquo ailleurs qursquoen lui-mecircme qui seul est le principe premier et

suprecircme de tout (4) pas plus qursquoil nrsquoa pris en consideacuteration de toute eacuteterniteacute une cause

muable et transitoire de ce qursquoil allait creacuteer dans le temps il a consideacutereacute au contraire une

cause deacutetermineacutee ferme et coeacuteternelle agrave lui (5) et la cause de sa volonteacute eacuteternelle mdash crsquoest-agrave-

dire la raison pourquoi il a voulu de toute eacuteterniteacute tout ce qursquoil a voulu mdash nrsquoa pu ecirctre une

raison non-eacuteternelle En effet une cause quelconque ne peut ecirctre posteacuterieure agrave ce dont elle

est cause 303 raquo

De cette maniegravere Achard deacutemontre qursquoil y a une cause eacuteternelle deacutetermineacutee et ferme en

Dieu Ensuite il ajoute que laquo mecircme chez lrsquohomme il nrsquoy a peut-ecirctre aucune raison de faire ou de

vouloir qui nrsquoait eacuteteacute de toute eacuteterniteacute304 raquo Il prend lrsquoexemple de la justice qui eacutetant la raison

eacuteternelle sert en tant que modegravele de tout ce qursquoun homme fait de juste Cette raison avait eacuteteacute

eacuteternelle en elle-mecircme (laquo in se ipsa raquo) avant de commencer agrave ecirctre dans la creacuteature (laquo in creatura raquo)

et mecircme apregraves elle demeure en tant que telle

Le chapitre II 18 commence par une seacutequence de neacutegations (laquo Nisi autem raquo laquo Imo raquo

laquo Negari tamen nequit quin raquo) qui servent agrave introduire la description des raisons causales De cette

maniegravere Achard affirme que les causes sont distinctes ce qui permet aux hommes et aux anges de

voir les choses distinctes Mais il existe une Cause distincte de tout (Achard cite lrsquoapocirctre Paul II

Corinthiens XII 2 et Romains XI 33 afin de deacutemontrer cela) ce qui permet agrave Dieu drsquoavoir une

intellection plus ample des choses Cette cause est la raison de Dieu ou Dieu lui-mecircme

Puis Achard donne un exemple de la subdivision de causes srsquoil existe la volonteacute divine en

tant que cause geacuteneacuterale et premiegravere il y a aussi des causes rationnelles (causae rationabiles) laquo

303 laquo Opus vero rationabile non est quod non ex aliqua ratione processltergtit id est quod aliquam rationabilem sui causam non habuerit nec Deus certe aliam nisi suam cur faciat omnia quae facit attendit rationem nec se inclinat infra se ut ltcausamgt rationabilem operum suorum quaerat sub se nec alibi prorsus eam constituere potuit lsquoprimam et generalemrsquo nisi in se qui solus primum et summum omnium est principium nec ab aeterno temporalem eorum quae facturus erat in tempore mutabilem[que] et transitoriam consideravit causam sed certam fixam atque sibi coaeternam nec voluntatis ipsius aeternae id est cur ab aeterno voluerit quicquid ipse voluit ratio alia potuit esse causa non aeterna raquo De unitate II 17 eacuted MARTINEAU p 182-185 304 laquo Sed nec ulla forsitan apud hominem quoque faciendi vel volendi quaelibet ratio est quae ab aeterno non fuerit raquo De unitate II 17 eacuted MARTINEAU p 184-185

104

pour faire une maison agrave savoir y habiter une autre pour faire un vecirctement agrave savoir srsquoen revecirctir une

autre pour faire un livre [hellip] pour le lire 305raquo

Ensuite Achard ajoute (laquo Similiter quoque raquo) qursquoil existe la Raison eacuteternelle qui se multiplie

en plusieurs raisons et la Cause eacuteternelle qui se multiplie donc en raisons causales En tant

qursquoexemple Achard prend la Sagesse multiple (multiplex) en srsquoappuyant sur la Sagesse VII 22 27

Le problegraveme suivant est la variation des œuvres laquo en conformiteacute avec les choses et les

temps raquo Selon Achard les œuvres (opera) varient mais leurs raisons sont invariables ainsi que les

raisons des variations Cela permet de juger des œuvres qui ont eacuteteacute faites rationnellement

Les raisons du jugement (judicium) agrave propos des œuvres singuliegraveres existent toujours mecircme

si les œuvres adviennent et peacuterissent en des moments diffeacuterents Crsquoest-agrave-dire il nrsquoy a pas de raisons

pour tous les eacutetats drsquoune chose (future preacutesente ou passeacutee) mais une raison pour chaque chose Le

problegraveme est ce que les choses adviennent et peacuterissent alors que les raisons restent immuables

Achard propose la solution suivante

laquo Et il nrsquoy a pas non plus de raison que quelque chose advienne preacutesentement (modo) qursquoil

nrsquoy ait aussi alors une raison non certes qursquoelle advicircnt alors (tunc) mais bien qursquoelle advicircnt

si la chose et ses lsquocirconstancesrsquo eacutetaient comme elles sont preacutesentement306 raquo

Achard veut dire qursquoil nrsquoy a pas de raisons drsquoactualisation qui fait exister la chose dans un

moment deacutefini du temps (preacutesent modo) mais plutocirct qursquoil existe une raison qui implique

lrsquoapparition drsquoune chose dans certaines circonstances et que cette raison existe alors (tunc) Bien

que cette raison existe alors (tunc) elle agit en moment deacutefini (modo)

Achard ajoute que pour les œuvres il est possible qursquoelles soient rationnelles en un moment

et irrationnelles en un autre par rapport aux choses diffeacuterentes mais pour les raisons il nrsquoest pas

possible que laquo ce qui une fois est raison devienne une autre fois non raison ou au contraire de non

raison raison ou encore que ce qui est chez lrsquoun raison soit chez lrsquoautre non raison307 raquo Cela veut

dire que la rationaliteacute des œuvres peut changer selon les circonstances mais non la rationaliteacute des

raisons non

305 laquo Causarum rationabilium distinctiones secundum quas propter aliud dicitur facere domum scilicet ut ibi inhabitet propter aliud vestimentum id est ut illud induat propter aliud librum [hellip] ad legendum raquo De unitate II 18 eacuted MARTINEAU p 186-187 306laquo Nec modo fieri aliquid ratio est quod et tunc ratio non esset [et] non ut tunc fieret sed ut fieret si res et circumstantiae ita se haberent ut modo se habent raquo De unitate II 18 eacuted MARTINEAU p 188-189 307laquo Ut autem quod semel est ratio aliquando fiat non ratio vel e contrario de non ratione ratio ut etiam quae apud alium est ratio apud alium sit non ratio penitus est impossibile si rationabiliter intelligit utrumque raquo De unitate II 18 eacuted MARTINEAU p 188-191

105

Lrsquoauteur finit par dire que mecircme si quelqursquoun peut se tromper dans le jugement agrave propos des

raisons cela nrsquoimplique pas le changement des raisons mecircmes La raison de jugement est la lumiegravere

(celle de Jean I 5) qui illumine de telle maniegravere qursquoelle permet de voir la Raison et la Veacuteriteacute lagrave-bas

De cette faccedilon les chapitre II 17-18 deacutecrivent les raisons causales comme cela a eacuteteacute

annonceacute en I 39 Achard change leacutegegraverement la nomination Il les appelle les causes rationnelles

(causae rationabiles) Elles existent en Dieu mais elles ont leurs conseacutequences dans le monde

sensibles ndash les œuvres (opera) La doctrine des causes ressemble agrave celle des formes il existe une

Cause premiegravere les causes se multiplient Achard pose eacutegalement des questions sur la

correspondance entre les causes et les œuvres et sur la possibiliteacute de juger correctement les œuvres

drsquoapregraves leurs causes Tout cela srsquoinscrit dans le cadre du dualisme platonicien

III227 II 19-21 ndash derniers chapitres

Les deacutebuts des chapitres II 19-21 montrent qursquoAchard change le sujet308 Il passe de la

description des raisons causales aux raisons en geacuteneacuteral

Dans le chapitre I 19 Achard pose de nouveau une question sur les trois sortes de raisons

car selon lui ce qursquoil a affirmeacute agrave propos des raisons causales vaut aussi pour les autres Il souligne

qursquoil existe une seule raison laquo que quelque chose advienne raquo qui est sa cause rationnelle et qui

signifie laquo la cause de faire mais aussi la forme du fait lui-mecircme et le mode de son deacuteploiement raquo

Et bien que la forme soit rationnelle laquo drsquoapregraves les raisons formelles la cause drsquoapregraves les raisons

causales le mode drsquoapregraves les raisons deacuteployantes ou si lrsquoon peut dire modales raquo il existe une

raison eacuteternelle gracircce agrave laquelle la chose advient309 De cette maniegravere il revient agrave la doctrine de la

raison de chaque chose

Achard promet aussi de parler des modes

308 laquo Quamvis autem hoc loco circa causales intentio consistat rationes quae tamen dicta sunt non solum de causalibus sed de aliis quoque vera sunt rationibus raquo De unitate II 19 laquo Rationes vero hujusmodi licet aeternas attendimus tamen nonnulas secundum ea etiam quae non sunt aeterna raquo De unitate II 20 laquo Cum autem originales ltcausaegt eorum quae a Deo ex sola ipsius fiunt id est bonitate gratuita nulla prorsus id exigente rei cujuslibet alterius sive natura sive justitia raquo De unitate II 21 De unitate II 19 eacuted MARTINEAU p 190-193 309 laquo Non enim tantum causa faciendi sed et forma ipsius facti et modus facti explicandi ltnominegt rationaltbigtlis causae significatur cum ut quid fiat ratio esse pronuntiatur Si namque quodlibet de hiis tribus rationabile non fuerit nec ipsum opus jam fieri ratio erit Forma autem rationabilis dicitur esse et est ex eo genere rationum de quo supra satis egimus modus ex eo de quo post agemus Forma siquidem rationabilis esse secundum rationes attenditur formales causa secundum causales modus secundum explicatrices sive ut ita dictum sit modales Non autem ideo dicitur de re aliqua quod ipsam fieri est ratio quia idipsum id est ipsam rem fieri sit ratio ipsa id enim temporale est ratio autem aeterna sed quia ratio est secundum quam et propter quam fieri queat aut esse debeat raquo De unitate II 19 eacuted MARTINEAU p 190-193

106

laquo Or la forme est dite et est rationnelle selon ce genre dont nous avons largement traiteacute

preacuteceacutedemment et le mode selon ce genre dont nous traiterons par la suite310 raquo

Mais il nrsquoexiste pas de teacutemoignage qursquoil fait cela

En II 20 Achard eacutevoque (laquo ut raquo) que nous consideacuterons certaines raisons drsquoapregraves ce qui nrsquoest

pas eacuteternel

laquo A partir de ce que nous voulons que les autres nous fassent nous remarquons ce que nous

devons faire aux autres et lorsque nous voyons ou apprenons ce que les autres font et

pourquoi et comment nous en infeacuterons parfois la forme la cause et le mode rationnels de la

chose agrave faire311 raquo

Et ensuite il ajoute (laquo ut raquo) la subdivision de raisons causales

laquo Et celles qui ne sont consideacutereacutees que drsquoapregraves ce qui est en Dieu seul peuvent ecirctre sans

inconvenance nommeacutees raisons ou causes originelles celles au contraire qui sont

consideacutereacutees drsquoapregraves les choses naturelles ltraisons ou causesgt naturelles celles qui sont

consideacutereacutees drsquoapregraves les meacuterites ltraisons ou causesgt judicielles celles enfin qui sont

consideacutereacutees drsquoapregraves les meacuterites de ce qui est fait crsquoest-agrave-dire drsquoapregraves ses conseacutequences

ltraisons ou causesgt finales312 raquo

De cette faccedilon Achard subdivise les raisons causales en raisons finales originelles

naturelles et judicielles Par conseacutequent il ne parle plus des raisons finales dans le cadre de la

doctrine de trois sortes de raisons mais il lrsquointroduit par rapport agrave la doctrine des raisons

causales313

Achard commence le chapitre II 21en eacutevoquant la cause originelle qui deacutepend de la bonteacute

de Dieu de maniegravere que tous les biens et les dons gratuits dans les creacuteatures proviennent drsquoelle Il y

310 laquo Forma autem rationabilis dicitur esse et est ex eo genere rationum de quo supra satis egimus modus ex eo de quo post agemus raquo De unitate II 19 eacuted MARTINEAU p 192-193 311 laquo Ut ex eo quod volumus ab aliis fieri nobis animadvertimus quid et nos facere debeamus aliis et cum videmus vel audimus quid faciant alii et quare et qualiter inde nonnunquam colligimus rei faciendae rationabilem et formam et causam et modum raquo De unitate II 20 eacuted MARTINEAU p 192-193 312 laquo Et illae quidem quae secundum id quod in solo Deo considerantur non inconvenienter nominari possunt rationes vel causae originales illae vero quae secundum naturalia naturales quae secundum merita judiciales quae autem secundum merita eorum quae fiunt id est secundum id quod ex eis sequitur finales raquo De unitate II 20 eacuted MARTINEAU p 192-193 313 Martineau preacutevient qursquoil ne faut pas confondre les raisons causales et les causes rationnelles I 19 De unitate eacuted MARTINEAU p 193 note 1

107

a deux moments principaux ougrave cette bonteacute a deacutecouleacute et est provenue (proflere et provenire) dans le

monde la creacuteation et la reacutedemption

Ensuite Achard deacutecrit les quatre gracircces creacuteation reacutedemption des hommes justification des

anges et collation des bienfaits temporels que Dieu manifeste Il hieacuterarchise les gracircces314 de la plus

petite agrave la plus grande la collation des bienfaits temporels la justification des anges la creacuteation et

la reacutedemption

En comparant les gracircces Achard introduit les notions de forme de Dieu de forme drsquoun

esclave et de forme de la justice La notion de forma est employeacutee dans un contexte assez diffegraverent

de son usage preacuteceacutedent (I 37-II 15)

Apregraves la description de la gracircce de justification des anges le De unitate finit brutalement par

la phrase

laquo Fin du traiteacute de lrsquouniteacute ltde Dieugt et de la pluraliteacute des creacuteatures en lrsquoanneacutee de

lrsquoIncarnation du mecircme Seigneur 1352 Amen315 raquo

La premiegravere lectrice agrave lrsquoeacutepoque contemporaine de cette œuvre Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny a

remarqueacute qursquoun exposeacute sur les anges qui preacutecegravedent cette phrase laquo appellerait de plus longs

deacuteveloppements316 raquo Ainsi eacutetant le dernier le chapitre II 21 ne donne aucune conclusion

Il est difficile de trouver le sujet commun agrave ces trois chapitres En II 19 Achard rappelle la

doctrine des trois sortes de raisons en la liant agrave la doctrine des raisons causales En II 20 il propose

la subdivision des raisons causales et en II 21 lrsquoexplication concernant lrsquoune de ces raisons ndash la

raison originelle Cela ressemble plutocirct au deacutebut drsquoun nouvel exposeacute sur les raisons causales

Ces chapitres ne sont pas relieacutes theacutematiquement au reste du traiteacute Nous allons moins

lrsquoutiliser dans notre recherche

314 Selon lrsquoobservation de Martineau II 21 note 16 p 197 315 laquo Explicit De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum sub anno Incarnationis ejusdem Domini 1352 Amenraquo De unitate II 21eacuted MARTINEAU p 196-197 316 M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 300

108

Conclusion

Le plan du De unitate

Le De unitate consiste en plusieurs chapitres de longueurs diffeacuterentes qui peuvent ecirctre

regroupeacutes selon leurs sujets en parties Lrsquoauteur deacuteveloppe deux sujets la Triniteacute et les raisons

eacuteternelles

Le contenu des chapitres I 1-36 fait penser au traiteacute trinitaire dont les formes litteacuteraires sont

assez diversifieacutees Par exemple les chapitres I 10-11 contiennent des eacuteleacutements de quaestio

Achard envisage de construire la deuxiegraveme partie du De unitate autour de la triade des

raisons Cette distinction se croise avec la distinction binaire sur hic et ibi et plus tard avec celle de

lrsquoidea et lrsquoidos Le croisement de ces dyades aident agrave formuler les problegravemes platoniciens du De

unitate Achard propose eacutegalement des eacutenumeacuterations des distinctions dans des raisons (I 43) et des

raisons mecircmes des choses (II 3 5 et 7) La deuxiegraveme partie contient aussi des quaestiones (I 46) et

des commentaires de versets bibliques (I 40 II 1 15) qui sont distincts drsquoun exposeacute argumenteacute du

reste du texte

Voici le plan deacutetailleacute du texte

Partie 1 La doctrine trinitaire drsquoAchard

I 1 ndash La pluraliteacute est en Dieu

1 I 2-11 ndash Ce qui rend possible la pluraliteacute en Dieu

11 I 2-3 ndash arguments en faveur de la pluraliteacute divine

- I 2 ndash la pluraliteacute est en Dieu en tant qursquointermeacutediaire entre lrsquouniteacute suprecircme et

la pluraliteacute

- I 3-4 - la pluraliteacute est en Dieu gracircce agrave la similitude qui rend possible la

pluraliteacute dans lrsquouniteacute suprecircme et qui elle-mecircme est lagrave-bas

12I 5-8 ndash arguments en faveur de lrsquouniteacute divine

- I 5-6 ndash lrsquouniteacute en Dieu est la plus belle

- I 7-8 ndash lrsquouniteacute parfaite nrsquoest possible qursquoen Dieu

I 9 ndash Conclusions preacutealables

13I 10-11 ndash les maniegraveres dont lrsquoeacutegaliteacute se preacutesente en Dieu

I 12 ndash Le plan

2 I 13-16 ndash Justification de la pluraliteacute en Dieu

I 17 ndash Transition

3 I 18-22 ndash Justification du nombre des personnes

109

31I 18-20 ndash arithmeacutetique

32I 21-22 ndash pourquoi une quatriegraveme personne est impossible

4 I 23-36 ndash Justification des noms de la Triniteacute et des personnes

41I 23 ndash Imposition du nom de Triniteacute

I 23-24 ndash Transition

42I 25 ndash la proprieacuteteacute de la premiegravere personne (lrsquouniteacute)

43I 26-29 ndash les proprieacuteteacutes de la deuxiegraveme personne

44I 29 ndash Imposition des noms de deux premiegraveres personnes (le Pegravere et le Fils)

I 30 ndash Transition

45I 31-34 ndash Justification de la proprieacuteteacute de Saint-Esprit de provenir du Pegravere et du

Fils

46I 35-36 ndash les noms possibles de cette personne

Partie 2 la doctrine des raisons eacuteternelles

I 37 ndash Chapitre de transition introduction agrave la deuxiegraveme partie

1 I 38-42 ndash La doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles

11 I 37-38 ndash les correspondances entre les laquo ecirctres raquo en Dieu (les raisons eacuteternelles)

et dans le monde

12 I 39-41 ndash les trois sortes de raisons eacuteternelles

I 42 ndash Transition plan des recherches

2 I 43-II 15 ndash Les formes eacuteternelles et les choses creacuteeacutees

21 I 43-45 ndash les distinctions des choses se reflegravetent dans les formes

22 I 46-48 ndash le nombre des formes eacuteternelles par rapport aux choses creacuteeacutees

23 I 49-50 ndash les modes hic et ibi

3 II 1-4 ndash La forme premiegravere

31 II 1-2 ndash la forme premiegravere qui est agrave lrsquoorigine des formes

32 II 3-4 ndash la distinction dans la forme premiegravere

4 II 5-11 ndash La varieacuteteacute des formes

41 II 5 ndash les nombres en tant que raisons premiegraveres des choses

42 I 6 ndash Augustin agrave propos des raisons eacuteternelles

43 II 7-8 ndash les formes laquo agrave partir desquelles raquo (des objets matheacutematiques et des

universaux)

44 II 9-11 ndash les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu et des creacuteatures

5 II 12-15 ndash Les formes en tant qursquoideacutees

110

Partie 3 II 16-18 ndash La doctrine des raisons causales

II 16 ndash Introduction agrave la partie III

1 II 17-18 ndash La structure des raisons finales la Cause qui est agrave lrsquoorigine et les causes

des choses

II 19-21 ndash Les derniers chapitres

II 19-20 ndash La varieacuteteacute des raisons eacuteternelles

II 21 ndash Les trois gracircces qui sont les causes originelles des choses

Il est deacutesormais possible de reacutepondre aux questions poseacutees au deacutebut de ce chapitre

Le plan de Martineau correspond au De unitate mais il ne prend pas en consideacuteration les

chapitres II 19-21 Il est vrai que ces chapitres sont plutocirct agrave part et que le chapitre II 21 fait mecircme

une digression spirituelle par rapport au reste du livre

Nous avons eacutetudieacute le plan du chapitre I 12 qui consiste en trois parties dont certaines ont

des sous-parties Il ne correspond qursquoagrave la premiegravere partie du De unitate agrave savoir

- la partie 12 aux chapitres I 1-11 ndash la deacutemonstration de la pluraliteacute en Dieu

- la partie 2 aux chapitres I 13-16 ndash la pluraliteacute personnelle en Dieu

- la partie 31 aux chapitres I 18-22 ndash le nombre des personnes

- la partie 32 aux chapitres I 23-36 ndash les noms et les proprieacuteteacutes des personnes

La partie 11 qui pose la question comment les preacutedicats sont dits de Dieu nrsquoest pas dans

le texte

En deacutefinitive ce sont seulement les chapitres I 1-36 du De unitate qui reflegravetent le plan du

chapitre I 12 et encore de faccedilon incomplegravete

Un autre plan a eacuteteacute proposeacute par Achard en I 42 Il a poseacute quatre questions pour chaque sorte

des raisons

1 si elles sont dans lrsquoesprit de Dieu

2 si elles sont distinctes lagrave-bas

3 drsquoapregraves quoi ces distinctions sont assigneacutees

4 si ce sont ces ltecirctresgt mecircmes ici et lagrave-bas

Martineau a deacutemontreacute qursquoAchard reacutepond agrave ces questions par rapport aux formes dans les

chapitres I 44-48 Nous croyons qursquoil le fait eacutegalement par rapport aux causes en I 17-18 A savoir

Dieu est raison et il opegravere par des causes rationnelles (1) les causes sont distinctes (2) et

subdiviseacutees (3) et elles sont les mecircmes quand elles varient nunc et restent immuable tunc (4)

111

Nous nrsquoavons pas la description des modes et nous ne savons pas si Achard poserait les

mecircmes questions

Le texte a eacutegalement quelques incoheacuterences

- un deacuteveloppement de penseacutee non conseacutecutif Achard introduit en I 14 une deacutefinition de la

Triniteacute comme si elle eacutetait deacutejagrave connue tandis que crsquoest seulement en I 26-29 qursquoil parle de la

deuxiegraveme personne comme de laquo ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute raquo

- une division sur les chapitres non justifieacutee les chapitres I 10 et 11 21 et 22 26-29 46-47

contiennent des arguments acheveacutes et ne sont pas compreacutehensibles seacutepareacutement

- les reacutefeacuterences vides en I 15 II 10 15 19 Achard reacutefegravere aux thegraveses qursquoil a lrsquointention

drsquoexposer ou qursquoil a deacutejagrave exposeacutes sauf qursquoon ne les trouve pas dans le De unitate

Ainsi la diversiteacute des formes litteacuteraires le deacuteveloppement non fini (le fait que le texte ne

peut pas ecirctre deacutecrit par un plan logique) les incoheacuterences de la penseacutee megravenent vers la conclusion

que le De unitate tel que nous lrsquoavons aujourdrsquohui nrsquoest pas acheveacute Cela peut ecirctre expliqueacute par

deux hypothegraveses

- une partie du texte a eacuteteacute perdu

- lrsquoœuvre nrsquoeacutetait pas finie par son creacuteateur

Le scheacutema platonicien et les grands sujets du De unitate

Au cours de lrsquoeacutetude preacuteliminaire du De unitate nous avons trouveacute plusieurs eacuteleacutements des

systegravemes platoniciens

- lrsquouniteacute en haut

- la participation de notions (uniteacute beauteacute similitude) du monde agrave la reacutealiteacute increacuteeacutee

- la division en deux niveaux ici et lagrave-bas

- la hieacuterarchie des ecirctres (forme premiegravere seconde troisiegraveme)

- la procession des ecirctres agrave partir drsquoune source unique

- lrsquointellect de Dieu qui contient ses ideacutees-raisons

- le questionnement concernant le statut des ecirctres intelligibles

Achard diversifie ces sujets en posant les questions inspireacutees par la philosophie et la

theacuteologie contemporaines Nous voyons les grands sujets qui regroupent ces questions

- Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu

- La procession interne et externe de la Triniteacute

- Les raisons dans le Verbe incarneacute

- la doctrine des formes

- le statut des ecirctres intelligibles

112

- le statut du monde sensible

Nous avons reacuteuni ces sujets en preacutecisant leurs questions principales

Uniteacute-Pluraliteacute

Est-ce que la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute qui se

multiplie en descendant du haut vers le bas

unitas pluralitas

Est-ce qursquoAchard accepte lrsquoexistence de niveaux

meacutetaphysiques qualitativement diffeacuterents (le

haut et le bas)

ista illa hic ibi

Comment la multipliciteacute est-elle possible en

Dieu (dans la Triniteacute)

unitas pluralitas similitudo participatio

existendo

La Triniteacute

Pourquoi y-t-il seulement trois personnes dans la

Triniteacute

Unitas Id quod aequale est unitati Aequalitas

persona numerus

Comment appeler correctement les personnes

persona proprietas aequalitas Trinitas Pater

Filius et Spiritus Sanctus

Quelle est la place des personnes de la Triniteacute

dans la meacutetaphysique du De unitate

Pater Filius et Spiritus Sanctus

Le Verbe et les raisons

Le Verbe incarneacute

Quelle explication du mystegravere de lrsquoincarnation a

eacuteteacute proposeacutee par Achard dans le De unitate

Verbum homo

Comment le Verbe contient-il les raisons Verbum persona ratio Sapientia veritas

Comment le Verbe est-il une forme premiegravere Verbum forma prima intellectus idea idos

natura Sapientia

En quoi consiste la doctrine christologique

drsquoAchard et quelle est son rocircle dans le De

unitate

Verbum forma prima idea idos natura

substantia

La multipliciteacute des raisons

En quoi consiste la doctrine des trois sortes de

raisons

rationes finales formales explicatrices causa

forma modum

Est-ce que les trois sortes de raisons causa forma modum potest sciret disposuit

113

correspondent agrave trois personnes de la Triniteacute potentia sapientia indulgentia

Quel est le rocircle des raisons causales ratio causalis causa rationabilis causae

finales orginales naturales judiciales

La Forme

Qursquoest-ce que la forme (dans le cadre de quelle

doctrine Achard la deacutefinit-elle )

forma ratio forma prima

Est-ce qursquoil existe une certaine hieacuterarchie des

formes

forma virtus beatitudo in intellectuin actu

Quelles uniteacutes intelligibles sont les formes forma rationes formales numerus res

universalis vera corpora mathematica

proportiones veritas

LrsquoIntellectus (in intellectuin actu)

Est-ce que les formes sont premiegraveres dans la

reacutealiteacute ou dans la connaissance

(ontologiquement ou eacutepisteacutemologiquement)

in intellectuin actu distinctio modus

intelligendi et modus subsistendi exemplar

exemplum

Comment la multitude des formes et des choses

peut-elle provenir drsquoune forme premiegravere

in intellectuin actu forma prima

Est-ce que les ecirctres in intellectu et in actu sont

identiques

in intellectuin actu numero

Monde sensible

En quels eacuteleacutements (en dehors des formes)

consistent les mondes creacuteeacute et increacuteeacute

substantia essentia materia corpus res

Comment les choses sont-elles les mecircmes dans

le nombre ici et lagrave-bas

res

Les trois premiers sujets (lrsquouniteacute et la pluraliteacute la Triniteacute le verbe et les raisons) deacutecrivent

lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu et les trois autres (la forma lrsquointellectus et le monde sensible) dans les

creacuteatures

114

CHAPITRE IV

IV Historique des recherches sur le De unitate

Formellement les eacutetudes sur lrsquoheacuteritage drsquoAchard de Saint-Victor peuvent ecirctre diviseacutees en

deux groupes Le premier concerne plutocirct les aspects textuels Les contributions principales dans ce

domaine ont eacuteteacute faites par Jean-Bartheacutelemy Haureacuteau317 Germain Morin318 Nicolas Haumlring319

Andreacute Combes320 Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny321 Jean Chacirctillon322 et Emmanuel Martineau323 les

eacuteditions critiques des trois œuvres principales drsquoAchard (Sermons De discretione animae spiritus

et mentis et De unitate et pluralitate) ont pu ecirctre reacuteunies gracircce agrave leur travaux

Le deuxiegraveme groupe comprend les interpreacutetations des œuvres drsquoAchard et peut ecirctre

subdiviseacute en eacutetudes et en traductions Parmi les eacutetudes de la philosophie drsquoAchard nous comptons

les travaux de Jean Chacirctillon324 Emmanuel Martineau325 Mohammad Ilkhani326 et Dominique

Poirel327 Les deux premiers srsquooccupent plutocirct drsquoœuvres seacutepareacutees drsquoAchard Jean Chacirctillon des

Sermons (quoique dans sa recherche il propose aussi une synthegravese geacuteneacuterale des donneacutees

biographiques sur Achard) et Emmanuel Martineau du De unitate (quoiqursquoil ne fasse que quelques

remarques geacuteneacuterales sur le contenu et les sources possibles de cette œuvre) On peut mecircme 317 B HAUREAU Notices et extraites de quelques manuscrits latins de la Bibliothegraveque nationale t III Paris 1891 p 18-67 318G MORIN laquo Un traiteacute ineacutedit drsquoAchard de Saint-Victor raquo dans Aus der Geisteswelt des Mittelalters t 1 Muumlnster 1935 (Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters Supplementband 31-2) p 251-262 319N M HAumlRING laquo Gilbert of Poitiers author of the De discretione animae spiritus et mentis commonly attributed to Achard of Saint-Victor raquo dans Medieval Studies t 22 1960 p 148-191 320A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 321M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 299-306 M-T DrsquoALVERNY laquo Notes sur deux œuvres theacuteologiques du XIIe siegravecle Alain de Lille Expositio prosae de Angelis Achard de Saint-Victor De Trinitate raquo dans Bibliothegraveque de lrsquoEcole des Chartes t 112 1954 p 247-250 322ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted JCHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age 17) 323E MARTINEAU laquo La redeacutecouverte du de unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 11-45 E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 46-62 324JCHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale 58) 325E MARTINEAU laquo Eclaircissements raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 209-260 326M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 327D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p459-537

115

consideacuterer Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor

de Jean Chacirctillon comme la premiegravere recherche geacuteneacuterale sur la philosophie drsquoAchard puisque

lrsquoanalyse bregraveve et preacutecise des fragments du De unitate y eacutetait incluse pour eacutetablir son portrait

meacutetaphysique complet Neacuteanmoins le premier chercheur qui a oseacute traiter la doctrine drsquoAchard

dans son inteacutegraliteacute est Mohammad Ilkhani en 1999 Dans une introduction agrave sa traduction anglaise

des œuvres drsquoAchard en 2001 Hugh Feiss propose une image geacuteneacuterale de la philosophie et de la

theacuteologie drsquoAchard et fait quelques remarques bregraveves concernant les liens qursquoAchard entretient avec

drsquoautres penseurs victorins La synthegravese qursquoeffectue Dominique Poirel dans son article du 2008

reacuteintroduit Achard en tant que Victorin Dominique Poirel328 et David Albertson329 ont fait des

articles qui contribuent agrave la reacuteeacutevaluation de la signification drsquoAchard pour la penseacutee trinitaire du

XIIe siegravecle

Des traductions des œuvres drsquoAchard ont eacuteteacute faites par Simon Gourdan (il a traduit au XVIIe

siegravecle le sermon XV Les sept deacuteserts en franccedilais et lrsquoa fait circuler en tant qursquoune œuvre

indeacutependante) Emmanuel Martineau (Le De unitate et le De discretione en franccedilais en 1987)

Hugh Feiss330 (Le De unitate le De discretione et les Sermons en anglais en 2001) Hideki

Nakamura (le fragment du De unitate I 1-12 en allemand)331 et Iryna Lystopad (le fragment du De

unitate I 1-11 en ukrainien)332

Dans notre recherche nous nous appuyons fortement sur la contribution des chercheurs qui

ont travailleacute en particulier sur le De unitate drsquoAchard agrave savoir Andreacute Combes Emmanuel

Martineau Mohammad Ilkhani et Dominique Poirel Drsquoici nous tenons agrave faire une bregraveve synthegravese

de leurs conclusions agrave propos du systegraveme meacutetaphysique drsquoAchard de Saint-Victor afin drsquoy revenir agrave

la fin de notre recherche

IV1 Andreacute Combes

La premiegravere veacuteritable recherche agrave propos du De unitate nrsquoest pas vraiment consacreacutee agrave cette

œuvre en elle-mecircme mais aux vestiges de lrsquoœuvre nommeacutee De unitate divinae essentiae et

328 D POIREL laquo Scholastic Reasons Monastic Mediations and Victorine Conciliations The Question of the Unity and Plurality of God in the 12th Century raquo The Oxford Handbook of Trinity ed G EMERY OP M LEVERING Oxford 2011 p 168-181 329 D ALBERTSON laquo Achard of St Victor (d 1171) and the Eclipse of the Arithmetic Model of the Trinity raquo Traditio t 67 2012 p 101-144 330Achard of Saint Victor Works trans H FEISS Kalamazoo 2001 331 ACHARD VON SAINT-VICTOR De unitate (Dei) et pluralitate creaturarum Uumlber die Einheit Gottes und die Vielheit der Geschoumlpfe (Auszug) in Vom Einen zum Vielen der neue Aufbruch der Metaphysik im 12 Jahrhundert eine Auswahl zeitgenoumlssischer Texte des Neoplatonismus hrsg eingeleitet uumlbersetzt und kommentiert von A FIDORA und A NIEDERBERGER Frankfurt am Main 2002 p 34-49 332ACHARD DE SAINT-VICTOR laquo Lrsquouniteacute de Dieu et la pluraliteacute des creacuteatures raquo dans Penseacutee philosophique 3 2010 p 80-95 (Ашар Сен-Вікторський laquo Про єдність Бога та множинність творіння Філософська думка 3 2010 р С 67-79)

116

pluralitate creaturarum retrouveacutee dans le Commentaire de Jean de Ripa sur le premier livre des

Sentences Combes part de lrsquohypothegravese que lrsquoauteur de cette œuvre est le laquo Veacuteneacuterable Anselme raquo Il

propose une eacutedition critique des vestiges du De unitate accompagneacutee de lrsquoanalyse terminologique

syntaxique et doctrinale de cette œuvre et des œuvres drsquoAnselme ce qui permet de mettre en doute

lrsquoorigine anselmienne du De unitate Ainsi Combes est le premier agrave proposer une description

syntheacutetique333 de la doctrine du De unitate et drsquoexprimer quelques suppositions concernant son

systegraveme meacutetaphysique

Combes deacutefinit le projet du De unitate de maniegravere suivante

laquo Il [Achard] a choisi comme point du deacutepart non lrsquouniteacute de lrsquoessence divine mais la

pluraliteacute des creacuteatures Il est normal degraves lors que sa dialectique le porte de la chose concregravete

agrave lrsquointellect divin qui la connaicirct et cherche non le secret du passage de lrsquoun au multiple

mais les lois drsquoune connaissance unificatrice qui respecte en leur individualiteacute propre les

ecirctres qursquoelle connaicirct et qursquoelle cause dans leur distinction mecircme et leur pluraliteacute334 raquo

En analysant la doctrine drsquoAchard Combes souligne que la forme premiegravere qui contient

toutes les formes est lrsquoIntellect de Dieu Les formes sont contenues dans cet Intellect de maniegravere agrave

ecirctre intelligeacutees (in intellectu) Lrsquointellect de Dieu est distinct en lui et contient les formes des

choses335

Andreacute Combes reconnaicirct lrsquoexistence de deux mondes dans la doctrine drsquoAchard le monde

sensible deacutesigneacute par le proverbe hic et le monde intelligible deacutesigneacute par ibi336

En deacutecrivant le deacuteveloppement de la penseacutee drsquoAchard (la doctrine de la forme premiegravere les

niveaux des formes creacuteeacutees et des choses le problegraveme de lrsquoidentiteacute numeacuterique de la forme premiegravere

etc) Combes pose eacutegalement une question concernant un arriegravere-plan de la penseacutee drsquoAchard Il est

difficile pour lui de donner une reacuteponse preacutecise vu le manque drsquoinformation dont il dispose mais il

rejette lrsquoinfluence possible de la penseacutee aristoteacutelicienne en inscrivant le De unitate dans le cadre des

reacuteflexions agrave propos du Dieu chreacutetien prenant place dans laquo un monde intelligible platonicien

christianiseacute raquo 337 En se basant sur le fait qursquoAchard cite des autoriteacutes telles que Platon Seacutenegraveque

Boegravece au cours de son enquecircte Combes conclut que sa vision de Dieu correspond plutocirct agrave lrsquoopifex

platonicien christianiseacute338

333Laquelle nous eacutevitons de reacutepeacuteter ici vu qursquoelle eacutetait faite agrave la base du texte incomplet 334A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p 198 335 Voir ch VI part 3 laquo Thegravemes doctrinaux raquo Ibid thegraveses IV et V p 197-202 336 Ibid p 173 337Ibid p 200 338Ibid p 214

117

Combes reconnaicirct la preacutesence chez Achard drsquoun reacutealisme qui se manifeste surtout par la

preacutesence en Dieu des ideacutees des individus (I 45) A son avis cela rapproche le De unitate soit du

courant meacutetaphysique du XIIe siegravecle (agrave savoir le reacutealisme du Guillaume de Champeaux) soit de la

penseacutee scotiste339

Ainsi Combes est le premier agrave accomplir lrsquoeacutetude comparative de la penseacutee drsquoAchard de

Saint-Victor qursquoil nomme pseudo-Anselme Il deacutecouvre que le systegraveme meacutetaphysique drsquoAchard est

plutocirct platonicien mais aussi qursquoil est drsquoun caractegravere empirique qui ne correspond pas au

platonisme de son eacutepoque

IV2 Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny

Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny est la premiegravere personne agrave rapprocher drsquoAchard le manuscrit du

De unitate Elle propose eacutegalement quelques remarques bregraveves mais preacutecieuses concernant son

contenu Ainsi la doctrine de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute preacutesenteacutee dans la premiegravere partie de lrsquoœuvre

est agrave son avis une interpreacutetation assez hardie de la respectable doctrine patristique de lrsquoimage et

des vestiges de la Triniteacute340

Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny est eacutegalement la premiegravere agrave observer que le De Trinitate et la

Quaestio de ideis drsquoAugustin sont laquo le fondement avoueacuteraquo du systegraveme drsquoAchard341 et agrave rapprocher

Achard des autres maicirctres de son eacutepoque en eacutevoquant leurs points de convergence comme leurs

sources communes (Boegravece Platon Seacutenegraveque pseudo-Denys et Jean Scot Erigegravene) le thegraveme de

lrsquouniteacute (qui le rapproche des Chartrains et des Porreacutetains) et la deacutefinition de la Triniteacute en tant

qursquoUnitas Aequalitas Connexio (Thierry de Chartres Clarembaud drsquoArras Alain de Lille)342

De cette faccedilon la chercheuse a remarqueacute lrsquooriginaliteacute de la doctrine trinitaire drsquoAchard et la

ressemblance de son sujet et de ses outils avec ceux de ses contemporains

IV3 Jean Chacirctillon

La contribution principale de Jean Chacirctillon consiste en lrsquoeacutedition des Sermons drsquoAchard de

Saint-Victor mais aussi en la mise en lumiegravere de la figure drsquoAchard et de son rocircle dans lrsquohistoire de

lrsquoabbaye de Saint-Victor En ce qui concerne le De unitate dans son livre Theacuteologie spiritualiteacute et

339Ibid p 190 et193 340M-T DrsquoALVERNY laquoAchard de Saint-Victor De Trinitate - De unitate et pluralitate creaturarum raquo dans Recherches de theacuteologie ancienne et meacutedieacutevale t 21 1954 p 302 341Ibid p 303 342 Ibid p 303-304 M-T DrsquoALVERNY laquo Notes sur deux œuvres theacuteologiques du XIIe siegravecle Alain de Lille Expositio prosae de Angelis Achard de Saint-Victor De Trinitate raquo dans Bibliothegraveque de lrsquoEcole des Chartes t 112 1954 p 249-250

118

meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Chacirctillon utilise les fragments

publieacutes par Andreacute Combes sous le nom de saint Anselme en les attribuant agrave Achard de Saint-Victor

(Chacirctillon a eacuteteacute au courant de la deacutecouverte de Mlle drsquoAlverny mais il nrsquoa pas encore eu le texte

complet du De unitate) Bien que son livre soit consacreacute principalement agrave des recherches

historiques et doctrinales sur les Sermons il y inclut un chapitre laquo La meacutetaphysique achardienne et

ses sources raquo ougrave il eacutetudie le De discretione et le De unitate (pris sous le nom du De Trinitate)

Chacirctillon trouve chez Achard des traces du platonisme provenant drsquoAugustin drsquoErigegravene et

de lrsquoeacutecole de Chartres Plus preacuteciseacutement il croit que la meacutetaphysique drsquoAchard laquo srsquoinspire de cette

vision platonicienne des choses selon laquelle lrsquounivers creacuteeacute nrsquoest qursquoun reflet un vestige ou une

image de lrsquounivers intelligible et trouve son explication dans les raisons ou les formes qui

constituent le monde archeacutetype 343 raquo Il cherche des parallegraveles entre lrsquoopposition de nunc (le monde

du temps) et tunc (lrsquoeacuteterniteacute) dans les Sermons et celle de hic et ibi du De unitate La doctrine des

ideacutees exposeacutee dans les chapitres II 12-14 du De unitate lui permet de souligner les points communs

entre Achard Bernard de Chartres et Guillaume de Conches (par exemple la deacutefinition de lrsquoideacutee

comme forme ou du monde archeacutetype comme Sagesse de Dieu)344

Chacirctillon considegravere eacutegalement que la doctrine drsquoAchard prend du neacuteoplatonisme la

conception laquo selon laquelle le Verbe creacuteateur est agrave la fois le principe des choses visibles et celui

des formes exemplaires ou des ideacutees qui constituent le monde archeacutetype et sur le modegravele desquelles

les choses visibles ont eacuteteacute faites345 raquo Notamment Chacirctillon repegravere de nombreuses similitudes entre

la penseacutee drsquoAchard et celle de Jean Scot Erigegravene Ainsi Achard dit que les formes exemplaires sont

en Dieu per propriam creationem et Erigegravene affirme la mecircme chose agrave propos des ideacutees divines

Achard distingue trois types de formes et Erigegravene divise la nature en quatre types De plus il

remarque la similitude entre les maniegraveres propres agrave ces deux auteurs drsquoeacutetablir la causaliteacute au sein de

la Triniteacute346

Chacirctillon compare aussi la doctrine des trois sortes de causes introduite dans les Sermons

drsquoAchard (les causes judiciaires qui manifeste la justice divine les causes formelles qui manifestent

sa sagesse et les causes finales sa bonteacute) avec la doctrine aristoteacutelicienne des quatre causes

(efficiente finale formelle et mateacuterielle) attribueacutee agrave Platon par lrsquoeacutecole de Chartres347

En outre Chacirctillon est le premier agrave voir le De unitate en tant qursquoune œuvre homogegravene A

savoir il deacuteclare que la theacuteorie de la multiplication des formes proposeacutee dans la deuxiegraveme partie du

343J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Etudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 278 344Ibid р 279-284 345Ibid р 293 346Ibid р 311-2 347Ibid р 287-288

119

traiteacute est une des reacuteponses possibles agrave la question concernant la possibiliteacute de la pluraliteacute en

Dieu poseacutee dans la premiegravere partie du traiteacute348

La comparaison du De unitate avec les Sermons agrave laquelle procegravede Chacirctillon lui permet de

se faire une image entiegravere de la philosophie drsquoAchard Il inscrit eacutegalement Achard dans le cadre du

platonisme et du neacuteoplatonisme en eacutevoquant la ressemblance de sa penseacutee avec celles drsquoAugustin et

de Jean Scot Erigegravene

IV4 Emmanuel Martineau

En achevant les efforts de ces preacutedeacutecesseurs (Andreacute Combes Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny et

Jean Chacirctillon) Martineau porte le titre de premier eacutediteur et traducteur du De unitate Mecircme srsquoil

nrsquoa pas reacuteussi (comme il lrsquoavoue dans son introduction agrave lrsquoeacutedition du De unitate) agrave accomplir son

projet initial (donner laquo une interpreacutetation doctrinale qui pour provisoire qursquoelle fucirct demeureacutee se fucirct

au moins appliqueacutee agrave affronter reacutesolument lrsquoessentiel des enseignements meacutetaphysiques du traiteacute et

en particulier agrave expliquer la totaliteacute des aperccedilus ou si lrsquoon preacutefegravere des preacutesupposeacutes sur lesquels

srsquoappuie son eacutedition princeps349 raquo) dans son eacutedition il propose aussi une preacuteface (laquo La redeacutecouverte

du De unitate raquo) une introduction (laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo) et vingt

eacuteclaircissements concernant la lecture du manuscrit et des sources de la philosophie drsquoAchard (pour

les chapitres qui lui paraissent obscurs)

Lrsquoadmiration de Martineau pour la meacutetaphysique drsquoAchard transparaicirct dans cette eacutedition

Apregraves avoir compareacute les raisonnements de Jean de Ripa avec les thegraveses principales de la

pheacutenomeacutenologie (tireacutees des doctrines de Brentano Husserl et Heidegger ndash dont il a traduit en

franccedilais Sein und Zeit) Martineau deacutefinit laquo la voie royale de la penseacutee meacutedieacutevaleraquo en tant que celle

de la laquo lsquopheacutenomeacutenologiersquo achardo-ripienne raquo350 Pourtant Martineau se retient de manifester cette

interpreacutetation radicale du De unitate de maniegravere trop insistante Il ne lrsquoutilise que deux fois dans ces

notes en choisissant les termes laquo ontique raquo et laquo ontologique raquo afin drsquoexpliquer la penseacutee

drsquoAchard351 Bien que Martineau critique lrsquointerpreacutetation de Combes qui rapproche le De unitate de

la meacutetaphysique du XIVe siegravecle en y retrouvant le fondement aristoteacutelicien et lrsquoinflexion

gnoseacuteologique352 il appreacutecie le fait que Combes ait eacuteteacute le premier agrave voir la grandeur meacutetaphysique

348Ibid p 304 349E MARTINEAU laquo La redeacutecouverte du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 11 350Ibid p 24 351ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 45 p 117 note 2 I 48 p 129 notes 16 18 et 19 352E MARTINEAU laquo La redeacutecouverte du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 38

120

drsquoAchard de Saint-Victor Finalement Martineau considegravere que si lrsquoon en eacutevacuait le reacutealisme (dans

le sens empirique de Combes) la philosophie du De unitate pourrait ecirctre restreinte au rapport

laquo entre la penseacutee de lrsquoecirctre comme forme uni-plurale crsquoest-agrave-dire comme speacutecificiteacute drsquoune part et

drsquoautre part une probleacutematique de lrsquoecirctre-chose de la chose353 raquo Ainsi pour Martineau lrsquoontologie

constitue une partie significative de lrsquoheacuteritage drsquoAchard

Dans sa preacuteface agrave lrsquoeacutedition du De unitate Martineau demande pourquoi cette œuvre

drsquoAchard a eacuteteacute si vite oublieacutee agrave lrsquoeacutepoque A son avis Achard eacutetait trop laquo intellectualiste raquo Il essaie

drsquoeacutetablir la meacutetaphysique comme laquo science de lrsquoecirctre raquo ce qui nrsquoeacutetait pas demandeacute avant lrsquoarriveacutee de

la haute scolastique du XIIIe siegravecle354 Une autre explication est qursquoun autre victorin qui a eacutecrit un

traiteacute trinitaire Richard eacutetait plutocirct lrsquoadversaire drsquoAchard Selon Martineau dans son De Trinitate

Richard deacuteveloppe une sorte du naturalisme theacuteologique (ce qui veut dire que le point du deacutepart

pour lui est son expeacuterience) opposeacute agrave lrsquointellectualisme du De unitate

Un autre aspect paraicirct significatif agrave Martineau la preacutesence chez Achard des deux chemins

de la penseacutee laquo la meacutetaphysique et la spiritualiteacute 355 raquo Il deacuteveloppe cette ideacutee en preacutecisant que dans

le De unitate Achard oppose laquo la theacuteologie speacuteculative raquo et laquo la spiritualiteacute raquo Finalement

Martineau suppose qursquoAchard nrsquoa pas acheveacute le De unitate car il nrsquoa pas pu concilier ces deux

tendances356

Martineau se penche eacutegalement sur la doctrine des trois sortes de raisons drsquoAchard de Saint-

Victor Les trois sortes de raisons eacuteternelles sont traiteacutees par Martineau du point de vue de leur

correspondance au plan tripartite du De unitate Il note lrsquoorigine aristoteacutelicienne de la division

tripartite de la raison mais il propose eacutegalement une comparaison de la doctrine des trois sortes de

raisons du De unitate et celle des Sermons Il montre que ces deux doctrines sont proches mais non

identiques (les raisons des Sermons sont formelles judiciaires finales) Il conclut que les deux

doctrines ne se reacuteduisent pas agrave la Triniteacute agrave savoir que les trois sortes de raisons ne deacutecrivent pas les

personnes357

Martineau semble inteacuteresseacute en particulier par les raisons deacuteployantes Il les comprend

comme laquo la version achardienne de cause efficiente raquo358 Il consacre un laquo eacuteclaircissement raquo agrave

lrsquoexplication de lrsquoorigine de cette cause chez Augustin et agrave la raison pour laquelle Achard lrsquoappelle

353Ibid p 44 354Ibid p 29 355Ibid p 17 356 E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 56 357 Ibid p 56-61 358 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 39 p 109 note 2

121

νοῦς Dans cet eacuteclaircissement il integravegre aussi lrsquoexplication pheacutenomeacutenologique Ainsi pour

Martineau les raisons deacuteployantes deacutesignent un mode du pro-duire du porter-au- preacutesent359

En ce qui concerne les sources potentielles drsquoAchard Martineau avoue qursquoavant mecircme de

lire le De unitate il eacutetait meacutefiant envers lrsquointerpreacutetation eacuterigeacutenienne de cette œuvre soutenue par

Jean Chacirctillon et Andreacute Combes360

Il est vrai que Martineau preacutesente Achard plutocirct comme le disciple drsquoAugustin Le nombre

drsquoallusion aux œuvres drsquoAugustin qursquoil a trouveacutees dans le De unitate impressionne en effet La plus

grande partie de ses laquo Eacuteclaircissements raquo est consacreacutee agrave la deacutemonstration des parallegraveles textuels

entre Augustin et Achard

Martineau fait aussi reacutefeacuterence agrave drsquoautres auteurs tels que Boegravece Thierry de Chartres

Richard de Saint-Victor Il parle briegravevement le platonisme drsquoAchard lequel agrave son avis est un

laquo platonisme assez authentique [hellip] pour faire voler en eacuteclats le cadre usuel des lsquoplatonismes du

XIIe siegraveclersquo raquo361 Finalement Martineau suppose qursquoAchard a senti que les thegraveses platoniciennes

transmises au le XIIe siegravecle constituaient un eacutecart du vrai platonisme et qursquoil a fait ses propres

deacuteveloppements platoniciens362

La recherche de Martineau nous semble assez originale Il reste agrave imaginer quel reacutesultat il

aurait obtenu srsquoil avait accompli lrsquointerpreacutetation pheacutenomeacutenologique de la penseacutee drsquoAchard

Pourtant crsquoest sa contribution en tant qursquoeacutediteur et historien de la philosophie qui nous importe et

surtout le fait qursquoil ait montreacute les deacutependances drsquoAchard envers Augustin et Boegravece

IV5 Mohammad Ilkhani

Le but de lrsquoouvrage La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor est de laquo faire

une geacuteneacutealogie de la penseacutee achardienne raquo agrave savoir de laquo mettre en eacutevidence lrsquoarriegravere-fond boeacutecien

et preacute-neacuteoplatonicien (notamment la preacutesence du platonisme moyen agrave son eacutepoque) de la penseacutee

drsquoAchard363 raquo Sa meacutethode consiste agrave diviser du De unitate (qui est lrsquoobjet principal de ses

recherches) en parties indeacutependantes et agrave comparer les doctrines qursquoon y trouve avec des œuvres

drsquoautres auteurs (Augustin Boegravece Seacutenegraveque Erigegravene Thierry de Chartres Gilbert de Poitiers etc)

359 E MARTINEAU laquo Eclaircissement III raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 213 360E MARTINEAU laquo Avant-propos raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 9 361Ibid p 7 362E MARTINEAU laquo Eclaircissements XVIIraquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 244 363M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 14

122

La doctrine des trois sortes de raisons a speacutecialement eacuteteacute choisie comme sujet par

Mohammad Ilkhani qui comprend les raisons comme les instruments de la creacuteation du monde selon

Achard de Saint-Victor

Ilkhani deacutecrit de maniegravere deacutetailleacutee la doctrine de la forme premiegravere ou Verbe et les trois

niveaux des formes Il deacutecrit aussi tout ce qui relegraveve des formes agrave savoir les jugements (les

eacutenonceacutes) vrais agrave propos de Dieu et des creacuteatures les intellections les universaux les nombres

Ilkhani estime qursquoAchard est un ultra-reacutealiste364 Il ne voit pas drsquoincoheacuterence dans sa doctrine des

universaux Il propose aussi une classification des distinctions principales des formes selon Achard

de Saint-Victor Il les divise selon les distinctions ontologiques et ontiques365 Les premiegraveres sont

tireacutees du chapitre II 13 Il srsquoagit de la forma prima secunda et tertia Les deuxiegravemes sont celles du

chapitre I 45 ndash la forme substantielle accidentelle geacuteneacuterique et speacutecifique366

Les raisons causales sont les laquo pourquoi raquo de la creacuteation Elles montrent que toutes les

œuvres ont Dieu comme premiegravere cause et que les jugements agrave propos de lrsquoutiliteacute des creacuteatures sont

faits agrave partir de leurs causes eacuteternelles et non agrave partir des œuvres temporelles367

En ce qui concerne les raisons deacuteployantes elles servent agrave laquo reacutesoudre le problegraveme de la

creacuteation simultaneacutee de toutes choses et de la creacuteation progressive des choses dans le temps raquo368

Pour Ilkhani ces raisons sont proches des raisons seacuteminales drsquoAugustin369 laquo Les choses se reacutealisent

par les raisons deacuteployantes au moment voulu dans lrsquohistoire du monde370 raquo

Ilkhani voit la contribution principale drsquoAugustin dans lrsquoorientation de la philosophie

drsquoAchard de Saint-Victor

laquo Si on considegravere la philosophie de lrsquoecirctre selon Augustin comme une philosophie de

lrsquoessence la philosophie de lrsquoAchard de Saint-Victor nrsquoest pas seulement une philosophie de

lrsquoessence mais elle est aussi une philosophie de la substance ou si lrsquoon preacutefegravere elle est drsquoun

autre point de vue une philosophie de la triade de lrsquoessence de la forme et de la

substance371 raquo

Les notions principales de la philosophie drsquoAchard de Saint-Victor sont selon Ilkhani celles

de lrsquoessence et de la substance Elles deacutesignent respectivement lrsquoecirctre de la chose et son existence en 364 Ibid p 274 365 Il est fort probable qursquoIlkhani a suivi Emmanuel Martineau qui a introduit les termes laquo ontique raquo et laquo ontologique raquo pour deacutecrire la diffeacuterence entre les identiteacutes numeacuteriques des choses ici et lagrave-bas Voir ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 48 p 129 note 16 366 M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 169 367Ibid p 228-239 368 Ibid p 290 369 Ibid p 298 370 Ibid p 195 Voir aussi p 366 371Ibid p 181

123

tant que telle (lrsquoeacutequivalent de quod est de Seacutenegraveque et de Boegravece)372 Ilkhani va jusqursquoagrave

lrsquoidentification de la triade essence forme substance avec les trois sortes de raisons (finales

formelles deacuteployantes) et trois personnes de la Triniteacute (le Pegravere le Fils le Saint-Esprit) et mecircme agrave

son rapprochement avec la theacuteorie de la providence et du destin qursquoil trouve dans le Commentaire

du Timeacutee de Calcidius et dans le De consolatione philosophia de Boegravece373

Il est vrai qursquoIlkhani accorde beaucoup drsquoattention aux sources de la philosophie drsquoAchard

de Saint-Victor Sa theacuteorie sur ce point est qursquoAchard laquo a entrepris un syncreacutetisme audacieux ougrave on

peut trouver des notions boeacuteciennes augustiniennes des thegraveses de Calcidius et de JS Erigegravene des

donneacutees provenant de penseurs majeurs de lrsquoeacutecole de Chartres voir mecircme de penseurs paiumlens

comme Platon et Seacutenegraveque et bien drsquoautres374raquo

En ce qui concerne Boegravece Ilkhani trouve les traces de sa philosophie dans le De unitate

Notamment il croit que dans les chapitres I 7-11 Achard utilise la cateacutegorie du lieu et la notion de

diffeacuterence en tant qursquoalteacuteriteacute Drsquoapregraves lui ces deux notions ont eacuteteacute emprunteacutees agrave lrsquoIsagoge de

Boegravece bien qursquoelles aient pu ecirctre revues et corrigeacutees par rapport aux fameux commentateurs de

Boegravece Thierry de Chartres et Gilbert de Poitiers 375

Un autre acteur de la construction historique de la penseacutee drsquoAchard est le platonisme

Ilkhani soutient lrsquoideacutee de la preacutesence chez Achard du meacutedioplatonisme En particulier selon Ilkhani

la doctrine achardienne de pluraliteacute des raisons eacuteternelles vient de la doctrine platonicienne du

Logos376 De plus les autres traits caracteacuteristiques du meacutedioplatonisme sont repeacuterables agrave savoir la

preacutesence des ideacutees increacuteeacutees (au sens mateacuteriel) en Dieu mecircme et la premiegravere creacuteation des choses qui

se fait dans ces ideacutees consubstantielles agrave Dieu377

Une autre contribution importante drsquoIlkhani aux eacutetudes sur Achard est la description de sa

doctrine de la creacuteation Celle-ci se caracteacuterise notamment par lrsquoexistence de deux niveaux de

creacuteation

laquo Cette creacuteation profuse se fait sur deux niveaux la creacuteation eacuteternelle et la reacutealisation

temporelle La creacuteation eacuteternelle est faite en Dieu mecircme mais dans une autre substance

crsquoest-agrave-dire dans la substance creacuteeacutee [] Le deuxiegraveme niveau de la creacuteation est la reacutealisation

temporelle de la creacuteation eacuteternelle crsquoest le deacuteploiement (explicatio) des creacuteatures dans le

temps378 raquo

372Ibid p 365 373Ibid p 371 374Ibid p 357 375Ibid p 72-73 et 358 376Ibid p 362-3 377Ibid p 342 378Ibid p 195

124

Il existe donc une creacuteation intellectuelle eacuteternelle des formes dans lrsquoIntellect de Dieu et leur

reacutealisation temporelle dans le monde

Dans ce contexte Ilkhani compare la doctrine de la creacuteation drsquoAchard agrave celle drsquoErigegravene La

diffeacuterence consiste dans le fait que les ideacutees divines drsquoErigegravene eacutetant creacuteeacutees dans le Verbe ont une

essence supeacuterieure agrave celle des creacuteatures tandis que les formes eacuteternelles drsquoAchard ont la mecircme

substance creacuteeacutee379

Le travail drsquoIlkhani est lrsquoenquecircte la plus complegravete sur le De unitate jusqursquoagrave aujourdrsquohui Il

suit le chemin de ses preacutedeacutecesseurs en traccedilant les parallegraveles entre Achard de Saint-Victor et ses

contemporains (Thierry de Chartres Gilbert de de Poitiers etc) Il deacutemontre eacutegalement la

continuiteacute du meacutedioplatonisme dans le De unitate Pourtant son sujet de recherche est la doctrine

de la creacuteation drsquoAchard et il accomplit sa tacircche en repeacuterant dans le De unitate la seacutequence de la

double creacuteation Il aborde eacutegalement la doctrine trinitaire drsquoAchard de Saint-Victor en eacutevoquant les

distinctions les plus profondes de la philosophie drsquoAchard la triade de lrsquoessence de la forme et de

la substance

IV6 Dominique Poirel

Lrsquoarticle de Dominique Poirel aide agrave faire une mise au point essentielle sur la figure

drsquoAchard Dans son exposeacute lrsquoauteur preacutecise les deacutetails de la vie des œuvres et de la penseacutee

drsquoAchard de Saint-Victor Il eacutetablit aussi la liste des questions auxquelles il est difficile de reacutepondre

agrave partir du manuscrit de Padoue

laquoQuel est le titre veacuteritable de lrsquoouvrage Qui est lrsquoauteur de sa division actuelle en chapitres

Quel rocircle Jean de Ripa a-t-il joueacute dans sa tradition directe Quel creacutedit peut-on accorder

au teacutemoin unique tardif et souvent fautif qui nous lrsquoa transmis Jusqursquoagrave quel point est-il

loisible drsquoen restaurer le texte et de quelle faccedilon 380 raquo

Poirel rejoint lrsquohypothegravese de Martineau concernant lrsquoinachegravevement initial du De unitate

Selon lui Achard eacutetait laquo tirailleacute entre deux fins lrsquoune theacuteologique lrsquoautre meacutetaphysique raquo dont la

premiegravere eacutetait exprimeacutee en sujet trinitaire et la deuxiegraveme en probleacutematique de lrsquouniteacute et la pluraliteacute

introduisant le dessin neacuteoplatonicien Ce problegraveme neacuteoplatonicien touche les deux œuvres

drsquoAchard le De unitate et le De discretione

379Ibid p 346 380 D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p 510

125

En ce qui concerne les origines de la penseacutee drsquoAchard Poirel le traite en tant que penseur

victorin Il retrouve dans le De unitate les sujets abordeacutes par Hugues de Saint-Victor comme ceux

de lrsquoun et du multiple de la theacuteologie trinitaire et de la doctrine des causes primordiales En outre il

parle eacutegalement de lrsquoopposition hicibi et laquo un prolongement de la theacuteorie hugonienne des

appropriations trinitaires ailleurs bien preacutesente chez Achard selon laquelle la puissance convient

davantage au Pegravere (raisons deacuteployantes) la sagesse au Fils (raisons formelles) et la bonteacute ou la

volonteacute divine (raisons finales) au Saint-Esprit381 raquo

En mecircme temps Poirel remarque que lrsquoinfluence du pseudo-Denys lAreacuteopagite est plus

faible chez Achard que chez ses confregraveres victorins et que les traces de lrsquoenseignement de Thierry

de Chartres et de Gilbert de Poitiers sont plus preacutesentes Il explique cela par le fait qursquoAchard nrsquoa

probablement pas eacuteteacute lrsquoeacutelegraveve direct drsquoHugues de Saint-Victor mais a eu des contacts avec drsquoautres

maicirctres de lrsquoeacutepoque

IV7 David Albertson

David Albertson deacutefinit la place de la doctrine trinitaire drsquoAchard de Saint-Victor parmi ses

contemporains Il pense que crsquoest Thierry de Chartres qui a modifieacute le premier la formule Unitas-

Aequalitas-Concodia drsquoAugustin en Unitas-Aequalitas-Connexio Cela lui a permis drsquoexpliquer

chaque personne de la Triniteacute seacutepareacutement et la Triniteacute ensemble Albertson appelle cette

interpreacutetation la laquo lecture forte raquo contrairement agrave la lecture faible quand les trois proprieacuteteacutes

deacutefinissent une substance divine Lrsquoautre interpreacutetation forte de la Triniteacute en tant que puissance

sagesse et bonteacute a deacutejagrave eacuteteacute condamneacutee dans le cas drsquoAbeacutelard Ainsi Thierry et ses eacutetudiants ont

proposeacute la lecture forte de la Triniteacute Albertson pense qursquoAchard deacuteveloppe la doctrine proposeacutee par

Thierry382

IV8 Colloque agrave Caen

Gilles Olivo professeur agrave lrsquouniversiteacute de Caen et Pasquale Porro professeur agrave lrsquouniversiteacute

de Paris IV ndash Sorbonne ont organiseacute un colloque agrave lrsquooccasion de la reacuteeacutedition du De unitate ltDeigt et

pluralitate creaturarum drsquoAchard de Saint-Victor Le colloque a eu lieu les 9 et 10 avril 2015 agrave

Avranches et agrave Caen Le 9 avril les participants ont visiteacute le Fonds ancien de la

Bibliothegraveque municipale drsquoAvranches et lrsquoabbaye de la Lucerne (lrsquoancien siegravege eacutepiscopal

drsquoAchard) Ce jour-mecircme Veacuteronique Gazeau (UCBN-CRAHAM) a donneacute la confeacuterence 381 Ibid 382 D ALBERTSON laquo Achard of St Victor (d 1171) and the Eclipse of the Arithmetic Model of the Trinity raquo Traditio t 67 2012 p 101-144

126

inaugurale agrave la Mairie drsquoAvranches laquo Autour drsquoAchard de Saint-Victor Culture et socieacuteteacute dans

lrsquoOuest de la Normandie raquo Emmanuel Martineau a fait la premiegravere intervention du colloque laquo Un

cas de platonisme authentique au XIIe siegravecle le De unitate Dei drsquoAchard de Saint-Victor raquo dans la

salle du reacutefectoire de lrsquoabbaye de la Lucerne

Le 10 avril le colloque a continueacute agrave lrsquouniversiteacute de Caen Les interventions suivantes ont eu

lieu

- Dominique POIREL (CNRS) laquo Achard de Saint-Victor eacutecrivain ou le De unitate est-il

acheveacute raquo

- Nicole REIBE (Boston College) laquo The Homo Assumptus position revisited Achard of St

Victorrsquos Christology in light of De Unitate raquo

- Hugh FEISS (Idaho EU) laquo Achard of St Victor Toward a Triune Metaphysics raquo

- Franccedilois MEDRIANE (Professeur de Premiegravere supeacuterieure Douai) laquo Augustin et Achard

Lrsquouni-triniteacute eacutecarts deacuteplacements effets de sens raquo

- Luisa VALENTE (La Sapienza Roma I) laquo Essentia et formes des choses creacuteeacutees chez Achard

de Saint-Victor et Gilbert de Poitiers raquo

- Caterina TARLAZZI (Universiteacute de Cambridge) laquo Genres et espegraveces dans le De unitate

drsquoAchard de Saint-Victor raquo

- Jean-Louis POIRIER (Paris) laquo Lrsquoadverbe Ibi dans le De unitate drsquoAchard de Saint-Victorraquo

- Iryna LYSTOPAD (EPHE et NaUKMA) laquoLe De unitate drsquoAchard de Saint-Victor et

lrsquoheacuteritage de lrsquoAntiquiteacute tardive raquo

- Francesco SIRI (CNRS) laquo La Bible comme source de la philosophie drsquoAchard raquo

De cette faccedilon plusieurs speacutecialistes meacutedieacutevistes ainsi que modernistes se sont reacuteunis pour

contribuer agrave lrsquoeacutetude du De unitate Ce colloque a permis drsquoeacutevaluer la signification de cette œuvre

pour la philosophie du XIIe siegravecle

Pendant ce colloque nous avons eu la possibiliteacute drsquoeacutecouter les participants drsquoeacutechanger avec

eux et de preacutesenter les reacutesultats de notre travail Cet eacutechange nous a guideacute lors drsquoune analyse des

certains points difficiles du De unitate Nous allons eacuteventuellement nous reacutefeacuterer aux thegraveses que jrsquoai

retenues de ce colloque

Nous tenons compte dans notre recherche de tous les travaux preacutesenteacutes bien que comme

Hugh Feiss lrsquoa remarqueacute toutes les tentations drsquoanalyse du De unitate avant que son eacutedition critique

ait eacuteteacute faite soient plutocirct obsolegravetes383 Les sujets principaux du De unitate ont eacuteteacute abondamment

383 H FEISS laquo Introduction raquo dans Achard of Saint Victor Works trans H FEISS Kalamazoo 2001 p 55

127

abordeacutes par les chercheurs Il srsquoagit notamment de la doctrine trinitaire (drsquoAlverny Ilkhani Poirel

et Albertson) de la doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles (Chacirctillon Martineau Ilkhani et

Poirel) et la doctrine de la creacuteation (Ilkhani) Il est eacutegalement possible de repeacuterer quelques

tendances geacuteneacuterales Presque tous les chercheurs remarquent la direction platonicienne de la penseacutee

drsquoAchard de Saint-Victor Son platonisme provient des sources communes du XIIe siegravecle (Seacutenegraveque

Augustin Boegravece) La hieacuterarchie de la forme premiegravere et de la forme creacuteeacutee a eacuteteacute deacutecrite comme

lrsquoheacuteritiegravere de la doctrine platonicienne du Logos incarneacute

DrsquoAlverny Martineau Ilkhani et Albertson comparent Achard avec ses contemporains

(eacutecole de Chartres Gilbert de de Poitiers etc) La ressemblance de la penseacutee drsquoAchard avec celle

de son eacutecole par contre a fait lrsquoobjet de peu de recherches (crsquoest Jean Ribaillier ndash speacutecialiste de

Richard de Saint-Victor ndash qui srsquoest pencheacute sur les points communs entre le De Trinitate de

Richard384 et le De unitate drsquoAchard et Dominique Poirel qui compare Achard avec Hugues)

Tous les sujets deacutecrits seront abordeacutes dans notre recherche En particulier nous trouvons

neacutecessaire drsquoapprofondir les sujets qui nrsquoeacutetaient pas assez bien eacutetudieacutes la doctrine trinitaire et la

question de lrsquoidentiteacute des ecirctres intelligibles et sensibles Bien que les racines de la penseacutee drsquoAchard

soient assez bien eacutetudieacutees nous trouvons neacutecessaire de remplir la lacune en faisant plus drsquoattention

au berceau intellectuel drsquoAchard ndash lrsquoeacutecole de Saint-Victor

384J RIBAILLIER laquo Introduction raquo dans RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate eacuted J RIBAILLIER Paris 1958 p 14-15

128

Conclusion

Lrsquoeacutetude de la vie drsquoAchard montre que sa carriegravere drsquo laquo homme drsquoeacuteglise raquo a pris le pas sur

celle de maicirctre Cela explique partiellement pourquoi son œuvre meacutetaphysique est resteacutee dans

lrsquooubli pendant longtemps Deux hypothegraveses ont eacuteteacute faites pour expliquer lrsquoeacutetat preacutesent du texte du

De unitate

- lrsquoœuvre est un brouillon incomplet

- le texte eacutetait partiellement perdu meacutelangeacute et alteacutereacute lors de sa transmission

Les incoheacuterences suivantes peuvent teacutemoigner en faveur de chacune de ces deux hypothegraveses

- le texte nrsquoa pas drsquointroduction ni de conclusion

- le plan qui correspond agrave une partie de lrsquoœuvre (I 1-36) se trouve au milieu de cette partie (en

I 12)

- le sujet drsquoenquecircte change brusquement au milieu du traiteacute I

- le deacuteveloppement annonceacute en I 42 nrsquoest pas termineacute

- lrsquoauteur a fait la tentative de redeacutefinir la doctrine centrale (celle des raisons eacuteternelles) vers la

fin de lrsquoœuvre (II 19-20)

- il finit par eacutecarter le sujet de recherche dans le dernier chapitre

- le deacutecoupage en chapitres peut ecirctre ameacutelioreacute pour donner plus de clarteacute au texte

Malgreacute la mauvaise qualiteacute du texte fourni par Padova 89 (nous avons eacutetabli que le copiste

ne fait pas la diffeacuterence dans lrsquoabreacuteviation des notions centrales de lrsquoœuvre telles que par exemple

la veritas et lrsquounitas) la qualiteacute de lrsquoeacutedition de Martineau est satisfaisante Nous nrsquoavons repeacutereacute que

quelques cas ougrave des lectures alternatives soient possibles Neacuteanmoins la traduction franccedilaise peut

ecirctre ameacutelioreacutee pour rendre le texte plus clair Nous allons y faire attention

Il a eacuteteacute facile drsquoeacutetablir le scheacutema platonicien du De unitate Lrsquouniteacute est preacutesente en Dieu et

dans les creacuteatures les personnes proviennent lrsquoune agrave partir de lrsquoautre comme des eacutemanations de

lrsquouniteacute premiegravere les raisons se multiplient dans le Verbe il existe une hieacuterarchie des formes Les

chercheurs qui ont deacutejagrave eacutetudieacute le De unitate sont drsquoaccord que cette œuvre a un arriegravere-plan

platonicien En mecircme temps certains croient que le De unitate deacutepasse le platonisme classique la

pluraliteacute est preacutesente dans le principe premier les choses permettent drsquoapprendre agrave propos des

formes Cela nous megravene agrave eacutetudier de faccedilon plus preacutecise lrsquoheacuteritage platonicien qui eacutetait agrave la

disposition de lrsquoeacutecole de Saint-Victor afin de deacutecrire les principales doctrines de lrsquoeacutepoque inspireacutees

par des philosophes platoniciens

129

Deuxiegraveme partie

Les voies de la multiplication en Dieu

130

Introduction

Le discours chreacutetien agrave propos de Dieu se lie facilement agrave la question de multiplication

Le Dieu chreacutetien est la Triniteacute il est un selon la substance et en mecircme temps multiple selon

les personnes La question de savoir comment cela est possible a eacuteteacute discuteacutee par des penseurs

diffeacuterents depuis les premiers siegravecles du christianisme Achard y reacutepond en deacutefinissant la Triniteacute en

tant qursquoUniteacute Ce qui lui est Egal et Egaliteacute De cette faccedilon il propose le moyen tregraves preacutecis de

deacutecrire la pluraliteacute en Dieu Cette approche est unique et en mecircme temps il incorpore plusieurs

eacuteleacutements de doctrines qui ont eacuteteacute exposeacutees auparavant Nous allons les eacutetudier dans le chapitre V

En outre la doctrine trinitaire drsquoAchard diffegravere des autres car non seulement il deacutemontre que

Dieu peut avoir trois personnes mais il explique pourquoi elles ne sont que trois Cette question est

lieacutee au sujet de la procession ad intra (quand lrsquoune personne provient agrave partir de lrsquoautre) et ad extra

(le fait que le monde provient agrave partir de Dieu) de la Triniteacute Elle va ecirctre eacutetudieacutee dans le chapitre VI

Et enfin le Dieu chreacutetien est lieacute au monde agrave travers son Fils ndash le Verbe qui srsquoest incarneacute Le

Dieu chreacutetien ne peut pas srsquoeacutepancher directement dans le monde Par contre son Verbe contient les

prototypes eacuteternels des creacuteatures Par conseacutequent le Dieu unique contient dans son Verbe les

formes multiples Lrsquoorigine et le deacuteveloppement de cette doctrine seront le sujet du chapitre VII

Dans lrsquointroduction de la thegravese nous avons montreacute comment ces questions chreacutetiennes sont

lieacutees au platonisme Dans cette partie nous allons eacutetudier comment ces sujets platoniciens ont pu

arriver jusqursquoau XIIe siegravecle

131

CHAPITRE V

Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu

Dans la conclusion du chapitre III nous avons deacutefini une seacuterie de questions qui peuvent ecirctre

poseacutees au sujet du De unitate Les questions pertinentes pour cette partie de notre recherche sont

- Est-ce que la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute qui se multiplie en descendant du haut vers le bas

comme dans les systegravemes neacuteoplatoniciens 385

- Est-ce qursquoAchard affirme lrsquoexistence de niveaux meacutetaphysiques qualitativement diffeacuterents

(le haut et le bas) dont le plus haut est le meilleur

- Comment la multipliciteacute est-elle possible en Dieu (dans la Triniteacute)

Nous allons eacutetudier les penseurs tardo-antiques et victorins dans la mesure ougrave ils fournissent les

eacuteleacutements qui aideront Achard agrave reacutepondre agrave ces questions

V1 Les sources de la doctrine trinitaire du De unitate

Achard deacutefinit la Triniteacute en tant qursquoUniteacute Egal et lrsquoEgaliteacute Dans ce chapitre nous allons

eacutetudier lrsquoorigine de cette deacutefinition

La principale question trinitaire est comment ces trois personnes peuvent-elles ecirctre une

substance divine Pour reacutepondre agrave cette question Achard emploie les notions drsquouniteacute de

participation et drsquoexistence Ces notions ont eacuteteacute largement utiliseacutees dans la philosophie

neacuteoplatonicienne grecque Dans ce chapitre nous allons rechercher lrsquoorigine latine de ces notions

chez Augustin Boegravece et Erigegravene

V11 Augustin en tant que source du discours trinitaire du XIIe siegravecle

Lrsquoinfluence drsquoAugustin sur les penseurs du XIIe siegravecle est particuliegraverement visible dans le

domaine de la theacuteologie trinitaire Ses œuvres sont agrave lrsquoorigine des explications suivantes de la

Triniteacute

- analogie psychologique (Augustin De Trinitate) ndash les vestiges et les images de la Triniteacute

sont dans le monde (amans amatus amor VIII X 14 res visio intentio XI II 2 etc) et surtout

385 Voir P REMES Neoplatonisme Los Angeles 2008 p 7

132

dans la personne humaine (mens notitia amor IX IV 4 memoria scientia voluntas XII XV

25)386

- matheacutematique (Augustin De doctrina christiana I V) ndash laquo Dans le Pegravere est lrsquouniteacute dans le

Fils lrsquoEgaliteacute dans le Saint-Esprit lrsquoharmonie entre lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute Et ces trois sont tous un agrave

cause du Pegravere tous eacutegaux agrave cause du Fils tous eacutetroitement lieacutes agrave cause du Saint-Esprit387 raquo Thierry

de Chartres le partisan principal de cette solution lrsquoappelle laquo matheacutematique raquo (Lectiones in Boethii

librum De Trinitate VII 5 Glosa super Boecii librum De Trinitate V 17 388 Commentum super

Arithmeticam Boethii I XXXII389)

- logique (Augustin De Trinitate V IV 5-V 6 et VIII 9) ndash il est possible drsquoaffirmer la

pluraliteacute des trois personnes gracircce agrave lrsquoapplication de la cateacutegorie de la relation (ad aliud ou

relativum) agrave Dieu Dans son analyse de la praedicatio in divinis chez Augustin Alain de Libera

conclut qursquoil existe deux sortes de preacutedication chez Augustin ad se et ad aliud La cateacutegorie de

relation est la seule cateacutegorie qui est preacutediqueacutee ad aliud ndash drsquoun autre objet390 Le Fils est dit laquo Fils raquo

par rapport au Pegravere et vice versa391 et le Saint-Esprit est dit laquo Saint-Esprit raquo relativement au Fils et

au Pegravere392 Ces trois personnes partagent pourtant la mecircme substance Ainsi la relation existe entre

les personnes comme entre trois objets distincts mais elle concerne Dieu unique Le deacutefaut de cette

solution est qursquoelle explique comment les personnes sont unes et multiples en mecircme temps mais

elle nrsquoexplique pas pourquoi elles sont trois

386 Cf P AGAEumlSSE J MOINGT laquo Notes compleacutementaires 13 Les images de la Triniteacute raquo dans AUGUSTIN La Triniteacute (livre VIII-XV) t II Les images trad et notes P AGAEumlSSE et J MOINGT Paris 1955 (BA t 16) p 586-588 Voir eacutegalement dans CHR TROTTMANN laquo La triniteacute et la sagesse contemplation philosophique et gueacuterison mystique raquo dans Quaestio t 6 Augustin et la tradition augustinienne 2006 p 39-41 387laquo In Patre unitas in Filio aequalitas in Spiritu sancto unitatis aequalitatis que concordia et tria haec unum omnia propter Patrem aequalia omnia propter Filium conexa omnia propter Spiritum sanctum raquo AUGUSTIN De doctrina christiana I V 5 eacuted J MARTIN introd et trad drsquoI BOCHET et G MADEC Paris 1997 p 82-83 (BA t 112) Cette doctrine resseble agrave celle de Plotin qui distingue laquo celui qui pense raquo et laquo celui qui est penseacute raquo agrave lrsquointeacuterieur du principe premiegravere (En V 617-9) E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 112 David Albertson signale que cette triade peut provenir de la doctrine drsquoun penseur pythagoricien Moderatus de Gadegraves Elle est transmise par Porphyre dans la Vita Pythagorae 49 Voir D ALBERTSON laquo Achard of St Victor (d 1171) and the Eclipse of the Arithmetic Model of the Trinity raquo Traditio t 67 2012 p 101 388 Voir lrsquoeacutedition THIERRY DE CHARTRES The Commentaries on Boethius by Thierry of Chartres and his school ed N M HAumlRING Toronto 1971 (Studies and Texts 20) p 224 et 297 389 THIERRY DE CHARTRES The Commentaries on the De Arithmetica of Boethius ed I CAIAZZO Toronto 2015 (Studies and Texts 191) p 146-147 lignes 1220-1241 Cf I CAIAZZO laquo Introduction Unitas and Aequalitas raquo ibid p 50-57 390 A DE LIBERA laquo Lrsquoonto-theacuteo-logique de Boegravece Doctrine des cateacutegories et theacuteorie de la preacutedication dans le De Trinitate raquo dans Les Cateacutegories et leur histoire Paris 2005 p 194 391 laquo Sed quia et pater non dicitur pater nisi ex eo quod est ei filius et filius non dicitur nisi ex eo quod habet patrem non secundum substantiam haec dicuntur quia non quisque eorum ad se ipsum sed ad inuicem atque ad alterutrum ista dicuntur neque secundum accidens quia et quod dicitur pater et quod dicitur filius aeternum atque incommutabile est eis Quamobrem quamuis diuersum sit patrem esse et filium esse non est tamen diuersa substantia quia hoc non secundum substantiam dicuntur sed secundum relatiuum quod tamen relatiuum non est accidens quia non est mutabile raquo AUGUSTIN De Trinitate V V 6 eacuted MOUNTAIN GLORIE Turnhout 1968 (CCSL L-LA) p 210-211 392 laquo Sed tamen ille spiritus sanctus qui non trinitas sed in trinitate intellegitur in eo quod proprie dicitur spiritus sanctus relatiue dicitur cum et ad patrem et ad filium refertur quia spiritus sanctus et patris et filii spiritus est raquo AUGUSTIN De Trinitate V XI 12 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 219 Cf P THOM The Logic of the Trinity Augustine to Ockham New York 2012 p 38-39

133

Au XIIe siegravecle une partie de la doctrine de lrsquoanalogie lrsquoexplication des personnes en tant

qursquoamans amatus amor a eacuteteacute reprise par Richard de Saint-Victor393 Bien que cette doctrine soit

centrale pour Augustin les autres solutions qursquoil deacutecrit briegravevement ont eacutegalement eacuteteacute utiliseacutees

En outre la doctrine de lrsquoanalogie drsquoAugustin inspire la doctrine appeleacutee laquo appropriations

trinitaires raquo Cette doctrine a eacuteteacute deacuteveloppeacutee par Hugues de Saint-Victor et par Abeacutelard La triade

potentia sapientia et benignitas deacutesigne chez Abeacutelard les trois personnes Chacun de ces noms se

rapporte agrave la Triniteacute entiegravere et en mecircme temps elles expriment une personne concregravete394 Chez

Hugues la triade sort du cadre de la theacuteologie trinitaire Elle explique eacutegalement la structure de

lrsquoacircme humaine et de la creacuteature entiegravere395

Lrsquoexplication arithmeacutetique domine dans les commentaires sur les Traiteacutes theacuteologiques de

Boegravece attribueacutees agrave Thierry de Chartres396 En suivant Augustin il nomme les trois personnes

lrsquoUniteacute lrsquoEgaliteacute et la Connexion et explique leur procession en utilisant les termes du De

arithmetica de Boegravece Cette formule dans le contexte matheacutematique a eacuteteacute employeacutee aussi par

lrsquoeacutetudiant de Thierry Clarembaud drsquoArras397 puis par Alain de Lille398

Lrsquoexplication logique a eacuteteacute reprise par Boegravece (De Trinitate V) De cette maniegravere elle est

conserveacutee au XIIe siegravecle dans les nombreux commentaires sur les Traiteacutes theacuteologiques de Boegravece

parmi lesquels ceux de Thierry de Chartres et de Gilbert de Poitiers Mecircme si lrsquoexplication logique

nrsquoeacutetait pas le plus utiliseacutee agrave lrsquoeacutepoque elle eacutetait connue

393 P GEMEINHARDT laquo Logic Tradition and Eucumenics Latin Developments of Trinitarian Theology between c 1075 and c 1160 raquo dans Trinitarian theology in the Medieval West ed P KAumlRKKAumlINEN Helsink 2007 p 49-51 394Cf D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 283-314 G ALLEGRO laquo Lrsquoanalogia nei trattati trinitari di Pietro Abelardo raquo dans Knowledge and the Sciences in Medieval Philosophy ed S KNUUTTILA R TYOumlRINOJA S EBBESEN t III Helsinki 1990 p 317-324 M PERKAMS laquo The Trinity and the Human Mind Analogies in Augustine and Peter Abelard raquo dans Intellect et imagination dans la philosophie meacutedieacutevale actes du XIe Congregraves international de philosophie meacutedieacutevale de la Socieacuteteacute internationale pour lrsquoeacutetude de la philosophie meacutedieacutevale SIEPM Porto du 26 au 31 aoucirct 2002 eacuted J MEIRINHOS et M C PACHECO Turnhout 2006 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale XI) 907-911 395 Cf D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 215-343 396 ED JEAUNEAU laquo Matheacutematique et Triniteacute chez Thierry de Chartresraquo dans laquo Lectio philosophorum raquo Recherches sur lrsquoEcole de Chartres Amsterdam 1973 p 93-99 397 CLAREMBAUD DrsquoARRAS Tractatus super librum Boetii De Trinitate eacuted N M HARING Life and works of Clarembald of Arras a twelfth-century master of the School of Chartres Toronto 1965 (Studies and Texts 10) p 120-2 398 CHR TROTTMANN laquo Unitas Aequalitas Connexio Alain de Lille dans la tradition des analogies trinitaires arithmeacutetiques raquo dans Alain de Lille le docteur universel philosophie theacuteologie et litteacuterature au XIIe siegravecle actes du XIIe Colloque international de la Socieacuteteacute internationale pour lrsquoeacutetude de la philosophie meacutedieacutevale Paris 23-25 octobre 2003 eacuted J-L SOLERE A VASILU et AGALONNIER Turnhout 2005 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale XII) p 401-427

134

V12 Lrsquouniteacute et la participation chez Augustin

Dans le neacuteoplatonisme le principe premier lrsquoUn permet agrave tout ce qui existe drsquoecirctre uni399

De cette maniegravere ce principe premier soutient lrsquounivers Ensuite les heacutenades causent directement le

changement dans le monde

Pour Augustin lrsquouniteacute deacutesigne drsquoabord lrsquouniteacute de la substance divine et jamais le principe

supeacuterieur ni la personne seule Augustin deacutecrit la relation entre lrsquouniteacute infeacuterieure (dans le monde) et

supeacuterieure (en Dieu) Voyons le De vera religione (XXXVI 66)400

laquo Les corps nous trompent dans la mesure ougrave ils ne reacutealisent pas pleinement lrsquouniteacute qui on

lrsquoa vu est leur modegravele le principe par quoi tout ecirctre est un Srsquoil nous est naturel de trouver

bien tout ce qui tend agrave lui ressembler crsquoest qursquoil nous est naturel de trouver mal tout ce qui

srsquoeacutecarte de lrsquouniteacute et tend agrave ne plus lui ressembler Degraves lors on comprendra qursquoil existe une

reacutealiteacute tellement semblable agrave cette uniteacute unique principe drsquouniteacute pour tout ce qui est tant soit

peu un qursquoelle lrsquoaccomplit parfaitement tout comme si elle lui eacutetait identique et crsquoest la

Veacuteriteacute le Verbe qui est au commencement le Verbe-Dieu en Dieu [] Tous les autres ecirctres

peuvent ecirctre dit semblables agrave cette uniteacute dans la mesure ougrave ils sont car dans cette mecircme

mesure ils sont vrais401 raquo

Les deux uniteacutes deacutecrites dans ce passage sont lieacutees en tant que modegravele et copie Lrsquouniteacute en

Dieu ressemble parfaitement agrave son Verbe et agrave sa Veacuteriteacute et elle est le prototype de lrsquouniteacute dans les

corps Lrsquouniteacute est comprise en tant que qualiteacute Lrsquouniteacute dans le monde est imparfaite elle imite

lrsquouniteacute parfaite en Dieu agrave travers le principe de similitude La similitude et la dissimilitude existent

399 Chez Plotin E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 132 Proclus ne parle pas de lrsquoUn transcendental mais des heacutenades unis C STEEL laquo Neoplatonic versus Stoic causality the case of the sustaining cause (laquosunektikonraquo) raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 90400 Le passage eacutevoqueacute en tant qursquoune source possible par Martineau (ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 71 note 2 au ch I 1 etc) mais aussi par Stephen Gersh en tant qursquoun lien entre les neacuteoplatonismes grecque et latin (S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 124-125) 400 Le passage eacutevoqueacute en tant qursquoune source possible par Martineau (ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 71 note 2 au ch I 1 etc) mais aussi par Stephen Gersh en tant qursquoun lien entre les neacuteoplatonismes grecque et latin (S GERSH laquo The First Principles of Latin Neoplatonism Augustine Macrobius Boethius raquo dans Vivarium t 50 2012 p 124-125) 401 laquo At si corpora in tantum fallunt in quantum non implent illud unum quod conuincuntur imitari a quo principio unum est quidquid est ad cuius similitudinem quidquid nititur naturaliter approbamus - quia naturaliter improbamus quidquid ab unitate discedit atque in eius dissimilitudinem tendit - datur intellegi esse aliquid quod illius unius solius a quo principio unum est quidquid aliquo modo unum est ita simile sit ut hoc omnino impleat ac sit id ipsum et haec est ueritas et uerbum in principio et uerbum deus apud deum [] Cetera illius unius similia dici possunt in quantum sunt in tantum enim et uera sunt haec autem ipsa eius similitudo et ideo ueritas raquo AUGUSTIN De vera religione XXXVI 66 eacuted KD DAUR Turnhout 1962 (CCSL 32) p 230-231 trad AUGUSTIN La vraie religion dans AUGUSTIN Opuscules trad et notes J PEGON Paris 1951 (BA t 8) p 121

135

entre les corps qui sont bons agrave cause de la premiegravere et mauvais agrave cause de la deuxiegraveme En Dieu

seulement la similitude parfaite existe

Ce passage confirme que chez Augustin lrsquouniteacute est en Dieu et dans le monde agrave travers la

similitude Augustin nrsquoaccepte pas la procession directe de lrsquouniteacute dans le monde agrave partir de

Dieu402 Il situe Dieu au-delagrave des creacuteatures ndash Dieu est immuable et eacuteternel tandis que les creacuteatures

ne le sont pas (De doctrina christiana I VII 7-VIII 8) De cette faccedilon Augustin distingue deux

niveaux dans les ecirctres en Dieu et au-dehors de Dieu

Par conseacutequent Augustin reacutepegravete le postulat du neacuteoplatonisme grec agrave savoir que lrsquoUn est

important pour lrsquoexistence des uniteacutes dans le monde LrsquoUn pour lui est la qualiteacute qui est parfaite et

pleine en Dieu imparfaite et partielle dans les creacuteatures Il est une sorte de cause exemplaire En

eacutetant la qualiteacute lrsquouniteacute soutient les objets uns dans le monde

V13 La preacutedication logique selon Aristote et Boegravece

La preacutedication est une doctrine exposeacutee par Aristote dans les Cateacutegories 1a 20ndash1b8 Le

nom laquo preacutedication raquo est donneacute agrave cette doctrine plus tard par Boegravece Au cours du deacuteveloppement de

la penseacutee logique platonicienne la doctrine de la preacutedication est exposeacutee dans les termes de la

participation En reacutealiteacute ces notions deacutesignent la deacutependance mutuelle des deux entiteacutes La

participation dans le platonisme est la relation ontologique entre deux ecirctres La preacutedication dans

lrsquoaristoteacutelisme est une relation logique entre deux concepts Dans lrsquohistoire de la philosophie

meacutedieacutevale qui contient des eacuteleacutements de lrsquoaristoteacutelisme et du platonisme les deux doctrines se

superposent souvent

La doctrine de preacutedication provient du Commentaire de Boegravece aux Cateacutegories Rappelons la

division exposeacutee dans les Cateacutegories 1a 20ndash1b8

ne pas etre dit drsquoun sujet etre dit drsquoun sujet

ne pas etre dans le sujet substance particuliere

(un homme)

substance universelle

(lrsquohomme)

etre dans le sujet accident particulier

(un blanc)

accident universel

(la blancheur) 403

402 Une telle provenance signifierait lrsquouniteacute ontologique entre le monde et Dieu et megravenerait au pantheacuteisme 403laquo Quocirca tot erunt etiam sermones qui ista significent et haec est maxima diuisio cui ultra nihil possit adiungi paruissima uero est quae fit in quattuor in substantiam et accidens et uniuersale et particulare Omnis enim res aut substantia est aut accidens aut uniuersalis aut particularis raquo BOECE In Categorias Aristotelis Commentaria PL 64 169CD Cf J MARENBON The philosophy of Peter Abelard Cambridge 1997 p 101-103

136

Les substances particuliegraveres (individuelles) sont la base de la meacutetaphysique drsquoAristote Les

autres eacuteleacutements existent en elles (Cateacutegories 2b5-7) La preacutedication est la relation entre le sujet et

le preacutedicat Pour Aristote le sujet a toujours moins drsquoextension que le preacutedicat (soit le sujet est

particulier et le preacutedicat est universel espegravece ou genre soit le sujet est une espegravece et le preacutedicat un

genre)

La preacutedication deacutesigne les deux types de relation intra- et extra-cateacutegorielle La relation

intra-cateacutegorielle ou intrinsegraveque a lieu quand le sujet et le preacutedicat appartiennent agrave la mecircme

cateacutegorie par exemple laquo un certain homme est un homme raquo ou laquo un certain blanc est une

blancheur raquo La relation extra-cateacutegorielle ou extrinsegraveque a lieu quand le sujet et le preacutedicat

appartiennent agrave des cateacutegories diffeacuterentes par exemple laquo un certain homme est blanc raquo ou

laquo lrsquohomme est blanc raquo

Une autre modification apporteacutee par les neacuteoplatoniciens est la possibiliteacute drsquoutiliser lrsquoaccident

universel en tant que sujet404 Cela permet drsquohypostasier le preacutedicat (affirmer que lrsquoaccident

universel est une substance par exemple la blancheur)

V14 La preacutedication logique en Dieu chez Augustin

Voyons drsquoabord comment Augustin utilise la doctrine de la preacutedication (qursquoil srsquoappelle la

participation) Prenons comme exemple des notions qui seront utiliseacutees plus tard par Achard ndash la

blancheur et la sagesse

laquo Crsquoest une absurditeacute de preacutetendre que la blancheur nrsquoest pas blanche Il est aussi absurde de

preacutetendre que la sagesse nrsquoest pas sage La blancheur est blanche de faccedilon absolue

pareillement la sagesse est-elle sage de faccedilon absolue (1) Seulement la blancheur mateacuterielle

nrsquoest pas une essence Crsquoest le corps qui est lrsquoessence tandis que la blancheur en est la

qualiteacute Aussi bien est-ce agrave la blancheur que le corps doit sa qualification de blanc car pour

lui ecirctre ce nrsquoest pas ecirctre blanc [hellip] (2) La sagesse au contraire est sage mais sage par elle-

mecircme et comme toute acircme nrsquoest sage que par participation agrave la sagesse si elle revient agrave ses

folies la sagesse nrsquoen demeure pas moins en soi et lorsque lrsquoacircme change dans le sens de la

sottise la sagesse ne change pas Il nrsquoen va pas pour celui qursquoelle fait sage comme de la

blancheur dans le corps qursquoelle fait blanc Lorsque le corps passe drsquoune couleur agrave une autre

la premiegravere couleur ne demeure pas mais disparaicirct complegravetement405 raquo De Trinitate (VII I

2)

404 A CH LLOYD The anatomy of neoplatonism Oxford 1990 chapitre 3 surtout p 93-95 405 laquo Sicut autem absurdum est dicere candidum non esse candorem sic absurdum est dicere sapientem non esse sapientiam et sicut candor ad se ipsum candidus dicitur ita et sapientia ad se ipsam dicitur sapiens sed candor corporis

137

Dans ce passage Augustin deacutecrit deux cas diffeacuterents de la preacutedication Dans le premier cas

il srsquoagit drsquoune preacutedication extra-cateacutegorielle (laquo le corps est blanc raquo ou laquo le corps est la blancheur raquo)

dans le deuxiegraveme drsquoune preacutedication intra-cateacutegorielle (laquo la blancheur est blanche raquo et laquo la sagesse

est sage raquo)406 Augustin appelle cette sorte de preacutedication laquo participation raquo

Dans le passage suivant Augustin compare la preacutedication des qualiteacutes des choses et des

qualiteacutes de Dieu (De Trinitate V X 11)

laquo Nous ne disons donc pas lsquotrois essencesrsquo De mecircme ne disons-nous pas trois grandeurs

ni lsquotrois grandsrsquo Dans les choses qui sont grandes par participation agrave la grandeur et pour

lesquelles ecirctre grandes nrsquoest pas la mecircme chose par exemple une grande maison une

grande montagne un grand esprit dans ces choses-lagrave la grandeur est une chose et ce que la

grandeur rend grande est une autre chose Une grande maison nrsquoest eacutevidemment pas la

grandeur Mais celle-lagrave est la vraie grandeur qui non seulement rend grande une maison qui

est grande grande une montagne qui et grande mais aussi qui donne de la grandeur agrave tout ce

qui est grand en sorte que la grandeur soit une chose et autre chose ce qui lui doit le

qualificatif de grande Cette grandeur-lagrave est grande ordinairement et supeacuterieure de loin agrave ce

qui nrsquoest grand que participativement agrave elle

Dieu nrsquoest pas grand drsquoune grandeur qui soit autre chose que lui-mecircme comme si Dieu y

participait pour ecirctre grand Autrement cette grandeur serait plus grande que Dieu Or il nrsquoy a

rien de plus grand que Dieu Par conseacutequent Dieu est grand drsquoune grandeur qui fait de lui la

grandeur mecircme Ainsi comme nous ne disons pas lsquotrois essencesrsquo non plus lsquotrois

grandeursrsquo car pour Dieu ecirctre crsquoest ecirctre grand Pour la mecircme raison nous ne parlons pas de

lsquotrois grandsrsquo mais lsquodrsquoun seul grandrsquo puisque Dieu nrsquoest pas grand par participation agrave la

grandeur mais il est grand en eacutetant lui-mecircme grand eacutetant lui-mecircme la grandeur407 raquo

non est essentia quoniam ipsum corpus essentia est et illa eius qualitas unde et ab ea dicitur candidum corpus cui non hoc est esse quod candidum esse [hellip] sapientia uero et sapiens est et se ipsa sapiens est et quoniam quaecumque anima participatione sapientiae fit sapiens si rursus desipiat manet tamen in se sapientia nec cum fuerit anima in stultitiam commutata illa mutatur non ita est in eo qui ex ea fit sapiens quemadmodum candor in corpore quod ex illo candidum est cum enim corpus in alium colorem fuerit commutatum non manebit candor ille atque omnino esse desinetraquo AUGUSTIN De Trinitate VII I 2 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 248 trad AUGUSTIN La Triniteacute (livre I-VII) t I Le mystegravere trad et notes M MELLET TH CAMELOT Paris 1955 (BA t 15) p 513 406 Une analyse des types de preacutedication dans le De Trinitate drsquoAugustin a eacuteteacute deacutejagrave faite par Peter King Il distingue la preacutedication substantielle (laquo Socrate est homme raquo ce que nous appelons la preacutedication intra-cateacutegorielle agrave lrsquointeacuterieur de la cateacutegorie de la substance) et accidentelle (laquo Socrate est sage raquo la preacutedication extra-cateacutegorielle entre la substance et lrsquoaccident particulier) Il remarque eacutegalement que dans les propositions attributives agrave propos de Dieu (laquo Dieu est bon raquo) la qualiteacute exprimeacutee agrave travers le preacutedicat (bon ndash bonteacute) nrsquoest pas quelque chose meacutetaphysiquement diffegraverent de Dieu Cependant le sujet principal de sa recherche est les propositions relatives agrave propos de Dieu (laquo Pegravere est Fils raquo) Voir P KING laquo The semantics of Augustinersquos Trinitarian Analysis in De Trinitate 5-7raquo dans Le De Trinitate de Saint Augustin Exeacutegegravese logique noeacutetique eacuted E BERMON et G OrsquoDALY Paris 2012 p 126-134 407 laquo Sicut ergo non dicimus tres essentias ita non dicimus tres magnitudines neque tres magnos In rebus enim quae participatione magnitudinis magnae sunt quibus aliud est esse aliud magnas esse sicut magna domus et magnus mons et

138

La grandeur (magnitudo) est un accident universel auxquelles les creacuteatures (maison

montagne esprit) participent aux agrave travers la preacutedication extra-cateacutegorielle Dans ce cas le sujet

(maison montagne esprit) et le preacutedicat sont deux objets diffeacuterents Dans le cas de la preacutedication

laquo Dieu est grand raquo Dieu est la grandeur et il srsquoagit ainsi drsquoune preacutedication intra-cateacutegorielle laquo la

grandeur est grande raquo Par conseacutequent la preacutedication de Dieu est diffeacuterente de celle de choses La

conseacutequence suppleacutementaire de cet argument est le fait que les deux grandeurs ne peuvent coexister

au sein de Dieu car lrsquoexistence de deux accidents universaux identiques nrsquoest pas compatible avec

la deacutefinition mecircme de lrsquoaccident universel (qualiteacute unique qui deacutecrit les qualiteacutes de plusieurs

objets)

Plus tard Augustin deacuteveloppe ce sujet (De Trinitate XV V 8)

laquo Si donc nous disons que Dieu est eacuteternel immortel incorruptible immuable vivant sage

puissant beau juste bon heureux esprit on pourrait croire que de tous ces termes le

dernier seul deacutesigne la substance les autres ne deacutesignant que des qualiteacutes de la substance

mais il nrsquoen est pas ainsi dans cette nature ineffable et simple Tout ce qui y semble affirmeacute

agrave titre de qualiteacute doit ecirctre compris de la substance ou de lrsquoessence408 raquo

De cette maniegravere Augustin accepte que les qualiteacutes soient en Dieu en tant que substance

unique de Dieu Dieu est la grandeur la sagesse la bonteacute etc Ainsi la preacutedication laquo Dieu est

sage raquo est formellement extra-cateacutegorielle mais ontologiquement intra-cateacutegorielle parce que la

Sagesse et Dieu sont de la mecircme substance409 Pour la mecircme raison la preacutedication laquo la sagesse est

magnus animus in his ergo rebus aliud est magnitudo aliud quod ab ea magnitudine magnum est et prorsus non hoc est magnitudo quod est magna domus Sed illa est uera magnitudo qua non solum magna est domus quae magna est et qua magnus est mons quisquis magnus est sed etiam qua magnum est quidquid aliud magnum dicitur ut aliud sit ipsa magnitudo aliud ea quae ab illa magna dicuntur Quae magnitudo utique primitus magna est multoque excellentius quam ea quae participatione eius magna sunt Deus autem quia non ea magnitudine magnus est quae non est quod ipse ut quasi particeps eius sit deus cum magnus est (alioquin illa erit maior magnitudo quam deus deo autem non est aliquid maius) ea igitur magnitudine magnus est qua ipse est eadem magnitudo Et ideo sicut non dicimus tres essentias sic nec tres magnitudines hoc est enim deo esse quod est magnum esse Eadem causa nec magnos tres dicimus sed unum magnum quia non participatione magnitudinis deus magnus est sed se ipso magno magnus est quia ipse sua est magnitudo raquo AUGUSTIN De Trinitate V X 11 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 217-216 trad M MELLET TH CAMELOT p 449-451 408 laquo Proinde si dicamus aeternus immortalis incorruptibilis immutabilis uiuus sapiens potens speciosus iustus bonus beatus spiritus horum omnium nouissimum quod posui quasi tantummodo uidetur significare substantiam cetera uero huius substantiae qualitates sed non ita est in illa ineffabili simplici que natura quidquid enim secundum qualitates illic dici uidetur secundum substantiam uel essentiam est intellegendum raquo AUGUSTIN De Trinitate XV V 8 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 470 trad P AGAEumlSSE et J MOINGT p 439 409 Voir agrave ce propos Louisa Valente laquo Dans les choses creacuteeacutees la qualiteacute et la quantiteacute expriment des attributs qui ne coiumlncident pas avec lrsquoecirctre des choses mecircmes en elles lrsquoecirctre grand et lrsquoecirctre bon nrsquoest pas identique avec leur ecirctre tout court mais deacuterivent de leur participation agrave la grandeur et agrave la bonteacute qui est telle par le fait mecircme drsquoecirctre agrave savoir Dieu Chez Dieu au contraire ecirctre grand et ecirctre bon sont une uniteacute inseacuteparable Dieu nrsquoest pas bon par participation mais il est la bonteacute par participation agrave laquelle les choses creacuteeacutees sont bonnes et la grandeur par participation agrave laquelle les

139

la grandeur raquo serait ontologiquement intra-cateacutegorielle en Dieu410 Paul Tom appelle ces techniques

lrsquointeacutegration verticale (laquo Dieu est sage raquo) et horizontale (laquo la sagesse de Dieu est la grandeur de

Dieu raquo)411

Augustin utilise ces arguments pour deacutemontrer la simpliciteacute de Dieu412 mais non la pluraliteacute

des personnes Drsquoapregraves Augustin la creacuteation (creatura) est plurielle et nrsquoest pas simple (les choses

et les acircmes consistent en composants qui changent) tandis que Dieu est agrave la fois pluriel et simple

(De Trinitate VI VI 8)413

V15 La participation chez Erigegravene

Nous avons deacutejagrave dit que la notion de participation figure dans la logique platonicienne Elle

est employeacutee eacutegalement en un sens plus large dans sa meacutetaphysique Dans la vision du monde

neacuteoplatonicienne Dieu et les creacuteatures sont des entiteacutes dont les secondes participent aux premiers

Dans la theacuteologie chreacutetienne cette thegravese se manifeste dans la doctrine de la ressemblance et de la

dissemblance entre Dieu et les creacuteatures414 Voyons deacutesormais comment la notion de participation

est employeacutee par un auteur qui adopte explicitement la vision hieacuterarchique du monde

La participation apparaicirct dans le Periphyseon drsquoErigegravene (II) Drsquoapregraves lui tout ce qui existe

participe aux causes primordiales

laquo Crsquoest drsquoapregraves ces causes primordiales qursquoa eacuteteacute confectionneacute lrsquoordre seacuteriel de toutes les

creacuteatures du haut en bas de lrsquoeacutechelle crsquoest-agrave-dire depuis la creacuteature intellectuelle qui venant

aussitocirct apregraves Dieu correspond agrave la creacuteature la plus proche de Dieu jusqursquoagrave la derniegravere

classe de toutes les creacuteatures qui correspondent agrave la classe des corps Car toutes les

creacuteatures bonnes sont bonnes par leur participation au Bien en soi toutes les creacuteatures qui

subsistent en tant qursquoessences et que substances subsistent par leur participation agrave lrsquoessence

en soi [hellip] Car on ne saurait trouver dans la nature des creacuteatures aucune proprieacuteteacute geacuteneacuterale

choses creacuteeacutees sont grandes raquo L VALENTE Logique et theacuteologie Les eacutecoles parisiennes entre 1150 et 1220 Paris 2008 p 99 410Cf laquo Deus uero multipliciter quidem dicitur magnus bonus sapiens beatus uerus et quidquid aliud non indigne dici uidetur sed eadem magnitudo eius est quae sapientia (non enim mole magnus est sed uirtute) et eadem bonitas quae sapientia et magnitudo et eadem ueritas quae illa omnia et non est ibi aliud beatum esse et aliud magnum aut sapientem aut uerum aut bonum esse aut omnino ipsum esse raquo AUGUSTIN De Trinitate VI VII 8 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 237 411 P THOM The Logic of the Trinity Augustine to Ockham New York 2012 p 28 412 Ibid p 27-28 413 laquo Si autem quaeritur quomodo simplex et multiplex sit illa substantia animaduertenda est primo creatura quare sit multiplex nullo autem modo uere simplex et prius corpus uniuersum utique partibus constat ita ut sit ibi alia pars maior alia minor et maius sit uniuersum quam pars quaelibet aut quantalibet raquo AUGUSTIN De Trinitate VI VI 8 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 236 414 R JAVELET Image et ressemblance au douziegraveme siegravecle de Saint Anselme agrave Alain de Lille vol 1 Paris 1967 p 142-143

140

ou particuliegravere qui ne procegravede des causes primordiales par une participation ineffable agrave ces

causes primordiales415raquo

Ainsi les ecirctres sont organiseacutes selon un ordre vertical Les proprieacuteteacutes des ecirctres qui sont en

bas procegravedent agrave partir des causes primordiales qui sont en haut de lrsquoeacutechelle Dans ce passage

Erigegravene ne fait pas de distinction entre les substances et les accidents au sens aristoteacutelico-boeacutecien

les substances participent agrave lrsquoEssence en soi de la mecircme maniegravere que les creacuteatures sages participent

agrave la Sagesse en soi De cette faccedilon il utilise la notion platonicienne de participation

Dans le livre IV du Periphyseon Erigegravene parle de la preacutedication en Dieu Il dit que certaines

qualiteacutes (bonteacute eacuteterniteacute puissance) sont preacutediqueacutees de Dieu et des creacuteatures de maniegraveres

diffeacuterentes

laquo Mais toutes les autres proprieacuteteacutes que lrsquoon preacutedique de Dieu peuvent eacutegalement ecirctre

preacutediqueacutees de son image mais elles sont preacutediqueacutees de Dieu par essence alors qursquoelles sont

preacutediqueacutees de lrsquoimage par participation Car crsquoest par sa participation au souverain Bien et agrave

la souveraine Bonteacute dont elle constitue lrsquoimage que lrsquoimage de Dieu est agrave la fois bonteacute en

soi et lrsquoimage bonne416 raquo

Dieu est le modegravele et les creacuteatures sont son image Dieu a par nature ce que lrsquoimage a par

gracircce Les qualiteacutes sont preacutediqueacutees de Dieu de maniegravere essentielle (essentialitate) ce qui veut dire

qursquoelles sont identiques agrave Dieu Ces qualiteacutes sont des causes primordiales qui participent agrave la cause

premiegravere la Triniteacute Elles sont proches de Dieu car aucune creacuteature ne srsquointerpose entre ces causes

et le creacuteateur417 Elles ont plus en commun avec la nature de Dieu Ces mecircmes qualiteacutes sont

preacutediqueacutees des creacuteatures agrave travers la participation (participatione) Les creacuteatures participent aux

causes primordiales

415 laquo Sunt igitur primordiales causae [hellip] secundum quas ordo omnium rerum a summo usque deorsum texitur hoc est ab intellectuali creatura quae deo post deum proxima est usque ad extremum rerum omnium ordinem quo corpora continentur Quaecunque enim bona sunt participatione per se boni bona sunt et quaecunque essentialiter et substantialiter subsistunt participatione ipsius per se ipsam essentiae subsistunt [hellip] Nulla siquidem uirtus siue generalis siue specialis in natura rerum inuenitur quae a primordialibus causis ineffabili participatione non procedatraquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted E JEAUNEAU Turnhout 1997 (CCCM 162) p 125 = PL 122 616C-617A trad JEAN SCOT ERIGENE De la division de la nature (Periphyseon) t I trad F BERTIN Paris 1995 p 419 trad modifieacutee par I Lystopad 416 laquo Caetera quoque omnia quae de deo praedicantur de imagine eius praedicari posse sed de deo essentialitate de imagine uero participatione Nam et bonitas est et bona imago participatione summi boni summae que bonitatis cuius imago est raquo Ibid IV eacuted JEAUNEAU p 54 = PL 122 778AB trad F BERTIN t IV p 110 417 laquo Ipsa uero unius uniuersorum causae summae uidelicet ac sanctae trinitatis participationes sunt atque ideo per se dicuntur esse quia nulla creatura inter ipsa et unam omnium causam interposita est raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 124 = PL 122 616B

141

Ainsi Erigegravene oppose lrsquoidentiteacute en Dieu et la preacutedication dans les creacuteatures Sa doctrine est

baseacutee sur le postulat que toutes les creacuteatures participent aux causes primordiales

Nous avons eacutetudieacute les doctrines qui pouvaient ecirctre les sources directes de la doctrine

trinitaire du De unitate Les aspects diffeacuterents de la doctrine trinitaire drsquoAugustin servaient comme

source drsquoinspiration pour les penseurs du XIIe siegravecle Dans notre eacutetude nous allons montrer quelle

partie de son heacuteritage a eacuteteacute reprise par Achard de Saint-Victor

Nous avons montreacute que la doctrine de la participation des qualiteacutes peut ecirctre expliqueacutee agrave

travers la doctrine aristoteacutelico-boeacutecienne de la preacutedication Cela aide agrave comprendre les meacutecanismes

drsquoapparition des plusieurs qualiteacutes dans la Triniteacute et par conseacutequent explique la geacuteneacuteration de la

multipliciteacute en elle Augustin montre que la preacutedication des qualiteacutes en Dieu nrsquoest pas la mecircme que

dans le monde La mecircme explication est valable eacutegalement dans le cas drsquoErigegravene Selon Augustin

la preacutediction en Dieu est extra-cateacutegorielle car Dieu est identique agrave ses proprieacuteteacutes Erigegravene appelle

ce pheacutenomegravene laquo la preacutedication selon lrsquoessence raquo contrairement agrave la preacutedication selon la

participation qui a lieu dans les creacuteatures En deacutefinitive ces deux auteurs montrent que la doctrine

de la participation peut ecirctre utiliseacutee pour expliquer de maniegraveres diffeacuterentes les relations entre le

creacuteateur et des creacuteatures

V2 Lrsquouniteacute et la pluraliteacute chez Hugues et Richard de Saint-Victor

Dans ce chapitre nous allons eacutetudier la faccedilon dont Hugues et Richard traitent la question de

lrsquouniteacute et de la pluraliteacute

Dans ces eacutecrits Hugues emploie le terme unitas mais quasi jamais pluralitas Il deacutecrit les

sortes drsquouniteacutes qui existent en Dieu et dans les creacuteatures Dans le De tribus diebus XIX Hugues

pose la question comment Dieu est un et immuable Il deacutecrit les diffeacuterentes sortes drsquouniteacute418

418 laquo Sed quia unum diuersis modis accipitur considerandum est quomodo Creator rerum unus esse dicatur Nam et unum est collectione et unum compositione et unum similitudine et unum essentia et unum identitate Vnum collectione est quemadmodum cum gregem unum dicimus in quo multa sunt animalia unum compositione est quemadmodum cum corpus unum dicimus in quo multa sunt membra unum similitudine quemadmodum cum uocem unam dicimus quae a multis est prolata Sed horum omnium nihil uere unum est Secundum aliquem tamen respectum unum dicta sunt quia quodammodo ad unitatem accedunt Fas ergo non est ut existimemus creatorem rerum aut collectione diuersorum aut compositione partium aut similitudine plurium unum esse cum illud eciam quod in nobis rationale est horum omnium in semetipso nihil possit inuenire Illud enim nostrum quod partium multitudine compositum cernitur non rationale sed rationali conjunctum esse ipsa nostra ratione comprobatur Si ergo nostrum rationale uere unum est quanto magis creator eius uere unus esse credendus est Vere autem unum est quod essentialiter unum est cui totum est unum esse et simplex esse quod est Quidquid igitur uere unum est simplex est et in partes omnino aliquas separari non potest et ideo sectionem partium non admittit quia partium compositionem non recipit Creatori igitur rerum ideo uerum est esse quod est quia totum unum et simplex est esse quod est Sed adhuc considerare nos oportet quod quaedam res inueniuntur quae uere unum sunt et tamen summe unum non sunt sicut animae quae unum sunt essentialiter sed unum non sunt inuariabiliter Quod autem uere et summe unum est essentialiter et inuariabiliter unum est Restat ergo ut si Deum uere unum esse credimus utrumne eciam summe unus dici possit inquiramus Quod tunc ueraciter ostendimus si eum omnino inuariabilem esse comprobamus Sed quia scire

142

- collection ndash comme le troupeau des animaux

- composition ndash comme le corps qui a plusieurs membres

- similitude ndash comme un mot prononceacute par plusieurs personnes

- essence ndash comme les acircmes et Dieu

- identiteacute

Les trois premiegraveres sortes drsquouniteacute (collection composition et similitude) ne sont pas

preacutesentes en Dieu car elles ne sont pas propres agrave la nature rationnelle Les acircmes sont unes

essentiellement mais elles varient Dieu a une essence et il est invariable Ensuite Hugues explique

les modes des variations et pourquoi Dieu ne les subit pas Il ne parle plus de lrsquouniteacute de lrsquoidentiteacute

Dans les Sententiae de divinitate qui ont eacuteteacute eacutecrites apregraves le De tribus diebus Hugues reacutepegravete

les mecircmes sortes de lrsquouniteacute sauf lrsquoidentiteacute419

Il reprend le mecircme sujet dans le De sacramentis christianae fidei (I III XII)

laquo La raison y a donneacute son approbation et son consentement et elle a dit qursquoil est un ni par

un rassemblement drsquoeacuteleacutements diffeacuterents sinon il ferait une foule ni par une composition de

partie sinon il formerait une masse ni par une ressemblance entre des reacutealiteacutes nombreuses

sinon il apparaicirctrait une pluraliteacute superflue ou une singulariteacute incomplegravete En effet toute

uniteacute qui consiste en la seule ressemblance entre de tregraves nombreux eacuteleacutements montre ou bien

une incompleacutetude dans la partie si les eacuteleacutements pris un par un sont en deacutefaut ou bien un

redoublement superflu dans le tout si tous ensemble ils sont parfaits Et en tous ces

eacuteleacutements il nrsquoy a pas drsquouniteacute vraie mais ils imitent seulement lrsquouniteacute car drsquoune certaine

maniegravere ils srsquoen approchent mais ils ne lrsquoatteignent pas parce qursquoils ne sont pas un et que

ce qursquoils sont nrsquoest pas vraiment un mais ils srsquounissent seulement et srsquoapprochent les uns

des autres Et pour eux ecirctre ensemble et se rassembler en un point cela devient ecirctre un et

cependant ils ne sont pas vraiment un parce qursquoils ne sont pas essentiellement un et que ce

qursquoils sont nrsquoest pas un tout unique Quant agrave Dieu il est neacutecessaire qursquoil soit un et qursquoil soit

essentiellement un et qursquoil soit immuablement un et qursquoil soit suprecircmement un En effet ce

non possumus quomodo Deus inuariabilis sit nisi prius agnoscamus quot modis res quaelibet uariari possit primum nos oportet omnes mutabilitatis modos describere ac deinde per singula qualiter a Deo remoueantur ostendere raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Opera t II De tribus diebus XIX eacuted D POIREL Turhnout 2002 (CCCM 177) p 41-43 = PL 176 827AD 419 laquo Sed quia unum diuersis modis dicitur uideamus quis eorum Deo conueniat Dicitur enim unum ex collectione ut grex in quo plura sunt animalia uel unum compositione ut corpus in quo plura sunt membra uel unum similitudine ut uox istius et uox illius quia expresse similes sunt uel unum essentia ut anima que partibus caret uel unum in deitate quod scilicet non uariatur per formas raquo HUGUES DE SAINT-UICTOR Sententiae de divinitate Pars 3 eacuted PIAZZONI Studi Medievali 3e seacuterie 1982 t 232 p 951 119-125

143

qui est essentiellement un est vraiment un ce qui est immuablement un est suprecircmement

un420 raquo

Voici une reacutecapitulation de ce passage

Deus

illa unitas unus vere essentialiter immutabiliter summe

mundus

collectio diversorum

turbam faceret

compositio partium massam formaret

similitudo multorum

pluralitas superflua vel singularitas imperfecta

appareret

Dieu est un veacuteritablement essentiellement immuablement et suprecircmement Les uniteacutes dans

le monde sont en partie les mecircmes que celles qui ont eacuteteacute eacutenumeacutereacutees dans le De tribus diebus

collection composition et similitude Hugues souligne que lrsquouniteacute des creacuteatures nrsquoaccegravede pas agrave

lrsquouniteacute de Dieu Il deacutemarque clairement la frontiegravere entre Dieu et le monde

Hugues ne parle pas de pluraliteacute mais de la multitude et de la multipliciteacute des creacuteatures Il

oppose lrsquouniteacute de Dieu et la multitude des creacuteatures qui ont eacuteteacute faites par Dieu tout-puissant (De

tribus diebus II) Il distingue les choses semblables diverses et mixtes Les choses

semblables appartiennent au mecircme genre comme les genres des hommes des lions des aigles etc

Elles sont opposeacutees aux choses diverses homme lion aigle pris dans la mecircme multitude Les

choses semblables et diverses prises ensemble sont mixtes421 Ce ne sont pas trois sortes de choses

mais trois maniegraveres de ranger les choses selon les genres comme groupe des natures diffeacuterentes et

ensemble des genres diffeacuterents La similitude est le principe qui sert agrave unir les choses dans un genre

420 laquo Approbavit haec ratio et acquievit et dixit quod unus nec collectione diversorum ne turbam faceret nec compositione partium ne massam formaret nec similitudine multorum ne pluralitas superflua vel singularitas imperfecta appareret Omnis enim unitas in similitudine sola consistens plurimorum aut imperfectionem ostendit in parte si minus habent singula aut superfluam geminationem in toto si perfecta sunt universa Et non est in his omnibus unitas vera sed aemulantur solum haec unitatem quia quodammodo appropinquant ei sed non contingunt ad illam quoniam unum non est et quod sunt vere unum non sunt sed uniuntur tantum et accedunt ad se Et fit illis simul esse et convenire in unum unum esse Nec tamen unum vere sunt quoniam essentialiter non sunt nec est unum totum quod sunt Deum autem unum oportet esse et essentialiter unum esse et immutabiliter unum esse et summe unum esse Quod enim essentialiter unum est vere unum est quood immutabiliter unum est summe unum est raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis Christianae fidei I III XII eacuted PL t 176 220C trad D POIREL 421 laquo Quae sunt similia Quae sub eodem genere continentur ut homo unus et alter leo unus et alter aquila una et altera honoruscopa una et altera Haec singula et caetera talia in suis generibus similia sunt Quae sunt diuersa Quae dissimilibus differentiis informantur ut homo et leo leo et aquila aquila et honoruscopa Haec inuicem diuersa sunt Quae sunt permixta Omnia simul considerataraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus II eacuted POIREL p 7 = PL 176 813BС

144

De cette faccedilon Hugues deacutecrit de maniegravere deacutetailleacutee lrsquouniteacute et la pluraliteacute dans les creacuteatures Il

souligne que lrsquouniteacute de Dieu est diffeacuterente de lrsquouniteacute des creacuteatures Lrsquoune ne provient pas de lrsquoautre

La multitude et la multipliciteacute des creacuteatures nrsquoaffectent pas la nature de Dieu

Dans le De tribus personis appropriatis Richard reprend la formule augustinienne Unitas

Aequalitas et Concordia Il explique pourquoi chaque personne correspond agrave une de ces

appropriations Il dit que le Pegravere est lrsquouniteacute car il est agrave lrsquoorigine des autres personnes Voici ce qursquoil

dit agrave propos de la deuxiegraveme personne

laquo De cette faccedilon voici lrsquouniteacute dans le Pegravere Cherchons comment lrsquoeacutegaliteacute est dans le Fils Il

est sucircr que lagrave ougrave il nrsquoexiste pas de pluraliteacute lrsquoeacutegaliteacute ne peut ecirctre dite ou intelligeacutee

correctement Rien ne peut ecirctre correctement dit semblable agrave soi-mecircme aussi bien que non

eacutegal Par conseacutequent lagrave ougrave il apparaicirct la premiegravere pluraliteacute il faut chercher et lrsquoeacutegaliteacute422 raquo

Ainsi la pluraliteacute apparaicirct dans la Triniteacute avec la deuxiegraveme personne Et la troisiegraveme

personne apparaicirct car le sens de la Triniteacute est la concorde entre les deux personnes423 Pour finir il

reacutesume

Ingenitus Unitas

Unigenitus Aequalitas

Spiritum Sanctum Connexio

Richard utilise les deux nominations ndash concordia et connexio pour deacutesigner le Saint-Esprit

Les chercheurs qui ont eacutetudieacute ce passage montrent ses liens avec les autres textes de lrsquoeacutepoque Jean

Ribaillier pense que ce passage se reacutefegravere au De unitate drsquoAchard et au texte de Patrologia Latina t

95 attribueacute agrave Begravede qui explique la formule Unitas Aequalitas Connexio du point de vue de

lrsquoarithmeacutetique424 Dans son eacutedition des œuvres de Thierry de Chartres Nikolaus Haumlring suppose

422 laquo Ecce quomodo in Patre unitas queramus modo quomodo in Filio equalitas Certe ubi nulla pluralitas est nec equalitas recte vel dici vel intelligi potest Sicut enim nichil recte dicitur sibi simile sic nec equale Itaque ubi primo pluralitas occurit ibi et equalitatem primum querere oportebit raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De tribus personis approppriatis in Trinitate eacuted RIBAILLIER dans RICHARD DE SAINT-VICTOR Opuscules theacuteologiques Texte critique avec introduction notes et tables Paris 1967 (Textes philosophiques du Moyen Age 15) p 183 = PL 196 991D trad I Lystopad 423 laquo Nec quid tertium ponitur concordia duorum sine consistentium Trinitate raquo Ibid p 183= PL 196 992C 424 RICHARD DE SAINT-VICTOR Opuscules theacuteologiques Texte critique avec introduction notes et tables par J RIBAILLIER Paris 1967 (Textes philosophiques du Moyen Age 15) p 183 note 5 Ribaillier renvoie au texte du PL XCV 395d-396a qui se trouve dans lrsquoappendice aux œuvres de Begravede le Veacuteneacuterable

145

que le dernier texte a eacuteteacute eacutecrit entre 1148 et 1154 par un auteur appartenant agrave lrsquoeacutecole de Chartres425

Nico den Bok montre une autre source la lettre de Roscelin agrave Abeacutelard426 Roscelin agrave son tour se

reacutefegravere au De fide libri V ad Gratianum Augustum drsquoAmbroise qui dit par rapport agrave la relation du

Pegravere et du Fils dans la Triniteacute que lrsquoeacutegaliteacute nrsquoexiste qursquoentre plusieurs427

De cette faccedilon la formule Unitas Aequalitas Connexio (Concordia) a eacuteteacute reacutepandue agrave

lrsquoeacutepoque comme une version des appropriations trinitaires Et crsquoest de cette maniegravere que Richard

lrsquoemploie

Hugues et Richard emploient le mot participatio dans leurs eacutecrits mais non par rapport agrave la

doctrine de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute de Dieu

V3 Unitas-Pluralitas-Aequalitas et la deacutefinition logique de la Triniteacute

Achard deacutecrit la Triniteacute agrave partir de la doctrine catholique suivante laquo le Fils procegravede du Pegravere

et le Saint-Esprit du Pegravere et du Fils raquo Pourtant le passage de ce principe agrave la formule laquo lrsquoUniteacute Ce

qui lui est eacutegal et lrsquoEgaliteacute raquo implique la preacutesence de preacutemisses meacutetaphysiques et logiques

permettant drsquoeacutetablir une telle formule Nous nous posons pour but de deacutechiffrer ces preacutemisses afin

de commencer la reconstruction de la doctrine meacutetaphysique drsquoAchard de Saint-Victor

Drsquoabord la meacutetaphysique drsquoAchard sera exposeacutee agrave travers lrsquoanalyse des notions drsquouniteacute et

de pluraliteacute Vu que ces notions sont centrales dans le neacuteoplatonisme crsquoest en les eacutetudiant que nous

allons reacutepondre aux questions poseacutees au deacutebut A savoir si la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute qui se

multiplie en descendant du haut vers le bas srsquoil existe deux niveaux meacutetaphysiques qualitativement

diffeacuterents dans la doctrine drsquoAchard

Ainsi dans la premiegravere partie de ce chapitre nous allons deacutecouvrir dans quelle mesure la

meacutetaphysique trinitaire du De unitate est heacuteritiegravere de systegravemes platoniciens Nous appellerons cette

partie du chapitre laquo meacutetaphysique raquo car la nature de Dieu et de la creacuteature sera expliqueacutee agrave partir

des proprieacuteteacutes des deux eacuteleacutements initiaux lrsquouniteacute et la pluraliteacute 425 N M HAumlRING laquo Introduction VIII The Commentarius Victorinus raquo dans THIERRY DE CHARTRES The Commentaries on Boethius by Thierry of Chartres and his school ed N M HAumlRING Toronto 1971 (Studies and Texts 20) p 38-45 426 laquo Aequalitas autem semper inter plura est nihil enim sibi aequale est beato Ambrosio dicente laquoNemo ipse sibi solus aequalis estraquo Dum igitur in substantia sanctae Trinitatis aequalitatem et coaeternitatem ponit in ea utique separationem pluralitatis relinquit Sed prioritatis et posterioritatis per coaeternum minoritatis et maioritatis gradus dicendo coaequales exstinguit Quod autem unam non singulariter substantiam sed per similitudinem et aequalitatem dicat manifeste demonstrat cum dicit laquoUna divinitas aequalis gloria coaeterna maiestasraquo ROSCELIN Epistola ad Abaelardum eacuted PL 178 367B Cf N W DEN BOK Communicating the most high a systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St Victor Paris-Turnhout 1996 p 208 note 19 427 laquo Quibus aptissime respondit dei filius ut et dei se filium et aequalem probaret Quaecumque inquit pater fecerit eadem et filius facit similiter Filius igitur patri et dicitur et probatur aequalis Bona aequalitas quae et differentiam diuinitatis excludit et cum filio patrem signat cui filius sit aequalis Non est enim diuersa nec singularis aequalitas quia nemo aequalis ipse sibi solus est Ergo euangelista interpraetatus est quid sit proprium filium dei se dicere hoc est aequalem se facere deoraquo AMBROISE DE MILAN De Fide ad Gratianum Augustum II 69 eacuted O Faller Vienne 1962 (Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum 78) p 80-81

146

Ensuite nous allons passer agrave la partie laquo logique raquo de notre enquecircte afin de reacutepondre agrave la

question (3) quelles qualiteacutes des personnes permettent drsquoeacutetablir la formule trinitaire Pour

reacutepondre agrave cette question des notions comme lrsquoeacutegaliteacute la similitude et la participation seront

eacutetudieacutees

Nous avons montreacute que les doctrines de la similitude et de la participation font partie de la

logique platonicienne Elles correspondent agrave la doctrine de la preacutedication de la logique aristoteacutelico-

boeacutecienne expliqueacutee par John Marenbon Voilagrave pourquoi nous allons utiliser la doctrine de la

preacutedication ainsi que quelques theacuteories contemporaines (la logique classique la theacuteorie des

ensembles) pour expliquer la penseacutee drsquoAchard

V31 La meacutetaphysique de lrsquouniteacute

V311 Comment la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute

Achard exprime le paradoxe de la Triniteacute dans le chapitre I 1

laquoLagrave-bas [en Dieu] doit reacutesider et la pluraliteacute vraie et lrsquouniteacute vraie mais non pas du mecircme

point de vue428 raquo

Degraves le deacutebut de son enquecircte Achard reacuteunit les deux notions lrsquouniteacute et la pluraliteacute

laquo La pluraliteacute en effet nrsquoest rien drsquoautre que lrsquouniteacute multiplieacutee ou lrsquouniteacute reacutepeacuteteacutee autant de

fois que la pluraliteacute elle-mecircme est grande429 raquo (I 1)

De cette faccedilon la pluraliteacute est deacutefinie agrave partir de lrsquouniteacute Pourtant ces deux notions

possegravedent des qualiteacutes opposeacutees

laquo La pluraliteacute des creacuteatures drsquoautre part est si eacuteloigneacutee de lrsquouniteacute suprecircme qursquoelle ne peut y

adheacuterer immeacutediatement Elle en est distante en effet non seulement parce que celle-ci est

pluraliteacute (haec) celle-lagrave uniteacute (illa) mais encore parce que celle-ci est temporelle tandis que

celle-lagrave est eacuteternelle celle-ci est dans la mesure tandis que celle-lagrave est immense celle-ci est

muable et corruptible tandis que celle-lagrave est immuable et incorruptible celle-ci est creacuteeacutee

tandis que celle-lagrave est increacuteeacutee Crsquoest pourquoi la raison exige qursquoau-dessus de cette pluraliteacute-

428 laquo Ibi ergo et veram consistere oportet et pluralitatem et unitatem sed non secundum idemraquo De unitate I 1 eacuted MARTINEAU p 70-71 429 laquo Non enim aliud est pluralitas nisi multiplicata unitas vel totiens unitas quota ipsa pluralitas raquo De unitate I 1 eacuted MARTINEAU p 70-71

147

ci qui est eacuteloigneacutee de Dieu il srsquoen trouve une autre plus eacuteleveacutee qui adhegravere immeacutediatement

agrave cette uniteacute suprecircme et qui soit pour ainsi dire intermeacutediaire entre cette uniteacute-lagrave et cette

pluraliteacute-ci430 raquo

Voici une reacutecapitulation

unitas illa aeterna immensa immutabilis incorruptibilis increata

pluralitas haec temporalis in mensura mutabilis corruptibilis creata

Pour unir ces deux eacuteleacutements (lrsquouniteacute et la pluraliteacute) Achard introduit le troisiegraveme ndash la

pluraliteacute vraie (vera pluralitas)

laquo Il faut que cette pluraliteacute (quae) provienne de cette uniteacute-lagrave (illa) et soit cause de cette

pluraliteacute-ci (ista) et aussi qursquoelle ait quelque chose de commun par la ressemblance agrave savoir

de commun avec lrsquoune et lrsquoautre avec celle-ci (ista) puisqursquoelle est pluraliteacute avec celle-lagrave

(illa) puisqursquoelle est increacuteeacutee immuable etc Or comme ces ltproprieacuteteacutesgt sont dites de la

nature de lrsquouniteacute mecircme cette pluraliteacute-ci (ista) gracircce agrave ce qursquoelle a de commun avec cette

ltpluraliteacutegt-lagrave (illa) peut en quelque faccedilon y adheacuterer et ltainsigt par lrsquointermeacutediaire de la

pluraliteacute adheacuterer eacutegalement а lrsquouniteacute431 raquo

Ainsi le scheacutema suivant apparaicirct

Unitas illa aeterna immensa immutabilis

incorruptibilis increata

in Deo

vera pluralitas

media

causa atque imagine

illa

pluralitas creaturarum haec

ista

temporalis in mensura mutabilis

corruptibilis creata

a Deo remota

430 laquo Creaturarum quoque pluralitas tam longe est ab unitate summa ut ei inhaerere immediate non possit Non solum enim ab ea distat quia haec pluralitas illa unitas est sed quia haec temporalis est cum illa sit aeterna haec in mensura cum illa sit immensa haec mutabilis atque corruptibilis cum illa sit immutabilis atque incorruptibilis haec creata illa increata Exigit itaque ratio super hanc pluralitatem a Deo remotam constitui aliquam superiorem quae illi summae unitati cohaereat immediate et quasi mediata sit inter illam unitatem et hanc pluralitatem raquo De unitate I 2 eacuted MARTINEAU p 70-71 431 laquo Quae sit ex illa et qua sit ista similitudine etiam commune scilicet aliquid habens cum utraque cum ista quia pluralitas est cum illa quia increata est quia immutabilis etc Quae de unitatis natura sunt dicta ut sic pluralitas ista per hoc quod habet cum illa commune ei posset aliquatenus inhaerere et unitati etiam mediante pluralitate raquo De unitate I 1 eacuted MARTINEAU p 70-71

148

De cette maniegravere Achard nous propose la seacutequence suivante unitas ndash pluralitas vera

(unitas multiplicata) ndash pluralitas creaturarum Dans ce chapitre la pluraliteacute est comprise drsquoabord

comme un terme opposeacute qui existe agrave un autre niveau (en dehors de Dieu) et qui est relieacutee agrave lrsquouniteacute agrave

travers le terme intermeacutediaire (la pluraliteacute vraie)

Lrsquouniteacute en Dieu est plurielle (pluralis I 9 crsquoest la seule fois qursquoAchard utilise cet adjectif)

Achard distingue deux niveaux drsquo laquo existence raquo de ces termes ndash en Dieu et au-dehors de

Dieu Pourtant dans le passage analyseacute plus haut il utilise les trois pronoms deacutemonstratifs haec

ista illa Ille deacutesigne lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu La pluraliteacute dans les creacuteatures est deacutesigneacutee par

haec quand elle est opposeacutee agrave lrsquouniteacute vraie (dans la premiegravere partie du chapitre) Quand la pluraliteacute

dans les creacuteatures est opposeacutee agrave la pluraliteacute vraie elle est deacutesigneacutee par ista Ainsi les deux pronoms

ndash ista et haec ndash deacutesignent un niveau ndash ecirctre dans les creacuteatures

En deacutefinitive Achard propose la seacutequence des trois termes (lrsquouniteacute ndash la pluraliteacute vraie ndash la

pluraliteacute des creacuteatures) qui se deacuteveloppe dans deux niveaux en Dieu et dans les creacuteatures (au-

dehors de Dieu) Au niveau de Dieu les termes se deacuteveloppent de la maniegravere suivante

Unitas dualitas (prima pluralitas) pluralitas vera

Trinitas Id quod unitati est Aequale

Aequalitas

Le terme dualitas apparaicirct plus loin dans le De unitate (I 23 26 31 et 33) Lrsquouniteacute et ce qui

lui est eacutegal (la deuxiegraveme personne) creacuteent la dualiteacute qui est la pluraliteacute premiegravere Et le troisiegraveme

eacuteleacutement (lrsquoeacutegaliteacute) qui provient agrave partir des deux premiers creacutee la triniteacute ougrave reacuteside la pluraliteacute vraie

des trois personnes

La premiegravere pluraliteacute qui apparaicirct est la dualiteacute (deux premiegraveres personnes de la Triniteacute I

26 31) La pluraliteacute de la Triniteacute procegravede de lrsquouniteacute et de la dualiteacute (I 31) Elle est la cause de

lrsquoeacutegaliteacute (la troisiegraveme personne I 32) En I 23 et I 26 Achard affirme que les trois dans la Triniteacute

ne peuvent exister sans deux et en I 26 que la dualiteacute apparaicirct dans la deuxiegraveme personne

Voici ce que dit Achard agrave propos de la dualiteacute en I 31

laquo Dans le Fils se rencontre aussi la pluraliteacute premiegravere crsquoest-agrave-dire la dualiteacute non pas parce

que lui-mecircme est deux mais parce que le fait qursquoil est lui-mecircme par le Pegravere est la cause pour

laquelle le Pegravere et lui peuvent deacutesormais ecirctre dits deux432 raquo

432 laquo Ut autem in Patre unitas sit et in Filio prima occurrit pluralitas id est dualitas non quia ipse sit duo sed quia quod ipse a Patre est causa est quare jam ipse et Pater dici possunt duo raquo De unitate I 31 eacuted MARTINEAU p 102-103

149

De cette maniegravere ce qui compte pour Achard ce nrsquoest pas simplement la preacutesence de deux

personnes mais le fait qursquoelles soient lieacutees de telle maniegravere que la premiegravere (le Pegravere) est preacutesente

dans la deuxiegraveme (le Fils) en tant que sa cause

Achard a deacutejagrave deacutemontreacute en I 1-4 que la pluraliteacute existe en Dieu En I 23 il propose une

autre faccedilon drsquoexpliquer la Triniteacute ndash agrave travers la dualiteacute Nous croyons que crsquoest sa maniegravere de rendre

hommage agrave la tradition pythagoricienne de la deacutefinition de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute433

Ainsi en reacutepondant agrave la premiegravere question agrave propos de la doctrine meacutetaphysique nous

pouvons dire que lrsquouniteacute se multiplie pour creacuteer la pluraliteacute Mais elle ne descend pas elle se

multiplie en restant dans le mecircme niveau Lrsquouniteacute en Dieu est plurielle ce qui creacutee la pluraliteacute

supeacuterieure en Dieu Cette conclusion megravene agrave une autre question comment la pluraliteacute apparaicirct-elle

parmi les creacuteatures sinon agrave travers la multiplication de lrsquouniteacute suprecircme

Achard accepte deux niveaux meacutetaphysiques ibi (en Dieu) et hic (au-dehors de Dieu) En

deacuteveloppant le sujet de lrsquoexistence des ecirctres dans les deux niveaux en I 47 il preacutecise que le verbe

laquo ecirctre raquo deacutecrit plutocirct lrsquoexistence ici que lagrave-bas434 Il ne srsquoagit pas alors de deux niveaux des ecirctres

mais de la distinction entre laquo ecirctre raquo et laquo ecirctre intelligeacute raquo

V312 Unitas-Pluralitas-Multitudo et la pluraliteacute dans les creacuteatures

En I 5 Achard deacutecrit les diffeacuterents degreacutes de lrsquouniteacute Dans le chapitre I 1-2 il a deacutejagrave deacutecrit

lrsquouniteacute vraie qui est increacuteeacutee

laquo Lrsquouniteacute qui est dans les choses selon une certaine eacutegaliteacute qui existe entre elles contient

avec une pluraliteacute une si grande similitude avec cette beauteacute qui reacutesulte de la convenance et

de la conformiteacute de plusieurs ltecirctresgt mdash soit de plusieurs corps soit de plusieurs esprits soit

des corps et des esprits entre eux mdash qursquoil est absolument exclu de la supprimer lagrave ougrave est la

beauteacute suprecircme De plus la beauteacute de cette uniteacute commune agrave plusieurs est une cause si

grande qursquoil ne peut y avoir drsquouniteacute singuliegravere mdash crsquoest-agrave-dire preacutesente en chacun drsquoeux mdash

qui soit plus belle au contraire la beauteacute de cet lteacutetant singuliergt apparaicirct toujours

infeacuterieure agrave moins que la creacuteature ne srsquounisse а son creacuteateur et adheacuterant agrave lui ne devienne

un seul esprit ltavec luigt neacuteanmoins lrsquouniteacute par laquelle ils sont alors fondus en un seul

esprit mecircme si elle est bien plus eacuteminente et plus belle que celle qui se trouve dans le seul

433 A propos de lrsquoinfluence du pythagorisme sur Platon voir DILLON J M The Middle Platonists 80 BC to AD 220 London 1977 p 3-5 Voir dans le mecircme livre agrave propos de lrsquoinfluence du pythagorisme sur le meacutedioplatonisme ibid passim 434 laquo Ipsum quoque lsquoestrsquo propter hoc notandum videtur institutum ut hic significet quid ltpergt se illud vero nonnisi ex determinatione aliqua et per adjunctum notitia vel verbo sive intellectu Dei vel aliquid hujusmodi raquo De unitate I 47 eacuted MARTINEAU p 122

150

esprit creacuteeacute ne peut eacutegaler la beauteacute qui est dans lrsquoesprit supeacuterieur crsquoest-agrave-dire increacuteeacute ce qui

provient du fait que lrsquouniteacute creacuteeacutee peut correspondre en partie mais non pas en tous points agrave

lrsquouniteacute increacuteeacutee 435 raquo

De cette faccedilon Achard oppose deux sortes drsquouniteacute creacuteeacutee et increacuteeacutee en prenant la beauteacute

comme critegravere pour hieacuterarchiser lrsquouniteacute

Unitas

quae rebus inest (in convenientia et congruentia plurium sive

corporum sive spirituum sive ad invicem amborum) ndash unitas

singularis - unitas communis pluribus ndash unitas in solo spiritu

creato

unitas creata

qua in unum conglutinantur spiritum (creatura suo unitur

creatori et ei adhaerens unus efficitur spiritus)

in spiritu consistit increato unitas increata

Ainsi selon Achard lrsquouniteacute preacutesente dans les choses creacuteeacutees est la moins belle Parmi les

uniteacutes creacuteeacutees il y a lrsquouniteacute singuliegravere lrsquouniteacute commune des plusieurs et lrsquouniteacute qui est dans lrsquoesprit

creacuteeacute Ensuite une plus belle uniteacute est celle qui apparaicirct quand la creacuteature srsquounit agrave son creacuteateur bien

que cette uniteacute soit toujours creacuteeacutee436 Tous ces genres drsquouniteacute sont creacuteeacutees tandis qursquoil y a une autre

uniteacute qui leur est supeacuterieure ndash lrsquouniteacute qui est dans lrsquoesprit supeacuterieur Elle est donc la plus belle

En effet Achard oppose immeacutediatement lrsquouniteacute creacuteeacutee et lrsquoincreacuteeacutee en affirmant que les

constituants de lrsquouniteacute increacuteeacutee non seulement sont eacutegaux entre eux par leur beauteacute mais sont eacutegaux

aussi agrave cette uniteacute increacuteeacutee

Achard reacutepegravete et preacutecise la typologie de lrsquouniteacute dans le chapitre I 7 Cette fois il se pose une

autre question agrave savoir quel type drsquouniteacute est le plus parfait (de telle maniegravere que laquo selon elle ltles

partiesgt soient absolument une raquo laquosecundum eam prorsus unum sint raquo)

435 laquo Unitas etiam quae rebus inest secundum quandam ipsarum aequalitatem pluralitatem et similitudinem tantam obtinet cum pulchritudine in convenientia et congruentia plurium sive corporum sive spirituum sive ad invicem amborum ut nullo inde tollenda sit modo ubi est summa pulchritudo Tanta etiam causa dignoscitur esse pulchritudo hujus unitatis pluribus communis ut pulchrior esse nequeat unitas singularis id est eorum quae inest singulis sed inferior ubique istius occurrit pulchritudo nisi cum creatura suo unitur creatorI et ei adhaerens unus efficitur spiritus ubi tamen multo praestantior et gratior est unitas qua in unum conglutinantur spiritum quam ea quae in solo spiritu creato quamvis illius quae in superiore id est in spiritu consistit increato pulchritudinem aequare non possit quod inde utique evenit quia unitas creata unitati increatae licet ad aliquid ad omnia tamen respondere non valet raquo De unitate I 5 eacuted MARTINEAU p 72-75 436 Il srsquoagit de Jeacutesus Christ qui consiste en deux natures creacuteeacutee et increacuteeacutee De plus Achard cite 1 Corinthiens VI 17 pour deacutemontrer cela Voir ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted EMARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 5 p 73 note 3

151

laquo Dans les creacuteatures en effet lrsquouniteacute citeacutee ne peut ecirctre si parfaite qursquoelle fasse drsquoelles

absolument un seul ecirctre car deux corps agrave quelque degreacute qursquoils srsquoaccordent nrsquooccupent

pourtant pas le mecircme lieu Et mecircme un quelconque esprit creacuteeacute si pregraves qursquoil approche un

autre esprit creacuteeacute ne pourra ecirctre essentiellement en lui Ce semble donc ecirctre le propre du seul

Esprit increacuteeacute et incirconscrit de peacuteneacutetrer les esprits creacuteeacutes et circonscrits et de pouvoir leur

ecirctre essentiellement infuseacute Bien que lrsquoesprit ait eacuteteacute creacuteeacute anteacuterieurement dans le corps

neacuteanmoins le corps nrsquoest pas semblablement en lui et bien qursquoils soient lieacutes en une

personne leur nature est fort opposeacutee Crsquoest pourquoi aussi la Veacuteriteacute afin de mettre en relief

lrsquouniteacute suprecircme qui est entre elle et le Pegravere uniteacute telle qursquoon ne la peut trouver ailleurs dit

lsquoJe suis dans le Pegravere et le Pegravere est en moirsquo Cela en effet ne peut se rencontrer en aucunes

creacuteatures que ce soient mecircme si elles sont de mecircme nature437 raquo

Il traite les types suivants de lrsquouniteacute

Unitas

duo corpora convenire in creaturis

spiritus creatus ad alium creatum spiritum accedere

corpus + spiritus cohaerere personaliter

spiritus increatus + spiritus creati penetrare

unitas summa (ex Pater et Filius) increata

Ainsi Achard parle de lrsquounification de deux corps de deux esprits creacuteeacutes de lrsquoesprit et du

corps et de lrsquoesprit creacuteeacute et lrsquoesprit increacuteeacute Tous ces composants ne sont absolument pas un car soit

ils ne possegravedent pas le mecircme lieu (les corps) soit ils ne sont pas la mecircme chose essentiellement (les

esprits) Lrsquounion du Pegravere et du Fils (la Veacuteriteacute il srsquoagit ici bien sucircr des personnes de la Triniteacute qui

sont dans lrsquouniteacute increacuteeacutee) est parfaite agrave tous les eacutegards Dans les cas deacutecrits il srsquoagit de lrsquouniteacute

consistant en plusieurs composants creacuteeacutes ou increacuteeacutes Ces composants peuvent avoir la mecircme nature

(comme deux corps ou deux esprits) ou diffeacuterentes natures (par exemple le corps et lrsquoesprit)

Pourtant lrsquouniteacute la plus haute reacuteside laquo en dehors et au-dessus des creacuteatures agrave savoir en lrsquoimage

437 laquo In creaturis namque assignata unitas tam perfecta esse non potest ut secundum eam prorsus unum sint Quantumlibet enim duo conveniant corpora eundem tamen non occupant locum Sed nec spiritus quilibet creatus quantumcumque ad alium creatum accesserit spiritum in eo essentialiter esse poterit Solius siquidem increati et incircumscripti id videtur esse Spiritus spiritus videlicet creatos et circumscriptos penetrare et eis infundi essentialiter posse quamvis in corpore ante spiritus sit creatus non tamen in ipso similiter est corpus et longe eorum licet personaliter etiam cohaerentium natura dissidet Unde et Veritas ut summam sui et Patris qualis reperiri nequeat alibI commendaret unitatem Ego inquit in Patre et Pater in me est Hoc enim in creaturis quibuslibet naturae etiam ejusdem inveniri non potest raquo De unitate I 7 eacuted MARTINEAU p 74-77

152

increacuteeacutee des choses elles-mecircmes438 raquo Les autres uniteacutes proviennent drsquoelle et lrsquoimitent agrave travers

lrsquoeacutemulation (aemulatio) des unes vers les autres ou vers le Creacuteateur

Dans la deuxiegraveme partie du De unitate Achard parle de lrsquouniteacute du corps qursquoil garde tout au

long de son existence439 Il srsquoagit de lrsquoidentiteacute du corps opposeacutee agrave la multipliciteacute des formes qui

changent Les uniteacutes intelligibles qui sont lagrave-bas (les formes et les nombres) sont dans leur uniteacute

vraie tandis que leurs copies ici varient Comme cela sera montreacute dans lrsquoarticle laquo Intellectus raquo les

formes des ecirctres individuels possegravedent tous leurs changements possibles simultaneacutement440 et les

nombres sont laquo purs raquo crsquoest-agrave-dire ne se mecirclent pas aux accidents441 Dans ce cas il srsquoagit de lrsquoecirctre

individuel vu comme lrsquouniteacute intelligible opposeacutee agrave la multipliciteacute du mecircme ecirctre pris dans son

changement

Par conseacutequent lrsquouniteacute dans les creacuteatures est comprise comme un assemblage drsquoeacuteleacutements

drsquoune mecircme ou de diffeacuterentes natures Lrsquouniteacute creacuteeacutee est moins belle et moins parfaite que lrsquouniteacute

increacuteeacutee Lrsquouniteacute de lrsquo laquo ecirctre increacuteeacute raquo dans la deuxiegraveme partie du De unitate signifie un eacutetat parfait

par rapport agrave lrsquoecirctre creacuteeacute Lrsquouniteacute est toujours plurielle agrave savoir elle est possible sous la condition de

la preacutesence de plusieurs eacuteleacutements

Achard distingue les types suivants de la pluraliteacute en I 13 (laquo la pluraliteacute des pluraliteacutes raquo)

substantielle accidentelle personnelle des proprieacuteteacutes et des raisons (substantialis accidentalis

personalis proprietatum rationum) Les deux premiers types se trouvent dans les creacuteatures (en

Dieu il nrsquoy a pas drsquoaccident et il nrsquoy qursquoune seule substance) Les deux derniegraveres sortes selon

Achard sont trouveacutees laquo aussi en chacune des personnes prises seacutepareacutement ou en une ltseulegt

personne442 raquo La pluraliteacute personnelle se trouve dans les trois personnes de Dieu et la pluraliteacute

substantielle443 dans le Christ

A partir du chapitre I 37 Achard nrsquoemploie plus la notion de pluralitas Au lieu drsquoelle il

utilise celle de la multitude (multitudo) La multitude des formes est opposeacutee agrave lrsquouniteacute du corps (I

48) Achard parle des parties de lrsquouniteacute distincte multiplement (I 48) des composants relevant lagrave-

bas de lrsquouniteacute et qui sont ici varieacutes et multiples (II 3) des veacuteriteacutes distinctes multiplement dans une

seule veacuteriteacute (II 11) des distinctions des raisons causales qui sont multiples ici par rapport agrave une 438laquo Unde extra et supra creaturas in ipsa videlicet imagine rerum increata raquo De unitate I 7 eacuted MARTINEAU p 76-77 439 laquo Ibi enim corpus illud quod hic manens numero unum per successionem tamen formas varians individuales efficitur aliqua numero multa ibI inquam simul videtur et in sua quadam corporis unitate et in omni illa qua ipsum numero manens corpus variatur vel et adeo variari potest formarum multiplicitate vel potius infinitate raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 144 440 laquo Ut quod ibi in seipso sine termino in istis quoque sit et sine numero ibique nihil sit in sua unitate quod non hic totum sit in varia et multiplici imo infinita distinctione raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 152 441 laquoNumeri autem posteriores vestigia quaedam sunt primorum variis admixti accidentibus in quibus tamen vera unitas non sit nec ipsi adeo dici possint veri esse numerI quam verorumr imagines quaedam in mentibus similitudines in spiritibus umbrae in corporibus raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152 442 laquo Eo quod utralibet vel una in singulis etiam reperitur personis vel persona personalis vero pluralitas nunquam nisi in multis atque diversis raquo De unitate I 13 eacuted MARTINEAU p 82-83 443 La substance deacutesigne dans ce cas la nature divine ou humaine

153

cause premiegravere et geacuteneacuterale lagrave-bas Ainsi la multipliciteacute est une varieacuteteacute qui peut ecirctre unie dans un

seul eacuteleacutement (uniteacute intelligible premiegravere)

En deacutefinitive lrsquouniteacute creacuteeacutee deacutesigne un assemblage drsquoeacuteleacutements Elle est moins parfaite que

lrsquouniteacute increacuteeacutee La pluraliteacute deacutesigne la seacuterie des eacuteleacutements de mecircme nature Et la multipliciteacute deacutesigne

une diversiteacute drsquoeacuteleacutements de nature diffeacuterente Dans la premiegravere partie du De unitate la pluraliteacute

provient de lrsquouniteacute agrave travers la multiplication dans le deuxiegraveme la multipliciteacute des diffeacuterents

eacuteleacutements sont unis dans leur uniteacute premiegravere

En introduisant lrsquouniteacute et la pluraliteacute dans le monde creacuteeacute Achard souligne non seulement le

fait que ces eacuteleacutements proviennent agrave partir de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute en Dieu mais aussi des

principes permettant de les retrouver (lrsquoassemblage la similitude etc)

A premiegravere vue la meacutetaphysique drsquoAchard a lrsquoair drsquoecirctre neacuteoplatonicienne il accepte lrsquouniteacute

suprecircme et les deux niveaux des laquo ecirctres raquo Pourtant cette uniteacute accepte la pluraliteacute en elle-mecircme au

niveau supeacuterieur (en Dieu) elle se multiplie en Dieu Et selon ce modegravele les uniteacutes dans le monde

consistent eacutegalement en de multiples eacuteleacutements Ainsi dans le cas de lrsquouniteacute il ne srsquoagit pas

seulement de lrsquoimitation de sa forme mais aussi du principe de la multiplication qui lui est propre

V32 Lrsquoapplication de la logique agrave la Triniteacute dans le De unitate

V321 Aequalitas exprimeacutee agrave travers la seacutemantique de la logique moderne

En I 9 Achard remarque qursquoil a deacutejagrave deacutecouvert la pluraliteacute et lrsquoeacutegaliteacute au sein de lrsquouniteacute

suprecircme et il lui reste agrave deacutemontrer comment lrsquouniteacute est eacutegale agrave plusieurs eacutegaux En reacutealiteacute Achard

nrsquoa mentionneacute lrsquoeacutegaliteacute (ou plutocirct lrsquoeacutegal) que quelques fois pour dire que la similitude pleine nrsquoest

possible qursquoentre des eacutegaux ou que lrsquouniteacute suprecircme participe aux choses agrave travers lrsquoeacutegaliteacute La

deacutemonstration de la neacutecessiteacute de lrsquoeacutegaliteacute reacuteside dans les chapitres I 10-11

Cette deacutemonstration commence par lrsquointroduction drsquoune regravegle geacuteneacuterale

laquo Si le fait drsquoecirctre eacutegal agrave lrsquoun a pour conseacutequence drsquoecirctre eacutegal agrave lrsquoautre il est impossible que

lrsquoun et lrsquoautre ne soient pas eacutegaux444 raquo

Elle peut ecirctre exprimeacutee de maniegravere suivante

444laquo Duobus quibuslibet propositis si quid sequitur esse aequale eorum uni quia est aequale alteri et illa duo aequalia non esse est impossibile raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79

154

(a=c rArr b=c) rArr a=b

Voici le premier argument

laquo (1) Mais si quelque chose est eacutegal а lrsquouniteacute suprecircme (2) il ne peut pas non plus ecirctre ineacutegal

а lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme sinon leur eacutegaliteacute nrsquoest pas si grande que le sont ces eacutegaux eux-

mecircmes et crsquoest une eacutegaliteacute imparfaite ou nulle Donc (3) lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale а lrsquouniteacute445 raquo

Il peut ecirctre preacutesenteacute de maniegravere suivante

1) Si c (quelque chose) = a (lrsquouniteacute suprecircme)

2) Donc c = b (lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme)

Cette conseacutequence est tireacutee du fait que c est relieacute agrave a et en mecircme temps c est relieacute agrave la

relation mecircme qui lrsquounit agrave a Ainsi la formule 1 transforme de maniegravere suivante

= (eacutegaliteacute)

a c

Selon Achard la relation de lrsquoeacutegaliteacute devient un membre indeacutependant de la formule ndash b Cela

est possible car il srsquoagit de lrsquouniteacute divine au sein de laquelle lrsquoeacutegaliteacute est parfaite (lrsquoeacutegaliteacute est

lrsquoidentiteacute absolue) Lrsquoeacutegaliteacute est tellement parfaite qursquoelle ne peut se contenter de designer

seulement la relation entre les membres de lrsquoeacutequation elle devient elle-mecircme un membre

indeacutependant446 Voilagrave pourquoi c (quelque chose) = b (lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme)

3) Donc b (lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme) = a (lrsquouniteacute suprecircme)

Voici lrsquoargument suivant construit sur la base drsquoune premiegravere regravegle

laquo Suivant cette regravegle en outre (1) ce nrsquoest pas parce que quelque chose est Dieu qursquoil nrsquoest

pas lrsquoeacutegaliteacute Donc Dieu est lrsquoeacutegaliteacute ou (2) lrsquoeacutegaliteacute peut ecirctre Dieu sans quoi il reacutesulterait

que lrsquoeacutegaliteacute ne serait pas quelque chose qui se rapporte а Dieu mecircme (3) Mais Dieu ne peut

pas ecirctre quelque chose ou plutocirct quelque chose ecirctre Dieu qui ne soit pas Dieu (4) Crsquoest

pourquoi lrsquoeacutegaliteacute elle aussi est Dieu447 raquo

445 laquo Si autem aliquid unitati summae est aequale ipsum etiam aequalitati ipsi non potest esse inaequale alioquin enim non tanta est eorum aequalitas quanta ipsa sunt aequalia et est aequalitas imperfecta vel nulla Aequalitas igitur unitati est aequalis Item si aequalitas primae et summae unitati aequalis est ipsa dicendum est raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 446 laquo Aequalitas igitur unitati est aequalis raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79 447 laquoJuxta quam regulam etiam nec si quid est Deus ipsum non est aequalitas Deus igitur aequalitas est sive aequalitas Deus esse potest alioquin namque sequitur illud aequalitatem scilicet non quid esse ad ipsum Deum esse Deus autem

155

1) Du fait que c (quelque chose) = d (Dieu) ne suit pas cneb (lrsquoeacutegaliteacute) soit

not(c=drArrcneb)

De cette formule Achard tire la conclusion d=b (Dieu est lrsquoeacutegaliteacute) Crsquoest possible si lrsquoon fait

les transformations suivantes

not(c=drArrcneb)

c=dandnot(cneb)

c=dandnotnot(c=b)

c=dand(c=b)

d=b

2) La proposition suivante peut ecirctre exprimeacutee dans les termes de la logique modale

not (b=d) rArr not(b=d)

Cela semble eacutevident du point de vue des raisonnements Pourtant Achard dit que Dieu peut

se rapporter agrave lrsquoeacutegaliteacute (ecirctre eacutegal) seulement srsquoil est lrsquoeacutegaliteacute Cette affirmation nrsquoest qursquoune

paraphrase de ce qui a eacuteteacute dit agrave propos de lrsquoeacutegaliteacute dans le passage preacuteceacutedent

3) Du fait que d (Dieu) = c (quelque chose) et c = d ne suit pas cned soit

Vu que dans la logique classique cned = not (c = d)

Selon le principe de non contradiction not (c=dandnot(c = d))

Crsquoest une autre regravegle logique eacutetablie par Achard

4) Maintenant on peut mettre b (lrsquoeacutegaliteacute) au lieu de c (quelque chose) ce qui donne

b=d soit not (b=dandnot(b = d))

Ainsi lrsquoeacutegaliteacute pour Achard est la qualiteacute drsquoecirctre eacutegal (=) mais aussi lrsquoeacuteleacutement mecircme de

lrsquoeacutequation (b ndash lrsquoeacutegaliteacute) Il est remarquable que les regravegles qursquoAchard applique pour deacutemontrer que

lrsquoeacutegaliteacute est Dieu sont les mecircmes que celles qui sont appliqueacutees aux creacuteatures Elles sont connues

aujourdrsquohui comme les regravegles de la logique classique Crsquoest la matiegravere agrave laquelle elles sont

appliqueacutees agrave Dieu qui implique qursquoelles megravenent agrave des conseacutequences extraordinaires (lrsquouniteacute est

eacutegale agrave lrsquoeacutegaliteacute et elle est cette eacutegaliteacute)

En II 11 Achard reprend la question laquo est-ce que lrsquoEgalite est Dieu raquo

laquo Si elle eacutetait ltautrementgt eacutegale agrave cette uniteacute il srsquoensuivrait certes qursquoelle-mecircme serait

modalement Dieu et qursquoelle ne demeurerait nullement ce qursquoelle est elle-mecircme ltcargt du

aliquid esse non potest nec aliquid Deus quod Deus non sit Quare et aequalitas Deus est raquo De unitate I 10 eacuted MARTINEAU p 78-79

156

fait mecircme qursquoelle serait Dieu elle serait neacutecessairement eacutetant modalement autre chose

ltqursquoelle-mecircmegt agrave moins qursquoelle ne fucirct elle-mecircme aussi modalement Dieu comme

lrsquohomme ltest lui-mecircme modalement animal en effetgt si lrsquohomme eacutetait lui-mecircme pierre il

ne serait pas ce qursquoil est et crsquoest pourquoi lrsquohomme nrsquoest pas modalement pierre mais si

lrsquohomme est animal il ne srsquoensuit pas qursquoil soit autre chose et crsquoest pourquoi il lrsquoest

modalement drsquoougrave lrsquoon peut conclure qursquoil est lui-mecircme modalement animal Or partout ougrave

il y a eacutegaliteacute il y a aussi qualiteacute en effet lrsquoeacutegaliteacute ne peut exister ni ecirctre dite entre plusieurs

qursquoen vertu drsquoune certaine modaliteacute448 raquo

Dans ce passage Achard veut deacutemontrer que lrsquoeacutegaliteacute reste elle-mecircme entre plusieurs

personnes eacutetant modalement Dieu (modo aliquo) Pour expliquer le sens de cette modaliteacute Achard

compare la relation laquo homme-animal raquo agrave la relation laquo eacutegaliteacute-Dieu raquo

Achard affirme que la relation entre Dieu et lrsquoeacutegaliteacute soit diffeacuterente de sa relation avec les

autres personnes laquo Or partout ougrave il y a eacutegaliteacute il y a aussi qualiteacute raquo lrsquoeacutegaliteacute est la qualiteacute ou le

preacutedicat des autres personnes Elle est Dieu (lrsquoune des personnes) modalement mais elle reste elle-

mecircme ndash le preacutedicat

Ainsi la formule trinitaire laquo lrsquoUniteacute Ce qui lui est eacutegal et lrsquoEgaliteacute raquo peut ecirctre exprimeacutee de

maniegravere suivante

A(u1 u2) ougrave A est lrsquoEgaliteacute (Aequalitas) u1 ndash lrsquouniteacute u2 ndash ce qui est eacutegal agrave lrsquouniteacute

La conclusion probable de ce raisonnement serait laquo lrsquoeacutegaliteacute est en mecircme rapport agrave Dieu que

lrsquoespegravece (lrsquohomme) au genre (lrsquoanimal) raquo Mais il semble qursquoAchard ne deacuteveloppe pas cette

thegravese449

Une autre theacuteorie moderne qui aide agrave exprimer les ideacutees drsquoAchard est la theacuteorie

matheacutematique des ensembles Un cas auquel elle peut ecirctre appliqueacutee se trouve en I 3-4 la

similitude nrsquoexiste de maniegravere pleine qursquoentre les eacuteleacutements eacutegaux Cette ideacutee peut ecirctre exprimeacutee

dans les termes des ensembles toutes les choses qui possegravedent la qualiteacute drsquolaquo ecirctre eacutegal raquo

appartiennent agrave lrsquoensemble S (la similitude) Autrement dit a1 a2hellipan isin S ougrave S est lrsquoensemble des

choses a1 a2hellipan qui sont eacutegales

448 laquo Alioquin enim si unitati illi esset aequalis sequeretur quidem modo ipsam Deum esse et nequaquam id quod ipsa est manere sed ex hoc ipso quod Deus esset et ipsa aliud quia modo est necessario esset nisi vel et ipsa modo Deus esset quemadmodum est homo si ipse lapis esset non id esset quod est quare homo modo lapis non est si autem homo animal est non inde sequitur ipsum aliud esse quare ipse modo est unde et inferri potest quia ipse modo animal est Ubicumque autem et qualitas est et aequalitas est Non enim nisi modo aliquo plurium esse potest vel dici aequalitas raquo De unitate I 11 eacuted MARTINEAU p 80-81 449 En effet cette position appartient aux Pegraveres grecs Augustin la critique (De Trinitate VII VI 11) A savoir il nrsquoaccepte pas lrsquoexplication de la relation entre les personnes et la Triniteacute dans les termes du genre et de lrsquoespegravece

157

En II 5 Achard remarque que les qualiteacutes de lrsquouniteacute sont lrsquoeacutegaliteacute la pluraliteacute et la

similitude Elles lui permettent drsquoecirctre dans les choses Pour deacutecrire cette thegravese dans les termes des

ensembles il faut prendre un ensemble qui contient plus drsquoun eacuteleacutement

Ainsi lrsquoensemble U (lrsquoUniteacute) peut exister entre les choses eacutegales

a1 a2hellip an isin U

Cette uniteacute est la pluraliteacute par conseacutequent elle possegravede plus drsquoun eacuteleacutement agrave savoir

Pour tout ai aj 1 lt i j lt n ai est eacutegal agrave aj

Il est possible drsquoexprimer de la mecircme maniegravere lrsquouniteacute agrave travers la similitude

Ou entre les choses semblables

s1 s2hellip snisin U

Pour tout si sj 1 lt i j lt n si est semblable agrave sj

Ensuite en II 9 Achard se pose pour but de trouver laquo lrsquouniteacute de plusieurs et de plusieurs

assureacutement eacutegaux et elle-mecircme comme il apparaicirctra dans la suite ne peut pas ne pas ecirctre tout aussi

eacutegale agrave ces eacutegaux450 raquo Autrement dit Achard cherche agrave deacutecrire lrsquoensemble des eacuteleacutements de telle

sorte que cet ensemble mecircme doit aussi ecirctre un eacuteleacutement crsquoest-agrave-dire faire partie de lui-mecircme

U= (U a1 a2hellip an)

Pour tout ai aj 1 lt i j lt n ai est eacutegal agrave aj

U ndash lrsquouniteacute soit lrsquoensemble de plusieurs eacuteleacutements les a1 a2hellip an ndash des eacuteleacutements eacutegaux aux

autres

De cette maniegravere lrsquoapplication de la theacuteorie des ensembles permet de voir la diffeacuterence entre

lrsquouniteacute dans le monde et celle de Dieu Lrsquouniteacute de Dieu est un ensemble qui comprend lui-mecircme en

tant qursquoeacuteleacutement

La doctrine de lrsquoeacutegaliteacute drsquoAchard de Saint-Victor est originale et difficile agrave comprendre

Jusqursquoici nous lrsquoavons interpreacuteteacutee agrave lrsquoaide de la seacutemantique des theacuteories modernes (celle de la

logique classique et celle des ensembles) En effet nous pouvons observer ici un pheacutenomegravene

inteacuteressant en utilisant les doctrines de son eacutepoque (celle de lrsquouniteacute et la similitude) et en scrutant

un problegraveme actuel pour lui (lrsquoexplication de la Triniteacute) Achard trouve une solution proche de celle

qursquoon utilise aujourdrsquohui pour penser la mise en ordre du reacuteel Gracircce agrave lui la doctrine des

ensembles peut compter comme outillage de la meacutetaphysique platonicienne du XIIe siegravecle

Afin de repeacuterer le deacuteveloppement de la doctrine drsquoAchard il nous faut expliquer les notions

de similitude et de participation

Cette eacutetude preacuteliminaire de lrsquoEgaliteacute permet de deacutesigner les qualiteacutes qui ouvrent la voie agrave

lrsquoexplication de la Triniteacute en tant qursquoUniteacute Ce qui lui est eacutegal et lrsquoEgaliteacute LrsquoAequalitas drsquoAchard 450 laquo Unitas [] nequit utique esse non plurium nec eorum certe nisi aequalium nec nisi eisdem aequalibus ipsa quoque ut ex sequentibus elucebit non minus aequalis raquo De unitate I 9 eacuted MARTINEAU p 76-78

158

est en mecircme temps un membre de la formule si c=a et c=b donc a=b et la relation = qui existe entre

les membres de cette formule Cette conclusion correspond agrave lrsquoargument proposeacute en I 11 lrsquoeacutegaliteacute

est elle-mecircme (la relation et le preacutedicat qui unit les autres personnes) et elle est modalement Dieu en

tant que personne En mecircme temps lrsquoUniteacute deacutesigne un ensemble des eacuteleacutements qui est en Dieu et un

de ces eacuteleacutements Nous croyons que lrsquoeacutetude de la similitude et de la participation mettra encore plus

de lumiegravere sur cette particulariteacute de la meacutetaphysique drsquoAchard

V322 Similitudo

Le terme similitudo est employeacute pour la premiegravere fois en I 2 pour deacutesigner la maniegravere dont

la pluraliteacute premiegravere est en Dieu En tant que notion indeacutependante la similitude est deacuteveloppeacutee en

II 3

laquo Il nrsquoy a ndash il ne peut y avoir ndash aucune chose mecircme simplement creacuteeacutee qui ne soit en

quelque faccedilon agrave lrsquoimage de cette uniteacute vraie et suprecircme dont on a parleacute Cependant la

similitude de toute creacuteature agrave cette uniteacute est relative donc partielle et imparfaite Or lrsquoon ne

peut parler drsquoun imparfait que par rapport agrave un parfait agrave la perfection duquel il participe de

maniegravere deacuteficiente par conseacutequent il subsiste aussi quelque part mdash donc il y a dans quelque

chose mdash une similitude pleine et parfaite de cette uniteacute Mais comme cette ltsimilitudegt

ainsi qursquoon vient de le dire ne peut ecirctre dans la creacuteature elle reacuteside neacutecessairement au-

dessus de la creacuteature dans la diviniteacute mecircme Or il nrsquoy a de similitude qursquoentre plusieurs et

elle nrsquoest pleine et totale qursquoentre des eacutegaux451 raquo

similitudo unitatas vera et summa ndash res creata similitudo - unitas illa

ex parte et imperfecta est plena atque perfecta

plura aequalia

Achard retient deux cas drsquoapplication de la similitude 1) entre lrsquouniteacute et la chose creacuteeacutee ndash la

similitude imparfaite 2) entre la similitude et lrsquouniteacute ndash la similitude parfaite Lrsquoargument est baseacute

451 laquo Nulla enim est res etiam creata sed nec esse potest quae non in aliquo illam imitetur unitatem veram et summam Similitudo autem omnis creaturae ad illam secundum aliquid est et ideo ex parte et imperfecta est Imperfectum vero non dicitur quid nisi respectu perfecti a cujus perfectione deficit et ita subsistit alicubI ergo in aliquo similitudo est et plena atque perfecta Quae ltcumgt tamen in creatura ut dictum est esse non possit super creaturam necessario in ipsa divinitate consistit Similitudo autem nulla nisi inter plura nec plena et secundum totum nisi inter aequalia raquo De unitate I 3 eacuted MARTINEAU p 72

159

sur le fait que si une chose existe ici de maniegravere imparfaite lagrave-bas elle doit ecirctre de maniegravere pleine

et parfaite

La prochaine occurrence de la similitude est dans I 4

laquo La similitude elle-mecircme eacutetant une chose une ne peut pas ne pas ecirctre semblable agrave quelque

eacutegard а lrsquouniteacute susdite (1) Or comme toutes les autres choses sont semblables agrave celle-ci par

quelque participation de la similitude (2) et lui sont semblables partiellement et non pas en

pleacutenitude la similitude ne peut se participer elle-mecircme (3) mais elle est toute semblable mdash

donc par une similitude parfaite et pleine mdash agrave cette ltuniteacutegt et crsquoest pourquoi elle lui est en

tous points eacutegale (4)452 raquo

Dans ce passage Achard introduit trois preacutemisses (1 2 et 3) et une conclusion (4) Voici une

reacutecapitulation

unitas ndash res aliqua una unitas ndash similitudo

similitudo secundum partem secundum plenitudinem tota et

perfecta

participatio ex aliqua participatione per omnia aequales

En effet Achard reacutepegravete lrsquoargument du chapitre preacuteceacutedent mais cette fois il emploie le nom

similitudo qui deacutesigne la qualiteacute mais aussi lrsquoadjectif similis qui deacutesigne lrsquoobjet auquel cette qualiteacute

appartient Cet emploi permet drsquoexprimer la doctrine drsquoAchard dans les termes de la doctrine de la

preacutedication drsquoAristote qui a eacuteteacute exposeacute avant

La similitude est plutocirct lrsquoaccident universel qui produit la preacutesence de lrsquoaccident particulier

(similis ndash semblable) Pourtant la similitude est une chose (une substance particuliegravere) qui peut

ressembler agrave lrsquouniteacute (lrsquoaccident universel) De cette maniegravere la premiegravere preacutemisse (la similitude

ressemble agrave lrsquouniteacute) est possible gracircce au jeu des significations de la similitude qui est prise tantocirct

comme un accident universel (la similitude elle-mecircme) tantocirct comme une substance particuliegravere

(qui contient un certain semblable) Soit dans les termes de la preacutedication tantocirct comme le preacutedicat

tantocirct comme le sujet

452 laquo Inde praeterea illam quam quaerimus pluralitatem astruit quia similitudo ipsa cum sit res aliqua una non potest non esse similis unitati propositae in aliquo Cum autem ei ex aliqua participatione similitudinis sint similia caetera et ideo secundum partem non secundum plenitudinem similitudo se ipsaltmgt participare nequit sed [se] tota et sic perfecta et plena similitudine illi est similis quare et per omnia aequalis raquo De unitate I 4 eacuted MARTINEAU p 72-73

160

En formulant la deuxiegraveme preacutemisse (les choses sont semblables agrave lrsquouniteacute par participation agrave

la similitude) Achard introduit la notion de participation Elle deacutesigne la relation entre lrsquouniteacute

(lrsquoaccident universel) et les choses unes (les substances particuliegraveres) Pourtant un autre accident

srsquointroduit La preacutedication laquo une chose une est lrsquouniteacute raquo est possible car cette mecircme substance

particuliegravere (chose) est semblable et possegravede donc lrsquoaccident universel la similitude

Participation

Unitas Similitudo

Unus similis

Dans cette illustration les grands cercles sont lrsquouniteacute et la similitude (les accidents

universaux) le carreacute est le sujet (la substance particuliegravere) et les petits cercles noirs sont la

similitude et lrsquouniteacute qui sont dans le sujet (les accidents particuliers) Il srsquoagit ainsi de la preacutedication

extra-cateacutegorielle (quand une cateacutegorie drsquoun certain type est preacutediqueacutee de lrsquoautre agrave savoir la qualiteacute

est preacutediqueacutee de la substance premiegravere) En outre Achard accepte la preacutesence de deux sujets (un

certain un et un certain semblable) dans un seul objet (une certaine chose)

La troisiegraveme preacutemisse (la similitude ne peut participer agrave elle-mecircme) est la conseacutequence du

fait que la similitude eacutetant la relation imparfaite ne peut ecirctre le sujet et le preacutedicat en mecircme temps

Autrement la fonction S (u1 u2hellipun U) ougrave S ndash la similitude u1 ndash une certaine chose une U ndash

lrsquouniteacute est possible et la fonction S(S) non

Cela permet agrave Achard de tirer une conclusion qui srsquoexprime de maniegravere suivante A (S U)

ougrave A ndash lrsquoeacutegaliteacute (Aequalitas) 453 (la similitude ressemble agrave lrsquouniteacute de maniegravere pleine et parfaite et

crsquoest pourquoi elle lui est en tous points eacutegale454) Voici une repreacutesentation graphique

453 Nous proposons lrsquoexplication suivante de la phrase laquo similitudo se ipsaltmgt participare nequit raquo La similitude en tant qursquoaccident universel est identique agrave elle-mecircme crsquoest-agrave-dire elle est eacutegale agrave elle-mecircme Comme cela a eacuteteacute eacutetabli plus haut participer dans le cas de la similitude veut dire laquo ecirctre semblable agrave quelque chose raquo pourtant la relation laquo ecirctre eacutegale agrave soi-mecircme raquo est plus preacutecise que laquo ecirctre semblable agrave quelque chose raquo et elle exprime plutocirct la qualiteacute de lrsquouniteacute Voilagrave pourquoi du fait que la similitude ne participe pas en elle-mecircme suit qursquoelle est eacutegale agrave lrsquouniteacute suprecircme 454 Il faut noter que la relation de lrsquoeacutegaliteacute nrsquoest pas reacuteciproque dans ce cas car lrsquouniteacute nrsquoest pas eacutegale en tous points agrave la similitude

161

Aequalitas

Unitas

Similitudo

Achard preacutesente la similitude en tant qursquouniteacute incomplegravete Cela rend possible la preacutedication

intra-cateacutegorielle laquo la similitude est (semblable agrave) lrsquouniteacute raquo dans laquelle la similitude est prise en

tant qursquoespegravece et lrsquouniteacute en tant que genre

Par conseacutequent la participation est une preacutedication extra-cateacutegorielle et lrsquoeacutegaliteacute est une

preacutedication intra-cateacutegorielle

La diffeacuterence entre les systegravemes meacutetaphysiques drsquoAristote et drsquoAchard consiste dans le fait

que pour Aristote les substances premiegraveres sont les sujets individuels qui possegravedent la primauteacute

ontologique Crsquoest pour cette raison que la preacutedication acceptable pour lui est soit la preacutedication

intra-cateacutegorielle de type laquo cet homme est lrsquohomme raquo soit la preacutedication extra-cateacutegorielle de type

laquo lrsquohomme est sage raquo La preacutedication laquo la similitude est (semblable agrave) lrsquouniteacute raquo est possible sous ces

conditions

(1) la similitude est lrsquoespegravece du genre laquo lrsquouniteacute raquo

(2) le sujet auquel la similitude et lrsquouniteacute sont attribueacutees existe

Il srsquoagit dans le cas drsquoAchard de Dieu au niveau duquel lrsquouniteacute et la similitude existent

Lrsquooriginaliteacute drsquoAchard consiste dans le fait qursquoil prend la similitude tantocirct comme sujet (une

substance particuliegravere) tantocirct comme preacutedicat (un accident universel) Pourtant elle reste toujours

en Dieu comme dans son objet Aussi il suppose que la preacutedication dans le cas des creacuteatures est

imparfaite (la preacutedication) et dans le cas de Dieu est parfaite (lrsquoeacutegaliteacute)

Dans le reste du De unitate la similitude est employeacutee quelques fois Les rares exemples de

son emploi sont

- laquo lrsquouniteacute son semblable et leur similitude raquo pour deacutesigner la Triniteacute (in unitate et ejus

simili et eorum similitudine I 37)

- la similitude (similitudo I 46) qui est le modegravele ou la forme de quelque chose

162

- laquo des images dans les acircmes des similitudes dans les laquo esprits raquo les ombres dans les

corps raquo (laquo imagines quaedam in mentibus similitudines in spiritibus umbrae in

corporibus raquo II 5 10 14) Cette expression rappelle le verset de la Genegravese (I 26) qui

dit que laquo Dieu creacutea lrsquohomme agrave son image et agrave sa ressemblance raquo

Ainsi le sens logique (comme sujet ou comme preacutedicat) de la notion de similitudo nrsquoest plus

employeacute dans le De unitate agrave partir du chapitre I 12

Lrsquoeacutetude de la notion de similitude permet drsquoeacutelucider une particulariteacute de la meacutetaphysique

drsquoAchard comme le double emploi des accidents universels (notamment la similitude) en tant que

sujet et en tant que preacutedicat dans la preacutedication

V323 Participatio

Achard reacuteintroduit la notion de participatio en I 10 afin de justifier la preacutesence de lrsquoeacutegaliteacute

en Dieu Nous allons continuer agrave expliquer sa doctrine en termes de preacutedication En I 10 la notion

de participation est employeacutee dans trois cas diffeacuterents

1) Une illustration pour sa thegravese (lrsquoeacutegaliteacute et lrsquouniteacute sont distinctes en Dieu)

laquo Mais qursquoelle lui [lrsquoeacutegaliteacute agrave lrsquouniteacute] soit eacutegale cela ne lrsquoempecircche pas drsquoecirctre lrsquoeacutegaliteacute elle-

mecircme de mecircme que si le blanc est ltbiengt de la couleur ce blanc ltcependantgt nrsquoest pas la

blancheur mecircme du fait que le blanc nrsquoest la substance mecircme de la blancheur que par

participation455 raquo

Ainsi la relation entre la blancheur et le blanc est une participation La blancheur est un

accident universel et le blanc est un accident particulier Pourtant vu qursquoAchard suppose qursquoils ne

sont pas de la mecircme substance le blanc doit repreacutesenter une certaine chose blanche (une substance

particuliegravere) Dans ce cas le blanc quitte la substance de blancheur et rejoint celle du sujet

particulier et par conseacutequent la preacutedication extra-cateacutegorielle a lieu Voici la preacutesentation

graphique

455 laquo Non autem si ipsa est aequalis illi non est aequalitas ipsa veluti non si color est album album ipsa non est albedo eo quod ipsa substantia albedinis est album modo participatione raquo De unitate I10 eacuted MARTINEAU p 78-79

163

Participation

blancheur

blanc

Dans cette illustration Achard compare la relation de lrsquoeacutegaliteacute et de lrsquouniteacute reacutesidant en Dieu

avec celle du blanc et de la blancheur (la participation)

2) Un argument

laquo En effet comme nous lrsquoavons montreacute que lrsquoeacutegaliteacute soit eacutegale agrave lrsquouniteacute suprecircme ce nrsquoest

pas une raison pour qursquoelle perde la substance mecircme de lrsquoeacutegaliteacute ce qui certes serait

absolument neacutecessaire si la substance de lrsquoeacutegaliteacute eacutetait infeacuterieure agrave la substance de lrsquouniteacute

suprecircme (1) Tout au contraire non seulement du fait que lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave cette uniteacute il

ne srsquoensuit pas qursquoelle perde la substance de lrsquoeacutegaliteacute mais encore il srsquoensuit neacutecessairement

qursquoelle la garde (2)456 raquo

Ainsi Achard preacutesente deux cas (1) quand une substance est infeacuterieure agrave lrsquoautre et (2)

quand elles se trouvent au mecircme niveau

Le premier cas ressemble plutocirct agrave la participation soit la preacutedication extra-cateacutegorielle

comme elle est deacutecrite plus haut Pour Achard une telle preacutedication implique que lrsquoeacutegaliteacute est

instancieacutee dans une substance particuliegravere et par conseacutequent elle nrsquoest plus un accident universel

Ce sont des accidents universaux (lrsquouniteacute lrsquoeacutegaliteacute etc) qursquoAchard appelle ici les substances

Dans le deuxiegraveme cas (la substance de lrsquoeacutegaliteacute garde la substance de lrsquouniteacute) la preacutedication

sera laquo lrsquouniteacute est eacutegale agrave lrsquoeacutegaliteacute raquo ou laquo lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave lrsquouniteacute raquo (soit A (A U) voir

lrsquoillustration)

456 laquo Non enim ut ostendimus si aequalitas unitati summae est aequalis ipsam amittat substantiam aequalitatis Quod utique prorsus necessarium esset si substantia aequalitatis summae unitatis substantia inferior esset Quod autem si non solum non sequitur aequalitatem si illi est aequalis unitati aequalitatis substantiam amittere sed et retinere raquo De unitate I10 eacuted MARTINEAU p 78-79 Nous avons modifieacute leacutegegraverement la traduction de Martineau afin drsquoameacuteliorer la compreacutehension au lieu de traduire la phrase laquo non sequitur aequalitatem si illi est aequalis unitati raquo par laquo de lrsquoeacutegaliteacute de lrsquoeacutegaliteacute agrave cette uniteacute il ne srsquoensuit pas raquo mais par laquo du fait que lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave cette uniteacute il ne srsquoensuit pas raquo

164

Egaliteacute

Aequalitas= unitas

Contrairement au cas de la similitude lrsquoeacutegaliteacute est complegravetement identique agrave lrsquouniteacute Au

niveau de la preacutedication cela implique qursquoelles se preacutediquent mutuellement lrsquoune de lrsquoautre

(laquo lrsquouniteacute est eacutegale raquo et laquo lrsquoeacutegaliteacute est une raquo) et chacune drsquoelle-mecircme (laquo lrsquouniteacute est une raquo et

laquo lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale raquo)

3) Et voici le troisiegraveme cas de lrsquoemploi de la participatio

laquo De la mecircme faccedilon (1) ni lrsquouniteacute mecircme ne serait une ni la sagesse ne serait sage si lrsquoune et

lrsquoautre perdaient leur substance Car ce nrsquoest point en participant mais en existant ce

qursquoelles sont elles-mecircmes qursquoelles ndash crsquoest-agrave-dire lrsquouniteacute et la sagesse ndash sont lrsquoune une

lrsquoautre sage (2) Selon cette modaliteacute si lrsquoeacutegaliteacute elle aussi est eacutegale agrave quelque chose par

elle-mecircme et non pas par lrsquoeacutegaliteacute alors une autre lteacutegaliteacutegt lui est eacutegale Mais cela est

impossible agrave moins que ne demeure lrsquoeacutegaliteacute elle-mecircme Crsquoest pourquoi si lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale

agrave lrsquouniteacute susdite alors elle aussi conserve la substance de lrsquoeacutegaliteacute qui puisse lui ecirctre eacutegale

en effet ce nrsquoest pas par participation de lrsquoeacutegaliteacute que lrsquoeacutegaliteacute peut ecirctre eacutegale agrave quelque

chose comme les autres choses qui sont dites eacutegales mais en existant ltcommegt lrsquoeacutegaliteacute

mecircme Mais lrsquoinverse nrsquoest pas moins vrai si lrsquoeacutegaliteacute est eacutegale agrave lrsquouniteacute citeacutee alors elle est

avec elle de la mecircme substance Donc crsquoest la substance de cette uniteacute qui constitue aussi

celle de lrsquoeacutegaliteacute457 raquo

Prenons drsquoabord la sagesse et lrsquouniteacute (1) Dans les deux cas il srsquoagit de la preacutedication intra-

cateacutegorielle qursquoAchard appelle lrsquoexistence

457 laquo Sic enim nec ipsa unitas una nec sapiens esset sapientia nisi utraque suam servaret substantiam Non enim participando sed existendo ea quae ipsae sunt id est unitas et sapientia haec est una illa sapiens Juxta quem modum et aequalitas si cui aequalis est se ipsa utique non aequalitate alia ei aequalis est Hoc autem impossibile nisi ipsa remaneat aequalitas Quare si aequalitas praedictae aequalis est unitati et ipsa retinet substantiam aequalitatis quae ei possit esse aequalis non enim participatione aequalitatis potest esse aequalitas alicui aequalis ut caetera quae dicuntur aequalia sed existendo aequalitas ipsa Rursus autem si aequalitas unitati est aequalis propositae et ipsa ejusdem est cum illa substantiae Eadem ergo unitatis illius aequalitatis substantia est raquo De unitate I10 eacuted MARTINEAU p 78-79 Voir aussi laquo Inde praeterea illam quam quaerimus pluralitatem astruit quia similitudo ipsa cum sit res aliqua una non potest non esse similis unitati propositae in aliquo Cum autem ei ex aliqua participatione similitudinis sint similia caetera et ideo secundum partem non secundum plenitudinem similitudo se ipsaltmgt participare nequit sed [se] tota et sic perfecta et plena similitudine illi est similis quare et per omnia aequalis raquo ibid I 4 eacuted MARTINEAU p 72-73

165

Sagesse Uniteacute

Sage une

La sagesse est sage lrsquouniteacute est une

Ainsi lrsquoexistence a lieu quand un accident universel est preacutediqueacute de lui-mecircme S(S) pour la

sagesse et U(U) pour lrsquouniteacute Achard appelle ce pheacutenomegravene laquo garder sa substance raquo (suam servare

substantiam)

Dans son commentaire au chapitre I 10 Martineau explique la diffeacuterence entre la

participation et lrsquoexistence comme la participation ordinaire et la metexis purement ideacuteale458 Afin

drsquoexpliquer comment la substance en I 10 peut deacutesigner les uniteacutes geacuteneacuterales et ecirctre dans le Dieu

unique il la deacutecrit comme laquo cette speacutecificiteacute drsquoecirctre ou cette laquo ipseacuteiteacute raquo que tout eacutetant reccediloit de lrsquoecirctre

penseacute comme ideacutealiteacute pure raquo Crsquoest de cette maniegravere que la substance eacutetant unique comprend

plusieurs ecirctres Martineau appelle cette proprieacuteteacute de la substance laquo la redundantia ontologique raquo et

il suggegravere qursquolaquo un platonisme authentique permet agrave Achard de Saint-Victor de satisfaire en mecircme

temps aux exigences les plus secregravetes de lrsquoaristoteacutelisme bien compris raquo 459

Ensuite Achard passe agrave lrsquoeacutegaliteacute qui est eacutegale agrave lrsquouniteacute (2) Il srsquoagit cette fois de la relation

entre deux substances (deux sujets) Il distingue deux cas laquo ecirctre eacutegale par lrsquoeacutegaliteacute raquo et laquo ecirctre eacutegale

par elle-mecircme raquo laquo Etre eacutegale par lrsquoeacutegaliteacute raquo se reacutefegravere agrave la participation tandis que laquo ecirctre eacutegale par

elle-mecircme raquo agrave lrsquoexistence Finalement il deacutecouvre que ces deux substances-qualiteacutes sont une Cela

peut ecirctre deacutecrit par la formule A (A U) et par lrsquoillustration proposeacutee plus haut

Aequalitas = unitas

En effet mecircme si Achard parle de deux substances seacutepareacutees en reacutealiteacute crsquoest la mecircme

substance de Dieu Ainsi dans les termes de la preacutedication la substance dans ce contexte veut dire

laquo un accident universel raquo (un preacutedicat)

458 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 10 note 4 p 79 459 Ibid I 10 note 5 p 79

166

Voici la description des deux types de preacutedication

participando existendo

amittere substantiam servare retinere substantiam

aequalitas est aequalis aequalitate aequalitas aequalis est se ipsa

aequalitas ndash (res) aequalis

albedo ndash album

sapientia ndash sapiens unitas ndash una

aequalitas ndash unitas

Ces deux types correspondent aux preacutedications extra- (par participation) et intra-cateacutegorielles

(par existence) Mecircme si en reacutealiteacute Achard ne parle pas de preacutedication nous avons choisi cette

notion afin de deacutemontrer que la distinction qursquoAchard fait entre les personnes de la Triniteacute a un

caractegravere logique Drsquoapregraves son ontologie lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute ont la mecircme substance ce qui implique

qursquoelles sont un mecircme objet de penseacutee (une seule uniteacute intelligible) Pourtant Achard distingue

deux sujets logiques de preacutedication (lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute) agrave lrsquointeacuterieur de cet objet Cela permet

drsquointroduire la distinction entre les personnes de la Triniteacute Le fait que ces deux sujets sont

preacutediqueacutes lrsquoun de lrsquoautre permet drsquoexpliquer comment ils sont unis logiquement

Le but du chapitre I 10 est de montrer que lrsquoeacutegaliteacute est de la mecircme substance que lrsquouniteacute

mais qursquoen mecircme temps lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute sont distinctes Achard le fait en introduisant les notions

de participation et drsquoexistence La premiegravere deacutesigne la relation entre le preacutedicat et le sujet qui

indiquent des objets diffeacuterents (la blancheur et quelque chose de blanc) et la deuxiegraveme la relation

entre le preacutedicat et le sujet qui deacutesignent le mecircme objet (laquo la sagesse est sage raquo ou laquo lrsquouniteacute est

eacutegaliteacute raquo) Ainsi Achard utilise la notion de participation afin drsquoexpliquer pourquoi lrsquoeacutegaliteacute et

lrsquouniteacute sont distinctes et la notion drsquoexistence afin de montrer pourquoi elles sont de la mecircme

substance

Achard emploie le terme de participatio dans le reste du De unitate En particulier il la deacutecrit

de maniegravere deacutetailleacutee en II 3

laquo Crsquoest pourquoi srsquoil nrsquoy a rien dans les vertus ou la beacuteatitude de Dieu que lui-mecircme ne

puisse faire descendre dans la participation de la creacuteature rationnelle alors lui-mecircme pour

ainsi dire tout entier a proceacutedeacute dans une infiniteacute de participations de ce genre non certes par

lrsquoacte creacuteateur mais cependant en intellect de telle sorte que lrsquoinfiniteacute de ces vertus et de ces

beacuteatitudes correspond en quelque maniegravere agrave son immensiteacute et que ce qui lagrave-bas est en soi-

167

mecircme sans limite est aussi en celles-ci sans nombre et qursquoil nrsquoy a rien lagrave-bas dans lrsquouniteacute de

Dieu qui ne soit ici tout entier dans une distinction varieacutee et multiple et mecircme infinie460 raquo

Ainsi la participation est la relation entre Dieu et les ecirctres in intellectu ainsi qursquoentre les ecirctres

in intellectu et les ecirctres in actu

Par rapport agrave la doctrine des formes Achard dit que sans distinction dans la forme premiegravere

rien ne pourrait venir agrave la participation461 Pour le reste laquo les vertus des creacuteatures que les saints

reccediloivent par gracircce sont des participations de ces vertus premiegraveres et suprecircmes qui sont toutes en

Dieu462 raquo les gracircces et les dons qui se reacutefegraverent au Saint-Esprit sont les participations463 la deacuteiteacute a

proceacutedeacute de maniegravere pleine dans le Verbe (geacuteneacuteration) est par participation dans les hommes (lors de

la creacuteation)464

Le thegraveme de la participation apparaicirct quand il srsquoagit des universaux (II 8) Est-ce que les

universaux sont des formes infuseacutees dans les choses par participation se demande Achard Les

corps carreacutes participent agrave la forme de tous les corps carreacutes La chose universelle peut avoir lrsquoinfiniteacute

des participations Et finalement les universaux portent les noms qursquoils obtiennent dans la

participation des choses et non ceux qursquoils ont en eux-mecircmes

Les autres cas drsquoemploi du mot participatio

- les esprits creacuteeacutes muables sont eacuteternels en raison de la participation agrave lrsquoeacuteterniteacute de Dieu (II

6)

- les biens qui sont bons agrave travers la participation au bien suprecircme (II 10)

- la justice est en elle-mecircme par pleacutenitude et dans la creacuteature par participation (II 17)

- les esprits (mentes) deviennent rationnels et veacuteridiques par participation agrave la Lumiegravere (II

18)

460 laquo Quare si nihil est in virtutibus vel beatitudine Dei quod ab ipso in creaturae rationalis participationem deduci possit tunc et ipse quasi totus ut sic dixerim in participationes hujusmodi infinitas faciendi non actu intellectu tamen processit ut istarum infinitas illius virtutum et beatitudinis quodammodo respondeat immensitatI ltetgt ut quod ibi in seipso sine termino in istis quoque sit et sine numero ibique nihil sit in sua unitate quod non hic totum sit in varia et multiplici imo infinita distinctione raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-145 461 laquo Quod quidem si esset nec si quis in Dei contemplatione rei alicujus veritatem videre posset quin pariter et eo ipso cujuslibet etiam rei alterius veritatem agnosceret nec veritatem rei unius sciret quin simul et veritatem sciret omnium nec intelligeret alter ibi aliquid de rerum veritate quod non alter sed nec id quod penitus sine omni distinctione esset et in participationem aliquam venire posset nec pateret quomodo quis id per se ipsum et in se ipso videret quin tantum videret vel quomodo etiam Deus ltnecgt ipse aliquid circa veritatem sive in veritate rerum videret [184 rdeg] quod non quilibet quoltadgt aliquid ibi videret raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 143 462 laquo Virtutes autem creaturarum quas per gratiam accipiunt ltsanctigt quaedam sunt illarum quae in Deo omnes et totae et simul et semper sunt virtutum primarum et summarui participationes raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144 463 laquoQuod et ad Spiritus sancti si tamen ita se habet intelligendam proprietatem valere poterit Ipse siquidem Patris et Filii est connexio ex eis aeternaliter procedens et ad ipsum in Scripturis distributiones gratiarum atque donorum dona quoque ipsa vel gratiae referri solent quae aliud non sunt nisi praedictae participationes rerum praedictarum raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-146 464 laquo Ibi si non in alios per participationes infinitas in ipsum tamen ltsecundumgt plenialdinem omnimodam ab aeterno processit deitas tota ut ibi ex tunc in eo habitet processione aeterna omnis plenitudo divinitatis intellectualiter quae postmodum in temporis plenitudine in eo coepit processione temporali habitare corporaliter raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 146-147

168

Ainsi dans le reste du De unitate la notion de participation implique le fait que des objets

lagrave-bas (in intellectu) sont agrave lrsquoorigine des ecirctres ici (in actu) Dans ce contexte la participation

ressemble plutocirct agrave une doctrine de type platonicien quand les choses sensibles participent aux ideacutees

intelligibles par imitation465

Lrsquoeacutetude de la notion de participation permet drsquoapprendre qursquoAchard accepte la preacutedication

intra-cateacutegorielle au sein drsquoune substance pour expliquer la Triniteacute

Dans les chapitres I 1-11 du De unitate Achard expose les bases de sa doctrine trinitaire

Lrsquouniteacute et la pluraliteacute existent en Dieu car elles sont dans le monde La similitude et la participation

sont des relations logiques (de type laquo preacutedication raquo) qui rendent possible une telle existence

La meacutetaphysique trinitaire drsquoAchard est proche du platonisme Achard accepte les deux

niveaux ndash ici et lagrave-bas ndash qui sont qualitativement diffeacuterents De plus les qualiteacutes qui sont lagrave-bas (en

Dieu) ndash lrsquounitas et lrsquoexistence ndash sont plus parfaites que leurs analogues la similitudo et la

participatio ici (parmi les creacuteatures) Ainsi les deux niveaux sont diffeacuterents qualitativement

Pourtant Achard nrsquoaccepte pas un tel caractegravere distinctif du neacuteoplatonisme comme la

primauteacute absolue de lrsquouniteacute Lrsquouniteacute est preacutesente en Dieu avec la pluraliteacute primaire ce qui donne la

Triniteacute Cela devient possible suite au deacuteveloppement de la doctrine platonicienne de la

participation

Augustin a deacuteveloppeacute la doctrine de participation en disant qursquoelle-mecircme est imparfaite dans

les creacuteatures et en Dieu crsquoest lrsquoidentiteacute (ecirctre essence De Trinitate XV V 8) parfaite qui lui

correspond Erigegravene appelle cette identiteacute parfaite la preacutedication par essence Cela leur a permis de

deacutemontrer la simpliciteacute de Dieu (ses qualiteacutes sont identiques car elles sont la substance elle-mecircme)

En reacutealiteacute ils ont pris lrsquoideacutee que les ecirctres en Dieu sont parfaits et dans les creacuteatures non et ils lrsquoont

appliqueacutee agrave la notion mecircme de la participation Cela implique que la participation imparfaite dans

les creacuteatures a son analogue parfait (lrsquoidentiteacute ou la preacutedication par essence) en Dieu Cette

distinction entre la participation des ecirctres du monde aux qualiteacutes de Dieu et lrsquoidentiteacute parfaite de ces

qualiteacutes en Dieu se manifeste chez Achard de Saint-Victor dans la distinction de la participation

entre les qualiteacutes en Dieu et les ecirctres dans le monde et lrsquoexistence en tant que relation des qualiteacutes

en Dieu (De unitate I 10) De cette faccedilon Augustin et Erigegravene transmettent agrave Achard et les

doctrines suivantes

- les ecirctres sont parfaits en Dieu et imparfaits dans les creacuteatures 465 Voir par exemple la participation chez Plotin JF PRADEAU Lrsquoimitation de principe Plotin et participation Paris 2003 p 89-96

169

- les ecirctres imparfaits participent agrave leur prototype parfait en Dieu

- la relation mecircme de la participation est imparfaite et a son prototype parfait en Dieu

La derniegravere thegravese est particuliegravere au platonisme drsquoAugustin et drsquoErigegravene

Achard choisit de deacutecrire les uniteacutes qui apparaissent dans le monde (De unitate I 7 corpora

conveniunt corpus et spiritus cohaerent spiritus increatus penetrat spiritum creatum) Hugues

adopte la mecircme strateacutegie (De sacramentis Christianae fidei I III XII compositio collectio

similitudio) Les deux auteurs analysent les moyens de creacuteer lrsquouniteacute dans le monde autrement qursquoen

postulant qursquoelle deacutepend de Dieu De cette faccedilon ils ne comptent pas uniquement sur lrsquooutillage

platonicien

Achard accepte notamment la formule trinitaire drsquoAugustin Unitas Aequalitas Connexio

(ou Concordia) qursquoil transforme en Unitas eo quod ei est Aequale Aequalitas Les deux

contemporains drsquoAchard ndash Thierry des Chartres et Richard de Saint-Victor ndash prennent cette mecircme

formule dans son eacutetat originel Richard le fait dans sa lettre De tribus personis appropriatis qui est

eacutecrite entre 1162 et 1173466 (Jean Ribaillier pense que crsquoest le De unitate qui a inspireacute Richard467)

Et Thierry le fait dans plusieurs œuvres (voir plus haut) reacutedigeacutees entre 1130 et 1150 De cette faccedilon

Achard accepte cette formule probablement en mecircme temps que Thierry Pourtant il la modifie De

plus Achard le fait dans un traiteacute trinitaire indeacutependant et Thierry dans ses commentaires sur le De

Trinitate de Boegravece Les contextes de lrsquoemploi de cette formule sont leacutegegraverement diffeacuterents chez les

deux auteurs Il est ainsi difficile de deacutefinir srsquoil a eu de lrsquoinfluence drsquoun cocircteacute ou srsquoils se sont inspireacutes

tous les deux drsquoAugustin

Achard comprend les membres de cette formule ndash lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute ndash surtout comme les

laquo substances raquo (les accidents universaux selon la terminologie aristoteacutelico-boeacutecienne) La

preacutedication extra-cateacutegorielle laquo lrsquouniteacute est eacutegale raquo et laquo lrsquoeacutegaliteacute est une raquo est possible parce que ces

qualiteacutes sont lieacutees (lrsquoeacutegaliteacute parfaite est lrsquouniteacute) Du fait que lrsquoeacutegaliteacute et lrsquouniteacute soient lieacutees elles ont

la mecircme substance mais sont aussi des personnes diffeacuterentes

En deacutefinitive la solution du problegraveme trinitaire drsquoAchard de Saint-Victor peut ecirctre appeleacutee

laquo logique raquo car il srsquoagit de la preacutedication de lrsquouniteacute et de lrsquoeacutegaliteacute mais elle est diffeacuterente de la

solution logique drsquoAugustin (le Pegravere et le Fils se preacutediquent selon la cateacutegorie de la relation) Elle

est plus proche agrave notre avis de la solution que Thierry de Chartres appelle matheacutematique De cette

faccedilon lrsquoeacutetude de la doctrine drsquoAchard permet de montrer une autre application de lrsquoheacuteritage

drsquoAugustin dans la doctrine trinitaire

Lrsquoexplication de la doctrine drsquoAchard dans les termes des theacuteories contemporaines aide agrave

voir la particulariteacute de lrsquouniteacute et de lrsquoeacutegaliteacute en Dieu Exprimeacutee en des termes drsquoensemble lrsquouniteacute

466J RIBAILLE laquo Etude litteacuteraire raquo dans RICHARD DE SAINT-VICTOR Opuscules theacuteologiques Texte critique avec introduction notes et tables eacuted RIBAILLIER Paris 1967 (Textes philosophiques du Moyen Age 15) p 172-174 467 Ibid p 177-178

170

est un ensemble de personnes et un membre de cet ensemble en tant que personne (U= (U a1 a2hellip

an) pour tout ai aj 1 lt i j lt n ai est eacutegal agrave aj) Exprimeacutee en des termes de fonction lrsquoeacutegaliteacute est la

fonction des deux premiegraveres personnes de la Triniteacute (A(u1 u2)) Cela souligne le fait que lrsquoeacutegaliteacute

est diffeacuterente des autres personnes

Lrsquoavantage de lrsquointerpreacutetation de lrsquouniteacute et de lrsquoeacutegaliteacute en terme de preacutedication est que cela

permet de comprendre comment ces notions peuvent deacutesigner la mecircme substance (la substance

unique de Dieu) ecirctre distinctes (quand elles sont preacutediqueacutees lrsquoune de lrsquoautre comme les accidents

particuliers) et ecirctre les prototypes des qualiteacutes dans le monde (comme les accidents universaux) en

mecircme temps De cette maniegravere la premiegravere voie pour introduire la distinction en Dieu est

drsquoexpliquer les personnes en termes de preacutedication

171

CHAPITRE VI

Les personnes de la Triniteacute

Parmi les questions qui ont eacuteteacute poseacutees par Achard agrave propos de la Triniteacute (voir chapitre III)

nous voudrions souligner les deux qui sont susceptibles drsquoecirctre influenceacutees par la philosophie

platonicienne

1) Pourquoi faut-il distinguer trois personnes

2) Pourquoi la procession des personnes srsquoarrecircte-t-elle agrave trois A savoir pourquoi Dieu ne

descend-il pas directement dans le monde

La premiegravere question comprend la deacutefinition du rocircle des personnes dans la meacutetaphysique du

De unitate drsquoAchard Une autre question qui a eacuteteacute poseacutee ndash les noms des personnes ndash sort du cadre

geacuteneacuteral de notre recherche mais elle va ecirctre eacutetudieacutee quand mecircme dans le cas drsquoAchard seulement

VI1 La fonction des personnes de la Triniteacute selon la penseacutee tardo-antique

La notion de personne joue un rocircle important dans la doctrine chreacutetienne Crsquoest gracircce agrave la

preacutesence des personnes que Dieu est conccedilu comme Triniteacute et qursquoil a un mouvement interne

(procession) La doctrine de la procession permet drsquoeacutelaborer une explication philosophique de la

Triniteacute

Nous avons deacutejagrave dit que la doctrine des trois personnes a eacuteteacute deacuteveloppeacutee sur la base des

teacutemoignages du Nouveau Testament Les Pegraveres de lrsquoEglise proposent des explications theacuteologiques

de cette doctrine avec un outillage intellectuel largement emprunteacute agrave la philosophie468 Le scheacutema

neacuteoplatonicien de la procession de tout ce qui existe agrave partir de lrsquoUn influence la formation de la

doctrine trinitaire Pourtant le Dieu chreacutetien est de nature diffeacuterente de celle du monde469 Par

conseacutequent la procession comprend deacutesormais les doctrines (1) de la relation interne des personnes

et (2) de la relation entre Dieu et le monde

468 Nous allons eacutetudier une de ces doctrines ndash le Fils en tant que Verbe de Dieu ndash dans les chapitres suivants 469 Ce qui rappelle la doctrine neacuteoplatonicienne selon laquelle le principe premier qui est la raison de lrsquoexistence des ecirctres est au-delagrave de ces ecirctres A ce propos voir E BERTI laquo Le problegraveme de la substantialiteacute de lrsquoecirctre et lrsquoun raquo dans Etudes sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Actes du VIe symposium aristotelicum eacuted P AUBENQUE Paris 1979 p 90

172

De cette faccedilon la doctrine de la relation interne (1) concerne les questions du nombre des

personnes et de leurs relations mutuelles La doctrine de la relation entre Dieu et le monde (2)

explique le paradoxe comment le monde peut-il ecirctre diffegraverent de Dieu srsquoil provient de lui

VI11 Le rocircle des personnes dans la Triniteacute

Pour deacutefinir le rocircle des personnes agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute nous allons poser les questions

suivantes

- Comment les personnes sont-elles distingueacutees

- Quelle est la relation entre les personnes

1 La premiegravere question touche le problegraveme du monotheacuteisme chreacutetien La distinction entre les

trois personnes ne doit pas ecirctre substantielle sinon il faudrait accepter lrsquoexistence de trois dieux

Drsquoapregraves Augustin la distinction interne entre les personnes apparaicirct quand chaque personne

est prise dans sa relation aux autres (Augustin De Trinitate V)470 En mecircme temps elles agissent

dans le monde comme un seul Dieu471

Boegravece propose la deacutefinition de la personne qui devient la plus connue au Moyen Age La

personne est laquo une substance indivisible de nature rationnelles raquo (laquo rationabilis naturae individua

substantia raquo Contra Eutychen III) Drsquoapregraves Boegravece les personnes se sont dites de Dieu et lrsquoune de

lrsquoautre relativement (Utrum Pater De Trinitate V) De cette faccedilon elles se distinguent entre elles

mais cette distinction nrsquoest pas substantielle

La deacutefinition de la diffeacuterence des personnes drsquoapregraves Boegravece ne deacutepend pas de leur

mouvement agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute En mecircme temps il distingue les personnes comme trois

entiteacutes diverses mais il ne preacutecise pas en quoi chaque personne est diffeacuterente des deux autres

Erigegravene dit que chaque personne est une Cause et que les trois causes sont une (Periphyseon

II)

laquo Le Pegravere le Fils et le Saint-Esprit constituent agrave la fois trois Causes et une Cause unique car

les Trois sont Un Le Pegravere est la Cause geacuteneacuteratrice de son Fils monogegravene neacute de Lui lequel

est la Cause de toutes les causes primordiales qui ont eacuteteacute creacuteeacutees en Lui par le Pegravere mais le

Pegravere est aussi la Cause du Saint-Esprit qui procegravede de Lui par le Fils et le Saint-Esprit est la

Cause de la division de la multiplication et de la distribution de toutes les causes qui ont eacuteteacute

470 Voir le chapitre IV11 laquo Augustin en tant que source du discours trinitaire du XIIe siegravecle raquo 471J TURMEL Histoire des dogmes t II La Triniteacute LrsquoIncarnation La Vierge Marie Paris 1931 p 196

173

creacuteeacutees dans le Fils par le Pegravere que lrsquoEsprit divise multiplie et distribue dans leurs effets

geacuteneacuteriques speacutecifiques et individuels472 raquo

Werner Beierwaltes remarque que la doctrine trinitaire drsquoErigegravene comprend la causaliteacute

interne et en cela elle est diffeacuterente des doctrines drsquoAugustin et de Boegravece Les personnes de la

Triniteacute sont des causes lrsquoune pour lrsquoautre Mais cette causaliteacute est diffeacuterente de la causaliteacute qui a lieu

dans le monde Tandis que cette derniegravere preacutevoit la subordination la deacutependance et lrsquoineacutegaliteacute entre

la cause et lrsquoeffet la causaliteacute divine a des caracteacuteristiques diffeacuterentes Les personnes sont eacutegales et

aucune drsquoentre elles nrsquoest subordonneacutee aux autres ou ne les preacutecegravede dans le temps473

Ainsi selon Erigegravene les personnes sont semblables car elles sont des causes Mais elles sont

diffeacuterentes car chaque personne en tant que cause produit des effets diffeacuterents

En deacutefinitive Augustin Boegravece et Erigegravene expliquent de maniegraveres diffeacuterentes la distinction

des trois personnes de la Triniteacute

- selon leur relation mutuelle

- selon la preacutedication

- car elles sont des causes diffeacuterentes

2 Le scheacutema trinitaire est diffeacuterent entre lrsquoOrient et lrsquoOccident Les Pegraveres grecs disent que le

Saint-Esprit procegravede du Pegravere seul Les Pegraveres latins enseignent que le Fils est engendreacute par le Pegravere et

le Saint-Esprit procegravede du Pegravere et du Fils La communion du Saint-Esprit est une doctrine qui

apparaicirct au sein de la theacuteologie occidentale chez Marius Victorinus et Augustin474 La diffeacuterence

consiste dans le fait que les occidentaux considegraverent le Fils en tant que principe eacutegal au Pegravere

Boegravece quant agrave lui ne touche pas la question de la procession dans quatre de ses traiteacutes

trinitaires Dans le De fide catholica il explique seulement que le Fils procegravede du Pegravere Le Saint-

Esprit procegravede du Pegravere et du Fils et le mode de cette procession nrsquoest pas connu475

472 laquo Patrem et Filium et Spiritum sanctum tres causas et unam causam (tres enim unum sunt) patrem autem causam gignentem nascentis de se filii sui unigeniti qui causa est omnium primordialium causarum in se ipso a patre conditarum eundem uero patrem causam procedentis a se sancti spiritus Qui spiritus causa est diuisionis et multiplicationis distributionis que causarum omnium quae in filio a patre factae sunt in effectus suos et generales et speciales et proprios raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 115 = PL 122 609BC trad BERTIN t I-II p 407-408 473 W BEIERWALTES laquo Unity and Trinity in East and West raquo dans Eriugena East and West papers of the eighth international Colloquium of the Society for the promotion of Eriugenian studies Chicago and Notre Dame 18-20 October 1991 eacuted B MCGINN et W OTTEN Notre Dame (Ind) 1994 p 222 (Notre Dame conferences in medieval studies 5) 474 A propos drsquoAugustin voir CJ MEWS laquo The world as text the Bible and the book of nature in twelfth-century theology raquo dans Scripture and pluralism reading the Bible in the religously plural worlds of the Middle Ages and Renaissance ed TH J HEFFERNAN and TH E BURMAN Leiden p 102 475 Lrsquoinfluence de ce teacutemoignage est douteuse vu que les grands commentateurs du XIIe siegravecle nrsquoincluent pas le De fide catholica dans le corpus drsquoOpucula Sacra A GALONNIER laquo Introduction Traiteacute IV ltDe fide catholicagt raquo dans BOEgraveCE Opuscula Sacra eacuted A GALONNIER t I Louvain-Paris 2007 p 380

174

Erigegravene dit que chacune des trois personnes de la Triniteacute consiste dans les autres dans son

inteacutegraliteacute (in toto476) Il se demande srsquoil est possible que le Fils soit neacute du Pegravere par le Saint-Esprit

de la mecircme faccedilon que le Saint-Esprit procegravede du Pegravere par le Fils Il deacutemontre que cela nrsquoest pas

possible agrave travers les analogies trinitaires (feu rayon clarteacute esprit raison sens inteacuterieur) Mais

lrsquoargument principal est ce que drsquoapregraves le Symbole de foi le Fils est engendreacute et le Saint-Esprit

procegravede477 Les teacutemoignages du Nouveau Testament (Lc 1 35 Mt 1 20) convainquent Erigegravene

drsquoaccepter la version catholique de la procession

De cette faccedilon les penseurs occidentaux deacuteveloppent le scheacutema de la procession du Saint-

Esprit agrave partir du Pegravere agrave travers le Fils

VI12 Le rocircle des personnes dans le monde

Le Dieu chreacutetien creacutee le monde En mecircme temps il est incompreacutehensible pour des raisons

humaines Ces deux postulats trouvent leur reflet dans la doctrine trinitaire Voilagrave pourquoi dans

cette partie nous allons poser les questions suivantes

- quel est le rocircle de la Triniteacute dans le processus de la creacuteation

- comment la Triniteacute et le monde permettent-ils de se comprendre mutuellement

1 Selon Augustin la creacuteation a lieu en deux eacutetapes

- la creacuteation ex nihilo

- lrsquoinformation478

Lrsquoinformation est le moment ougrave une creacuteature reccediloit sa forme Cette forme correspond agrave une

raison eacuteternelle qui est dans le Verbe de Dieu (De ideis De diversis quaestionibus 83 qu 46)

Selon Augustin Dieu continue toujours drsquoinformer les ecirctres (De civ Dei XXII XXIV 2) Par

conseacutequent Dieu agit sur le monde mais pas de maniegravere directe Il contient dans son Verbe les

ideacutees qui sont les prototypes des ecirctres dans le monde Il est une cause exemplaire du monde

Voici comment Erigegravene deacutecrit la creacuteation

476 laquo Ita et spiritum sanctum a patre per filium procedere catholica fides praedicat quoniam ipse pater qui principalis causa est et sola processionis sancti spiritus totus in toto filio est sicut et totus filius in toto patre ex quo patre per filium sanctus spiritus procedit raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 115-6 = PL 122 609C 477 laquo Inquisitor siquidem sollicitus sanctae theologiae spiritum sanctum a patre per filium audiens procedere mox diuino studio admonitus quaerit et dicit Si ergo spiritus sanctus a patre per filium procedit cur non similiter filius a patre per spiritum nascitur Si autem filius a patre per spiritum non nascitur cur spiritus sanctus a patre per filium procedere diceretur Nam quod de spiritu sancto catholice creditur cur non etiam de filio similiter crederetur Ac per hoc quod in sancto symbolo secundum graecos canitur hac quaestione liberum omnino est atque absolutum Dicit enim filium ΕΚ ΤΟΥ ΠΑΤΡΟΣ ΓΕΝΕΘΕΝΤΑ (hoc est ex patre genitum) spiritum uero ΕΚ ΤΟΥ ΠΑΤΡΟΣ ΠΟΡΕΥΟΜΕΝΟΝ (id est ex patre procedentem) raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 119 = PL 122 611D-612B 478 F-J THONNARD laquo Notes complementaires Creacuteation et conformation raquo dans AUGUSTIN De civitate Dei eacuted B DOMBART et A KALB trad G COMBEgraveS F-J THONNARD et M A DEVYNCK Paris 1960 p849 (BA 37)

175

laquo Le Pegravere est donc la Cause agrave la fois du Fils et du Saint-Esprit alors que le Fils est la Cause

de la creacuteation des causes primordiales agrave lrsquoeacutetat principiel et que le Saint-Esprit devient la

Cause de la distribution des causes primordiales dans leurs effets479 raquo

Werner Beierwaltes souligne que la doctrine trinitaire drsquoErigegravene est causale et qursquoelle est

inspireacutee par le neacuteoplatonisme de pseudo-Denys480 Erigegravene montre comment lrsquouniteacute se multiplie agrave

travers la relation causale et deacutecoule ensuite dans le monde Les causes qui ont eacuteteacute conccedilues dans le

Fils ont une nature leacutegegraverement diffeacuterente de lui481

Ainsi selon Augustin lrsquoinformation ndash lrsquoadjonction des formes agrave la matiegravere ndash a lieu

constamment dans le monde Dieu a preacutecreacuteeacute le monde une fois dans le Verbe et deacutesormais il le

reacutealise Selon Erigegravene Dieu a creacuteeacute les causes dans le Fils et il a ordonneacute leur distribution au Saint-

Esprit Ce processus se deacuteroule dans le monde

Ces deux doctrines drsquoAugustin et drsquoErigegravene correspondent agrave la doctrine chreacutetienne ougrave la

creacuteation srsquoeffectue par le Pegravere agrave travers le Fils (le Verbe) et le Saint-Esprit qui distribue sa Bonteacute

aux œuvres

Augustin et Erigegravene eacutetablissent des doctrines drsquoapregraves lesquelles Dieu eacutemane dans le monde agrave

travers son Verbe Dans le cas drsquoAugustin les formes srsquoimpriment dans le monde Dans le cas

drsquoErigegravene les causes proviennent du Verbe Dans les deux cas lrsquointeraction entre la procession des

personnes et la creacuteation du monde est preacutesente

2 Dans cette partie nous allons montrer une autre maniegravere de lier la Triniteacute et le monde

Comme les neacuteoplatoniciens Augustin dit que Dieu est diffeacuterent du monde Mais il se

concentre sur un aspect eacutepisteacutemologique de cette diffeacuterence la Triniteacute nrsquoest pas concevable mais

le monde lrsquoest Pour surpasser cette diffeacuterence Augustin propose la doctrine des analogies

trinitaires

479 laquo Causa itaque filii pater est et spiritus sancti filius uero causa est conditionis principaliter causarum earundem autem causarum distributionis spiritus sanctus causa est raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 104 = PL 122 601B trad BERTIN t I-II p 395 (mod I Lystopad) 480 W BEIERWALTES laquo Unity and Trinity in East and West raquo dans Eriugena East and West papers of the eighth international Colloquium of the Society for the promotion of Eriugenian studies Chicago and Notre Dame 18-20 October 1991 eacuted B MCGINN et W OTTEN Notre Dame (Ind) 1994 p 223-4 (Notre Dame conferences in medieval studies 5) 481 laquo Hinc conficitur quod ideo primordiales rerum causas deo coaeternas esse dicimus quia semper in deo sine ullo temporali principio subsistunt non omnino tamen deo esse coaeternas quia non a se ipsis sed a suo creatore incipiunt esse Ipse uero creator nullo modo incipit esse raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 48 = PL 122 561C-562A

176

Pour comprendre Augustin cherche drsquoabord les traces de la Triniteacute dans le monde et

ensuite ses images dans lrsquoacircme humaine (qui est la moins imparfaite des creacuteatures)482 Il part de

lrsquoideacutee que les objets creacuteeacutes par Dieu portent en eux des traces de la Triniteacute

La doctrine des analogies trinitaires est aujourdrsquohui largement eacutetudieacutee483 Nous nous

permettons de distinguer les analogies drsquoAugustin selon les triades suivantes

- les objets exteacuterieurs agrave lrsquoacircme (amans amatus amor De Trin VIII X 14 physica

ethica logica De civ Dei XI XXV aeternitas ueritas caritas De Trin XI 28)

- les eacutetapes de la perception (res imago congruentia De Trin VI X 11 unitas species

ordo VI X 12 res visa (corpus) visio exterior intentio XI II 2 memoria visio

interior volitio XI III 6-9)

- les faculteacutes de lrsquoacircme (mens notitia amor De Trin IX III 3 memoria intelligentia

voluntas XI XI 7 scientia cogitatio amor XIII XX 26 etc)

Erigegravene quant agrave lui trouve aussi des analogies pour exprimer la Triniteacute484

Pegravere Fils Saint-Esprit

567A ousia dynamis energeia

568D intellectus ratio virtus sensus operatio

569B nous logos dianoia

608B ignis radius splendor

Erigegravene part des explications possibles des opeacuterations de la Triniteacute (ousia dynamis

energeia) Ensuite il dit que les mouvements de lrsquoacircme ressemblent agrave ceux de la Triniteacute (intellectus

ratio sensus) Plus tard Erigegravene ajoute les meacutetaphores du feu du rayon et de la clarteacute pour

expliquer comment les personnes sont trois et une en mecircme temps485

482 D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 270 483 Cf Chapitre V11 laquo Augustin en tant que source du discours trinitaire du XIIe siegravecle raquo 484 R ROQUES laquo Remarques sur la signification de Jean Scot Eacuterigegravene raquo dans Miscellanea A Combes Rome 1967 p 312-4 485 laquo Num nobis uisum est nullam naturam esse quae non in his tribus terminis intelligatur subsistere qui a graecis ut saepe diximus ΟΥΣΙΑ ΔΥΝΑΜΙΣ ΕΝΕΡΓΕΙΑ appellantur (hoc est essentia uirtus operatio) raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 55 = PL 122 567A laquo Sed uide quid tibi uidetur de famosissima nostrae naturae trinitate quae in intellectu et ratione et sensu intelligitur raquo Ibid p 58= PL 122 568D laquo In ea enim ΝΟΥΣ intellectus dicitur ΛΟΓΟΣ ratio ΔΙΑΝΟΙΑ sensus non ille exterior sed interior et in his tribus essentialis trinitas animae ad imaginem dei constitutae subsistit raquo Ibid p 59= PL 122 569B laquoVt enim propterea splendorem ex igne per radium procedere dicimus quoniam ignis ipse totus in toto radio subsistit ex quo per radium splendor emittitur ita et spiritum sanctum a patre per filium procedere catholica fides praedicat quoniam ipse pater qui principalis causa est et sola processionis sancti spiritus totus in toto filio est sicut et totus filius in toto patre ex quo patre per filium sanctus spiritus procedit raquo Ibid p 115= PL 122 609C

177

Augustin et Erigegravene trouvent que lrsquoacircme humaine ressemblant agrave Dieu est un des exemples

les plus eacutevidents de lrsquoinfluence de la Triniteacute Leur theacuteologie trinitaire signale que mecircme si le monde

est diffeacuterent de Dieu Dieu a laisseacute ses traces dans le monde

Augustin Boegravece et Erigegravene distinguent les trois personnes Dans le cas drsquoAugustin et

drsquoErigegravene chaque personne a son rocircle dans la Triniteacute Les points de deacutepart de leurs doctrines sont

les teacutemoignages de la Bible et la doctrine de lrsquoEglise chreacutetienne Boegravece explique simplement

pourquoi il faut distinguer les personnes La question laquopourquoi il y a trois personnes raquo nrsquoest pas

poseacutee

Dans les doctrines des penseurs chreacutetiens tardo-antiques Dieu creacutee le monde agrave travers son

Fils En mecircme temps ils acceptent le postulat que la nature de Dieu est diffeacuterente de celle du

monde Augustin souligne le rocircle du Verbe en tant que cause exemplaire Erigegravene remarque que les

causes qui proviennent du Verbe ont une nature diffeacuterente de celle du Verbe Les deux tracent la

frontiegravere entre Dieu est le monde Et les deux acceptent la doctrine des analogies trinitaires qui est

baseacutee sur le postulat que Dieu donne des cleacutes pour comprendre son mystegravere dans le monde

VI2 La procession et la Triniteacute chez les victorins

Nous avons deacutejagrave deacutefini les deux les types de procession qui concernent la Triniteacute

- celle qui a lieu agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute

- celle qui a lieu entre la Triniteacute et le monde

Nous avons vu que diffeacuterentes doctrines ont eacuteteacute employeacutees pour expliquer ces processions

La distinction entre les opeacuterations qui sont orienteacutees ad intra (entre les personnes elle-mecircme) et ad

extra (entre les personnes et la creacuteature) devient un sujet majeur du discours trinitaire du XIIe

siegravecle486

Dans ce chapitre nous allons eacutetudier les doctrines drsquoHugues et de Richard de Saint-Victor

concernant les proprieacuteteacutes et les opeacuterations de la Triniteacute

486 D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siegravecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 275

178

VI21 Le mouvement inteacuterieur de la Triniteacute

VI211 Hugues de Saint-Victor

Hugues de Saint-Victor explique la doctrine de la Triniteacute agrave lrsquoaide de ce qui devient la theacuteorie

des appropriations Dans le De tribus diebus il dit

laquo La puissance se rapporte au Pegravere la sagesse au Fils la bonteacute au Saint-Esprit487 raquo

Les trois proprieacuteteacutes de Dieu ndash puissance sagesse et bonteacute ndash ne sont pas des personnes de la

Triniteacute mais les appropriations qui deacutesignent en premier lieu la substance divine488

Nous avons fait une reacutecapitulation des proprieacuteteacutes qui manifestent selon Hugues lrsquouniteacute et la

Triniteacute en Dieu (De sacramentis I III XXXI)

Unitas

unitas aequalitas aeternitas

aeternitas et immensitas simplicitas incommutabilitas

sine quantitate sine tempore

Trinitas

communio immensitas coaevitas

sine divisione sine diminutione sine ordine vel successione

tota singulis in unitate plena in immensitate perfecta in aeternitate489

487 laquo Potentia ad Patrem sapientia ad Filium benignitas pertinet ad Spiritum sanctum raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XXVI eacuted POIREL p 64 = PL 176 836B Trad D POREL Le lsquoDe tribus diebusrsquo de Hugues de Saint-Victor Edition critique et commentaire historique et doctrinal Paris 1999 Thegravese de doctorat p 607 488 laquo Potentia Patris erat et Filii erat et Spiritus sancti erat et substantialiter erat et aequaliter erat Et sapientia Patris erat et Filii erat et Spiritus sancti erat et substantialiter erat et aequaliter erat Et bonitas Patris erat et Filii erat et Spiritus sancti erat et substantialiter erat et aequaliter erat raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis Christianae fidei I II VII PL 176 209A 489 laquo Quod Deus trinus et unus et quid in unitate et quid in trinitate Ita ergo ab initio proditus est Deus conscientiae humanae et adjuta fides indiciis veritatis confessa est Deum esse et ipsum unum Deinde etiam trinum esse Et in unitate quidem confessa est aeternitatem et immensitatem in aeternitate autem incommutabilitatem in immensitate autem simplicitatem hoc est aeternitatem sine tempore et immensitatem sine quantitate In Trinitate vero confessa est communionem unitatis aequalitatem immensitatis coaevitatem aeternitatis Et communionem quidem unitatis sine divisione aequalitatem immensitatis sine diminutione coaevitatem aeternitatis sine ordine vel successione Hoc est singulis in unitate totum in immensitate plenum in aeternitate perfectumraquo Ibid I III IV PL 176 228BC laquo Si ergo Deum confitemur ibi essentia unum et in personis trinum et in unitate quidem agnoscimus aeternitatem et immensitatem In aeternitate autem incommutabilitatem in immensitate vero simplicitatem hoc est aeternitatem sine tempore immensitatem sine quantitate In Trinitate confitemur communionem unitatis aequalitatem immensitatis coaevitatem aeternitatis Et communionem quidem unitatis sine divisione aequalitatem immensitatis sine diminutione coaevitatem aeternitatis sine ordine vel successione Et hoc est singulis unitate totum immensitate plenum aeternitate perfectum raquo Ibid I III XXXI PL 176 232D-233A

179

Le fait que Dieu est un lui donne telles proprieacuteteacutes comme lrsquoeacuteterniteacute la simpliciteacute et

lrsquoimmuabiliteacute Le fait que Dieu est trois personnes lui donne la communion lrsquoimmensiteacute et la

contemporaneacuteiteacute (coaevitas) Hugues montre que le fait que Dieu a plusieurs personnes permet

drsquoexpliquer certaines de ces qualiteacutes

Ensemble avec la theacuteologie positive pour deacutecrire ce qui est Dieu le maicirctre emploie

eacutegalement la theacuteologie neacutegative pour deacutecrire comment il est diffeacuterent de la creacuteature Dieu nrsquoa pas de

qualiteacute ni de temps ni de division ni de diminution ni drsquoordre ni de succession

Dominique Poirel dit que dans le De sacramentis Hugues preacutesente les appropriations

comme des appellations alternatives des personnes destineacutees agrave eacuteviter lrsquoanthropomorphisme des

noms de laquo Pegravere raquo et de laquo Fils raquo Les appellations laquo puissance raquo laquo sagesse raquo et laquo bonteacute raquo signifient

les proprieacuteteacutes de la substance de Dieu490

En mecircme temps ces proprieacuteteacutes ont eacuteteacute eacutegalement tireacutees de notre compreacutehension de la Triniteacute

comme elle se montre dans la creacuteature Par exemple la Triniteacute se manifeste dans la creacuteature

rationnelle (lrsquoacircme humaine) comme la mens la sapientia et lrsquoamor (De sacramentis I III XXI) ou

comme la potentia la sapientia et lrsquoamor (I III XXVII) Hugues explique que la relation de la

procession entre ces manifestations de la Triniteacute reflegravete la procession mecircme des personnes de la

Triniteacute 491

Potentia Sapientia

Amor

De cette faccedilon il montre le mouvement inteacuterieur des personnes agrave travers ces manifestations

dans la creacuteature rationnelle

490 D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siegravecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 330-2 491 laquo Procedit amor ex ipsa et sapientia sua quo amat eam genitam de se et in se manentem non dividit a se Et apparent tria quaedam in uno mens sapientia et amor et est mens et sapientia de mente et de mente et sapientia amor et surgit Trinitas quaedam et unitas non recedit et sunt simul Trinitas et unitas secundum potestatem et imaginis virtutem raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XXI PL 176 225D laquo Et non erat potentia de aliquo et de ipsa sapientia erat amor autem de potentia et sapientia praecesserat Et non erat potentia sapientia quia potentia ante sapientiam erat et de ipsa sapientia exierat Neque rursum amor potentia vel sapientia dici poterat quia processerat tantum ab ipsis et ipsa aliquando sine ipso exstiterant Et erant tria haec discreta in anima et in his tribus Trinitas animae inventa est Et ascendit anima ab his ad summam Trinitatem et invenit ibi Patrem qui a nullo erat sicut in se potentia et filium qui a Patre erat sicut in se sapientia et Spiritum sanctum qui a Patre et Filio erat sicut in se dilectio a potentia et sapientia processerat Et ideo potentiam Patri tribuit quia in se similitudo fuerat illius et sapientiam Filio quoniam haec in se imago illius erat quae a potentia orta erat et dilectionem Spiritui sancto attribuit quoniam in se a potentia et sapientia processit sicut Spiritus sanctus a Patre et Filio quae dilectio est Patris et Filii raquo Ibid I III XXVII PL 176 229BC

180

VI212 Richard de Saint-Victor

VI2121 La pluraliteacute des personnes

Dans le livre III du De Trinitate Richard eacutetudie la pluraliteacute en Dieu

La procession en Dieu est neacutecessaire car Dieu est tellement parfait qursquoil doit partager ses

perfections492 Notamment la chariteacute de Dieu est lrsquoamour mutuel qui est entre les deux personnes

(III II) Ces deux personnes doivent ecirctre eacutegales (III VII) et pleines de perfection (III VIII)

Ensuite (III IX-X) Richard compare les natures divine et humaine493

natura divina humana

unitas substantiae personae

pluralitas personarum substantiarum

plena similitudo et summa

aequalitas

multa dissimilitudo et magna

inaequalitas

Lrsquohomme a deux substances (le corps et lrsquoacircme) et une personne Dieu a une substance et

trois personnes Dans le deux cas il y a uniteacute et pluraliteacute mais en Dieu la similitude pleine et

lrsquoeacutegaliteacute suprecircme sont preacutesentes

Ensuite Richard deacutemontre la neacutecessiteacute de la troisiegraveme personne Il la deacuteduit de la chariteacute des

deux premiegraveres Elles ont lrsquoamour tellement parfait qursquoil faut le communiquer crsquoest-agrave-dire trouver

un condilectum (III XI) Voici comment Richard lrsquoexplique

laquo Il y a condilection agrave proprement parler lorsque deux amis aiment un troisiegraveme dans une

concorde de la dilection dans une communauteacute de lrsquoamour et que les affections des deux

premiers srsquounifient dans lrsquoincendie de ce troisiegraveme amour494 raquo

Richard consacre le livre IV du De Trinitate agrave lrsquoexplication du fait que Dieu a plusieurs

personnes En IV IX il distingue la diversiteacute des substances et lrsquoalteacuteriteacute des personnes En Dieu il

492 Nico den Bok trouve lrsquoorigine neacuteoplatonicienne de cette thegravese Richard lrsquoemprunte agrave Abeacutelard lui agrave Augustin qui agrave son tour eacutetait inspireacute par des Enneacuteades de Plotin N W DEN BOK Communicating the most high a systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St Victor Paris Turnhout 1996 p 287 Il explique aussi le rocircle de lrsquoamour suprecircme (summa caritas) dans la Triniteacute ibid p 309-319 493 laquoAddamus quia in illa personarum pluralitate est plena similitudo et summa aqualitas in hac autem pluralitate multa dissimilitudo et magna inequalitas raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate III X eacuted RIBAILLIER p 144 =PL 196 921B 494 laquo Condilectio autem jure dicitur ubi a duobus tertius concorditer diligitur socialiter amatur et duorum affectus tertii amoris incendio in unum conflatur raquo Ibid III XIX eacuted RIBAILLIER p 154 =PL 196 927B trad SALET p 209-211

181

nrsquoy a pas de place pour la premiegravere mais il y a la deuxiegraveme Pour expliquer lrsquoalteacuteriteacute des personnes

Richard introduit la notion drsquoexistentia (IV XII) Elle comprend deux aspects

- la qualiteacute drsquoune chose ndash avoir lrsquoecirctre

- lrsquoorigine drsquoune chose ndash avoir lrsquoecirctre de quelqursquoun495

Nico den Bok explique que ces aspects sont deux sortes de proprieacuteteacutes individuelles non-

accidentelles Chaque qualiteacute de ces sortes fait que la substance soit incommunicable (unique)496

Ensuite Richard eacutetudie comment ces aspects se reacutealisent dans les natures humaine

angeacutelique et divine (IV XIV-XV) Voici le tableau comparatif qui montre la preacutesence de lrsquouniteacute de

la qualiteacute et de lrsquoorigine dans ces natures497

Natura Unitas qualitatis Unitas originis

humana - -

angelica - +

divina + -

Toutes ces trois natures ont une pluraliteacute drsquoexistences la nature humaine par la qualiteacute et

par lrsquoorigine (il existe plusieurs ecirctres qui proviennent des plusieurs ecirctres) la nature angeacutelique par la

qualiteacute (plusieurs ecirctres qui nrsquoont pas drsquoorigine car ils ont eacuteteacute creacuteeacute) et la nature divine par lrsquoorigine

(la substance unique dont les personnes proviennent lrsquoune de lrsquoautre)

Ainsi pour deacutecrire la nature de Dieu Richard distingue les deux aspects de lrsquoexistence la

qualiteacute et lrsquoorigine

En IV XVI-XVIII Richard distingue en Dieu lrsquoexistence commune (propre agrave plusieurs) et

incommunicable (propre agrave une seule personne) Les trois personnes ont lrsquoexistence commune ndash la

substance unique de Dieu Leurs existences incommunicables ndash les proprieacuteteacutes et les origines

incommunicables de chaque personne

495 laquoQuod igitur dicitur sistere tam se habet ad rationem create quam increate essentie Quod autem dicitur existere subintelligitur non solum quod habeat esse sed etiam aliunde hoc est ex aliquo habeat esse Hoc enim intelligi datur in verbo composito lsquoexrsquo adjuncta sibi praepositione Quid est enim existere nisi ex aliquo sistere hoc est substantialiter ex aliquo esse In uno itaque hoc verbo existere vel sub uno nomine existentie datur subintelligi posse et illam considerationem que pertinet ad rei qualitatem et illam que pertinet ad rei originem raquo Ibid IV XII eacuted RIBAILLIER p 174-5 =PL 938A 496 N W DEN BOK Communicating the most high a systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St Victor Paris-Turnhout 1996 p 219-220 497 laquo Videmus itaque ut dictum est in humanis personis existentiarum proprietatem variari quidem tam secundum singulorum qualitatem quam secundum ipsorum originem In angelica autem natura nulla est propagatio sed sola simplexque creatio Est ergo singulorum simul et omnium unum solum indifferensque principium Unum siquidem principium habent omnes solum Creatorem et singuli et simul omnes secundum solam creationem Sunt autem in angelica natura tot substantie quot persone et iccirco oportet eas qualitate differre Nam si nulla qualitate differrent procul dubio plures substantie non essent Variatur existentiarum differentia in angelica natura secundum solam qualitatem in humana vero uti jam dictum est tam secundum qualitatem quam secundum originem raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate IV XIV eacuted RIBAILLIER p 176-7 =PL 196 939AB

182

Ainsi chaque personne en Dieu a sa propre existence Cela permet agrave Richard drsquoexpliquer la

Triniteacute comme laquo une pluraliteacute selon lrsquoexistence et une uniteacute selon lrsquoessence498 raquo Lrsquoexistence drsquoune

personne divine est diffeacuterente de lrsquoexistence de Dieu

A la fin du livre IV Richard critique la deacutefinition de la personne proposeacutee par Boegravece (laquo une

substance individuelle de nature rationnelle raquo) car elle ne convient pas aux personnes divines Il

propose de deacutefinir la personne divine comme laquo une existence incommunicable de nature divine499 raquo

En deacutefinitive pour expliquer la pluraliteacute de Dieu Richard introduit la notion drsquoexistence

Drsquoabord il deacutecrit les deux aspects de cette notion la qualiteacute et lrsquoorigine Les personnes divines sont

uniques car chacune a une origine diffeacuterente de celle des autres

VI2122 La procession et les noms des personnes

Le livre V du De Trinitate est consacreacute agrave la procession Pour eacutetablir lrsquoordre de la procession

Richard attribue agrave chaque personne des proprieacuteteacutes incommunicables

- Innascibilis ndash la premiegravere personne ndash nrsquoa pas drsquoorigine mais elle est agrave lrsquoorigine des autres

car elle a la pleacutenitude de puissance et de lrsquoecirctre (V IV-V)

- Nascibilis ndash la deuxiegraveme personne ndash procegravede de la premiegravere personne immeacutediatement La

premiegravere personne est tellement parfaite que la pleacutenitude de sa chariteacute exige drsquoecirctre partageacutee (V

VII) La premiegravere personne communique agrave la deuxiegraveme tous ses attributs (la bonteacute la toute-

puissance la chariteacute) sauf la proprieacuteteacute drsquoecirctre agrave sa propre origine (car la deuxiegraveme personne a deacutejagrave la

proprieacuteteacute de proceacuteder agrave partir de la premiegravere personne) La deuxiegraveme personne est aussi tellement

parfaite qursquoelle produit la troisiegraveme (V VIII)

- Nascibilis ndash la troisiegraveme personne ndash procegravede de la premiegravere personne immeacutediatement et

de maniegravere meacutediate via la deuxiegraveme (V VIII)

Pour expliquer pourquoi les personnes ont ces proprieacuteteacutes en particulier lrsquoordre de la

procession et le fait drsquoecirctre incommunicables Richard procegravede par lrsquoabsurde et imagine agrave quoi la

Triniteacute rassemblerait srsquoil en eacutetait autrement

498 laquo Unitas itaque ibi est juxta modum essendi pluralitas juxta modum existendi raquo Ibid IV XIX eacuted RIBAILLIER p 183=PL 196 943A 499 laquoQuod persona divina sit divine nature incommunicabilis existentia raquo Ibid IV XXII eacuted RIBAILLIER p 187=PL 196 945C

183

1 Srsquoil existait plus drsquoune procession seulement meacutediate (V IX)

Innascibilis Nascibilis

Nascibilis Nascibilis

Nascibilis

Richard pense que cette procession est impossible car la personne qui procegravederait de

maniegravere meacutediate ne verrait pas immeacutediatement la premiegravere personne et nrsquoaurait pas la

contemplation inteacutegrale de la veacuteriteacute500

2 Srsquoil nrsquoexistait en Dieu une personne qui nrsquoen produise pas une autre (V X)

Innascibilis Nascibilis

Nascibilis Nascibilis

Nascibilis

hellip

La procession se prolongerait agrave lrsquoinfinie Il y aurait une quatriegraveme personne ensuite une

cinquiegraveme etc Par conseacutequent la troisiegraveme personne nrsquoen produirait pas drsquoautres501 Mais elle

procegravederait agrave partir des autres sinon elle serait isoleacutee

500 laquo Quoniam igitur omnes divine personae invicem se et immediate conspiciunt radium summae lucis in alterutrum effundunt aut excipiunt Et quia immediate vident immediate adhaerent Impossibile itaque est in natura divina esse aliquam personam mediata tantummodo alicui alteri germanitate conjunctam raquo Ibid V IX eacuted RIBAILLIER p 206=PL 196 956C 501 laquo Ex his pro certo quae jam diximus veraciter et indubitanter colligere possumus quoniam si quarta in divinitate persona esse potuisset procul dubio ex caeteris tribus eam originem trahere immediate oporteret Alioquin alicui earum nonnisi mediata germanitate cohaereret nec eam nisi mediate videret Et si quinta persona ibi esse potuisset simili ratione de caeteris quatuor immediate procederet Juxta hunc ratiocinationis modum similis in consequentibus consequentia invenietur quantumcunque hujusmodi progressionis series intellectualiter protrahatur raquo Ibid V X eacuted RIBAILLIER p 207=PL 196 956D-957A

184

3 Srsquoil existait en Dieu plus drsquoune personne qui nrsquoen produise pas une autre (V XII)

Innascibilis Nascibilis

Nascibilis

Les deux personnes neacutees ne communiqueraient pas entre elles502

4 Srsquoil existait en Dieu plus drsquoune personne qui proceacutederait drsquoune autre et qui produirait une

autre (V XIII-XIV)

Innascibilis Nascibilis

Nascibilis Nascibilis

Dans ce cas certaines personnes donnent lrsquoecirctre et les autres le reccediloivent

Persona Dare Accipere

Prima + -

Secunda + +

Tertia + +

Quarta - +

Richard nrsquoaccepte pas la situation ougrave la deuxiegraveme et la troisiegraveme personne ont plus en commun

que les deux autres car lrsquoharmonie arithmeacutetique de la Triniteacute serait rompue503

502 laquo Sed si due persone essent quae hoc commune haberent procul dubio neutra illarum ab alia procederet Si neutra ab alia procederet nec una quaelibet alteri immediate adhaereret Si vero neutra alteri adhaereret immediate forent utique adinvicem sola mediata germanitate conjunctae Quod quidem quam impossibile sit superior demonstratio evidentissima ratione convincit raquo Ibid V XI eacuted RIBAILLIER p 210=PL 196 958CD 503 laquo Sed modo videamus quomodo geometrice medietatis speciem quam ut superius patet personarum Trinitas pretendit quaternitatis ista dispositio juxta aliam considerationem confundit Certe primae personae causaliter prime proprium erit plenitudinem solummodo dare duarum mediarum tam dare quam accipere quarte vero tantummodo accipere non etiam dare Ecce ex his prima in solo uno concordat cum altera altera vero illa non in uno tantum sed in duobus concordat cum tertia tertia autem non in duobus quidem sed in solum uno concordat cum quarta Vides certe quomodo unius proprietatis geminatio atque communio proportionabilitatis rationem non tam praetendit quam confundit ordinis pulchritudinem non tam auget quam minuit raquo Ibid V XIV eacuted RIBAILLIER p 212-3=PL 196 960BC Dans ce cas Richard emploie une terminologie relevant de lrsquoArithmetica de Boegravece G SALET laquo Medietas arithmetica geometrica harmonica raquo dans RICHARD DE SAINT-VICTOR La Triniteacute introd traduction et notes G SALET Paris 1999 p 492-3

185

Apregraves avoir eacutetabli lrsquoordre de la procession Richard deacutefinit les personnes en fonction de leurs

rocircles dans la circulation de lrsquoamour (dilexio) agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute (V XVI)

- premiegravere personne ndash amor gratuitus

- troisiegraveme personne ndash amor debitus

- deuxiegraveme personne ndash amor permixtus (debitus et gratuitus)

Chaque personne a un trait en commun avec une autre (la premiegravere et la deuxiegraveme personne

ont en commun drsquoavoir seulement un type drsquoamour) De cette faccedilon la Triniteacute a lrsquoharmonie des

proportions (V XXV)

Chaque personne possegravede son type drsquoamour en pleacutenitude Par conseacutequent une harmonie des

processions est eacutetablie entre les trois personnes et lrsquoapparition drsquoune quatriegraveme personne est

impossible pas (V XX)

Richard consacre le livre VI du De Trinitate agrave lrsquoeacutetude des noms des personnes

- la troisiegraveme personne peut-elle ecirctre appeleacutee laquo Fils raquo vu qursquoelle procegravede agrave partir du Pegravere (VI

VI) Richard reacutepond que non car la procession nrsquoest pas la mecircme entre le Pegravere et le Fils et les deux

premiegraveres personnes et le Saint-Esprit La premiegravere procession est principale et la parenteacute de la

premiegravere personne envers la seconde est aussi principale (VI VII)

- la troisiegraveme personne srsquoappelle laquo Saint-Esprit raquo ou laquo souffle de Dieu raquo car elle est

consubstantielle aux deux premiegraveres personnes et procegravede des deux premiegraveres personnes (VI IX-

X)

- le Pegravere est appeleacute ingenitus le fils genitus et le Saint-Esprit ne porte aucun de ces noms

(VI XVI-XVII)

Richard attribue eacutegalement la puissance au Pegravere la sagesse au Fils et la bonteacute au Saint-Esprit

(VI XV) Mais il ne deacuteveloppe pas ce sujet

VI22 Le mouvement exteacuterieur de la Triniteacute

La contemplation des vestiges de Dieu dans la creacuteature permet drsquoexpliquer la structure mecircme

de cette creacuteature Voici comment Hugues de Saint-Victor voit cette structure (De sacramentis I III

XXVIII)504

504 laquo Ecce demonstravimus vestigium aliquod Trinitatis summae quantum valet ratio humana de modico quod suum est et datum est illi et est in illa et modicum est ad perfectum totum Tria enim invenit in se et ex his Trinitatem deprehendit quae erat supra se Et contestata est illi natura foris sicut de unitate deitatis Et apparuerunt tria foris signa Trinitatis sed non imago ut illa quae intus erant et haec ipsa imperfecta similitudine erant Erat enim potentia intus et sapientia et amor Et tria haec imago erant potentiae Creatoris et sapientiae et amoris quia hic erant et ibi erant Sed hic in imagine erant ibi in veritate tamen utrobique erant et idem erant quia hoc hic erat quod ibi erat Sed quod hic erat imago erat quod ibi erat veritas erat Foris autem potentia non erat sed signum tantum neque sapientia sed signum tantum neque amor vel bonitas sed signum tantum nec et ipsa signa neque potentia erant neque sapientia neque amor sicut intus sed signa tantum potentiae sapientiae et amoris Potentiae enim signum fuit rerum immensitas sapientiae pulchritudo bonitatis utilitas Et non erant ipsa signa potentia vel sapientia vel bonitas sed tantum signa eorum

186

ibi veritas creator Deus potentia sapientia benignitas

hic imago creatura

rationalis

homo mens sapientia amor

anima mens intellectus gaudium

potentia scientia voluntas

signum creatura

corporea

immensitas

rerum

pulchritudo utilitas

corpus figura forma pulchritudo

Hugues preacutesente les trois niveaux ougrave la Triniteacute se manifeste

- Dieu

- La creacuteature rationnelle (lrsquoacircme de lrsquohomme)

- La creacuteature corporelle

A chaque niveau le maicirctre trouve des triades qui ont eacuteteacute analogues agrave la triade de la

Puissance de la Sagesse et de la Bonteacute505

Richard quant agrave lui se demande si la Triniteacute peut produire par eacutemanation le monde creacuteeacute En

deacutefinissant la Triniteacute agrave travers lrsquoamour il preacutecise que la troisiegraveme personne possegravede lrsquoamour ducirc

mais non gracieux (De Trinitate V XVIII) Cette personne reccediloit lrsquoamour mais elle ne le donne

pas Elle ne le donne pas agrave une autre personne car il nrsquoy a pas de personne qui procegravede drsquoelle Mais

elle ne le donne pas non plus aux creacuteatures

laquo Elle ne peut avoir agrave lrsquoeacutegard drsquoune creacuteature lrsquoamour gracieux en pleacutenitude car son amour

ne peut ecirctre deacutereacutegleacute et il y aurait amour deacutereacutegleacute agrave aimer drsquoun amour souverain qui ne serait

pas digne drsquoun amour souverain Celui-lagrave nrsquoest aucunement digne drsquoun amour souverain qui

attestantia his quae intus erant propria Et probata est Trinitas vera in operibus suis nec potuit ratio his adjicere quidquam quae perfecta erant neque tollere aliquid quae constabant discreta Sunt enim tria haec quae omne rationale perficiunt nec sine his perfectum est aliquid Similiter ad omnem effectum concurrunt tria haec quorum siquid defuerit nihil absolvitur et si adsint pariter omnia consummantur Haec sunt potentia scientia et voluntas ex quibus si tollas unum aliquod perfectionem imminuis si cuncta pariter constituas nihil deesse confiteris His ergo et ipse rerum conditor opera sua perfecit et constat ipse perfectus quoniam in ipso perfecta sunt quae neque in parte augeri possunt quia plena sunt neque in toto consummari quia perfecta sunt neque in unitate dividi quia unum sunt raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XXVIII PL 176 230B-231A laquo Quemadmodum in una anima mens et intellectus et gaudium et mens quidem a se est intellectus vero de sola mente est de mente autem et intellectu gaudium et haec tria ad substantiam quidem una sunt anima Ita in corpore uno et figura est et forma et pulchritudo tria haec Et videtur figura prima esse ad substantiam deinde forma et ex utroque pulchritudo et haec tria in uno corpore et unum corpus ut in utraque natura imago Creatoris eluceat raquo Ibid I III XXXI PL 176 232D 505 Dominique Poirel eacutetudie ces triades dans le De tribus diebus drsquoHugues voir D POIREL Livre de la nature et deacutebat trinitaire au XIIe siegravecle le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor Turnhout 2002 p 323

187

nrsquoest pas souverainement bonne or une personne qui nrsquoest pas Dieu ne peut ecirctre

souverainement bonne ne pouvant ecirctre eacutegale agrave Dieu506 raquo

Dans ce passage Richard sous-entend les suivants

- Il existe la hieacuterarchie premiegravere personne deuxiegraveme troisiegraveme les creacuteatures

- Dieu nrsquoest pas eacutegal aux creacuteatures il possegravede la pleacutenitude de lrsquoamour et les creacuteatures

non

Dans le livre II du De Trinitate Richard souligne que ni la puissance ni la sagesse de Dieu

ne sont communicables aux substances infeacuterieures (ni aux anges ni aux causes primordiales ni aux

hommes II XIII) La diffeacuterence entre la geacuteneacuteration agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute et la creacuteation est que

la premiegravere srsquoeffectue par nature et par volonteacute et la deuxiegraveme par gracircce Ce qui est produit par

gracircce peut exister ou non tandis que ce qui est produit par nature doit exister neacutecessairement

De cette faccedilon Richard arrecircte la procession agrave la troisiegraveme personne et distingue les

personnes de la Triniteacute et les creacuteatures

En deacutefinitive les doctrines trinitaires drsquoHugues et de Richard de Saint-Victor sont tregraves

diffeacuterentes Hugues deacuteveloppe la doctrine des attributs de Dieu Selon lui Dieu a refleacuteteacute sa structure

dans le monde en le creacuteant et lrsquohomme peut apprendre dans une certaine mesure la nature de Dieu

en lrsquoeacutetudiant Crsquoest sa maniegravere principale de distinguer les personnes Cette doctrine nrsquoexisterait pas

sans lrsquoheacuteritage drsquoAugustin notamment sa doctrine des analogies

Richard deacuteveloppe une doctrine trinitaire tregraves deacutetailleacutee Il deacutefinit la personne divine de

maniegravere originale comme une existence incommunicable Il rejette la deacutefinition de la personne

proposeacutee par Boegravece mais il reprend lrsquoideacutee qursquoil faut deacutefinir une personne divine pour comprendre la

Triniteacute Richard explique aussi pourquoi il existe plusieurs personnes (car Dieu est trop parfait et le

mouvement agrave la fois naturel et libre de son ecirctre le conduit agrave partager sa perfection) et pourquoi il

nrsquoexiste pas plus de trois personnes en Dieu (les qualiteacutes des personnes rendent une autre procession

impossible) La premiegravere ideacutee est clairement platonicienne En ce qui concerne le mouvement

exteacuterieur de la Triniteacute il est important pour lui de souligner que la procession srsquoarrecircte agrave trois

personnes et que Dieu ne produit pas le monde par eacutemanation

506 laquo Sed gratuiti amoris plenitudinem erga creaturam habere non potest que inordinatum amorem habere non potest Inordinatus enim amor esset si summo amore diligeret qui summe diligendus non esset Summo siquidem amore omnino dignus non est qui summe bonus non est Persona vero que Deus non est summe bona esse non potest quoniam Deo aquari non potest raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate III XIX eacuted RIBAILLIER p 216 =PL 196 962CD trad SALET p 349 (modifieacutee I Lystopad)

188

VI3 Les personnes de la Triniteacute dans le De unitate

Achard expose la partie de la doctrine trinitaire que nous eacutetudions ici dans les chapitres I

17-36 La Triniteacute est le sujet principal de la premiegravere partie du De unitate (I 1-36) mais les

personnes sont aussi mentionneacutees seacutepareacutement dans la deuxiegraveme partie de lrsquoœuvre

Dans la premiegravere partie Achard explique comment la pluraliteacute personnelle est possible dans

la Triniteacute (I 13-16) pourquoi il existe trois personnes (I 17-20) et pas avantage (I 21-22 25-29

31-34) et comment les personnes srsquoappellent proprement (I 23 28 29 35 et 36)

VI31 La distinction des personnes

Dans les chapitres I 13-15 Achard reacutepond agrave la question poseacutee en I 12 laquo quel est le mode

de la nature de Dieu et peut-elle ecirctre deacutemontreacutee personnelle raquo

En I 13 Achard preacutecise sa question Il analyse les diffeacuterents cas de pluraliteacute en rejetant tous

ceux qui ne correspondent pas aux critegraveres suivants

- ecirctre en Dieu

- ecirctre en des termes (personnes) multiples ou diffeacuterents

Ainsi sa vraie question est laquo quels sont les critegraveres de la pluraliteacute personnelle en Dieu raquo

En I 14 Achard part de la notion de personne deacutefinie par Boegravece (laquo rationabilis naturae

individua substantia raquo) Mecircme si cette deacutefinition correspond agrave la personne humaine le critegravere

qursquoelle fournit (laquo ecirctre de nature rationnelle raquo) nrsquoest pas suffisant pour trouver la pluraliteacute

rechercheacutee Les deux pluraliteacutes qursquoelles deacutecrivent (celle des parties de lrsquoacircme et celle qui est entre le

corps et lrsquoacircme) nrsquoest pas la pluraliteacute en Dieu Par conseacutequent il introduit le nouveau critegravere de la

pluraliteacute personnelle en Dieu il faut que chaque personne puisse ecirctre dite par elle-mecircme personne

prise isoleacutement

Ensuite dans le mecircme chapitre Achard analyse les pluraliteacutes dans le Christ en Dieu et dans

les raisons eacuteternelles Drsquoapregraves lui la pluraliteacute en Dieu est diffeacuterente des autres agrave cause de la

procession entre les personnes de la Triniteacute Il souligne eacutegalement que les personnes doivent

proceacuteder lrsquoune de lrsquoautre et il nrsquoy aura jamais une personne proceacutedant drsquoelle-mecircme En I 15 de ce

postulat provient la formule suivante laquo de lrsquoun drsquoentre eux existe ou procegravede le second et des deux

le troisiegraveme raquo (I 15)

Achard ajoute les deux autres critegraveres par lesquels la Triniteacute diffegravere des autres pluraliteacutes en

Dieu

- recevoir seacutepareacutement le nom de personne

189

- laquo de lrsquoun drsquoentre eux existe ou procegravede le second et des deux le troisiegraveme raquo

(I 15)

De cette maniegravere Achard eacutetablit les critegraveres de la personnaliteacute en Dieu Il deacutefinit qursquoen Dieu

il existe trois types de pluraliteacute les personnes les proprieacuteteacutes et les raisons Ces types sont visualiseacutes

dans le tableau suivant

Les personnes de la Triniteacute Les proprieacuteteacutes Les raisons

Pegravere - ne provenir drsquoaucun autre (I

25)

-

- ecirctre agrave lrsquoorigine drsquoun Fils

- ecirctre agrave lrsquoorigine du Saint-

Esprit

Fils - proceacuteder de lrsquoun drsquoentre eux

(soit du Pegravere soit du Saint-

Esprit I 26-29)

les raisons eacuteternelles

Saint-Esprit - proceacuteder de lrsquoun et de lrsquoautre

(du Fils et du Pegravere I 31-34)

-

De cette maniegravere Achard deacutemontre que plusieurs types de pluraliteacute existent en Dieu Le

sujet des proprieacuteteacutes et de la procession en Dieu sera deacuteveloppeacute en I 17-36 Celui des raisons

eacuteternelles agrave partir du chapitre I 37

En parlant de la pluraliteacute des personnes en Dieu Achard nrsquoapporte pas de nouveaux

eacuteleacutements meacutetaphysiques dans sa doctrine La division de la pluraliteacute en Dieu qursquoil propose (celle qui

est deacutecrite dans le tableau ci-dessus) est plutocirct un instrument drsquoanalyse qursquoun eacuteleacutement doctrinal

important

VI32 Les justifications du nombre des personnes

Achard consacre les chapitres I 18 -20 agrave lrsquoexplication de la Triniteacute que nous appelons

laquo arithmeacutetique raquo car il srsquoappuie sur le De arithmetica de Boegravece507 En mecircme temps Achard

nrsquoemprunte pas seulement les reacuteflexions de Boegravece mais y ajoute ses propres conclusions

En I 18-20 Achard reprend de Boegravece les postulats suivants

- il y a deux espegraveces des nombres le pair et lrsquoimpair

507 Voir E MARTINEAU laquo Eclaircissement IIraquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 211

190

- le nombre pair peut ecirctre diviseacute en parties paires et impaires

- le nombre impair peut ecirctre diviseacute (par deux) en parties ineacutegales ce qui le

rapproche de la nature de lrsquouniteacute

- le triangle est une premiegravere figure geacuteomeacutetrique agrave partir de laquelle plusieurs autres

figures peuvent ecirctre formeacutees

- toute ineacutegaliteacute provient de lrsquoeacutegaliteacute qui forme agrave son tour lrsquoineacutegaliteacute

A partir de cela Achard conclut que lrsquoimpariteacute est neacutecessairement relieacutee agrave lrsquouniteacute et qursquoelle

est dans lrsquouniteacute suprecircme (I 18) mais aussi que ce nombre premier est trois (I 19) et que lrsquoeacutegaliteacute

existe dans la Triniteacute et forme lagrave un trois (lrsquoineacutegaliteacute) (voir lrsquoannexe 1)

Lrsquoargument du chapitre I 19 est renforceacute par Heacutebreux I 3508 qui dit que le Fils est

laquo resplendissement de la gloire effigie de la substance raquo509 du Pegravere (laquo cum sit splendor gloriae et

figura substantiae eius raquo) Achard joue avec lrsquohomonymie du mot figura qui deacutesigne le triangle et le

Fils en mecircme temps

En I 20 la procession de lrsquoeacutegaliteacute (Aequalitas) agrave partir des deux premiegraveres personnes est

expliqueacutee agrave lrsquoaide de la procession du nombre pair et impair (lrsquoeacutegaliteacute procegravede toujours de

lrsquoineacutegaliteacute comme le pair de lrsquoimpair) Achard utilise la mecircme maniegravere drsquoargumenter qursquoen 18-20

Ainsi pour justifier le nombre des personnes dans la Triniteacute Achard donne un nouveau sens

aux postulats de Boegravece Sa conclusion est que le nombre de personnes est trois Cette conclusion

deacutecoule de lrsquoapplication des regravegles du De arithmetica de Boegravece agrave la Triniteacute Ainsi ces regravegles

sortent du cadre purement arithmeacutetique et deviennent une partie de la meacutetaphysique trinitaire

VI33 Lrsquoimpossibiliteacute drsquoune quatriegraveme personne

Nous avons deacutejagrave analyseacute les arguments drsquoAchard concernant lrsquoimpossibiliteacute de la procession

drsquoune quatriegraveme personne dans la Triniteacute Quelques scheacutemas permettent de visualiser ces

arguments

I 21

Le scheacutema de la procession drsquoune quatriegraveme personne

508 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 93 note 1 au ch I 19 509 La Bible de Jeacuterusalem Traduite en franccedilais sous la direction de lrsquoeacutecole biblique de Jeacuterusalem Paris 2000 p 2059

191

1 La premiegravere version de la procession si une quatriegraveme personne proceacutedait des trois

premiegraveres

Unitas Aequale1

Aequalitas

Aequale2

Reacutefutation cette quatriegraveme personne serait eacutegale aux trois premiegraveres et par conseacutequent sa

preacutesence aurait pour effet lrsquoexistence drsquoune seconde Egaliteacute

Ce cas est absurde eacutegalement car Achard nrsquoaccepte pas la procession suivante

Aequalitas1 Aequalitas2

Aequale1

I 22

2 La seconde version de la procession

Srsquoil y avait une deuxiegraveme eacutegaliteacute crsquoest-agrave-dire lrsquoeacutegaliteacute produite par une quatriegraveme personne

diffeacuterente de celle qui est la troisiegraveme personne

Unitas Aequale1

Aequalitas1 Aequalitas2

Aequale2

Premiegravere reacutefutation cela nrsquoest pas possible car Dieu ne peut pas avoir deux eacutegaliteacutes tout

comme il ne peut pas avoir deux grandeurs (magnitudines) Martineau remarque qursquoAchard se

reacutefegravere au passage drsquoAugustin (De Trinitate V X 11)510 Nous avons deacutejagrave eacutetudieacute ce passage et la

question relieacutee dans le chapitre laquo Les sources de la doctrine trinitaire du De unitate raquo et eacutetabli que

510ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 95 note 1 au ch I 22

192

les preacutedicats laquo sagesse raquo et laquo grandeur raquo sont uniques en Dieu Achard dit que lrsquoeacutegaliteacute est aussi le

preacutedicat

Deuxiegraveme reacutefutation la Triniteacute consisterait en 5 personnes ce qui est absurde pour Achard

Ensuite (toujours en I 22 la partie 2) Achard imagine une quatriegraveme personne qui ne

procegravederait pas des trois premiegraveres ensemble Cela donnerait les trois cas suivants511

2a LrsquoEgal2 procegravede agrave partir de la deuxiegraveme et de la troisiegraveme personnes

Unitas Aequale1

Aequalitas Aequale2

Ce cas est eacutelimineacute par le postulat que toutes les personnes doivent proceacuteder de la premiegravere

2b LrsquoEgal2 procegravede agrave partir de la premiegravere et la troisiegraveme personne

Unitas Aequale1

Aequale2 Aequalitas

Ce cas est eacutelimineacute par le postulat du chapitre I 21 lrsquoEgal ne peut provenir de lrsquoEgaliteacute

2c LrsquoEgal2 procegravede agrave partir de deux premiegraveres personnes

Unitas Aequale1

Aequalitas Aequale2

Selon Achard lrsquoEgaliteacute en Dieu a besoin de deux et seulement deux eacutegaux pour ecirctre Egaliteacute

De plus lrsquoUniteacute ne peut produire qursquoun seul Egal car la procession qui est entre les deux (lrsquoUniteacute et

lrsquoEgal) ne cessent jamais (voir I 28) Par conseacutequent il ne reste que le cas suivant

511 Nous avons dessineacute les versions 2a-2c de la procession agrave partir des arguments drsquoAchard qui nient ces versions Contrairement aux versions 1-2 Achard ne les articulent pas clairement

193

2crsquo LrsquoEgaliteacute procegravede agrave partir des deux premiegraveres personnes

Unitas Aequale

Aequalitas1 Aequalitas2

Mais lrsquoimpossibiliteacute drsquoavoir deux Egaliteacutes a eacuteteacute deacutejagrave deacutemontreacutee

Lrsquoargumentation drsquoAchard dans ces deux chapitres aboutit au fait qursquoil nrsquoexiste qursquoun seul

ordre de procession

Unitas1 Aequale1

Aequalitas

Cela implique que lrsquoEgaliteacute est diffeacuterente des deux autres personnes Elle est la qualiteacute des

deux premiegraveres personnes (= elle procegravede agrave partir drsquoelles) mais elle ne peut pas produire une autre

personne Cette conclusion confirme la formule trinitaire A(u1 u2) proposeacutee dans le chapitre I

laquo Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu raquo ougrave A lrsquoEgaliteacute est une fonction dont les deux premiegraveres

personnes (LrsquoUniteacute et lrsquoEgal) sont des constantes

Dans les chapitres I 25-29 Achard explique la procession entre personnes distinctes Il

deacuteduit quelques conditions neacutecessaires pour la procession qui a lieu au sein de la Triniteacute

- lrsquoUniteacute procegravede drsquoelle-mecircme (I 25)

- ce qui est Egal agrave lrsquoUniteacute procegravede agrave partir drsquoelle et de sa substance et cette procession ne

cesse jamais De cette maniegravere ces deux personnes sont identiques et diffeacuterentes (ce qui

permet de creacuteer la pluraliteacute I 26-29)

- lrsquoEgaliteacute a besoin de la pluraliteacute pour exister cette pluraliteacute est seulement la dualiteacute premiegravere

entre le Pegravere et le Fils (I 31-34)

En deacutefinitive pour justifier qursquoil nrsquoy a que trois personnes dans la Triniteacute Achard examine

le sujet de la procession au sein de la Triniteacute Les regravegles de la procession sont celles de

lrsquoarithmeacutetique (la provenance de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute) de la logique (lrsquoeacutegaliteacute prise en tant

qursquoaccident universel) et de la meacutetaphysique (la provenance agrave partir de la substance unique)

194

VI34 Les noms de la Triniteacute et des personnes

En I 23 le nom laquo Triniteacute raquo est pris car il deacutesigne en mecircme temps lrsquouniteacute des trois et la

pluraliteacute

Nombres Noms deacutesigne lrsquouniteacute des trois deacutesigne la pluraliteacute

Trinus Trinitas + +

Ternarius minus +

Triplex Triplicitas minus +

En I 28 les trois meacutetaphores (analogies) des personnes sont proposeacutees

Unitas Ignis

Id quod ei est Aequale Calor

Aequalitas Splendor

En I 29 Achard justifie les noms de laquo Pegravere raquo et de laquo Fils raquo contre laquo engendrant raquo et

laquo engendreacute raquo

unitas Pater gignens

Id quod ei est aequale Filius genitus

proprietas alterum de alterius substantia nec in alteram procedit substantiam

vocabulum spiritualis generatio

natura vivens et sentiens rationalis vivens et sentiens res

insensatae hoc est inanimatae

Lrsquoargument principal est que lrsquolaquo engendrant raquo et lrsquolaquo engendreacute raquo ne sont pas vivants sentants

et rationnels contrairement au Pegravere et au Fils

Et finalement en I 35-36 Achard demande srsquoil est possible drsquoappeler la troisiegraveme personne

ndash Fils (car il procegravede agrave partir du Pegravere) ou Dieu (car il deacutesigne la communion entre le Pegravere et le Fils)

Mais il conclut que crsquoest seulement le nom laquo Saint-Espritraquo qui contient la singulariteacute drsquoune

personne et la qualiteacute drsquoecirctre commun au Pegravere et au Fils

De cette maniegravere Achard justifie que la Triniteacute srsquoappelle Trinitas Les personnes srsquoappellent

le Pegravere et le Fils au lieu de laquo engendrant raquo et laquo engendreacute raquo et le Saint-Esprit au lieu de Fils ou Dieu

Ces noms correspondent mieux aux qualiteacutes de la Triniteacute et des personnes

195

Emmanuel Martineau a eacutetudieacute lrsquoorigine des noms des personnes dans le De unitate drsquoAchard

de Saint-Victor Dans les notes aux chapitres I 23 (concernant les noms triplex et ternarius) 28

(feu chaleur et rayonnement) 33 (la vision) 36 (pourquoi la troisiegraveme personne ne srsquoappelle pas le

Fils) de son eacutedition du De unitate il a deacutemontreacute que lrsquoexposeacute drsquoAchard srsquoest majoritairement

inspireacute du De Trinitate et du De libero arbitrio drsquoAugustin

VI35 La Triniteacute dans la deuxiegraveme partie du De unitate

La Triniteacute nrsquoest pas le sujet principal de la deuxiegraveme partie (I 37-II 16) du De unitate

Cependant Achard parle des personnes seacutepareacutees

En II 3 il preacutesente le Saint-Esprit en tant que laquo la connexion du Pegravere et du Fils proceacutedant

drsquoeux eacuteternellement et crsquoest agrave lui que sont drsquoordinaire rapporteacutees dans lrsquoEacutecriture les distributions

des gracircces et des dons et aussi les dons eux-mecircmes ou les gracircces qui ne sont rien drsquoautre que

lesdites participations desdites choses et des connexions spirituelles dans les raisons eacuteternelles du

Creacuteateur et de son image creacuteeacutee512 raquo Par conseacutequent le Saint-Esprit est la connexion entre Dieu et le

monde

Dans le mecircme chapitre (II 3) Achard deacuteveloppe eacutegalement la thegravese que les connexions

entre le monde et la Triniteacute creacuteatrice ont leur prototype dans la Triniteacute mecircme

laquo Or cela pourra ecirctre eacutegalement preacutecieux si toutefois il en est bien ainsi pour intelliger la

proprieacuteteacute de lrsquoEsprit-Saint Il est en effet la connexion du Pegravere et du Fils proceacutedant drsquoeux

eacuteternellement et crsquoest agrave lui que sont drsquoordinaire rapporteacutees dans lrsquoEacutecriture les distributions

des gracircces et des dons et aussi les dons eux-mecircmes ou les gracircces qui ne sont rien drsquoautre

que lesdites participations desdites choses et des connexions spirituelles dans les raisons

eacuteternelles du Creacuteateur et de son image creacuteeacutee proceacutedant en quelque sorte eacuteternellement

drsquoapregraves et de ces raisons mais infuseacutees dans les creacuteatures dans lrsquoacte mecircme agrave la suite du

temps ou avec le temps selon qursquoelles sont offertes de toute eacuteterniteacute par ces raisons513 raquo

Voici une reacutecapitulation

512 laquo Ipse siquidem Patris et Filii est connexio ex eis aeternaliter procedens et ad ipsum in Scripturis distributiones gratiarum atque donorum dona quoque ipsa vel gratiae referri solent quae aliud non sunt nisi praedictae participationes rerum praedictarum et Creatoris et ejus imaginis creatae spirituales quaedam connexiones in rationibus aeternis raquo De unitate II 3 eacuted EMARTINEAU p 146-147 513 laquo Quod et ad Spiritus sancti si tamen ita se habet intelligendam proprietatem valere poterit Ipse siquidem Patris et Filii est connexio ex eis aeternaliter procedens et ad ipsum in Scripturis distributiones gratiarum atque donorum dona quoque ipsa vel gratiae referri solent quae aliud non sunt nisi praedictae participationes rerum praedictarum et Creatoris et ejus imaginis creatae spirituales quaedam connexiones in rationibus aeternis et quodammodo secundum eas et ex eis aeternaliter procedentes in creaturis vero ex tempore vel cum tempore actu ipso transfusae prout rationibus illis ab aeterno sunt propositae raquo De unitate II 3 eacuted EMARTINEAU p 146-7

196

Pater ibi

Filius creatoris et ejus imaginis

creatae spirituales quaedam

connexiones in rationibus

aeternis

rationibus illis ab aeterno sunt

propositae

Spiritus Sanctus ndash

connexio Patris et

Filii

dona vel gratiae ndash

participationes rerum

secundum eas et ex eis aeternaliter

procedentes

hic Res in creaturis vero ex tempore vel

cum tempore actu ipso transfusae

Ainsi selon Achard il existe deux niveaux meacutetaphysiques hic et ibi Dieu et les creacuteatures

Le processus drsquoimitation commence deacutejagrave lagrave-bas Au sein de la Triniteacute on trouve la premiegravere

connexion celle du Pegravere et du Fils (le Saint-Esprit) qui sert en tant que modegravele des connexions

entre les deux niveaux deacutecrits au-dessus Ces connexions sont preacutevues dans les raisons eacuteternelles

elles srsquoeffectuent au niveau du Saint-Esprit et elles sont infuseacutees dans le monde en tant que gracircces

et dons

En II 4 Achard deacutecrit lrsquointellection (intellectus) drsquoune chose qui est laquo en quelque sorte une

connexion de celui qui intellige et de la chose intelligeacutee514 raquo Ensuite il introduit la Triniteacute

laquo Drsquoapregraves quoi comme on lrsquoindiquera plus tard de mecircme que les raisons des choses et les

veacuteriteacutes ltpourraient ecirctre rapporteacuteesgt au Fils de mecircme leurs intellections pourraient lrsquoecirctre а la

consideacuteration de lrsquoEsprit-Saint car de mecircme que la distinction concernerait le Fils de

mecircme la connexion mdash qui a eacuteteacute montreacutee et reste encore а montrer mdash concernerait lrsquoEsprit-

Saint515 raquo

Filius Spiritus Sanctus

rationes rerum et veritates intellectus earum

distinctiones connexiones

514 laquoIntellectus autem rei cujuslibet quasi connexio quaedam est intelligentis et rei intellectae raquo De unitate II 4 eacuted EMARTINEAU p 148-149 515 laquo Juxta quod ut postmodum assignabitur ltutgti rationes rerum ltetgt veritates ad Filium sic et [ad] intellectus earum referri poterint ad considerationem Spiritultsgt sanctltigt ut nam ad Filium distinctio sic ad Spiritum sanctum si monstrata est et adhuc monstranda est pertinerelttgt connexio raquo De unitate II 4 eacuted EMARTINEAU p 148-149

197

Ainsi les raisons et les distinctions sont dans le Fils et les intellections et les connexions

dans lrsquoEsprit En effet en rapportant les intellections au Saint-Esprit Achard installe une double

optique Drsquoun cocircteacute le Saint-Esprit est une connexion de Dieu au monde qursquoil intellige Drsquoun autre

cocircteacute les raisons des choses existent en Dieu elles y sont intelligeacutees Par conseacutequent le Saint-Esprit

contient des connexions agrave lrsquointeacuterieur de Dieu qui intellige et les raisons qui sont intelligeacutees516

Une autre formule trinitaire est proposeacutee en II 10 ougrave Achard deacutecrit les veacuteriteacutes (vera laquo les

jugements vrais agrave propos des creacuteatures raquo selon Martineau)

laquo Quant aux connexions en lesquelles consistent ici les ltjugementsgt vrais elles existent

gracircce agrave lrsquoecirctre simple qui ou bien se connecte agrave quelque chose ou bien connecte par soi

quelque chose Or lrsquoessence simple [hellip] peut ecirctre drsquoun certain point de vue rapporteacutee agrave la

proprieacuteteacute du Pegravere de mecircme que les veacuteriteacutes connecteacutees agrave la proprieacuteteacute du Fils et les

connexions elles-mecircmes ou les ltjugementsgt vrais agrave la proprieacuteteacute de lrsquoEsprit Saint517 raquo

Soit

Trinitas Pater Filius Spiritus Sanctus

essentia simplex veritates quae

connectuntur

connexiones res simplex esse se

ipsum connectit

alicui vel per se aliud

vera

Ainsi les connexions qui existent entre les veacuteriteacutes et lrsquoessence en Dieu sont les mecircmes que

celles qui existent entre lrsquoecirctre simple des choses et lrsquoeacutenonceacute vrai agrave propos des choses Le Saint-

Esprit porte donc les connexions qui servent en Dieu et dans le monde

En deacutefinitive il nrsquoy a que quatre cas ougrave les personnes de la Triniteacute sont employeacutees dans la

deuxiegraveme partie du De unitate Le Saint-Esprit est toujours deacutecrit en tant que connexion qui unit les 516 Crsquoest notre intepretation de II 4 laquo Juxta quod ut postmodum assignabitur ltutgti rationes rerum ltetgt veritates ad Filium sic et [ad] intellectus earum referri poterint ad considerationem Spiritultsgt sanctltigt ut nam ad Filium distinctio sic ad Spiritum sanctum si monstrata est et adhuc monstranda est pertinerelttgt connexio Cum vero intellectus rem intellectam quodammodo connectit intelligenti nunquam pauciores ibi esse possunt hujusmodi connexiones quam sunt ibi rationum vel veritatum quae intelliguntur distinctiones secundum quas et ex quibus ipsi quoque ut dictum sit intellectus ibi sunt distincti ut eorum distinctiones ad solas respiciant quae distincte ibi intelliguntur rerum rationes atque veritates raquo De unitate eacuted EMARTINEAU p 148 517 laquo Connexiones vero in quibus hic constant vera per simplex esse ltsuntgt quod vel se ipsum connectit alicui vel per se aliud ut cum intelligitur quid esse vel esse aliquid essentia autem simplex [hellip] juxta considerationem aliquam ad proprietatem Patris referri potest ut veritates quae connectuntur ad proprietatem Filii connexiones ipsae vel vera ad proprietatem Spiritus sancti raquo De unitate II 10 eacuted EMARTINEAU p 166-167

198

personnes de la Triniteacute (II 3) Dieu et le monde (II 3) les eacuteleacutements en Dieu et les eacuteleacutements dans le

monde (II 4 et 10) Cela correspond agrave la proprieacuteteacute qui a eacuteteacute attribueacutee agrave lrsquoEsprit Saint dans la

premiegravere partie du De unitate

Achard deacutecrit la Triniteacute selon le plan suivant

1) expliquer les critegraveres de la pluraliteacute en Dieu

2) donner des arguments en faveur du nombre trois (nombre des personnes)

3) deacutemontrer pourquoi une quatriegraveme personne nrsquoest pas possible

4) deacuteduire les qualiteacutes et les noms des personnes

Achard ne propose pas une deacutefinition de la personne divine qui conviendrait agrave chaque

personne Il remarque que le critegravere donneacute par Boegravece (ecirctre rationnel) nrsquoest pas suffisant La

personne divine selon Achard est en Dieu a une qualiteacute qui la distingue des deux autres et

participe agrave la procession Il existe trois personnes car le nombre trois convient parfaitement selon les

lois du De arithmetica mais aussi parce que cela rend possible une procession correcte agrave lrsquointeacuterieur

de la Triniteacute La procession correcte a lieu quand la deuxiegraveme personne procegravede de la premiegravere et la

troisiegraveme de deux premiegraveres Les qualiteacutes individuelles des personnes deacutependent eacutegalement de la

procession De cette faccedilon la doctrine des personnes drsquoAchard est une doctrine des processions

Une quatriegraveme personne nrsquoest pas possible car la troisiegraveme personne (lrsquoEgaliteacute) peut

seulement proceacuteder agrave partir de deux premiegraveres mais elle ne peut pas causer la procession drsquoautres

personnes De cette maniegravere Achard deacutemontre que Dieu ne procegravede pas directement dans le monde

Il lui laisse aussi la possibiliteacute drsquoavoir une nature diffeacuterente de celle du monde

Les eacuteleacutements de la doctrine selon laquelle Dieu est lieacute au monde comme son modegravele sont

dans la deuxiegraveme partie du De unitate Achard srsquoadresse quelques fois aux doctrines des personnes

de la Triniteacute en deacutecrivant notamment en deacutetail le Saint-Esprit en tant que connexion entre le Pegravere et

le Fils Dieu et le monde Les raisons eacuteternelles les veacuteriteacutes les distinctions sont dans le Fils Et dans

le Saint-Esprit il y a les gracircces les dons les intellections et les connexions Et ces mecircmes uniteacutes

intelligibles sont transfuseacutees dans les choses in actu De cette maniegravere Dieu est la cause intelligible

du monde mais les objets et les notions qui sont dans le monde ne proviennent pas de lui

directement Cependant le scheacutema de la procession agrave lrsquointeacuterieur de la Triniteacute srsquoaccomplit eacutegalement

agrave lrsquoexteacuterieur agrave travers le Saint-Esprit Par conseacutequent Dieu joue plutocirct le rocircle drsquoune cause

exemplaire non seulement pour les ecirctres creacuteeacutes mais aussi pour le processus de la creacuteation

199

La deacutefinition de la personne divine drsquoAchard ne suit ni celle drsquoAugustin ni celle de Boegravece

ni celle drsquoHugues (qui agrave son tour suit Augustin) Il remarque lrsquoinsuffisance de la doctrine de Boegravece

et il propose son propre deacuteveloppement Lrsquooriginaliteacute de ce deacuteveloppement fait penser agrave la doctrine

trinitaire de Richard Jean Ribaillier a deacutejagrave compareacute le De Trinitate de Richard et le De unitate

drsquoAchard Il a releveacute les points communs suivants

- les choses visibles sont les images de la nature invisible de Dieu

- lrsquouniteacute premiegravere qui neacutecessite la pluraliteacute chez Achard et les ecirctres ab aeterno et ab semetipso

chez Richard

- la doctrine de lrsquoorigine des personnes de Richard est proche de la doctrine de la procession

(proceacuteder drsquoune personne) drsquoAchard

- une quatriegraveme personne en Dieu est impossible518

Nous pouvons ajouter les similitudes suivantes

- pour deacutemontrer lrsquoimpossibiliteacute de quatriegraveme personne dans la Triniteacute les deux penseurs

procegravedent par lrsquoabsurde

- Richard (De Trinitate III IX-X) et Achard (De unitate I 13-14) traitent ensemble les

natures divine et humaine comme des cas de pluraliteacute

- les noms de personnes genitus (De Trinitate VI XVI-XVII de Richard et De unitate I 29

drsquoAchard) la question si la troisiegraveme personne peut ecirctre appeleacutee laquo Fils raquo (VI VI et I 36) et

lrsquoargument qursquoelle srsquoappelle le Saint-Esprit agrave cause de la communion qursquoelle a avec les deux

premiegraveres personnes (VI VIII-X et I 36) La plupart de thegraveses concernant les noms des

personnes ont deacutejagrave eacuteteacute formuleacutees par Augustin

En deacutefinitive nous croyons que mecircme si Achard et Richard partagent plusieurs thegraveses

communes chacun creacutee une doctrine originale

En ce qui concerne lrsquoaction exteacuterieure de la Triniteacute la doctrine drsquoAchard (II 3-4) rappelle

celle drsquoErigegravene La vie inteacuterieure de la Triniteacute est le modegravele de sa procession exteacuterieure les causes

exemplaires sont dans le Fils et le Saint-Esprit dirige les distributions de ces causes dans le monde

Pour conclure la doctrine des personnes drsquoAchard est proche agrave la doctrine de Richard et non

drsquoHugues Elle emprunte au platonisme le postulat que lrsquoabsolu se fait proceacuteder et au christianisme

le postulat que Dieu ne produit pas le monde par eacutemanation

518 Cela a deacutejagrave eacuteteacute remarqueacute par Jean Ribaillier J RIBAILLIER laquo Introduction raquo dans RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate eacuted J RIBAILLIER Paris 1958 p 29-32

200

CHAPITRE VII

La pluraliteacute des raisons dans le Verbe

Nous avons deacutejagrave poseacute deux sortes de questions agrave propos des raisons et du Verbe dans le De

unitate La premiegravere concerne le Verbe incarneacute et la deuxiegraveme la multipliciteacute des raisons

Les questions les plus utiles pour tracer les origines platoniciennes de la doctrine drsquoAchard

sont

- Comment le Verbe est-il le prototype des ecirctres sensibles

- Comment le Verbe contient-il les raisons

- Qursquoest-ce qursquoune raison

- Quelle est lrsquoorigine de la doctrine des trois sortes de raisons et de chaque sorte de raisons

prise isolement

Nous nrsquoallons pas eacutetudier lrsquoorigine de la doctrine de lrsquoincarnation drsquoAchard de Saint-Victor car

elle sort du cadre de notre preacutesente recherche

VII1 Lrsquohistoire de la notion de ratio

Comme son heacuteritier franccedilais laquo raison raquo le mot latin ratio latine a deux significations

principales

- laquo moyen ou forme de la connaissance raquo (soit selon la deacutefinition du vocabulaire de la

philosophie de Lalande laquo la faculteacute de raisonner discursivement de combiner des

concepts et des propositions raquo)

- lrsquo laquo objet de la connaissance raquo (soit laquo principe drsquoexplication raquo qui fait comprendre ou

justifier)519

Cette multivociteacute a joueacute un rocircle important dans lrsquohistoire de la philosophie

Le fait que Dieu est devenu lrsquohomme srsquoappelle lrsquoincarnation Selon lrsquoEvangile de saint Jean

(I 1-14) crsquoest le Verbe de Dieu son Fils qui est devenu chair Le fait qursquoen grec le Verbe est dit

Logos permet de faire un parallegravele avec la doctrine platonicienne du Logos Cela ouvre la porte aux

speacuteculations philosophiques autour de la question de lrsquoincarnation de Dieu Dieu non seulement 519 Cette division a eacuteteacute retenue des dictionnaires suivants J-LSOLERE laquoRaison raquo dans Dictionnaire du Moyen Age eacuted C GAUVARD A DE LIBERA M ZINK Paris 2002 p 1171 A LALANDE Vocabulaire technique et critique de la philosophie Paris 1951 p 877-882 P FOULQUIE R SAINT-JEAN Dictionnaire de la langue philosophique Paris 1962 p 604-605

201

srsquoest incarneacute mais il a creacuteeacute le monde agrave travers son Fils le Verbe Lrsquoune des traductions de logos en

latin est ratio Le Logos selon les meacutedioplatoniciens contient des logoi ndash les rationes en latin

Achard enseigne que la deuxiegraveme personne contient les raisons eacuteternelles des choses et crsquoest

une des pluraliteacutes en Dieu A preacutesent nous voulons trouver lrsquoorigine de cette doctrine achardienne

et eacutetudier comment la pluraliteacute des raisons apparaicirct dans la diviniteacute et les rationes dans le ratio

VII11 Le Verbe heacuteritier du Logos

VII111 Les sources du prologue agrave lrsquoEvangile selon saint Jean

Le Logos est un mot qui deacutesigne le Verbe dans le texte grec de lrsquoEvangile selon saint Jean

Drsquoapregraves le laquo Prologue raquo agrave lrsquoEvangile selon saint Jean (I 1-14) le Logos ou en latin le Verbum est

le Fils de Dieu qui est venu en ce monde et est devenu chair Tout a eacuteteacute fait par lui

La doctrine johannique du Logos a une source biblique lrsquoAncien Testament Le Logos

correspond agrave la Sagesse (les Proverbes VIII) qui est la loi et la raison agrave travers laquelle Dieu creacutee

le monde520 Le Logos peut aussi ecirctre la parole creacuteatrice de Dieu (par exemple Genegravese I 1 laquo et

Dieu dit raquo mais aussi lrsquoEcclesiastique XLII 15 la Sagesse IX 1 XVIII 14)521

Chez les stoiumlciens qui perccediloivent le monde en tant qursquoorganisme vivant le logos est une loi

qui reacutegit cet organisme Il est le feu originel la semence qui contient le futur processus du

deacuteveloppement des choses la raison humaine et lrsquoeacutemanation de la raison divine Les stoiumlciens

creacuteent la notion drsquoun logos spermatikos qui contient des logoi les germes particuliers contenus dans

chaque objet dans le monde Ils sont les causes efficientes de la matiegravere individuelle522

Drsquoapregraves Seacutenegraveque Dieu contient les exemplaires (exemplaria) des toutes les choses et laquo son

intelligence embrasse dans leurs rapports numeacuteriques et leurs diffeacuterents modes la totaliteacute des

choses agrave creacuteer Il est plein de ces figures que Platon nomme les ideacutees immortelles immuables

infatigables523 raquo De cette maniegravere Seacutenegraveque donne une nouvelle interpreacutetation de la doctrine

platonicienne des ideacutees Elles sont les prototypes des choses dans le monde contenues dans lrsquoesprit

de Dieu (par analogie avec le logos et les logoi)

520 J LEBRETON Les Origines du dogme de la Triniteacute Paris 1910 (Bibliothegraveque de theacuteologie historique) p 110-119 Voir eacutegalement R HOLTE laquo Logos Spermatikos Christianity and Ancient philosophy according to St Justinrsquos Apologies raquo dans Studia theologica t 12 1958 p 122-3 521 J LEBRETON Les Origines du dogme de la Triniteacute Paris 1910 (Bibliothegraveque de theacuteologie historique) p119-120 522 Ibid p 49-50 R HOLTE laquo Logos Spermatikos Christianity and Ancient philosophy according to St Justinrsquos Apologies raquo dans Studia theologica t 12 1958 p 120 523 laquo Haec exemplaria rerum omnium deus intra se habet numerosque uniuersorum quae agenda sunt et modos mente conplexus est plenus his figuris est quas Plato ideas appellat inmortales inmutabiles infatigabiles raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LXV eacuted F PRECHAC trad H NOBLOT t II Livres V-II Paris p 108

202

Les stoiumlciens et Seacutenegraveque en particulier influencent le meacutedioplatonisme524 Drsquoapregraves lrsquoun de

ses repreacutesentants Philon drsquoAlexandrie le Logos est

- le Fils de Dieu

- le chef des anges (il existe une eacutequivalence entre les anges comme ecirctres meacutetaphysiques

et les logoi qui sont dans le Logos)

- lrsquoempreinte de Dieu (lrsquoacircme et le monde sont les empreintes du Logos)

- lrsquoinstrument de Dieu pour creacuteer le monde (le Logos est un archeacutetype des creacuteatures)525

Le Logos de Philon drsquoAlexandrie est lrsquoeacutequivalent de lrsquointellect de Dieu et du monde

intelligible526 Etant contemporain de lrsquoEvangile selon saint Jean le meacutedioplatonisme a sucircrement pu

avoir une influence sur lui

Tout cela megravene agrave la creacuteation de lrsquoEvangile spirituel qui contient une doctrine philosophique

selon laquelle Dieu creacutee le monde agrave travers son Verbe De plus le Verbe lui-mecircme srsquoest incarneacute

dans ce monde creacuteeacute Le fait que cette doctrine soit exprimeacutee agrave lrsquoaide du terme logos utiliseacute par des

eacutecoles philosophiques diffeacuterentes527 laisse un vaste champ drsquoactions aux interpregravetes de lrsquoEvangile

Justin le Martyr et Origegravene notamment se sont approprieacute la doctrine du Christ en tant que

Logos528 Les neacuteoplatoniciens emploient la notion de logos au sens de laquo puissance cosmique qui

mettait en valeur partout la loi de la raison et de lrsquointellectualiteacute529 raquo Cette doctrine se deacuteveloppe

deux siegravecles apregraves lrsquoapparition de lrsquoEvangile selon saint Jean Et elle a pu eacutegalement influencer les

penseurs latins comme Augustin

En deacutefinitive la doctrine du Logos en tant qursquouniteacute divine qui contient plusieurs prototypes

des ecirctres creacuteeacutees existe dans la philosophie antique

524 JM DILLON The Middle platonists A study of platonism 80 B C to A D 220 London 1977 p 46 et 136-9 525 J LEBRETON Les Origines du dogme de la Triniteacute Paris 1910 (Bibliothegraveque de theacuteologie historique) p 496-501 En effet Lebreton traire Philon en tant que repreacutesentant du judaiumlsme alexandrin (voir p 153-205) et il trouve que le logos de Philon est plus proche agrave lrsquoeacutepitre aux Heacutebreux de Saint Paul que agrave lrsquoEvangile selon Saint Jean (voir p 495-506 et 515-523) 526 LM DE RIJK laquo Quaestio De ideis Some Notes on an Important Chapter of Platonismraquo Kephalaion Studies in greek philosophy and its continuation offered to Professor C J De Vogel ed by J MANSFELD and L M DE RIJK Assen 1975 p 206 527 Cf B CASSIN C AUVRAY-ASSAYAS F ILDEFONSE etc laquo LOGOS raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 711-725 528 E OSBORN laquo Justin Martyr and the Logos Spermaticos raquo dans Studia Missionalia t 42 1993 p 151 L HODSON The doctrine of the Trinity London 1946 p 117-122 529 H DOumlRRIE laquo Une exeacutegegravese neacuteoplatonicienne du Prologue de lrsquoEvangile de saint Jean (Ameacutelius chez Eusegravebe Preacutep eacutev II 19 1-4 raquo dans Epektasis meacutelanges patristiques offerts au cardinal Jean Danieacutelou eacuted J FONTAINE et CH KANNENGIESER Paris 1971 p 86

203

VII112 Le Verbe incarneacute chez Augustin et Erigegravene

Observons deacutesormais les auteurs latins Nous sommes inteacuteresseacutee de savoir comment la

doctrine du Verbe de saint Jean a eacuteteacute interpreacuteteacutee et si la doctrine des meacutedioplatoniciens et des

neacuteoplatoniciens agrave propos du logos a eacuteteacute accepteacutee

Augustin cite plusieurs fois le prologue (Jean I 1-4) de lrsquoEvangile selon saint Jean afin

drsquoillustrer la doctrine de lrsquoincarnation530 Cependant crsquoest seulement quelques fois qursquoAugustin

appelle le Verbe la ratio (ce qui est un eacutequivalent latin du logos et exprime sa fonction en tant que

cause) Dans le De Verbo (De diversis quaestionibus 83 qu 48) le Verbe est expliqueacute en tant que

raison ou que puissance opeacuterationnelle (operativa potentia)531 Dans lrsquoIn Iohannis euangelium

tractatus I 16 Augustin dit que la raison de tout ce qui a eacuteteacute creacuteeacute est dans la Sagesse532

Une autre illustration de la preacutesence des raisons dans le Verbe incarneacute chez Augustin se

trouve dans le De Genesi ad litteram ougrave lrsquoauteur deacutecrit les niveaux drsquoexistence des raisons (V XII

28)

laquo Autres sont donc les raisons immuables de toutes les creacuteatures dans le Verbe de Dieu

autres les œuvres dont il se reposa le septiegraveme jour autres celle que agrave partir de cette

premiegravere creacuteation il continue de faire jusqursquoagrave maintenant De ces trois modes drsquoecirctre le

dernier nous est quelque peu connu agrave lrsquoaide des sens corporels et de notre expeacuterience

coutumiegravere533 raquo

Ainsi les raisons causales sont dans le Verbe de Dieu qui est le Christ Dieu agit par ces

laquo raisons eacuteternelles immuable et stables de son Verbe qui lui est coeacuteternel534 raquo

530 De genesi ad litteram V XIII 29-30 De Trinitate VI II 3 - le Fils seul est le Verbe de Dieu drsquoapregraves Jean I 1 voir eacutegalement le Fils comme le Verbe De genesi ad litteram I IV 9 eacutetc 531 laquo quod graece logos dicitur latine et rationem et uerbum significat sed hoc loco melius uerbum interpretamur ut significetur non solum ad patrem respectus sed ad illa etiam quae per uerbum facta sunt operatiua potentia ratio autem et si nihil per illam fiat recte ratio dicitur raquo AUGUSTIN De diversis quaestionibus octoginta tribus eacuted A MUTZENBECHER Turnhout 1975 (CCSL 44A) p 136 532 laquo Quid est hoc facta est terra sed ipsa terra quae facta est non est uita est autem in ipsa sapientia spiritaliter ratio quaedam qua terra facta est haec uita est raquo AUGUSTIN Tractatus in Iohannis evangelium I-XVI eacuted R Willems Turnhout 1954 (CCSL 36) p 9-10 533 laquo Cum ergo aliter se habeant omnium creaturarum rationes incommutabiles in uerbo dei aliter eius illa opera a quibus in die septimo requieuit aliter ista quae ex illis usque nunc operatur horum trium hoc quod extremum posui nobis utcumque notum est per corporis sensus et huius consuetudinem uitae raquo AUGUSTIN De Genesi ad litteram libri duodecim eacuted J ZYCHA trad introd et notes PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC Paris 2000 (BA 48) p 412-414 Cf laquo Sed haec aliter in uerbo dei ubi ista non facta sed aeterna sunt aliter in elementis mundi ubi omnia simul facta futura sunt aliter in rebus quae secundum causas simul creatas non iam simul sed suo quaeque tempore creantur in quibus adam iam formatus ex limo et dei flatu animatus sicut fenum exortum aliter in seminibus in quibus rursus quasi primordiales causae repetuntur de rebus ductae quae secundum causas quas primum condidit extiterunt uelut herba ex terra semen ex herba raquo ibid VI X 17 p 468 534 laquo Sed aeternis atque incommutabilibus et stabilibus rationibus coaeterni sibi uerbi sui raquo ibid p 130-133

204

Gerard OrsquoDaly deacutemontre qursquoAugustin a eacuteteacute influenceacute par la doctrine du meacutedioplatonisme

qui pose une intermeacutediaire entre le principe supeacuterieur (Dieu) et lrsquounivers (par exemple le Logos

dans les eacutecrits de Philon et de Plutarque la Raison cosmique dans les eacutecrits drsquoAlbinus etc)535

Jean Scot Erigegravene dans son Homeacutelie sur le prologue de Jean deacuteveloppe la doctrine du Fils

en tant que Verbe

laquo Trois choses srsquoimposent donc agrave notre foi et agrave notre intelligence le Pegravere qui parle le Verbe

qui est prononceacute les choses qui sont produites par le Verbe Le Pegravere parle le Verbe est

engendreacute toutes choses sont produites536 raquo

Dans le passage suivant Erigegravene explique la creacuteation du monde selon saint Jean I 3-4

laquo Toutes les choses qui ont eacuteteacute faites par lui en lui sont vie et en lui sont un Car elles eacutetaient

ndash crsquoest-agrave-dire subsistent ndash en lui en tant que causes avant drsquoexister en elles-mecircmes en tant

qursquoeffets537 raquo

Pour deacutemontrer comment tout ce qui a eacuteteacute creacuteeacute existe dans le Verbe Erigegravene propose

lrsquoexemple des pheacutenomegravenes naturels le soleil qui produit des couleurs et des formes les semences

des plantes la science qui est unique dans la penseacutee (in arte) etc (X 288D-289B)

Cette doctrine est eacutegalement deacuteveloppeacutee dans le Periphyseon III Le Fils de Dieu est le

Verbe la raison et la cause Le verbe contient en lui toutes les choses (rerum omnium

universitas)538

535 G OrsquoDALY laquo Hierarchies in Augustinersquos thought raquo dans From Augustine to Eriugena essays on neoplatonism and Christianity in honor of John OrsquoMeara ed by FX MARTIN JA RICHMOND Washington 1991 p 150 536 laquo Tria itaque credere et intelligere debemus loquentem patrem pronuntiatum uerbum ea quae efficiuntur per uerbum Pater loquitur uerbum gignitur omnia efficiunturraquo JEAN SCOT ERIGENE Homilia super lsquoIn principio erat Verbumrsquo eacuted E JEAUNEAU Turnhout 2008 (CCCM 168) p 15 = PL 122 287C trad JEAN SCOT ERIGENE Homeacutelie sur le prologue de Jean introd texte critique trad et notes E JEAUNEAU Paris 1969 p 237-239 537 laquo Omnia quae per ipsum facta sunt in ipso uita sunt et unum sunt Erant enim (hoc est subsistunt) in ipso causaliter priusquam sint in semet ipsis effectiue raquo Ibid IX eacuted JEAUNEAU p 18 = PL 122 288C trad E JEAUNEAU p 245 538 laquo Rationes omnium rerum dum in ipsa natura uerbi quae superessentialis est intelliguntur aeternas esse arbitror Quicquid enim in deo uerbo substantialiter est quoniam non aliud praeter ipsum uerbum est aeternum esse necesse est Ac per hoc conficitur et ipsum uerbum et multiplicem totius uniuersitatis conditae principalissimam que rationem id ipsum esse Possumus etiam sic dicere Simplex et multiplex rerum omnium principalissima ratio deus uerbum est Nam a graecis ΛΟΓΟΣ uocatur hoc est uerbum uel ratio uel causa Inde quod in graeco euangelio scribitur ΕΝ ΑΡΧΗ ΗΝ Ο ΛΟΓΟΣ potest interpretari In principio erat uerbum Vel In principio erat ratio Vel In principio erat causa Quodcunque enim horum quis dixerit ex ueritate non deuiabit Nam unigenitus dei filius et uerbum est et ratio et causa Verbum quidem quia per ipsum deus pater dixit fieri omnia immo etiam ipse est patris dicere et dictio et sermo sicut ipse ait in euangelio Et sermo quem locutus sum uobis non est meus sed ipsius qui misit me Tanquam diceret aperte Ego qui sum sermo patris qui locutus sum uobis non sum meus sed loquentis me patris et ex secretis substantiae suae sinibus me gignentis et omnia per me (hoc est gignendo me) facientis Ratio uero quoniam ipse est omnium uisibilium et inuisibilium principale exemplar ideo que a graecis ΙΔΕΑ (id est species uel forma) dicitur In ipso enim pater omnia quae uoluit fieri priusquam fierent uidit facienda Causa quoque est quoniam occasiones

205

Dans la mecircme œuvre Erigegravene appelle Dieu laquo la Cause des causes raquo

laquo Mais les causes primordiales constituent agrave leur tour des participations de lrsquounique Cause de

toutes les causes crsquoest-agrave-dire de la souveraine et sainte Triniteacute et on affirme que les causes

primordiales subsistent par elles-mecircmes car aucune creacuteature ne srsquointerpose entre ces causes

et lrsquounique Cause de toutes les causes [hellip]

Ces causes primordiales [sont celleshellip] que le Pegravere a creacuteeacutees sous un mode synchronique et

syntheacutetique dans le Fils crsquoest drsquoapregraves ces causes primordiales qursquoa eacuteteacute confectionneacute lrsquoordre

seacuteriel de toutes les creacuteatures du haut en bas de lrsquoeacutechelle539 raquo

Erigegravene dit eacutegalement que lrsquoessence veacuteritable et eacuteternelle de tous les existants (omnia) a eacuteteacute

dans la Sagesse creacuteatrice avant mecircme que ces existants fussent creacuteeacutes Cette essence existe car elle

est vue par la Sagesse (Periphyseon IV)540

Ainsi Augustin et Erigegravene srsquoinspirent de la doctrine meacutetaphysique de Jean I 1-14

Lrsquoinfluence du meacutedioplatonisme est visible chez ces deux penseurs Les deux deacuteveloppent une

doctrine selon laquelle Dieu ou le Fils contient les uniteacutes intelligibles (les raisons dans le cas

drsquoAugustin ou les causes dans le cas drsquoErigegravene) qui causent lrsquoexistence des ecirctres dans le monde

Lambert Maria de Rijk trouve que cette doctrine correspond agrave la doctrine meacutedioplatonicienne des

ideacutees qui sont les penseacutees dans lrsquointellect de Dieu (en particulier chez Philon drsquoAlexandrie et

Augustin)541

Robert Javelet montre que la doctrine du Verbe-archeacutetype qui contient les ideacutees ou les

causes des choses a eacuteteacute largement accepteacutee au XIIe siegravecle Cependant cette doctrine nrsquoest pas facile

agrave tracer vu que dans la theacuteologie elle eacutetait souvent unie agrave la doctrine du Verbe-personne agrave travers

lequel le monde a eacuteteacute fait542

omnium aeternaliter et incommutabiliter in ipso subsistunt raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon III eacuted JEAUNEAU p 35-6 = PL 122 642AC Cf J MOREAU laquo Le Verbe et la creation selon saint Augustin et Jean Scot Erigene raquo dans Jean Scot Erigegravene et lrsquohistoire de la philosophie Paris 1977 p 204-209 539 laquo Ipsa uero unius uniuersorum causae summae uidelicet ac sanctae trinitatis participationes sunt atque ideo per se dicuntur esse quia nulla creatura inter ipsa et unam omnium causam interposita est [hellip] Sunt igitur primordiales causae [hellip] quas semel et simul pater fecit in filio et secundum quas ordo omnium rerum a summo usque deorsum texitur raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 124-5 = PL 122 616BC tradBERTIN t I-II p 418-419 Voir eacutegalement laquo Primitiuas causas quas sanctus Dionysius principia rerum omnium uocat simpliciter generaliter que significatas esse his uerbis intellige In principio fecit deus caelum et terram hoc est deus in uerbo suo intelligibilium essentiarum sensibilium que uniuersaliter causas condidit raquo Ibid p 39 = PL 122 554CD 540 laquo Vt enim sapientia creatrix (quod est uerbum dei) omnia quae in ea facta sunt priusquam fierent uidit ipsa que uisio eorum quae priusquam fierent uisa sunt uera et incommutabilis aeterna que essentia est ita creata sapientia (quae est humana natura) omnia quae in se facta sunt priusquam fierent cognouit ipsa que cognitio eorum quae priusquam fierent cognita sunt uera essentia et inconcussa est raquo Ibid IV eacuted JEAUNEAU p 55 = PL 122 778D 541 LM DE RIJK laquo Quaestio De ideis Some Notes on an Important Chapter of Platonismraquo Kephalaion Studies in greek philosophy and its continuation offered to Professor C J De Vogel ed by J MANSFELD and L M DE RIJK Assen 1975 p 206-208 542 R JAVELET Image et ressemblance au douziegraveme siegravecle de Saint Anselme agrave Alain de Lille vol 1 Paris 1967 p 106

206

VII12 Les raisons

Deacutesormais nous essayerons de deacutefinir les origines potentielles de la doctrine des raisons

eacuteternelles drsquoAchard de Saint-Victor Nous allons partir du fait que les raisons sont des uniteacutes

intelligibles qui causent lrsquoexistence des choses Achard expose trois sortes de raisons finales

formelle et deacuteployantes

VII121 La raison en tant que cause

La difficulteacute drsquoeacutetudier lrsquohistoire de cette notion vient du fait que sa signification nrsquoest pas

univoque En effet la raison peut deacutesigner une intelligence divine ou humaine une preacutemisse du

syllogisme la cause de lrsquoecirctre etc (voir lrsquoannexe 2) Mecircme une seule signification de cette notion ndash

la cause drsquoune chose ndash renvoie aux doctrines des ideacutees de Platon aux causes drsquoAristote aux logoi

des stoiumlciens et agrave leurs interpreacutetations dans la penseacutee tardo-antique

Nous allons drsquoabord poser une question comment la ratio au sens de cause immateacuterielle

est-elle entreacutee dans le discours de lrsquoOccident latin Une reacuteponse rapide et simple gracircce agrave Augustin

drsquoapregraves lui la ratio rend le sens des ideacutees de Platon (De diversis quaestionibus 83 qu 46 2)

laquo Nous pouvons appeler les laquo ideacutees raquo en latin formae ou species pour paraicirctre traduire mot agrave

mot Toutefois si nous les appelons rationes nous nous eacutecartons assureacutement de la

traduction litteacuterale car les rationes srsquoappellent en grec logoi et non laquo ideacutees raquo mais

quiconque aura voulu utiliser ce vocable ne deacutetestera pas pour autant la reacutealiteacute mecircme Car

les laquo ideacutees raquo sont de certaines formes principales ou de raisons de reacutealiteacutes stables et

immuables qui ne sont pas elles-mecircmes formeacutees et qui partant sont eacuteternelles et se

comportent toujours de la mecircme maniegravere elles sont contenues dans lrsquointelligence divine Et

bien qursquoelles-mecircmes ne naissent ni ne peacuterissent on dit pourtant que crsquoest selon elles qursquoest

formeacute tout ce qui peut naicirctre et peacuterir et tout ce qui naicirct et peacuterit

Quant agrave lrsquoacircme on nie qursquoelle puisse si elle nrsquoest pas rationnelle les regarder par la partie qui fait

son excellence crsquoest-agrave-dire par son esprit mecircme et sa raison comme par sa face ou son œil

inteacuterieur et intelligible543 raquo

543 laquo Ideas igitur latine possumus uel formas uel species dicere ut uerbum e uerbo transferre uideamur si autem rationes eas uocemus ab interpretandi quidem proprietate discedimus - rationes enim graece λόγοι appellantur non ideae - sed tamen quisquis hoc uocabulo uti uoluerit a re ipsa non abhorrebit sunt namque ideae principales quaedam formae uel rationes rerum stabiles atque incommutabiles quae ipsae formatae non sunt ac per hoc aeternae ac semper eodem modo sese habentes quae diuina intellegentia continentur et cum ipsae neque oriantur neque intereant secundum eas tamen formari dicitur omne quod oriri et interire potest et omne quod oritur et interit anima uero negatur eas intueri posse nisi rationalis ea sui parte qua excellit id est ipsa mente atque ratione quasi quadam facie uel oculo suo interiore atque intellegibili raquo AUGUSTIN De diversis quaestionibus octoginta tribus qu 46 eacuted MUTZENBECHER Tunhout 1975

207

Ainsi la notion de raison correspond agrave la notion drsquoideacutee544 Les raisons sont dans

lrsquointelligence divine (diuina intellegentia) Augustin caracteacuterise les raisons en tant qursquoimmuables et

intelligibles La ratio deacutesigne eacutegalement lrsquoesprit humain (mens) qui perccediloit les raisons Comme

nous lrsquoavons deacutejagrave deacutemontreacute Augustin deacutecrit les raisons qui sont dans le Verbe de Dieu Dans le De

Trinitate il parle eacutegalement des raisons eacuteternelles des choses (rationes sempiternae) qui permettent

agrave la raison humaine de juger correctement ces choses (IX VI 9 XII II 2) Tout cela permet de

dire qursquoil accepte une doctrine de la raison comme cause intelligible des creacuteatures sensibles

Un autre terme deacutesignant ce qui a la proprieacuteteacute drsquoecirctre agrave lrsquoorigine de lrsquoexistence des choses

est causa lui-mecircme Ce terme a eacuteteacute employeacute par des penseurs diffeacuterents

Drsquoabord il faut deacutecrire la doctrine de la causaliteacute de Seacutenegraveque Il choisit la causa en tant que

notion principale (mecircme si causa et ratio sont pour lui des synonymes545) Drsquoapregraves lui ce terme

englobe les deux causes stoiumlciennes les quatre causes drsquoAristote auxquelles il ajoute lrsquoideacutee de

Platon en tant que cinquiegraveme cause546 (Lettre LXV) Mais la premiegravere cause geacuteneacuterale est la raison

creacuteatrice (ratio faciens) ndash Dieu lui-mecircme547 Ainsi la fonction principale des causes est de faire que

la chose existe Les causes drsquoapregraves Seacutenegraveque ont des natures diffeacuterentes (mateacuterielle et intelligible)

Cependant il nrsquoinsiste pas sur le dualisme platonicien selon lequel la nature du principe causant

(lrsquoideacutee) est diffeacuterente de la nature de ce qui est causeacute (la chose) Il suit plutocirct le principe

drsquoassemblage aristoteacutelicien en reacuteunissant tout ce qui fait que la chose existe sous le nom de cause

Iregravene Caiazzo souligne qursquoen effet eacutetant stoiumlcien Seacutenegraveque critique les deux ndash Platon et Aristote

Pour lui la cause principale ndash Dieu ndash est la cause efficiente548

Puis les termes causa et ratio apparaissent dans la traduction du Timeacutee de Platon faite par

Calcidius

p71(CCSL 44A) trad G MADEC dans Revue Thomiste t 533 2003 p 358-359 544 Jean Peacutepin deacutemontre que dans le De libero arbitrio et De Genesi as litteram les rationes sont des ideacutees PEacutePIN J laquo La doctrine augustinienne des lsquoRationes aeternaersquo affiniteacutes origines raquo dans Ratio VII Colloquio internazionale del Lessico Intellettuale Europeo Roma 9-11 gennaio 1992 eacuted  M FATTORI et ML BIANCHI Fierenze 1994 p 48-49 545 laquo Causa autem id est ratio raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LXV eacuted PRECHAC p 106 546 laquo Dicunt ut scis Stoici nostri duo esse in rerum natura ex quibus omnia fiant causam et materiam Materia iacet iners res ad omnia parata cessatura si nemo moueat causa autem id est ratio materiam format et quocumque uult uersat ex illa uaria opera producit [hellip] Stoicis placet unam causam esse id quod facit Aristoteles putat causam tribus modis dici lsquoprima inquit causa est ipsa materia sine qua nihil potest effici secunda opifex tertia est forma quae unicuique operi imponitur tamquam statuaersquo nam hanc Aristoteles idos uocat lsquoQuarta quoque inquit his accedit propositum totius operisrsquo [hellip] His quintam Plato adicit exemplar quam ipse idean uocat hoc est enim ad quod respiciens artifex id quod destinabat effecit Nihil autem ad rem pertinet utrum foris habeat exemplar ad quod referat oculos an intus quod ibi ipse concepit et posuit raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LXV eacuted PRECHAC p 106-108 547 laquo Sed nos nunc primam et generalem quaerimus causam Haec simplex esse debet nam et materia simplex est Quaerimus quid sit causa Ratio scilicet faciens id est deus ista enim quaecumque rettulistis non sunt multae et singulae causae sed ex una pendent ex ea quae facit raquo Ibid p 110 548 I CAIAZZO laquo Sur la distinction seacuteneacutechienne ideaidos au XIIe siegravecle raquo dans Chora t 34 2006 p 101

208

laquo En revanche tout ce qui est engendreacute est neacutecessairement engendreacute par lrsquoaction drsquoune

cause car rien ne se produit dont la naissance ne soit preacuteceacutedeacutee par lrsquointervention drsquoune

cause et drsquoune raison leacutegitimes Or lrsquoorigine de toute chose deacutepend de celui qui lrsquoa

fabriqueacutee549 raquo

Ce passage apporte lrsquoideacutee que tout ce qui se produit a neacutecessairement une cause ou une

raison (encore une fois ces termes sont des synonymes)550

Avec drsquoautres sources platoniciennes telles que le Commentaire au songe de Scipion de

Macrobe les Noces de Mercure et de la Philologie de Martianus Capelle la Consolation de la

philosophie de Boegravece le Timeacutee constitue la source principale des doctrines de la creacuteation du monde

et de la Providence des XIe et XIIe siegravecles551 Ainsi il faut prendre en consideacuteration le fait que la

doctrine des causes de Platon a eacuteteacute transmise en tant que partie des doctrines deacutefinies

De plus Platon distingue la cause et ce qui suit la cause (la cause principale et la cause

accessoire selon la traduction de Beacuteatrice Bakhouche)

laquo Celui qui aime la raison et le savoir doit rechercher la cause premiegravere de ce qui ressortit agrave

une nature pleine de sagesse et non les causes qui sont les auxiliaires de la cause premiegravere

Il faut consideacuterer comme secondes les causes qui mues par drsquoautres ecirctres transmettent ce

mouvement agrave drsquoautres ecirctres Crsquoest bien ainsi qursquoil nous faut proceacuteder nous aussi et parler de

deux sortes de causes en distinguant entre les meilleures qui doueacutees drsquointelligence et de

sagesse produisent des effets beaux et bons et celles qui priveacutees drsquointelligence et de raison

laissent dans la confusion et le deacutesordre au hasard et nrsquoimporte comment tout ce qursquoelles

reacutealisent552 raquo

De cette maniegravere le Timeacutee contient lrsquoideacutee que les causes ont un certain ordre Dans son

Commentaire Calcidius ajoute que les causes sont eacuteternelles elles existaient avant le temps avec

549 laquo Omne autem quod gignitur ex causa aliqua necessario gignitur nihil enim fit cuius ortum non legitima causa et ratio praecedat Operi porro fortunam dat opifex suus raquo CALCIDIUS Platonis Timaeus dans Commentaire au laquo Timeacutee raquo de Platon eacuted B BAKHOUCHE t I Paris 2011 p 154-5= eacuted Estienne 28A 550 Raymon Klibansky appelle cette deacutefinition laquo classical formulation of the principe of causality raquo R KLIBANSKY laquo The School of Chartres raquo dans Twelfth-century Europe and the Foundations of Modern Society London 1966 p 6 551B BAKHOUCHE laquo Introduction geacuteneacuterale raquo dans CALCIDIUS Commentaire au laquo Timeacutee raquo de Platon eacuted B BAKHOUCHE t I Paris 2011 p 58 552 laquo Oportet autem intellectus disciplinae amatorem prudentissimae naturae principalem causam non adminicula causae principalis inquirere illas uero quae ab aliis motae mouent alias secundas existimandum Nobis quoque igitur in eundem modum faciendum est et de utroque causarum genere disserendum sed separatim quidem de optimis quae cum intellectu prudentiaque cuncta honesta et bona moliuntur seorsum uero de his quae mente prudentiaque cassae temere et ut libet confusa et inordinata quae faciunt relinquuntraquo CALCIDIUS Platonis Timaeus eacuted B BAKHOUCHE p 188-189= eacuted Estienne 46DE

209

Dieu (Commentarius in Platonis Timaeum I 23553) Il deacutesigne ces deux sortes de causes comme

eacutetant lrsquoune la cause principale et neacutecessaire et lrsquoautre la cause accidentelle (Commentarius in

Platonis Timaeum II 158)

Augustin utilise eacutegalement la notion de cause en parallegravele avec celle de raison554

Jean Scot Erigegravene est parmi les philosophes qui acceptent la doctrine des causes Il explique

la creacuteation du monde avec les trois sortes de cause (1) la causa essentialis et prinicipialis qui est

aussi la cause finale (2) la causa primordialis et (3) la causa constitutionis ou lrsquoousia555 La cause

essentielle correspond agrave Dieu lui-mecircme soit agrave la premiegravere forme de la Nature (qui creacutee et qui nrsquoest

pas creacuteeacutee) Elle est le principe et la fin de toutes les choses556 Les causes primordiales

correspondent aux prototypes ou ideacutees

laquo [Les causes primordiales] sont aussi communeacutement appeleacutees ΙΔΕΑ crsquoest-agrave-dire espegraveces

ou formes car crsquoest en elles qursquoont eacuteteacute creacuteeacutees les raisons normatives immuables de tous les

existants qui doivent ecirctre creacuteeacutes avant mecircme que tous les existants ne procegravedent dans

lrsquoexistence 557 raquo

La cause constitutive deacutesigne en mecircme temps lrsquoousia geacuteneacuterale et les ousiai particuliegraveres

Drsquoapregraves Christophe Erismann Erigegravene perccediloit le monde sensible comme un laquo arbre de Porphyre

553 laquo Ita naturae opera quia ortum habent ex eo quo esse coeperunt tempore finem quoque et occasum intra seriem continuationemque eius sortita sunt at uero dei operum origo et initium incomprehensibile nulla est enim certa nota nullum indicium temporis ex quo esse coeperunt sola si forte causa ndash et haec ipsa uix intellegitur ndash cur eorum quid quam ue ob causam existat certum est siquidem nihil a deo factum esse sine causa Vt igitur illis quae lege naturae procreantur fundamenta sunt semina ita eorum quae deus instituit fundamenta sunt causae quae sunt perspicuae diuinae prouidentiae Deus autem ante institutionem temporis et per aeuum ndash lsquosimulacrumrsquo est enim lsquotempus aeuirsquo ndash causae igitur operum omnium dei tempore antiquiores et sicut deus per aeuum sic etiam causae per aeuum raquo CALCIDIUS Commentaire au laquo Timeacutee raquo de Platon I 23 eacuted B BAKHOUCHE t I Paris 2011 p 230 554 BOULNOIS O laquo Liberteacute causaliteacute modaliteacute Y a-t-il une preacutehistoire du principe de raison raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 313-314 555 CHR ERISMANN laquo Causa essentialis De la cause comme principe dans la meacutetaphysique de Jean Scot Erigegravene raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 193 556 laquo Prima nanque et quarta unum sunt quoniam de deo solummodo intelliguntur Est enim principium omnium quae a se condita sunt et finis omnium quae eum appetunt ut in eo aeternaliter immutabiliter que quiescant Causa siquidem omnium propterea dicitur creare quoniam ab ea uniuersitas eorum quae post eam ab ea creata sunt in genera et species et numeros differentias quoque caetera que quae in natura condita considerantur mirabili quadam diuina que multiplicatione procedit Quoniam uero ad eandem causam omnia quae ab ea procedunt dum ad finem peruenient reuersura sunt propterea finis omnium dicitur et neque creare neque creari perhibetur raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 5 = PL 122 526C-527A 557 laquo ΙΔΕΑ quoque (id est species uel forma in qua omnium rerum faciendarum priusquam essent incommutabiles rationes conditae sunt) solet uocari raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 8-9 = PL 122 529B trad FBERTIN T I-II p 289Franccedilois Bertin remarque lrsquoinfluence de la doctrine du De ideis drsquoAugustin sur la formation de la notion de cause primordiale chez Erigegravene Voir ibid p 424-5 note 5 Erismann suppose que le terme causa primordialis provient probablement du De Genesi ad litteram VI X 17 drsquoAugustin CHR ERISMANN laquo Causa essentialis De la cause comme principe dans la meacutetaphysique de Jean Scot Erigegravene raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 199

210

reacutealiseacute558 raquo Lrsquoousia geacuteneacuterale est preacutesente dans toutes les subdivisions de ses arbres et en mecircme

temps elle est la cause formelle intrinsegraveque drsquoun individu De plus il considegravere la doctrine

drsquoErigegravene en tant qursquolaquo une reacuteflexion sur la causaliteacute alternative agrave la solution aristoteacutelicienne dans

une meacutetaphysique eacutemanatiste de type neacuteoplatonicienne559 raquo

Ainsi la thegravese que la raison en tant qursquoideacutee serait la cause exemplaire des choses a eacuteteacute

introduite dans la philosophie occidentale latine par Augustin Drsquoapregraves lui tout ce qui existe existe

agrave travers la participation aux ideacutees (les raisons) En mecircme temps les ideacutees (raisons) sont des formes

principales elles deacuteterminent ce que la chose est

Seacutenegraveque et Platon (traduit par Calcidius) quant agrave eux apportent une notion plus geacuteneacuterale de

la cause ou de la raison Selon eux ces derniegraveres sont agrave lrsquoorigine de lrsquoexistence drsquoune œuvre En

mecircme temps cette notion geacuteneacuterale de cause a eacuteteacute preacuteciseacutee suite agrave lrsquointroduction de la doctrine

polyvalente de cause elle deacutetermine plusieurs aspects de lrsquoexistence des ecirctres telles que leurs

matiegravere forme but destin creacuteateur etc Ce sont les quatre sortes de causes de Seacutenegraveque les causes

primaires et secondaires de Platon et les trois sortes de causes de Jean Scot Erigegravene

Il faut noter que tous ces auteurs trouvent que les causes sont un instrument utiliseacute par Dieu

afin de creacuteer et gouverner le monde

VII122 Les trois sortes de raisons

Lrsquoun des principaux aspects des doctrines des raisons eacuteternelles selon Achard est le fait

qursquoon les distingue drsquoapregraves leur foncions finales formelles et deacuteployantes Cette division des

raisons fait penser drsquoabord aux quatre causes drsquoAristote Elles sont connues au XIIe siegravecle agrave travers

les Lettres de Seacutenegraveque mais aussi agrave travers le De topicis differentiis de Boegravece

Aristote

Physique II 3

194b23-195a 2

II 7 198a14-22560

fin forme

modegravele

essence

commen-

cement

moteur

prochain

matiegravere - -

Seacutenegraveque Epistolae

LXV 4-5

propositum

forma

idos

opifex

artifex

materia

exemplar

idea

-

558 CHR ERISMANN laquo laquo Causa essentialis raquo De la cause comme principe dans la meacutetaphysique de Jean Scot Erigegravene raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 204 559 Ibid p 196 560 Voir la traduction suivante Physique eacuted H CARTERON t 2 Paris France Les Belles Lettres 1969 p 65 et 74

211

Boegravece De topicis

differentiis III561

finis forma efficiens materia - -

Achard De unitate

I 39

finalis formalis - - - explicatrix

Achard De unitate

II 17

ratio

causalis

causa

rationabilis

Achard Sermons

XIV 21

finalis formalis - - - judicialis

Les causes finales formelles efficientes et mateacuterielles se trouvent chez Aristote La cause

exemplaire (idea) a eacuteteacute introduite par Seacutenegraveque afin de compleacuteter la doctrine aristoteacutelicienne des

causes par un eacuteleacutement platonicien Seacutenegraveque associe eacutegalement la forme drsquoAristote avec lrsquoidos de

Platon Philon drsquoAlexandrie ajoute la cause instrumentale dans ses œuvres De cherubim (124-27)

Quaestiones in Genesim (158) et De Providentia (123)562 Cette cause deacutesigne le Fils de Dieu

(logos) ou sa Sagesse

Ainsi crsquoest seulement la nomination des raisons finales et formelles qursquoAchard a repris de la

tradition aristoteacutelicienne En effet il reacuteunit sous le nom de laquo cause formelle raquo les causes formelle et

exemplaire (idea et idos) distingueacutees par Seacutenegraveque Dans le De unitate il ajoute la cause deacuteployante

(explicatrix) et dans les Sermons la judiciaire Les causes mateacuterielle et efficiente nrsquoapparaissent

pas chez Achard

Les causes dans le De unitate sont exprimeacutees aussi agrave lrsquoaide de preacutepositions Gregory

Sterling563 en se reacutefeacuterant agrave ses collegravegues allemands appelle ce pheacutenomegravene la laquo meacutetaphysique

preacutepositionnelle raquo Antonio Orbe repegravere les principales causes employeacute dans lrsquoAntiquiteacute greacuteco-

latine564 Nous allons comparer ces causes avec celles des sources connues drsquoAchard

561 BOECE laquo De topicis differentiis raquo dans Boethius De topicis differentiis und die byzantinische Rezeption dieses Werke eacuted Z NIKITAS Athens-Paris-Bruxelles 1990 p 60 = PL 64 1201A 562 GE STERLING laquo Prepositional Metaphysics in Jewish wisdom speculation and early christological hymns raquo dans The studia philonica annual t9 Wisdom and logos studies in Jewish thought in honor of David Winston 1997 p 227 563 Ibid p 220 note 9 564 A ORBE Estudios valentinianos Ioh I3 Romae 1955 p 191-193

212

Seacutenegraveque Epistolae

LXV 8-10

propter

quod

in quo a quo ex quo ad quod

Augustin De civ

Dei VII XXVIII

cite Varron Ant

Rer Div XV 4565

a quo fiat de qua fiat secundum

quod fiat

Boegravece De top dif

(II 7 3 )

propter

quod fit

qua fit quae

movet

atque

operatur

ex qua fit

aliquid vel

in qua fit

Erigegravene Periph

II 553a-b

in qua ex qua ad quam per quam

De unitate I 39 propter quas secundum

quas

per quas

De cette faccedilon les preacutepositions choisies par Achard pour deacutesigner les causes ne

correspondent complegravetement agrave celles de Seacutenegraveque Seulement la cause propter a eacuteteacute gardeacutee par

Achard Cette deacutenomination se trouve aussi chez Boegravece

Lrsquoexpression secundum quod qui deacutesigne la cause exemplaire est rare Elle est employeacutee

dans Genegravese I 26 (laquo faciamus hominem secundum imaginem et secundum

similitudinem nostramraquo) Augustin lrsquoutilise en citant Varron Elle apparaicirct aussi dans sa Quaestio de

ideis566

Lrsquoexpression per quod correspond probablement agrave la cause instrumentale de Philon De

plus dans le De unitate la cause deacuteployante deacutesigne lrsquoart ou le nous qui est proche du Logos de

Philon La version grecque de cette appellation dia est utiliseacutee dans le Nouveau testament (Rom 11

36 Heb 2 10 Jean I 3 10 1 Cor 8 6b etc567) et se traduit en latin comme per

565 laquo Dicit enim se ibi multis indiciis collegisse in simulacris aliud significare caelum aliud terram aliud exempla rerum quas Plato appellat ideas caelum Iouem terram Iunonem ideas Minervam vult intellegi caelum a quo fiat aliquid terram de qua fiat exemplum secundum quod fiat raquo AUGUSTIN De civitate Dei eacuted B DOMBART et A KALB trad G COMBEgraveS F-J THONNARD et M A DEVYNCK Paris 1959 p 204 (BA 34) Cf A ORBE Estudios valentinianos Ioh I3 Romae 1955 p 192 566 laquo Secundum eas tamen formari dicitur omne quod oriri et interire potest et omne quod oritur et interit raquo AUGUSTIN De diversis quaestionibus octoginta tribus De octo Dulcitii quaestionibus qu 46 eacuted A MUTZENBECHER p 71 Cf J PEacutePIN laquo Le maniement des prepositions dans la theorie augustinienne de la creacuteation raquo dans Revue des eacutetudes augustiniennes t 35 1989 p 271-272 567 GE STERLING laquo Prepositional Metaphysics in Jewish wisdom speculation and early christological hymns raquo dans The studia philonica annual t9 Wisdom and logos studies in Jewish thought in honor of David Winston 1997 p 232

213

Lrsquoexpression per quod ne se trouve pas pourtant dans les sources philosophiques drsquoAchard

Augustin lrsquoutilise en expliquant la fonction instrumentale de lrsquoart de Dieu (selon Jean 1 3)568

Erigegravene emploie aussi la preacuteposition per ensemble avec la notion drsquoart de Dieu569 Employeacutee de

cette faccedilon la preacuteposition per heacuterite la fonction de la cause efficiente drsquoAristote Cela permet de

rapprocher la cause efficiente drsquoAristote de la cause explicatrix drsquoAchard

Achard nrsquoest pas le seul auteur du XIIe siegravecle agrave employer la doctrine aristoteacutelicienne des

causes Ilkhani cite des repreacutesentants de lrsquoeacutecole de Chartres ndash Thierry Guillaume de Conches et

Jean de Salisbury ndash qui parlent des quatre causes570 Thierry de Chartres lrsquoutilise dans son Tractatus

de sex dierum operibus et dans son Commentum super Arithmeticam Boethii571

En ce qui concerne les origines de chaque sorte de raisons nous allons les eacutetudier une par

une

La raison formelle sera deacutecrite de maniegravere deacutetaille dans le chapitre consacreacute agrave la forma

Achard renomme les raisons finales en II 17-18 en causes rationnelles ou raisons causales

La notion de raison causale apparaicirct dans le De Genesi ad litteram drsquoAugustin La notion qui

preacutecegravede est celle de raison seacuteminale introduite par le stoiumlcien Zeacutenon reprise par Plotin comme

raisons des ecirctres vivants dans lrsquoacircme du monde572 Augustin mecircme emploie quelques fois les mots

semina et seminaliter573

Selon Augustin les raisons causales expliquent comment Dieu peut tout creacuteer

simultaneacutement (Sir XVIII 1) et pendant les six jours (Gen I-II) mais aussi pourquoi les ecirctres

continuent drsquoapparaicirctre dans le monde Augustin introduit la doctrine drsquoune double creacuteation du

monde Il deacutecrit trois modes drsquoexistence ante saecula (Dieu mecircme) a saeculo ndash la premiegravere

creacuteation et in saeculo ndash la deuxiegraveme creacuteation Drsquoabord les raisons eacutetaient dans le Verbe de Dieu

Ensuite lors de la premiegravere creacuteation ndash prima conditio (tunc) ndash elles ont eacuteteacute dans les œuvres Et

enfin lors de lrsquoadministratio (tunc) les choses contenant leurs raisons seacuteminales se produisent dans

568 laquo Et si ars ipsa per quam facta sunt omnia hoc est summa et incommutabilis sapientia dei uere summe que est sicuti est respice quo tendat quidquid ab illa discedit raquo AUGUSTIN De libero arbitrio III XV 42 eacuted WM GREEN Turnhout 1970 (CCSL 29) p 300 569 laquo Vt enim intellectus artificis artis intellectum praecedit intellectus autem artis praecedit intellectum eorum quae in ea et per eam fiunt ita intellectus patris artificis intellectum suae artis (hoc est suae sapientiae) in qua condidit omnia antecedit deinde intellectum ipsius artis omnium quae in ea et per eam facta sunt sequitur cognitio Omne siquidem quod uera ratio quoquo modo praecessionis praecedere inuenit iuxta naturalem consequentiam praecedere necesse est Ac per hoc artifex omnium deus pater secundum causam artem suam praecedit raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon III eacuted JEAUNEAU p 26 = PL 122 635CD tradBERTIN t I-II p 418-419 570 M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 213-7 571Cf I CAIAZZO laquo Introduction The Trinity and the four causes raquo dans THIERRY DE CHARTRES The Commentaries on the De Arithmetica of Boethius ed I CAIAZZO Toronto 2015 (Studies and Texts 191) p 48-49 572R CAPDET laquo Les raisons causales drsquoapregraves Saint-Augustin raquo dans Bulletin de la litteacuterature eccleacutesiastique t 50 (69) 1949 p 208-9 et 228 Voir eacutegalement P AGAEumlSSE A SOLIGNAC laquo Notes compleacutementaires 21 Le double moment de la creacuteation et les lsquoraisons causalesrsquo raquo dans AUGUSTIN De Genesi ad litteram libri duodecim eacuted J ZYCHA trad intod et notes PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC p 654 573 Cf J PEacutePIN laquo La doctrine augustinienne des lsquoRationes aeternaersquo affiniteacutes origines raquo dans Ratio VII Colloquio internazionale del Lessico Intellettuale Europeo Roma 9-11 gennaio 1992 eacuted  M FATTORI et ML BIANCHI Fierenze 1994 p 50-52

214

le monde temporel574 Les raisons seacuteminales font que de nouvelles choses apparaissent Ces raisons

sont une laquo intermeacutediaire entre les formes acheveacutees et la matiegravere pure575 raquo laquo elles sont causes de la

forme et de tous les caractegraveres qui se deacuteveloppent successivement seacutepareacutement dans chaque

individu576 raquo En tant que causes elles contiennent laquo le dynamisme du deacuteveloppement des ecirctres raquo et

en tant que raisons laquo les lois de ce deacuteveloppement577 raquo

En deacutefinitive nous avons eacutetabli les sources possibles de la doctrine des trois sortes de

raisons eacuteternelles drsquoAchard de Saint-Victor (Seacutenegraveque Erigegravene Augustin)

VII2 Le Verbe et les causes dans lrsquoeacutecole de Saint-Victor

Dans ce chapitre nous allons examiner la doctrine des causes primordiales drsquoHugues et de

Richard de Saint-Victor Hugues lrsquoexprime dans ses œuvres le De sacramentis christianae fidei et

les Sententiae de divinitate

Pour parler de la causaliteacute Hugues emploie le terme causa La ratio dans son vocabulaire

deacutesigne principalement la faculteacute de lrsquoesprit Chez Hugues la nature spirituelle de lrsquohomme et

surtout sa capaciteacute de connaicirctre est un terme moyen qui entreprend la liaison entre Dieu et la

creacuteature corporelle Thierry Lesieur remarque que laquo le centre de graviteacute de la hieacuterarchie raquo est

deacuteplaceacute de cette faccedilon du sommet vers le centre578

Ainsi les notions de ratio et de causa ont des significations diffeacuterentes chez Hugues de

Saint-Victor La ratio est employeacutee plutocirct dans un contexte eacutepisteacutemologique la causa dans des

contextes ontologique et meacutetaphysique

VII21 Le Verbe de Dieu

Le terme Verbum apparaicirct chez Hugues dans des contextes diffeacuterents Dans son œuvre De

Verbo Dei il commente un verset de Psaume (61 12) et un extrait de lrsquoEpitre aux Heacutebreux (4 12)

574 P AGAEumlSSE A SOLIGNAC laquo Notes compleacutementaires 21 Le double moment de la creacuteation et les lsquoraisons causalesrsquo raquo dans AUGUSTIN De Genesi ad litteram libri duodecim eacuted J ZYCHA trad intod et notes PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC p 662-663 575 F-J THONNARD laquo Les raisons seacuteminales selon Saint Augustin raquo dans Actes du XIe congregraves international de philosophie Bruxelles 20-26 aoucirct 1953 t XII Amsterdam-Louvain p 146 576 R CAPDET laquo Les raisons causales drsquoapregraves Saint-Augustin raquo dans Bulletin de la litteacuterature eccleacutesiastique t 50 (69) 1949 p 221 577 P AGAEumlSSE A SOLIGNAC laquo Notes compleacutementaires 21 Le double moment de la creacuteation et les lsquoraisons causalesrsquo raquo dans AUGUSTIN De Genesi ad litteram libri duodecim eacuted J ZYCHA trad intod et notes PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC p664 578 Th LESIEUR laquo Raison et rationaliteacute chez Hugues de Saint-Victor raquo dans Lrsquoeacutecole de Saint-Victor de Paris Influence et rayonnement du Moyen Acircge agrave lrsquoEpoque moderne eacuted D POIREL Turnhout 2010 (Biblioteca Victorina 22) p 392

215

pour expliquer comment la Parole (Verbum) de Dieu se manifeste dans la vie de lrsquohomme Le mot

Verbum a dans ce cas un sens moral

Le mot Verbum deacutesigne eacutegalement le Fils de Dieu qui srsquoest incarneacute579 Hugues divise

lrsquohistoire spirituelle du monde agrave travers les deux grands eacuteveacutenements

- Fondation (conditio)

- Restauration (restauratio)580

La fondation est la creacuteation du monde pendant les six jours Et la restauration est

lrsquoincarnation du Verbe Le Verbe deacutesigne dans ce cas le Fils de Dieu Ce contexte du mot Verbum

est plus proche de celui qui nous inteacuteresse

La restauration a eacuteteacute formeacutee degraves le deacutebut dans la creacuteation581 Elle a eacuteteacute preacuteconccedilue avant

drsquoecirctre faite

Hugues adopte la doctrine de la creacuteation intellectuelle des ecirctres Tout ce qui devait ecirctre fait

a eacuteteacute drsquoabord dans lrsquoesprit de Dieu La creacuteature se trouvait lagrave-bas avant drsquoecirctre faite selon un ordre

deacutefini Voici cet ordre

- Les causes primordiales invisibles et increacuteeacutees de tout ce qui doit ecirctre creacuteeacute

- La nature invisible creacuteeacutee des anges

- La nature humaine visible et creacuteeacutee

- La creacuteature corporelle visible en entier (in toto) et temporelle en entier582

Dieu a fait le monde selon cet ordre mais lrsquoesprit humain le conccediloit selon un ordre inverse

du visible agrave lrsquoinvisible583

Dans le De Trinitate Richard reprend la thegravese que le fils de Dieu est le Verbe qui est la

Sagesse principale de Dieu (VI XII)

579 A propos du rocircle du Verbe dans la formule cristologique (homo assumptus) voir F T HARKINS laquo Homo assumptus at St Victor Reconsidering the Relationship between Victorine Christology and Peter Lombardrsquos First Opinion raquo The Thomist t 72 2008 p 603ndash605 580 laquo Duo enim sunt opera in quibus universa continentur quae facta sunt Primum est opus conditionis Secundum est opus restaurationis Opus conditionis est quo factum est ut essent quae non erant Opus restaurationis est quo factum est ut melius essent quae perierant raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis Prologue II PL 176 183A 581laquo Nos siquidem propositum habemus de sacramento redemptionis humanae (quod a principio in operibus restaurationis formatum est) quantum Dominus dederit in hoc opere tractare Sed quia opera conditionis tempore priora fuerunt ab his exordium sermonis sumpsimus ut inde ad reliqua quae sequuntur suo ordine viam faceremus Dicimus namque opera conditionis creationem universorum quando facta sunt ut essent quae non erant opera vero restaurationis quibus impletum est vel figuratum est sacramentum redemptionis quo reparata sunt quae perierant Ergo opera conditionis sunt quae in principio mundi sex diebus facta sunt opera vero restaurationis quae a principio mundi propter reparationem hominis sex aetatibus fiunt quae ut brevi definitione stringamus opera restaurationis esse dicimus incarnationem Verbi et quae in carne et per carnem gessit Verbum cum omnibus sacramentis suis raquo ibid Prologue XXVIII PL 176 204AB 582 laquo Ponuntur ergo primo loco causae primordiales et invisibiles et increatae creandorum omnium in mente divina Secundo loco angelica natura invisibilis quidem sed creata Tertio loco humana visibilis et creata secundum aliquid invisibilis et secundum aliquid visibilis Quarto loco creatura corporea in toto visibilis et in toto temporalis raquo ibid I IV XXVI PL 176 246BC 583 laquoNam de visibilibus quidem quae postrema sunt idcirco primam propositionem fecimus ut de his quae patent ad latentium cognitionem humanam mentem commodius duceremus raquo ibid I IV XXVI PL 176 246C

216

VII22 Les causes primordiales

La creacuteation a eacuteteacute faite agrave travers les causes primordiales La cause est ce qui fait proceacuteder

quelque chose et lrsquoeffet est ce qui procegravede Hugues enseigne que tout ce qui existe est soit une

cause soit un effet soit les deux en mecircme temps De cette faccedilon le monde est vu comme une

hieacuterarchie ougrave les causes suprecircmes sont en haut et les effets derniers en bas

causalissima causae que generant et non

generantur

media causae et effectus que et generantur et

generant

ultima effectus que generantur et non

generant584

Les causes qui ne sont pas des effets sont les causes premiegraveres Les causes premiegraveres

peuvent ecirctre premiegraveres dans leur genre (comme Adam dans le genre humain) ou premiegraveres

universellement (les causes primordiales increacuteeacutees)585

584 laquo Causa est ex quo aliquid procedit effectus quod inde procedit et secundum hoc potest dici quia quicquid est uel est causa uel effectus Sed eorum alia sunt cause tantum alia et effectus et cause sed ad aliud et aliud cause scilicet subsequentium effectus uero precedentium Cause tantum sunt que generant et non generantur Effectus tantum que generantur et non generant Cause et effectus que et generantur et generant Illa uero que tantum cause sunt prima dicuntur a scripturis et causalissima que effectus tantum ultima appellantur que utrumque media que media quanto magis accedunt ad prima tanto causaliora dicuntur id est cause plurium effectuum et ita ea que primo loco sunt post prima primi effectus sunt que uero ultimo loco ante ultima ultime cause sunt Et nota quod in tanta uniuersitate in tanta multiplicitate rerum sic omnia sibi firmissimo nexu coherent ut nulla ibi fit dissolutio nulla omnino discordia quia quicquid ibi est uel causa alterius est uel effectus eiusdem raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 936 9-22 laquo Rerum omnium ordo dispositioque a summo usque ad imum in universitatis hujus compage ita sese causis quibusdam rationumque genituris prosequitur ut omnium quae sunt nihil inconnexum aut separabile natura externumque inveniatur Quaecunque enim sunt rerum omnium aut causae inveniuntur subsequentium effectuum esse aut effectus praecedentium causarum Et rerum quidem aliae causae tantum sunt non etiam effectus sicut prima omnium causa Aliae effectus tantum non etiam causae sicut ultima et postrema universorum Aliae autem et causae sunt ad posteriora quae generant et ad priora a quibus generantur effectus et sicut his quae ultima sunt et effectus tantum priorum nihil posterius cernitur sic quidem iis quae prima sunt et causae tantum subsequentium nihil prius invenitur De mediis autem quaecunque priora sunt magis causae nominantur et minus effectus Quaecunque vero posteriora sunt magis sunt effectus et minus causae et prima causalissima Et quae prima sunt post prima primi sunt effectus et quae ultima sunt ante ultima causae ultimae et ultima generata et prima generantia raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I II II PL 176 206C-207B 585 laquo His communiter de causis et effectibus positis a modo separatim de causis agamus dicentes que causarum alie sunt prime alie non prime primarum uero alie in suo genere prime alie uniuersaliter prime Illa in suo genere prima causa est quam in eodem genere nulla causa precessit ut Adam humani generis prima causa fuit quem in eodem genere nulla causa precessit tamen uniuersaliter prima causa non fuit quia ipsemet etiam aliam causam sue conditionis habuit precedentem ipsum Itaque lsquocausas uniuersaliter primasrsquo appello eas ex quibus omnia alia ortum habuerunt raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 936 23-30 laquo Primae autem causae aliae creatae sunt et quae sunt in suo genere primae aliae increatae et quae universaliter primae sunt Quae enim in suo genere primae sunt ad aliquid primae sunt sed universaliter primae non sunt quoniam etsi praecedunt quae subsequuntur omnia habent tamen et ipsae aliquid quo posteriores inveniantur quoniam non praecedunt omnia In hac enim universitate rerum omnium ita cunctis causaliter cohaerentibus aliquid primum invenitur ut ex his omnibus nihil prius esse possit quoniam ipsum ex omnibus primum est omnium et tamen ipso aliquid prius esse necesse est quoniam ex

217

Dieu lui-mecircme a institueacute la premiegravere cause des choses (la fondation de la creacuteature

rationnelle) car il a voulu partager sa bonteacute avec la creacuteature586 Cette cause est la sagesse de Dieu

qui est Dieu lui-mecircme Les causes primordiales sont multiples en elles Hugues souligne que mecircme

si les causes sont dans lrsquoesprit de Dieu (in mente Dei) elles lui sont infeacuterieures En mecircme temps

elles sont supeacuterieures agrave la creacuteature587 Les premiegraveres causes primordiales sont trois puissance

sagesse et volonteacute Elles ont leur origine en Dieu588 Dans le De tribus diebus Hugues souligne que

les changements dans les creacuteatures nrsquoinfluencent pas Dieu Notamment Dieu ne change pas ses

deacutecisions par conseacutequent sa volonteacute est immuable La sagesse de Dieu nrsquoest pas non plus

influenceacutee par les changements des choses

De cette faccedilon Hugues explique comment la creacuteature est formeacutee gracircce aux causes

primordiales Les causes ont eacutegalement leur hieacuterarchie premiegraveres causes et causes qui proviennent

agrave partir drsquoelles Dieu est supeacuterieur aux causes Elles nrsquoont pas la mecircme nature que lui Hugues

souligne que Dieu est au-dessus de la creacuteature

Richard nrsquointroduit pas la doctrine des causes explicitement Dans le chapitre XIII du livre

IV du De Trinitate il parle des substances quasi-divines auxquelles la puissance divine nrsquoest pas

communiqueacutee Le traducteur franccedilais de ce livre Gaston Salet pense qursquoil srsquoagit dans ce passage des

causes primordiales589

VII23 Les attributs de Dieu

La creacuteature est formeacutee agrave travers les causes primordiales premiegraveres Dans les Sententiae de

divinitate Hugues explique comment les causes agissent

omnibus est quibus universaliter aliquid prius est His vero causis quae universaliter primae sunt nihil prius est quoniam ipsae primae sunt omnium nec habent alias causas ipsae priores quoniam omnium causae ipsae sunt raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I II II PL 176 207BC 586 laquo Hinc ergo primam causam sumpsit creaturae rationalis conditio quod voluit Deus aeterna bonitate suae beatitudinis participes fieri quam vidit et communicari posse et minui omnino non posse Illud itaque bonum quod ipse erat et quo ipse beatus erat bonitate sola non necessitate trahebatur ad communicandum Quoniam et optimi erat prodesse velle et potentissimi noceri non posse raquo ibid I II IV PL 176 208A 587 laquo Ad quod dicimus quod primordiales cause quod super omnem creaturam sunt nec sunt alique creature et hoc quod omni modo uerum est quia ab eterno in sapientia Dei sunt et sunt idem cum ipsa que est primordialis causa omnium rerum id est ipse Deus Sed qualiter infra Deum sunt uideamus primordialis causa omnium rerum ut diximus est ipsa Dei sapientia que omnia prouidet et dispensat Que sapientia quando humiliat se ab eminentia diuinitatis declinat ut inferiora terrena scilicet disponat et gubernet uidetur quasi se ipsa inferior et infra diuinam naturam subsistere et ita licet forme ille que in mente Dei primordiales cause dicuntur non sint aliud ab ipso Deo tamen infra Deum dicuntur subsistere raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 937 56-66 588 laquo Diximus iam que sint illa tria in quibus subsistunt primordiales cause omnium rerum scilicet sapientia Dei et potestas et uoluntates eiusdem et de unoquoque eorum diuisim tractauimus Nunc autem uidendum est quod sicut in his tribus omnia constant ita hec tria in uno habent esse principio quod summum et primum principium est omnium rerum hoc autem principium est Deus in quo omnia et a quo omnia esse accipiunt ipse autem a nullo raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 3 eacuted PIAZZONI p 948 3-9 589 G SALET laquo Substantiis quasi divinis raquo dans RICHARD DE SAINT-VICTOR La Triniteacute introd traduction et notes G SALET Paris 1999 p 473-4

218

Deus voluntas sapientia potestas

a qua omnia

proficiscuntur

eadem diriguntur in opere explicantur

Homo uult disponit perficit590

Dans ce cas il deacutecrit comment Dieu meut la creacuteature rationnelle (lrsquohomme) Les trois causes

existent en Dieu volonteacute sagesse et puissance Toutes les choses proviennent agrave partir de la

volonteacute sont dirigeacutees par la sagesse et sont deacuteployeacutees dans lrsquoœuvre par la puissance Ces trois

causes font que lrsquoacircme humaine veut faire quelque chose la dispose comme elle veut et complegravete

une œuvre qursquoelle a voulue et disposeacutee Tandis que dans lrsquohomme ces opeacuterations sont successives

en Dieu elles sont simultaneacutees

Le mecircme sujet est abordeacute de maniegravere plus deacutetailleacutee dans le De sacramentis (I II VI XII-

XIII XXII)

Pater Filius Spiritus Sanctus

potentia

operatio

sapientia

dispositio

bonitas

voluntas

operatur disponit movet

immensitas pulchritudo utilitas

primordiales causae

3 per potentiam producuntur 2 per sapientiam diriguntur 1 a voluntate divina

proficiscuntur

explicat disponit movet

Dans le chapitre I II VI Hugues eacutenumegravere drsquoabord la volonteacute la puissance et la sagesse qui

produisent leurs effets et ensuite la puissance la sagesse et la bonteacute comme les attributs qui sont

dits de Dieu La volonteacute meut la sagesse dispose et la puissance opegravere La puissance la sagesse et

la bonteacute correspondent aux trois personnes divines591 Dans le chapitre I II XIII Hugues preacutecise

590 laquo Voluntas Dei enim prima causa est omnium rerum a qua omnia proficiscuntur per sapientiam eadem diriguntur per potestatem uero in opere explicantur et hec eadem tria in homine etiam quodlibet reperiuntur qui primo animum ad hoc applicat ut aliquid uelit facere dum disponit qualiter id faciat quod iam uoluit ad ultimum per potestatem opus complet quod iam uoluit et disposuit Sed tamen hec aliter in homine aliter in Deo suntIn homine enim hec successiue sibi proueniunt ita quod uoluntas prior sit deinde sapientia postea potestas primo enim homo aliquid uult facere deinde disponit ad ultimum perficit In Deo uero hec simul sunt ita quod nichil ibi prius ibi nichil preterius quia quam cito uult tam cito disponit tam cito potest nec sunt hec in Deo diuersa sed sapientia Dei que scilicet ipse Deus est diuersis de causis his diuersis nominibus appellatur raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 938 77-89 591 laquo Et haec tria erant potentia sapientia voluntas et ad omnem effectum concurrunt tria haec nec aliquid absolvitur nisi ista adfuerint Voluntas movet scientia disponit potestas operatur Et si horum discretionem proponas non est posse illud quod scire neque scire illud quod velle et tamen Deo unum sunt posse scire et velle Et discernit illa ratio

219

qursquoil attribue la volonteacute agrave la bonteacute la disposition agrave la sagesse et lrsquoopeacuteration agrave la puissance592 De

cette faccedilon dans la doctrine drsquoHugues les opeacuterations exteacuterieures de Dieu (volonteacute sagesse

puissance) ne suivent pas le mecircme ordre que les inteacuterieures (puissance sagesse et bonteacute)

Les proprieacuteteacutes visibles de la creacuteature qui correspondent agrave la puissance agrave la sagesse et agrave la

bonteacute sont lrsquoimmensiteacute la beauteacute et lrsquoutiliteacute593

Et dans une reacutecapitulation (I II XXII) Hugues revient aux trois opeacuterations de Dieu qui

influencent les causes primordiales la volonteacute fait provenir la sagesse dirige et la puissance

deacuteploie594

Dans son petit opuscule De potestate et voluntate Dei utra major sit (PL 176 839-842)

Hugues montre que la puissance et la sagesse de Dieu sont eacutequilibreacutees Pour deacutevelopper cette

question il emploie la notion drsquoaffectus drsquoeffectus et de respectus mais aussi de prescience et de

preacutedestination divines

En deacutefinitive les trois attributs de Dieu (volonteacute sagesse et puissance) sont les causes

primordiales Dieu creacutee le monde agrave travers ces causes Les attributs de Dieu se manifestent dans la

creacuteation (comme immensiteacute beauteacute et utiliteacute) et il est possible drsquoapprendre davantage sur eux en

lrsquoeacutetudiant

Richard de Saint-Victor deacutecrit les attributs divins Dans le Liber exceptionum il reacutepegravete les

invisibilia choisis par Hugues potentia sapentia et benignitas Ces attributs se manifestent

eacutegalement agrave travers lrsquoimmensitas le decor et lrsquoutilitas (I II II) Il reprend les mecircmes attributs dans

ses lettres le De spiritu blasphemie595 et lrsquoAd me clamat ex Seir596 Dans une autre lettre le De

tribus personis appropriatis la puissance correspond au Pegravere la sagesse au Fils et la bonteacute au Saint-

et natura non dividit et venit nobis Trinitas indivisa quae totum continet et sine ipsa totum est nihil Quidquid de Deo vere dicitur aut pie credi potest in Deo haec tria continent-potestas sapientia et bonitashellip Nec propterea tria non esse quia unum erant Neque unum non esse propterea quod tria erant et tribus admonita dixit tres personas tria quia naturaliter Deus erant et una substantia et ideo unus Deus et assignavit potestatem Patri sapientiam Filio bonitatem Spiritui sancto et confessa est Trinitatem Patrem et Filium et Spiritum sanctum raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I II VI PL 176 208B-D 592 laquo Et tamen haec tria aeterna erant et causa omnium erant et per haec facta sunt omnia et ipsa non sunt facta et assignavimus bonitati voluntatem et sapientiae dispositionem et potestati operationem raquo Ibid I II XIII PL 176 211C 593laquo Et inventa est in tribus in Trinitas ineffabilis quae in Creatore quidem unum sunt sed per creaturae speciem divisium se ad cognitionem effundunt Suscepit enim formam potestatis rerum immensitas sapientiae pulchritudo bonitatis utilitas Et videbantur haec foris et concurrebant cum alio simulacro quod intus perfectius erat raquo ibid I II XII PL 176 211A 594laquo Cum sint ergo tria in Deo sapientia potentia voluntas primordiales causae a voluntate quidem divina quasi proficiscuntur per sapientiam diriguntur per potentiam producuntur Voluntas enim movet sapientia disponit potentia explicat Haec sunt aeterna fundamenta causarum omnium et principium primum quae ineffabilia et incomprehensibilia sunt omni creaturae raquo ibid I II XXII PL 176 216C 595laquo Juxtra id ltautemgt quod in in Scripturis sanctis specialiter attributur potentia Patri sapientia Filio bonitas vero Spiritui sancto raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De spiritu blasphemie dans RICHARD DE SAINT-VICTOR Opuscules theacuteologiques Texte critique avec introduction notes et tables eacuted RIBAILLIER Paris 1967 (Textes philosophiques du Moyen Age 15) p 122 = PL 196 1187C 596 laquo Scis nichilominus quod mos est divine Scripture potentiam Patrim sapientiam Filio bonitatem Spiritui sancto quasi specialiter attribuereraquo RICHARD DE SAINT-VICTOR Ad me clamat ex seir dans RICHARD DE SAINT-VICTOR Opuscules theacuteologiques Texte critique avec introduction notes et tables eacuted RIBAILLIER Paris 1967 (Textes philosophiques du Moyen Age 15) p 262-3 = PL 196 999D

220

Esprit Il souligne que les appropriations ont le mecircme ordre de provenance la puissance nrsquoest de

personne la sagesse provient de la puissance et la bonteacute de deux premiegraveres597

A la fin du De Trinitate (V XV) Richard demande si ces trois attributs sont les personnes

Il reacutepond que non La puissance exprime la qualiteacute du Pegravere la sagesse celle du Fils et la bonteacute celle

du Saint-Esprit Leur relation reflegravete la procession des personnes (la sagesse est possible lagrave ougrave la

puissance est preacutesente la bonteacute ougrave il y a la puissance et la sagesse)598

Richard soulegraveve notamment la question de lrsquoeacutequilibre de la sagesse et de la puissance Dans

le chapitre I XXI du De Trinitate il affirme que Dieu ne sait pas plus qursquoil ne peut Sa sagesse et sa

puissance sont le mecircme ecirctre Si Dieu savait plus qursquoil ne pouvait il y aurait plus dans son ecirctre-sage

que dans son ecirctre-puissant ce qui est impossible599

En deacutefinitive la doctrine de causes primordiales est bien deacuteveloppeacutee chez Hugues de Saint-

Victor tandis que Richard en parle briegravevement Hugues voit le monde comme une hieacuterarchie de

causes Les causes descendent de la cause premiegravere (Sagesse de Dieu) vers les effets derniers Elles

agissent lors de la creacuteation du monde Le Verbe nrsquoest pas un eacuteleacutement principal dans la doctrine de la

creacuteation drsquoHugues Les trois attributs de Dieu (puissance sagesse et bonteacute) interviennent lors du

processus de la creacuteation La doctrine causale drsquoHugues a des thegraveses communes avec celle

drsquoErigegravene les causes secondaires descendent des causes primordiales qui sont dans la Triniteacute Mais

Erigegravene nrsquointroduit pas les attributs de Dieu

VII3 Le Verbe et les raisons dans le De unitate

En I 37 Achard introduit le nouveau sens du terme ratio qursquoil nrsquoa presque pas employeacute

dans les chapitres preacuteceacutedents

laquo Quant agrave ce mode-ci bien que ltseacutejournantgt aussi dans les ltecirctresgt qui ont eacuteteacute faits crsquoest

pourtant agrave ceux qui nrsquoont pas eacuteteacute faits qursquoil aura eacutegard puisque attentif agrave leurs raisons et agrave

597 laquo In hac itaque rerum trinitate sola potentia non est de reliquarum aliqua sapientia autem est de potentia sola bonitas vero de potentia simul et sapientia raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De tribus personis approppriatis in Trinitate eacuted RIBAILLIER p 187 = PL 196 994C 598 Voir N W DEN BOK Communicating the most high a systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St Victor Paris-Turnhout 1996 p 372-3 599 laquo Et hoc quidem quod homini ad intelligendum perfacile est divinam sapientiam latere non potest Deus itaque si aliquid de potentie plenitudine intelligit quod habere non possit erit majus aliquid in ejus nosse quam in ejus posse quorum neutrum nil aliud est quam ipsius esse Erit ergo juxta superiorem disputationem unum idemque esse et seipso majus et seipso minus quo nichil est impossibilius raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate I XXI eacuted RIBAILLIER p 103 =PL 196 900BC

221

leurs origines il les ltconsidegravereragt non pas tant dans lrsquoecirctre qursquoils ont par eux-mecircmes que lagrave

ougrave ils subsistent bien plus veacuteritablement agrave savoir dans leurs causes eacuteternelles600 raquo

Le mot ratio signifie dans ce cas la cause et lrsquoorigine ou plus preacuteciseacutement la raison

eacuteternelle Ce sens du terme ratio dans le De unitate sera deacutesormais lrsquoobjet de notre recherche Nous

allons eacutetudier la doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles (I 37-42) le Verbe de Dieu (I 15

II1 et 14) et la doctrine alternative des causes (II 17-20) Dans ces derniers chapitres Achard

emploie les termes causae rationabiles et rationes causales qui nrsquoont pas le mecircme sens que rationes

finales (I 39-41) En II 20-21 il parle aussi des causes originales

En tenant compte du fait que dans les chapitres II 2-12 Achard emploie le terme ratio au

sens de raisons formelles nous allons reporter lrsquoanalyse de cet aspect au chapitre laquo Forma raquo

Lrsquoemploi du mot ratio dans les citations drsquoAugustin (II 2 et 6) ne sera pas non plus lrsquoobjet de notre

recherche

VII31 Le Verbe incarneacute

VII311 Les raisons multiples dans le Verbe

Pour la premiegravere fois le terme ratio (au sens de la cause) se trouve en I 13-15

I 13 rationes etiam rerum sunt ibi omnes ut beatus sentit Augustinus et communis

philosophorum assertio

pluralitas rationum

I 14 in rerum rationibus aeternis superius ndash 2 fois rationum una ab alia non est

I 15 in rationibus vero aeternis

Dans ces chapitres Achard traite les raisons eacuteternelles en tant qursquoune des pluraliteacutes existant

en Dieu Il eacutevoque lrsquoorigine de la doctrine des raisons eacuteternelles dans les textes drsquoAugustin (et de

cette maniegravere il devient eacutevident qursquoil srsquoagit des raisons-causes) La pluraliteacute des raisons est une des

pluraliteacutes qui sont en Dieu agrave propos desquelles Achard demande si elles peuvent ecirctre la pluraliteacute de

personnes Car le but qursquoil poursuit dans ce chapitre est de trouver les critegraveres de la pluraliteacute

personnelle Cela nrsquoest pas le cas parce que les raisons sont dans une seule personne donc il nrsquoy a 600 laquo Modus etenim superior invisibilia Dei non adeo per ea quae facta sunt quam ex ipsa invisibili uniltcagt sine eorum respectu [eorum] quae facta sunt invenit natura modus autem hic et sicuti in hiis quae facta sunt respiciet tamen ad ea quae ltnongt facta sunt siquidem rationes eorum et origines attendens ea non in esse a ltsegtmetipsis sed ubi multo verius subsistunt in aeternis ipsorum causis raquo De unitate I 37 eacuted MARTINEAU p 106-7

222

pas de pluraliteacute personnelle601 En I 14 Achard confirme qursquoaucune raison ne srsquoappelle

laquo personne raquo par elle-mecircme et ne provient drsquoune autre raison (ce qui est la proprieacuteteacute des personnes

en Dieu) Et en I 15 Achard reacutepegravete que si le critegravere de la procession eacutetait applicable agrave la pluraliteacute

des raisons il y aurait en elle soit plusieurs personnes soit plusieurs natures

Ainsi de ces chapitres on apprend que les raisons sont une des pluraliteacutes en Dieu qursquoelles

sont dans une seule personne et ont une nature unique et qursquoelles ne proviennent pas lrsquoune de

lrsquoautre

En I 38 Achard souligne que les raisons sont une Raison laquo selon la substance et la

personne raquo 602 de Dieu En I 40 il preacutecise que laquo ces trois mecircmes genres de raisons se trouvent dans

la Sagesse de Dieu603 raquo Drsquoapregraves lui la Sagesse opegravere par ces trois sortes de raisons Et vu que selon

lrsquointerpreacutetation philosophique du Prologue de lrsquoEvangile selon saint Jean le Verbe signifie la

Sagesse de Dieu et donc le Fils604 les trois sortes de raisons eacuteternelles se trouvent en lui

De cette maniegravere le Verbe contient les raisons multiples

La doctrine de la forme fait partie de la doctrine des raisons eacuteternelles La forme est une des

sortes de raisons eacuteternelles des choses En effet au sein de la doctrine des formes Achard cherche

eacutegalement agrave comprendre comment lrsquouniteacute est possible dans la multipliciteacute des choses et des formes

La doctrine de la forme premiegravere donne la reacuteponse agrave cette question

Andreacute Combes fut le premier agrave noter le rocircle important de lrsquoexeacutegegravese de Jean I 3-4 dans le De

unitate605 Il montre que en II 1 le verset laquo ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie raquo parle de la forme

premiegravere le Verbe de Dieu qui contient les formes creacuteeacutees

Pour la premiegravere fois le Fils est appeleacute laquo la forme increacuteeacutee de la substance du Pegravere606 raquo en I

19 bien qursquoil ne srsquoagisse pas dans ce cas de la doctrine des formes

Dans la deuxiegraveme partie du De unitate en expliquant sa doctrine des formes Achard dit que

les choses sont deacutejagrave faites dans le Verbe comme les formes avant drsquoecirctre faites dans le monde (I 46)

601 En reacutealiteacute Achard lrsquoeacutevoque de maniegravere tregraves indirecte laquo Unde et haec rationum pluralitas ab illa proprietatum diversa est Neutra tamen ut ostensum est personalis esse potest eo quod utralibet vel una in singulis etiam reperitur personis vel persona personalis vero pluralitas nunquam nisi in multis atque diversis raquo De unitate I 13 eacuted MARTINEAU p 82-83 602 laquo Quia et ipsae eorum rationes ratio sunt secundum substantiam et personam ut ostendemus una raquo De unitate I 38 eacuted MARTINEAU p 108-109 603 laquo ltQuodgt autem in Dei sapientia haec eadem sunt tria rationum genera negare insaniae est raquo De unitate I 40 eacuted MARTINEAU p 110-111 604 Voir le texte entier du prologue de lrsquoEvangile selon saint Jean (I 1-14) Crsquoest deacutejagrave Augustin qui a associeacute la Sagesse de Dieu avec le Fils dans son De doctrina christiana I VIII-XIII Il se reacutefegravere aussi agrave lrsquoEvangile selon Jean afin drsquoeacutetablir la connexion entre la Sagesse et le Verbe qui laquo se fait chair raquo (Jean I 14) AUGUSTIN De doctrina christiana eacuted J MARTIN introd et trad drsquoI BOCHET et G MADEC p 86-93 605 A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p 81-4 et 130-1 606 laquo Patris figura et forma increata raquo De unitate I 19 eacuted MARTINEAU p 92 Le fait qursquoil srsquoagit de la deuxiegraveme personne peut ecirctre deacuteduit du verset du Heacutebreux I 3 inteacutegreacute dans le texte drsquoAchard Crsquoest le Fils qui est nomme laquo figura substantiae raquo dans ce verset

223

Mais il faut ajouter que dans cet eacutetat elles sont laquo dans la connaissance raquo ou laquo dans le Verbe raquo ou laquo

dans lrsquointellect de Dieu raquo607 ce qui est diffeacuterent de leur existence dans le monde creacuteeacute

Crsquoest seulement en II 1 qursquoAchard deacutesigne le Fils comme la Forme premiegravere Ce chapitre

semble consister en citations du prologue de lrsquoEvangile selon saint Jean (Jean I 1-14) Ce qui est

important car la compreacutehension du Fils en tant que Verbe de Dieu provient de ces versets Voyons

Vulgata trad Martineau

1 ndash in principio erat Verbum et Verbum erat

apud Deum et Deus erat Verbum

2 ndash hoc erat in principio apud Deum

3 ndash omnia per ipsum facta sunt et sine ipso

factum est nihil

4 ndash quod factum est in ipso vita erat608 et vita

erat lux hominum

5 ndash et lux in tenebris lucet et tenebrae eam non

conprehenderunt

9 ndash erat lux vera quae inluminat omnem

hominem venientem in hunc mundum

10 ndash in mundo erat et mundus per ipsum factus

est et mundus eum non cognovit

14 ndash et Verbum caro factum est et habitavit in

nobis et vidimus gloriam eius gloriam quasi

unigeniti a Patre plenum gratiae et veritatis

1 1 ndash Au commencement eacutetait le Verbe et le

Verbe eacutetait aupregraves de Dieu et le Verbe eacutetait

Dieu

1 2 ndash celui-ci eacutetait au commencement aupregraves de

Dieu

1 3 ndash par lui-mecircme toutes choses ont eacuteteacute faites

et rien nrsquoa eacuteteacute fait sans lui

1 4 ndash ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie vie eacutetait la

lumiegravere des hommes

1 5 ndash elle luit dans les teacutenegravebres et les teacutenegravebres

ne lrsquoont pas comprise

1 9 ndash ltelle eacutetait lagt lumiegravere veacuteritable qui

illumine tout homme venant en ce monde

1 10 ndash il eacutetait dans le monde et le monde a eacuteteacute

fait par lui et le monde ne lrsquoa pas reconnu

1 14 ndash Et le Verbe srsquoest fait chair et il a habiteacute

parmi nous et nous avons contempleacute sa gloire

gloire qursquoil tient de son Pegravere comme Fils unique

plein de gracircce et de veacuteriteacute

607 laquo Unde et secundum istud prima a nobis facta est impositio nominum quibus cum de illo agimus esse non tam proprie utimur quam translative Ipsum quoque lsquoestrsquo propter hoc notandum videtur institutum ut hic significet quid ltpergt se illud vero nonnisi ex determinatione aliqua et per adjunctum notitia vel verbo sive intellectu Dei vel aliquid hujusmodi raquo De unitate I 47 eacuted MARTINEAU p 122-123 608Cette phrase est lue selon la ponctuation ancienne abandonneacutee aujourdrsquohui qui eacutetait cependant introduite au Moyen Age par Augustin laquo Non ergo ita pronuntiari oportet quod factum est in illo uita est ut subdistinguamus quod factum est in illo et deinde inferamus uita est Quid enim non in illo factum est cum commemoratis multis etiam terrenis creaturis dicatur in psalmo omnia in sapientia fecisti dicat et apostolus quoniam in ipso condita sunt omnia in caelo et in terra uisibilia et inuisibilia Consequens ergo erit si ita distinxerimus ut et ipsa terra et quaecumque in ea sunt uita sint quae cum absurde dicantur omnia uiuere quanto absurdius ut etiam uita sint praesertim quia distinguit de quali uita loquatur cum addit et uita erat lux hominum sic ergo distinguendum est ut cum dixerimus quod factum est deinde inferamus in illo uita est non in se scilicet hoc est in sua natura qua factum est ut conditio creatura que sit sed in illo uita est quia omnia quae per ipsum facta sunt nouerat antequam fierent ac per hoc in illo erant non sicut creatura quam fecit sed sicut uita et lux hominum quod est ipsa sapientia et ipsum uerbum unigenitus filius dei raquo AUGUSTIN De genesi ad litteram V XIV 31 eacuted J ZYCHA p 416 Cf A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p 82

224

En analysant ces versets Achard preacutecise que saint Jean fait reacutefeacuterence laquo non pas au vocable

mecircme de lumiegravere ou de verbe mais agrave lrsquointellect du Fils qui est Verbe et lumiegravere609 raquo Pour lui les

versets laquo elle luit dans les teacutenegravebres et les teacutenegravebres ne lrsquoont pas comprise raquo et laquo elle eacutetait la lumiegravere

veacuteritable qui illumine tout homme venant en ce monde raquo (Jean I 5 et 9) servent agrave prouver que la

lumiegravere deacutesigne plutocirct la lumiegravere gracircce agrave laquelle nous intelligeons les choses610 agrave savoir lrsquointellect

mecircme du Fils

En mecircme temps Achard relie cette doctrine agrave la probleacutematique du De unitate Il se demande

comment les formes qui sont en reacutealiteacute drsquoune substance infeacuterieure agrave celle du Verbe peuvent ecirctre

intelligeacutees dans le Verbe Et sa reacuteponse est laquo ce qui a eacuteteacute fait nrsquoest point dit ecirctre dans le Verbe

sinon drsquoapregraves quelque forme de lui raquo Ainsi il srsquoengage agrave chercher laquo une forme supeacuterieure aux

formes eacutevoqueacutees jusqursquoici qui non seulement soit lagrave-bas immuablement mais par sa substance

propre soit reacuteellement immuable donc qui ne soit point lagrave-bas parce qursquoelle est intelligeacutee lagrave-bas

mais au contraire soit intelligeacutee lagrave-bas parce qursquoelle est lagrave-bas de sorte que crsquoest agrave cause drsquoelle qursquoil

a eacuteteacute dit ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie611 raquo

Voici donc comment Achard comprend des eacuteleacutements du prologue de Jean

quod factum est intellectuales sive exemplares formae rerum

Verbum vita lux intellectus Filii Forma superiora

Les formes des choses sont laquo ce qui a eacuteteacute fait raquo Le Verbe est le Fils de Dieu et la forme

premiegravere dans laquelle les formes ont eacuteteacute faites

Ainsi en II 1 Achard associe lrsquointellect du Fils agrave la Forme supeacuterieure aux autres formes De

cette maniegravere il explique comment lrsquouniteacute des formes multiples est possible De plus cette forme

premiegravere est en Dieu comme lrsquoIntellect du Fils Cela sert agrave expliquer comment les formes ont la

nature intelligible en Dieu

609 laquo Non ad ipsum lucis vel verbi vocabulum sed ad intellectum Filii qui et Verbum et lux est raquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136-137 610 laquo Itltemgt ne quis ipsum hoc aliter exponeret lucem vocans in Verbo Dei quod hic factum est eo solum quod illuminamur per rerum intelligentiam praecipue cum eas intelligimus prout ibi sunt ideo de luce ista diligentius prosequitur dicens eam lucere in tenebris nec tamen a tenebris comprehendi nominans eam lucem veram quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum raquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136 611 laquo Oportet ergo formam rei cuilibet reperire ibi praedictis superiorem formis quae non modo sit ibi immutabiliter sed secundum sui substantiam prorsus immutabilis ltnecgt ideo ibi sit quia ibi intelligitur sed potius ideo intelligatur ibi quia est ibi propter quam dictum sit quod factum est in ipso vita erat raquo De unitate II 1 eacuted MARTINEAU p 136-137

225

VII312 Lrsquoincarnation et la doctrine des formes

Achard revient agrave la doctrine de la forme premiegravere en II 13 Drsquoabord il explique Genegravese I

3 en reliant les parties de cette phrase au Verbe de Dieu laquo Dieu dit que la lumiegravere soit et la

lumiegravere a eacuteteacute faite raquo

Deus dixit laquo La raison et lrsquoideacutee mecircme de cette lumiegravere qui est dans le Verbe de

Dieu et qui est le Verbe de Dieu raquo

Idea lux laquo la forme de la lumiegravere mecircme qui fut lagrave-bas intellectuellement et qui

a eacuteteacute faite de toute eacuteterniteacute lorsque Dieu a dit par son Verbe coeacuteternel а

lui donc a dit de toute eacuteterniteacute raquo

Idos et facta est lux laquo cette forme de la lumiegravere qui a eacuteteacute creacuteeacutee en son acte mecircme dans le

temps ou plutocirct avec le temps et imprimeacutee agrave la matiegravere612 raquo

Ainsi laquo Dieu dit raquo signifie le Verbe mecircme de Dieu laquo que la lumiegravere soit raquo la forme qui est

dans le Verbe de Dieu et laquo la lumiegravere a eacuteteacute faite raquo la forme imprimeacutee dans la matiegravere

Ensuite Achard deacutecrit la relation entre les trois sortes de formes dans le Verbe

forma prima laquo non seulement dans le Verbe de Dieu mais le Verbe de Dieu lui-

mecircme raquo

Idea forma seconda laquo Elle nrsquoest point le Verbe lui-mecircme mais elle est agrave partir du Verbe

quoique non encore en acte raquo

Idos forma tertia laquo elle nrsquoest absolument pas dans le Verbe613raquo

De cette maniegravere le Verbe est Dieu lui-mecircme et la forme premiegravere et il contient toutes les

formes creacuteeacutees Une fois qursquoil srsquoincarne il contient toujours des formes creacuteeacutees

Les formes premiegravere seconde et troisiegraveme sont la mecircme forme bien que la forme seconde

consiste en la multitude de formes des choses creacuteeacutees et que la forme troisiegraveme soit dans les choses

creacuteeacutees En II 14 Achard compare la forme avec le Christ

612 laquo Nam per dixit quod verbum notat rationem et ideam lucis ipsam quae in verbo Dei et verbum Dei est expressisse intelligi potest nomine vero lucis ipsius lucis formam quae ibi intellectualiter fuit et facta est ab aeterno cum dixit Deus verbo sibi coaeterno et ideo ab aeterno fiat lux per facta est lux formam lucis actu ipso in tempore vel cum tempore creatam et materiae impressam raquo De unitate II 13 eacuted MARTINEAU p 172-173 613 laquo Et est prima vere prorsus coaeterna non mutabilis et ut dictum est non modo in Dei Verbo sed et ipsum Dei Verbum Secunda autem si nominatur aeterna et immutabilis ut supra ostendimus non tamen propter substantiam sed solum propter ibi existendi id est intelligendi modum nec est Verbum ipsum sed ex Verbo quamvis nondum ltin actugt Tertia vero omnino est ltnongt in Verbo et est temporalis et variabilis id est secundum substantiam quemadmodum non prima et secundum existendi modum quod nec prima nec secunda raquo De unitate II 13 eacuted MARTINEAU p 172-173

226

laquo En effet quand la forme a commenceacute drsquoecirctre ici elle ne cesse pas pour autant drsquoecirctre lagrave-bas

mdash mais crsquoest en restant lagrave-bas lagrave ougrave elle eacutetait et ce qursquoelle eacutetait qursquoelle a eacuteteacute faite ici ce

qursquoelle nrsquoeacutetait pas de telle sorte que suivant ce qui a eacuteteacute dit plus haut elle est drsquoune

substance autre mdash et veacuteritablement autre mdash ici sans laisser drsquoecirctre ici et lagrave-bas une forme

unique en une substance non unique et crsquoest en cela je pense ltque consistegt dans la

personne unique du Christ et ses deux natures ou substances la profondeur du mystegravere de

lrsquoIncarnation614 raquo

Voici la reacutecapitulation

Christus forma prima

persona forma

duae naturae duae substantiae

Puisque le Christ est une personne qui possegravede deux natures (substances) il peut ecirctre

compareacute agrave la forme qui elle aussi garde le mecircme nom dans deux substances diffeacuterentes (la

substance divine et la substance du monde) Dans le cas du Christ les deux natures sont divine et

humaine Le fait que la forme premiegravere soit relieacutee aux formes creacuteeacutees et aux choses permet agrave Achard

de deacuteduire que la forme est dans les deux substances dans la substance divine en tant que forme

premiegravere et dans la substance du monde en tant que formes secondes et formes troisiegravemes Ainsi les

deux natures du Christ sont compareacutees aux deux substances de la forme premiegravere La profondeur du

mystegravere de lrsquoIncarnation consiste drsquoapregraves Achard dans le fait que la forme est ici et lagrave-bas laquo une

forme unique en une substance non unique raquo

Par conseacutequent la doctrine des formes drsquoAchard contribue au deacuteveloppement de sa doctrine

christologique Les formes sont dans le Verbe qui est lrsquointellect de Dieu car elles sont intelligeacutees par

Dieu Le Verbe est la forme premiegravere qui contient les formes intelligeacutees par Dieu et creacuteeacutees dans la

matiegravere Ce mecircme Verbe est le Fils de Dieu Lrsquoimpression mateacuterielle des formes est ainsi

compareacutee agrave lrsquoincarnation du Christ

Il existe un autre teacutemoignage de la multipliciteacute en Dieu Dans le chapitre ІІ 3 Achard

expose la doctrine de la procession du Christ en Dieu avant le deacutebut du monde615 Bien eacutevidemment

614 laquo Quando enim incepit esse hic tamen non desinit esse ibi sed ibi manens ubi erat et quod erat hic facta est quod non erat ut secundum praemissa alterius sit substantiae et vere alterius hic una tamen et hic et ibi forma in substantia non una quod in una Christi persona et duabus ejus naturis sive substantiis profundum Incarnationis ltmysteriumgt arbitror raquo De unitate II 14 eacuted MARTINEAU p 176-177 615 laquo Ibi si non in alios per participationes infinitas in ipsum tamen ltsecundumgt plenialdinem omnimodam ab aeterno processit deitas tota ut ibi ex tunc in eo habitet processione aeterna omnis plenitudo divinitatis intellectualiter quae

227

cela est lieacute agrave sa doctrine de la premiegravere creacuteation intellectuelle du monde Dans ce contexte le Christ

joue un rocircle dans cette premiegravere creacuteation

Les gracircces et les dons sont preacutevus avant la creacuteation du monde Drsquoapregraves Achard laquo elles ont

deacutejagrave eacuteteacute distribueacutees intellectuellement aux creacuteatures elles-mecircmes et confeacutereacutees aux saints par la

providence ou la preacutedestination616 raquo Et les saints ont eacuteteacute eacutelus dans le Saint des saints ndash le Christ

(Daniel IX 24)

Ainsi il existe deux eacutetapes de la preacutehistoire spirituelle

1) eacutelection du Saint des saints (le Christ)

2) eacutelection des saints dans le Saint des saints et collation des gracircces et des dons agrave ces saints

De cette maniegravere Achard applique la mecircme doctrine agrave lrsquohistoire spirituelle drsquoabord lrsquouniteacute

(le Christ ndash le Saint des Saints) a eacuteteacute creacuteeacutee ensuite la pluraliteacute (les saints) est apparu agrave lrsquointeacuterieurs de

lrsquouniteacute et finalement les saints ont reccedilu les gracircces et les dons Ces gracircces et dons ont eacuteteacute deacutejagrave

destineacutes agrave ecirctre incarneacutes

Ainsi la doctrine de lrsquoincarnation prend sa place dans la doctrine philosophique du De

unitate Les deux natures du Christ sont un modegravele pour expliquer les diffeacuterentes natures des

formes

De cette maniegravere la doctrine christologique du De unitate comprend la doctrine de

lrsquoincarnation et la doctrine qui deacutecrit le Verbe en tant qursquoIntellect de Dieu qui contient les raisons

eacuteternelles des choses

VII32 La multipliciteacute des raisons

Achard commence agrave deacutecrire les raisons eacuteternelles en I 37 mais crsquoest agrave partir du chapitre I

39 qursquoil le reconnaicirct En I 37-38 il deacutecrit certains ecirctres qui nrsquoont pas eacuteteacute faits et qui sont venus ici

car ils existent lagrave-bas de maniegravere speacutecifique Quand ils viennent ici ils ne cessent pas drsquoecirctre lagrave-bas

Ici ils sont faits et temporels et lagrave-bas non-faits et eacuteternels Comme nous lrsquoavons deacutejagrave dit les raisons

eacuteternelles sont plusieurs et diffeacuterentes en Dieu ou plus preacuteciseacutement dans le Verbe (I 38) postmodum in temporis plenitudine in eo coepit processione temporali habitare corporaliter raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 146 616 laquo Quod et ad Spiritus sancti si tamen ita se habet intelligendam proprietatem valere poterit Ipse siquidem Patris et Filii est connexio ex eis aeternaliter procedens et ad ipsum in Scripturis distributiones gratiarum atque donorum dona quoque ipsa vel gratiae referri solent quae aliud non sunt nisi praedictae participationes rerum praedictarum et Creatoris et ejus imaginis creatae spirituales quaedam connexiones in rationibus aeternis et quodammodo secundum eas et ex eis aeternaliter procedentes in creaturis vero ex tempore vel cum tempore actu ipso transfusae prout rationibus illis ab aeterno sunt propositae et ibi jam intellectualiter creaturis ipsis distributae atque per providentiam sive praedestinationem sanctis collatae secundum quod et ipsi in Christo elesti sunt et ante mundi constitutionem Ibi enim sine initio novit Deus qui sunt ejus et suos aut quis Dei sit Ibi eis regnum paratum est non solum a mundi origine sed et ante mundi originefrm raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-147

228

VII321 Les trois sortes de raisons eacuteternelles

En I 39 Achard preacutesente sa doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles de choses617

Voici une reacutecapitulation

preacutepositions propter quas secundum quas

qualis

per quas

qualiter

appellations

generales

finales

causae operum

formales

formae rerum

explicatrices

noin618 operationum artes

operandi

traduction

franccedilaise

finales formelles deacuteployantes619

exemple du livre

eacutecrit

ltproptergt quod

scribitur - fructum

secundum quod - forma

libri

per quod scribitur ndash ars

Ainsi le dernier exemple montre qursquoil srsquoagit des trois sortes de raisons pour une seule chose

Lrsquoune est la cause qui est jugeacutee drsquoapregraves le reacutesultat (fructus) lrsquoautre est la forme et la troisiegraveme lrsquoart agrave

faire Cette distinction est expliqueacutee par Dominique Poirel

laquo Les raison lsquoformellesrsquo offrent le modegravele archeacutetypal de toute chose temporelle les raisons

lsquofinalesrsquo renferment la cause de sa venue agrave lrsquoecirctre dans le temps enfin les raisons

lsquodeacuteployantesrsquo contiennent le processus mecircme de sa creacuteation620 raquo

617 Les tables proposeacutees dessous est une preacutecision de celle faite par Martineau E MARTINEAU laquo Remarques sur le titre et le plan du De unitate raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 59 618 Martineau reacutedige un eacuteclaircissement suppleacutementaire afin drsquoexpliquer lrsquoorigine de ces termes Selon lui lrsquoappellation laquo explicatrices raquo remonte agrave Augustin qui utilise le verbe explicare dans le cadre de la theacuteorie stoiumlcienne des laquo raisons seacuteminales raquo En ce qui concerne le laquo noin raquo crsquoest la transcription de lrsquoaccusatif du mot grec νους (raison) Martineau suppose que lrsquoorigine de ce terme grec se trouve dans lrsquoEpicirctre aux Romains (XI 34) de lrsquoapocirctre Paule (laquo Qui en effet a jamais connu la penseacutee (νουν) du Seigneur raquo) qui comporte dans la version grecque le mot νους Il voit la preuve de sa theacuteorie dans le fait que dans les Sermons XV 30 p 234 en expliquant Romains (XI 34) Achard emploie les termes rationes operum et operationum modi E MARTINEAU laquo Eclaircissement IIIraquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacutedE MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 213-214 voir aussi M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 292-3 619 La traduction de la troisiegraveme sorte des raisons laquo deacuteployante raquo est introduite par Martineau et agrave notre avis reflegravete lrsquoune des interpreacutetations possibles de la raison explicatrix ce qui est admissible vu le manque de la description de cette raison dans le texte drsquoAchard (en effet crsquoest elle qui a eacuteteacute laquo abreacutegeacutee raquo) Dans le commentaire au texte Martineau appelle eacutegalement cette raison laquo la cause efficiente raquo E MARTINEAU laquo Eclaircissement IIIraquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacutedE MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 212-214

229

En I 40 Achard ajoute la justification scripturaire de la distinction des trois sortes de

raisons Nous proposons une preacutesentation analytique de sa doctrine

Preacutepositions per aliquam ob aliquam secundum aliquam

Jean I 3-4 omnia per ipsum

facta sunt

sine ipso factum est

nihil

quod factum est

in ipso vita erat

Explication du

Jean I 3-4

ratio generalis et ars

aeterna faciendi

omnia

causa rationabilis

omnium

forma ejus quod factum est

intellectualis et prima

autem ratio ejus formalis

Genegravese I 2-3 6 dixit Deus vidit Deus quod

esset bona

fiat lux

fiat firmamentum

Explication du

Genegravese I 2-3 6

modus scilicet

faciendi

causa forma rei faciendae

De plus Achard suggegravere eacutegalement que le mot laquo Verbe raquo reacutepeacuteteacute trois fois dans le verset

laquo Au commencement eacutetait le Verbe et le Verbe eacutetait aupregraves de Dieu et le Verbe eacutetait Dieu raquo (Jean

I 1) deacutesigne chacune des trois sortes de raisons mais il ne preacutecise pas de quelle sorte il srsquoagit en

particulier

Entre autres Achard deacutecrit eacutegalement la distinction entre les raisons prises seacutepareacutement agrave

savoir entre les formes et les modes et les formes et les causes

Entre les raisons formelles et deacuteployantes (modes) en I 39

laquo Ces derniegraveres [les raisons deacuteployantes] pouvant ecirctre elles-mecircmes nommeacutees aussi

formelles srsquoil est vrai que la chose nrsquoest pas formeacutee seulement par elles mais aussi drsquoune

certaine faccedilon selon elles en effet celui qui voit comment une chose doit ecirctre faite voit

aussi quelle elle doit ecirctre faite mais lrsquoinverse nrsquoest pas vrai621 raquo

De cette maniegravere il lie les formes et les modes Il continue agrave ce propos en I 41 en

expliquant laquo que ces trois aspects des ouvrages de Dieu ne se preacutesentent pas seulement comme trois

620 D POIREL P SICARD laquo Figure vittorine Riccardo Acardo e Tommasoraquo dans Figure del pensiero medievale storia della teologia e della filosofia dalla tarda antichitagrave alle soglie dellumanesimo t II La fioritura della dialettica X-XII secolo eacuted I BIFFI et C MARABELLI Milano-Roma 2008 p 516 621laquo Tertiae explicatrices quae et ipsae formales nominari valent eo quod non per eas solum sed juxta eas quodammodo res formetur Qui enim videt qualiter res facienda sit videt et qualis sit facienda sed non convertitur raquo De unitate I 39 eacuted MARTINEAU p 108-109

230

agrave notre intellect mais encore soient distincts en Dieu622 raquo Voici comment il explique la diffeacuterence

des formes et des modes (I 41)

laquo Ce qui neacuteanmoins diffeacuterencie les modes des formes crsquoest qursquoil nrsquoy a de modes que des

opeacuterations tandis qursquoil y a des formes pour toutes les choses et crsquoest que les modes

intellectuels et premiers qui sont lagrave-bas sont aussi comme il sera montreacute les formes des

modes infeacuterieurs de telle sorte que tout mode est lui aussi une forme mdash ce qui nrsquoempecircche

que le mode on lrsquoa dit est mode drsquoopeacuterer donc que ce sont les formes infeacuterieures qui sont

modes En effet srsquoil nrsquoy avait pas lagrave-bas de distinction entre mode et forme les anges ne

pourraient voir dans le Verbe de Dieu quels ils ont eacuteteacute faits qursquoils ne voient tout autant

comment ils ont eacuteteacute faits et en geacuteneacuteral ils ne verraient absolument pas lagrave-bas la forme drsquoune

chose quelconque qursquoils ne voient par le fait mecircme aussi le mode de sa production et pas

davantage nrsquointelligeraient-ils quel le Fils a eacuteteacute engendreacute qursquoils nrsquointelligent en mecircme temps

comment il lrsquoa eacuteteacute623 raquo

Formae Modi

illae sunt quarumlibet rerum hii non nisi operationum

formae sunt modorum inferiorum modi intellectuales et primi

omnis modus quaedam forma

formae vero inferiores modi modus operandi

quales sint facti qualiter sint facti

forma cujuslibet rei modus illam faciendi

qualis Filius est genitus qualiter est genitus

Selon lui les modes sont des formes ou plutocirct ils constituent une partie des formes crsquoest-agrave-

dire que certaines formes sont les modes infeacuterieurs Mais les modes deacutesignent uniquement les

opeacuterations tandis que les formes deacutesignent toutes les choses La diffeacuterence entre ces deux est

neacutecessaire selon Achard pour les anges qui peuvent ainsi discerner qualis (formes) et qualiter

(modes) des choses Il propose deux exemples les anges discernent le qualis et le qualiter de leur

propre creacuteation avec celle du Fils Tandis que les hommes mecircme si gracircce agrave la reacuteveacutelation ils peuvent 622 laquoQuod autem haec tria circa opera Dei non solum intellectui nostro occurrant ut tria sed et apud Deum sint distinctaraquo De unitate I 41 eacuted MARTINEAU p 110-111 623 laquo Modos nihilominus a formis hoc discernit quia hii non nisi operationum illae autem quarumlibet sunt rerum et quia modi intellectuales et primi qui ibi sunt inferiorum quoque ut ostendetur formae sunt modorum ut sit et omnis modus quaedam forma sed modus ut dictum est operandi formae vero inferiores modi Nisi enim aliqua ibi esset modi a forma distinctio videre non possent angeli in verbo Dei quales sint facti quin non pariter viderent et qualiter sint facti nec penitus ibi viderent formam cujuslibet rei quin eo ipso videant et modum illam faciendi nec etiam intelligerent qualis Filius est genitus quin simul intelligerent et qualiter est genitus raquo De unitate I 42 eacuted MARTINEAU p 112-113

231

voir quae qualia et quare laquo que raquo laquo quelles raquo et laquo pourquoi raquo ndash les raisons formelles et causales

des choses agrave faire ils ne pourraient jamais voir qualiter laquo comment raquo ndash les raisons deacuteployantes

Enfin dans le chapitre I 42 Achard promet de deacutecrire les modes en tant que formes des choses624

Les distinctions entre les formes et les causes seront discuteacutees ulteacuterieurement

En deacutefinitive les raisons eacuteternelles sont des laquo ecirctres625 raquo eacuteternels qui causent lrsquoexistence des

ecirctres temporels Chaque creacuteature possegravede les trois sortes de raisons ndash finale formelle et deacuteployante

ndash qui correspondent au but de son existence agrave sa forme et agrave la maniegravere dont elle eacutetait creacuteeacutee La

troisiegraveme sorte de raisons nrsquoest pas deacutecrite dans le De unitate Pourtant Achard laisse entendre que

les raisons deacuteployantes sont une partie des raisons formelles

Dans le De unitate la doctrine des raisons eacuteternelles est unie aux doctrines de la creacuteation du

monde et de la preacuteexistence des causes des choses avant cette creacuteation

VII322 Les raisons et les attributs de Dieu

Lrsquoun des thegravemes les plus deacuteveloppeacutes chez Hugues de Saint-Victor est la doctrine des

attributs de Dieu puissance sagesse et bonteacute Chacun de ces attributs deacutesigne une des personnes de

la Triniteacute plus que les deux autres et pourtant ces attributs appartiennent agrave toutes les personnes

Dans cette doctrine il ne srsquoagit pas simplement des noms de Dieu mais aussi de ce que Dieu peut

sait et veut faire On peut trouver aussi ce sujet dans le De unitate

En I 41 Achard explique la diffeacuterence entre les causes les formes et les modes

laquo En effet pour [1] les causes des choses а faire elles ne sont rien drsquoautre lagrave-bas que les

causes des choses que Dieu a eacutetabli de faire car srsquoil y avait aupregraves de Dieu une raison que

drsquoautres choses fussent aussi faites il ferait assureacutement drsquoautres choses et il eucirct eacutetabli de les

faire [2] Quant aux formes des choses non seulement qursquoil fait mais encore qursquoil peut faire

quelles qursquoelles soient ainsi que [3] les modes de leur production singuliegravere qui oserait nier

qursquoils existent dans son esprit Sinon en effet comme il apparaicirctra ensuite il pourrait plus

qursquoil ne saurait626 raquo

624 laquo Ideo et hunc ipsum ordinem de eis disputando sequemur ut primo de formis secundo de causis demum agamus de modis et de formis quidem rerum raquo De unitate I 42 eacuted MARTINEAU p 112-113 La valeur de ce temoignage est pourtant mise en doute par Martineau lui-mecircme qui hesitent agrave propos de la signification de quidem dans cette phrase Voir la note 3 ch 42 p 113 de la mecircme eacutedition 625 Les raisons ne sont pas dans le mecircme sens que les choses voir le De unitate I 47 626 laquo Causae siquidem faciendorum ibi non sunt nisi eorum quae facere Deus disposuit Si enim ut alia quoque fierent ratio apud Deum esset et alia utique faceret et ea facere disposuisset Formas autem rerum non solum quas facit sed quascumque etiam facere potest modos quoque singulas faciendi in mente ipsius consistere negare quis audeat

232

Nous proposons lrsquointerpreacutetation suivante

causae faciendorum formas rerum modi faciendi

facere Deus disposuit formas autem rerum non solum

quas facit sed quascumque etiam

facere potest

sciret posset

Ainsi selon Achard les causes existent pour ce que Dieu a disposeacute de faire Les raisons

formelles existent non seulement pour ce que Dieu a deacutejagrave fait mais aussi pour ce qursquoil aurait pu

faire Ce que Dieu a fait et ce qursquoil aurait pu faire ont les modes de leur production singuliegravere

Selon Achard Dieu ne peut pas plus qursquoil ne sait Les verbes laquo pouvoir raquo et laquo savoir raquo

deacutesignent respectivement la puissance et la sagesse divine La puissance correspond aux modes et la

sagesse aux formes Quant aux causes Achard dit que Dieu les a disposeacutees de faire Cela comprend

les causes des ecirctres qursquoil a deacutejagrave faits et ceux qursquoil va sucircrement faire

Achard parle des attributs dans la suite Par exemple en I 43

laquo Car il nrsquoy a rien ici que Dieu nrsquoait fait et Dieu nrsquoa rien fait qursquoil nrsquoait su ni nrsquoa jamais rien

su ni ne pourra rien savoir qursquoil nrsquoait su de toute eacuteterniteacute et ne doive savoir pour toute

lrsquoeacuteterniteacute sinon quelque variation pourrait tomber en lui Il a donc intelligeacute de toute eacuteterniteacute

absolument tout ce qursquoil ferait avec le temps ou dans le temps non seulement quels ltecirctresgt

il ferait mais encore leur quantiteacute leur qualiteacute le comment de leur relation agrave lui ou entre

eux en quoi aussi ils seraient actifs ou passifs ougrave et quand ils seraient comment ils

devraient ecirctre placeacutes dans leurs lieux propres ce qursquoils possegravederaient et absolument tout ce

qui est ou peut ecirctre conccedilu avec veacuteriteacute dans les choses Mais les choses mecircmes nrsquoeacutetaient pas

encore ougrave ces ltpreacutedicamentsgt fussent et pussent ecirctre vus et mecircme si elles avaient alors eacuteteacute

Dieu nrsquoaurait nullement eu besoin drsquoelles pour y voir ce qui eacutetait en elles Car loin que la

geacuteneacuterositeacute (indulgentia) de Dieu puisse naicirctre de lrsquoexistence des choses il faut au contraire

que lrsquoexistence des choses ait la geacuteneacuterositeacute de Dieu pour sa cause627 raquo

Alioquin enim ut post apparebit plus posset quam sciret raquo De unitate I 41 eacuted MARTINEAU p 110-111 Trad modifieacutee 627 laquo Non enim hic est aliquid quod Deus non fecerit nec Deus nesciens aliquid fecit nec aliquid unquam scivit vel scire poterit quod non ab aeterno scierit et in aeternum sciturus sit alioquin enim variatio aliqua in eum cadere posset Intellexit igitur ab aeterno omnia quaecumque cum tempore vel in tempore facturus erat non solum [ante] quae sed et quanta et qualia et qualiter ad ipsum vel ad invicem referenda quid etiam activa quidque passiva ubi et quando futura qualiter in suis ponenda locis et quid habitura et omnino si quid aliud in rebus est vel vere excogitari potest Nondum autem res ipsae erant in quibus illa essent ut in eis videri possent nec etiam si tunc fuissent Deus eis indigeret ut quae

233

De ce passage il est possible de tirer les conclusions suivantes

- la variation en Dieu nrsquoexiste pas donc il a su de toute eacuteterniteacute tout ce qursquoil ferait dans le

temps Mais non seulement laquo tout ce qui est raquo mais aussi laquo tout ce qui peut ecirctre conccedilu avec veacuteriteacute

dans les choses raquo Il ne srsquoagit pas de choses elles-mecircmes mais de leurs eacuteleacutements agrave savoir des

cateacutegories drsquoAristote Dieu conccediloit les cateacutegories qui servent agrave construire les choses vere (laquo avec

veacuteriteacute raquo)

- les choses elles-mecircmes nrsquoexistaient pas depuis lrsquoeacuteterniteacute mais elles sont neacutees agrave un certain

moment du temps gracircce agrave lrsquoindulgence (indulgentia) de Dieu

Ainsi dans ce passage Achard parle de deux attributs ndash la sagesse (ce que Dieu sait de

lrsquoeacuteterniteacute) et la bonteacute (lrsquoindulgence de Dieu) 628 La sagesse correspond aux formes et lrsquoindulgence eacute

aux causes

De cette faccedilon Achard cite au moins deux des trois attributs de Dieu la puissance et la

sagesse (potentia et sapientia) Soit directement soit en les deacutesignant par les verbes posse et scire

Drsquoapregraves le chapitre I 41 le premier signifie les modes (tout ce que Dieu peut faire) le deuxiegraveme les

formes (tout ce que Dieu sait faire) En I 43 Achard parle aussi de lrsquoindulgence (indulgentia) de

Dieu qui est la cause qui fait que les choses surgissent Ce qui peut correspondre agrave la bonteacute divine

Pourtant ces trois attributs ne deacutesignent pas dans le contexte des raisons eacuteternelles les trois

personnes de Dieu

Voyons deacutesormais pourquoi Achard parle des attributs

En I 45 Achard ne parle plus des raisons en geacuteneacuteral mais des formes en particulier Il y

emploie les notions de puissance et de sagesse de Dieu Voici sa classification des formes qui se

trouvent en Dieu

laquo Parmi toutes les formes substantielles non seulement celles qui sont mais aussi toutes

celles qui peuvent ecirctre en quelque mode que ce soit crsquoest-agrave-dire non seulement celles qui

sont ou peuvent ecirctre dans la nature des choses bien qursquoelles nrsquoy soient jamais en acte mais

encore toutes les formes nouvelles que le Creacuteateur peut eacutetablir soit contre la nature eacutetablie

des creacuteatures soit au-dessus drsquoelle629 raquo

in eis essent videret Non enim Dei indulgentia a rerum surgere potest existentia sed magis rerum existentiam causam habere oportet Dei indulgentiam raquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 114-115 628 Sur lrsquoidentification de la bonteacute et la geacuteneacuterositeacute qui sont approprieacutees agrave lrsquoEsprit-Saint voir P AGAEumlSSE A SOLIGNAC laquo Notes compleacutementaires 3 La bonteacute creacuteatrice et le rocircle de lrsquoEsprit dans la creacuteation raquo dans AUGUSTIN De Genesi ad litteram libri duodecim eacuted J ZYCHA trad intod et notes PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC p 584-6 629 laquo In substantialibus quoque non solum communes sed et singulares et in hiis omnibus non tantum quae sunt sed quaecumque quoquo modo esse possunt id est non solum quae in rerum sunt natura ltagtut esse possunt quamvis nunquam in eis actu sint sed quascumque vel contra institutam creaturarum naturam vel super lteamgt creator ipse potest instituere novas raquo De unitate I 45 eacuted MARTINEAU p 116-117

234

quae sunt quaecumque quoquo modo esse possunt

quae in rerum sunt natura quae in rerum natura esse

possunt quamvis nunquam

in eis actu sint

quascumque vel contra

institutam creaturarum naturam

vel super lteamgt creator ipse

potest instituere novas

Nous croyons que les formes laquo qui sont ou peuvent ecirctre dans la nature des choses bien

qursquoelles nrsquoy soient jamais en acte raquo sont celles que Dieu peut faire vere (conformeacutement aux regravegles

eacutetablies de la creacuteation) Ainsi les laquo formes nouvelles que le Creacuteateur peut eacutetablir soit contre la

nature eacutetablie des creacuteatures soit au-dessus drsquoelle raquo ne sont pas faites vere

Achard continue ces explications

laquoComme la puissance de Dieu est sans limites et que sa sagesse nrsquoest assureacutement pas

infeacuterieure agrave sa puissance il faut que soit contenue lagrave-bas une infiniteacute non seulement

drsquoindividus mais encore drsquoespegraveces et non seulement drsquoespegraveces mais encore de genres qui

ne peuvent ecirctre trouveacutes dans la nature des choses [] Qursquoon les considegravere ici et lagrave-bas ou

bien lagrave-bas mais non pas ici les espegraveces apparaissent et existent intellectuellement lagrave-bas en

nombre infini et encore sont-elles elles-mecircmes deacutepasseacutees prises une agrave une par lrsquoinfiniteacute des

individus 630 raquo

Ce passage est important car Achard y introduit deux attributs de Dieu sa sagesse et sa

puissance La puissance correspond aux espegraveces et aux genres Ces sont des eacuteleacutements employeacutes

pour construire des formes individuelles des choses Achard a deacutejagrave parleacute drsquoelles en I 43

Nous pouvons y trouver eacutegalement la confirmation qursquoAchard accepte lrsquoexistence des

eacuteleacutements laquo qui sont ou peuvent ecirctre dans la nature des choses bien qursquoelles nrsquoy soient jamais en

acte raquo Est-ce que ce passage prouve qursquoil accepte aussi lrsquoexistence aupregraves de Dieu des eacuteleacutements qui

contredisent la nature des choses Lrsquoexistence de ces eacuteleacutements deacutepend de la puissance de Dieu

Achard soulegraveve le problegraveme des raisons faites contre nature en II 2

laquo Mais est-ce que tous les ltecirctresgt que Dieu peut faire bien qursquoils ne doivent jamais ecirctre

faits peuvent cependant ecirctre dit faits aupregraves de Dieu selon ce mode ou seulement ceux qursquoil

avait lrsquointention de faire Voilagrave qui nrsquoest pas eacutevident et ne peut ecirctre affirmeacute agrave la leacutegegravere Il

630 laquo Cum igitur interminabilis sit Dei potentia nec sit utique minor ejus sapientia infinita ibi contineri oportet non solum individua sed et species nec solum species sed et genera quae in rerum non possint reperiri natura [] Sive hic [sive] et ibi sive ibi sed non hic infinitae ibi videntur et intellectualiter consistunt species quae et ipsae etiam singulae per infinita ibi exceduntur individua raquo De unitate I 45 eacuted MARTINEAU p 116-119

235

nrsquoy a pas drsquoexemple en effet que lrsquoEacutecriture assigne ce mode de faire agrave drsquoautres ltecirctresgt qursquoagrave

ceux qui ont eacuteteacute faits ou doivent ecirctre faits par Dieu Mais que ceux-ci aupregraves de Dieu soient

non seulement faits mais aussi creacuteeacutes et formeacutes cela est clairement attesteacute comme on lrsquoa

partiellement montreacute en de nombreux passages631 raquo

Ici Achard pose la question de savoir si Dieu peut faire les creacuteatures qui contredisent la

laquo nature eacutetablie raquo des choses agrave savoir si sa puissance est illimiteacutee Et il avoue qursquoil nrsquoa pas

suffisamment de ressources pour reacutepondre agrave cette question

En deacutefinitive Achard dit que la sagesse de Dieu gegravere les formes singuliegraveres des choses et la

puissance opegravere par les eacuteleacutements dont les choses sont faites De cette faccedilon Dieu connaicirct tous les

modes et par conseacutequent sa sagesse est aussi grande que sa puissance Par contre la question de

savoir si la puissance de Dieu est illimiteacutee reste ouverte Dieu a aussi lrsquoindulgence qui cause

lrsquoexistence des choses

VII323 Les raisons causales

Dans les chapitres II 17-21 ougrave Achard est censeacute de parler des raisons finales (rationes

finales) ou causes (causes) il deacutecrit les causes rationnelles (causes rationabiles) et les raisons

causales (rationes causales)

Pour la premiegravere fois la ratio causalis apparaicirct en II 3

laquo Mais personne ne peut ecirctre dit eacutelu ou preacutedestineacute de toute eacuteterniteacute par la seule raison

formelle pour ainsi dire de lrsquoeacutelection srsquoil nrsquoa pas aussi lagrave-bas sa raison causale [hellip]

autrement dit cela seul qui eut lagrave-bas non seulement la forme selon laquelle ou le mode par

lequel mais encore la cause pour laquelle il serait fait632 raquo

Dans ce passage la raison causale correspond agrave laquo la cause pour laquelle quelque chose serait

fait raquo

Au deacutebut du chapitre II 17 Achard introduit la theacuteorie des causes rationnelles des œuvres

Dans ce chapitre Achard joue avec les diffeacuterents sens du mot ratio la Raison (ratio) qui est Dieu

631 laquo Utrum autem omnia quae Deus potest facere licet et nunquam sint facienda tamen juxta hunc modum possint dici apud Deum facta an ea solum quae facturus erat non satis patet nec temere est asserendum Non enim occurrit quod aliis nisi solum a Deo factis vel faciendis Scriptura hunc faciendi assignet modum Haec autem siltngtt apud Deum non modo facta sed et creata et formata in locis non paucis ut ostensum est ex parte testatur manifeste raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140-141 632 laquo Non autem electus vel praedestinatus dici quis potest ab aeterno propter solam electionis formalem ut ita dictum sit rationem nisi habuerit ibi et causalem [hellip] id est illud solum quod ibi habuit non modo formam secundum quam vel modum per quem sed et causam propter quam fieret raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 146-147

236

lui-mecircme rend ses œuvres rationnelles (rationabile) Les œuvres par conseacutequent ont leurs causes

rationnelles (causae rationabiles) et eacuteternelles Et pour ce que lrsquohomme veut et fait rationnellement

il existe une raison eacuteternelle De cette faccedilon il introduit la capaciteacute particuliegravere des causes

rationnelles ndash leur aptitude agrave deacutecrire la finaliteacute des choses agrave savoir laquo pourquoi raquo elles ont eacuteteacute faites

Crsquoest gracircce agrave cette capaciteacute que lrsquohomme peut juger de la rationaliteacute des œuvres (si elles sont

rationnelles) Ainsi Achard propose une double perspective les œuvres ont leurs causes

rationnelles donneacutees par Dieu qui est la raison supeacuterieure et un homme peut juger correctement agrave

propos de lrsquoutiliteacute drsquoune œuvre conformeacutement agrave ces causes

Lrsquoadjectif rationabilis provient du nom ratio (voir II 17 laquo Opus vero rationabile non est

quod non ex aliqua ratione processltergtit raquo) il nrsquoa pourtant pas exactement le mecircme sens que

rationalis633

Selon Achard lrsquoœuvre (opus) de la raison (ratio) est rationabile et elle ne peut pas laquo avoir

aucune irrationaliteacute raquo (irrationabilitas) Lrsquoœuvre rationnelle a sa cause rationnelle qui remonte agrave la

premiegravere cause ndash la raison de Dieu Dieu nrsquoopegravere jamais irrationabiliter (lrsquoadverbe qui provient de

lrsquoadjectif irrationabilis) car il est la raison mecircme634 Crsquoest la raison qui rend les esprits (mentes)

rationabile Ainsi Achard repreacutesente la qualiteacute drsquoecirctre rationabilis en tant que proprieacuteteacute drsquoune œuvre

qui est le produit de la raison

Achard consacre la deuxiegraveme partie du chapitre II 18 agrave la question du jugement agrave propos

des œuvres Les œuvres changent mais il faut toujours les juger drsquoapregraves la raison eacuteternelle et

immuable Achard explique que les raisons existent alors (tunc) mais qursquoelles apparaissent dans le

monde agrave certain moment (modo) et qursquoil faut bien juger les œuvres selon ces raisons

Achard y dit eacutegalement que le fait drsquoecirctre rationabilis pour une œuvre change dans le temps

et crsquoest pour cela qursquoon peut se tromper quand on deacutefinit une œuvre comme rationabilis Mais la

raison drsquoapregraves laquelle on juge ne change pas En employant un adverbe rationabiliter Achard

preacutecise que le fait drsquoecirctre rationabilis correspond agrave la maniegravere dont une œuvre a eacuteteacute faite Voilagrave

pourquoi le fait drsquoecirctre rationabilis ne deacutepend pas de lrsquoœuvre mais de sa raison qui peut ecirctre

633 Dans les chapitres I 14 et 29 lrsquoadjectif rationalis srsquoemploie avec le nom natura Ensemble ces deux eacutevoquent la deacutefinition de la personne de Boegravece (laquo persona est naturae rationalis individua substantia raquo) qursquoAchard critique de maniegravere implicite Achard substitue le mot rationabilis agrave rationalis dans cette deacutefinition Dans le cas de cette deacutefinition lrsquoadjectif rationalis deacutesigne la diffeacuterence speacutecifique de la nature humaine par rapport agrave lrsquoanimal Ensuite dans le chapitre II 3 Achard emploie 2 fois le terme natura rationalis et en II 13 vitae rationales A notre avis dans ce contexte lrsquoadjectif rationalis a le sens laquo doueacute de raison raquo (ce qui est le mecircme que rationabilis de Boegravece) Ainsi lrsquoadjectif rationalis provient du nom ratio pris au sens de faculteacute intellectuelle 634 Voir laquo Deus qui ratio ipsa summa infinita et immensa ltestgt operari nihil lsquoirrationabiliterrsquo vel irrationabile potest Opus siquidem rationis ipsius esse non posset si quid in se irrationabilitatis haberet lsquooperirsquo etenim suo lsquoformamrsquo ut ait philosophus lsquodat opifex suusrsquo Quare opus rationis consummatae rationabile et consummatum esse oportet Opus vero rationabile non est quod non ex aliqua ratione processltergtit id est quod aliquam rationabilem sui causam non habuerit nec Deus certe aliam nisi suam cur faciat omnia quae facit attendit rationem nec se inclinat infra se ut ltcausamgt rationabilem operum suorum quaerat sub se raquo De unitate II 17 eacuted MARTINEAU p 182

237

preacutesente ou absente en diffeacuterents moments635 En mecircme temps crsquoest une qualiteacute qui sert agrave juger les

choses afin de voir si la connexion avec sa raison eacuteternelle est preacutesente

Ainsi lrsquoadjectif rationabilis deacutesigne lrsquoutiliteacute rationnelle drsquoune œuvre ou la preacutesence de sa

cause rationnelle Et il se reacutefegravere donc agrave la doctrine des causes eacuteternelles Pour mieux comprendre les

causes rationnelles en II 18 Achard deacutecrit leur hieacuterarchie

una sit generalis et suprema et omnium causa = ratio Dei

voluntas divina = justum

causarum rationabilium distinctiones

- propter aliud facere domum ndash ut ibi inhabitet

- propter aliud vestimentum ndash ut illud induat

- propter aliud librum - ad legendumhellip

causam domum aedificandi vestimentum librum hellip

rationabiles causas

- alia assignetur cur in domo fiat fundaltmentumgt

- alia cur tectum

- alia cur parietes

- alia cur postes

- alia cur ostia

- alia cur fenestrae

Ainsi lrsquoauteur explique qursquoil y a laquo une cause geacuteneacuterale et suprecircme raquo pour tout qui est la

Raison mecircme de Dieu Puis tout ce qui est juste se reacutefegravere agrave la Volonteacute divine en tant que sa

cause636 En pratique la maison est faite pour y vivre le vecirctement pour le porter le livre pour le lire

etc Ensuite ces causes se subdivisent en causes rationnelles pour qursquoon puisse assigner des raisons

singuliegraveres agrave chaque partie de lrsquoœuvre Achard propose lrsquoexemple de la maison qui a des causes

pour sa fondation son toit ses murs etc Voici sa conclusion

635 Voir laquoSi enim una cum opere et operis variatione transiret utriusque ratio post illaltmgt quidem non esset unde de illis quae rationabiliter facta sunt judicari posset quemadmodum et antequam fierent utrum rationabile esset ea fieri nequaquam videri potuisset Non enim nisi in rationibus suis hic de ipsis videri potuit in quibus et quando sint videri potest quia rationabilia sunt [hellip] Opera quidem ipsa quae uno tempore sunt rationabilia alio saepe sunt non rationabilia quia quae modo rationem habent modo ratione carent sed in eodem tempore quod ab alio fieri est ratio ab alio fieri non est ratio ut sit opus idem tempore etiam eodem apud alium rationabile apud alium irrationabile ut autem quod semel est ratio aliquando fiat non ratio vel e contrario de non ratione ratio ut etiam quae apud alium est ratio apud alium sit non ratio penitus est impossibile si rationabiliter intelligit utrumque raquo De unitate II 18 eacuted MARTINEAU p 188-190 636 Olivier Boulnois propose un exemple de ce genre de discours chez Pierre Abelard voir O BOULNOIS laquoLiberteacute causaliteacute modaliteacute Y a-t-il une preacutehistoire du principe de raison raquo dans Quaestio t 2 Causality 2002 p 322

238

laquo De mecircme aussi la raison eacuteternelle bien qursquoen soi elle soit une seule raison selon laquelle

toutes choses sont formeacutees nrsquoen est pas moins distingueacutee ainsi qursquoon lrsquoa montreacute plus haut

par lrsquoinfiniteacute des raisons formelles des choses qui adviennent ou peuvent advenir agrave cause

drsquoelle Quoi drsquoeacutetonnant alors si cette mecircme ltcausegt bien qursquoelle soit la cause geacuteneacuterale de

tout est pourtant distribueacutee par lrsquoinfiniteacute des raisons causales ou des causes rationnelles des

choses qui adviennent agrave cause drsquoelle637 raquo

Nous apprenons ainsi que les raisons causales et les causes rationnelles sont des synonymes

En deacutefinitive il existe la Cause geacuteneacuterale et les raisons causales Il est possible de trouver une cause

immeacutediate pour une œuvre ou pour sa partie

Achard repose la question de la relation des trois sortes de raisons eacuteternelles entre elles en II

19

laquo Bien que notre examen actuel srsquoattache aux raisons causales ce qui a eacuteteacute dit est pourtant

vrai non seulement des raisons causales mais aussi des autres En fait on comprend que nos

expressions elles-mecircmes embrassent aussi les autres raisons lorsque en effet agrave propos

drsquoune chose quelconque on dit qursquoil y a une raison qursquoelle advienne le nom de raison doit

ecirctre rapporteacute agrave parts eacutegales agrave toutes Car ce nrsquoest pas seulement la cause de faire mais aussi

la forme du fait lui-mecircme et le mode de son deacuteploiement qui est signifieacute par le nom de cause

rationnelle lorsque lrsquoon eacutenonce qursquoil existe une raison que quelque chose advienne Si en

effet lrsquoune quelconque de ces trois ltdeacuteterminationsgt nrsquoest pas rationnelle il nrsquoy aura plus

de raison que lrsquoœuvre elle-mecircme advienne Or la forme est dite et est rationnelle selon ce

genre dont nous avons largement traiteacute preacuteceacutedemment et le mode selon ce genre dont nous

traiterons par la suite En effet la forme est viseacutee comme rationnelle drsquoapregraves les raisons

formelles la cause drsquoapregraves les raisons causales le mode drsquoapregraves les raisons deacuteployantes ou

si lrsquoon peut dire modales Mais on ne dit pas de quelque chose qursquoil y a une raison qursquoelle

advienne parce que cela mecircme agrave savoir lrsquoadvenir de la chose mecircme serait la raison elle-

mecircme (cela en effet est temporel alors que la raison est eacuteternelle) mais parce qursquoil y a une

raison suivant laquelle et agrave cause de laquelle la chose peut et doit advenir638 raquo

637 laquo Similiter quoque et ratio aeterna cum ipsa in se sit una secundum quam formantur omnia per infinitas tamen ut superius monstratum est eorum quae propter ipsam fiunt vel fieri possunt formales distinguitur rationes Quid igitur mirum si ipsa eadem cum sit generalis omnium causa per infinitas tamen eorum quae propter ipsam fiunt causales distribuitur rationes sive causas rationabiles raquo De unitate II 18 eacuted MARTINEAU p 186-187 638 laquo Quamvis autem hoc loco circa causales intentio consistat rationes quae tamen dicta sunt non solum de causalibus sed de aliis quoque vera sunt rationibus Sed et ipsae locutiones alias etiam complecti intelliguntur rationes Cum enim de re qualibet dicitur quod ipsam fieri ratio est nomen rationis ad omnes pariter referendum est Non enim tantum causa faciendi sed et forma ipsius facti et modus facti explicandi ltnominegt rationaltbigtlis causae significatur cum ut quid fiat ratio esse pronuntiatur Si namque quodlibet de hiis tribus rationabile non fuerit nec ipsum opus jam fieri ratio erit Forma autem rationabilis dicitur esse et est ex eo genere rationum de quo supra satis egimus modus ex eo de quo post

239

Dans ce passage Achard confirme ce qursquoil a dit en I 39 il existe trois sortes de raisons

pour chaque chose De plus ces trois sortes de raisons sont toutes des causes rationnelles

En II 20 Achard preacutecise laquo bien que de telles raisons soient eacuteternelles nous consideacuterons

cependant aussi certaines drsquoentre elles drsquoapregraves ce qui nrsquoest pas eacuteternel639 raquo Crsquoest-agrave-dire il y a des

raisons causales qui deacutesignent des causes temporelles Ensuite il nous propose sa classification

Rationes causales

juxta ea quae tantum

facta

juxta ea quae modo aliquo praecedunt facienda

in solo est Deo id quod in alio

id quod est naturae aliae secundum id

quod est liberi

arbitrii id est

voluntatis bonae

sive malae

natura rerum juxta merita

voluntatum sive

etiam operum

causae finales originales naturales judiciales

De cette faccedilon Achard dit qursquoil existe quatre types de causes finales originelles naturelles

et judiciaires Et crsquoest seulement les causes finales qui laquo sont deacutesigneacutees drsquoapregraves ce qui est fait raquo et

les trois autres sortes de causes sont deacutesigneacutees laquo drsquoapregraves ce qui preacutecegravede en quelque faccedilon les choses

agrave faire raquo Les trois derniegraveres sortes de raisons ne sont pas eacuteternelles elles agissent pour chaque

chose concregravete mais cela ne les rend pas moins vraies

Les expressions ratio causalis et causa rationabilis ont eacuteteacute introduites en II 17-18 Achard y

promet de parler de la deuxiegraveme sorte de raisons les raisons finales De cette faccedilon ces notions

(ratio causalis et causa rationabilis) sont eacutegales agrave celle de raisons finales introduites en I 39 En II

20 Achard explique que les raisons causales englobent quatre sortes des raisons Il est probable

qursquoen II 20 Achard eacutelargit sa doctrine des causes

agemus Forma siquidem rationabilis esse secundum rationes attenditur formales causa secundum causales modus secundum explicatrices sive ut ita dictum sit modales Non autem ideo dicitur de re aliqua quod ipsam fieri est ratio quia idipsum id est ipsam rem fieri sit ratio ipsa id enim temporale est ratio autem aeterna sed quia ratio est secundum quam et propter quam fieri queat aut esse debeat raquo De unitate II 19 eacuted MARTINEAU p 190-193 639 laquoRationes vero hujusmodi licet aeternas attendimus tamen nonnulas secundum ea etiam quae non sunt aeterna raquo De unitate II 20 eacuted MARTINEAU p 192-193

240

Lrsquoexposeacute des raisons causales termine pratiquement le De unitate (il reste encore le chapitre

II 21) Comme on vient de le remarquer Achard a probablement modifieacute son projet initial et a

changeacute la doctrine des raisons finales Il a ajouteacute les raisons permettant de juger les œuvres de

diffeacuterents points de vue (causes originales naturelles et judiciaires)

Les raisons causales (ou les causes rationnelles) sont deacutetermineacutees par lrsquoutiliteacute rationnelle

drsquoune œuvre Chaque œuvre agrave sa cause rationnelle immeacutediate mais toutes se reacutefegraverent agrave Dieu en tant

que leur premiegravere Cause et Raison Les œuvres qui changent sont jugeacutees agrave un certain moment du

temps (modo) ce qui nrsquoest pas toujours correct par rapport agrave leur utiliteacute nunc (dans lrsquoeacuteterniteacute) La

raison causale est une notion plus large que la raison finale elle englobe aussi les autres causes qui

ne sont pas eacuteternelles (original naturelle et judicaire) Achard choisit eacutegalement un autre terme pour

juger des causes rationnelles la volonteacute divine Elle est toujours conforme agrave la justice

La doctrine du Verbe-logos fait une partie de la meacutetaphysique du De unitate Notamment

elle permet de deacutevelopper la doctrine des formes eacuteternelles et drsquoexpliquer comment elles sont en

Dieu Le Verbe est lrsquointellect de Dieu et la forme premiegravere Il contient les formes creacuteeacutees En ayant

deux natures creacuteeacutee et increacuteeacutee le Christ est la meacutetaphore parfaite pour expliquer les formes qui

existent in intellectu (la forme premiegravere et les formes creacuteeacutees ont la substance divine) et in actu (les

formeacutes imprimeacutees ont la substance sensible) En outre la doctrine du Verbe incarneacute est importante

pour lrsquoexplication du processus de la creacuteation Drsquoun cocircteacute les formes existaient avant la creacuteation

mateacuterielle et contenaient les prototypes des choses creacuteeacutees Drsquoun autre cocircteacute le Christ fait partie des

eacuteveacutenements de la preacutehistoire spirituelle

La ratio au sens de raison eacuteternelle est introduite pour la premiegravere fois dans le chapitre I 14

du De unitate comme une des pluraliteacutes existantes en Dieu Cette pluraliteacute est dans une personne

le Verbe qui est lrsquointellect de Dieu Cette doctrine sera deacuteveloppeacutee dans la partie consacreacutee aux

formes qui sont les prototypes intelligibles des choses

La raison eacuteternelle est deacutefinie par rapport agrave sa fonction elle cause lrsquoexistence drsquoune chose

temporelle Achard distingue trois sortes de raisons pour une chose causa forma et modus (finalis

formalis et explicatrix) La premiegravere explique pourquoi une chose (une œuvre) existe (le but de sa

creacuteation agrave un moment donneacute) La deuxiegraveme explique ce qursquoest une chose (ses caracteacuteristiques

perceptibles par lrsquointellect) Et la troisiegraveme explique comment la chose se deacuteveloppe avec le temps

La troisiegraveme sorte des raisons nrsquoest pas exposeacutee dans le De unitate Cependant Achard compte les

modes parmi les formes (I 43)

241

En posant les questions de la distinction et du nombre des raisons Achard introduit la

doctrine des attributs de Dieu A savoir la puissance qui correspond aux raisons deacuteployantes la

sagesse qui correspond aux raisons formelles et lrsquoindulgence (indulgentia) qui correspond aux

raisons finales En II 18 Achard introduit un autre attribut qui deacutefinit la distribution des causes ndash la

Volonteacute divines

Voici les attributs de Dieu par rapport aux sortes de raisons

Causa Forma Modi

Indulgentia Voluntas Sapientia Potentia

Pourtant ces attributs ne correspondent pas aux personnes de la Triniteacute Comme il a deacutejagrave eacuteteacute

dit les trois sortes de raisons se trouvent dans une personne divine ndash le Fils

Finalement en II 17 Achard deacutecrit les raisons causales (les causes rationnelles) Les causes

sont ordonneacutees selon cet ordre hieacuterarchique la Cause les causes des choses et les causes de leurs

parties La signification de cette sorte de raison est plus pratique crsquoest drsquoapregraves elles que les œuvres

sont jugeacutees rationnelles soit utiles

En II 20 Achard ajoute agrave la doctrine des trois sortes de raisons la doctrine des raisons

causales ou causes rationnelles Les causes rationnelles se divisent en causes finales (eacuteternelles)

originelles naturelles et judicaires (temporelles)

Ainsi la troisiegraveme faccedilon pour Dieu de se multiplier est de creacuteer la pluraliteacute des raisons dans

le Verbe Drsquoapregraves la tradition meacutedioplatonicienne le Verbe est lrsquointellect de Dieu qui contenait le

monde avant la creacuteation De cette maniegravere Dieu contient en lui la multipliciteacute ndash les choses qui

seront creacuteeacutees ndash et il provient dans le monde sans se changer Cette doctrine a eacuteteacute bien transmise par

Augustin et Erigegravene dans leurs commentaires sur lrsquoEvangile selon saint Jean Elle a sucircrement

inspireacute Achard en sorte qursquoil dise qursquoil existe une pluraliteacute des raisons dans une seule personne

Achard reprend de cette tradition eacutegalement les eacuteleacutements suivants

- le monde multiple eacutetait drsquoabord contenu dans le Fils

- il existe une hieacuterarchie des raisons

La maniegravere de diviser les raisons drsquoapregraves leurs fonctions provient apparemment drsquoAristote

Elle a eacuteteacute transmise agrave travers les textes de Seacutenegraveque et de Boegravece mais aussi dans sa forme

preacutepositionnelle chez Augustin et Erigegravene Thierry de Chartres le contemporain drsquoAchard liste les

quatre causes de la creacuteation du mode (efficiens formalis finalis materialis) dans son traiteacute De sex

242

dierum operibus640 Son confregravere Guillaume de Conches unit les trois attributs (Puissance Sagesse

et Bonteacute) avec les trois causes (efficiente formelle et finale) La quatriegraveme cause est la matiegravere ou

la substance641

La liste des raisons proposeacutee par Achard (finales formales explicatrices) ne se reacutepegravete pas

ailleurs Crsquoest la preacutesence de la raison explicatrix qui la rend unique Les preacutepositions des raisons

(propter secundum et per) apparaissent respectivement chez Seacutenegraveque Augustin et Erigegravene mais

jamais ensemble

Nous allons eacutetudier les raisons formelles dans le chapitre suivant

Lrsquoexpression ratio causalis a eacuteteacute deacutejagrave utiliseacutee par Augustin En II 3 et II 18 Achard reprend

cette expression mais sa deacutefinition des raisons causales ou des causes rationnelles (la cause pour

laquelle quelque chose est fait) ne correspond pas agrave celle drsquoAugustin (la cause qui fait que les

choses se deacuteveloppent successivement) Nous croyons qursquoAchard a eacuteteacute plutocirct influenceacute par la

doctrine geacuteneacuterale de causaliteacute du Timeacutee Martineau note qursquoen II 17 Achard cite le Timeacutee (28a)

traduit par Calcidius642 Lrsquoinfluence de cette œuvre est vue agrave notre avis aussi en II 19 quand

Achard dit que toutes les causes sont rationnelles

Les raisons deacuteployantes (explicatrices) ne sont mecircme pas exposeacutees et il nrsquoest pas possible

pour lrsquoinstant drsquoeacutetablir lrsquoorigine du nom de cette sorte de raisons Emmanuel Martineau trouve que

le concept de raison deacuteployante provient des raisons seacuteminales drsquoAugustin et que le terme nous a

eacuteteacute emprunteacute au texte grec de lrsquoEpitre aux Romain X 34643 Il rejette la version drsquoorigine

calcidienne (Commentarium 176 et 152) Calcidius quant agrave lui utilise le terme nous (laquo quem noyn

Graeci uocant raquo) pour expliquer le deuxiegraveme Dieu qui provient agrave partir du premier et qui est son

intellect ou la providence644 Il nous semble probable qursquoAchard a utiliseacute la transcription noin du

mot calcidien noyn

640 laquo Mundane igitur substantie causae sint quator efficiens ut deus formalis ut dei sapientia finalis ut eiusdem benignitas materialis quatuor elementa raquo Thierry de Chartres De sex dierum operibus ed HAumlRING p 555 641 laquo Notantur autem quatuor in principio principales causae efficiens id est creator formalis ipsius sapientia finalis eiusdem bonitas materialis quatuor elementa raquo GUILLAUME DE CONCHES In Consolationem metrum 9 dans Opera omnia t II Glosae super Boetium eacuted L NAUTA Turnhout 1999 (CCCM 158) p 145 laquo Ostendit Philosophia hucusque diuinam potentiam quae est efficiens causa mundi et ipsius sapientiam quae est formalis eiusdem que bonitatem quae est finalis raquo ibid p 169 laquo Et ut eum perpetuitati propaget quatuor illius causas scilicet efficientem formalem finalem materialem ostendit ut ex talibus causis quiddam perpetuum posse creari manifestet Et est efficiens causa diuina essentia formalis diuina sapientia finalis diuina bonitas materialis quatuor elementa raquo GUILLAUME DE CONCHES Opera omnia t III Glosae super Platonem XXXII ed E JEAUNEAU Turnhout 2006 (CCCM 203) p 60-61 642 ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted EMARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 183 II 17 note 2 643 E MARTINEAU laquo Eclarissment III Les causes efficientes et leur deacutenominations latine et grecque raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 212-214 644 P DRONKE The spell of Calcidius platonic concepts and images in the medieval West Firenze 2008 p 24

243

Cette raison srsquoappelle aussi lrsquoart de Dieu Lrsquoart de Dieu est sa Sagesse drsquoapregraves Augustin (In

Iohannis Evangelium tr I 17) et Erigegravene (Periphyseon III) Erigegravene mecircme dit qursquoil est une cause

per hoc

Achard est le seul penseur qui unit la doctrine des trois sortes de raisons avec la doctrine des

attributs de Dieu Les attributs qursquoil deacutecrit ressemblent agrave ceux drsquoHugues de Saint-Victor Le sujet de

lrsquoeacutequilibre des attributs a eacuteteacute introduit briegravevement par Hugues et Richard En effet la raison

explicatrix drsquoAchard fait penser au fait que chez Hugues de Saint-Victor la puissance de Dieu

deacuteploie (explicat) les causes primordiales (Sententiae de divinitate Pars 2 77-89 De

sacramentis (I II XXII) Ces aspects de la doctrine des raisons sont communs pour Achard

Hugues et Richard

La question de savoir si Dieu peut faire ce qui contredit aux lois qursquoil a eacutetablies a eacuteteacute reposeacutee

plus tard par Hugues de Saint-Cher Thomas drsquoAquin Henri de Gand etc Il srsquoagit drsquoune discussion

agrave propos de la puissance absolue et conditionneacutee (Hugues de Saint-Cher) ou absolue et ordonneacutee

(Duns Scot)645

La deuxiegraveme doctrine de la causaliteacute drsquoAchard (celle du chapitre II 20) semble ne pas avoir

de modegraveles directs Mecircme si chaque cause ou raison prise seacutepareacutement peut trouver son analogue

dans les eacutecrits qui preacuteceacutedent Achard646 les deacutefinitions exactes de ces causes donneacutees dans le De

unitate et mecircme cette liste des causes nrsquoont pas de correspondances directes

645O BOULNOIS laquo Introduction Ce que Dieu ne peut pas raquo dans La puissance et son ombre De Pierre Lombard agrave Luther eacuted O BOULNOIS Paris 1994 p 53-57 646 La cause originelle chez Augustin De Trinitate III 8 13 dont lrsquooccurrence a eacuteteacute repeacutereacutee par Emmanuel Martineau voir ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 193 I 20 note 3 la cause naturelle chez Ciceacuteron De fato et Seacutenegraveque Naturales quaestiones etc la cause judiciare dans le vocabulaire de la rheacutetorique judiciare ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted J CHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age XVII) Sermo XIV p 192 note 14 et la cause finale comme nous lrsquoavons deacutejagrave deacutemontreacute chez Aristote et Seacutenegraveque

244

Conclusion

Nous avons eacutetudieacute les voies de lrsquoapparition de la multipliciteacute en Dieu selon Achard de Saint-

Victor Sa formule trinitaire (lrsquoUniteacute Ce qui lui est eacutegal et lrsquoEgaliteacute) apparaicirct suite agrave lrsquoemploi du

principe de la participation agrave Dieu Ce principe provient de lrsquoassociation de deux eacuteleacutements

- la doctrine aristoteacutelicienne de la preacutedication intra- et extra-cateacutegorielle

- la doctrine platonicienne selon laquelle les creacuteatures ont leurs prototypes en Dieu Ces

prototypes sont leurs exemplaires et les sources de lrsquoexistence des creacuteatures

Par conseacutequent Achard enseigne que les ecirctres uns dans le monde participent agrave lrsquouniteacute en

Dieu (crsquoest la preacutedication extra-cateacutegorielle) et que les personnes divines (lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute) sont

identiques (dans ce cas la participation que nous expliquons comme preacutedication intra-cateacutegorielle

devient lrsquoidentiteacute) De cette faccedilon la premiegravere multipliciteacute en Dieu est logique et non ontologique

Les deux attributs de Dieu ndash lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute ndash sont drsquoapregraves Achard les personnes Cela nous

permet drsquoappeler cette pluraliteacute les pluraliteacutes des attributs

La procession des deux personnes agrave partir de la premiegravere fait penser agrave la procession qui a

lieu dans le neacuteoplatonisme entre la source et les deacuteriveacutes La perfection de la source fait proceacuteder les

hypostases Achard nrsquoadopte pas cette doctrine La deuxiegraveme personne apparaicirct en Dieu car la

pluraliteacute existe neacutecessairement dans lrsquouniteacute premiegravere (I 1 et 25) Achard accepte la procession des

personnes dans la Triniteacute mais il souligne que la procession srsquoarrecircte agrave la troisiegraveme personne Le fait

que les personnes sont diffeacuterentes gracircce agrave leurs qualiteacutes distinctives creacutee une autre pluraliteacute en Dieu

ndash la pluraliteacute des proprieacuteteacutes Les relations entre les personnes de la Triniteacute sont des exemplaires ndash

des prototypes ndash des relations dans le monde creacuteeacute mais les personnes ne sont pas les sources des

ecirctres Dieu est distinct drsquoune creacuteature il est sa cause exemplaire

La troisiegraveme pluraliteacute en Dieu est la pluraliteacute des raisons dans une seule personne ndash le Verbe

Ces raisons sont distingueacutees non seulement quantitativement (selon les ecirctres creacuteeacutes) mais aussi

qualitativement (trois sortes de raisons pour chaque ecirctre finales formelles et deacuteployantes) Cette

doctrine est lieacutee agrave celle de la creacuteation du monde Dieu a eu les raisons dans son Verbe avant de creacuteer

les ecirctres dans le monde selon ces raisons Cette doctrine incorpore aussi celle de la hieacuterarchie

platonicienne il existe la premiegravere raison (Forme ou Cause) et les raisons qui proviennent agrave partir

drsquoelle Les raisons sont distingueacutees aussi gracircce aux trois attributs de Dieu ce qui est une doctrine

theacuteologique majeure de lrsquoeacutepoque Dans le cas drsquoAchard ces attributs sont la Puissance (les raisons

deacuteployantes) la Sagesse (formelles) et la Volonteacute (ou lrsquoindulgence finales)

Les eacuteleacutements de la doctrine drsquoAchard pouvaient ecirctre inspireacutes par les doctrines des penseurs

tardo-antiques et contemporains Dans le cas des doctrines de la participation et des raisons dans le

Verbe lrsquoinspiration tardo-antique est plus preacutesente dans les cas des doctrines de la procession

245

(notamment lrsquoimpossibiliteacute de la procession de quatriegraveme personne) ou des attributs de Dieu

lrsquoinfluence de Saint-Victor est plus claire

Nous avons montreacute que les doctrines platoniciennes de la participation et de la multipliciteacute

des raisons dans le Verbe ont eacuteteacute transmises par Augustin et Erigegravene La doctrine des causes des

ecirctres a eacuteteacute transmise par plusieurs penseurs diffeacuterents dont notamment Seacutenegraveque Calcidius

Augustin Erigegravene et Hugues de Saint-Victor

246

Troisiegraveme partie

La pluraliteacute dans les creacuteatures

247

Introduction

Dans la troisiegraveme partie nous allons continuer agrave eacutetudier le platonisme du XIIe siegravecle mais

notre attention se portera vers un niveau plus bas dans la hieacuterarchie des ecirctres Le sujet de cette partie

est la relation entre les uniteacutes intelligibles et les ecirctres sensibles Selon la doctrine platonicienne

Dieu connaicirct le monde Les uniteacutes intelligibles sont les moyens de cette connaissance et les ecirctres

sensibles les objets Nous allons nous demander quelles sont les doctrines et les questions qui

srsquoappliquent agrave ce niveau de la hieacuterarchie

Nous poursuivrons lrsquoeacutetude de cette question comment lrsquouniteacute et la pluraliteacute coexistent-

elles La deacutefinition de lrsquouniteacute dans ce cas srsquoappuie sur la question de lrsquoidentiteacute ou de la similitude

entre les objets et la pluraliteacute sur la multiplication des prototypes Nous verrons comment Achard

deacutefinit ces principes en deacuteveloppant les scheacutemas platoniciens de procession des ecirctres agrave partir de

Dieu

Le fil rouge de notre reacutecit est le problegraveme de lrsquoidentiteacute Il srsquoagit drsquoeacutetablir la similitude entre

lrsquouniteacute-prototype et lrsquouniteacute-copie mais aussi de deacutefinir ce qui rend chaque objet unique

Achard consacre la plus grande partie du De unitate agrave lrsquoeacutetude des formes Voilagrave pourquoi le

chapitre VIII sera consacreacute agrave la doctrine des formes chez Achard et ses preacutedeacutecesseurs Nous allons

eacutetablir quelles notions (ideacutees formes espegraveces etc) ont eacuteteacute consideacutereacutees comme les uniteacutes

intelligibles par les platoniciens tardo-antiques et alto-meacutedieacutevaux et quels traits distinctifs de ces

notions Achard incorpore dans sa doctrine des formes Achard utilise la notion de la forme

premiegravere Cela permet de supposer qursquoil deacuteveloppe la doctrine de la hieacuterarchie des uniteacutes

intelligibles Nous allons eacutetudier les diffeacuterentes versions de cette doctrine qui ont eacuteteacute eacutetablies avant

Achard pour comprendre quelle est la particulariteacute de sa doctrine et drsquoougrave il pouvait tirer son

inspiration La derniegravere question que nous allons eacutetudier dans le chapitre VIII est la varieacuteteacute des

formes chez Achard Aristote deacutecrit une chose individuelle agrave travers des notions geacuteneacuterales Voilagrave

pourquoi notre premier pas vers la deacutefinition de lrsquoidentiteacute des choses est drsquoeacutetablir srsquoil existe des

formes individuelles et geacuteneacuterales dans la doctrine drsquoAchard

Apregraves avoir eacutetabli la preacutesence de la hieacuterarchie des formes chez Achard nous allons eacutetudier la

relation entre les diffeacuterents niveaux de cette hieacuterarchie dans le chapitre IX Pour expliquer cette

relation Achard introduit le couple in intellectuin actu qui deacutesigne deux niveaux des ecirctres Nous

allons examiner lrsquoorigine possible du nom de ce couple (intellectus et actus) et de son sens (la

distinction de deux niveaux chez les auteurs tardo-antiques) Cela megravenera agrave deacutefinir la modaliteacute de

cette distinction chez Achard agrave savoir eacutetablir srsquoil srsquoagit de la doctrine de la connaissance ou de

lrsquoecirctre Ensuite la relation entre les diffeacuterents niveaux de la hieacuterarchie sera analyseacutee Nous allons

nous demander quelles sont les similitudes et les distinctions entre les uniteacutes agrave ces niveaux et

248

comment le couple terminologique in intellectuin actu sert agrave les expliquer Lrsquoidentiteacute en question

dans ce chapitre est celle qui apparaicirct entre les modegraveles et les copies dans les systegravemes platoniciens

Les formules drsquoidentiteacute deacuteveloppeacutees par les philosophes anciens seront compareacutees avec celle

drsquoAchard de Saint-Victor

Le chapitre X est consacreacute au monde sensible Il nrsquoeacutetait jamais prioritaire pour les penseurs

chreacutetiens Dieu ndash un ecirctre par excellence ndash a un caractegravere non sensible Tous les savoirs agrave propos du

monde sont aussi intelligibles En mecircme temps les philosophes antiques ont parleacute de Dieu et de la

matiegravere comme de deux principes distincts Platon deacutecrit le monde du devenir qui consiste en la

matiegravere et en des ideacutees Dans la philosophie chreacutetienne le monde creacuteeacute a une nature diffeacuterente de

Dieu Les penseurs chreacutetiens ont par conseacutequent un deacutefi expliquer comment Dieu pouvait creacuteer le

monde qui a une nature qui lui est diffeacuterente Ainsi apregraves avoir exposeacute dans les chapitre VIII et IX

la maniegravere dont le monde est vu par Dieu et par lrsquohomme dans le chapitre X nous examinerons la

question quels sont les ecirctres dans le monde Une eacutetude de la doctrine de la forme peut creacuteer

lrsquoimpression qursquoil nrsquoy a rien dans le monde sauf des formes et que les choses sont eacutegales aux idos

(des formes dans la matiegravere) Dans le chapitre X cette conclusion sera mise en question Nous

allons eacutetudier les notions qui ont eacuteteacute utiliseacutees pour deacutecrire le monde sensible par les penseurs

anteacuterieurs au XIIe siegravecle et par les victorins essence substance corps matiegravere etc La difficulteacute de

notre travail consiste dans le fait que la vision du monde sensible chez les platoniciens est un sujet

assez mal eacutetudieacute Pourtant nous croyons que cette eacutetude est indispensable pour comprendre

comment Achard de Saint-Victor accepte lrsquoheacuteritage des platoniciens et notamment pour eacutetablir sa

reacuteponse agrave la question de lrsquoidentiteacute Lrsquoeacutetude du monde sensible nous permettra de poser enfin la

question de lrsquoidentiteacute des ecirctres dans les changements et de comprendre quels eacuteleacutements de lrsquoecirctre

changent et lesquels restent identiques

249

CHAPITRE VIII

La forma

Voici les questions qui ont eacuteteacute poseacutees par rapport agrave la doctrine de la forme du De unitate

- Qursquoest-ce que la forme (dans le cadre de quelle doctrine Achard la deacutefinit-elle )

- Est-ce qursquoil existe une hieacuterarchie des formes

- Quelles uniteacutes intelligibles y-t-il parmi les formes

Comme nous allons le montrer la forma est une notion qui croise le champ seacutemantique de

plusieurs autres notions Par conseacutequent ce chapitre va porter majoritairement sur lrsquoeacutetude de cas

drsquoemploi du mot forma et sur des notions qui lui ressemblent chez des penseurs tardo-antiques et

meacutedieacutevaux La question de la hieacuterarchie a eacuteteacute deacutejagrave partiellement eacutetudieacutee dans le chapitre V

laquo Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu raquo Nous avons montreacute comment la distinction de deux niveaux des

ecirctres arrive jusqursquoau XIIe siegravecle Nous avons aussi eacutetudieacute la doctrine du Verbe qui est la premiegravere

uniteacute intelligible dans le chapitre VII laquo La pluraliteacute des raisons dans le Verbe raquo Deacutesormais le

centre de notre inteacuterecirct va se deacuteplacer vers les niveaux moyens de la hieacuterarchie meacutetaphysique Dans

ce chapitre nous allons eacutetudier les uniteacutes intelligibles qui unissent la premiegravere uniteacute et les ecirctres

sensibles pour voir quelles elles sont et comment elles deacutecrivent la reacutealiteacute

VIII1 La notion de forma dans la philosophie tardo-antique latine

Le terme forma est apparu dans lrsquoancienne philosophie latine pour traduire les termes grecs

eidos idea et morphe qui se trouvaient chez deux philosophes majeurs Platon et Aristote647

Platon propose la theacuteorie des ideacutees en tant que prototypes et raisons des choses qui existent

dans le monde (livre VII de La Reacutepublique) Les ideacutees sont imposeacutees dans le reacuteceptacle (la matiegravere

pure) pour creacuteer des choses Les ideacutees dans les choses sont les idos

Aristote deacuteveloppe une doctrine selon laquelle chaque chose a quatre causes (Physique II 3

194b23-195a 2 II 7 198a14-22) Lrsquoune de ces causes est la forme (morphe livre V de La

Meacutetaphysique)

Une autre doctrine qui a influenceacute le deacuteveloppement de la notion de forme au Moyen Age

est la doctrine des deux substances drsquoAristote (Cateacutegories 1a 20ndash1b8) La substance premiegravere est

647 laquo Forme raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 451

250

la reacutealiteacute concregravete drsquoune chose et la substance seconde est son concept Aristote deacutecrit eacutegalement

neuf accidents La substance premiegravere (la chose concregravete) est expliqueacutee comme lrsquounion de la

substance seconde et des accidents La chose change quand la substance seconde change648 Les

substances et les accidents seront compris aussi comme des formes

Voyons comment la notion de forme a acquis tous ces sens agrave travers lrsquohistoire de la penseacutee

VIII11 La deacutefinition de la forme

Lrsquoun des premiers teacutemoignages de lrsquoemploi du terme forma se trouve chez Ciceacuteron (Orator

III 9-10)

laquo De mecircme donc que dans les formes et les figures il y a quelque chose de parfait et

drsquoexcellent que nous ne voyons qursquoen imagination et agrave quoi nous nous reacutefeacuterons pour imiter

ce dont le propre est drsquoeacutechapper agrave notre regard de mecircme il y a une image de lrsquoeacuteloquence

parfaite que nous voyons en esprit et dont nos oreilles attendent le reflet Ce sont ces

modegraveles des choses qursquoappelle laquo ideacutees raquo le garant et le maicirctre le plus profond non seulement

de la speacuteculation intellectuelle mais aussi de lrsquoexpression Platon il dit qursquoelles ne sont pas

engendreacutees mais eacuteternelles et qursquoelles reacutesident dans notre raison et notre intelligence les

autres choses naissent meurent srsquoeacutecoulent et passent et ne restent pas longtemps dans un

seul et mecircme eacutetat649 raquo

Les formes de Ciceacuteron correspondent aux ideacutees de Platon Ciceacuteron oppose les formes qui

sont eacuteternelles au reste qui naicirct et peacuterit De cette maniegravere Ciceacuteron transmet le dualisme de Platon

En mecircme temps les formes sont des notions accessibles agrave notre connaissance650

Seacutenegraveque emploie la notion de forme dans ses Lettres Il traduit le mot aristoteacutelicien morphe

par le mot forma et il reprend les notions platoniciennes idea et idos Dans la Lettre LVIII il deacutefinit

lrsquoidos en tant que laquo la forme prise au modegravele et passeacutee dans lrsquoœuvre651 raquo Dans la Lettre LXV (4-5)

648 Cf SPADE PV laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p 19-22 649 laquoVt igitur in formis et figuris est aliquid perfectum et excellens cuius ad cogitatam speciem imitando referuntur ea quae sub oculos ipsa non cadunt sic perfectae eloquentiae speciem animo videmus effigiem auribus quaerimus Has rerum formas appellat lsquoιδέας ille non intellegendi solum sed etiam dicendi gravissimus auctor et magister Plato easque gigni negat et ait semper esse ac ratione et intellegentia contineri cetera nasci occidere fluere labi nec diutius esse uno et eodem statu raquo CICERON De oratore eacuted et trad A YON Paris 1964 p 4 650 A propos de la doctrine de forma chez Ciceacuteron voir S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol I Notre Dame 1986 p 145-154 651 laquo forma ab exemplari sumpta et operi inposita raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LVIII eacuted PRECHAC trad NOBLOT p 77

251

Seacutenegraveque expose deux doctrines celle de Platon et celle drsquoAristote Il eacutenumegravere les quatre causes

drsquoAristote (matiegravere ouvrier forme et fin) La forme pour lui est un idos652

Une fois Seacutenegraveque emploie aussi le terme forma au sens de lrsquoideacutee (LVIII 27)

laquo Admirons planant au plus haut de lrsquoespace les formes ideacuteales de toutes choses un Dieu

seacutejournant au milieu de ces ecirctres653 raquo

De cette faccedilon la forme a une double signification dans les Lettres de Seacutenegraveque lrsquoideacutee et

lrsquoidos Il transmit aussi la vision drsquoAristote drsquoune forme en tant que cause

Ainsi deux auteurs latinsndash Ciceacuteron et Seacutenegraveque ndash reprennent la doctrine de Platon Ils disent

qursquoil existe deux niveaux ndash les ideacutees et les ecirctres muables (agrave ces derniers correspondent les idos) Les

uniteacutes seacutejournant aux deux niveaux ont des qualiteacutes diffeacuterentes et cependant les ideacutees sont les

prototypes des idos Selon Ciceacuteron la forme correspond agrave lrsquoideacutee et selon Seacutenegraveque la forme

correspond plutocirct agrave lrsquoidos

Un autre parallegravele entre la doctrine platonicienne et la notion de forme se trouve chez un

repreacutesentant du meacutedioplatonisme Apuleacutee (Platon et sa doctrine VI 192-3)

laquo Quant aux laquo ideacutees raquo crsquoest-agrave-dire aux formes de toutes choses elles sont simples et

eacuteternelles sans drsquoailleurs ecirctre corporelles crsquoest dans leur nombre que Dieu a choisi les

modegraveles des choses preacutesentes et futures on ne peut trouver dans ces archeacutetypes plus drsquoune

seule image de chaque espegravece et tout ce qui naicirct a comme la cire sa forme et sa figure

marqueacutees par cette empreinte des modegraveles654 raquo

Ainsi les formes sont les ideacutees et les modegraveles (exempla) des choses Dieu opegravere par ces

ideacutees Il existe seulement une forme archeacutetype pour chaque espegravece De cette maniegravere Apuleacutee pose

la question du nombre des prototypes par rapport aux choses

652 laquo lsquoTertia est forma quae unicuique operi inponitur tamquam statuaersquo nam hanc Aristoteles idos uocat raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LXV eacuted PRECHAC p 107 653 laquo Miremur in sublimi uolitantes rerum omnium formas deumque inter illa uersantem raquo Ibid LVIII eacuted PRECHAC trad NOBLOT p 79 654 laquo Ἰδέας vero id est formas omnium simplices et aeternas esse nec corporales tamen esse autem ex his quae deus sumpserit exempla rerum quae sunt eruntve nec posse amplius quam singularum specierum singulas imagines in exemplaribus inveniri gignentium que omnium ad instar cerae formas et figurationes ex illa exemplorum impressione signari raquo APULEUS De philosophia libri eacuted C MORESCHINI Stuttgart- Leipzig 1991 (Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana) p 93 trad APULEE Platon et sa doctrine dans APULEE Opuscules philosophiques eacuted trad et notes J BEAUJEU Paris France 1973 p 65

252

La notion de forma a aussi eacuteteacute accepteacutee par Augustin Dans son De ideis il dit que la

traduction litteacuteraire du mot idea serait forma bien qursquoil preacutefegravere le terme ratio Les ideacutees drsquoapregraves lui

sont les laquo formes principales raquo des choses655

Augustin explique aussi pourquoi les choses sont formeacutees (De libero arbitrio II XVII 45)

laquo En effet tout ecirctre muable est aussi neacutecessairement formable car de mecircme que nous

disons muable ce qui est susceptible drsquoune mutation de mecircme jrsquoappellerais formable tout ce

qui est susceptible drsquoune formation Or rien ne peut se former soi-mecircme parce que rien ne

peut donner ce qursquoil nrsquoa pas et assureacutement crsquoest pour avoir une forme qursquoun ecirctre est

formeacute656 raquo

Augustin explique le changement dans le monde gracircce agrave la formation Changer pour une

chose consiste agrave recevoir une nouvelle forme La chose ne peut pas se former elle-mecircme car elle ne

peut se donner la forme qursquoelle nrsquoa pas Elle reccediloit donc sa nouvelle forme agrave partir drsquoune forme

eacuteternelle Les formes eacuteternelles se superposent sur des reacuteceptacles qui existent dans le monde creacuteeacute

Dans le cas du changement deacutecrit par Augustin le reacuteceptacle a deacutejagrave une forme agrave laquelle se

superpose une autre

Dans les autres œuvres drsquoAugustin la forme est employeacutee dans le cadre de doctrines

theacuteologiques diffeacuterentes (par exemple lrsquoincarnation dans le De Trinitate I VII 14 la forme de

Dieu et la forme drsquoun esclave en reprenant le vocabulaire de saint Paul dans ses traductions latines

Philip 26)

Dans le livre XV du De Trinitate (VIII 14) Augustin parle de la transformation de la nature

(forme) humaine gracircce agrave Dieu

laquo Nous passerons drsquoune forme agrave une autre de la forme obscure agrave la forme lumineuse Car la

forme obscure est deacutejagrave image de Dieu et par lagrave mecircme sa gloire forme dans laquelle nous

avons eacuteteacute creacuteeacutes hommes supeacuterieurs aux autres animaux Crsquoest de la nature humaine que ces

paroles sont dites lsquoLrsquohomme ne doit pas se voiler la face eacutetant donneacute qursquoil est lrsquoimage de

la gloire de Dieursquo Cette nature la plus noble parmi les choses creacuteeacutees une fois purifieacutee de

655 laquo Ideas igitur Latine possumus vel formas vel species dicere ut verbum e verbo transferre videamur Si autem rationes eas vocemus ab interpretandi quidem proprietate discedimus ndash rationes enim Graece logoi appellantur non ideae ndash sed tamen quisquis hoc vocabulo uti voluerit a re ipsa non abhorrebit Sunt namque ideae principales quaedam formae vel rationes rerum stabiles atque incommutabiles quae ipsae formatae non sunt ac per hoc aeternae ac semper eodem modo sese habentes quae divina intellegentia continentur raquo AUGUSTIN De diversis quaestionibus octoginta tribus qu 46 eacuted MUTZENBECHER p71 656 laquo Omnis enim res mutabilis etiam formabilis sit necesse est Sicut autem mutabile dicimus quod mutari potest ita formabile quod formari potest appellauerim Nulla autem res formare se ipsam potest quia nulla res potest dare quod non habet et utique ut habeat formam formatur aliquid raquo AUGUSTIN De libero arbitrio II XVII 45 eacuted GREEN p 257 trad AUGUSTIN Dialogues philosophiques III introd trad et notes par G MADEC Paris 1976 (BA 6) p 359

253

son impieacuteteacute par son Creacuteateur quitte sa forme deacuteformeacutee (deformis forma) pour devenir une

forme belle en quelque sorte fidegravele agrave elle-mecircme (forma formosa)657 raquo

Par la forme Augustin comprend une nature en lrsquooccurrence humaine qui est susceptible

drsquoecirctre purifieacutee Cette nature passe de lrsquoeacutetat difforme agrave lrsquoeacutetat formeacute voir mecircme laquo beau raquo (formosa)

en srsquoapprochant de Dieu Elle se forme selon la forme qui est le Verbe

Ainsi dans cette doctrine Augustin utilise deux applications de la notion forma la nature

humaine et le Verbe de Dieu La derniegravere forme est plus haute et parfaite et elle sert en tant

qursquoexemple agrave la premiegravere

Augustin propose aussi la doctrine de la conversion ndash le retour spirituel de lrsquohomme vers

Dieu gracircce agrave la formation (De Gen ad litt I IV 9) Cette formation est possible car la creacuteature

imite la forme du Verbe (Fils de Dieu) Selon Aimeacute Solignac cette doctrine doit son origine agrave la

doctrine de lrsquoascension de Plotin 658

Dans le De ideis Augustin accepte la doctrine platonicienne Dans ces autres œuvres il

emploie la forme au sens aristoteacutelicien une forme peut remplacer une autre forme ce qui implique

le changement drsquoune chose Augustin introduit dans ses textes les deux aspects de la signification de

la forme ndash la forme supeacuterieure (le Verbe) et les formes qui influencent les choses

La notion de forma a eacutegalement eacuteteacute employeacute par Boegravece Voir le De Trinitate II

laquo Et de fait tout ecirctre est agrave partir drsquoune forme La statue en effet est dite effigie de lrsquoanimal

non pas selon lrsquoairain parce qursquo (il est sa) matiegravere mais selon la forme qui en est

distinctive et lrsquoairain lui-mecircme nrsquoest pas dit selon la terre parce qursquo (elle est) sa matiegravere

mais selon la figure de lrsquoairain La terre elle-mecircme non plus nrsquoest pas dit kata ten hylen

mais selon la sicciteacute et la graviteacute qui sont des formes Rien par conseacutequent nrsquoest dit selon

la matiegravere mais (tout est dit) selon la forme propre659 raquo

657 laquo De forma in formam mutamur atque transimus de forma obscura in formam lucidam quia et ipsa obscura imago dei est et si imago profecto etiam et gloria in qua homines creati sumus praestantes ceteris animalibus De ipsa quippe natura humana dictum est Vir quidem non debet uelare caput cum sit imago et gloria dei Quae natura in rebus creatis excellentissima cum a suo creatore ab impietate iustificatur a deformi forma formosam transformatur in formam raquo AUGUSTIN De Trinitate XV VIII 14 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 478 trad P AGAEumlSSE et J MOINGT p 459 (trad modifieacutee I LYSTOPAD) 658A SOULIGNAC laquo Conversion et formation raquo dans AUGUSTIN Confessions eacuted M SKUTELLA introd et notes A SOULIGNAC trad E TREacuteHOREL et G BOUISSOU Paris 1962 (BA 14) p 614-615 659laquo Omne namque esse ex forma est Statua enim non secundum aes quod est materia sed secundum formam qua in eo insignita est effigies animalis dicitur ipsumque aes non secundum terram quod est eius materia sed dicitur secundum aeris figuram Terra quoque ipsa non lsquo kata ten hylenrsquo dicitur sed secundum siccitatem gravitatemque quae sunt formae Nihil igitur secundum materiam esse dicitur sed secundum propriam formam raquo BOECE De Trinitate 2 dans De consolatione philosophiae Opuclusa theologica eacuted C MORESCHINI Munich-Leipzig 2005 (Biblioteca teubneriana) p 169-170 trad BOECE Opuscula Sacra trad A GALONNIER tII Louvain-Paris 2013 p 138-141

254

Boegravece considegravere les ecirctres comme eacutetant constitueacutes de matiegravere et de forme La forme est un

eacuteleacutement principal elle deacutefinit ce qursquoest la chose La connaissance est possible gracircce aux formes et

non agrave la matiegravere Plus loin il ajoute

laquo Seulement la substance divine est une forme sans matiegravere et pour cela elle est aussi

quelque chose drsquoun et est ce qursquoil est [hellip] Il ne peut effectivement pas ecirctre rendu sous-

jacent en effet il est forme et les formes ne peuvent ecirctre sous-jacentes Crsquoest un fait que

drsquoautres formes sont sous-jacentes agrave des accidents comme lrsquohumaniteacute qui ne reccediloit pas

vraiment drsquoaccidents en ce qursquoelle est elle-mecircme mais en ce que la matiegravere lui est sous-

jacente en effet au moment ougrave la matiegravere sous-jacente agrave lrsquohumaniteacute reccediloit un accident

quelconque lrsquohumaniteacute elle-mecircme paraicirct le recevoir Tandis que la forme qui est sans

matiegravere ne pourra ecirctre quelque chose de sous-jacent ni mecircme inheacuterer agrave la matiegravere sans

quoi en effet elle ne serait plus forme mais image Crsquoest effectivement de ces formes-ci qui

sont exemptes de matiegravere que proviennent ces formes-lagrave qui sont dans la matiegravere et

produisent le corps Car nous abusons en appelant formes celles qui sont dans les corps

alors qursquoelles sont des images660 raquo

Les formes pour Boegravece sont la forme qui est Dieu et les formes seacutepareacutees de la matiegravere

(lrsquohumaniteacute la graviteacute etc) Les formes dans la matiegravere sont des images et non de vraies formes

Le fait que Dieu est la forme implique qursquoil soit un car la forme seacutepareacutee de la matiegravere

nrsquoaccepte pas drsquoaccidents et Boegravece adopte la doctrine de lrsquoindividuation des ecirctres agrave travers les

accidents Dans le De Trinitate Boegravece dit que la matiegravere reccediloit des formes De cette faccedilon il suit la

doctrine de Platon661

Dans le De hebdomadibus Boegravece associe la forme avec lrsquoecirctre (esse) en le distinguant de ce

qui est (id quod est)662 De cette maniegravere la forme est comprise comme une source veacuteritable de

lrsquoecirctre de la chose

Voici lrsquoemploi de la notion de forma dans le De diuisione

660 laquo Sed divina substantia sine materia forma est atque ideo unum est et est id quod est [hellip] Neque enim subiectum fieri potest forma enim est formae vero subiectae esse non possunt Nam quod ceterae formae subiectae accidentibus sunt ut humanitas non ita accidentia suscipit eo quod ipsa est sed eo quod materia ei subiecta est dum enim materia subiecta humanitati suscipit quodlibet accidens ipsa hoc suscipere videtur humanitas Forma vero quae est sine materia non poterit esse subiectum nec vero inesse materiae neque enim esset forma sed imago Ex his enim formis quae praeter materiam sunt istae formae venerunt quae sunt in materia et corpus efficiunt Nam caeteras quae in corporibus sunt abutimur formas vocantes dum imagines sint raquo Ibid eacuted MORESCHINI p 170-1 trad GALONNIER p 140-143 661 Cf PV SPADE laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p 11-12 662 laquo Diversum est esse et id quod est ipsum vero esse nondum est at vero quod est accepta essendi forma est atque consistit raquo BOECE De hebdomadibus eacuted MORESCHINI p 187

255

laquo La multitude des parties est la matiegravere et la forme est la composition de ces mecircmes

parties663 raquo

laquo La matiegravere est le genre et la forme est la diffeacuterence664 raquo

La forme est comprise comme un eacuteleacutement qui se superpose au reacuteceptacle (la matiegravere) La

forme et la matiegravere dans ce contexte sont des principes meacutetaphysiques employeacutes dans un sens

technique pour deacutesigner les pheacutenomegravenes de lrsquoindividu composeacute de parties dans le premier cas de

lrsquoespegravece et de la diffeacuterence dans le deuxiegraveme Dans cette œuvre Boegravece prend la relation matiegravere-

forme pour expliquer la reacuteception drsquoune nouvelle forme par un objet existant

De cette maniegravere Boegravece suppose que la forme peut avoir des applications diffeacuterentes la

forme qui est Dieu les formes seacutepareacutees de la matiegravere et les images des formes dans la matiegravere La

forme se superpose au reacuteceptacle (la matiegravere) En mecircme temps la forme est un composant drsquoune

chose dont elle deacutefinit ce qursquoelle est

En deacutefinitive dans la philosophie tardo-antique la deacutefinition de la forme absorbe des

eacuteleacutements du platonisme et de lrsquoaristoteacutelisme En un sens platonicien elle deacutesigne une raison de la

chose qui est seacutepareacutee drsquoelle-mecircme Ce mode drsquoemploi se retrouve chez tous les auteurs eacutetudieacutes

Ciceacuteron Seacutenegraveque Apuleacutee Augustin et Boegravece Dans le sens aristoteacutelicien elle deacutesigne une partie

drsquoune chose qui rend cette chose connaissable Ce qui a eacuteteacute introduit par Aristote comme la

substance ndash une partie essentielle drsquoune chose ndash est interpreacuteteacutee par Augustin et Boegravece comme la

forme Elle provient de Dieu Et cela rapproche ses doctrines du platonisme Et en mecircme temps elle

influence les ecirctres muables Et crsquoest cette tendance agrave poser la structure du monde sensible

notamment drsquoune chose comme le sujet indeacutependant de lrsquoenquecircte qui teacutemoigne de lrsquoinfluence de

lrsquoaristoteacutelisme sur Augustin et Boegravece

VIII12 La hieacuterarchie des formes

Dans le De unitate Achard propose une hieacuterarchie des formes la forme premiegravere la forme

deuxiegraveme et la forme troisiegraveme Par hieacuterarchie nous comprenons une seacuterie des ecirctres telle que

chacun de ses eacuteleacutements se trouve subordonneacute agrave celui qursquoil suit

663 laquo Totius vero partium multitudo materia est forma vero earumdem partium compositio raquo BOECE De divisione eacuted J MAGEE Leiden New York Koumlln 1998 p14 =PL 64 879D trad I LYSTOPAD 664 laquo Unde fit ut quaedam materia genus sit forma differentia raquo BOECE De divisione eacuted J MAGEE p16 =PL 64 880B trad I LYSTOPAD Cf lrsquoIsagoge laquo Et genus quidem consimile est materiae formae vero differentia raquo PORPHYRE De Isagoge a Boethio translata eacuted L Minio-Paluello Aristoteles latinus t 1 (6-7) Categoriarum supplementa Bruges Paris 1966 p 23

256

Le deacuteveloppement du platonisme megravene agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune sorte de hieacuterarchie des

principes qui expliquent la diversiteacute des ecirctres dans le monde par leur relation agrave la source de leur

existence

Le meacutedioplatonisme apporte la doctrine que les ideacutees sont les penseacutees de Dieu Les origines

de cette doctrine se trouvent chez Platon et Aristote665 Les deux niveaux ndash Dieu et les ideacutees ndash sont

distingueacutes Cette doctrine se transforme dans une doctrine du Logos-Fils de Dieu qui contient des

logoi

Les formes se trouvent aux diffeacuterents niveaux de cette hieacuterarchie Pour Seacutenegraveque la forme est

plutocirct lrsquoidos (en bas) pour Ciceacuteron la forme est lrsquoideacutee (en haut) Seacutenegraveque Ciceacuteron et Apuleacutee lient

Dieu et les formes mais ils disent toujours que ce sont deux principes seacutepareacutes

Augustin et Boegravece voient le monde diviseacute en trois parties Dieu les formes et les choses

Augustin distingue les formes-natures et la Forme-Verbe divine qui leur sert de modegravele Boegravece

distingue les formeacutees seacutepareacutees de la matiegravere et la Forme-Dieu

Deacutesormais nous allons observer les autres doctrines de lrsquoAntiquiteacute tardive concernant les

uniteacutes sensibles qui contiennent des eacuteleacutements hieacuterarchiques

Certains eacuteleacutements de la doctrine de Platon sont connus agrave travers la traduction latine du Timeacutee

faite par Calcidius

laquo Il existe une premiegravere espegravece que ne perccediloivent pas les sens et qui reste en elle-mecircme agrave

lrsquoabri de la naissance et de la mort une espegravece qui nrsquoadmet en elle aucun eacuteleacutement venu

drsquoailleurs et qui nrsquoapparaicirct en rien drsquoautre une espegravece qui eacutechappe agrave la vue et agrave la sensation

et qui nrsquoest perceptible qursquoagrave la contemplation attentive de lrsquointellect Il y a ensuite une

seconde espegravece qui est soumise agrave la naissance et aux sens cette espegravece doit avoir un

substrat elle srsquoeacutetablit en un endroit qursquoelle quitte lorsqursquoelle change ou est deacutetruite On peut

la connaicirctre par lrsquoopinion qui accompagne la sensation La troisiegraveme espegravece est celle du lieu

qui nrsquoest pas lui non plus concerneacute par la destruction Il fournit un emplacement agrave ce qui

naicirct mais il est perccedilu sans que celui qui le perccediloit nrsquoen ait une expeacuterience sensible et on ne

peut srsquoen faire une ideacutee que par le moyen drsquoun raisonnement bacirctard666 raquo

665 R M JONES laquo The Ideas as the Thoughts of God raquo in Classical Philology t 21 1926 p 324-326 666 laquo Esse eius modi speciem semotam a sensibus in semet locatam sine ortu sine occasu quae neque in se recipit quicquam aliunde neque ipsa procedit ad aliud quicquam inuisibilem insensilem soli mentis intentioni animaduersionique perspicuam porro quod ab hoc secundum est natiuum sensile sustentabile consistens aliquo in loco et rursum cum immutatione et interitu recedens sensibus et opinione noscendum Tertium genus est loci quod ne ad interitum quidem pertinet sedem porro praebet his quae generantur sed ipsum sine sensu tangentis tangitur adulterina quadam ratione opinabile raquo CALCIDIUS Platonis Timaeus eacuted B BAKHOUCHE p 198-199= eacuted Estienne 51E-52B

257

Dans ce passage Platon parle de trois espegraveces imperceptible perceptible et le lieu Ces

trois espegraveces correspondent aux ideacutees (formes) aux idos (formes composeacutees avec la matiegravere) et agrave la

matiegravere667 En parlant de la cause Platon parle de lrsquoopifex le deacutemiurge de lrsquounivers Cet artisan

creacutee lrsquounivers drsquoapregraves un modegravele (28AB) La premiegravere espegravece (les ideacutees) est ce modegravele (48E) Ainsi

dans le Timeacutee Platon deacutecrit quatre eacuteleacutements Dieu les ideacutees les idos et la matiegravere Parme eux la

relation causale existe seulement entre les ideacutees et les idos les deux autres eacuteleacutements participent

chacun indeacutependamment de trois autres agrave la production du monde

Un exemple de la hieacuterarchie meacutedioplatonicienne est connu agrave travers Apuleacutee (Platon et sa

doctrine V 190)

laquo Platon estime qursquoil y a trois principes des choses Dieu la matiegravere ndash inacheveacutee non

faccedilonneacutee et que ne distingue ni forme ni marque de qualiteacute ndash et les formes des choses qursquoil

appelle encore des lsquoideacuteesrsquo668 raquo

Ces trois principes ont des caracteacuteristiques diffeacuterentes et sont subordonneacutes Dieu opegravere par

les ideacutees et les ideacutees sont imprimeacutees dans la matiegravere

Calcidius reprend la doctrine de Platon dans son Commentaire sur le Timeacutee Tullio Gregory

deacutecrit trois principes qui ont eacuteteacute pris par Calcidius de la philosophie meacutedioplatonicienne Dieu

suprecircme lrsquointellect de Dieu et lrsquoacircme du monde669 Nous allons deacutefinir la place des uniteacutes

intelligibles dans ce scheacutema

Voici sa description de lrsquoespegravece principale (principalis species II 339)

laquo Disons que lrsquoespegravece principale crsquoest pour nous du moins qui sommes doueacutes drsquointellect le

premier objet intelligible crsquoest du point de vue de dieu la penseacutee parfaite de dieu par

rapport agrave la matiegravere la limite et la mesure des choses corporelles et mateacuterielles crsquoest par

rapport agrave elle-mecircme une substance incorporelle et la cause de tout ce qui lui emprunte sa

ressemblance crsquoest en ce qui concerne le monde le modegravele eacuteternel de tout ce qui a

engendreacute la nature et pour le dire en peu de mots lrsquoespegravece principale qui est lrsquoIdeacutee doit

ecirctre deacutefinie comme une substance incorporelle sans couleur ni forme (figura) qui ne peut

667 PV SPADE laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p 6 668 laquo Initia rerum tria esse arbitratur Plato deum et materiam inabsolutam informem nulla specie nec qualitatis significatione distinctam rerum que formas quas ἰδέας idem vocat raquo APULEUS Platon et sa doctrine V 190 eacuted MORESCHINI p 92 trad BEAUJEU p 63 669 T GREGORY laquo The Platonic Inheritanceraquo dans A History of Twelfth-Century Western Philosophy eacuted P DRONKE Cambridge-New York 1988 p 55

258

ecirctre toucheacutee et qui doit cependant ecirctre saisie rationnellement par lrsquointellect et de plus

comme la cause de tout ce qui lui emprunte sa ressemblance670 raquo

Drsquoapregraves Calcidius Il existe une espegravece primaire qui doit laquo ecirctre saisie rationnellement par

lrsquointellect raquo Elle est ainsi accessible pour nous agrave travers ces effets

Lrsquoespegravece principale est formeacutee (formata) et non formeacutee en mecircme temps Elle nrsquoest pas

formeacutee car elle nrsquoest pas composeacutee Elle est formeacutee car crsquoest agrave travers elle que les choses sont

formeacutees de lrsquoespegravece et de la matiegravere671

Calcidius deacutecrit eacutegalement la seconde espegravece (secunda species II 344)

laquo La seconde espegravece celle qui vient agrave lrsquoecirctre (nativa) doit son existence agrave lrsquoespegravece

principale qui est eacuteternelle et ne vient pas agrave lrsquoecirctre et qui est deacutesigneacutee sous le nom

drsquolsquoideacuteersquo raquo672 raquo

Voici comment Calcidius introduit la distinction entre les espegraveces premiegravere et deuxiegraveme (II

337)

laquo Il faut faire une distinction en ce qui concerne le modegravele des choses entre deux espegraveces

il y a celle qui sert agrave ordonner la matiegravere et il y en a une autre agrave lrsquoimage de laquelle a eacuteteacute

produite lrsquoespegravece attribueacutee agrave la matiegravere De fait lrsquoespegravece assigneacutee agrave la matiegravere est seconde

tandis que la premiegravere est celle agrave lrsquoimage de laquelle a eacuteteacute produite la seconde [hellip] de

mecircme aussi lrsquoespegravece qui a ordonneacute la matiegravere est de second rang tandis que lrsquoautre celle

selon laquelle lrsquoespegravece seconde a eacuteteacute acheveacutee est lrsquoespegravece principale sur laquelle porte

notre propos agrave preacutesent673 raquo

670 laquo Est igitur principalis species ut cum aliqua dicatur effigie iuxta nos quidem qui intellectus compotes sumus primum intellegibile iuxta deum uero perfectus intellectus dei iuxta siluam modus mensura que rerum corporearum atque siluestrium iuxta ipsam uero speciem incorporea substantia causaque eorum omnium quae ex ea similitudinem mutuantur iuxta mundum uero exemplum sempiternum omnium quae natura progenuit atque ut conceptim dicatur primaria species quae idea est substantia definitur carens corpore colore figura sine tactu intellectu tamen cum ratione comprehendenda causaque omnium quae ex se similitudinem mutuantur raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 339 eacuted B BAKHOUCHE p 564-567 Ici et ensuite la traduction est modifieacutee par I LYSTOPAD 671 laquo Rursum silua dicebatur informis lt dicetur etiam principalis species non formatagt sed nec informis formatum enim quidque compositum sit necesse est ex participante et ex participabili ut statua in qua participat quidem aes participatur uero impressa forma sed species est simplex et incomposita Propterea igitur species negatur esse formata nec uero minime est formata nam propter hanc alia quoque omnia quae sunt formata in possessione uultus sunt raquo Ibid II 338 p 564 672 laquo Quippe secunda species id est natiua mutuatur substantiam de specie principali quae sine ortu est et aeterna censita ideae nomine silua demum ex natiua specie sumit substantiam raquo Ibid II 344 p 570-571 673 laquo Eodem igitur modo etiam in exemplo rerum gemina species consideratur illa qua exornata silua est nihiloque minus alia species ad cuius similitudinem illa species facta est quae siluae tributa est Et est imposita quidem siluae species secunda prima uero illa ad cuius haec secunda similitudinem facta est [hellip] sic etiam species quae siluam exornauit secundae dignitatis est illa uero alia iuxta quam secunda species absoluta est principalis est species de qua sermo habetur ad praesens raquo Ibid II 337 p 562-565

259

De cette faccedilon la distinction entre la premiegravere et la seconde espegravece correspond agrave la

distinction platonicienne entre idea et idos

Calcidius parle aussi du troisiegraveme genre qui selon son interpreacutetation des textes platoniciens

serait la matiegravere (silua) La matiegravere est le laquo lieu raquo des espegraveces incorporelles ou le reacuteceptacle des

espegraveces corporelles674 Lrsquoespegravece principale (species principalis ou primaria) lrsquoespegravece seconde

(species natiua) et la matiegravere constituent les trois laquo rayons raquo constitutifs du monde drsquoapregraves

Calcidius

Ainsi bien que Calcidius utilise une terminologie diffeacuterente des autres auteurs tardo-

antiques il propose une hieacuterarchie consistant en trois eacuteleacutements lrsquoespegravece principale les espegraveces

nativae et la matiegravere

Calcidius donne aussi une autre version de cette doctrine (II 272)

laquo Assureacutement le premier eacuteleacutement de lrsquounivers est la matiegravere deacutepourvue de forme et de

qualiteacute et que modegravele la forme intelligible pour que le monde soit crsquoest drsquoelles ndash la matiegravere

et lrsquoespegravece ndash que viennent le feu pur et intelligible et les autres substances pures qui au

nombre de quatre sont agrave leur tour agrave lrsquoorigine des matiegraveres sensibles ndash igneacutees aquatiques

terrestres ou aeacuteriennes Le feu pur et les autres espegraveces de substance pures et intelligibles

qui sont les modegraveles des corps sont appeleacutes Ideacutees675 raquo

Dans ce passage Calcidius deacutecrit les eacuteleacutements suivants de lrsquounivers

- lrsquoespegravece (intellegibilis species)

- les quatre premiegraveres substances (elles-mecircmes ideacutees ou espegraveces)

- les matiegraveres sensibles qui proviennent de ces ideacutees

- la matiegravere (silua) laquo deacutepourvue de forme et de qualiteacute

Plus loin il ajoute que les ideacutees sont les modegraveles des choses naturelles676

Par conseacutequent il distingue la matiegravere premiegravere et les matiegraveres formeacutees par les espegraveces Les

quatre premiegraveres substances (igneacutees aquatiques terrestres et aeacuteriennes) sont parmi les espegraveces

secondes 674 laquoPuto eum dignitatis respectu tertium genus dixisse siluam [hellip] At uero locum uocat eam uelut regionem quandam suscipientem specierum incorporearum intellegibilium que simulacra semper eandem uel quia sine generatione est et interitu uel quia necesse est eam locum stationem que esse et uelut receptaculum corporearum specierum quae sunt membra mundi raquo Ibid II 344 p 570 675 laquo Quippe primum elementum uniuersae rei silua est informis ac sine qualitate quam ut sit mundus format intellegibilis species ex quibus silua uidelicet et specie ignis purus et intellegibilis ceteraeque sincerae substantiae quattuor e quibus demum hae materiae sensiles igneae aquatiles terrenae et aereae Ignis porro purus et ceterae sincerae intellegibiles que substantiae species sunt exemplaria corporum ideae cognominatae raquo Ibid II 272 p 500-501 Voir agrave propos de ce passage S GERSH laquoCalcidiusrsquo Theory of First Principles raquo dans Studia Patristica 182 Papers of 1983 Oxford Patristic Conference 1989 p 86-7 676 laquo Ideae sunt exempla naturalium rerum raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 304 eacuted B BAKHOUCHE p 532

260

En deacutefinitive Calcidius deacutecrit les deux hieacuterarchies des ecirctres intelligibles tripartite (espegravece

premiegravere espegraveces secondes et la matiegravere) pour deacutecrire les formes qui se multiplient et quadripartite

(espegravece premiegravere substances premiegraveres les matiegraveres sensibles et la matiegravere) pour montrer comment

la matiegravere sert agrave multiplier la forme sensible Ces hieacuterarchies apparaissent suite au mouvement du

deuxiegraveme principe ndash lrsquointellect de Dieu ndash qui par sa nature opegravere par des ecirctres intelligibles Nous

continuerons lrsquoeacutetude de ce principe dans un chapitre laquo Intellectus raquo en posant la question

laquo comment et agrave quel moment les espegraveces se multiplient-elles raquo

Ajoutons quelques eacuteleacutements de la doctrine drsquoAugustin

laquo Pour que ces ecirctres muables ne srsquoarrecirctent pas mais continuent par leurs mouvements

calculeacutes et la varieacuteteacute distincte de leurs formes agrave parcourir pour ainsi dire le cours des

temps il doit exister une forme eacuteternelle et immuable telle qursquoelle nrsquoest ni contenue et

comme reacutepandue dans lrsquoespace ni eacutetendue et diversifieacutee dans le temps677 raquo

Ainsi Augustin discerne la forme unique des formes et les formes qui proviennent agrave partir

de cette forme unique Plus loin il ajoute qursquoune forme eacuteternelle et immuable existe pour que les

corps et les esprits soient formeacutes678 De cette faccedilon il propose un systegraveme hieacuterarchique qui

comprend non seulement des entiteacutes immuables en haut et muables en bas mais aussi lrsquouniteacute (une

forme) en haut et la multitude des choses en bas

Un autre exemple fameux de hieacuterarchisation se trouve dans le Periphyseon drsquoErigegravene

laquo La premiegravere division de la Nature correspond agrave cette forme ou agrave cette espegravece qui creacutee et

qui nrsquoest pas creacuteeacutee [hellip] la deuxiegraveme division de la nature correspond agrave la forme qui agrave la

fois est creacuteeacutee et qui creacutee la troisiegraveme division de la Nature correspond agrave la forme qui est

creacuteeacutee et qui ne creacutee pas enfin la quatriegraveme division de la Nature correspond agrave la forme qui

ne creacutee pas et qui nrsquoest pas creacuteeacutee679 raquo

677 laquo Ut ista mutabilia non intercipiantur sed dimensis motibus et distincta uarietate formarum quasi quosdam uersus temporum peragant esse aliquam formam aeternam et incommutabilem quae neque contineatur et quasi diffundatur locis neque protendatur atque uarietur temporibus raquo AUGUSTIN De libero arbitrio II XVI 44 eacuted GREEN p 257 trad AUGUSTIN Dialogues philosophiques III introd trad et notes par G MADEC Paris 1976 (BA 6) p 359 678 laquo Quid autem amplius de mutabilitate corporis et animi dicamus superius enim satis dictum est conficitur itaque ut corpus et animus forma quadam incommutabili et semper manente formentur cui formae dictum est mutabis ea et mutabuntur tu autem idem es et anni tui non deficient annos sine defectu pro aeternitate posuit prophetica locutio de hac item forma dictum est quod in se ipsa manens innouet omniaraquo Ibid II XVII 45 eacuted GREEN p 267 679 laquo Si rite forma uel species dicenda est prima omnium causa [hellip] quae creat et non creatur secunda in eam quae et creatur et creat sequitur tertia quae creatur et non creat dehinc quarta quae nec creat nec creatur raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 3 = PL 122 525AB tradBERTIN t I-II p 282

261

Edouard Jeauneau explique cette division de la maniegravere suivante

1) laquo nature qui creacutee et nrsquoest pas creacuteeacutee (Dieu en tant que cause suprecircme de toutes choses)

2) nature qui est creacuteeacutee et qui creacutee (les ideacutees-archeacutetypes causes primordiales de toutes choses)

3) nature qui est creacuteeacutee et qui ne creacutee pas (les ecirctres soumis agrave la geacuteneacuteration dans le temps et dans

le lieu)

4) nature qui ne creacutee pas et qui nrsquoest pas creacuteeacutee (Dieu en tant que fin ultime de toutes

choses)680raquo

En effet la premiegravere et la quatriegraveme natures deacutesignent Dieu dans ces diffeacuterentes fonctions

en tant que source et en tant que but De cette faccedilon la division drsquoErigegravene peut ecirctre reacuteduite aux trois

niveaux Dieu les ideacutees et les ecirctres changeants du monde (bien que cette explication exclue du

systegraveme eacuterigeacutenien le mouvement de retour)

Erigegravene est le premier agrave utiliser lrsquoexpression laquo forma prima raquo qui apparaicirct plus tard chez

Achard Drsquoapregraves Erigegravene cette premiegravere forme de la nature est la Cause premiegravere laquo le principe sans

forme de toutes les formes et de toutes les espegraveces681 raquo

En outre Erigegravene propose aussi la doctrine de laquo la Forme unique de toutes les formes raquo qui

est le Verbe du Pegravere Les causes primordiales sont formeacutees gracircce agrave la conversion perpeacutetuelle vers

cette forme682 Les causes sont agrave la fois eacuteternelles (car elles participent agrave la forme eacuteternelle) et

creacuteeacutees (car elles se seacuteparent agrave un moment donneacute du Verbe pour creacuteer de choses)683 Il deacutecrit la

hieacuterarchie qui contient la forme premiegravere les causes primordiales les choses et la matiegravere

En deacutefinitive la hieacuterarchie cognitive tripartite est souvent preacutesente dans la philosophie

tardo-antique Dans le cas de Platon (le Timeacutee) et de Calcidius cette hieacuterarchie consiste en lrsquoespegravece

premiegravere (lrsquoideacutee) les espegraveces secondes (les eidei) et la matiegravere Dieu est le principe seacutepareacute des

680 E JEAUNEAU laquo Lrsquohomme et lrsquoœuvre raquo dans JEAN SCOT Homeacutelie sur le Prologue de Jean introd texte critique trad et notes E JEAUNEAU Paris 1969 (Sources chreacutetiennes 151) p 44 681laquo Prima omnium causa [hellip] dum sit formarum et specierum omnium informe principium raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 3 = PL 122 525A trad trad FBERTIN t I-II p 282 682 laquo Semper enim ad unam rerum omnium formam quam omnia appetunt uerbum patris dico conuersae formantur et formationem suam nusquam nunquam deserunt Quae uero sub ipsis sunt in inferioribus rerum ordinibus ita ab eis creantur ut ad se ipsas ea attrahant omnium que rerum unum principium appetant et nullo modo ad ea quae sub eis sunt respiciunt sed suam formam superiorem se semper intuentur ut semper ab ea formari non desinant Nam per se ipsas informes sunt et in ea uniuersali sua forma in uerbo dico semet ipsas perfecte conditas cognoscunt Quis autem recte intelligentium haec quae de primordialibus causis dici possunt de informitate rerum dicere audebit Praesertim cum et informis rerum materia non aliunde credatur manare nisi ex primordialibus causis Si enim primordiales causae ideo primordiales appellantur quia primitus ab una creatrice omnium causa creantur et ea quae sub ipsis sunt creant - nam primordiales causas et creari et creare praediximus - quid mirum si quemadmodum in numero eorum quae post et per primordiales causas condita sunt informem materiem esse credimus certis que rationibus firmamus eam quoque a primordialibus causis creari fateamur raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 30 = PL 122 547B-548A 683 Cf R ROQUES laquo Remarques sur la signification de Jean Scot Eacuterigegravene raquo dans Miscellanea A Combes Rome 1967 p 282

262

ideacutees Apuleacutee deacutesigne trois principes Dieu ideacutees et matiegravere Dans le cas drsquoAugustin de Boegravece et

drsquoErigegravene la hieacuterarchie consiste en Dieu (le Verbe la forme premiegravere) les formes qui sont dans la

forme premiegravere (les ideacutees) et les formes dans les choses (eidei) La matiegravere est aussi preacutesente dans

la doctrine de ces derniers mais sa position est obscure (nous allons eacutetudier cette question dans le

chapitre laquo La structure des ecirctres et le problegraveme de lrsquoidentiteacute dans le monde sensible chez les

penseurs tardo-antiques et meacutedieacutevauxraquo)

VIII13 La varieacuteteacute des formes

Il a eacuteteacute eacutetabli que les formes sont des uniteacutes intelligibles Elles fournissent des images aux

ecirctres de ce monde De cette faccedilon les formes sont agrave lrsquoorigine de lrsquoexistence des choses en tant que

leurs prototypes et causes intelligibles Descendons maintenant au deuxiegraveme eacutechelon de la

hieacuterarchie et posons-nous la question comment la multipliciteacute des formes increacuteeacutees apparaicirct-elle

VIII131 Les uniteacutes intelligibles eacuteternelles chez Augustin

Pour discuter de la probleacutematique des uniteacutes intelligibles Augustin utilise des notions

diffeacuterentes ratio forma idea Lrsquoune des notions qui croise le champ seacutemantique de la forme est

species Dans le De Trinitate Augustin emploie la notion drsquoespegravece corporelle Dieu invisible

gouverne toutes les espegraveces visibles agrave travers sa volonteacute (III IV 9) Dans le De Genesi ad litteram

les ecirctres qui eacutetaient enfermeacutes dans les causes primordiales naissent sous lrsquoespegravece visible

(manifestam) propre agrave leur genre684

Dans le De civitate Dei il distingue deux sortes de species les espegraveces agrave lrsquoaide desquelles

Dieu a creacuteeacute le monde et les espegraveces agrave lrsquoaide desquelles des artisans humains transforment la matiegravere

corporelle (XII XXVI)685 Dans le De Trinitate (XI IX 16) Augustin distingue quatre types

drsquoespegraveces

- lrsquoespegravece du corps perccedilu

- celle produite dans le sens du sujet percevant

- celle produite dans la meacutemoire

684 laquo Sed etiam ista secum gerunt tamquam iterum se ipsa inuisibiliter in occulta quadam ui generandi quam extraxerunt de illis primordiis causarum suarum in quibus creato mundo cum factus est dies antequam in manifestam speciem sui generis exorerentur inserta sunt raquo AUGUSTIN De genesi ad litteram VI X 17 eacuted J ZYCHA p 470-471 685 laquo Cum enim alia sit species quae adhibetur extrinsecus cuicumque materiae corporali sicut operantur homines figuli et fabri atque id genus opifices qui etiam pingunt et effingunt formas similes corporibus animalium alia uero quae intrinsecus efficientes causas habet de secreto et occulto naturae uiuentis atque intellegentis arbitrio quae non solum naturales corporum species uerum etiam ipsas animantium animas dum non fit facit supra dicta illa species artificibus quibusque tribuatur haec autem altera non nisi uni artifici creatori et conditori deo qui mundum ipsum et angelos sine ullo mundo et sine ullis angelis fecit raquo AUGUSTIN De civitate Dei eacuted B DOMBART et A KALB trad G COMBEgraveS F-J THONNARD et M A DEVYNCK Paris 1959 p 236 (BA 35)

263

- celle produite dans le regard inteacuterieur de celui qui repreacutesente cet objet

Ainsi drsquoapregraves le De Trinitate les espegraveces sont des uniteacutes intelligibles formeacutees dans lrsquoesprit

de lrsquohomme gracircce agrave sa sensation Ces espegraveces sont des empreintes des espegraveces eacuteternelles agrave lrsquoaide

desquelles Dieu a creacuteeacute le monde

Les autres sortes drsquouniteacutes intelligibles sont des vera Dans le De libero arbitrio Augustin

dit que la sagesse en tant que Veacuteriteacute contient tout cela qui est immuablement vrai (vera II XII

33) Il srsquoagit drsquoune laquo reacutealiteacute qui se preacutesente en commun agrave tous ceux qui font usage de leur raison et

de leur intelligence686 raquo Augustin explique cette reacutealiteacute comme laquo objective raquo (quand deux

personnes voient un objet il nrsquoappartient pas aux esprits de ces personnes) Dans les Confessions

Augustin deacutecrit les vera comme les postulats que les philosophes prononcent agrave propos du monde et

de la creacuteation687 Il utilise eacutegalement lrsquoantonyme ndash les falsa (fausseteacutes) Dans le De doctrina

christiana les vera sont les laquo ideacutees vraies raquo (drsquoapregraves la traduction de Goulven Madec) qui sont dans

lrsquoacircme Elles sont formeacutees gracircce agrave la Veacuteriteacute immuable qui est au-dessus drsquoelles688 De cette faccedilon les

vera sont des reacutealiteacutes objectives qui sont dans le monde Elles sont exprimeacutees en tant que penseacutees

vraies et postulats vrais

Augustin propose donc les uniteacutes intelligibles suivantes les espegraveces corporelles les

espegraveces dans lrsquoesprit de lrsquohomme les espegraveces agrave lrsquoaide desquelles Dieu a creacuteeacute le monde et les vera

Dans le chapitre VII laquo La pluraliteacute des raisons dans le Verbe raquo nous avons deacutecrit lrsquoautre sorte

drsquouniteacutes intelligibles preacutesentes dans les œuvres drsquoAugustin les causes primordiales

VIII132 Les nombres dans la philosophie tardo-antique

Platon pose entre les ideacutees et les choses sensibles une classe drsquoentiteacutes qui sont les objets

matheacutematiques Les nombres font partie de ces objets689

686 laquoOmne autem quod communiter omnibus ratiocinantibus atque intellegentibus praesto est raquo AUGUSTIN De libero arbitrio II XII 33 eacuted GREEN p 257 trad AUGUSTIN Dialogues philosophiques III introd trad et notes par G MADEC Paris 1976 (BA 6) p 337 Cf De libero arbitrio II XIII 36 687 laquo Et multa uera de creatura dicunt et ueritatem creaturae artificem non pie quaerunt raquo AUGUSTIN Confessiones V III 5 eacuted L VERHEIJEN Turnhout 1981 (CCSL 27) p 59 688 laquo Quae tamen omnia quisquis ita dilexerit ut iactare se inter imperitos uelit et non potius quaerere unde sint uera quae tantummodo uera esse persenserit et unde quaedam non solum uera sed etiam incommutabilia quae incommutabilia esse comprehenderit ac sic ab specie corporum usque ad humanam mentem perueniens cum et ipsam mutabilem inuenerit quod nunc docta nunc indocta sit constituta tamen inter incommutabilem supra se ueritatem et mutabilia infra se cetera ad unius dei laudem atque dilectionem cuncta conuertere a quo cuncta esse cognoscit doctus uideri potest esse autem sapiens nullo modo raquo AUGUSTIN De doctrina christiana II XXXVIII 57 eacuted J MARTIN p 222 689 Voir A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 21

264

Augustin dit que tous les ecirctres sont des formes car ils ont des nombres (De libero arbitrio

II XVI 42690) Des nombres sont imprimeacutes en notre acircme en vertu drsquoune proprieacuteteacute de leur nature

(laquo ex aliqua sua natura raquo II VIII 21) 691 dans une lumiegravere infeacuterieure (II VIII 23)692 Les nombres

et leurs lois sont inchangeables et eacuteternels Ils se trouvent dans une Sagesse unique qui est la Veacuteriteacute

(II XVI 42)693

Boegravece deacuteveloppe aussi la doctrine des nombres Dans son De arithmetica il dit

laquo Tout ce qui a eacuteteacute eacutedifieacute par la nature en son premier acircge apparaicirct formeacute selon le systegraveme

des nombres Car tel a eacuteteacute le premier modegravele dans lrsquoesprit du creacuteateur Crsquoest ce systegraveme qui

est agrave lrsquoorigine de la pluraliteacute des quatre eacuteleacutements lrsquoorigine de la succession des temps du

mouvement des astres et des reacutevolutions du ciel694 raquo

De cette faccedilon Augustin et Boegravece considegraverent les nombres en tant qursquouniteacutes intelligibles qui

se trouvent dans la Sagesse ou dans lrsquoesprit du Creacuteateur

Augustin propose aussi une hieacuterarchisation des nombres Dans les Confessions (X XII 19)

il distingue les nombres que nous nombrons (quos numeramus) et ceux par lesquels nous nombrons

(quibus numeramus)695 Les premiers sont des images des deuxiegravemes

Boegravece quant agrave lui dans le De Trinitate (III) distingue les nombres quo numeramus et les

choses numerabiles Les premiegraveres se composent des ideacutees incorporelles de nombres les deuxiegravemes

des choses nombrables696

690 laquo Intuere caelum et terram et mare et quaecumque in eis uel desuper fulgent uel deorsum repunt uel uolant uel natant formas habent quia numeros habent adime illis haec nihil erunt a quo ergo sunt nisi a quo numerus quandoquidem in tantum illis est esse in quantum numerosa esse raquo AUGUSTIN De libero arbitrio II XVI 42 eacuted GREEN p 265-6 691 laquo Tamen si tibi aliquis diceret numeros istos non ex aliqua sua natura sed ex his rebus quas corporis sensu attingimus inpressos esse animo nostro quasi quasdam imagines quorumque uisibilium quid responderes an tu quoque id putas (euodius) nullo modo id putauerim non enim si sensu corporis percepi numeros idcirco etiam rationem partitionis numerorum uel copulationis sensu corporis percipere potui raquo Ibid II VIII 21 eacuted GREEN p 250 692 laquo Unde ergo nouimus per omnes hoc esse aut qua fantasia uel fantasmate tam certa ueritas numeri per innumerabilia tam fidenter nisi in luce interiore conspicitur quam corporalis sensus ignorat raquo Ibid II VIII 23 eacuted GREEN p 252 693 laquo Transcende ergo et animum artificis ut numerum sempiternum uideas iam tibi sapientia de ipsa interiore sede fulgebit et de ipso secretario ueritatis raquo Ibid II XVI 42 eacuted GREEN p 266 Voir la doctrine drsquoAugustin sur le nombre dans le De libero arbitrio O DU ROY Lrsquointelligence de la foi en la Triniteacute selon saint Augustin Genegravese de sa theacuteologie trinitaire jusqursquoen 391 Paris 1966 p 246-248 694 laquo Omnia quaecumque a primaeua rerum natura constructa sunt numerorum uidentur ratione formata Hoc enim fuit principale in animo conditoris exemplar Hinc enim quattuor elementorum multitudo mutuata est hinc temporum uices hinc motus astrorum caelique conuersio raquo BOECE De arithmetica I II eacuted J SCHILLING et H OOSTHOUT Brepolis 1999 p 14 trad Institution arithmeacutetique eacuted et trad J-Y GUILLAUMIN Paris 1995 p 11 695 laquo Sensi etiam numeros omnibus corporis sensibus quos numeramus sed illi alii sunt quibus numeramus nec imagines istorum sunt et ideo ualde sunt raquo AUGUSTIN Confessiones X XII 19 eacuted VERHEIJEN p 165 696laquo Numerus enim duplex est unus quidem quo numeramus alter vero qui in rebus numerabilibus constat Etenim unum res est unitas quo unum dicimus Duo rursus in rebus sunt ut homines vel lapides dualitas nihil sed tantum dualitas qua duo homines vel duo lapides fiunt Et in ceteris eodem modo Ergo in numero quo numeramus repetitio unitatum facit pluralitatem in rerum vero numero non facit pluralitatem unitatum repetitio vel si de eodem dicam lsquogladius unus mucro unus ensis unusrsquo raquo BOECE De trinitate 3 eacuted MORESCHINI P 171-2 Les deux derniegraveres liens ont eacuteteacute signaleacutes par Martineau voir E MARTINEAU laquo Numeri numerabiles raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde

265

En deacutefinitive les nombres sont expliqueacutes par Augustin et Boegravece comme uniteacutes intelligibles

qui ont leur propre hieacuterarchie nombres-exemplaires et nombres dans les corps Ils se trouvent dans

une premiegravere uniteacute intelligible ndash lrsquoesprit du creacuteateur

VIII133 Les universaux

Nous avons montreacute que la notion platonicienne drsquoideacutee et la notion aristoteacutelicienne de forme

sont agrave lrsquoorigine de la notion meacutedieacutevale de forme Le croisement de ces notions creacutee le problegraveme des

universaux exprimeacute dans le Commentaire aux Cateacutegories de Porphyre

laquo Pour lrsquoinstant je mrsquoabstiens de deacutecider concernant les genres et les espegraveces srsquoils

subsistent ou srsquoils sont situeacutes dans les intellects seuls et nus et srsquoils subsistent srsquoils sont

corporels ou incorporels et srsquoils sont seacutepareacutes des sensibles ou situeacutes en eux et sont constants

par rapport agrave eux car ce travail est tregraves ardu et suppose une longue recherche697 raquo

Les universaux par leur deacutefinition mecircme sont des notions communes opposeacutees aux objets

individuels La question principale relevant du problegraveme des universaux est comment ces notions

communes existent-elles Alain de Libera deacutemontre que les neacuteoplatoniciens ont formuleacute la theacuteorie

des trois eacutetats de lrsquouniversel pour reacutepondre agrave cette question698 Ce sont le reacutealisme le

conceptualisme et le nominalisme

Drsquoapregraves Christophe Erismann le reacutealisme correspond au questionnement theacuteologique

quand les universaux sont traiteacutes comme les ideacutees dans lrsquointellect divin (ante rem) Le

conceptualisme repreacutesente lrsquoapproche logique et eacutepisteacutemologique selon laquelle les universaux

existent dans lrsquoesprit humain comme produit de lrsquoabstraction (post rem) Enfin le nominalisme qui

dit que les universaux sont immanents et existent dans les individus (in re) correspond agrave lrsquoapproche

ontologique699

Le questionnement concernant les universaux commence en Occident avec Boegravece Il

propose sa reacuteponse dans le Commentaire agrave lrsquoIsagoge de Porphyre

Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted E MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 228-229 697 laquo Mox de generibus et speciebus illud quidem siue subsistunt siue in solis nudis purisque intellectibus posita sunt siue subsistentia corporalia sunt an incorporalia et utrum separata an in sensibilibus et circa ea constantia dicere recusabo Altissimum enim est huiusmodi negotium et maioris egens inquisitionis raquo PORPHYRE De Isagoge a Boethio translata eacuted L Minio-Paluello p 5 trad A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 128 698 Cf A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 699 CHR ERISMANN laquo Immanent realism A reconstruction of an early medieval solution to the problem of universals raquo dans Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale t 18 2007 p 211-212

266

laquo Lrsquoespegravece est un reacutesultat de la cogitation assembleacute (cogitatio collecta) agrave partir de la

ressemblance substantielle drsquoindividus diffeacuterents le genre est un reacutesultat de la cogitation

assembleacute agrave partie de la ressemblance des espegraveces700 raquo

Boegravece emploie eacutegalement lrsquoexpression res universalis Il lrsquointroduit en transmettant la

division principale des Cateacutegories drsquoAristote (1a 20ndash1b9)

laquo Chaque chose est soit la substance soit lrsquoaccident soit universelle soit particuliegravere701 raquo

Comme nous lrsquoavons montreacute dans le chapitre V laquo Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu raquo ce sont

les deux sortes de deacutefinitions qui se croisent pour deacutecrire les quatre notions principales substance

universelle substance particuliegravere accident universel et accident particulier La chose universelle

deacutesigne de cette faccedilon soit la substance universelle (lrsquohomme) soit lrsquoaccident universel (la

blancheur) La derniegravere notion est reacuteelle (existe en tant que substance) seulement dans une

meacutetaphysique neacuteoplatonicienne Notamment comme dans le cas drsquoAugustin qui dit que les qualiteacutes

des choses existent agrave travers la participation aux substances supeacuterieures comme une chose blanche

est telle agrave travers la participation agrave la blancheur

Boegravece transmet agrave lrsquoOccident les cateacutegories drsquoAristote non seulement en traduisant lrsquoœuvre

correspondante mais en citant aussi la liste des cateacutegories dans le De Trinitate et dans le De

arithmetica (1 1 1-2) Cette derniegravere œuvre est particuliegraverement inteacuteressante pour notre propos

laquo Nous disons que sont les choses qui ne connaissent ni accroissement par extension ni

diminution par reacuteduction ni changement par variation mais qui toujours se maintiennent

dans le caractegravere de leur nature en srsquoappuyant sur leurs propres ressources Ce sont les

qualiteacutes les quantiteacutes les configurations les grandeurs les petitesses les eacutegaliteacutes les

relations les actes les dispositions les lieux les temps et tout ce que lrsquoon trouve uni de

quelque faccedilon aux corps ces ecirctres sont eux-mecircmes incorporels par nature tirant leur

particulariteacute du caractegravere immuable de leur substance mais en participant aux corps ils

connaissent le changement et par le contact drsquoun ecirctre changeant sont affecteacutes par la

mutation et le changement De ces ecirctres donc puisque comme on lrsquoa dit ils ont une

substance et un caractegravere immuables par nature on dit en toute veacuteriteacute et proprieacuteteacute du terme

700 laquo Nihilque aliud species esse putanda est nisi cogitatio collecta ex indiuiduorum dissimilium numero substantiali similitudine genus uero cogitatio collecta ex specierum similitudine raquo BOECE In Isagogen Porphyrii commenta eacuted S Brandt Vienne Leipzig 1906 (Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum 48) p 166 traduit par nos soins agrave lrsquoaide de la traduction drsquoAlain de Libera Voir A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 130-1 701 laquo Omnis enim res aut substantia est aut accidens aut universalis aut particularis raquo BOETHIUS In Categorias Aristotelis Commentaria eacuted PL 64 169D trad I Lystopad

267

qursquoils sont Crsquoest donc de ces ecirctres qui sont au sens propre et que lrsquoon appelle du terme qui

leur convient des essences que la sagesse propose la science702 raquo

Les onze laquo cateacutegories raquo citeacutees dans ce passage sont prises en tant qursquoessences tandis

qursquoAristote preacutesente seulement la premiegravere cateacutegorie comme substance (ousia) Nous consideacuterons

cela comme un teacutemoignage drsquoune influence de la meacutetaphysique neacuteoplatonicienne dont nous avons

parleacute plus haut Les neuf cateacutegories qui eacutetaient consideacutereacutees comme des accidents deviennent elles-

mecircmes des substances

Cette liste des onze laquo deacuteterminations raquo a eacuteteacute emprunteacutee agrave lrsquoArithmeacutetique de Nicomaque de

Geacuterase703 Etant neacuteopythagoricien ce philosophe a eacutecrit un livre qui est devenu un veacuteritable manuel

pour les eacutecoles neacuteoplatoniciennes Ces laquocateacutegories raquo existent en tant qursquoinchangeables ante rem et

elles srsquoadaptent aux choses auxquelles elles participent De cette faccedilon elles existent eacutegalement in

re

Ainsi Boegravece montre dans ces œuvres diffeacuterentes des solutions conceptualiste (cogitatio

collecta) et reacutealiste du problegraveme des universaux

Erigegravene introduit aussi les diffeacuterences les proprieacuteteacutes les accidents et les dix cateacutegories

drsquoAristote en preacutecisant que leurs notions sont leur substance elle-mecircme dans lrsquoesprit divine704 Cette

thegravese deacutemontre que lrsquoexistence intelligible est vraie contrairement agrave lrsquoexistence sensible Erigegravene

cite aussi le passage du De arithmetica de Boegravece analyseacute plus haut agrave propos des cateacutegories705

En deacutecrivant la deuxiegraveme forme de la nature Erigegravene introduit les causes primordiales (voir

le chapitre laquo La pluraliteacute des raisons dans le Verbe raquo) La cause de toutes causes est la Triniteacute Elle

contient les causes primordiales qui agrave son tour se multiplient jusqursquoagrave lrsquoinfini Voici ces causes

702 laquo Esse autem illa dicimus quae nec intentione crescunt nec retractione minuuntur nec uariationibus permutantur sed in propria semper vi suae se naturae subsidiis nixa custodiunt Haec autem sunt qualitates quantitates formae magnitudines paruitates aequalitates habitudines actus dispositiones loca tempora et quidquid adunatum quodammodo corporibus inuenitur quae ipsa quidem natura incorporea sunt et immutabili substantiae ratione uigentia participatione uero corporis permutantur et tactu uariabilis rei in uertibilem inconstantiam transeunt Haec igitur quoniam ut dictum est natura immutabilem substantiam uimque sortita sunt uere proprieque esse dicuntur Horum igitur id est quae sunt proprie quaeque suo nomine essentiae nominantur scientiam sapientia profitetur raquo BOECE De arithmetica I I eacuted J SCHILLING et H OOSTHOUT p 9 trad J-Y GUILLAUMIN p 6 703 J-Y GUILLAUMIN laquo Notes Complementaire raquo dans BOECE Institution arithmeacutetique eacuted et trad J-Y GUILLAUMIN Paris 1995 p 182 note 11 704 laquo N Quid ergo mirum si rerum notio quam mens humana possidet dum in ea creata est ipsarum rerum quarum notio est substantia intelligatur ad similitudinem uidelicet mentis diuinae in qua notio uniuersitatis conditae ipsius uniuersitatis incommutabilis substantia est Et quemadmodum notionem omnium quae in uniuersitate et intelliguntur et corporeo sensu percipiuntur substantiam dicimus eorum quae intellectui uel sensui succumbunt ita etiam notionem differentiarum ac proprietatum naturalium que accidentium ipsas differentias et proprietates et accidentia esse dicamus A Non mirum N Creata est igitur in eo irrationabilitas et omnes species omnis que differentia et proprietas ipsius irrationabilitatis et omnia quae circa eam naturaliter cognoscuntur quoniam horum omnium et similium notitia in ipso condita est Similium autem dixi propter illa quae extra animalia natura rerum continet ut sunt mundi elementa herbarum quoque lignorum que genera et species quantitates et qualitates caetera que per innumerabiles differentias multiplicata raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon IV eacuted JEAUNEAU p 41 = PL 122 769AB 705 Ibid IV eacuted JEAUNEAU p 42= PL 122 769CD

268

laquoCes causes primordiales [hellip] sont donc la Bonteacute en soi lrsquoEssence en soi la Vie en soi la

Sagesse en soi la Veacuteriteacute en soi lrsquoIntellect en soi la Raison en soi le Pouvoir en soi la

Justice en soi le Salut en soi la Grandeur en soi la Toute-Puissance en soi lrsquoEterniteacute en soi

la Paix en soi et toutes les autres puissances et toutes les autres causes primordiales que le

Pegravere a creacuteeacutees sous un mode synchronique et syntheacutetique dans le Fils706 raquo

Tout ce qui est bon existe agrave travers la participation au Bien en soi les essences et les

substances agrave travers lrsquoEtre en soi etc Toutes les proprieacuteteacutes (virtus) des choses existent agrave travers la

participation agrave ces causes primordiales707 Selon Erismann les causes primordiales sont les

universaux ante rem ou anteacuterieurs au multiple708

Le problegraveme des universaux est au cœur du deacutebat meacutetaphysique de la premiegravere moitieacute du

XIIe siegravecle tel qursquoil est vu par les chercheurs modernes Le deacuteveloppement du problegraveme des

universaux au XIIe siegravecle est souvent deacutecrit comme lrsquoopposition du laquo reacutealisme raquo et du

laquo nominalisme raquo Les doctrines des reacutealistes ont eacuteteacute reconstruites drsquoabord agrave partir des œuvres

drsquoAbeacutelard (la Logica Ingredientibus et lrsquoHistoria calamitatum) et identifieacutees gracircce notamment au

Metalogicon de Jean de Salisbury

Alain de Libera preacutecise la classification des eacutecoles du XIIe siegravecle agrave la lumiegravere des recherches

contemporaines Plusieurs sectes ont fait leur laquo profession de foi raquo des listes de postulats De

Libera prend comme point du deacutepart le Fons philosophiae de Godefroid de Saint-Victor qui divise

les sectes en cinq quatre sortes de Reales et les Nominales709 Les doctrines des universaux des

sectes nominalistes sont reacutesumeacutees par Alain de Libera en deux postulats laquo les universaux comme

les genres et les espegraveces sont des noms raquo et laquo rien nrsquoest en dehors du particulier raquo710 Les reacutealistes

706 laquo Sunt igitur primordiales causae [hellip] per se ipsam bonitas per se ipsam essentia per se ipsam uita per se ipsam sapientia per se ipsam ueritas per se ipsum intellectus per se ipsam ratio per se ipsam uirtus per se ipsam iustitia per se ipsam salus per se ipsam magnitudo per se ipsam omnipotentia per se ipsam aeternitas per se ipsam pax et omnes uirtutes et rationes quas semel et simul pater fecit in filio raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 125 = PL 122 616 C trad BERTIN t I-II p 419 ( trad modifieacutee I LYSTOPAD) 707 laquo Quaecunque enim bona sunt participatione per se boni bona sunt et quaecunque essentialiter et substantialiter subsistunt participatione ipsius per se ipsam essentiae subsistunt quaecunque uiuunt participatione per se ipsam uitae uitam possident Similiter quaecunque sapiunt et intelligunt et rationalia sunt participatione per se ipsam sapientiae et per se ipsam intelligentiae et per se ipsam rationis participatione sapiunt et intelligunt et ratiocinantur Eodem modo de caeteris dicendum Nulla siquidem uirtus siue generalis siue specialis in natura rerum inuenitur quae a primordialibus causis ineffabili participatione non procedat raquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 125 = PL 122 616 C-617A 708 CHR ERISMANNlaquo Dialectique universaux et intellect chez Jean Scot Erigegravene raquo dans Intellect et imagination dans la philosophie meacutedieacutevale actes du XIe Congregraves international de philosophie meacutedieacutevale de la Socieacuteteacute internationale pour lrsquoeacutetude de la philosophie meacutedieacutevale (SIEPM) Porto du 26 au 31 aoucirct 2002 eacuted J MEIRINHOS et M C PACHECO Turnhout 2006 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale XI) p 832 709 Voir A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 132-3 Les doctrines de ces sectes ne sont pas restreintes par le problegraveme des universaux Voir agrave ces propos Y IWAKUMA laquo Twelfth-Century Nominales The Posthumous School of Peter Abelard raquo dans Vivarium t 30 1992 p 97-109 710 A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris p 138-9

269

soutiennent les postulats opposeacutes et la thegravese de Porphyre (Isagoge 6 laquo par participation agrave lrsquoespegravece

plusieurs hommes font un homme711 raquo)

Il est important de noter que la notion drsquouniversel est courante agrave lrsquoeacutepoque et que lrsquoexposeacute du

problegraveme des universaux srsquoappuie sur les Cateacutegories drsquoAristote (les notions de substance

drsquoaccident de quantiteacute de qualiteacute etc)

Nous avons vu comment la forma est deacutefinie dans les œuvres tardo-antiques et meacutedieacutevales

qui sont les sources directes drsquoAchard de Saint-Victor Drsquoabord elle integravegre diffeacuterents aspects des

doctrines de Platon et Aristote Ensuite dans la penseacutee platonicienne elle srsquoinscrit dans les

doctrines drsquoune source premiegravere intelligible et drsquoune hieacuterarchie des ecirctres

Nous avons aussi eacutetudieacute les notions qui sont proches de forma Augustin deacutecrit les espegraveces

qui sont dans les corps les espegraveces qui sont dans lrsquoesprit les penseacutees et les postulats vraies (vera)

Augustin et Boegravece placent les nombres parmi les principes de lrsquounivers Drsquoapregraves eux les nombres

sont relieacutes aux formes La discussion concernant le problegraveme des universaux est trop eacutelaboreacutee pour

ecirctre exposeacutee ici Pour notre eacutetude drsquoAchard il est important de noter que cette discussion se porte

sur les cateacutegories et qursquoelle comprend lrsquoexpression res universalis

VIII2 La forme chez Hugues de Saint-Victor

VIII21 Deacutefinition de la forme

Boyd Coolman a deacutejagrave effectueacute une eacutetude concernant la notion de forme chez Hugues de

Saint-Victor712 Il affirme que Hugues accepte la notion de forma en meacutelangeant deux doctrines

- la doctrine neacuteoplatonicienne des ideacutees dans lrsquoesprit divin

- la doctrine du laquo moule raquo qui se superpose sur un reacuteceptacle713

Dans ce chapitre nous allons veacuterifier cette deacutefinition et preacuteciser le contexte de lrsquoemploi de la

forma chez Hugues de Saint-Victor

Hugues utilise la notion de forma le plus souvent dans le contexte theacuteologique Par exemple

les deux eacutetapes de lrsquohistoire spirituelle selon Hugues ndash la creacuteation et la reacutedemption714 ndash sont

interpreacuteteacutees comme formation et reformation du monde et de lrsquohomme

711 Ibid p 150 712 Cf B T COOLMAN The theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 speacutecialement la partie I laquo Formation in Wisdom raquo p 31-78 713 Ibid p 16-17 714Lrsquoopus conditionis et lrsquoopus restaurationis Cf HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis Prologus II PL 176 183A Cf P SICARD Hugues de Saint-Victor et son eacutecole Turnhout 1991 p 92-6

270

Dans les Sententiae de divinitate Hugues parle de la forme dans le contexte de la creacuteation

Dans le Prologue il dit

laquo Lrsquoœuvre de la creacuteation est de faire ce qui nrsquoeacutetait pas ou de former ce qui eacutetait informe715 raquo

Dans la premiegravere partie Hugues dit que Dieu nrsquoa pas creacuteeacute le monde drsquoun coup mais

successivement pendant les six jours Drsquoabord il a fait exister ce qui nrsquoexistait pas et ensuite il a

perfectionneacute la creacuteature pour qursquoelle soit belle716 La deuxiegraveme eacutetape correspond agrave la formation de

la creacuteature De cette faccedilon la forme est ce qui rend la creacuteature belle Elle finalise la creacuteature717

Hugues appelle les ecirctres qui ont eacuteteacute creacuteeacutes au deacutebut informia et lrsquoeacutetat geacuteneacuteral du monde

lrsquoinformitatem rerum718 Hugues nrsquointerpregravete pas informitatem comme la privation totale de forme

mais comme un eacutetat drsquoimperfection de lrsquoecirctre par rapport agrave la beauteacute qursquoil aura apregraves lrsquoobtention de

cette forme Au deacutebut Dieu creacutea la matiegravere qui consistait en quatre eacuteleacutements719 De cette faccedilon la

matiegravere a deacutejagrave eu certaines formes Les autres formes sont ajouteacutees agrave cette matiegravere pour finaliser la

creacuteation Ainsi la forme est comprise comme superposeacutee agrave un reacuteceptacle

Dans la deuxiegraveme partie des Sententiae consacreacutee aux causes primordiales Hugues reprend

le terme forma La forme est ce qursquoun artisan a dans son esprit (animus) avant qursquoil creacutee une chose

Dieu conccediloit les formes des choses dans son esprit avant de creacuteer les choses dans le temps Dans

lrsquoesprit de Dieu (in mente divina) les formes sont les ideacutees les notions ou les causes primordiales

des choses Elles sont dans sa Sagesse et elles lui sont coeacuteternelles Elles sont les causes parce

qursquoelles font que les effets existent et elles sont primordiales car elles ne proviennent de rien720

715 laquo Opus conditionis est facere id quod non erat uel formare quod informe erat raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Prologus eacuted PIAZZONI p 920 233-234 trad I LYSTOPAD 716 laquo Noluit igitur Deus simul facere mundum sed successiue Noluit statim formatum facere sed primo produxit de non esse ad esse postea ad pulchrum esse raquo Ibid Pars 1 eacuted PIAZZONI p 928 24-26 717 Cf B T COOLMAN The theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 p 38-9 718 laquo Ut igitur timorem omni homini incuteret hoc modo Deus machinam suam construxit ut primo cuncta in statu bono sed non summo fabricaret ea scilicet informia creando de nichilo deinde ad summum produceret informitatem rerum ad formas et ordinem redigendo raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 1 eacuted PIAZZONI p 929 32-36 719 laquo Melius est ergo dicere materiam appellari informem non quia omni caruerit forma sed in cooperatione illius pulchritudinis quam modo habent Sed nunc uideamus cuiusmodi fuerit informitas illa que in materia mundi precessit pro quo modo qua ratione quo ordine ab illa informitate ad hanc pulchritudinem diuina operatio illam produxerit Sciendum quod primo Deus quatuor elementa creauit de nichilo tante quantitatis tante capacitatis ut nunc sunt licet non ad hunc ordinem redacta immo confusa sic tamen ut terra proprium locum obtineret quem modo habet id est medium et imum habens iam alueos quosdam in se id est futura receptacula id est aquarum raquo Ibid Pars 1 eacuted PIAZZONI p 930-1 100-110 720laquo Vt si quis uel arcam uel domum fabricare intendat antequam ad opus accedat omnem formam rei quam facturus est in animo suo depingit Eodem quoque modo in diuinis actibus contingit Deus enim antequam temporaliter operari inciperet more periti artificis ab eterno in sapientia sua que sibi coeterna est formas omnium creaturarum conceperat que quidem forme coeterne sunt ipsi sapientie et dicuntur rationes rerum in mente diuina uel idee uel notiones et he forme primordiales omnium rerum sunt que sic possunt describi primordiales cause sunt rationes rerum ab eterno in mente diuina constitute que quidem lsquocausersquo ideo dicuntur quia ab eis alia procedunt lsquoprimordialesrsquo uero quia prime sunt et uniuersaliter prime id est ita sunt cause quod ipse nullas habuere causas quia eterne sunt raquo Ibid Pars 2 eacuted PIAZZONI p 937 41-52 Cf laquo Que sapientia quando humiliat se ab eminentia diuinitatis declinat ut inferiora terrena scilicet disponat et gubernet uidetur quasi se ipsa inferior et infra diuinam naturam subsistere et ita licet forme ille

271

Les formes sont ainsi les prototypes des choses De cette faccedilon Hugues accepte lrsquoexemplarisme

drsquoAugustin

Dans le De sacramentis Hugues deacuteveloppe eacutegalement la doctrine de la creacuteation La matiegravere

des choses visibles et corporelles avait juste apregraves la creacuteation la forme de la confusion Ensuite

elle a eacuteteacute formeacutee pour avoir la disposition721 Le mot forma deacutesigne ici de maniegravere geacuteneacuterale les deux

eacutetats des ecirctres confusion (par rapport agrave son eacutetat final) et disposition Le chemin entre ces deux

formes a dureacute les six jours les trois premiers jours Dieu a ordonneacute les creacuteatures et les trois jours

suivants il les a orneacutes722

Hugues se sert de la notion de forme pour deacutevelopper la doctrine de la reacutedemption Dans le

Sententiae il explique que une fois creacuteeacute le monde contient en lui un exemple du chemin de

lrsquoinformiteacute vers la beauteacute suprecircme Un homme peut utiliser cet exemple afin de former sa vertu

Ainsi lrsquoeacutetat de lrsquohomme au deacutebut de son chemin spirituel est lrsquoinformitas uitiorum et il doit arriver

agrave la conformitas uirtutum723 Lrsquoinformitas dans ce contexte nrsquoimplique pas la privation totale de

forme mais la forme donneacutee lors de la creacuteation puis deacuteteacuterioreacutee par la chute Le but de lrsquohomme est

de restaurer sa forme et mecircme de faire en sorte que cette forme devienne meilleure qursquoavant la

chute (reformatio in melius)724 Drsquoapregraves Boyd Coolman la forma est une notion importante de

lrsquoanthropologie de Hugues Depuis sa creacuteation lrsquohomme possegravede une forme qui est sa laquo structure

divine raquo et son laquo essence raquo mais qui est susceptible de changer725

En outre Hugues utilise la notion de forma pour expliquer le changement des corps Il la

deacutefinit comme laquo la disposition des parties dans la totaliteacute raquo Le changement de la disposition des

parties change la forme drsquoune chose726

que in mente Dei primordiales cause dicuntur non sint aliud ab ipso Deo tamen infra Deum dicuntur subsistere raquo Ibid 63-66 721laquo Omnia quippe simul condita sunt quoniam uno et eodem tempore pariter coepisse credimus et visibilium omnium materiam et invisibilium naturam utramque informem secundum aliquid et utramque secundum aliquid formatam Sicut enim visibilium et corporalium omnium materia in exordio illo conditionis primariae et formam confusionis habuit et non habuit formam dispositionis donec postea formaretur et ordinem concederet ac dispositionem raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I V V PL 176 249B 722 B T COOLMAN The theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 p 39 723laquo Item quia Deus hominem uidit peccaturum et per peccatum cassurum ne tunc homo eum statum solum esse crederet et se ad ulteriorem gradum meliorem posse proficisci desperaret proposita est ei mundi machina quasi exemplar ut sicut diuina dispositio ab informitate prima ad summam redegit pulchritudinem sic diuina cooperante gratia ab informitate uitiorum homo posset reduci ad conformitatem uirtutum et his de causis neque simul neque statim formatus factus est mundus raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 1 eacuted PIAZZONI p 929 44-51 724 B T COOLMANThe theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 p 28 et 49 725 Ibid p 229-230 726 laquo Et non est forma aliquid omnino nisi dispositio partium in toto et cum haec mutatur (quia partes locum mutant) mutatur forma in toto quia dispositio partium mutatur quae est forma totius raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XV PL 176 221DE

272

VIII22 La sagesse de Dieu

Hugues emploie la notion de Sagesse dans des doctrines diffeacuterentes Dans le Didascalicon

la Sagesse deacutesigne une source qui permet agrave un homme drsquoecirctre illumineacute (connaicirctre la veacuteriteacute) Dans le

De sacramentis la Sagesse est un des trois attributs de Dieu qui est associeacute avec le Fils Elle

participe eacutegalement agrave la creacuteation du monde (le De tribus diebus) Nous allons deacutesormais examiner

srsquoil existe une connexion entre les formes et la Sagesse et si la Sagesse comprend plusieurs niveaux

Hugues reprend la doctrine que la Sagesse deacutesigne le Verbe de Dieu Elle est identique agrave

Dieu727 Les causes sont multiples dans la Sagesse Hugues ne dit pas explicitement que la Sagesse

contient des formes mais il donne des indications en faveur de cette doctrine Dans le Didascalicon

il deacuteclare que la forme du bien parfait est dans la Sagesse728 et que les choses sont formeacutees pour

ressembler agrave la Sagesse729 La philosophie est lrsquoamour de cette sagesse qui est lrsquoesprit vivant et la

seule raison des choses730

La Sagesse participe agrave la creacuteation du monde Dans le De tribus diebus Hugues eacutetablit

lrsquoordre suivant de la creacuteation (ordo conditionis) 731

Sapientia Dei Veritas

creatura rationalis imago veritatis

creatura corporea umbra imaginis

727 laquoQuod verbum Dei quod et Deus est verbum enim hominis non est homo sed verbum Dei Deus est Sicut verbum cordis cor est et de corde verbum exit et non est aliud verbum cordis quam ipsum cor sic verbum Dei aliud esse non potest quam Deus Sapientia est verbum cordis quae de corde nascitur et a corde non separatur Ipsum cor sapientia est et de corde ipso sapientia est et una sapientia cor et sapientia sua Sic Deus sapientia est et de ipso Deo sapientia est et est una sapientia Deus et sapientia sua Sapientia Dei verbum Dei est raquo HUGO DE SANCTO-VICTORE De Verbo incarnato coll II eacuted PL 176 318D Voir B T COOLMAN The theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 p 83-85 728 laquoOmnium expetendorum prima est sapientia in qua perfecti boni forma consistit raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Didascalicon I I ed BUTTIMER p 4 = PL 176 741B 729 laquo Diuina sapientia significatur que propterea nullius indigere dicitur quia nihil minus continet sed semel et simul omnia intuetur preterita presentia et futura Viuax mens idcirco appellatur quia quod semel in diuina fuerit ratione nulla umquam obliuione aboletur Primeua ratio rerum est quia ad eius similitudinem cuncta formata sunt raquo Ibid II I ed BUTTIMER p 23 = PL 176 751A 730 laquo Est autem philosophia amor et studium et amicitia quodammodo sapientie sapientie uero non huius que in ferramentis quibusdam et in aliqua fabrili scientia notitiaque uersatur sed illius sapientie que nullius indigens uiuax mens et sola rerum primaeua ratio est raquo Ibid I II ed BUTTIMER p 6-7 = PL 176 743A 731 laquo Ille ordo est cognitionis iste conditionis quia primum corporea creatura quae uisibilis est in cognitione occurrit deinde a corporea creatura ad incorpoream cognitio transit postremo uia inuestigationis aperta usque ad conditorem utriusque peruenit In conditione uero primo gradu ad imaginem Dei rationalis creatura facta est deinde creatura corporea ut creatura rationalis in ea foris agnosceret quid a creatore intus accepisset In sapientia Dei est ueritas in rationali creatura imago ueritatis in corporea creatura umbra imaginis Rationalis creatura facta est ad Dei sapientiam corporea creatura facta est ad rationalem creaturam Propter quod omnis motus et conuersio corporeae creaturae est ad rationalem creaturam et omnis motus et conuersio rationalis creaturae esse debet ad Dei sapientiam ut dum quodque suo semper superiori adheret per conuersionem nec primae conditionis ordinem nec primi exemplaris in se perturbet similitudinem Quisquis ergo uia inuestigationis de uisibilibus ad inuisibilia transit primum a corporea creatura ad rationalem creaturam deinde a rationali creatura ad considerationem sui creatoris mentis intuitum ducere debetraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XXV eacuted POIREL p 61 = PL 176 835A-C Cf Th LESIEUR laquo Raison et rationaliteacute chez Hugues de Saint-Victor raquo dans Lrsquoeacutecole de Saint-Victor de Paris Influence et rayonnement du Moyen Acircge agrave lrsquoEpoque moderne eacuted D POIREL Turnhout 2010 (Biblioteca Victorina XXII) p 393-4

273

La creacuteation a deux eacutetapes la creacuteation rationnelle et la creacuteation corporelle La sagesse de

Dieu est un acteur de la creacuteation la creacuteature rationnelle est faite selon elle Mais la Sagesse est

identique agrave Dieu elle nrsquoest pas creacuteeacutee Le retour des creacuteatures agrave son creacuteateur (conversio) va suivre

lrsquoordre inverse pour que chaque creacuteature (corporelle et rationnelle) rejoigne son prototype

(exemplar) La veacuteriteacute se deacutegrade en descendant du haut vers le bas Comme les ecirctres humains se

situent en bas lrsquoordre de la connaissance est lrsquoinverse de lrsquoordre de la creacuteation Des traces de Dieu

dans la creacuteature corporelle megravenent vers son image dans la creacuteature rationnelle et agrave la fin vers Dieu

lui-mecircme

Nous avons ainsi eacutetabli que la forme est relieacutee agrave la Sagesse La Sagesse est le prototype du

bien dans la creacuteature car elle contient la forme de tout ce qui est bon Elle contient aussi la veacuteriteacute qui

est le prototype des vera De cette faccedilon elle est le modegravele de la creacuteature Elle est increacuteeacutee et elle est

en haut dans la hieacuterarchie de la creacuteation Cependant Hugues ne deacuteveloppe pas vraiment la doctrine

de la multitude des formes Vu que la sagesse est identique agrave Dieu elle est homogegravene Elle ne se

multiplie pas

En deacutefinitive la notion de forma nrsquoest pas centrale chez Hugues de Saint-Victor Richard ne

lrsquoutilise quasiment jamais La deacutefinition hugonienne de forma a eacuteteacute prise des doctrines

aristoteacutelicienne (la structure qui se superpose sur un reacuteceptacle en le changeant) et platonicienne

(lrsquoideacutee le prototype intellectuel drsquoune chose mateacuterielle) Il semble qursquoHugues a aussi eacuteteacute influenceacute

par Augustin notamment par sa doctrine de la transformation de la nature humaine gracircce agrave Dieu et

par la doctrine de la conversion

La Sagesse de Dieu est la forme exemplaire La hieacuterarchie des ecirctres est preacutesente chez

Hugues mais ce nrsquoest pas la hieacuterarchie des formes

VIII3 Forma dans le De unitate drsquoAchard de Saint-Victor

La forme est lrsquoune des notions les plus freacutequemment utiliseacutees dans le De unitate La plus

grande partie de cette œuvre (I 43-II 15) est consacreacutee agrave lrsquoune des sortes de raisons premiegraveres

appeleacutees ici laquo raisons formelles raquo ou simplement laquo formes raquo

Cette doctrine a eacuteteacute deacutejagrave partiellement analyseacutee dans le chapitre VII laquo La pluraliteacute des

raisons dans le Verbe raquo Nous avons eacutetudieacute la raison formelle en tant que sorte des raisons

eacuteternelles et la forme premiegravere en tant que Verbe Certains problegravemes relatifs agrave la doctrine des

formes comme ceux des deux niveaux drsquoexistence des formes in intellectuin actu et la

correspondance entre les formes et le monde sensible seront traiteacutes dans les chapitres suivants

274

Examinons les cas drsquoemploi du mot forma et de ces deacuteriveacutes (formare ndash formatus ndash formatio

ndash formalis ndash formaliter) dans le De unitate

Selon les questions qui ont eacuteteacute poseacutees au deacutebut de ce chapitre nous allons eacutetudier (1) les

diffeacuterents aspects de la notion de forma (2) la hieacuterarchie des formes et (3) leur varieacuteteacute Nous allons

traiter eacutegalement (4) lrsquoemploi de forma dans le chapitre II 21 qui est diffeacuterent du reste du texte Il

est inteacuteressant de voir dans quelle mesure cette acception correspond agrave la doctrine de forma qui

ressortira des chapitres I 37 ndash II 16

VIII31Qursquoest-ce que la forme

La reacuteponse la plus courte agrave la question laquo qursquoest-ce que la forme raquo est laquo la raison formelle

drsquoune chose raquo (I 39 puis II 3) Lrsquoideacutee de la primauteacute de la forme par rapport agrave la chose est preacutesente

dans cette reacuteponse (mecircme srsquoil nrsquoest pas eacutevident tout de suite si cette primauteacute est ontologique ou

eacutepisteacutemologique732) Par conseacutequent cette deacutefinition semble ecirctre inscrite dans un cadre platonicien

la forme est un prototype drsquoune chose Pourtant les aspects du sens de forma peuvent varier agrave

lrsquointeacuterieur de cette deacutefinition Dans cette sous-partie les diffeacuterents sens de la notion de forma seront

eacutetudieacutes

Pour la premiegravere fois Achard parle de lrsquoexistence des raisons formelles aux deux niveaux

hic et ibi en I 39

laquo Autre est ce selon quoi agrave savoir la forme du livre que lrsquoesprit perccediloit soit qursquoelle ait eacuteteacute

conccedilue du dedans par une communication propre ou quelque reacuteveacutelation soit qursquoelle ltygt ait

eacuteteacute introduite du dehors par lrsquointermeacutediaire des sens corporels et agrave nouveau traduite agrave

lrsquoexteacuterieur dans la matiegravere corporelle par les instruments du corps afin qursquoelle soit lagrave aussi

corporellement ce qursquoelle est aupregraves de ltlrsquoespritgt et que ltcelui-cigt mecircme lorsqursquoil lrsquoa

eacutepancheacutee la retienne corporellement 733raquo

Ainsi Achard distingue les formes conccedilues par quelqursquoun et les formes dans la matiegravere

corporelle La perception a lieu quand les formes mateacuterielles sont conccedilues agrave travers les sens

corporels

732 La question si les formes sont premiegraveres dans la reacutealiteacute (ontologiquement) ou dans la connaissance (logiquement) sera poseacutee dans le chapitre IX laquo Intellectus raquo 733 laquo Aliud secundum quod id est forma libri quam intuetur animus vel ab intus propria ex communicatione sive aliqua revelatione conceptam vel a foris per corporis sensus introductam quam iterum per corporis instrumenta forinsecus in corporalem trajicit materiam ut et ibi sit corporaliter quod apud se et in se etiam cum effuderit eam retineat corporaliterraquo De unitate I 39 eacuted MARTINEAU p 108-109

275

En I 40 Achard traite de Jean I 3-4 Genegravese I 3 I 6 et I 10 de maniegravere agrave deacutevelopper la

doctrine des trois sortes de raisons Agrave propos du verset laquo ce qui a eacuteteacute fait en lui eacutetait vie raquo (Jean I

3-4) il preacutecise qursquoil srsquoagit de laquo la forme intellectuelle de ce qui a eacuteteacute fait raquo ou de laquo la premiegravere

raison formelle de ce qui a eacuteteacute fait raquo Il nous semble qursquoil parle ici plutocirct de la forme unique de tout

ce qui a eacuteteacute creacuteeacute (comme la forme premiegravere qui est Verbe) Mais agrave la fin de ce chapitre il traite un

autre exemple de la Genegravese ougrave il interpregravete le verset laquo Que la lumiegravere soit raquo ou laquo Que le firmament

soit raquo (Gen I 3) en tant que laquo la forme de la chose agrave faire raquo (Gen I 6) Ici il srsquoagit de la creacuteation de

la chose particuliegravere (la lumiegravere) qui a une forme Les deux exemples preacutesenteacutes dans ce chapitre

servent agrave illustrer les diffeacuterents types de formes (la forme premiegravere unique de tout ce qui a eacuteteacute creacuteeacute

et les formes qui sont les prototypes des choses)

Un autre exemple de lrsquoemploi de la notion de forme (ou plutocirct les pronoms ipsa et quae qui

deacutesignent la forme) dans deux sens diffeacuterents est en II 2

laquo Elle est donc elle-mecircme le modegravele premier de tout et la forme premiegravere en laquelle

srsquoaccomplit la formation intellectuelle eacuteternelle des choses Quant agrave ltla formegt qui

provient drsquoelle ltelle se trouvegt actuellement dans ces choses mecircmes faites dans le

temps et par conseacutequent elle est aussi elle-mecircme faite temporelle ici-bas734 raquo

A la fin de ce mecircme chapitre drsquoautres arguments en faveur de lrsquoexistence de la forme

premiegravere sont preacutesents Rappelons

- selon lrsquoEcriture les creacuteatures ont eacuteteacute formeacutees drsquoabord in intellectu par Dieu comme les

formes eacutetant donneacute qursquoelles sont formeacutees il doit exister un prototype qui soit supeacuterieur

agrave elles crsquoest-agrave-dire forme premiegravere735

- tout a eacuteteacute formeacute par Dieu selon sa Sagesse qui est donc une forme premiegravere

Le premier argument renvoie au fameux argument du laquo troisiegraveme homme raquo si chaque

forme avait eacuteteacute formeacutee selon son propre modegravele ce modegravele aurait eu son propre modegravele et cela

aurait continueacute jusqursquoagrave lrsquoinfini736 Le deuxiegraveme permet de deacutecouvrir que la forme premiegravere en tant

734 laquo Ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna quae ex ipsa est actualiter in rebus ipsis temporaliter factis et ideo ipsa quoque hic facta temporalis raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140-141 Combes ainsi que Martineau (p 141 note 23) ont reacutemarqueacute cette acception A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p p 95 note 1 735 Rappelons notre explication proposeacutee auparavant laquo la forme premiegravere possegravede la nature plus haute que les formes si non elle ne pourrait pas ecirctre le modegravele premier (exemplar primum) et il y aurait dont lrsquoinfiniteacute des modegraveles pour chaque forme raquo voir II 2 laquo Oportet ergo ut et ibi secundum formam et exemplar aliquod facta sint et formata quod et superius eis sit et natura prius non solum ut hic sunt sed etiam ut ibi ltsicutgt suadet ratio alioquin et ipsum ibi formatum esset ipsumque jam exemplar habere aliud necesse esset nec exemplar primum esse posset sed nec aliquid vel hic vel ibi a Deo formari potuit quod non secundum rationem formaretur nec secundum aliam nisi secundum aeternam atque divinam id est secundum ipsam Dei sapientiam in qua et ipse fecit omnia antequam in se ipsis fierent per illam raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 140 736 Une source possible de lrsquoargument du troisiegraveme homme dans le De unitate est le Timeacutee de Platon trad par Calcidius

276

que Sagesse est en mecircme temps le modegravele premier et le milieu ougrave les formes ont eacuteteacute creacuteeacutees (laquo Tu as

tout fait dans la sagesse raquo Psaume CIII 24737)

Ainsi Achard utilise le mot laquo forma raquo en deux emplois la forme premiegravere et les formes des

choses Ces deux types de formes preacutecegravedent les choses et la forme premiegravere preacutecegravede les formes

creacuteeacutees

Les nuances de la signification de la notion de forma peuvent ecirctre distingueacutees agrave travers

lrsquoanalyse de lrsquoemploi du verbe formare Il signifie laquo mettre en forme raquo laquo former raquo laquo faccedilonner raquo

Envisageons comment Achard comprend le processus de laquo mettre en forme raquo Il existe deux sortes

drsquoobjets de ce processus des choses (I 19 39) ou des formes elles-mecircmes (II 2)

Les choses sont formeacutees par les raisons formelles et drsquoune certaine faccedilon selon les raisons

deacuteployantes (I 39) Elles sont formeacutees drsquoabord en Dieu intellectuellement et ensuite ici-bas en

acte Achard dit que en dehors des formes les choses possegravedent aussi une certaine matiegravere (les

essences simples informes I 43) et donc nous pouvons deacutecrire le processus de formare des

choses comme lrsquoimposition de forme au reacuteceptacle738

Une autre notion qui deacutecrit la relation des choses et des formes est la formatio En I 43

Achard dit que la formation active (formatio activa) de lrsquoessence est opposeacutee agrave sa simpliciteacute

naturelle qui est comprise comme la privation de toutes les formes Cela nous fait penser qursquoil

srsquoagit de la formation au sens de processus quand le composeacute de la forme et de lrsquoessence est creacuteeacute

Dans le chapitre II 2 Achard dit que la formation intellectuelle eacuteternelle des choses srsquoaccomplit

dans la forme premiegravere et il le redit dans le chapitre II 13

Un fragment du chapitre II 10 peut nous donner une cleacute pour comprendre la notion de

formatio

laquo Ainsi une bague neuve si lrsquoor en est ancien ne devient pas pour autant purement et

simplement ancienne dans une telle expression la veacutetusteacute est attribueacutee agrave la seule matiegravere

entrant dans ce compos lrsquoacte de la formation739 raquo

laquo Nunc utrum recte mundum unum dixerimus an plures dici oportuerit uel innumerabiles etiam considerandum Vnum plane quoniam iuxta exemplum formatus est id enim quod uniuersa continet intellegibilia cum alio secundum esse non poterat utrum enim ex duobus contineret omnia non opinor liqueret nec esset unum et simplex initium cuncta continens sed coniugatio copulata Vt igitur exemplari cuius aemulationem mutuabatur etiam in numero similis esset idcirco neque duo nec innumerabiles mundi sed unicus a deo factus est raquo CALCIDIUS Platonis Timaeus dans Commentaire au laquo Timeacutee raquo de Platon eacuted B BAKHOUCHE p 158-160= eacuted Estienne 31AB Cependant Achard fait la diffeacuterence au niveau de la terminologie entre lrsquoexemplum (copie) et lrsquoexemplar (modegravele) (voir I 43 du De unitate) tandis que pour Calcidius ces deux termes sont les synonymes (voir par exemple le passage citeacute) 737 De unitate II 2 eacuted MARTINEAU et la suite laquo ipsa autem facta non est vel formata ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna raquo p 140 738 Nous croyons que la description de lrsquoimpression des formes dans la matiegravere donneacutee par Paul Vincent Spade peut ecirctre reprise comme lrsquoeacutequivalent de la formation PV SPADE laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p 6 739 laquo Sic enim anulus novus si aurum est vetus non tamen simpliciter vetus in hac siquidem locutione vetustas soli attribuitur materiae in illa formatione raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 168-169 trad Modifieacutee par I LYSTOPAD

277

La formation des formes (toujours deacutesigneacutee par le verbe formare) srsquoaccomplit dans la forme

premiegravere et drsquoapregraves elle Crsquoest la Sagesse qui est sa raison eacuteternelle et divine le Verbe de Dieu et

son intellect (II 2) La creacuteation des formes se passe de la maniegravere suivante elles sont faites de rien

(ex nihilo) creacuteeacutees dans elles-mecircmes et formeacutees intellectuellement (II 2) Ce processus est compareacute

agrave la geacuteneacuteration du Fils740 Les formes ne sont faites de rien (ex nihilo) Dans ce cas il srsquoagit plutocirct

de la creacuteation pure et non de lrsquoimposition de forme au reacuteceptacle

En conseacutequence mecircme avant drsquoexposer sa doctrine de la hieacuterarchie des formes Achard se

rend compte que le mot forma peut avoir des emplois diffeacuterents la forme premiegravere la forme creacuteeacutee

la forme dans la matiegravere La forme premiegravere preacutecegravede les formes creacuteeacutees selon lrsquoexistence mais les

formes dans la matiegravere preacutecegravedent les formes creacuteeacutees selon lrsquoordre de la connaissance de lrsquohomme

La forme prise dans un contexte hieacuterarchique (forme premiegravere formes creacuteeacutees etc) deacutesigne

la cause drsquoune existence de lrsquoecirctre qui provient agrave partir drsquoelle La forme nrsquoest creacuteeacutee de rien comme

lrsquoideacutee dans lrsquointellect de Dieu mais ensuite elle est imposeacutee comme idos au reacuteceptacle dans le

monde sensible

VIII32 La hieacuterarchie des formes

Dans cette partie la doctrine drsquoAchard sur lrsquoordre des formes sera eacutetudieacutee Nous allons

montrer qursquoelle est deacuteveloppeacutee de maniegravere explicite mais aussi implicite

Dans le chapitre II 13 Achard eacutenumegravere les trois types de formes la forme premiegravere (qui est

le Verbe mecircme) les formes (qui sont formeacutees dans la forme premiegravere) et les formes qui sont dans

les choses (II 13) Il identifie les deux derniegraveres avec les ideae et les idos (cette distinction est

emprunteacutee agrave Seacutenegraveque ainsi que la maniegravere drsquoeacutecrire idos pour eidos)741 Lrsquoideacutee ou la forme du

deuxiegraveme type est selon Achard laquo la forme de la chose agrave faire raquo (forma faciendae rei) crsquoest-agrave-dire

la forme qui sert de modegravele de la chose tandis que lrsquoidos ougrave la forme du troisiegraveme type est laquo la

forme de chaque chose raquo (forma quidem cujusque rei) crsquoest-agrave-dire la forme reacutealiseacutee dans la

chose742 Crsquoest ainsi qursquoAchard attribue aux ideacutees lrsquoexistence comme intelligeacutees par lrsquoacircme (mens743)

ou par lrsquoesprit et aux idos lrsquoexistence mateacuterielle dans les œuvres

740 laquo Si quis autem quaerat utrum ibi sint per creationem numquid hoc verius per solam Filii generationem per quam et hic quoque sunt ibi sunt per ipsam creationem ltnedumgt tamen ibi facta sunt sed et dici possunt ibi antequam in seipsis creata et de nihilo facta et intellectualiter prorsus formatahellip raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140 741laquo Stoicis placet unam causam esse id quod facit Aristoteles putat causam tribus modis dici lsquoprima inquit causa est ipsa materia sine qua nihil potest effici secunda opifex tertia est forma quae unicuique operi imponitur tamquam statuaersquo nam hanc Aristoteles idos uocat lsquoQuarta quoque inquit his accedit propositum totius operisrsquoraquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LXV eacuted PRECHAC p 107 A ce propos voir I CAIAZZO laquo Sur la distinction seacuteneacutechienne ideaidos au XIIe siegravecle raquo dans Chora t 34 2006 p 99-100 et 104 742 laquo hellipin arte rem faciendi videtur et forma faciendae rei et forma quidem cujusque rei raquo De unitate II 13 eacuted MARTINEAU p 172-173

278

laquo Or la forme premiegravere est veacuteritablement et absolument coeacuteternelle immuable et comme on

lrsquoa dit elle est non seulement dans le Verbe de Dieu mais le Verbe de Dieu lui-mecircme Pour

la forme seconde en revanche si elle est qualifieacutee drsquoeacuteternelle et drsquoimmuable comme on lrsquoa

montreacute plus haut ce nrsquoest pourtant pas agrave cause de sa substance mais uniquement agrave cause de

son mode drsquoexister crsquoest-agrave-dire drsquoecirctre intelligeacutee lagrave-bas ltdegraves lorsgt elle nrsquoest point le Verbe

lui-mecircme mais elle est agrave partir du Verbe quoique non encore en acte Quant agrave la forme

troisiegraveme elle nrsquoest absolument pas dans le Verbe et elle est temporelle et variable elle est

telle selon sa substance ce que nrsquoest pas la premiegravere et selon son mode drsquoexistence ce que

ne sont ni la premiegravere ni la seconde La premiegravere cependant convient avec la seconde dans

un certain mode drsquoexistence mais elle diffegravere de la troisiegraveme et dans la substance et dans le

mode de subsistance La seconde quant agrave elle convient avec la premiegravere comme on lrsquoa dit

dans le mode mais elle en diffegravere dans la substance tandis qursquoelle convient avec la

troisiegraveme dans la substance mais en diffegravere dans le mode La seconde en effet nrsquoest rien

drsquoautre que la forme telle dans lrsquointellect qursquoelle est en acte mais non pas dans le mecircme

eacutetat744 raquo

Agrave partir de cela les statuts de chacun des trois types de formes sont plus ou moins clairs La

forme premiegravere et la forme seconde ont le mecircme mode drsquoexistence qui est diffeacuterent de celui de la

troisiegraveme Nous croyons qursquoil srsquoagit des modes drsquoexistence in intellectu (la forme premiegravere et

seconde) et in actu (la forme troisiegraveme) La substance de la forme premiegravere nrsquoest pas la mecircme que

la seconde et la troisiegraveme Achard ne preacutecise pas de quelle substance il srsquoagit Pourtant nous

supposons que la substance de la forme premiegravere est divine car elle est le Verbe de Dieu De ce fait

la substance des formes seconde et troisiegraveme est diffeacuterente de celle-lagrave (voir agrave ce propos le chapitre

VII313 laquo Lrsquoincarnation et la doctrine des formes raquo de notre recherche)

De cette maniegravere Achard utilise la Bible pour eacutetablir la doctrine selon laquelle la forme

premiegravere est la deuxiegraveme personne de la Triniteacute crsquoest-agrave-dire le Fils ou la Sagesse de Dieu ou son

Verbe Les formes creacuteeacutees sont dans cette premiegravere forme in intellectu et dans le monde in actu

743 La mens dans le De unitate peut deacutesigner lrsquoacircme humaine mais aussi lrsquointelligence divine voir le chapitre IXlaquo Intellectus raquo 744 laquo Et est prima vere prorsus coaeterna non mutabilis et ut dictum est non modo in Dei verbo sed et ipsum Dei verbum Secunda autem si nominatur aeterna et immutabilis ut supra ostendimus non tamen propter substantiam sed solum propter ibi existendi id est intelligendi modum nec est verbum ipsum sed ex verbo quamvis nondum ltin actugt Tertia vero omnino est ltnongt in verbo et est temporalis et variabilis id est secundum substantiam quemadmodum non prima et secundum existendi modum quod nec prima nec secunda Tamen ltcongtvenit prima cum secunda in quodam existendi modo a tertia autem differt et in substantia et in modo subsistendi Secunda vero cum prima convenit ut dictum est dans Modo sed differt in substantia e converso autem cum tertia convenit in substantia sed in modo differt Secunda namque non est aliud nisi forma talis in intellectu qualis in actu sed non taliter raquo De unitate II 13 eacuted MARTINEAU p 172-173

279

Lrsquoorigine philosophique de cette doctrine est eacutegalement eacutevoqueacutee par Achard elle provient des

textes de Platon agrave travers Seacutenegraveque et Augustin745

En deacutecrivant la forme premiegravere dans le chapitre II 14 Achard dit qursquoelle est laquo non ltcertesgt

informe mais suprecircmement formelle (belle) quoique non formeacutee746 raquo Donc par rapport agrave la forme

et son reacuteceptacle il existe trois eacutetats possibles ecirctre formeacutee (formata) informe (informis) et

suprecircmement formelle (summe formosa)

Lrsquoadjectif informis apparaicirct dans le De unitate trois fois 1) dans les choses il y a des

essences simples informes (I 43) 2) la forme premiegravere nrsquoest pas informe (II 14) 3) la nature

nrsquoavait pas de forme avant la gracircce de la creacuteation (II 21 ad naturam informem formandam)

laquo Informe raquo deacutesigne ainsi quelque chose qui nrsquoa pas sa propre forme

Lrsquoadjectif formata est le participe passeacute du verbe formare et en tant que tel il est employeacute

souvent dans le De unitate Il qualifie le reacuteceptacle qui a deacutejagrave reccedilu sa forme ou la forme qui a eacuteteacute

creacuteeacutee intellectuellement Il y a eacutegalement drsquoautres participes passeacutes qui servent agrave deacutecrire les formes

facta et creata

Apregraves avoir eacutetabli lrsquoordre des formes en II 13-15 Achard applique lrsquoexpression laquo ce qui a

eacuteteacute fait en lui eacutetait vie raquo (Jean 1 4) afin de preacuteciser le statut des formes La forme premiegravere nrsquoest ni

facta ni formata en elle-mecircme (II 13) mais elle est summe formosa (suprecircmement formelle belle)

(II 14) Par ailleurs cette premiegravere forme peut ecirctre conccedilue comme faite et formeacutee en acte crsquoest-agrave-

dire dans les choses (II 13)

Par rapport aux formes qui sont de la forme premiegravere Achard affirme en II 2

laquo Ils747 sont lagrave-bas par la creacuteation mecircme mais loin drsquoavoir eacuteteacute faits lten actegt lagrave-bas on

peut dire que lagrave-bas avant drsquoecirctre en eux-mecircmes ils ont eacuteteacute lsquocreacuteeacutesrsquo ltau sens degt faits de

rien crsquoest-agrave-dire bel et bien formeacutes intellectuellement748 raquo

Dans le chapitre II 5 il dit que les formes des choses sont non creacuteeacutees (increatae) en elles-

mecircmes et creacuteeacutees dans les choses sujettes (II 5) En ce qui concerne les idos Achard nrsquoexamine pas

srsquoils sont faits ou creacuteeacutes

En deacutefinitive formata facta et creata srsquoapplique aux formes ainsi qursquoaux choses Pourtant

il faut toujours preacuteciser la modaliteacute de ces notions (dans lrsquointellect ou en acte) qui est deacutependante

745 Voir le chapitre II 12 du De unitate eacuted MARTINEAU p 170-171 Martineau preacutecise qursquoil srsquoagit des Lettres LVIII et LXV de Seacutenegraveque et de De diversis quaestionibus 83 qu 46 drsquoAugustin 746 laquo Hic formata quae ibi non informis sed summe formosa non tamen formata raquo De unitate II 14 eacuted MARTINEAU p 174-175 747 En deacutecrivant les raisons eacuteternelles des choses ou des formes Achard parle souvent au neutre (facta creata formata) ce qui est traduit en franccedilais au masculin 748 laquo Ibi sunt per ipsam creationem ltnedumgt tamen ibi facta sunt sed et dici possunt ibi antequam in seipsis creata et de nihilo facta et intellectualiter prorsus formata raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140-41

280

drsquoun sujet auquel elle srsquoapplique La forme premiegravere en elle-mecircme nrsquoest ni faite ni creacuteeacutee ni formeacutee

mais dans les choses sujettes elle est conccedilue comme telle Les formes sont formeacutees creacuteeacutees et faites

de rien dans le Verbe de Dieu qui est la forme premiegravere intellectuellement mais elles sont formeacutees

creacuteeacutees et faites dans les choses (dans la matiegravere) en acte Les choses sont formeacutees faites et creacuteeacutees in

actu ici-bas mais elles sont conccedilues comme les formes dans lrsquointellect

Lrsquoadjectif formosa est utiliseacute une seule fois dans lrsquoexpression forma formosa (II 14) Cet

adjectif provient originellement du mot forma et signifie proprement laquo fait au moule raquo par suite

laquo bien fait beau raquo Dans le De unitate Achard emploie une fois lrsquoexpression Forma summe

formosa (II 14) que Martineau traduit comme laquo suprecircmement formelle raquo laquo belle raquo et Feiss comme

ldquosupreme formal beautyrdquo Normalement nous devons traduire laquo formosa raquo par laquo belle raquo en gardant

lrsquoideacutee de forme De plus les trois adjectifs employeacutes dans cette phrase (informis formata formosa)

eacutevoquent un ordre de lrsquoeacutetat de la forme et que formosa correspond agrave lrsquoeacutetat le plus haut qui deacutepasse

formata

En outre Achard introduit la doctrine de la hieacuterarchie des formes lors de la description des

sortes diffeacuterentes des formes Voici sa description des vertus et des beacuteatitudes qui sont eacutegalement

parmi les formes des choses

laquo Or les vertus des creacuteatures que les saints reccediloivent par gracircce sont des participations de ces

vertus premiegraveres et suprecircmes qui sont toutes en Dieu et tout entiegraveres et en mecircme temps et

toujours et toutes ne sont substantiellement lagrave-bas qursquoune seule vertu et elle-mecircme nrsquoest

rien drsquoautre que Dieu mecircme de mecircme les beacuteatitudes des creacuteatures ne sont rien sinon des

deacuterivations de la beacuteatitude suprecircme qui est en Dieu et qui est Dieu et les unes et les autres

ne sont rien drsquoautre que des connexions de la creacuteature rationnelle au Creacuteateur comme de

lrsquoimage а lrsquoUniteacute qui elles-mecircmes paraissent ecirctre des images de cette connexion suprecircme

qui est entre les personnes de la Triniteacute749raquo

Voici une interpreacutetation de sa doctrine des vertus et des beacuteatitudes dans la lumiegravere de la

doctrine de la hieacuterarchie des formes eacuteternelles

749 laquo Virtutes autem creaturarum quas per gratiam accipiunt ltsanctigt quaedam sunt illarum quae in Deo omnes et totae et simul et semper sunt virtutum primarum et summarui participationes quae omnes substantialiter ibi una sunt virtus nec ipsa aliud nisi ipse Deus Item creaturarum beatitudines nonnisi beatitudinis summae quae in Deo et Deus est quaedam sunt derivationes et utraeque non aliud sunt nisi creaturae rationalis ad creatorem suum tanquam imaginis ad unitatem connexiones raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144

281

Les vertus

una virtus ipse Deus

virtutes primae et summae omnes substantialiter ibi una

sunt virtus

virtutes autem creaturarum quas per gratiam accipiunt

ltsanctigt

participationes virtutum

primarum et summarum

Les beacuteatitudes

beatitudo summa in Deo et Deus est

creaturarum beatitudines derivationes beatitudinis summae

Ainsi les vertus ont le mecircme ordre hieacuterarchique que les formes (la Vertu ndash la forme

premiegravere les formes creacuteeacutees ndash les vertus premiegraveres et suprecircmes les vertus accepteacutees des creacuteatures ndash

les formes dans les choses) Les vertus des saints participent aux vertus premiegraveres et les vertus

premiegraveres sont substantiellement une Vertu Les beacuteatitudes par contre nrsquoont que deux

niveaux exprimeacutes la beacuteatitude suprecircme et les beacuteatitudes des creacuteatures Les derniegraveres deacuterivent

directement de la premiegravere

Les nombres sont aussi parmi les formes Ils sont donc de deux sortes intelligibles et

nombrables (posteacuterieurs) ndash ce qui correspond agrave deux niveaux meacutetaphysiques lagrave-bas et ici Achard

compare les nombres aux formes

laquo Mais peut-ecirctre bien que lrsquoon peut intelliger agrave propos des nombres tout comme agrave propos

des formes des choses qursquoils sont les mecircmes dans les raisons ou en eux-mecircmes crsquoest-agrave-dire

invariables increacuteeacutes eacuteternels veacuteritables et premiers ou plutocirct la veacuteriteacute mecircme un principe et

une cause des nombres posteacuterieurs mais que dans les creacuteatures et les choses sujettes

conformeacutement agrave la qualiteacute et agrave la nature de celles-ci ils sont variables creacuteeacutes et temporels

nrsquoeacutetant alors que des simulacres et des traces de la veacuteriteacute et des effets de la cause

principale750 raquo

750 laquoForsitan vero ut de rerum formis sic intelligi potest et de numeris quia ipsi idem in rationibus sive in se ipsis ltingtvariabiles sunt increati aeterni veri et primi vel potius veritas ipsa atque principium quoddam causaque posteriorum in creaturis vero et rebus subjectis pro rerum earundem qualitate atque natura variabiles creati temporales simulacra et vestigia veritatis effectusque causae principalis raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152-3

282

Par conseacutequent les nombres existent aussi aux deux niveaux ndash celui de raisons et celui des

choses Achard ajoute que parmi les nombres intelligibles il y a eacutegalement les proportions des

nombres qui sont les connexions des nombres Voici le scheacutema de la hieacuterarchie des nombres

numeri intellectuales primi proportiones numerorum =

connexiones numerorum

in Dei sapientia

numeri numerabiles proportiones rerum inferiores

Ainsi il srsquoagit de lrsquoordre hieacuterarchique la Sagesse de Dieu les nombres intellectuels (y

compris leurs proportions) et les nombres nombrables

Il est finalement eacutetabli que les sortes diffeacuterentes de raisons formelles ont leur hieacuterarchie qui

est dans la plupart des cas celle des trois niveaux la forme premiegravere (la Sagesse ou le Verbe) les

formes creacuteeacutees et les formes imprimeacutees dans la matiegravere La forme premiegravere (le Verbe) est

suprecircmement formelle donc elle nrsquoest pas creacuteeacutee comme les autres formes Les formes sont creacuteeacutees

ex nihilo dans lrsquointellect de Dieu (elles sont formeacutees in intellectu) et elles sont formeacutees in actu en

tant qursquoidos agrave travers lrsquoimpression agrave la matiegravere

Le mecircme scheacutema tripartite srsquoapplique aux vertus et aux nombres (ceux-ci sont eacutegalement

dans la Sagesse de Dieu ensuite il y a les nombres premiers et les nombres nombrables dans les

choses) Les beacuteatitudes des creacuteatures sont les deacuteriveacutees de la beacuteatitude suprecircme qui est en Dieu De

cette faccedilon elles sont eacutegalement distinctes selon les niveaux et pourtant leur hieacuterarchie consiste en

deux termes exprimeacutes et non trois

VIII33 La varieacuteteacute des formes

La premiegravere preacutesentation de la doctrine des formes en I 39 creacutee une impression qursquoil existe

une seule forme pour une seule chose ou qursquoil srsquoagit drsquoune certaine forme individuelle Mais Achard

ne le dit pas Au contraire il deacutecrit plusieurs uniteacutes intelligibles qui sont formes ou qui existent

parmi les raisons mais qui sont susceptibles de se multiplier et drsquoecirctre dans les plusieurs choses

Deacutesormais nous allons les eacutetudier

1) Comme nous venons de le dire les nombres font partie des raisons eacuteternelles

2) Une autre sorte de formes est deacutefinie en II 5 Cependant Achard en parle avant En I 45

il dit

283

laquo Lagrave-bas cependant sont distinctes les formes non seulement substantielles mais aussi

accidentelles non seulement geacuteneacuteriques mais speacutecifiques eacutetant eacutegalement telles dans les

accidents Parmi les formes substantielles en outre ltil y agt non seulement les formes

communes mais aussi les formes singuliegraveres751 raquo

Les formes substantielles (geacuteneacuteriques speacutecifiques et singuliegraveres) et accidentelles sont

deacutecrites En II 3 Achard parle de la distinction des raisons eacuteternelles

laquo Et en effet lagrave-bas sont neacutecessairement sous leurs raisons propres non pas seulement les

genres des choses et tous leurs espaces mais aussi les individus et non seulement les touts

mais les parties bien qursquoelles soient infinies dans une chose mecircme unique et tout ce qui est

substantiel et accidentel et dans les accidents tant les quantiteacutes que les qualiteacutes etc 752 raquo

Nous proposons le classement suivant

- Les substances

bull les individus les ecirctres singuliers et leurs parties

bull les genres et les espegraveces

- les accidents quantiteacutes qualiteacutes etc

- les vertus et les beacuteatitudes753

De cette faccedilon Achard reprend les divisions principales de lrsquoontologie

aristoteacutelicienne (Cateacutegories 1a 20ndash1b9) celle de la substance et des accidents et celles de la

substance particuliegravere et universelle A ces sortes de raisons il ajoute les vertus et les beacuteatitudes qui

sont dans les creacuteatures

En II 5 Achard preacutesente des formes qui servent agrave concevoir les choses sensibles

laquo Et aux raisons formelles et eacuteternelles des choses se rapportent eacutegalement semble-t-il

toutes celles dans lesquelles les choses sont vues ou peuvent ecirctre vues agrave savoir les espegraveces

des choses ou leurs quantiteacutes ou leurs natures ou leurs figures ou leurs relations ou leurs

mouvements ou quoi que ce soit qui est dans les choses et peut ecirctre veacuteritablement compris

751 laquoDistinctae autem sunt ibi formae non solum substantiales sed accidentales non modo generales sed speciales in accidentibus quoque tales In substantialibus quoque non solum communes sed et singularesraquo eacuted MARTINEAU De unitate I 45 p 116-117 752 laquo Etenim ibi sunt necessario sub rationibus suis non modo rerum genera et species universae sed et individua nec modo tota sed et partes licet sint infinitae in re et una et ea quae ltsuntgt substantialia et accidentalia et in accidentibus tam quantitates quam qualitates et ltcaeteragt universaliter omnia raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-145 753 laquoNec tantum certe creaturarum et naturarum ltsed etgt virtutum et beatitudinum distinctae sunt ratione raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144

284

en elles or assureacutement tout cela ne peut lrsquoecirctre que dans leurs raisons et leurs veacuteriteacutes

lesquelles doivent ecirctre immuables pour qursquoagrave partir drsquoelles mecircme des choses muables soit

eacutegalement prise une connaissance ineacutebranlable754raquo

Ainsi en II 5 Achard reacutepegravete certaines formes qui ont eacuteteacute deacutejagrave mentionneacutee avant (les

espegraveces les quantiteacutes les natures755) Le fait qursquoil parle des quantiteacutes et des relations fait penser aux

dix cateacutegories drsquoAristote Il appelle ces raisons formelles laquo celles dans lesquelles les choses sont

vues raquo

3) Et puis dans le chapitre II 7 Achard distingue deux classes de formes des choses

laquo Mais aux raisons formelles des choses il faut enseigner que se rapportent non seulement

celles dans lesquelles les choses sont connues mais aussi celles agrave partir desquelles elles sont

connues crsquoest-agrave-dire agrave partir desquelles il est deacutemontreacute que relativement agrave la deacutemonstration

drsquoune chose mecircme unique et pour prouver agrave son sujet mecircme une seule veacuteriteacute peuvent

converger des raisons innombrables Ainsi pour montrer par exemple drsquoune ligne qursquoelle

nrsquoest pas constitueacutee de points drsquoune surface qursquoelle nrsquoest pas constitueacutee de lignes ou drsquoun

volume (corpus) qursquoil nrsquoest pas constitueacute de surfaces nous intelligeons alors des points

des lignes des surfaces incorporels tels que les conccediloit ou les deacutefinit la raison qui ne

peuvent jamais tomber sous le sens ou lrsquoimagination mais subsistent dans la seule

compreacutehensibiliteacute de la raison ou de lrsquointellect Or peut-ecirctre bien qursquoils ne sont rien drsquoautre

que certaines mesures et formes intelligibles des longueurs et des largeurs qui sont dans les

corps de mecircme que ces corps mecircmes qursquoon appelle matheacutematiques et qui sont deacutetermineacutes

drsquoapregraves la puissance et les raisons des nombres semblent nrsquoecirctre rien drsquoautre que certaines

formes intelligibles des corps sensibles qui sont ou peuvent ecirctre en acte ou certaines raisons

des nombres gracircce auxquels se constitue une science concernant ltces corpsgt ltEtgt bien que

ce soit lagrave-bas dans les nombres intellectuels et premiers que nous deacutecouvrons de

nombreuses ltproprieacuteteacutesgt de ce genre qui ltse trouventgt dans les nombres infeacuterieurs la

matiegravere des corps pour ainsi dire infimes ne paraicirct pas elle non plus moins capable de les

recevoir756 raquo

754 laquo Ad formales quoque rerum rationes aeternas spectare videntur omnes illae in quibus videntur et videri possunt sive rerum species sive rerum quantitates sive naturae sive figurae sive relationes sive motus sive alia quaelibet quae in rebus sunt et vere comprehendi possunt quod utique non possunt etiam nisi in rationibus et veritatibus suis quas incommutabiles esse oportet ut ita ex eis et irrefragibilis capiatur mutabilium etiam rerum cognitio raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152-153 755 Les substances 756 laquo Ad formales autem rerum rationes non solum pertinere tradendae sunt illae in quibus res agnoscuntur sed et illae ex quibus agnoscuntur id est ex quibus demonstratur quod circa unius quoque ltreigt demonstrationem ad unam et de re

285

Ce sont des formes (1) laquo dans lesquelles les choses sont connues raquo et (2) laquo agrave partir

desquelles elles sont connues raquo La premiegravere sorte de formes a eacuteteacute deacutejagrave exposeacutee en II 5 La

deuxiegraveme sorte aide lrsquointellect et la raison agrave comprendre les choses corporelles Crsquoest gracircce agrave eux

que la raison ou lrsquointellect voit certaines choses comme unies (les lignes les surfaces les corps

matheacutematiques) Voici la description de ces formes vues par lrsquointellect par rapport agrave leur

laquo porteurs raquo perccedilus par le sens ou lrsquoimagination

illae ex quibus

agnoscuntur

formae intelligibiles puncti lineae superficies corpora

longitudo latitudo corpora mathematica

ratio intellectus

corpora sensibilia sensus

imaginatio

Ainsi il y a les formes des points des lignes des surfaces incorporelles des volumes des

longueurs des largeurs et des corps matheacutematiques qui sont parmi les nombres intellectuels et

premiers et qui peuvent ecirctre conccedilus par la raison ou lrsquointellect

4) Achard consacre le chapitre II 8 aux universaux Voici la question qursquoil pose

laquo Mais comment les choses universelles sont-elles dans les raisons eacuteternelles des choses

Ont-elles elles-mecircmes lagrave-bas leurs raisons et leurs formes supeacuterieures drsquoapregraves lesquelles

elles seraient formeacutees lagrave-bas intellectuellement et ici en acte de mecircme que sont formeacutees

drsquoapregraves elles les choses sujettes Ou bien est-ce que les formes premiegraveres des choses sont

elles-mecircmes immuables et eacuteternelles en soi et infuseacutees temporellement et par participation

aux choses formeacutees drsquoapregraves elles La question nrsquoest pas mince ni facile agrave trancher pour

nous actuellement757 raquo

illa veritatem comprobandam confluere possunt innumerabiles Ut circa lineam gratia exempli ltquiagt punctis non constat vel superficiem quia ipsa nec ex lineis vel corpus quia nec ipsum ex superficiebus ltpunctosgt autem ltvelgt lineas vel superficies intelligimus incorporales quales eas concipit vel definit ratio quae ad sensum vel imaginationem nunquam venire possunt sed in sola rationis vel intellectus comprehensibilitate subsistunt quae forsitan aliud non sunt nisi mensurae quaedam et formae intelligibiles earum quae in corporibus sunt longitudinum atque latitudinum veluti et corpora ipsa quae appellantur mathematica quae determinantur secundum vim et rationes numerorum aliud esse non videntur nisi formae quaedam intelligibiles eorum quae actu sunt vel esse possunt corporum sensibilium vel rationes quaedam numerorum per quas de illis doctrina constituitur Quamvis ibi in numeris intellectualibus et primis multa reperiantur circa hujusmodi quae in numeris inferioribus materiacutea ipsa corporum quasi infir[r]morum et minus capax non videtur posse suscipere raquo De unitate II 7 Eacuted MARTINEAU p 158-159 757 laquo Res vero universales qualiter sint in aeternis rerum rationibus utrumne scilicet ipsae suas habeant ibi rationes et formas superiores secundum quas et ipsae ibi sint intellectualiter formatae et hic actu ipso quemadmodum et secundum eas res formantur subjectae an et ipsae formae sint rerum primae incommutabiles in se et aeternae sed rebus secundum eas formatis ex tempore per participationem infusae quaestio est non modica nec a nobis nunc facile definienda raquo De unitate II 8 eacuted MARTINEAU p 160-161

286

Achard propose deux hypothegraveses Voici la premiegravere

rationes et formas superiores formatio ibi

res universales formatio hic

res subjectae

Il existe trois termes les formes supeacuterieures les choses universelles et les choses sujettes

Les choses universelles sont formeacutees drsquoapregraves les formes supeacuterieures et les choses sujettes sont

formeacutees drsquoapregraves les choses universelles La formation des choses sujettes agrave partir des choses

universelles imite la formation des choses universelles agrave partir des formes supeacuterieures

La deuxiegraveme hypothegravese

ipsae formae rerum primae

incommutabiles

ibi

infusae rebus per participationem hic

res formatae

Il existe deux termes les choses universelles (qui elles-mecircmes sont les formes) et les choses

sujettes Dans ce cas il nrsquoy a qursquoune seule formation les formes ndash les choses

Afin de reacutepondre Achard donne plusieurs citations drsquoAugustin et de Seacutenegraveque Rappelons

ces exemples

- lrsquoacircme juste drsquoapregraves laquelle les acircmes sont formeacutees

- la raison drsquoun corps carreacute drsquoapregraves laquelle les corps sont jugeacutes ndash la forme geacuteneacuterique des

corps carreacutes

- lrsquohomme commun

Voici sa conclusion

laquo Il est donc raisonnable qursquoil existe aussi et invariablement mecircme par rapport aux choses

sujettes certaines choses universelles agrave quelque degreacute que les choses elles-mecircmes varient

sous cette chose ltuniversellegt758 raquo

758 laquo Res etiam quaslibet et universales circa res quoque subjectas consistere invariabiles videtur ratio quantumcumque res ipsae varientur sub re raquo De unitate II 8 Ed MARTINEAU p 160-161

287

Or cette phrase ne reacutepond pas agrave la question initiale car Achard affirme que les choses

universelles existent mais il ne dit pas comment elles existent Dans les exemples proposeacutes les

uniteacutes existent agrave deux niveaux

1) dans les formes eacuteternelles lrsquoacircme la forme geacuteneacuterique drsquoun corps carreacute lrsquohomme

2) dans les choses creacuteeacutees les acircmes les corps carreacutes les hommes

Cette division correspond agrave la deuxiegraveme hypothegravese proposeacutee au deacutebut par Achard

Achard discerne aussi deux types drsquouniversaux 1) ceux qui peuvent srsquoadapter agrave la taille de

chaque chose (comme le carreacute est la forme geacuteneacuterique de tous les carreacutes) et 2) ceux qui subsistent

identiques en acte (laquo nature raquo laquo chose raquo etc)

Achard souligne que les noms que nous donnons aux universaux deacutesignent les universaux

pris dans leurs participations ici et non dans leur existence lagrave-bas De cette faccedilon Achard signale

qursquoil soutient la doctrine des platoniciens chreacutetiens concernant lrsquoimpossibiliteacute de parler proprement

de Dieu et du monde supeacuterieur759

5) Les eacutenonceacutes vrais (vera) agrave propos de Dieu et des creacuteatures sont lagrave-bas intellectuellement

comme les formes et ici conccedilus par nous Les justifications de ces deux types drsquoeacutenonceacutes (agrave propos

de Dieu et agrave propos des creacuteatures) sont diffeacuterentes La veacuteriteacute des premiegraveres se justifie par rapport au

fait que Dieu est bon Voici comment Achard justifie la veacuteriteacute des deuxiegravemes

laquo Or de mecircme qursquoici ltces jugements vraisgt reacutesident dans des connexions de choses de

mecircme lagrave-bas ils reacutesident dans certaines connexions de raisons ou de veacuteriteacutes des mecircmes

choses lesquelles connexions de raisons ou de veacuteriteacutes sont elles-mecircmes des formes et des

veacuteriteacutes de ces connexions qui sont dans les choses Cest pourquoi les ltjugementsgt qui

ailleurs sont seulement vrais lagrave-bas sont non seulement tels mais encore les veacuteriteacutes elles-

mecircmes et cest agrave ce titre quils sont dits vrais760 raquo

Voici la reacutecapitulation

ibi connexiones rationum sive veritatum =

formae et veritates connexionum earum quae

in rebus

veritas

hic in connexionibus rerum verum

759 Concernant lrsquoimpossibiliteacute de parler de Dieu voir L VALENTE Logique et theacuteologie Les eacutecoles parisiennes entre 1150 et 1220 Paris 2008 448 p 47-58 760 laquo Ut autem hic sunt in connexionibus rerum ita et ibi in connexionibus quibusdam rationum sive veritatum earundem rerum quae et ipsae connexiones rationum sive veritatum formae quaedam sunt et veritates earum quae in rebus sunt connexionum Et ideo quae alibi sunt solum vera ibi non solum sunt ita sed et veritates ipsae raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166

288

Les eacutenonceacutes vrais (vera) sont prononceacutes ici agrave propos des connexions des choses et lagrave-bas

elles sont comme les veacuteriteacutes et les formes mecircmes des connexions des choses Ainsi les connexions

des raisons lagrave-bas sont elles-mecircmes aussi des formes dont la valeur seacutemantique consiste en le fait

drsquoecirctre vraie (la veacuteriteacute)

En deacutefinitive les nombres les individus les substances et les accidents les vertus les

beacuteatitudes celles dans lesquelles les choses sont vues (les cateacutegories) celles agrave partir desquelles les

choses sont vues (les objets matheacutematiques) les universaux les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu et agrave

propos des creacuteatures sont parmi les formes des choses

Cette varieacuteteacute des formes montre qursquoAchard reprend aussi lrsquoaspect conceptuel de la forme La

forme pour lui est ce qursquoil est possible de connaicirctre agrave propos drsquoune chose En mecircme temps il ne dit

pas qursquoil existe une seule forme qui est agrave lrsquoorigine drsquoune seule chose Il deacutecrit la forme singuliegravere et

un individu qui est parmi les formes Pourtant il parle eacutegalement de beaucoup des formes qui

servent agrave former une chose Ces formes (genres espegraveces corps matheacutematiques etc) sont nommeacutees

et peuvent ecirctre deacutefinies Elles sont universelles contrairement agrave une forme singuliegravere Achard

nrsquoexplique pas clairement ce qursquoest une forme singuliegravere ni quel est son rapport aux formes

universelles

VIII34 Forma dans le chapitre II 21

En II 21 Achard introduit la notion de forma dans un contexte diffeacuterent Il quitte la

recherche meacutetaphysique pour srsquoimmerger dans des meacuteditations theacuteologiques proches de celles des

Sermons Il faut remarquer que le chapitre II 21 ne ressemble pas stylistiquement aux chapitres

preacuteceacutedents (bien qursquoici certains aspects des causes originelles soient expliqueacutees donc

theacutematiquement II 21 est relieacute aux II 16-20) nous le classifierions plutocirct comme une digression

spirituelle par rapport au plan du traiteacute Deacutesormais nous allons eacutetudier la notion de forma seulement

dans le cadre de ce chapitre

Lagrave Achard parle des trois laquo riviegraveres de gracircces raquo celle de la creacuteation de la reacutedemption et de

la justification des anges761 auxquelles il ajoute une quatriegraveme ndash laquo la collation de ces bienfaits

temporels que Dieu manifeste mecircme aux meacutechants raquo762 Dans la suite il ne se reacutefegravere plus agrave la

761 Dans les Sermons Achard deacutecrit la maniegravere triple dont la creacuteature spirituelle participe agrave son creacuteateur selon la creacuteation selon la justification et selon la beacuteatification qui correspondent aux trois reacutegions de la ressemblance selon la nature selon la gracircce et selon la gloire (Sermon IX 4-6) La premiegravere reacutegion deacutenote les biens donneacutes agrave lrsquohomme avant la chute la deuxiegraveme pendant la reacutedemption et la troisiegraveme ceux qui seront donneacutes apregraves la reacutesurrection 762 laquo Cujus bonitas cum in se sit una ex ea tamen sola sed distributionibus variis et quasi derivationibus multifluis omnia profluunt et proveniunt in creaturis gratuita bona et dona tanquam a fonte uno rivuli innumerabiles qui tamen magna ex parte in principales duos atque generales colliguntur et confluunt fluvios quorum alter in mundi creatione alter ltin hominumgt fluxit redemptioneraquo laquo Praeter haec autem duo quasi gratiarum fluenta duo quoque videntur esse

289

quatriegraveme laquo gracircce raquo mais aux trois premiegraveres et il emploie la notion de forme dans le contexte de

la reacutedemption

laquo Mais la seconde crsquoest-а-dire la gracircce de la reacutedemption et de la justification humaine non

seulement est anteacuterieure au bon meacuterite mais encore posteacuterieure au mauvais meacuterite ltElle

est destineacuteegt non seulement agrave confeacuterer le bon meacuterite mais encore agrave supprimer et deacutetruire le

mauvais meacuterite et non seulement agrave former la nature informe mais encore agrave reacuteformer la

nature difforme et elle fut propre non seulement agrave reconduire les hommes de la terre au ciel

mais encore agrave conduire Dieu du ciel sur la terre ltcelagt non seulement pour que lrsquoesclave

reccedilucirct la forme de Dieu mais encore pour que Dieu pricirct la forme drsquoun esclave (Philippiens

II 6-7)763 raquo

La reacutedemption est le reacutesultat du sacrifice de Jeacutesus qui donne agrave lrsquohomme la possibiliteacute drsquoecirctre

sauveacute Cette gracircce change la nature humaine voilagrave pourquoi elle srsquoappelle aussi laquo la justification

humaine raquo

Dans cet extrait il srsquoagit de deux meacuterites le bon et le mauvais Le bon meacuterite est ce que

lrsquohomme a meacuteriteacute par ces bonnes actions appuyeacutees sur la gracircce le mauvais meacuterite ce que lrsquohomme

a fait de mauvais apregraves la chute La reacutedemption donne la gracircce agrave lrsquohomme ce qui lui permet de

laquo cumuler raquo son bon meacuterite Elle deacutetruit eacutegalement le mauvais meacuterite

La notion de nature informe et difforme a eacuteteacute eacutegalement utiliseacutee dans le Sermon XIII Selon

la version de lrsquohistoire spirituelle proposeacutee par Achard la laquo nature informe raquo (lrsquoeacutetat humain naturel)

a eacuteteacute formeacutee pendant la creacuteation quand elle a reccedilu la gracircce puis elle a eacuteteacute deacuteformeacutee agrave cause du

peacutecheacute originel mais la reacutedemption du Christ lui a permis drsquoecirctre laquo reacuteformeacutee raquo Donc il srsquoagit lagrave de la

formation de la nature humaine pendant la creacuteation et de sa reacuteformation pendant la reacutedemption764

Ainsi la nature informe a eacuteteacute formeacutee pendant la creacuteation apregraves elle a eacuteteacute deacuteformeacutee par le

peacutecheacute et deacutesormais elle va ecirctre reacuteformeacutee

Pour comprendre la deuxiegraveme partie du passage drsquoAchard il faut se reacutefeacuterer au texte de

Philippiens II 6-7 et faire attention au fait que dans la phrase laquo Dieu pricirct la forme drsquoun esclave raquo

il srsquoagit du Christ La ligne citeacutee deacutecrit lrsquoIncarnation laquo La forme de Dieu raquo et laquo la forme drsquoun alia quacuteamvis fortasse minora alterum videlicet superius in angelorum justificatione alterum inferius in temporalium quae malis etiam exhibet beneficiorum Dei collationeraquo De unitate II 21 eacuted E MARTINEAU p 194-195 763 laquo Illa vero id est gratia redemptionis et justificationis humanae non modo fuit ante meritum bonum sed et post meritum malum non modo ad bonum meritum conferendum sed ad malum meritum tollendum atque delendum nec modo ad naturam informem formandam sed et ad deformem reformandam nec modo ad id valuit ut homines in caelum a terra perduceret sed et ad id ut ltDeumgt in terram a caelo adduceret non modo ad id ut servus formam Dei reciperet sed ad id ut Deus servi formam acciperet raquo De unitate II 21 eacuted E MARTINEAU p 196-197 764 La formation et la reacuteformation de lrsquohomme au cours de la creacuteation et ensuite par lrsquoarriveacutee de Jesus Christ a eacuteteacute deacutecrit dans le Sermon XIII drsquoAchard Voir notamment lrsquoexposeacute de ce sermon fait par Jean Chacirctillon dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Sermons ineacutedits Texte latin avec introduction notes et tables eacuted JCHATILLON Paris 1970 (Textes philosophiques du Moyen Age XVII) p 133

290

esclave raquo correspondent selon la doctrine chreacutetienne aux deux natures du Christ divine et

humaine Selon les Sermons il existe deux types de formes celles qui ont eacuteteacute reccedilues gracircce agrave la

creacuteation et celles qui ont eacuteteacute reccedilues gracircce agrave la reacutedemption Lrsquoexpression laquo lrsquoesclave reccedilut la forme

de Dieu raquo deacutesigne la reacuteception de la forme de Dieu qui a eacuteteacute donneacutee agrave lrsquohomme lors de la

reacutedemption

La signification de laquo Dieu pricirct la forme drsquoun esclave raquo est montreacutee plus bas dans la suite du

De unitate

laquo Non seulement pour que lrsquohomme devicircnt juste gracircce agrave Dieu mais encore pour que Dieu

justifiant lui-mecircme devicircnt homme et non seulement pour que Dieu justifiant et la justice

elle-mecircme devicircnt un homme juste mais aussi pour que lt1rsquohommegt fucirct justifieacute crsquoest-agrave-dire

rendu juste mais non pas de non juste qursquoil eacutetait ltrendugt non pas juste par soi-mecircme mais

agrave partir de Dieu lrsquoassumant crsquoest-agrave-dire juste non pas agrave partir de la nature de lrsquohomme mais

par la seule gracircce de Dieu ltfaitgt non seulement un homme non juste par soi mais encore

un homme en soi infirme crsquoest-agrave-dire un homme passible et mortel et mecircme mourant et

mourant non seulement de la mort la plus amegravere mais encore de la mort la plus

honteuse765 raquo

Ainsi il srsquoagit de lrsquoaction de la nature divine de se former Le Christ assume la deuxiegraveme

nature ndash humaine ndash et il la rend juste De cette faccedilon il forme sa nature divine et il reacuteforme la nature

de lrsquohomme Ainsi laquo Dieu pricirct la forme drsquoun esclave raquo nrsquoest pas la mecircme chose que laquo lrsquoesclave

reccedilut la forme de Dieu raquo puisque Dieu srsquoest formeacute et lrsquohomme a eacuteteacute reacuteformeacute

Par conseacutequent dans cette ligne biblique citeacutee par Achard il srsquoagit de la gracircce de

reacutedemption qui permet aux hommes de reacuteformer leur nature corrompue par le peacutecheacute originel gracircce agrave

Dieu qui descend du ciel sur la terre en prenant la forme drsquoun esclave Par rapport agrave la doctrine de la

forme cela nous donne lrsquoimage de la forme donneacutee chaque fois par la gracircce soit pour former la

nature humaine informe soit pour reacuteformer la nature deacuteformeacutee Les expressions laquo la forme de

Dieu raquo et laquo la forme drsquoun esclave raquo y eacutevoquent les deux natures du Christ qui srsquounirent de telle

maniegravere que la premiegravere domine

Dans ce mecircme chapitre Achard deacutecrit aussi la forme de la nature (donneacutee ici gratuitement)

et la forme de la justice (faite lagrave-bas gratuitement) qui sont plus excellentes et qui correspondent aux

gracircces de la creacuteation du monde et de la justification des anges (celle de la reacutedemption)

765 laquo Non modo ad id ut homo fieret ex Deo justus sed et ad id ut homo fieret et ipse justificans Deus nec modo ad id ut Deus justificans et ipsa justitia homo fieret justus sed et ut justificatus id est factus justus non de non justo [sed] non justus a seipso sed et ex assumente Deo id est justus non ex ipsa hominis natura sed justus ex sola gratia Dei nec modo homo non a se justus sed et homo in se infirmus id est homo passibilis atque mortalis sed et moriens nec morte amarissima sed morte turpissima raquo De unitate II 21 eacuted MARTINEAU p 196-197

291

Bien que ces textes ne nous permettent pas drsquoexpliquer en deacutetail la notion de forma dans ce

contexte il est possible de remarquer qursquoelle est prise comme pouvant ecirctre imposeacutee agrave un certain

reacuteceptacle Il srsquoagit de lrsquoobtention de la nouvelle forme avec chaque gracircce creacuteatrice reacutedemptrice

justificatrice766 qui srsquoimpose sur le substrat preacutesent ndash la nature humaine dans lrsquoeacutetat correspondant

aux gracircces preacuteceacutedentes

La notion de forma comme elle est introduite dans le chapitre II 21 nrsquoest pas la mecircme que

celle des chapitres preacuteceacutedents Lagrave il srsquoagit plutocirct des reacutealiteacutes spirituelles communes agrave toute

lrsquohumaniteacute mais qui ont eacuteteacute eacutetablies au moment de la creacuteation et qui changent avec la reacutesurrection

du Christ Comme les formes des chapitres I 37 ndash II 20 la forme de II 21 descend du haut (le Ciel)

vers le bas (la Terre) Contrairement agrave la notion de forma deacutecrite preacuteceacutedemment le fait drsquoecirctre

imposeacutee agrave un reacuteceptacle est essentiel pour la notion de forma du chapitre II 21

Pour conclure nous proposons la visualisation de la doctrine de forme dans le De unitate

Forma prima ibi

Formae secundae

Formae tertiae (idos) hic

La pluraliteacute des formes creacuteeacutees est dans la forme premiegravere Les formes creacuteeacutees sont dans le

monde sensible

Il est possible de remarquer la preacutesence de deux maniegraveres de deacutefinir la forme dans le De

unitate La premiegravere est la deacutefinition de la forme en tant que raison eacuteternelle (une cause) drsquoune

chose qui preacutecegravede cette chose Cela correspond agrave la doctrine de la hieacuterarchie des formes deacutecrite plus

haut Cette deacutefinition suit la tradition platonicienne dans laquelle forma est comprise comme la

cause de lrsquoexistence drsquoune chose

La deuxiegraveme deacutefinition de la forme est lrsquouniteacute intelligible qui srsquoimpose au reacuteceptacle en lui

donnant ces qualiteacutes (II 21 voir aussi la formatio) La forme srsquoimprime soit dans la matiegravere (II 13)

soit dans une autre forme (II 21) La forme est comprise ici comme la partie drsquoun composeacute ce qui

766 Selon lrsquointerpreacutetation des Sermons donneacutee par Chacirctillon Achard y opegravere par les deux notions la matiegravere et la forme La premiegravere srsquoapplique agrave la gracircce (qui dans ce cas caracteacuterise lrsquoeacutetat naturel de lrsquohomme apregraves la Creacuteation et la Reacutedemption) et la deuxiegraveme agrave la justification Voir J CHATILLON Theacuteologie spiritualiteacute et meacutetaphysique dans lrsquoœuvre oratoire drsquoAchard de Saint-Victor Eacutetudes drsquohistoire doctrinale preacuteceacutedeacutees drsquoun essai sur la vie et lrsquoœuvre drsquoAchard Paris 1969 (Etudes de philosophie meacutedieacutevale LVIII) р 218-219

292

correspond agrave la tradition aristoteacutelicienne La doctrine de la forme du chapitre II 21 semble ecirctre un

deacuteveloppement de la doctrine drsquoAugustin (De Trinitate XV VIII 14)

De plus comme la cause formelle drsquoAristote la forme drsquoAchard reacuteunit tout ce qursquoil est

possible de savoir agrave propos de ce qursquoest la chose Achard parle briegravevement de la relation entre la

perception humaine et la forme (I 39) La forme est une reacutealiteacute objective qui peut ecirctre perccedilue par

lrsquohomme et imprimeacutee dans la matiegravere Augustin a deacutejagrave enseigneacute cela agrave propos des espegraveces (De

Trinitate XI IX 16)

La fusion de la doctrine platonicienne des ideacutees et la doctrine aristoteacutelicienne des cateacutegories

se manifeste dans la notion de forma des auteurs tardo-antiques en particulier chez Seacutenegraveque et

Augustin Hugues de Saint-Victor accepte cette deacutefinition de forma et pourtant il ne la met pas

comme Achard au centre de sa doctrine

La hieacuterarchie des formes est preacutesente dans le De unitate La theacuteorie principale de la forma

selon Achard consiste en une division en trois types (la forme premiegravere les formes creacuteeacutees et les

idos) Achard souligne les connexions entre les diffeacuterents types de forme (les idos proviennent des

formes creacuteeacutees la forme premiegravere contient les formes creacuteeacutees et les idos de maniegravere agrave leur ecirctre eacutegale)

mais il construit aussi la doctrine de la forme premiegravere en tant que Verbe de Dieu

Les eacuteleacutements principaux du scheacutema neacuteoplatonicien tels que la source unique (la forme

premiegravere) les degreacutes de procession (les trois types de formes) et la pluraliteacute en bas (les choses) sont

preacutesents Rappelons que la structure des raisons causales767 ressemble agrave celle des raisons

formelles768 sauf le troisiegraveme niveau (les idos)

La hieacuterarchie proposeacutee par Achard rappelle celle eacutetablie par des auteurs tardo-antiques

chreacutetiens Augustin Boegravece et Erigegravene Comme eux Achard unit le principe premier (la forme) et

Dieu et il ne prend pas non plus la matiegravere en tant qursquoun niveau de la hieacuterarchie Contrairement agrave

eux Hugues de Saint-Victor ne deacuteveloppe pas la doctrine expresse du Verbe de Dieu qui contient

les causes multiples

Nous avons deacutecouvert les uniteacutes intelligibles qursquoAchard met au niveau des formes qui sont

- les nombres

- les individus et leurs parties

- les substances et les accidents

- les vertus et les beacuteatitudes

- ce en quoi les choses sont vues (les cateacutegories)

- ce agrave partir de quoi les choses sont vues (les objets matheacutematiques)

- les universaux

- les eacutenonceacutes vrais (vera) agrave propos de Dieu et agrave propos des creacuteatures 767 La raison de Dieu et les causes rationnelles 768 La premiegravere forme les formeacutes creacuteeacutees les idos

293

En ce qui concerne le problegraveme des universaux Achard est sucircrement reacutealiste Cependant il

ne srsquoagit pas pour lui de deacutefendre la thegravese reacutealiste mais plutocirct drsquoillustrer que les universaux sont des

formes qui sont agrave lrsquoorigine des choses

Par contre Achard ne deacutefinit pas clairement ce qursquoest une forme singuliegravere Srsquoil nrsquoemployait

pas cette notion une fois (en I 45) on pourrait dire que les formes singuliegraveres nrsquoexistent pas dans sa

doctrine Les individus sont au niveau des formes mais ils ne sont pas forceacutement des formes Nous

allons revenir sur cette question dans les chapitres suivants

Nous avons deacutejagrave deacutemontreacute que les uniteacutes intelligibles qursquoAchard range parmi les formes ont

leur origine chez Augustin (vera) et Boegravece (les concepts des Cateacutegories la res universalis) Lrsquoideacutee

que les universaux srsquoadaptent agrave des objets diffeacuterents a son origine dans le De arithmetica de Boegravece

(1 1 1-2)

En deacutefinitive Achard a pris plusieurs eacuteleacutements des doctrines tardo-antiques pour creacuteer sa

doctrine de la forme Lrsquoanalyse de cette doctrine chez Hugues a montreacute qursquoil a eacuteteacute inspireacute par les

mecircmes doctrines qursquoAchard mais Achard est alleacute plus loin dans la construction drsquoune doctrine

propre inspireacutee par platonisme

294

CHAPITRE IX

Intellectus (in intellectuin actu)

Le couple in intellectuin actu deacutesigne chez Achard les deux niveaux des entiteacutes creacuteeacutees

dans lrsquointellect de Dieu et dans le monde Ce couple in intellectuin actu deacutesigne eacutegalement les

relations entre les diffeacuterents niveaux des ecirctres la forme premiegravere et les formes creacuteeacutees les formes

creacuteeacutees et les choses

Voici les questions qui seront poseacutees concernant le couple terminologique in intellectuin

actu

1) Quelle est la nature de cette distinction est-elle eacutepisteacutemologique ou ontologique

2) Comment la multitude des formes et des choses peut-elle provenir drsquoune forme

premiegravere

3) Est-ce que les ecirctres in intellectu et in actu sont identiques

IX 1 Lrsquoorigine de la doctrine du De unitate

IX11 Lrsquoorigine de la distinction in intellectuin actu

Nous allons eacutetudier lrsquoorigine des termes intellectus et actus surtout dans les cas ougrave ils

apparaissent ensemble mais aussi les autres couples terminologiques destineacutees agrave expliquer la

diffeacuterence entre les ecirctres sensibles et leurs prototypes intelligibles

Voyons deacutesormais lrsquoorigine de la deacutesignation intellectus Ce terme deacutesigne en premier lieu

la faculteacute cognitive Il sert en tant que variante de la traduction du nous grec769 Voici quelques

exemples de la structure des faculteacutes cognitives chez les penseurs tardo-antiques

La structure de lrsquoacircme selon Augustin770

mens spiritus sensus

ratio intelligere imaginatio percipere

769 A DE LIBERA laquo Intellectus raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 587 770 Le tableau est tireacute du C NADEAU Le vocabulaire de saint Augustin Paris 2001 p 47-48 et construit agrave partir du De diversis quaestionibus 83 qu7 de lrsquoEpist 145 du De Ordine II 11 30 et du Serm 43 II drsquoAugustin

295

Les faculteacutes mentales chez Calcidius Erigegravene et Boegravece771

Calcidius

Commentarium 231

335

mens intellectus sensus

Boegravece De consolatione

V 12-18

ratio imaginatio sensus

Erigegravene Periphyseon I

eacuted Jeauneau p 71 = PL

122 578A-D

intellectus ratio sensus

Ainsi pour Calcidius et Erigegravene lrsquointellectus deacutesigne un des aspects de la faculteacute mentale

La deuxiegraveme signification du mot lrsquointellectus est celui de concept772 La notion drsquointellectus

dans le contexte meacutedieacuteval est lieacutee agrave la doctrine seacutemiotique aristoteacutelico-boeacutecienne773 Lrsquoorigine de

cette doctrine se trouve dans le De interpretatione 16a drsquoAristote Dans son commentaire In De

interpretatione I Boegravece discerne les eacuteleacutements suivants (1) les sons et les lettres (2) les

intellections ou les passions de lrsquoacircme (intellectus quos animae passiones vocat) et (3) les choses774

Les intellections drsquoapregraves Boegravece sont les passions de lrsquoacircme une eacutetape intermeacutediaire entre les choses

et les sons775 Ces passions sont similaires aux choses qui influencent lrsquoacircme776 De cette faccedilon la

notion drsquointellectus dans les commentaires de Boegravece deacutesigne lrsquouniteacute intelligible ndash les empreintes des

choses dans lrsquoacircme

771 B BAKHOUCHE laquo Boegravece et le Timeacutee raquo dans Boegravece Ou la Chaicircne Des Savoirs Actes Du Colloque International de la Fondation Singer-Polignac Paris 8-12 Juin 1999 eacuted A GALONNIER Louvain 2003 p 17 Beacuteatrice Bakhouche pense que Boegravece connaissait les œuvres du Calcidius ibid p 21 772 C PANACCIO laquo Conceptus raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 248-249 773 Cf A DE LIBERA I ROSIER laquo La penseacutee linguistique meacutedieacuteval raquo dans Histoire des ideacutees linguistiques eacuted S AUROUX t II Liegravege 1992 p 122 LVALENTE Logique et theacuteologie Les eacutecoles parisiennes entre 1150 et 1220 Paris 2008 448 p 36-45 774 laquo Nec vero in hoc constitit ut de solis vocibus atque intellectibus loqueretur sed quoniam voces atque litteras non esse naturaliter constitutas per id significavit quod eas non apud omnes easdem esse proposuit rursus intellectus quos animae passiones vocat per hoc esse naturales ostendit quod apud omnes idem sint a quibus id est intellectibus ad res transitum fecit raquo BOETHIUS In librum Aristotelis Peri hermeneias commentarii (editio secunda) eacuted C Meiser Leipzig 1880 p 39 = PL 64 412B 775 Voir agrave propos du triangle seacutemantique boeacutecien T SUTO Boethious on Mind Grammar and Logic A study of Boethiusrsquo Commentaries on Peri Hermeneias Leiden-Boston 2012 p 31-34 L VALENTE Logique et theacuteologie Les eacutecoles parisiennes entre 1150 et 1220 Paris 2008 p 42-45 776 laquo Intellectus uero animae quaedam passio est Nisi enim quandam similitudinem rei quam quis intellegit in animae ratione patiatur nullus est intellectus Cum enim uideo orbem uel quadratum figuram eius mente concipio et eius mihi similitudo in animae ratione formatur patiturque anima rei intellectae similitudinem unde fit ut intellectu et similitudo sit rei et animae passio raquo BOETHIUS In librum Aristotelis Peri hermeneias commentarii prima editio eacuted C Meiser Leipzig 1877 p 37 = PL 64 297BC

296

Boegravece transmet eacutegalement les dichotomies qui comprennent la notion drsquoactus actus et

intellectus (In Categorias Aristotelis) actus et potestas (In Porphyrii Isagogen commentorum editio

secunda) Dans le De arithmetica Boegravece oppose les eacutetats potentia et actu vel opere Lrsquouniteacute est

potentia par rapport aux nombres et figures qui sont actu vel opere (I XXI II VIII etc) Cet

emploi correspond sucircrement agrave la dichotomie en ergocircen dunami drsquoAristote (Physique II 193b)

Dans le chapitre laquo Le Verbe et les raisons raquo nous avons deacutecrit lrsquoorigine de la doctrine du

Verbe de Dieu en tant que sa Sagesse Le Verbe contient les raisons eacuteternelles avant mecircme qursquoelles

soient creacuteeacutees dans le monde sensible Lrsquoune des conseacutequences de cette relation est que les raisons

sont dans le Verbe de Dieu car elles sont connues par lui

Lrsquoideacutee que Dieu connaicirct la creacuteature avant sa creacuteation et aussi que les creacuteatures existent car

Dieu les connaicirct apparaicirct dans la penseacutee latine drsquoabord chez Augustin (De Trinitate XV XIII 22

De Genesi ad litteram V XIII 29)777 et ensuite dans le Peripsyseon de Jean Scot Erigegravene

laquo Dieu ne connaicirct pas les existants parce que les existants subsistent mais au contraire les

existants subsistent parce que Dieu les connaicirct Car la connaissance divine constitue la cause

de lrsquoecirctre mecircme des existants778 raquo Les ecirctres en Dieu sont diffeacuterents de ceux dans le monde Cette diffeacuterence apparaicirct dans le

couple terminologique drsquoAugustin in artein opere (In Iohannis Evangelium tr I 17)

laquo Il y a et ce coffre qui a eacuteteacute fabriqueacute dans lrsquoœuvre (in opere) et ce coffre qui demeure et

existe dans lrsquoart (in arte) car le premier peut pourrir mais agrave partir du celui qui existe dans

lrsquoart un autre peut encore ecirctre fabriqueacute Distinguez donc le coffre dans lrsquoart et le coffre dans

lrsquoœuvre Le coffre dans lrsquoœuvre nrsquoest pas vie le coffre dans lrsquoart est vie car lrsquoacircme de

lrsquoouvrier est vivante qui renferme tout cela dans son ideacutee avant de le produire au-dehors De

mecircme donc fregraveres tregraves chers parce que la Sagesse de Dieu par qui tout a eacuteteacute fait contient

selon lrsquoart tous les ecirctres avant de les creacuteer il srsquoensuit que tout ce qui est reacutealiseacute par le moyen

de cet art nrsquoest pas vie du fait mecircme mais que tout ce qui a eacuteteacute fait est vie en lui Tu vois la

terre il y a aussi une terre dans lrsquoart tu vois le ciel il y a aussi un ciel dans lrsquoart tu vois le

777 J-C BARDOUT O BOULNOIS laquo Introduction lrsquoinvention du monde raquo dans Sur la science divine textes preacutesenteacutes et traduits sous la direction de J-C BARDOUT et O BOULNOIS Paris 2002 p 25 note 1 778 laquo Non enim ideo deus scit ea quae sunt quia subsistunt sed ideo subsistunt quia ea deus scit Eorum enim essentiae causa est diuina scientia raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 97 = PL 122 596B trad BERTIN t I-II p 386

297

soleil et la lune ils existent aussi dans lrsquoart mais dans leur reacutealiteacute exteacuterieure (foris) ce sont

des corps dans lrsquoart ils sont vie779 raquo

Drsquoapregraves le traducteur drsquoAugustin Goulven Madec le Verbe est la forme premiegravere et lrsquoart de

Dieu780 Ainsi in arte deacutesigne lrsquoecirctre dans la Sagesse ou dans la forme premiegravere Les qualiteacutes de cet

eacutetat (in arte) sont lrsquoeacuteterniteacute et lrsquoimmutabiliteacute Les entiteacutes in arte sont les modegraveles des choses

corruptibles

Erigegravene deacuteveloppe eacutegalement la doctrine que les ecirctres ont drsquoabord eacuteteacute creacuteeacutes dans le Verbe de

Dieu (Periphyseon II)

laquo Je juge que ces deux opeacuterations sont coeacuteternelles lrsquoune agrave lrsquoautre je veux dire la geacuteneacuteration

du Verbe et la creacuteation de tous les existants dans le Verbe Car on considegravere agrave juste titre

qursquoaucun accident impliquant un mouvement temporel ou un procegraves temporel nrsquoexiste en

Dieu781 raquo

Ainsi Erigegravene croit non seulement que les existants ont eacuteteacute creacuteeacutes dans le Verbe mais aussi

qursquoils lui sont coeacuteternels Pour deacutesigner le lieu de la preacuteexistence des ecirctres Erigegravene emploie

lrsquoexpression in Verbo Dans les autres endroits il parle de lrsquointellection de tout qui est la substance

dans la Sagesse divine782 Il deacutecrit aussi la diffeacuterence entre lrsquoexistence des ecirctres dans le Verbe de

Dieu et leur intellection dans la connaissance humaine La premiegravere est causaliter la deuxiegraveme

effectualiter783

779 laquo Et illa in opere facta est et illa manet quae in arte est nam potest illa arca putrescere et iterum ex illa quae in arte est alia fabricari Attendite ergo arcam in arte et arcam in opere Arca in opere non est vita arca in arte vita est quia vivit anima artificis ubi sunt ista omnia antequam proferantur Sic ergo fratres carissimi quia sapientia Dei per quam facta sunt omnia secundum artem continet omnia antequam fabricet omnia hinc quae fiunt per ipsam artem non continuo vita sunt sed quidquid factum est vita in illo est Terram vides est in arte terra Caelum vides est in arte caelum Solem et lunam vides sunt et ista in arte sed foris corpora sunt in arte vita sunt raquo AUGUSTIN Tractatus in Iohannis evangelium I-XVI eacuted R WILLEMS Turnhout 1954 (CCSL 36) p 10 trad Augustin Homeacutelies sur lrsquoEvangile de saint Jean I-XVI trad intod et notes M-F BERROUARD Paris 1993 (BA 71) p 162-165 traduction modifieacutee par I LYSTOPAD 780 G MADEC laquo La Sagesse art de Dieu raquo dans AUGUSTIN Dialogues philosophiques III introd trad et notes par G MADEC Paris 1976 p 567-570 781 laquo Sed haec coaeterna sibi esse arbitror generationem dico uerbi et creationem omnium in uerbo Nullum enim in deo accidens aut temporalis motus aut temporalis praecessio recte quis intelligit raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 42 = PL 122 556CD trad BERTIN t I-II p 327 782 laquo Siquidem intellectus omnium in diuina sapientia substantia est omnium immo omnia cognitio uero qua se ipsam in se ipsa intelligit intellectualis et rationalis creatura ueluti secunda quaedam substantia eius est qua se nouit solummodo se nosse et esse raquo Ibid IV eacuted JEAUNEAU p 43 = PL 122 770C 783laquo Et quemadmodum diuinus intellectus praecedit omnia et omnia est ita cognitio intellectualis animae praecedit omnia quae cognoscit et omnia quae praecognoscit est ut in diuino intellectu omnia causaliter in humana uero cognitione effectualiter subsistant raquo Ibid IV eacuted JEAUNEAU p 55 = PL 122 779BC Cf R ROQUES Libres sentiers vers lrsquoeacuterigeacutenisme Rome 1975 p 70 note 62

298

De cette faccedilon les deux penseurs chreacutetiens ndash Augustin et Erigegravene ndash enseignent que les ecirctres

eacutetaient dans le Verbe de Dieu avant la creacuteation du monde Augustin emploie aussi le couple

terminologique in artein opere pour designer ces deux modes drsquoexistence

Pour conclure les mots intellectus et intelligere deacutesignent chez les diffeacuterents penseurs des

niveaux diffeacuterents de faculteacute cognitive Boegravece introduit dans ce scheacutema les motifs aristoteacuteliciens

Pour Boegravece lrsquointellectus est le concept la similitude drsquoune chose Il transmet eacutegalement

lrsquoopposition potentiaactus qui deacutesigne un eacutetat avant et apregraves la reacutealisation de lrsquoecirctre

En outre la deacutesignation de deux niveaux drsquoecirctres est preacutesente chez des auteurs qui acceptent

la doctrine selon laquelle les ecirctres intelligibles existaient avant qursquoils ne soient creacuteeacutes dans le monde

sensible Augustin appelle ces niveaux in artein opere Erigegravene introduit la doctrine de lrsquoexistence

de tout in Verbo avant la creacuteation dans le monde

IX 12 La multiplication des ecirctres agrave partir drsquoune source unique

Dans la philosophie platonicienne la multiplication apparaicirct quand lrsquouniteacute premiegravere se

divise en uniteacutes deacuteriveacutees

Martineau pense que lrsquoideacutee de la multipliciteacute a eacuteteacute transmise au XIIe siegravecle agrave travers

Calcidius (Commentaire au Timeacutee II 272)

laquo Platon nrsquoaborde pas la question pour lrsquoinstant et ne cherche pas agrave savoir srsquoil y a une seule

espegravece lsquoarcheacutetypalersquo commune agrave tout ce qui est ou si elles sont innombrables et fonction du

nombre drsquoobjets existants dont la reacuteunion et lrsquoassemblage constituerait la masse de

lrsquounivers Mais peut-ecirctre la mecircme forme est-elle une et multiple comme Platon lrsquoenseigne

dans le Parmeacutenide784 raquo

De cette faccedilon Calcidius laisse la question ouverte785 Martineau pense qursquoAchard a repris

la deuxiegraveme supposition de Calcidius agrave savoir que la forme premiegravere est une et multiple

Dans le chapitre laquo Histoire de la notion de forma raquo nous avons exposeacute une hieacuterarchie tireacutee

du Commentaire de Calcidius (lrsquoespegravece premiegravere lrsquoespegravece seconde et la matiegravere) Lrsquoespegravece 784 laquo Quarum ad praesens differt examinationem nec quaerit unane sit archetypa species eorum quae sunt communis omnium an innumerabiles et pro rerum existentium numero quarum coetu et congregatione concreuerit uniuersa moles an uero idem unum pariter et multa sint ut docet in Parmenide raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 272 eacuted B BAKHOUCHE p 500-501 voir E MARTINEAU laquo Calcidius meacutediateur de la probleacutematique de lrsquouni-pluraliteacute raquo dans ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted MARTINEAU Saint-Lambert-des-Bois 1987 p 215-217 785 Cf S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol II Notre Dame 1986 p 466 note 203

299

premiegravere et lrsquoespegravece deuxiegraveme sont des uniteacutes intelligibles Lrsquoespegravece deuxiegraveme est une forme dans

la matiegravere - lrsquoidos Elle est multiple Il existe plusieurs espegraveces secondes qui sont dans les corps

Lrsquoespegravece premiegravere est-elle multiple Quelle est sa relation avec Dieu

Stephen Gersh pose la question de la relation entre Dieu et les espegraveces dans son article

laquo Calcidiusrsquo Theory of First Principles raquo786 Il observe que Calcidius fusionne deux paradigmes

- Dieu est lrsquoesprit et les espegraveces sont dans cet esprit (Dieu est immanent aux espegraveces)

- Dieu est la providence et les espegraveces sont ses creacuteatures (Dieu est supeacuterieur aux espegraveces)

En tout cas les espegraveces et Dieu ne sont pas deux principes indeacutependants Les espegraveces

proviennent de Dieu

Calcidius deacutecrit lrsquoespegravece principale en tant qursquoideacutee et intellect de Dieu elle est le modegravele de

toutes les choses engendreacutees (II 339) En mecircme temps elle nrsquoest ni priveacutee ni doueacutee de qualiteacute

(338)787 Elle nrsquoa pas de qualiteacutes elle-mecircme mais elle les donne aux espegraveces qui proviennent drsquoelle

Et pourtant auparavant Calcidius dit que les ideacutees qui sont les produits de lrsquointellect de Dieu sont

lrsquoorigine des choses (II 304)788 De cette faccedilon cette espegravece primordiale est une et multiple Elle a

une nature supeacuterieure aux ideacutees et elle est ces ideacutees La raison possible de cette ambiguiumlteacute est dans

le fait que Platon dans le Timeacutee 29AB preacutesente le monde sensible en tant qursquoimage des formes

prises ensemble789

En deacutefinitive Calcidius deacuteveloppe une notion de lrsquoespegravece premiegravere qui est une et multiple

Elle a un caractegravere intelligible semblable aux espegraveces secondes et en mecircme temps elle leur est

supeacuterieure et diffeacuterente De cette faccedilon la multiplication apparaicirct chez Calcidius quand des espegraveces

secondes apparaissent dans une espegravece premiegravere En mecircme temps elle est transcendante agrave ces

espegraveces ce qui peut ecirctre lieacute au fait qursquoelle est lrsquointellect parfait de Die

Un autre penseur qui parle de la multipliciteacute des uniteacutes dans le premier principe est

Augustin Nous avons deacutejagrave deacutecrit sa doctrine des raisons eacuteternelles Les raisons multiples sont dans

le Verbe de Dieu (De Genesi ad litteram V XII 28) elles sont aussi les ideacutees dans lrsquointellection de

Dieu (De diversis quaestionibus 83 qu 46 2) Augustin enseigne qursquoil existe un Verbe (Sagesse

art de Dieu son intellection) qui contient de multiples raisons Voici son teacutemoignage (De civitate

Dei XI X 3)

786 S GERSH laquo Calcidiusrsquo Theory of First Principles raquo dans Studia Patristica 182 Papers of 1983 Oxford Patristic Conference 1989 p 85-92 Cf S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol II Notre Dame 1986 p 460 787 Voir les notes du chapitre VIII12 laquo La hieacuterarchie des formes raquo 788 laquo Operatur porro opifex et exornat omnia iuxta uim rationabilem maiestatemque operum suorum opera uero eius intellectus eius sunt qui a Graecis ideae uocantur porro ideae sunt exempla naturalium rerum Quo pacto inuenitur tertia exemplaris origo rerumraquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 304 eacuted B BAKHOUCHE p 532 789 E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 62

300

laquo La Sagesse nrsquoest pas multiple mais une et en elle sont des treacutesors infinis ndash finis pour elle ndash

des choses intelligibles contenant toutes les raisons invisibles et immuables des ecirctres mecircme

visibles et changeants qui par elle ont eacuteteacute faits Car Dieu nrsquoa rien creacuteeacute sans connaissance ce

qursquoon ne peut vraiment dire drsquoaucun artisan humain Or srsquoil a tout fait par connaissance il

nrsquoa eacutevidemment fait que ce qursquoil avait drsquoabord connu [hellip] pour nous ce monde ne pourrait

ecirctre connu srsquoil nrsquoexistait pour Dieu srsquoil nrsquoeacutetait connu il ne pourrait exister790 raquo

Le Verbe ou la Sagesse de Dieu est lrsquointellect qui connaicirct (novit) les choses La

multiplication apparaicirct quand Dieu conccediloit le monde dans sa Sagesse

Erigegravene propose aussi une doctrine selon laquelle tout ce qui existe provient drsquoune source

unique (Periphyseon II)

laquo La cause si elle est veacuteritablement cause preacutecontient en elle-mecircme sous un mode de

perfection absolue tous les effets dont elle est cause et elle parfait en elle-mecircme tous ses

effets avant qursquoils ne deviennent manifestes dans une concreacutetisation quelconque mais

mecircme lorsque les effets jaillissent par voie de geacuteneacuteration dans leurs genres et dans leurs

espegraveces visibles ces effets nrsquoabandonnent pas pour autant la perfection qursquoils ont dans leur

cause mais tous les effets continuent agrave demeurer dans leur cause sous un mode pleacutenier et

immuable et ces effets nrsquoont besoin drsquoaucune autre perfection que celle de leur cause dans

laquelle tous les effets subsistent eacuteternellement sous un mode synchronique et

syntheacutetique791 raquo

Erigegravene souligne que les ecirctres proviennent non seulement de sa cause mais continuent de

demeurer en elle De plus ils perdent la perfection et la pleacutenitude lors de leur reacutealisation dans le

monde Ainsi il existe une cause qui est multiple car elle contient en elle ces effets Plus loin

Erigegravene explique cette cause comme le Verbe de Dieu

790 laquo Neque enim multae sed una sapientia est in qua sunt infiniti quidam eique finiti thensauri rerum intellegibilium in quibus sunt omnes invisibiles atque incommutabiles rationes rerum etiam visibilium et mutabilium quae per ipsam factae sunt Quoniam Deus non aliquid nesciens fecit quod nec de quolibet homine artifice recte dici potest porro si sciens fecit omnia ea utique fecit quae noverat [hellip] quod iste mundus nobis notus esse non posset nisi esset Deo autem nisi notus esset esse non posset raquo AUGUSTIN De civitate Dei eacuted B DOMBART et A KALB trad G COMBEgraveS F-J THONNARD et M A DEVYNCK Paris 1959 p 68-69 (BA 35) 791 laquo Causa siquidem si uere causa est omnia perfectissime quorum causa est in se ipsa praeambit effectus que suos priusquam in aliquo appareant in se ipsa perficitEt dum in genera formas que uisibiles per generationem erumpunt perfectionem suam in ea non deserunt sed plene et immutabiliter permanent nullius que alterius perfectionis indigent nisi ipsius in qua semel et simul et semper subsistunt raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon II eacuted JEAUNEAU p 29 = PL 122 547A trad BERTIN t I-II p 313

301

laquo Le Fils de Dieu est Raison parce que crsquoest Lui qui est Prototype principiel de tous les

existants sensibles ou intelligibles [hellip] Car crsquoest en Lui que le Pegravere a contempleacute tous les

existants qursquoil voulait creacuteer avant mecircme que ceux-ci fussent creacuteeacutes Enfin le Fils de Dieu est

Cause parce que crsquoest en Lui que les causes primordiales de tous les existants subsistent

sous un mode eacuteternel et immuable

[hellip] Le Verbe de Dieu qui est agrave la fois absolument simple et infiniment multiple en soi est

la Raison et la Cause creacuteatrice de lrsquounivers creacuteeacute Le Verbe de Dieu est simple car la totaliteacute

des existants forme en Lui une uniteacute indivisible et indissociable ou plutocirct le Verbe de Dieu

est Lui-mecircme lrsquouniteacute indivisible et indissociable de tous les existants car il est Lui-mecircme

tous les existants Mais crsquoest agrave juste titre que nous pouvons consideacuterer le Verbe de Dieu

comme multiple parce que le Verbe de Dieu se diffuse agrave lrsquoinfini agrave travers tous les existants

et parce que crsquoest cette diffusion mecircme qui fait subsister tous les existants792 raquo

Le Fils de Dieu est la cause qui contient une image intelligible du monde Le Fils de Dieu

est le Verbe qui est simple et multiple agrave la fois Les ecirctres existent dans le Verbe eacutetant eacuteternels et

immuables Ils sont ensemble dans le Verbe et le Verbe est tous les ecirctres Crsquoest une veacuteritable uniteacute

ougrave la diversiteacute future des ecirctres est conccedilue793

Nous avons eacutetudieacute trois doctrines (Calcidius Augustin et Erigegravene) qui parlent de la

multiplication du premier principe Ce premier principe est Dieu dans le cas de penseurs chreacutetiens

ou lieacutee agrave Dieu dans le cas de Calcidius Il contient dans son Intellect (sa Sagesse) les prototypes des

ecirctres qui procegravedent agrave partir de lui et par conseacutequent il est multiple Dans le cas de Calcidius

lrsquoespegravece premiegravere est multiple Dans le cas drsquoAugustin Dieu conccediloit le monde avant qursquoil soit creacuteeacute

Dans le cas drsquoErigegravene Dieu conccediloit les ecirctres comme parfaits et ils se deacutegradent lors de leur creacuteation

dans le monde

IX 13 Est-ce que les ecirctres intelligibles et sensibles sont identiques

Nous avons montreacute que la philosophie tardo-antique accepte lrsquoideacutee de lrsquoexistence de deux

niveaux drsquouniteacutes intelligibles et sensibles Les uniteacutes intelligibles preacutecegravedent les uniteacutes sensibles en 792 laquo Ratio uero quoniam ipse est omnium uisibilium et inuisibilium principale exemplar [hellip] In ipso enim pater omnia quae uoluit fieri priusquam fierent uidit facienda Causa quoque est quoniam occasiones omnium aeternaliter et incommutabiliter in ipso subsistunt [hellip] Dei uerbum est simplex et in se infinite multiplex creatrix uniuersitatis conditae ratio et causa Simplex quidem quia rerum omnium uniuersitas in ipso unum indiuiduum et inseparabile est uel certe indiuidua et inseparabilis unitas omnium dei uerbum est quoniam ipsum omnia est Multiplex uero non immerito intelligitur esse quoniam per omnia in infinitum diffunditur et ipsa diffusio subsistentia omnium est raquo Ibid III eacuted JEAUNEAU p 36 = PL 122 642BD trad BERTIN t III p 104 793 J MOREAU laquo Le Verbe et la creation selon saint Augustin et Jean Scot Erigene raquo dans Jean Scot Erigegravene et lrsquohistoire de la philosophie Paris 1977 p 204-209

302

eacutetant leurs causes Les uniteacutes intelligibles existent en tant que perccedilues par les intellects humains

mais lrsquointellect humaine nrsquoest pas la seule source de leur existence Les uniteacutes intelligibles existent

en tant que reacutealiteacutes avant la creacuteation du monde Dans la philosophie de Platon les ideacutees sont les

origines eacuteternelles des choses Dans la philosophie meacutedioplatonicienne Dieu contient les ideacutees en

tant que penseacutees dans son intellect (voir par exemple De ideis drsquoAugustin) Le problegraveme qui

provient de la philosophie de Platon est comment les uniteacutes intelligibles peuvent-elles ecirctre agrave

lrsquoorigine des uniteacutes sensibles

Dans le De unitate (I 48) Achard demande si les choses sont eaedem numero hic et ibi

Etudions lrsquoorigine de cette expression Dans le De Trinitate I Boegravece parle de ce qui est idem in

numero

laquo Et de fait la diversiteacute de trois choses ndash ou aussi nombreuses qursquoon voudra ndash reacuteside soit

dans un genre soit dans une espegravece soit dans un nombre en effet toutes les fois que lrsquoon

dit rsquoidentiquesrsquo on preacutedique drsquoautant aussi lsquodiversrsquo De fait lsquoidentiquersquo se dit selon trois

modes ou bien selon le genre par exemple lsquohomme (est) identique agrave chevalrsquo parce que le

genre leur (est) identique agrave savoir lsquoanimalrsquo ou bien selon lrsquoespegravece par exemple rsquoCaton

(est) identique agrave Ciceacuteronrsquo parce que lrsquoespegravece (leur est) identique agrave savoir lsquohommersquo ou bien

selon le nombre par exemple lsquoTullius et Ciceacuteronrsquo parce qursquoil est un selon le nombre794 raquo

Drsquoapregraves Boegravece les choses sont diffeacuterentes quand elles ont des accidents diffeacuterents surtout

celui de lieu (De Trinitate I) Jorge Gracia souligne que selon Boegravece la diffeacuterence numeacuterique

apparaicirct dans les choses qui peuvent ecirctre compteacutees comme diffeacuterentes795 A la lumiegravere de cette

deacutefinition nous pouvons interpreacuteter la question drsquoAchard de la maniegravere suivante laquo est-ce que les

uniteacutes ici et lagrave-bas sont identiques dans tous leurs accidents raquo Cette question comprend deux

aspects quantitatif et qualitatif

Le premier aspect induit la question laquo est-ce qursquoil existe le mecircme nombre drsquoecirctres ici et lagrave-

bas raquo ou plutocirct laquo est-ce que chaque uniteacute lagrave-bas correspond agrave une uniteacute ici raquo Dans le cas drsquoune

reacuteponse positive il faut eacutetablir la doctrine de lrsquoidentiteacute des deux objets Dans le cas de la reacuteponse

neacutegative il faut eacutetablir la doctrine qui expliquerait autrement les relations entre les ecirctres en haut et

ceux en bas La doctrine neacuteoplatonicienne de la multiplication des uniteacutes qui descendent du haut

(monde intelligible) vers le bas (monde sensible) sert bien ce propos

794 laquo Trium namque rerum vel quotlibet tum genere tum specie tum numero diversitas constat quotiens enim idem dicitur totiens diversum etiam praedicatur Idem vero dicitur tribus modis aut genere ut idem homo quod equus quia his idem genus ut animal vel specie ut idem Cato quod Cicero quia eadem species ut homo vel numero ut Tullius et Cicero quia unus est numero raquo BOECE Trinitate 1 eacuted MORESCHINI p 167-8 trad GALONNIER t II p 134-137 795 J J E GRACIA Introduction to the Problem of Individuation in the Early Middle Ages Munchen 1988 p 99

303

Le deuxiegraveme aspect (qualitatif) induit la question laquo est-ce que une uniteacute-prototype est

compleacutetement identique agrave une uniteacute-copie raquo Dans la philosophie platonicienne les ideacutees sont plus

parfaites que les choses La question se transforme deacutesormais de la maniegravere suivante laquo comment

les ecirctres qui sont eacuteternels inchangeables et immuables peuvent-ils ecirctre agrave lrsquoorigine des ecirctres

temporels qui naissent peacuterissent et changent raquo

IX 131 Lrsquoidentiteacute quantitative

Nous voyons deux reacuteponses possibles agrave cette question eacutetablies dans la philosophie tardo-

antique et meacutedieacutevale

IX 1311 La multiplication

Dans la philosophie de Platon les ideacutees sont agrave lrsquoorigine des choses Une ideacutee sert modegravele agrave

plusieurs choses Les choses sont des ecirctres complexes qui participent agrave plusieurs ideacutees Ainsi la

multiplication dans lrsquounivers platonicien correspond au scheacutema suivant

ideacutee1 ideacutee2hellip

chose1 chose2 chose3hellip

Platon dit qursquoil est possible drsquoavoir la connaissance preacutecise du monde des ideacutees mais non du

monde en devenir (Timeacutee 52a) Appliquons cette thegravese au problegraveme des nombres des choses et des

ideacutees Le nombre des ideacutees est fixe le nombre des choses est variable et peut deacutepasser le nombre

des ideacutees

Lrsquoinfluence drsquoAristote sur le meacutedioplatonisme et le neacuteoplatonisme ne change pas

radicalement ce scheacutema796 Les ideacutees srsquoappellent deacutesormais les substances et les accidents

universels Mais leur nombre reste fixe

Le scheacutema proposeacute est parfaitement compatible avec le scheacutema neacuteoplatonicien du

deacuteploiement ontologique des entiteacutes reacuteelles agrave partir drsquoune source unique797 La multiplication des

ecirctres apparaicirct comme la deacutegradation ontologique drsquoune source primaire

796 Alain de Libera montre que les doctrines drsquoAristote et de Platon sont deux formes du reacutealisme A DE LIBERA La querelle des universaux De Platon agrave la fin du Moyen Age Paris 1996 p 63-65 797Cf CHR ERISMANN laquo Processio id est multiplicatio Lrsquoinfluence latine de lrsquoontologie de Porphyre le cas de Jean Scot Erigegravene raquo dans Revue des Sciences Philosophiques et Theacuteologiques t 88 2004 p 416

304

Lrsquointellect de Dieu

substance1 accident1hellip

chose1 chose2 chose3hellip

La veacuteritable identiteacute numeacuterique entre les ecirctres intelligibles et sensibles nrsquoest pas preacutevue au

sein de cette approche Par conseacutequent le problegraveme de lrsquoindividuation drsquoune chose (comment la

chose peut-elle se deacutefinir comme unique agrave lrsquoaide des ideacutees geacuteneacuterales) se pose Calcidius

(Commentaire 272) et Erigegravene (Periphyseon II) acceptent cette approche

IX 1312 Lrsquoexemplarisme radical

Lrsquoexemplarisme est une doctrine qui enseigne que Dieu est cause (exemplar) de tout ce qui

existe car tout ce qui existe a son modegravele en lui798 La thegravese que Dieu contient en lui les causes

exemplaires des creacuteatures (des ideacutees) a eacuteteacute exprimeacutee par Ciceacuteron Seacutenegraveque et Apuleacutee799 Elle eacutetait

deacuteveloppeacutee dans le contexte chreacutetien par Augustin et le pseudo-Denys800

Nous allons eacutetudier ici la version la plus radicale de cette doctrine chaque chose a son

modegravele en Dieu Augustin dit que les choses existent drsquoabord in arte divina avant drsquoecirctre reacutealiseacutee

dans le monde (In Iohannis Evangelium tr I 17 voir notre analyse plus haut) Un autre exemple de

cette doctrine chez Augustin se trouve dans le De Genesi ad litteram VI XII 19

laquo Dieu a acheveacute ces œuvres lorsqursquoil a tout creacuteeacute agrave la fois si parfaitement qursquoil ne lui restait

deacutesormais plus rien agrave creacuteer dans lrsquoordre des temps qui nrsquoait deacutejagrave eacuteteacute creacuteeacute par lui dans lrsquoordre

des causes mais il les a commenceacutees en ce sens que ce qursquoil avait alors preacutedeacutetermineacute dans

les causes il devait ensuite le produire en fait801 raquo

798 L J BOWMAN laquo The Cosmic Exemplarism of Bonaventure raquo dans The Journal of Religion t 55 1975 p 184 799J HAMESSE laquo Idea chez les auteurs philosophiques des 12e et 13e siegravecles raquo dans Idea VI Colloquio Internazionale del Lessico Intellettuale Europeo Roma 5ndash7 gennaio 1989 eacuted M FATTORI et M BIANCHI Roma 1990 (Lessico Intellettuale Europeo 51) p 109 800 K-S ONG-VAN-CUNG laquo Malebranche et lrsquoexemplarisme meacutedieacuteval raquo dans Revue de Meacutetaphysique et de Morale t 3 Philosophies franccedilaises 1997 p 343 801 laquo Consummasse quippe ista intellegimus Deum cum creauit omnia simul ita perfecte ut nihil ei adhuc in ordine temporum creandum esset quod non hic ab eo iam in ordine causarum creatum esset inchoasse autem ut quod hic praefixerat causis post inpleret effectis raquo AUGUSTIN De genesi ad litteram VI XII 19 eacuted J ZYCHA trad PAGAEumlSSE et A SOLIGNAC p 472-473

305

Ainsi Dieu a creacuteeacute drsquoabord tous les ecirctres simultaneacutement comme raisons eacuteternelles et ensuite

les a placeacutes dans le temps

Cette doctrine correspond agrave un scheacutema ougrave chaque chose sensible a comme modegravele une seule

uniteacute intelligible

Lrsquointellect de Dieu

ideacutee1 ideacutee2 ideacutee3hellip

chose1 chose2 chose3hellip

Ainsi le nombre des ideacutees correspond au nombre des choses Leur quantiteacute est fixe

Lrsquoexemplarisme peut incorporer la doctrine de la multiplication Par exemple selon la

doctrine de Bonaventure Dieu connaicirct les choses individuelles mais aussi les universaux dans son

Verbe802

Drsquoapregraves la doctrine de lrsquoexemplarisme Dieu connaicirct parfaitement la creacuteature qui est

contenue en lui telle qursquoelle sera creacuteeacutee dans le monde sensible Cela permet drsquoeacuteviter le problegraveme de

lrsquoindividuation car les choses individuelles sont en Dieu avant leur creacuteation mateacuterielle En

revanche elle implique le problegraveme des changements des choses tout au long de son existence dans

le monde Comment Dieu peut-il contenir le changement si lui-mecircme est immuable Le problegraveme

de lrsquoidentiteacute se pose autrement au sein de cette doctrine Il faut eacutetablir ce qui fait qursquoune chose soit

unique tout au long de son existence

IX 132 Lrsquoidentiteacute qualitative

La question est de savoir comment les ecirctres eacuteternels causent lrsquoexistence des ecirctres temporels

La reacuteponse a eacuteteacute donneacutee dans le cadre de la doctrine de la connaissance de Dieu Le

meacutedioplatonisme et le neacuteoplatonisme chreacutetiens acceptent la doctrine aristoteacutelicienne que Dieu ne

connaicirct que lui-mecircme et le postulat biblique que Dieu connaicirct parfaitement le monde Ces thegraveses

sont deacuteveloppeacutees dans la doctrine selon laquelle Dieu connaicirct le monde car le monde existe en

lui803 Cristina drsquoAncona Costa deacutemontre que dans le platonisme tardif le premier principe (Dieu)

802 L J BOWMAN laquo The Cosmic Exemplarism of Bonaventure raquo dans The Journal of Religion t 55 1975 p 182 803 Cf J-C BARDOUT O BOULNOIS laquo Introduction lrsquoinvention du monde raquo dans Sur la science divine texte preacutesenteacutes et traduits sous la direction de J-C BARDOUT et O BOULNOIS Paris 2002 p 9-26 C DrsquoANCONA COSTA

306

nrsquoest pas connu par les intellects creacuteeacutes car il leur est supeacuterieur En mecircme temps Dieu connaicirct les

ecirctres qui proviennent de lui Le premier principe qui est indivisible immuable et eacuteternel connaicirct

les ecirctres deacuteriveacutes comme divisibles muables et temporels DrsquoAncona Costa trouve cette doctrine

chez Proclus et ensuite chez le pseudo-Denys804

Dans la philosophie platonicienne latine cette doctrine a eacuteteacute transmise agrave travers le De ideis

drsquoAugustin805 Rappelons

laquo Et bien qursquoelles-mecircmes [les ideacutees] ne naissent ni ne peacuterissent on dit pourtant que crsquoest

selon elles qursquoest formeacute tout ce qui peut naicirctre et peacuterir et tout ce qui naicirct et peacuterit806 raquo

Plus haut nous avons aussi deacutecrit sa doctrine de lrsquoexistence des objets selon ces deux

modes in arte et in opere Il srsquoagit dans ce cas des ecirctres qui ont des qualiteacutes diffeacuterentes aux deux

niveaux et qui sont relieacutes car les premiers causent lrsquoexistence des deuxiegravemes

Erigegravene deacuteveloppe eacutegalement cette doctrine Voici comment il deacutecrit lrsquoexistence de la

substance de lrsquohomme (Periphyseon IV)

laquo Car on peut envisager la substance humaine sous un premier mode comme creacuteeacutee dans les

causes intelligibles on peut envisager la substance humaine sous un seconde mode comme

engendreacutee dans les effets sensibles En tant que la substance humaine subsiste dans les

causes elle srsquoavegravere exempte de toute mutabiliteacute en tant que la substance humaine subsiste

dans les effets elle srsquoavegravere soumise agrave la mutabiliteacute en tant que la substance humaine

subsiste dans les causes la substance humaine qui srsquoavegravere simple et exempte de tous les

accidents eacutechappe agrave tout entendement creacuteeacute mais en tant que la substance humaine

comporte une composition de proprieacuteteacutes quantitatives et qualitatives et de tous les autres

accidents affeacuterents agrave sa substance mecircme elle devient accessible agrave lrsquoentendement807 raquo

laquo Proclus Denys le Liber de Causis et la science divine raquo dans Le contemplateur et les ideacutees modegraveles de la science divine du neacuteoplatonisme au XVIIIe siegravecle eacuted O BOULNOIS J SCHMUTZ et J-L SOLERE Paris 2002 (Bibliothegraveque drsquohistoire de la philosophie nouvelle seacuterie) p 19-44 804 Ibid p 32-37 805 LM DE RIJK laquo Quaestio De ideis Some Notes on an Important Chapter of Platonismraquo Kephalaion Studies in greek philosophy and its continuation offered to Professor C J De Vogel ed by J MANSFELD and L M DE RIJK Assen 1975 p 208 806 laquo Et cum ipsae neque oriantur neque intereant secundum eas tamen formari dicitur omne quod oriri et interire potest et omne quod oritur et interit raquo AUGUSTIN De diversis quaestionibus octoginta tribus qu 46 eacuted MUTZENBECHER p71 trad G MADEC dans Revue Thomiste t 533 2003 p 358 807 laquo Aliter enim humana substantia per conditionem in intellectualibus perspicitur causis aliter per generationem in effectibus Ibi quidem omni mutabilitate libera hic mutabilitati obnoxia ibi simplex omnibus que accidentibus absoluta omnem effugit conditum intellectum hic compositionem quandam ex quantitatibus et qualitatibus caeteris que quae circa eam intelliguntur patiens mentis recipit intuitum raquo JEAN SCOT EacuteRIGENE Periphyseon IV eacuted JEAUNEAU p 115 = PL 122 771A trad BERTIN t IV p 98

307

Erigegravene deacutecrit les deux modes drsquoexistence de la substance humaine ibi (dans les causes

intelligibles) et hic (dans les effets sensibles) Ibi elle est simple et immutable et hic mutable et

composeacutee des accidents

Christophe Erismann propose lrsquointerpreacutetation suivante de cette doctrine

laquo La mecircme et unique nature des existants subsiste sous un double mode dans lrsquoeacuteterniteacute du

Verbe de Dieu et dans la temporaliteacute du monde Crsquoest le mode drsquoecirctre et non lrsquoessence qui

varie808 raquo

De cette faccedilon deux penseurs chreacutetiens latins Augustin et Erigegravene acceptent que Dieu qui

est eacuteternel et inchangeable contienne en lui les modegraveles des ecirctres temporels et muables

Lrsquoeacutetude de lrsquoorigine du couple achardien in intellectuin actu et des problegravemes qursquoil soulegraveve

montre que ce couple reflegravete les doctrines meacutetaphysiques importantes de lrsquoAntiquiteacute tardive telles

que lrsquoorigine de la connaissance humaine la connaissance du monde par Dieu la multiplication du

premier principe et lrsquoidentiteacute des ecirctres temporels et eacuteternels Nous avons montreacute comment

Calcidius Augustin Boegravece et Erigegravene ont contribueacute au deacuteveloppement de ces doctrines

Lrsquoopposition in intellectuin actu est le fruit de la transmission du dualisme platonicien des

mondes intelligible et sensible (chez Augustin et Erigegravene) et des doctrines aristoteacuteliciennes de

lrsquoacte et de la puissance (chez Boegravece) Le mot intellectus deacutesigne la faculteacute de connaicirctre Dans la

penseacutee platonicienne il srsquoagit eacutegalement des connaissances divines Crsquoest le fait drsquoecirctre intelligeacute par

Dieu qui donnent aux uniteacutes intelligibles le statut prioritaire par rapport aux ecirctres sensibles Les

uniteacutes intelligibles deviennent les ecirctres par excellence et leur primauteacute est par conseacutequent

ontologique

La multipliciteacute premiegravere apparaicirct dans lrsquointellect de Dieu qui conccediloit les ecirctres en tant

qursquointelligibles Les penseurs chreacutetiens preacutecisent que crsquoest le Verbe de Dieu qui contient les

prototypes des choses

La doctrine des uniteacutes intelligibles qui sont dans lrsquointellect de Dieu comprend deux aspects

- la multiplication du principe premier (Calcidius et Erigegravene) en plusieurs uniteacutes

- lrsquoidentiteacute (quantitative et qualitative) entre les uniteacutes intelligibles et leurs copies sensibles

808 CHR ERISMANN laquo Dialectique universaux et intellect chez Jean Scot Erigegravene raquo dans Intellect et imagination dans la philosophie meacutedieacutevale actes du XIe Congregraves international de philosophie meacutedieacutevale de la Socieacuteteacute internationale pour lrsquoeacutetude de la philosophie meacutedieacutevale (SIEPM) Porto du 26 au 31 aoucirct 2002 eacuted J MEIRINHOS et M C PACHECO Turnhout 2006 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale XI) p 838

308

IX 2 Les niveaux des ecirctres chez les victorins

Dans ce chapitre nous allons reacutepondre agrave la question srsquoil existe chez Hugues la doctrine de

deux niveaux des ecirctres et quelle est la diffeacuterence entre ces niveaux

IX21 Les eacutetats des ecirctres

Hugues utilise souvent lrsquoopposition visible-invisible809 Dans le De tribus diebus il explique

que sa meacutethode preacutevoit lrsquoeacutetude de lrsquoinvisible agrave partir du visible Pour se justifier il cite le Romains

I 20

laquo Ce qursquoil a drsquoinvisible depuis la creacuteation du monde se laisse voir agrave lrsquointelligence agrave travers

ses œuvres [de Dieu]810 raquo

Ensuite Hugues montre la correacutelation entre lrsquoinvisible et le visible811

invisibile visibile

exemplar simulacrum

Lrsquoinvisible contient le modegravele (exemplar) et le visible le reflet (simulacrum) Dans le De

tribus diebus Hugues deacutecrit en particulier les proprieacuteteacutes de Dieu (les perfections invisibles

puissance sagesse bonteacute) et la maniegravere dont elles sont refleacuteteacutees dans le monde (les perfections

visibles immensiteacute beauteacute et utiliteacute)812 Apregraves la chute la personne humaine nrsquoest plus capable de

saisir directement lrsquoinvisible voilagrave pourquoi elle doit eacutetudier le visible qui teacutemoigne de la nature de

809 Voir I vanrsquot SPIJKER laquo Image of Thought Hugh of Saint-Victor and Richard of Saint-Victor on Thinking raquo dans Speaking to the Eye Sight and Insight through Text and Image (1150-1650) ed T DE HEMPTINNE V FRAETERS and M E GOacuteNGORA Turnhout 2013 p 28-34 810 La Bible de Jeacuterusalem Traduite en franccedilais sous la direction de lrsquoeacutecole biblique de Jeacuterusalem Paris 2000 p 1939 811 Cf POIREL D laquo Voir lrsquoinvisible la spiritualiteacute visionnaire de Hugues de Saint-Victor raquo dans Spiritualitaumlt in Europa des Mittelalters LrsquoEurope spirituelle au Moyen Age 900 Jahre Hildegard von Bingen 900 ans lrsquoabbaye de Cicircteaux dir Jean FERRARI et Stephan GRAumlTZEL (Hgg) St Augustin 1998 (Philosophie im Kontext Interdisziplinaumlre Studien 4) p 3 812 laquo Querendum ergo est quod horum prius contemplantibus in agnitione occurrat Et credo quod illud inuisibile prius in contemplatione comprehenditur quod in suo uisibili simulacro expressius et manifestius declaratur Simulacra autem inuisibilium ipsa uisibilia dicuntur utpote inuisibilis potentiae simulacrum est creaturarum inmensitas inuisibilis sapientiae simulacrum est creaturarum decor inuisibilis benignitatis simulacrum est creaturarum utilitas Omnis autem creatura quanto uicinius similitudini creatoris appropinquat tanto uicinius creatorem suum declarat Illud ergo uisibile simulacrum inuisibile exemplar prius ostendere debet quod diuinae similitudinis imaginem perfectius in se expressam retinet raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XVI eacuted POIREL p 34 = PL 176 823D-824A Cf laquo Haec est distantia theologiae huius mundi ab illa quae diuina nominatur theologia Impossibile enim est inuisibilia nisi per uisibilia demonstrari et propterea omnis theologia necesse habet uisibilibus demonstrationibus uti in inuisibilium declarationem raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Super Ierarchiam Dionisii I ndash Prol eacuted D POIREL Turnhout 2015 (CCCM 178) p 403 = PL 175 926D

309

Dieu813 Cette doctrine correspond agrave lrsquoideacutee principale du De tribus diebus traiter le monde comme

un livre inspireacute par Dieu814 Ce livre montre agrave son lecteur attentif le chemin vers Dieu

Dans le Super Ierarchiam la diffeacuterence visible-invisible est exprimeacutee aussi agrave travers les

adverbes hic et ibi815 Lrsquoinvisible est ibi et le visible hic Les ecirctres visibles ici (ista) ont une

similitude avec les ecirctres invisibles lagrave-bas (illa) car ils proviennent du mecircme bien suprecircme816 Dans

ce contexte les adverbes hic et ibi deacutesignent les deux niveaux drsquoexistence des ecirctres et les adjectifs

illa et ista les ecirctres qui sont agrave ces deux niveaux

Dans le De sacramentis Hugues introduit la distinction hicibi dans le contexte de la

doctrine de la connaissance divine Les futures choses creacuteeacutees lagrave-bas (ibi) sont les causes des ecirctres

creacuteeacutes ici (hic) Les choses futures sont eacuteternelles increacuteeacutees et connues par Dieu Les choses creacuteeacutees

sont temporelles817 De cette faccedilon les adverbes hicibi deacutesignent chez Hugues les deux niveaux ougrave

les ecirctres existent dans la connaissance divine et dans le monde creacuteeacute

Dans les Sententiae de divinitate Hugues parle des deux modes drsquoecirctre drsquoune chose in actu

et in ratione Voici la comparaison de ces deux modes

in actu in ratione

dispositio temporalis in opere artifex aliquis preuidet in mente sua

in opere compleat in animo deposuerat

in sapientia Dei in mente diuina818

813 B T COOLMANThe theology of Hugh of St Victor an interpretation New York 2010 p 169 I vanrsquot SPIJKER laquo Image of Thought Hugh of Saint-Victor and Richard of Saint-Victor on Thinking raquo dans Speaking to the Eye Sight and Insight through Text and Image (1150-1650) ed T DE HEMPTINNE V FRAETERS and M E GOacuteNGORA Turnhout 2013 p 36 814 D POIREL laquo Lire lrsquounivers visible le sens drsquoune meacutetaphore chez Hugues de Saint-Victor raquo dans Revue des Sciences Philosophiques et Theacuteologiques t 95 2011 p 363-4 815 laquoModo quibusdam exemplis propositis probat quoniam ea quae de uisibilium natura ad inuisibilia referuntur aliter hic atque aliter ibi subsistunt raquo Super Ierarchiam Dionisii III ndash II eacuted POIREL p 480 = PL 175 980C 816 laquoNon solum uidelicet quia ea quae dicuntur aliter hic et aliter ibi subsistere intelliguntur sed ideo etiam quia quaecunque hic sunt secundum aliud similitudinem habent ad ea quae ibi subsistunt quoniam et haec et illa ab uno bono sunt quod sunt et secundum imaginem quam ad illud possident ista illorum quoque figuram et similitudinem praetendunt raquo ibid III-II eacuted POIREL p 486 = PL 175 484C 817 laquo CAP XV Quomodo omnia in Deo ab aeterno erant priusquam in semetipsis subsisterent et eorum illic non praescientia sed scientia erat An dicemus quod omnia in Creatore ab aeterno increata fuerunt quae ab ipso temporaliter creata sunt et illic sciebantur ubi habebantur et eo modo sciebantur quomodo habebantur et non cognovit aliquid extra se Deus qui omnia habebat in se Nec ideo ibi fuerunt quia hic futura fuerunt nec causa illorum fuisse credatur ex istis neque ideo huc venerunt quia ibi fuerunt quasi esse non potuissent illa sine istis Nam et illa fuissent etiam si ista ex illis futura non fuissent tantum istorum causa non fuissent si ista futura non fuissent CAP XVI Si res futurae non fuissent sapientia Dei scientia esset sed praescientia non diceretur Et fuisset quidem scientia eorum quae essent praescientia autem non fuisset eorum quae futura non essentraquo De sacramentis I II XV-XVI PL 176 212BC 818 laquo Notandum omnis res habent unum esse in actu aliud in ratione Esse in actu est quando aliqua res in opere et temporali dispositione completur Esse in ratione est quando artifex aliquis antequam manus ad operandum admoueat ne inconsiderate accedat ad opus preuidet in mente sua quid facturus sit et quale et quantum et omnino cuiusmodi rem facturus sit deinde ad operandum uenit ut sicut in animo deposuerat sic in opere compleat et ita esse quod est in ratione precedit illud quod est in opere quod satis perspicuum est Vt si quis uel arcam uel domum fabricare intendat antequam ad opus accedat omnem formam rei quam facturus est in animo suo depingitEodem quoque modo in diuinis actibus contingit Deus enim antequam temporaliter operari inciperet more periti artificis ab eterno in sapientia sua que sibi coeterna est formas omnium creaturarum conceperat que quidem forme coeterne sunt ipsi sapientie et dicuntur

310

Ainsi Hugues distingue les choses

- in ratione ndash conccedilues dans lrsquoesprit drsquoun artisan

- in opere ndash compleacuteteacutees et disposeacutees dans lrsquoœuvre

Cette distinction sert agrave expliquer comment les ecirctres ont eacuteteacute conccedilus comme eacuteternels dans

lrsquoesprit et la Sagesse de Dieu et ensuite faits dans le temps Le passage ougrave il explique cela

(Sententiae de divinitate Pars 2 34-52) renvoie aux deux passages drsquoAugustin

- Celui de lrsquoIn Iohannis Evangelium tr I 17 ougrave Augustin fait la distinction entre les eacutetats in

opere et in arte Il prend comme exemple un coffre (arca) fait par un artisan et conccedilu par

Dieu et met les ecirctres in arte dans la Sagesse de Dieu

- Celui de la lsquoDe ideisrsquo ougrave Augustin dit que les ideacutees sont des formes ou des raisons dans

lrsquointelligence divine

En effet Hugues dans les Sententiae et Augustin dans lrsquoIn Iohannis Evangelium tr I 17

prennent lrsquoimage drsquoune chose dans lrsquoacircme drsquoun artisan (artifex) pour expliquer comment les choses

ont eacuteteacute conccedilues dans lrsquointellect de Dieu Les deux auteurs se rendent compte qursquoil srsquoagit de trois

niveaux distincts les choses lrsquoacircme de lrsquoartisan et la Sagesse de Dieu Mais les deux derniers

niveaux sont deacutesigneacutes par lrsquoexpression in arte dans le cas drsquoAugustin et par in ratione dans le cas

drsquoHugues

Dans un appendice du Didascalicon (le De tribus rerum subsistentiis) Hugues deacutecrit les

trois subsistances des choses

laquo Les choses peuvent subsister de trois faccedilons en acte dans lrsquointellect dans lrsquoesprit divin

crsquoest-agrave-dire dans la raison divine dans la raison humaine en elles-mecircmes En elles-mecircmes

elles passent sans subsister Dans lrsquointellect humain elles subsistent certes mais ne sont pas

immuables Dans lrsquoesprit divin elles subsistent sans ecirctre du tout soumises au changement

Ce qui est en acte est lrsquoimage de ce qui est dans lrsquoesprit humain et ce qui est dans lrsquoesprit

humain est lrsquoimage de ce qui est dans lrsquoesprit divin819 raquo

Dans ce cas les trois niveaux des ecirctres sont clairement distingueacutes

Cette distinction se manifeste aussi au niveau de lrsquooutillage de la connaissance Hugues

preacutesente la meacutetaphore des trois yeux capables de saisir les diffeacuterents objets

rationes rerum in mente diuina uel idee uel notiones raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 937 34-47 819 laquo Tribus modis res subsistere habent in actu in intellectu in mente divina hoc est in ratione divina in ratione hominis in seipsis in seipsis sine subsistentia transeunt in intellectu hominis subsistunt quidem sed tamen immutabiles non sunt in mente divina sine omni mutabilitate subsistunt item quod est in actu imago est eius quod est in mente hominis et quod est in mente hominis imago est eius quod est in mente divina raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Didascalicon appendix ed BUTTIMER p 134 trad HUGUES DE SAINT-VICTOR Lrsquoart de lire trad M LEMOINE Paris 1991 p 237

311

- oculus carnis oculus rationis oculus contemplationis ndash De sacramentis (I X 2) et Super

Ierarchiam (III-II) ndash les deux derniegraveres sortes de visions fonctionnaient bien avant la chute et ne le

font plus apregraves820

- oculus carnis oculus cordis oculus Dei ndash De vanitate mundi (704B)

En deacutefinitive en distinguant entre le visible et lrsquoinvisible le modegravele et le reflet in opere et

in ratione Hugues adopte la division bipartite du monde propre au platonisme et en mecircme temps

la structure meacutetaphysique des ecirctres a trois niveaux (choses esprit humain et esprit divin) Elle se

manifeste dans la distinction in actu in intellectu in mente divina du Didascalicon

Richard de Saint-Victor distingue clairement les modes des ecirctres dans le De Trinitate (I

VI)

- ecirctre eacuteternel et de soi-mecircme

- ecirctre eacuteternel et non de soi-mecircme

- nrsquoecirctre ni eacuteternel ni de soi-mecircme821

Il srsquoagit (1) de Dieu le Pegravere qui est agrave lrsquoorigine de tout (2) du Fils et du Saint-Esprit et (3)

des ecirctres creacuteeacutes

Ainsi Richard diffeacuterencie le Pegravere et les deux autres personnes comme les modes drsquoecirctre

diffeacuterents

IX22 La creacuteation du monde

La doctrine de la creacuteation est relieacutee agrave la doctrine des deux eacutetats des ecirctres chez Augustin et

Erigegravene Les ecirctres intelligibles sont toujours creacuteeacutes avant les sensibles Hugues de Saint-Victor

deacuteveloppe eacutegalement ce sujet

Nous avons deacutejagrave eacutetudieacute lrsquoaspect mateacuteriel de la creacuteation en six jours dans le chapitre

preacuteceacutedent La doctrine hugonienne de la creacuteation a aussi un aspect causal Lrsquoordre temporel de la

creacuteation ne correspond pas agrave lrsquoordre spirituel

Dans le De sacramentis (I V III) Hugues deacutemontre que la creacuteature rationnelle a eacuteteacute faite en

premier drsquoun point de vue causal Voici lrsquoordre eacutetabli par Hugues

820 HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I X II PL 176 329C Super Ierarchiam Dionisii II ndash I eacuted POIREL p 472-3 = PL 175 976A I vanrsquot SPIJKER laquo Image of Thought Hugh of Saint-Victor and Richard of Saint-Victor on Thinking raquo dans Speaking to the Eye Sight and Insight through Text and Image (1150-1650) ed T DE HEMPTINNE V FRAETERS and M E GOacuteNGORA Turnhout 2013 p 19 821 laquo Erit enim esse cuilibet existenti aut ab aeterno et a semetipso aut e contrario nec ab aeterno nec a semetipso aut mediate inter hec duo ab aeterno quidem nec tamen a semetipso raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate I VI eacuted RIBAILLIER p 91-2 =PL 196 893D

312

Prima Creator ndash natura increata

Secunda Creatura rationalis

Tertia Creatura corporea

La premiegravere est la nature increacuteeacutee ndash Dieu Ensuite la creacuteature rationnelle qui a eacuteteacute faite agrave la

ressemblance de Dieu et en rapport avec Dieu Et finalement la creacuteature corporelle faite drsquoapregraves la

creacuteature rationnelle822 La creacuteature rationnelle comprend les anges et la nature spirituelle Drsquoapregraves

Hugues elle a probablement eacuteteacute faite simultaneacutement avec la matiegravere au deacutebut de la creacuteation823

Voici comment il la deacutecrit dans le Didascalicon

laquo La creacuteature rationnelle fut faite en premier lieu agrave la ressemblance de la raison divine sans

meacutediation Mais la creacuteature corporelle avec la meacutediation de la creacuteature rationnelle a eacuteteacute

faite agrave la ressemblance de la raison divine824 raquo

En deacutefinitive la creacuteature rationnelle preacutecegravede la creacuteature corporelle dans lrsquoordre causal

IX23 Lrsquoimmutabiliteacute de la connaissance divine

Les philosophes neacuteoplatoniciens chreacutetiens posent la question suivante comment Dieu qui

est immuable peut-il connaicirctre le monde muable

Drsquoapregraves Hugues la creacuteature est un objet digne drsquoecirctre connu car elle reflegravete Dieu Dans le

Super Ierarchiam Dionisii Hugues dit que la beauteacute des formes visibles teacutemoigne de la beauteacute des

ecirctres invisibles825 Dans le De tribus diebus il souligne qursquoil faut admirer la beauteacute de la creacuteature

822 laquo Dicimus quod creatura rationalis prior facta est et post eam facta est corporea creatura non tamen tempore sed causa solum et respectu et dignitate Nam ipsius creaturae corporeae conditio ad ipsam refertur creaturam rationalem et secundum ipsam perfecta est sicut ipsius conditio ad solum creatorem refertur quoniam secundum ipsum facta est sola Sola quippe rationalis creatura ad similitudinem Dei facta legitur et non dicitur quod creatura aliqua praeter solam rationalem ad similitudinem Dei facta sit licet omnis creatura in ratione divina et in providentia aeterna ipsius causam et similitudinem habuerit ex qua et secundum quam perfecta sit in sua subsistentia [hellip] Secundum hujusmodi rationem et considerationem corporea creatura post secundam tertio loco est creaturam rationalem quoniam ad eam est facta sicut rationalis ipsa ad primam facta est increatam naturam raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I V III PL 176 247CD 248C 823 laquo Quantum vero pertinet ad momenta temporum et intervalla et spatia hoc interim commodius et veritati vicinius profitemur quod simul in tempore uno et in principio temporis quando tempora ipsa coeperunt facta est sive creata pariter rerum omnium visibilium materia et invisibilium in creatura angelica et spirituali natura Nec fuisse in tempore nec coepisse alteram sine altera nec prius unam quam alteram sed utramque simul in tempore et cum tempore et tamen priorem fuisse ad quam facta est altera in qua fuerunt exemplaria sapientiae quorum effectus sunt et expressiones quae visibilia condita sunt ex hoc modo primo omnium creata est sapientia raquo ibid I V IV PL 176 248CD 824 laquo Rationalis ergo creatura ad similitudinem divinae rationis nullo mediante primo loco facta est creatura vero corporea mediante rationali creatura facta est ad similitudinem divinae rationisraquo HUGONIS DE SANCTO-VICTORE Didascalicon appendix ed BUTTIMER p 134 trad LEMOINE Paris p 238 825 laquo Ideo per uisibilia inuisibilium ueritas demonstrata est quia non potest noster animus ad ipsorum inuisibilium ueritatem ascendere nisi per uisibilium considerationem eruditus ita uidelicet ut arbitretur lsquouisibiles formasrsquo esse lsquoimaginationes inuisibilis pulchritudinisrsquo Quia enim in formis rerum uisibilium pulchritudo earumdem consistit

313

laquo Vient ensuite ce qui est admirable pour sa beauteacute Nous admirons la configuration de

certaines choses parce qursquoelles sont particuliegraverement gracieuses et arrangeacutees de faccedilon

harmonieuse en sorte que la disposition de lrsquoouvrage paraicirct elle-mecircme indiquer un soin

particulier de la part du creacuteateur [hellip]

Le premier et principal reflet de la sagesse increacuteeacutee est donc la sagesse creacuteeacutee crsquoest-agrave-dire la

creacuteature rationnelle et puisqursquoelle est visible sous un rapport invisible sous un autre elle srsquoest

faite agrave la fois la porte et le chemin de la contemplation826 raquo

De cette faccedilon Dieu connaicirct la creacuteature car il lrsquoa creacuteeacutee et lrsquohomme lrsquoeacutetudie pour connaicirctre

Dieu Le Verbe de Dieu est manifesteacute dans sa creacuteature827

Dans le De tribus diebus Hugues compare les connaissances humaine et divine pour

montrer que la connaissance divine nrsquoest pas soumise aux imperfections humaines

laquo Mais la connaissance divine nrsquoadmet aucun de ces changements Elle nrsquoaugmente pas car

elle est pleine En effet celui qui creacutee tout gouverne tout peacutenegravetre tout et soutient tout ne

peut tout ignorer et celui qui est preacutesent agrave toutes choses par sa diviniteacute ne peut en ecirctre

absent par la vision Il ne peut diminuer lui qui ne tient pas drsquoun autre tout ce qursquoil est mais

qui tient de lui-mecircme tout ce qursquoil est qui tient de lui seul lrsquouniteacute et la totaliteacute de ce qursquoil est

Que dire de la variation Comment pourrait varier la sagesse qui comprend tout ensemble

et en une fois sous un unique rayon de sa vision Ensemble parce qursquoelle comprend toute

essence toute forme tous les lieux et tous les temps en une fois parce qursquoelle ne reprend

pas sa vision apregraves lrsquoavoir interrompue ni ne lrsquointerrompt apregraves lrsquoavoir suivie mais ce qursquoil

est une fois il lrsquoest toujours et ce qursquoil est toujours il lrsquoest tout entier Il voit tout voit tout

de tout voit toujours et voit partout Rien de neuf rien drsquoeacutetranger ne vient srsquoajouter agrave lui

rien de ce qursquoil a ne se deacutetache de lui Quand une chose est future il la preacutevoit preacutesente il la

congrue ex formis uisibilibus inuisibilem pulchritudinem demonstrari dicit quoniam uisibilis pulchritudo inuisibilis pulchritudinis imago est raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Super Ierarchiam Dionisii II ndash I eacuted POIREL p 435 = PL 175 949AB Sur la perception du monde sensible par Hugues voir G A ZINN laquo Minding Matter Materia and the World in the Spirituality and Theology of Hugh of St Victor raquo dans Mind Matters Studies of Medieval and Early Modern Intellectual History in Honour of Marcia Colish Turnhout 2010 p 47-67 826 laquo Sequitur de his quae mirabilia sunt propter pulcritudinemQuarumdam rerum figurationem miramur quia speciali quodam modo decorae sunt et conuenienter coaptatae ita ut ipsa dispositio operis quodammodo innuere uideatur specialem sibi adhibitam diligentiam conditorisraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XI eacuted POIREL p 23 = PL 176 820A laquo Primum ergo ac principale increatae sapientiae simulacrum est sapientia creata id est rationalis creatura quae quia secundum aliquid uisibilis est secundum aliquid inuisibilis ianua contemplationis facta est pariter et uia raquo Ibid XVII eacuted POIREL p 36 = PL 176 824D trad D POIREL Le lsquoDe tribus diebusrsquo de Hugues de Saint-Victor Edition critique et commentaire historique et doctrinal Paris 1999 Thegravese de doctorat p 594 et 598 827 laquo Sic et in Deo verbum intrinsecum et occultum et invisibile verbum fuit cordis ejus et sapientia erat hoc verbum et invisibile donec manifestatum est per verbum extrinsecum quod visibile factum est quod erat opus ejus Sicut per verbum oris manifestatum est verbum cordis sic loquitur omnis natura ad auctorem suum et indicat quod factum est opificem intelligendi sensum habentibus raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XX PL 176 225B

314

voit passeacutee il la conserve en meacutemoire et il nrsquoy a pas de diffeacuterence en lui entre preacutevoir voir

et conserver en meacutemoire mais ce qui arrive dans le temps eacutetait dans sa vision et ce qui passe

dans le temps demeure dans sa vision [hellip]

Or Dieu pour qui crsquoest une mecircme chose drsquoecirctre de vivre et de comprendre nrsquoeacutetant pas partiel

par son essence ne pourra pas non plus ecirctre partiel par sa sagesse mais comme il est

immuable en son essence de mecircme est-il immuable aussi en sa sagesse828 raquo

Ainsi la sagesse de Dieu ne change pas Dieu connaicirct tout en totaliteacute En ce qui concerne le

changement dans le temps il connaicirct les choses passeacutees preacutesentes et futures

Le fait que Dieu a preacutevu ce qui allait se passer nrsquoimplique pas qursquoil ait imposeacute la neacutecessiteacute

aux choses Hugues distingue les actions de Dieu qursquoil a preacutedestineacutees et le deacuteveloppement des ecirctres

creacuteeacutes qursquoil a preacuteconnus mais non preacutedestineacutes829 De cette maniegravere Hugues deacutefend la liberteacute

humaine

Comment les raisons eacuteternelles reflegravetent la connaissance de Dieu

Dans les Sententiae Hugues souligne que les choses in ratione peuvent avoir des statuts

(status) diffeacuterents ecirctre preacutesentes ou futures Certaines choses peuvent ecirctre dites in ratione selon

des statuts diffeacuterents Mecircme si Dieu les connaicirct toutes comme preacutesentes elles sont dites preacutesentes

ou futures par rapport agrave leur apparition dans le monde Voilagrave pourquoi Dieu a la science des choses

preacutesentes et la prescience des choses futures830

828 laquo Sed has omnes mutabilitates cognitio diuina non recipit Non augetur quia plena est Neque enim nescire potest omnia qui creat qui gubernat qui penetrat qui portat omnia et qui omnibus presens est deitate absens esse non potest uisione Minui non potest qui aliunde non est quicquid est sed idem ipsum quicquid est ab ipso est ab uno et unum totum quod est Quid de uicissitudine dicam Quomodo uicissitudinem recipere possit sapientia quae omnia simul et semel sub uno uisionis radio comprehendit Simul quia omnem essentiam omnem formam omnia loca omnia tempora semel quia uisionem nec intermissam recipit nec habitam intermittit sed quod semel est semper est et quod semper est totum est Omnia uidet et de omnibus omnia uidet et semper uidet et ubique uidet Nichil ei nouum nichil alienum aduenit nichil suum recedit Quando futurum est preuidet quando presens est uidet quando preteritum est retinet Nec aliud in ipso est preuidet uidet et retinet sed quod aduenit in tempore fuit in uisione et quod preterit in tempore permanet in uisione [hellip]Deus autem cui idem est esse uiuere et intelligere cum per essentiam ex parte non sit nec per sapientiam ex parte esse poterit sed sicut immutabilis est essentia ita quoque immutabilis est sapientia raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XX eacuted POIREL p 49-50 = PL 176 830AD trad D POIREL Le lsquoDe tribus diebusrsquo de Hugues de Saint-Victor Edition critique et commentaire historique et doctrinal Paris 1999 Thegravese de doctorat p 602-3 829 laquo Non igitur mutari uel cassari potest prescientia que ab eterno ita res precurrit ut eas sic fieri prouideret quo ordine fieri deberent licet tamen illa prescientia rebus nullam ingerat necessitatem raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 939 119-121 laquo Quod enim facturus fuit hoc predestinauit Quod autem facturus non fuit non predestinauit sed tantum presciuit raquo Ibid 143-144 830 laquo Sed rememorandum est quod diximus superius quod queque res habent unum esse in actu aliud in ratione Secundum esse in ratione fuerunt omnia ab eterno in mente Dei et secundum hoc ab eterno presentia Deo et ita in re dicitur scientia presentium secundum illum statum que secundum alium statum adhuc futura erant Itaque cetere res et presentes dicuntur et future secundum diuersos status Eadem animi comprehensio et scientia dicitur et prescientia sed secundum quod res presentes sunt dicitur in Deo esse scientia secundum quod res future sunt dicitur in eo fuisse prescientia raquo Ibid p 938 101-108 Cf D Poirel laquo Sagesse divine et la creation du monde raquo dans Sur la science divine textes preacutesenteacutes et traduits sous la direction de J-C BARDOUT et O BOULNOIS Paris 2002 p 83-88

315

En deacutefinitive Dieu immuable connaicirct les ecirctres qui naissent et disparaissent dans le temps Il

les connaicirct en totaliteacute comme preacutesentes Mais Dieu connaicirct aussi les ecirctres tels qursquoils seront Il

attribue aux ecirctres in ratione le statut du passeacute du preacutesent ou du futur

IX 24 Lrsquouniteacute de Dieu et la distinction des creacuteatures

Une autre question qui apparaicirct dans le cadre du neacuteoplatonisme chreacutetien est comment Dieu

qui est un peut connaicirctre le monde multiple

En De sacramentis I V III Hugues soulegraveve un problegraveme concernant la nature des objets

intelligibles preacuteexistant en Dieu Sont-ils parfaits Ils doivent ecirctre parfaits car ils sont en Dieu qui

est lui-mecircme parfait En mecircme temps Dieu les connaicirct tels qursquoils seront creacuteeacutes donc imparfaits831

Hugues reacutesout ce problegraveme en disant que les ecirctres creacuteeacutes ont leur similitude en Dieu

(similitudinem in Deo habent) Dieu voit les choses en totaliteacute et les choses particuliegraveres (singula)

dans cette totaliteacute Pour lui la partie et la totaliteacute font un Cependant Dieu sait que les choses creacuteeacutees

seront imparfaites et il a cette connaissance dans sa raison et dans sa providence832 Par conseacutequent

Dieu les connaicirct de deux faccedilons parfaite et imparfaite

Cela est possible gracircce agrave la creacuteature rationnelle qui provient en premier de Dieu Elle est

spirituelle et elle a Dieu lui-mecircme comme ressemblance (ipsum Deum similitudinem habet) Elle ne

contient pas en elle un seul objet qui est exemplaire pour les creacuteatures mais elle est lrsquoimage de

Dieu Elle est esprit une totaliteacute (totum) capable de la prescience et de la providence Elle est la

raison et lrsquointelligence de la creacuteature Elle ressemble agrave Dieu et en mecircme temps elle lui est

diffeacuterente833

Nous voyons deacutesormais que la multitude chez Hugues nrsquoapparaicirct pas suite agrave la

multiplication des ecirctres Elle reacutesulte de la distinction de la totaliteacute primordiale des creacuteatures et des

choses singuliegraveres Voici comment elle a eacuteteacute faite

831 laquoNam in Deo quidem omnia erant antequam essent in se secundum rationem et causam et providentiam ex qua futura erant sed quasi minus erant singula perfecto et unumquodque hoc aliquid et non totum secundum rationem et discretionem uniuscujusque quae ratio omnia continebat et major erat in toto et quasi superabundabat singulis raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I V III PL 176 247D-248A 832 laquoEt ideo non erant singula hoc totum sed in toto erant singula quoniam totum ad totum et singula ad singula Et tamen Deo in parte nihil minus erat quam in toto quia pars et totum unum erat sed ratione et providentia una discreta sunt quae futura erant in parte et toto et minus futura erant in parte quam in toto Ideo et ipsa in ratione minus habueruut quoniam ex ratione minus futura fuerunt Tamen Deus minus non habuit qui in toto totus fuit et perfectus et unus raquo ibid I V III PL 176 248A 833 laquo Propter hoc ergo rationali creaturae non unum aliquid aut hoc aut illud in ratione divina pro exemplari sufficere potuit ad cujus similitudinem formaretur sed quasi totum assumpsit Deum ut ejus ipsius imago fieret et expressa est ad totum aemulans perfectionem Ut sicut Deus spiritus erat et unus erat et in ipso totum erat secundum rationem et providentiam et praescientiam et causam sic ipsa spiritualis esset capax in uno praescientiae et providentiae et rationis et providentiae omnium Et eluxit perfecta imago imitans auctorem suum et apparuit quasi ipsum in altero et idem unum raquo ibid I V III PL 176 248AB

316

Creator ndash natura increata Deus

creatura rationalis ipsum Deum similitudinem

habet

imago aemulans perfectionem

in toto erant singula

creatura corporea similitudinem in Deo habent omnia singula et unumquodque

hoc aliquid

La creacuteature rationnelle est constitueacutee des ecirctres rationnels pris singuliegraverement en totaliteacute La

creacuteature corporelle est constitueacutee des ecirctres imparfaits singuliers Les ecirctres creacuteeacutes dans les corps sont

distincts entre eux La premiegravere multipliciteacute apparaicirct dans la connaissance de Dieu (au niveau de la

creacuteature rationnelle) qui a la prescience des ecirctres creacuteeacutes Cette multipliciteacute se manifeste dans le

monde

En somme Hugues adopte une distinction ontologique bipartite et tripartite Dieu a une

nature indivisible qui se reflegravete dans ses creacuteatures visibles Il existe ainsi deux niveaux invisible et

visible ibi et hic Ces deux niveaux correspondent aux eacutetats des ecirctres in ratione et in actu Dans le

Didascalicon les creacuteatures in ratione se divisent en celles qui existent dans lrsquointellect humain (in

intellectu) et en celles qui sont dans lrsquoesprit divin (in mente Dei) De cette faccedilon trois niveaux

apparaissent choses raisons et Dieu deacutesigneacutes par les expressions in actu in intellectu et in mente

Dei

Dieu connaicirct de maniegravere immuable les ecirctres muables et les ecirctres distincts dans leur totaliteacute

Il a aussi les images des choses telles qursquoelles seront creacuteeacutees muables et distinctes Lrsquoapparition de

la multipliciteacute dans le principe premier chez Hugues a lieu non pas agrave travers la multiplication ou

lrsquoengendrement mais agrave travers la distinction des uniteacutes intelligibles dans lrsquouniteacute premiegravere Hugues

deacuteveloppe deux doctrines pour expliquer lrsquoapparition de la pluraliteacute celle de la connaissance divine

(Dieu connaicirct les ecirctres en totaliteacute) et celle de la creacuteature rationnelle (elle a sa similitude en Dieu

donc elle est moins parfaite et moins une que lui)

En deacutefinitive Hugues emprunte le cadre doctrinal des platoniciens chreacutetiens en particulier

drsquoAugustin et drsquoErigegravene les uniteacutes intelligibles preacutecegravedent les uniteacutes sensibles et elles sont

contenues dans lrsquoesprit de Dieu Sauf qursquoHugues ne met pas lrsquoaccent sur la notion de lrsquointellect de

Dieu mais sur les ecirctres qui y sont Il pose la question de lrsquoidentiteacute des ecirctres intelligibles et sensibles

et il cherche la reacuteponse dans la doctrine de connaissance de Dieu Sa reacuteponse sort du cadre

neacuteoplatonicien deacutecrit plus haut Hugues deacutecrit la premiegravere uniteacute intelligible comme inseacuteparable et

contenant tous les ecirctres dans le monde dans leurs eacutetats parfaits et ayant la connaissance du passeacute du

preacutesent et du futur Du point de vue quantitatif Dieu connaicirct plus drsquoecirctres que ceux qui existent

actuellement dans le monde Et pourtant cette comparaison nrsquoest pas correcte car elles sont dans la

317

premiegravere uniteacute inseacuteparable Du point de vue qualitatif Dieu immuable connaicirct les ecirctres muables

dans la totaliteacute de leurs changements Etre parfait dans la Sagesse de Dieu implique avoir toute son

laquo histoire de vie raquo inscrite dans la totaliteacute de sa connaissance

IX3 Intellectus (in intellectuin actu) dans le De unitate

La notion drsquointellectus apparaicirct pour la premiegravere fois en I 41 Elle deacutesigne la faculteacute

intellectuelle et le concept (en II 4) Depuis I 43 lrsquointellectus fait eacutegalement partie de lrsquoopposition

in intellectuin actu dans le cadre de la doctrine des formes

Nous allons eacutetudier en premier lieu cette opposition En particulier la diffeacuterence entre in

intellectu et in actu lrsquoapplication de ce couple terminologique agrave la doctrine de la forme premiegravere et

enfin son application pour deacutemontrer la relation entre les formes et les choses Ensuite nous allons

eacutetudier les deux aspects de la notion mecircme drsquointellectus la faculteacute intellectuelle et sa mise en œuvre

dans lrsquointellection de la chose

IX31 Les deux niveaux (in intellectuin actu)

En I 43 Achard dit qursquoil y a des ecirctres qui eacutetaient et qui sont toujours in intellectu et des

ecirctres in actu qui en procegravedent Crsquoest la premiegravere fois qursquoil emploie ce couple terminologique Mais

la thegravese qursquoil existe deux niveaux drsquoexistence des entiteacutes a eacuteteacute preacutesenteacutee avant

Dans les chapitres I 1-11 Achard utilise les adjectifs deacutemonstratifs haec ista et illa afin de

souligner la diffeacuterence entre lrsquoexistence de lrsquouniteacute ici dans le monde et lagrave-bas dans la Triniteacute (voir

article laquo Unitas-Pluralitas raquo) A partir du chapitre I 14 Achard emploie eacutegalement lrsquoadverbe hic

(ici) par opposition agrave ibi (lagrave-bas) Les mots illa en I 1-14 et ibi en I 1-36 sont plus freacutequents que

haec et hic Cela srsquoexplique probablement par le fait que dans la premiegravere partie Achard selon sa

propre expression a deacutecouvert laquo les ltecirctresgt invisibles de Dieu [] agrave partir de lrsquounique nature

invisible elle-mecircme sans eacutegard pour les ltecirctresgt qui ont eacuteteacute faits834 raquo Par conseacutequent dans la

premiegravere partie du De unitate il parle de Dieu dans les termes qui lui conviennent (illa et ibi)

Dans la deuxiegraveme partie du De unitate Achard preacutevoit de parler de la relation entre les ecirctres

faits en non faits (eacuteternels) Et crsquoest agrave partir du chapitre I 38 qui ouvre la deuxiegraveme partie que hic

et ibi sont employeacutes comme un couple terminologique

Voici une introduction de la distinction hicibi (I 38) dans le De unitate

834 laquo Invisibilia Dei [] quam ex ipsa invisibili uniltcagt sine eorum respectu [eorum] quae facta sunt invenit natura raquo De unitate I 37 eacuted MARTINEAU p 106-107

318

laquo lsquoIlsrsquo sont venus ici en effet de lagrave ougrave ils nrsquoeussent en aucun cas afflueacute si lagrave-bas aussi ils

nrsquoavaient eacuteteacute selon quelque mode Mais ils ne sont pas venus en cessant drsquoecirctre lagrave-bas

lorsqursquoils sont venus ici et ils ne furent ni ne sont point lagrave-bas parce qursquoils sont venus ici au

contraire srsquoils ont eacuteteacute faits ici temporellement crsquoest parce qursquoils furent et qursquoils sont non

faits lagrave-bas eacuteternellement Lagrave-bas cependant ils ne sont pas comme des choses en elles-

mecircmes mais comme dans leurs raisons eacuteternelles en lesquelles assureacutement lsquotous les ltecirctresgt

sont unrsquo835 raquo

Lagrave-bas (ibi) les ecirctres invisibles sont laquo dans leurs raisons eacuteternelles raquo alors qursquoici (hic) ils

sont comme des choses en elles-mecircmes Par conseacutequent il existe deux niveaux diffeacuterents ici et lagrave-

bas ndash les choses et leurs raisons eacuteternelles

Apregraves avoir eacutetabli qursquoil y a trois sortes de raisons eacuteternelles (II 39) Achard se concentre sur

seulement une sorte de ces raisons ndash les raisons formelles (ou formes) Crsquoest dans le chapitre I 43

qursquoil commence agrave srsquointerroger sur les formes836 et qursquoil introduit la distinction in intellectuin actu

Cette distinction preacutecise la distinction des mondes creacuteeacute et non creacuteeacute introduite par les couples hicibi

et haecilla

Voyons agrave preacutesent pourquoi Achard nomme cette distinction in intellectuin actu Voici une

explication theacuteologique Selon le De unitate lrsquoexpression in intellectu signifie que crsquoest Dieu qui a

intelligeacute de toute eacuteterniteacute absolument tout ce qursquoil ferait dans le temps car il est omniscient837

Ainsi les formes existent comme intelligeacutees par Dieu eacuteternellement in intellectu Et degraves leur

creacuteation elles existent in actu Drsquoun point de vue cognitif les formes in intellectu sont conccedilues par

Dieu tandis que les formes in actu sont creacuteeacutees par lui Drsquoun point de vue temporel les formes in

intellectu existent depuis toujours tandis qursquoelles nrsquoexistent in actu qursquoagrave partir du moment ougrave elles

ont eacuteteacute faites dans le monde creacuteeacute

835 laquo Inde enim huc venerunt unde nullatenus profluxissent nisi et ibi juxta aliquem fuissent modum Non autem ita inde venerunt ut ibi esse desierint quando huc venerunt nec ideo ibi fuerunt vel sunt quia huc venerunt sed magis ideo hic temporaliter facta sunt quia ibi aeternaliter infecta fuerunt et sunt Sunt autem ibi non ut res in semetipsis sed ut in aeternis rationibus suis in quibus quidem laquounum sunt omniaraquo quia et ipsae eorum rationes ratio sunt secundum substantiam et personam ut ostendemus una raquo De unitate I 38 eacuted MARTINEAU p 108-109 836 Voir lrsquoanalyse de MARTINEAU du plan de recherche proposeacute par Achard eacuted MARTINEAU I 42 p 112-113 notes 4-8 837 laquoltQuodgt enim omnia quae hic sunt et ibi ab aeterno fuerunt quoquo ibi intelligantur fuisse modo contradici non potest Non enim hic est aliquid quod Deus non fecerit nec Deus nesciens aliquid fecit nec aliquid unquam scivit vel scire poterit quod non ab aeterno scierit et in aeternum sciturus sit alioquin enim variatio aliqua in eum cadere posset Intellexit igitur ab aeterno omnia quaecumque cum tempore vel in tempore facturus eratraquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 112-115 Comme nous avons deacutejagrave eacutetabli dans le chapitre VII il y a les traces de theacuteorie de trois attributs de Dieu dans le texte drsquoAchard (puissance sagesse bonteacute) Et crsquoest aux raisons formelles que la Sagesse de Dieu se rapporte Et en I 41Achard dit que la pluraliteacute des formes est plus grande que celle des choses creacuteeacutees et la Sagesse de Dieu est donc plus grande que sa puissance Voilagrave pourquoi cela semble logique pour lui de construire son argumentation en I 43 agrave partir du fait que Dieu sait toutes les choses avent de les creacuteer

319

Pour souligner la diffeacuterence entre les ecirctres in intellectu et in actu Achard introduit une seacuterie

de termes opposeacutes (I 43)

laquo Par conseacutequent il ne faut pas dire que comme ils ont eacuteteacute faits ici ils ont eacuteteacute intelligeacutes lagrave-

bas mais plutocirct que comme ils ont eacuteteacute lagrave-bas intelligeacutes de toute eacuteterniteacute ils ont eacuteteacute aussi faits

temporellement ici ou que tels ils ont eacuteteacute lagrave-bas disposeacutes tels ils ont eacuteteacute exeacutecuteacutes ici Crsquoest

donc selon qursquoils existent en tant qursquointelligeacutes lagrave-bas qursquoils sont faits ici et crsquoest pourquoi

les ltecirctresgt intelligeacutes lagrave-bas peuvent а bon droit ecirctre appeleacutes des modegraveles ou des formes des

ltecirctresgt faits ici ici au contraire sont des simulacres ou des copies de ceux-lagrave838 raquo

Les voici

ibi hic

in intellectu in actu

intellecta facta

aeternaliter temporaliter

disposita composita

exemplaria exempla

formae simulacra

De cette maniegravere Achard caracteacuterise les ecirctres in intellectuin actu Les premiers sont

disposeacutes (preacutevus depuis lrsquoeacuteterniteacute) et les deuxiegravemes sont composeacutes (creacuteeacutes dans la matiegravere) Ils sont

les modegraveles et les copies Les uns sont faits intellectuellement les autres corporellement En II 10

Achard deacutecrit la distinction entre les veacuteriteacutes lagrave-bas et les vrais ici (voir lrsquoarticle laquo Forma raquo) qui part

du mecircme principe

Muhammad Ilkhani reacutesume que la creacuteation du monde drsquoapregraves Achard de Saint-Victor

comprend deux eacutetapes la creacuteation eacuteternelle en Dieu et la reacutealisation dans le temps839 Achard

expose cette doctrine en II 2 Drsquoabord il deacutecrit comment les ecirctres sont in intellectu et in actu

laquo Quant aux ltecirctresgt qui sont ici et sont dits ecirctre lagrave-bas parce qursquoils sont intelligeacutes ils ont

eacuteteacute eux aussi de toute eacuteterniteacute lagrave-bas tels qursquoils sont maintenant en soi tels en effet ils

eacutetaient vus lagrave-bas de toute eacuteterniteacute ainsi qursquoon lrsquoa montreacute quoique non pas dans le mecircme

838 laquo Non ergo est dicendum quia ut hic sunt facta ibi sunt intellecta sed ut magis ibi aeternaliter sunt intellecta et hic temporaliter sunt facta vel ut ibi sunt disposita et hic composita Secundum igitur quod ibi intellecta consistunt hic facta unde et ibi intellecta factorum hic non immerito exemplaria vel formae quaedam vocari possunt hic autem illorum simulacra quaedam sive exempla raquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 114-115 839 M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 195

320

eacutetat а cause de lrsquoeacuteterniteacute mecircme de leur intellection Lagrave-bas donc crsquoest de toute eacuteterniteacute

qursquoils ont eacuteteacute faits intellectuellement avant drsquoadvenir en eux-mecircmes selon ce que dit lui

aussi le prophegravete parlant de Dieu les ltecirctresgt qui devaient ecirctre voici qursquoil les a faits Ainsi

il a fait de toute eacuteterniteacute selon la penseacutee du prophegravete ce qursquoil allait faire posteacuterieurement ltagrave

savoirgt dans le temps mdash mais alors en intellect et ensuite en acte840 raquo

Voici la seacuterie des oppositions introduites par Achard dans le passage citeacute

in intellectu in actu

ab aeterno in se ndash in semetipsis

futura sunt facienda facta

ab aeterno in tempore

De ce passage on peut tirer la conclusion que les ecirctres existaient depuis toujours in

intellectu tant que Dieu avait preacutevu de les creacuteer in actu Et puis ils ont eacuteteacute creacuteeacutes in actu sans cesser

drsquoexister in intellectu Drsquoune certaine faccedilon tous les ecirctres (ceux in intellectu et ceux in actu) sont

creacuteeacutes car il existe deux modes de creacuteation modus faciendi ad actum et modus faciendi ad

intellectum841 Voici comment Achard deacutecrit ces deux modes

laquo Toutefois lrsquoon ne doit pas affirmer de faccedilon absolue que Dieu a fait une chose de toute

eacuteterniteacute on se repreacutesenterait en effet le mode de faire qui est actuel non pas celui qui est

intellectuel Mais si lrsquoon prend soin de deacuteterminer le mode on peut dire que Dieu non pas

litteacuteralement mais absolument a fait les cieux en intellect crsquoest-а-dires qursquoil a fait aupregraves de

soi de toute eacuteterniteacute tous les ltecirctresgt soit qui allaient ecirctre faits soit qursquoil allait faire Ainsi est-

il suggeacutereacute en effet qursquoil nrsquoest pas intelligeacute ltcommegt les ayant faits alors sur le mecircme mode

que par apregraves crsquoest-agrave-dire que sur celui en lequel les choses sont dites advenir selon lrsquoacte

mecircme Car si ces ltecirctresgt eacutetaient ltalorsgt deacutejagrave faits pourraient-ils ecirctre appeleacutes allant ecirctre faits

ensuite ou devant ecirctre faits Bien plutocirct ces deux modes du faire peuvent-ils ecirctre nommeacutes

ainsi qursquoon lrsquoa dit agrave propos de toute chose dont il est rappeleacute qursquoelle a eacuteteacute faite lagrave-bas ltcar il

est ditgt Dieu dit que cela soit et il est ajouteacute ensuite et cela a eacuteteacute fait ainsi ou quelque

chose de semblable On le voit lrsquoEacutecriture en disant Dieu dit que cela soit a voulu 840 laquo Et ea utique quae sunt hic et ideo dicuntur ibi esse quia intelliguntur qualia nunc sint in se talia ibi fuerunt ab aeterno lttgtalia namque ab aeterno videbantur ibi ut monstratum est licet non taliter propter ipsam intelligendi aeternitatem Ibi ergo ab aeterno sunt intellectualiter facta antequam in semetipsis fierent secundum quod et propheta ait de Deo quiatecit quae futura sunt Fecit igitur ab aeterno juxta prophetae sententiam quae facturus erat postmodum in tempore sed tunc in intellectu post in actu raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 138-139 841 laquo Intelligeretur enim modus ille faciendi qui est ad actum non ille qui est ad intellectum raquo De unitate II 2 MARTINEAU p 138

321

deacutesigner cet advenir des choses qui est non seulement depuis le Verbe mais encore dans le

Verbe Crsquoest aupregraves de soi en effet qursquoil a dit cela non pas dans le temps mais de toute

eacuteterniteacute Et il nrsquoa pas dit cela avant qursquoen son Verbe ce dont il a dit qursquoil advicircnt fucirct deacutejagrave

fait842 raquo

Les termes utiliseacutes sont les suivants

modus faciendi ad intellectum ad actum

per se ut quid

factura vel facienda facta

in Verbo ex Verbo

ab eterno ex tempore

citations de la Genegravese fiat factum est ita

Achard y voit un problegraveme seacutemantique sans preacutecision (absolute pronuntiandum) on parle

de la creacuteation in actu comme de la seule creacuteation possible Si laquo on prend soin de deacuteterminer le

mode raquo (cum determinatione autem modi) on pourra eacutegalement parler de la creacuteation absolue dans

le Verbe (per se) qui a eu lieu avant la creacuteation in actu Ainsi les ecirctres qui eacutetaient toujours aupregraves

de Dieu sont creacuteeacutes par lui de maniegravere intelligible

En deacutefinitive les ecirctres sont creacuteeacutes deux fois drsquoabord in intellectu (dans lrsquointellect de Dieu) et

puis in actu

Lrsquoadverbe intellectualiter deacutesigne lrsquoexistence des ecirctres in intellectu (I 43 45 II 1-3 8 13)

Les autres adverbes qui deacutesignent cet eacutetat sont aeternaliter et immutabiliter (I 46) Les adverbes

qursquoon trouve agrave propos des ecirctres in actu sont actualiter (I 49 II 2) et corporaliter (II 3)

En II 13 Achard remplace lrsquoexpression drsquoin intellectu par in mente et in actu par in materia

En II 15 ces couples se transforment en in mentein opere Une seacuterie drsquooppositions semblables agrave

celles drsquoin intellectuin actu se trouve dans le chapitre II 17 ougrave la raison causale est deacutecrite

842 laquo Non autem absolute pronuntiandum est quod Deus ab aeterno aliquam rem fecerit Intelligeretur enim modus ille faciendi qui est ad actum non ille qui est ad intellectum Cum determinatione autem modi dici potest quod per se non ut quid fecit caelos Deus in intellectu vel omnia apud se ab aeterno vel fecit quae factura erant vel quae facturus erat Siltcgt enim innuitur quod non eodem modo intelligitur ea fecisse tunc quo post et quo res actu ipso fieri dicuntur Si ea namque essent facta modo tunc possent dici post factura vel facienda Hii autem modi duo faciendi nominari possunt ut dictum est de re qualibet quae facta ibi commemoratur Dixit Deus Fiat et post annectitur Et factum est ita ut vel tale aliquid Per hoc enim quod ait Scriptura Dixit Deus Fiat significavit illum fieri rerum quod non solum est ex verbo sed et in verbo Apud se enim hoc dixit nec ex tempore sed ab aeterno Nec prius hoc dixit quam in verbo ipsius id quod dixit ut fieret jam factum est raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 138-139

322

ratio

in se843 ipsa in creatura

substantialiter actualiter

per naturam propter gratiam

per plenitudinem per participationem

perseverare desinere

Les raisons existent en elles-mecircmes substantiellement par leur nature de maniegravere pleine

en existant toujours Dans la creacuteature elles sont actuellement (in actu) par la gracircce et par

participation aux ecirctres qui cessent drsquoexister De cette faccedilon la distinction des deux niveaux nrsquoest

preacutesente pas seulement dans les chapitres qui parlent de formes

Le couple in intellectuin actu deacutesigne les deux modes drsquoexistence des ecirctres dans lrsquointellect

de Dieu et dans le monde creacuteeacute Il correspond aux adverbes hic et ibi qui deacutesignent deux niveaux de

reacutealiteacute Dieu et la creacuteature Lrsquoorigine de cette expression se trouve dans la doctrine de Dieu qui

conccediloit le monde In intellectu deacutesigne en premier lieu les ecirctres dans lrsquointellect de Dieu Achard

deacuteveloppe eacutegalement la doctrine de la double creacuteation du monde drsquoabord intelligible in intellectu

et puis sensible in actu

Dans la doctrine drsquoAchard le monde intelligible a la prioriteacute sur le monde sensible Etre in

intellectu Dei est une existence veacuteritable La reacutealiteacute intelligible preacutecegravede la reacutealiteacute sensible Les

uniteacutes intelligibles ndash les ecirctres in intellectu ndash sont des concepts dans la connaissance divine et en

mecircme temps des objets primaires dans la reacutealiteacute Dans ce cadre la doctrine de la connaissance de

Dieu deacutecrit la reacutealiteacute entiegravere De cette faccedilon elle devient ontologique Ainsi la distinction in

intellectuin actu est une distinction eacutepisteacutemologique au sens propre car elle deacutecrit la diffeacuterence

entre la connaissance (de Dieu) et la creacuteature Cette distinction est ontologique au sens large car elle

deacutecrit la diffeacuterence entre la reacutealiteacute primaire et la reacutealiteacute secondaire

IX32 In intellectuin actu et la forme premiegravere

Il a eacuteteacute deacutejagrave eacutetabli qursquoil existe trois types de formes la premiegravere forme les formes creacuteeacutees et

les idos Les formes creacuteeacutees sont les prototypes des idos (formes dans les choses) et elles sont toutes

843 Le terme in se (in seipso in semetipsis etc) srsquoajoute parfois au couple in intellectuin actu Lrsquoeacutetude de ce terme dans le De unitate montre qursquoil ne deacutesigne pas toujours le mecircme mode (in intellectu ou in actu) mais sa signification deacutepende du contexte Par exemple la chose in se = in actu (5 fois ndash I 46 2 fois ndash I 47) une opposition reacutepeacuteteacutee in seibi (I 48) etc une chose universelle en elle-mecircme = in intellectu (II 8) les formes sont intelligeacutees lagrave-bas in se = in intellectu (2 fois ndash II 14) Mecircme au sein du mecircme chapitre in se eacutevoque parfois une œuvre creacuteeacutee (opera in se) parfois la raison (in seipsa II 17)

323

intelligeacutees dans la forme premiegravere Pourtant cette description est insuffisante Notamment en ce qui

concerne la description de lrsquointeraction entre ces trois types de formes qui sont les trois niveaux de

la hieacuterarchie verticale des uniteacutes intelligibles Nous allons eacutetudier drsquoabord la relation de la forme

premiegravere aux formes creacuteeacutees et aux idos Cela implique aussi la question comment la pluraliteacute des

formes provient-elle agrave partir drsquoune forme unique

Voyons agrave preacutesent quelle est la position de la forme premiegravere par rapport aux formes creacuteeacutees et

aux idos dans le De unitate (II 2)

laquo Or celle-ci [la Sagesse] nrsquoa eacuteteacute ni faite ni formeacutee elle est donc elle-mecircme le modegravele

premier de tout et la forme premiegravere en laquelle srsquoaccomplit la formation intellectuelle

eacuteternelle des choses Quant agrave ltla formegt qui est drsquoelle ltelle se trouvegt actuellement dans

ces choses mecircmes faites dans le temps et par conseacutequent elle est aussi elle-mecircme faite

temporelle ici-bas844 raquo

Achard insiste sur le fait que laquo la formation intellectuelle eacuteternelle des choses raquo srsquoaccomplit

dans la forme premiegravere Il eacutevite de dire que les formes proviennent de la forme premiegravere Les

formes secondes sont appeleacutees formeacutees faites et creacuteeacutees (facta et creata 845) dans la forme premiegravere

qui est le modegravele premier (exemplar primum) Mais crsquoest in actu qursquoelles sont faites dans la matiegravere

Achard traite davantage de la relation entre la forme premiegravere et les formes En II 14 il

demande si le fait qursquoil y ait agrave la fois la forme premiegravere et les formes creacuteeacutees signifie qursquoil y ait pour

chaque chose deux prototypes

laquo Il ne faut pas croire en effet que Dieu a eu aupregraves de soi deux formes et modegraveles de

chaque chose agrave former ltmodegravelesgt drsquoapregraves lesquels il formerait une seule chose en acte

selon un mode unique et pas davantage qursquoeacutetait ou eacutetait intelligeacutee lagrave-bas dans une autre

forme une forme diffeacuterente drsquoelle numeacuteriquement mdash non mais que crsquoest celle-lagrave mecircme qui

eacutetait lagrave-bas veacuteritablement et essentiellement qui eacutetait elle-mecircme intelligeacutee lagrave-bas en elle-

mecircme et non pas une autre en elle De mecircme ce sont absolument les mecircmes ltecirctresgt que 844 laquo Ipsa autem facta non est vel formata ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna quae ex ipsa est actualiter in rebus ipsis temporaliter factis et ideo ipsa quoque hic facta temporalis raquo De unitate II 2 MARTINEAU p 140-141 traduction modifieacutee par I Lystopad Nous avons eacutelimineacute le mot laquo provient raquo qui eacutetait ajouteacute par Martineau Nous croyons qursquoAchard reacuteserve les termes processio et procedere agrave ce qui correspond agrave la diviniteacute (cela est surtout visible dans les chapitres I 1-36 ougrave il utilise ces mots assez souvent ndash 45 fois pour procedere ndash afin de deacutesigner les relations des personnes de la Triniteacute) et aux relations entre des formes creacutees et des choses (voir plus haut) Dans le deuxiegraveme traiteacute on ne trouve pas souvent ces mots mais il est remarquable qursquoAchard lrsquoemploie pour deacutesigner les processus relieacutes aux aspects theacuteologiques (la provenance de quelque chose de Dieu voir II 3) de sa doctrine ou agrave drsquoautres aspects Ces mots nrsquoapparaissent cependant jamais lorsqursquoAchard fait reacutefeacuterence agrave la forme premiegravere 845 Bien que dans ce chapitre Achard parle en neutre crsquoest plutocirct le moyen stylistique pour eacutevoquer les ecirctres intellectuels qui sont lagrave-bas cela-veut-dire les formes laquo Haec autem siltngtt apud Deum non modo facta sed et creata et formata in locis non paucis ut ostensum est ex parte testatur manifesteraquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140

324

Dieu a vus a intelligeacutes a posseacutedeacutes aupregraves de lui-mecircme et qursquoil a eacutepancheacutes dans la chose agrave

former afin qursquoadvicircnt dans la matiegravere la forme qui eacutetait jusqursquoalors aupregraves de lui sans

aucune matiegravere en sorte que conduite jusqursquoagrave la matiegravere agrave laquelle elle est imprimeacutee et en

laquelle elle est temporellement exprimeacutee ltcette formegt a eacuteteacute faite temporelle qui en elle-

mecircme eacutetait et est eacuteternelle ici ltfaitegt variable et corruptible elle qui lagrave-bas lteacutetait et estgt

veacuteritablement immortelle ici creacuteeacutee elle qui lagrave-bas lteacutetait et estgt increacuteeacutee ici formeacutee elle

qui lagrave-bas lteacutetait et estgt non ltcertesgt informe mais suprecircmement formelle (belle) quoique

non pas formeacutee ici faite elle qui lagrave-bas lteacutetait et estgt engendreacutee ici ltfaitegt œuvre de la

raison elle qui lagrave-bas lteacutetait et estgt la raison mecircme ici ltcreacuteeacuteegt une sorte de son exprimant

le Verbe elle qui lagrave-bas lteacutetait et estgt Verbe exprime sans son846 raquo

Ainsi pour Achard il est eacutevident qursquoil nrsquoexiste pas deux prototypes pour une mecircme chose

Il est important de distinguer deux ideacutees principales de ce passage

1) laquo Les ltecirctresgt que Dieu a intelligeacutes aupregraves de lui-mecircme raquo sont les mecircmes que ceux laquo qursquoil

a eacutepancheacutes dans la chose agrave former raquo (les idos) Nous supposons que ce passage donne accegraves agrave la

signification du couple in intellectuin actu Les formes intelligeacutees par Dieu in intellectu sont les

idos dans les choses in actu De mecircme les choses sont in intellectu comme les formes creacuteeacutees qui

correspondent aux idos

2) La forme premiegravere nrsquoest pas diffeacuterente numeacuteriquement des formes creacuteeacutees Les formes

creacuteeacutees sont quant agrave elles dans les choses en tant qursquoidos Cependant la premiegravere forme se trouve

dans les choses et peut ecirctre conccedilue comme faite temporelle variable et corruptible

En deacutefinitive les mecircmes formes sont intelligeacutees dans la forme premiegravere mais elles existent

dans les choses in actu La relation entre la forme premiegravere et les formes creacuteeacutees est deacutecrite par

Achard sans recours agrave des termes de provenance tels que provenire ou procedere En outre la

forme premiegravere peut ecirctre conccedilue en tant que

- non faite (en elle-mecircme) et faite (dans les formes creacuteeacutees et dans les choses)

- eacuteternelle (en elle-mecircme ou dans les formes creacuteeacutees) et temporelle (dans les choses)

- non formeacutee et formeacutee

- etc

846 laquo Non enim Deum rei cujusque formandae duas apud se credendum est habuisse formas et exemplaria duo secundum quae rem unam in actu uno formaret modo nec in forma alia ibi erat vel intelligebatur forma numero differens ab illa sed quae ibi erat vere et essentialiter ipsa ibi intelligebatur in se ipsa nec altera in illa Item prorsus numero illa eademque apud se vidit intellexit et habuit in rem formandam effudit ut hic esset in materia ltformagt quae apud illum usque erat absque omni materia et exacta etiam materiae cui est impressa et in qua temporaliter est expressa hic facta est temporalis quae in seipsa erat et est aeterna hic variabilis et corruptibilis ltquae ibi eratgt et ltestgt vere immortalis hic creata quae ibi increata hic formata quae ibi non informis sed summe formosa non tamen formata hic facta quae ibi genita hic opus rationis quae ibi ratio ipsa hic quasi sonum Verbum exprimens quae ibi Verbum absque sono expressum raquo De unitate II 14 MARTINEAU p 174-75

325

Ainsi crsquoest gracircce agrave la relation in intellectuin actu que la forme premiegravere est identique aux

formes creacuteeacutees et aux choses

En II 3 Achard insiste sur le fait que les formes sont distinctes agrave lrsquointeacuterieur de la forme

premiegravere Pourtant il ne lrsquoexplique pas Il dit mecircme en II 4 qursquoil est impossible de deacutefinir quelles

sont les laquo proprieacuteteacutes selon lesquelles elle [distinction entre les raisons] existe raquo et laquo comment la

distinction des raisons procegravede de son origine 847raquo En deacutefinitive il ne donne pas de reacuteponse

satisfaisante agrave la question de savoir comment la pluraliteacute des formes provient drsquoune forme premiegravere

Pour conclure la forme premiegravere contient la pluraliteacute des formes in intellectu Elle est

reacutealiseacutee dans ces formes in actu Elle peut posseacuteder des qualiteacutes opposeacutees (ecirctre une et multiple

creacuteeacutee et increacuteeacutee eacuteternelle et temporelle) dans deux modes drsquoexistence Achard explique comment la

forme premiegravere est relieacutee agrave la pluraliteacute des formes mais non comment la pluraliteacute des formes

apparaicirct au sein de la forme premiegravere

IX33 Lrsquoidentiteacute des ecirctres in intellectu et in actu

Le deuxiegraveme sujet qui apparaicirct au sein de la hieacuterarchie des formes est la relation entre les

formes creacuteeacutees (ideacutees) et les formes dans les choses (idos) On a deacutejagrave deacutecouvert que ce sont les

formes qui preacuteexistent in intellectu et les copies qui sont creacuteeacutees in actu Achard pose les questions

suivantes par rapport agrave leur relation

- Quelle est la distinction entre les ecirctres ici et lagrave-bas

- Est-ce qursquoil existe le mecircme nombre de choses in intellectu et in actu

- En quoi consiste la diffeacuterence qualitative entre les formes et les choses

1 La question de la distinction est poseacutee en I 43-45 Dans le chapitre I 43 Achard introduit

les termes disposita et composita exemplaris et simulacrum forma et exemplum Ils deacutesignent

lrsquoexistence des formes in intellectuin actu Quelle est la signification de ces termes

laquo Il ltDieugt a donc intelligeacute de toute eacuteterniteacute absolument tout ce qursquoil ferait avec le temps ou

dans le temps non seulement quels ltecirctresgt il ferait mais encore leur quantiteacute leur qualiteacute

le comment de leur relation agrave lui ou entre eux en quoi aussi ils seraient actifs ou passifs ougrave

et quand ils seraient comment ils devraient ecirctre placeacutes dans leurs lieux propres ce qursquoils

847 laquo Quodnam vero ipsa sit id est quae proprietates secundum quas consistit non ltcorregtlationes quas rationes rerum habent ad res ipsas tantum earum rationes dicuntur vel qualiter distinctio rationum a sua procedit origine hoc ut opus ostendet[ur] non modo difficile sed videtur indicibile raquo De unitate II 4 eacuted MARTINEAU p 148-149

326

possegravederaient et absolument tout ce qui est ou peut ecirctre conccedilu avec veacuteriteacute dans les choses

[hellip] Crsquoest donc de toute eacuteterniteacute qursquoil eut preacutesentes aupregraves de soi avant que rien ne fucirct non

seulement les substances de tout ce qursquoil ferait mais encore leurs quantiteacutes et leurs nombres

leurs lieux et leurs temps etc848 raquo

En I 45 Achard explique comment cela est possible

laquo Car bien qursquoil nrsquoy ait ici qursquoun seul soleil qursquoun seul monde lagrave-bas il y en a une infiniteacute

Et de mecircme encore pour les individus ils sont distingueacutes lagrave-bas par une infiniteacute de formes

et par lrsquoinfiniteacute des degreacutes de la mecircme forme En effet le ciel qui ici nrsquoest que rond lagrave-bas

est triangulaire lagrave-bas est carreacute et figureacute agrave lrsquoinfini de toutes les maniegraveres849 raquo

Il srsquoagit ainsi de la variation des eacuteleacutements (qui correspondent aux dix cateacutegories drsquoAristote)

sous une chose Par une chose Achard comprend ce qui a eacuteteacute fait in actu Les choses in intellectu

sont disposeacutees et preacutevues par Dieu avec toutes leurs variations possibles et elles sont faites in actu

composeacutees de la collection deacutefinie drsquoeacuteleacutements

Substance1 quantiteacute1 qualiteacute1 hellip

Substance2 quantite2 qualiteacute2 hellip

Chose

Achard choisit une chose creacuteeacutee comme le point de deacutepart de sa doctrine meacutetaphysique La

creacuteation intelligible preacutevoit la creacuteation des choses sensibles

Au deacutebut du chapitre I 46 Achard demande comment il est possible que les ecirctres changent

ici (apparaissent et disparaissent) tandis qursquoils restent immutables en Dieu Voici sa reacuteponse

laquo [Ces choses] qui sont ici ne sont pas identiquement dans lrsquointellect de Dieu En cela

consiste en effet cet ecirctre des choses dans lrsquoesprit de Dieu dont nous traitons preacutesentement 848 laquo Intellexit igitur ab aeterno omnia quaecumque cum tempore vel in tempore facturus erat non solum [ante] quae sed et quanta et qualia et qualiter ad ipsum vel ad invicem referenda quid etiam activa quidque passiva ubi et quando futura qualiter in suis ponenda locis et quid habitura et omnino si quid aliud in rebus est vel vere excogitari potest [hellip] Ab aeterno igitur antequam quicquam esset apud se praesentes habuit omnium quae facturus erat non solum substantias sed et quantitates et numeros loca et tempora etc raquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 114-115 849 laquo Cum enim unus hic sit sol nec mundus nisi unus ibi sunt infinita Singula quoque individua per infinitas ibi distincta sunt formas et per ejusdem formae gradus infinitos Caelum enim quod hic est non nisi rotundum ibi est triangulum ibi est quadratum et usque in infinitum modis omnibus figuratum raquo De unitate I 45 eacuted MARTINEAU p 118-119

327

agrave ecirctre lagrave-bas par la connaissance et lrsquointelligence crsquoest-agrave-dire agrave ecirctre lagrave-bas connu et intelligeacute

par Dieu (car Dieu connaicirct et intellige en soi-mecircme tout ce qursquoil connaicirct et intellige)850 raquo

Il srsquoagit donc de lrsquoexistence des ecirctres dans lrsquointellect (intellectus) ou esprit (mens) de Dieu

qui est diffeacuterente de leur existence in actu Cette diffeacuterence consiste dans le fait que les uniteacutes in

intellectu contiennent toutes les variations possibles des ecirctres in actu

2 Achard pose en I 46 et en I 48 la question du nombre des choses lagrave-bas par rapport au

nombre des choses ici Apregraves avoir eacutetabli que les ecirctres ici et lagrave-bas ne sont pas identiques Achard se

demande srsquoils sont les mecircmes dans le nombre Comme nous lrsquoavons deacutejagrave eacutetabli cette question

demande srsquoil existe un prototype intelligible pour chaque chose creacuteeacutee Il srsquoagit du problegraveme de

lrsquoidentiteacute numeacuterique

Achard reacutepond que oui Lrsquoargument principal en faveur de cette thegravese est que Dieu a tout fait

comme il lrsquoa preacutevu car il est omnipuissant et omniscient (I 46)

laquo Mais si ce nrsquoest pas la mecircme chose numeacuteriquement qui est en acte et dans lrsquointellect de

Dieu dans son œuvre et dans sa connaissance si ce nrsquoest pas la mecircme chose par le nombre

qursquoil a disposeacute de toute eacuteterniteacute et faite dans son œuvre si au contraire il nrsquoa pas vu qursquoil

ferait une chose autre parle nombre et a ltpourtantgt fait cette chose autre et si celle qursquoil a

faite il nrsquoa pas vu qursquoil la ferait mecircme par le nombre si enfin comme ce qursquoil voit qursquoil

fera il a dit aussi par son Verbe coeacuteternel qursquoil le ferait il nrsquoa pas fait cela mecircme et donc

manque drsquoaccomplir ce qursquoil avait preacutedit mdash alors jusque dans son Verbe qui pourtant est la

Veacuteriteacute mecircme il y aura eu quelque fausseteacute851 raquo

Voici les termes utiliseacutes par Achard pour deacutesigner les deux niveaux ougrave lrsquoon compte le

nombre des choses

numerus

in Dei intellectu in actu

in ipsius cognitione in opere

ab aeterno disposuit in opere fecit

850 laquoSi autem eaedem non sunt nec eaedem quae hic sunt in intellectu Dei sunt Hoc namque est esse rerum in mente Dei de quo agimus esse ibi per notitiam atque intelligentiam id est ibi a Deo nosci atque intelligi (in se ipso notuit et intelligit quaecumque novit et intelligit) raquo De unitate I 46 eacuted MARTINEAU p 118-119 851 laquo Sed si non eadem numero res est in actu et in Dei intellectu in opere et in ipsius cognitione nec rem numero eandem ab aeterno disposuit et in opere fecit sed alteram numero se facturum non vidit et alteram fecit et quam fecit eandem numero se facturum non vidit et quia quod facturum se videt se etiam verbo sibi coaeterno facturum dixit non autem ipsum id fecit nec adimplevit quod praedixit et in verbo ejus quod ipsa veritas est falsitas fuerit raquo De unitate I 46 eacuted MARTINEAU p 120-121

328

Par conseacutequent Dieu a creacuteeacute la mecircme quantiteacute de choses que ce qursquoil avait preacutevu In

intellectu est eacutegal ici agrave laquo ce que Dieu a preacutevu agrave faire raquo et in actu agrave ce qursquoil a fait Achard insiste sur

le fait que ce sont les choses qui sont in intellectu et in actu Voici les termes qursquoil utilise pour

deacutecrire les deux modes drsquoexistence des choses en I 46 et 47

res

in mente vel intellectu Dei in ipso quem in se habent actu

subsistendi

in mente Dei in se ipsa

intellectualiter aeternaliter quia

immutabiliter

corporaliter quia variabiliter

intelligi esse

La diffeacuterence entre les choses in intellectu et in actu est semblable agrave la diffeacuterence entre ces

deux modes drsquoexistence que nous avons deacutecrits plus haut En I 47 Achard ajoute que lrsquoexistence

des ecirctres in actu est proprement deacutesigneacutee par le verbe esse tandis qursquoin intellectu leur existence est

plutocirct intelligeacutee (intelligi)

Il semble que la solution du problegraveme de lrsquoidentiteacute numeacuterique est qursquoil existe le mecircme

nombre de choses in intellectu et in actu Mais dans ce cas comment les ecirctres qui sont immuables

lagrave-bas sont-ils les modegraveles des ecirctres qui changent ici avec le temps Achard pose cette question en

I 48852 Sa reacuteponse est la suivante

laquo Mais ce qui quelque part est en acte cela mecircme est advenu aussi en intellect en effet tout

ce qui est ici est aussi lagrave-bas mais tout ce qui est lagrave-bas nrsquoest pas ici et tous les ecirctres qui se

succegravedent aussi ici sont simultaneacutement lagrave-bas en raison de leur vitaliteacute et de leur externaliteacute

naturelles drsquointellection853 raquo

En effet les choses ici et lagrave-bas nrsquoexistent pas de la mecircme maniegravere Tandis qursquoici les choses

changent dans le temps elles possegravedent lagrave-bas tous ces changements simultaneacutement Les uniteacutes lagrave-

bas sont plus remplies par des eacuteleacutements que les choses ici Par conseacutequent la question du nombre

des choses reccediloit sa reacuteponse de la mecircme faccedilon que la question des distinctions des formes agrave travers

852 laquo Cum autem res eaedem ut ostensum est sint et hic et ibi investigandum est utrumne illae quae eaedem [numero] sunt hic et ibi sint hic et ibi eaedem numero an alter hic alter ibi an etiam respectibus diversis et eaedem et alterae et quae eaedem et alterae raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 118 853 laquo Quod autem alicubi sit actu idipsum contigit et intellectu quicquid enim hic est et ibi sed non omne quod ibi est et hic et quaecumque et hic sibi succedunt ibi ex naturali vivacitate et aeternalitate intelligendi simul sunt raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-125

329

la diffeacuterence in intellectuin actu Il existe le mecircme nombre de choses ici et lagrave-bas mais les

prototypes ne sont pas identiques aux copies Les prototypes sont remplis par tous les eacuteleacutements

possibles et cela permet aux choses ici de varier (changer les eacuteleacutements) dans le temps Il faut

souligner que la question de lrsquoidentiteacute quantitative est poseacutee par rapport aux choses

3 En I 49-50 Achard pose la question comment les choses ici peuvent-elles ecirctre les

copies des choses lagrave-bas eacutetant donneacute que leurs proprieacuteteacutes sont diffeacuterentes Il srsquoagit dans ce cas du

problegraveme identifieacute avant comme identiteacute qualitative Achard deacutecrit les choses in intellectu et in actu

de maniegravere suivante

laquo Disons donc afin que soit bien deacutetermineacute autant qursquoelle peut lrsquoecirctre la distinction modale

entre les formes des choses en intellect et les formes de ces mecircmes choses en acte que les

premiegraveres sont intellectuelles les secondes actuelles les premiegraveres immuables et eacuteternelles

les secondes muables et temporelles ce qui nrsquoempecircche que les unes et les autres ne soient mdash

ou mieux qursquoelles ne soient de part et drsquoautre mdash de mecircme substance854 raquo

Dans ce passage Achard change de sujet Il passe des choses aux formes Voici comment il

caracteacuterise la distinction des formes ici et lagrave-bas (I 50)

formae rerum in intellectu formae earundem in actu

invariabiliter variabiliter

ibi hic

illae istae

intellectuales actuales

immutabiles mutabiles

aeternae temporales

et ejusdem tamen substantiae sunt utraeque vel potius utrobique

Bien que les choses ici et les formes lagrave-bas aient des proprieacuteteacutes opposeacutees (muables-

immuables temporelles-eacuteternelles) Achard ne les perccediloit pas comme deux termes indeacutependants Il

souligne qursquoelles sont de la mecircme substance laquo les deux raquo (utraeque) ou plutocirct laquo de part et drsquoautreraquo

(laquo des deux cocircteacutes raquo utrobique)

Les preacutemisses de cette conclusion ont eacuteteacute proposeacutees en I 49

854 laquo Ut ergo secundum modos inter formas rerum in intellectu et formas earundem in actu qualis potest notetur distinctio illae sunt intellectuales istae actuales illae immutabiles et aeternae istae mutabiles et temporales ejusdem tamen substantiae sunt utraeque vel potius utrobique raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135

330

laquo Conclusion crsquoest de faccedilon immuable que sont lagrave-bas toutes choses Leur mode drsquoexister

lagrave-bas en effet est le mode mecircme de les intelliger lagrave-bas de sorte que leur existence lagrave-bas

est leur intelligence lagrave-bas [hellip] Et crsquoest ce mode assureacutement qui distingue les choses en tant

qursquoelles sont dans lrsquointellect de ces mecircmes choses en tant qursquoelles sont en acte Et ce mode

est lagrave-bas non seulement intellectuellement mais encore essentiellement tout comme

lrsquointellect lui-mecircme tout comme Dieu lui-mecircme Mais le mode drsquoexister que les creacuteatures

possegravedent en soi bien qursquoil soit dit ecirctre lagrave-bas parce qursquoil est intellige comme les creacuteatures

elles-mecircmes nrsquoest pas lagrave-bas cependant en acte mecircme pas davantage que ces ltcreacuteaturesgt

crsquoest pourquoi on pense qursquoil faut croire que les choses sont lagrave-bas plutocirct immuables ou

eacuteternelles agrave cause du premier mode qui lagrave-bas ne fait absolument pas deacutefaut que muables

ou temporelles agrave cause de leur substance ou de leur qualiteacute ou de leur mode ou autres

quelconques ltproprieacuteteacutesgt qui ne peuvent ecirctre dites ecirctre lagrave-bas sinon seulement parce

qursquoelles sont intelligeacutees lagrave-bas855 raquo

Lrsquointention principale de ce chapitre est de montrer comment les choses sont muables et

immuables simultaneacutement Toutefois outre cela Achard explique lrsquoexistence des choses in

intellectu et in actu Il appelle in intellectu et in actu des modes drsquoexistence Le mode in intellectu

est essentiel et il inclut le mode in actu Les proprieacuteteacutes des choses qui se reacutevegravelent in actu (ecirctre

muables et temporelles) sont intelligeacutees in intellectu Mais les choses in intellectu ne possegravedent pas

ces qualiteacutes de la mecircme maniegravere qursquoin actu

En deacutefinitive les choses lagrave-bas et ici ne sont pas les mecircmes qualitativement Les premiegraveres

sont in intellectu et les deuxiegravemes in actu Il est essentiel que le mode drsquoexistence in intellectu

comprenne les proprieacuteteacutes du mode drsquoexistence in actu de sorte que ces proprieacuteteacutes soient intelligeacutees

lagrave-bas Vu qursquoAchard ne seacutepare pas deacutefinitivement les choses des formes les deux modes

drsquoexistence in intellectu et in actu sont adapteacutes agrave la fois aux choses et aux formes Les choses

peuvent ecirctre conccedilues lagrave-bas comme immuables incorruptibles et eacuteternelles et faites ici comme

muables corruptibles et temporelles Les formes peuvent ecirctre prises en tant que prototypes des

choses et les choses en tant que formes qui ont eacuteteacute faites

855 laquo Immutabiliter igitur ibi sunt omnia Modus enim illorum ibi existendi modus est ipsa ibi intelligendi ut ipsorum ibi existentia ipsa est eorum ibi intelligentia [hellip] et ille quidem modus discernit res prout sunt in intellectu ab eis ipsis prout sunt in actu Qui modus ibi est non solum intellectualiter sed et essentialiter veluti et ipse intellectus veluti et ipse Deus modus vero subsistendi quem habent creaturae in se etsi dicatur ibi esse quia intelligitur ut ipsae creaturae non tamen ibi est ipso actu quemadmodum nec illae et ideo magis credendum esse putatur quod res ibi immutabiles vel aeternae sunt propter modum priorem qui omnino ltnongt deest ibi quem mutabiles sive temporales propter earum substantiam vel qualitatem vel modum sive quaelibet alia quae non possunt dici esse ibi nisi quia solum intelliguntur ibi raquo De unitate I 49 eacuted MARTINEAU p 132-135

331

Les vertus et les beacuteatitudes sont aussi in intellectu et in actu de maniegravere diffeacuterente In

intellectu elles sont de telle sorte que laquo lrsquoinfiniteacute de ces vertus et de ces beacuteatitudes correspond en

quelque maniegravere agrave son immensiteacute et que ce qui lagrave-bas est en soi-mecircme sans limite est aussi en

celles-ci sans nombre raquo tandis qursquoin actu elles sont laquo dans une distinction varieacutee et multiple et

mecircme infinie856 raquo

En deacutefinitive le couple terminologique in intellectuin actu explique la diffeacuterence entre les

ecirctres ici et lagrave-bas (les uniteacutes in intellectu contiennent toutes les variations des choses in actu) En

introduisant le couple in intellectuin actu Achard eacutetablit lrsquoidentiteacute quantitative des choses Les

choses in actu sont totalement eacutegales aux choses in intellectu Mais cette relation nrsquoest pas

reacuteciproque Les choses in intellectu ont plus des eacuteleacutements et des qualiteacutes que les choses in actu

IX34 Intellectus comme notion indeacutependante

IX341 Intellectus en tant que faculteacute de lrsquoesprit

Lrsquointellect deacutesigne lrsquoune des faculteacutes cognitives de lrsquohomme (avec le sensus lrsquoimaginatio et

la ratio857) La raison et lrsquointellect sont des faculteacutes mentales supeacuterieures Tandis que la raison

permet de juger correctement lrsquointellect est plutocirct destineacute agrave observer et agrave discerner les objets (I 43

ndash lrsquointellect qui voit les trois sortes de raisons I 44 ndash lrsquointellect qui voit la diffeacuterence entre

lrsquohomme et lrsquoacircne I 46 ndash lrsquointellect ndash une sorte drsquoœil laquo inteacuterieur raquo858 )

Il a eacuteteacute deacutejagrave deacutemontreacute que lrsquoexpression in intellectu deacutesigne lrsquoexistence des formes des

choses dans lrsquointellect de Dieu agrave savoir leur preacuteexistence par rapport aux choses creacuteeacutees (I 43 47)

Lrsquointellect qui est Dieu lui-mecircme son Fils (le Verbe) et la forme premiegravere a une substance

supeacuterieure aux choses et aux formes Les distinctions des choses sont dans lrsquoIntellect de Dieu (II 4)

qui est lui-mecircme distinct en tant que forme premiegravere (II 3)

Lrsquoadjectif intellectualis est employeacute pour qualifier les noms forma (I 43 50 II 1) modus

(I 43 48 II 2) res universalis (II 8) formatio (II 2 13) mais aussi une partie du terme numerus

856 laquo Intellectu tamen processit ut istarum infinitas illius virtutum et beatitudinis quodammodo respondeat immensitati ltetgt ut quod ibi in seipso sine termino in istis quoque sit et sine numero ibique nihil sit in sua unitate quod non hic totum sit in varia et multiplici imo infinita distinctione raquo De unitate II 3 eacuted MARTINEAU p 144-145 857 Voir laquoquales eas concipit vel definit ratio quae ad sensum vel imaginationem nunquam venire possunt sed in sola rationis vel intellectus comprehensibilitate subsistunt raquo De unitate II 7 MARTINEAU p 158-159 laquoIbi solum intelligibilia hic sensibilia vel imaginabilia id est sensu vel imaginatione perceptibilia quamvis non omnia illa namque ad solum veniunt intellectum quae de creaturis sunt incorporeis raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166-167 858 Crsquoest Martineau qui installe le parallegravele entre lrsquo laquo oculus scilicet intellectus raquo drsquoAchard et lrsquo laquo oculus interioris raquo drsquoAugustin voir ACHARD DE SAINT-VICTOR Lrsquouniteacute ltde Dieugt et la pluraliteacute des creacuteatures (De unitate ltDeigt et pluralitate creaturarum) eacuted MARTINEAU E Saint-Lambert-des-Bois 1987 I 46 note 5 p 121

332

intellectualis (II 5 ndash 2 fois II 7) Le contexte de lrsquoemploi de cette notion montre qursquoil srsquoagit de

lrsquoexistence des ecirctres (formes nombres modes) au niveau de lrsquointellect de Dieu La substance des

raisons est elle-mecircme intellectuelle (II 9) Les essences et les choses sont aussi formeacutees

intellectuellement (formatio intellectualis) Ainsi lrsquoadjectif intellectualis deacutesigne plutocirct un ecirctre qui

existe dans lrsquointellect de Dieu Pour deacutesigner les ecirctres conccedilus par lrsquohomme Achard emploie

lrsquoadjectif intelligibilis (I 43 II 7 et 10)

Ainsi en tant que faculteacute de lrsquoesprit intellectus peut appartenir agrave lrsquohomme ou agrave Dieu

Achard utilise quelques notions relieacutees drsquointellectus intelligentia et mens

Le plus souvent intelligentia (laquo intelligence raquo trad Martineau) deacutesigne le processus de

lrsquointellection (I 46 II 15 18) Quelques fois Achard utilise la meacutetaphore de la vision pour

illustrer ce concept lrsquoœil de lrsquointelligence (oculus corporis vs oculus intelligentiae I 46 II 16) qui

est lrsquointellect lui-mecircme un regard de lrsquointelligence que Dieu seulement est capable de faire

(intuitus intelligentiae I 48) lrsquointelligence comme lumiegravere de lrsquohomme (II 1 14)

Parfois la mens deacutesigne lrsquoesprit en tant que faculteacute humaine responsable de la reacuteflexion (I

5 II 5 16 et 18) Achard emploie notamment cette notion dans les exemples suivantes

- le vers drsquoun poegraveme est le mecircme dans lrsquoesprit dans la voix et dans le livre (I 46 ndash 3 fois et

II 15)

- lrsquoesprit de lrsquoartisan ne fonctionne pas de la mecircme maniegravere que celui de Dieu (II 2)

- lrsquoimage de la veacuteriteacute est dans lrsquoesprit creacuteeacute (II 5 et 14)

En outre la mens deacutesigne lrsquoesprit de Dieu (les trois sortes de raisons sont distinctes dans

lrsquoesprit de Dieu I 41 42 I 46 47) Ce mot est aussi synonyme drsquointellectus (in mente vel

intellectu Dei I 46 les choses sont dans lrsquoesprit de Dieu de maniegravere agrave ecirctre intelligeacutees I 46 48)

Lrsquoesprit de Dieu est plus haut que celui de lrsquohomme (I 46) Ainsi la mens est un terme neutre

(puisqursquoelle nrsquoest impliqueacutee dans aucune hieacuterarchie du De unitate) qui deacutesigne la faculteacute

intellectuelle de lrsquohomme ou de Dieu

IX322 Intellectus en tant que chose conccedilue

Lrsquointellectus signifie parfois quelque chose de conccedilu (I 43 50) En I 43 les diffeacuterences des

substances se reflegravetent dans les intellections859 Ce nrsquoest pas aux choses mais agrave leurs intellections

859 laquo Substantiae vero rerum consistunt et intelliguntur in connexione essentiarum pariter atque formarum quarum tamen ab invicem discretio secundum solas attenditur formas et ltingt omnes illarum redundat intellectus siquidem et essentiae non discernuntur a se nisi ex formarum quae eis adjacent varietate raquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 114-115

333

que lrsquoeacuteterniteacute et lrsquoimmutabiliteacute sont attribueacutees860 Une forme nrsquoest que lrsquointellection drsquoune chose861

Il semble que dans ces cas un intellectus deacutesigne une chose en tant que conccedilue

En II 4 Achard deacuteveloppe la doctrine des intellections Elle sert agrave expliquer comment Dieu

peut voir les choses directement et non pas agrave travers quelque chose laquo Lrsquointellection drsquoune chose

quelconque est en quelque sorte une connexion de celui qui intellige et de la chose intelligeacutee862 raquo

(intelligens-intellectus-res) Celui qui intellige est Dieu la chose intelligeacutee est le monde creacuteeacute De

cette maniegravere la notion drsquointellectus sert agrave unir les choses intelligeacutees et Dieu qui les intellige

Les raisons des choses se trouvent dans le Fils dans lrsquointellect de Dieu et les intellections se

trouvent dans le Saint-Esprit (voir le chapitre V laquo Les personnes de la Triniteacute raquo) Achard forme le

triangle seacutemantique ratio-intellectus-res

En deacutefinitive la notion drsquointellectus fait partie de la doctrine des raisons La notion

drsquointellectus repreacutesente lrsquoaspect cognitif de la raison crsquoest-agrave-dire le fait qursquoelle soit conccedilue et

toutes les proprieacuteteacutes qursquoelle possegravede gracircce agrave cela (ecirctre immuable eacuteternelle etc) Mais elle ne reflegravete

pas le contenu de la raison

Le couple in intellectuin actu est employeacute dans la deuxiegraveme partie du De unitate afin

drsquoexpliquer la relation entre les uniteacutes intelligibles et leurs copies sensibles Tandis que hic et ibi

(ici et lagrave-bas) deacutesignent les deux niveaux drsquoexistence des ecirctres les expressions in intellectuin actu

deacutesignent leurs modes drsquoexistence Drsquoun cocircteacute lrsquoemploi du couple in intellectuin actu megravene agrave une

polarisation dans la doctrine drsquoAchard (les deux niveaux des ecirctres sont opposeacutes) Drsquoun autre cocircteacute

ce mecircme couple sert agrave relier les idos les formes et la forme premiegravere

La distinction de deux modes drsquoexistence des ecirctres provient de la doctrine platonicienne de

la premiegravere production intelligible du monde dans lrsquoesprit de Dieu Le monde a eacuteteacute conccedilu en

premier lieu intellectuellement dans lrsquoesprit du creacuteateur Cette doctrine a eacuteteacute deacuteveloppeacutee par

Augustin et Erigegravene Augustin dit surtout que les ecirctres sensibles ont eacuteteacute creacuteeacutes drsquoabord dans lrsquoesprit

de Dieu (in arte) puis dans le monde (in opere In Iohannis Evangelium tr I 17) Cette distinction

a eacuteteacute reprise par Hugues (in actu et in ratione Sententiae de divinitate pars 2) Hugues propose

eacutegalement la distinction tripartite in actu in intellectu et in mente divina (Didascalicon

appendix) Nous croyons qursquoAchard appartient agrave la mecircme tradition In actu deacutesigne chez lui le

860 laquo Non enim eis sed earum intellectui attribuitur aeternitas vel immutabilitas cum dicuntur ibi aeternae vel immutabiles esse raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135 861 laquo Si enim investigetur quidnam ibi sunt res vel earum formae secundum quod dicuntur ibi esse solum quia de eis ibi habetur intellectus negari nequit ut in prioribus ostensum est quin ibi sint prorsus quod hic quia ibi prorsus intelliguntur quod sunt hic sive substantia sive numero raquo De unitate I 50 eacuted MARTINEAU p 134-135 862 laquo Intellectus autem rei cujuslibet quasi connexio quaedam est intelligentis et rei intellectae raquo De unitate II 4 eacuted MARTINEAU p 148-149

334

mode drsquoexistence des creacuteatures dans le monde sensible in intellectu le mode drsquoexistence des uniteacutes

intelligibles

Lrsquoexpression in intellectu dans le Didascalicon nrsquoa pas la mecircme signification que dans le

De unitate Chez Hugues in intellectu veut dire laquo ecirctre conccedilue par lrsquohomme raquo et chez Achard laquo ecirctre

une uniteacute intelligible dans lrsquoesprit de Dieu raquo En outre comme Hugues Achard emploie les termes

laquo visible raquo et laquo invisible raquo en I 37

A notre avis les noms intellectus et actus proviennent de la philosophie aristoteacutelicienne agrave

travers les pegraveres latins et Boegravece Lrsquointellectus deacutesigne le concept du De interpretatione et actus

provient de lrsquoopposition potentiaactus de la Physique Achard reprend la doctrine du triangle

seacutemantique (ratio-intellectus-res) du De interpretatione Contrairement agrave la doctrine seacutemantique

aristoteacutelico-boeacutecienne lrsquoacteur de ce triangle nrsquoest pas lrsquohomme mais Dieu Crsquoest lui qui conccediloit

les choses et qui a leurs intellectus dans son esprit (De unitate II 4)

Les uniteacutes in intellectu existent en tant que conccedilues par Dieu et les ecirctres in actu en tant

qursquoimprimeacutes dans la matiegravere La vision des uniteacutes intelligibles comme produits de la connaissance

est plutocirct eacutepisteacutemologique En mecircme temps dans le platonisme chreacutetien ecirctre dans lrsquointellect de

Dieu est une reacutealiteacute supeacuterieure et primaire Le couple in intellectuin actu deacutesigne ainsi la diffeacuterence

entre les deux modes drsquoexistence primaire et secondaire Cette distinction est ontologique

Selon Achard la premiegravere multipliciteacute apparaicirct dans la forme premiegravere Les raisons des

choses sont distinctes dans la forme premiegravere mais Achard nrsquoexplique pas pourquoi cette

distinction apparaicirct Les choses ne quittent pas deacutefinitivement la forme premiegravere Elles y restent in

intellectu La forme premiegravere peut ecirctre conccedilue agrave travers les formes creacuteeacutees et agrave travers les choses

Dans ce cas elle est conccedilue comme multiple La forme premiegravere est relieacutee aux choses non pas agrave

travers la provenance mais via les modes in intellectuin actu Elle est une en elle-mecircme in

intellectu et elle est multiple dans les choses in actu

Les partisans de la doctrine de lrsquoesprit de Dieu qui contient les uniteacutes intelligibles disent

aussi que cet esprit est la premiegravere uniteacute intelligible Augustin et Erigegravene preacutecisent qursquoil srsquoagit de

lrsquointellect qui est le Fils de Dieu Selon Augustin Dieu conccediloit (creacutee de maniegravere intelligible) les

choses dans le Verbe Erigegravene croit que le Verbe est une cause si parfaite qursquoelle jaillit dans le

monde

Calcidius croit que la premiegravere uniteacute intelligible est une espegravece Il donne les indications pour

les deux doctrines

- Dieu creacutee les espegraveces secondes dans lrsquoespegravece premiegravere

- lrsquoespegravece premiegravere se multiplie en espegraveces secondes

De cette faccedilon ils enseignent tous qursquoil existe une uniteacute premiegravere qui est lrsquointellect de Dieu

En mecircme temps cette uniteacute a une nature semblable aux uniteacutes intelligibles secondaires qui

335

apparaissent agrave lrsquointeacuterieur drsquoelle-mecircme Lrsquouniteacute premiegravere est une creacuteature paradoxale qui reacuteunit les

traits du creacuteateur et de la creacuteature

Achard suit Augustin les formes ont eacuteteacute conccedilues comme distinctes par Dieu dans la forme

premiegravere Elle est lrsquointellect de Dieu et son Verbe Elle est une et multiple en mecircme temps

Dans le De unitate les ecirctres in intellectu et in actu sont identiques comme les modegraveles et les

copies Nous avons eacutetabli les deux principes de leur identiteacute quantitatif et qualitatif Les deux

doctrines anciennes qui expliquent lrsquoidentiteacute quantitative sont la multiplication et lrsquoexemplarisme

radical

Hugues deacuteveloppe la doctrine de Dieu qui connaicirct les creacuteatures futures de maniegravere parfaite et

inseacuteparable Il eacutetablit lrsquoidentiteacute qualitative des ecirctres dans la connaissance de Dieu et dans la creacuteature

car Dieu connaicirct des futurs ecirctres tels qursquoils seront Quant agrave lrsquoidentiteacute quantitative Hugues deacutecrit la

totaliteacute des ecirctres dans la connaissance de Dieu qui se diviseront en ecirctres singuliers De cette faccedilon

la pluraliteacute apparaicirct agrave travers la division de la totaliteacute premiegravere et non agrave travers la multiplication des

universaux

Achard enseigne qursquoil existe le mecircme nombre de choses ici et lagrave-bas et que chaque chose ici

a son modegravele lagrave-bas En pratique cela veut dire que la pluraliteacute des choses est preacutesente ici et lagrave-bas

mais de maniegraveres diffeacuterentes Achard suit lrsquoexemplarisme drsquoAugustin Il soulegraveve un problegraveme qui

apparaicirct au sein de cette approche comment un prototype intelligible contient-il le changement

qursquoune copie subit lors de son existence En effet une chose in intellectu contient les eacuteleacutements

(rangeacutes selon les dix cateacutegories) qui permettent agrave une chose de changer lors de son existence

Il est inteacuteressant de poser une question concernant lrsquoidentiteacute des choses in intellectu Car si

chaque chose individuelle contient toutes les variations selon toutes les cateacutegories alors les choses

lagrave-bas sont-elles vraiment diffeacuterentes Nous allons eacutetudier cette question dans le chapitre suivant

Nous avons eacutetabli qursquoil existe une uniteacute quantitative des choses ici et lagrave-bas et qursquoAchard

adopte la doctrine de lrsquoexemplarisme radical pour lrsquoexpliquer Une autre question qui apparaicirct est

celle de lrsquoidentiteacute quantitative des formes Est-ce qursquoil existe la mecircme quantiteacute de formes ici et lagrave-

bas Achard en parle peu Du fait que les formes in intellectu et in actu sont les mecircmes (II 14) il

est possible de deacuteduire qursquoil existe une identiteacute des formes Neacuteanmoins il faut preacuteciser que cette

identiteacute est eacutetablie gracircce agrave la deacutefinition Ces sont les mecircmes formes ici et lagrave-bas et en mecircme temps

une forme lagrave-bas peut ecirctre reacutealiseacutee dans plusieurs choses ici Mecircme lagrave-bas une chose contient la

varieacuteteacute des formes

Ainsi dans le cas des choses Achard adopte lrsquoexemplarisme radical une chose lagrave-bas

correspond agrave une chose ici Dans le cas des formes Achard adopte la doctrine de la multiplication

une forme existe lagrave-bas et ici dans plusieurs choses De cette faccedilon Achard combine

lrsquoexemplarisme radical et la multiplication dans sa doctrine

336

Lrsquoidentiteacute qualitative consiste dans le fait que les choses et les formes lagrave-bas possegravedent des

qualiteacutes des ecirctres intelligibles (ecirctre eacuteternelles et immuables) mais aussi des qualiteacutes des ecirctres

sensibles futurs (ecirctre temporelles et corruptibles) Les choses sensibles sont intelligeacutees dans les

formes intelligibles avec les qualiteacutes qui sont propres agrave leur mode drsquoexistence De cette faccedilon

Achard propose la mecircme solution qursquoAugustin et Hugues Dieu immuable et eacuteternel connaicirct les

choses muables et temporelles En deacutefinitive les qualiteacutes des choses sensibles sont complegravetement

eacutegales agrave celles des choses intelligibles mais les qualiteacutes des choses intelligibles sont eacutegales

seulement en partie agrave celles des choses sensibles Cela implique que les formes lagrave-bas contiennent

toutes les qualiteacutes possibles des choses y compris celles qui ne sont pas propres agrave Dieu Dans ce

cas une chose lagrave-bas contient plus de qualiteacutes qursquoune chose ici

337

Chapitre X

Le monde sensible

Dans le cadre de la philosophie platonicienne chreacutetienne le monde intelligible a la prioriteacute

dans lrsquoordre causal sur le monde sensible Dieu creacutee drsquoabord les objets intelligibles qui sont les

prototypes des ecirctres sensibles Cependant nous avons vu que dans la doctrine drsquoAchard les ecirctres

sensibles ne sont pas deacutepourvus de valeur Dieu a des images des choses sensibles dans son

intellect

Est-ce que les formes contiennent tous les aspects drsquoexistence des choses Y a-t-il dans la

chose des eacuteleacutements qui ne sont pas dans la forme Voici le sujet que nous allons traiter Pour mieux

comprendre nous allons poser la question suivante

1) De quoi est composeacute un ecirctre sensible

Nous avons eacutetabli que la position drsquoAchard par rapport agrave la question de lrsquoidentiteacute

quantitative des choses in intellectu et in actu est celle de lrsquoexemplarisme radical La question de la

deacutefinition des eacuteleacutements stables drsquoune chose qui change apparaicirct dans ce cas Voilagrave pourquoi nous

allons poser la question suivante

2) Quel est le principe drsquoidentiteacute de la chose dans le changement

Pour reacutepondre agrave ces questions nous allons eacutetudier les notions destineacutees agrave deacutecrire les ecirctres

sensibles essentia substantia corpus et materia chez des auteurs qui ont pu influencer Achard

Lrsquohistoire de la notion de res est trop vaste pour qursquoon lrsquoexamine dans le cadre de notre travail

Nous allons lrsquoeacutetudier uniquement par rapport agrave Achard

X1 La structure des ecirctres et le problegraveme de lrsquoidentiteacute dans le monde

sensible chez les penseurs tardo-antiques et meacutedieacutevaux

La dichotomie des mondes sensible et intelligible a pour contrepartie lrsquoexistence drsquouniteacutes qui

se correspondent dans les deux mondes Des modegraveles drsquointeraction entre ces deux types drsquouniteacutes ont

eacuteteacute proposeacutes par deux grands penseurs antiques Platon et Aristote Paul Vincent Spade863 deacutecrit les

deux paradigmes ontologiques que ces penseurs ont laisseacutes au Moyen Age

Dans la tradition platonicienne le monde sensible se trouve au croisement de la matiegravere et

des formes Chaque chose sensible qui existe est une union de forme et de matiegravere Les choses sont

connaissables agrave travers leurs formes La relation entre le sujet et le preacutedicat qui a eacuteteacute introduite par 863 PV SPADE laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p1-30

338

Aristote a eacuteteacute employeacutee par des platoniciens pour expliquer la relation entre la matiegravere et la forme

La forme se preacutedique de la matiegravere La matiegravere est elle-mecircme laquo vide raquo (laquo bare particular raquo drsquoapregraves

Spade) sans forme Plusieurs formes peuvent se preacutediquer de la mecircme matiegravere La matiegravere est

unique pour tous les objets sensibles Tout ce qui est accessible agrave la connaissance provient des

formes

Dans la tradition aristoteacutelicienne les objets du monde sont eacutegalement constitueacutes de matiegravere

et de forme Dans les Cateacutegories Aristote souligne que chaque objet sensible peut ecirctre deacutecrit agrave

lrsquoaide de plusieurs formes (substance seconde et accidents) Cependant la forme principale de la

chose est sa forme substantielle864 Elle deacutefinit ce qursquoest cette chose Les autres formes sont

accidentelles elles se preacutediquent de cette forme substantielle

La matiegravere est individuelle pour chaque objet Dans le systegraveme drsquoAristote lrsquoaccent est mis

sur la description drsquoune chose concregravete (substance premiegravere) La matiegravere qursquoon peut connaicirctre fait

partie de cette chose865

Le questionnement concernant la nature des universaux au Moyen Age est baseacute sur la

doctrine des Cateacutegories drsquoAristote Cette œuvre inspire eacutegalement une autre question quelle est la

nature des individus Ou plutocirct comment les objets individuels existent-ils et peuvent-ils ecirctre

deacutecrits agrave lrsquoaide de notions geacuteneacuterales

Jorge Gracia eacutetudie cette question dans son livre Introduction to the Problem of

Individuation in the Early Middle Ages Il remarque que Boegravece introduit la doctrine de

lrsquoindividuation agrave travers les accidents qui srsquoest reacutepandue en Occident Elle est exprimeacutee dans son

De Trinitate I

laquo Mais crsquoest la varieacuteteacute des accidents qui fait la diffeacuterence selon le nombre [hellip] deux corps

en effet nrsquooccuperont pas un seul lieu qui est un accident Et pour cela ils sont plusieurs

selon le nombre puisqursquoils sont faits plusieurs selon les accidents866 raquo

Jorge Gracia analyse ce passage ainsi que les autres textes de Boegravece Il le reacutesume en disant

que Boegravece propose deux deacutefinitions de lrsquoindividu

1) lrsquoindividu est une substance avec une varieacuteteacute unique drsquoaccidents

2) lrsquoindividu ne se preacutedique pas des autres entiteacutes867

864 Paul Vincent Spade emprunte les termes forme substantielle et accidentelle de Thomas drsquoAquin Ibid p 17 865 Voir aussi E D PERL Thinking Being Introduction to Metaphysics in the Classical Tradition Leiden-Boston 2014 p 76-77 866 laquo Sed numero differentiam accidentium varietas facit [hellip] duo enim corpora unum locum non obtinebunt qui est accidens Atque ideo sunt numero plures quoniam accidentibus plures fiunt raquo BOECE De Trinitate 1 eacuted MORESCHINI p 168 trad GALONNIER t II p 136-137 867 J J E GRACIA Introduction to the Problem of Individuation in the Early Middle Ages Munchen 1988 p 109

339

Nous sommes plutocirct inteacuteresseacutee par la premiegravere deacutefinition une chose individuelle est une

substance avec une varieacuteteacute unique drsquoaccidents Les accidents ou les formes (dans la terminologie

neacuteoplatonicienne) rendent une substance individuelle Cette deacutefinition a eacuteteacute deacuteveloppeacutee par Boegravece

dans le deuxiegraveme commentaire sur lrsquoIsagoge de Porphyre868

Nous avons observeacute comment Platon et Aristote deacutecrivent des objets sensibles Drsquoapregraves Paul

Vincent Spade la doctrine aristoteacutelicienne est mieux adapteacutee pour deacutecrire le monde qui change

Aristote fait la diffeacuterence entre les changements accidentels (les formes accidentelles changent

mais la forme substantielle se maintient) et substantiels (la forme substantielle change) Les

changements substantiels sont la geacuteneacuteration et la corruption869 Ainsi la maniegravere aristoteacutelicienne de

deacutefinir le principe drsquoidentiteacute drsquoune chose consiste agrave indiquer des eacuteleacutements qui restent stables lors

drsquoun changement accidentel

Dans la philosophie meacutedio et neacuteoplatonicienne les ecirctres sensibles reacutesultent de la

multiplication drsquoun principe premier Le problegraveme de lrsquoidentiteacute de lrsquoecirctre sensible correspond dans ce

cas au problegraveme de lrsquoindividuation tel qursquoil eacutetait formuleacute par Aristote Un ecirctre est deacutefini comme une

forme geacuteneacuterale individualiseacutee gracircce agrave ces nombreux accidents

Les penseurs chreacutetiens acceptent lrsquoun de ces paradigmes (stabiliteacute dans le changement ou

individuation) ou les meacutelangent Ils proposent plusieurs notions ndash substance essence corps matiegravere

ndash pour deacutecrire les objets dans le monde sensible Ils ajoutent agrave ces doctrines Dieu qui est le creacuteateur

des choses et qui a les formes comme penseacutees dans son intellect

Voyons deacutesormais comment les penseurs tardo-antiques et meacutedieacutevaux deacutecrivent le monde

sensible et comment ils expliquent le changement et lrsquoidentiteacute

Les notions drsquoessentia et de substantia ont eacuteteacute introduites dans lrsquoAntiquiteacute latine pour

traduire la notion grecque drsquoousia870 Seacutenegraveque emploie les notions drsquoessence et de substance dans

ses Lettres (essentia en LVIII 5 substantia en LVIII 5 LXXXVII 40 CXIII 2)871 Mais dans la

philosophie de lrsquoeacutepoque en latin elles nrsquoeacutetaient pas des termes freacutequents

868 BRUMBERG J laquo Logico-grammatical Reflections about Individuality in Late Antiquity raquo dans Individuality in late antiquity eacuted A TORRANCE et J ZACHHUBER Farnham 2014 p 86-7 P KING laquo The Problem of Individuation in the Middle Ages raquo dans Theoria t 66 2000 p 163 Sur lrsquohistoire de cette deacutefinition voir CHR ERISMANN laquo Lrsquoindividualiteacute expliqueacutee par les accidents remarques sur la destineacutee ldquochreacutetiennerdquo de Porphyre raquo dans Compleacutements de substance Etudes sur les proprieacuteteacutes accidentelles offertes agrave Alain de Liberan eacuted CHR ERISMANN A SCHNIEWIND Paris Vrin 2008 p 51-66 869 PV SPADE laquo The Warp and Woof of Metaphysics How to Get Started on some Big Themes raquo disponible sur lthttppvspadecomLogicdocsWarpWoofpdfgt (consulteacute le 6 aoucirct 2016) p 22-23 870 J-F COURTINE laquo Essentia raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 388-404 871 Seacutenegraveque est effectivement le premier qui a traduit lrsquoousia en tant qursquoessentia Pourtant il attribue cette traduction agrave Ciceron (ce qui est faux) laquo Non id ago nunc hac diligentia ut ostendam quantum tempus apud grammaticum perdiderim sed ut ex hoc intellegas quantum apud Ennium et Accium uerborum situs occupauerit cum apud hunc quoque qui cotidie excutitur aliqua nobis subducta sint lsquoQuid sibi inquis ista praeparatio uult quo spectatrsquo Non celabo te cupio si fieri potest propitiis auribus tuis lsquoessentiamrsquo dicere si minus dicam et iratis Ciceronem auctorem huius uerbi habeo puto locupletem si recentiorem quaeris Fabianum disertum et elegantem orationis etiam ad

340

La notion aristoteacutelicienne drsquohyle est traduite par materia ou par exemple chez Calcidius

par sylva

X11 Apuleacutee

Apuleacutee transmet la penseacutee platonicienne dans son œuvre Platon et sa doctrine Nous avons

deacutejagrave deacutecrit les trois principes des choses selon Apuleacutee Dieu la matiegravere et les formes Voici

comment il explique la notion platonicienne de materia (V 191)

laquo Pour la matiegravere il signale qursquoelle ne peut ecirctre ni creacuteeacutee ni deacutetruite qursquoelle nrsquoest ni feu ni

eau ni aucun autre des principes ou des eacuteleacutements simples mais la premiegravere de toutes les

reacutealiteacutes capable de recevoir des formes et se precirctant agrave ecirctre faccedilonneacutee encore brute et

deacutepourvue de toute speacutecification de forme crsquoest le Dieu artisan qui lui donne sa

configuration drsquoensemble872 raquo

La matiegravere nrsquoest ni corporelle ni incorporelle (car elle constitue les corps) La matiegravere est agrave

lrsquoorigine des corps Elle srsquounit avec des formes pour creacuteer les quatre premiers eacuteleacutements (le feu

lrsquoeau la terre et lrsquoair VII 194) Ils geacutenegraverent les corps animeacutes et inanimeacutes (VIII 196)

Voici comment les diffeacuterentes uniteacutes sont perccedilues selon Apuleacutee (V 192)

laquo En effet les corps se reconnaissent en vertu de leur eacutevidence distinctive par un jugement

drsquoune nature semblable agrave la leur tandis que ce qui nrsquoa pas une substance corporelle nrsquoest

perccedilu que par la penseacutee Aussi faisant lrsquoobjet drsquoune conjecture bacirctarde la nature de cette

matiegravere se conccediloit selon lui comme ambigueuml873 raquo

Voici ses maniegraveres de concevoir les diffeacuterentes structures du monde

nostrum fastidium nitidae Quid enim fiet mi Lucili quomodo dicetur ousia res necessaria natura continens fundamentum omnium Rogo itaque permittas mihi hoc uerbo uti raquo SENEQUE Lettres agrave Lucilius LVIII eacuted PRECHAC p 71-2 drsquoapregraves Jean-Franccedilois Courtine la substantia de Seacutenegraveque ne rend pas encore lrsquoousia mais hupostasis Il eacutevoque Quentilien comme celui qui a traduit lrsquoousia comme la substantia J-F COURTINE laquo Essentia raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 402-3 872 laquo Materiam vero improcreabilem incorruptamque commemorat non ignem neque aquam nec aliud de principiis et absolutis elementis esse sed ex omnibus primam figurarum capacem fictioni que subiectam adhuc rudem et figurationis qualitate viduatam deus artifex conformat universaltmgt raquo APULEUS Platon et sa doctrine V 191 eacuted MORESCHINI p 92-3 trad BEAUJEU p64 873laquo Namque corpora propter insignem evidentiam sui simili iudicio cognosci sed quae substantiam non habent corporum ea cogitationibus videri unde adulterata opinione ambiguam materiae huius intellegi qualitatemraquo APULEUS Platon et sa doctrine V 192 eacuted MORESCHINI p 93 trad BEAUJEU p 64-5

341

corpora cognoscere

substantiam non habent cogitatio

materia opinio

Ainsi la matiegravere nrsquoest pas vraiment connue par lrsquoesprit humain

Apuleacutee emploie eacutegalement les notions drsquoessentia et de substantia (VI 193-4)

laquo Drsquoapregraves lui [Platon] il y a deux ousiai ndash que nous appelons essences ndash qui engendrent

toutes choses et le monde lui-mecircme lrsquoune nrsquoest conccedilue que par la penseacutee lrsquoautre peut

tomber sous les sens [hellip]

La premiegravere substance ou essence est celle du premier Dieu et aussi de lrsquoesprit et des

lsquoformesrsquo des choses de lrsquoacircme de la deuxiegraveme est fait tout ce qui reccediloit une forme qui naicirct

et qui tire son origine drsquoun modegravele de la premiegravere substance tout ce qui peut changer et se

transformer glissant et fuyant comme lrsquoeau courante De plus cette substance intelligente

dont jrsquoai parleacute eacutetant lrsquoarmeacutee drsquoune soliditeacute constante les raisonnements qui la concernent

sont eacutegalement pleins de raison ineacutebranlable et de sucircreteacute au contraire pour celle qui est

comme lrsquoombre et lrsquoimage de la preacuteceacutedente les arguments et les mots composant les

raisonnements qui la concernent ne permettant drsquoeacutetablir qursquoune doctrine deacutepourvue elle

aussi de constance874 raquo

Essentia et substantia sont des synonymes pour Apuleacutee Il discerne deux types de

substances (ou essences)

- celle de Dieu et des formes (intelligibles)

- celle des ecirctres changeants (sensibles)

La substance du monde est une sorte de substrat geacuteneacuteral platonicien Apuleacutee emploie le

terme essentia une seule fois (VI 193) Dans le reste de son traiteacute il utilise le terme substantia pour

deacutesigner par exemple les trois substances du corps (XVII 215) Jean-Franccedilois Courtine trouve que

la raison drsquoun tel emploi est que substantia rend mieux laquo ce qui est corporel ou sensible875 raquo

874 laquo Οὐσίας quas essentias dicimus duas esse ait per quas cuncta gignantur mundus que ipse quarum una cogitatione sola concipitur altera sensibus subici potest [hellip] Et primae quidem substantiae vel essentiae primum deum esse et mentem formas que rerum et animam secundae substantiae omnia quae informantur quae que gignuntur et quae ab substantiae superioris exemplo originem ducunt quae mutari et converti possunt labentia et ad instar fluminum profuga Adhuc illa quam dixi intellegendi substantia quoniam constanti nititur robore etiam quae de ea disputantur ratione stabili et fide plena sunt at eius quae veluti umbra et imago est superioris rationes quoque et verba quae de ea disputantur inconstanti sunt disciplina raquo APULEUS Platon et sa doctrine VI 193-4 eacuted MORESCHINI p 94 trad BEAUJEU p 65 875 J-F COURTINE laquo Essentia raquo dans Vocabulaire europeacuteen des philosophies dictionnaire des intraduisibles eacuted B CASSIN Paris 2004 p 401

342

Pour conclure les ecirctres sensibles (les corps) sont composeacutes de matiegravere et de forme Ces deux

composants forment les quatre premiers eacuteleacutements La matiegravere ne peut pas ecirctre conccedilue toute seule

mais ensemble avec la forme Le monde en geacuteneacuteral est diviseacute en deux substances intelligible et

sensible ce qui correspond agrave la forme et agrave la matiegravere La matiegravere nrsquoest pas connue par lrsquointellect

mais elle peut ecirctre perccedilue ensemble avec la forme comme le corps

X12 Calcidius

Dans son Commentarius Calcidius consacre plusieurs sections agrave la description de la matiegravere

(De silva II 268-354) Il expose drsquoabord les opinions des philosophes antiques (II 275-302) et

ensuite son point de vue (II 302-320) A la fin il applique sa doctrine de la matiegravere au Timeacutee (II

321-354)

Calcidius transmet les doctrines suivantes

- des Heacutebreux la matiegravere est creacuteeacutee

- drsquoAristote la matiegravere est increacuteeacutee et apte agrave recevoir la forme elle nrsquoexiste que par les

accidents

- des stoiumlciens il existe des matiegraveres corporelles (corporeae materiae) qui sont faites de la

matiegravere (silva) unique increacuteeacutee plus ancienne et commune agrave tous

- des pythagoriciens de Platon et de Numenius il existe deux principes Bien et Mal Dieu

et la matiegravere Dieu gouverne lrsquounivers la matiegravere est agrave lrsquoorigine des malheurs

Drsquoapregraves Calcidius la matiegravere (silva) est laquo un mateacuteriau primordial et le premier substrat du

corps raquo Elle nrsquoest pas une des substances primaires (feu terre etc) Elle est priveacutee de qualiteacute

passive et indivisible Elle nrsquoest pas corporelle (corporea) mais elle constitue le corps du monde

qui est le fondement des autres corps876 Elle nrsquoest donc pas compleacutetement incorporelle non plus877

La matiegravere est le reacuteceptacle et le substrat des formes Les ecirctres dans la matiegravere sont les

simulacres et les images (simulacra et imagines) des ecirctres vrais Calcidius nous encourage agrave

chercher laquo la matiegravere pure (sinceram silvam) qui se cache sous lrsquoassemblage des corps varieacutes raquo 878

La matiegravere est immortelle Elle est le reacuteceptacle des espegraveces corporelles (corporearum specierum

876 laquo Recta est igitur nostra opinio neque ignem neque terram nec aquam nec spiritum esse siluam sed materiam principalem et corporis primam subiectionem in qua non qualitas non forma non quantitas non figura sit ex natura propria sed uirtute opificis haec ei cuncta conexa sint ut ex his uniuerso corpori et singillatim perfectio et communiter uarietas comparetur raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 316 eacuted B BAKHOUCHE p 540-541 877 laquo Recte igitur eam simpliciter et ex natura sua neque corpoream neque incorpoream cognominamus sed possibilitate corpus et item possibilitate non corpus raquo Ibid II 319 p 544 voir agrave ce propos S GERSH Middle Platonism and Neoplatonism The Latin Tradition vol II Notre Dame 1986 p 445-451 878 laquo Nec uero putandum est agere nunc Platonem de nominum proprietate quin potius dare operam ut assuescamus sinceram siluam quae concursu uariorum corporum tegitur ab eorundem corporum permixtione sollertia mentis distinguere raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 327 eacuted B BAKHOUCHE p 552-3

343

II 344) 879 mais aussi des corps des qualiteacutes et des autres caracteacuteristiques du monde sensible (II

350) 880

Calcidius transmet la doctrine drsquoAristote qursquoun ecirctre peut devenir un autre ecirctre par accident

en acqueacuterant une nouvelle forme (II 284) 881 Il insiste sur le fait que ni la matiegravere ni lrsquoessence ne

sont affecteacutees par des changements

laquo Le changement se produit dans la matiegravere sans que la matiegravere elle-mecircme ne subisse de

mutation or ce qui change ce sont les qualiteacutes qui sont en elle et contenues par elle882 raquo

laquo Le changement et la transformation qui se produisent affectent non pas lrsquoessence mais la

qualiteacute ougrave lrsquoon trouve diversiteacute et opposition883 raquo

La matiegravere ne change pas mais elle accepte des espegraveces secondes Apregraves avoir reccedilu les

qualiteacutes la matiegravere obtient la capaciteacute de se mouvoir et de changer (II 352)884

Stephen Gersh montre aussi un autre rocircle de la matiegravere chez Calcidius Dans le chapitre 257

Calcidius introduit deux principes initiaux lrsquoespegravece et la matiegravere885 La multiplication apparaicirct

suite au meacutelange de la matiegravere et de lrsquoespegravece La matiegravere srsquoajoute drsquoabord agrave lrsquoespegravece premiegravere pour

creacuteer les espegraveces secondes et ensuite elle srsquoajoute aux espegraveces secondes pour creacuteer les corps886 De

cette faccedilon le principe de multiplication est la matiegravere

Dans le chapitre 347 Calcidius preacutecise comment lrsquohomme perccediloit les uniteacutes du monde

laquo Lrsquoideacutee est lrsquoespegravece intelligible car saisie par le pur intellect lrsquoespegravece qui se trouve dans le

devenir (nativa) est connaissable par lrsquoopinion et pour cela se trouve du cocircteacute de la 879 laquoAt uero locum uocat eam uelut regionem quandam suscipientem specierum incorporearum intellegibiliumque simulacra semper eandem uel quia sine generatione est et interitu uel quia necesse est eam locum stationemque esse et uelut receptaculum corporearum specierum quae sunt membra mundiraquo Ibid II 344 p 570 880 laquo lsquoLocumrsquo uero propterea quod silua receptaculum est corporum et qualitatum ceterorumque sensilium raquo Ibid II 350 p 576 881 laquo Consequenter igitur etiam corrumpetur aliquid et dissoluetur existens in aliud existens sed non principaliter uerum ex accidenti ut si ex simulacro Liberi patris formam quis transferat in simulacrum Apollinis uidetur enim hoc quoque pacto forma in aliam speciem demigrare sed non proprie uerum ex accidenti raquo Ibid II 284 p 514 882 laquo Fit porro conuersio iuxta siluam non ipsa silua perpetiente mutationem sed earum quae sunt in eadem et continentur ab ea qualitatumraquo Ibid II 309 p 536-7 883 laquo Itaque conuersio commutatioque fit non essentiae sed qualitatis in qua et diuersitas et contrarietas inuenitur raquo Ibid II 325 p 550-1 884 laquo Et ante consortium quidem qualitatum neque stabat opinor neque mouebatur erat tamen quaedam in ea naturalis opportunitas ad motus stationis que perceptionem post qualitatum porro consortium exornata et perfectum corpus a deo facta motus stationis que sumpsit officia quibus diuersis temporibus uteretur raquo Ibid II 325 p 578 885 laquo Quippe primum elementum uniuersae rei silua est informis ac sine qualitate quam ut sit mundus format intellegibilis species ex quibus silua uidelicet et specie ignis purus et intellegibilis ceterae que sincerae substantiae quattuor e quibus demum hae materiae sensiles igneae aquatiles terrenae et aereae Ignis porro purus et ceterae sincerae intellegibiles que substantiae species sunt exemplaria corporum ideae cognominatae raquo Ibid II 257 p 500-501 886 S GERSH laquoCalcidiusrsquo Theory of First Principles raquo dans Studia Patristica 182 Papers of 1983 Oxford Patristic Conference 1989 p 86

344

conjecture la matiegravere elle nrsquoa rien drsquointelligible ni de conjectural parce qursquoelle ne saurait

ecirctre saisie ni par lrsquointellect ni par les sens mais elle est lrsquoobjet drsquoune supposition ndash la

supposition est une sorte de raisonnement illeacutegitime et bacirctard887 raquo

Il soutient la thegravese platonicienne que la matiegravere nrsquoest perceptible ni par le sens ni par

lrsquoesprit

Calcidius emploie eacutegalement les notions drsquoessence et de substance (Commentarius I 27)

laquo Il nous montre que la substance ou comme dit Ciceacuteron lrsquoessence est double lrsquoune est

indivisible lrsquoautre se divise dans les corps Et lrsquoindivisible est de la mecircme espegravece que toutes

les reacutealiteacutes eacuteternelles et incorporelles que lrsquoon appelle intelligibles tandis que la divisible est

celle qui est agrave lrsquoorigine de lrsquoexistence des corps Chaque corps en effet existe assureacutement or

ce qui existe possegravede une essence les corps sont nombreux mais unique est lrsquoessence

divisible que lrsquoon trouve dans tous les corps et cette essence unique qui se retrouve dans de

nombreux corps agrave la fois passe agrave bon droit pour se partager et ecirctre divisible Ainsi donc agrave

partir de ces deux substances le dieu artisan explique Platon a formeacute par meacutelange une

troisiegraveme espegravece drsquoessence qursquoil a placeacutee au milieu entre les deux autres888 raquo

En deacutefinitive il existe trois espegraveces drsquoessence intelligible (mecircme) corporelle (autre) et le

meacutelange de deux (ecirctre)889

Calcidius transmet aussi la doctrine des cateacutegories drsquoAristote Il appelle la premiegravere

cateacutegorie lrsquoessentia (II 226)

887 laquo Est idea quidem intellegibilis species utpote quae puro intellectu comprehendatur species uero natiua opinione percipibilis proptereaque opinabilis silua porro neque intellegibile quid neque opinabile quia neque intellectu neque sensu comprehendatur uerum est suspicabilis suspicio autem spuria quaedam ratio est atque adulterina raquo CALCIDIUS In Platonis Timaeum II 347 eacuted B BAKHOUCHE p 574-5 trad modifieacutee par ILystopad 888 laquo Quid est quod ait Docet nos substantiam siue ut Cicero dicit essentiam duplicem esse unam indiuiduam alteram per corpora diuiduam Et indiuiduam quidem esse eam cuius generis sunt omnia aeterna et sine corpore quae intellegibilia dicuntur diuiduam uero quae corporibus existendi causa est unumquodque enim corpus est certe quod uero est habet essentiam et corpora multa sunt una uero diuidua essentia quae in cunctis corporibus inuenitur quae igitur una in multis simul inuenitur recte scindere se putatur recte que diuidua Igitur ex his duabus ait opificem deum tertium genus essentiae miscuisse id que medium locasse inter essentiam utramque raquo Ibid II 27 p 234-235 889 laquo Similiter docet naturam quoque non esse simplicem sed bimembrem et ex his duabus facit opificis iussu tertium naturae genus extitisse quod aeque medium positum esset inter utramque essentiam indiuiduam uidelicet atque diuiduam Quatenus ergo bimembris est natura lsquoOmniarsquo inquit lsquonaturalia uel eadem sibi uel diuersa suntrsquo eadem genere diuersa specie ut puta homo et item equus idem sunt (nam et hoc et illud animal est) at uero specie diuersa sunt (alterum enim eorum rationabile animal est alterum inrationabile et mutum et alterum bipes alterum quadrupes) lsquoHaecrsquo igitur lsquoomnia existentiarsquo idem et essentiam et diuersum lsquoin unam inquit speciem commiscuitrsquo deus lsquoet effecit ex tribus unumrsquo idem diuersum diuiduum lsquodiuersa illa natura difficile se commodante concretioni atque adunationi generumrsquo raquo Ibid I 28 p 234-235

345

laquo Le propre de lrsquoessence est de recevoir les affections contraires lrsquoessence est la premiegravere

des cateacutegories et elle est connue avant toutes les autres890 raquo

Le corps est une essence corporelle (II 226) et lrsquoacircme une essence incorporelle (II 227) La

providence ou nous est une essentia intelligibilis (176) Calcidius transmet la doctrine platonicienne

des mouvements Il distingue les mouvements selon

- le corps ndash translation et rotation

- la qualiteacute ndash agreacutegation deacutesagreacutegation

- la quantiteacute ndash croissance et deacutecroissance

- lrsquoessence ndash geacuteneacuteration et corruption891

Substantia dans plusieurs cas est le synonyme drsquoessentia892 La substance deacutesigne

davantage les quatre premiers eacuteleacutements (la terre le feu lrsquoeau lrsquoair I 22) et ce qui explique les

pheacutenomegravenes naturels (substance vitale I 99)

Le corps drsquoapregraves Calcidius est constitueacute de matiegravere et de qualiteacute (forme) Il est borneacute et

limiteacute perccedilu par les sens893 Les corps peuvent ecirctre mateacuteriels ou immateacuteriels (objets

matheacutematiques) simples (eacuteleacutements) ou complexes (II 222)894

En deacutefinitive drsquoapregraves Calcidius les ecirctres sensibles sont des corps constitueacutes de matiegravere et

drsquoespegraveces secondes Les corps ont une essence (substance)

Les essences et les substances peuvent deacutesigner la premiegravere cateacutegorie drsquoAristote et dans ce

cas il srsquoagit drsquoindividus Elles peuvent deacutesigner aussi les deux principales cateacutegories de substances

du monde sensible et intelligible Les uniteacutes peuvent ecirctre constitueacutees drsquoune essence intelligible (les

ideacutees) ou de deux essences intelligible et sensible (les acircmes)

890 laquo Inter omnes ex omnibus categoriis proprium essentiae fore suscipere contrarias passiones uicissim et esse antiquissimam praenoscique generibus ceteris raquo Ibid II 226 p 456 trad modifieacutee 891 laquo Cuius quidem motus aliquot diuersitates sunt quas demonstrauit in Legibus octo corporis animae duas corporeum motum locularem uocans cuius duae sint species ndash translatio et circumlatio item alium quem appellat qualitatem aeque in duplici specie ndash concretione et discretione tertium quem positum esse dicit in quantitate habentem item duas species ndash incrementum et diminutionem quartum iuxta essentiam cuius aeque duae species intelleguntur ndash una generatio altera interitus raquo Ibid II 262 p 490 892 laquo Docet nos substantiam siue ut Cicero dicit essentiam duplicem esse unam indiuiduam alteram per corpora diuiduam raquo Ibid I 27 p 234 laquo Ex quo perspicuum est cum sint antiquissima initia rerum essentia siue substantia et haec duplex altera indiuidua diuidua altera raquo Ibid I 53 p 266 laquo Plerique etiam hoc pacto siluam et substantiam separant quod asseuerant essentiam quidem operis esse fundamentum ut mundi fore merito dicatur atque existimetur essentia siluam uero contemplatione opificis dictam quod eam fingat ac formet raquo Ibid II 291 p 520 893 laquo Quippe quod proprie dicitur corpus ex silua constat et qualitate silua autem nequaquam ex silua constat et qualitate minime ergo corpus est Deinde nullum corpus sine qualitate silua autem per se sine qualitate non igitur corpus est Quid quod Omne corpus habet figuram et siluae iuxta naturam suam nulla figura est Non ergo corpus Deinde omne corpus finitum ac determinatum est silua autem infinita et minime determinata non ergo corpus [hellip] Quae cum ita sint corpus sentitur silua sensibilis non est silua igitur non erit corpus raquo Ibid II 319 p 544 894 laquo Quodque corpora partim dicuntur mathematica ut sphaera et cubus partim artificiosa ut nauis et statua pleraque naturalia quae motus originem intra se habent uita uidelicet utentia naturalis anima corporis entelechia sit necesse est Competit alia etiam diuisio nam corporum quaedam simplicia ut elementa quaedam composita ut quae ex simplicibus coagmentantur raquo Ibid II 222 p 450

346

La matiegravere premiegravere est deacutepourvue de qualiteacute et de mouvement Mais elle peut acqueacuterir ces

proprieacuteteacutes en recevant des formes

Lrsquoessence et la matiegravere sont immuables et inchangeables Calcidius reacutepegravete la thegravese

aristoteacutelicienne que la geacuteneacuteration et la corruption sont les reacutesultats drsquoun changement de forme

essentielle Neacuteanmoins il ne se pose pas la question de lrsquoidentiteacute drsquoune chose

La philosophie chreacutetienne comprend la doctrine du Dieu creacuteateur Les penseurs chreacutetiens se

posent la question en quoi la nature de Dieu est-elle diffeacuterente de celle de la creacuteature

X13 Augustin

Augustin emploie la notion de materia pour deacutecrire la creacuteation du monde Voici comment il

explique son dessein (Confessions XII VI 6)

laquo Je fixai mon attention sur les corps eux-mecircmes en analysant plus agrave fond cette mutabiliteacute qui

les fait cesser drsquoecirctre ce qursquoils eacutetaient et commencer drsquoecirctre ce qursquoils nrsquoeacutetaient pas Je soupccedilonnai

que ce passage drsquoune forme agrave une autre se faisait par je ne sais quoi drsquoinforme et non par un

neacuteant absolu895 raquo

De cette faccedilon Augustin reconnaicirct qursquoil existe un substrat qui se maintient quand les choses

disparaissent Il explique que Dieu a creacuteeacute quelque chose agrave partir de rien (aliquid de nihilo

Confessions XII VII 7) Mais la premiegravere eacutetape de la creacuteation est de creacuteer un ciel et la terre La

terre eacutetait faite comme une matiegravere informe (materia informis Gen 12 Confessions XII VIII 8)

Et les choses ont eacuteteacute faites agrave partir de cette matiegravere informe Elle est invisible et inorganiseacutee

presque neacuteant Et crsquoest elle qui permet toute mutabiliteacute

Cette matiegravere nrsquoest pas sujette au temps mais elle rend possible lrsquoexistence du temps Le

temps est constitueacute de la mutation des choses (XII VIII 8)896

Augustin emploie concurremment les deux notions lrsquoessence et la substance Dans les

quatre premiers livres du De Trinitate il souligne qursquoils sont synonymes897 Dans le chapitre V II 895 laquo Et intendi in ipsa corpora eorum que mutabilitatem altius inspexi qua desinunt esse quod fuerant et incipiunt esse quod non erant eundem que transitum de forma in formam per informe quiddam fieri suspicatus sum non per omnino nihil raquo AUGUSTIN Confessiones XII VI 6 eacuted VERHEIJEN p 219 trad trad de P CAMBRONNE Saint Augustin Œuvres t I Paris p1060 896 laquo Terra autem ipsa quam feceras informis materies erat quia inuisibilis erat et incomposita et tenebrae super abyssum de qua terra inuisibili et incomposita de qua informitate de quo paene nihilo faceres haec omnia quibus iste mutabilis mundus constat et non constat in quo ipsa mutabilitas apparet in qua sentiri et dinumerari possunt tempora quia rerum mutationibus fiunt tempora dum uariantur et uertuntur species quarum materies praedicta est terra inuisibilis raquo AUGUSTIN Confessiones XII VIII 8 eacuted VERHEIJEN p 220

347

3 il dit qursquoessentia est une traduction de la notion grecque drsquoousia car essentia provient du verbe

esse comme ousia drsquoeinai Il ajoute que la nature de Dieu nrsquoest pas sujette aux accidents qui

produisent des changements Cette caracteacuteristique appartient plutocirct agrave lrsquoessentia ou substantia srsquoest-

agrave-dire la substance aristoteacutelicienne898

Augustin explique la diffeacuterence entre ces deux notions dans le livre VII V 10

laquo Mais est-il de mise de dire de Dieu qursquoil subsiste Subsister srsquoentend exactement de

reacutealiteacutes sujettes drsquoattributs qui affectent un sujet la couleur par exemple ou la forme dans un

corps Le corps subsiste donc crsquoest une substance mais les attributs ont dans le corps leur

sujet subsistant ils ne sont pas des substances ils sont dans une substance [hellip] Ce sont

donc les reacutealiteacutes mobiles deacutepourvues de simpliciteacute qursquoon appelle substances

[hellip] Il est interdit de dire de Dieu qursquoil subsiste et soit le sujet de sa bonteacute interdit de nier

que cette bonteacute soit substance ndash ou essence si lrsquoon veut ndash et que Dieu soit lui-mecircme sa bonteacute

comme si au contraire il en eacutetait le sujet

Par conseacutequent il est eacutevident qursquoappeler Dieu substance est une improprieacuteteacute et lrsquoon voit

pour nous servir drsquoun mot plus courant qursquoil est essence terme juste et propre au point

drsquoailleurs que peut-ecirctre le terme drsquoessence appartient agrave Dieu seul899 raquo

Ainsi selon Augustin la substantia est tout ce qui subsiste soit les choses dans le monde

qui changent en subissant des accidents Dieu nrsquoa pas drsquoaccidents par conseacutequent on ne peut

lrsquoappeler proprement substance Il est donc plus correct de lrsquoappeler essentia

897 Cf laquo quam recte pater et filius et spiritus sanctus unius eiusdemque substantia uel essentiae dicatur raquo AUGUSTIN De Trinitate I II 4 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 31 I VIII 15 laquo in ipsam substantiam uel essentiam Creatoris raquo ibid p 47 Augustin emploie aussi comme synonymes les trois termes essentia substantia et natura voir II XVIII 35 laquo ipsa enim natura uel substantia uel essentia uel quolibet alio nomine appellandum est idipsum quod deus est quidquid illud est corporaliter uideri non potest raquo ibid p 126 898 laquo Est tamen sine dubitatione substantia uel si melius hoc appellatur essentia quam graeci ousian uocant Sicut enim ab eo quod est sapere dicta est sapientia et ab eo quod est scire dicta est scientia ita ab eo quod est esse dicta est essentia Et quis magis est quam ille qui dixit famulo suo Ego sum qui sum et Dices filiis Israhel Qui est misit me ad uos Sed aliae quae dicuntur essentiae siue substantiae capiunt accidentias quibus in eis fiat uel magna uel quantacumque mutatio deo autem aliquid eiusmodi accidere non potest Et ideo sola est incommutabilis substantia uel essentia quae deus est cui profecto ipsum esse unde essentia nominata est maxime ac uerissime competit Quod enim mutatur non seruat ipsum esse et quod mutari potest etiamsi non mutetur potest quod fuerat non esse ac per hoc illud solum quod non tantum non mutatur uerum etiam mutari omnino non potest sine scrupulo occurrit quod uerissime dicatur esse raquo AUGUSTIN De Trinitate V II 3 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 207-8 Cf P KING laquo The semantics of Augustinersquos Trinitarian Analysis in De Trinitate 5-7 raquo dans Le De Trinitate de Saint Augustin Exeacutegegravese logique noeacutetique eacuted E BERMON et G OrsquoDALY Paris 2012 p 125 899laquo Si tamen dignum est ut Deus dicatur subsistere De his enim rebus recte intellegitur in quibus subiectis sunt ea quae in aliquo subiecto esse dicuntur sicut color aut forma in corpore Corpus enim subsistit et ideo substantia est illa uero in subsistente atque in subiecto corpore quae non substantiae sunt sed in substantia [hellip] Res ergo mutabiles neque simplices proprie dicuntur substantiae [hellip] Nefas est autem dicere ut subsistat et subsit deus bonitati suae atque illa bonitas non substantia sit uel potius essentia neque ipse deus sit bonitas sua sed in illo sit tamquam in subiecto Vnde manifestum est deum abusiue substantiam uocari ut nomine usitatiore intellegatur essentia quod uere ac proprie dicitur ita ut fortasse solum deum dici oporteat essentiam raquo AUGUSTIN De Trinitate VII V 10 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 260-261 trad M MELLET TH CAMELOT p 537-539

348

En deacutefinitive Augustin contribue agrave transmettre agrave la philosophie chreacutetienne les notions de

materia essentia et substantia La matiegravere est le substrat geacuteneacuteral de toutes les creacuteatures Elle est

informe et primaire Elle permet la mutabiliteacute Lrsquoessence en un certain sens appartient proprement

agrave Dieu en ce que lui seul est (esse) veacuteritablement par ailleurs le terme de substantia ne lui convient

pas agrave parler strictement lui qui nrsquoest pas sujet aux accidents La substance correspond en effet agrave un

corps individuel qui change en subissant des accidents

Un ecirctre sensible selon Augustin est un corps constitueacute de matiegravere et de forme Augustin

enseigne que le corps a une essence et des qualiteacutes (De Trinitate VII I 2)900 Le fait de mettre agrave

part lrsquoessence (ou la substance) comme cateacutegorie principale a eacuteteacute fait par Aristote Augustin

incorpore aussi la doctrine des ideacutees de Platon (De ideis) Il ne se pose pas la question de lrsquoidentiteacute

drsquoune chose

X14 Boegravece

Boegravece est lrsquoun des auteurs les plus lus au XIIe siegravecle Il est connu en tant que traducteur

drsquoAristote et il contribue beaucoup au deacuteveloppement de la terminologie philosophique scolastique

notamment dans les domaines de la logique et de la theacuteologie

Dans le Contra Eutychen et Nestorium Boegravece soulegraveve le problegraveme de la traduction des

notions theacuteologiques du grec en latin Voici les traductions qursquoil propose

οὐσία essentia

οὐσίωσις subsistentia

ὑπόστασις substantia

πρόσωπον persona

Ainsi lrsquoousia correspond agrave lrsquoessentia Boegravece dit que la traduction litteacuterale de la terminologie

grecque pousse agrave dire que Dieu a une seule essence et trois substances901

Boegravece introduit aussi la distinction entre la substance et la subsistance

laquo lsquoSubsistersquo en effet cela mecircme qui pour pouvoir ecirctre nrsquoa pas besoin drsquoaccidents Mais

lsquosubstantialisersquo ce qui subvient par un sujet quelconque aux autres accidents afin qursquoils 900 laquo Sed candor corporis non est essentia quoniam ipsum corpus essentia est et illa eius qualitas raquo Ibid VII I 2 eacuted MOUNTAIN GLORIE p 248 901 laquo Deus quoque et οὐσία est et essentia est enim et maxime ipse est a quo omnium esse proficiscitur Est οὐσίωσις id est subsistentia (subsistit enim nullo indigens) et ὑφίστασθαι substat enim Unde etiam dicimus unam esse οὐσίαν vel οὐσίωσιν id est essentiam vel subsistentiam deitatis sed tres ὑποστάσεις id est tres substantias Et quidem secundum hunc modum dixere unam trinitatis essentiam tres substantias tresque personas raquo BOECE Contra Eutychen 3 eacuted MORESCHINI p 218

349

soient capables drsquoecirctre Il se tient en effet sous ces accidents tant qursquoil est sujet Crsquoest

pourquoi genres ou espegraveces subsistent seulement ce nrsquoest pas en effet aux genres et aux

espegraveces qursquoeacutechoient les accidents Les individus en revanche ne subsistent pas seulement

mais substantialisent eux aussi car ils nrsquoont eux non plus pas besoin des accidents pour

ecirctre ils sont deacutejagrave informeacutes par leurs diffeacuterences propres et speacutecifiques et ils servent aux

accidents agrave pouvoir ecirctre bien entendu tant qursquoils sont sujets902raquo

Ainsi les genres les espegraveces et les individus sont des subsistances Mais les individus sont

en plus des substances

Dans ces autres œuvres Boegravece nrsquoemploie pas tous ces termes Dans le De Trinitate Boegravece

appelle la premiegravere cateacutegorie drsquoAristote la substantia Il parle aussi de la substance de Dieu qui est

priveacutee de matiegravere et de mouvement La substance de Dieu est absolument simple Boegravece finit par

dire que Dieu est mecircme au-delagrave de la substance (ultra substantiam)

Boegravece traduit eacutegalement la terminologie logique drsquoAristote Dans sa traduction des

Cateacutegories il introduit la notion de substantia comme la traduction drsquoousia De cette faccedilon la

distinction entre la substance premiegravere (lrsquoindividu) et la substance seconde (genre et espegravece Cat

2a11-19) est entreacutee dans la philosophie latine

En deacutefinitive la substantia drsquoapregraves Boegravece deacutesigne lrsquoindividu (Contra Eutychen) Dieu (De

Trinitate) et les substances premiegraveres et secondes dans la logique Lrsquoessence chez Boegravece est un

terme rare qui deacutesigne en premier lieu la nature de Dieu

Boegravece traduit lrsquoIsagoge (III 10) ougrave Porphyre transmet la doctrine drsquoAristote agrave savoir

qursquoune chose est constitueacutee de matiegravere et de forme903 Boegravece lui-mecircme reprend cette doctrine

Selon lui crsquoest un corps qui a ces deux constituants (In Categorias Aristotelis libri IV De

divisione) La forme et la matiegravere sont parmi les causes des ecirctres (De topicis differenciis) En De

Trinitate II Boegravece deacutecrit la matiegravere comme concregravete par exemple lrsquoairain et la terre Dieu est la

forme sans matiegravere Crsquoest la matiegravere qui permet agrave la forme de recevoir des accidents

En Contra Eutychen I Boegravece preacutecise que la matiegravere ne peut pas ecirctre intelligeacutee par elle-

mecircme mais seulement par privation des autres choses

Voici ce que dit Boegravece agrave propos du changement dans Contra Eutychen VI

902 laquo Subsistit enim quod ipsum accidentibus ut possit esse non indiget Substat autem id quod aliis accidentibus subiectum quoddam ut esse valeant subministrat sub illis enim stat dum subiectum est accidentibus Itaque genera vel species subsistunt tantum neque enim accidentia generibus speciebusve contingunt Individua vero non modo subsistunt verum etiam substant nam neque ipsa indigent accidentibus ut sint informata enim sunt iam propriis et specificis differentiis et accidentibus ut esse possint ministrant dum sunt scilicet subiecta raquo Ibid 3 eacuted MORESCHINI p 216-7 trad A GALONNIER t II p 308-311 903 laquo Rebus enim ex materia et forma constantibus raquo PORPHYRE De Isagoge a Boethio translata eacuted L Minio-Paluello p 18

350

laquo Ce nrsquoest pas toute chose en effet qui peut ecirctre convertie et transmuteacutee en (une) tout

(autre) chose Car bien que parmi les substances les unes soient corporelles les autres

incorporelles ni la corporelle ne peut ecirctre changeacutee en incorporelle ni lrsquoincorporelle (ne peut

ecirctre changeacutee) en celle qui est corps par plus que les incorporelles nrsquoeacutechangent

reacuteciproquement lrsquoune dans lrsquoautre leurs formes propres seules en effet peuvent ecirctre

changeacutees et transformeacutees lrsquoune dans lrsquoautre (les choses) qui ont en commun le sujet drsquoune

matiegravere unique et encore non pas toutes celles-ci mais celle qui peut faire et pacirctir lrsquoune dans

lrsquoautre904 raquo

Les choses drsquoapregraves Boegravece peuvent ecirctre corporelles et incorporelles Elles ne peuvent pas

ecirctre transformeacutees les unes dans les autres Seules les choses corporelles ont la matiegravere La matiegravere

dont Boegravece parle est concregravete Dans la phrase suivante il propose lrsquoexemple de lrsquoairain qui ne peut

pas ecirctre meacutetamorphoseacute en pierre Plus loin Boegravece ajoute que les choses incorporelles ne peuvent

pas ecirctre meacutetamorphoseacutees lrsquoune en lrsquoautre Par conseacutequent crsquoest la matiegravere concregravete qui permet aux

choses de changer lrsquoune en lrsquoautre

Nous avons deacutejagrave dit plus haut que Boegravece a deacuteveloppeacute la doctrine de lrsquoindividuation agrave travers

les accidents Dans son deuxiegraveme Commentaire agrave lrsquoIsagoge il propose une autre doctrine

lrsquoindividuation agrave travers la qualiteacute incommunicable Les noms communs ont des qualiteacutes qui sont

communicables laquo humaniteacute raquo est commun agrave tous les hommes La qualiteacute drsquoindividu est propre agrave lui

seul Boegravece propose de creacuteer le mot laquo platonitas raquo pour deacutesigner la qualiteacute incommunicable drsquoecirctre

cet homme concret qui srsquoappelle Platon905

En deacutefinitive la matiegravere selon Boegravece est lrsquoun des principes dont se composent les choses

corporelles Les choses peuvent recevoir des accidents gracircce agrave la matiegravere La plupart du temps

904 laquo Non enim omnis res in rem omnem verti ac transmutari potest Nam cum substantiarum aliae sint corporeae aliae incorporeae neque corporea in incorpoream neque incorporea in eam quae corpus est mutari potest nec vero incorporea in se invicem formas proprias mutant sola enim mutari transformarique in se possunt quae habent unius materiae commune subiectum nec haec omnia sed ea quae in se et facere et pati possunt raquo BOECE Contra Eutychen 6 eacuted MORESCHINI p 228-9 trad GALONNIER t II p 332-335 905 laquoAlia est enim qualitas singularis ut Platonis uel Socratis alia est quae communicata cum pluribus totam se singulis et omnibus praebet ut est ipsa humanitas Est enim quaedam huiusmodi qualitas quae et in singulis tota sit et in omnibus tota quotienscumque enim aliquid tale animo speculamur non in unam quamcumque personam per nomen hoc mentis cogitatione deducimur sed in omnes eos quicumque humanitatis definitione participant Unde fit ut haec quidem sit communis omnibus illa uero prior incommunicabilis quidem cunctis uni tamen propria Nam si nomen fingere liceret illam singularem quandam qualitatem et incommunicabilem alicui alii subsistentiae suo ficto nomine nuncuparem ut clarior fieret forma propositi Age enim incommunicabilis Platonis illa proprietas Platonitas appelletur Eo enim modo qualitatem hanc Platonitatem ficto uocabulo nuncupare possimus quomodo hominis qualitatem dicimus humanitatem Haec ergo Platonitas solius unius est hominis et hoc non cuiuslibet sed solius Platonis humanitas uero et Platonis et caeterorum quicumque hoc uocabulo continenturraquo BOETHIUS In librum Aristotelis Peri hermeneias commentarii (editio secunda) eacuted C Meiser Leipzig 1880 p 136-7 = PL 64 462D-463A cf BRUMBERG J laquo Logico-grammatical Reflections about Individuality in Late Antiquity raquo dans Individuality in late antiquity eacuted A TORRANCE et J ZACHHUBER Farnham 2014 p 88-9

351

Boegravece la deacutecrit comme concregravete Les choses corporelles se transforment gracircce au fait qursquoelles ont de

la matiegravere Boegravece emploie une fois la notion de laquo matiegravere premiegravere raquo (Contra Eutychen I)

Boegravece introduit la distinction entre la substance et la subsistance La substance est lrsquoindividu

car il laquo subit raquo des accidents Nous avons souligneacute plus haut que lrsquoindividuation selon Boegravece a lieu

agrave travers une unique varieacuteteacute drsquoaccidents Sa deuxiegraveme faccedilon drsquoexpliquer lrsquoindividuation est de

deacutecrire la qualiteacute incommunicable Lrsquoindividu est la substance premiegravere drsquoAristote La substance

dans les œuvres de Boegravece deacutesigne eacutegalement la substance seconde drsquoAristote et Dieu La

subsistance est une uniteacute intelligible qui nrsquoa pas besoin drsquoaccidents pour exister les genres et les

espegraveces

X15 Erigegravene

Erigegravene emploie la notion drsquoessentia Cette notion correspond agrave la notion grecque drsquoousia

(Periphyseon V) Erismann souligne deux aspects principaux de la notion drsquoessentia dans les

œuvres drsquoErigegravene lrsquoessentia universalis et lrsquoessentia individualis (substantia)906

laquo Dieu est lrsquoessence de tous les existants907 raquo Lrsquoessentia deacutesigne eacutegalement lrsquoessence des

creacuteatures qui nrsquoest pas connaissable en ce qursquoelle est (quod est) Mais lrsquoessence est connaissable

parce qursquoelle est (quia est) agrave travers les accidents908 Erismann insiste sur le fait qursquoErigegravene est un

reacutealiste radical Lrsquoousia est une premiegravere cateacutegorie essence ou substance Elle soutient les autres

Lrsquoousia est lrsquoessence geacuteneacuterale de tout Elle donne la subsistance aux corps mais elle nrsquoa pas besoin

des corps pour subsister909

Marenbon remarque qursquoErigegravene met le geacuteneacuteral avant lrsquoindividuel le genre avant lrsquoindividu

Le nombre des individus nrsquoest pas important vu qursquoils sont un dans le genre geacuteneacuteral910

En mecircme temps Erigegravene parle drsquoune essence pour chacune des creacuteatures911 Il explique sa

position en parlant des cateacutegories

906 CHR ERISMANN laquo Generalis essentia La theacuteorie eacuterigeacutenienne de lrsquoousia et le problegraveme des universaux raquo dans Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge t 69 2002 p 13 907 laquo Ipse nanque omnium essentia est raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 5 = PL 122 443B tradBERTIN t I-II p 67 908 laquoΟΥΣΙΑ itaque nullo modo diffinitur quid est sed diffinitur quia est Ex loco nanque ut diximus et tempore accidentibus que aliis quae siue in ipsa seu extra intelliguntur esse tantummodo datur non quid sit sed quia estraquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 63 = PL 122 487AB 909 laquo Siquidem omne subiectum per se subsistens accidentium non indiget ut sit sicut ipsa ΟΥΣΙΑ siue enim accidant ei siue non accidant siue in ea sint quae sine ea esse non possunt siue ab ea recedant quae ab ea segregari possunt seu sola cogitatione seu actu et opere suis naturalibus subsidiis semper immutabiliter que subsistit Corpus autem subtractis accidentibus nullo modo per se subsistere potest quoniam nulla sui substantia fulcitur raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 84-5 = PL 122 503AB CHR ERISMANN laquo Eacuterigegravene et la subsistance du corps raquo dans Studia Philosophica t 62 2003 p 99-100 910 J MARENBON Early medieval philosophy (480-1150) an introduction London Boston Melbourne 1983 p 66-67 911 laquo Quicquid autem in omni creatura uelhellip unicuique essentiae raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 5 = PL 122 443BC

352

laquo Quoiqursquoil y ait dix cateacutegories ne donne-t-on pas agrave une seule drsquoentre elles le nom drsquoessence ou

de substance alors que les neuf autres cateacutegories sont des accidents et subsistent dans la

substance Car ces cateacutegories ne peuvent pas subsister par elles-mecircmes Lrsquoessence semble

inheacuterente agrave toutes les cateacutegories car aucune cateacutegorie ne peut subsister sans elle et pourtant

lrsquoessence occupe sa place propre par elle-mecircme Car ce qui appartient agrave toutes les cateacutegories

nrsquoappartient en propre agrave aucune cateacutegorie mais est commun agrave toutes les cateacutegories et quoique

lrsquoessence subsiste dans toutes les cateacutegories elle ne cesse toutefois pas de subsister en elle-

mecircme selon sa raison propre912 raquo

Le deuxiegraveme aspect de la notion drsquoessentia est la substance premiegravere des Cateacutegories

drsquoAristote Les essences individuelles ou comme Erigegravene les appelle les substances propres

eacutemanent de lrsquoessence universelle913

En passant du genre geacuteneacuteral agrave lrsquoindividu lrsquoessence peut deacutesigner eacutegalement une

eacutetape intermeacutediaire lrsquoessence geacuteneacuterique Erismann remarque qursquoErigegravene deacutecrit une essence

commune pour tous les hommes914 Ainsi lrsquoessence deacutesigne eacutegalement la substance seconde des

Cateacutegories drsquoAristote

Le fait que lrsquoessentia a des applications diffeacuterentes dans le Periphyseon est deacutetermineacute par la

meacutetaphysique drsquoErigegravene Voyons comment cela est possible Erigegravene propose la hieacuterarchie

meacutetaphysique suivante (Periphyseon IV)

laquo Toutes les espegraveces sont preacutecontenues dans leur genre commun et ne font qursquoun en lui puis

le genre se subdivise dans les espegraveces et achegraveve de se multiplier agrave travers les formes

geacuteneacuterales et les espegraveces individuelles915 raquo

Cette hieacuterarchie correspond agrave un arbre de Porphyre La subdivision des genres et des espegraveces

commence agrave partir de lrsquoessence unique916 Elle subsiste dans toutes ces subdivisions

912 laquo Nunquid cum decem kategoriae sint una earum essentia seu substantia dicitur nouem uero accidentia sunt et in substantia subsistunt Per se enim subsistere non possunt Essentia in omnibus esse uidetur sine qua esse non possunt et tamen per se locum suum obtinet Quod enim omnium est nullius proprie est sed omnium commune et dum in omnibus subsistat per se ipsum propria sua ratione esse non desinit raquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 38 = PL 122 467D tradBERTIN t I-II p 105 913 laquo Non enim ueritati obstrepat ut aestimo si dicamus ex ipsa essentia quae una et uniuersalis in omnibus creata est omnibus que communis atque ideo quia omnium se participantium est nullius propria dicitur esse singulorum se participantium quandam propriam substantiam quae nullius alicuius est nisi ipsius solummodo cuius est naturali progressione manare Cui etiam substantiae propria possibilitas inest quae aliunde non assumitur nisi ex ipsa uniuersali uirtute ipsius praedictae uniuersalis essentiae raquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 89 = PL 122 506BC 914 CHR ERISMANN laquo Eacuterigegravene et la subsistance du corps raquo dans Studia Philosophica t 62 2003 p 96 915 laquo Primo genus posuit quoniam in ipso omnes species et continentur et unum sunt et in eas diuiditur et multiplicatur per generales formas specialissimasque species raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon IV eacuted JEAUNEAU p 12 = PL 122 748D tradBERTIN t I-II p 61 916 Cf CHR ERISMANN laquo The Logic of Being Eriugenarsquos Dialectical Ontology raquo dans Vivarium t 45 2007 p 207

353

Les substances individuelles sont en bas de cette hieacuterarchie

laquo Le sujet et ce qui est preacutediqueacute drsquoun sujet coiumlncident et ne diffegraverent en rien Car si [hellip]

Ciceacuteron est un sujet et une substance premiegravere alors qursquohomme se preacutedique du sujet et est

une substance seconde quelle diffeacuterence interviendra donc selon la nature sinon que lrsquoun

consiste dans lrsquoindividu et que lrsquoautre consiste dans lrsquoespegravece puisque lrsquoespegravece nrsquoest rien

drsquoautre que lrsquouniteacute qui subsume les individus et que lrsquoindividu nrsquoest rien drsquoautre qursquoune

plurification (pluralitas) de lrsquoespegravece Si donc lrsquoespegravece subsiste tout entiegravere en tant

qursquoespegravece une et indivisible dans les individus et si les individus constituent une uniteacute

indivisible dans leur espegravece je ne vois pas quelle diffeacuterence peut intervenir quant agrave la nature

entre le sujet et ce qui est preacutediqueacute du sujet917 raquo

Dans les Cateacutegories drsquoAristote laquo le sujet raquo est une substance premiegravere soit un individu

laquo Ce qui est preacutediqueacute du sujetraquo est une substance seconde soit un genre ou une espegravece Erigegravene dit

que les substances individuelles et les substances secondes sont identiques Il affirme eacutegalement que

les accidents universels et particuliers sont identiques918 Ainsi une essence individuelle est une

essence geacuteneacuterique

Erigegravene emploie les deux termes essentia et substantia Parfois ils sont synonymes

Erismann remarque qursquoessentia deacutesigne plus souvent lrsquoousia geacuteneacuterale ou le genre (la substance

seconde selon Aristote) tandis que substantia deacutesigne lrsquoindividu (la substance premiegravere)919

Pour deacutefinir la matiegravere Erigegravene srsquoappuie sur les doctrines drsquoAugustin et du pseudo-Denys

Drsquoapregraves le premier la matiegravere est une laquo mutabiliteacute capable de recevoir des formes raquo Drsquoapregraves le

dernier la matiegravere informe est une laquo certain absence de forme priveacutee de participation agrave lrsquoordre agrave la

forme et agrave la beauteacute raquo Elle est perccedilue par le seul intellect (intellectus)920 Il emploie eacutegalement la

917 laquo Vera tamen ratio consulta respondet subiectum et de subiecto unum esse et in nullo distare Nam si [hellip] Cicero subjectum est et prima substantia homo uero de subjecta secundaque substantia quae differentia est iuxta naturam nisi quia unum in numero alterum in specie cum nil aliud sit species nisi numerorum unitas et nil aliud numerus nisi speciei pluralitas Si ergo species tota et una est indiuidua que in numeris et numeri unum indiuiduum sunt in specie quae quantum ad naturam distantia est inter subiectum et de subiecto non uideo raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 42 = PL 122 470D-471A trad BERTIN t I-II p 110 918 laquo Similiter de accidentibus primae substantiae intelligendum Non aliud est enim quod in subiecto dicitur et aliud quod in subiecto simul et de subiecto raquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 42 = PL 122 471A 919 CHR ERISMANN laquoGeneralis essentia La theacuteorie eacuterigeacutenienne de lrsquoousia et le problegraveme des universaux raquo dans Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge t 69 2002 p 13-14 920 laquo Siue itaque informis materia mutabilitas sit formarum capax secundum Augustinum atque Platonem siue informitas quaedam speciei formae ornatus que participatione carens secundum Dionysium non negabis ut arbitror si quodam modo intelligi potest non nisi solo intellectu percipi raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 81 = PL 122 476AB trad BERTIN t I-II p 156

354

notion de matiegravere des corps (materia corporum) qui reacutesulte du meacutelange des quatre eacuteleacutements et agrave

laquelle la forme srsquoajoute921

Les corps sont des ecirctres individuels qui existent au bas de lrsquoeacutechelle meacutetaphysique Ils

reacutesultent de lrsquoindividuation de lrsquoousia et ils sont produits par un concours drsquoaccidents922 Voici

comment Erigegravene deacutecrit leur formation

laquo Les quantiteacutes et les qualiteacutes sont incorporelles en elles-mecircmes mais une fois combineacutees

les unes avec les autres dans un composeacute homogegravene ces quantiteacutes et ces qualiteacutes produisent

la matiegravere informe laquelle apregraves ajout des formes et des couleurs incorporelles se module

ensuite en des corps varieacutes923 raquo

De cette faccedilon les corps sensibles sont produits agrave partir des qualiteacutes intelligibles Les corps

ne peuvent pas exister sans leurs accidents924 Un individu (corps) drsquoapregraves Erigegravene est un faisceau

drsquouniversaux Lrsquoindividuation a lieu agrave travers des accidents comme chez Boegravece925 Erigegravene integravegre

la doctrine de la forme substantielle La forme substantielle relegraveve de lrsquoousia Elle deacutesigne une

espegravece et elle forme le corps avec la matiegravere926

Erigegravene propose sa solution au problegraveme du mouvement

laquo Seuls les accidents sont en mouvement lequel nrsquoaffecte pas lrsquoessence agrave dire vrai les

accidents eux-mecircmes ne sont pas non plus soumis agrave un mouvement [hellip] mais seul leur

participation par lrsquoessence pacirctit de tels changements La vraie raison ne permet pas qursquoil en

aille autrement car toute nature est immuable tant la nature des essences que la nature de

leurs accidents mais comme nous lrsquoavons deacutejagrave dit la participation des essences par les

921 laquo Non enim aliud te suadere aestimo quam ut cognoscamus quattuor mundi huius elementorum in se inuicem concursu contemperantia que materiam corporum fieri cui adiecta qualicunque ex qualitate forma perfectum corpus efficiturraquo Ibid II eacuted JEAUNEAU p 30 = PL 122 548A 922 laquoEx forma enim omnium unigenito uidelicet patris uerbo omnis forma siue substantialis siue quae ex qualitate assumitur materiae que adiuncta corpus generat creata est Ab ipsa quoque omnis informitas [hellip] Quid igitur Num iam tibi clare lucet non sine ratione a nobis dictum esse ex accidentium concursu corpora fieri auctoritatem sancti Gregorii Nysaei sequentes cum uideas alios siue graecos siue latinos auctores ex incorporalibus asserere corpora fieri raquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 83 = PL 122 502A 923 laquo Quantitates siquidem et qualitates col II dum per se sint incorporeae sunt in unum uero coeuntes informem efficiunt materiam quae adiectis formis coloribus que incorporeis in diuersa corpora mouetur raquo Ibid III eacuted JEAUNEAU p 63 = PL 122 663A trad BERTIN t III p 140 924 laquo Corpora ergo non de nihilo sed de aliquo fiunt Non enim quis dixerit praedictas eorum occasiones nihil esse hoc est quantitates et qualitates formas uel species colores interualla longitudinis latitudinis altitudinis et cum his loca et tempora Quae si abstraxeris corpora non erunt raquo Ibid III eacuted JEAUNEAU p 64= PL 122 663B 925 CHR ERISMANN laquo Generalis essentia La theacuteorie eacuterigeacutenienne de lrsquoousia et le problegraveme des universaux raquo dans Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge t 69 2002 p 23-24 926 laquo Ex praedicta formarum differentia usiadum scilicet qualitatiuarum que uideris mihi non aliud suadere nisi eam formam quae species qualitatis est materiae superadditam corpus cui ΟΥΣΙΑ subsistit perficere raquo JEAN SCOT ERIGENE Periphyseon I eacuted JEAUNEAU p 74 = PL 122 495B

355

accidents ou la participation des accidents par les essences est soumise agrave un mouvement

perpeacutetuel927 raquo

Selon lui les accidents et les essences naturelles des choses sont sujets aux changements

quand ils sont intriqueacutes Erigegravene propose un scheacutema de la descente neacuteoplatonicienne lrsquoessence

geacuteneacuterale se deacutecompose en essences geacuteneacuteriques et en accidents Ces deux eacuteleacutements srsquounissent dans

les corps et impliquent leurs changements Le but des ecirctres individuels est de revenir (monter) agrave

lrsquoessence geacuteneacuterale

Pour conclure dans les œuvres drsquoErigegravene lrsquoessence deacutesigne lrsquoousia geacuteneacuterale et lrsquoessence

geacuteneacuterique Les substances et les corps deacutesignent des ecirctres individuels Les substances sont des

essences individuelles La distinction entre geacuteneacuteral et individuel est plutocirct eacutepisteacutemologique

Lrsquoessence vraie est unique pour tous individus

Les corps sont constitueacutes de matiegravere et de forme Ils ont eacutegalement une essence et des

accidents La matiegravere premiegravere se subdivise en quatre eacuteleacutements et devient la matiegravere des corps

Lrsquoessence geacuteneacuterale descend et srsquoindividualise agrave travers les accidents Un individu a une forme

substantielle et un faisceau drsquoaccidents Des accidents le rendent unique et font que le mouvement

du corps soit possible Une forme substantielle permet agrave une chose de rester elle-mecircme De cette

faccedilon Erigegravene combine les deux maniegraveres de deacutefinir un individu 1) agrave travers un assemblage

drsquoaccidents 2) agrave travers sa forme substantielle

X16 Abeacutelard

La question de comprendre quel est le substrat mateacuteriel du monde est au cœur du problegraveme

des universaux dans les œuvres drsquoAbeacutelard Dans la Logica ingredientibus Abeacutelard expose deux

doctrines des universaux

1) laquo Certains conccediloivent ainsi une chose universelle dans des choses qui diffegraverent entre

elles par des formes ils mettent une substance essentiellement la mecircme essence

mateacuterielle des ecirctres singuliegraveres en qui elle est une en elle-mecircme et diverse seulement par

les formes des ecirctres rangeacutes sous elle Si lrsquoon ocirctait ces formes il nrsquoy aurait plus aucune

927 laquo Accidentia enim in motu sunt non essentiae nec etiam ipsa accidentia in motu sunt [hellip] sed participatio eorum ab essentia tales patitur mutabilitates Aliter enim uera ratio non sinit esse Omnis siquidem natura seu essentiarum seu eis accidentium immutabilis est participatio uero ut diximus essentiarum ab accidentibus seu accidentium ab essentiis semper in motu est raquo Ibid I eacuted JEAUNEAU p 49 = PL 122 476AB trad BERTIN t I-II p 118

356

diffeacuterence entre les choses qui ne se distinguent les unes des autres que par la diversiteacute

de leurs formes leur matiegravere eacutetant par essence absolument la mecircme928 raquo

Abeacutelard propose comme exemples la substance de lrsquohomme qui est la mecircme dans tous les

hommes et la substance de lrsquoanimal qui est la mecircme dans tous les animaux Cette doctrine a eacuteteacute

adopteacutee par Guillaume de Champeaux Drsquoapregraves Erismann elle est influenceacutee par la doctrine de

lrsquoousia drsquoErigegravene929

Jorge Gracia voit deux interpreacutetations possibles de cette doctrine

- plusieurs essences mateacuterielles qui correspondent aux diffeacuterents genres (homme animal

etc) existent

- une essence mateacuterielle est commune agrave toutes les choses

En tout cas Abeacutelard reprend la doctrine boeacutecienne de lrsquoindividuation agrave travers des

accidents930

2) Voici la deuxiegraveme doctrine

laquo Les choses singuliegraveres ne se distinguent pas les unes des autres par leurs seules formes

mais elles sont aussi personnellement distinctes dans leurs essences propres ce qui

matiegravere ou forme est dans lrsquoune nrsquoest aucunement dans lrsquoautre si lrsquoon supprimait leurs

formes ces choses nrsquoen pourraient pas moins subsister dans leurs essences propres parce

que leur distinction personnelle qui fait que celle-ci nrsquoest pas celle-lagrave ne vient pas des

formes mais de la diversiteacute essentielle mecircme931 raquo

928 laquo Quidam enim ita rem universalem accipiunt ut in rebus diversis ab invicem per formas eandem essentialiter substantiam collocent quae singularium in quibus est materialis sit essentia et in se ipsa una tantum per formas inferiorum sit diversa Quas quidem formas si separari contingeret nulla penitus differentia rerum esset quae formarum tantum diversitate ab invicem distant cum sit penitus eadem essentialiter materia raquo PIERRE ABELARD Die Logica lsquoIngredientibusrsquo ed B GEYER Munster 1919 (Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters Texte und Untersuchungen 211) p 10 trad fr J JOLIVET Abeacutelard ou la Philosophie dans le langage Paris 1994 p 126 929 CHR ERISMANN laquo Alain de Lille la meacutetaphysique eacuterigeacutenienne et la pluraliteacute des formes raquo dans Alain de Lille le docteur universel philosophie theacuteologie et litteacuterature au XIIe siegravecle actes du XIe Colloque international de la Socieacuteteacute internationale pour lrsquoeacutetude de la philosophie meacutedieacutevale Paris 23-25 octobre 2003 eacuted J-L SOLERE A VASILU et AGALONNIER Turnhout 2005 (Rencontres de philosophie meacutedieacutevale XII) p 27 930 J J E GRACIA Introduction to the Problem of Individuation in the Early Middle Ages Munchen 1988 p 199-200 A propos de la theacuteorie de lrsquoessence mateacuterielle voir BRUMBERG J laquo Les universaux dans le commentaire du Pseudo-Raban agrave lrsquoIsagoge (P3) entre Boegravece et la theacuteorie de lrsquoessence mateacuterielle raquo dans Arts du langage et theacuteologie aux confins des XIe-XIIe siegravecles textes maicirctres deacutebats eacuted I ROSIER-CATACH Turnhout 2011 p 417-451 931 laquo Res singulas non solum formis ab invicem esse diversas verum personaliter in suis essentiis esse discretas nec ullo modo id quod in una est esse in alia sive illud materia sit sive forma nec eas formis quoque remotis minus in essentiis suis discretas posse subsistere quia earum discretio personalis secundum quam scilicet haec non est illa non per formas fit sed est per ipsam essentiae diversitatem raquo PIERRE ABELARD Die Logica lsquoIngredientibusrsquo eacuted GEYER p 13 trad fr J JOLIVET p 130-131

357

Drsquoapregraves cette doctrine les choses sont individuelles gracircce agrave leurs essences Elles nrsquoont pas

besoin drsquoaccidents pour srsquoindividualiser (les formes dans la terminologie drsquoAbeacutelard) Une essence

deacutesigne ici un ecirctre individuel

Les deux doctrines ont eacuteteacute deacuteveloppeacutees en deacutetail et reacutefuteacutees par Abeacutelard Elles repreacutesentent

deux points de vue diffeacuterents Drsquoapregraves la premiegravere doctrine la chose srsquoindividualise gracircce agrave la

forme et drsquoapregraves la deuxiegraveme gracircce agrave lrsquoessence Dans le premier cas lrsquoessentia deacutesigne lrsquoessence

geacuteneacuterale de toutes les choses dans le deuxiegraveme une essence individuelle

Nous avons eacutetudieacute lrsquoemploi de plusieurs notions lieacutees au monde sensible chez les auteurs

tardo-antiques et meacutedieacutevaux Les mots essentia et substantia ont eacuteteacute employeacutes pour rendre le mot

grec ousia Il nrsquoest pas eacutetonnant que ces deux notions soient proches seacutemantiquement Parfois elles

ont la mecircme signification Voici les acceptions principales de lrsquoessentia et de la substantia dans

lrsquoAntiquiteacute tardive

1) les deux natures du monde intelligible et sensible (chez Apuleacutee et Calcidius)

2) La substance premiegravere et la substance seconde drsquoAristote Les acceptions et les sens de

lrsquoune ou des deux notions deacutependent de la doctrine drsquoun auteur particulier Par exemple

chez Calcidius Augustin Boegravece et Erigegravene la substantia deacutesigne plutocirct la substance

premiegravere Chez Boegravece elle deacutesigne aussi la seconde substance

3) lrsquoessence unique de toutes les creacuteatures (chez Erigegravene et Guillaume de Champeaux)

4) la nature exceptionnelle de Dieu (Augustin Boegravece)

La notion de matiegravere premiegravere est transmise par Apuleacutee Calcidius Augustin et Erigegravene

Selon Apuleacutee Calcidius et Erigegravene la matiegravere srsquounit aux formes pour creacuteer les quatre eacuteleacutements

dont se composent les choses Dans la tradition paiumlenne la matiegravere est increacuteeacutee dans la tradition

chreacutetienne elle est creacuteeacutee

Ces diffeacuterents philosophes transmettent la doctrine que lrsquohomme ne conccediloit pas la matiegravere

premiegravere Il nrsquoa qursquoune opinion non fiable agrave propos drsquoelle Les objets sensibles (les corps dans le cas

drsquoApuleacutee) sont perceptibles par le sens les objets intelligibles (les ideacutees les formes) par une

faculteacute intellectuelle (cogitatio chez Apuleacutee intellectus chez Calcidius)

Drsquoapregraves Apuleacutee Calcidius Augustin Boegravece et Erigegravene les corps sont des uniteacutes creacuteeacutees qui

sont constitueacutees de matiegravere et de forme Augustin et Boegravece enseignent que la matiegravere est un substrat

qui rend possible le changement des choses et leur transformation

358

Calcidius Augustin et Erigegravene incorporent la doctrine drsquoAristote selon laquelle le

changement est le reacutesultat drsquoune variation des accidents Augustin et Erigegravene incluent eacutegalement la

doctrine de la forme substantielle qui deacutefinit ce qursquoest un corps

Il est deacutesormais possible de deacutefinir une structure de lrsquouniteacute sensible deacuteveloppeacutee par les

philosophes tardo-antiques Lrsquouniteacute minimale du monde creacuteeacute sensible est le corps Tous les corps

ont eacuteteacute creacuteeacutes de la mecircme matiegravere informe agrave propos de laquelle lrsquohomme nrsquoa qursquoune opinion

incertaine Drsquoapregraves certains penseurs les corps peuvent aussi avoir de la matiegravere concregravete qui est un

meacutelange de la matiegravere premiegravere et des formes La forme drsquoun corps correspond agrave une substance

(essence) individuelle En pratique elle est souvent deacutecrite comme consistant en une forme

substantielle (genre ou substance seconde) et des accidents (pluraliteacutes des formes)

La question de lrsquoidentiteacute apparaicirct chez Calcidius Boegravece et Erigegravene Ils meacutelangent les

questionnements aristoteacutelicien (lrsquoidentiteacute dans les changements) et platonicien (lrsquoindividuation des

ideacutees) Le corps est deacutefini agrave travers sa forme substantielle (genre) Il possegravede plusieurs accidents qui

le rendent unique Une variation drsquoaccidents permet drsquoeffectuer un changement qui ne touche pas agrave

la forme substantielle du corps Mecircme avant Boegravece Calcidius et Augustin enseignaient que la

matiegravere premiegravere est le substrat qui permet aux corps de se mouvoir et de se deacutevelopper dans le

monde sensible Erigegravene voit lrsquoessence comme ce substrat Lrsquoessence geacuteneacuterale srsquoindividualise selon

lui gracircce aux accidents

X2 Le monde sensible dans lrsquoeacutecole de Saint-Victor

Dans ce chapitre nous allons eacutetudier la structure du monde sensible et la faccedilon de deacutefinir les

ecirctres individuels propres agrave Hugues et Richard de Saint-Victor Nous nous rendons compte que la

question de la description du monde sensible dans lrsquoheacuteritage philosophique lrsquoeacutecole de Saint-Victor

peut faire lrsquoobjet de plusieurs recherches speacutecialiseacutees Voilagrave pourquoi nous nous limitons aux

questions poseacutees au deacutebut de ce chapitre (celles de la structure drsquoun ecirctre sensible et de lrsquoidentiteacute des

ecirctres)

X21 Les eacuteleacutements du monde selon Hugues de Saint-Victor

La division du visible et de lrsquoinvisible est au cœur de la philosophie drsquoHugues932 Dans le

Super Ierarchiam Dionisii I ndash Prol il explique que pour connaicirctre la veacuteriteacute il faut passer du visible

932 Voir D POIREL laquo Lire lrsquounivers visible le sens drsquoune meacutetaphore chez Hugues de Saint-Victor raquo dans Revue des Sciences Philosophiques et Theacuteologiques t 952 2011 p 363-371

359

agrave lrsquoinvisible933 Dans le chapitre preacuteceacutedent nous avons eacutetabli que la nature invisible eacutetait creacuteeacutee

avant la nature visible selon lrsquoordre causal Nous allons deacutesormais eacutetablir quels eacuteleacutements ont eacuteteacute

introduits dans ces natures lors de la creacuteation

Voici comment la creacuteation du monde est deacutecrite dans le De sacramentis I I VI934

creatio

(cum ipso principio temporis)

dispositio

natura incorporea essentia invisibilium in angelica natura se per conversionem amoris

impressa

natura corporea materia rerum visibilium omnium disposita et ordinata

La creacuteation des ecirctres est faite en deux eacutetapes la creacuteation elle-mecircme et la disposition

Drsquoabord la matiegravere et lrsquoessence ndash les fondements des ecirctres corporels et incorporels ndash ont eacuteteacute creacuteeacutees

simultaneacutement Elles ont eu leurs premiegraveres formes qui vont ecirctre reacuteformeacutees pendant la

disposition935 Ainsi Hugues distingue les creacuteatures corporelles et spirituelles

Natura corporea = materia + forma

Natura spiritualis = essentia + forma

933 laquo Et est in his quasi progressio quaedam et profectus mentis ad cognoscendum uerum conscendentis Per uisibiles enim uisibilium formas peruenitur ad inuisibiles uisibilium causas et per inuisibiles uisibilium causas ascenditur ad inuisibiles substantias et earum cognoscendas naturas raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Super Ierarchiam Dionisii I ndash Prol eacuted POIREL p 404 = PL 175 928A 934 laquo Et ut breviter quidquid mihi inde sentiendum videtur absolvam ego arbitror in primo principio temporis vel potius cum ipso principio temporis hoc est quando ipsum tempus coepit simul coepisse et rerum visibilium omnium materiam eodemque prorsus momento invisibilium in angelica natura essentiam utramque quodammodo in forma et utramque quodammodo sine forma Nam quemadmodum illa formandorum corporum materia quando primum creata est et quamdam formam habuit in qua subsistere coepit et tamen informis erat quia necdum disposita et ordinata fuit ita prorsus illa rationalis natura quando primum in spiritibus angelicis creata est mox quidem per sapientiam et discretionem formata est sed quia illi summo et vero bono (in quo beatificanda erat) nondum se per conversionem amoris impresserat quodammodo adhuc informis permanebat Utraque ergo natura et corporea scilicet per materiam et incorporea per essentiam simul ad esse prodiit quia et in illa unde facta et in ista quae facta est uno eodemque momento temporis in tempore pariter et cum tempore esse coepit Nam spiritualis natura (cum simplex sit eique idem sit omnino esse quod est) materialiter prius quam personaliter fieri non habet sicut corporea natura et propterea illa dum crearetur prius quidem per materiam ex qua facta est ad esse prodiit haec vero statim in ipsa qua subsistit vita simplici et essentia immortali indissolubilique primum accepit Utraque tamen simul facta est altera id est corporea in eo ex quo ipsa est altera vero id est incorporea in eo quod ipsa est Utraque formata et utraque informis sicut dictum est raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I I VI PL 176 192BD 935 Cf laquo Sequitur item alia questio cum materiam illam in prima creatione constet fuisse informem utrum omnino absque omni forma fuerit an dicatur informis in respectu illius pulchritudinis que postea erat habitura raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 1 eacuted PIAZZONI p 930 72-74

360

Nous avons deacutejagrave eacutetudieacute la notion de forme chez Hugues dans le chapitre VIII2 Elle peut

designer soir un modegravele (exemplar) soit une partie drsquoune chose qui srsquoimpose sur un reacuteceptacle

(matiegravere) En tant que partie drsquoune chose la forme deacutesigne son aspect visible936

Il nous reste agrave eacutetudier les notions drsquoessence et de matiegravere

X211 Essentia

Nous venons de deacutecouvrir que lrsquoessentia est preacutesente dans la nature spirituelle937 Nous

allons deacutesormais voir si la notion drsquoessentia a drsquoautres applications dans les textes drsquoHugues de

Saint-Victor

La notion drsquoessence chez Hugues deacutesigne le plus souvent la nature unique de Dieu938

Dans le Super Ierarchiam Dionisii II-I Hugues distingue les natures invisibles dont les

formes et les essences sont identiques et les natures visibles dont les formes et les essences sont

seacuteparables Cela permet aux ecirctres visibles de changer939 Par conseacutequent les formes des choses

changent tandis que les essences restent stables

Les nombreuses essences ceacutelestes et spirituelles sont proches de Dieu940 Dans ce cas le mot

essentia est le synonyme de natura et deacutesigne un ecirctre indeacutependant par exemple un ange

En De sacramentis I I VI Hugues dit que les ecirctres qui sont drsquoabord creacuteeacutes par essence (per

essentiam) dans la matiegravere sont ensuite paracheveacutes (in forma)941 En I III XXXI Il preacutecise que

tout ce qui a eacuteteacute en Dieu par la providence sera creacuteeacute dans le temps par lrsquoessence942 Les ecirctres creacuteeacutes

936 Cf laquo Prima enim id est mathematica speculatur uisibiles rerum uisibilium formas raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Super Ierarchiam Dionisii I ndash Prol eacuted POIREL p 404 = PL 175 927B 937 laquo Sed sicut iam dictum est quod spiritalem habet essentiam non potest originem habere corpoream quia quicquid ex materia preiacente traducitur corporeum esse comprobaturraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XVII eacuted POIREL p 37 = PL 176 825BC 938 Cf laquo Sic et essentia et in deitate Deus unus est Quod autem essentia unum est uere unum est quod uero in deitate unum est summe unum est raquo Sententiae de divinitate Pars 3 eacuted PIAZZONI p 952 136-7 939laquo Quia tamen in rebus uisibilibus aliud forma est et aliud est essentia iccirco quaecunque uisibilia sunt mutabiliter pulchra sunt quoniam quaecunque numero diuersa sunt et natura mutabilia inseparabiliter simul non consistunt Inuisibilia autem quibus aliud non est forma et aliud essentia quia omne quod est unum est et simplex et idem esse pulchra sunt ex eo quod sunt et non est pulchritudo illorum compacta ex multis concurrentibus in unum sicut uisibilis natura uidetur cuius forma secundum spatia locorum explicatur et per figuras ex multis coaptatas disponitur raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Super Ierarchiam Dionisii II-I eacuted POIREL p 435 = PL 175 949BC 940 laquo lsquoCirca eamrsquo uidelicet diuinam naturam id est propinquae et uicinae illi lsquosuntrsquo et immediate coniunctae lsquoillae essentiarumrsquo hoc est illae essentiae siue naturae quaecunque post ipsum esse datum lsquoinnumerabiliterrsquo uel multipliciter lsquoab earsquo dona uirtutum lsquoacceperuntrsquo In quibus primo loco censentur caelestes illae et spirituales naturae angelorum quae non solum per subtilitatem sapientiae rationalia sunt quia intellectu discernunt sed per subtilitatem quoque spiritualis naturae intellectualia quia solo intellectu in sua natura percipiuntur et sensum corporis non contingunt raquo Ibid V ndash IV eacuted POIREL p 519-520 941 laquo Per coelum namque et terram materiam illam omnium coelestium terrestriumque hoc loco significari puto de qua postea succedenter in forma facta sunt quae in ipsa prius per essentiam simul creata fuerunt raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I I VI PL 176 190D 942 laquoAnte omnem creaturam Creator erat solus quidem sed tamen non solitarius quia cum ipso erat sapientia sua in qua omnia ab aeterno per providentiam fuerunt quae ab ipso in tempore per essentiam facta sunt Solus fuit quando nihil praeter ipsum fuit et tamen solitarius non fuit quia aliena societate non eguit qui sibi sufficiens fuit cui nihil defuit quia sicut dictum est totum in ipso per providentiam fuit quod ab ipso per essentiam faciendum fuit raquo Ibid I III

361

existent ainsi per essentiam Dans le commentaire In Ecclesiasten Hugues dit que Dieu a instaureacute

lrsquoessence la forme et lrsquoordre des choses Ces trois sont stables et notamment les essences ont eacuteteacute

creacuteeacutees de rien et elles ne cessent jamais drsquoexister943 Ici et dans ces autres œuvres Hugues parle

tantocirct drsquoune essence des choses au singulier tantocirct des essences au pluriel944 De cette faccedilon

lrsquoessentia est creacuteeacutee en mecircme temps que la matiegravere et comme la matiegravere elle est faite de rien

Dans le De tribus diebus Hugues relie lrsquoessence et la forme aux manifestations des attributs

de Dieu Voici la reacutecapitulation945

essentia immensitas potentia

forma decor sapientia

Lrsquoessence est relieacutee indirectement agrave la puissance et la forme agrave la sagesse

Ensuite Hugues dit

laquo Consideacutereacutee sans forme lessence est chose informe Sans doute une reacutealiteacute informe est

bien semblable agrave Dieu en tant qursquoelle est mais elle diffegravere de Dieu en tant qursquoelle est sans

forme Ce qui est formeacute est donc plus semblable agrave Dieu que ce qui nrsquoest pas Il est donc clair

XXXI PL 176 232BC Cf laquo Discernamus ergo si possumus si forte causam invenire valeamus quare potius sub tempore quam vel cum tempore vel in tempore facta dixit vana esse opera hominum Omnia quae facta sunt vel cum tempore facta sunt vel in tempore Cum tempore enim facta sunt quorum ortum tempus non praecessit qualis est angelica natura et illa informis materia rerum visibilium quam in principio creavit Deus In tempore facta sunt quorum ortum tempus praecessit sicut illa sex dierum opera in quibus Deus perfecit atque complevit hujus sensibilis mundi fabricam sed et illa quae postmodum formaliter sive essentialiter facta sunt omnia in tempore facta sunt raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR In Ecclesiasten eacuted PL 175 128D-129A 943 laquo Opus Dei est essentiam rerum de nihilo creare materiam rerum in formam disponere motum autem rerum sub certo ordine temperare Propterea tria haec ad opus Dei pertinent id est essentia rerum forma et ordo Haec autem tria sicut postea auctor ipse attestatur de operibus Dei stabilia sunt nec temporis capiunt mutabilitatem quia et rerum essentiae hoc quod sunt nunquam esse desinunt raquo Ibid PL 175 215D 944Pour lrsquoemploi au singulier voir les notes preacuteceacutedentes Voici des cas de lrsquoemploi drsquoessentia au pluriel laquo Duo reliqua id est de aliquo aliqua non in majus sicut cum totum in partes dividitur vel de aliquibus aliquid non in minus quemadmodum cum partes in toto uniuntur creatura facere potest Cujus opus recte propterea nihil esse dicitur quia per ejus opus essentiis rerum sive in conjungendo divisa sive in dividendo conjuncta nihil tollitur vel confertur raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis VI XXXVII PL 176 285B laquo Qui enim de rerum creatione quasi vera sentiunt de subsistentia rerum plurima mentiuntur et non est finis disputationum et adinventionum hominum Fingunt essentias et formas et atomos et ideas principalium constitutionum et elementa plurima et nascentias infinitas et motus invisibiles et efficientias procreatrices raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR In Ecclesiasten eacuted PL 175 238C 945 laquo Tria diximus inuisibilia potentiam sapientiam benignitatem Querendum ergo est quod horum prius contemplantibus in agnitione occurrat Et credo quod illud inuisibile prius in contemplatione comprehenditur quod in suo uisibili simulacro expressius et manifestius declaratur Simulacra autem inuisibilium ipsa uisibilia dicuntur utpote inuisibilis potentiae simulacrum est creaturarum inmensitas inuisibilis sapientiae simulacrum est creaturarum decor inuisibilis benignitatis simulacrum est creaturarum utilitas Omnis autem creatura quanto uicinius similitudini creatoris appropinquat tanto uicinius creatorem suum declarat Illud ergo uisibile simulacrum inuisibile exemplar prius ostendere debet quod diuinae similitudinis imaginem perfectius in se expressam retinet Inmensitas autem creaturarum magis ad essentiam decor uero creaturarum magis pertinet ad formam raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XVI eacuted POIREL p 34 = PL 176 823D-824A

362

que la beauteacute des creacuteatures qui se rapporte agrave leur forme est un reflet plus eacutevident que

lrsquoimmensiteacute des creacuteatures qui ne concerne que leur essence946 raquo

Dans ce passage Hugues deacutecrit lrsquoessence et la forme comme deux constituants de lrsquoecirctre qui

peuvent ecirctre perccedilus Les formes teacutemoignent de la beauteacute des creacuteatures de maniegravere plus eacutevidente que

les essences de son immensiteacute La forme et lrsquoessence sont preacutesenteacutees comme les aspects visible et

invisible drsquoun ecirctre

Dans lrsquoIn Ecclesiasten le processus de la perception est deacutecrit de faccedilon suivante

- lrsquoespegravece (forme propre) des choses affecte la vision

- la forme des choses entre dans la vision

- lrsquoessence des choses arrive agrave lrsquoacircme agrave travers la vision

Ainsi la forme est un intermeacutediaire qui sert agrave transmettre lrsquoessence de la chose jusqursquoagrave

lrsquoacircme de lrsquohomme qui la perccediloit Lrsquoessence dans ce cas est compareacutee agrave la signification du mot (vox)

et la forme agrave la meacutelodie947

Dans le De tribus diebus Hugues dit

laquo La connaissance humaine subit un changement selon lrsquoessence lorsque nous pensons tantocirct

agrave ceci tantocirct agrave cela car nous ne pouvons pas tout enfermer dans notre penseacutee selon la

forme comme lorsque nous precirctons attention agrave une mecircme chose tantocirct sous un aspect

tantocirct sous un autre car nous ne pouvons faire les deux agrave la fois948 raquo

Lrsquoessence et la forme sont opposeacutees dans ce passage comme un contenu et une apparence

les aspects inteacuterieur et exteacuterieur

946 laquo Essentia uero absque forma considerata informitas est Quod autem informe est in hoc quidem quod est Deo simile est sed in hoc quod forma caret a Deo dissidet Quod ergo formatum est magis Deo simile est quam id quod formam non habet Vnde constat quod plus euidens simulacrum est decor creaturarum qui pertinet ad formam quam inmensitas creaturarum quae ad solam spectat essentiamraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XVI eacuted POIREL p 34 = PL 176 824A trad Poirel p 597 947 laquo Ergo essentia rerum per visum ad animam ingrediens et vocum significatio per auditum scientiam pariunt Forma vero rerum per visum intrans et melodia vocum per auditum ad jucunditatem animum accendunt Quoties enim foris sive rerum specie visus afficitur sive auditus vocum dulcedine demulcetur evigilat animus intus miris affectibus illi quo exterius tactum se sentit respondens HUGUES DE SAINT-VICTOR In Ecclesiasten eacuted PL 175 141CD 948 laquoIn essentia uicissitudinem patitur humana cognitio quando nunc hoc nunc illud cogitamus quia simul omnia nostro sensu comprehendere non possumus in forma ut quando idipsum nunc tale nunc uero tale attendimus quia utrumque simul non ualemus raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De tribus diebus XIX eacuted Poirel p 48 = PL 176 830A

363

De plus dans le De tribus diebus Hugues dit que le changement selon le lieu crsquoest-agrave-dire le

deacuteplacement ne change pas lrsquoessence drsquoune chose949 Dans deux derniers cas lrsquoessence est preacutesente

comme une uniteacute intelligible qui procure une connaissance intelligible drsquoune chose

Ainsi toutes les creacuteatures visibles et invisibles ont des essences Les creacuteatures invisibles

sont homogegravenes leurs formes et essences sont inseacuteparables Cela fait que ces creacuteatures ne changent

pas avec le temps Dans les ecirctres visibles corporels les essences sont unies agrave des formes mais elles

sont seacuteparables Les formes sont perceptibles par les sens et les essences sont connues par les acircmes

La perception de la forme de chose fait capter son essence A notre avis lrsquoessence deacutesigne la partie

invisible drsquoune chose Crsquoest un aspect principal qui deacutefinit ce qui est une chose La forme est une

partie visible Elle donne des indications pour comprendre la partie invisible drsquoune chose

Lrsquoanalyse de la notion drsquoessence conduit Hugues agrave reacutefleacutechir sur lrsquoimmensiteacute des creacuteatures et

la puissance de Dieu De cette faccedilon lrsquoessence est lieacutee aux relations entre une chose et son creacuteateur

Les essences ont un trait commun avec la matiegravere elles sont creacuteeacutees de rien au deacutebut Pourtant les

essences chez Hugues sont des entiteacutes intelligibles Quand Hugues parle de la creacuteation de lrsquoessence

et par lrsquoessence il emploie ce mot au singulier Quand il deacutecrit une essence drsquoune chose concregravete il

dit essentiae au pluriel En effet Hugues peut sous-entendre lrsquoexistence drsquoune essence unique des

ecirctres qui se multiplient en plusieurs essences individuelles Il suivrait de cette faccedilon la doctrine de

Guillaume de Champeaux qursquoon peut rapprocher agrave certains eacutegards de la penseacutee eacuterigeacutenienne Mais

pour affirmer cela avec certitude il faudrait une eacutetude plus eacutelaboreacutee de la doctrine de lrsquoessence chez

Hugues de Saint-Victor

X212 Materia

Hugues deacutecrit la creacuteation de la matiegravere de maniegravere deacutetailleacutee dans la premiegravere partie du

premier livre du De sacramentis Dieu a creacuteeacute la matiegravere agrave partir du neacuteant950 et avant de la former (I

I II-III) Drsquoabord Dieu a creacuteeacute la matiegravere informe et ensuite elle a eacuteteacute formeacutee par la conversion

vers le creacuteateur951 La matiegravere nrsquoeacutetait pas absolument mais relativement informe Elle eacutetait formeacutee

949 laquo Et est extrinseca haec mutatio nichil que uariat de ipsius rei essentia quia si esse desinit ubi fuit non tamen quod fuit esse desinit et si esse incipit ubi non fuit non tamen quod non fuit esse incipitraquo Ibid XIX eacuted POIREL p 43 = PL 176 827D 950 laquo Omnia ergo quae facta sunt Deus non solum ex materia fecit sed materiam omnium ipse de nihilo creavit raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I I I PL 176 187B 951 laquo Nam et ipsa rationalis creatura quodam suo modo prius informis facta est postmodum per conversionem ad Creatorem suum formanda et idcirco foris prius ei demonstrata est informis materia postea formata ut quanta foret inter esse et pulchrum esse distantia discerneret raquo ibid I I III PL 176 189A

364

degraves le deacutebut de faccedilon rudimentaire ce que Hugues appelle laquo une forme de confusion raquo et ensuite

lors des six jours de la creacuteation elle a reccedilu une forme plus eacutelaboreacutee laquo la forme de disposition raquo952

En outre Hugues parle aussi des quatre eacuteleacutements En De sacramentis I I XXIX il preacutecise

que le monde sensible avec tous ces eacuteleacutements a eacuteteacute fait dans la matiegravere au deacutebut de la creacuteation Les

quatre eacuteleacutements du monde ont eacuteteacute distingueacutes et mis agrave leur place lors des trois premiers jours de la

creacuteation953

Dans les Sententiae Hugues explique de maniegravere plus deacutetailleacutee le rocircle des eacuteleacutements dans la

creacuteation du monde Ce sont les quatre eacuteleacutements qui ont eacuteteacute creacuteeacutes agrave partir de rien La terre a eacuteteacute

seacutepareacutee tandis que les trois autres (le feu lrsquoeau et lrsquoair) restaient meacutelangeacutes954 Et ensuite pendant

les trois premiers jours de la creacuteation ils ont eacuteteacute distingueacutes lrsquoun de lrsquoautre et mis en place le

premier jour le feu puis la terre et le troisiegraveme lrsquoeau et lrsquoair

En deacutefinitive Hugues comprend la matiegravere comme le reacuteceptacle drsquoune forme La matiegravere

premiegravere a eacuteteacute formeacutee au deacutebut pour assurer la disposition de quatre eacuteleacutements Contrairement agrave la

matiegravere informe quatre eacuteleacutements sont perceptibles

X22 Les ecirctres individuels dans la penseacutee des victorins

X221 Hoc aliquid

Pour deacutesigner un eacuteleacutement du monde sensible dans le De sacramentis Hugues emploie

quelquefois lrsquoexpression hoc aliquid Cette expression a eacuteteacute introduite par Boegravece pour traduire

lrsquoexpression aristoteacutelicienne tode ti (ce quelque chose) Le hoc aliquid deacutesigne la substance

premiegravere ndash une chose individuelle concregravete (Catg 3b10-14)

952 laquo Ergo ante formam facta est materia tamen in forma In forma confusionis ante formam dispositionis In prima forma confusionis prius materialiter omnia corporalia simul et semel creata sunt in secunda forma dispositionis postmodum per sex dierum intervalla ordinata raquo ibid I I IV PL 176 189D 953 laquoOpera ergo conditionis id est mundus iste sensibilis cum omnibus elementis suis in materia quidem ante omnem diem in tempore pariter et cum tempore facta sunt Postea sex diebus in formam disposita tribus primis diebus ordinata et sequentibus tribus ornata raquo ibid I I XXIX PL 176 204C Cf D POIREL laquo Physique et theacuteologie une querelle entre Guillaume de Conches et Hugues de Saint-Victor agrave propos du chaos originel raquo dans Guillaume de Conches philosophie et science au XIIe siegravecle eacuted B OBRIST et I CAIAZZO Florence 2011 p 302 954 laquo Sciendum quod primo Deus quatuor elementa creauit de nichilo tante quantitatis tante capacitatis ut nunc sunt licet non ad hunc ordinem redacta immo confusa sic tamen ut terra proprium locum obtineret quem modo habet id est medium et imum habens iam alueos quosdam in se id est futura receptacula id est aquarum Alia uero tria elementa id est aqua aer ignis confusa et in simul permixta nec proprium locum nec propriam formam habentia erant super faciem terre circum aque ita ut confusio illa duraret a terra usque ad extremitatem corporee substantie et hec erat in prima creatione mundane materie informitas que postea sub formis redacta est hoc modoraquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 1 eacuted PIAZZONI p 931 106-115

365

Hugues emploie la notion de hoc aliquid en parlant du changement des esprits (I III XVI)

Un hoc aliquid est concret (definitum) Un corps et un esprit sont des haec aliqua Seul lrsquoesprit

creacuteateur nrsquoest pas un hoc aliquid car il nrsquoest pas concret955

Ensuite Hugues deacutecrit lrsquoexistence des formes dans lrsquoesprit (I III XXV) Les formes et les

affections qui sont dans lrsquoesprit ne sont pas hoc aliquid qui est dans la reacutealiteacute Mais ces formes

existent dans une relation au hoc aliquid956

Dans I V III Hugues emploie le hoc aliquid pour la derniegravere fois dans le De sacramentis Il

affirme que Dieu connaicirct eacutegalement les ecirctres dans leur totaliteacute et chaque ecirctre particulier (hoc

aliquid)957

En deacutefinitive hoc aliquid deacutesigne chez Hugues un ecirctre particulier

X221 Substance et substantialiteacute

Dans le De Trinitate II XII Richard de Saint-Victor deacutemontre lrsquoincommunicabiliteacute de

Dieu Pour faire cela il introduit la notion de substantialiteacute (substantialitas)

laquo Nous appelons en effet substantialiteacute cette proprieacuteteacute de la subsistance qui lui donne drsquoecirctre

appeleacutee et drsquoecirctre substance958 raquo

Richard distingue trois sortes de la substantialiteacute959

955 laquoSpiritum autem creatorem nec in loco esse nec loco mutari quoniam corpus non est nec tempore mutari quoniam invariabilis omnino est Propterea soli corpori recte assignari et hoc aliquid esse quoniam definitum est et hic alicubi esse quoniam circumscriptum est et nunc aliquando esse quoniam variabile est Spiritui vero creato convenire et hoc aliquid esse quoniam definitus est et nunc aliquando esse quoniam variabilis est sed non hic alicubi esse quoniam circumscriptus non est qui dimensionis capax non est Creatorem vero spiritum nec hoc aliquid esse quod definitus non est nec hic alicubi esse quod circumscriptus non est nec nunc aliquando esse quoniam invariabilis est praesentem tamen veraciter et essentialiter omni quod hoc aliquid est et omni quod hic alicubi est et omni quod nunc aliquando est quoniam in omnibus est et ubique est et semper est raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XVI PL 176 222D-0223A 956 laquo Videt enim quoniam quae in mente sunt non vere idem sunt quod est ipsa mens Separantur enim a mente haec aliquando et cum adfuerint recedunt et redeunt iterum cum abierint et variantur circa ipsam nec vere sunt idem cum ipsa sed quasi affectiones quaedam et formae ipsius quibus non sit hoc aliquid esse sed ad esse tantum ei quod est hoc aliquid raquo Ibid I III XXV PL 176 227B 957 laquo Nam in Deo quidem omnia erant antequam essent in se secundum rationem et causam et providentiam ex qua futura erant sed quasi minus erant singula perfecto et unumquodque hoc aliquid et non totum secundum rationem et discretionem uniuscujusque quae ratio omnia continebat et major erat in toto et quasi superabundabat singulis raquo Ibid I V III PL 176 247D-248A 958 laquo Substantialitatem namque dicimus illam proprietatem substantie ex qua habet substantia dici et esse raquo RICHARD DE SAINT-VICTOR De Trinitate II XII eacuted RIBAILLIER p 118 =PL 196 907CD trad SALET 129-131 959 laquoSubstantialitas vero alia generalis alia specialis alia individualis Substantialitas autem illa est generalis que est aliquibus speciebus communis ut corporalitas que inest omnibus corporibus tam animatis quam inanimatis Illa vero est specialis que competit unius tantum speciei omnibus individuis ut humanitas que est omnibus hominibus communis Individualis autem est illa que uni soli quidem individuo inest et pluribus substantiis omnino communis esse non potest raquo Ibid II XII eacuted RIBAILLIER p 118-9 =PL 196 907D

366

Sortes de

substantialiteacute

Deacutefinition Exemple

generalis aliquibus speciebus communis corporalitas

specialis quae competit unius tantum speciei omnibus

individuis

humanitas

individualis illa quae uni soli quidem individuo inest et pluribus

substantiis omnino communis esse non potest

possumus a proprio

nomine trahere danielitas

Les sortes de substantialiteacute sont deacutefinies selon les sortes de substances geacuteneacuterique

speacutecifique individuelle En effet par la substantialiteacute Richard entend la qualiteacute qui deacutefinit un genre

ou une espegravece A notre avis le sens de la substantialiteacute chez Richard de Saint-Victor est proche de

la notion de qualiteacute incommunicable de Boegravece La substantialiteacute du genre laquo corps raquo est la corporeacuteiteacute

de lrsquoespegravece laquo homme raquo est lrsquohumaniteacute Ces substantialiteacutes sont communes agrave plusieurs individus La

substantialiteacute drsquoun individu est incommunicable Pour la nommer Richard propose de creacuteer un mot

agrave partir drsquoun nom propre par exemple la danieacuteliteacute Nico den Bok souligne que cette proprieacuteteacute est

non accidentelle960

Richard explique que la substance drsquoun individu est sa substantialiteacute La substance de Daniel

est la danieacuteliteacute La substance de Dieu est la diviniteacute Et crsquoest pour cette raison qursquoil est

incommunicable Il nrsquoy a que Dieu qui a la substance de Dieu

Lrsquoindividu selon Richard est celui qui ne partage pas sa substance (ces qualiteacutes principales)

avec drsquoautres961 Ainsi il explique lrsquoincommunicabiliteacute de Dieu en le comparant agrave un individu Dieu

est un individu qui ne partage pas sa substantialiteacute avec drsquoautres ecirctres

X23 Lrsquoidentiteacute drsquoune chose

Nous avons montreacute qursquoune chose peut se deacutefinir agrave travers une forme geacuteneacuterale et la

multipliciteacute des eacuteleacutements qui lrsquoindividualisent ou agrave travers des eacuteleacutements qursquoelle garde dans les

changements

Selon Boegravece les choses srsquoindividualisent gracircces aux accidents Il nous semble qursquoHugues

fait des allusions agrave cette doctrine

laquo Lrsquoecirctre dans la raison (in ratione) est quand un artisan [hellip] preacutevoit dans son esprit ce qursquoil

fera sa qualiteacute sa quantiteacute et plus geacuteneacuteralement de quelle sorte sera la chose qursquoil fera962 raquo

960N W DEN BOK Communicating the most high a systematic study of person and Trinity in the theology of Richard of St Victor Paris-Turnhout 1996 p 217-218 961 Ibid p 220

367

Ainsi une chose est deacutefinie in ratione selon les cateacutegories quod (substance) quale

(qualiteacute) quantum (quantiteacute) etc

Hugues soulegraveve la question des changements dans le De sacramentis I III Nous en avons

fait une reacutecapitulation963

mutationes

intrinsecus extrinsecus

forma locus tempus

augmentum diminutio alteratio totum locum

mutat

consistentibus

partibus in toto

sequitur mutationem

loci et formae et non

est unquam sine ipsis in

corpore

apparet tantum forma alia

in toto propter partes quae

locum mutaverunt

La diffeacuterence entre le changement inteacuterieur et exteacuterieur est dans le fait que le premier change

une chose et le second change les circonstances autour drsquoune chose964 Le temps pour Hugues est

une succession de changements

Dans ce passage Hugues deacutefinit la forme drsquoune chose agrave travers ses parties Il est ainsi

important pour lui de distinguer le changement selon la forme (lrsquoalteacuteration) et celui selon le lieu Le

premier a lieu quand les parties de la forme changent de place agrave lrsquointeacuterieur de la totaliteacute drsquoune chose

en composant une autre chose La deuxiegraveme est quand une chose entiegravere change sa position dans

lrsquoespace De cette faccedilon une chose reste elle-mecircme car elle garde la mecircme disposition des parties 962 laquo Esse in ratione est quando artifex aliquis [hellip] preuidet in mente sua quid facturus sit et quale et quantum et omnino cuiusmodi rem facturus sit raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR Sententiae de divinitate Pars 2 eacuted PIAZZONI p 937 36-38 trad D POIREL 963 laquo Omne enim corpus aut loco mutatur aut forma aut tempore Et quae forma mutantur aut augmentum suscipiunt aut diminutionem aut alterationem Et quae alterationem quidem suscipiunt non illis accedere quidquam videtur quod non erat aut quod erat recedere probatur sed quod erat tantum alteratur et aliter habetur Et non fit sine loco hoc quoniam partes locum transmutant in eodem consistente toto et non fit tamen nisi secundum locum nec tamen dicitur secundum locum propter totum quod locum mutat sed apparet tantum forma alia in toto propter partes quae locum mutaverunt Et ideo haec mutatio secundum formam dicitur quoniam haec in toto manifeste videtur Et non dicitur secundum locum (cum tamen in partibus secundum locum sit) quoniam haec manifeste non videtur Et non est forma aliquid omnino nisi dispositio partium in toto et cum haec mutatur (quia partes locum mutant) mutatur forma in toto quia dispositio partium mutatur quae est forma totius Et ita mutatio formae in toto fieri non potest sine mutatione loci in partibus Sed non dicitur mutatio loci nisi cum totum locum mutat consistentibus partibus in toto Sic mutatio temporis sequitur mutationem loci et formae et non est unquam sine ipsis in corpore Quoniam secundum has solum ordo inest et successio quae tempus vocatur raquo HUGUES DE SAINT-VICTOR De sacramentis I III XV PL 176 221C-222A 964 laquo Item considerandum est quoniam ex his tribus mutationibus duae extrinsecus fiunt quoniam non mutant esse rei sed circa rem aliquid hoc est mutatio loci et temporis Iterum prima mutatio secundam et tertiam infert quoniam causa illarum est Secunda autem tertiam quoniam causa illius est Tertia vero tantum infertur et non infert quoniam effectus solum est Sola autem mutatio formae intrinseca vocatur quoniam non circa rem sed in ipsa re mutat aliquid et ipsa tamen non fit sine mutatione loci et temporis raquo ibid I III XV PL 176 222A

368

Lrsquoesprit peut ecirctre changeacute par lrsquoaffection et la connaissance dans le temps965

En deacutefinitive nous avons trouveacute chez Hugues deux maniegraveres de deacutefinir une chose 1) agrave

travers les accidents 2) agrave travers la disposition de ses parties

Pour conclure Hugues dit qursquoune chose est constitueacutee de ces composants matiegravere essence

et forme La matiegravere a eacuteteacute creacuteeacutee au deacutebut par Dieu Elle est toujours unie agrave la forme Lrsquoessence est

une partie principale drsquoune chose Elle est invisible et elle est relieacutee agrave lrsquoimmensiteacute des creacuteatures qui

agrave son tour est le reflet de la puissance de Dieu La forme est un aspect visible drsquoune chose

Hugues deacutecrit eacutegalement un ecirctre particulier un hoc aliquid Crsquoest une notion

aristoteacutelicienne qui deacutesigne une chose concregravete Dans drsquoautres endroits Hugues explique qursquoune

chose est preacuteconccedilue avec ses accidents et qursquoelle reste elle-mecircme tant qursquoelle garde la bonne

disposition de ses parties

Pour expliquer lrsquoindividualiteacute de Dieu Richard introduit la notion de substantialiteacute Elle

deacutesigne la particulariteacute de lrsquouniteacute (du genre de lrsquoespegravece ou de lrsquoindividu) Lrsquoindividu dans le monde

a sa substantialiteacute eacutegalement

X3 Monde sensible dans le De unitate

Nous avons vu que les auteurs tardo-antiques ont introduit des notions geacuteneacuterales qui servent

agrave deacutecrire lrsquouniteacute sensible essentia substantia materia et corpus Ces notions ont eacuteteacute reprises par

les auteurs meacutedieacutevaux y compris les victorins Il existe aussi un faisceau de doctrines qui ont eacuteteacute

transmises avec ces notions la primauteacute de la matiegravere lors de la creacuteation du monde son

inconnaissabiliteacute lrsquoexplication de lrsquoessentia et de la substantia comme uniteacutes sensibles et

intelligibles (la premiegravere et la deuxiegraveme substance drsquoAristote) la deacutefinition de lrsquouniteacute sensible gracircce

agrave la forme substantielle (dans les changements) ou gracircce aux accidents (lrsquoindividuation) Dans cette

partie nous allons voir quelles notions et doctrines ont eacuteteacute reprises dans le De unitate Pour faire

cela nous allons revenir agrave deux questions qui ont eacuteteacute poseacutees au deacutebut de ce chapitre

1) De quoi est composeacute un ecirctre sensible

2) Quel est le principe drsquoidentiteacute drsquoune uniteacute creacuteeacutee

965laquo Et videmus quod spiritus omnino nec augmento partium crescere potest quoniam corpus non est nec decrescere diminutione quoniam simplex natura est et tamen affectu et cognitione mutatur spiritus Et transit de hoc in illud et variatur et vicissitudinem suscipit gaudii doloris et poenitudinis et voluntatis et crescit scientia et oblivio in eum cadit et variat cogitationes et succedenter intelligit et est quasi formae mutatio ista in eo mutatio scientiae et affectus Et sequitur istam temporalis mutatio et subjacet tempori propter ista quae variantur in eo raquo ibid I III XVI PL 176 222B

369

Pour reacutepondre agrave la premiegravere question nous allons rassembler plusieurs notions telles que la

materia lrsquoessentia la substantia la res et le corpus Le point du deacutepart sera un passage des

chapitres I 43-44 dans lesquels Achard deacutecrit la structure des uniteacutes dans le monde sensible

La reacuteponse agrave la deuxiegraveme question peut ecirctre trouveacutee en I 48 Achard pose cette question de

la maniegravere suivante est-ce que les ecirctres sont les mecircmes en nombre ici et lagrave-bas A savoir est-ce

que chaque uniteacute qui existe ici existe eacutegalement lagrave-bas et vice versa

X31 De quoi est composeacute un ecirctre sensible

X311 I 43-44

Dans le texte entier du De unitate il ne se trouve qursquoun seul passage ougrave Achard parle

explicitement des eacuteleacutements qui constituent les choses dans le monde creacuteeacute

laquo I 43

Chez nous aussi ltil est vraigt on a parfois coutume drsquoappeler des laquo formes raquo tout ce qui

existe dans les choses en dehors de leurs essences simples et si je puis dire informes

essences dont aucune connaissance nrsquoest prise drsquoailleurs sinon par lrsquointermeacutediaire des formes

des choses puisque crsquoest sur les formes des choses que porte toute science les concernant

Dieu au contraire sait et intellige toutes choses agrave partir de soi-mecircme crsquoest donc aupregraves de

lui et en lui que sont intellectuellement toutes les formes de toutes les choses mais en plus

on ne peut nier que nrsquoexistent eacutegalement lagrave-bas et sur le mecircme mode les essences mecircmes ou

se trouvent ces formes lagrave-bas en effet elles aussi sont intelligeacutees et elles ne le sont pas

seulement dans leur formation active mais aussi dans la simpliciteacute naturelle qui leur est

propre et par laquelle elles se distinguent de toutes les formes par la privation mecircme de toutes

formes Quant aux substances des choses elles existent et sont intelligeacutees agrave part eacutegale dans la

connexion des essences et des formes toutefois leur diffeacuterence reacuteciproque nrsquoest consideacutereacutee

que selon les seules formes et elle srsquoeacutetend agrave toutes leurs intellections srsquoil est vrai que mecircme

les essences ne sont pas ltalorsgt discerneacutees entre elles sinon par la varieacuteteacute des formes qui

srsquoadjoignent agrave elles

I 44

Si ces formes des choses nrsquoeacutetaient eacutegalement distinctes aupregraves de Dieu il serait eacutegalement

impossible qursquoun ltintellectgt quelconque voie aucune distinction des choses qursquoelle soit

essentielle formelle ou substantielle et que son intellect agrave lui discerne entre lrsquohomme et lrsquoacircne

Mais de mecircme qursquoil en serait ainsi lagrave-bas de mecircme il nrsquoy aurait pas non plus ici de distinction

370

entre elles si ltles formesgt ne les avaient lagrave-bas preacuteceacutedeacutees Par conseacutequent lagrave-bas sont

distinctes les formes de toutes les choses et dans les formes et selon les formes tant les

essences sur lesquelles srsquoappuient les formes que les substances des choses qui sont un

assemblage drsquoessences et de formes966raquo

Dans ce passage Achard expose la doctrine des composants des uniteacutes du monde des

formes des substances des essences et des choses Il est possible de discerner ces deux scheacutemas

Essentia simplex + forma(e) = res

Essentia + forma(e) = substantia

Achard ne distingue pas clairement les choses et les substances Les deux sont constitueacutees

drsquoessences et de formes Les substances font partie des choses (voir lrsquoexpression substantiae

rerum) Ainsi les choses sont constitueacutees drsquoessences de substances et de formes Achard ne preacutecise

pas si la chose ou la substance a une seule forme ou plusieurs

La formule laquo Essentia + forma = substantia raquo rappelle une formule transmise par la

philosophie antique laquo materia + forma = substantia raquo La substance et lrsquoessence peuvent deacutesigner

De unitate Substantia Essentia

hypothegravese 1 un mateacuteriau (le bois lrsquoair la terre etc) qui est

fait sur la base drsquoune matiegravere premiegravere speacutecifieacutee

par la forme

la matiegravere premiegravere

hypothegravese 2 une substance individuelle (la premiegravere cateacutegorie

drsquoAristote) qui est constitueacutee drsquoune essence

(geacuteneacuterale ou individuelle) et drsquoune forme

lrsquoessence geacuteneacuterale ou

individuelle

966 laquo I 43 Formae etiam et apud nos aliquotiens nominari solent omnia quae in rebus sunt praeter simplices earum et informes ut sic dixerim essentias de quibus etiam nulla nisi per rerum formas capitur notitia circa rerum namque formas omnis earum consistit scientia Deus autem scit omnia et ex se ipso intelligit apud ipsum ergo et in ipso sunt intellectualiter omnes rerum omnium formae Negari etiam nequit et ibi ipsas quibus insunt formae modo eodem consistere essentias ibi enim et illae intelliguntur nec solum ltingt activa formatione sed et in naturali sua simplicitate qua ab omnibus discernuntur formis per ipsam omnium privationem formarum Substantiae vero rerum consistunt et intelliguntur in connexione essentiarum pariter atque formarum quarum tamen ab invicem discretio secundum solas attenditur formas et ltingt omnes illarum redundat intellectus siquidem et essentiae non discernuntur a se nisi ex formarum quae eis adjacent varietate I 44 Quae quidem rerum formae nisi essent et apud Deum distinctae nec omnis videret aliquam rerum distinctionem sive scilicet essentialem sive formalem sive substantialem nec inter hominem et asinum ejus discerneret intellectus Sed quemadmodum ibi sic nec hic aliqua earum foret distinctio nisi et ibi praecessissent distinctae igitur ibi sunt omnium formae rerum et in formis et secundum formas tam essentiae quibus formae quam rerum substantiae quae ex essentiis et formis sunt compactae raquo De unitate I 43-44 eacuted MARTINEAU p 114-117

371

Lrsquoexpression laquo essentia simplex raquo va dans le sens de la premiegravere hypothegravese Le fait que le

mot laquo essentia raquo soit employeacute au pluriel va dans le sens de la deuxiegraveme

Voici comment ces composants sont vus par Dieu

formae rerum scientia

substantiae intelliguntur in connexione essentiarum

pariter atque formarum

distinctae in

formis et

secundum formas

intellectus

essentiae naturali sua simplicitate notitia

Dieu connaicirct les formes des choses mais il a aussi des intellections des substances et de

certaines notions des essences agrave travers les formes des choses Ce scheacutema rappelle un postulat

platonicien selon lequel la matiegravere nrsquoest pas perccedilue par lrsquointellect et nous nrsquoavons qursquoune notion

incertaine agrave propos drsquoelle

Essayons de mettre de la lumiegravere sur toutes les notions choisies

X312 Essentia et essentialiter

Lrsquoessentia est une notion rare dans le De unitate Elle se trouve pour la premiegravere fois dans le

passage qui a eacuteteacute citeacute plus haut Achard utilise la notion drsquoessentia une deuxiegraveme fois dans II 10

Mais il dit seulement que laquo lrsquoessence simple comme il faudra le montrer peut ecirctre drsquoun certain

point de vue rapporteacutee agrave la proprieacuteteacute du Pegravere967raquo Dans ce passage il rapporte lrsquoessence au Pegravere les

veacuteriteacutes au Fils et les connections au Saint-Esprit De cette faccedilon il reacutetablit la structure trinitaire

(voir le chapitre VI laquo Les personnes de la Triniteacute raquo)

Il emploie cette notion encore une fois dans le mecircme chapitre laquo Il en va ainsi comme drsquoun

unique vers ou drsquoune unique proposition a chaque fois qursquoon les eacutenonce bien que les profeacuterations

soient multiples ou des essences numeacuteriquement diverses [hellip]968raquo

Dans le premier cas lrsquoessence se reacutefegravere au Pegravere Cela rappelle la formule drsquoHugues deacutecrite

plus haut Dans le deuxiegraveme les eacutenonceacutes diffeacuterents ont des essences diffeacuterentes

Etudions lrsquoemploi de lrsquoadverbe essentialiter En I 7 Achard dit que lrsquoesprit creacuteeacute ne peut pas

peacuteneacutetrer essentiellement un autre esprit creacuteeacute mais lrsquoesprit increacuteeacute le peut En I 49 le mode

drsquoexistence in intellectu est lagrave-bas essentiellement laquo tout comme lrsquointellect lui-mecircme tout comme 967 laquo Essentia autem simplex ut post monstrandum est juxta considerationem aliquam ad proprietatem Patris referri potest raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166-167 En plus Martineau fait attention sur lrsquoobscuriteacute de lecture drsquoessentie Note 9 968 laquo Quemadmodum versus unus vel propositio una quotienscumque proferatur etltsigt sint prolationes multae vel essentiae numero diversae raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166-169

372

Dieu lui-mecircme969 raquo En II 9 Achard parle de deux maniegraveres drsquoecirctre essentiellement lagrave-bas comme

laquo le ciel la terre et les autres choses creacuteeacutees raquo et comme les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu En II

10 il dit

laquo Lesquels [eacutenonceacutes] vrais parce qursquoils sont et sont dits vrais ici et lagrave-bas agrave partir des mecircmes

veacuteriteacutes peuvent par conseacutequent aussi ecirctre dits des lteacutenonceacutesgt vrais les mecircmes

numeacuteriquement et ici et lagrave-bas et ltecirctregt de part et drsquoautre essentiellement quand bien

mecircme sans doute ils ne sont point ici et lagrave-bas de la mecircme substance lagrave-bas en effet ils

sont eacuteternels ici selon lrsquoaffirmation de beaucoup ils ne le sont pas970 raquo

En II 13 Achard compare les ideacutees et les idos

in intellectu idea naturaliter

in actu idos essentialiter

En II 14 il est marqueacute que la forme premiegravere est lagrave-bas essentiellement

Ainsi en I 49 et II 14 Achard dit que les ecirctres qui existent in intellectu sont lagrave-bas

essentiellement Etre lagrave-bas pour les ideacutees et les eacutenonceacutes vrais (II 9) qui sont les ecirctres intelligibles

est leur maniegravere drsquoecirctre naturelle Les autres ecirctres sont lagrave-bas essentiellement en tant qursquoecirctres

intelligeacutes (II 9)

Les ecirctres qui existent ici ont leur maniegravere drsquoecirctre essentiellement qui les empecircche de se

peacuteneacutetrer lrsquoun lrsquoautre (I 7) Ils sont essentiellement comme les veacuteriteacutes qui sont prononceacutees (II 10) ou

comme les idos (II 13)

On peut conclure que dans le De unitate lrsquoadverbe essentialiter deacutesigne le fait

1) drsquoappartenir par sa nature au monde creacuteeacute in intellectu ou in actu

2) drsquoecirctre une uniteacute mateacuterielle qui ne peut pas peacuteneacutetrer une autre uniteacute mateacuterielle

Le dernier emploi correspond agrave la notion drsquoessence individuelle exposeacutee dans une des

doctrines des universaux citeacutees par Abeacutelard Cela correspond eacutegalement agrave un emploi de la notion

drsquoessentia dans le deuxiegraveme cas de II 10

En deacutefinitive lrsquoessentia dans le De unitate deacutesigne lrsquoessence individuelle indivisible qui fait

qursquoune chose soit une Elle correspond ainsi agrave lrsquohypothegravese 2 969 laquo Veluti et ipse intellectus veluti et ipse Deus raquo De unitate I 49 eacuted MARTINEAU p 132-133 970 laquo Quae vera quia et hic et ibi a veritatibus eisdem sunt et dicuntur vera ideo eadem etiam numero et hic et ibi possunt dici vera esse et utrobique essentialiter fortasse non ejusdem et hic et ibi substantiae Ibi enim sunt aeterna hic juxta multorum assertionem non aeterna raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 166-167

373

X313 Substantia

Nous avons retenu quatre applications diffeacuterentes de la notion de substantia dans le De

unitate

1) Pour la premiegravere fois le mot substantia apparaicirct en I 10-11 pour introduire les substances

de blancheur drsquoeacutegaliteacute et de sagesse (voir le chapitre V laquo Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu raquo) Comme

nous lrsquoavons eacutetabli la substantia dans ce contexte deacutesigne lrsquoaccident universel et joue le rocircle tantocirct

du sujet tantocirct du preacutedicat dans la preacutedication Elle correspond ainsi agrave lrsquoaccident universel dans la

logique drsquoAristote Il a eacuteteacute eacutegalement eacutetabli que crsquoest le fait drsquoappartenir agrave la substance unique de

Dieu qui permet agrave ces laquo substances raquo drsquoexercer de telles fonctions

2) En I 14-15 il srsquoagit de la substance de Dieu qui est une et indivisible En I 16 21 22

24 Achard deacutecrit la Triniteacute en tant qursquoUniteacute ce qui lui est Egal et Egaliteacute Dans son argumentation

il affirme souvent que ces trois personnes ont la mecircme substance Dans ces chapitres la substantia

est synonyme de la natura

En geacuteneacuteral dans les chapitres I 13-36 Achard sous-entend par la substantia la substance de

Dieu qui est celle de la Triniteacute Il est important que la pluraliteacute des personnes soit substantielle en

Dieu (I 14) que les proprieacuteteacutes des personnes (ecirctre uniteacute ce qui lui est eacutegal lrsquoeacutegaliteacute) proviennent

de sa substance (I 21-22) que la procession en Dieu soit de sa substance selon sa substance et

selon sa volonteacute (I 28-29 34) et que les noms des personnes soient aussi donneacutes selon les qualiteacutes

substantielles (I 30)

En outre en I 15 Achard dit que la substance des raisons eacuteternelles est eacutegalement une En I

38 Achard dit que les raisons sont une Raison selon la substance (de Dieu) et selon la personne (le

Christ) De cette faccedilon les raisons eacuteternelles sont en Dieu et la substance des raisons eacuteternelles est

celle de Dieu

Ainsi dans les chapitres I 14-36 la substance signifie la substance unique de Dieu

3) La nouvelle application de la notion de substantia est introduite en I 43 Achard y

emploie les cateacutegories drsquoAristote

laquo Crsquoest donc de toute eacuteterniteacute qursquoil [Dieu] eut preacutesentes aupregraves de soi avant que rien ne fucirct

non seulement les substances de tout ce qursquoil ferait mais encore leurs quantiteacutes et leurs

nombres leurs lieux et leurs temps etc971 raquo

971 laquo Ab aeterno igitur antequam quicquam esset apud se praesentes habuit omnium quae facturus erat non solum substantias sed et quantitates et numeros loca et tempora etc raquo De unitate I 43 eacuted MARTINEAU p 114-115

374

Les distinctions semblables agrave celles drsquoAristote ont aussi eacuteteacute employeacutees dans les chapitres I

45 46 et II 3 Achard y introduit les dix cateacutegories drsquoAristote mais aussi les anteacutepreacutedicaments972

Nous allons faire une liste des cateacutegories employeacutees par Achard ayant pour exemple celle de

lrsquoeditio composita

PREDICAMENTA

De

predicamentis

4 translatio

Boethii973

I 43

I 43 I 45 I 46 Ii 3

substantia quae substantia formae

substantiales

substantia ea quae

substantialia

accidentales accidentalia

quantitas quanta quantitates

numeri

quantitas quantitates

qualitas qualia qualitas qualitates

ad aliquid qualiter ad ipsum

vel ad invicem

referenda

ubi

quando

situs

habere

facere

pati

activa

passiva

ubi

quando

qualiter in suis

ponenda locis

habitura

tempora

loca

972 Les termes exposeacutes dans la premiegravere partie des Cateacutegories drsquoAristote A propos de la division des Cateacutegories voir R BODEUumlS laquo Intoduction raquo dans ARISTOTE Cateacutegories eacuted R BODEUumlS Paris 2001 (Collection des universiteacutes de France 415) p XLI-XLVII 973 Aristoteles latinus eacuted L MINIO-PALUELLO t I 1-5 Categoriae vel Praedicamenta Bruges-Paris 1961 (Corpus philosophorum medii aevi) p 48 Lrsquoeacutedition composita ou vulgata qui a circuleacute agrave lrsquoeacutepoque est le paraphrase de Boegravece et des certains commentaires faits probablement au deacutebut du Xe siegravecle Cf MINIO-PALUELLO L laquo The Text of the Categoriae The Latin Tradition raquo The Classical Quarterly t 39 1945 p 71

375

ANTIPREDICAMENTA

De predicamentis 3

translatio Boethii

I 45 II3

genus generales genera genera

species speciales species species

differentia

individua individua

Dans sa preacutesentation des cateacutegories Achard modifie les noms et lrsquoordre des cateacutegories974 Il

distingue aussi la substance et les accidents

Achard ne reprend pas les anteacutepreacutedicaments drsquoAristote (genre espegravece diffeacuterence) Son

choix des eacuteleacutements ndash genre espegravece et individu ndash va dans le sens de la structure hieacuterarchique de la

reacutealiteacute telle qursquoelle eacutetait vue dans le neacuteoplatonisme En I 45 Achard fait eacutegalement la distinction

suivante

formae

substantiales accidentales

communes generales

singulares speciales

Cette distinction rappelle celle du chapitre V des Cateacutegories drsquoAristote la substance

premiegravere et seconde dont la deuxiegraveme contient les genres et les espegraveces

Tenant compte de cette preacutesentation il est logique de supposer que en I 43 et 44 par les

substances Achard entend les substances premiegraveres et deuxiegravemes drsquoAristote

4) En I 48 Achard deacutecrit les choses qui sont intelligeacutees de la mecircme substance qursquoelles ont

ici Et crsquoest gracircce agrave cela qursquoelles sont intelligeacutees comme muables et temporelles (I 49) En I 50 il

souligne que les choses ici et lagrave-bas nrsquoont pas la mecircme substance de mecircme que les eacutenonceacutes agrave

propos des choses creacuteeacutees (II 10) Quant aux eacutenonceacutes qui parlent de Dieu ils ont la substance des

974 Josef Loumlssl remarque que pour eacutetablir le chemin de la transmission indirecte des Cateacutegories il faut eacutetudier lrsquoordre dans laquelle elles sont exposeacutees Lrsquoune des sources possibles de cette doctrine chez Achard pouvait ecirctre le De categoriis decem de Pseudo Augustin cependant son ordre de preacutesentation (usia quantitas qualitas ad aliquid iacere facere pati ubi quando habere raquo) ne correspond pas totalement agrave celui drsquoAchard non plus Voir J LOSSL laquo Augustinersquos use of Aristotlersquos categories in De Trinitate raquo dans Le De Trinitate de Saint Augustin Exeacutegegravese logique noeacutetique eacuted E BERMON et G OrsquoDALY Paris 2012 p 120-121

376

ecirctres eacuteternels (II 9) Les vertus et les veacuteriteacutes sont une Vertu et une Veacuteriteacute selon leur substance (II 3

et 11)

Dans le chapitre II 1 Achard distingue clairement deux substances infeacuterieure (celle des

formes creacuteeacutees) et supeacuterieure (celle de la forme premiegravere) La substance des ecirctres lagrave-bas est

laquo intellectuelle eacuteternelle vivante et intelligente plus encore la vie mecircme lrsquointelligence et la

lumiegravere975 raquo En mecircme temps Achard preacutecise que crsquoest seulement la forme premiegravere qui est lagrave-bas

cette substance eacuteternelle Les formes deuxiegravemes (formes creacuteeacutees ou ideacutees) et les formes troisiegravemes

ont la substance du monde et sont seulement intelligeacutees lagrave-bas (II 13-15 voir eacutegalement les

chapitres laquo Forma raquo laquo Intellectus raquo et laquo Le Verbe et les raisons raquo)

En ce qui concerne les raisons causales Achard dit que la raison est en elle-mecircme (lagrave-bas)

substantiellement et dans la creacuteature par la gracircce (II 17) Et mecircme si le jugement de la raison est

faux la substance de la raison reste immuable Il paraicirct qursquoecirctre substantialiter pour les raisons

causales est le mode principal drsquoexister comme pour les formes drsquoecirctre in intellectu

Ainsi Achard introduit une nouvelle application pour substantia la substance du monde

qui est opposeacutee agrave celle de Dieu976

Les significations de lrsquoadjectif substantialis et lrsquoadverbe substantialiter correspondent aux

significations respectives du mot substantia Les expressions pluralitas substantialis (I 12-13 et 15)

et personalitas substantialis (I 14) deacutesignent la pluraliteacute des substances et la personnaliteacute

laquo implanteacutee raquo dans la substance Lrsquoemploi de lrsquoadjectif substantialis dans les chapitres I 44-45 et

II 3 a eacuteteacute deacutejagrave analyseacute comme celui qui deacutemontre lrsquoapplication des dix cateacutegories drsquoAristote

(formes substantielles accidentelles etc) Lrsquoadverbe substantialiter en II 3 deacutesigne le fait que les

vertus sont une Vertu dans la substance de Dieu

En deacutefinitive la notion de substantia a les applications suivantes

- la substance de Dieu

- la substance du monde

- la substance-accident universel (uniteacute sagesse)

- la substance individuelle (la substance premiegravere drsquoAristote) et geacuteneacuterales (deuxiegravemes)

Ainsi Achard reprend la doctrine meacutedioplatonicienne de deux substances supeacuterieure et

infeacuterieure Il incorpore eacutegalement les eacuteleacutements du systegraveme aristoteacutelicien les substances premiegraveres

(individuelles) et les accidents universels

975 laquo Nulla earum est quae substantia non sit intellectualis aeterna vivens et intelligens sed et ipsa vita intelligentia et lux unde omnes illuminamur et intelligimus raquo De unitate II 11 eacuted MARTINEAU p 170-171 976 La mecircme distinction sur la substance creacuteeacutee et increacuteeacutee a eacuteteacute deacutecrite par Ilkhani sauf quil lrsquoexplique du point de vue ontologique ndash comme celle qui deacutesigne les degreacutes diffeacuterents de lrsquoecirctre M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 164

377

X314 Res

Le mot res a plus de 200 occurrences dans le De unitate Pourtant Achard ne le deacutefinit pas

Lrsquoemploi des expressions res universalis et res subjecta montre que la notion de res peut deacutesigner

des objets diffeacuterents intelligibles et sensibles Essayons de deacutefinir les principales applications de la

res dans le De unitate

Dans la premiegravere partie du De unitate (I 1-36) le mot res est rare (ce qui est probablement

ducirc au fait que dans cette partie il est question de la reacutealiteacute increacuteeacutee et que res srsquoemploie surtout pour

parler des reacutealiteacutes creacuteeacutees) Neacuteanmoins des expressions comme res creata (I 3) et res insensata (I

29) sont preacutesentes Ces expressions sont destineacutees agrave souligner le statut creacuteeacute de la res par rapport agrave la

reacutealiteacute increacuteeacutee Dans le premier cas ndash par rapport agrave lrsquouniteacute dans le deuxiegraveme par rapport aux

personnes de la Triniteacute

Lrsquoexpression rationes rerum se trouve dans les deux parties du De unitate ndash (I 13 14 38 et

39 II 3-6 8 10-11) Une autre acception tregraves freacutequente est formae rerum977 (I 41-44 ndash 9 fois et I

50 ndash 2 fois II 1 5 8 18) mais aussi forma cujuslibet rei (I 41 II 1 3) La notion de forma

apparaicirct dans le texte drsquoAchard comme relieacutee et opposeacutee agrave celle de res Une forme et une chose

peuvent avoir le mecircme contenu quand une est le prototype (exemplar) drsquoune autre mais des qualiteacutes

opposeacutees car une forme semble ecirctre in intellectu et une chose in actu

Il serait possible de conclure qursquoAchard deacuteveloppe la doctrine de deux niveaux drsquoexistence

les formes et les choses Pourtant agrave partir du chapitre I 46 il deacutecrit les choses qui sont ici et lagrave-bas

et en I 50 il dit en reacutesumeacute que leur diffeacuterence mutuelle correspond agrave deux modes drsquoexistence ndash in

intellectu et in actu (voir aussi le chapitre IX laquo Intellectus raquo) Les deux modes drsquoexistences sont

applicables aux formes et aux choses

Dans le traiteacute II Achard explique comment les choses sont in intellectu La forme premiegravere

possegravede en elle-mecircme les choses avant qursquoelles aient eacuteteacute formeacutees in intellectu et creacuteeacutees in actu En

deacutecrivant la formation des choses Achard preacutecise qursquoelles ont eacuteteacute creacuteeacutees non seulement de Verbo

mais aussi in Verbo (II 2) Donc les choses eacutetaient conccedilues in Verbo (dans la forme premiegravere)

avant leur creacuteation mateacuterielle978 Il srsquoagit dans ce cas des choses in intellectu ou les dormes

individuelles (voir le chapitre laquo Intellectus raquo) Ces choses in intellectu restent dans leur forme

premiegravere mecircme apregraves avoir eacuteteacute accomplies in actu

Les choses in actu sont eacutegalement preacutesenteacutees dans le De unitate Pour souligner que les

choses sont diffeacuterentes des formes Achard emploie lrsquoexpression res subjectae Ces choses sujettes

977 Cette expression a eacuteteacute remarqueacutee par Andreacute Combes dans A COMBES Un ineacutedit de saint Anselme Le traiteacute laquo De unitate divinae essentiae et pluralitate creaturarum raquo Paris 1944 p 157 978 Voir eacutegalement laquo ipsa ergo primum est exemplar omnium formaque prima in qua est intellectualis rerum formatio aeterna raquo De unitate II 2 eacuted MARTINEAU p 140

378

sont opposeacutees aux nombres (II 5) aux universaux (res universales II 8) aux eacutenonceacutes vrais agrave

propos des choses (II 10) aux formes troisiegravemes ou idos (II 14) et aux raisons eacuteternelles (II 16)

Ces uniteacutes intelligibles se reacutealisent dans des choses sensibles

Lrsquoexpression res corporea (I 48) deacutesigne eacutegalement une chose du monde sensible Elle peut

apparaicirctre cesser drsquoexister et changer

Les choses eacuteternelles (les eacutenonceacutes agrave propos de Dieu qui ont une nature purement intelligible

II 9) existent in intellectu et in actu

Dans les chapitres II 16-21 la res ne joue plus de rocircle important Achard traite la deuxiegraveme

sorte des raisons crsquoest-agrave-dire les raisons causales Dans leur cas lrsquoattention se porte non seur les

formes des choses mais sur les causes des œuvres (causae operum)

En deacutefinitive la res a les applications suivantes

- un objet creacuteeacute

- une instanciation sensible drsquoune uniteacute intelligible

- une uniteacute intelligible

X315 Materia

La matiegravere nrsquoest pas une notion freacutequente dans le De unitate (18 occurrences) Achard utilise

cette notion dans le contexte de la question du changement des ecirctres creacuteeacutes avec le temps (I 48) et

du statut des idos (II 13-14)

La matiegravere a ses qualiteacutes propres (sa nature) qui influencent les ecirctres ayant la matiegravere parmi

ces composants Crsquoest la matiegravere qui permet aux corps drsquoavoir des formes diffeacuterentes tout au long

de leur existence979 Pourtant Achard remarque que ce sont plutocirct les qualiteacutes drsquoune forme qui

caracteacuterisent une chose concregravete et les qualiteacutes drsquoune matiegravere sont dites agrave propos de cette chose

laquo par adjonction raquo (cum adjuncto)980

Cependant il semble que la matiegravere donne quelques qualiteacutes geacuteneacuterales aux choses Les idos

sont dans la matiegravere (II 13) Les formes sont de cette maniegravere imprimeacutees dans la matiegravere et

exprimeacutees en elle corporellement Dans cet eacutetat elles sont temporelles corruptibles variables

etc981 Par conseacutequent les formes ont toutes ces qualiteacutes gracircce agrave la matiegravere

979 laquo Sed et in naturalibus contingere potest et contingit forsitan ut corpus idem numero manens nunc tamen sit haec arbor nunc illa vel nunc haec herba nunc illa quod utique in corporibus ex natura evenerit materiae raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-125 980 Achard utilise lrsquoexemple drsquoune bague ougrave la qualiteacute drsquoecirctre vieille srsquoapplique agrave la matiegravere et pas agrave la chose laquo Hoc autem et in multis reperitur similibus ut quid scilicet de quo dicatur cum adjuncto quod idem de eodem per se non vere dicitur eo quod in aliud redundat cujusvis et significatio quando cum alio profertur in aliud vero quando per se ponitur Sic enim anulus novus si aurum est vetus non tamen simpliciter vetus in hac siquidem locutione vetustas soli attribuitur materiae in illa formatione raquo De unitate II 10 eacuted MARTINEAU p 168-169 981 laquo Nec in forma alia ibi erat vel intelligebatur forma numero differens ab illa sed quae ibi erat vere et essentialiter ipsa ibi intelligebatur in se ipsa nec altera in illa Item prorsus numero illa eademque apud se vidit intellexit et habuit

379

Achard utilise les notions de matiegravere premiegravere des choses (materia prima rerum I 48) et de

matiegravere corporelle (materia corporalis I 39)

Ainsi la matiegravere est un composant des choses qui nrsquoest pas eacutevoqueacutee en I 43-44 Elle peut

ecirctre premiegravere ou corporelle Les corps sont constitueacutes de la matiegravere et de formes (I 39 et 48)

X316 Corpus

Dans la premiegravere partie du De unitate la notion de corpus est utiliseacutee dans deux questions

lrsquouniteacute des creacuteatures et la deacutefinition de la personne Achard deacutecrit deux eacuteleacutements qui sont lieacutes dans

une personne humaine lrsquoesprit et le corps982 La convenance des deux rend possible lrsquouniteacute

imparfaite des creacuteatures En I 14 Achard dit que la personne humaine est constitueacutee du corps et de

lrsquoacircme mais lrsquoacircme porte le nom de la personne per se (I 14)

Voici la reacutecapitulation de ces chapitres

I 7 I 14

personaliter personalitas humana

corpus corpus

spiritus anima

En I 39 en parlant des formes des choses Achard distingue de nouveau lrsquoesprit et le corps

Lrsquoesprit perccediloit une forme quelconque gracircce aux sens du corps et le corps a le pouvoir de

reproduire cette forme dans une matiegravere corporelle983 La forme introduite dans une matiegravere

correspond agrave lrsquoidos (II 13)

in rem formandam effudit ut hic esset in materia ltformagt quae apud illum usque erat absque omni materia et exacta etiam materiae cui est impressa et in qua temporaliter est expressa hic facta est temporalis quae in seipsa erat et est aeterna hic variabilis et corruptibilis ltquae ibi eratgt et ltestgt vere immortalis hic creata quae ibi increata raquo De unitate II 14 eacuted MARTINEAU p 174-176 982 laquo Unitas etiam quae rebus inest secundum quandam ipsarum aequalitatem pluralitatem et similitudinem tantam obtinet cum pulchritudine in convenientia et congruentia plurium sive corporum sive spirituum sive ad invicem amborum ut nullo inde tollenda sit modo ubi est summa pulchritudo raquo De unitate I 5 eacuted MARTINEAU p 72 laquo Quantumlibet enim duo conveniant corpora eundem tamen non occupant locum Sed nec spiritus quilibet creatus quantumcumque ad alium creatum accesserit spiritum in eo essentialiter esse poterit Solius siquidem increati et incircumscripti id videtur esse Spiritus spiritus videlicet creatos et circumscriptos penetrare et eis infundi essentialiter posse quamvis in corpore ante spiritus sit creatus non tamen in ipso similiter est corpus et longe eorum licet personaliter etiam cohaerentium natura dissidet raquo De unitate I 7 eacuted MARTINEAU p 74-76 983 laquo Aliud secundum quod id est forma libri quam intuetur animus vel ab intus propria ex communicatione sive aliqua revelatione conceptam vel a foris per corporis sensus introductam quam iterum per corporis instrumenta forinsecus in corporalem trajicit materiam ut et ibi sit corporaliter quod apud se et in se etiam cum effuderit eam retineat corporaliter raquo De unitate I 39 eacuted MARTINEAU p 108

380

Le sens est une faculteacute cognitive infeacuterieure de lrsquohomme Il appartient au corps984 En I 46

Achard dit que lrsquoœil du corps (oculo corporis) peut voir des ecirctres sensibles mais non des ecirctres

intelligibles Par contre lrsquoœil de lrsquointelligence (oculo intelligentiae) peut voir les ecirctres sensibles et

les ecirctres intelligibles mais de maniegraveres diffeacuterentes (I 46)

Dans le traiteacute II Achard deacutecrit trois eacuteleacutements creacuteeacutes toucheacutes par la veacuteriteacute le corpus (contient

lrsquoombre de la veacuteriteacute) le spiritus (contient la similitude) et la mens (contient lrsquoimage)985

Lrsquoadverbe corporaliter caracteacuterise les ecirctres in actu qui sont muables et variables Achard les

oppose aux ecirctres qui sont dans lrsquoesprit (in mente) en tant qursquointelligibles mais muables Et il les

oppose aux ecirctres qui sont dans lrsquoesprit de Dieu (in mente Dei) en tant qursquointelligibles eacuteternels et

immuables (I 46)986

En I 48 Achard deacutecrit les choses corporelles (res corporeae) qui sont constitueacutees de

matiegravere et de forme

Dans le traiteacute II du De unitate le corps est preacutesenteacute en tant que lieu ougrave les formes sont

instancieacutees Par exemple les nombres posteacuterieurs sont dans les corps987 ainsi que les universaux988

Il srsquoagit dans ce cas des corps mateacuteriels La doctrine drsquoAchard comprend aussi lrsquoexistence de corps

immateacuteriels comme les corps matheacutematiques (points lignes et surfaces)989

984 Voir eacutegalement laquo Longe autem hoc a sensu corporis et ideo minimam pulchritudinis rerum attingit partem Ratio autem nostra plus accedit et interius penetrat raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 132 985 laquo Numeri autem posteriores vestigia quaedam sunt primorum variis admixti accidentibus in quibus tamen vera unitas non sit nec ipsi adeo dici possint veri esse numeri quam verorum imagines quaedam in mentibus similitudines in spiritibus umbrae in corporibus raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 152 laquo Hic imago veritatis in mente creata vel similitudo veritatis in spiritu vel umbra veritatis in corpore quae ibi veritas sola et mens increata raquo De unitate II 14 eacuted MARTINEAU p 174 986 A comparer II 3 laquo Ibi si non in alios per participationes infinitas in ipsum tamen ltsecundumgt plenialdinem omnimodam ab aeterno processit deitas tota ut ibi ex tunc in eo habitet processione aeterna omnis plenitudo divinitatis intellectualiter quae postmodum in temporis plenitudine in eo coepit processione temporali habitare corporaliter raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 146 et II 15 laquoQuemadmodum idem versus cum intus id est juxta modum existendi quem in sola habet mente per intelligentiam sive memoriam sit incorporalis inaudibilis invisibilis extra autem in prolatione [quia] audibilis in scriptura visibilis et sic in utraque corporalis non tamen absolute quia versus sic corporalis idem et incorporalis audibilis et inaudibilis visibilis et invisibilis raquo De unitate eacuted MARTINEAU p 176 987 laquo Numeris autem hujusmodi qui intellectuales sunt et primi omnes eos qui in spiritibus sive in corporibus sive in rebus quibuslibet sunt quos Augustinus numerabiles vocat numeros numeramus Numeri autem posteriores vestigia quaedam sunt primorum variis admixti accidentibus in quibus tamen vera unitas non sit nec ipsi adeo dici possint veri esse numeri quam verorum imagines quaedam in mentibus similitudines in spiritibus umbrae in corporibus raquo De unitate II 5 eacuted MARTINEAU p 150-2 988 laquo Omnium quadratorum corporum forma cujus participatione et ipsa fiunt quadrata corpora Haec autem forma quae quadrati corporis vocabulo significatur aliud non est nisi generis quadratorum omnium corporum raquo De unitate eacuted MARTINEAU II 8 p 160 989 laquo Ut circa lineam gratia exempli ltquiagt punctis non constat vel superficiem quia ipsa nec ex lineis vel corpus quia nec ipsum ex superficiebus ltpunctosgt autem ltvelgt lineas vel superficies intelligimus incorporales quales eas concipit vel definit ratio quae ad sensum vel imaginationem nunquam venire possunt sed in sola rationis vel intellectus comprehensibilitate subsistunt quae forsitan aliud non sunt nisi mensurae quaedam et formae intelligibiles earum quae in corporibus sunt longitudinum atque latitudinum veluti et corpora ipsa quae appellantur mathematica quae determinantur secundum vim et rationes numerorum aliud esse non videntur nisi formae quaedam intelligibiles eorum quae actu sunt vel esse possunt corporum sensibilium vel rationes quaedam numerorum per quas de illis doctrina constituitur raquo De unitate eacuted MARTINEAU II 7 p 158

381

Ainsi le corps est un objet existant dans le monde sensible Dans la premiegravere partie du De

unitate il fait la partie de la persona (ensemble avec spiritus) Dans la deuxiegraveme partie le corps

deacutesigne lrsquouniteacute individuelle sensible qui est constitueacutee de matiegravere et de formes

X317 Reacutecapitulation

En I 48 Achard eacutenumegravere les uniteacutes qui sont dans le monde

laquo Et crsquoest pourquoi lrsquoon ne conccediloit point que rien de semblable puisse advenir dans le

domaine des esprits qui nrsquoont pas de matiegravere non plus que dans celui des formes quelles

qursquoelles soient non plus que dans la matiegravere seule mais seulement dans ce qui consiste en

matiegravere et en formae990 raquo

laquo Mais si Dieu peut ce qui vient drsquoecirctre dit agrave propos de tous les ltecirctresgt comment cependant

le peut-il agrave propos des esprits ou encore de ces ltecirctresgt qui sont des assemblages drsquoesprits et

de corps ou encore de la matiegravere premiegravere des choses ou de toute forme ou encore de bien

des ecirctres qui consistent en matiegravere et en forme 991 raquo

Voici la liste des uniteacutes

- les esprits (spiritus)

- celles qui sont composeacutees des esprits et des corps (laquo quae ex spiritibus corporibusque

compacta sunt raquo)

- la matiegravere premiegravere des choses (materia rerum prima)

- une forme (qualibet forma)

- celles qui sont constitueacutees de matiegravere et de forme (laquo quae constant de materia et forma raquo)

Cette liste avec les notions que nous avons eacutetudieacutees avant permet drsquoeacutetablir lrsquoimage du

monde selon Achard de Saint-Victor

990 laquo Unde et simile aliquid non putatur in spiritibus qui materiam non habent fieri posse sed nec in formis quibuslibet nec etiam in materia sola sed in eo solum quod constat ex materia et forma raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124 991 laquo Si autem Deus id quod praedictum est de omnibus potest quomodo tamen id de spiritibus potest vel etiam de illis quae ex spiritibus corporibusque compacta sunt vel de materia rerum prima vel de qualibet forma vel de multis etiam quae constant de materia et forma raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 126

382

forma prima ibi substantia

Dei formae res universalis

numeri etc

res subjectae

hic

substantia

substantia =

forma

+

essentia

res =

forma

+

essentia simplex

res corporea

(corpus) =

forma

+

materia

res (persona

humana) =

spiritus (ou

anima)

+ corpus

materia rerum prima

Ce tableau ne reflegravete pas tous les eacuteleacutements eacutetudieacutes ci-dessus Par exemple essentia peut

deacutesigner lrsquoessence individuelle ou aussi lrsquoessence de tout comme chez Erigegravene Achard parle aussi

une fois de la matiegravere corporelle (I 39) La notion de res est ambivalente car elle peut ecirctre in

intellectu ainsi qursquoin actu (res corporea)

X32 Quel est le principe drsquoidentiteacute de lrsquouniteacute creacuteeacutee

En I 48 Achard traite le problegraveme de changement des choses dans le temps

laquo Dans les choses corporelles en effet une chose numeacuteriquement la mecircme demeure en un

temps deacutetermineacute une certaine chose la mecircme numeacuteriquement qursquoelle eacutetait et puis ltdans un

deuxiegraveme tempsgt elle cesse drsquoecirctre une certaine chose qursquoelle eacutetait et elle devient une

certaine chose numeacuteriquement autre qursquoelle nrsquoeacutetait de telle sorte que en des temps

diffeacuterents elle est tantocirct une certaine chose numeacuteriquement une tantocirct une certaine chose

numeacuteriquement autre tout en demeurant ensuite une chose numeacuteriquement une et qursquoelle

peut selon divers aspects ecirctre dite aussi bien la mecircme chose numeacuteriquement qursquoelle fut agrave

savoir un corps numeacuteriquement le mecircme qursquoune chose numeacuteriquement autre qursquoelle ne fut

au sens ougrave par exemple une statue une coupe ou tout autre ouvrage de lrsquoart ltsi on le

deacutemolit et qursquoon en reforme un autre semblable devientgt autre par le nombre tout en

demeurant ltce qursquoil est statue coupegt mdashet tout lten restantgt aussi un mecircme ouvrage de la

nature ltun mecircme meacutetalgt Du reste dans le domaine des ltecirctresgt naturels aussi il peut

arriver et il arrive sans doute qursquoun corps qui demeure le mecircme par le nombre soit

383

neacuteanmoins tantocirct cet arbre-ci tantocirct celui-lagrave ou bien tantocirct cette herbe-ci tantocirct celle-lagrave ce

qui dans les corps se produit assureacutement agrave cause de la nature de la matiegravere992 raquo

Nous croyons que dans ce passage il faut distinguer laquo une certaine chose raquo et laquo une chose

corporelle raquo laquo Une certaine chose raquo est une uniteacute intelligible laquo Une chose corporelle raquo ou un corps

repreacutesente lrsquouniteacute mateacuterielle

Achard parle drsquolaquo une chose numeacuteriquement la mecircme raquo Supposons que cette expression

renvoie agrave la deacutefinition de la diffeacuterence numeacuterique (numero differentia) de Boegravece Etre laquo

numeacuteriquement la mecircme raquo selon Boegravece deacutesigne lrsquoidentiteacute absolue de deux objets Etre laquo une

certaine chose numeacuteriquement autre raquo implique lrsquoapparition drsquoune chose2 agrave partir drsquoune chose1 de

sorte que la chose2 nrsquoest plus identique agrave une chose1 Il srsquoagit bien dans ce cas drsquoune chose qui est

une uniteacute intelligible Quand elle change elle perd son identiteacute Srsquoagit-il dans ce cas drsquoun

changement accidentel ou substantiel Lrsquoexemple proposeacute (deux statues faites de la mecircme matiegravere)

fait penser qursquoun changement de forme substantielle a lieu

En mecircme temps une chose corporelle reste la mecircme Il srsquoagit bien de la mecircme matiegravere Et

crsquoest dans ce sens qursquoune chose reste laquo selon divers aspects la mecircme chose numeacuteriquement qursquoelle

fut raquo

Ainsi Achard entend que dans le monde sensible tandis que la partie intelligible drsquoune

chose change la partie sensible (corps) peut rester la mecircme

Ensuite Achard preacutecise le rocircle de la matiegravere et des formes

laquo Mais seulement dans ce qui consiste en matiegravere et en forme ougrave une matiegravere mecircme

identique reccediloit et deacutepose suivant sa qualiteacute des formes diverses de sorte qursquoagrave cause de

lrsquouniteacute numeacuterique de la matiegravere la chose demeure numeacuteriquement une mais qursquoagrave cause de la

variation des formes elle cesse drsquoecirctre mecircme et devient autre993 raquo

Drsquoapregraves Achard les changements sont possibles seulement dans les ecirctres qui sont constitueacutes

de matiegravere et de formes Les formes changent tandis que la matiegravere reste numeacuteriquement une Dans

ce passage Achard distingue encore une fois une chose corporelle qui reste la mecircme et une chose 992 laquo In rebus namque corporeis tempore eodem res eadem numero remanenlt quaedam numero eadem quae erat et desinit esse quaedam quae erat et efficitur res quaedam numero altera quam erat ut sit temporibus diversis modo res quaedam numero una modo quaedam numero altera manens tamen et post res numero una et possit secundum diversa dici et res eadem numero quae fuit utpote corpus numero idem et res numero altera quam fuit quemadmodum statua altera vel scyphus alter vel quodlibet hujusmodi opus artificiale numero alter ltgt manens quamvis etiam ipse idem opus naturale Sed et in naturalibus contingere potest et contingit forsitan ut corpus idem numero manens nunc tamen sit haec arbor nunc illa vel nunc haec herba nunc illa quod utique in corporibus ex natura evenerit materiae raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-5 993 laquo Sed in eo solum quod constat ex materia et forma in quo et materia eadem pro sua qualitate varias suscipit et deponit formas ut propter materiam numero unam maneat res numero una propter formarum variationem desinat esse lteadem et fiatgt altera raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124

384

intelligible qui change En deacutefinitive le corps reste un gracircce agrave sa matiegravere et les formes qui lui

correspondent varient

Voici comment le mecircme corps existe lagrave-bas

laquo Lagrave-bas dis-je ce corps est vu simultaneacutement et dans une certaine uniteacute corporelle agrave lui

propre et dans toute cette multipliciteacute ou plutocirct cette infiniteacute de formes par laquelle tout en

demeurant lui-mecircme numeacuteriquement il varie ou peut agrave ce point varier994 raquo

Rappelons la notion drsquoune chose in intellectu et in actu proposeacutee en I 43 et 46 Une chose in

intellectu contient toutes les variations possibles drsquoune chose in actu selon les dix cateacutegories Une

chose in intellectu est un faisceau de formes Ces formes varient in actu Ainsi plusieurs formes qui

varient ici dans le mecircme corps existent lagrave-bas simultaneacutement Achard propose lrsquoimage du monde

intelligible qui est statique lagrave-bas Le monde sensible ici est au contraire dynamique Les corps

changent dans le temps La matiegravere permet agrave un corps de rester un

Auparavant nous avons poseacute la question est-ce qursquoune chose in intellectu est individuelle

laquo En effet tout ce qui est ici est aussi lagrave-bas mais tout ce qui est lagrave-bas nrsquoest pas ici et tous

les ecirctres qui se succegravedent aussi ici sont simultaneacutement lagrave-bas en raison de leur vitaliteacute et de

leur eacuteternaliteacute naturelles drsquointellection Simultaneacutement donc ce qui ne peut arriver dans les

creacuteatures la mecircme chose est lagrave-bas une certaine chose numeacuteriquement une et une certaine

chose numeacuteriquement autre plus encore ltelle estgt autant de choses que Dieu peut

veacuteritablement en faire crsquoest-agrave-dire en nombre infini et en toutes pourtant elle-mecircme est lagrave-

bas une certaine chose mecircme et numeacuteriquement une995 raquo

Nous avons eacutetabli qursquolaquo ecirctre numeacuteriquement autre raquo peut impliquer le changement de la

forme substantielle Ainsi la chose peut varier indeacutefiniment in intellectu Il semble alors qursquoelle

nrsquoest pas individuelle Si une chose intelligible change de forme substantielle elle peut ecirctre

nrsquoimporte quelle chose corporelle dans le monde A la fin du chapitre I 48 Achard dit qursquoil est

digne de Dieu de voir les choses du monde et qursquoil les voit en totaliteacute (tota)

994 laquo Ibi inquam simul videtur et in sua quadam corporis unitate et in omni illa qua ipsum numero manens corpus variatur vel et adeo variari potest formarum multiplicitate vel potius infinitate raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-127 995 laquo Quicquid enim hic est et ibi sed non omne quod ibi est et hic et quaecumque et hic sibi succedunt ibi ex naturali vivacitate et aeternalitate intelligendi simul sunt Simul ergo quod in creaturis fieri nequit res eadem ibi est res quaedam numero una et res quaedam numero altera imo res numero tot quot vere ealtsgt Deus facere potest id est numero infinitae et in omnibus tamen ipsa eadem ibi est res quaedam numero una raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-5

385

Achard souhaite preacuteciser sa reacuteponse

laquo Lagrave-bas dis-je ce corps est vu simultaneacutement et dans une certaine uniteacute corporelle agrave lui

propre et dans toute cette multipliciteacute ou plutocirct cette infiniteacute de formes par laquelle tout en

demeurant lui-mecircme numeacuteriquement il varie ou peut agrave ce point varier996 raquo

Une chose intelligeacutee lagrave-bas est une chose corporelle faite ici Cela implique la conclusion

suivante

laquo Si donc ici et lagrave-bas les choses sont dites non seulement ecirctre les mecircmes par le nombre

mais encore ecirctre les mecircmes par le nombre parce que comme on lrsquoa dit non seulement ce

sont les mecircmes par le nombre qui sont ici et sont intelligeacutees lagrave-bas mais encore elles sont

intelligeacutees lagrave-bas comme les mecircmes numeacuteriquement qursquoelles sont ici il srsquoensuit que par la

mecircme raison et pour la mecircme cause elles seront dites de la mecircme substance de la mecircme

quantiteacute et de la mecircme qualiteacute qursquoelles sont ici Lagrave-bas en effet est intelligeacutee et la

substance et la quantiteacute et la qualiteacute qursquoelles ont ici et encore absolument toutes les autres

proprieacuteteacutes997 raquo

Dans le passage citeacute il srsquoagit drsquoune chose corporelle Elle est conccedilue lagrave-bas avec lrsquoensemble

des changements qursquoelle subirait tout au long de son existence Le fait mecircme qursquoune chose

corporelle in intellectu puisse avoir des qualiteacutes diffeacuterentes selon les dix cateacutegories sert agrave

deacutevelopper cette chose in actu Il semble qursquoune chose intelligible a quand mecircme une certaine

identiteacute et par conseacutequent les choses intelligibles sont diffeacuterentes entre elles car elles sont des

prototypes des diffeacuterentes choses corporelles in actu

Dans les chapitres I 49-50 Achard insiste sur le fait que le mode in intellectu comprend les

ecirctres in actu Nous avons dit que cela implique lrsquoidentiteacute qualitative des choses in intellectu et in

actu agrave savoir les choses in intellectu comprennent les qualiteacutes des ecirctres in actu Il est possible que

le mecircme principe srsquoapplique agrave lrsquoidentiteacute quantitative Les choses in intellectu ont toutes les formes

possibles et en cela elles ne sont pas diffeacuterentes les unes des autres En mecircme temps chaque chose

996 laquo Ibi inquam simul videtur et in sua quadam corporis unitate et in omni illa qua ipsum numero manens corpus variatur vel et adeo variari potest formarum multiplicitate vel potius infinitate raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 124-7 997 laquo Si ergo hic et ibi dicuntur res non solum eaedem numero esse sed et esse eaedem numero quia ut dictum est non solum eaedem numero hic sunt et intelliguntur ibi sed et ibl intelliguntur ut eaedem numero quod hic sunt consequens est ut ratione et causa eadem dicantur ibi esse ealtegtdem ipsaltegt secundum substantiam quae hic sunt et quamae hic sunt et quales hic sunt Ibi enim intelligitur earum quam hic habent et substantia et quantita et qualitas sed et caetera prorsus omnia raquo De unitate I 48 eacuted MARTINEAU p 128-9

386

comporte son laquo histoire raquo ndash le faisceau des qualiteacutes successives qursquoelle aura eues lors de son

existence in actu998

Quel est le principe drsquoidentiteacute drsquoune chose in actu Les passages eacutetudieacutes nous poussent agrave

dire qursquoil srsquoagit de lrsquouniteacute corporelle de la matiegravere et non de la forme substantielle Achard insiste

sur le fait que laquo lrsquohistoire drsquoune chose raquo (tous les changements de cateacutegories qursquoelle peut avoir subis

lors de son existence) est concentreacutee autour de la matiegravere qursquoelle occupe en tant que corps Une

chose in intellectu est unique car elle contient le modegravele preacutecis drsquoune chose future in actu

Contrairement agrave Hugues de Saint-Victor Achard ne se demande pas si une chose reste la

mecircme quand elle augmente ou diminue Lrsquoexemple drsquoune statue (ecirctre inanimeacute) montre qursquoelle reste

la mecircme chose quand elle garde la mecircme quantiteacute de matiegravere Mais lrsquoexemple drsquoun arbre montre

qursquoil imagine un ecirctre naturel (naturalis) comme un corps qui est une certaine uniteacute mateacuterielle

(materiam numero unam) Quand une herbe se transforme en un arbre sa quantiteacute de matiegravere

change Et pourtant Achard les deacutecrit comme une chose corporelle

En deacutefinitive en I 48 par la res Achard comprend une chose intelligible qui consiste en des

formes substantielles et accidentelles De plus il formule le problegraveme de lrsquoidentiteacute comme identiteacute

drsquoune chose dans les changements et non comme multiplication De cette faccedilon sa maniegravere de

poser la question est plutocirct aristoteacutelicienne Crsquoest lrsquouniteacute mateacuterielle du corps qui reste identique

dans les changements Sa reacuteponse est platonicienne une chose corporelle in actu est unique car elle

garde la mecircme matiegravere lors de ses changements Et une chose in intellectu est diffeacuterente des autres

car elle est le prototype drsquoune chose concregravete corporelle Une chose in actu est identique agrave une

chose in intellectu mais une chose in intellectu contient plus drsquoeacuteleacutements qursquoune chose in actu

Les ecirctres sensibles selon Achard de Saint-Victor ont eacutegalement drsquoautres eacuteleacutements que les

formes Il existe les essences (ou lrsquoessence) et la matiegravere Achard parle eacutegalement des ecirctres animeacutes

(les corps qui contiennent lrsquoacircme ou lrsquoesprit) mais il ne deacuteveloppe pas ce sujet dans le De unitate

Achard emploie la notion de substance Elle peut ecirctre celle de Dieu (y compris la forme

premiegravere) et celle du monde Cette dichotomie se reacutefegravere sucircrement agrave la maniegravere de diviser le monde

en deux propre au meacutedioplatonisme Dans la premiegravere partie du De unitate les substances

deacutesignent les genres (les accidents universaux selon Boegravece) ce qui se reacutefegravere agrave la tradition de la

logique platonicienne Dans la deuxiegraveme partie Achard utilise la notion de forme substantielle Vu

que les autres cateacutegories drsquoAristote sont preacutesentes il srsquoagit probablement de la substance en tant que

premiegravere cateacutegorie qui peut deacutesigner lrsquoindividu concret ou le genre Les substances inteacuteressent 998 Ilkhani arrive agrave la mecircme conclusion M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 175-6

387

Achard car elles sont connues par Dieu Il ne parle jamais du fait qursquoelles subsistent ou reccediloivent les

formes De cette faccedilon Achard reprend partiellement la doctrine de la substance des penseurs tardo-

antiques (Calcidius et Boegravece)

En effet le potentiel de la notion de forme substantielle reste non utiliseacute par Achard

Aristote introduit cette notion pour deacutefinir une chose La substance premiegravere chez Aristote est la

chose concregravete elle-mecircme lrsquouniteacute minimale de son systegraveme meacutetaphysique La substance seconde

geacuteneacuterique ou speacutecifique reccediloit chez les successeurs drsquoAristote le nom de la forme substantielle

Crsquoest un eacuteleacutement qui reste stable dans les changements et de cette faccedilon il deacutefinit la chose Dans le

De unitate crsquoest lrsquouniteacute corporelle (I 48) qui fait qursquoune chose sensible reste elle-mecircme dans les

changements

Lrsquoessentia dans le De unitate deacutesigne lrsquoessence drsquoun ecirctre particulier Elle nrsquoest pas

perceptible ni connaissable (I 43) et elle se reacutefegravere au Pegravere (II 4) Lrsquoexpression essentia simplex

(II 10) employeacutee dans les doctrines drsquoErigegravene et de Guillaume de Champeaux et indique lagrave

lrsquoessence unique de tous les ecirctres999 Mais le fait que chez Achard lrsquoessence reacutefegravere au Pegravere

rapproche sa doctrine de celle drsquoHugues qui dit que lrsquoessence est la manifestation du Pegravere dans le

monde (De tribus diebus XVI) Cela fait de lrsquoessence un eacuteleacutement principal qui fait qursquoune chose est

ce qursquoelle est A notre avis il est ainsi fort possible qursquoAchard suive la mecircme doctrine qursquoHugues

Les choses existent de deux faccedilons selon Achard intelligible et sensible Les choses

sensibles sont dans le monde creacuteeacute elles sont sujettes aux universaux et aux autres notions

communes Elles sont corporelles et donc elles restent elles-mecircmes le temps qursquoelles gardent

lrsquouniteacute mateacuterielle du corps Les choses intelligibles sont dans lrsquointellect de Dieu Chaque chose

intelligible contient lrsquohistoire de la vie drsquoune chose corporelle mais aussi tous les eacuteleacutements qui

peuvent constituer une chose Il existe aussi les choses universelles Elles sont constitueacutees drsquoun seul

eacuteleacutement lrsquouniversel

Une chose intelligible consiste en plusieurs formes y compris en des formes substantielles

et accidentelles Cette deacutefinition a eacuteteacute sucircrement influenceacutee par la doctrine des Cateacutegories drsquoAristote

qui deacutecrit un ecirctre concret comme lrsquounion de la substance (forme substantielle) et des accidents

(formes accidentelles) Cependant Achard nrsquoinsiste pas sur lrsquoimportance de la forme substantielle

dans la deacutefinition drsquoune chose La mecircme approche a eacuteteacute choisie par Gilbert de Poitiers qui deacutefinit un

subsistant (un ecirctre concret) comme faisceau drsquoune pluraliteacute de formes Les formes sont classeacutees

selon lrsquoordre du plus geacuteneacuterique au moins geacuteneacuterique de sorte que chaque forme est accrocheacutee agrave la

forme preacuteceacutedente comme agrave sa subsistance Chaque chose a un grand nombre de formes mais ce

999 Ilkhani pense aussi que lrsquoessence est unique de toutes les choses Il ne parle pas de la doctrine de lrsquoessence geacuteneacuterale mais seulement le fait que lrsquoessentia deacutesigne lrsquoesse des choses M ILKHANI La philosophie de la creacuteation chez Achard de Saint-Victor Bruxelles 1999 p 185

388

nombre est limiteacute par la forme principale Par exemple lrsquohomme a toutes les formes qui peuvent

appartenir agrave lrsquohomme sagesse capaciteacute de rire corporeacuteiteacute etc1000

La notion de corps utiliseacutee par Achard est assez standardiseacutee Le corps consiste en matiegravere et

en formes comme plusieurs penseurs tardo-antiques et meacutedieacutevaux le disent Achard utilise

eacutegalement la notion de corps matheacutematiques lesquels qui ne sont pas mateacuteriels

Achard reprend la notion de matiegravere premiegravere mais aussi de matiegravere concregravete comme

plusieurs de ses preacutedeacutecesseurs Il ne parle pas des quatre eacuteleacutements

En deacutefinitive une chose dans la De unitate nrsquoest pas identique agrave une forme Elle est dans la

matiegravere elle srsquoappuie sur une essence et elle contient plusieurs formes substantielles et

accidentelles

Il nous reste agrave deacutefinir une forme singuliegravere Il est logique de supposer qursquoil srsquoagit drsquoune

forme individuelle Le problegraveme est qursquoAchard nrsquoutilise pratiquement pas cette notion En I 48 il

emploie la notion de chose corporelle Cette chose possegravede le faisceau de formes qui changent tout

au long de son existence On peut supposer qursquoune forme individuelle comprend drsquoune certaine

faccedilon ce faisceau limiteacute des formes Et pourtant il est difficile de trouver une confirmation directe

de cette hypothegravese dans le De unitate

En conseacutequence le principe drsquoidentiteacute des choses corporelles dans les changements est le

corps (lrsquouniteacute mateacuterielle) qui reste la mecircme Les choses intelligibles sont individuelles car elles sont

les prototypes de diffeacuterentes choses corporelles et ont des images de ces choses en elles

Pour eacutetablir lrsquoidentiteacute drsquoune chose Achard prend le mecircme paradigme qursquoErigegravene et Hugues

lrsquoidentiteacute dans les changements Tandis que les deux premiegraveres choisissent la reacuteponse

traditionnelle ndash lrsquoidentiteacute est deacutefinie agrave travers une forme principale ndash Achard eacutecarte ce paradigme

Une chose corporelle est identique gracircce agrave une certaine uniteacute mateacuterielle qui lui est propre

1000 laquo Cuiuslibet enim subsistentis tota forma substancie non simplex est Atque illorum que toti ipsi uel singulis eius partibus adsunt accidencium multo numerosior est multitudo Que tamen omnia de subsistente dicuntur ut de aliquo homine tota forma substancie qua ipse est perfectus homo et omne genus omnisque differentia ex quibus est ipsa composita ut corporalitas et animatio et huiusmodi alie et denique omnia que uel toti illi forme adsunt - ut humanitati risibilitas ndash uel aliquibus partibus eius ndash ut color qui corporalitati et scientia que adest rationalitati - et huiusmodi alia infinita raquo GILBERT DE POITIERS Expositio in Boethii librum primum de Trinitate dans The Commentaries on Boethius by Gilbert of Poitiers ed N M HAumlRING Toronto 1966 (Studies and Texts 19) p 90

389

Conclusion

Nous avons eacutetudieacute la doctrine de la multipliciteacute des ecirctres dans le mondeacute creacuteeacute du De unitate

Drsquoapregraves Achard le monde a eacuteteacute creacuteeacute en deux eacutetapes intelligibles et sensibles Drsquoabord Dieu avait

fait aupregraves de lui les prototypes intelligibles et ensuite il a creacuteeacute les ecirctres sensibles selon ces

prototypes En mecircme temps Achard voit les prototypes et les copies exister simultaneacutement les

premiers sont in intellectu et les deuxiegravemes in actu De cette faccedilon lrsquouniteacute du monde creacuteeacute est due agrave

lrsquoidentiteacute des contenus des uniteacutes in intellectu et in actu et la multipliciteacute se reacuteduit agrave la question du

nombre des objets intelligibles et sensibles

Les penseurs platoniciens enseignent que les ecirctres intelligibles (ideacutees espegraveces causes) ont

eacuteteacute creacuteeacutes dans lrsquoesprit de Dieu avant que le monde mateacuteriel ait eacuteteacute fait Les ecirctres intelligibles ont une

nature et une structure diffeacuterentes de celles des ecirctres sensibles De plus ces ecirctres intelligibles sont

homogegravenes les ideacutees de Platon reprises par Apuleacutee Augustin et Erigegravene les espegraveces de Calcidius

les cateacutegories de Boegravece etc Contrairement agrave ces penseurs Achard met deux sortes drsquouniteacutes in

intellectu et in actu les formes et les choses

Apregraves avoir eacutetudieacute la doctrine des formes du De unitate nous pouvons conclure que les

formes in intellectu sont simples car elles consistent en une seule forme (par exemple carreacute homme

acircme etc) Elles restent simples eacutegalement in actu une fois imprimeacutees dans les diffeacuterentes choses

sujettes

Les choses consistent en plusieurs formes in intellectu et in actu Tandis qursquoin intellectu ces

formes coexistent in actu elles sont successivement Le nombre des choses in intellectu et in actu

est le mecircme Les eacutenonceacutes vrais agrave propos de Dieu et des creacuteatures sont les eacuteleacutements qui consistent en

plusieurs formes unies Ils sont composeacutes in intellectu et in actu

Voici notre reconstruction de la vision meacutetaphysique du monde du De unitate

Forma prima

Forma1 Forma2 Forma3 hellip ibi

res1 res2 hellip

res1 res2 hellip hic

390

Les formes in intellectu se multiplient Drsquoabord les formes se distinguent agrave lrsquointeacuterieur de la

forme premiegravere Ensuite chaque chose intelligible contient en elle la pluraliteacute des formes En mecircme

temps Achard adopte lrsquoexemplarisme radical concernant la relation des choses in intellectu et in

actu il existe le mecircme nombre de choses ici et lagrave-bas Il faut preacuteciser que mecircme si sur notre

scheacutema les formes preacutecegravedent les choses nous nrsquoavons pas de raisons de dire que cela soit le cas

dans le De unitate Les formes sont in intellectu ainsi que les choses

Dans ce contexte Achard pose le problegraveme de lrsquoidentiteacute des choses dans les changements

qursquoest-ce qui fait qursquoune chose reste elle-mecircme La reacuteponse est lrsquouniteacute mateacuterielle drsquoun corps in

actu Toutes les formes qui appartiennent aux corps le temps qursquoil soit un sont intelligeacutees comme

lrsquoimage drsquoune chose in intellectu

Nous avons eacutetudieacute trois principaux sujets du De unitate les formes la division in intellectu

et in actu et le monde sensible La notion de la forme comme une des sortes de raisons eacuteternelles

nrsquoapparaicirct pas chez les victorins sauf Achard Contrairement agrave Achard Hugues ne deacuteveloppe pas la

doctrine de la hieacuterarchie des formes Apparemment Achard a eacuteteacute plus inspireacute par Augustin Boegravece

et Erigegravene que par Hugues et les autres victorins Hugues ne met pas non plus au premier plan de

son travail la doctrine du Verbe-intellect de Dieu Comme nous lrsquoavons deacutemontreacute Hugues utilise la

notion de forma mais sa signification est plus proche drsquoune ideacutee de Platon ou de cause drsquoErigegravene

Crsquoest un prototype drsquoune chose individuelle qui la forme Achard garde cette signification mais il

preacutecise eacutegalement le contenu seacutemantique de la forme Il approche la doctrine des formes avec celles

des universaux nombres et drsquoautres uniteacutes intelligibles

En mecircme temps Hugues reprend plusieurs autres eacuteleacutements des doctrines platoniciennes Par

exemple il distingue les ecirctres in actu et in ratione (Sententiae de divinitate) et la creacuteation

rationnelle et corporelle Ainsi Augustin Hugues et puis Achard disent que les uniteacutes sont

intelligibles et sensibles selon diffeacuterents modes (in artein opere in rationein actu in intellectuin

actu) Hugues dit que le Pegravere se manifeste agrave travers lrsquoessence Les indications pour cette doctrine se

trouvent aussi chez Achard (II 4)

Hugues et Achard reprennent quelques doctrines concernant le monde sensible qui ont eacuteteacute

reacutepandues au Moyen Age

- un ecirctre sensible consiste en matiegravere et en formes

- la notion intelligible drsquoune chose consiste en un faisceau des formes (cateacutegories)

- la matiegravere premiegravere nrsquoest pas perceptible par les sens

Hugues emploie la doctrine des quatre eacuteleacutements et Achard non

Hugues deacutecrit les ecirctres qui sont connus par Dieu avec toutes les qualiteacutes qursquoils auront une

fois creacuteeacutes Achard deacutecrit de la mecircme maniegravere les choses in intellectu Chez Hugues les ecirctres sont

391

discerneacutes dans la totaliteacute de la connaissance de Dieu chez Achard les formes sont distingueacutees dans

la Forme premiegravere

Hugues introduit le hoc aliquid ndash un ecirctre concret ndash heacuteriteacute drsquoAristote Il pose la question des

changements des corps dans le temps et il dit que crsquoest une forme qui deacutefinit lrsquoidentiteacute drsquoun corps

Achard prend une chose corporelle comme eacuteleacutement principal du monde sensible Lrsquoidentiteacute de cette

chose dans les changements est assureacutee par lrsquouniteacute mateacuterielle drsquoun corps sensible De cette faccedilon

Hugues et Achard ont voulu deacutecrire le monde sensible et aborder le problegraveme des changements

mais chacun lrsquoa fait agrave sa maniegravere

Tous ces exemples montrent qursquoHugues et Achard ont eacuteteacute inspireacutes par les mecircmes doctrines

mais chacun reste original dans ses deacuteveloppements

392

CONCLUSIONS GENERALES

Au cours de cette thegravese nous avons eacutetudieacute la coexistence de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute en Dieu

et dans le monde creacuteeacute dans le De unitate drsquoAchard de Saint-Victor Achard explique de maniegravere

deacutetailleacutee comment lrsquouniteacute devient la Triniteacute et comment la pluraliteacute des ecirctres intelligibles a eacuteteacute

conccedilue par Dieu dans le Verbe Il suggegravere que le monde sensible a eacuteteacute creacuteeacute selon cette image dans

lrsquoesprit de Dieu Dans lensemble Achard suit le scheacutema eacutelaboreacute par les Pegraveres de lrsquoEglise et

transmis par Augustin

Pourtant si ce scheacutema deacutecrit dans les grandes lignes la doctrine chreacutetienne Achard surprend

aussi son lecteur Au lieu de proposer un traiteacute strictement theacuteologique comme nous lrsquoattendrions

drsquoun victorin il introduit des eacuteleacutements meacutetaphysiques en employant lrsquooutillage de la Logica vetus

Drsquoabord dans les chapitres I 9-11 ougrave il explique lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute comme des substances

diffeacuterentes (accidents universaux selon la terminologie boeacutecienne) qui sont en reacutealiteacute la substance

unique de Dieu Et ensuite dans les chapitres I 37-II 16 ougrave les doctrines des trois sortes de raisons

et du Verbe de Dieu cocirctoient un questionnement concernant les statuts des diffeacuterents objets

intelligibles (choses nombres universaux eacutenonceacutes etc) Le nom du traiteacute De unitate et pluralitate

creaturarum bien qursquoil ne soit pas certain qursquoAchard en soit lrsquoauteur permet de supposer que

lrsquoauteur eacutetait principalement preacuteoccupeacute de savoir comment la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute Pourtant

Achard traite aussi les problegravemes de lrsquoidentiteacute et de la deacutefinition de la chose

Gracircce au rapprochement entre lrsquooutillage aristoteacutelicien et la doctrine de la preacutedication nous

avons pu voir dans la formule trinitaire drsquoAchard ndash lrsquoUniteacute lrsquoEgal et lrsquoEgaliteacute ndash une application de

la doctrine contemporaine de la fonction logique qui est un eacutequivalent de la preacutedication extra-

cateacutegorielle ndash A(u1 u2) Une autre interpreacutetation contemporaine se fait agrave travers la theacuteorie des

ensembles ndash U= (U a1 a2hellip an) ndash ougrave lrsquouniteacute est un ensemble qui comprend ce qui lui est eacutegal

lrsquoeacutegaliteacute et lrsquouniteacute elle-mecircme Nous voyons qursquoAchard cherchait des moyens novateurs pour

expliquer la Triniteacute Son outillage logique se rapproche de celui que les logiciens contemporains

utilisent pour exprimer la relation entre les ecirctres dans le monde Cela montre que les acquis de la

philosophie meacutedieacutevale peuvent ecirctre expliqueacutes avec les termes de la penseacutee moderne

Dans la premiegravere partie de notre recherche nous avons eacutetabli que le De unitate drsquoAchard de

Saint-Victor est soit inacheveacute soit alteacutereacute soit les deux Il se divise facilement en deux parties

theacutematiques

- la Triniteacute (I 1-36)

- les raisons eacuteternelles (I 37-II 20)

Le De unitate contient plusieurs indications de son inachegravevement que lrsquoon considegravere

lrsquoabsence drsquointroduction et de conclusion ou le deacutecoupage imparfait des chapitres De plus il nrsquoest

393

pas logiquement termineacute Achard promet de parler de trois sortes de raisons eacuteternelles (formelles

finales et deacuteployantes) mais il nrsquoen deacutecrit finalement que deux En II 21 Achard deacutecrit les quatre

gracircces Cette deacutemarche peut ecirctre perccedilue soit comme une digression spirituelle du projet

meacutetaphysique du traiteacute soit comme un retour vers la question initiale agrave propos de la Triniteacute

Lrsquoeacutetude du seul manuscrit De unitate Padova 89 a montreacute que lrsquoeacutedition de Martineau est

satisfaisante Lors de lrsquoanalyse posteacuterieure nous avons tenu compte drsquoune lecture alternative des

quelques abreacuteviations douteuses (comme la veritas et lrsquounitas et le hic et hoc)

Dans le chapitre III nous avons deacutegageacute les thegraveses eacuteleacutementaires du De unitate eacutetabli le plan

du traiteacute et montreacute son arriegravere-plan platonicien Nous avons eacutegalement eacutetabli les sujets qui vont

servir agrave deacutevelopper les principaux thegravemes du De unitate agrave savoir

- lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu le rapport entre lrsquouniteacute et la pluraliteacute aux diffeacuterents

niveaux lrsquoapparition et la procession des personnes de la Triniteacute la creacuteation de la

pluraliteacute des raisons dans le Verbe de Dieu

- lrsquouniteacute et la pluraliteacute dans les creacuteatures les formes en tant qursquoexemplaires des choses la

relation entre les ecirctres intelligibles et sensibles les eacuteleacutements du monde sensible

Dans la deuxiegraveme partie de notre thegravese nous avons analyseacute la relation de lrsquouniteacute et de la

pluraliteacute en Dieu dans le De unitate Pour Achard il existe trois pluraliteacutes en Dieu

- les proprieacuteteacutes

- les personnes divines

- les raisons dans le Verbe

Dans le De unitate les personnes sont expliqueacutees comme lrsquoUniteacute lrsquoEgal et lrsquoEgaliteacute Nous

eacutetudions cette formule dans le chapitre V Crsquoest une modification de la formule augustinienne

lrsquoUniteacute lrsquoEgaliteacute et la Connexion La triade achardienne permet de dire que laquo lrsquouniteacute est eacutegale agrave

lrsquoeacutegaliteacute raquo Dans la creacuteature lrsquouniteacute est imparfaite elle est la ressemblance Lrsquoeacutegaliteacute imparfaite des

creacuteatures est la participation Prises comme deux personnes lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute participent lrsquoune agrave

lrsquoautre Prises comme la substance unique de Dieu elles sont eacutegales Cette doctrine drsquoAchard

provient de la doctrine de lrsquouniteacute drsquoAugustin Augustin dit que les creacuteatures sont unes car elles

ressemblent agrave lrsquouniteacute premiegravere de Dieu et les proprieacuteteacutes de Dieu sont unes car elles sont la

substance unique Sous lrsquoinfluence de la doctrine aristoteacutelico-boeacutetienne de la preacutedication Erigegravene

introduit la distinction entre la preacutedication par participation des creacuteatures aux proprieacuteteacutes de Dieu et

la preacutedication par essence de ces proprieacuteteacutes mecircmes en Dieu

Nous avons eacutetudieacute les personnes divines dans le chapitre VI Nous avons traiteacute en particulier

la procession trinitaire ad intra et ad extra Dans les chapitres I 13-16 du De unitate Achard eacutetablit

les critegraveres de la pluraliteacute des personnes

394

- il faut que chaque personne puisse ecirctre dite par elle-mecircme laquo personne raquo prise

isoleacutement

- il faut que chacune reccediloive seacutepareacutement le nom de laquo personne raquo

- de lrsquoune drsquoentre elles procegravede la seconde et des deux la troisiegraveme

Dans les chapitres I 18-36 Achard deacutemontre pourquoi les personnes ne sont que trois et

explique les noms des personnes Il traite dans quelques cas de lrsquohypothegravese drsquoune quatriegraveme

personne mais crsquoest seulement pour deacutemontrer qursquoune telle hypothegravese est fausseacutee

Dans le reste du De unitate Achard introduit briegravevement les personnes seacutepareacutees pour

montrer que la vie inteacuterieure de la Triniteacute est le modegravele de la procession de la Triniteacute vers

lrsquoexteacuterieur Les causes exemplaires sont dans le Fils et le Saint-Esprit dirige les distributions de ces

causes dans le monde

Nous avons eacutegalement montreacute que la doctrine des personnes drsquoAchard est proche de celle de

son confregravere Richard

La troisiegraveme pluraliteacute en Dieu est la pluraliteacute des raisons dans le Verbe Achard reprend la

doctrine meacutedioplatonicienne transmise par Augustin qui envisage les ideacutees comme penseacutees dans

lrsquointellect de Dieu Il existe trois sortes de raisons pour une chose creacuteeacutee finalis formalis et

explicatrix (causa forma et modus) Les raisons ont eacuteteacute drsquoabord creacuteeacutees de maniegravere intelligible dans

le Verbe et ensuite infuseacutees dans la creacuteation sensible Les raisons formelles correspondent agrave ce que

Dieu sait faire et les raisons deacuteployantes (explicatrix) agrave ce qursquoil peut faire

La troisiegraveme partie de notre thegravese est consacreacutee agrave lrsquoexplication de lrsquoentrelacement de lrsquouniteacute

et de la pluraliteacute dans le monde creacuteeacute La partie intelligible de la creacuteature est deacutecrite agrave lrsquoaide de la

notion de forma Nous lrsquoavons eacutetudieacutee dans le chapitre VIII Achard comprend la forme comme la

raison drsquoune chose Elle heacuterite ainsi de la notion drsquoideacutee de Platon la proprieacuteteacute drsquoecirctre la cause drsquoune

chose En mecircme temps une forme se superpose agrave un reacuteceptacle la matiegravere ou les autres formes En

cela la forme chez Achard heacuterite aussi de la notion de forme drsquoAristote

Les formes sont des uniteacutes intelligibles eacuteleacutementaires Elles peuvent ecirctre substantielles

accidentelles mais aussi ecirctre des nombres des universaux des eacutenonceacutes etc Les choses peuvent

ecirctre deacutecrites agrave lrsquoaide des formes Il existe une hieacuterarchie des formes la forme premiegravere qui est le

Verbe les formes creacuteeacutees dans le Verbe et les formes sensibles dans les choses En mecircme temps

elles sont toutes identiques la forme dans le Verbe est la mecircme que dans une chose La forme

premiegravere est les formes creacuteeacutees

Achard commence lrsquoexplication de son systegraveme meacutetaphysique en partant du niveau le plus

haut (ibi) ougrave Dieu et les ecirctres intelligibles existent Et il descend vers le bas (hic) ougrave les choses

sensibles existent Les modes drsquoexistence des uniteacutes agrave ces deux niveaux sont deacutesigneacutes par le couple

terminologique in intellectuin actu Dans le chapitre IX nous avons eacutetabli que cette distinction en

395

deux niveaux des ecirctres (conccedilus dans lrsquointellect de Dieu et faits dans la matiegravere) est commune agrave

Augustin Erigegravene et Hugues de Saint-Victor Cette distinction fait partie de la doctrine chreacutetienne

selon laquelle Dieu a drsquoabord creacuteeacute le monde de maniegravere intelligible dans son Verbe et ensuite de

maniegravere sensible (Jean I 1-12) En effet agrave partir du chapitre I 37 Achard propose son explication

de la structure meacutetaphysique du monde creacuteeacute La pluraliteacute du monde selon Achard apparaicirct drsquoabord

dans une premiegravere uniteacute intelligible ndash le Verbe Les exemplaires des choses sont creacuteeacutes in intellectu

puis in actu La principale question de cette partie est comment comprendre et ordonner ce

monde Achard la pose de la maniegravere suivante est-ce qursquoil existe le mecircme nombre drsquoeacuteleacutements ici

(hic) et lagrave-bas (ibi) Cette question remonte agrave lrsquoalternative proposeacutee par des penseurs anciens

- deacutecrire les uniteacutes intelligibles eacuteleacutementaires (les ideacutees comme la beauteacute la bonteacute etc)

Introduite par Platon cette approche a eacuteteacute enrichie par Aristote Les uniteacutes intelligibles eacuteleacutementaires

sont deacutesormais des cateacutegories qui deacutecrivent les choses La multiplication a lieu lors du passage des

ideacutees du haut aux choses en bas

- prendre comme point de deacutepart lrsquouniteacute sensible eacuteleacutementaire la chose Aristote la deacutefinit

comme substance premiegravere Les stoiumlciens et Augustin deacutecrivent les ecirctres intelligibles comme

prototypes des ecirctres concrets sensibles Il existe le mecircme nombre drsquoecirctres intelligibles et sensibles

Achard combine ces deux approches Dans sa doctrine il introduit deux sortes drsquoeacuteleacutements

les formes et les choses Les deux existent in intellectu et in actu Les formes se multiplient dans les

choses in intellectu Les choses in intellectu sont des exemplaires des choses in actu

En effet les choses in intellectu contiennent toute la varieacuteteacute des formes possibles Cela pose

une autre question comment une chose est-elle diffeacuterente drsquoune autre Nous y avons reacutepondu dans

le chapitre X ougrave nous eacutetablissons qursquoAchard deacutecrit de maniegravere diffeacuterente la chose in intellectu et in

actu La premiegravere est statique et la deuxiegraveme est dynamique Elle change lors de son existence La

chose in actu reste elle-mecircme tant qursquoelle garde le corps mateacuteriel unique Une chose in intellectu

est diffeacuterente des autres parce qursquoelle contient lrsquohistoire de la future chose in actu Crsquoest-agrave-dire la

seacutequence des formes qursquoune chose in actu adoptera lors de son existence en tant que corps unique

Dans ce mecircme chapitre nous avons eacutegalement eacutetudieacute les eacuteleacutements du monde sensible Une

chose consiste en une essence individuelle et en des formes Les essences ne sont pas connues par

lrsquohomme mais elles sont intelligeacutees par Dieu dans leur simpliciteacute propre Lrsquoessence simple se reacutefegravere

au Pegravere Une chose consiste eacutegalement en des formes et en la matiegravere Achard emploie les notions

de matiegravere premiegravere de choses et de matiegravere corporelle Un autre eacuteleacutement de la structure

meacutetaphysique achardienne est la substance Dans la premiegravere partie du De unitate elle deacutesigne les

attributs de Dieu (sagesse bonteacute etc) dans la deuxiegraveme une sorte de forme (forme individuelle et

geacuteneacuterale) Dans les deux parties les substances eacutevoquent parfois les substrats intelligibles (ibi) et

sensibles (hic)

396

Une interpreacutetation de la doctrine drsquoAchard a eacuteteacute deacutejagrave proposeacutee par Ilkhani en 1999 Mecircme si

en geacuteneacuteral cette interpreacutetation nous paraicirct correcte nous avons plusieurs eacuteleacutements agrave lui reprocher

Ilkhani trace les parallegraveles entre le Pegravere le Fils et lrsquoEsprit-Saint les trois sortes de raisons et

lrsquoessence la forme et la substance Pourtant la pluraliteacute des raisons est dans le Verbe qui est le Fils

Et il nrsquoy a aucune reacutefeacuterence entre la substance et lrsquoEsprit-Saint dans le De unitate

En deacutefinitive Achard adopte une vision du monde meacutedioplatonicienne selon laquelle Dieu a

les exemplaires des choses comme prototypes des ecirctres dans son Verbe-intellect En mecircme temps il

enrichit cette doctrine par lrsquoajout de plusieurs eacuteleacutements seacutemantiques Lorsqursquoil deacutecrit les formes il

soulegraveve notamment des questions concernant le statut des nombres des universaux des eacutenonceacutes

vrais et des objets matheacutematiques

En deacutefinitive Achard reacutepond agrave une des principales questions meacutetaphysiques comment le

monde sensible peut-il ecirctre deacutecrit agrave lrsquoaide des uniteacutes intelligibles Il accepte les doctrines des

universaux deacuteveloppeacutees par ses preacutedeacutecesseurs les uniteacutes eacuteleacutementaires intelligibles se multiplient

Et en mecircme temps il se pose des questions concernant le statut des uniteacutes eacuteleacutementaires sensibles

Crsquoest en cela que lrsquoavanceacutee meacutetaphysique drsquoAchard de Saint-Victor se manifeste

Achard le platonicien

Dans la premiegravere partie de notre recherche nous avons trouveacute dans le De unitate plusieurs

eacuteleacutements provenant des systegravemes platoniciens Deacutesormais il est possible drsquoinclure drsquoautres sources

qui auraient pu inspirer Achard pour creacuteer sa doctrine

- la dualiteacute est une eacutetape entre lrsquouniteacute et la Triniteacute ndash Augustin ou Boegravece

- Achard deacutecrit trois niveaux drsquoecirctre Dieu les ecirctres intelligibles dans lrsquointellect de Dieu et

le monde sensible ndash Augustin Apuleacutee Boegravece et Erigegravene

- la distinction entre deux modes drsquoecirctre intelligible (in intellectu) et sensible (in actu) ndash

Augustin et Erigegravene

- la doctrine du Logos qui est lrsquointellect et qui contient les prototypes des choses creacuteeacutees ndash

Augustin et Erigegravene

- les uniteacutes intelligibles sont les prototypes des ecirctres sensibles leur formation (la forme

premiegravere les formes creacuteeacutees les idos) correspond agrave trois niveaux de la hieacuterarchie

meacutedioplatonicienne (Dieu ideacutees matiegravere) ndash Augustin et Calcidius

- la notion de cause du Timeacutee (28a)

- la notion de raisons deacuteployantes (des modes qui expliquent les modifications que la chose

subit lors de son existence dans le monde) Ce concept est proche de celui des raisons seacuteminales

397

drsquoAugustin et des logoi des stoiumlciens Pour les expliquer Achard emploie le mot nous qui deacutesigne le

deuxiegraveme Dieu chez Calcidius

Achard reprend aussi certains eacuteleacutements du neacuteoplatonisme Par exemple il utilise le concept

de la premiegravere uniteacute multiple pour construire sa doctrine des formes et des causes La Forme

premiegravere contient les formes et la Cause unique les causes De cette faccedilon les raisons proviennent

de lrsquouniteacute premiegravere jusqursquoau monde sensible La notion drsquouniteacute premiegravere qui est en tecircte de chaque

subdivision a peut-ecirctre eacuteteacute penseacutee sous lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme

Le monde intelligible a la prioriteacute sur le monde sensible car les ecirctres in intellectu existent

dans lrsquoesprit de Dieu De cette faccedilon leur nature est proche de celle de Dieu La thegravese selon laquelle

Dieu attribue une partie de sa nature aux objets intelligibles srsquoinscrit bien dans les systegravemes

neacuteoplatoniciens

La nature des objets intelligibles est plus parfaite que celle des ecirctres sensibles Les formes

exemplaires contiennent non seulement des caracteacuteristiques qui leur sont propres (ecirctres eacuteternels et

immuables) mais aussi des caracteacuteristiques drsquoecirctres sensibles (ecirctres temporels et muables) Par

conseacutequent les ecirctres intelligibles ont plus drsquoeacuteleacutements que les ecirctres sensibles Les choses

intelligibles par contre perdent certaines caracteacuteristiques quand elles deviennent sensibles et la

notion de deacutegradation est donc aussi preacutesente dans la doctrine drsquoAchard Cela ne deacutevalorise pas

pour autant les ecirctres sensibles Au contraire la fin de lrsquoexistence de certains objets intelligibles (des

choses et des formes) est la creacuteation drsquoecirctres sensibles Les objets intelligibles contiennent en eux les

laquo histoires raquo du deacuteveloppement des choses dans le monde sensible

Il est temps pour nous de voir en quoi la doctrine drsquoAchard deacutepasse la penseacutee

neacuteoplatonicienne ou du moins srsquoen eacutecarte Les neacuteoplatoniciens enseignent que tout provient drsquoune

source unique Mais selon Achard Dieu est pluriel Il est lrsquouniteacute multiplieacutee La pluraliteacute de Dieu est

la cause de la pluraliteacute du monde Lrsquouniteacute ici nrsquoest pas le premier principe mais un aspect de ce

principe Lrsquouniteacute apparaicirct dans chaque niveau de la hieacuterarchie ontologique drsquoAchard en Dieu dans

son intellect (la forme premiegravere) et dans le monde creacuteeacute (lrsquouniteacute de chaque chose est assureacutee par son

exemplaire intelligible)

Dans le neacuteoplatonisme la source est simple et ses deacuteriveacutes complexes Achard dit que Dieu

est plus parfait que les creacuteatures car il a une image des creacuteatures en lui Il imagine non seulement ce

qui existe mais aussi ce qui peut exister Potentiellement il contient dans son intellect plus

drsquoeacuteleacutements que la creacuteation sensible entiegravere De cette faccedilon Achard enseigne que Dieu nrsquoest pas une

source simple

Les neacuteoplatoniciens insistent sur la procession des hypostases agrave partir de lrsquouniteacute premiegravere

Les ecirctres des niveaux plus bas participent aux ecirctres des niveaux plus eacuteleveacutes Cette thegravese est deacutejagrave

contesteacutee par les chreacutetiens qui disent que Dieu ne procegravede pas directement dans le monde car il a

398

une nature diffeacuterente de celle du monde Pour eux Dieu ne peut pas prolifeacuterer directement dans le

monde Pourtant le christianisme accepte la pluraliteacute des personnes en Dieu et leur procession lrsquoune

de lrsquoautre Pour expliquer cela Augustin introduit lrsquoideacutee que les relations entre les personnes et

Dieu et celle entre Dieu et les ecirctres du monde creacuteeacute sont diffeacuterentes Pour lui il srsquoagit dans le

premier cas de lrsquoidentiteacute de la substance et dans le deuxiegraveme de la participation Lrsquouniteacute et lrsquoeacutegaliteacute

sont vues comme deux substances qui existent comme une seule substance en Dieu Elles sont

identiques comme une substance et lieacutees par la relation logique de participation ce qui leur permet

drsquoecirctre deux personnes seacutepareacutees de Dieu Nous avons deacutemontreacute que cette distinction a eacuteteacute inspireacutee

par les preacutedications intra-cateacutegorielle (la sagesse est sage) et extra-cateacutegorielle (quelqursquoun est sage)

introduites par Aristote De cette faccedilon Augustin modifie le scheacutema meacutetaphysique neacuteoplatonicien

de la descente directe des ecirctres agrave partir de la source premiegravere

Achard reprend lrsquoapproche drsquoAugustin et lrsquoapplique pour reacutesoudre le paradoxe trinitaire

(expliquer trois personnes en une seule substance) La relation entre les personnes est celle de la

participation Lrsquouniteacute de Dieu est assureacutee par le pheacutenomegravene de lrsquoexistence (que les personnes soient

une) La premiegravere relation est analogue agrave la preacutedication extra-cateacutegorielle (lrsquouniteacute participe agrave

lrsquoeacutegaliteacute) la deuxiegraveme agrave lrsquointra-cateacutegorielle (lrsquouniteacute est lrsquoeacutegaliteacute) Ainsi Achard trouve le moyen

drsquoexpliquer la procession des personnes comme une action logique De cette faccedilon il eacutecarte le

scheacutema neacuteoplatonicien de la procession des hypostases

Dans lrsquointroduction nous avons deacutecrit les principaux traits du meacutedio et du neacuteoplatonisme

Nous avons vu que le meacutedioplatonisme est plutocirct deacutefini comme une uniteacute chronologique et le

neacuteoplatonisme comme une uniteacute doctrinale Le neacuteoplatonisme est la philosophie qui accepte la

primauteacute drsquoune source unique et la procession de tous les eacuteleacutements agrave partir de cette source

Nous avons trouveacute plusieurs eacuteleacutements du meacutedioplatonisme chez Achard Mais vu que ce

courant nrsquoa pas drsquouniteacute doctrinale que la plupart de ces thegraveses correspondent aux doctrines

chreacutetiennes et qursquoAchard nrsquoappartient pas agrave la peacuteriode chronologique deacutefinissant le

meacutedioplatonisme il est impossible de dire qursquoAchard eacutetait meacutedioplatonicien Nous pouvons

seulement affirmer qursquoil en a accepteacute certaines thegraveses Contrairement aux eacuteleacutements neacuteoplatoniciens

les sources latines des eacuteleacutements meacutedioplatoniciens sont faciles agrave eacutetablir Ce sont les doctrines de

Seacutenegraveque de Calcidius et drsquoAugustin

Nous avons montreacute qursquoAchard nrsquoeacutetait pas neacuteoplatonicien Il propose le scheacutema

meacutetaphysique suivant les personnes sont multiples en Dieu et cette pluraliteacute cause la pluraliteacute dans

les creacuteatures Achard incorpore des eacuteleacutements des doctrines neacuteoplatoniciennes mais non lrsquoessence du

neacuteoplatonisme Il en accepte les eacuteleacutements les plus geacuteneacuteraux

- la procession des ecirctres agrave partir de la source

- la prioriteacute des ecirctres sensibles

399

- la nature imparfaite des ecirctres sensibles

Ces eacuteleacutements apparaissent chez plusieurs autres penseurs chreacutetiens et il est par conseacutequent

difficile drsquoeacutetablir une unique source neacuteoplatonicienne de la doctrine drsquoAchard

Le caractegravere platonicien de la doctrine drsquoAchard a eacuteteacute deacutejagrave affirmeacute par Chacirctillon Martineau

et Ilkhani Chacirctillon a remarqueacute la ressemblance entre Achard et Erigegravene Apregraves avoir eacutetudieacute la

continuiteacute des principales doctrines platoniciennes nous pouvons dire que les doctrines qursquoErigegravene

partage avec Achard ont deacutejagrave eacuteteacute eacutetablies par Augustin En mecircme temps plusieurs eacuteleacutements de la

doctrine drsquoErigegravene (comme par exemple le traitement des personnes de la Triniteacute comme causes

premiegraveres) nrsquoont pas eacuteteacute emprunteacutes par Achard La similitude entre Erigegravene et Achard nous semble

donc plutocirct due agrave lrsquoinfluence drsquoAugustin

Plusieurs eacuteleacutements de lrsquoheacuteritage platonicien repris par Achard apparaissent eacutegalement chez

ses contemporains

- la deacutefinition de la Triniteacute agrave partir de la formule augustinienne Unitas Aequalitas

Connexio que lrsquoon trouve chez Richard de Saint-Victor Thierry de Chartres Clarembaud drsquoArras et

Alain de Lille Cette formule provient des sources pythagoriciennes du meacutedioplatonisme

- la distinction aristoteacutelicienne des raisons (finale formelle efficiente mateacuterielle) chez

Thierry de Chartres Guillaume de Conches et Jean de Salisbury

- les variations de la triade puissance sagesse bonteacute sont un thegraveme tardo-antique drsquoorigine

platonicienne qui trouve une seconde jeunesse chez Abeacutelard Hugues et Richard de Saint-Victor

Guillaume de Conches etc

- la doctrine des ideacutees-archeacutetypes dans lrsquoesprit de Dieu exposeacutee par Augustin (Quaestio lsquoDe

ideisrsquo) chez Hugues de Saint-Victor Bernard de Chartres et Guillaume de Conches

Cela prouve que plusieurs penseurs du XIIe siegravecle ont eacuteteacute influenceacutes par les mecircmes doctrines

platoniciennes En mecircme temps il ne faut pas exclure les influences mutuelles qui ont eu lieu agrave

lrsquoeacutepoque

Achard le victorin

Nous avons eacutetudieacute les scheacutemas meacutetaphysiques et seacutemantiques utiliseacutes par Achard dans sa

doctrine Le contenu des chapitres I 9-11 et I 37-II 16 suggegravere qursquoil peut ecirctre rattacheacute agrave la penseacutee

preacutescolastique enseigneacutee dans les eacutecoles du XIIe siegravecle En mecircme temps certaines de ses thegraveses

centrales sont semblables agrave celles de ses confregraveres victorins Il srsquoagit notamment des strateacutegies pour

expliquer la Triniteacute qui sont similaires agrave Richard et agrave Achard

- la formule Unitas Aequalitas Connexio a eacuteteacute exposeacutee par Richard dans sa lettre De tribus

personis appropriatis

400

- pour eacutetablir la deacutefinition des personnes Achard compare les pluraliteacutes en Dieu (Triniteacute) et

dans lrsquohomme (lrsquoacircme et le corps) Richard les compare de la mecircme faccedilon pour comprendre la

pluraliteacute de Dieu

- les personnes sont multiples car elles se diffeacuterencient par leurs relations drsquoorigine (Richard

appelle cette capaciteacute laquo avoir des origines diffeacuterentes raquo)

- Achard et Richard procegravedent par lrsquoabsurde pour deacutemonter lrsquoimpossibiliteacute drsquoune quatriegraveme

personne dans la Triniteacute

- les deux auteurs proposent des deacuteveloppements concernant les noms des personnes

notamment genitus agrave la base de la doctrine drsquoAugustin

- ils posent la question concernant lrsquoeacutequilibre de la sagesse et de la puissance de Dieu agrave

savoir si Dieu sait plus qursquoil peut

Voici les similitudes entre Hugues et Achard

- Chez les deux la pluraliteacute des causes est dans la Sagesse divine

- La doctrine des appropriations chez Hugues permet drsquoexpliquer le nom des causes

explicatrices chez Achard Selon Hugues la puissance deacuteploie (explicat) les causes dans les œuvres

- Le creacuteateur se manifeste dans la creacuteature Chez Achard les uniteacutes dans le monde

participent agrave lrsquouniteacute de Dieu et la similitude dans le monde participe agrave lrsquoeacutegaliteacute parfaite en Dieu

Chez Hugues les ecirctres participent eacutegalement agrave Dieu mais les personnes se manifestent aussi dans le

monde agrave travers les appropriations trinitaires (la puissance la sagesse et la bonteacute refleacuteteacutees dans

lrsquoimmensiteacute la beauteacute et lrsquoutiliteacute des creacuteatures)

- Hugues fait une distinction binaire visible-invisible exprimeacutee par les adverbes hic et ibi

et les adjectifs illa et ista Achard distingue de mecircme des objets ibi et des choses hic

- Hugues reprend la doctrine augustinienne de la creacuteation intellectuelle premiegravere des ecirctres

dans lrsquoesprit de Dieu qui preacutecegravede leur creacuteation mateacuterielle Il parle du fait qursquoil existe ibi des choses

futures qui vont ecirctre creacuteeacutees hic Dans les Sententiae de divinitate Hugues distingue deux modes

drsquoexistence des choses in actu et in ratione Et dans le De tribus rerum subsistentiis il en distingue

trois in actu in intellectu et in ratione Ces trois modes deacutesignent les choses leurs notions dans

lrsquointellect humain et dans la connaissance de Dieu Dieu connaicirct les ecirctres singuliers dans la totaliteacute

mais aussi le destin de chaque chose qui va eacutemerger de cette totaliteacute premiegravere Il connaicirct les choses

imparfaites et temporelles de maniegravere parfaite et eacuteternelle Achard reprend eacutegalement cette doctrine

Il distingue deux modes drsquoexistence in actu et in intellectu Le mode in intellectu deacutesigne les

notions dans la connaissance divine Le mode in actu deacutesigne les ecirctres dans le monde sensible

Achard se pose des questions concernant lrsquoexistence de chaque chose et de leur identiteacute hic et ibi

Les choses in intellectu ont deux types de caracteacuteristiques ecirctre immuables et eacuteternelles (celles de

401

Dieu) et ecirctre muables et temporelles (celles du monde) Elles ont aussi toutes les formes possibles

et en mecircme temps le faisceau des formes que chaque chose aura lors de son existence mateacuterielle

Hugues et Achard adoptent la doctrine drsquoune creacuteation en deux temps de deux niveaux drsquoexistence

des choses et drsquoun mode parfait drsquoexistence des choses in intellectu

- Hugues et Achard adoptent la deacutefinition de la chose comme varieacuteteacute drsquoaccidents

- Ils mettent en valeur le monde sensible Dans le De tribus diebus Hugues enseigne que le

monde est un livre qui permet drsquoinstruire agrave propos de Dieu Dans le De unitate la distinction des

choses in intellectu est faite drsquoapregraves les formes qursquoelles auront in actu Le monde intelligible est

destineacute agrave creacuteer le monde sensible Cela correspond agrave une tendance agrave revaloriser la nature lors de la

renaissance du XIIe siegravecle qui a eacuteteacute deacutecrite par Chenu en 1957

- La notion drsquoune uniteacute eacuteleacutementaire Dans le De sacramentis Hugues emploie la notion de

hoc aliquid qui est la chose concregravete Selon Achard lrsquouniteacute du monde sensible est la chose qui reste

elle-mecircme tant qursquoelle garde lrsquouniteacute corporelle

Ainsi les thegraveses meacutetaphysiques centrales du De unitate correspondent pour partie agrave

lrsquoenseignement drsquoHugues Les deux auteurs acceptent que la pluraliteacute apparaisse dans la Sagesse de

Dieu et que des ecirctres sensibles aient leurs prototypes intelligibles En effet il est possible drsquoeacutetablir

la continuiteacute de cette doctrine meacutedioplatonicienne agrave partir drsquoAugustin agrave travers Erigegravene jusqursquoagrave

lrsquoeacutecole de Saint-Victor Contrairement agrave ces preacutedeacutecesseurs Hugues et Achard mettent lrsquoaccent sur

les choses Ils veulent comprendre comment une chose individuelle peut ecirctre inclue dans lrsquouniteacute

premiegravere de Dieu Crsquoest leur faccedilon de deacutevelopper le questionnement neacuteoplatonicien concernant

lrsquouniteacute premiegravere

Les thegraveses que nous avons citeacutees sont au cœur du De unitate Elles prouvent la continuiteacute de

la penseacutee victorine drsquoHugues agrave Achard En mecircme temps elles se trouvent en marge des œuvres

drsquoHugues Les problegravemes qui sont au premier plan du De unitate ndash la deacutefinition et lrsquoidentiteacute des

ecirctres sensibles ndash sont secondaires et mecircme sporadiques chez Hugues La solution de ces problegravemes

relegraveve du domaine de la logique et de la seacutemantique appliqueacutees agrave la meacutetaphysique ndash domaine qui

nrsquointeacuteresse pas principalement Hugues

En mecircme temps le dernier chapitre du De unitate ramegravene le lecteur vers les questions des

gracircces de Dieu et de la formation de lrsquohomme Ces doctrines sont dues probablement agrave

lrsquoanthropologie philosophique drsquoHugues et avant lui drsquoAugustin

La doctrine trinitaire drsquoAchard (notamment sa partie ougrave il deacutecrit les personnes et leur

procession) a plusieurs points en commun avec la doctrine de Richard

402

Nous avons eacutetabli que le De unitate et certaines œuvres drsquoHugues partagent lrsquoensemble des

thegraveses qui correspond au meacutedioplatonisme transmis par Augustin Cela permet de conclure

qursquoHugues eacutetait entre autres influenceacute par ce courant de penseacutee

Il est deacutesormais clair que les victorins laissent la meacutetaphysique ancienne peacuteneacutetrer leurs

doctrines agrave un point tel qursquoils integravegrent sa question eacuteternelle quelle est lrsquouniteacute eacuteleacutementaire de lrsquoecirctre

et de la penseacutee La reacuteponse agrave cette question exige pour eux drsquoeacutetudier les ecirctres sensibles Lrsquoeacutetude de

ces objets mecircme srsquoils sont pris dans la perspective platonicienne comme des prototypes

intelligibles fait une partie essentielle de lrsquoheacuteritage du courant scolaire et surtout elle deviendra

importante au XIIIe siegravecle Par conseacutequent la preacutesence de la meacutetaphysique deacuteveloppeacutee agrave lrsquoaide des

outils logico-seacutemantiques dans les œuvres drsquoHugues et drsquoAchard permet de les valoriser davantage

dans le contexte de la philosophie du XIIe siegravecle

Aujourdrsquohui la meilleure tentative pour eacutevaluer le De unitate dans le contexte de son

eacutepoque a eacuteteacute faite par Ilkhani Mecircme si nous ne sommes pas entiegraverement drsquoaccord avec sa vision de

lrsquoinfluence de Boegravece sur Achard les parallegraveles avec lrsquoeacutecole de Chartres nous semblent avoir eacuteteacute

traceacutes correctement Mais crsquoest lrsquoeacutetude de lrsquoeacutecole de Saint-Victor qui nous a permis de comprendre

comment le traiteacute trinitaire devient une œuvre meacutetaphysique Achard srsquoinspire drsquoabord de son

berceau intellectuel ndash lrsquoeacutecole de Saint-Victor ndash pour commencer le traiteacute trinitaire et ensuite il

construit le projet meacutetaphysique du Verbe incarneacute Ce projet contient des eacuteleacutements partageacutes par des

penseurs diffeacuterents de lrsquoeacutepoque (comme les trois sortes de raisons) mais aussi des eacuteleacutements propres

agrave Hugues (comme la distinction hicibi)

Ainsi lrsquoeacutetude de la doctrine du De unitate permet de montrer la signification dans la

meacutetaphysique du XIIe siegravecle de sujets tels que la distinction aristoteacutelicienne des raisons la doctrine

du Verbe-intellect ou encore le statut des uniteacutes intelligibles Chacun de ces thegravemes meacuteriterait une

eacutetude comparative et historique qui puisse mettre au premier plan leur eacutemergence au XIIe siegravecle et

leur influence sur les courants de penseacutee ulteacuterieurs

403

BIBLIOGRAPHIE

A ndash SOURCES

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TABLES DES MATIERES

Remerciements 2

Abreacuteviations 3

Introduction geacuteneacuterale 4 Lrsquoeacutecole de Saint-Victor et la philosophie 5

A la recherche du platonisme 9

Le meacutedioplatonisme 11

Le neacuteoplatonisme 12

Les platonismes de la premiegravere moitieacute du XIIe siegravecle 17

La meacutethodologie et le plan 19

PARTIE 1 ACHARD DE SAINT-VICTOR ET SON DE UNITATE

Introduction 22

I Achard et ses œuvres 23 I1 Biographie drsquoAchard et lrsquoabbaye de Saint-Victor 23

I2 Les œuvres drsquoAchard de Saint-Victor 26

I21 Le De discretione animae spiritus et mentis 26

I22 Les Sermons 30

II Le manuscrit de Padoue 34 II1 Description du manuscrit 34

II11 I 19-20 le deacutecoupage en chapitres 36

II2 Lrsquoeacutedition de Martineau une eacutevaluation 37

II21 La veritas et lrsquounitas 38

II22 Hochaechic en II 2-3 45

II23 Le deacutecoupage des phrases en I 30 48

418

III Examen deacutetailleacute du De unitate 50 III1 A la recherche du De unitate 50

III11 Lrsquohistoire de la redeacutecouverte 50

III12 Le titre 51

III13 Le plan 52

III2 Analyse stylistique lexicale et doctrinale du De unitate 55

III21 Partie 1 La doctrine trinitaire drsquoAchard (I 1-36) 56

III211 I 2-11 ndash ce qui rend possible la pluraliteacute en Dieu 56

III212 I 13-16 ndash justification de la pluraliteacute en Dieu 62

III213 I 17-22 ndash justification du nombre des personnes 68

III214 I 23-36 ndash justification des noms de la Triniteacute et des personnes 70

III22 Partie 2 Doctrine des raisons eacuteternelles (I 37-II 21) 78

III221 I 37-42 ndash doctrine des trois sortes de raisons eacuteternelles 78

III222 I 43-I 50 ndash formes eacuteternelles et les choses creacuteeacutees 81

III223 II 1-4 ndash forme premiegravere 88

III224 II 5-11 ndash varieacuteteacute des formes 95

III225 II 12-15 ndash formes en tant qursquoideacutees 99

III226 II 16-18 ndash doctrine des raisons causales 102

III227 II 19-21 ndash derniers chapitres 105

Conclusion 108

Le plan du De unitate 108

Le scheacutema platonicien et les grands sujets du De unitate 111

IV Historique des recherches sur le De unitate 114

IV1 Andreacute Combes 115

IV2 Marie-Theacuteregravese drsquoAlverny 117

IV3 Jean Chacirctillon 117

IV4 Emmanuel Martineau 119

IV5 Mohammad Ilkhani 121

IV6 Dominique Poirel 124

IV7 David Albertson 125

IV8 Colloque agrave Caen 125

Conclusion 128

419

PARTIE 2 LES VOIES DE LA MULTIPLICATION EN DIEU

Introduction 130

V Lrsquouniteacute et la pluraliteacute en Dieu 131

V1 Les sources de la doctrine de lrsquouniteacute du De unitate 131

V11 Augustin en tant que source du discours trinitaire du XIIe siegravecle 131

V12 Lrsquouniteacute et la participation chez Augustin 134

V13 La preacutedication logique selon Aristote et Boegravece 135

V14 La preacutedication logique en Dieu chez Augustin 136

V15 La participation chez Erigegravene 139

V2 Lrsquouniteacute et la pluraliteacute chez Hugues et Richard de Saint-Victor 141

V3 Unitas-Pluralitas-Aequalitas et la deacutefinition logique de la Triniteacute drsquoAchard 145

V31 La meacutetaphysique de lrsquouniteacute 146

V311 Comment la pluraliteacute provient de lrsquouniteacute 146

V312 Unitas-Pluralitas-Multitudo et la pluraliteacute dans les creacuteatures 149

V32 Lrsquoapplication de la logique agrave la Triniteacute dans le De unitate 153

V321 Aequalitas exprimeacutee agrave travers la seacutemantique de la logique

moderne 153

V322 Similitudo 158

V323 Participatio 162

VI Les personnes de la Triniteacute 171

VI1 La fonction des personnes de la Triniteacute selon la penseacutee tardo-antique 171

VI11 Le rocircle des personnes dans la Triniteacute 172

VI12 Le rocircle des personnes dans le monde 174

VI2 La procession et la Triniteacute chez les victorins 177

VI21 Le mouvement inteacuterieur de la Triniteacute 178

VI211 Hugues de Saint-Victor 178

VI212 Richard de Saint-Victor 180

VI2121 La pluraliteacute des personnes 180

420

VI2122 La procession et les noms des personnes 182

VI22 Le mouvement exteacuterieur de la Triniteacute 185

VI3 La Triniteacute et les personnes dans le De unitate 188

VI31 La distinction des personnes 188

VI32 Les justifications du nombre des personnes 189

VI33 Lrsquoimpossibiliteacute de la quatriegraveme personne 190

VI34 Les noms de la Triniteacute et des personnes 194

VI35 La Triniteacute dans la deuxiegraveme partie du De unitate 195

VII La pluraliteacute des raisons dans le Verbe 200

VII1 Lrsquohistoire de la notion de ratio 200

VII11 Le Verbe heacuteritier du Logos 201

VII111 Les sources du prologue agrave lrsquoEvangile selon saint Jean 201

VII112 Le Verbe incarneacute chez Augustin et Erigegravene 203

VII12 Les raisons 206

VII121 La raison en tant que cause 206

VII122 Les trois sortes de raisons 210

VII2 Le Verbe et les causes dans lrsquoeacutecole de Saint-Victor 214

VII21 Le Verbe de Dieu 214

VII22 Les causes primordiales 216

VII23 Les attributs de Dieu 217

VII3 Le Verbe et les raisons dans le De unitate 220

VII31 Le Verbe incarneacute 221

VII311 Les raisons multiples dans le Verbe 221

VII312 Lrsquoincarnation et la doctrine des formes 225

VII32 La multipliciteacute des raisons 227

VII321 Les trois sortes de raisons eacuteternelles 228

VII322 Les raisons et les attributs de Dieu 231

VII323 Les raisons causales 235

Conclusion 244

421

PARTIE 3 LA MULTIPLICATION DANS LES CREacuteATURES

Introduction 247

VIII La forme 249

VIII1 La notion de forma dans la philosophie tardo-antique latine 249

VIII11 La deacutefinition de la forme 250

VIII12 La hieacuterarchie des formes 255

VIII13 La varieacuteteacute des formes 262

VIII131 Les uniteacutes intelligibles eacuteternelles chez Augustin 262

VIII132 Les nombres dans la philosophie tardo-antique 263

VIII133 Les universaux 265

VIII2 La forme chez Hugues de Saint-Victor 269

VIII21 Deacutefinition de la forme 269

VIII22 La sagesse de Dieu 272

VIII3 Forma dans le De unitate 273

VIII31 Qursquoest-ce que la forme 274

VIII32 La hieacuterarchie des formes 277

VIII33 La varieacuteteacute des formes 282

VIII34 Forma dans le chapitre II 21 288

IX Intellectus (in intellectuin actu) 294

IX1 Lrsquoorigine de la doctrine du De unitate 294

IX11 Lrsquoorigine de la distinction in intellectuin actu 294

IX12 La multiplication des ecirctres agrave partir drsquoune source unique 298

IX13 Est-ce que les ecirctres intelligibles et sensibles sont identiques 301

IX131 Lrsquoidentiteacute quantitative 303

IX1311 La multiplication 303

IX1312 Lrsquoexemplarisme radical 304

IX132 Lrsquoidentiteacute qualitative 305

IX2 Les niveaux des ecirctres chez les victorins 308

422

IX21 Les eacutetats des ecirctres 308

IX22 La creacuteation du monde 311

IX23 Lrsquoimmutabiliteacute de la connaissance divine 312

IX24 Lrsquouniteacute des Dieu et la distinction des creacuteatures 315

IX3 Intellectus (in intellectuin actu) dans le De unitate 317

IX31 Le deux niveau (in intellectuin actu) 317

IX32 In intellectuin actu et la forme premiegravere 322

IX33 Lrsquoidentiteacute des ecirctres in intellectu et in actu 325

IX34 Intellectus comme notion indeacutependante 331

IX341 Intellectus en tant que la faculteacute de lrsquoesprit 331

IX342 Intellectus en tant que la chose conccedilue 332

X Le monde sensible 337

X1 La structure des ecirctres et le problegraveme de lrsquoidentiteacute dans le monde sensible chez les

penseurs tardo-antiques et meacutedieacutevaux 337

X11 Apuleacutee 340

X12 Calcidius 342

X13 Augustin 346

X14 Boegravece 348

X15 Erigegravene 351

X16 Abeacutelard 355

X2 Le monde sensible dans lrsquoeacutecole de Saint-Victore 358

X21 Les eacuteleacutements du monde selon Hugues 358

X211 Essentia 360

X212 Materia 363

X22 Les ecirctres individuels dans la penseacutee des victorins 364

X221 Hoc aliquid 364

X221 Substance et substantialiteacute 365

X23 Lrsquoidentiteacute drsquoune chose 366

X3 Monde sensible dans le De unitate 368

X31 De quoi est composeacute un ecirctre sensible 369

423

X311 I 43-44 369

X312 Essentia et essentialiter 371

X313 Substantia 373

X314 Res 377

X315 Materia 378

X316 Corpus 379

X317 Reacutecapitulation 381

X32 Quel est le principe drsquoidentiteacute de lrsquouniteacute creacuteeacutee 382

Conclusion 389

Conclusions geacuteneacuterales 392

Achard le platonicien 396

Achard le victorin 399

Bibliographie 403

Tables des matieres 417

424

Reacutesumeacute [en franccedilais 1700 caractegraveres maximum espaces compris]

La thegravese porte sur la faccedilon dont le De unitate et pluralitate creaturarum drsquoAchard de Saint-

Victor recourt aux doctrines meacutedio et neacuteoplatoniciennes pour reacutesoudre la question drsquoune

coexistence de lrsquouniteacute et de la pluraliteacute en Dieu et dans les creacuteatures Lrsquoenjeu est ainsi de mieux

comprendre la place de la meacutetaphysique platonicienne dans lrsquoeacutecole de Saint-Victor et ce malgreacute la

rareteacute des sources au XIIe siegravecle œuvres de Platon ou de ses disciples grecs

La premiegravere partie introduit drsquoabord agrave la philosophie drsquoAchard et aux problegravemes

paleacuteographiques et philologiques que soulegraveve le manuscrit unique du De unitate puis elle

deacuteconstruit cet ouvrage en ceux de ses eacuteleacutements (questions doctrines notions) qursquoil emprunte au

meacutedio et au neacuteoplatonisme

Les deux autres parties examinent comment pour Achard une pluraliteacute est possible en Dieu

(pluraliteacute de personnes de raisons dans le Verbe) et dans le monde (en tant qursquoil est connu par Dieu

par les formes-prototypes) Chaque partie examine comment les principaux penseurs tardo-antiques

et alto-meacutedieacutevaux (Apuleacutee Augustin Calcidius Boegravece Erigegravene) et les auteurs victorins Hugues et

Richard de Saint-Victor ont repris les eacuteleacutements platoniciens eacutetudieacutes dans la premiegravere partie Ensuite

est proposeacutee une reconstruction de la reacuteponse drsquoAchard

La thegravese contribue agrave reacutesoudre deux problegravemes de lrsquohistoire de la philosophie quels

eacuteleacutements et sources platoniciens ont eacuteteacute reccedilus au XIIe siegravecle et quelle place la penseacutee victorine fait-

elle agrave lrsquoheacuteritage platonicien Les problegravemes philosophiques souleveacutes sont la multiplication des

objets intelligibles et sensibles la deacutefinition de la chose et lrsquoidentiteacute des ecirctres

Mots-cleacutes [en franccedilais]

Achard de Saint-Victor Hugues de Saint-Victor et Richard de Saint-Victor meacutedioplatonisme

neacuteoplatonisme forme raison Verbe ideacutee idos in intellectu in actu chose identiteacute Triniteacute

personne uniteacute pluraliteacute meacutetaphysique theacuteologie trinitaire

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