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International Conference CREE2019 Entrepreneurship Education, rethinking connections: Implications, Opportunities and Challenges Roanne 7 – 8 March, 2019
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Une approche innovante de la pédagogie de la négociation : la création de
jeux de rôles dans le cadre de partenariats école/entreprise
Doudou Sidibe
Patrick Germain-Thomas
Catherine Lafarge
NOVANCIA CCIR
La création, la gestion et le développement d’une entreprise confronte inévitablement les
professionnels à des situations où se mêlent des divergences d’intérêt et un besoin de coopérer.
Les compétences dans le domaine de la négociation s’avèrent nécessaires dans des contextes
multiples : le management, les relations avec les clients et les fournisseurs et, plus généralement
les relations avec l’environnement de l’entreprise. Pour acquérir ces compétences, il existe
aujourd’hui un ensemble de méthodes pédagogiques éprouvées, au sein desquelles les
« simulations » ou « jeux de rôles » occupent une place centrale. Les simulations sont
omniprésentes dans les cursus de formation mais leur fonction et les conditions de leur mise en
œuvre font aussi l’objet de réflexions critiques pointant les inconvénients liés à leur dimension
ludique et au contexte souvent artificiel de leur réalisation, qui peuvent avoir des conséquences
négatives sur l’engagement effectif des participants (Alexander et LeBaron, 2009). Des travaux
de recherche récents s’orientent sur les façons de remédier à cet écart entre les mises en situation
pédagogiques et les réalités professionnelles, par exemple en reconstituant des situations de
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marché concrètes (Poitras, Stimec et Hill, 2013). L’une des solutions envisagées consiste à
impliquer les participants aux formations dans l’élaboration même des jeux de rôles (Druckman
et Ebner, 2013), en s’appuyant sur des expériences fondatrices déjà conduites dans le passé
(Cherryholmes, 1966 ; Gamson, 1972).
Une expérience pédagogique innovante, conduite durant l’année universitaire 2015-2016 avec
deux groupes d’étudiants du programme master de Novancia Business School, école de la
Chambre de commerce de Paris-Île-de-France, mérite d’être étudiée dans cette perspective car
elle est porteuse de réponses possibles à ces interrogations récurrentes sur les modalités et
l’efficacité de la méthode des jeux de rôles. Dans le cadre de cette expérience les étudiants ont
élaboré eux-mêmes des jeux de rôles à partir de situations réelles vécues dans les entreprises
partenaires accueillant certains d’entre eux en stage. Les enseignants ont pris contact avec
l’ensemble des entreprises accueillant des étudiants en stage pour leur proposer de participer au
projet pédagogique et six d’entre elles ont répondu positivement en acceptant de fournir des
informations sur des exemples concrets de négociations complexes, afin que les étudiants
puissent construire eux-mêmes des cas pédagogiques destinés à être mis en scène dans le cadre
d’une séance de jeux de rôles. La participation des entreprises partenaires offre un contact direct
avec des enjeux managériaux et fait entrer les étudiants dans le processus de création du
matériau pédagogique. L’objectif principal de la présente contribution consiste à mettre en
lumière les compétences ainsi développées et les conditions de leur acquisition.
Trois principaux outils méthodologiques mobilisés durant la mise en œuvre du projet –
observation participante, débriefing à l’issue des séances de jeux de rôles et organisation de
discussions de groupes (Focus groupes) avec les étudiants après le dernier cours1– ont permis
d’apporter un ensemble de réponses sur les principales questions de recherche.
Pour montrer en quoi cette nouvelle démarche pédagogique permet de surmonter les limites et
obstacles rencontrés habituellement dans l’emploi des jeux de rôles dans l’apprentissage de la
négociation et comprendre les apports de cette méthode originale pour les étudiants en termes
de compétences nous présenterons dans un premier temps une synthèse des réflexions en cours
sur la pédagogie de la négociation, concernant plus particulièrement l’emploi des jeux de rôles.
Après avoir présenté, dans un deuxième temps, les différentes étapes et le contenu de
l’expérience pédagogique, nous analyserons en profondeur ses résultats et la façon dont ils sont
perçus à travers la démarche réflexive des apprenants.
1 A travers une méthodologie qualitative – organisation de huit groupes de discussion de trente minutes (dix
étudiants par groupe) –, nous avons pris en compte le retour réflexif des participants eux-mêmes.
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1. La place centrale des jeux de rôles dans la pédagogie de la négociation
La manière de dispenser le savoir est non seulement importante mais demeure la préoccupation
majeure de tout enseignant. Chacun, à sa manière, essaie de mettre en œuvre la forme de
pédagogie la plus efficace en alliant la théorie à la pratique. C’est pour cette raison qu’il existe,
quel que soit, le domaine d’enseignement une diversité de méthodes : cours théorique, sortie
pédagogique, voyages d’études, étude de cas, vidéos, simulations etc… (Lecture, adventure
learning, field trip, cases studies, videos, simulations). Notre article s’intéresse plus précisément
aux simulations et à leurs vertus pédagogiques dans l’enseignement de la négociation. Trois
principales directions de recherche apparaissent dans les travaux académiques sur ce sujet : la
place des jeux de rôle dans l’enseignement de la négociation, leurs apports et limites, les
stratégies à développer pour accroître leur efficacité. Parmi les stratégies proposées, nous nous
intéresserons particulièrement à celle qui consiste à créer des jeux de rôle par les étudiants.
Cette stratégie a été évoquée par des auteurs comme Cherryholmes (1966) et Alexander &
Lebaron (2009) mais elle a été développée par Druckman & Ebner (2013) dans leurs travaux.
Apports et Limites des jeux de rôles
Plusieurs auteurs s’accordent sur le fait que les simulations augmentent l’intérêt que les
apprenants pourraient avoir pour une matière et les motivent à apprendre. Cependant, ils ont
souligné qu’elles comportent également des limites dans la mesure où elles ne constituent pas
la panacée quant à l’apprentissage de la négociation. En un mot, elles ne permettent pas
d’apprendre mieux qu’en utilisant les méthodes conventionnelles.
Cherryholmes (1966), après avoir étudié six cas est arrivé à la conclusion que les étudiants
manifestent plus d’intérêt aux simulations qu’aux autres exercices conventionnels faits en
classe. Confortant sa thèse, Cherryholmes cite Boocock and Coleman (1959) qui ont conclu
que :
« Students evidence a high degree of interest and react very positively to simulations »
(Cherryholmes, 1966: 5).
Malgré son rôle de motivation, un meilleur apprentissage, une mémorisation ou une acquisition
de pensée critique, ne sont pas garantis selon Cherryholmes. Dans la même veine, Alexander
& Lebaron (2009 : 182) reconnaissent aux jeux de rôles leur caractère ludique et motivationnel.
Néanmoins, elles sont conscientes de leurs limites dans la mesure où les « contextes sont
artificiels » c’est à dire éloignés de la réalité. Pour Alexander & Lebaron, l’usurpation de
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l’identité culturelle d’un autre enlève à la simulation son authenticité et pourrait également être
qualifié d’irrespectueux. Dans une telle situation, les vertus pédagogiques des simulations
diminuent sensiblement. Ainsi, elles déclarent :
« when context is artificial, knowledge and skills may be similarly artificial, thus
reducing the likelihood of the transfer of skills into real situations » (Alexander &
Lebaron, 2009 :184).
C’est pour ces raisons que les deux auteurs préconisent que les simulations soient moins
utilisées à défaut d’être abandonnées (death of the role-play).
Tout en déclarant que les simulations permettent d’illustrer la plupart des thèmes développés et
de susciter l’intérêt (p7, Jean-Claude Usunier attire l’attention sur ce qu’il appelle la « dérive
ludique » (Usunier, 2004 :70). Pour lui, il faut éviter que la dimension ludique qui les motive
cache l’essentiel c’est à dire la dimension pédagogique. Poursuivant son argumentaire, il
considère l’acteur de la simulation comme un élément parmi d’autres. Ses performances sont
tributaires de ses propres actions et celles de son adversaire d’où une certaine interdépendance.
Ainsi, les acteurs ne maîtrisent pas totalement leurs performances qui dépendent de la « qualité
de l’interaction entre les deux » (Usunier, 2004 :70). Un autre argument développé pour
améliorer les performances de l’acteur est de rendre la connaissance crédible et opérationnelle
c’est à dire qu’elle doit être adossée sur un monde réel et non artificiel. Enfin, Usunier met en
avant un argument non moins important : l’absence de préparation. Il postule que les étudiants
ne lisent pas les scénarios correctement et donc ils ne comprennent pas bien leur rôle (Usunier,
2010 :84). Ce qui nuit à l’objectif d’apprentissage.
A cause des limites décrites plus haut, Usunier conclut que la performance en négociation n’est
pas garantie (Usunier, 2004 :70). Or, les performances sont potentiellement les indicateurs de
mesure d’un apprentissage réussi.
Quant à William Zartman (2010 : 234), il trouve également que les simulations sont des outils
appropriés pour mettre en situation des apprenants afin d’illustrer les concepts que les étudiants
ont appris. Cependant, il n’a pas manqué de déplorer le caractère artificiel des jeux de rôle plus
particulièrement dans les relations internationales et pense que la meilleure façon d’enseigner
la négociation est faire en sorte que l’étudiant puisse être lui-même même si le scénario est
fictif. (Zartman, 210 : 235).
Druckman and Ebner (2013), pour leur part, se sont également intéressés aux jeux de rôle en
négociation. Après avoir fait une revue de littérature assez large sur le sujet, ils sont arrivés à
la même conclusion que leurs prédécesseurs : « les jeux de rôle permettent de motiver les
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apprenants mais leur efficacité n’est pas prouvée » (Druckman & Ebner, 2013 :67). En dehors,
des critiques déjà formulées par plusieurs auteurs portant sur l’efficacité ou la performance des
jeux de rôle, Druckman et Ebner s’appuient sur les travaux d’Alexander et Lebaron (2009) pour
adresser d’autres critiques qui sont au nombre de trois :
1- Les considérations pédagogiques et logistiques (Pedagogical and logistical
considerations)
2- Tranférabilité et réalité (Tranferability and verisimilitude)
3- The cultural and contextual suitability of teaching with simulations
Pour la première critique, ils soutiennent que les simulations sont chronophages (time-
consuming). Leur utilisation est également risquée car l’absence de motivation et de
performance d’un étudiant peut-être préjudiciable au groupe ou à la classe tout entière. Ainsi,
Druckman & Ebner (2013 :69) posent la question de l’interdépendance déjà évoquée par
Usunier, 2004 :70). Concernant la deuxième critique, elle est orientée vers la transférabilité
dans la vraie vie des concepts appris. Enfin, la troisième critique souligne l’adaptabilité des
simulations dans tous les contextes notamment culturels car cela pourrait créer des confusions
entre les étudiants de différentes cultures et entre les étudiants et les professeurs. Même si cet
argument leur paraît fondé, ils restent prudents en préconisant leur évaluation.
En guise de conclusion de leur revue de littérature, Druckman & Ebner (2013 : 69) ont retenu
trois points récurrents : la limitation des simulations dans l’enseignement de la négociation,
l’amélioration de leur utilisation et l’exploration de nouvelles possibilités d’utilisation.
Stratégies pour améliorer l’efficacité des jeux de rôle
Malgré les critiques sur leur imperfection, les jeux de rôle ne sont pas voués à la disparition.
Plusieurs auteurs ont fait le choix de recommander leur amélioration en lieu et place de leur
abandon. Ainsi, les stratégies ou recommandations dans la littérature se structurent autour de
deux idées principales : l’augmentation de l’authenticité des cas et la conception des jeux de
rôle par les apprenants.
- L’augmentation de l’authenticité
Même si William Zartman reconnaît l’importance des jeux de rôle dans l’enseignement de la
négociation, il propose de surmonter l’artificialité considérée comme un obstacle à l’efficacité.
Pour lui, « la meilleure simulation est celle où les parties jouent leur propre rôle avec des enjeux
réels en temps réel dans un scénario ancré dans la réalité » (The best simulation is one where
parties play themselves for real stakes in real time in a real scenario) (Zartman, 2010, 235).
Pour apporter des remèdes à l’artificialité des jeux de rôle, Zartman propose l’utilisation des
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simulations assez générales mais également culturellement et contextuellement neutres pour
que les apprenants puissent se les approprier comme s’ils étaient très proches de la réalité. Ainsi,
il déclare : « Since the prime purpose of simulations in courses is to develop a general ,
introductory feel for negotiation –to get the student know him or herself and to learn insights
into the process – rather than to capture a particular international situation , simple homey
situations to which the student can relate are most useful. » (Zartman, 2010, 235). Ainsi, il
recommande deux simulations qui correspondent à sa description d’une simulation idéale et qui
rencontrent un succès dans ses cours : The House Sale Game and Camp Game.
A l’instar de Zartman, Poitras et al. (2013) ont planché sur les changements possibles pour
augmenter le niveau d’implication de l’apprenant mais également pour améliorer la conception
des jeux de rôle par les enseignants en négociation. Ainsi, ils proposent deux cadres théoriques
de référence : l’ancrage dans la réalité (ecological validity) et l’intérêt personnel (vested
interest). Le premier cadre (ecological validity) repose sur trois piliers : réalité quotidienne
(mundane realism), réalité empirique (Experimental realism) et la réalité psychologique
(psychological realism). Quant au deuxième cadre, il est composé de cinq éléments : l’enjeu
(stake), l’importance (salience), certitude (certainty), l’immédiateté (immediacy) et l’efficacité
personnelle (self-efficacy) (Poitras et al.2013). Malgré la pertinence de leurs propositions et la
solidité des arguments qui les soutiennent, elles ne sont pas testées de façon empirique.
Dans leurs travaux, Alexander et Lebaron (2009), après avoir déploré le manque d’authenticité,
préconisent un certain nombre d’alternatives pour compléter les performances pédagogiques
des jeux de rôles. La première proposition est l’apprentissage par l’aventure (adventure
learning), une expérience couramment utilisée dans les cours de leadership et de teambuilding
mais négligée en négociation et en résolution des conflits (Alexander et Lebaron, 2009 :186).
Elle consiste à amener dans le cadre d’une excursion les étudiants à négocier dans des situations
réelles qui impactent directement leur vie. Les auteurs prennent l’exemple d’une négociation
pour déjeuner où la qualité du repas dépendra du résultat de la négociation. Ce qui motive les
participants à bien négocier. En même temps, les leçons tirées de cette expérience permettent
d’apprendre.
La seconde proposition est un panorama d’idées créatives comme « le dessin, l’imitation,
l’improvisation, le mouvement, la danse, l’écriture, la musique, le récit, la sculpture du corps »
qui permettent « d’améliorer et d’approfondir l’apprentissage » (Alexander Lebaron, 2009 :
188).
- La conception de jeux de rôles par les étudiants
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Si certains auteurs proposent d’améliorer la façon de concevoir les jeux de rôle par les
enseignants (Poitras et al, 2013), d’autres auteurs proposent que les étudiants conçoivent leurs
propres jeux de rôle. Il s’agit de Cherryholmes, Alexander et Lebaron, et Druckman et Ebner.
Cherryholmes (1966) fait partie des premiers à proposer des stratégies alternatives. Sans trop
aller dans les détails, il met en avant trois alternatives : la conception des jeux de rôle par les
apprenants, la validation d’une théorie intégrée dans la simulation et le remaniement d’une
simulation. Mais la combinaison des deux premières alternatives lui paraît plus utile pour se
confronter à la réalité et pallier le manque d’authenticité (Cherryholmes, 1966 :7). Même si ces
trois alternatives sont pertinentes, d’autres auteurs s’intéresseront particulièrement à la
conception des jeux de rôle par les étudiants et essayeront d’aller plus loin que Cherryholmes.
Alexander et Lebaron (2009) ont fait douze recommandations qui insistent globalement sur la
réalité ou l’authenticité des jeux de rôle c’est à dire la création de jeux de rôle qui soient plus
proches du vécu des apprenants. Mais leur recommandation numéro un qui consiste à donner
aux étudiants la possibilité de concevoir leurs propres jeux de rôle pour d’autres étudiants a
davantage retenu notre attention car étant en phase avec l’objectif principal de notre article.
Contrairement à Cherryholmes (1966) et à Alexander Lebaron (2009), Druckman et Ebner
(2013) sont les seuls à passer l’étape de proposition et à développer cette idée pour essayer de
dépasser les limites identifiées en proposant que les étudiants conçoivent leur propre simulation
avant de les faire jouer par d’autres étudiants.
Pour ce faire, ils se sont appuyés sur des expériences organisées dans deux classes : une en
Israël et une autre en Australie. Ils ont demandé aux étudiants d’écrire des jeux de rôle avec
comme matériaux trois concepts : les alternatives, la pression du temps et le pouvoir. Un
questionnaire administré aux participants sur l’apprentissage et la motivation a permis de
collecter des données empiriques dont l’analyse a abouti à quatre conclusions. Cependant, l’une
d’entre elles a particulièrement attiré leur attention : « les apprenants comprennent mieux les
relations entre les différents concepts quand ils créent les simulations que quand ils les jouent »
(Druckman et Ebner, 2013 : 81). Cette conclusion a le mérite d’avoir bouleversé les idées reçues
par rapport aux vertus pédagogiques des simulations écrites par les enseignants. Malgré
l’importance de leur découverte, Druckman et Ebner sont conscients qu’il est possible d’aller
encore plus loin. C’est pour cette raison qu’ils déclarent dans leur conclusion :
« A fresh look of at whether , when, and how to employ simulations is clearly needed »
(Druckman et Ebner, 2013 : 87).
Ainsi, ils sonnent un appel au renouvellement des méthodes et notre article s’inscrit dans cette
démarche.
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2. Une expérience pédagogique interactive
En partant de l’information transmise par les entreprises, le cours a comporté cinq séances d’une
demi-journée, réparties sur un semestre et organisées selon le schéma indiqué ci-dessous.
La phase de préparation s’est étalée sur un mois environ afin de trouver des entreprises parmi
celles accueillant les étudiants en stage, qui accepteraient de participer à ce projet. Leur
collaboration devait se matérialiser par la transmission de données pour la rédaction des cas et
leur participation aux jurys pour évaluer les jeux de rôles.
La phase d’exécution s’est déroulée sur une période d’un mois, comprenant deux séances
affectées à la production des livrables et une session consacrée aux simulations et évaluations
des jeux de rôles. Pendant les deux premières séances, les groupes formés de quatre apprenants
ont élaboré les différents livrables : un énoncé, deux fiches de rôle, une note pédagogique et
une grille de notation, utilisés pendant la séance de simulation et d’évaluation des jeux de rôle.
En effet, chaque étudiant a interprété un rôle de négociateur, à partir d’un cas rédigé par un
autre groupe. Enfin chaque groupe a pu évaluer les prestations des autres étudiants, sur les jeux
de rôle qu’il avait élaboré.
La phase d’analyse n’a comporté qu’une seule session organisée en focus groups de 10
étudiants. Il s’est agi de recueillir leurs propos, afin d’apporter des réponses aux principales
questions de recherche.
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Phase de préparation
Pour mettre en place cette expérience, les enseignants ont pris contact par mail et par téléphone
avec l’ensemble des entreprises accueillant en stage les étudiants de master inscrits dans la
spécialisation « Développement commercial et achats » et leur ont proposé de participer au
projet pédagogique. Six d’entre elles ont répondu positivement. Les deux professeurs
conduisant le projet, ont ensuite rencontré les professionnels chargés de l’encadrement des
étudiants (maîtres de stage) afin d’identifier des exemples concrets de négociations plus ou
moins complexes, abouties ou récurrentes. Six situations de négociation ont été retenues car
elles reflétaient bien les activités habituelles des organisations et elles s’inscrivaient dans le
registre commercial ou managérial.
Lors de l’entretien, les professeurs ont demandé aux maîtres de stage de fournir pour chaque
exemple, les informations nécessaires (extrait de contrat, montants engagées, conditions
générales de vente, argumentaires commerciaux, tarifications…) permettant aux étudiants de
construire eux-mêmes les cas pédagogiques destinés à être mis en scène dans le cadre d’une
séance de jeux de rôles. Par ailleurs, chaque professionnel a été invité à venir évaluer les travaux
des étudiants et juger les prestations de simulation lors de la quatrième séance du cours.Une
fois les données collectées, les professeurs ont préparé des dossiers contenant les informations
mises à disposition par les 6 entreprises, de manière à donner suffisamment de matière aux
apprenants pour qu’ils puissent rédiger un cas pédagogique sans toutefois fournir des
documents trop rédigés.
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Enfin, pour présenter le projet aux apprenants, les enseignants se sont appuyés sur un cours
ayant précédemment eu lieu intitulé « Theories and techniques of negotiation » pour présenter
la méthode à utiliser, le principe du projet et les travaux attendus. Les groupes de trois ou quatre
étudiants ont été constitués. Après que les enseignants ont exposé les situations de négociation,
chaque groupe a choisi le cas qu’il souhaitait développer.
Il a été parfois difficile pour certains apprenants de s’approprier le contexte et les enjeux de la
négociation. En effet, certaines situations étaient plus complexes que d’autres, de par l’activité
de l’entreprise et les enjeux de la négociation. Sachant que chaque cas proposé était tiré d’un
expérience réelle et vécue dans une entreprise accueillant un stagiaire, ce dernier est devenu
référent. En complément des informations fournies par les enseignants, chaque référent a pu
apporter des éclaircissements à d’autres étudiants.
Les situations exploitées
Les six entreprises ayant accepté de participer à l’expérience pédagogique appartiennent à des
secteurs d’activité variés. Toutes les situations correspondent à des cas de négociation en B to
B ayant abouti ou de forme récurrente.
Le premier exemple traite du règlement d’un désaccord entre la direction commerciale et la
direction de la production d’un constructeur automobile. Le différend est consécutif à un oubli
de commande de pièces par le service commercial auprès de la production. L’objet de la
négociation porte sur le choix entre un approvisionnement en interne auprès d’un site basé à
l’étranger, posant un problème de délais, ou un achat auprès d’un fournisseur à des coûts plus
élevés.
La seconde situation concerne la résolution d’un conflit entre une société de services
informatique, filiale et fournisseur d’un groupe financier qui est son client unique, et l’un de
ses sous-traitants dont les prestations sont insatisfaisantes. Le donneur d’ordre a le choix entre
l’application de pénalités ou la mise en place de mesures d’amélioration de la qualité de service
vis-à-vis du sous-traitant.
Dans le troisième cas, la négociation se situe entre une société de locations de véhicules
destinées aux entreprises et une entreprise, elle porte à la fois sur un contentieux concernant la
facturation de la remise en état d’un véhicule restitué et sur la signature d’un nouveau contrat
pouvant comporter une clause d’exclusivité.
Le quatrième exemple illustre la transaction entre une entreprise leader dans le secteur agro-
alimentaire et la centrale d’achat d’une enseigne de grande distribution, en vue du
référencement d’un nouveau produit. Cette nouvelle référence est très innovante et nécessite
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des supports à la vente pour lever les freins auprès des prescripteurs, acheteurs et
consommateurs.
La cinquième négociation se déroule entre un constructeur du secteur aéronautique (moteurs
d’avions) et un prestataire assurant la location de bancs d’essais et le test de nouveaux moteurs.
Il s’agit d’une renégociation du contrat en cours d’application, qui traite de la réduction du
volume de la prestation (deux bancs d’essais loués au lieu de trois), d’une requalification du
cahier des charges et de l’application de pénalités de retard liées à l’exécution de la prestation.
Le sixième et dernier cas porte sur le traitement d’un litige entre une société de location de
véhicules destinés aux entreprises et un client insatisfait en raison d’un retard dans une livraison
de véhicules et de la non disponibilité du modèle souhaité.
Les livrables à réaliser par les étudiants
Chaque groupe de quatre apprenants a ainsi produit quatre livrables au cours de deux séances
de travail. L’ensemble des documents conçus par le groupe a été évalué par les professeurs et
constitue une note de travail collectif représentant 40% de la note, les 60% restants étant
attribués de manière individuelle lors de l’exercice de simulation.
- un premier texte de 1 à 2 pages doit présenter le contexte de la négociation connu des
deux parties (enjeux, objets, acteurs) et détaillant très précisément les circonstances de
l’épisode ayant vocation à faire l’objet d’une mise en situation (lieu, durée, acteurs,
contenu) ;
- les deux fiches de rôle d’une page environ chacune, sont constituées des informations
spécifiques pour chaque négociateur et ignorée par l’autre partie. Ces « rôles »
présenteront des informations plus détaillées et approfondies sur les objectifs et enjeux
des personnages impliqués dans la négociation ainsi que sur les arguments qu’ils
peuvent utiliser (promesses et/ou menaces) et les différentes solutions qui s’offrent à
elles en cas d’échec de la négociation (BATNA) ;
- un troisième document intitulé notice pédagogique explique les objectifs du jeu de rôle,
les scénarios possibles pour le déroulement de la négociation, les éventuels points de
blocage (dimension distributive) les pistes de coopération pouvant (ou devant) être
identifiées, les arguments à développer (structuration des attitudes) et les négociations
internes devant être prise en compte pour chaque camp (dimension intra-
organisationnelle) ; la notice pédagogique évoquera, le cas échéant, les formules de
négociation (Zartman) pouvant être trouvées ;
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- le dernier outil est une grille d’évaluation qui indique les principaux critères à utiliser
pour évaluer les prestations des participants aux jeux de rôles, en fonction de la
spécificité de chacune des situations mises en scènes, de ses difficultés, des opportunités
de coopération pouvant être saisies et des atouts pouvant être exploités par les
différentes parties.
Il a été demandé aux étudiants de s’appuyer sur les informations fournies pour construire leur
cas pédagogique. Cependant, il a été autorisé, d’imaginer des données ou composantes
supplémentaires dans le but de donner plus de cohérence et de dynamisme aux jeux de rôles.
Certes, ces éléments complémentaires confèrent une dimension en partie « fictive » à ces
simulations, mais cela est toléré lorsque l’intérêt de ces simulations sur le plan de l’entraînement
à la négociation est accru.
Phase d’exécution
La mise en œuvre du projet s’est déroulé sur 3 sessions de travail. La première séance de travail
a consisté à élaborer la première version de l’énoncé du jeu de rôle, comportant une partie
contexte commune à toutes les parties et des fiches de rôle spécifiques à chacune des parties
(les différentes parties ne détiennent pas les mêmes informations) ; chaque groupe d’apprenants
ont envoyé par mail cette première version aux enseignants en fin de session. Les professeurs
ont ainsi pu contrôler la pertinence des travaux par rapport aux données initiales (contenu) et
le respect des consignes (forme).
A partir des retours et remarques envoyés par les enseignants avant la séance, les groupes
d’étudiants ont finalisé lors de la deuxième session de travail, les énoncés des jeux de rôles. Ils
ont de surcroît élaboré une fiche pédagogique énonçant de la façon la plus claire et complète
possible les résultats attendus pour la négociation envisagée et les critères d’appréciation des
prestations des parties.
En amont de la dernière séance consacrée à la mise en situation des cas pédagogique écrits par
les apprenants, les professeurs ont préparé l’organisation et le déroulement des jeux de rôles,
de manière à ce que chaque étudiant puisse tour à tour, être jury et acteur. Le planning de la
journée devait tenir compte de l’accueil des professionnels participant au jury, de la préparation
à l’exercice de simulation (30 min), de la durée des jeux de rôle (20 min) ainsi qu’un moment
réservé à la délibération du jury (10 min).
Chaque étudiant a participé en tant qu’acteur, non pas au jeu de rôle qu’il a élaboré mais à l’un
de ceux élaboré par les autres groupes. Il disposait de temps de préparation pour découvrir son
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rôle à partir de l’énoncé d’un autre groupe et préparer l’entretien de négociation. Il était évalué
par un jury constitué d’un professionnel (le maître d’apprentissage), d’un professeur et du
groupe d’étudiants ayant élaboré le jeu de rôles.
De plus chaque apprenant a eu l’opportunité d’être membre d’un jury, entouré du professionnel
ayant fourni les données du cas et d’un enseignant. Les auteurs du cas ont ainsi participé à
apprécier et noter la prestation de leurs pairs.
A l’issue de la simulation, les professeurs, les maîtres d’apprentissage et le jury- étudiant ont
pu commenter la prestation et faire un retour à chaud aux personnes évaluées.
Phase d’analyse
A partir d’un guide d’entretien conçu avant la dernière séance de travail, les professeurs ont
organisé des discussions de groupe de 10 apprenants (focus group). Ces retours d’expérience
ont permis aux étudiants de s’exprimer sur l’appréciation globale du projet, les difficultés
rencontrées, leurs apports perçus et leurs idées pour améliorer la démarche.
***
3. Une innovation pédagogique qui permet de surmonter les limites
habituelles de la pratique des jeux de rôles
Les trois principaux outils méthodologiques mobilisés durant la mise en œuvre du projet –
observation participante, analyse des réalisations des étudiants, débriefing à l’issue des séances
de jeux de rôles et organisation de discussions de groupes (Focus groups) avec les étudiants
après le dernier cours – ont permis d’apporter un ensemble de réponses sur les principales
questions de recherche. Deux objectifs sont à différencier : montrer en quoi cette nouvelle
démarche pédagogique permet de surmonter les limites et obstacles rencontrés habituellement
dans l’emploi des jeux de rôles dans l’apprentissage de la négociation et comprendre les apports
de cette méthode originale pour les étudiants en termes de compétences. Tout au long de cette
démonstration, nous nous appuierons sur les propos des étudiants eux-mêmes, dont le degré
d’approfondissement et le caractère réflexif sont en eux-mêmes révélateurs de leur forte
implication dans le processus.
Dans les groupes de discussion organisés avec les étudiants à la fin du cours, ceux-ci ont
d’emblée insisté sur l’intérêt que représentent pour eux, de façon générale, les entraînements à
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la négociation à travers les jeux de rôles et l’importance qu’ils leur accordent pour la préparation
à la vie professionnelle. Le fait que les jeux de rôles soient ici tirés de situations réelles et
construits en collaboration avec des professionnels rend cette approche plus pertinente encore
à leurs yeux :
« Jouer ce cas nous a permis de nous mettre en situation de négociation sur une problématique concrète,
le fait de savoir que les sujets traités étaient des problèmes réellement rencontrés dans la vie des
entreprises a rajouté à l’exercice une touche de réalisme qui nous a aussi permis de nous sentir plus
impliqués. Nous avons donc pu à la fois découvrir de nouvelles situations professionnelles, mieux
connaître certaines activités, et mettre en pratique les connaissances théoriques abordées en cours. »
Ces remarques montrent à quel point le dispositif pédagogique apporte des réponses aux limites
des jeux de rôles les plus fréquemment évoquées dans la littérature sur l’enseignement de la
négociation, concernant les conséquences possibles de leur caractère artificiel sur l’implication
des étudiants. Deux spécificités de l’expérience conduite méritent ici d’être approfondis : le fait
que les énoncés aient été rédigés par les étudiants eux-mêmes et leur participation à l’évaluation
des prestations de leurs pairs sur le cas qu’ils ont élaboré.
Une forte implication des étudiants dans la construction des cas
De façon unanime, les apprenants et les professionnels associés au cours, ont perçu l’originalité
de la démarche. Le fait d’être eux-mêmes associés à l’élaboration du matériel pédagogique est
très valorisant pour les étudiants et cette valorisation, encore accrue par la relation avec les
acteurs du monde professionnel, favorise leur adhésion à l’ensemble du processus :
« Le fait d’élaborer le sujet nous a permis de développer nos compétences de synthèse et d’imagination.
C’est un travail que nous n’avions jamais fait avant, cela nous a permis de nous sentir plus impliqués et
plus sensibles aux enjeux de la négociation, de prendre conscience de l’ensemble des éléments à prendre
en compte et de réfléchir à toutes les possibilités et solutions que peut englober un jeu de rôle. »
Certes, la difficulté de l’exercice est fréquemment évoquée, mais les apprenants considèrent
qu’il s’agit d’un entrainement très utile en termes de communication écrite. À partir
d’informations brutes préparées conjointement par les enseignants et les professionnels, ils
doivent concevoir à la fois une présentation commune du contexte de la négociation et des
fiches de rôles spécifiques pour chacune des parties. Ils entrent ainsi à l’intérieur de la
mécanique de la négociation et doivent non seulement en comprendre les détails et les ressorts
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profonds mais aussi les synthétiser et les énoncer clairement dans la conception du cas. Ils sont
tout à fait conscients des exigences de ce travail :
« Se mettre à la place du rédacteur est une très bonne expérience, car on se rend compte de la difficulté
à exposer les faits à l’écrit. L’énoncé doit être le plus clair, le plus simple et le plus compréhensible
possible. Il a fallu être concis tout en faisant attention à ne pas omettre des détails importants. Cet
exercice s’est avéré très utile car il nous a permis d’apprendre à dépeindre un contexte de négociation,
à “planter le décor”. D’autant plus que les différents secteurs ou entreprises ont des modes de
fonctionnement bien particuliers, donc les étudiants doivent avoir les éléments pour se mettre dans le
rôle au plus vite. »
Cette étape de la rédaction du cas mobilise des compétences de communication écrite et
favorise la prise de conscience de l’importance du choix du vocabulaire et de la mise en forme
des données pour la compréhension du contexte et de la dynamique de la négociation.
L’exercice met en lumière l’impact du choix des mots sur le déroulement des échanges et la
façon dont les différentes formulations possibles induisent des scénarios de négociations
différents :
« Dans une première ébauche, on avait fait les choses simplement mais après on s’est aperçus de
l’importance du vocabulaire, des mots qu’on utilise. Chaque mot peut avoir des répercussions sur la
suite de la négociation et l’interprétation des négociateurs. Cela nous apprend à mieux lire les cas à
mieux interpréter les mots et à ne pas survoler. »
Cet aspect est capital car la compréhension des différentes situations managériales présentées
dans les jeux de rôles et des différents leviers mis en jeux dans les transactions a été perçue
comme l’un des éléments les plus discriminants dans le déroulement des jeux de rôles. Dans la
mesure où plusieurs cas ont été proposés et où plusieurs groupes d’étudiants ont travaillé à
l’élaboration de différentes versions de chacun de ces cas, les apprenants se sont trouvés
successivement dans un rôle de jurys, pour les cas qu’ils avaient rédigés, et de négociateurs,
pour un cas différent de celui sur lequel ils avaient travaillé au préalable. L’intégration des
apprenants dans les jurys, aux côtés des enseignants et des managers représentant les entreprises
partenaires, a incontestablement favorisé une dynamique d’engagement de leur part. Dans une
logique de réciprocité, ils ont répondu à la confiance qui leur a été accordée en tenant compte
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de leurs appréciations dans l’évaluation2 par une confiance équivalente dans l’intérêt de
l’exercice proposé. Conscients de l’originalité de cette situation, les professionnels s’y sont
pleinement engagés et ils sont entrés dans un véritable dialogue avec les étudiants. Ceux-ci ont
fortement valorisé cette étape du projet :
« Nous n’avions jamais participé à un exercice de ce type auparavant, nous avons à présent assez de
maturité pour être justes et apprécier les défauts et les qualités des personnes évaluées. Cela nous a
permis d’avoir un point de vue extérieur, de cerner les attentes des professionnels mais aussi d’avoir une
vision plus large de la stratégie de l’entreprise. Grâce au retour constructif des professionnels nous avons
mieux compris ce qui était important pour eux, ce qu’il fallait faire et ne pas faire. »
En effet, le rôle consultatif attribué aux apprenants dans les jurys leur a aussi ouvert une
perspective tout à fait nouvelle sur les critères à prendre en compte dans l’évaluation des
performances dans un processus de négociation et les compétences à mettre en œuvre pour cela.
Les prestations de leurs congénères, à partir d’énoncés qu’ils avaient eux-mêmes conçus, leur
ont permis, comme en miroir, de s’appliquer à eux-mêmes les constats établis sur les points
forts et points faibles des négociateurs. Ils ont notamment pris conscience de l’importance des
compétences relationnelles :
« Être jury permet de voir comment les autres négocient, la gestuelle, la communication non verbale.
Cela permet de voir ce qu’il faut faire ou ne pas faire, des choses dont on ne se rend pas compte lorsqu’on
négocie nous-mêmes. On s’aperçoit aussi des répétitions de mots, des tics de langage qui parasitent la
communication. Nous nous sommes rendus compte de la qualité d’expression des étudiants et de leur
capacité d’écoute. »
Plus généralement, au-delà des seules qualités de communication, la dynamique en trois temps
instaurée par le projet – conception du cas, participation aux jurys pour le cas rédigé, exécution
d’un jeu de rôle en tant que négociateur pour un autre cas – a favorisé une attitude réflexive des
étudiants et une réelle prise de conscience des compétences essentielles mises en jeu dans la
pratique de la négociation.
Une attitude réflexive qui renforce potentiellement l’acquisition de compétences
2 Les étudiants sont sollicités pour apprécier les prestations de leurs pairs sur les cas qu’ils ont élaborés. Leur
rôle reste consultatif, mais il est véritablement pris en compte dans la note finale décidée par les professeurs et
les professionnels.
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Deux dimensions essentielles dans la théorie et la pratique de la négociation ont été
systématiquement abordées dans les discours des étudiants et des professionnels présents : la
question de la lecture et de la compréhension du contexte et des données précises des cas
abordés et la perception des rapports de forces sous-jacents et de l’équilibre des pouvoirs dans
chaque situation.
Tous les acteurs du processus pédagogique considèrent que la compréhension, la restitution et
l’utilisation de l’information constituaient la plus grande difficulté de l’exercice. Nous-mêmes,
enseignants, avons dû accompagner de très près les étudiants dans la conception des cas et, le
plus souvent, les aider à produire plusieurs versions successives pour améliorer leur
compréhension et leur mise en forme des informations concernant les différentes situations
managériales. Nous avons perçu à cette occasion les difficultés rencontrées pour s’approprier
les données essentielles propres à chacune des négociations, notamment les données chiffrées.
Pour l’un des cas, par exemple, qui porte sur un litige entre le département informatique d’un
organisme financier et une société de services sollicitée pour le développement d’applications
dédiées à la gestion de fonds de retraite, le professionnel présent et les étudiants concepteurs
des énoncés ont compris l’ampleur du chemin à parcourir pour appréhender la dynamique de la
négociation. Le litige concerne d’importants défauts de qualité sur les prestations effectuées par
le sous-traitant, en conséquence desquels le client est en droit, selon le contrat, d’appliquer des
pénalités financières. Cependant, le manager de la société cliente, qui fait du « bien être au
travail » une priorité de la gestion de son département, ne souhaite pas appliquer les pénalités
car les consultants du prestataire sont présents sur son site et il craint que le coût de ces pénalités
ne se traduise par une pression de la direction sur ces consultants, instaurant de très fortes
tensions au sein des équipes et une dégradation du climat social. Ce manager tente donc, dans
la négociation, de pousser le sous-traitant à recruter des informaticiens plus expérimentés et
compétents, ce qui impliquerait évidemment le versement de rémunérations plus élevées. Sur
le plan économique, la négociation est sous-tendue par des calculs sur les montants des pénalités
et l’augmentation des coûts salariaux qui serait induite par l’embauche d’informaticiens séniors.
Les commentaires des étudiants à propos des jeux de rôles auxquels ils ont assisté, à partir des
énoncés qu’ils avaient élaborés, sont révélateurs de leur prise de conscience des difficultés
rencontrées dans l’interprétation du cas :
« Nous avons noté que la majorité des étudiants sont passés à côté de certains éléments fondamentaux
du cas. En effet, la direction de la société cliente a engagé une stratégie favorisant le « bien-être au
travail » et ce point devait être un axe majeur dans la négociation. Cet élément était présent dans notre
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énoncé, mais les étudiants qui ont joué cette simulation n’ont pas vraiment articulé leur transaction
autour de cet enjeu. Peut-être n’ avons pas suffisamment mis en valeur ce point dans notre énoncé. »
L’un des effets remarquables du processus pédagogique réside ainsi dans la perception par les
étudiants de l’importance de la lecture attentive des textes des études de cas, dimension capitale
pour produire une prestation de qualité, et point faible que les enseignants remarquent chez de
beaucoup d’apprenants. Ceux-ci affichent de fermes résolutions à cet égard :
« Nous allons faire plus attention à la lecture des sujets lors de nos prochaines mises en situation
afin de ne pas passer à côté d’informations clés. Quand je suis passée pour le jeu de rôle, j’ai
fait attention à chaque mot écrit sur le cas, puisque je sais maintenant, grâce à la rédaction de
notre propre cas, que chaque phrase a une importance. »
De surcroît, dans le processus même d’élaboration des études de cas, les étudiants devaient
élaborer une présentation du contexte commune pour les deux parties, mais aussi des fiches de
rôles spécifiques à chacune d’entre elles. Ils avaient donc à répartir certaines données entre les
parties et ils ont pu mesurer, à cette occasion, de quelle façon cette répartition influait sur
l’équilibre de la négociation, la détention de certaines informations constituant un atout pour
l’une ou l’autre des parties. Ils ont ainsi pu expérimenter de façon très concrète la notion
d’asymétrie d’information et son rôle capital dans les transactions. Par exemple, dans une
négociation concernant le référencement d’un produit alimentaire en grande distribution, ils ont
perçu toute la subtilité de l’exercice :
« Le plus dur c’est de synthétiser les informations pour que ceux qui vont travailler sur le cas puissent
le comprendre rapidement. Le risque c’est de donner trop d’informations, de leviers, à l’un (par exemple
à l’acheteur) et pas assez à l’autre (par exemple le vendeur). On s’est aperçus qu’on avait un peu
déséquilibré le cas, en donnant trop de pistes à l’acheteur et pas assez au vendeur. C’est toute la question
du périmètre qu’on donne aux parties. »
Sur le plan de la théorie de la négociation, on s’aperçoit donc que les réflexions nécessaires à
l’élaboration des cas offrent un éclairage irremplaçable pour apprécier toute l’échelle des
nuances possibles entre les dimensions intégrative et distributive des négociations (Walton et
Mac Kersie, 1965). Ayant élaboré les énoncés et assisté aux prestations de leurs pairs sur les
jeux de rôles, les étudiants ont eu l’occasion de percevoir à quel point l’équilibre entre les
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dimensions conflictuelle (distributive) et coopérative (intégrative) des négociations pouvait
varier de façon radicale selon la façon dont les créateurs des cas s’appropriaient et restituaient
les données sur les situations managériales exploitées :
« Concevoir le cas nous a permis de nous mettre dans la peau des deux parties. Il a fallu analyser la
situation initiale, créer des contraintes pour les deux parties, leur donner des objectifs contradictoires
tout en laissant une issue gagnant-gagnant dans la situation. Nous avons dû réfléchir à des arguments
servant à une négociation distributive, tout en laissant apparaître de façon subtile des arguments pour
mener une négociation intégrative. »
Globalement, tous les acteurs impliqués dans le cours – apprenants, professionnels et
enseignants –, ont constaté, et il s’agit là d’une hypothèse de première importance pour la
réflexion sur la pédagogie de la négociation, que l’exercice entraînait une tendance naturelle à
privilégier la dimension intégrative des négociations. Les propos suivant d’un étudiant
résument bien cette perception :
« Lors de nos différentes observations, nous avons été frappés par l’attitude générale des étudiants
observés. La plupart a décidé d’adopter une posture intégrative, alors que peu d’entre eux ont
véritablement réussi à mettre en avant leurs intérêts spécifiques en s’engageant dans une négociation
distributive. Nous ne savons pas comment expliquer cela. Est-ce la contrainte du temps ? Est-ce la
dimension pédagogique du scénario incitant implicitement à la relation win-win ? La recherche
systématique d’un compromis incite certains à faire des concessions trop rapides, sans obtenir de
contrepartie réelle. »
Ces propos sont révélateurs de l’approfondissement de la démarche réflexive des étudiants, ils
constituent en eux-mêmes non seulement une démonstration du potentiel considérable de cette
expérience pour l’apprentissage de la négociation et la prise des conscience des compétences à
développer mais aussi un challenge important et une ouverture sur un questionnement de grande
ampleur sur le plan de la pédagogie et de la façon dont elle influe sur l’équilibre entre le
développement d’aptitudes la coopération et la fermeté nécessaire dans la défense de ses
intérêts.
Voies d’optimisation
La conjugaison des observations conduites par les enseignants et les professionnels et des
propos recueillis auprès des apprenant met en lumière le apports réels du projet pédagogique,
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la façon dont il apporte des solutions aux difficultés majeures rencontrées habituellement dans
l’emploi des jeux de rôles et son potentiel pour le développement des compétences, notamment
grâce à l’attitude réflexive qu’il induit. L’ensemble du processus provoque une prise de
conscience radicale d’enjeux majeurs : les compétences relationnelles et le langage utilisé, la
maîtrise et l’utilisation de l’information, l’équilibre subtil à définir entre les dimensions
distributive et intégrative.
Pour poursuivre cette expérience, plusieurs améliorations possibles sont à envisager afin d’aller
plus loin encore dans l’objectif de rapprochement avec les réalités managériales. Plusieurs
limites et questionnements résiduels doivent en effet être pris en considération :
- une réflexion serait à conduire sur la taille des groupes et la durée précise du cours
nécessaire pour favoriser une réelle prise de connaissance de l’ensemble des données
par les étudiants et une exploration créative des différents scénarios possibles à
envisager et à suggérer dans les énoncés ; ce questionnement sur la durée du cours doit
également prendre en compte non seulement le temps nécessaire à l’élaboration des cas
par les étudiants mais aussi la durée souhaitable de la préparation et des mises en
situations pour les jeux de rôles ;
- l’évaluation du cours, tant pour la rédaction des énoncés que pour les prestations
réalisées lors des simulations, constitue également un registre de réflexion crucial car
elle représente un moyen possible pour favoriser une prise en compte équilibrée des
dimensions intégrative et distributive de la négociation, l’encadrement des étudiants lors
de l’élaboration des cas et des grilles d’évaluation permettrait d’éviter le risque naturel
d’une accentuation de la dimension intégrative, liée à une moindre prégnance des enjeux
réels de la négociation lors des mises en situations ; il conviendrait, à travers les notes
pédagogiques et les critères de notation, s’assurer que la valorisation des aptitudes à
coopérer ne s’effectue pas au détriment de la fermeté dans la défense des intérêts propres
à chaque partie ;
- toujours sur le plan de l’évaluation et de la durée du cours, il serait important de prévoir
un temps suffisant pour que les enseignants et les professionnels puissent faire des
retours détaillés aux apprenants sur leur prestations, à la fois pour la rédaction des cas
et pour l’exécution des jeux de rôles ; il s’agit là d’une attente forte des étudiants et ces
retours doivent idéalement être planifiés immédiatement à l’issue des jeux de rôle.
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La réussite de cette approche de l’enseignement de la négociation repose finalement sur des
principes s’inscrivant dans le sillage d’importantes réflexions pédagogiques conduites depuis
le début du XXe siècle, notamment à partir des travaux conduits par le philosophe John Dewey
1916) aux États-Unis. Selon cet auteur, la fonction essentielle de l’éducation consiste à former
des individus aptes à jouer un rôle véritable dans un processus d’action collectif, visant à
modifier l’environnement, à l’opposé de toute renonciation passive. Dewey privilégie la
confrontation des élèves avec des problèmes concrets, la traversée collective d’expériences
tirées de la vie réelle, favorisant le développement à la fois des aptitudes individuelles et de la
capacité à agir au sein d’un groupe. Cette pensée se fonde sur une croyance indéfectible dans
la relation entre les progrès du système éducatif et la dynamique démocratique.