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UNIVERSITE DE ROUEN. UFR de Psychologie, Sociologie, Sciences De l'Éducation. Culture familiale et culture scolaire Les savoirs producteurs d'identité et vecteurs de la langue chez les enfants de migrants: l'institution scolaire en question. Mémoire de MASTER 1 de Sciences de l'Éducation dispositif F.O.A.D. Juin 2010. Claire TORRES BISQUERRA 20812312 sous la direction de Thomas RENAUD 1

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UNIVERSITE DE ROUEN.UFR de Psychologie, Sociologie, Sciences De l'Éducation.

Culture familiale et culture scolaire

Les savoirs producteurs d'identité et vecteurs de la langue chez les

enfants de migrants: l'institution scolaire en question.

Mémoire de MASTER 1 de Sciences de l'Éducation dispositif F.O.A.D.Juin 2010.

Claire TORRES BISQUERRA 20812312

sous la direction de Thomas RENAUD

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Je remercie Thomas Renaud, pour sa patience et son accompagnement dialogique.

Je remercie Roberte Langlois pour son écoute et ses encouragements.

Je tiens également à exprimer toute mon affection à mes enfants Nicolas, Margaux et Louis

et à mon mari Joël, qui m'ont permis de ne pas oublier les priorités et le sens de la vie.

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Que suis-je venue faire dans cette galère? C'est bien pour répondre à cette question que j'ai

choisi mon thème de mémoire. Oui, comment mais surtout pourquoi, moi, la fille de réfugiés,

apatride jusqu'à l'âge de cinq ans, je me lançais, près de quarante ans plus tard, dans un cursus de

Master en Sciences de l'Homme?

Sans doute pour comprendre qui je suis sans passer par l'analyse psychologique personnelle,

tant décriée dans l'éducation marxiste que j'avais reçue. Sans aucun doute également, pour ne pas

déroger à la règle familiale implicite, suivie par mes frères, d'étudier sans cesse, d'aller de l'avant,

dans une course à l'excellence. Sans aucun doute aussi, pour vivre dans le regard de ma mère.

Ce travail m'a paru donc essentiel, existentiel, jusqu'à deux événements majeurs: la lecture

de Paolo Freire, jugée incontournable par mon directeur de mémoire, et la disparition brutale de ma

mère.

J'ai été dérangée par la dimension catéchétique des écrits de Freire. Mon éducation avait

rendu impossible la coexistence, dans une même phrase de la libération de l'homme avec la

présence de Dieu. Et puis sa lecture m'a permis de comprendre que ce qui m'intéressait le plus était

non pas mon rapport au savoir mais comment, dans mon exercice professionnel, j'influençais le

rapport au savoir de l'autre. Plus surprenant encore, j'avais fait cette expérience surtout en qualité de

masseur-kinésithérapeute encore plus qu'en tant qu'enseignante dans le premier degré.

L'autre événement a été le suicide de ma mère fin septembre 2009. Qui épater alors avec

mon mémoire? Moi, certainement. Il m'aura fallu quelques mois avant de m'en convaincre tout à

fait. Les échanges avec la tutrice de mon groupe, y ont fortement contribué.

Mon regard sur cette recherche a donc beaucoup évolué dans le temps. D'existentiel et

partial il est devenu très intéressant et donc critique. Ces changements ont fait évoluer le

questionnement. Grâce à mon directeur, j'ai pu arrêter un état d'avancement de ce questionnement

et conduire ce travail.

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SOMMAIREIntroduction.....................................................................................................................................p 5Première partie: Présentation du cadre de la recherche.............................................................p 7

1 Du cas particulier au cadre sociologique...............................................................................p 7 1.1 Quelques définitions..................................................................................................p 7 1.2 Les données statistiques privilégiées.........................................................................p 8

2 Organisation des champs conceptuels...................................................................................p 9 2.1 L 'individu..................................................................................................................p 9

2.1.1 Les langues en question.................................................................................p 9 2.1.2 L'identité et l'identité culturelle....................................................................p 11 2.1.3 L'image de soi…..........................................................................................p 13 2.1.4 Les stratégies identitaires.............................................................................p 13

2.2 L'école et les savoirs................................................................................................p 15 2.2.1 Le rôle et la place de l'école et les savoirs qu'elle institutionnalise.............p 15 2.2.2 Le capital culturel.........................................................................................p 17

2.2.3. Les relations entre les familles de migrants et l'institution scolaire............p 18 2.2.4. Le rapport au savoir......................................................................................p 19 2.3 La société.................................................................................................................p 20

2.3.1 La place des intellectuels.............................................................................p 20 2.3.2 La culture et le positionnement social.........................................................p 21 2.3.3 Acculturation- transculturation....................................................................p 22

2.4 De la présentation à l'exploitation des champs conceptuels....................................p 24

3 Construction de la problématique........................................................................................p 27 3.1 Un « rien » et un « moi » dans un contexte socioculturel spécifique......................p 27

3.2 Autour du « moi »: les savoirs, le rapport au savoir, l'identité culturelle, la langue, l'image de soi. Il s'oppose alors au « rien »..............................................p 27

3.3 Vers un « tout visible » grâce à l'institution scolaire...............................................p 28 3.4 Trois pôles pour la construction d'une problématique.............................................p 28

4 Les hypothèses retenues......................................................................................................p 30 4.1 La « méthode Freire »..............................................................................................p 31 4.2 Déclinaisons autour de la « méthode Freire »..........................................................p 32

Deuxième partie: Méthodologie de recherche............................................................................p 34 1 Le plan de recherche ….......................................................................................................p 34 2 L'appui sur les données statistiques.....................................................................................p 34 3 La démarche choisie pour le recueil de données: l'entretien.............................................p 35 4 La réalisation de l'échantillonnage......................................................................................p 35 5 L'entretien............................................................................................................................p 36

5.1 Les modalités de passation.......................................................................................p 36 5.2 La grille de l'entretien..............................................................................................p 36

Conclusion......................................................................................................................................p 38

Références bibliographiques et sitographiques..........................................................................p 39

Annexe 1: Questionnaire pour la constitution de la cohorte...........................................................p 42

Annexe 2: Tableau d'analyse du questionnaire................................................................................p 43

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INTRODUCTION

Différentes questions ont surgi lorsque j'ai cherché à comprendre quel était mon rapport au

savoir, comment s'était-il mis en place. La question des origines, de mon rapport au savoir, mais

plus simplement, mes propres origines était en première place: enfant de réfugiés et apatride.

J'ai eu connaissance de ces deux caractéristiques très jeune, le souvenir le plus vif étant

certainement celui de la délivrance de ma carte d'identité, à l'âge de 5 ans. Alors que le policier

m'annonçait que j'étais française, maintenant, je l'interrogeais sur ma situation antérieure:

« Avant? ...tu n'étais rien. »C'était faux, j'étais moi. Mais ces mots ont certainement « travaillé en

sous main » pour que quarante années plus tard, ils soient si présents. Je revois même les lieux....

L'autre « différence » notable qu'il m'avait été impossible de ne pas remarquer, était la langue. Je ne

m'exprimais pas dans la même langue que les autres enfants- je pensais qu'eux ne parlaient pas la

même langue- et l'impossibilité de communiquer avec eux était une souffrance réelle pour moi.

Très jeune donc, j'ai compris que ce serait par l'apprendre que je pourrai exister dans le regard de

l'autre, me construire une identité. Car si le policier avait raison et que je n'étais rien, mon

imaginaire était alors assez riche pour que je choisisse une identité parmi celles qu'il m'était donné

d'imaginer ou de voir. Et donc, cette construction allait être entreprise. Tout cela s'est opéré de

manière inconsciente, dans une majeure partie bien évidemment( je fais référence aussi au temps).

Avant toute chose, il me fallait pouvoir passer du « je » au « nous » et donc passer de ce cas

particulier qui ne pouvait être exploré que dans un cadre thérapeutique, à un cadre possible de

recherche. Ce changement a été rendu possible par les données statistiques de l'INSEE et les

travaux de sociologues qui montraient l'existence d'un terrain de recherche ainsi que des études déjà

entreprises sur ce thème. Ces données ont donc permis de délimiter le cadre des investigations..

La recherche que nous proposons donc de conduire ici, voudrait éclairer les enjeux en

présence dans la quête aux savoirs institutionnels, menée par celles et ceux qui en sont exclus par

leurs origines ethnique, sociales et culturelles. En d'autre termes, en reprenant les propos d' Alain

Touraine 1: « Comment un individu peut-il avoir de la liberté tout en étant pris dans de multiples

contraintes du déterminisme? ». Le travail engagé s'est révélé d'une richesse et d'une complexité

insoupçonnées au départ. Cela nous a conduite à construire une partie théorique conséquente qui

constitue l'essentiel du propos de ce mémoire. La partie consacrée à l'investigation et l'analyse des

données constituerait quant à elle le travail de Master 2. Nous affichons donc d'emblée, notre

1 Collectif, 2008,Pierre Bourdieu, son oeuvre, son héritage – éditions Sciences humaines – p 111 ( entretien)

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souhait de poursuivre cette recherche, par nécessité mais aussi par goût, souhait initié par un

nouveau rapport au monde que nous avons ici découvert.

Afin de pouvoir découvrir en quoi les savoirs institutionnels modifient les stratégies

identitaires et le rapport à la langue chez les enfants d'immigrés, il nous a fallu investir de nombreux

champs conceptuels. Rendre compte de chacun d'entre eux s'est avéré indispensable afin de mettre

en lumière la naissance de cette problématique.

Nous avons organisé leur présentation autour de trois entités: l'individu, l'école et les savoirs,

la société. Leur exploitation quant à elle est structurée en trois domaines principaux: les effets de

l'acquisition des savoirs, la construction de l'individualité et les rapports à la langue maternelle et la

langue culturelle. Le choix de traitement fait dans notre étude représente un choix parmi plusieurs

possibilités.

Lors de nos lectures, deux auteurs engagés, aussi bien sur le plan réflexif que dans l'action

politique, ont particulièrement occupé l'espace, Pierre Bourdieu et Paolo Freire : l'un parce qu'il

démontrait le déterminisme d'une éducation, l'autre parce qu'il proposait une alternative

pédagogique à ce déterminisme. La réflexion engagée par Paolo Freire dans Pédagogie des

opprimés2 nous est apparue comme particulièrement pertinente pour conduire notre recherche.

D'une part en raison des conceptions qu'elle met en avant mais aussi parce que la logique des

trajectoires personnelles peut être reprise sur le plan sociologique, comme le rappelle l'auteur. Les

réponses pédagogiques proposées, développées pour rationaliser l'éducation, devraient lutter

efficacement, réellement contre les inégalités d'accès. De plus elle était valide quelque soit l'angle

d'approche choisi.

La méthodologie de recherche, ainsi que la grille d'entretien constituent la deuxième partie

de notre travail.

Nous rendons compte, dans la conclusion, de certaines interprétations ou limites que la

littérature nous permet déjà d'établir ainsi que des autres orientations que nous aurions pu envisager;

Nous pensons, en effet, qu'elles pourraient constituer un modèle interprétatif des entretiens.

Parallèlement à la recherche elle-même, nous avons été désireuse de rendre compte de la

maturation de notre réflexion et de notre orientation en présentant comment était née notre

problématique, l'évolution de notre questionnement, la hiérarchisation des hypothèses.

Ce travail nous a permis d'appréhender la réalité du travail de recherche et de conforter notre

souhait de poursuivre dans cette voie.

2Freire P. (1971). Pédagogie des opprimés. Maspéro

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PRESENTATION DU CADRE DE LA RECHERCHE

1 DU CAS PERSONNEL AU SUJET SOCIOLOGIQUE

Afin de pouvoir conduire notre recherche, il nous était indispensable d'évaluer la

réalité de la situation évoquée. Il nous fallait donc dans un premier temps disposer de

données objectives à mettre en parallèle à notre situation personnelle. La première mise au

point a été d'ordre sémantique Nous avons donc repris quelques définitions (migrant,

immigré, étranger, apatride) préalablement à la présentation de la population choisie car les

termes sont couramment utilisés par extension, analogie, souvent de manière inappropriée.

Cet l'éclaircissement lexical avait également comme avantage de dégager comme variable

les projets de retour au pays. Ensuite, nous avons consulté les données statistiques mises en

ligne par l'INSEE3 et le CEREQ4 notamment. Nous livrons ici, une première analyse de ces

données.

1.1 Quelques définitions.

Un immigré est une personne née de parents étrangers à l'étranger et qui réside sur le territoire d'un

autre pays, ici la France. La qualité d'immigré est permanente et diffère de la qualité d'étranger. On

peut être immigré et français. En effet, l'acquisition de la nationalité française est possible pour les

immigrés, sous certaines conditions.

Un étranger est une personne d'une autre nationalité que la nationalité française. Un enfant

d'immigré peut donc être soit français, soit étranger. Il n'est pas immigré car né en France.

Un apatride est une personne qu'aucun État ne considère comme un de ses ressortissants. L'apatridie

intervient de fait lors de la dissolution d'un État, des processus de décolonisation ou lors de conflits

législatifs entre différents États : personne née de parents de nationalités différentes, opposition

entre droit du sol et droit du sang par exemple. Un individu peut également subir une privation de sa

nationalité.

Un réfugié est une personne qui doit fuir son pays, dont il a la nationalité, et qui ne peut y retourner

sans risquer de perdre une partie de ses droits en relation avec la Déclaration universelle des droits

de l'Homme.

3 Institut national de la statistique et des études économiques http://www.insee.fr/fr/default.asp 4 Centre d'étude et de recherche sur les qualifications http://www.cereq.fr/index.htm

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1.2 Les données statistiques privilégiées.

L'état des lieux dressé par Catherine Borrel et Bertrand Lhommeau (2010)5 recense en 2008

3,1 millions de personnes âgées de 18 à 50 ans nés de parents immigrés, dont la moitié ont moins de

30 ans. Ils sont originaires, pour un quart de l'ensemble, d'Italie et d'Espagne.

5% des enfants de deux parents immigrés n'ont pas la nationalité française. L'évolution législative

relative à l'acquisition de la nationalité française ne sera pas étudiée ici6.

Caille (2005)7 nous rappelle que les enfants d'immigrés sont porteurs de ce paradoxe engendré par

leurs ambitions scolaires et professionnelles d'une part, et leurs origines d'autre part, qui les placent

dans des situations plus défavorables. Le niveau de formation s'est élevé dans la population

immigrée comme dans le reste de la population. Une grande hétérogénéité apparaît dans les projets

vis à vis de l'école en fonction de l'origine géographique des parents. Les enfants d'immigrés des

pays d'Europe ont un niveau d'étude plus élevé que les enfants d'autres origines. Les enfants

d'origine portugaise ont cependant un niveau d'étude moindre ( le plus bas). Les enfants d'immigrés

espagnols et italiens, aujourd'hui quadragénaires, affichent aussi de moins bon résultats. Ces

enfants montrent cependant un rejet plus fort d'échapper à la condition ouvrière que les enfants de

familles non-immigrées. Bien que leur parcours scolaire les engage parfois à revoir le projet initial

de formation, leur désir d'une formation de haut niveau, et l'obtention de diplôme de l'enseignement

supérieur demeure vivace. Cette tendance est plus fortement marquée chez les jeunes originaires du

Maghreb, d'Espagne ou du Portugal. Bien que, d'après l'analyse de Chloé Tavan (2005)8, le destin

social des enfants de migrants soit proche de celui des jeunes d'origines sociales comparables, la

forte ambition portée par les familles est jugée à la source de certains « retournements de

situation ». C'est pourquoi les enfants de migrants ne sont plus, ou presque plus présents dans la

classe ouvrière (qui diminue également, évolution économique oblige, au profit du statut

d'employé).

Stéphane Beaud (2002)9 livre des résultats sans concessions sur le poids des déterminismes sociaux

dans et par le système éducatif. Smaïn Laacher (2005)10 confirme cette analyse.

5 Borrel C. Lhommeau B. cellule Statistique et études sur l'immigration INSEE 2010, In INSEE première, 2010/03, n°1287

6Par contre, nous intègrerons la question de la nationalité dans notre grille d'entretien afin d'étudier la variable de la nationalité. Ceci afin d'explorer la dimension de l'apatridie dans la construction identitaire et dans le rapport au savoirs. 7 Caille J.-P.2005, INSEE, Les immigrés en France, édition 2005 8 Tavan C. cellule Statistique et études sur l'immigration, 2005, INSEE, Les immigrés en France une situation qui

évolue, In INSEE Première, 2005/09 n°10429 Beaud S.2002, 80% au bac...et après? La Découverte10 Laacher S.2005, L'institution scolaire et ses miracles. La Dispute

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Tous ces éléments concourent à décrire la situation des enfants d'immigrés comme une

situation atypique dans les parcours scolaires car ces enfants poursuivent, ou

envisagent de poursuivre, des cursus qui résistent davantage aux déterminismes

sociaux que ceux suivis par les enfants non immigrés issus d'un milieu social

équivalent. D'autre part, il apparaît que l'origine géographique des familles aurait une

incidence sur le rapport au savoir des enfants. Le questionnement personnel initial

trouve alors un écho dans les terrains investis par les Sciences de l'éducation. Ces

divers éléments nous ont confortée dans l'engagement de notre recherche.

2 ORGANISATION DES CHAMPS CONCEPTUELS

Les premières interrogations ont porté sur le rapport au savoir, la langue, l'identité, autant

de champs conceptuels qu'il nous fallait explorer afin d'étayer notre réflexion. La lecture sur ces

premiers concepts en a entrainé d'autres sur l'école, les stratégies identitaires, la place des

intellectuels, la culture et le positionnement social, le diplôme, l'acculturation, les relations entre

familles et école chez les migrants, l'identité culturelle. Chaque thème éclairait le précédent et se

nourrissait des nouvelles théories. Nous nous proposons d'en livrer ici les points essentiels à la

construction de notre modèle réflexif. Il nous a semblé nécessaire de les regrouper autour de trois

pôles: l'individu, l'école et les savoirs, la société.

2.1 L'individu.

2.1.1 Les langues en question: langue maternelle, langue culturelle.

A elle seule, la langue interroge la quasi totalité des champs conceptuels envisagés dans la

présente recherche. En effet, il est à la fois question de psycholinguistique, psychologie,

d'éducation, de savoirs spécifiques en jeu. Il serait faux de croire qu'au départ, l'enfant est exclu du

langage. Les études récentes en psycholinguistique attestent, en effet, des capacités de perception et

de discrimination des éléments du langage par le fœtus, dès le sixième mois de gestation11. Parler de

la langue maternelle prend alors tout son sens. L'identité assignée à l'individu, avant sa naissance,

est aussi inscrite dans un environnement culturel particulier auquel il participe déjà. L'acquisition de

la langue maternelle intervient en l'absence de toute intention pédagogique, dans une situation

naturelle. Même réduite à une utilisation domestique, elle est porteuse d'une histoire aussi bien

personnelle, familiale que collective au sens large. Le temps d'exposition à cette langue est un

facteur important. L'âge d'arrivée dans le pays d'accueil représente donc une variable importante.

11 Karmiloff-Smith A. et K.(2004) Comment s'acquiert le langage, In Sciences humaines,juin-juillet-août 2004, H.S n°45

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Mais deux théories s'affrontent quant à l'acquisition du langage: la théorie nativiste qui

concède à l'enfant des prédispositions innées et la théorie cognitiviste (Piaget) qui fait appel à des

mécanismes universels d'acquisition des savoirs. Les recherches dans ce domaine prônent une

complémentarité des approches et l'analyse de leurs interactions(Gaonac'h 2002)12. Nous pouvons

donc raisonnablement envisager que la langue maternelle est un premier stade de la dynamique

constitutive du rapport au savoir. Le langage permet un autre rapport au savoir que le savoir faire

qui est lui même favorisé par les expériences infantiles les plus importantes au travers des jeux

enfantins.

Toujours subie mais indispensable, la langue du pays d'accueil place les migrants dans une

situation conflictuelle. En effet, sa connaissance permet d'accéder à un certain nombre de services, à

l'emploi, au logement, à l'éducation mais elle place aussi les sujets dans une situation de

domination. La France se caractérise aussi par le fait que la langue s'identifie totalement à la nation

(Leconte 1998)13 et qu'à ce titre elle a dévalorisé et combattu les autres langues parlées sur son

territoire. Ainsi, maintenir la pratique de la langue maternelle peut apparaître parfois complexe pour

les enfants d'immigrés. De plus, les difficultés d'apprentissages spécifiques qui peuvent surgir chez

l'enfant, peuvent aussi encourager la famille à ne plus parler la langue natale. Rappelons que les

familles d'immigrés portent un projet scolaire ambitieux pour leurs enfants. L'abandon de la langue

maternelle s'inscrit alors dans l'installation définitive hors du pays, de la culture d'origine. Son rôle

est jugé important non seulement par ceux qui arrivent dans le pays, mais également pour

l'institution scolaire qui l'enseigne avec détermination. Quelle langue est enseignée au juste? Une

langue écrite et écrite oralisée, distincte de la langue orale comme l'est souvent la langue maternelle.

De plus, l' école valorise l'intelligence verbale. La spécificité de l'école en France distingue la

parole, qui est inscrite en tant que telle dans les pays nordique, de la langue orale qui est elle

enseignée. Cet oral «est bien souvent de l'ordre de la construction de la langue au niveau de sa

structure syntaxique et lexicale »(Langlois 2009)14. Il est à la fois un objet spécifique

d'apprentissage et un outil d'apprentissage. Cette langue s'apparente alors à la langue écrite, par le

moyen de l'aborder et par la valeur investie dans sa maîtrise.

12Gaonac'h D.(2002) L'enseignement précoce des langues étrangères, In Sciences humaines 2002/01, n°12313Leconte F.(1998) La famille et les langues. L'Harmattan14 Langlois, R (2009). Oralité et l'éducation, la parole et le vivant au cœur de l'idéel éducatif, sous la direction de Loïc

Chalmel, Université de Rouen.p 285

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2.1.2 L'identité et l'identité culturelle.

Le concept de langue nous entraîne rapidement à considérer celui de l'identité et plus

particulièrement de l'identité culturelle. Si le concept d'identité s'est traduit par un véritable

phénomène éditorial, c'est parce que les problématiques générées autour de la question identitaire

sont au cœur de problèmes sociaux de notre temps. L'identité a été mise à jour surtout, par la crise

qui l'entoure, qu'elle concerne un individu ou un groupe. C'est notamment aux États-Unis, dans les

années soixante, avec l'affirmation des minorités afro-américaines, que la notion d'identité s'est

développée. Son utilisation en sciences humaines résulte en grande partie des travaux d' Erik

Erikson, psychanalyste, qui a permis un dépassement de l'analyse freudienne en étudiant, avec des

anthropologues, la corrélation entre différents systèmes culturels d'une société et les caractéristiques

des individus qui la composent.

Dès le début de notre existence, avant même notre naissance, on nous assigne une identité.

Les parents projettent, se projettent dans cet être à venir. Mais nous commençons à avoir conscience

de nous même qu'à la suite d'un processus psychique complexe et évolutif. Notre corps en constitue

la première réalité concrète, par la reconnaissance de notre propre image dans le miroir. La

réalisation de ce parcours repose d'une part sur la recherche de similitudes et de différences avec

autrui. Une autre dimension est donnée par les tensions que génère la distance entre l'identité

assignée par autrui et la propre image de soi que l'on a. Camilleri (1990)15 nous rappelle que c'est

pour pouvoir composer avec ces différents paramètres que l'individu développe des stratégies

identitaires à la fois individuelles mais aussi groupales même si la mise en avant d'un des éléments

de l'identité n'est pas nécessairement un processus conscient et volontaire ni même toujours

fonctionnel.

Il apparaît bien que l'identité est un concept multifactoriel et pluridimensionnel touchant

aussi bien l'individu, le groupe que la société. Il renvoie autant à l'approche psychologique,

anthropologique, psychosociale et sociale. Mais l'apport des différentes disciplines en sciences

humaines, a permis de dégager quelques points fondamentaux sur la notion d'identité. Tout d'abord,

l'identité apparaît comme un processus dynamique qui évolue tout au long de la vie. Il est également

reconnu qu'il y a interaction entre l'individu et le monde dans lequel il évolue et que cette

interaction participe à la constitution de l'identité. Enfin, malgré le caractère évolutif et

pluridimensionnel de l'identité ( identité professionnelle, identité personnelle, identité assignée dans

la famille, identité sportive...) l'individu demeure lui-même, en a conscience et est perçu comme

une personne unique par les autres.

15Camilleri C. et coll.(1990). Stratégies identitaires:PUF

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L'évolution identitaire chez les migrants touche de manière particulière la dimension

culturelle de l'identité. Dos Santos (1999)16, établit qu'il existe un fond cognitif universel qui

regroupe les problèmes classiques auxquels l'humanité a toujours été confrontée et dont la

résolution repose sur le constat. Ce constat résulte des observations, des informations sensorielles,

des échanges dialogiques entre les acteurs. Ainsi est élaboré un savoir qui permet d'opérer un

contrôle sur les nouveaux problèmes rencontrés.

Il nous faut ajouter ce qu'immigrer représente pour l'individu. Dans un premier temps,

immigrer, rappelle Rachédi (2008)17, « c'est avant toute chose perdre (un pays, un travail, ses amis,

etc.) ». Les immigrants examinent alors, les fondements de leur identité. La culture est ici explorée

dans toutes ses composantes: codes, usages, savoirs. Mais c'est aussi rencontrer, confronter, gagner

Les immigrés sont alors enjoints de ratifier ou désavouer leurs fondements à la lumière des

nouveaux codes lorsqu'ils deviennent parents. Les projets de retour au pays sont alors cruciaux. Si

le retour est impossible, la culture d'origine devient comme interdite. Ceci conditionne le premier

rapport au savoir, car il touche au désir de savoir mais dans une dimension inconsciente. Il y a là

une véritable pratique culturelle implicite.

Ces choix sont également élaborés dans un contexte de forte assignation identitaire par le

groupe dominant, qui considère l'immigré comme Autre. Pour Michel Develay, il faut être sûr de

son identité pour accéder à une autre identité.« Rechercher le savoir, c'est s'installer dans un certain

type de rapport au monde »18. Ce rapport au monde est un rapport contraint car « Naître c'est être

soumis à l'obligation d'apprendre » (Charlot1997)19. C'est la dynamique kantienne. Il faut apprendre

pour devenir homme, pour être un homme unique et pour devenir membre d'une communauté dans

laquelle on occupe une place et dont on partage les valeurs. Wresinski (2000)20 agrège savoirs et

identité: « Savoir, c'est d'abord avoir conscience d'être une personne, c'est pouvoir donner un sens à

ce que l'on vit et pouvoir l'exprimer. C'est [....] connaître ses racines, s'identifier à une famille, à une

communauté. ».

A quels particularismes sont soumis les apatrides dans ce contexte? De Mijolla-

Mellor(2002)21, nous éclaire sur le sujet. Pour l'apatride, privé, au sens de perte, de toute

citoyenneté, il doit « s'assurer un degré de particularisme tel qu'il n'ait plus, pour être reconnu,

16 Dos Santos J.R. (1999). Les savoirs par-delà les cultures In Sciences humaines, La dynamique des savoirs, Mars/ avril 1999, H.S. n° 24

17 Rachedi L.-Z.( 2008), des histoires de migration aux assignations identitaires: éloge de l'imposture du travail social In Empa, 2008/03, n° 71, p 85-91

18 Develay M. (2000) A propos des savoirs scolaires, In VEI enjeux, 2000/12, n°12319 Charlot B. (1997) Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie: Poche éducationp 6020 Wresinski cité par Bron P. (2000) Savoirs de vie, savoirs scolaires dans la formation des adultes en difficulté

d'insertion professionnelle, In VEI enjeux n° 123 12/2000 Savoirs de classe, savoirs de ville, savoirs de vie. p 16721De Mijolla-Mellor S., La pensée et-elle apatride? In Topique 2002/3, n° 80, p 7-13

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besoin de son identité nationale. Ceci augmente ses chances d'exister dans le regard de l'autre. « Le

Moi pensant est partout et il n'est nulle part, c'est un apatride au sens fort du terme » dit -elle encore.

Le sujet apatride a donc besoin de créer, trouver un lieu d'étude et de rencontres, qui est un espace

de pensée. Comment ne pas voir, dans l'institution scolaire, un lieu symbolique et matériel adéquat?

2.1.3 L'image de soi.

L'approche de la question identitaire nous conduit à examiner l'image de soi que

développent les immigrés dans l'analyse des gains et des pertes que leur situation a engendré. Le

concept de l'estime de soi repose tout d'abord sur deux entités de natures distinctes: soi que l'on peut

délimiter et décrire, dont chacun possède peu à peu la perception, et l'estime qui s'intègre dans une

approche évaluative du sujet. L'estime de soi correspond donc à l'évaluation que porte le sujet sur

lui-même. L'échelle de valeur est dépendante de l'équilibre qu'éprouve un individu entre ce qu'il

désire pour lui même et ses réalisations. Le sujet va connaître un solde positif et valorisant ou

négatif et dévalorisant de sa propre image. Si l'évaluation de cet équilibre en revient à l'individu,

son émergence n'est rendue possible que par la participation d'autrui. C'est avant tout dans le regard

de l'autre que l'on existe. Selon Axel Honneth,22 l'image de soi repose sur un système de

reconnaissance qui comprend trois piliers fondamentaux: un principe d'amour sur lequel se construit

la confiance en soi, un principe de solidarité au sein d'un groupe de pairs auquel on participe, que

l'on enrichit et un principe d'égalité dans lequel on perçoit détenir les mêmes droits qu'autrui et qui

développe le respect de soi

Pour l'enfant de migrants, l'assurance de ces trois soutiens est aléatoire car les conflits

auxquels doit faire face la famille sont accrus. L'identité assignée dans la culture d'accueil, le

système de valeurs, tous les repères sont modifiés. L'impossibilité de reconnaissance par des pairs

parce qu'ils sont exclus du monde du travail par exemple, la situation juridique, l'absence d'un

entourage bienveillant affaiblissent l'image de soi des migrants et de leurs enfants. Les facteurs

personnels et sociaux se conjuguent. L'estime de soi est l'expression du rapport au monde

qu'entretient l'individu, de son adaptabilité au milieu, de ses possibilités d'acquisitions

2.1.4. Les stratégies identitaires.

L'identité, nous l'avons vu, se construit. Cette construction dépend de l'individu lui-même

mais aussi de son environnement immédiat que constitue la famille, de ses groupes de référence et

de la société dans laquelle il évolue. Cette construction est dynamique et concerne les différents

22 Principes rappelés par Catherine Halpern (2006),Les conflits sociaux sont des luttes pour la reconnaissance, entretien avec Axel Honneth, In Sciences humaines 2006/06, n°172

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aspects ou différentes identités du sujet: identité sociale, professionnelle, culturelle, statutaire,

ethnique, psychologique et l'image de soi. Elle englobe donc des composantes à la fois cognitives,

affectives et sociales. Elle résulte d'interactions régies par la représentation que ce fait le sujet des

enjeux, de leurs finalités et des obligations auxquelles il se sent contraint de répondre. Les tensions

identitaires doivent être résolues. On peut alors parler de choix tactiques, de stratégies.

Selon Selim Abou (1988)23, « L'acculturation formelle atteint toujours les manières

inconscientes, de penser et de sentir. C'est en général le cas chez les enfants de migrants, nés ou

venus très jeunes dans le pays d'accueil et ayant intériorisé les codes culturels: à la maison, celui de

la famille et du groupe ethnique, à l'école, celui de la société réceptrice. ». Immigrer confronte les

individus à de nouveaux système de références, de situations, auxquels ils doivent rapidement

s'adapter. « Ce qui chez eux [enfants de migrants] se transforme au contact de la culture dominante,

ce sont les structures perceptives mnémoniques, logiques et affectives. Ici le processus de

réinterprétation s'inverse: ce sont les contenus de la culture ancienne qui sont réinterprétés en

fonction de la culture nouvelle »24 La littérature métisse atteste de ces enjeux. Sans avoir vraiment

connu l'environnement culturel d'origine, ils sont en recherche d'une identité inscrite dans la société

d'accueil sans s'en sentir membres de plein droit, sentiment que légitime parfois la situation

administrative. Les enfants d'immigrés se retrouvent donc dans un double système de

différenciation: par rapport à la culture d'origine et par rapport à la culture d'accueil.

Taobada-Leonnetti (1990)25 nous livre une classification des comportements:

conformisation, anonymat, assimilation, différenciation, visibilité sociale, individualisation sont les

alternatives qui s'offrent à eux. Il n'est pas rare que ces choix interviennent de manière inconsciente.

Certaines circonstances sont peut-être favorables à l'émergence d'une dimension métacognitive de

ces phénomènes. Les choix peuvent variés dans le temps, par rapport à l'évolution du sujet, mais

aussi dans les différents espaces d'assignation identitaire que sont la famille, le travail, le groupe

ethnique, la société.

Bourdieu et Passeron(1964)26 nous indiquent la place qu'occupent les savoirs dans cette

construction: « étudier ce n'est pas créer, mais se créer, ce n'est pas créer une culture, moins encore

créer une culture nouvelle, c'est se créer, dans le meilleur des cas, comme créateur de culture, ou,

dans la majorité des cas, comme utilisateur ou transmetteur averti d'une culture créée par d'autres .

Bourgeois(2003)27voit dans les apprentissages, un moyen de « gérer les tensions identitaires

23 Abou.S. 1988. L'insertion des immigrés. Approche conceptuelle in Les étrangers dans la ville L'Harmattan p12924 Id25 Taobada-Leonnetti (1990). Stratégies identitaires et minorités: le point de vue du sociologue, InCamilleri C. et coll.

(1990). Stratégies identitaires:PUF (p 43-83)26Bourdieu P. Passeron J.C.(1964). Les héritiers : Les éditions de minuit27Bourgeois E. (2003) Former, se former, se transformer In Sciences humaines, H-S n°40, Mars Avril Mai 2003 –

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saillantes qu'il [le sujet] rencontre à ce moment-là de sa trajectoire biographique ».

Il nous faut également faire état des processus de dévalorisation de l'identité et des stratégies

identitaires qui en découlent. Malewska-Peyre (1990)28 fait état de valeurs supranationales

auxquelles se raccrochent les jeunes étrangers. Le diplôme serait-il dans ce cadre un intégrateur

majeur car indépendant de la nationalité (mais pas de la culture) dans la mesure où il reconnaît les

qualités de l'individu et offre une image de soi valorisée et valorisante par rapport au regard

d'autrui? Il existe une possible divergence entre statut et identité. Quand les incohérences sont

nombreuses, la dévalorisation de l'individu est observable dans le groupe.

L'enfant de migrant se retrouve au total dans une situation complexe qui lui commande

d'évoluer dans deux systèmes culturels distincts: le système culturel d'origine dont la

langue est un vecteur privilégié et le système culturel d'accueil qui s'impose à lui aussi

par la langue. Il est souvent celui qui devra maîtriser les deux systèmes linguistiques

afin de permettre à sa famille de s'intégrer à la société d'accueil. Sa construction

identitaire est au cœur de cette confrontation et les stratégies identitaires qu'il va

déployer seront choisies en fonction de l'image de soi qu'il aura pu développer et

construire au milieu des identités multiples, assignées ou non, qu'il doit gérer. Les

savoirs et son rapport au savoir résulteront de cette gestion.

2.2 L'école et les savoirs.

2.2.1.Le rôle et la place de l'école et les savoirs qu'elle institutionnalise.

Avant de s'interroger sur les savoirs institutionnalisés, il nous faut prendre en compte le

public concerné puis cette institution qu'est l'école. Qui va à l'école? Ce sont les enfants. Devenus

alors élèves, ils se retrouvent confrontés à de nouveaux attendus, ceux de l'institution. Là, dans ce

nouvel espace social, le rapport aux savoirs, les savoirs , vont être distincts, parfois opposés même

ou en conflit, avec les savoirs en jeu dans la cellule familiale, première cellule sociale. Le rapport au

savoir peut également y être différent. L'élève donc, est une construction sociale, élaborée dans un

lieu spécifique, dans un temps particulier, à qui on attribue un travail particulier qui permet d'être

reconnu dans la société et qui lui assure ses moyens de subsistance. Il est question, pour Phillippe

Perrenoud, d'un véritable « métier d'élève »29. Métier, travail qui font parfois défaut aux parents

dans ces familles.

entretien 28In Camilleri C. et coll.(1990). Stratégies identitaires:PUFp 13029 Perrenoud P. (2005). Métier d'élève et sens du travail scolaire :ESF

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Comme nous l'avons rappelé, l'école est un lieu spécifique qui organise le temps de manière

propre: année scolaire distincte de l'année civile, organisation par classes en correspondance avec

l'âge des élèves, emploi du temps, découpage des programmes....Comme l'explique Michel Serres

« On est à une distance spatiale de cet endroit mais peut-être aussi à une distance sociale si on n'est

pas né dans la bonne classe, à une bonne distance linguistique si nos parents ne parlaient pas le bon

langage, à une distance financière, à une distance pathétique même, lorsqu'on n'ose pas

s'approcher »30. Le fait scolaire y est rationalisé car il doit pouvoir être transmis dans un temps

imparti. L'école crée, ou peut créer, une approche utilitariste des savoirs, qui sont si indispensables à

détenir pour poursuivre le cursus et passer d'une classe à l'autre, en conformité avec la classe d'âge.

C'est un lieu de socialisation où l'individu est défini comme « à l'heure » , « en avance » ou « en

retard ». Il est à noter que depuis la mise « en étapes » du développement de l’enfant, les notions

d’avance et de retard sont présentes dans la médicalisation de la socialisation familiale. Changer de

classe, passer dans la classe supérieure, est peut-être à prendre non seulement au sens scolaire du

terme mais également au sens social.

C'est pour cela probablement que l'institution scolaire est considérée comme un lieu qui

prépare à la vie, qui n'est pas la vie, le fait scolaire doit permettre de transmettre le capital culturel.

Tel est le rôle de l'école. « Le métier d'élève se trouve alors défini essentiellement par l'avenir qu'il

prépare et l'école fait comme si cet avenir suffisait à donner du sens au travail de chaque jour »31.

Par l'école, on accède à un savoir commun. Mais il y a opposition entre les manières

d'accéder à ce capital culturel en fonction des classes sociales d'origines et l'école véhicule un

curriculum caché qui « n'est pas alors du non-su, du non- pensé, mais seulement du non-dit »32.

Dans les classes sociales élevées, la culture fait partie de l'environnement de l'individu. Il y a un

certain naturel, une légitimité d'accès, de possession, d'usage. L'école entretient ce cercle et

stigmatise les élèves qui sont issus des classes inférieures car elle sait reconnaître par le discours,

l'attitude, les expériences, ceux qui ont une connaissance fabriquée et ceux qui ont un vécu culturel.

Elle valorise les seconds. En outre, le capital culturel, n'est pas transmis mais construit car le

récepteur construit le message reçu en fonction du sens qu'il y trouve. Et la construction de sens va

dépendre du rapport existant entre les familles et l'école ainsi que de leur rapport au(x) savoir(s),

que nous explorons dans une partie spécifique de ce travail.

Si l'école détient le monopole du diplôme et donc de la reconnaissance institutionnelle, elle

n'a pas le monopole du fait culturel. C'est néanmoins elle qui, par la certification qu'elle réalise,

30 http://www.agora.qc.ca/textes/serres.html La rédemption du savoir Michel Serres propos recueillis par Luis Join-Lambert et Pierr Klein. Des autoroutes pour tous, revue Quart Monde, n° 163, mars 1997

31 PERRENOUD, P., 2005, Métier d'élève et sens du travail scolaire – p 1932 Id p 139

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assigne à l'individu une identité, un statut professionnel et aussi social et l'installe dans un niveau

hiérarchique socioculturel. Elle l'engage même dans un processus de reconnaissance réciproque

avec l'institution et il s'engage alors par exemple dans la recherche ou l'enseignement.

2.2.2. Le capital culturel.

Il est à la charge de l'institution scolaire qui doit le transmettre. C'est pourquoi il existe un

lien étroit entre la culture, les savoirs et la société. Si nous devons avoir à l'esprit la question des

savoirs et leur spécialisations, nous nous intéressons ici à des savoirs généraux, qui constituent ou

peuvent constituer un socle commun de connaissances dans un cadre sociétal défini. Les savoirs

académiques, la culture, constituent donc un capital qui lui-même donne vie à un ordre social. Dès

lors, le capital culturel dont dispose un individu est toujours évalué par rapport à un capital-étalon

maximum, dont le contenu est élaboré, défini par les intellectuels et les classes dites supérieures33,

aisées.

Longtemps, ce capital culturel a été concentré dans les mains de quelques-uns. La

transmission était alors réalisée au bénéfice d'un groupe restreint, dans un lien de filiation, un droit

du sang en quelque sorte. C'est depuis, sans doute, qu'il est assimilé, par tous, à une caractéristique

de l'individu, un don. Puis une diffusion plus large a été rendue possible par l'invention de

l'imprimerie. Le capital culturel a donc été réservé, de fait, à ceux qui avaient les moyens financiers

d'y accéder. Il y a eu capitalisation, au sens économique, des savoirs, de la culture .Ensuite, la

scolarisation et toute son évolution, jusqu'à sa massification actuelle, a multiplié les possibilités

d'accéder au capital culturel. Aujourd'hui, les nouvelles technologies de la communication et de

l'information pourraient le rendre accessible à tous.

Gardons cependant à l'esprit les propos de Freire (1971)34: « toute action culturelle est

toujours une forme d'action systématique et délibérée qui s'exerce sur la structure sociale, soit pour

la maintenir comme elle est, ou presque comme elle est, soit pour la transformer. ». C'est pourquoi,

l'institution scolaire est chargée de transmettre ce capital culturel.

Bourdieu (1979)35, nous explique que « Le capital culturel ainsi institutionnalisé, rappelle

que le diplôme est sous le rapport de la culture car il atteste sur le plan juridique de la valeur du

porteur du titre. Les frontières qu'il décrit sont modifiables, « magiques », imaginaires (elles

séparent le dernier reçu du premier collé). La propriété du diplôme permet une comparaison entre

les détenteurs d'un même diplôme (on peut donc s'appuyer sur les similitudes et se sentir semblable 33 Au sens accordé par P.Bourdieu à ce terme. 34Freire P. (1971). Pédagogie des opprimés. Maspéro p 17435 Bourdieu P (1979) Trois états du capital culturel In Actes de la recherche en sciences sociales, 1979, vol 30, p 3-6

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donc membre d'un groupe) ». Ici pointe déjà le concept d'acculturation ou transculturation que nous

exposons plus loin. La question des choix institutionnels et des moyens mis en œuvre apparaissent.

La méthode Freire trouve ici un motif de prise en compte privilégiée.

2.2.3. Les relations entre les familles de migrants et l'institution scolaire.

Rappelons tout d'abord que la socialisation concourt à la construction de la personnalité. La

socialisation faite par l'école peut conduire l'enfant à vivre des situations auxquelles ses premières

expériences, réalisées au sein de la cellule familiale, ne l'ont pas culturellement préparé. Les formes

familiales de la culture écrite, les conditions et dispositions économiques, l'ordre moral domestique,

les formes de l'autorité familiale, les modes familiaux d'investissement pédagogique, sont autant de

variables qui engagent l'enfant dans un rapport aux savoirs scolaires. Si l'institution scolaire doit

permettre l'acquisition des savoirs par tous les enfants qui lui sont confiés, l'approche piagétienne de

la construction des apprentissages ne peut suffire à expliquer les résultats scolaires. En effet, Il faut

prendre en compte l'interdépendance, qui existe entre le milieu familial et le milieu scolaire.

Cette interdépendance générée par l'impact du monde domestique sur l'univers scolaire est

capitale. La démission parentale est un mythe qui repose sur la participation des parents à la vie

scolaire en adéquation avec les désirs des enseignants qui ne veulent subir aucune ingérence

éducative (qu'ils exercent pourtant). Les possibilités de maîtrise symbolique sont fonction de la

culture de l'écrit, présente ou non, dans la famille et indépendamment de la CSP, ou du pays

d'origine. Par contre, la présence d'un capital culturel ne garantit pas sa transmission car la personne

qui en est porteuse n'est pas toujours la plus disponible pour l'enfant.

Ici comme ailleurs, il y a construction et non transmission du capital culturel car le récepteur

construit le message reçu. Il agit en fonction du sens que l'enfant y trouve. Cette construction

s'opère dans un contexte où aucune intention pédagogique n'encadre l'échange. Il existe/ou peut

exister, une place réelle de l'écolier en tant que détenteur d'un savoir, au sein de la famille. On

l'écoute, on s'intéresse à lui, au savoirs(s) qu'il découvre. Mais il y a un rapport de force culturel

dans les familles qui comprennent une grande hétérogénéité dans le rapport à l'école. L'enfant,

entre le fer et l'enclume, s'en sort alors plus ou moins bien. En outre, l'expérience scolaire et le

capital scolaire sont liés (mauvaise relation par exemple et difficulté dans la matière).

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2.2.4. Le rapport au savoir.

« Il n'y a pas de savoir en soi, le savoir est une relation » écrit Charlot (1997)36 en référence

à Schlanger. Il ajoute que « la connaissance en tant que telle, elle est intransmissible ». Il y a donc

construction du savoir et non transmission du savoir. C'est fonction du sens donné par le sujet à la

connaissance nouvelle qui lui est proposée que va se construire cette connaissance. Ce sens se

construit pour le sujet lui-même, et dans sa relation avec autrui. Par l'apprentissage, la relation peut

alors être maîtrisée.

De nombreux apprentissages sont réalisés avant l'entrée à l'école, au sein de la famille.

L'importance de l'environnement familial dans la construction du rapport au savoir est bien réelle.

Nicole Mosconi (1996) écrit d'ailleurs que « La famille est le premier milieu où interviennent les

processus interrelationnels déterminants »37. La famille, en effet est le siège de facteurs

macrosociologiques, économiques, culturels et idéologiques. C'est ce qu'elle nomme un « milieu

réel primitif »38 qui regroupe trois niveaux d'interactions: interpersonnelles, groupales et

socioculturelles. Le besoin de savoir se construit donc par ces différents apports.

Il existe une dynamique psychique familiale où le rapport au savoir de chaque individu a un

rôle. Dans le couple constitué, chaque parent entretient un rapport au savoir qui peut être

déterminant. Plus le modèle parental qui va en découler sera idéalisé ou rejeté et plus le langage

commun de la famille évoluera dans les échanges quotidiens. C'est dans ce milieu commun

conscient et inconscient que les enfants constituent leur rapport au savoir. « Cette culture partagée

est la zone intermédiaire entre le groupe familial et le monde extérieur »39. Au niveau socioculturel,

interviennent d'autres facteurs comme la ségrégation sociale, sexuelle, qui s'ajoutent au modèle

familial en présence. Dans une famille de type fusion, l'enfant devra ressembler aux parents, dans

une famille de type association, il devra construire son propre rapport au savoir40.

L'apprentissage de la langue a une place particulière dans ce cadre car la nécessité

d'apprendre des langues s'impose par le besoin de communication. L'obligation d'apprentissage

réalisée par l'immersion dans le pays d'accueil ampute le sujet de son désir d'apprendre.

36Charlot B. (1997) Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie: Poche éducation p 7137 Mosconi N.(1996)Famille et construction du rapport au savoir, In Pour une clinique du rapport au savoir.

L'Harmattan p 10138 Id p 10339 Id p 11240 En référence à Kelleharls J. et Montandon C.(1991) Stratégies éducatives des familles, Delachaux et Niestle

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L'école marque la présence, au quotidien, de l'État auprès des familles de migrants.

L'enfant s'y voit assigné une identité spécifique, en tant qu'élève tout d'abord, puis en

tant que vecteur d'un capital culturel dans le sens institution-famille essentiellement.

Il y construit un rapport au savoir particulier en fonction du type de famille dont il

est issu: famille de type fusionne exigeant la reproduction des savoirs et des

comportements, famille de type associatif qui l'engagera à construire son propre

rapport au savoir. La maîtrise de la langue culturelle est au cœur des enjeux car elle

permet l'accès aux savoirs, la reconnaissance dans la société d'accueil et peut

constituer un élément décisif dans le projet d'installation définitive ou de retour au

pays.

2.3.La société

2.3.1. La place des intellectuels

Qui sont-ils? Toute définition risque d'être partielle et d'entraîner des biais dans notre

approche conceptuelle. En effet, il apparaît que les intellectuels appartiennent à différents domaines,

aussi bien les lettres, la philosophie ou les sciences et transmettent ou produisent des savoirs.

Shils (1958)41 établit la définition suivante: « L'activité intellectuelle par excellence renvoie à la

création d'un produit final appelé une «œuvre». Les intellectuels, au sens strict, sont donc ceux qui

produisent une œuvre dans les domaines culturel, scientifique, esthétique, littéraire, idéologique,

etc ». Dans tous les cas, ils maîtrisent le discours, oral et écrit et leur niveau de qualification

s'accroît avec la massification de l'enseignement. Ils constituent un groupe, aux contours mal

délimités, qui selon Aron (1955)42 « aurait pour centre les créateurs et pour frontière, la zone mal

définie,où les vulgarisateurs cessent de traduire et commencent à trahir ». Tout professionnel faisant

appel à son intelligence doit, peut-être considéré comme un intellectuel. Cette dimension de la

professionnalisation ne peut constituer un paramètre nécessaire ou suffisant dans l'approche

historique du concept bien qu'elle prenne une place de plus en plus importante dans nos sociétés

postmodernes.

Les intellectuels, parce qu'ils se sont engagés au sens où ils ont pris parti, jouissent d'une

place singulière dans la société. Ils y exercent un pouvoir, ou contre pouvoir, qui relève de leur

seule responsabilité. Ils l'acquièrent d'une part par leur niveau de qualification dans l'enseignement,

la recherche, mais aussi parce qu'ils disposent de moyens de production et de diffusion de leurs 41 Définition rappelée par Gérard Leclerc, In eclerc G. (2005). Qui sont les intellectuels? Le cas des universitaires In

Sciences humaines, Qui sont les travailleurs du savoirs? 2005/02, n° 15742Aron R. (1955). L'opium des intellectuels: Hachette Littératures p 216

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idées: revues intellectuelles, sphère éditoriale, les réseaux dit de sociabilité, espaces publics et

privés. Dans ces dispositifs, l'université tient une place particulière car elle est le lieu géographique

et symbolique qui offre, depuis ses origines, le cadre institutionnel nécessaire à la création et la

diffusion de l'œuvre. Elle assure en effet l'affiliation, la légitimation et la consécration de ses

membres. Prestige symbolique et notoriété sont par elle garantis. La place qu'occupe la maîtrise de

la langue écrite, qui constitue un obstacle majeur pour les immigrés, renforce la logique de

distanciation des intellectuels par rapport au peuple. C'est par ce biais, de l'école, du savoir, de

certains savoirs qui ne s'acquièrent que par un temps long d'exposition à l'objet car c'est implicite

(codes, connaissances, manière d'être), que l'on peut se détacher du milieu d'origine (social,

ethnique). Les intellectuels dominent, encadrent, sont à distance. Perruchet (2008)43 établit que l'un

des apports majeurs d'une thèse est la maitrise de la communication orale et écrite.

En être représente une indéniable nécessité pour les enfants de migrants. Les données

statistiques de l'INSEE (2004 et 2005)44 permettent d'établir que la majorité des enfants d'immigrés

nourrissent le projet d'accéder à des diplômes de l'enseignement supérieur. Ceci est à rapprocher

des propos de Gérard Leclerc (2005)45, qui développent la position selon laquelle « l'étudiant est

plus que tout autre à la recherche de maitre à penser et à vivre; par là, il est tout particulièrement

sensible au prestige des exemples que, futur intellectuel, il ne saurait trouver ailleurs que dans le

monde intellectuel avec lequel sa pratique quotidienne le met en contact direct et permanent, à

savoir le corps professoral. Un groupe défini par l'aspiration à la culture favorise naturellement

l'adhésion aux valeurs culturelles et à la valeur de ceux qui les transmettent ou les incarnent ».

Apparaît ici le lien entre la place des intellectuels, la construction des savoirs, le rapport au

savoir, l'acculturation et la construction identitaire. Mais, Bourdieu (1979)46 nous met en garde et

nous dit de ne pas prendre « la culture trop au sérieux ». Cette recommandation retient notre

attention et nous envisageons d'explorer cette perception lors des entretiens.

2.3.2. La culture et le positionnement social .

Tout ceci nous conduit à examiner les liens existant entre culture et positionnement social. Il

ressort que la corrélation existe et qu'elle n'échappe pas aux familles, quelques soient leurs origines

au sens large. Ceci pousse ces dernières à des stratégies de contournement de la carte scolaire, par

43Perruchet A. (2008). Le doctorat: un investissement rentable?: L'Harmattan44 Institut national de la statistique et des études économiques http://www.insee.fr/fr/default.asp45 Leclerc G. (2005). Qui sont les intellectuels? Le cas des universitaires In Sciences humaines, Qui sont les

travailleurs du savoirs? 2005/02, n° 15746Bourdieu P( 1979). La distinction: Les éditions de minuit

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exemple, afin de garantir à leurs enfants l'accès à un certain environnement culturel. Elles

complètent la méthode en affichant une préférence pour certaines filières et option – dans le choix

des langues notamment- afin de multiplier les chances d'obtention d'un diplôme spécifique. Si ces

attitudes semblent appartenir davantage à certaines souches aisées de la population, elles existent

également dans les familles d'immigrés.

Les différentes études du CEREQ, portant sur les niveaux d'études et l'insertion

professionnelle, confortent l'existence du lien entre les deux notions. La spécificité, dans notre

étude, repose en grande partie, sur le conflit existant entre le besoin de reconnaissance des classes

supérieures et le niveau économique que procure le capital culturel. En effet, l'individu accepte de

limiter son ascension à un niveau inférieur car il correspond mieux à ce que la société juge

acceptable, surtout sur le plan culturel. Le besoin de reconnaissance est à évaluer aussi bien par

rapport à la culture d'origine que la culture du pays d'accueil selon qu'un projet de retour est

envisagé ou non, ou que la reconnaissance par la seconde exige le renoncement à la première. Les

origines géographiques des parents, influent donc sur le diplôme visé. Mais elles encouragent toutes

à la reconnaissance par les classes supérieures. Ce besoin a été particulièrement exploré par

Bourdieu dans La distinction. Freire (1971) propose de changer de paradigme et de ne plus

envisager la culture comme outil de positionnement social mais comme un instrument d'édification

de l'homme. Il insiste sur les finalités de l'action culturelle qui peut tout aussi bien être « au service

de la domination, que ses agents en soient conscients ou non, ou bien [...] au service de la libération

des hommes »47. Pour aboutir à cette libération, l'action culturelle « doit viser au dépassement des

contradictions [ permanence/ changement] »48.

2.3.3. Acculturation- transculturation

L'étude du concept d'acculturation a suscité l'intérêt de différentes disciplines comme

l'anthropologie dès 1936, la sociologie, la psychologie, l'ethnopsychiatrie par exemple. Ces regards

croisés sur le concept, ont permis son évolution d'une part, et aussi l'analyse des implications

idéologiques l'accompagnant. Il a également engendré les notions d'assimilation, d'insertion et

d'intégration. Afin de faire face et tenter de rendre compte sur le concept d'acculturation, nous nous

sommes appuyée, en outre, sur le travail d'Ana Vasquez (1984)49 qui en a analysé les courants de

recherche au travers de très nombreuses publications.

Elle attire tout d'abord notre attention sur la construction du substantif « acculturation »

47Freire P. (1971). Pédagogie des opprimés. Maspéro p 17448 Id49Vasquez A.(1984). Les implications idéologiques du concept d'acculturation In Cahiers de sociologie économique et culturelle1984, n° 1 p 83 à 121

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composé du préfixe « ac » qui indique le but du processus soit l'acquisition de la culture par le sujet.

Cette culture devient donc dominante. Cette assignation à adopter la culture de la société d'accueil

s'apparente ainsi à la socialisation sans tenir compte de la socialisation antérieure du sujet dans une

culture différente. En fait, le sujet n'en est pas à sa première expérience de socialisation ou

d'acquisition culturelle mais à un passage d'une culture d'origine à une autre culture.

Le choix du préfixe « trans » de la « transculturation » rend donc mieux compte de ce

passage. Il met en avant aussi les transformations des cultures en présence, et permet donc ainsi de

prendre en compte les conflits qui sont engendrés. La transculturation de l'individu intervient dans

un temps déterminé qu'il s'agisse de l'histoire propre du sujet, du groupe mais aussi de la culture de

la société d'accueil. C'est la dimension diachronique qui est un autre point important de la

transculturation. Il s'ensuit des rapports de pouvoir, les immigrés pouvant faire évoluer la société

d'accueil à leur profit (sur le plan législatif par exemple), et acceptant un minimum de règles,

usages, ils permettent à la culture d'accueil de maintenir sa domination (par l'acceptation de la

hiérarchie scolaire par exemple).De ce premier choix conceptuel va dépendre la politique éducative.

Quels sont les objectifs spécifiques par rapport aux enfants d'immigrés? S'agit-il de les assimiler, de

les insérer ou de les intégrer? L'institution scolaire, en effet, représente un vecteur privilégié de

l'acculturation. L'assimilation des populations va bien dans le sens de l'acculturation, telle que

définie plus haut, et elle ne laisse aucune place à la culture d'origine, portant sur celle-ci un

jugement de valeur. Au contraire, l'intégration, comme le précise le Haut conseil de

l'intégration(1991) est « un processus spécifique par lequel il s'agit de susciter la participation active

à la société nationale d'éléments variés, tout en acceptant la subsistance de spécificités, culturelles,

sociales et morales, en tenant pour vrai que l'ensemble s'enrichit de cette variété et dette

complexité ». La transculturation est ici privilégiée. Le choix conceptuel et les implications

idéologiques qui lui sont liés, nous permettent d'interroger également le concept de capital culturel.

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La société repose sur un capital de valeurs et de savoirs qui sont élaborés et transmis

par les intellectuels. La transmission de ce capital est essentielle à son maintien. Elle

est réalisée par acculturation stricte ou transculturation en fonction des besoins et de

l'évolution de sa propre histoire?

Les intellectuels disposent des moyens de production de ces savoirs car ils ont un

niveau élevé de compétences et parce qu'ils maîtrisent la langue à l'oral et à l'écrit

pour les diffuser. L'université en est le creuset et détient le pouvoir de la reconnaissance

par le diplôme notamment.

Le diplôme prescrit une identité spécifique à l'individu en l'incluant dans un ensemble

spécifique, spécialisé et reconnu. Il établit le lien entre capital culturel et

positionnement social. Par sa force d'insertion dans la société d'accueil il représente un

document, détaché de la nationalité, convoité par les enfants de migrants. Il institue

ainsi un autre rapport au savoir.

2.4. De la présentation à l'exploitation des champs conceptuels.

La présentation ainsi réalisée des divers champs conceptuels nous permet de dégager trois

axes principaux pour conduire notre réflexion.

Un premier axe concerne le rapport à la langue En effet, deux langues, au moins, sont en

présence, de manière permanente, pour l'enfant de migrant, sur le plan des représentations

culturelles au moins. Il y a la langue maternelle qui constitue le ou un des vecteurs de

communication au sein de la cellule familiale, la langue culturelle pouvant aussi y être présente

(parfois même en la remplaçant totalement). La langue culturelle est au cœur des apprentissages car

c'est par elle que la communication avec la société d'accueil est réellement efficiente. Elle constitue

le noyaux central des missions de l'école. Sa maîtrise s'accroît avec le capital culturel et l'ascension

sociale que le diplôme, tour à tour, atteste et permet.

Un autre pôle est organisé autour des effets engendrés par l'acquisition des savoirs, qu'ils

soient acquis au sein de l'institution scolaire ou au sein de la famille et du groupe d'origine. Ces

répercussions s'observent aussi bien sur l''apprentissage de la langue maternelle et de la langue

culturelle obligatoire que sur la construction de l'identité.

La construction de l'individualité identitaire constitue le troisième grand pôle d'organisation

des champs conceptuels. L'identité est à chaque fois interrogée, remise en question. L'aspect

dynamique de sa construction est mise en évidence, sa complexité et sa spécificité aussi. L'enfant

d'immigré est amené à s'inscrire dans un double système de références. Cette exploration met en

lumière les interrelations existant entre chacun d'entre eux.

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Elle nous permet donc de passer du schéma de présentation (figure 1) au schéma

d'exploitation ( figure 2).

Figure 1: Présentation générale des champs conceptuels.

25

Individu École et savoirs

Société

Place des intellectuelsCulture et positionnement social

Rôle et place de l'école

Capital culturelLangue maternelle/ langue culturelle

Image de soi

Stratégies identitaires

Identité culturelle

Relations entre les parents et l' institution scolaire

Acculturation

Rapport au savoir

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Figure 2 Schéma d'exploitation des champs conceptuels

Le schéma d'exploitation fait apparaître les interrelation existant entre les trois orientations.

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Construction de l'individualitéLe rapport

langue maternelle / langue scolaire

Effets de l'acquisition des savoirs

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3 CONSTRUCTION DE LA PROBLEMATIQUE

L'élaboration de la problématique s'est révélée longue et complexe. Comment percevoir que

ces mots simples « rien », « moi », étaient porteurs d'autres enjeux que celui de ce court échange?

3.1. Un « rien » et un « moi » dans un contexte socioculturel spécifique.

Ces premiers mots, ces premiers ressentis inconscients, ont pris corps dans un contexte

historique, social et culturel défini. Ils témoignent des attentes de l'un et l'autre « camps ». Le

« rien » véhiculé par un représentant masculin de l'État, traduit la politique d'immigration en cours

plus tournée sur l'acculturation que vers la transculturation. L'acquisition de la nationalité oblige

alors le nouveau citoyen d'observer certains comportements, de porter certaines valeurs, d'utiliser

une langue et de faire table rase de tout ce qui lui est antérieur.

Ce « rien » renvoie aussi à l'absence d'intégration avant l'âge de la scolarité obligatoire.

L'institution scolaire va permettre la formation d'un individu. Elle semble être la seule capable à le

réaliser (la famille est ici exclue de ce projet).Enfin, ce « rien » peut également être perçu par

rapport au genre, la réforme du régime matrimonial accordant à la femme le droit de gérer ses

biens, ouvrir un compte en banque, exercer une profession sans l'autorisation de son mari datant

seulement de 1965. L'épisode du commissariat date de 1969. Il n'est pas certain que l'évolution des

consciences se soit alors opérée.

Le « moi » répondu, est alors un ensemble mal défini, qui se résume à la conscience d'être

en vie avant l'acquisition de la nationalité.

3.2. Autour du « moi »: les savoirs, le rapport au savoir, l'identité culturelle, la

langue, l'image de soi. Il s'oppose alors au « rien ».

L'approche des champs conceptuels permet de voir en ce « moi » le capital culturel,

l'assignation d'une identité et le conflit potentiel avec l'identité souhaitée. La place de la langue est

alors en question. Celle de l'institution scolaire aussi. La détermination à devenir un « tout visible »

laisse présager qu'il y aura recours à des stratégies identitaires jugées performantes par rapport au

projet énoncé.

Les questions suivantes en résultent: Comment est transmis le capital culturel? Qui en est /

sont les agents? Quelle est la place de la langue maternelle? De la langue du pays d'accueil?

C'est en répondant à ces premières interrogations, qu'il nous a été possible d'aller plus avant

vers notre problématique. En effet, il n'y a pas transmission mais construction des savoirs, et l'agent

de cette construction est le sujet lui-même. La langue maternelle porte une dimension affective

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importante et marque l'identification du sujet à sa famille alors que la langue du pays d'accueil

permet de se différencier et de devenir autonome. La pratique peut être quotidienne pour l'une,

abandonnée, approfondie, alors que pour la seconde elle est obligatoire et permet l'acquisition de

nouveaux savoirs, de nouvelles valeurs, de nouveaux codes. Nous constatons que le savoir, les

savoirs sont au cœur de la réflexion. Mais, rappelons-le, il n'y a pas de savoir sans rapport au savoir.

Quel est-il pour les enfants d'immigrés? Comment perçoivent-ils l'institution scolaire?

Quelles relations entretiennent-ils avec elle? Quelles sont les relations entre leur famille et

l'institution? Quelle image de soi parviennent-ils à établir dans un tel contexte?

3.3.Vers un « tout visible » grâce à l'institution scolaire.

L'institution scolaire est chargée de véhiculer les valeurs, la culture, de transmettre la langue.

Elle est au cœur du dispositif qui permet les acquisitions citées plus haut. Mais que représente cette

culture? De quoi est-elle constituée? Par qui? Comment attester de sa maîtrise? Ici, les diverses

investigations nous ont conduite à considérer la maîtrise de la langue, une langue écrite et oralisée

car elle est aussi bien un savoir spécifique, un vecteur de savoirs, un moyen de validation de ces

savoirs.

Passons-nous d'un « rien » à un « tout visible » en conservant la même image de nous-

même? Comment pouvons-nous avoir une sensation de continuité? À quel niveau social plaçons-

nous ce « tout visible »? Par qui devons-nous être vue? À quelles fins?

3.4.Trois pôles pour la construction d'une problématique.

La finalité des savoirs est en jeu: les savoirs antérieurs, les savoirs à venir. Tous ces savoirs,

le rapport au savoir qui les accompagne, la conscience que chacun peut en avoir, retentissent sur

l'individu, sa construction, l'estime de soi qu'il développe et la relation au monde qu'il entretient.

Quelle place accorde-t-il à la langue maternelle, à la langue culturelle?

Comme pour les champs conceptuels, nous constatons que notre progression s'organise en

trois pôles: les effets des savoirs, la langue (maternelle, culturelle) et l'individualité. En fait, ils

existaient déjà dans le questionnement initial empirique et leur présence s'affirme.

Nous avons mis en lumière les interrelations existant entre ces trois pôles dans la première

partie de notre exposé. Nous proposons d'organiser notre problématique en considérant les effets de

l'acquisition des savoirs sur la construction de l'individualité et le rapport à la langue: langue

maternelle et langue culturelle. Dès lors, nous pouvons donner à notre projet de recherche une

direction spécifique (figure 3).

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Figure 3: Schéma d'organisation de l'axe de recherche.

Les questions se regroupent alors autour de ces deux pôles et se déclinent de la manière suivante:

Autour de la construction de l'individualité se concentrent les questions relevant du rapport

au savoir, des stratégies identitaires (en observant la classification de Taboada-Leonetti 1990)50, sur

la perception, par le sujet, des ses diverses identités et de l'image de soi qu'il développe, la

conscience que le sujet a de tous ces mécanismes).

Autour des rapports avec la langue maternelle et la langue culturelle, les question relevant de

la pratique dans le milieu familial, des relations entre l'institution scolaire et la famille (la langue

pouvant être vecteur/frein et le sujet étant l'interprète de la famille ou pas) la recherche d'un

approfondissement de cette langue maternelle, le contact avec la langue culturelle, la maîtrise de

cette langue d'accueil et d'acculturation la conscience qu'en a le sujet.

Nous pouvons donc formuler notre problématique de la manière suivante:

En quoi, les savoirs institutionnels modifient-ils les stratégies

identitaires et le rapport à la langue chez les enfants d'immigrés?

50 Taobada-Leonnetti (1990). Stratégies identitaires et minorités: le point de vue du sociologue, InCamilleri C. et coll.(1990). Stratégies identitaires:PUF (p 43-83)

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Effet de l'acquisition des savoirs

Construction de l'individualitéLe rapport

langue maternelle / langue scolaire

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4 LES HYPOTHESES RETENUES.

Institutionnalisés ou empiriques, les savoirs sont construits par le récepteur. Cela est rendu

possible par le jeu de déconstruction-reconstruction que l'acquisition de tout nouveau savoir permet

d'opérer. Ces mécanismes entraînent la modification des savoirs. Ayant établi les interrelations

existantes entre les différentes composantes, nous pensons qu'ils modifient aussi le rapport à la

langue, la perception de son individualité et les stratégies identitaires de l'individu. La finalité des

savoirs institutionnalisés nous semble au cœur de la réflexion. Cette finalité est à explorer du côté

des familles, des élèves et de l'institution. Louis-André Vallet et Jean-Paul Caille 51nous rapportent que

les diverses études réalisées sur le sujet font apparaître que l'investissement des familles dans la

réussite scolaire est accrue dans les familles issues de l'immigration par rapport aux familles non-

immigrées de niveau social équivalent.

La finalité des savoirs institutionnalisés : l'intégration par la langue et la culture.

Notre problématique sous-entend qu'une modification est opérée ou du moins opérable par

les savoirs institutionnalisés. Cette modification réelle ou potentielle a été recherchée par les

pouvoirs publics et les questionnements, les diverses initiatives qui ont été réalisées depuis les

années soixante-dix en attestent. Comme le rappelle Smaïn Laacher(2005)52, ces questionnements et

interventions du système scolaire en faveur des enfants d'immigrés ont été tournés massivement sur

la maîtrise d'ordre linguistique, source présumée de l'échec scolaire chez ces enfants. Une autre

piste investie, a été la valorisation des langues et cultures étrangères. Les années quatre-vingts ont

vu le développement des initiatives pédagogiques et la création de zones éducatives prioritaires.

Toutes ces démarches on maintenu la conception d'extériorité des familles immigrées par rapport à

l'institution scolaire. Le rapport et l'analyse se rapportent toujours à deux entités représentées par

« eux » les immigrés et « nous » la société d'accueil. Les différentes analyses de ces démarches se

sont appuyées sur un rapport de domination qu'exerce l'institution sur ces familles, leurs enfants, et

ont conclu à un rapport de classe.

La finalité des savoirs institutionnalisés : émergence de l'homme.

De nombreuses recherches ont mis en lumière la distance existant entre les familles

immigrées: distance sociale, distance culturelle, distance linguistique. Nous souhaitons investir une

51 Louis-André Vallet* et Jean-Paul Caille La scolarité des enfants d'immigrés http://www.sociologie.u-bordeaux2.fr/formations/fichesdecours/Texte%206%20-%20Vallet&Caille%20parcours

%20scolaires%20enfants%20d%27immigres.pdf52Laacher S.( 2005). L'institution scolaire et ses miracles. La Dispute

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piste différentes, qui consiste à évaluer les raisons de l'enracinement culturel et social des enfants

d'immigrés. De nombreux chercheurs nous ont précédée dans cette voie. Nous souhaitons nous

concentrer sur la manière dont l'institution scolaire intervient auprès des enfants d'immigrés: les

enjeux didactiques, pédagogiques, les moyens mis en œuvre, les finalités. Nous prenons appui sur

le « modèle Freire ».

4.1 La « méthode Freire ».

Pourquoi, en quoi peut-on parler d'un « modèle Freire » , d'une « méthode Freire »par

rapport aux savoirs institutionnalisés par l'école et de leurs effets? Dans les différentes publications

qui livrent une analyse des écrits de Paolo Freire, il est fait état du « système Freire » de la

« méthode Freire » ou encore du « modèle Freire ». Nous ferons référence ici à la « méthode

Freire » ou praxis, c'est à dire au questionnement, à l'analyse, aux propositions et aux actions qui en

découlent. La praxis selon Freire, doit conduire l'individu à prendre conscience de ce qu'il fait,

d'entretenir une réflexion sur l'action, pendant l'action, de faire du lien entre la théorie et la pratique.

En effet, Freire a insisté sur l'aspect dynamique de toute analyse et a convié à faire une lecture

critique de ses ouvrages. Il a lui même été critique par rapport à ses écrits.

La question à laquelle veut répondre Paolo Freire, dans Pédagogie des opprimés, est: qu'est-

ce qu'un homme? C'est un être inachevé, qui doit conquérir sa liberté et qui n'est pas un oppresseur.

Il a besoin d'avoir pour être. L'objet de possession de choix est l'éducation et cette éducation est

aussi objet de domination.

Dans son ouvrage, Freire oppose deux conceptions de cette éducation: « l'éducation

bancaire », qu'il dénonce et qui fait de l'individu un être passif, ajusté au monde, et « l'éducation

conscientisante » dans laquelle le savoir est une occasion de réflexion aussi bien pour le formateur

que pour le formé.

Cette « éducation conscientisante » repose sur trois fondamentaux: la conscientisation, la

recherche des thèmes générateurs et l'action dialogique.

La conscientisation est « un processus par lequel, dans une relation sujet-objet, [..], le sujet

devient capable de saisir, en termes critiques, l'unité dialectique entre soi et l'objet »53. L'individu

prend alors conscience de sa réalité. IL n'est pas cette réalité, il en fait partie, il peut intervenir sur

elle,la transformer. Il peut prendre du recul par rapport à elle.

La recherche de thèmes générateurs s'effectue en étudiant « la pensée des hommes en

rapport avec le réel, c'est étudier leur action sur le réel, leur praxis. »54 Ceci constitue la première

53 Freire P. Pédagogie des opprimés- Conscientisation et Révolution- p 19354 Id p 93

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étape de l'action dialogique. Par la recherche commune des thèmes générateurs, le formé - tout

comme le formateur- expérimente qu'il ne pense « ni par les autres, ni pour les autres, ni sans les

autres »55. Il transforme les idées, les produit.

Cette production et cette transformation sont réalisées dans l'action dialogique, qui associe

l'action et le dialogue, un dialogue authentique.

Par cette approche, l'individu accède donc à la conscience de son identité par ce qu'elle

révèle dans son rapport au monde, par la culture dont elle est porteuse. L'autre et soi sont deux

sujets considérés. Chacun reconnaît chez l'autre un savoir, une expérience, une vision du monde. Il

y a recherche de synthèse culturelle et non pas invasion culturelle du formateur sur le formé.

Freire, qui s'inscrit dans la suite d'autres comme Freinet, propose ici un projet pédagogique

uni, indissociable du projet social et politique. Il interroge donc fortement l'institution scolaire dans

sa mission de formation de masse qui veut gommer les inégalités. Remet-elle en cause le schéma

social qui les a produites? Peut-elle réellement les faire disparaître? L'éducation, le savoir, sont ici,

producteurs d'une identité autre qui permet à l'individu d'échapper à la vision dichotomique de la

société: dominants/dominés – oppresseurs/opprimés...

4.2. Déclinaisons autour de la méthode Freire.

Nous nous interrogeons sur la perception qu'ont eue les enfants de migrants de leur

éducation, de la place des savoirs institutionnels, de la perception qu'ils ont d'eux-mêmes.

Quelles représentations avaient-ils d'eux, de leur situation initiale? Comment percevaient-ils

l'institution scolaire? Ont-ils perçu l'acte pédagogique comme un acte de relation? Quelle a été la

place du dialogue? Dialogue entre l'élève et l'enseignant, l'élève et sa famille, la famille et

l'institution au travers de l'élève ( ici interprète). Comment ce dialogue a-t-il pu être initié, conduit

par rapport à la langue maternelle? Quel sens ont-ils donné aux savoirs? Aux diplômes? Ont-ils

modifié leur approche de la formation et comment?

Toutes ces questions nous permettent d'inscrire nos hypothèses comme déclinaisons de la

méthode Freire. Nous organisons nos hypothèses selon les deux axes établis dans la

problématique :la construction de l'individualité et le rapport à la langue.

Par rapport à la construction de l'individualité, plusieurs facteurs vont intervenir et en

premier lieu le rapport qu'entretiennent les familles avec l'institution scolaire. Si l'école est

fortement investie, si l'écolier détient une place réelle en tant que détenteur de savoir alors nous

pensons que les savoirs institutionnalisés constituent un socle commun de connaissances qui

55 Id p 96

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permettent au sujet de se reconnaître aussi comme membre de la société d'accueil. Les identités

familiale et sociale peuvent cohabiter, l'estime de soi est préservée. Le niveau de maîtrise des

savoirs institutionnalisés entre également en jeu. Les résultats scolaires influent sur l'investissement

réalisé par rapport aux savoirs scolaires. Être reconnu comme sujet est rendu possible par le

dialogue existant entre les différents acteurs. Par l'action de déconstruction-reconstruction

qu'opèrent les savoirs acquis, le projet d'apprentissage se transforme car les besoins du sujet

évoluent.

Pour exister, le dialogue doit être accepté aussi bien dans la langue culturelle que dans la

langue maternelle. La place de l'une et de l'autre dépend des savoirs institutionnalisés et du système

de valeurs qu'ils induisent.

En résumé, nos hypothèses sont:

A propos de la construction de l'individualité:

H1: La perception qu'a l'élève de l'institution scolaire est déterminante dans

l'action des savoirs qu'elle transmet.

H2: L'acte pédagogique doit être un acte de relation pour permettre la

construction des savoirs institutionnels.

H3: Le projet d'apprentissage évolue au fur et à mesure que se transforme

l'individu.

A propos du rapport à la langue:

H4: La place de la langue maternelle et de la langue culturelle est fonction des

conditions d'acquisition des savoirs institutionnels.

H5: Le dialogue réel doit être établi entre l'élève et l'enseignant, l'élève et sa

famille, la famille et l'enseignant autour et sur les savoirs institutionnalisés.

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METHODOLOGIE DE RECHERCHE

Notre étude porte sur une population issue de l'immigration, en réussite scolaire et sociale.

Nous avons en effet établi dans notre approche conceptuelle que les savoirs institutionnels ont alors

réellement opérés car ils ont été intégrés par le sujet.

1 PLAN DE RECHERCHE RETENU.

Le plan de recherche retenu pour notre étude est un plan de recherche corrélationnel. Tout

d'abord, nous sommes en présence de variables non manipulables: les savoirs acquis, la perception

de la notion d'identité par le sujet aussi bien son identité sociale, culturelle, que personnelle, la place

faite aux langues. D'autre part, comme le laisse entendre l'intrication entre les diverses composantes

conceptuelles, ce plan de recherche nous permettra de ne pas exclure l'implication prédominante

d'un autre facteur que celui retenu ici (les savoirs institutionnels acquis). Nous sommes consciente

que ceci limitera la validité interne de notre recherche, notamment par la constitution de

l'échantillonnage, mais nous espérons que le nombre d'entretiens menés sera suffisant pour en

garantir la validité interne.

2 L'APPUI SUR LES DONNÉES STATISTIQUES.

Les données statistiques que nous avons retenues sont celle du ministère de l'Éducation

nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, portant sur un panel d'élèves du second

degré recruté en 1995, enquête jeunes 2002. L'analyse de ces résultats par Jean Paul Caille, est

consultable sous le lien référencé en bas de page56. Nous nous contenterons ici de rappeler les points

clés de cette analyse.

Cette étude permet d'établir que le souhait de poursuivre des études supérieures est très vif

chez les enfants d'immigrés. Le choix de se maintenir dans le système éducatif et d'y acquérir des

savoirs spécifiques, souvent dans des filières technologiques, doit leur permettre d'améliorer leurs

conditions de vie, surtout sur le plan matériel.

Selon cette étude, le taux de scolarisation est de 91% en formation générale. Si cette valeur

est importante, elle doit être complétée par la nature des filières fréquentées. 8% sont en

apprentissage et 83% préparent un baccalauréat dont seulement 27% dans une filière générale

contre 40% chez les non-immigrés et 48% des familles mixtes. Les parents de ces enfants sont peu

diplômés. Seulement 12%des pères et 14%des mères immigrées possèdent le baccalauréat ou plus.56http://www.sociologie.u-bordeaux2.fr/formations/fichesdecours/Texte%206%20-%20Vallet&Caille%20parcours

%20scolaires%20enfants%20d%27immigres.pdf

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D'autres variables comme l'activité de la mère, la structure parentale, la taille de la famille

croisée au rang dans la fratrie ont été également contrôlées par le modèle. Il apparaît également que

le choix du métier est lié à la situation scolaire et que les hypothèses valident que la situation

scolaire (exigence d'un capital culturel important) et les savoirs-faire spécialisés (enseignement

technique par exemple) sont des modèles explicatifs. Notre ambition est de préciser les

caractéristiques de cette situation scolaire.

3 LA DÉMARCHE CHOISIE POUR LE RECUEIL DE DONNÉES: L'ENTRETIEN.

Nous insistons ici sur le fait que nous nous plaçons dans une démarche plus que dans

l'utilisation d'un outil préparé en dehors de tout échange. Si cette attitude est celle adoptée dans

l'utilisation de l'histoire de vie en formation et dans la recherche sociologique, nous avons

conscience que cette utilisation requiert des compétences que seul un chercheur aguerri peut

maîtriser. Nous identifions malgré tout cette dynamique comme une approche en cohésion avec la

méthode Freire. Nous souhaitons donc nous inscrire, modestement, dans cette dynamique car il ne

nous semble pas envisageable de pouvoir évaluer l'hypothèse Freire dans un autre cadre.

Cependant, adopter une démarche ne nous dispense pas de prévoir des dispositions

pratiques. C'est pour quoi nous établissons une grille d'entretien dans laquelle figure l'ensemble des

items que nous souhaitons pouvoir sonder. Un premier entretien devra être conduit afin d'une part

d'évaluer la validité de la grille et d'autre part de nous permettre de nous évaluer dans cette fonction

spécifique du temps de la recherche. Nous présentons le canevas de la grille de l'entretien pilote.

4 L'ÉCHANTILLONNAGE.

En premier lieu, la cohorte doit être composée d'enfants d'immigrés, ayant réussi

scolairement et socialement ou qui suivent un cursus leur assurant une réussite sociale sur le plan

symbolique (exemple étudiant en médecine ayant franchi l'étape de la sixième année. Rien ne

permet de savoir si son installation professionnelle sera couronnée de succès mais il disposera d'un

potentiel de réussite sociale au niveau symbolique).

La tranche d'âge retenue situe la cohorte entre 18 et 50 ans car nous disposons de données

statistiques chiffrées qui pourront être mises en parallèle lors de l'analyse des données.

Les différentes études révèlent l'importance de l'origine géographique des familles par

rapport aux ambitions, à l'engagement des familles et aux choix d'orientations réalisés. La diversité

des origines devra donc être respectée sans pour autant constituer une représentation exhaustive,

dans le cadre d'un rendu en Master.

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La stratégie de constitution de la cohorte doit être affinée. Le recours à un questionnaire

signalétique est actuellement privilégié. Les moyens de diffusion de ce questionnaire sont à

déterminer (autorisation par les responsables des départements, de diffusion directe auprès des

étudiants, listes d'anciens élèves des écoles...). Le questionnaire est placé en annexe 1. La grille

d'analyse du questionnaire en annexe 2.

5 L'ENTRETIEN.

Nous présentons ici le projet de conduite des entretiens. L'étude de la littérature méthodologique

doit être approfondie de manière à finaliser les outils retenus pour mener notre recherche.

5.1. Les modalités de passation.

Les modalités pratiques envisagées sont les suivantes:

− Les entretiens seront menés, au choix de l'interviewé(e) à son domicile ou sur son lieu de

travail.

− Ils seront d'une heure environ et seront enregistrés afin de pouvoir être retranscrits et

analysés. L'utilisation de ces traces se limitera à la réalisation du mémoire de Master 2.

− Ils seront de type semi-directif.

La grille d'entretien ci-dessous est destinée à l'étude pilote. Les questions sont inscrites en regard

des hypothèses retenues.

5.2. La grille d'entretien.

Âge de l'interviewé(e):

Nationalité:

Origines géographiques des parents: père: mère:

Né(e )en France ou âge d'entrée en France

Niveau d'étude

Emploi

Cette partie est renseignée grâce aux informations collectées lors du questionnaire.

Présentation de l'interviewer

Rappel du cadre général de l'entretien: culture scolaire et culture familiale chez les enfants de

migrants.

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A: A propos de la construction de l'individualité.H1:La perception qu'à l'élève de l'institution scolaire est déterminante dans l'action des savoirs qu'elle transmet.Quelle image avez-vous gardé de l'école? De votre scolarité?

Que représentait l'école pour vous?

Que vous disait-on à propos de l'école à la maison?

Aimiez-vous vous y rendre?

H2:L'acte pédagogique doit être un acte de relation pour permettre la construction des savoirs institutionnels.Quelle relations aviez-vous avec vos enseignants?

Diriez-vous qu'ils étaient à l'écoute?

Comment qualifieriez-vous leur manière d'enseigner?

H3: Le projet d'apprentissage évolue au fur et à mesure que se transforme l'individu. Qu'est-ce qui vous a décidé à devenir......?

Enfant, que vouliez-vous faire?

Était-ce votre souhait ou bien celui de vos parents?

B: A propos du rapport à la langue.

H4: La place de la langue maternelle et de la langue culturelle est fonction des conditions d'acquisition des savoirs institutionnels.Quelle langue parlez-vous avec vos proches (vos parents, votre conjoint, vos enfants)?

Est-ce que cela a évolué au fil du temps? Comment?

Pourquoi parlez-vous/ ne parlez-vous pas en ….........avec vos enfants?

H5:Le dialogue réel doit être établi entre l'élève et l'enseignant, l'élève et sa famille, la famille et l'enseignant autour et sur les savoirs institutionnalisés.Parliez-vous de ce que vous appreniez avec vos parents?

Vos parents rencontraient-ils les enseignants?

Étiez-vous l'interprète lors des rencontres parents-professeurs?

Parliez-vous avec les enseignants de ce qui était découvert en classe, à la fin du cours par exemple?

Pour conclure, inviter l'interviewé(e) à compléter librement le propos.Souhaitez-vous ajouter quelque chose?

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CONCLUSION

La scolarité des enfants de migrants est un domaine de recherche déjà largement développé

en sciences humaines. De nombreux travaux ont permis de mettre en évidence le paradoxe qu'elle

fait émerger: une réussite rendue possible malgré des facteurs économiques, sociaux et culturels

défavorables. Ils attestent bien souvent que ces succès sont le fait des familles qui nourrissent une

ambition très forte pour leurs enfants tant sur le plan scolaire que social, dans la société d'accueil

comme dans la société d'origine lorsque le retour au pays est programmé.

L'apatridie qui semblait être une dimension à prendre en considération nous semble être

aujourd'hui, au bénéfice de nos lectures, un moteur particulier sans pour autant représenter un

facteur déterminant. Nous avons plutôt cherché à adopter le regard critique (au sens de réflexif)

porté par Camilleri(1990): « La comparaison entre les minorités ethniques et les minorités

économiques (les parvenus) aide à comprendre quelles stratégies sont des tentatives individuelles

d'appropriation des instruments sur lesquels la majorité fonde sa place sociale ( maîtrise de la la

langue officielle, la constitution d'un réseau de relation parmi les dominants, l'acquisition d'un

capital culturel( culture scolaire mais aussi culture au sens de habitus c'est-à-dire comportements ,

attitudes, goûts, et « bonnes manières »)qui vont permettre au minoritaire d'endosser les attributs

valorisants de sa nouvelle identité et de rejeter comme inappropriée l'identité négative attachée à

son groupe d'origine. »57

Pour certains auteurs comme Smaïn Laacher, l'approche réservée à la question de la scolarité

des enfants de migrants démontre, par le simple libellé des problématiques, la sémantique

employée, la permanence de la différence entre les migrants, leurs enfants et le reste de la

population.

Cependant, la place accordée au diplôme, par l'identité qu'il assigne et le statut social qu'il

autorise, laisse entrevoir un autre avenir. Par le diplôme, l'ancrage dans la société d'accueil est bien

réel, visible. Les savoirs constitueraient-ils alors une « Terre promise », dont le diplôme serait le

sauf-conduit? Seule l'institution scolaire peut permettre cette migration (migration sociale,

culturelle, géographique) car elle détient le monopole du diplôme. Mais elle n'est pas la seule à en

porter la responsabilité. Nous évoquions dans la construction de la problématique que d'autres

schémas d'exploitation sont possibles. Il nous faudra savoir les interroger à l'heure de l'analyse des

données.

Cette perspective nous fait entrevoir l'étendue de ce qu'il nous reste à découvrir.

57 Camilleri C. 1990, Stratégies identitaires , PUF, p 74

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ANNEXE 1Questionnaire

Ce questionnaire vous est adressé dans le cadre d'un travail universitaire en Sciences de l'éducation.

Ce travail porte sur la réussite scolaire et sociale des enfants de migrants. Les informations

recueillies seront complétées par d'autres collectées au cours d'entretiens individuels avec des

personnes volontaires. Je vous remercie de l'attention que vous porterez à ce questionnaire et de

votre participation ultérieure.

Claire Torres Bisquerra

Q1: Veuillez indiquer votre âge:..............................

Q2: Êtes-vous né en France? Entourez la réponse. oui ( Passez à Q4) non (Répondez à Q3)

Q3: Veuillez précisez alors votre âge à votre arrivée en France.............................

Q4: Êtes-vous de nationalité française? Entourez la réponse. oui non

Q5: :Quelle(s) est (sont) votre(vos) origines?

père...........................................................

mère............................................................

Q6: Quel diplôme avez-vous obtenu, ou préparez-vous?

................................................................................................................................................................

…............................................................................................................................................................

Q7: Le cas échéant, pourriez-vous indiquez votre emploi?

…............................................................................................................................................................

................................................................................................................................................................

................................................................................................................................................................

Q8: Accepteriez-vous d'être contacté(e) afin de participer à un entretien?Entourez la réponse.

oui non

Si oui, inscrivez vos coordonnées .

Civilité..........................................................

Nom..........................................................................prénom:............................................

Courriel.................................................................................................................................

Téléphone..........................................................................................................................

Horaires d'appels …....................................................................................................

Si vous ne souhaitez pas me laisser ces informations sur papier, vous pouvez me contacter par

courriel [email protected] sous l'objet ENTR MASTER.

Merci d'avoir pris le temps de répondre à ce questionnaire.

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ANNEXE 2Grille d'analyse du questionnaire.

Typologie des réponses questionsPar une variable qualitative nominale

Q2, Q4, Q8Q5, Q7

Q2: identifier si migrant lui-même.Q4: écarts pouvant être ressentis par rapport aux parents, au groupe d'origine.Q5: recrutement respectant la diversité des origines géographiques.Q7: vérification de la corrélation diplôme/emploi.Q8: envie de participation. Peut avoir répondu mais ne souhaite pas donner de plus amples informations

Par une variable quantitative discrète

Q1, Q3 Q1: vérification de l'entrée dans la cohorte.Q3: à reprendre lors de l'entretien pour analyser les rapports entretenus avec la langue maternelle et la langue culturelle.

Par une variable qualitative ordinale

Q6 Diplôme et capital culturel.

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Mots clés: immigration, rapport au savoir, construction de l'individualité, image de soi,

rapport à la langue maternelle, langue culturelle, institution scolaire, savoirs

institutionnalisés, conscientisation, thèmes générateurs, action dialogique,

transculturation.

Résumé:

Quelle place occupent les savoirs institutionnalisés dans la construction de l'individualité et le rapport à la

langue maternelle chez les enfants d'immigrés? Comment ont-ils perçu leur parcours scolaire? Leurs

rapports à l'institution ? Quels rapports aux savoirs ont-ils développés? En quoi l'action de l'école est-elle

en jeu?

Cette étude voudrait porter des éléments de réponses à ces diverses interrogations. Pour ce faire, elle

expose le cadre théorique d'investigation nécessaire à l'établissement de cette problématique. Ce cadre,

organisé autour de trois pôles que sont l'individu, l'institution scolaire et la société, montre trois champs

conceptuels majeurs: l'effet de l'acquisition des savoirs, la construction de l'individualité, le rapport à la

langue maternelle et à la langue culturelle. Ces champs entretiennent des interrelations les uns avec les

autres

L'hypothèse ici avancée est que la relation pédagogique est prégnante sur les développements du rapport

au savoir, rapport à la langue et estime de soi chez les enfants d'immigrés. Elle s'appuie sur la « méthode

Freire » qui voit dans la conscientisation, la recherche des thèmes générateur et l'action dialogique, une

réponse positive à la finalité de l'action culturelle: émergence d'un homme libre et solidaire. La

vérification de cette hypothèse est envisagée par l'analyse d'entretien conduit auprès d'enfants d'immigrés,

âgés de moins de 50 ans, ayant réussi scolairement et socialement, d'origines géographiques différentes.

Ce mémoire représente la partie théorique et méthodologique de l'étude Le recueil des données et leur

analyse seraient à réaliser lors du Master de Recherche que nous espérons pouvoir entreprendre à l'issue

de ce premier travail.

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